© 2005 – presses de l’université du québec
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copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du QueacutebecEacutedifi ce Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca
Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
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PRESSES DE LrsquoUNIVERSITEacute DU QUEacuteBECLe Delta I 2875 boulevard Laurier bureau 450Sainte-Foy (Queacutebec) G1V 2M2Teacuteleacutephone (418) 657-4399 bull Teacuteleacutecopieur (418) 657-2096Courriel puqpuqca bull Internet wwwpuqca
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2005
Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec
Le Delta I 2875 boul Laurier bur 450Sainte-Foy (Queacutebec) Canada G1V 2M2
Preacuteface de CLAUDE FAUGERON
Postface de CANDIDO DA AGRA
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Mise en pages Infoscan Collette Queacutebec
Couverture ndash Conception Richard Hodgson Illustration Jean-Michel Girard
Catalogage avant publication de Bibliothegraveque et Archives Canada
Vedette principale au titre
Trajectoires de deacuteviance juveacutenile les eacuteclairages de la recherche qualitative
(Collection Problegravemes sociaux amp interventions sociales 18) Comprend des reacutef bibliogr
ISBN 2-7605-1372-6
1 Deacutelinquance juveacutenile 2 Deacuteviance 3 Jeunes deacutelinquants 4 Jeunesse ndash Usage des drogues 5 Jeunes de la rue 6 Deacutelinquance juveacutenile ndash Cas Eacutetudes de I Brunelle Natacha 1971- II Cousineau Marie-Marthe III Collection
HV9071T72 2005 36436 C2005-940919-3
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2005 9 8 7 6 5 4 3 2 1
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes copy 2005 Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec
Deacutepocirct leacutegal ndash 3e trimestre 2005Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du CanadaImprimeacute au Canada
Nous reconnaissons lrsquoaide fi nanciegravere du gouvernement du Canada par lrsquoentremise du Programme drsquoaide au deacuteveloppement de lrsquoindustrie de lrsquoeacutedition (PADIEacute) pour nos activiteacutes drsquoeacutedition
La publication de cet ouvrage a eacuteteacute rendue possibleavec lrsquoaide fi nanciegravere de la Socieacuteteacute de deacuteveloppementdes entreprises culturelles (SODEC)
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Il me fait plaisir de faire la preacuteface de cet ouvrage Crsquoest qursquoen effet
une partie de ma carriegravere a eacuteteacute consacreacutee agrave la promotion des approchesqualitatives Il srsquoagissait au deacutebut de montrer comment ces meacutethodesse seacuteparaient drsquoun journalisme intelligent donc de labourer le champdes pratiques de recherches en deacuteveloppant les aspects eacutepisteacutemolo-giques et la rigueur meacutethodologique Mais il fallait aussi montrerque ces approches permettaient de disposer drsquooutils pertinents pour larecherche sociologique donc de leur donner une leacutegitimiteacute theacuteoriqueque les tenants de la sociologie quantitative leur deacuteniaient
Crsquoeacutetait un beau chantier que jrsquoai partageacute avec des chercheursde lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal puis plustard avec des collegravegues de lrsquoUniversiteacute catholique de Louvain Ilme semble que ce qui a rendu ces expeacuteriences collectives possiblesest le partage drsquoune posture theacuteorique dite de la criminologie de lareacuteaction sociale ensuite moduleacutee par la reacutefeacuterence agrave lrsquoacteur social
Je retrouve plus ou moins expliciteacutee cette posture dans les chapitres
qui suivent Mais peut-ecirctre est-il devenu moins neacutecessaire de lrsquoexpliciterce qui voudrait dire qursquoelle fait maintenant partie de la culturecriminologique
Il nrsquoempecircche que demeure une difficulteacute technique difficile agravesurmonter en particulier dans les eacutetudes de carriegraveres ou les biogra-phies En lrsquoabsence de groupes teacutemoins et surtout lorsque lrsquoonchoisit les personnes agrave interroger agrave partir drsquoun critegravere fort commeun marquage institutionnel lrsquoimage que lrsquoon donne de leur par-cours peut apparaicirctre comme celle drsquoun
destin
Cette tendance estrenforceacutee par les rationalisations
a posteriori
que donnent souvent
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VIII
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
les diffeacuterents acteurs agrave leurs conduites Une observation quasi ethnologique descontextes de vie ainsi qursquoune bonne connaissance des histoires familiales peuventpermettre de relativiser les reconstructions opeacutereacutees par les acteurs Crsquoest bien ce agravequoi plusieurs des auteurs preacutesents dans cet ouvrage se sont attacheacutes
Une autre difficulteacute consiste agrave ne pas rester enfermeacute dans un interactionnismetrop eacutetroit Certes lrsquointeractionnisme a beaucoup apporteacute ndash et continue drsquoapporter ndashagrave la recherche sur les deacuteviances et les deacutelinquances et cet ouvrage en est la preuveIl nrsquoempecircche que si lrsquoon veut pouvoir interpreacuteter sociologiquement les reacutesultats destravaux qualitatifs on ne doive croiser ce que lrsquoon peut apprendre de la faccedilon dontles structures sociales agissent au niveau des trajectoires individuelles Ceci ne peutse faire sans une bonne connaissance de ce que certains on appeleacute des
micro
pouvoirs
Connaissance qui peut provenir de la recherche elle-mecircme mais aussi ducroisement de recherches portant sur des objets diffeacuterents Ougrave mecircme utilisant desmeacutethodes diffeacuterentes Agrave cet eacutegard on ne peut renvoyer dos agrave dos recherches qualita-tives et recherches quantitatives sous le preacutetexte que leurs meacutethodes seraient incon-ciliables Agrave mon avis seuls doivent ecirctre eacuteviteacutes des deacuteveloppements theacuteoriques qui nesrsquoappuieraient pas sur une bonne connaissance du terrain et des recherches empi-riques Autrement dit si la recherche empirique ne peut se passer de theacuteorie la theacuteoriene peut se passer de recherches empiriques On pourrait appeleacute cette position delrsquoeacuteclectisme sociologique je lrsquoai deacutefendue agrave plusieurs reprises Et je continue de penserqursquoune recherche empirique bien meneacutee apporte toujours quelque chose
Mais une preacuteface ne peut se contenter seulement de mises en garde Il fautici se feacuteliciter des efforts que les chercheurs preacutesents dans cet ouvrage ont soutenusagrave plusieurs niveaux Le premier est celui de lrsquoimmersion dans leurs terrains et lrsquoonsait que crsquoest chose difficile il est plus aiseacute de travailler dans son bureau que dansdes quartiers laquo chaudsraquo Un deuxiegraveme niveau est celui de la rigueur meacutethodologiquele choix des meacutethodes de recueil des donneacutees et drsquoanalyse du mateacuteriel Enfin lecroisement des points de vue celui des acteurs institutionnels et celui des acteursaupregraves desquels srsquoeffectue lrsquointervention apporte des eacuteclairages neacutecessaires agrave la compreacute-hension des positions des jeunes confronteacutes aux institutions Crsquoest pourquoi jesouhaite que de tels travaux continuent de se deacutevelopper
Claude Faugeron
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PREacuteFACE
VII
Claude Faugeron
INTRODUCTION
1
Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau
C
HAPITRE
1
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLESPoints de convergence et de divergence
9
Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu
11
LrsquoADOLESCENT
VS
LrsquoADOLESCENTE 10
111 Deacutelinquance 11
112 Consommation de substances
psychoactives 11
12 CONTEXTE THEacuteORIQUE 12
13 MEacuteTHODOLOGIE 12
14 REacuteSULTATS 15
141 Les filles et les garccedilons plus de
ressemblances que de diffeacuterences 15
1411 Motifs de consommation
de drogues 15
1412 Motifs de deacutelinquance 18
1413 Motifs de diminution
ou drsquoarrecirct de consommation 19
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X
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
142 Les garccedilons en particulier 21
1421 Motifs de deacutelinquance 22
1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct
de la consommation 23
143 Les filles en particulier 24
1431 Motif de consommation 24
1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct
de la consommation et la deacutelinquance 25
CONCLUSION 25
BIBLIOGRAPHIE 27
C
HAPITRE
2
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUESDiversiteacute des cheminements et effets de geacuteneacuteration au sein des milieux populaires en France
31
Michel Kokoreff
21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES
SELON LES GEacuteNEacuteRATIONS 32
211 Au-delagrave du feacutetichisme conceptuel
lrsquoanalyse des processus 33
212 Les effets de geacuteneacuteration 35
22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES
DES ANNEacuteES 1980 38
221 Le contexte social et urbain 38
222 Cheminements vers lrsquoheacuteroiumlne 40
223 De lrsquousage agrave la revente 44
224 Une vulneacuterabiliteacute structurelle 48
23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC
AU COURS DES ANNEacuteES 1990 52
231 Scegravenes de revente 53
232 Le rapport au produit 55
233 Le trafic comme travail 57
234 Avoir lrsquoesprit entrepreneur 59
24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS
DANS LE TRAFIC 62
241 Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre 62
242 Les hieacuterarchies informelles 64
BIBLIOGRAPHIE 68
TABLE DES MATIEgraveRES
XI
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C
HAPITRE
3
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
71
Ceacuteline Bellot
31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE
DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE 72
311 La trajectoire objective 73
312 La trajectoire subjective 74
313 La trajectoire de rue dans une analyse
de la structuration 75
32 MEacuteTHODOLOGIE 76
33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES 78
331 La rue un eacutepisode 78
332 La rue une transition 85
3321 La rue comme tremplin
vers une insertion sociale 85
3322 La rue comme tremplin
vers une deacutesinsertion sociale 86
333 La rue un enfermement 91
CONCLUSION 93
BIBLIOGRAPHIE 93
C
HAPITRE
4
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNESLeur signification dans une trajectoire de vie
97
Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele Fournier
41 LA PAROLE AUX JEUNES 99
42 MEacuteTHODOLOGIE 100
421 Eacutechantillons 100
422 Instruments de collecte et analyse des donneacutees 101
43 LA PAROLE DES JEUNES 103
431 Les jeunes parlent de la faccedilon
dont ils en sont venus agrave se joindre aux gangs 104
432 Les jeunes expliquent les motifs
qui les ont ameneacutes agrave se joindre au gang 105
433 Les jeunes parlent de lrsquoexpeacuterience qursquoils
ont veacutecue dans le ganghellip en termes drsquoeacutemotions 111
434 Les jeunes parlent des motifs
qui les ont ameneacutes agrave quitter le gang 113
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XII
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE
APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS 116
CONCLUSION 117
BIBLIOGRAPHIE 119
C
HAPITRE
5
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
121
Maryse Esterle-Hedibel
51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU 124
52 LA DEacuteSCOLARISATION 126
521 Les marqueurs de la deacutescolarisation 127
5211 Le niveau de diplocircme des parents 127
5212 La composition de la famille 128
5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage 128
5214 Le passage du primaire au collegravege
indiscipline et identiteacute 129
53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION
ET DEacuteLINQUANCE 130
531 Lrsquoimpact des groupes de pairs
et les activiteacutes deacutelinquantes 130
532 Deacutecrochage scolaire et deacutelinquance 131
54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE
DES PERSONNES-RESSOURCES 132
55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS 133
551 Les personnels peacutedagogiques 133
5511 Des donneacutees non utiliseacutees 133
5512 Des deacutecisions drsquoorientation
non suivie drsquoeffets 134
5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure 134
5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants 136
5515 Haro sur les eacutelegraveves 138
5516 Lrsquoexternalisation des solutions 138
552 Les eacutelegraveves 140
553 Les familles 141
554 Les travailleurs sociaux
(agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des collegraveges) 145
56 LE CAS DE PATRICK 146
CONCLUSION 151
BIBLIOGRAPHIE 151
TABLE DES MATIEgraveRES
XIII
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C
HAPITRE
6
LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUEIDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALESLrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche biographique
153
Ceacutecile Carra
61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE
LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES 155
62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute
DE DEacuteLINQUANT Agrave TRAVERS LA PRISE
EN CHARGE INSTITUTIONNELLE 158
63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT 158
631 De la construction drsquoun parcours de deacutelinquanthellip 158
632 hellip agrave celle drsquoune personnaliteacute deacutelinquante 162
633 Lrsquointeacuteriorisation drsquoun destin de deacutelinquant
et son actualisation 163
64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE
DE LA DEacuteLINQUANCE 165
641 De la deacuteconstruction de lrsquoidentiteacute familialehellip 166
642 hellip agrave la reconstruction drsquoidentiteacutes
individuelles neacutegatives 168
65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT
Agrave UNE PLACE DOMINEacuteE DANS LES
RAPPORTS SOCIAUX 170
651 Des parcours preacutedeacutetermineacutes par les instances
de reacutegulations sociales geacuteneacuterales 172
652 La deacutelinquance comme strateacutegie identitaire 173
CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT
DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES 175
BIBLIOGRAPHIE 176
C
HAPITRE
7
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteEParoles et strateacutegies de jeunes deacutelinquants
179
Isabelle Delens-Ravier
71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE
QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE 180
72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE 182
73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE 183
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XIV
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION 186
741 Veacutecu de la deacutelinquance 187
742 La deacutecision du magistrat 189
743 Le magistrat de la jeunesse 190
744 Les acteurs institutionnels 191
7441 Les eacuteducateurs 191
7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale 192
745 Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction 193
7451 Une strateacutegie drsquoadaptation
et de rationalisation 193
7452 Une strateacutegie de repli-refus 196
7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence 197
CONCLUSION 198
BIBLIOGRAPHIE 201
CONCLUSION
203
Marie-Marthe Cousineau et Natacha Brunelle
POSTFACE
209
Candido da Agra
NOTICES BIOGRAPHIQUES
213
IN
TR
OD
UC
TI
ON
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N
ATACHA
B
RUNELLE
Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresChercheure au CICC au RISQ et au GRIAPS
M
ARIE
-M
ARTHE
C
OUSINEAU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealChercheure associeacutee au CICC et agrave lrsquoIRDS
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2
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Plusieurs ouvrages scientifiques sur la deacuteviance juveacutenile qui utilisent le mot
trajectoire
ou ses traductions anglaises laquo
pathway
raquo ou laquo
trajectory
raquo reposent
sur des eacutetudes quantitatives (Nagin Farrington et Moffitt 1995 Brunswick
et Titus 1998) et sont reacutealiseacutes dans une perspective psychosociale ou de
psychologie deacuteveloppementale Toutefois de plus en plus de chercheurs
qui conduisent des eacutetudes qualitatives parlent aussi de
trajectoire
Non seu-
lement le terme est commode mais il permet en outre de rendre compte
des eacuteveacutenements veacutecus et de leur eacutevolution chronologique Agrave ceux qui
travaillent dans cette optique il paraicirct aussi le mieux agrave mecircme de refleacuteter
les aspects plus pheacutenomeacutenologiques lieacutes agrave la signification que la personne
concerneacutee accorde aux eacuteveacutenements qursquoelle vit ainsi qursquoaux sentiments que
ceux-ci provoquent Lrsquoemploi du mot trajectoire permet eacutegalement de
rendre compte de la sinuositeacute du parcours de vie des individus
Srsquoagissant des trajectoires de deacuteviance juveacutenile lrsquoun des aspects les
plus documenteacutes est sans aucun doute la progression de la deacutelinquance
des jeunes en ce qui a trait agrave la nature agrave la diversiteacute et agrave la graviteacute des
deacutelits commis tout au long de la trajectoire (Freacutechette et Le Blanc 1987
Le Blanc 1994 Kelley Loeber Keenan et DeLamatre 1997) Dans la
documentation scientifique cette progression deacutelictueuse a souvent eacuteteacute
associeacutee agrave la structure de la personnaliteacute et plus reacutecemment on lrsquoa mise
en rapport avec le contexte psychosocial dans lequel srsquoopegravere cette progres-
sion Certaines eacutetudes longitudinales eacutetablissent de tels liens avec le contexte
psychosocial mais de faccedilon quantitative en consideacuterant un nombre limiteacute
de dimensions (relations avec la famille association agrave des pairs deacuteviants
promiscuiteacute sexuellehellip) partant moins des perceptions des jeunes ndash pro-
cessus inductif ndash que drsquohypothegraveses de recherche agrave veacuterifier ndash processus
deacuteductif (Simons Wu Conger et Lorenz 1994 Nagin Farrington et Moffitt
1995 Le Blanc et Kaspy 1998)
De nombreux auteurs traitant des trajectoires deacuteviantes deacutefinissent
une typologie de trajectoires qui srsquoapparente agrave une typologie de deacutelin-
quants ou de toxicomanes baseacutee sur leurs comportements ou sur lrsquoeacutevolution
de ceux-ci (Le Blanc Cocircteacute et Loeber 1991 Hammersley et Ditton 1994
Loeber Farrington Southamer-Loeber Moffitt et Caspi 1998 Nagin et
Tremblay 1999) Cette faccedilon de deacutefinir des trajectoires agrave partir de lrsquoeacutevo-
lution des comportements possegravede sans contredit son utiliteacute descriptive
mais elle tend agrave omettre le pouvoir des cognitions et des sentiments en
amont sur les comportements en aval
Or plusieurs auteurs ont montreacute lrsquoimportance de tenir compte des
processus cognitifs et eacutemotifs pour bien saisir et comprendre les compor-
tements humains (Lewin 1967 Blumer 1969 Mischel 1973 Endler et
Magnusson 1976 Bandura 1977 Brown et Harris 1989 Debuyst 1989
Beck Freeman Pretzer Davis Fleming Ottaviani Beck Simon Padesky
INTRODUCTION
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copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Meyer Trexler 1990 de Gaulejac 1997) Ils ont eacutegalement constateacute qursquoen
se centrant sur lrsquoeacutevolution et la description des actes deacutelinquants ou toxi-
comaniaques en tant que tels au fil de la trajectoire bon nombre drsquoeacutetudes
omettaient de relier agrave cette eacutevolution le contexte dans lequel celle-ci
srsquoopegravere et surtout lrsquointeraction entre lrsquoindividu et ce contexte Or la prise
en compte de lrsquointeraction entre les dimensions individuelles et contex-
tuelles est jugeacutee non seulement importante mais eacutegalement cruciale
par diffeacuterents auteurs (Blumer 1969 Debuyst 1989 Digneffe 1989
Castel Benard-Pellen Bonnemain Boullenger Coppel Leclerc Ogien et
Weinberger 1992 Cormier 1993) particuliegraverement lorsqursquoil srsquoagit de
comprendre les comportements humains
Certaines eacutetudes sur les trajectoires deacuteviantes paraissent avoir quelque
peu deacuteplaceacute lrsquoattention du comportement en srsquointeacuteressant aux motivations
qui y sont associeacutees et aux eacuteleacutements autres qui permettent de discriminer
les trajectoires entre elles (Sampson et Laub 1993 Erickson et Weber
1994 Le Blanc 1996 Le Blanc et Kaspy 1998)
Par exemple Sampson et Laub (1993) notent qursquoon trouve souvent
agrave la fois continuiteacute et changements dans lrsquoimplication deacuteviante au fil du
temps La deacuteviance demeure preacutesente agrave lrsquoacircge adulte mais elle change de
forme Par exemple la consommation de drogues illeacutegales agrave lrsquoadolescence
peut se transformer en un veacuteritable problegraveme la toxicomanie agrave lrsquoacircge
adulte Agrave lrsquoinverse des eacuteveacutenements de vie comme le mariage ou lrsquoobten-
tion drsquoun emploi peuvent entraicircner un changement drsquoorientation dans
la trajectoire vers un conformisme accru Dans cette eacutetude de Sampson et
Laub (1993) les reacutesultats quantitatifs sont appuyeacutes par des donneacutees
qualitatives recueillies a posteriori
Les auteurs du preacutesent livre ont voulu donner une voix encore plus
forte aux jeunes au cœur de leurs eacutetudes en deacutecrivant lrsquoensemble de leurs
reacutesultats par un processus inductif qui reflegravete lrsquoapproche qualitative qursquoils
ont adopteacutee
Srsquoapparentant aux travaux preacutesenteacutes dans ce livre ceux de Faupel
(1991) Castel (1994) Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) adoptent
une position eacutepisteacutemologique dont la particulariteacute est de consideacuterer les
participants comme des acteurs sociaux capables de laquo geacuterer raquo leur vie
(Debuyst 1989) Ces travaux srsquoattardent agrave comprendre la vie des personnes
en contexte en ne se limitant pas agrave cerner leurs comportements et en
adoptant une perspective plus laquo interactionniste raquo (Blumer 1969)
Une approche qualitative a eacuteteacute privileacutegieacutee dans ces travaux Cette
approche favorise une meilleure compreacutehension de la speacutecificiteacute et de la
complexiteacute des processus en jeu en fournissant un point de vue de lrsquointeacute-
rieur des pheacutenomegravenes (Groulx 1997 Pires 1997) Elle permet drsquoacceacuteder
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par les acteurs sociaux aux significations qursquoils
accordent agrave celle-ci de mecircme qursquoau sens de leurs actions (Deslauriers et
Keacuterisit 1997) En particulier lrsquoentretien de type qualitatif reacutevegravele le point
de vue des acteurs sociaux et permet drsquoen tenir compte pour comprendre
et interpreacuteter leurs reacutealiteacutes (Poupart 1997)
Il reste que drsquoun cocircteacute la plupart des eacutetudes sur les trajectoires
deacuteviantes srsquointeacuteressent tregraves peu aux perceptions des acteurs et visent ordi-
nairement agrave veacuterifier des postulats de recherche (processus deacuteductif) et
que drsquoun autre cocircteacute ces eacutetudes ne sont pas propres agrave la peacuteriode de
lrsquoadolescence Pourtant les auteurs qui ont conduit des eacutetudes qualita-
tives inductives aupregraves drsquoadolescents ont obtenu du mateacuteriel pertinent et
inteacuteressant agrave plusieurs eacutegards (Billson 1996 Piron 1996 Way 1998)
Malheureusement ces eacutetudes ne srsquointeacuteressent pas speacutecifiquement agrave la
deacuteviance juveacutenile ou encore elles ne sont pas des eacutetudes de trajectoires
Dans les recherches qui ont donneacute lieu au preacutesent collectif drsquoauteurs le
point de vue des jeunes constitue le centre de reacutefeacuterence initial dont sont
tireacutees les conclusions menant agrave une approche diffeacuterente et compleacutemen-
taire aux travaux preacuteceacutedents Cette approche nous est-il apparu permet
drsquoobtenir une compreacutehension plus diversifieacutee des trajectoires deacuteviantes
agrave lrsquoadolescence
1
Lrsquoensemble des textes des auteurs que nous avons reacuteunis dans ce
collectif met en lumiegravere les apports drsquoeacutetudes qualitatives sur les trajectoires
de deacuteviance juveacutenile reacutealiseacutees au Queacutebec en France et en Belgique depuis
une dizaine drsquoanneacutees Ces eacutetudes font appel agrave diffeacuterentes meacutethodes qua-
litatives Plusieurs utilisent des formes drsquoentretien de type qualitatif
drsquoautres ont recours agrave lrsquoethnographie ou encore agrave lrsquoanalyse documentaire
Les premiers chapitres portent davantage sur les pheacutenomegravenes deacuteviants
que constituent la deacutelinquance ou lrsquousage de drogues chez les jeunes alors
que les derniers traitent eacutegalement ou uniquement de la prise en charge
sociale ou judiciaire de ces jeunes
Lrsquooriginaliteacute des productions rassembleacutees tient au fait que le point
de vue des jeunes eux-mecircmes est refleacuteteacute dans les reacutesultats des eacutetudes
traiteacutees dans la majoriteacute des chapitres tandis que drsquoautres fournissent
aussi le point de vue des intervenants sociaux et judiciaires quant agrave la
deacuteviance juveacutenile et agrave sa prise en charge
1 Voir Stahler et Cohen (2000) pour une discussion sur lrsquoapport compleacutementaire deseacutetudes qualitatives dans le domaine de la toxicomanie
INTRODUCTION
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Le premier chapitre traite des diffeacuterences entre jeunes Queacutebeacutecois
filles et garccedilons quant aux motivations qursquoils associent agrave leurs trajectoires
deacuteviantes Les significations qursquoils rattachent agrave leurs comportements deacutelin-
quants ou drsquousage de drogues sont plus speacutecifiquement traiteacutees par les
auteurs Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu
Il est plutocirct question au chapitre 2 de toxicomanie et de trafic de
drogues dans des quartiers deacutefavoriseacutes de la France Le point de vue de
toxicomanes et de trafiquants est analyseacute par lrsquoauteur Michel Kokoreff
Agrave la suite drsquoune expeacuterience de terrain ethnobiographique combi-
nant observations et entrevues reacutealiseacutees au centre-ville de Montreacuteal Ceacuteline
Bellot propose au chapitre 3 trois diffeacuterentes configurations de parcours
des jeunes dans le monde social de la rue
Au chapitre 4 Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele
Fournier traitent des motivations des jeunes agrave joindre les gangs des expeacute-
riences qursquoils y vivent et de la signification qursquoils y attachent
Au chapitre 5 Maryse Esterle-Hedibel relie lrsquoabandon de scolariteacute
avant lrsquoacircge de 16 ans agrave la trajectoire deacutelinquante de certains jeunes Franccedilais
agrave partir du point de vue des jeunes eux-mecircmes de leur famille des agents
scolaires et de partenaires exteacuterieurs
Une double approche monographique et biographique a permis
drsquoobtenir les reacutesultats preacutesenteacutes par Ceacutecile Carra au chapitre 6 Lrsquoauteure
y traite des parcours judiciaires des jeunes enquecircteacutes ainsi que des meacuteca-
nismes de production et de reproduction de la deacutelinquance juveacutenile
Enfin au chapitre 7 Isabelle Delens-Ravier approfondit le sens sub-
jectif que des jeunes deacutelinquants belges donnent agrave leurs expeacuteriences de
judiciarisation en lien avec une trajectoire sociofamiliale marqueacutee par un
suivi social individuel ou familial
Lrsquoapport de ces auteurs reacutevegravele lrsquounivers de la deacuteviance des jeunes
tel que ceux-ci le vivent le perccediloivent et y reacuteagissent Du mecircme coup
une connaissance nouvelle srsquoouvre aux chercheurs et aux praticiens qui
tentent de mieux comprendre ces jeunes et de mieux les aider lorsque
cela paraicirct srsquoimposer
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TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES
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et de divergence
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B
ROCHU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et RISQ
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
La transition de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte constitue une deacutefinition commune
de lrsquoadolescence Celle-ci se caracteacuterise par des modifications importantes
dans lrsquounivers social et relationnel des jeunes (Cloutier 1996 Claes
2003) Les filles et les garccedilons passent par cette transition mais ils le font
de maniegravere parfois diffeacuterente
11
LrsquoADOLESCENT
VS
LrsquoADOLESCENTE
De toute eacutevidence les filles et les garccedilons diffegraverent physiquement et
sexuellement Les filles sont notamment plus preacutecoces sur le plan puber-
taire (Cloutier 1996)
Le processus identitaire des filles passe par un eacutequilibre entre leurs
rapports aux autres et leur recherche drsquoautonomie Celui des garccedilons
passe davantage par une recherche drsquoindeacutependance et drsquoautonomie
(Cloutier 1996)
Sur le plan familial les filles perccediloivent un plus grand controcircle
parental que les garccedilons Crsquoest ainsi qursquoelles revendiquent souvent plus
drsquoautonomie (Cloutier 1996 Claes 2003) Eacutegalement les filles ressentent
plus de proximiteacute et drsquointimiteacute que les garccedilons dans leurs relations avec
leurs fregraveres et sœurs (Claes 2003)
Par ailleurs les filles valorisent davantage lrsquoamitieacute et font preuve
drsquoune plus grande maturiteacute eacutemotionnelle agrave lrsquoeacutegard de ce sentiment Elles
utilisent beaucoup la parole dans leurs relations amicales tandis que les
garccedilons sont davantage porteacutes agrave faire des activiteacutes avec leurs amis Les filles
montrent plus drsquohabileteacutes relationnelles et eacutemotionnelles alors que les
habileteacutes instrumentales et lrsquoaffirmation de soi sont davantage le lot des
garccedilons (Cloutier 1996 Claes 2003)
Les relations amoureuses sont souvent veacutecues diffeacuteremment par les
garccedilons et par les filles Ces derniegraveres recherchent plus de proximiteacute et
drsquointimiteacute dans leurs amours tandis que les garccedilons ont des attentes
sexuelles plus preacutecoces et persistantes et cherchent agrave maintenir avant tout
un lien fort avec leur groupe drsquoamis au deacutetriment de la relation avec leur
petite amie (Cloutier 1996 Claes 2003)
Les prochaines sections srsquoattarderont aux diffeacuterences selon le sexe
au regard de certaines formes de deacuteviance particuliegraverement la deacutelin-
quance et la consommation de drogues
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES
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111 D
EacuteLINQUANCE
Lrsquoimage que nous donnent les statistiques montre que les filles commettent
geacuteneacuteralement moins de deacutelits graves et persistent moins dans la deacutelin-
quance que les garccedilons (Lanctocirct et Le Blanc 2000) Elles seraient davan-
tage impliqueacutees dans des deacutelits mineurs comme le vol agrave lrsquoeacutetalage et seraient
plus nombreuses que les garccedilons agrave faire de la prostitution Elles commet-
traient tout de mecircme des deacutelits violents Leur violence atteindrait drsquoailleurs
un sommet plus tocirct que celle manifesteacutee par les adolescents (agrave 15 ans pour
les filles et agrave 17 ans pour les garccedilons en 1998 Savoie 1999) Malgreacute une
augmentation des deacutelits de violence noteacutee chez les filles ces derniegraveres
anneacutees une plus grande proportion de garccedilons que de filles commet-
traient des voies de fait par exemple (Savoie 1999)
Lrsquoagressiviteacute des filles prendrait geacuteneacuteralement une forme plus indi-
recte ou psychologique ridiculiser deacutenigrer isoler les autres (Owens et
MacMullin 1995) La deacutelinquance des filles et des garccedilons diffeacutererait donc
par sa nature sa freacutequence et sa persistance
112 C
ONSOMMATION
DE
SUBSTANCES
PSYCHOACTIVES
Les proportions de filles et de garccedilons queacutebeacutecois consommant de lrsquoalcool
et drsquoautres drogues sont tregraves semblables (Guyon et Desjardins 2005) Les
drogues de preacutedilection de chacun diffegraverent toutefois un peu Filles et
garccedilons se distingueraient aussi sur le plan de la freacutequence et de lrsquointensiteacute
de leur usage drsquoalcool et drsquoautres drogues Les garccedilons rapportent boire
plus souvent (Guyon et Desjardins 2005) et se saouler eacutegalement plus
souvent (Comiteacute permanent de lutte agrave la toxicomanie CPLT 2002) Les
garccedilons sont aussi proportionnellement plus nombreux agrave reacuteveacuteler une
consommation de cannabis quotidienne (Guyon et Desjardins 2005)
Lrsquoenquecircte meneacutee en 2000 par lrsquoInstitut de la statistique du Queacutebec
(2002) reacutevegravele que les adolescents sont plus nombreux que les adolescentes
agrave deacutevelopper des problegravemes de toxicomanie Parmi les facteurs associeacutes
aux problegravemes de consommation chez les jeunes une faible estime de
soi ressort plus speacutecifiquement chez les filles Par ailleurs outre les pro-
blegravemes drsquoargent que les jeunes rattachent agrave leur consommation les filles
nomment des problegravemes familiaux et de santeacute tandis que les garccedilons
parlent de gestes deacutelinquants et de difficulteacutes scolaires qursquoils associent agrave
leur consommation (Institut de la statistique du Queacutebec 2002)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
12 CONTEXTE THEacuteORIQUE
Srsquoinspirant en grande partie des travaux de Faupel (1991) Castel (1994)
Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) notre eacutetude a ceci de
particulier qursquoelle se centre sur les motivations significations perceptions
et sentiments que des jeunes deacutelinquants et toxicomanes relient agrave leur
itineacuteraire et plus particuliegraverement agrave leurs comportements deacuteviants de
mecircme qursquoau contexte dans lequel ils adoptent ces comportements Nous
nous inscrivons donc dans une perspective pheacutenomeacutenologique (Schutz
1987) qui accorde une place de premier plan agrave lrsquointerpreacutetation que lrsquoacteur
social (ici le jeune) fait des situations qui le touchent (Debuyst 1989)
Notre projet de recherche porte sur les trajectoires de consomma-
tion de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Trois objectifs speacuteci-
fiques consistent agrave documenter davantage 1) la nature et lrsquoeacutevolution des
relations drogue-crime agrave lrsquoadolescence 2) les eacuteleacutements lieacutes aux phases
drsquoaugmentation et de diminution de lrsquoimplication deacuteviante et 3) les tra-
jectoires deacuteviantes types agrave lrsquoadolescence Les points de convergence et de
divergence entre les trajectoires deacuteviantes des garccedilons et des filles sont
alors appreacutehendeacutes en fonction de ce que chacun a veacutecu et surtout de la
faccedilon dont il lrsquoa veacutecu
13 MEacuteTHODOLOGIE
Pour atteindre nos objectifs nous avons opteacute pour une meacutethodologie
qualitative (Poupart Deslauriers Groulx Laperriegravere Mayer Pires 1997)
qui paraissait drsquoailleurs srsquoimposer Plus preacuteciseacutement nous avons eu recours
agrave la meacutethode du reacutecit de vie (Desmarais et Grell 1986) laquelle fait parler
lrsquointervieweacute sur sa vie en privileacutegiant une structure du discours chronolo-
gique et permet de mettre en lumiegravere la trajectoire de lrsquoindividu selon la
vision personnelle qursquoil en a
Les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent sur deux eacutetudes diffeacuterentes qui
partagent plusieurs similitudes La premiegravere base du doctorat de Natacha
Brunelle qui est lrsquoauteure principale du preacutesent texte srsquoest termineacutee en 2001
La collecte de donneacutees de cette eacutetude srsquoest deacuterouleacutee de 1996 agrave 1998 La
deuxiegraveme toujours en cours se situe dans le prolongement de la premiegravere
Dans lrsquoensemble ces deux eacutetudes visaient des jeunes ndash garccedilons et
filles ndash qui se livrent plus ou moins agrave des comportements de consomma-
tion de drogues et de deacutelinquance Cherchant agrave comprendre les processus
qui conduisent certains jeunes agrave srsquoengager dans un style de vie deacuteviant et
plus particuliegraverement dans la deacutelinquance ou la consommation de drogues
nous avons dans un premier temps eacutetabli que les jeunes rencontreacutes
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devraient ecirctre des adolescents pris en charge dans une institution judi-
ciaire ou de traitement de la toxicomanie cela en raison de leur plus
grande accessibiliteacute Des adolescents placeacutes sous garde en vertu de la Loi
sur les jeunes contrevenants (LJC)
1
dans les centres jeunesse ou suivant
un traitement dans un centre pour jeunes toxicomanes forment ainsi une
partie de lrsquoeacutechantillon Ces jeunes ont drsquoabord eacuteteacute solliciteacutes dans le cadre
drsquoune preacuteenquecircte reacutealiseacutee en lien avec la premiegravere eacutetude
Agrave la suite de la preacuteenquecircte et des interactions avec diffeacuterents colla-
borateurs il est apparu neacutecessaire de rencontrer aussi des jeunes qui ne
srsquoadonnent ni agrave la deacutelinquance ni agrave la consommation de drogues ou qui
du moins nrsquoont jamais eacuteteacute pris en charge par une quelconque institution
pour des comportements de deacutelinquance ou de consommation de drogues
afin de voir si leurs trajectoires diffeacuteraient autrement que sur ces aspects
de la vie des jeunes Des jeunes freacutequentant des maisons des jeunes de
lrsquoicircle de Montreacuteal allaient constituer cette deuxiegraveme partie de lrsquoeacutechantillon
de la premiegravere eacutetude
Aux jeunes participants srsquoajoutent dans lrsquoeacutetude en cours des jeunes
qui se trouvent en milieu scolaire secondaire et des jeunes de la rue Pour
cette nouvelle collecte de donneacutees srsquoajoutent agrave la grande ville de Montreacuteal
deux lieux de recrutement Queacutebec et Trois-Riviegraveres Lrsquoajout de nouveaux
milieux et sites de recrutement avait pour but drsquoobtenir une meilleure
repreacutesentation de la reacutealiteacute associeacutee agrave la saturation empirique des donneacutees
(Mayer et Ouellet 1991 Bertaux 1997 Pires 1997) Une limite reconnue
de la premiegravere eacutetude eacutetait drsquoavoir eacuteteacute conduite aupregraves drsquoun eacutechantillon
insuffisamment diversifieacute sur ces deux critegraveres des lieux et des sites de
recrutement (Brunelle 2001)
Trois critegraveres drsquoeacutechantillonnage sont communs agrave tous les jeunes
recruteacutes garccedilons et filles ecirctre volontaire srsquoexprimer couramment en
franccedilais et ecirctre acircgeacute de 14 agrave 20 ans
Pour fixer la taille de lrsquoeacutechantillon le principe adopteacute a eacuteteacute celui de
la saturation empirique laquo La saturation empirique deacutesigne alors le pheacuteno-
megravene par lequel le chercheur juge que les derniers documents entrevues
ou observations nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles
ou diffeacuterentes pour justifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo
(Pires 1997 p 156-157)
Ainsi afin drsquoatteindre une certaine repreacutesentation de la reacutealiteacute la
collecte des donneacutees prend fin au moment ougrave les informations qui srsquoajoutent
deviennent essentiellement reacutepeacutetitives ou anecdotiques (Mayer et Ouellet
1 Aujourdrsquohui Loi sur le systegraveme de justice peacutenale des adolescents (LSJPA)
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1991) Nous avons proceacutedeacute de cette maniegravere lors de la premiegravere eacutetude et
crsquoest ainsi que nous comptons mettre fin au recrutement de nouveaux
reacutepondants pour la deuxiegraveme eacutetude
Une fois les deux eacutetudes combineacutees les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent
sur un eacutechantillon de 62 jeunes
2
Un total de 31 jeunes pris en charge en
centre jeunesse et 12 en centre de traitement de la toxicomanie ont eacuteteacute
rencontreacutes de mecircme qursquoune douzaine drsquoadolescents freacutequentant des mai-
sons de jeunes six jeunes en milieu scolaire secondaire et un jeune de la
rue Parmi lrsquoensemble de ces jeunes participants on trouve 36 garccedilons et
26 filles dont lrsquoacircge moyen est de 165 ans
3
Au moment des entrevues drsquoune dureacutee moyenne drsquoune heure la
consigne de deacutepart de lrsquointervieweuse eacutetait formuleacutee ainsi
Jrsquoaimerais que tu considegraveres que je repreacutesente ton journal intime Alorsdans tes propres termes et selon ce que tu penses raconte-moi ta vie jusqursquoagrave
aujourdrsquohui comme si tu traccedilais ton itineacuteraire en incluant toutes lesdimensions de ta vie famille amis amours eacutecole deacutelinquance drogue leseacuteveacutenements que tu as veacutecus et surtout comment tu les as veacutecushellip
Une grille constitueacutee de mots cleacutes repreacutesentant autant de thegravemes agrave
aborder eacutetait utiliseacutee par lrsquointervieweuse agrave titre de guide drsquoentrevue Ainsi
que le suggegraverent Mayer et Ouellet (1991) ces entrevues prenaient la
forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes (Ghiglione et Matalon 1978)
Lrsquoanalyse du contenu des entretiens (Bardin 1977 LrsquoEacutecuyer 1990)
srsquoest faite selon deux approches utiliseacutees de maniegravere compleacutementaire
Drsquoune part une analyse theacutematique (Ghiglione et Matalon 1978) a eacuteteacute
privileacutegieacutee comme mode principal de reacuteduction du mateacuteriel Drsquoabord de
maniegravere verticale une analyse intrinsegraveque de chacune des entrevues a eacuteteacute
effectueacutee Ensuite de maniegravere transversale nous avons chercheacute agrave repeacuterer
les points de convergence et de divergence entre les reacutecits recueillis
Drsquoautre part une analyse seacutequentielle traitant de la suite des eacuteveacutenements
et de leurs reacutepercussions sur le jeune selon sa lecture a eacuteteacute reacutealiseacutee Pour
cette analyse seacutequentielle trois lignes biographiques traitant respective-
ment de lrsquohistoire de vie geacuteneacuterale (trajectoire sociale) de la consomma-
tion de drogues et de la deacutelinquance aux diffeacuterents acircges ont eacuteteacute traceacutees
et repreacutesenteacutees graphiquement pour chaque reacutepondant pour ensuite ecirctre
mises en relation Il sera ici question des ressemblances et des diffeacuterences
entre les reacutecits de vie obtenus des filles et des garccedilons
2 Les 38 premiers jeunes ont eacuteteacute rencontreacutes en cours de reacutealisation du doctorat et24 entrevues ont eacuteteacute ajouteacutees depuis le deacutebut de la deuxiegraveme eacutetude en cours
3 Voir Brunelle (2001) pour une description plus deacutetailleacutee des reacutepondants de la premiegravereeacutetude
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14 REacuteSULTATS
En plus drsquoavoir veacutecu plusieurs situations similaires les garccedilons et les filles
de lrsquoeacutechantillon tiennent un reacutecit relativement semblable agrave plusieurs
eacutegards Lrsquoexemple le plus eacutevident dans nos reacutesultats concerne les motiva-
tions principales qui ont pousseacute les participants agrave commettre des deacutelits ou
agrave consommer La curiositeacute et le fait de vouloir faire comme les autres pour
que ceux-ci les acceptent plus facilement sont mentionneacutes tant par les
filles que par les garccedilons de lrsquoeacutechantillon pour expliquer leurs premiegraveres
expeacuterimentations avec la drogue ou la deacutelinquance
141 L
ES
FILLES
ET
LES
GARCcedilONS
PLUS
DE
RESSEMBLANCES
QUE DE
DIFFEacuteRENCES
Plusieurs raisons motivant lrsquoadoption de comportements dits deacuteviants
limiteacutes ici agrave la consommation de substances psychoactives et agrave diverses
formes de deacutelinquance apparaissent comme eacutetant communes aux filles et
aux garccedilons de notre eacutechantillon Cela est vrai pour les motifs lieacutes agrave la
consommation drsquoalcool et drsquoautres drogues et pour ceux qui sont lieacutes agrave
des peacuteriodes de diminution ou drsquoarrecirct de cette consommation Crsquoest aussi
le cas pour les motivations que les jeunes filles et garccedilons eacutevoquent pour
expliquer des peacuteriodes ougrave ils commettent un nombre important de deacutelits
et des peacuteriodes ougrave ils en commettent peu ou pas du tout
1411 Motifs de consommation de drogues
Curiositeacute
ndash Plusieurs auteurs se sont inteacuteresseacutes au rocircle que joue la curiositeacute
dans les processus drsquoexpeacuterimentation des drogues (Fagan et Chin 1990
Erickson et Weber 1994 Brochu et Parent 2005) Nos reacutesultats montrent
que la curiositeacute influence le parcours tant des filles que des garccedilons
Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot en secondaire 3hellip ccedila me tentait drsquoessayerccedilahellip tous mes amis avaient deacutejagrave fumeacute Jrsquoai dit laquo bon je vais essayer ccedila raquo
(Minou fille 16 ans milieu scolaire)
Eh bien au deacutebut il y a quelqursquoun qui mrsquoa inviteacute et je me suis dit laquo crsquoestquoi ccedila Je vais essayer ccedila raquo
(Jean 18 ans centre jeunesse)
Du plaisir agrave lrsquooubli ndash
Comme dans plusieurs autres recherches
(Collison 1996 Glauser 1995) le plaisir apparaicirct dans notre eacutetude au
centre des motivations agrave consommer des drogues Les filles comme les
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garccedilons lrsquoeacutevoquent pour expliquer leur usage de drogues Ils parlent drsquoun
plaisir ludique pour la majeure partie de leur trajectoire deacuteviante parti-
culiegraverement pour le deacutebut de celle-ci
Jrsquoai toujours aimeacute ce feeling-lagrave tu nrsquoes jamais choqueacute tu ris tout le temps
puis tu veux tout le temps niaiserhellip tu nrsquoes jamais down puis le fameux
trip de bouffe aussi quand on fumehellip
(Franck 15 ans milieu scolaire)
Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot avec mon voisin crsquoeacutetait pas pire crsquoeacutetait lefun [rire] je mrsquoennuie de ccedila
(Julienne 15 ans centre jeunesse)
Toutefois ceux et celles qui se rendent agrave un stade de deacutependance
expliquent que ce plaisir srsquoest transformeacute peu agrave peu en un plaisir amneacute-
sique Ainsi certains et certaines en sont venus agrave consommer pour oublier
leurs problegravemes On observe ainsi une discontinuiteacute dans leurs motiva-
tions agrave consommer (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)
Mais tseacute en premier crsquoeacutetait juste pour le fun lagrave Mais agrave un moment donneacuteje me suis rendu compte que jrsquoen avais plus de besoin que drsquoautre chosehellipLagrave je me suis vraiment mis agrave laquo rusher raquo pis la seule issue pas mal que
la seule issue que je me suis trouveacute crsquoest de prendre de la dope prendrede la dope parce que quand jrsquoeacutetais geleacute ben lagrave je ne pensais plus agrave rien
(Antoine 17 ans centre jeunesse)
Au deacutebut crsquoeacutetait plus comme pour le fun apregraves ccedila eacuteteacute pour me faire une
carapace des attaques qursquoil pouvait me faire ou quelque chose
[
son ex-chum
]
Apregraves ccedila crsquoeacutetait pour oublier Crsquoeacutetait beaucoup beaucoup pour oublier cequi pouvait arriver
(Rachel 16 ans centre de toxicomanie)
Appartenance agrave un groupe de pairs ndash
Plusieurs filles et garccedilons de
lrsquoeacutechantillon ont reacuteveacuteleacute que le fait de consommer ou de commettre des
deacutelits leur procurait une valorisation agrave travers leur appartenance agrave un
groupe de pairs
Je me sentais bien avec mon groupe drsquoamis je me sentais mieux je sentaisque je faisais les mecircmes affaires qursquoeux autres pis tu sais jrsquoeacutetais laquo tough raquopis christ moi jrsquoen prends je me sentais dans la gang ccedila fait que jrsquoai bienaimeacute mon expeacuterience
(Charlie fille de 17 ans centre de toxicomanie)
Crsquoeacutetait
[ses deacutelits]
pour me montrer laquo tough raquo pis ecirctre respecteacute aupregraves desautres
[ses copains] (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)
Influence parentale ndash
Des garccedilons et des filles de notre eacutechantillon
ont raconteacute avoir eacuteteacute inciteacutes agrave consommer par leurs parents Ces derniers
les ont initieacutes agrave la consommation de cannabis en particulier Dans certains
cas ils en ont fait une activiteacute familiale plus ou moins reacuteguliegravere
Moi jrsquoai commenceacute agrave fumer des joints avec mon pegravere
(Moh 19 ans jeunede la rue)
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On eacutetait dans un petit chalet dans le bois ma megravere son chum et moiCrsquoeacutetait quand mecircme laquo cool raquo Puis lagrave ils mrsquoont fait fumer un joint tu saisCcedila a eacuteteacute mon deuxiegraveme joint et celui-lagrave mrsquoa geleacutee jrsquoeacutetais perdue
(Mireille17 ans maison de jeunes)
Problegravemes familiaux ndash
Les problegravemes familiaux de diffeacuterents ordres
sont souvent au cœur des reacutecits de vie des jeunes et se rattachent selon
eux agrave leur consommation de drogues Des problegravemes de relations inter-
personnelles entre parents et enfants ou agrave lrsquointeacuterieur de la fratrie ou
encore des difficulteacutes veacutecues par un ou plusieurs membres de la famille
sont eacutevoqueacutes notamment pour expliquer des peacuteriodes de recrudescence
de leur deacuteviance marqueacutees par le deacutesir drsquooublier leurs problegravemes (Brunelle
Brochu et Cousineau 2002b)
Problegraveme crsquoest comme mon pegravere lui il eacutetait plus seacutevegravere tu comprends
[rires]
les Africains crsquoest plus seacutevegravere lagrave Puis moi vu que crsquoeacutetait plus seacutevegravere etpuis que jrsquoai grandi avec deux mentaliteacutes diffeacuterentes crsquoest comme un peuavec la mentaliteacute africaine puis je suis venu ici je te le jure que jrsquoai grandiavec la mentaliteacute ici tu comprends Jrsquoallais agrave lrsquoeacutecole mais je faisais drsquoautresaffaires puis lui
[son pegravere]
il nrsquoaimait pas ccedila fait que lagrave on se chicanaitje mrsquoen allais de chez moi je faisais des fugues lagrave je suis devenu plusdeacutelinquant mes amis ce sont des deacutelinquants jrsquoai commenceacute agrave consommerpuis crsquoest ccedila jusqursquoagrave temps qursquoon mrsquoarrecircte
(Outwall 17 ans centrejeunesse)
Jrsquoavais tellement peur qursquoelle se tue
[sa megravere]
Jrsquoai tout le temps peurComme tseacute elle me parlait qursquoelle avait voulu mourir ou elle disait ben grosqursquoelle prenait une coupe de pilules pis qursquoelle partait elle faisait laplanche Faque jrsquoai toujours peur encore
(Lilianne 16 ans centre detoxicomanie)
Faciliter les deacutelits ndash
Plusieurs jeunes filles et garccedilons ont mentionneacute
que la drogue leur permettait de commettre les deacutelits voulus en leur
fournissant courage et deacutesinhibition (Brunelle Brochu et Cousineau
2000) Certains reacutevegravelent mecircme qursquoelle leur permet drsquooublier du moins
momentaneacutement les conseacutequences de leurs gestes
La drogue crsquoest pour te donner un peu plus de courage Lagrave apregraves si lapersonne veut le faire sans drogue il va le faire sans fumerhellip crsquoest commequand quelqursquoun qui boit pis il va voir une fille apregraves
(William 17 anscentre jeunesse)
Il faut que je donne mon corps pour rembourser Je suis toujours geleacutee quandje fais ccedila Parce que je lrsquoai fait longtemps sans ecirctre geleacutee pis tu te sens pasagrave lrsquoaise Crsquoest une personne inconnue avec qui tu couches tu sais pascrsquoest qui
(Isabelle 16 ans centre jeunesse)
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1412 Motifs de deacutelinquance
Vengeance des abus subis ndash
Afin drsquoexpliquer leurs gestes deacutelinquants en
particulier certaines filles et certains garccedilons de lrsquoeacutechantillon mentionnent
leur deacutesir de venger les abus qursquoils ont subis Comme plusieurs auteurs
lrsquoont deacutejagrave mentionneacute les victimes de violence deviennent parfois eux-mecircmes
auteurs de violence (Hammersley Forsyth et Lavelle 1990 Agnew 1991
Dembo Williams Schmeidler Berry Wothke Getreu Wish et Christensen
1992 Miller et Downs 1995 Alexander 1996) Les jeunes dont il est ici
question ont geacuteneacuteralement adopteacute une trajectoire vraiment deacuteviante que
nous avons nommeacutee trajectoire discontinue marqueacutee par la recherche
drsquoun plaisir amneacutesique (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)
Parce que je suis rentreacutee en centre drsquoaccueil pis je pensais tout de suite laquo Ils vont faire comme ma megravere raquo Crsquoest lrsquoimpression que jrsquoai eue Pis il y aune fois ougrave je me suis faite retirer en retrait pis lagrave je lrsquoai pas pris Jrsquoai dit laquo Ils ont fait comme ma megravere ils vont mrsquoenfermer je ne mangerai pas raquohellipCrsquoest lagrave que ccedila a commenceacute les voies de fait Crsquoest comme jrsquoai eu lrsquoimpressionque ma megravere eacutetait lagrave encore
(Isabelle 16 ans centre jeunesse)
Jrsquoeacutetais frustreacute pour les coups que jrsquoavais pris faque je lrsquoai battu puis crsquoestccedila
(Phency 17 ans centre jeunesse)
Placement en protection de la jeunesse ndash
Quelques jeunes filles et
garccedilons eacutevoquent un sentiment drsquoinjustice subie et de reacutevolte associeacute agrave
leur placement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse Ce sont
des jeunes fortement impliqueacutes dans la deacutelinquance et geacuteneacuteralement ren-
contreacutes en centre jeunesse
La premiegravere fois que jrsquoai eacuteteacute arrecircteacute crsquoest vrai ccedila a eacuteteacute pour tentative demeurtre jrsquoai essayeacute de poigner deux personnes puis dehors agrave lrsquoexteacuterieurpuis toute ccedila Puis le gars il me cherchait puis lagrave moi jrsquoeacutetais comme reacutevolteacuteaussi dans le sens que je me disais que mes parents mrsquoavaient placeacute puisque crsquoest agrave cause drsquoeux autres que jrsquoeacutetais placeacute puis lagrave ils se sont seacutepareacutesccedila fait que le monde est illeacutegal le monde leacutegal genre je les ai mis ensembleen dernierhellip
(Baby Joker 18 ans centre jeunesse)
Moi je me suis reacutevolteacutee parce que je me suis dit coudon je me suis faitbattre par mes parents je nrsquoavais pas drsquoaffaire en centre drsquoaccueil tseacute Jeme suis dit laquo Non ccedila nrsquoa pas drsquoallure raquo Alors je me suis dit que je neserais pas en centre drsquoaccueil pour rien Pis lagrave je me suis reacutevolteacutee pis ccedilatout ensemble fait que jrsquoai embarqueacute dans les motards
(Isabelle 16 anscentre jeunesse)
Payer sa drogue ndash
La deacutelinquance lucrative en particulier occupe vite
une fonction utilitaire pour les consommateurs et consommatrices de
drogues de notre eacutechantillon Les vols la vente de drogues et la prostitution
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sont au nombre des deacutelits que commettent ces jeunes pour pouvoir consom-
mer de la drogue La vente de drogues apparaicirct rapidement dans leur
trajectoire plus rapidement que chez les adultes consommateurs Nous
faisons lrsquohypothegravese que le faible pouvoir eacuteconomique des adolescents
explique du moins en partie cette reacutealiteacute (Brunelle Brochu et Cousineau
2000) Quoi qursquoil en soit plus la consommation de drogues des jeunes
augmente plus ils sont impliqueacutes dans les deacutelits lucratifs citeacutes Crsquoest
ainsi que certains et certaines atteignent un stade eacuteconomico-compulsif
(Brunelle Brochu et Cousineau 2005)
Au deacutebut de mon secondaire crsquoest lagrave que jrsquoai commenceacute agrave consommer Jemrsquoeacutetais fait des amis de consommation tout ccedila et vu que je nrsquoavais pasgros de revenus et bien jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutelits et des deacutelits Je volaisde lrsquoargent ou des choses comme ccedila des choses qui allaient ecirctre le laquo fun raquopour pouvoir acheter ma consommation
(Jean 18 ans centre jeunesse)
Jrsquoai commenceacute agrave faire beaucoup de coke beaucoup je buvais tous les soirsje nrsquoallais plus agrave lrsquoeacutecolehellip Jrsquoai commenceacute agrave consommer tout le temps tousles jours je consommais je pouvais boire pis je volais tout le temps Ccedilacoucirctait cher agrave un moment donneacute ce nrsquoest pas donneacute pareil lagrave Je vendaisde la drogue pis je volais pour me faire de lrsquoargent pis je travaillais aussitu saishellip Jrsquoai commenceacute agrave faire de la coke pis crsquoest lagrave que jrsquoai deacutecideacute defaire mon vol qualifieacute pour mrsquoen ramasser
(Julienne 15 ans centrejeunesse)
1413 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de consommation
Coucircts trop eacuteleveacutes ndash Agrave la fois des filles et des garccedilons eacutevoquent le fait que
leur consommation est devenue trop coucircteuse pour expliquer qursquoils aient
ralenti ou cesseacute leur usage de drogues agrave un certain moment
La coke jrsquoen ai fait gros mais maintenant je me suis calmeacute parce que agrave unmoment donneacute ccedila coucircte cher (Moh 19 ans jeune de la rue)
Lrsquoalcool bien jrsquoai bu toutes sortes drsquoalcool Mais lagrave je nrsquoen bois plus parceque ccedila coucircte cher (Amitieacutes 18 ans jeune de la rue)
Plaisir disparu ndash Certains jeunes mentionnent que lrsquoeffet ludique
que leur procurait leur usage de drogues a disparu et de ce fait ils ont
arrecircteacute drsquoen prendre ou diminueacute leur consommation
Je nrsquoaime plus ccedila le laquo buzz raquo que ccedila fait (Cerise 16 ans milieu scolaire)
Ben je trouvais ccedila lrsquolaquo fun raquo le hasch Mais agrave la longue agrave lrsquointeacuterieur de soicrsquoest plate parce que tu ne peux pas vraiment te controcircler (Eacutelavien 15 ansmilieu scolaire)
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20 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Trop agrave perdre ou limite atteinte ndash Plusieurs confient que les conseacute-
quences de leur consommation les ont pousseacutes agrave vouloir la diminuer ou
lrsquoarrecircter Ils en sont venus agrave consideacuterer ces conseacutequences comme eacutetant
excessives trop deacutesavantageuses Ces conseacutequences relateacutees par les jeunes
sont drsquoordre physique psychologique et social ainsi que le montrent
chacun des trois extraits drsquoentrevue suivants
Fumer lagrave ccedila me fait vomir puis tu sais tout me rend malade (Julie 17 ansmilieu scolaire)
Je pense que jrsquoai trop fumeacute du pot puis agrave un moment donneacute je suis devenuparanoiumlaque apregraves jrsquoai arrecircteacute tout ccedila pendant deux ans de temps (Jack20 ans jeune de la rue)
Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Faque ccedila mrsquoa deacutecourageacutedrsquoen refumer (Bac 17 ans milieu scolaire)
Inteacutegriteacute morale atteinte ndash Quelques filles et garccedilons associent des
repreacutesentations sociales neacutegatives agrave la consommation de cocaiumlne agrave lrsquoitineacute-
rance et agrave la prostitution et ils les relient aux peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur
trajectoire drsquousage de drogues Ces repreacutesentations sociales les conduisent
agrave croire que leur inteacutegriteacute morale sera trop atteinte srsquoils continuent de
consommer notamment de la cocaiumlne
On commence agrave fumer du crack puis lagrave je baisse mes culottes tu sais il mesuce Le lendemain lagrave [soupir] jrsquoavais tellement honte de moihellip je merespectais avant tu sais je nrsquoaurais jamais fait ccedila je me tapais sur la tecirctepuis lagrave jrsquoavais vraiment honte Jrsquoai lacirccheacute le crack ccedila a eacuteteacute la derniegravere foisque jrsquoen ai fait (Raon 17 ans centre de toxicomanie)
Pis agrave la fin je me suis rendue au point ougrave jrsquoai commenceacute agrave faire de lapoudre et pis je me suis dit laquo Non je ne veux pas commencer agrave vendremon cul sur Sainte-Catherine raquo Je ne me sentais plus bien jrsquoeacutetais vraimentmalheureusehellip (Pamela 16 ans centre de toxicomanie)
Pairs conformistes ndash Ainsi que Esbensen et Elliot (1994) lrsquoavaient
deacutejagrave souligneacute certains reacutepondants et reacutepondantes reacutevegravelent que des peacuteriodes
de diminution de leur usage de drogues sont marqueacutees par des sentiments
positifs associeacutes agrave une identiteacute plus conformiste deacutecoulant de freacutequenta-
tions amicales elles-mecircmes plus conformistes
Jrsquoai quelques bons amis qui mrsquoont aideacutee agrave arrecircter de consommer il y a deuxans Jrsquoai arrecircteacute de battre les gens de faire des conneries Jrsquoai arrecircteacute de metenir avec ma gang Jrsquoai changeacute drsquoamis Crsquoeacutetait du monde normal dumonde comme toi et moi du monde comme ccedila (Isabelle 16 ans centrejeunesse)
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Un de mes amis commenccedilait agrave me talonner pour que jrsquoarrecircte de consommerCes gars-lagrave mes vieux amis drsquoenfance ils ne mrsquoont pas lacirccheacute Ils avaientarrecircteacute de consommer et ils ont commenceacute agrave srsquoentraicircner agrave avoir une job agraveavoir une vie normale Ils voulaient que je fasse la mecircme chose Crsquoest lagraveque jrsquoai reacutealiseacute plein drsquoaffaires que jrsquoeacutetais eacutecœureacute de cette vie-lagrave que je mesentais bien quand je ne consommais pas que jrsquoeacutetais quelqursquoun que jrsquoeacutetaisun homme (Nathan 18 ans centre jeunesse)
Amoureux conformiste ndash Dans la mecircme veine des filles et des gar-
ccedilons mentionnent avoir diminueacute leur consommation de drogues agrave des
peacuteriodes dans leur vie ougrave ils avaient un amoureux ou une amoureuse qui
ne consommait pas
Depuis que je sors avec elle je savais qursquoelle nrsquoaimait pas ccedila puis apregraveselle capotait alors jrsquoai reculeacute puis jrsquoai arrecircteacute (Quincy 16 ans maisonde jeunes)
Il ne voulait pas que je fume au deacutebut tu sais il me lrsquoa dit que lui il nefumait pas puis qursquoil nrsquoaimait pas ccedila des filles qui fument puis crsquoest unpeu agrave cause de lui aussi que jrsquoai arrecircteacute de fumer lagrave Depuis que je sors avecon dirait que je trouve ccedila moins dur drsquoarrecircter de fumer lagrave Lui il ne fumepas pantoute il nrsquoa jamais toucheacute agrave ccedila cela fait que moi jrsquoai arrecircteacute defumer lagrave (Cerise 16 ans milieu scolaire)
Autres avenues sports et arts ndash Plusieurs jeunes ont mentionneacute
qursquoils avaient cesseacute ou diminueacute leur consommation de drogues dans des
peacuteriodes ougrave ils srsquoadonnaient agrave des activiteacutes de nature sportive ou artistique
Ils parlent des fonctions occupantes et valorisantes de ces activiteacutes
Je suis devenu un peu moins illeacutegal pendant cet eacuteteacute-lagrave agrave cause du soccerTu sais ccedila mrsquoa bien aideacute ccedila mrsquoa bien gros accrocheacute puis ccedila mrsquoa permisde continuer ma vie et de faire ce que jrsquoavais agrave faire (Philippe 15 anscentre jeunesse)
Mais je pense que ce qui mrsquoa le plus aideacutee crsquoest que jrsquoai fait partie drsquounepiegravece drsquoune troupe de theacuteacirctre pendant deux ans Ccedila me donnait un butdans la vie et quand jrsquoai un but dans la vie le reste ne compte pas (Julie17 ans milieu scolaire)
142 LES GARCcedilONS EN PARTICULIER
Les reacutecits de vie recueillis aupregraves des garccedilons et des filles de lrsquoeacutechantillon
srsquoils se reacutevegravelent semblables agrave bien des eacutegards nrsquoen montrent pas moins
des distinctions dans les types de situations que ces jeunes relient le plus
clairement agrave lrsquoamplification de leur trajectoire deacuteviante Ainsi les garccedilons
parlent davantage de la recherche de plaisir et aussi de situations qui ont
entraicircneacute une reacuteaction agressive de leur part pour expliquer leur trajectoire
de deacutelinquance en particulier Par ailleurs ils font part de raisonnements
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22 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rationnels du type calcul du rapport coucirct-beacuteneacutefice lorsqursquoils racontent
pourquoi ils ont ralenti leur trajectoire de consommation agrave certaines
peacuteriodes de leur vie
1421 Motifs de deacutelinquance
Plaisir ndash Quelques garccedilons mentionnent le plaisir ressenti au moment de
commettre des deacutelits pour expliquer leur deacutelinquance Les filles nrsquoen font
pas mention
Les intros ces affaires-lagrave crsquoeacutetait juste pour le trip parce que je nrsquoen avaispas besoin drsquoargent jrsquoen faisais beaucoup en vendant de la dopehellip Ccedila merapportait rien ccedila me rapportait du fun (Oscar 18 ans centre jeunesse)
Pis lagrave jrsquoai commenceacute agrave me battre avec pis je ne sais pas jrsquoavais aimeacute ccedilaPis il eacutetait agrave terre plein de sang pis jrsquoavais comme un sentiment de pouvoirenvers lui Pis depuis ce temps-lagrave jrsquoy ai pris plaisir (Sacha 17 ans centrejeunesse)
Vengeance des abus subis par drsquoautres ndash Quelques garccedilons ont expli-
queacute certains de leurs deacutelits de violence en reacuteveacutelant qursquoils voulaient venger
des proches qui ont eacuteteacute abuseacutes comme pour deacutefendre leurs inteacuterecircts
[hellip] lagrave jrsquoai ressauteacute dessus [sur son beau-pegravere] Crsquoest comme tseacute crsquoeacutetaitplus de lrsquoaccumulation tseacute le temps lagrave Tseacute jrsquoeacutetais petit pis je le voyaistaper sur ma megravere pis tout Pis crsquoeacutetait comme agrave peu pregraves tout ce que jrsquoavaislagrave ma megraverehellip Tseacute je veux dire crsquoest comme srsquoil mrsquoavait arracheacute tout ce quime restaithellip Pis il fallait que je le fasse sentir au moins un petit peu commeil mrsquoavait fait sentir tseacutehellip Pis une grande gueule comme qursquoil est il acontinueacute pis lagrave jrsquoai comme laquo pitcheacute raquo le rouleau agrave pacircte pis je lrsquoai atteintau-dessus de lrsquoœil Pis lagrave ccedila srsquoest mis agrave saigner pis tout tseacutehellip (Louis17 ans centre jeunesse)
Lagrave il y avait plein de sang partout lagrave je capotais Lagrave je vois ma petitesœurhellip Mon fregravere me saute dessus il me dit laquo Elle srsquoest faite violer piscrsquoest un estie de negravegre qui lui a fait ccedilahellip raquo Lagrave depuis ce temps-lagrave les noirsccedila eacuteteacute fini fini fini Depuis ce temps-lagrave je suis devenu agressif tabarnachellipCrsquoest depuis ce temps-lagrave que je suis devenu violent pas mal sur les bords(Christian 17 ans centre jeunesse)
Un instinct de survie ndash Certains jeunes reacutepondants affilieacutes agrave des
gangs de rue ont eacutevoqueacute une forme de leacutegitime deacutefense pour expliquer
qursquoils aient commis des deacutelits violents
Crsquoest lagrave que jrsquoai lacirccheacute tous les noirs pis lagrave apregraves ccedila quand tu deacutebarquesdrsquoune gang lagrave-bas trsquoes un estie tu te fais traiter de conhellip Faque je me suisbattu en masse pis je suis devenu violent en tabarnac il fallait que je medeacutefende je nrsquoavais pas le choix (Christian 17 ans centre jeunesse)
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Ccedila ne me deacuterange pas de tuer srsquoil y en a un en avant de moi qui veut mefaire chier et que je vois dans ses yeux qursquoil veut me tuer eh bien je vaisle tuer avant qursquoil le fasse crsquoest simple (Moh 19 ans jeune de la rue)
Une laquo susceptibiliteacute raquo agressive ndash Certains garccedilons ont raconteacute avoir
eacuteteacute violents envers drsquoautres jeunes en reacuteponse agrave un comportement de leur
part qursquoils jugeaient offensant
Une autre fois il y en avait un qui mrsquoeacutenervait puis le lendemain jrsquoaiapporteacute un couteau agrave lrsquoeacutecole Puis je me battais apregraves lrsquoeacutecolehellip (William17 ans centre jeunesse)
Chaque fois que quelqursquoun disait quelque chose de pas correct sur moijrsquoallais le chercher et je le battaishellip (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)
1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation
Meilleure harmonie familiale ndash Mecircme si certains garccedilons disent avoir eacuteteacute
initieacutes aux drogues par leurs parents drsquoautres expliquent qursquoils ont cesseacute
ou diminueacute leur consommation afin de preacuteserver la paix avec leurs parents
ou par attachement parental
Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Ccedila fait que ccedila mrsquoaencourageacute agrave ne pas en refumer Mettons que ccedila mrsquoencourage agrave pas fumerde la drogue aussi souvent devenir un leacutegume agrave cause de ccedila ccedila mrsquointeacuteressepas fumer Ccedila fait que ccedila ma megravere celle-lagrave elle lrsquoa jamais su je trouveque crsquoest peut-ecirctre bien agrave quelque part peut-ecirctre qursquoelle mrsquoaurait sucircrementre-peacuteteacute une coche comme la derniegravere fois Je trouve ccedila mieux de mecircme ellesait que je nrsquoen prends pas pis je nrsquoai pas inteacuterecirct agrave en prendre de un etde deux je nrsquoaime pas ccedila (Bac 17 ans milieu scolaire)
Agrave un moment donneacute jrsquoai consommeacute pendant deux semaines tregraves intensi-vement puis je me suis eacutecœureacute Je me suis dit laquo Pourquoi Qursquoest-ce queccedila change raquo Crsquoest surtout que mes parents ne le savaient pas Agrave chaquefois que jrsquoarrivais agrave la maison je ne savais jamais si mes parents srsquoenrendraient compte toutes les fois tu comprends Et puis je me suis tanneacutedrsquoavoir peur et jrsquoai reacutealiseacute que ccedila ne me donnait rienhellip (Samuel 16 ansmaison de jeunes)
Trop agrave perdre ou rien agrave gagner une reacuteflexion laquo rationnelle raquo ndash De
maniegravere particuliegraverement rationnelle certains garccedilons calculent qursquoils ont
trop agrave perdre ou rien agrave gagner agrave consommer des drogues
Ccedila fait 4 mois que jrsquoai arrecircteacute pour la peacuteriode drsquoexamen parce que je savaisque ccedila me rendait genre un petit peu cellule dans ma tecircte (Arnold 15 ansmilieu scolaire)
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24 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Aujourdrsquohui la cour me lrsquoa encore obligeacute de travailler ma consommationsauf que je suis conscient du besoin que jrsquoai de geacuterer ma consommation eten plus on a vendu notre maison agrave Trois-Riviegraveres ma megravere srsquoen va habiteragrave Longueuil et moi je poursuis mes eacutetudes au professionnel agrave Trois-Riviegraveresalors je vais me retrouver en appartement Pour ccedila il faut de lrsquoargent et sije fume trop comme je fumais avant eh bien je nrsquoaurai plus drsquoargent pourpayer mon loyer et tout ccedila Cela fait que je vais avoir un problegraveme Crsquoestpour ccedila que je mrsquoimplique reacuteellement dans mon atelier de toxicomanie(Jean 18 ans centre jeunesse)
Pour reacuteussir une carriegravere deacutelinquante ndash Certains garccedilons de lrsquoeacutetude
mentionnent qursquoils ont cesseacute ou diminueacute leur usage de drogue ou de
certaines drogues pour srsquoassurer de faire beaucoup de profits illeacutegaux ou
pour eacuteviter de se faire arrecircter par les policiers
Quelqursquoun qui vend un vendeur lagrave ccedila ne touche pas comme un gars quivend du crack il ne touche pas au crack Sinon crsquoest lui qui fume sonstock Ben moi je ne fume pas de crack alors je peux vendre (William17 ans centre jeunesse)
Un bon voleur ok il ne va jamais faire ses affaires quand il est chaud ougeleacute tu as pas mal plus de risque de te faire prendre (Outwall 17 anscentre jeunesse)
143 LES FILLES EN PARTICULIER
Peu de chose distinguent speacutecifiquement les filles sinon le fait deacutejagrave men-
tionneacute qursquoune grande partie de leur reacutecit srsquoarticule autour du besoin de
plaire aux pairs deacuteviants pour expliquer leur consommation de drogues
ou leur implication dans la deacutelinquance et le fait que parmi les motifs de
sortie se trouve la reacuteponse agrave un ultimatum parental
1431 Motif de consommation
Un vide affectif ndash Certaines filles reacutevegravelent consommer des drogues pour
combler un sentiment de vide drsquoamour
Mais tseacute je voulais prouver que jrsquoeacutetais vieille de caractegravere que jrsquoeacutetaisquelqursquoun Pour qursquoils mrsquoaiment parce que je me sentais ben gros pas aimeacute(Pamela 16 ans centre de toxicomanie)
Parce que je ne voulais pas ressentir le vide que jrsquoai en dedans un videinteacuterieur de ne pas recevoir de lrsquoamour autant que je voudrais tout le tempsce vide agrave combler tu sais (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)
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1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation
et de la deacutelinquance
Ultimatum parental ndash Afin de preacuteserver une relation relativement satisfai-
sante avec leur pegravere ou leur megravere ou afin de lrsquoameacuteliorer certaines filles
disent avoir diminueacute ou cesseacute leur consommation drsquoune ou de plusieurs
drogues agrave leur demande ou parce qursquoelles ont compris qursquoautrement elles
se feraient rejeter
Apregraves cet eacuteveacutenement-lagrave jrsquoai reconsommeacute jrsquoai recontinueacute agrave vendre tu saisccedila nrsquoavait pas cliqueacute dans ma tecircte pis euh quand que ma megravere a trouveacutemon sac de ziploc dans ma sacoche elle a dit laquo je suis eacutecœureacutee raquo elle adit laquo jrsquoabandonne raquo elle a dit laquo je trsquoabandonne raquo elle a dit laquo je ne peuxplus rien faire pour toi raquo elle a dit laquo fais donc ce que tu veux je mrsquoencalice raquo Ccedila fait que crsquoest lagrave que ccedila a cliqueacute laquo jrsquoai un problegraveme raquo pis lagravejrsquoai peacuteteacute les plombs je braillais pis laquo qursquoest-ce que je vais faire raquo Crsquoest lagraveque je suis alleacutee voir Juliette lrsquointervenante en toxico jrsquoai dit lagrave lagrave fais dequoi (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)
Je ne vole plus maintenant Je me suis calmeacutee parce que je me suis dit quesi je me faisais prendre encorehellip ce nrsquoest pas que jrsquoai peur ou que je mesens mal crsquoest juste qursquoils vont appeler ma megravere Je ne veux pas que mamegravere soit choqueacutee apregraves moi Crsquoest trop je lui ai causeacute assez de maux detecircte comme ccedila Apregraves tout je veux continuer de rester avec elle sinon ougravejrsquoirais Je ne veux pas aller habiter avec mon pegravere il est beaucoup tropseacutevegravere (Anouk 16 ans maison de jeunes)
CONCLUSION
Dans son bilan des recherches sur lrsquousage de drogues des jeunes Queacutebeacutecois
depuis les anneacutees 1960 Le Blanc (2005) conclut que les eacutetudes relatives
aux eacuteleacutements qui preacutecipitent la consommation et surtout agrave ceux qui en
facilitent lrsquoarrecirct sont encore trop peu nombreuses Nous avons voulu
apporter une compreacutehension compleacutementaire et diffeacuterente au corpus de
recherches deacutejagrave existant en nous centrant sur la lecture que font les
adolescents de leur trajectoire drsquousage de drogues et de deacutelinquance Non
seulement les motifs eacutevoqueacutes par les jeunes pour expliquer qursquoils consom-
maient ou qursquoils commettaient des deacutelits agrave certaines peacuteriodes de leur vie
eacutetaient rechercheacutes mais aussi ceux qursquoils ont eacutevoqueacutes relativement aux
peacuteriodes ougrave ils diminuaient ou cessaient leur implication deacuteviante De
plus il est apparu important de faire cet exercice en distinguant les filles
et les garccedilons Trop souvent en effet on a conclu agrave lrsquoinsignifiance de la
deacutelinquance des filles en srsquoappuyant sur des donneacutees statistiques issues de
sources policiegraveres ou judiciaires donneacutees qui indiquent une tregraves faible
preacutesence des filles au sein de la population de jeunes deacutelinquants eacutetudieacutee
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26 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Devant ce constat plusieurs chercheurs ont convenu de faire porter leurs
eacutetudes sur le seul groupe des deacutelinquants de sexe masculin repoussant
dans lrsquoombre la speacutecificiteacute possible de la deacutelinquance des filles et de son
traitement judiciaire et peacutenal
Essentiellement on constate que les motifs eacutevoqueacutes par les filles et les
garccedilons pour consommer des drogues et commettre des deacutelits sont dans
la plupart des cas les mecircmes curiositeacute plaisir oubli appartenance agrave un
groupe de pairs problegravemes familiaux vengeance des abus subis person-
nellement Les raisons que filles et garccedilons associent agrave des peacuteriodes de
diminution ou drsquoarrecirct de ces comportements deacuteviants sont aussi geacuteneacutera-
lement les mecircmes conseacutequences physiques psychologiques et sociales
devenues intoleacuterables pairs ou amoureux conformistes activiteacutes alterna-
tives agrave la consommation Ainsi contrairement agrave ce qursquoon avait pu croire
en se fiant aux statistiques portant sur la deacutelinquance juveacutenile une cer-
taine forme drsquoandrogynie (Cloutier 1996) apparaicirct au moment de consi-
deacuterer les motivations que les filles et les garccedilons associent au deacutebut et au
maintien de leur implication dans une trajectoire deacuteviante
Sur le plan de lrsquointervention il paraicirct inteacuteressant de srsquoattarder au rocircle
particulier que jouent lrsquoassociation agrave des pairs conformistes et les alterna-
tives agrave la consommation entraicircnant des peacuteriodes drsquoaccalmie et mecircme drsquoabs-
tinence dans les comportements deacuteviants des jeunes des deux sexes Il y a
lagrave certainement des pistes drsquointervention qui se dessinent se concreacutetisant
notamment par la mise en œuvre de projets positifs susceptibles de susciter
lrsquointeacuterecirct et lrsquoinvestissement des jeunes deacuteviants qui pourraient y participer
de concert avec des jeunes plus conformistes
Des caracteacuteristiques propres aux garccedilons sont toutefois deacutecelables
dans le mateacuteriel recueilli aupregraves des jeunes reacutepondants La recherche du
plaisir ainsi que des reacuteactions agressives se deacutegagent de leurs motivations
agrave commettre des deacutelits et pas de celles deacutevoileacutees par les filles Ici il y a
lieu de srsquoattarder au caractegravere souvent impulsif des garccedilons et agrave leur
recherche constante de gratification immeacutediate et drsquoen tenir compte dans
la planification de lrsquointervention
Pour expliquer une accalmie dans leur trajectoire de consommation
certains jeunes garccedilons estiment avoir eu trop agrave perdre sur les plans fami-
lial scolaire ou des conditions drsquohabitation Ils eacutevoquent aussi le fait que
leur usage de drogues pouvait nuire agrave leur laquo carriegravere deacutelinquante raquo Le
raisonnement arithmeacutetique associeacute aux garccedilons peut ecirctre eacutevoqueacute ici
(Cloutier 1996) Lrsquoexercice de prise de deacutecision soupesant les avantages
et les deacutesavantages drsquoune situation de consommation paraicirct approprieacute
pour les garccedilons dans la mesure ougrave on les laisse aborder eux-mecircmes les
aspects neacutegatifs de leur usage de drogues Il srsquoagit drsquoailleurs lagrave drsquoune
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strateacutegie qui srsquoest reacuteveacuteleacutee utile dans le cadre de lrsquoapproche motivationnelle
de plus en plus conseilleacutee pour lrsquointervention preacuteventive et de reacuteadaptation
meneacutee aupregraves des jeunes consommateurs de drogues (Prochaska Norcross
et DiClemente 1994)
Quant aux filles elles se distinguent des garccedilons lorsqursquoelles invoquent
un manque drsquoamour pour expliquer leur consommation Elles sont aussi
les seules agrave faire reacutefeacuterence agrave une forme drsquoultimatum parental lorsqursquoelles
mentionnent les peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur trajectoire deacuteviante Cloutier
(1996) dirait probablement que ces reacutesultats sont lieacutes au processus iden-
titaire feacuteminin lequel se caracteacuterise par une constante reacutefeacuterence au rap-
port aux autres Une intervention faisant appel agrave la famille et visant agrave
deacutevelopper des relations saines entre ses membres se preacutesente degraves lors
comme une avenue inteacuteressante pour les filles en venant notamment
combler le vide affectif que celles-ci deacutenoncent
Lrsquoexercice qui consiste agrave demander agrave des jeunes de se raconter dans
le cadre drsquoune entrevue semi-directive srsquoest aveacutereacute tregraves profitable pour
approfondir nuancer et qualifier les connaissances sur leurs trajectoires
drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Il apparaicirct indis-
pensable pour bien comprendre les jeunes et intervenir aupregraves drsquoeux
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TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES
Diversiteacute des cheminements
et effets de geacuteneacuteration au sein
des milieux populaires en France
M
ICHEL
K
OKOREFF
Universiteacute Paris VCESAMES (CNRSndashINSERMndashParis V)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce chapitre part de la notion de laquo carriegraveres raquo telle qursquoelle est deacutefinie par
Howard Becker (1963) et en propose une lecture renouveleacutee dans un
contexte social et urbain et agrave propos de pratiques speacutecifiques Il srsquoapplique
agrave deacutecrire et agrave analyser les carriegraveres des usagers et des revendeurs de
drogues consideacutereacutees dans leurs dimensions territoriales dans les quartiers
pauvres Il srsquoappuie essentiellement sur des entretiens de type qualitatif
aupregraves drsquoindividus rencontreacutes pour la plupart en deacutetention
1
Une enquecircte
par observation meneacutee durant plusieurs anneacutees dans plusieurs communes
de la reacutegion parisienne et une analyse de la construction des affaires por-
tant sur des infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants dans la juridiction
de reacutefeacuterence constituent lrsquoarriegravere-plan de cette recherche qualitative elles
rendent possible une mise en situation de ce que nous avons appeleacute des
laquo reacutecits de carriegraveres raquo (Duprez et Kokoreff 2000) Agrave partir de ces donneacutees
il srsquoagit de mettre en relief les facteurs structurant les carriegraveres crsquoest-agrave-dire
des processus qui conduisent au deacuteveloppement de ces conduites illicites
dans un monde social donneacute Plus preacuteciseacutement on se propose drsquointerroger
lrsquoinfluence de lrsquoappartenance agrave une geacuteneacuteration sur les modaliteacutes drsquoenga-
gement dans le trafic consideacutereacute essentiellement agrave lrsquoeacutechelle locale
Nous commencerons par expliciter cette probleacutematique puis nous
distinguerons deux types de cheminements au sein de ce monde social
lrsquoun centreacute sur la consommation drsquoheacuteroiumlne agrave lrsquointeacuterieur drsquoune cohorte
neacutee au deacutebut des anneacutees 1960 lrsquoautre marqueacute par une entreacutee dans le
trafic de divers produits au cours des anneacutees 1990 avant de souligner la
diffeacuterenciation des positions dans le trafic
21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES SELON
LES GEacuteNEacuteRATIONS
Tout se passe aujourdrsquohui en France tout au moins comme si lrsquoengage-
ment dans le trafic de drogues illicites eacutetait le destin des pauvres inheacuterent
aux conditions de vie et de socialisation Or une telle repreacutesentation
largement inteacuterioriseacutee tant par les habitants des quartiers et les acteurs
locaux que par lrsquoopinion publique est doublement reacuteductrice Elle parti-
cipe tout drsquoabord drsquoun effet de meacuteconnaissance de la reacutealiteacute sociale de
1 Ce mode de seacutelection agrave partir du processus peacutenal constitue bien eacutevidemment unlaquo biais raquo Il conduit agrave la surrepreacutesentation drsquoune cateacutegorie de personnes selon unelogique ougrave lrsquoorigine sociale la nationaliteacute et les preacuteceacutedents jouent un rocircle consideacuterableCela eacutetant les caracteacuteristiques de cette population sont tregraves proches de celle que lechercheur est ameneacute agrave rencontrer dans les quartiers et qui srsquoavegravere la plus visible
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES
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ces pratiques qui deacutepasse largement lrsquohorizon borneacute des quartiers HLM
Elle occulte ensuite la diversiteacute interne des carriegraveres dans la drogue au
sein des mondes populaires Autrement dit contrairement aux ideacutees
reccedilues les jeunes des citeacutes ne sont pas tous des
dealers
ndash comme ils ne
sont pas tous impliqueacutes durablement dans un systegraveme de vie structureacute
autour de la deacutelinquance
2
Par ailleurs cette mise en repreacutesentation
sociale des figures urbaines des deacuteviances juveacuteniles preacutesente un inconveacute-
nient majeur elle ne permet pas ensuite de comprendre les diffeacuterentes
phases des carriegraveres dans le monde de la drogue aussi bien que la varieacuteteacute
des cheminements crsquoest-agrave-dire de reacutepondre agrave la question laquo Comment
devient-on
dealer
raquo
211 A
U
-
DELAgrave
DU
FEacuteTICHISME
CONCEPTUEL
L
rsquo
ANALYSE DES PROCESSUS
Lrsquointeacuterecirct de la notion de laquo carriegravere raquo telle qursquoelle a eacuteteacute appliqueacutee au
domaine des conduites deacuteviantes par Becker (1963) dans le prolongement
de Hughes (1958) vise agrave reacutepondre agrave ce type drsquointerrogation Cette notion
consiste agrave prendre en compte les dimensions agrave la fois objectives et subjec-
tives drsquoune succession drsquoactions En ce sens elle est un moyen terme entre
les approches des trajectoires de vie de type deacuteterministe et celles qui sont
plus attentives aux singulariteacutes biographiques Il srsquoagit drsquoun laquo pont raquo entre
trajectoires objectives et trajectoires subjectives (Dubar 1998) qui peut
donner lieu agrave des approches tant qualitatives que quantitatives (Peretti-
Watel 2001) Lrsquoun des apports de ces travaux est de resituer des pratiques
dans des parcours et des contextes sociaux ougrave jouent aussi bien les rela-
tions avec les familles et les groupes de pairs que celles avec les institutions
reacutepressives sanitaires ou sociales Loin de constituer un chemin traceacute
drsquoavance un effet de destin les carriegraveres sont le produit de
lrsquointeraction
entre ces diffeacuterents eacuteleacutements Ce qui conduit agrave mettre en relief les tem-
poraliteacutes dans lesquelles srsquoinscrivent ces pratiques crsquoest-agrave-dire les seacutequences
ou les phases les moments et les seuils les points de rupture ou de
bifurcation constitutifs des carriegraveres dans un monde social donneacute toujours
en interaction avec drsquoautres mondes sociaux (les policiers les magistrats
les travailleurs sociaux et intervenants speacutecialiseacutes etc)
2 Pour une tentative de classification des jeunes habitant les quartiers HLM voir notam-ment Begag et Delorme 1994 Jazouli 1995 Oberti 1999
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cela eacutetant la notion de carriegravere preacutesente aussi des limites
3
Lrsquoaccent
mis sur ce laquo qui fait de la deacuteviance un genre de vie raquo (Becker 1963) sur
la consommation plus que sur le trafic conduit agrave deacutelaisser les facteurs lieacutes
aux conditions de vie et au cadre urbain Or dans les contextes eacutetudieacutes
les effets de milieu ndash au sens eacutecologique du terme ndash lrsquoaccumulation des
difficulteacutes sociales et personnelles les ruptures biographiques qursquoelles
impliquent sont des facteurs tregraves preacutegnants dans le deacuteveloppement des
pratiques illicites pouvant entraicircner deux conseacutequences Drsquoune part on
peut estimer que les logiques sont autant de contraintes qui interviennent
en amont des pratiques Lrsquoanalyse des trajectoires sociales srsquoinscrit dans
cette perspective avec le risque drsquoun glissement vers un modegravele balistique
(Chamboredon 1971) de celles-ci Ce qui serait occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute
des trajectoires des laquo jeunes toxicomanes des banlieues raquo (Bouhnik 1994)
Drsquoautre part la notion drsquoengagement utiliseacutee par les interactionnistes
srsquoavegravere difficile agrave manier Elle amegravene agrave consideacuterer les usagers de drogues
comme des acteurs de leur histoire (et non comme de simples agents ou
malades) agrave repeacuterer les dilemmes auxquels ils ont agrave faire face et les reacuteponses
qui y sont apporteacutees Comment consideacuterer comme un laquo engagement raquo ce
qui paraicirct ecirctre une suite de petites coupures Sur le plan meacutethodologique
on bute ici sur un problegraveme que Passeron (1989) a bien mis en relief
comment faire la part de lrsquoaspect indissociablement contraignant non voulu
(objectiveacute) et veacutecu comme personnel (subjectiveacute) drsquoune biographie
4
Agrave
cette difficulteacute srsquoajoutent les effets de sens associeacutes agrave cette notion qui
rendent son usage parfois ambigu au-delagrave du cercle des speacutecialistes Enfin
en deacutepit des preacutecautions drsquousage le terme de carriegravere a une reacutesonance
particuliegravere associeacute qursquoil est au modegravele de la reacuteussite en particulier
lorsqursquoil est accoleacute aux activiteacutes de revente et de distribution dans des
quartiers de misegravere
Jrsquoai donc preacutefeacutereacute adopter dans ce texte la notion de laquo cheminements raquo
Situeacutee dans le mecircme registre seacutemantique que les notions de trajectoire
parcours itineacuteraire ligne biographique ou ligne de vie cette notion me
semblait aussi plus neutre Lrsquoideacutee forte eacutetait de suggeacuterer le caractegravere non
lineacuteaire reacuteversible accidenteacute bref la complexiteacute des processus lieacutes agrave
lrsquousage de drogues sans bien entendu dissiper totalement les problegravemes
3 La litteacuterature speacutecialiseacutee anglo-saxonne visant agrave discuter les travaux de Becker et agraverevisiter les donneacutees utiliseacutees est vaste Voir les contributions reacutecentes de Hathaway(1997)
4 Voir agrave ce propos les travaux des chercheurs canadiens sur les laquo biogrammes raquo Il srsquoagitdrsquoarticuler des donneacutees quantitatives et qualitatives sur la base de calendriers reacutealiseacutes agravepartir de la consultation de dossiers officiels qui sont compleacuteteacutes et approfondis aumoyen drsquoentrevues semi-dirigeacutees De la sorte la chronologie des eacuteveacutenements est eacutetablieen parallegravele avec ce qui a fait sens dans les trajectoires des deacutelinquants au cours destrois derniegraveres anneacutees Voir Brochu da Agra et Cousineau (2002)
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eacutevoqueacutes Sans ceacuteder au feacutetichisme conceptuel souvent de mise au sein des
sciences sociales crsquoest bien cet aspect qursquoil faut retenir au regard des
donneacutees recueillies
Afin de restituer cette complexiteacute on se propose de probleacutematiser
les liens entre carriegraveres et geacuteneacuterations En quoi les appartenances de
geacuteneacuteration ou de cohorte
5
influent-elles sur le deacuteveloppement des carriegraveres
en particulier dans le trafic de drogues Dans quelle mesure permettent-
ils de rendre compte de la varieacuteteacute des parcours ou des configurations
biographiques en relation avec drsquoautres facteurs (sociaux familiaux ter-
ritoriaux institutionnels)
6
212 L
ES
EFFETS
DE
GEacuteNEacuteRATION
Il est banal de consideacuterer la drogue comme un pheacutenomegravene de geacuteneacuteration
En ce qui concerne les usagers drsquoheacuteroiumlne on distingue geacuteneacuteralement
deux geacuteneacuterations Celle des anneacutees 1970 eacutetait composeacutee pour une grande
part de jeunes de couches moyennes et supeacuterieures dont le rapport agrave la
drogue eacutetait deacutefini par la contre-culture plutocirct que par le cumul des
handicaps sociaux Celle des anneacutees 1980 appartenait en revanche agrave la
jeunesse des classes populaires particuliegraverement toucheacutees par le chocircmage
de masse et la preacutecariteacute Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre on a assisteacute agrave une
diffusion verticale de lrsquousage de drogues et agrave une extension des produits
consommeacutes qui ont modifieacute leur repreacutesentation sociale drsquoun attribut
contre-culturel la drogue est (re)devenue un laquo fleacuteau social raquo (Mauger
1984) Crsquoest aussi le traitement institutionnel qui distingue ces deux geacuteneacute-
rations Si en effet la premiegravere a constitueacute la clientegravele de base du dispo-
sitif de soins speacutecialiseacutes qui srsquoest progressivement mis en place apregraves la loi
de 1970 la seconde a eu difficilement accegraves agrave des structures peu adapteacutees
5 On nrsquoignore pas les difficulteacutes que posent les notions souvent confondues de geacuteneacuterationet de cohorte Selon la deacutefinition geacuteneacuterale que peut en donner la deacutemographie unecohorte est constitueacutee drsquoun ensemble drsquoindividus qui ont veacutecu un eacuteveacutenement semblablependant la mecircme peacuteriode de temps Dans ce sens la geacuteneacuteration pourra ecirctre deacutefiniecomme une laquo cohorte de naissance raquo Afin de dissiper cette ambiguiumlteacute certains socio-logues reacuteservent le terme de geacuteneacuteration au domaine de la parenteacute drsquoautres en fontlrsquoeacutequivalent drsquoune position de classe drsquoautres encore insistent sur le fait drsquoavoir veacutecules mecircmes expeacuteriences collectives Ces questions de deacutefinition sont indissociables decelles plus techniques qui consistent agrave diffeacuterencier les effets de geacuteneacuteration (lrsquoapparte-nance agrave une cohorte de naissance particuliegravere) les effets drsquoacircge (qui relegravevent du vieillis-sement) et les effets de peacuteriode (srsquoexerccedilant sur tous les membres drsquoune socieacuteteacute quelque soit lrsquoacircge) Elles seront peu abordeacutees en tant que telles ici lrsquoarticle eacutetant centreacutesur les aspects empiriques de la dynamique des carriegraveres selon les geacuteneacuterations
6 Voir dans un autre domaine (les personnes heacutemophiles) mais agrave partir drsquoune approchecomparable les analyses stimulantes consacreacutees par Carricaburu (2000) aux laquotrajectoiresde maladie raquo
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
de surcroicirct agrave ses caracteacuteristiques sociologiques et sanitaires (Bergeron
1999) La proleacutetarisation de la consommation a eacuteteacute synonyme drsquoun rabat-
tement de la toxicomanie sur la deacutelinquance urbaine
Sans doute cette opposition traduite en termes de classes sociales
(moyennespopulaires) devrait-elle ecirctre affineacutee Non parce que ce voca-
bulaire serait devenu deacutesuet mais pour deux raisons essentielles distin-
guer plusieurs phases pour comprendre lrsquoapparition et la diffusion des
drogues dans les quartiers de releacutegation drsquoune part prendre en compte
agrave cocircteacute des pratiques de consommation les pratiques de revente qui consti-
tuent le fait majeur des anneacutees 1990 drsquoautre part Dans ce sens on pourrait
distinguer non pas deux geacuteneacuterations mais quatre cohortes
Pour en rester aux milieux populaires force est de constater que les
enfants des familles ouvriegraveres drsquoorigine franccedilaise ou eacutetrangegravere qui ont
eu 20 ans au deacutebut des anneacutees 1970 nrsquoont pas connu les drogues ndash en
tout cas pas lrsquoheacuteroiumlne et accessoirement le cannabis dans le cas restant
limiteacute des eacutetudiants Si certains quartiers sont des foyers de deacutelinquance
notoire ougrave lrsquoexistence de bandes se traduit par divers meacutefaits (vols bra-
quages homicides etc) la drogue est apparenteacutee agrave la bourgeoisie et est
signe de faiblesse La persistance des codes sociaux des anciens voyous
peut expliquer que lrsquoarriveacutee massive de lrsquoheacuteroiumlne dans drsquoanciennes citeacutes
ouvriegraveres ait pu ecirctre retardeacutee au cours des anneacutees 1980 alors que dans drsquoautres
citeacutes moins structureacutees elle soit survenue degraves le deacutebut des anneacutees 1970
7
Dans son reacutecit de lrsquoitineacuteraire collectif des jeunes Algeacuteriens (ou drsquoorigine
algeacuterienne) neacutes agrave Nanterre Colombes ou Gennevilliers qui ont grandi
dans les bidonvilles puis les citeacutes de transit Lefort (1980) nrsquoaborde pas
cette question Deux raisons peuvent ecirctre invoqueacutees Drsquoune part lrsquoorga-
nisation sociale des bidonvilles consideacutereacutes comme un veacuteritable quartier
suburbain (Peacutetonnet 1982) conduit agrave un rejet de tout ce qui nrsquoest
pas le groupe eacutetroit La situation politique apregraves la fin de la guerre drsquoAlgeacuterie
et le vide laisseacute par le deacutepart des cadres du Front national de libeacuteration
(FNL) renforcent cette meacutefiance Celle-ci se porte sur les journalistes
autant que sur les gauchistes dont les comportements sont deacutecrits comme
ceux de missionnaires La peacutedophilie
8
tregraves preacutesente dans les anneacutees 1960
renforce cette deacutefense du territoire Il ne pouvait donc y avoir de revente
7 Sur les processus drsquoimmunisation et drsquoacceacuteleacuteration de la deacuteviance voir les remarquesde Becker (1963 p 59-61) sur le rocircle des facteurs structurels voir Fagan (1995)
8 Traditionnellement la laquo zone raquo est un lieu ougrave les bourgeois viennent srsquoencanailler Defait dans les anneacutees 1960 les membres de milieux aiseacutes ont des relations sexuelles avecdes jeunes garccedilons arabes tout particuliegraverement Lefort (1980) mentionne bien ceproblegraveme et comment il a eacuteteacute geacutereacute par la police agrave partir drsquoune logique de cantonnementque lrsquoon retrouvera plus tard agrave propos du trafic de drogues
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de drogues agrave ce moment-lagrave Si certains teacutemoignages signalent une con-
sommation de cannabis elle est le fait des laquo vieux raquo qui se maintiennent
agrave bonne distance des laquo jeunes raquo Et lorsque des jeunes commencent agrave
prendre du cannabis et de lrsquoheacuteroiumlne ils le font de faccedilon cacheacutee dans un
cas et agrave lrsquoexteacuterieur de leur espace de vie agrave Paris dans lrsquoautre comme on
le verra plus loin
En fait crsquoest parmi les fregraveres cadets que lrsquoheacuteroiumlne se diffuse Neacutes
dans la premiegravere partie des anneacutees 1960 ces jeunes commencent agrave consom-
mer dans la seconde partie des anneacutees 1970 parfois de faccedilon preacutecoce (agrave
16 ans et moins) Selon les teacutemoignages recueillis crsquoest vers 1982-1983 que
lrsquoon assiste agrave lrsquoeacutemergence de la toxicomanie chez les jeunes filles qui
restera malgreacute tout discregravete dans le contexte eacutetudieacute Quels sont les facteurs
qui ont rendu possible
la diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers popu-
laires peacuteripheacuteriques Quelle forme speacutecifique les carriegraveres ont-elles prise
On verra comment la carriegravere des jeunes des quartiers a eacuteteacute ponctueacutee par
le passage de la laquo petite deacutelinquance raquo agrave lrsquousage puis de la deacutependance au
trafic avant drsquoentrer dans un cycle de vie marqueacute par drsquoinnombrables
seacutejours en prison
Une seconde coupure peut ecirctre repeacutereacutee avec la geacuteneacuteration neacutee agrave la
fin des anneacutees 1970 La grande caracteacuteristique en est la dissociation entre
usage et trafic Souvent usagers de cannabis les acteurs du trafic drsquoheacuteroiumlne
ne sont pas usagers ndash du moins agrave un moment de leur carriegravere Agrave une
logique drsquoautofinancement de la consommation se substitue une logique
que lrsquoon pourrait dire de laquo revalidation sociale raquo au sens ougrave elle vient
conjurer les effets de lrsquoinvalidation sociale dont une part des habitants des
citeacutes sont lrsquoobjet il srsquoagit de faire de lrsquoargent tout en eacutetant quelqursquoun Les
carriegraveres de cette nouvelle geacuteneacuteration renvoient agrave une professionnalisa-
tion du commerce local de drogues et agrave un durcissement des rapports
sociaux de trafic
Pour grossir le trait on peut donc distinguer deux types de chemi-
nements Dans le cas de la geacuteneacuteration des usagers drsquoheacuteroiumlne devenus pour
une part revendeurs crsquoest une logique de marginalisation sociale qui sous-
tend les trajectoires Dans celui des
dealers
non usagers crsquoest une logique
drsquointeacutegration sociale par des voies illicites qui les sous-tend afin drsquoacceacuteder
agrave lrsquoargent ndash signe majeur de la reacuteussite sociale aujourdrsquohui Mais une
diffeacuterence essentielle est agrave prendre en compte pour appreacutecier ces itineacute-
raires et les ressources mobiliseacutees par les uns et les autres Agrave un certain
moment les toxicomanes empruntent un chemin bien diffeacuterent des
laquo petits voyous raquo de banlieue qui ont acquis leur reacuteputation en faisant des
braquages dans le monde des jeux ou de la prostitution ils vont contri-
buer agrave construire une culture de la drogue dans les quartiers avec ses
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
normes et ses valeurs ses savoir-faire et ses techniques ses mythes et ses
leacutegendes Les
dealers
de citeacutes ont eux largement heacuteriteacute de cette culture
ils ont grandi avec
Avant de revenir de faccedilon deacutetailleacutee sur ces dynamiques disons un
mot sur les liens intergeacuteneacuterationnels La geacuteneacuteration des laquo grands fregraveres raquo
a ndash au moins durant un temps ndash tenteacute drsquoempecirccher la revente de la laquopoudreraquo
sur leur territoire et exerceacute une pression morale La geacuteneacuteration suivante
en partie deacutemolie par les surdoses le sida les suicides a servi de modegravele
repoussoir agrave une troisiegraveme geacuteneacuteration dont lrsquoinvestissement eacuteconomique
est primordial ndash ce qui nrsquoempecircche pas certains drsquoentre eux de laquo tomber
dedans raquo agrave un moment donneacute Quant aux adolescents drsquoaujourdrsquohui le
plus souvent ils connaissent peu cette histoire Il apparaicirct que la force de
lrsquoexemple nrsquoa pas joueacute pour eux comme on aurait pu srsquoy attendre
9
22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES
DES ANNEacuteES 1980
221 L
E
CONTEXTE
SOCIAL
ET
URBAIN
La diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les banlieues srsquoest deacuteveloppeacutee dans un
contexte social et eacuteconomique bien particulier qui permet de rendre
compte de lrsquoinscription territoriale des carriegraveres Trois caracteacuteristiques
essentielles de ce processus peuvent ecirctre rappeleacutees
La premiegravere est que ces territoires ont eacuteteacute particuliegraverement affecteacutes
par les effets sociaux de la deacutesindustrialisation ainsi que par le mouve-
ment de deacutelocalisation des grandes uniteacutes au cours des anneacutees 1970 On
assiste aux premiers signes de lrsquoeffondrement du marcheacute du travail agrave cette
peacuteriode Les eacutetablissements industriels implanteacutes dans les sites eacutetudieacutes
perdent pregraves du quart de leurs effectifs salarieacutes Il en reacutesulte un chocircmage
massif et une grande difficulteacute des jeunes agrave trouver un emploi Parallegravele-
ment on assiste agrave une deacutecomposition du monde ouvrier qui perd ses
capaciteacutes de socialisation drsquoencadrement des deacuteviances juveacuteniles (Dubet
et Lapeyronnie 1992) processus se traduisant par un rejet de la condition
ouvriegravere (Beaud et Pialoux 1999)
9 Crsquoest aussi le constat que fait Esterle-Heacutedibel (1997) sur deux terrains diffeacuterents de lareacutegion parisienne Les peacuteriodisations observeacutees du deacuteveloppement des toxicomanies etdes trafics sont aussi tregraves semblables dans ces diffeacuterents quartiers agrave celles que nous avonsobserveacutees
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La deuxiegraveme caracteacuteristique reacutesulte des effets conjugueacutes des processus
drsquoimmigration et drsquourbanisation de masse Bien avant 1974 date de lrsquoarrecirct
officiel de lrsquoimmigration de main-drsquoœuvre les ouvriers que les grandes
entreprises sont alleacutees chercher dans les zones rurales du Maroc et de
lrsquoAlgeacuterie vivent avec leur famille dans des conditions de misegravere Neacutean-
moins une vie communautaire existe (Peacutetonnet 1982) Le relogement
contraint dans les citeacutes de transit marque cependant une rupture (Zehraoui
1994) Srsquoamorce une peacuteriode de cohabitation interethnique synonyme de
tensions nouvelles Avec la laquo crise raquo la cohabitation devient plus probleacute-
matique les plus pauvres (et parmi eux les immigreacutes) restent les plus
aiseacutes (et parmi eux beaucoup de Franccedilais) partent ailleurs alors que les
familles repreacutesentant les laquo cas lourds raquo de lrsquoaide sociale alimentent une
spirale de la deacutegradation La seacutegreacutegation sociale se double drsquoune seacutegreacutegation
ethnique dont lrsquoeacutecole est un agent primordial (Barthon et Oberti 2000)
La troisiegraveme caracteacuteristique ndash moins connue ndash est lrsquoexistence de
foyers de deacutelinquance bien anteacuterieure agrave lrsquoarriveacutee de la drogue dans ces
quartiers et les effets de reacuteputation symbolique qui les caracteacuterisent depuis
bien longtemps La micro-histoire de ces quartiers est souvent une cleacute
neacutegligeacutee par les sociologues
10
On peut remonter dans certains cas jusqursquoaux
anneacutees 1920 Une analyse de contenu de la presse de lrsquoeacutepoque (Marliegravere
1998) agrave propos de certains quartiers atteste agrave travers un certain nombre
de faits (regraveglements de compte homicides vols braquages) lrsquoexistence
de bandes lieacutees au banditisme comme le rapporte ce chercheur habitant
lui-mecircme dans un de ces quartiers
Je me souviens drsquoecirctre tombeacute sur un article de
Banlieue Ouest
en1932 ougrave la Poste du quartier qui a eacuteteacute construite en 1931 avait deacutejagraveeacuteteacute drsquoapregraves lrsquoarticle visiteacutee trois fois [hellip] Je crois que je suistombeacute sur deux ou trois homicides pour le quartier Donc crsquoeacutetaitun quartier deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque tregraves malfameacute [hellip] Et avec la construc-tion de la citeacute de transit dans les anneacutees 1960 yrsquoa eu un retourun peu des bandes plus dures crsquoest-agrave-dire avec des jeunes quifiniront mal [hellip] Et donc je pense que le retour du grand bandi-tisme avec vraiment une peacuteriode de violence crsquoest entre 1975et 1990
11
Tout cela pour dire que la deacutelinquance dans ces quartiers nrsquoest pas
un fait nouveau les meacutecanismes de reacuteputation opeacuterant sur une longue
dureacutee Ce qui nrsquoempecircche pas de relever les processus qui ont rendu pos-
sibles plutocirct que produit les cheminements dans lrsquounivers de la drogue
10 Voir notamment en France Bachmann et Basier (1989) et aux Eacutetats-Unis Bourgois (2001)
11 Pour une histoire sociale de la deacutelinquance voir notamment Mucchielli (2001)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
222 C
HEMINEMENTS
VERS
L
rsquo
HEacuteROIumlNE
Ce qui distingue nos deux cohortes dans ce contexte crsquoest la laquo position
chronologique raquo (Cagliero Lagrange et Moyses 1999) des conduites
deacuteviantes notamment en ce qui concerne lrsquoemploi En scheacutematisant on
peut dire que pour les plus anciens la deacutelinquance puis lrsquoemploi ont
plutocirct preacuteceacutedeacute la consommation ou la revente drsquoheacuteroiumlne alors que pour
les plus jeunes on le verra crsquoest plutocirct la participation au trafic local qui
a eacuteteacute anteacuterieure agrave un emploi leacutegal
12
Une scolariteacute plus ou moins chaotique dans lrsquoenseignement tech-
nique conduit les membres de la premiegravere cohorte agrave un CAP (certificat
drsquoaptitude professionnelle) ndash obtenu ou pas Cette formation les destine
agrave ecirctre ouvriers qualifieacutes crsquoest-agrave-dire agrave occuper bien souvent une position
plus eacuteleveacutee que celle de leur pegravere travaillant dans des emplois agrave faible
qualification comme manœuvre en usine Dans la plupart des entretiens
reacutealiseacutes on constate un rejet du travail en usine et de la condition qui y
est associeacutee Mais la mobiliteacute sociale est limiteacutee On le voit par exemple
avec Bruno dont le pegravere est carrossier dans un petit garage de Levallois-
Perret et qui fait vivre sa femme en invaliditeacute agrave 50 et ses deux enfants
avec un salaire modeste Apregraves une peacuteriode difficile ougrave il est interpelleacute et
condamneacute pour vol comme mineur agrave trois mois de prison ferme
13
Bruno
obtient son CAP de carrossier agrave 17 ans Ouvrier qualifieacute il trouve un travail
et megravene la belle vie pendant deux ans Jusqursquoau moment ougrave il goucircte agrave la
laquo drogue raquo non pas le cannabis qursquoil consomme quotidiennement
comme il boit de lrsquoalcool (laquo
On est des bons vivants alors je buvais mon petitapeacuteritif et tout et puis mon petit shit le soir
raquo) mais lrsquoheacuteroiumlne dont la
consommation va devenir incompatible avec drsquoautres rocircles sociaux
Crsquoeacutetait en 1982 Jrsquoai eu mon CAP en 1982 agrave 17 ans Et puis apregraves moije rentrais dans la vie jrsquoavais mon CAP mon permis de conduire jetravaillais jrsquoavais tout Je manquais de rien yrsquoavait qursquoun seul truc queje connaissais pas crsquoeacutetait ccedila Je freacutequentais que des mecs qui eacutetaient commemoi On bossait tous hein On avait tous un patron et tout et puis je lesvoyais ccedila faisait deux ou trois semaines qursquoils prenaient devant moi ccedila
12 Dans le contexte des anneacutees 1990 de chocircmage de masse on peut se demander si laparticipation au trafic nrsquoa pas joueacute quasiment un rocircle de filiegravere preacuteprofessionnelle Surle trafic comme travail voir Bouhnik et Joubert (1992) Ruggiero et South (1996)Duprez et Kokoreff (1999)
13 Ce point ne sera abordeacute qursquoau deuxiegraveme des quatre entretiens reacutealiseacutes entre 1997 et2000 en deacutetention Il indique que le fait de rencontrer sur une peacuteriode eacutetendue unemecircme personne peut diminuer lrsquoeffet de censure Par ailleurs lorsque lrsquoon sait quedurant cette peacuteriode Bruno est sorti trois fois de prison il reacutevegravele aussi la vulneacuterabiliteacutestructurelle dans laquelle celui-ci se trouve
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changeait rien dans leur vie Je me suis dit laquo Je vais rentrer dans leur trippour ecirctre dans la mecircme soireacutee dans la mecircme ambiance qursquoeux raquo Et puisvoilagrave et puis voilagrave
Quoi voilagrave Qursquoest-ce qui srsquoest passeacute apregraves
Bah apregraves crsquoest con agrave dire ccedila maishellip faut pas le dire mais je vais le direon arrive agrave aimer cette deacutefonce Le premier petit joint on fume un jointon rigole on est heureux on se sent bien Donc le lendemain on srsquoen refaitun petit Crsquoest pareil la drogue Lrsquoalcool crsquoest pareil On se fait un bonrepas on lrsquoarrose de deux bons verres de vin on se sent bien on est heureuxDegraves qursquoon peut recommencer un bon repas on va recommencer et ainsi desuite Et puis voilagrave
(26 mars 1997)
Cet extrait drsquoentretien dit bien la dimension collective drsquoune initia-
tion veacutecue comme un plaisir tout en eacutetant appeleacutee ndash reacutetrospectivement ndash
agrave devenir un destin pour ces jeunes ouvriers qui habitent des quartiers agrave
mauvaise reacuteputation Pourtant les parcours ne sont pas aussi lineacuteaires que
le disent ces derniers Tout drsquoabord parce que bien souvent les contacts
avec la justice et la prison sont preacutecoces mecircme srsquoils nrsquoont pas pour laquo cause raquo
la drogue Ensuite parce que si la rencontre avec lrsquoheacuteroiumlne constitue un
point de rupture ou de bifurcation elle ne doit pas masquer drsquoautres
moments facilement discernables dans les reacutecits de carriegravere le passage du
sniff
au
shoot
et le changement de milieu drsquousage qui lrsquoaccompagne (laquo
etpuis un jour jrsquoai eacuteteacute dans une autre soireacutee crsquoeacutetaient pas des sniffeurs crsquoeacutetaient desseringueurs
raquo) la perte de lrsquoemploi qui reacutesulte du processus de deacutependance
(laquo
on est trop en manque pour se lever et mecircme si on peut le boulot y suit pas lepatron il le voithellip
raquo) mais qui reste une deacutecision propre (laquo
crsquoest toujours moiqui ai pris mon compte
raquo) la deacutelinquance qui srsquoimpose (laquo
il fallait que je medeacutebrouille de lrsquoargent
raquo) et la situation de reacutecidive leacutegale qui alourdit la sanc-
tion peacutenale Enfin en deacutepit de ce processus de deacutegradation le capital
eacuteconomique et culturel acquis reste une ressource (laquo
jrsquoai un meacutetier dans lesmains
raquo) et un ethos (laquo
jrsquoai une mentaliteacute de travailleur
raquo) y compris en prison
lorsque le travail exerceacute redonne sens et fierteacute
Crsquoest aussi le registre drsquoexpression du plaisir agrave travers lrsquohomologie
alcooldrogues illicites (petit jointpetit apeacuteritif deacutefoncebon repas etc)
qui constitue un motif socialement appris et significatif
14
On pourrait
y voir lrsquoexpression drsquoun
habitus de classe
se traduisant tout particuliegravere-
ment dans le rapport au corps agrave travers la prise de laquo drogues dures raquo qui
laquo deacutefoncent raquo et permettent drsquooublier la pratique mecircme de lrsquoinjection la
seringue Ce lien est aussi un aspect des cheminements eacutetudieacutes En effet
lrsquoalcool plus ou moins associeacute agrave la violence occupe une place importante
14 Sur ce point voir les analyses de Mauger et Fosseacute-Poliak (1983)
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dans lrsquohistoire des toxicomanes des citeacutes Comme bien drsquoautres Bruno a
grandi dans un milieu familial tregraves marqueacute par lrsquoalcoolisme son pegravere est
mort drsquoun cancer du foie en 1991 sa megravere faisait de lrsquohypertension elle
srsquoest mise agrave boire apregraves le deacutecegraves de son mari et est deacuteceacutedeacutee en 1998 quant
agrave sa sœur sans emploi marieacutee avec deux enfants laquo
elle boit elle picole ellearrecircte elle picole
raquo avec son mari qui est employeacute dans une papeterie laquo
ilssrsquoengueulent agrave cause de lrsquoalcool
raquo Cet exemple nrsquoest pas isoleacute On pourrait
prendre celui drsquoAbensour dont le pegravere a fui la guerre drsquoAlgeacuterie en mecircme
temps que la misegravere drsquoabord en Tunisie puis en France agrave Nanterre Ayant
grandi dans ce qursquoon appelait alors la laquo zone raquo la trajectoire drsquoAbensour
prend une tournure nouvelle agrave la suite drsquoune orientation scolaire malheu-
reuse Il commence agrave prendre de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans Crsquoest ainsi qursquoil
eacutevoque son pegravere et lrsquoambiance reacutegnant au domicile familial
Il buvait beaucoup de ce temps-lagrave il buvait Toujours il avait sa bouteillede rouge Alors je peux pas te dire si crsquoest son boulot ou la bouteille qui lefatiguait Il eacutetait bourreacute tous les soirs Quand il arrivait deacutefonceacute on avaitpeur il eacutetait tregraves meacutechant il frappait ma megravere il nous sortait des grosmots on eacutetait petits Il traitait mes petites sœurs de putes il nous disait laquo Allez vous faire voir par les peacutedeacutes et tout raquo Moi jrsquoaimais pas trop resteragrave la maison les filles elles pouvaient pas sortir mais nous on se cassaitdans la rue
(15 mars 1997)
Lrsquoalcoolisme et les violences familiales sont souvent eacutevoqueacutes par les
intervenants speacutecialiseacutes afin de rendre compte des parcours vers lrsquoheacuteroiumlne
la consommation de produits injecteacutes symbolisant une forme de violence
contre soi Bouhnik (1994) rejoint en partie cette perspective dans la
classification qursquoelle propose en distinguant un type de configuration
biographique baseacute sur la continuiteacute de lrsquoalcoolisme du pegravere agrave la toxico-
manie du fils Mais ce type nrsquoeacutepuise pas la varieacuteteacute des cheminements et
la citation ci-dessus amegravene aussi agrave prendre en compte les conditions de
socialisation des adolescents et leur diffeacuterenciation selon les sexes dans ce
contexte social
La preacutesence des filles dans la rue est en effet peu importante Il
semble que rares sont celles qui consomment ou revendent de lrsquoheacuteroiumlne
dans les quartiers eacutetudieacutes
15
Lrsquoune des explications donneacutees par les enquecircteacutes
quand on leur pose la question reacuteside dans la surveillance effectueacutee par
les fregraveres les fratries nombreuses et lrsquointerconnaissance favorisent cette
15 Contrairement agrave la situation observeacutee aux Eacutetats-Unis ougrave la combinaison de divers fac-teurs structurels a contribueacute agrave la monteacutee en puissance des femmes dans lrsquoorganisationde revente de la cocaiumlne (Fagan 1995) on nrsquoobserve pas de pheacutenomegravene comparabledans les quartiers que nous avons eacutetudieacutes en reacutegion parisienne
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forme de controcircle communautaire Cela ne signifie pas que ce pheacuteno-
megravene nrsquoexiste pas dans les quartiers eacutetudieacutes il est simplement plus diffus
et cacheacute Certaines femmes envoient leurs proches srsquoapprovisionner
drsquoautres neacutegocient avec les
dealers
pour obtenir le produit contre des
relations sexuelles La prostitution si elle semble limiteacutee existe mais
davantage en direction de Paris que dans les quartiers En ce qui concerne
le
deal
certaines femmes apparaissent comme de veacuteritables figures connues
dans tout le deacutepartement Lrsquoune drsquoelles est issue drsquoune famille dont
lrsquoimplication dans le trafic est notoire un de ses fregraveres qui revendait de
lrsquoheacuteroiumlne est mort dans des circonstances eacutetranges apregraves son interpella-
tion par la police un autre a eacuteteacute condamneacute agrave sept ans de prison pour
trafic lrsquoaicircneacute a eacuteteacute condamneacute agrave cinq ans pour une affaire mixte Si cette
femme est bien connue dans le quartier et les communes voisines cela
teacutemoigne de lrsquoeacutetroitesse de ce petit monde de la drogue
Par contre bon nombre drsquoobservations nous indiquent que ces
conduites illicites srsquoinscrivent dans la continuiteacute du mode de vie des jeunes
garccedilons des citeacutes Prenons lrsquoexemple paradigmatique de ceux que nous
appellerons pour reprendre leur propre deacutesignation les laquo Nanterriens
16
raquo
Ces jeunes garccedilons issus de familles immigreacutees en particulier algeacuteriennes
ont grandi dans la commune de Nanterre au milieu des bidonvilles puis
dans les citeacutes de transit au cours des anneacutees 1960 et 1970 Ils suivent agrave
peu pregraves normalement leur scolariteacute dans lrsquoenseignement technique
jusqursquoagrave 16 ou 17 ans passent leur CAP et commencent agrave faire des petits
boulots Crsquoest alors qursquoils freacutequentent les quartiers parisiens de Pigalle et
de Barbegraves la rue Montmartre lrsquoOpeacutera pour peu agrave peu srsquoinscrire dans un
style de vie marginal
Jrsquoai connu un homosexuel qui eacutetait un peu voyou un peu deacutelinquant tuvois Crsquoeacutetait un cambrioleur Jrsquoai commenceacute agrave faire ccedila avec luihellip Et puispar la suite on a continueacute entre copains On allait voler on avait delrsquoargent on trouvait que crsquoeacutetait trop facile Au deacutebut on srsquoachetait desfringues on allait en boicircte de nuit On faisait beaucoup drsquoargent avec lesmachines de la RATP les machines dans le RER On trouvait que crsquoeacutetaitvraiment un jeu drsquoenfant il suffisait de casser une machine et on trouvait10 000 20 000 F
[en anciens francs] juste en piegraveces Crsquoeacutetait vraimentfacile et ccedila a dureacute un moment [hellip] Et puis agrave cette eacutepoque-lagrave on acommenceacute on eacutetait une bande de copains on vagabondait on dormaitpas des fois on passait des nuits en boicircte de nuit Pendant des jours on
16 laquo Nous on sait qursquoon a veacutecu agrave Nanterre on a grandi ici mecircme si on a deacutemeacutenageacute mecircme si on ahabiteacute Vanves Anthony ou dans les alentours on est toujours des Nanterriens trop de nous-mecircmes raquo Sur la constitution de lrsquoidentiteacute locale dans ce cas preacutecis voir Seacutegalen (1990)
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44 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rentrait pas agrave la maison Quand je rentrais agrave la maison crsquoeacutetait monpegravere il mrsquoengueulait il me frappait alors bon jrsquoeacutevitais de rentrer jrsquoessayaisde me deacutemerder je pensais qursquoon allait pouvoir srsquoen sortir tout seul(14 avril 1999)
Crsquoest dans les boicirctes de nuit parisiennes que ce groupe de copains
commence agrave consommer de lrsquoheacuteroiumlne laquo par hasard raquo pour reprendre leur
terme
Apregraves on a commenceacute agrave toucher agrave la came Crsquoeacutetait en boicircte de nuit je mesouviens on buvait pas drsquoalcool on eacutetait vraiment pas attireacute par lrsquoalcoolon fumait que du hasch agrave cette eacutepoque-lagrave Et puis un jour on eacutetait enboicircte on nrsquoa pas trouveacute de haschich et il y a un type qui nous a proposeacutede la laquo blanche raquo On eacutetait encore naiumlf on ne savait pas trop ce que crsquoeacutetaitOn srsquoest un peu concerteacute entre copains Y en a un qui disait laquo oui on vaen prendre raquo il y en avait un autre qui disait laquo non raquo Et puis toutcompte fait on en a pris Ccedila a commenceacute comme ccedila
Crsquoeacutetait de lrsquoheacutero
Ouais crsquoeacutetait de lrsquoheacutero Ccedila a commenceacute comme ccedila On a sniffeacute ccedila Il y ena qui se sont sentis mal Moi non plus je ne mrsquoeacutetais pas senti tregraves bien lapremiegravere fois Peut-ecirctre un mois ou quinze jourshellip je ne sais pas tropcombien de temps apregraves on a commenceacute agrave renouveler lrsquoopeacuteration Petit agravepetit on a aimeacute ccedila Au deacutebut crsquoeacutetait que les fois ougrave on allait en boicircte endehors quand on eacutetait dans la citeacute les jours de la semaine on nrsquoy pensaitpas Il y en avait pas dans notre quartier crsquoeacutetait pas comme maintenantAvant fallait vraiment ecirctre brancheacute il fallait aller en boicirctes de nuit agraveParis dans les cafeacutes fallait vraiment connaicirctre Nous on connaissait quece plan-lagrave crsquoeacutetait en boicircte de nuit Un Tunisien qui vendait la came(14 avril 1999)
Que srsquoest-il passeacute pour que brusquement entre 16 et 19 ans Abdellah
Nordin Mohamed mais aussi Pascal et Laurent et bien drsquoautres parfois
plus jeunes encore deviennent toxicomanes au tournant des anneacutees 1980
Faut-il incriminer lrsquoeacutecole dans la genegravese de la toxicomanie Est-ce plus
largement la logique sociale de lrsquoimmigration qui a conduit agrave la margina-
lisation de ces laquo enfants illeacutegitimes raquo (Sayad 1991) Quelle place accorder
agrave des facteurs contextuels tels que les logiques de lrsquooffre et le redeacuteploie-
ment de lrsquoeacuteconomie de la drogue
223 DE LrsquoUSAGE Agrave LA REVENTE
Au deacutebut des anneacutees 1980 les laquo banlieues raquo font parler drsquoelles mais la
drogue et lrsquoheacuteroiumlne en particulier nrsquoy ont pas la place qursquoelles occuperont
quelques anneacutees plus tard Durant cette peacuteriode le quartier de la rue
Montmartre situeacute dans le IXe arrondissement est un des hauts lieux de
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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la nuit parisienne avec ses boicirctes de nuit ceacutelegravebres dans les milieux bran-
cheacutes Dans la rue se cocirctoient touristes et pickpockets laquo gays raquo des beaux
quartiers et jeunes laquo beurs raquo des citeacutes deacutefavoriseacutees Ces derniers sont
encore des usagers occasionnels qui font la fecircte et ne connaissent pas
drsquoautres laquo plans raquo Crsquoest toute la diffeacuterence avec leurs laquo petits fregraveres raquo qui
eux nrsquoauront pas besoin drsquoaller agrave Paris pour acheter leur paquet dispo-
nible sur le marcheacute du laquo coin de la rue raquo
Le passage du trafic des quartiers parisiens vers les citeacutes de banlieue
va se faire progressivement (Fatela 1992) Une note sur la toxicomanie
reacutedigeacutee en 1983 par un chargeacute de mission aupregraves du secreacutetaire drsquoEacutetat
aux affaires sociales souligne que si lrsquoheacuteroiumlne est preacutesente parmi les
jeunes depuis plus de dix ans laquo on assiste depuis trois ans agrave une veacuteritable
flambeacutee de cette forme de toxicomanie raquo Et de preacuteciser les transforma-
tions du marcheacute
Les lieux de vente sont situeacutes principalement au coin de la rueMontmartre et du boulevard Montmartre agrave Belleville aux laquoQuatreTempsraquo de La Deacutefense au-dessus de la patinoire mais depuis quelquetemps les revendeurs ne cegravedent leur marchandise que par quantiteacutede 5 grammes On assiste donc agrave la naissance de petits revendeurs(dealers) qui vendent dose par dose aux laquo Quatre Temps raquo de LaDeacutefense et dans toutes les citeacutes concerneacutees Dans une citeacute de Nanterrele trafic serait beaucoup plus important17
Un usager-revendeur aujourdrsquohui acircgeacute de 42 ans qui a commenceacute agrave
consommer agrave lrsquoacircge de 16 ans deacutecrit ce processus Un rien nostalgique il
souligne la modification des pratiques et des valeurs qui les sous-tendent
Avant tu trouvais pas de came en banlieue Crsquoeacutetait Belleville ou rueMontmartre ou lrsquoIcirclocirct-Chalonshellip Crsquoest depuis les anneacutees 1980 que laschnouf elle arrive en banlieue Apregraves ccedila a commenceacute agrave arriver agrave LaFourche Brochant18 tout ccedila lagravehellip [hellip] Ah moi je lrsquoai vu arriver parce queje vais te dire un truc bon avant tu allais tu faisais ton cambriolage outon petit braquo de merde lagrave tu montais agrave Paris tu achetais ta dose Maismaintenant crsquoest plus ccedila Tu descends de chez toi euh vider la poubelleben voilagrave Devant ton vide-ordures trsquoas un type en train de se piquer parceqursquoagrave cocircteacute agrave cocircteacute lrsquoautre il lui vend de la schnouf Tu vois y a eu situ veux une autre forme de deacutelinquance crsquoest pour ccedila que je dis nous agravenotre eacutepoque crsquoeacutetait pas pareil On allait chercher notre argent (30 sep-tembre 1996)
17 Note sur la toxicomanie dans les Hauts-de-Seine ministegravere des Affaires sociales 1983
18 Crsquoest-agrave-dire sur la ligne de meacutetro desservant la proche banlieue Nord-Ouest de Paris
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46 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Crsquoest dans ce contexte de bouleversement de lrsquooffre que srsquoinscrivent
les parcours des personnes rencontreacutees Srsquoinstallant dans un processus de
deacutependance (Ingold 1985) elles sont interpelleacutees et condamneacutees agrave des
peines de prison ferme apregraves avoir eacuteteacute incarceacutereacutees comme mineures Crsquoest
le cas drsquoAbdellah qui est condamneacute agrave quinze mois de prison pour vol agrave
lrsquoacircge de 20 ans
Je suis sorti en 1982 en pleine forme et je pensais vraiment dans ma tecircteque jrsquoallais pas retoucher agrave la came Et quand je suis sorti je voyais qursquoily avait tellement de fric agrave faire lagrave-dedans [ la revente ] je me suis dit aulieu de voler et de prendre de lrsquoargent pour aller en acheter je vais acheterde la came par cinq grammes par dix grammes et puis je vais essayer devoir les types qui en veulent Jrsquoai commenceacute agrave vendre
Sur ton quartier
Ouais sur mon quartier sur ma ville crsquoeacutetait en 1982 En sortant deprison jrsquoai commenceacute agrave vendre Au deacutebut ccedila marchait bien crsquoest malheu-reux agrave dire mais ccedila marchait bien Crsquoest fou lrsquoargent que ccedila ramegravene Ccedilaramenait beaucoup drsquoargent (14 avril 1999)
Il nrsquoest plus question de faire un ou deux cambriolages par mois
avec la consommation drsquoheacuteroiumlne les besoins financiers augmentent La
revente apparaicirct comme une ressource pour ceux qui ont eacuteteacute incarceacutereacutes
agrave plusieurs reprises Drsquoautres ne revendent pas dans leur quartier ougrave agrave
cette eacutepoque la pression des grands fregraveres est encore forte pour eacuteviter
le deal de rue et lrsquoafflux de toxicomanes de la rue Montmartre ougrave ils
srsquoapprovisionnent ils se rendent aux laquo Quatre-Temps raquo agrave La Deacutefense lieu
de rencontre de nombreux usagers drsquoheacuteroiumlne accessoirement laquo tireurs raquo
(pickpockets) faisant les poches ou les sacs des passants dans les escaliers
meacutecaniques Jusqursquoau moment ougrave ces activiteacutes illicites sont jugeacutees intoleacute-
rables au sein de ce nouveau quartier drsquoaffaires et ougrave les opeacuterations de
police se multiplient alors qursquoagrave la mecircme peacuteriode le squat de lrsquoIcirclot-Chalons
est fermeacute Reacutesultat indirect et bien connu le marcheacute se deacuteplace et se
restructure dans les citeacutes de la proche banlieue
Cela dit tout le monde ne revend pas Certains mecircme lrsquoaffirment
avec force lors des entretiens Crsquoest le cas de Bruno qui tire ses ressources
de vols simples laquo Je nrsquoai pas la mentaliteacute pour dealer raquo dit-il pour trouver sa
came il va laquo fouiller raquo au petit matin les cages drsquoescalier des immeubles
de son quartier en quecircte des paquets cacheacutes par les laquo petits jeunes raquo Autre
exemple celui drsquoAbdelmaleck qui commence agrave fumer du cannabis agrave 15 ans
et agrave sniffer de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans en boicircte avec les autres rue Montmartre
Non je ne voulais pas parce que jrsquoavais peur [hellip] Drsquoabord alors questionmoi les grands fregraveres et tout ils mrsquoont fait ils mrsquoont preacutevenuhellip laquo On nrsquoapas inteacuterecirct agrave entendre dire que trsquoes en train de revendre de la came ou untruc comme ccedila raquo Moi vendre agrave quelqursquoun que je connais jrsquoavais peur de
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de si je me mettais agrave ccedila que le mec il fait une OD [overdose] Trsquoimagi-nais le mec que je connais depuis lrsquoenfance agrave cause de moi il me deman-dait un paquet il tapait une ODhellip Je pouvais pas vendre agrave quelqursquounque je connais mecircme vendre agrave nrsquoimporte qui mecircme que ce soit quelqursquounque je ne connais pas Jrsquoai jamais vendu de la drogue jrsquoai jamais dealeacutemecircme que ce soit lrsquoheacutero ou le shit (19 mars 1997)
La pression des grands fregraveres mais aussi celle des familles (laquo lesparents on se connaicirct ccedila va faire des problegravemes de famille graves raquo) opegravere
comme un mode de controcircle socieacutetal pour reprendre le terme de Castel
et Coppel (1991) On peut y voir la morale du deacuteviant (Ogien 1996)
Celle-ci peut valoir pour lrsquoheacuteroiumlne qui est perccedilue comme la drogue par
excellence et non pour le cannabis Mais il y a des arrangements avec la
morale selon les situations
Jrsquoai jamais vendu de drogue Enfin tout petit agrave la citeacute jrsquoai vendu desbarrettes pour la fin de la semaine aller en boicircte de nuit payer agrave notrenana faire rentrer quand mecircme un peu de tunes comme la plupart desjeunes En ce moment ils fonthellip mais ils font pas ccedila avec du shit ils fontccedila avec de la drogue dure Moi je me rappelle un moment quand on eacutetaitpetit on vendait du shit mais les grands qui venaient ils nous disaient laquo Voilagrave par rapport agrave votre shit moi je vous donne quelque chose vous mela vendez je vous rabats les clients raquo Et agrave la fin agrave la fin de la semainemecircme pas agrave la fin de la soireacutee je reacutecupeacuterais les sous mais agrave la fin de lasemaine je faisais dans les 400 000 [4000 F] Alors 400 000 agrave lrsquoeacutepoquecrsquoeacutetaient trois millions [30 000 F] aujourdrsquohui On eacutetait heureux Onprenait les 400 000 on allait chez nous on donnait 1 000 balles agrave nosparents ils les acceptaient ils nous disaient laquo Ougrave vous les avez eus raquoOn disait laquo Ah on les a voleacutes raquo Mais en sachant ccedila mecircme srsquoils eacutetaientdans la religion mecircme srsquoils avaienthellip ils faisaient leurs priegraveres et tout ilsavaient un pardon parce que crsquoeacutetaient pas eux qui venaient drsquoaller volerMais par rapport agrave ccedila on arrivait agrave vivre agrave payer notre loyer Mais euhhellipde fil en aiguille on est arriveacute agravehellip agrave ccedila Agrave se retrouver toujours dans lesmecircmes milieux en sachant que crsquoeacutetait mal mais on nrsquoavait pas le choixhellip(26 mars 1997)
On touche lagrave un point sensible des carriegraveres dans le trafic la redis-
tribution des gains dans le milieu familial Beaucoup de rumeurs circulent
sur lrsquoargent de la drogue qui ferait vivre les citeacutes en tout cas des familles
entiegraveres Dans tous les entretiens reacutealiseacutes ici ou lagrave la plupart de nos inter-
locuteurs nuancent cette vision des choses laquo nos parents nrsquoauraient jamaisaccepteacute de lrsquoargent sale raquo Ce qui nrsquoempecircche pas toutes sortes de subterfuges
ou de ruses ni des arrangements au sein de la fratrie afin de satisfaire aux
deacutesirs des petits fregraveres ou des petites sœurs
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48 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
224 UNE VULNEacuteRABILITEacute STRUCTURELLE
Agrave un moment donneacute les usagers ou revendeurs drsquoheacuteroiumlne qui ont grandi
dans ces quartiers pauvres sont pris dans ce qursquoils appellent un laquoengrenageraquo
ou un laquo systegraveme raquo Un premier dilemme se preacutesente agrave eux pour financer
leur consommation voler ou revendre Pour les filles la prostitution peut
constituer un autre choix possible bien que rarissime dans les quartiers
observeacutes Quoi qursquoil en soit le risque drsquoecirctre interpelleacute pour usage vol ou
revente nrsquoest pas neacutegligeable dans ce contexte urbain de mecircme que ce
faisant celui drsquoecirctre incarceacutereacute agrave mesure que cette seacutequence se reacutepegravete Il
en reacutesulte un style de vie rythmeacute par la reacutepeacutetition drsquoune mecircme seacutequence
interpellationprisonsortie preacutecairereprise de la consommation etc
Dans certains cas cette seacutequence peut se reacutepeacuteter six ou sept fois durant
des anneacutees Crsquoest dire que lrsquoexpeacuterience de vie est ponctueacutee par les alleacutees
et retours en prison la prison faisant partie inteacutegrante drsquoune trajectoire
plutocirct qursquoelle ne constitue une rupture (Bouhnik et Touzeacute 1996) Mais
cela nrsquoest pas suffisant pour rendre compte des meacutecanismes qui concourent
au bout du compte agrave la vulneacuterabiliteacute structurelle (Bourgois 2001) des
toxicomanes des citeacutes Lrsquoanalyse des effets conjugueacutes des logiques institu-
tionnelles et des logiques territoriales permet drsquoen rendre compte
Dans ce processus la logique peacutenale est centrale Entreacutes dans cette
phase de leur carriegravere ces individus ne sont plus seulement deacutesigneacutes
socialement comme laquo toxicomanes raquo dans leur face-agrave-face avec les policiers
magistrats et intervenants speacutecialiseacutes ils sont deacutefinis comme laquo multireacuteci-
divistes raquo ndash jusqursquoagrave reprendre agrave leur propre compte pour certains drsquoentre
eux ce marquage institutionnel comme ils ont inteacuterioriseacute leur identiteacute
de laquo toxicomanes raquo La plupart des entretiens meneacutes en prison tant agrave
Nanterre qursquoagrave Lille ont eacuteteacute effectueacutes avec cette cateacutegorie de deacutetenus Si
lrsquoon reprend les cas drsquoAbdellah et de Bruno le premier neacute en 1961 a eacuteteacute
condamneacute 17 fois entre 1977 et 1998 le second neacute en 1963 a eacuteteacute condamneacute
pregraves de 20 fois entre 1981 et 1999 On sait que la logique des laquo preacuteceacutedents raquo
pegravese lourd dans le traitement peacutenal (Faugeron 1991) en particulier pour
ce qui concerne les infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants (Guillain
et Scohier 2002) Elle se traduit par une expeacuterience de la justice peacutenale bien
particuliegravere engendreacutee par la preacutegnance des critegraveres socio-individuels
(origine sociale nationaliteacute) et lrsquolaquo effet casier raquo
Le temps passeacute en prison est bien eacutevidemment un facteur puissant
de reacutecidive La plupart des toxicomanes des anneacutees 1980 intervieweacutes
lorsqursquoils nrsquoont pas connu la prison comme mineurs ont eu une expeacute-
rience preacutecoce des institutions disciplinaires (depuis les centres de lrsquoAssistance
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publique jusqursquoaux maisons de correction) Certains racontent le choc
que leur a fait la prison non pas tant dans sa mateacuterialiteacute mais paradoxa-
lement comme prolongement de la citeacute
Ccedila mrsquoa fait un choc sur le coup [hellip] Yrsquoavait tout le monde yrsquoavait tousles copains [hellip] deacutejagrave on eacutetait tous unis alors on se retrouve en prisoncomme si on eacutetait dans la citeacute mais tous enfermeacutes Et la plupart du tempson eacutetait jeunes on savait qursquoon nrsquoallait pas rester longtemps (19 mars1997)
Plus geacuteneacuteralement on sait depuis Foucault (1975) que la prison est
une machine agrave produire de la deacutelinquance et par lagrave un lieu de socialisa-
tion laquo deacuteviante raquo Ce qui se transmet et srsquoapprend ce sont des faccedilons de
faire les codeacutetenus parlent beaucoup des coups qursquoils ont faits et de
ceux qursquoils recircvent de faire comment faire son argent voler eacutechanger
revendre ougrave aupregraves de qui etc Par lrsquointermeacutediaire des personnes ren-
contreacutees en deacutetention lors des promenades en particulier un savoir pra-
tique se constitue et se diffuse En matiegravere de trafics si lrsquoon procegravede par
recoupement avec le contenu des dossiers judiciaires ou drsquoautres entre-
tiens les reacutecits sur les passages agrave la frontiegravere franco-belge les marcheacutes de
la meacutetropole lilloise le fonctionnement des reacuteseaux de trafic depuis le
Maroc via lrsquoEspagne sont drsquoun grand reacutealisme Or dans la mesure ougrave ces
faits deacutepassent le cadre territorial des quartiers eacutetudieacutes ils peuvent nrsquoavoir
eacuteteacute connus qursquoen prison ndash en tout cas on peut en faire lrsquohypothegravese
Un autre meacutecanisme institutionnel qui contribue agrave la construction
sociale du multireacutecidivisme est lrsquoemprise des dettes Au deacutebut du premier
des quatre entretiens reacutealiseacutes avec Bruno entre 1997 et 2000 srsquointerro-
geant sur les attentes du chercheur il adopte une posture proche du
sociologue en proposant une lecture tout agrave fait vraisemblable de sa carriegravere
Crsquoest sur le deacutemarrage comment on entre dans le systegraveme de la drogue quevous voulez savoir au fait ou pourquoi on y rentre Parce que moi je suismultireacutecidiviste et je ne sais pas pourquoi Agrave chaque fois que je sorshellipQuand je suis en prison jrsquoai toutes les dettes qui srsquoaccumulent quand ona un appartement le loyer il court et tout et quand on sort de prison enfait on est assommeacute par les dettes On nrsquoa pas une tune deacutejagrave quand onsort de prison et en plus tout le monde vous demande lrsquoargent que vous devez
Tout le monde crsquoest-agrave-dire
Crsquoest-agrave-dire le treacutesor public les HLM les creacutedits qursquoon avait pris avant derentrer en prison depuis six ans maintenant je sors jrsquoai envie de recom-mencer ma vie jrsquoavais un meacutetier dans les mains Mais [hellip] jrsquoai vraimentbesoin drsquoargent drsquoargent drsquoargent et je recommence agrave voler Et puis volercomme ccedila spontaneacutement non Faut prendre un petit truc une petite forcequi nous pousse agrave vouloir voler Et la force nous ma geacuteneacuteration agrave moion la trouve dans la came (26 mars 1997)
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50 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Lrsquoaccumulation des dettes fait donc partie de ces meacutecanismes produc-teurs drsquoemprise auxquels il faut ajouter les amendes douaniegraveres (Duprez et
Kokoreff 2000) Les effets sociaux de ces meacutecanismes engendrent une
double fragiliteacute Fragiliteacute drsquoune part des positions de ceux qui ont eacuteteacute
condamneacutes agrave de multiples reprises fragiliteacute professionnelle faute drsquoemploi
ou du fait drsquoune activiteacute preacutecaire (CDD [contrat agrave dureacutee deacutetermineacutee]
inteacuterim stages travail au noirhellip) peu reacutemuneacuteratrice et peu valorisante
fragiliteacute administrative pour les ressortissants de nationaliteacute eacutetrangegravere qui
rencontrent des difficulteacutes agrave renouveler leur carte de seacutejour sans parler
de ceux qui sont menaceacutes drsquoune expulsion du territoire national en tombant
sous le coup de la laquo double peine raquo Fragiliteacute drsquoautre part engendreacutee par
la capaciteacute drsquoattraction du systegraveme de vie structureacute autour des conduites
illicites dans les quartiers Cette capaciteacute drsquoattraction nrsquoest peut-ecirctre jamais
aussi manifeste que lors des sorties de prison En effet les laquo sortants raquo
apregraves une peacuteriode drsquoabstinence et de remise en forme se trouvent confron-
teacutes agrave toutes les sollicitations du quartier (produits trafics combines) Ils
ne peuvent pas ne pas retrouver leurs copains toujours dans la laquo came raquo
Ils finissent ainsi par en reprendre et par reacutepeacuteter les seacutequences analyseacutees
plus haut
Crsquoest la conjugaison de ces deux types de facteurs ndash la fragiliteacute sta-
tutaire induite par les contraintes de lrsquoadministration et du marcheacute du
travail drsquoune part et lrsquoattraction drsquoun style de vie fondeacute sur des pratiques
illicites drsquoautre part ndash qui permet aussi de rendre compte des rechutes et
rateacutes qui ponctuent les trajectoires de la toxicomanie Une illustration
concregravete de ce processus nous est fournie par Abdellah qui a gardeacute sa
nationaliteacute algeacuterienne agrave la diffeacuterence de ses fregraveres et sœurs Sorti de
prison en mars 1997 il ne trouve pas de travail
Jrsquoavais des problegravemes de papier pour qursquoils me donnent la carte de seacutejouret tout et puis bon de lagrave jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutemarches et tout etccedila mrsquoa vraiment bloqueacute parce qursquoils mrsquoenvoyaient de la Preacutefecture auConsulat et du Consulat ils mrsquoenvoyaient agrave la Preacutefecture Ccedila fait quejrsquoeacutetais en permanence avec un titre de seacutejour provisoire et puis bon pourfaire certaines deacutemarches administratives crsquoesthellip on galegravere quoi Trsquoas ledroit agrave rien Tu vas faire ta demande de RMI on te la refuse tu trsquoinscrisau chocircmage sans trsquoavertir bon on te radie Je commenccedilais agrave en avoirmarre et puis bon voilagrave crsquoest la galegravere tellement jrsquoeacutetais deacutegoucircteacute jrsquoaicommenceacute agrave freacutequenter des copains qui eacutetaient un peu dans la came crsquoesttoujours le mecircme systegraveme Crsquoest lagrave que jrsquoai recommenceacute agrave les freacutequenter petitagrave petit et puis de temps en temps ccedila a commenceacute jrsquoai commenceacute agrave toucheragrave la came et puis ccedila faithellip jrsquoen avais marre quoi La drogue crsquoest desvols crsquoest lrsquoargent crsquoest le bizness quoi En fin de compte jrsquoai rien faitquoi quand je regarde bien jrsquoai rien fait (15 deacutecembre 1998)
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Un an plus tard il sera agrave nouveau interpelleacute pour vol et condamneacute
agrave 18 mois de prison On ne peut donc pas se cantonner agrave invoquer les
proprieacuteteacutes pharmacologiques des substances consommeacutees pour rendre
compte des trajectoires des usagers drsquoheacuteroiumlne Intervient aussi la dimen-
sion sociale des pratiques en jeu crsquoest-agrave-dire laquo lrsquointeacutegration de lrsquoindividu
dans un milieu de toxicomanes [qui] le lie agrave un systegraveme drsquoobligations raquo
(Castel 1998 p 228) Cette dimension nrsquoeacutechappe pas agrave cette cateacutegorie
drsquousagers de drogues lorsqursquoils deacuteploient des strateacutegies drsquoeacutevitement agrave
lrsquoeacutegard de leurs anciens amis laquo qui ne parlent pratiquement que de ccedila raquo et
freacutequentent plutocirct ceux qui ne consommaient pas ou qui ont reacuteussi agrave
srsquoarrecircter encourageant les autres agrave sortir de ce systegraveme Autrement dit si
la toxicomanie dans les quartiers pauvres peut se comprendre comme une
forme de reacuteaffiliation puisque y eacutechapper crsquoest srsquoextraire des liens forts
qursquoelle noue les toxicomanes apparaissent comme des deacutesaffilieacutes par excel-
lence agrave un moment donneacute Tous ceux qui ont dix ans et plus drsquoancienneteacute
dans ce monde disent la difficulteacute de recommencer tout agrave zeacutero la tren-
taine passeacutee sans rien agrave eux agrave ecirctre sur un fil Bruno est un cas limite
laquo Jrsquoai plus rien qui mrsquoaccroche agrave la vie jrsquoai pas de femme jrsquoai pas drsquoenfants jrsquoaiplus de famille et je dois eacutenormeacutement drsquoargent alors crsquoest dur drsquoecirctre motiveacute raquo Il a
fait sa premiegravere postcure il y a deux ans agrave 35 ans avant de repartir apregraves
un eacutechec et une nouvelle arrestation-condamnation-incarceacuteration dans
une autre structure Il a choisi de preacuteparer sa sortie en participant agrave un
programme de substitution au Subutex en deacutetention alors que trois ans
auparavant il rejetait avec force cette solution
Crsquoest une autre particulariteacute de cette geacuteneacuteration drsquousagers son accegraves
aux structures de soins ndash speacutecialiseacutees ou pas ndash a eacuteteacute sacrifieacute agrave drsquoautres
enjeux alors mecircme qursquoelle a eacuteteacute particuliegraverement exposeacutee aux risques de
contamination du VIH (virus du sida) et du VHC (virus de lrsquoheacutepatite C)
Entre les logiques lourdes de lrsquoordre public et du peacutenal drsquoun cocircteacute et celles
du quartier de lrsquoautre peu de place a eacuteteacute laisseacutee agrave la prise en compte des
enjeux de santeacute publique et de preacutevention On ne srsquoeacutetonnera pas que
de leur cocircteacute les toxicomanes rencontreacutes aient longtemps cru qursquoils
pourraient srsquoen sortir tout seuls
Bon jrsquoai coupeacute avec la prison Tu me diras crsquoest pas la mecircme chose maisbon je ne sais pas Jrsquoai toujours cru que jrsquoarriverais agrave mrsquoen sortir toutseul en fait Michel Jrsquoai jamais eacuteteacute frapper agrave une porte drsquoune associationquelconque ou aller dans une postcure Jrsquoai toujours cru que jrsquoallais mrsquoensortir que le seul type qui pouvait mrsquoaider crsquoeacutetait moi-mecircme Le seul typequi pouvait me sortir de cette merde crsquoeacutetait moi avec du courage et de lavolonteacute surtout de la volonteacute Jrsquoai toujours cru ccedila Et puis maintenantjusqursquoagrave preacutesent je me rends compte que non il aurait fallu peut-ecirctre unsuivi theacuterapeutique voir des psychologues de temps en temps Je dis pas que
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52 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
ccedila aurait reacuteussi mais ccedila mrsquoaurait fait du bien et ccedila mrsquoaurait aideacute beau-coup Puisque jrsquoai jamais eacuteteacutehellip en fin de compte faire une postcure Laseule fois ougrave jrsquoai fait une sorte de cure crsquoest quand ma famille mrsquoa emmeneacuteen 85 ils sont partis en vacances en Espagnehellip Ma megravere leur a dit laquo Vouspouvez lrsquoemmener avec vous le laissez pas ici il va crever sinon raquo Jrsquoai eacuteteacuteavec eux et je suis resteacute pendant un mois lagrave-bas Le premier jour ccedila a eacuteteacutedur jrsquoeacutetais alleacute voir un meacutedecin Bon jrsquoai deacutecrocheacute et ccedila allait par lasuite Crsquoest la seule fois ougrave jrsquoai deacutecrocheacute en vacances Jrsquoavais eacuteteacute aussi uneautre fois en 83 Mais crsquoeacutetait avec des amis on se faisait envoyer de lacame par lettre pour te dire par la poste (28 mars 1997)
23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC AU COURS
DES ANNEacuteES 1990
Que sont devenus les membres de cette geacuteneacuteration ayant commenceacute agrave
consommer et agrave revendre de lrsquoheacuteroiumlne au deacutebut des anneacutees 1990 La
diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers on ne le reacutepeacutetera jamais assez a
eu des effets dramatiques laquo Jrsquoai eu des deacutecegraves qui mrsquoont suivi agrave longueur detemps raquo reacutepeacutetera lrsquoun laquo tous ceux de notre eacutepoque la plupart ils sont partis raquo
souligne un autre qui a perdu son fregravere et son cousin laquo mes amis ils onttous fini au cimetiegravere raquo dira encore un autre Bien que ce pheacutenomegravene soit
quasi impossible agrave quantifier de nombreuses familles ont eacuteteacute toucheacutees par
les effets conjugueacutes de lrsquoheacuteroiumlne et du sida laquo Survivants raquo laquo rescapeacutes raquo
laquo dinosaures raquo telles sont les expressions utiliseacutees dans les citeacutes pour deacutesi-
gner ceux qui ont eacutechappeacute aux surdoses au sida au suicide (reacuteel ou
deacuteguiseacute) Les laquo tox raquo qui approchent la quarantaine alternent des peacuteriodes
drsquoabstinence et des peacuteriodes ougrave ils sont laquo agrave fond dedans raquo vont et viennent
entre prison et quartier Malades le corps marqueacute habilleacutes pauvrement
on les nomme ici ou lagrave les laquo schlagues raquo ou les laquo gueux raquo ndash expressions
renouant eacutetrangement avec lrsquoancienne imagerie des vagabonds Degraves lors
on comprend qursquoils aient pu jouer la fonction drsquoimage repoussoir aupregraves
des nouvelles geacuteneacuterations Au moins un temps leur histoire a pu dissuader
ces derniegraveres de prendre massivement de lrsquoheacuteroiumlne
Le paradoxe crsquoest que ce processus nrsquoa pas empecirccheacute lrsquoessor du trafic
drsquoheacuteroiumlne puis de cocaiumlne entre le milieu des anneacutees 1980 et le milieu
des anneacutees 1990 On peut y voir lrsquoeffet drsquoune strateacutegie drsquoordre public visant
agrave laquo nettoyer raquo la ville-centre et ses espaces publics et agrave cantonner les mar-
cheacutes de la drogue dans les quartiers peacuteripheacuteriques Mais crsquoest aussi le biznessqui a changeacute dans cette peacuteriode Si drsquoapregraves nos informateurs de terrain
ceux qui controcirclent les marcheacutes sont agrave peu pregraves les mecircmes qursquoil y a dix
ans les modes drsquoorganisation sont devenus plus complexes Une triple
transformation est survenue un redeacuteploiement drsquoeacutechelle du trafic qui de
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micro-locale est devenue deacutepartementale voire interdeacutepartementale avec
la constitution de reacuteseaux de trafics beacuteneacuteficiant de supports logistiques et
sociaux varieacutes le deacuteveloppement des polytrafics (heacuteroiumlne cocaiumlne ou
crack speed Subutex) visant agrave srsquoadapter agrave la concurrence et agrave la tendance
persistante agrave la polyconsommation de produits drsquousage illicite et licite
lrsquoeacutemergence agrave cocircteacute des logiques de quartier de logiques baseacutees sur le
caiumldat avec des modes drsquoaction et de repreacutesentation eacutevoquant fortement
les mafias Par ailleurs ceux qui participent au deal (rabatteurs guetteurs
revendeurs transporteurs etc) semblent plus souvent des non-usagers atti-
reacutes agrave la fois par un motif eacuteconomique et par la mythologie entourant le
laquo dealer des citeacutes raquo Demeurant bien plus lucratifs que le marcheacute du can-
nabis souvent plus artisanal et atomiseacute les marcheacutes de lrsquoheacuteroiumlne et de la
cocaiumlne ont ainsi tireacute parti des ressources offertes par cette armeacutee de
reacuteserve de jeunes sans avenir deacutescolariseacutes sous influence chocircmeurs ou
travailleurs preacutecaires avides de prendre place dans la socieacuteteacute de consom-
mation et de srsquoen approprier les signes les plus valoriseacutes Bref on est passeacute
drsquoune logique drsquoautofinancement de la consommation agrave une logique
marqueacutee par une professionnalisation du trafic Du coup de nouveaux
cheminements et strateacutegies se dessinent qursquoil nous faut maintenant deacutecrire
231 SCEgraveNES DE REVENTE
Ce qui est remarquable crsquoest la tension qui regravegne sur les lieux de deal et
plus encore le durcissement des eacutechanges entre usagers et dealers On
pourrait multiplier les citations faisant eacutetat de lrsquoinsolence du manque de
respect de la violence verbale ou physique agrave lrsquoeacutegard des usagers (laquo un tox
il faut lrsquoinsulter raquo) Et les observations sur le terrain confirment largement
cette tension palpable et le climat de suspicion que renforcent les inter-
ventions policiegraveres On peut interpreacuteter ces situations comme lrsquoun des
effets des transformations du trafic Ainsi il y a drsquoun cocircteacute les toxicomanes
qui sont affaiblis par le manque les pressions policiegraveres les maladies des
conditions de vie preacutecaires reacuteduits agrave des rocircles subalternes dans la deacutelin-
quance (intermeacutediaires rabatteurs voleurs receleurs occasionnels) por-
tant les stigmates de la deacutegradation et perccedilus comme indeacutesirables dans les
citeacutes de lrsquoautre il y a les revendeurs animeacutes par lrsquoappacirct du gain agressifs
voire meacuteprisants agrave lrsquoeacutegard de leurs clients peu sociables ou compreacutehensifs
refusant de neacutegocier les prix ou les quantiteacutes ce qui les rend aussi plus
vulneacuterables les usagers ayant moins de scrupules agrave les balancer La concur-
rence srsquoest accrue la preacutesence policiegravere aussi laquelle peut ecirctre instru-
mentaliseacutee de diverses maniegraveres19
19 Pour une analyse plus deacuteveloppeacutee de cet aspect des rapports sociaux du trafic voirnotre article (Kokoreff 2000)
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Afin de rendre plus sensibles les changements qui se sont opeacutereacutes
arrecirctons-nous sur ces deux scegravenes de transaction dans la mecircme citeacute telles
qursquoelles sont deacutecrites par Bruno La premiegravere se passe au milieu des
anneacutees 1980
Ben trsquoavais les mecs qui avaient 20 ans qursquoavaient leur came et puistrsquoavais leurs petits fregraveres qui avaient 10 11 ans [hellip] Degraves qursquoils voyaientune voiture arriver comme ccedila tous les petits ils se battaient crsquoest agrave celuiqui courrait le plus vite Ils disaient laquo Crsquoest mon client crsquoest mon client raquoLe petit jeune il courait voir son fregravere et son fregravere entre-temps il preacuteparaitdeux paquets et quand toi tu arrivais il te disait laquo Tiens ccedila y est tiensmais va-t-en va-t-en raquo Il fallait vite que tu trsquoen ailles (26 mars 1997)
La deuxiegraveme scegravene a lieu dix ans plus tard Du deal agrave ciel ouvert on
est passeacute agrave un dispositif ougrave les revendeurs agissent masqueacutes (dans les caves
les escaliers) et armeacutes ce qui rend plus difficile leur identification par les
usagers et lrsquoaction de la police On les appelle les laquo Ninjas raquo
Tu fais la queue dans hellip tu sais le grand bacirctiment qui est en face le mienalors ils attendaient qursquoil y ait au moins trente toxicos qui attendent dansles escaliers puis drsquoun seul coup tu voyais deux dealers arriver alorslrsquoextincteur la lacrymogegravene la batte de baseball le couteau tout ce qursquoilfaut et cagouleacutes
ndash Toi combien tu veux toi
ndash Moi je veux deux
ndash Tu preacutepares tes cinquante sacs
Tu lui donnais et il te donnait tes deux demis
ndash Casse-toi par lrsquoautre cocircteacute
ndash Il y avait la queue et trsquoavais trente toxicos qui passaient et voilagrave (15 deacutecembre 1998)
En est-on toujours lagrave Il conviendrait de prendre en compte plus
qursquoon peut ne le faire ici les changements intervenus dans lrsquoorganisation
du deal avec la banalisation des teacuteleacutephones portables Un simple coup de
fil suffit pour contacter un revendeur et se mettre drsquoaccord sur un lieu de
rendez-vous De la sorte les livraisons agrave domicile peuvent ecirctre favoriseacutees
Crsquoest une situation intermeacutediaire deacutecrite par Mourad dont on abordera
plus loin lrsquoitineacuteraire
Vous faisiez tout vous-mecircme
Oui je faisais tout moi-mecircme Jrsquoaimais bien preacuteparer
Y compris au deacutetail dans la rue
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Oui [hellip] je connaissais mecircmehellip sur le bip Jrsquoeacutetais fou jrsquoeacutetais un incons-cient Je vendais je leur disais je suis sur la came Il y en a qui me bipaientagrave 3 heures du matin Je leur donnais rendez-vous en face de chez moi dansle hall Je descendais en claquette en peignoir pour leur donner Jrsquoeacutetaisbarreacute je lacircchais rien
Vous faisiez tout
Tu veux 200 F je te donne 200 F tu veux 400 F je te donne 400 F Jeme deacuteplace jrsquoallais chez eux Ce nrsquoest pas eux qui se deacuteplaccedilaient Je suisun des premiers agrave avoir fait ccedila Maintenant tout le monde le fait
Ccedila majore les prix
Non mais ce qursquoil y a crsquoest que moi je pense qursquoil y a moins de risquesCrsquoest grilleacute dans la rue
Bien qursquoelles puissent ecirctre encore observables aujourdrsquohui ces scegravenes
de deal font entrevoir les modifications enregistreacutees depuis vingt ans dans
la revente au deacutetail Dans un premier temps crsquoest lrsquoinvisibiliteacute (de la rue
aux bacirctiments des halls et escaliers aux caves du face-agrave-face agrave lrsquoanonymat)
qui est rechercheacutee Dans un second temps crsquoest la mobiliteacute (des laquo plans raquo
des personnes) Sans ecirctre lineacuteaires ces modifications manifestent les capa-
citeacutes drsquoadaptation des acteurs du trafic et la labiliteacute de leurs rapports
drsquoeacutechange
232 LE RAPPORT AU PRODUIT
Un bon indice de ce processus de professionnalisation du trafic est le
rapport au produit Si dans le cas du cannabis usage et revente vont de
pair en matiegravere drsquoheacuteroiumlne de cocaiumlne ou de crack il nrsquoen va pas de
mecircme Participer au trafic drsquoune maniegravere ou drsquoune autre crsquoest drsquoabord
acceacuteder agrave des ressources financiegraveres dans un contexte de chocircmage de
masse et de preacutecariteacute cela devient un travail un job un bizness et parallegrave-
lement sur un plan symbolique une faccedilon drsquoacqueacuterir une bonne reacuteputa-
tion et drsquoecirctre quelqursquoun Mais ces deux exigences ne sont pas faciles agrave
associer agrave la consommation Selon une opinion freacutequemment entendue
il est incompatible de revendre et de consommer de lrsquoheacuteroiumlne
Prenons lrsquoexemple de Mounir que nous connaissions de vue dans
une citeacute avant de le revoir en deacutetention Il avait 24 ans au moment du
premier entretien reacutealiseacute avec lui Lorsqursquoon lui demande quels sont les
eacuteveacutenements qui ont fait qursquoil a rencontreacute le monde de la drogue il deacutecrit
lrsquoengrenage
Ccedila crsquoest au deacutebut trsquoes bien trsquoes agrave lrsquoeacutecole tout va pour le mieux si on peutdire Apregraves le jour ougrave tu te retrouves agrave la rue le fait drsquoavoir des amis laquo oh ccedilrsquouirsquolagrave il est bien habilleacute ccedilrsquouirsquolagrave il a plus drsquoinfluence raquo les gens qui
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56 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
fument le shit bon tu commences agrave fumer un petit peu agrave goucircter apregravescrsquoest un engrenage tu rentres dedans tu commences agrave fumer de plus enplus apregraves tu mets de lrsquoargent pour trsquoacheter des affaires donc tu commencesagrave dealer apregraves la vie plus on approche de lrsquoan 2000 plus les temps sontdurs tu trsquoaperccedilois que le shit ccedila ne rapporte plus Crsquoest pas que ccedila nerapporte plus crsquoest que pour rapporter ccedila met trop longtemps et tu voistes amis agrave cocircteacute toi trsquoes en galegravere et eux en un rien de temps ils fontrentrer en deux journeacutees trois quatre briques Ccedila commence agrave travaillerdans la tecircte et apregraves agrave force tu te dis laquo Bon le shit mets-le de cocircteacute amegravenela came raquo Tu commences agrave dealer un petit peu juste de quoi te faire 500ou 1000 F 2000 F mecircme 4000 F et apregraves crsquoest un engrenage (11 avril 1997)
Cette entreacutee progressive dans la revente srsquoinscrit dans un processus
beaucoup plus geacuteneacuteral de diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers pauvres
qui attire un certain nombre drsquoindividus deacutejagrave impliqueacutes dans drsquoautres
trafics Lrsquoheacuteroiumlne est une marchandise plus que rentable crsquoest dans ce
sens que son arriveacutee a bouleverseacute les autres trafics (laquo elle a niqueacute le biznessde shit raquo) elle donne du mecircme coup un statut qui sort du commun des
petits revendeurs de cannabis Au cours de lrsquoentretien Mounir se preacutesen-
tera comme un dealer pas comme un consommateur20 Telle est la condi-
tion pour ne pas se deacutetruire la santeacute (ecirctre une laquo loque raquo) faire des affaires
(ne pas laquo couler raquo ni laquo aller faire nrsquoimporte quoi pour aller peacute-cho [ldquochoperrdquo] sacame raquo) et ecirctre respecteacute (laquo les tox les petits des dealers drsquoagrave cocircteacute je les mettais tousagrave lrsquoamende raquo)
Selon que lrsquoon ait affaire agrave des revendeurs de rue ou agrave leurs pour-
voyeurs le rapport au produit est diffeacuterent Pour reprendre les cateacutegories
indigegravenes les toxicomanes qui vendent ce sont des rabatteurs des laquo petits
dealers raquo sur une pile de dix ils revendent six ou sept laquo keacutepas raquo et en
gardent trois ou quatre pour leur consommation Les dealers eux ne
consomment pas sont joignables sur leur portable et vendent au gramme
peseacute Crsquoest un pheacutenomegravene encore plus remarquable agrave mesure que lrsquoon
srsquoeacutelegraveve dans la hieacuterarchie des trafiquants Par exemple ce Marocain de 47 ans
neacute dans la valleacutee du Riff poursuivi pour avoir joueacute un rocircle drsquointermeacutediaire
dans un important reacuteseau de trafic international de cannabis a commenceacute
agrave fumer le kif agrave 17 ans Mais au Maroc sa consommation srsquoinscrit dans un
tout autre contexte drsquousage En France Omar ne fume ni tabac ni cannabis
20 Lors de lrsquoinstruction de son affaire il adoptera la position inverse En deacutetention preacute-ventive pour une affaire drsquoheacuteroiumlne (dix doses trouveacutees agrave ses pieds cinq chez lui) ilminimisera son rocircle de dealer et se deacuteclarera consommateur aux policiers cela en vuedrsquoalleacuteger la sanction peacutenale Cette strateacutegie si elle teacutemoigne de la labiliteacute des statutsselon les situations vise bien eacutevidemment agrave eacutechapper agrave des sanctions lourdes
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il ne boit pas non plus drsquoalcool Il interdit agrave ses enfants de le faire parce
qursquoils sont trop jeunes pour se controcircler Crsquoest pour la mecircme raison qursquoagrave
un certain niveau de trafic la regravegle veut qursquoon ne consomme pas
Il y en a qui sont consommateurs Mais il y en a qui savent pas controcirclerMais crsquoest vrai que la plupart des vrais trafiquants ils ne fument pas[hellip] Ils ne doivent pas fumer Ils doivent travailler Ils doivent avoir latecircte fraicircche pour travailler Srsquoil fume il perd la tecircte Srsquoil sniffe ccedila y est ila plus de parole Moi si je vois quelqursquoun sniffer de la cocaiumlne je nrsquoaiplus confiance Il peut faire nrsquoimporte quoi Il propose des trucs qui sontnrsquoimporte quoi Il fait nrsquoimporte quoi Il peut aller tuer (3 juillet 1999)
La consommation notamment de cocaiumlne altegravere ce que Tarrius
(1997) appelle lrsquolaquo eacutethique des reacuteseaux raquo celle qui repose sur la confiance
en la parole donneacutee aux antipodes du modegravele contractuel Mais il en va
aussi de ce que lrsquoon pourrait appeler une eacutethique du travail bien fait
Normalement quelqursquoun qui vend qui trafique il ne doit pas faire celaIl ne doit pas fumer fumer pour consommer srsquoil veut Mais il ne doit pasfumer ou boire beaucoup Il faut ecirctre quelqursquoun de seacuterieux Il faut restersur son travail Crsquoest comme si vous alliez agrave lrsquousine vous travaillez aubureau Crsquoest pareil il faut avoir la tecircte Parce que les flics sont forts Doncil faut faire des plans pour srsquoen sortir Il faut avoir la tecircte si vous nrsquoavezpas de tecircte vous nrsquoallez pas travailler avec les pieds (9 juillet 1999)
233 LE TRAFIC COMME TRAVAIL
Lrsquoengagement dans le trafic local peut se comprendre comme un proces-
sus et reacutepondre agrave des motivations diverses selon les moments Les lyceacuteens
qui revendent des barrettes de shit dans leur eacutetablissement scolaire ou leur
quartier ne peuvent ecirctre assimileacutes aux chocircmeurs qui laquo font la survie raquo en
vendant quelques paquets drsquoheacuteroiumlne pour un laquo grand raquo de leur citeacute Ceux
qui revendent pour srsquoacheter des habits et sortir les filles ne sont pas dans
le mecircme laquo film raquo que ceux ou celles qui revendent pour faire un laquo coup raquo
(partir en vacances srsquoacheter une voiture subvenir agrave une dette aider le
retour clandestin drsquoun proche apregraves une expulsion du territoire) pas plus
que les uns et les autres ne peuvent ecirctre assimileacutes agrave ceux pour qui la
revente est lrsquoeacutequivalent drsquoun travail leur prenant la majeure partie de
leur temps
Revenons au parcours de Mounir abordeacute plus haut Issu drsquoune
famille algeacuterienne de cinq enfants Mounir avait 24 ans lorsque nous
lrsquoavons rencontreacute Son pegravere arriveacute agrave lrsquoacircge de 16 ans en France a termineacute
sa vie professionnelle comme chef de chantier Lorsque jrsquoai connu le fregravere
cadet de Mounir il eacutetait en terminale S puis il srsquoest inscrit en classes
preacuteparatoires (section scientifique) Sa sœur a eu un brevet de technicien
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58 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
supeacuterieur (BTS) en comptabiliteacute et travaille dans une grande entreprise
Un autre de ses fregraveres a eu un BTS en comptabiliteacute Seul son plus petit
fregravere acircgeacute de 13 ans est agrave la rue comme lui preacutecisera-t-il Drsquoougrave la question
deacutejagrave poseacutee agrave drsquoautres comment expliquer son parcours dans la deacutelin-
quance et la drogue alors que les autres srsquoen sont plutocirct bien sortis
Ben il faut dire franchement ce qui est moi je vois qursquoune reacuteponse crsquoestque quand jrsquoai commenceacute agrave deacutemarrer tout ccedila crsquoest que agrave mon avis crsquoestla tentation du diable et en plus crsquoest que je devais ecirctre trop influenccedilableEt peut-ecirctre tu sais quand trsquoes jeune histoire de jouer eacuteleacutegant aussi Ona peut-ecirctre de ccedila aussi Mais apregraves crsquoest mecircme plus ccedila Apregraves crsquoest ton jobApregraves crsquoest mecircme plus question de flamber ou un truc comme ccedila tu voistoi crsquoest ton job Crsquoest histoire de sauver ta peau de remplir ta pocheFranchement qursquoest-ce que tu veux que je foute Jrsquoai aucun diplocircme
Trsquoas arrecircteacute lrsquoeacutecolehellip
hellip en troisiegraveme technologie Jrsquoai aucun diplocircme Jrsquoai travailleacute un petit peuagrave droite agrave gauche des deux mois en inteacuterim des trucs comme ccedila Apregravesavec le placard quinze mois pour homicide je sors pendant cinq mois jetrouve rien Je retombe six mois je sors en provisoire je reste quatre moiset demi dehors je retourne trois mois je sors je reste un an je retombe(11 avril 1997)
En quelques phrases est reacutesumeacutee cette expeacuterience fragmenteacutee du
temps qui laisse peu de place agrave une position stabiliseacutee et rend illusoires
les projets drsquoinsertion Si les laquo raisons raquo invoqueacutees peuvent passer pour des
justifications leur inteacuterecirct est drsquoecirctre situeacutees dans le temps aux croyances
(la tentation du diable) et traits de caractegravere (ecirctre influenccedilable) succegravede
la neacutecessiteacute celle faisant de la revente un moyen de survie faute de for-
mation Comment trouver un travail leacutegal face au racisme des employeurs
et aux effets du stigmate judiciaire Tel est le dilemme de bien des jeunes
des quartiers pauvres
Au-delagrave de la mythologie du trafiquant professionnel on connaicirct
assez mal les strateacutegies deacuteployeacutees par les petits revendeurs non pas seule-
ment pour survivre mais pour rendre coheacuterentes aspirations et ressources
Aujourdrsquohui plus que jamais le trafic est geacuteneacutereacute par une ambition de ne
pas travailler agrave lrsquousine Il y a cette volonteacute drsquoeacutechapper aux conditions de
vie qui furent celles des parents laquo Nous nos parents se sont fait exploiterNous crsquoest finihellip raquo Mais en mecircme temps on retrouve le travail dans le
trafic Un acteur local remarque laquo La strateacutegie des jeunes qui ont 20 ans crsquoest
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ldquoon met de cocircteacute Comme ccedila dans dix ans on prend un boulot pourri mais au moinson aura ce qursquoil fautrdquo raquo Ce que dit drsquoune autre maniegravere Mourad petit
revendeur devenu fournisseur
On ne vend pas de la drogue pour le plaisir Agrave la rigueur celui qui vendde la drogue il a raison drsquoessayer de faire sa vie drsquoessayer de mettre de cocircteacutele plus rapidement possible pour deacutemarrer la vie Se lancer dans quelquechose de concret de droit Bon il y en a qui ne peuvent faire que ccedila21
(26 juillet 1999)
234 AVOIR LrsquoESPRIT ENTREPRENEUR
Mourad offre une variante assez inteacuteressante de ces cheminements dans
le trafic moins caracteacuteriseacutes par une logique de marginalisation que par
une logique entrepreneuriale Acircgeacute de 23 ans lors de nos premiegraveres ren-
contres il est issu drsquoune famille drsquoenseignants Drsquoorigine algeacuterienne il a
grandi agrave Issy-les-Moulineaux avec ses deux sœurs ses parents sa grand-
megravere et sa tante loin de lrsquounivers des citeacutes Agrave lrsquoadolescence il deacutemeacutenage
dans une commune proche qui a mauvaise reacuteputation Il poursuit sa sco-
lariteacute au lyceacutee jusqursquoau bac et lui-mecircme se qualifie de laquo bon eacutelegraveve raquo Peu
inteacutegreacute dans un quartier qursquoil ne connaicirct pas il se met agrave freacutequenter par
lrsquointermeacutediaire de la sœur de sa meilleure amie les jeunes des halls de sa
citeacute qui revendent du cannabis Agrave ce moment une rupture profonde
survient dans son existence avec le meurtre de sa megravere par son pegravere qui
lui-mecircme se suicidera quelques mois apregraves en deacutetention On est en 1995
Mourad a tout juste 18 ans Crsquoest peu apregraves qursquoil commence agrave revendre
du cannabis dans son eacutetablissement scolaire Pour autant il reacutefute toute
interpreacutetation psychologique attribuant au drame familial la cause de son
entreacutee dans la deacutelinquance laquo Crsquoest par palier que crsquoest arriveacute En deux ansjrsquoai vraiment tout fait Jrsquoen parlais agrave un copain il mrsquoa dit ldquoTrsquoas fait en un ande temps ce que jrsquoai fait en dix ansrdquo raquo
Il commence par acheter 25 grammes puis des laquo savonnettes raquo
(250 grammes) avant de passer rapidement agrave des achats par kilos qursquoil
partage avec deux de ses amis Fait remarquable alors que ses copains de
classe et les gens autour de lui fument lui-mecircme nrsquoest pas consommateur
Son contact le met en rapport avec un fournisseur drsquoheacuteroiumlne drsquoune autre
citeacute il lui propose de faire de laquo lrsquoargent vite fait raquo Mourad relegraveve le deacutefi
En 1996 il obtient son bac et arrecircte lrsquoeacutecole Il prend de lrsquoenvergure
comme dealer srsquoassocie avec un autre revendeur drsquoheacuteroiumlne et de cocaiumlne
qui revend dans la rue derriegravere chez lui Il noue des relations qui lrsquoamegravenent
21 Voir dans un tout autre milieu social les strateacutegies des laquo enfants de bonne famille raquoanalyseacutees par Missaoui et Tarrius (1999)
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60 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave rencontrer des laquo grosses tecirctes raquo dans une autre commune Ces relations
lui permettent de srsquoeacutemanciper dans une certaine mesure des reacuteseaux
locaux La situation srsquoinverse crsquoest lui qui procure une marchandise de
qualiteacute et obtenue agrave bas prix agrave ceux qui le fournissaient agrave ses deacutebuts
Nrsquoeacutetant pas connu des services de police il megravene la belle vie Pourtant les
ennuis commencent Il est interpelleacute mis en examen et eacutecroueacute une pre-
miegravere fois pour trafic agrave peine deux ans apregraves ses deacutebuts Trois mois apregraves
sa libeacuteration il est agrave nouveau placeacute en deacutetention preacuteventive pour une
affaire connexe au deacutebut de 1999 Beacuteneacuteficiant drsquoune confusion de peine
il est finalement condamneacute agrave quatre ans de prison
Dans son reacutecit plusieurs modes drsquoexplication plus ou moins clas-
siques sont mobiliseacutes pour rendre compte de son cheminement les effets
de lrsquoenvironnement (laquo Si jrsquoavais connu des voleurs je crois que je serais devenuvoleur si jrsquoavais connu des braqueurs jrsquoaurais fait des braquages forts je me suisreacutefugieacute dans la drogue chez moi yrsquoa plus de gens qui font ccedila que de gens qui fontpas ccedilahellip raquo) mais surtout le deacutesir de reacuteussite sociale (laquo avec lrsquoeacuteducation quejrsquoai eue je ne pouvais pas ne pas reacuteussir raquo) et de reconnaissance par ses pairs
(ecirctre un laquo bonhomme raquo crsquoest-agrave-dire quelqursquoun) Dans le contexte ougrave il vit
trouver de lrsquoargent est une obsession laquo Il faut de lrsquoargent pour srsquoen sortir delrsquoargent pour sortir il faut de lrsquoargent pour les copines raquo Paradoxalement de
lrsquoargent Mourad en a puisqursquoil a toucheacute une indemniteacute drsquoassurance deacutecegraves
Il part en vacances en Corse aux sports drsquohiver srsquoachegravete des vecirctements
de marque les premiers teacuteleacutephones portables une Golf VR-6 bref il
deacutepense sans compter pour lui et ses proches
On retrouve dans lrsquoitineacuteraire de Mourad un lien eacutetroit avec lrsquoeacutevolu-
tion du marcheacute des drogues dans les citeacutes En effet on a assisteacute lors de la
seconde partie des anneacutees 1990 agrave une recomposition du marcheacute de can-
nabis La concurrence est devenue de plus en plus forte conduisant agrave la
baisse des prix et des marges beacuteneacuteficiaires Drsquoougrave des ventes qui portent
sur des quantiteacutes de plus en plus importantes et une augmentation des
risques en cas de coups durs pour les revendeurs Mourad lui passe aux
drogues dures Il limite les risques au minimum en vendant agrave domicile
comme on lrsquoa vu prend ses rendez-vous sur portable ou se fait laquo biper raquo agrave
toute heure du jour et de la nuit Il compare le deal agrave une entreprise
Oh crsquoest une entreprise Franchement quand je vendais jrsquoai toujoursraisonneacute comme si crsquoeacutetait une entreprise Crsquoest maintenant avec le recul Jeme revoyais pas Maintenant avec le recul crsquoeacutetait ccedila Je me reacuteveillais lematin il faut payer le grossiste Il y a [hellip] le beacuteneacutefice Il faut payer lesgens avec qui vous ecirctes Il faut srsquoacheter ccedila Des fois il faut srsquoacheter destrucs par exemple la bouffe Crsquoest marrant parce que mecircme la bouffe eacutetait
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 61
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comprise dans le prix Il y avait 1000 F par jour qui partaient pour labouffe les journaux Moihellip mecircme si jrsquoai pas fait trop drsquoargent je me suisfait plus manipuler qursquoautre chose (21 septembre 1999)
Pourtant dans ses deacutebuts Mourad deacuteclare laquo tourner agrave 25 000 mini-mum par jour raquo parfois plus Dans sa commune en 1998 100 grammes de
cocaiumlne reviennent agrave 45 000 F lui il les touche agrave 35 000 F Tout est affaire
de relations comme il lrsquoexplique
Donc jrsquoai connu des gens drsquoune citeacute [hellip] qui sont venus me voir pour medemander combien je touchais Ils mrsquoont dit que si je prenais un peuplushellip Crsquoest parti comme ccedila Lagrave jrsquoai commenceacute agrave connaicirctre les gens deB Agrave cette eacutepoque-lagrave ils nous donnaient mais ils nous disaient qursquoilscouraient des risques Il y en a drsquoautres qui disaient laquo oui si tu luidonnes il va te balancer raquo Je me rappelle que crsquoeacutetaient des bruits quicouraient souvent et crsquoest vrai que je ne les connaissais pas
Sorti de prison dans la mesure ougrave il nrsquoavait pas balanceacute Mourad
raconte que laquo tous les grands raquo sont venus le voir pour lui demander de
srsquooccuper du terrain Il faut dire que lrsquoaction des services de police et des
juges drsquoinstruction est intense agrave cette eacutepoque surtout sur les petits reven-
deurs (laquo Crsquoest lrsquousine il y en a un qui tombe on en prend un autre raquo) Les
laquo grosses tecirctes raquo recrutent des hommes de confiance
Lrsquoenvers du deacutecor ce sont les emprises et pressions qursquoimplique
lrsquoinscription dans ces reacuteseaux en particulier lorsque les liens dans le
monde de la citeacute sont faibles Mourad nrsquoa pas de famille cela se sait il a
deux sœurs de 21 et 16 ans sur lesquelles les pressions sont faciles per-
sonne ne peut bouger pour lui laquo Ils me tiennent raquo dit-il Ainsi lorsqursquoil sort
de prison il est mis agrave lrsquoamende par ses partenaires de deal afin de payer
la cavale de lrsquoun drsquoeux Refusant de retourner vendre dans la citeacute de
Chacirctillon il est contraint par un caiumld local drsquoeacutecouler 40 kilos de cannabis
Ces emprises justifient son silence et sa reacutecidive
Au cours du troisiegraveme entretien reacutealiseacute agrave la maison drsquoarrecirct de la
Santeacute Mourad multipliera les mentions aux deacutemarches entreprises pour
srsquoen sortir et agrave ses projets laquo Jrsquoai envie de monter une entreprise raquo laquo jrsquoaurais aimeacutetravailleacute dans lrsquoimmobilier mais maintenant avec mon casierhellip raquo laquo je fais desrecherches par lrsquoANPE je prends les journaux raquo laquo je suis des cours je poursuis deseacutetudes jrsquoai des super bonnes notes raquo Il avait eacuteteacute transfeacutereacute quelques semaines
auparavant de la maison drsquoarrecirct de Nanterre manifestement exceacutedeacute par
lrsquoambiance qui y reacutegnait
Je grandissais plus Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoecirctre dans un moule Les discus-sions crsquoeacutetait laquo Ouais tu fais combien Ouais je gagnais tant par jouron faisait comme ccedila on faisait comme ccedila Quand je sors je vais faire ccedila raquoComme on dit dans le jargon de la prison laquo on va tout niquer raquo
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62 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce qui veut dire
Ce qui veut dire quand je sors je fais encore pire qursquoavant mais je faisccedila mieux [hellip] Alors on est entre hommeshellip Crsquoest une image crsquoest pasnous-mecircmes Ccedila parle de came on parle de came Ccedila se dit pas laquo Ouaisles gars faut arrecircter raquo On dit pas laquo Ouais quand je sors je travaille raquo(7 avril 2000)
Mourad a eacuteteacute libeacutereacute en conditionnelle agrave la fin de lrsquoanneacutee 2000 et
jrsquoai perdu sa trace Est-il un cas exceptionnel Sans doute sa trajectoire
sociale comporte-t-elle des traits atypiques par rapport agrave des dealers qui
sont neacutes et ont toujours veacutecu dans lrsquounivers des citeacutes Elle est remarquable
aussi par la rapiditeacute avec laquelle il est arriveacute agrave traiter avec des semi-
grossistes drsquoenvergure Mais on peut estimer que de tels cheminements
dans le bizness ne sont plus rares aujourdrsquohui Cette logique entrepreneu-
riale est agrave lrsquoœuvre en matiegravere de stupeacutefiants comme pour les biens de
consommation courante (automobiles deux-roues piegraveces deacutetacheacutees por-
tables habits) faisant lrsquoobjet de toutes sortes de bizness dans certaines citeacutes
Elle fonctionne drsquoautant plus que quelques personnes peuvent agrave un
moment donneacute faire beaucoup drsquoargent et attirer les autres bref servir
de modegraveles Cela eacutetant on retrouve cette logique bien eacutevidemment dans
drsquoautres milieux sociaux Lrsquoitineacuteraire de certains revendeurs drsquoabord
revendeurs drsquoecstasy puis de cocaiumlne dans le monde de la nuit parisienne
en est une illustration parmi drsquoautres22
24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS
DANS LE TRAFIC
Le rapport au produit lrsquoengagement dans le trafic lrsquoesprit dans lequel il
srsquoexerce distinguent les carriegraveres des usagers-revendeurs des anneacutees 1980
et celles des dealers des anneacutees 1990 Crsquoest sur cette question qursquoil nous
faut revenir Nous soulignerons les hieacuterarchies informelles (Becker 1963
p 128) qui structurent lrsquoeacuteconomie de la drogue et au final la mobiliteacute
des positions qui en deacutecoule
241 DrsquoUNE GEacuteNEacuteRATION Agrave LrsquoAUTRE
Entre la geacuteneacuteration de la rue Montmartre et celle qui a grandi dans les
quartiers ougrave la came eacutetait deacutejagrave preacutesente ougrave se situent les diffeacuterences en
termes de carriegraveres Pour Bruno par exemple il nrsquoy a pas drsquoambiguiumlteacute les
22 Voir sur ce point Duprez Kokoreff et Weinberger (2001 p 308-313)
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laquo petits jeunes raquo reproduisent le mecircme parcours que leurs grands fregraveres
cinq ou dix ans plus tard Les produits consommeacutes indiquent certes des
speacutecificiteacutes le Subutex plutocirct que lrsquoheacuteroiumlne consommeacute dans la rue ou en
prison la cocaiumlne plus proche des galettes de crack que de la poudre Et
quand on suggegravere que finalement le parcours des grands fregraveres aurait
pu servir drsquoimage repoussoir et dissuader les plus jeunes Bruno preacutecise
Ouais mais justement yrsquoen a plein ici leurs fregraveres leurs fregraveres et mes copainseuhhellip ils les ont conseilleacutes jrsquoeacutetais en prison et tout leurs fregraveres et tout etmoi je les ai vus grandir Ils sont tous agrave lrsquoinfirmerie en train de se battrepour avoir leur Subutex Ils ont 20 ans
Des gens drsquoAsniegraveres
En plus des gens yrsquoen a un paquet drsquoAsniegraveres de Gennevilliers NanterreToute la banane du 92 jusqursquoagrave Chacirctillon Montrouge lagrave Toute la bananeelle est concerneacutee
Ils rentrent comment ces gens-lagrave
Ils rentrent comment en prison
Non ils commencent comment
Non eux ils ont voulu deacutepasser leurs fregraveres Leur fregravere a eacuteteacute consommateurEux ils se sont dit laquo On va pas faire la mecircme connerie que notre fregravereNous on va faire de lrsquoargent avec raquo Sauf que une fois qursquoils avaient leproduit et qursquoils ont commenceacute agrave vendre ils ont voulu goucircter et tac [tapedans les mains] (9 avril 2000)
Drsquoautres reacutecits drsquousagers font un constat similaire Les laquo petits jeunes raquo
sont loin drsquoavoir eacuteteacute dissuadeacutes par les laquo anciens raquo qui font figure aujourdrsquohui
de rescapeacutes des anneacutees sida Le message nrsquoest pas passeacute Lrsquoentreacutee se ferait
beaucoup plus souvent par le deal avant de laquo tomber dedans raquo agrave un moment
donneacute ndash ou pas
Lorsqursquoon lui demande si agrave son avis les laquo petits jeunes raquo ont suivi le
mecircme parcours que les membres de sa geacuteneacuteration Abdellah reacutepond
Crsquoest un peu diffeacuterent on peut pas dire je trouve que crsquoest diffeacuterent parceqursquoils ont lrsquoexemple devant eux Je les comprends pas ils ont lrsquoexempledevant eux ils ont des copains mecircme des fregraveres ils ont vu les ravages queccedila fait Moi jrsquoai connu des types de 22 23 24 ans ils venaient me fairela morale [hellip] Je les revoyais pas pendant un moment je rentrais en prisonet jrsquoapprenais un peu plus tard que ce type eacutetait lui-mecircme tombeacute dans lacame Parce qursquoil a commenceacute agrave en avoir dans les mains il a commenceacuteagrave vendre avec des rentreacutees drsquoargent mortelles Et puis un jour peut-ecirctre parcuriositeacute ou quoi que ce soit il en a sniffeacute et voilagrave Et apregraves crsquoest lrsquoengrenage(15 deacutecembre 1998)
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64 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce type de reacutecit nrsquoaccreacutedite-t-il pas le scheacutema fataliste de la
toxicomanie Mais les dimensions territoriales des trafics sont aussi agrave
prendre en compte afin de saisir la singulariteacute des carriegraveres En effet avoir
grandi dans un quartier connu pour ecirctre un lieu de deal drsquoheacuteroiumlne nrsquoest
pas sans conseacutequences par rapport agrave une socialisation au sein de quartiers
speacutecialiseacutes dans les laquo petits bizness de shit raquo Bruno deacutecrit tregraves bien lagrave aussi
cette opposition entre deux types de quartiers drsquoambiances et de bizness
Moi je jouais encore au bac agrave sable hein quand yrsquoen a qui venaient acheterde la came Apregraves jrsquoai habiteacute dix ans agrave cocircteacute de lrsquoeacuteglise Et apregraves les grandsils sont partis aux Oiseaux Aux Oiseaux il nrsquoy avait pas de came Alorscrsquoest une citeacute yrsquoen a partout autour mais il nrsquoy a jamais eu de came Yrsquoaque du shit
Et depuis tregraves longtemps
Et depuis tregraves longtemps Yrsquoa jamais eu de problegravemes Bon deux ou troispetits serrages comme ccedila Mais crsquoest du cannabis crsquoest tout Alors queAsniegraveres au L crsquoest rempli rempli que de came hein
Et les Oiseaux crsquoest plutocirct une famille qui controcirclait un peu lemarcheacute ou crsquoeacutetaient plusieurshellip
Oh non Lagrave crsquoeacutetait un peu tout un peu tout le monde Crsquoeacutetait du petitbizness quoi Bon yrsquoavait deux ou trois familles qui avaient un peu lemonopole ils avaient un peu plus drsquoargent ou ils achetaient un peu plusMais ce qui est bien crsquoest qursquoil nrsquoy avait que du cannabis Yrsquoa pas eude morts yrsquoa pas eu dehellip alors que bon au L yrsquoen a eu des morts(9 avril 2000)
Il nrsquoest pas question drsquoen conclure que grandir dans tel ou tel type
de quartier preacutedeacutetermine les carriegraveres dans la consommation et le trafic
On pourrait neacuteanmoins avancer la notion de laquo carriegraveres de quartier raquo qui
interagissent avec la trajectoire des personnes impliqueacutees
242 LES HIEacuteRARCHIES INFORMELLES
Si lrsquoon voit donc agrave partir des entretiens reacutealiseacutes que les cheminements dans
le monde populaire des drogues ne sont pas identiques selon les cohortes
ou les geacuteneacuterations consideacutereacutees il apparaicirct aussi que les positions occupeacutees
dans le trafic ne sont pas homogegravenes En effet la cateacutegorie de laquo trafic raquo et
plus encore celle de laquo trafiquants raquo sont peu opeacuteratoires pour rendre
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compte de la diversiteacute des formes de trafic agrave lrsquoeacutechelon local Il convient
aussi de consideacuterer la diffeacuterenciation des engagements et des positions
acquises les hieacuterarchies internes et les itineacuteraires qursquoelles dessinent23
Nous avons souvent eu lrsquooccasion de le constater lors de nos enquecirctes
les toxicomanes et les grossistes nrsquoappartiennent pas au mecircme monde
social Ils ne se connaissent pas directement puisque les usagers ont prin-
cipalement affaire aux revendeurs de rue De leur cocircteacute les grossistes
eacutevitent de se faire repeacuterer dans la rue et souvent nrsquohabitent plus sur
place Crsquoest aussi la nature des relations entre usagers revendeurs et gros-
sistes qui explique cette diffeacuterenciation Par exemple Bruno eacutevoquant les
formes drsquoentraide preacutecise
Tu vois quand le gros a donneacute plusieurs petits paquets aux jeunes de20 ans si yrsquoa un jeune qui tombe normalement le gros il envoie un petitmandat tous les mois mais ce nrsquoest pas mon monde agrave moi ccedila moi je suisde lrsquoautre cocircteacute moi je suis client donc moi personne ne mrsquoaide du fait quejrsquoai plus drsquoamis plus de famillehellip (15 deacutecembre 1998)
Sans doute la position occupeacutee par Bruno deacutesaffilieacute par excellence
renforce-t-elle cette distance entre ces deux mondes lrsquoun ougrave la regravegle est
de venir en aide en cas de coup dur lrsquoautre ougrave lrsquoabsence de solidariteacute est
deacutecrite comme la regravegle Cela eacutetant lrsquoabsence de liens directs nrsquoempecircche
pas de savoir comment les choses se passent comment la marchandise est
acheteacutee partageacutee distribueacutee agrave lrsquoeacutechelle drsquoun deacutepartement quelles rela-
tions les grossistes entretiennent entre eux
De toute faccedilon yrsquoa des gens qui leur apportent qui sont en haut quoi Jrsquoenconnais pas personnellement mais je sais comment que ccedila se passe quoiIls se teacuteleacutephonent ils en prennent 100 grammes 200 grammes ccedila deacutependquoi et puis des fois ils se mettent mecircme agrave plusieurs pour voir si bonhellipils se mettent agrave plusieurs puisque y a des grossistes qui vendent ils disent laquo Moi je ne vends pas en dessous de 100 grammes ou en dessous de500 grammes raquo Le minimum que tu peux prendre crsquoest 500 grammes situ viens pour 100 300 grammes il va te dire laquo Non moi je vends pasccedila 100 100 grammes si tu veux un demi-kilo ou un kilo raquo Alors ils semettent agrave plusieurs et puis apregraves ils se partagent ils se partagent lamarchandise et chacun va avoirhellip Lrsquoautre il est agrave Asniegraveres il vend agraveAsniegraveres lrsquoautre agrave Nanterre il vend agrave Nanterre celui drsquoArgenteuil il vendagrave Argenteuil crsquoest comme ccedila [hellip]
23 On srsquoinspire ici de lrsquoarticle de Hughes sur les carriegraveres reacutedigeacute en 1958 qui soulignenotamment que laquo Certains meacutetiers se trouvent dans des systegravemes qui offrent de nom-breuses ouvertures sur drsquoautres systegravemes connexes et sur le public lorsque quelqursquounarrive au terme drsquoune eacutetape de sa carriegravere il peut ecirctre transfeacutereacute vers une position danslrsquoun de ces systegravemes connexes raquo (Hughes 1958 p 182)
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Et ces gens-lagrave qui vendent en semi-gros disons ils habitent dansle quartier
Voilagrave des fois ils habitent dans le quartier bon crsquoest des gens trsquoas mecircmepas tu soupccedilonnerais mecircme pas Des gens des pegraveres de famille avec desenfants jrsquoen ai vus jrsquoen ai connus deux ou trois je suis resteacute eacutebahi sur lecoup Jrsquoai dit laquo Non crsquoest pas possible raquo Et puis jrsquoai remarqueacute qursquoen finde compte jrsquoai vu qursquoils avaient raison parce que jrsquoai remarqueacute un peuson manegravege une fois que jrsquoentends parler de plus [drsquoune] personne onsurveille du coin de lrsquoœil plus ou moins et puis jrsquoai remarqueacute qursquoils avaientraison crsquoest des gens insoupccedilonnables qui font ccedila une paire de fois pen-dant une certaine peacuteriode pendant deux trois mois Ils font ccedila avec leurpetit paquet drsquoargent Apregraves tu nrsquoentends plus parler drsquoeux Trsquoen asdrsquoautres ccedila se prolonge et ils font ccedila longtemps jusqursquoau jour ougrave il leurarrive une galegravere [hellip]
Et au-dessus drsquoeux
Au-dessus drsquoeux [il siffle]
Ccedila vient drsquoougrave
Ben ccedila vient de Lille ccedila pratiquement de Lille Lagrave-bas les gens ils vontagrave Lille hein Trsquoas des tas de gens qui vont lagrave-bas agrave Amsterdam ils vontlagrave-bas ils ils vont ils vont faire des ils vont prendre simplement descontacts et puis apregraves ils cherchent des passeurs ils cherchent carreacutement despasseurs et puis qui font passer la came pour eux et voilagrave Et le type ilreste il reste lagrave il est derriegravere il est pas loin il suit la cargaison euh agravevue drsquoœil quoi il va chercher de la blanche euh crsquoest ce qui marche lemieux ccedila crsquoest la blanche hein parce que agrave Paris y a de la brune et euhmais euh les gens ils sont pas attireacutes hein la plupart ils veulent tous dela blanche Asniegraveres Nanterre euh Argenteuil voilagrave Et bon de toutefaccedilon geacuteneacuteralement elle est tregraves organiseacutee puisqursquoils sont tregraves discrets desfois ils font ccedila pas longtemps et quand ils font des transactions crsquoest unefois tous les trois mois tous les six mois (15 deacutecembre 1998)
Cette longue citation souligne les diverses positions occupeacutees dans
lrsquoorganisation des trafics Il nrsquoest pas dans notre intention drsquoalimenter les
repreacutesentations communes ou institutionnelles de trafics organiseacutes dans
les citeacutes selon un modegravele pyramidal avec ses laquo petits soldats raquo faisant
tampon et ses laquo grosses tecirctes raquo Bien souvent ce que lrsquoon peut observer agrave
lrsquoeacutechelle locale ce sont des microreacuteseaux peu ou pas ramifieacutes entre eux
qui cohabitent dans lrsquoespace Agrave un niveau supeacuterieur plutocirct qursquoagrave de veacuteri-
tables filiegraveres organiseacutees on a affaire agrave des trafics de fourmis agrave lrsquoimage
de ceux entre la Hollande et le Nord de la France ou de ceux entre le
Maroc et la France Cela eacutetant la professionnalisation du trafic deacutecrite
plus haut a aussi conduit agrave un renforcement de la division du travail avec
une multipliciteacute des rocircles qui rendent possibles tant la distribution (pas-
seurs convoyeurs intermeacutediaires responsables et gardiens des stocks) la
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revente au deacutetail (guetteurs rabatteurs revendeurs) que la solvabilisation
des acheteurs (receleurs attitreacutes ou occasionnels banquiers de citeacute) sans
parler des rocircles lieacutes au blanchiment En outre on ne peut nier lrsquoexistence
de places fortes de la drogue qui possegravedent un rayon drsquoaction large ni
celle drsquoeacutequipes exerccedilant non seulement un controcircle de ces places mais
agrave travers elles un pouvoir reacuteel bien que mal connu Au sein des quartiers
ougrave nous avons enquecircteacute des rumeurs persistantes mentionnent des trafi-
quants notoires consideacutereacutes comme laquo intouchables raquo Ils beacuteneacuteficieraient de
protections au plus haut niveau et seraient precircts agrave srsquoengager dans le jeu
politique local Est-ce un mythe Faut-il consideacuterer qursquoau fond tous les
chemins megravenent en prison Le mythe nrsquoen perd pas moins son efficaciteacute
symbolique aupregraves des jeunes comme des moins jeunes agrave lrsquointeacuterieur et agrave
lrsquoexteacuterieur des quartiers
Il faudrait sans doute retracer les trajectoires des trafiquants qui
participent agrave ces marcheacutes illicites agrave cocircteacute de celles qui sont domineacutees par
la toxicomanie et lrsquoengagement dans le deal Ce qui permettrait drsquoaffiner
notre connaissance des mondes de lrsquoillicite et la classification des chemi-
nements sociobiographiques Mais la diversiteacute des parcours ne doit pas
nous deacutetourner des facteurs structurels qui leur sont sous-jacents On a
essayeacute de le montrer ces cheminements srsquoinscrivent dans un processus de
marginalisation sociale que ce soit sous la forme drsquoun destin collectif ou
drsquoune tentative de revalidation sociale Au sein de ce processus les logiques
sociales de lrsquoimmigration semblent avoir joueacute un rocircle non neacutegligeable
elles se sont traduites par un engagement massif de la seconde geacuteneacuteration
de lrsquoimmigration maghreacutebine dans ces carriegraveres Tout se passe comme si
les reacutepercussions du processus migratoire et des conditions de vie des
familles celles de la violence sociale subie tant agrave lrsquousine que dans les
habitats de fortune et agrave lrsquoeacutecole srsquoeacutetaient manifesteacutees agrave retardement au
tournant des anneacutees 1980 au moment ougrave la crise eacuteconomique commenccedilait
agrave faire ressentir ses effets
Cela eacutetant dit on ne peut oublier que les jeunes laquo beurs raquo ont eacuteteacute
socialiseacutes dans le mecircme contexte que les jeunes Franccedilais dits de laquo souche raquo
et qursquoeux-mecircmes ont eacuteteacute aussi particuliegraverement toucheacutes par la diffusion
de lrsquoheacuteroiumlne et le sida Le mecircme constat peut ecirctre fait en ce qui concerne
les reacuteseaux de trafic on constate au niveau des semi-grossistes comme des
chefs de clan une mixiteacute sur le plan ethnique Historiquement dans le
secteur eacutetudieacute les premiegraveres familles connues pour leur implication dans
le trafic eacutetaient franccedilaises Reste agrave savoir si les transformations urbaines et
sociologiques de ces anciens quartiers ouvriers tantocirct vers une plus
grande mixiteacute sociale tantocirct vers la constitution de niches ethniques
ajouteacutees aux effets pervers de lrsquoaction des services de police et de justice
ne contribuent pas agrave renforcer la stigmatisation des populations qui y vivent
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68 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
BIBLIOGRAPHIE
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C
EacuteLINE
B
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Eacutecole de service social Universiteacute de MontreacutealCICC
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Lrsquoassociation entre la jeunesse et les pratiques deacuteviantes et deacutelinquantes
nrsquoest pas reacutecente La mise en place des institutions peacutenales pour jeunes
accompagne au
XIX
e
siegravecle la construction de la jeunesse comme une
cateacutegorie sociale speacutecifique (Gillis 1974 Laberge 1997 Fecteau 1998)
Cette coiumlncidence srsquoexplique par le fait que les transformations socieacutetales
(industrialisation immigration notamment) ont contribueacute agrave lrsquoeacutemergence
de groupes drsquoenfants qui posaient problegraveme notamment en raison de leur
preacutesence dans les rues des villes (Meacutenard et Strimelle 2000) Or les muta-
tions sociales reacutecentes coiumlncident aussi avec une transformation profonde
de lrsquoexpeacuterience de la jeunesse dans son ensemble Ainsi les eacutetudes meneacutees
depuis vingt ans montrent un allongement de cette peacuteriode de vie (Galland
1991 Gauthier 2000) De la mecircme faccedilon les difficulteacutes drsquoinsertion sociale
et professionnelle des jeunes ont contribueacute agrave lrsquoapparition de nouvelles
preacuteoccupations agrave lrsquoeacutegard de la preacutesence de groupes de jeunes dans les
rues des centres-villes (Laberge et Roy 1994)
Dans ce contexte la compreacutehension des jeunes qui vivent dans la
rue permet drsquoune part de faire eacutetat de certaines transformations de la
jeunesse notamment au regard des difficulteacutes drsquoinsertion dont elle fait
lrsquoexpeacuterience et drsquoautre part de consideacuterer les pratiques de reacutegulations
sociales mises en place pour faire face agrave ce pheacutenomegravene Donnant suite agrave
une recherche ethnographique sur les jeunes en situation de rue
1
une
analyse des trajectoires de rue des jeunes a permis de rendre compte de
la diversiteacute des situations tant sur le plan des expeacuteriences que reacutealisent
les jeunes que sur le plan des interventions dont ils font lrsquoobjet
Lrsquoobjectif de ce chapitre consiste drsquoabord agrave examiner le concept de
trajectoire et son utilisation dans les eacutecrits criminologiques pour ensuite
preacutesenter les reacutesultats drsquoune eacutetude portant sur les jeunes en situation de rue
en faisant eacutetat des diffeacuterents types de trajectoires de rue qursquoils peuvent vivre
31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE
DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE
Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans les analyses de la jeunesse et
de la deacutelinquance juveacutenile est courante La trajectoire se deacutefinit alors
comme une finaliteacute de recherche qui permet de caracteacuteriser lrsquoidentiteacute de
1 Nous utiliserons le terme de jeune en situation de rue au lieu de celui de jeune de larue parce que nous souhaitons eacuteviter drsquoune part le rapport stigmatisant et stigmatiseacutedes jeunes agrave cet espace et drsquoautre part la reacuteduction de leur expeacuterience agrave un liendrsquoappartenance agrave la rue Pour plus de preacutecisions voir Bellot (2001)
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lrsquoindividu et son eacutevolution au regard de son statut de ses conduites de
sa position sociale de ses relations Ce concept a cependant autant servi
pour les theacuteories drsquoinspiration structuraliste voire culturaliste que pour
les theacuteories drsquoinspiration interactionniste (Dubar 1998) Ici la trajectoire
sera utiliseacutee comme un outil analytique pour faire le pont entre lrsquoacteur
et la structure dans le cadre drsquoune perspective de la structuration (Bellot
2000) Cependant avant de preacutesenter cette nouvelle deacutefinition concep-
tuelle il importe de revenir sur les autres utilisations du concept de tra-
jectoire dans la mesure ougrave celles-ci demeurent des sources drsquoinspiration
311 L
A
TRAJECTOIRE
OBJECTIVE
Comme les analyses structuralistes ont pour objectif de faire eacutetat des
conditions de production et de reproduction sociale le concept de trajec-
toire rend ici compte des eacuteleacutements deacuteterminant la destineacutee des individus
Cette lecture qualifieacutee drsquoobjective par Dubar (1998) retranscrit donc
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un statut particulier ou agrave une classe sociale
et agrave son eacutevolution Si elle srsquointeacuteresse au changement cette conception de
la trajectoire lit la diffeacuterence entre le point de deacutepart et celui drsquoarriveacutee
observeacute chez lrsquoindividu en termes de rocircles de statuts drsquoactiviteacutes Il srsquoagit
dans cette optique non pas drsquoignorer totalement la place de lrsquoacteur dans
la construction de sa trajectoire de vie mais de consideacuterer plutocirct que celle-ci
est largement encadreacutee par des structures qui la profilent
Le programme analytique consiste donc agrave deacutefinir diffeacuterentes formes
de trajectoires types theacuteoriques susceptibles par la suite de retracer le
cheminement singulier des individus Cette maniegravere de conceptualiser la
trajectoire contribue selon Bourdieu (1986) agrave marquer lrsquoillusion biogra-
phique puisque le modelage par lrsquoindividu de son identiteacute singuliegravere ne
peut se faire que dans le cadre deacutetermineacute par les institutions que celui-ci
freacutequente
En criminologie la lecture deacuteveloppementale utilise la trajectoire
pour expliquer comment et dans quelle mesure se deacuteveloppent les conduites
deacuteviantes et deacutelinquantes (Le Blanc et Loeber 1998) Elle montre par
exemple comment les conditions deacutefavorables de lrsquoenfance viennent anti-
ciper les difficulteacutes de lrsquoadolescence et de la vie adulte Agrave ce titre la lecture
des trajectoires des individus srsquoinscrit dans un cadre drsquoanalyse ougrave il srsquoagit
drsquoidentifier les facteurs de risque qui contribueront agrave preacutedire lrsquoadoption
par les personnes de comportements qualifieacutes de deacuteviants ou de deacutelin-
quants en deacuteterminant notamment la propension de ces personnes agrave
adopter de tels comportements (Gottfredson et Hirschi 1990) La lecture
de la deacutesorganisation sociale familiale ou individuelle constitue ici une
assise pour consideacuterer la faiblesse drsquoun capital social et culturel heacuteriteacute
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
comme un handicap de la trajectoire de vie du jeune dans la mesure ougrave
il construit une inadaptation sociale du jeune Pour les jeunes de la rue
les analyses de Whitbeck et Hoyt (1999) mentionnent les enjeux des cycles
de vie intergeacuteneacuterationnels reproduisant les conditions de pauvreteacute agrave lrsquoori-
gine des diffeacuterentes formes de fragilisation que connaicirctront les jeunes et
qui porteront atteinte agrave la reacutealisation drsquoune socialisation adeacutequate
Sampson et Laub (1993) viendront renforcer la pertinence de lrsquouti-
lisation du concept de trajectoire de maniegravere objective en deacutemontrant
lrsquoexistence drsquoeffets drsquointeraction entre les diverses expeacuteriences que doivent
vivre les jeunes Cette lecture dynamique introduite dans la perspective
deacuteveloppementale aura pour conseacutequence de lire dans une dimension
temporelle les jeux de continuiteacute et de changement qui tracent la trajec-
toire Ainsi srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la trajectoire il faut rete-
nir quelles sont les expeacuteriences qui renforcent ou au contraire freinent la
propension agrave la deacutelinquance observeacutee (Lanctocirct 1999) Cette maniegravere de
consideacuterer lrsquoeacutevolution des trajectoires sort de la perspective strictement
structuraliste pour faire une place agrave lrsquoacteur dans la consideacuteration de sa
trajectoire Cependant elle precircte peu drsquoattention au sens que lrsquoindividu
donne agrave ses gestes et agrave la deacutefinition sociale de ces gestes La perspective
interactionniste viendra combler ces limites en retenant lrsquoideacutee drsquoune tra-
jectoire en construction Dubar (1998) affirme ainsi que pour parvenir agrave
une lecture complexe des trajectoires de vie il faut eacutegalement srsquointeacuteresser
agrave la compreacutehension des trajectoires subjectives
312 L
A
TRAJECTOIRE
SUBJECTIVE
Contre toute conception substantielle du sujet ou de la socieacuteteacute les interac-
tionnistes srsquoefforcent de construire une conception relationnelle ougrave non
seulement lrsquoindividu et la socieacuteteacute sont interdeacutependants mais se constituent
lrsquoun par lrsquoautre (de Queiroz et Ziolkovski 1994 p 17)
Si dans la trajectoire objective la lecture du temps se fait autour du
cumul et de la reacutepeacutetition des situations en vue de caracteacuteriser les chan-
gements et les continuiteacutes la trajectoire subjective donne accegraves au travail
inteacuterieur fait par lrsquoindividu de construction de son identiteacute
Il srsquoagit donc de saisir la mise en mots du parcours biographique
mise en mots qui donne accegraves agrave la logique des neacutegociations identitaires
de lrsquoindividu Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindividu aux
rencontres qursquoil fait ou non et aux interactions qursquoil vit Ces reacuteactions que
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la plupart des auteurs (Bergier 1992 Vexliard 1957) expriment en termes
drsquoeacutetapes de la reacutesistance agrave la reacutesignation en passant par lrsquoadaptation
relegravevent le plus souvent drsquoune vision lineacuteaire et seacutequentielle de la
trajectoire de vie
Ainsi la succession des places occupeacutees au cours drsquoune vie nrsquoestpas seulement une seacuterie de deacuteplacements objectifs de positionsdans lrsquoespace social mais simultaneacutement un replacement delrsquoimage de soi exigeant un travail biographique de mise en coheacute-rence des diffeacuterents aspects du moi (De Queiroz 1996 p 297)
Ce point de vue srsquoil rappelle que dans sa routine quotidienne
lrsquoindividu cherche autant agrave se creacuteer qursquoagrave assurer une continuiteacute avec ce
qursquoil eacutetait a contribueacute agrave associer le concept de trajectoire agrave celui de
carriegravere (Becker 1963) et drsquoidentiteacute (Strauss 1959)
Or il importe ici de consideacuterer que le concept de carriegravere postulant
une progressiviteacute dans la trajectoire de vie drsquoun individu emprisonne la
situation sociale agrave lrsquoeacutetude dans un univers particulier et singulier En effet
consideacuterer la carriegravere du deacuteviant crsquoest retenir qursquoil nrsquoa qursquoune identiteacute
celle de deacuteviant et que la trajectoire de vie ne srsquoinscrit que dans ce rapport
social (Duprez et Kokoreff 2000)
En retenant les deux utilisations du concept de trajectoire objective
et subjective pour les unir dans une perspective de la structuration telle
que Giddens (1987) la deacutefinit la recherche sur les jeunes en situation
de rue que nous avons meneacutee srsquointeacuteressait agrave faire ressortir la marge de
manœuvre de ces jeunes dans la construction de leur trajectoire Sortant
ainsi de lrsquoimage du jeune victime pour qui la situation est imposeacutee ou
de lrsquoimage du jeune deacutelinquant pour qui la situation est choisie lrsquoancrage
de la structuration permet de lire lrsquoaction des jeunes dans leur rapport
aux contraintes et aux opportuniteacutes qursquoils rencontrent
313 L
A
TRAJECTOIRE
DE
RUE
DANS
UNE
ANALYSE
DE LA STRUCTURATION
Inteacutegrer la lecture de la moderniteacute avanceacutee en ce qui a trait aux enjeux
lieacutes agrave lrsquoincertitude et aux risques dans la compreacutehension drsquoune trajectoire
de vie doit donner lrsquooccasion de srsquoeacuteloigner drsquoune vision lineacuteaire drsquoune
trajectoire de vie qui tend agrave deacutefinir la reacuteussite ou lrsquoeacutechec biographique
au plan des positions sociales pour parvenir au contraire agrave la compreacutehen-
sion de la nature parcellaire fragmenteacutee et construite de lrsquoexpeacuterience
reacuteveacuteleacutee par le quotidien et les rapports sociaux (Dubet 1994 Maffessoli
1994) Dans ce contexte lire une trajectoire de rue crsquoest srsquointeacuteresser au
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chemin parcouru par ces jeunes dans lrsquoespace physique mais aussi social
qursquoest la rue en tant qursquoexpeacuterience biographique Crsquoest srsquointeacuteresser aussi
aux rapports identitaires construits entre deacuteviance et conformiteacute
La trajectoire permet alors de composer avec la dialectique entre
lrsquoacteur et la structure la contrainte et lrsquoaction la continuiteacute et le chan-
gement en appreacutehendant dans une perspective des cycles de vie
(life courseperspective)
les points tournants les eacuteveacutenements les mouvements enga-
geant les individus dans des lignes drsquoaction et biographique particuliegraveres
(Ogien 1995) Dans le cadre de la lecture de la trajectoire Jones (1997)
montre ainsi qursquoil est important de consideacuterer
[hellip]
That individual life-courses are led along a ldquoreflexive biographyrdquo(Giddens 1991 1994) in which there is a dynamic interaction betweenagency (self-determination and choice) and structure (affecting inequalityand constraint)
(Jones 1997 p 100)
Dans cette perspective la lecture des situations que les acteurs deacutefi-
nissent comme des eacuteveacutenements cleacutes devient cruciale (Leclerc-Olive 1998)
Les reacuteflexions de Ulmer (2000) sur le concept de
commitment
montrent en
outre comment ce concept vient appuyer dans une lecture de la trajec-
toire les logiques drsquoaction des individus dans leurs constances comme
dans leurs transformations La perspective inteacutegrative qursquoil adopte lui per-
met en outre drsquoenvisager lrsquoengagement dans une voie deacuteviante de la
mecircme faccedilon que dans une voie conventionnelle Il srsquoagit de saisir comment
laquo
opportunities structures do not determine action but set constraints within whichactors make choices on the basis of their definitions
raquo (Ulmer 2000 p 320)
Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans une analyse ancreacutee dans
la theacuteorie de la structuration permet ainsi de faire ressortir les logiques
drsquoaction qui preacutevalent dans le quotidien mais aussi de consideacuterer comment
les expeacuteriences de rue srsquoeacutetablissent dans un univers des possibles qui se
construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les eacuteveacutenements srsquoenchacircssent
et que les rencontres avec les autres se reacutealisent ou non que les rapports
sociaux structurent ou non la dialectique deacutevianceconformiteacute
32 MEacuteTHODOLOGIE
La deacutemarche meacutethodologique srsquoappuie sur une approche ethnographique
de la rue baseacutee sur deux principaux outils de collecte utiliseacutes de maniegravere
compleacutementaire lrsquoobservation participante et les reacutecits de vie (Jamoulle
2000)
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Lrsquoobservation participante srsquoinscrit dans une volonteacute de partir agrave la
rencontre drsquoun monde particulier celui des jeunes en situation de rue qui
freacutequentent le centre-ville de Montreacuteal Ce terrain de recherche srsquoest ainsi
construit autour drsquoune immersion le plus souvent nocturne dans le milieu
de ces jeunes au fur et agrave mesure que la confiance se gagnait et que la
reacuteciprociteacute des liens permettait des eacutechanges de qualiteacute Au-delagrave de
lrsquoimmersion et des liens bacirctis le temps passeacute sur le terrain constitue la cleacute
qui permet de consideacuterer la compreacutehension reacuteelle du chercheur des
valeurs des repreacutesentations des codes des pratiques du milieu observeacute
En passant trois ans (du printemps 1996 au printemps 1999) dans le
centre-ville agrave freacutequenter les espaces investis par les jeunes (parcs stations
de meacutetro couloirs souterrains
squats
appartements organismes) nous
avons pu veacuteritablement plonger dans le quotidien de ces jeunes mais aussi
suivre leur eacutevolution tant sur le plan individuel que sur le plan collectif
Les temps drsquoobservations ont eacuteteacute variables allant de un ou deux jours en
hiver agrave cinq jours en eacuteteacute ce qui nous a permis de partager le quotidien
de plus drsquoune centaine de jeunes
La reacutealisation de 22 entretiens biographiques a donneacute lrsquooccasion de
mettre la rue provisoirement agrave distance pour que les jeunes se racontent
En effet lrsquourgence la survie lrsquoaleacuteatoire lrsquoincertitude de la rue rendent
parfois difficile un reacutecit de soi un reacutecit sur soi Dans ce contexte ce
moment a eacuteteacute perccedilu comme un espace-temps ideacuteal pour se raconter dans
lrsquointimiteacute drsquoun espace priveacute sans les aleacuteas de la vie dans lrsquoespace public
qursquoest la rue Sur ces 22 entretiens 14 ont eacuteteacute conduits aupregraves de jeunes
avec qui nous avions preacutealablement eacutetabli des liens privileacutegieacutes sur le ter-
rain Le recrutement de ces jeunes a eacuteteacute organiseacute de faccedilon agrave obtenir la
plus grande diversiteacute possible drsquoexpeacuteriences de rue Ainsi certains tout
juste arriveacutes nous racontaient le passage agrave la rue alors que drsquoautres
complegravetement engageacutes dans le monde de la rue nous preacutecisaient leur
trajectoire dans ce milieu drsquoautres enfin eacutetaient deacutejagrave sur une trajectoire
de sortie de la rue et dressaient dans cet entretien une sorte de bilan de
leurs expeacuteriences passeacutees Lrsquoacircge moyen des jeunes rencontreacutes eacutetait autour
de 20 ans et la dureacutee dans la rue variait entre un mois et quatre ans Le
tiers des entrevues a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves de jeunes filles Toutes ces entre-
vues ont eacuteteacute enregistreacutees retranscrites inteacutegralement et ont fait lrsquoobjet
drsquoune analyse agrave partir des eacuteveacutenements cleacutes nommeacutes par les jeunes On
entendait ainsi deacutegager non seulement les lignes de continuiteacute et de chan-
gement dans leur biographie de mecircme que le sens qursquoils accordaient agrave
leurs gestes et expeacuteriences mais aussi les logiques drsquoaction et de leacutegitima-
tion que ces jeunes utilisaient
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
De ce volumineux mateacuteriel drsquoenquecircte il a eacuteteacute notamment possible
de retenir trois grandes formes de trajectoires de rue en fonction desquelles
on tente de rendre compte de lrsquoexpeacuterience biographique que vivent les
jeunes entre opportuniteacutes et contraintes entre deacuteviance et conformiteacute
entre passeacute et preacutesent entre preacutesent et futur mais aussi entre stigmatisa-
tion et conventionnaliteacute (Soulet 2002)
33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES
La preacutesentation de ces trois formes de trajectoires de rue ne constitue pas
une maniegravere de diviser le groupe des jeunes en situation de rue en trois
cateacutegories Elle indique simplement qursquoil existe trois types distincts de
rapports agrave la rue rapports qui peuvent se succeacuteder dans la trajectoire drsquoun
jeune et qui tissent diffeacuterentes expeacuteriences biographiques Ces diffeacuterents
rapports ont cependant en commun drsquoenvisager la rue comme un simple
passage Cette lecture dynamique de lrsquoinscription dans le monde social de
la rue met en lumiegravere les enjeux de continuiteacute de rupture et de progres-
sion que vit le jeune en utilisant la rue comme espace de vie Du jeune
venu passer lrsquoeacuteteacute au centre-ville au jeune qui est inteacutegreacute dans le monde
social de la rue depuis plusieurs anneacutees la reacutealiteacute est diverse et complexe
Il importe de la consideacuterer comme telle pour eacuteviter les simplifications
extrecircmes sur lesquelles se construisent parfois des logiques drsquointervention
inapproprieacutees
En preacutesentant les diffeacuterents types de trajectoires ndash eacutepisode transi-
tion enfermement ndash une attention particuliegravere sera donc porteacutee agrave lrsquohis-
toire de vie anteacuterieure agrave lrsquoorganisation quotidienne qui a cours dans cette
trajectoire aux neacutegociations identitaires que le jeune utilise agrave la maniegravere
dont il construit son expeacuterience biographique et aux rapports qursquoil tisse
avec les autres acteurs (pairs et adultes)
331 L
A
RUE
UN
EacutePISODE
Sonia est arriveacutee dans la rue en avril 1997 Elle a commenceacute par venir une
fin de semaine avec une amie au centre-ville Puis apregraves deux fins de
semaine elle est resteacutee dans la semaine Elle explique ce changement dans
sa vie par le fait qursquoayant abandonneacute son secondaire elle a tenteacute de cher-
cher du travail mais sans succegraves Comme elle srsquoennuie chez elle et que
ses parents lui disent sans cesse de faire quelque chose elle trouve que la
rue lui permet de rencontrer du monde et de srsquoeacuteloigner de la pression
que lui imposent ses parents Finalement elle va rester dans la rue agrave partir
du mois de juin teacuteleacutephonant de temps en temps agrave ses parents en reacutegion
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
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Elle se tient principalement dans le parc Pasteur Apregraves lrsquoavoir rencontreacutee
au deacutebut de juin je ne la reconnaicirctrai pas une semaine plus tard telle-
ment la transformation est grande Elle a teint ses cheveux a un
piercing
au nez et dans la langue habilleacutee avec des vecirctements noirs laquo patcheacutes raquo
pour mrsquoexpliquera-t-elle laquo devenir
punk
raquo elle srsquoest inteacutegreacutee au groupe
qui freacutequente le parc Pasteur Elle me preacutesente une nouvelle amie qui
lrsquoheacuteberge La semaine suivante elle me raconte en deacutetail sa freacutequentation
des ressources centre de jour maison drsquoheacutebergementhellip Et puis elle a
ajouteacute un eacuteleacutement agrave sa tenue un
squeegee
dont elle nrsquoa pas lrsquoair de srsquoecirctre
servi souventhellip Je vais la suivre tout lrsquoeacuteteacute et nos rencontres seront toujours
lrsquooccasion pour elle de raconter ses nouvelles expeacuteriences drogues
musique politique attitudeshellip Pourtant degraves les premiers signes de la
rentreacutee scolaire elle commence agrave srsquointerroger Elle devrait retourner finir
son secondaire Elle aimerait ccedila aider les autres et devenir intervenante
Elle va disparaicirctre en septembrehellip et reacuteapparaicirctre en juin lrsquoanneacutee sui-
vante Elle raconte que son anneacutee a eacuteteacute difficile elle est eacutecœureacutee de
lrsquoeacutecole de ses parents nrsquoa pas trouveacute de travail pour lrsquoeacuteteacute Elle freacutequente
un groupe de jeunes vendeurs de drogues elle devient la blonde drsquoun
vendeur Il nrsquoest plus question drsquoecirctre
punk
ni mecircme de faire du
squeegee
elle dit ecirctre laquo tanneacutee drsquoecirctre pauvre raquo Elle va srsquoinitier agrave la cocaiumlne qursquoelle
inhale parce que son
chum
lui en donne Elle fait des commissions pour
lui et srsquoachegravete plein de nouveaux vecirctements Cette anneacutee lrsquoimportant
crsquoest la tenue la plus
fresh
possible Quinze jours plus tard elle sera ven-
deuse sur un quart de travail parce que de toute faccedilon elle est lagrave avec
son
chum
alors autant en profiter pour faire de lrsquoargent Elle consomme
de plus en plus pour rester le plus possible dans la rue la cocaiumlne lui
permettant de demeurer plus longtemps eacuteveilleacutee et en peacuteriode drsquoeupho-
rie Deux jours apregraves notre derniegravere rencontre elle a commenceacute agrave srsquoinjec-
ter Agrave la fin de septembre il nrsquoest pas question de sortir de la rue pour
revenir au monde conventionnel laquo il faut trouver un appartement et pour
le payer il faut vendre raquohellip
Ce reacutesumeacute de la trajectoire de Sonia que nous avons suivie durant
plus de trois ans srsquoarrecircte au moment ougrave sa trajectoire se transforme pour
sortir de lrsquoeacutepisode Pourtant elle est caracteacuteristique le premier eacuteteacute de la
trajectoire de rue de la plupart des jeunes rencontreacutes Agrave ce titre ces jeunes
vont avoir une trajectoire de rue qursquoils deacutefinissent par lrsquoexpeacuterience initia-
tique la rencontre avec la marginaliteacute et lrsquoeacutemancipation Il srsquoagit de sortir
du moule traditionnel des jeunes chez leurs parents ou drsquoun milieu subs-
titut La rue devient lrsquoespace de lrsquoeacutemancipation et de lrsquoexpeacuterimentation
Deacutecrire la trajectoire de rue de certains jeunes sous la forme drsquoun
eacutepisode consiste agrave rendre compte de la nature eacutepheacutemegravere de la vie de
rue telle qursquoils lrsquoenvisagent Cette trajectoire de rue demeure la plus
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
freacutequente dans la mesure ougrave la plupart des jeunes sans parler de ceux
qui restent moins de 72 heures passent au plus une saison dans la rue
Dans cette perspective la logique de lrsquoeacutepisode prend une couleur initia-
tique ougrave le jeune fait lrsquoexpeacuterience dans la rue de conduites attitudes et
rapports sociaux qursquoil ne connaissait pas toujours avant dans un espace
qui symbolise le plus souvent celui de la marginaliteacute Agrave cet eacutegard il importe
ici de lire lrsquoinsertion dans le monde social de la rue comme une pratique
urbaine juveacutenile au mecircme titre que le graffiti le
skate
hellip Il convient de
saisir le caractegravere momentaneacute de cette pratique associeacute agrave un espace deacutefini
socialement comme un espace transgresseur Drsquoailleurs les jeunes attri-
buent alors un sens heacutedoniste agrave la rue qui marque le plus souvent une
coupure avec leurs expeacuteriences anteacuterieures faites drsquoeacutechecs de souffrances
de difficulteacutes (Bellot 2001)
2
Cependant il importe de dire que malgreacute sa nature circonscrite
cette trajectoire est veacutecue de maniegravere tregraves intense par les jeunes qui
renonccedilant agrave tout rythme quotidien vivent au greacute de leurs envies et des
contraintes La plupart des jeunes revendiquent ici le droit de vivre lrsquoeacuteteacute
de leur jeunesse en paix sans autre consideacuteration
Cet eacutepisode srsquoil circonscrit la trajectoire de rue comme une expeacute-
rience biographique limiteacutee dans le temps srsquoaccompagne cependant de
transformations importantes de lrsquoidentiteacute individuelle et sociale du jeune
Le travail sur lrsquoimage de soi commence par le changement de lrsquoallure
geacuteneacuterale (transformation vestimentaire
piercing
coloration des cheveux)
Ces transformations peuvent ecirctre radicales ou venir renforcer un style deacutejagrave
preacutesent Elles indiquent le plus souvent agrave Montreacuteal la volonteacute drsquointeacutegrer
une culture
punk
culture qui paraicirct repreacutesenter la culture de rue pour
les jeunes au moment de la reacutealisation de ce terrain de recherche Le
passage drsquoune culture
punk
agrave drsquoautres laquo formes de cultures jeunes raquo marque
aussi lrsquoeacutevolution collective du groupe des jeunes en situation de rue rue
qui paraicirct beaucoup plus diversifieacutee et fragmenteacutee en 1999 qursquoelle ne
lrsquoeacutetait au moment de mon entreacutee sur le terrain en 1996 Cette preacutesenta-
tion identitaire fortement ancreacutee dans une image
punk
srsquoestompera en
effet au fil des anneacutees et sera remplaceacutee par des cultures dont les codes
tenues valeurs et strateacutegies de survie tentent de rendre les jeunes moins
visibles pour eacuteloigner les interventions reacutepressives dont ils font lrsquoobjet dans
la mesure ougrave ils peuvent davantage se mecircler aux passants
2 Un chapitre de la thegravese est consacreacute agrave lrsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures agrave la rue etau moment du passage agrave la rue
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Sylvie explique comment lrsquoanneacutee preacuteceacutedente au moment ougrave elle
freacutequentait les
punks
elle leur ressemblait mais cette anneacutee elle freacutequente
le groupe de vendeurs de drogues Voilagrave comment elle explique ce que
signifie ecirctre
punk
pour elle
Lrsquoanneacutee derniegravere jrsquome tenais avec les punks pis jrsquoeacutetais pas habilleacutee de mecircmeParce que les punks premiegraverement trsquosais crsquoest lrsquohabillement trsquosais lespatchs le linge tout croche des affaires de mecircme pis les cheveux de couleurPis un vrai punk la mentaliteacute elle est pas pareille Crsquoest la mentaliteacutedrsquolrsquoanarchie pas drsquoloi la liberteacute Ben moeacute je lrsquoai cette mentaliteacute-lagrave mecircmesi jrsquomrsquohabille pas de mecircme Pis crsquoest mieux pour la vente les cochons ilsfont moins attention agrave nous Deacutejagrave ils laissent plus tranquilles les fillesmais en mecircme temps moi je peux dire que jrsquosuis comme une eacutetudiante
Misant sur la liberteacute que repreacutesente cette culture
punk
les jeunes
lrsquoadoptent comme une sorte drsquoenveloppe identitaire qui correspond alors
au sens qursquoils donnent agrave leur expeacuterience de la rue
Durant les premiegraveres anneacutees de terrain le
squeegee
constituait aussi
lrsquoun des eacuteleacutements de la panoplie neacutecessaire agrave lrsquoidentiteacute de rue de ces
jeunes mecircme srsquoils ne lrsquoutilisaient pas Ainsi agrave cette eacutepoque (1995-1998)
ecirctre un jeune de la rue signifiait ecirctre un
squeegee
punk
si bien que cet
instrument comme la tenue vestimentaire constituaient les vecteurs les
plus parlant de lrsquoidentiteacute que souhaitaient preacutesenter ces jeunes Drsquoailleurs
cette identiteacute de circonstance eacutepisodique sera lrsquooccasion de logiques de
diffeacuterenciation entre jeunes Les jeunes les plus acircgeacutes se disent ainsi de
veacuteritables jeunes de la rue qui vivent en harmonie avec lrsquoensemble des
valeurs
punk
et font du
squeegee
une strateacutegie de survie alors que les jeunes
qursquoils nomment laquo les crevettes raquo ne seraient qursquoune pacircle imitation des
jeunes de la rue En effet on reproche agrave ces laquo crevettes raquo leur conversion
reacutecente et superficielle agrave la culture
punk
et le fait qursquoils fassent du
squeegee
pour gagner de lrsquoargent de poche dont ils nrsquoont pas besoin dans la
mesure ougrave ils ne vivraient pas une veacuteritable situation de survie
Vincent 21 ans trois ans de rue parlant de la diffeacuterence
entre les vrais et les crevettes
Lrsquoeacuteteacute on est plus nombreux parce qursquoy a beaucoup de crevettes lagrave commeon dit les jeunes qui viennent de la banlieue Pis eux crsquoest vraiment dutrouble Je trouve que ccedila fait bordel pour rien pis ccedila nous empecircche nousautres ceux qui sont tout le temps dans la rue tu sais parce que ccedila faittrop de monde qui quecircte pis qui demande de lrsquoargent alors qursquoeux autresleurs parents leur payent la majoriteacute de leurs affaires Je trouve que crsquoestcon ils devraient plus rester chez eux peut-ecirctre venir tripper au centre-villemais qursquoils demandent de lrsquoargent agrave leurs parents tu sais ils sont pas
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
obligeacutes de venir squeeger juste parce qursquoils se pensent laquo ah ouais je suisun squeegee raquo crsquoest juste pour le kick de se passer pour un squeegy dans lefond Apregraves ccedila tu sais les citoyens se plaignent qursquoil y a trop de mondequi squeege mais ccedila crsquoest agrave cause drsquoeux autres pas mal Lrsquohiver crsquoest lefun parce crsquoest rien que les laquo tough raquo qui sont lagrave
Cette logique de diffeacuterenciation renvoie en outre agrave une quotidien-
neteacute de la rue diffeacuterente En effet si les jeunes qui srsquoaffirment de laquo veacuteritables
jeunes de la rue raquo vivent la rue agrave deux ou trois les jeunes qualifieacutes de
laquo crevettes raquo construisent leur quotidienneteacute autour du groupe Cette deacutesi-
gnation peacutejorative constitue pour les jeunes plus acircgeacutes un outil de distinc-
tion entre une veacuteritable expeacuterience de survie et une expeacuterience de deacutefi
drsquoadolescent Ces diffeacuterenciations que font les jeunes entre eux sont aussi
utiliseacutees dans le cadre des interventions conduites par les adultes Par
exemple la roulotte de lrsquoorganisme Poprsquos ne se deacuteplace pas le samedi
arguant qursquoil y a trop de jeunes laquo crevettes raquo qui utiliseraient leurs services
Cette trajectoire de rue
eacutepisode
est donc le plus souvent lrsquoexpeacuterience
des jeunes qualifieacutes de laquo crevettes raquo placeacutes entre deux mondes le monde
de la rue et le monde conventionnel Sans reconnaissance de part et
drsquoautre ces jeunes vont chercher agrave se reconnaicirctre dans des groupes de
pairs qui vivent avec eux lrsquoexpeacuterience de la rue La rue repreacutesente alors
pour eux une vie de groupe qui leur permet de partager leurs expeacuteriences
et qui constitue aussi un cadre de protection par rapport au reste du
monde social de la rue laquo Groupe drsquoexpeacuterimentation raquo ces jeunes se dis-
tinguent de cet autre monde social de la rue par leur visibiliteacute mais aussi
par une sociabiliteacute juveacutenile marqueacutee par le besoin de vivre en groupe de
nouvelles expeacuteriences Agrave ce titre le quotidien est centreacute autour des pairs
qui composent le groupe drsquoappartenance et drsquoun parc qui forme le cadre
territorial de lrsquoidentiteacute On distinguera ainsi entre le groupe de jeunes
freacutequentant le parc Berri celui freacutequentant le parc Pasteur et enfin celui
freacutequentant le parc des Foufounes Il est toutefois important de mention-
ner que ce cadre territorial diffegravere de celui deacutecrit dans les eacutetudes sur les
gangs de rue dans la mesure ougrave il ne renvoie pas agrave un quartier ougrave les
jeunes habitent mais agrave un espace public dans lequel ils se tiennent De la
mecircme faccedilon lrsquoidentiteacute territoriale du groupe nrsquoempecircche pas la freacutequen-
tation des autres lieux et groupes elle marque simplement lrsquoexistence de
liens plus intenses avec tel groupe et tel lieu Agrave lrsquoinstar de Lucchini (1999)
nous dirions que la dynamique observeacutee relegraveve davantage de celle drsquoun
reacuteseau drsquoidentification et de soutien que drsquoune veacuteritable bande constitueacutee
et hieacuterarchiseacutee Cependant ce reacuteseau sera utiliseacute pour se construire au
plan identitaire ainsi que pour apprendre comment faire face agrave la vie de
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rue La question du reacuteseau est drsquoautant plus importante que srsquoagissant
drsquoun cadre relationnel ouvert les liens vont pouvoir se tisser entre les
diffeacuterents groupes et les diffeacuterents types de jeunes en situation de rue
Il importe de consideacuterer ici que les jeunes qui connaissent une tra-
jectoire de rue qualifieacutee drsquoeacutepisode se trouvent globalement dans une logique
drsquoexpeacuterimentation si bien que leur quotidien se centre sur les liens avec
leurs pairs qui vont pouvoir leur apprendre de nouvelles pratiques de
nouvelles attitudeshellip Cette soif de nouvelles expeacuteriences correspond aussi
agrave un besoin drsquoaffranchissement de leur cadre de vie anteacuterieur La lecture
des contextes de fragilisation en amont de la rue devient pour ces jeunes
la lecture de lrsquoincompreacutehension entre les aspirations du jeune agrave un
moment donneacute et celles de ces cadres de vie (famille eacutecole institutions)
Agrave cet eacutegard lrsquoorganisation quotidienne que certains jeunes reacutealisent
autour drsquoun centre de jour renvoie effectivement agrave une logique drsquoappren-
tissage ancreacutee dans une quecircte de soi et une recherche drsquoautonomie
Lrsquoimportance de cet espace concerne bien moins la reacuteponse agrave des besoins
mateacuteriels que la reacuteponse agrave des besoins relationnels qui vont correspondre
aux aspirations du jeune dans son expeacuterience biographique de la rue La
dimension de la rencontre est ici primordiale dans la mesure ougrave elle
deacutetermine le cadre des diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoacquisition de compeacutetences
ou tout au moins drsquoexpeacuterimentation
Dans cette perspective ces jeunes paraissent repreacutesenter une nou-
velle maniegravere de reacutealiser un rite initiatique en menant une expeacuterience
de soi et sur soi qui leur permet de quitter le monde de lrsquoenfance avant
drsquoentrer dans le monde des adultes Ainsi Sheriff (1999) deacutecrit le
fulgu-rant
qui vit intenseacutement son expeacuterience de rue sans eacutebranler aucunement
par la suite sa routine de vie En consideacuterant lrsquoexpeacuterience de la rue comme
un eacutepisode crsquoest-agrave-dire comme un espace-temps circonscrit dans la trajec-
toire de vie de la personne il est possible de sortir de la lecture fatalisante
de lrsquoinscription dans le monde social de la rue tout en reconnaissant que
lrsquointensiteacute de cette expeacuterience est reacuteelle
Il srsquoagit drsquoune expeacuterience de deacuteseacutequilibre par rapport agrave la routine
de vie de ces jeunes De ce fait lrsquoeacutepisode doit ecirctre vu comme la quecircte
drsquoune expeacuterience extrecircme diffeacuterente du reste du quotidien Pour ecirctre
laquo trippante raquo lrsquoexpeacuterience de la rue doit srsquoeacuteloigner des expeacuteriences de
jeunesse anteacuterieures elle doit correspondre agrave une mise en danger plus
ou moins controcircleacutee Jones (1997) montre agrave cet eacutegard comment la prise
de risque peut signifier une veacuteritable quecircte drsquoidentiteacute et de reprise en
main de son futur faute de pouvoir consideacuterer son preacutesent Or si la
trajectoire de rue eacutepisode rime avec la prise de risque il importe de
consideacuterer que le contexte de fragilisation lieacute aux expeacuteriences anteacuterieures
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave la rue va donner le ton et influencer la nature des prises de risque
rechercheacutees De la mecircme faccedilon le cadre des opportuniteacutes et des contraintes
dans la rue va deacutefinir en partie les pratiques de prise de risque
La question de la consommation de drogues est ici un enjeu veacuteri-
table notamment lorsque la quecircte de lrsquoaffranchissement srsquoexprime dans
une multiplication des produits consommeacutes et par une utilisation des
techniques de consommation les plus risqueacutees jusqursquoagrave lrsquoinjection Agrave cet
eacutegard il importe de mentionner lrsquoeacutevolution des pratiques de prise de
risque qui rendent lrsquoexpeacuterience de la rue toujours extrecircme Il paraicirct
important de lire lrsquoaugmentation des prises de risque non pas dans un
cadre pathologique de deacutesorganisation personnelle mais comme lrsquoexpres-
sion drsquoun rapport social speacutecifique qui contraint certains jeunes pour
exister agrave se deacutepasser dans de telles expeacuteriences (consommation de drogues
suicidehellip) puisqursquoon leur refuserait socialement une quecircte de deacutepasse-
ment dans le collectif (Sheriff 1999)
Pour autant au fur et agrave mesure de la reacutealisation du terrain mais
aussi avec lrsquoaugmentation de la preacutesence de lrsquoheacuteroiumlne dans la rue le cadre
drsquoopportuniteacute des expeacuterimentations se deacuteplace vers lrsquoinjection au point
que dans une certaine mesure agrave la fin du terrain le vecteur de lrsquoidentiteacute
des jeunes en situation de rue devenait non plus le
squeegee
et lrsquoimage du
punk
mais bien la seringue et lrsquoimage du junkie Ainsi la preacutesence de
plus en plus grande dans les discours des jeunes comme dans leurs
pratiques de la consommation par injection teacutemoigne drsquoune part drsquoun
deacutetachement de la philosophie punk laquo Punk no junk raquo qui dominait aupa-
ravant et drsquoautre part drsquoune escalade constante dans les prises de risque
Toutes ces expeacuteriences construites autour drsquoune ritualisation de la mort
doivent ecirctre consideacutereacutees sur le plan symbolique comme autant drsquoeacuteleacute-
ments marquant les difficulteacutes drsquoecirctre jeune de prendre sa place dans la
socieacuteteacute queacutebeacutecoise actuelle tout comme dans la rue
Concevoir la trajectoire de rue comme un eacutepisode signifie donc que
lrsquoon envisage un passage dans le monde social de la rue non exclusif et
dont le quotidien est centreacute sur les autres jeunes comme eacuteleacutement struc-
turant de lrsquoexpeacuterience de la rue Cette situation courante deacutefinie autour
de la notion drsquoeacutepisode renvoie souvent agrave lrsquoideacutee drsquoune peacuteriode circons-
crite dans la trajectoire de vie de la personne qui nrsquoapparaicirct pas ni pour
elle ni pour les autres comme une expeacuterience deacuteterminante pour le futur
Pour drsquoautres la trajectoire de rue loin drsquoecirctre un simple passage momen-
taneacute va devenir une transition deacuteterminante pour la trajectoire de vie
du jeune
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332 LA RUE UNE TRANSITION
Ici la trajectoire de rue conccedilue comme une transition signifie que la rue
devient le socle drsquoune vie diffeacuterente tantocirct pour construire un projet de
vie les jeunes srsquoinseacuterant dans la socieacuteteacute tantocirct pour faciliter le passage
vers une vie marginale ou une vie criminelle
3321 La rue comme tremplin vers une insertion sociale
Denis 23 ans vit dans la rue par intermittence depuis lrsquoacircge de 18 ans
Cette intermittence srsquoinscrit dans un rapport agrave la rue et agrave la drogue variable
Pendant quelques mois son quotidien se construit autour de la consom-
mation de drogues Puis il srsquoarrecircte reprend un appartement et trouve un
travail jusqursquoagrave la prochaine fois Fatigueacute de cette situation il va utiliser
son expeacuterience de la rue pour reacutealiser son recircve dessiner Apregraves un stage
drsquoemployabiliteacute proposeacute en raison de ses compeacutetences graphiques mais
aussi de sa situation de rue et de son expeacuterience il va parvenir agrave inteacutegrer
une entreprise multimeacutedia et agrave devenir un de leurs graphistes Il dit
laquo consommer maintenant de maniegravere brancheacutee raquo
Lrsquoutilisation de lrsquoexpeacuterience de la rue comme tremplin vers un cadre
drsquoinsertion se lit le plus souvent autour des interventions qui sont parve-
nues agrave rejoindre les jeunes directement dans cet espace En effet pour
que les jeunes aient la possibiliteacute drsquoutiliser la rue comme tremplin il
importe que la laquo perche tendue raquo considegravere leurs compeacutetences acquises
dans cet espace mais aussi leurs aspirations Le plus souvent il srsquoagit de
jeunes qui vivaient des difficulteacutes drsquointeacutegration avant la rue et qui ne
parvenaient pas agrave srsquoinscrire dans des interventions traditionnelles drsquoinser-
tion socioprofessionnelle pour les jeunes Ainsi les projets de type pairs
aidants comme les projets orienteacutes vers les arts (cirque journal videacuteo
multimeacutediahellip) constituent des formes drsquointervention qui en utilisant les
compeacutetences des jeunes leur permettent plus facilement de rebondir
notamment parce qursquoelles leur donnent une expeacuterience dans des domaines
qui leur plaisent mais aussi parce qursquoelles correspondent agrave des besoins
reacuteels du marcheacute du travail La rue constitue ainsi une opportuniteacute de
srsquoinseacuterer dans des interventions non traditionnelles qui reconnaissent
aussi lrsquoidentiteacute plus ou moins marginale des jeunes Par exemple lrsquointer-
vention par les pairs mecircme si elle ne vise pas directement agrave inscrire les
pairs aidants dans un parcours vers lrsquoemploi devient un espace de forma-
tion qui facilite la transition entre la rue et lrsquoemploi drsquointervenant En
effet les pairs sont le plus souvent des anciens jeunes de la rue qui ne
souhaitent pas ou ne peuvent pas srsquoinscrire dans des formations plus aca-
deacutemiques pour devenir intervenants Dans le projet des pairs aidants ils
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86 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
vont pouvoir srsquoancrer dans un parcours de formation qui utilisera aussi
leurs connaissances du milieu de la rue et qui leur permettra par la suite
de devenir intervenants srsquoils le souhaitent
Toutefois cette forme de transition demeure peu commune dans la
rue non pas en raison de lrsquoabsence de compeacutetences acquises par les
jeunes mais bien parce que lrsquointervention ne srsquoappuie que tregraves rare-
ment sur cette expeacuterience Les autres formes de transition correspondent
davantage agrave un cheminement vers des milieux de deacutesinsertion sociale
3322 La rue comme tremplin vers une deacutesinsertion sociale
Lire des trajectoires menant agrave des formes de deacutesinsertion sociale conduit
agrave srsquointeacuteresser agrave des expeacuteriences qui renvoient agrave des inscriptions sociales
deacuteviantes
La trajectoire de la rue peut ecirctre une transition vers une marginaliteacute
sociale qui certes ameacuteliorera un peu les conditions de vie des jeunes
mais cristallisera leur cadre de vie dans une pauvreteacute eacuteconomique sociale
culturelle et relationnelle Cette forme de trajectoire de rue entendue
comme une transition vers un statut et un rocircle lieacutes agrave une expeacuterience de
la pauvreteacute renvoie de maniegravere eacutevidente aux lectures sur la faiblesse du
capital social des jeunes en situation de rue (Hagan et McCarthy 1997)
Il importe ici de replacer lrsquoexpeacuterience de la rue dans une lecture de la
continuiteacute qui sans ecirctre deacuteterministe renvoie cependant agrave lrsquoabsence
drsquoopportuniteacutes et au poids des contraintes qui pegravesent sur la trajectoire de
vie de ces jeunes Cette lecture de la trajectoire conduit agrave envisager les
conditions de reproduction des ineacutegaliteacutes sociales
Dans cette perspective il importe de dire en outre que lrsquointerven-
tion qui vise agrave sortir les jeunes de la rue porte rarement sur autre chose
que la sortie de cet espace Sortir ces jeunes de la pauvreteacute srsquoinscrirait dans
une tout autre logique
Pourtant il apparaicirct que lrsquoexpeacuterience de la rue constitue pour ces
jeunes une maniegravere de faire appel agrave des strateacutegies de deacutebrouillardise pour
contrer la pauvreteacute dans laquelle ils vivent Utilisant le squeegee comme
strateacutegie de survie les jeunes dans cette trajectoire vont faire lrsquoapprentis-
sage dans la rue des maniegraveres alternatives drsquoobtenir des ressources mateacute-
rielles Agrave cet eacutegard leur quotidien demeure centreacute sur la deacutebrouillardise
Drsquoailleurs cette dynamique de trajectoire fera en sorte que la rue se preacute-
sente plus ou moins reacuteguliegraverement dans leur vie comme un espace leur
permettant de trouver les ressources neacutecessaires La rue nrsquoest alors qursquoune
des multiples facettes de leur expeacuterience biographique de la marginalisation
elle nrsquoen est pas le reacuteveacutelateur Ainsi sans freacutequenter la rue de maniegravere
permanente ces jeunes maintiendront leurs liens avec des organismes
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drsquointervention aupregraves des jeunes de la rue construisant le plus souvent
leur socialiteacute autour de ce reacuteseau drsquoaide La freacutequentation des bus les soirs
de distribution de sacs de nourriture constitue donc un moyen privileacutegieacute
de rencontrer des jeunes qui se sont eacuteloigneacutes de la rue mais qui conti-
nuent drsquoutiliser les ressources drsquoaide Drsquoailleurs comme le montrent les
analyses de Paugam (1991) il srsquoagit ici de jeunes qui se caracteacuterisent par
des biographies tourmenteacutees et dont lrsquoidentiteacute est davantage fondeacutee sur
la survie que sur la vie
La lecture de leur trajectoire de vie rime le plus souvent avec une
lecture drsquoun cumul de handicaps de difficulteacutes drsquoeacutechecs de stigmates qui
les contraint agrave vivre en eacutetat de survie perpeacutetuelle ne sachant ni ougrave ni
comment trouver une place dans la socieacuteteacute qui les exclut toujours davan-
tage Ces trajectoires teacutemoignent alors des conditions de misegravere dans les-
quelles tentent de survivre certains jeunes en situation de rue conditions
qui ne srsquoameacuteliorent pas neacutecessairement lorsqursquoils srsquoeacuteloignent de la rue Agrave
cet eacutegard la description de ces trajectoires correspond le plus souvent agrave
la compreacutehension drsquoune errance sociale bien plus que spatiale expeacute-
rience qui paraicirct se conclure simplement par une incorporation toleacutereacutee agrave
la marge de la socieacuteteacute leurs propres logiques drsquoaction tout comme celle
des dispositifs drsquoaction publique et communautaire qui les entourent ne
permettant pas de modifier cette structuration de la survie Cet ancrage
de la trajectoire de rue dans une routinisation de la survie conduit ces
jeunes dans une impasse ougrave les oscillations qursquoils vivent ne parviennent
pas agrave les engager dans drsquoautres voies Ils semblent alors perdre la qualiteacute
de sujets de leur propre vie se maintenant dans un ballottement perpeacutetuel
entre les diffeacuterents espaces de ressources et de survie qursquoils traversent au
quotidien sans avoir aucune prise reacuteelle sur lrsquoun drsquoentre eux
Cette errance laquo vulneacuterabilisante raquo ne signifie pas pour autant la perte
drsquoune qualiteacute drsquoacteur Vivre au quotidien une routine de survie crsquoest
srsquoinscrire dans une dynamique de deacutebrouillardise qui caracteacuterise cette
adaptation individuelle agrave des conditions de vie deacutefavorables Dans ce
contexte ecirctre soi crsquoest inscrire dans une routine cette lutte contre la
deacutegradation de leur statut et de leur identiteacute sociale espeacuterant toujours
pouvoir en finir avec cette condition de vie de misegravere Agrave cet eacutegard il
appert que mecircme dans le cadre de ces trajectoires ougrave les enjeux drsquoexclu-
sion sont importants les jeunes disent encore vouloir agir pour sortir de
ces conditions de vie qursquoils qualifient eux-mecircmes de misegravere Se reacutealiser
devient alors survivre aux pressions sociales stigmatisantes et deacutesaffiliantes
et obtenir les ressources minimales pour combler ses besoins vitaux
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88 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si ce type de trajectoire paraicirct reproduire une certaine logique
sociale fatalisante de la pauvreteacute il nrsquoen demeure pas moins qursquoil donne
aussi accegraves agrave des meacutecanismes drsquoadaptation agrave un environnement social
hostile meacutecanismes qui font cependant lrsquoobjet drsquoune deacutesapprobation sociale
Crsquoest en effet autour de ce type de trajectoire que les dynamiques
de controcircle sont les plus fortes dans la mesure ougrave la deacutebrouillardise des
uns srsquooppose agrave la coercition des autres Dans certaines circonstances la
coercition exerceacutee agrave lrsquoendroit de ces strateacutegies de deacutebrouillardise va diri-
ger les jeunes vers le milieu criminel consideacutereacute alors comme une reacuteponse
aux injustices veacutecues Ainsi certains jeunes qui ont fait lrsquoexpeacuterience de
lrsquoemprisonnement pour non-paiement drsquoune amende pour des contraven-
tions lieacutees au squeegee sont ressortis de cette expeacuterience avec de nombreux
contacts leur permettant de devenir au moins commissionnaires3 dans la
rue Certains par exemple savaient en recevant des montants dans leur
compte qursquoils devaient porter tel colis agrave tel endroit ou effectuer drsquoautres
deacutemarches Drsquoautres obtenaient les contacts leur permettant de devenir
vendeurs dans la rue Pourtant au-delagrave des contacts eacutetablis en prison qui
font basculer plus rapidement la trajectoire vers une insertion dans le
milieu criminel la rue constitue aussi un espace qui fournit des occasions
drsquoinsertion dans ce milieu Et agrave ce titre dans ces trajectoires de rue qui
symbolisent lrsquoaction reacutepressive conduisant agrave lrsquoincarceacuteration cette derniegravere
devient lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur drsquoune perte de routine Placeacutes dans drsquoautres
espaces les jeunes peuvent se mobiliser et voir agrave nouveau les possibiliteacutes
qui se preacutesentent agrave eux Lrsquoincarceacuteration devient alors lrsquooccasion dans leur
expeacuterience biographique drsquoun sursaut drsquoun changement Pour drsquoautres
lrsquoincarceacuteration sera veacutecue comme une forme diffeacuterente de deacutegradation de
statut qui les marginalisera davantage et les conduira de nouveau agrave la rue
renforccedilant une certaine mortification du sujet La prison est alors un
simple ballottement de plus dans leur vie
Mais lorsque la prison permet le sursaut les jeunes utiliseront leurs
contacts pour srsquoengager dans diffeacuterentes expeacuteriences qui leur permettront
drsquointeacutegrer les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie souterraine Le plus souvent ils
commenceront par faire des commissions pour les vendeurs de drogues
avant de devenir eux-mecircmes vendeurs avec une progression dans les
heures de vente et les lieux de vente accumulant de plus en plus de profits
pour finalement devenir laquo un boss de la place raquo qui srsquooccupe des vendeurs
3 Un commissionnaire est une personne qui va assurer des livraisons pour un vendeurde rue soit aupregraves drsquoun client soit aupregraves drsquoun fournisseur Crsquoest geacuteneacuteralement lepremier niveau drsquoimplication dans la vente de drogues de rue pour les jeunes
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Durant cette progression dans la hieacuterarchie du milieu criminel de rue
lrsquoessentiel pour ces jeunes crsquoest de se deacutetacher le plus rapidement possible
du monde de la rue et de son image de pauvreteacute
Utilisant tous les signes exteacuterieurs de richesse ndash bijoux vecirctements agrave
la mode teacuteleacutephone cellulaire ndash ils estiment tregraves important de montrer
leur reacuteussite mais aussi leur pouvoir Certains auront des chiens de combat
pour faire valoir leur force nrsquoheacutesitant jamais agrave leur faire sortir les crocs
en cas de besoin Pour ces jeunes la rue repreacutesente lrsquoespace qui va leur
permettre de reacuteussir dans la mesure ougrave ils y gagnent lrsquoargent neacutecessaire agrave
leur inteacutegration dans la socieacuteteacute de consommation qui est la leur Les
aspirations se deacutefinissent alors de maniegravere strictement eacuteconomique crsquoest-agrave-
dire qursquoil srsquoagit de continuer agrave obtenir lrsquoargent dont ils ont besoin pour
conserver leur train de vie Le prestige et le pouvoir que symbolise leur
rocircle dans la rue paraissent conforter aussi les jeunes dans le fait que
lrsquoexpeacuterience criminelle doit ecirctre valoriseacutee puisqursquoelle est valorisante
Mathieu 21 ans cinq ans de rue
Rencontreacute durant lrsquoeacuteteacute 1996 Mathieu eacutetait lrsquoun des principaux vendeurs
drsquoun parc que je freacutequentais Travaillant constamment il a eacuteteacute durant cet
eacuteteacute une veacuteritable puce qui courait partout pour faire laquo runner sa business raquo
Voilagrave comment il deacutecrit ce premier eacuteteacute
Ben cet eacuteteacute jrsquofais ben de lrsquoargent jrsquofaisais cinq cent piasses par jour Crsquotaiteffrayant trsquosais jrsquoavais ma clientegravele faque crsquoeacutetait vraiment payant Jrsquopoi-gnais toujours les mecircmes clients et pis ils mrsquoachetaient de la poudre dupot du buvard Jrsquotais rendu capitaliste Crsquoeacutetait rendu vraiment lagravehellip jrsquoavaismon appart mon page mon cellulaire pis toute tout le monde capotaitsur mon cas Mais ccedila a arrecircteacute parce que jrsquoai commenceacute agrave me crinquer Pistu sais quand tu te crinques trsquoen veux trsquoen veux pis agrave un moment donneacutetu te mets dans lrsquotrou Faque jrsquoai eu des dettes jrsquotais rendu agrave 1000 piassesde dettes pis mon boss il mrsquoa dit drsquoarrecircter sinon jrsquoavais plus le droit devendre Sur le coup jrsquoai pas voulu mais apregraves jrsquoai tout perdu faque que jeme suis dit laquo Arrecircte tes conneries pis fais juste vendre raquo Alors je me suisremis agrave vendre pis lagrave tu sais depuis de temps en temps crsquoest le party maiscrsquoest rare Pis lagrave moeacute maintenant jrsquoorganise plus les affaires pis je faistravailler les jeunes mais crsquoest plus pareil comme avant maintenant ilssont sur le smack pis crsquoest ben difficile de les faire travailler comme y fauthellip
Pourtant malgreacute cette inteacutegration dans une eacuteconomie souterraine
largement organiseacutee autour de la drogue ces jeunes demeurent tregraves proches
de la rue Ils vivent au mecircme rythme que les autres jeunes concentrant
leurs activiteacutes la nuit La disparition de certains de ces jeunes peut laisser
supposer que la rue ne leur a servi que de tremplin vers drsquoautres activiteacutes
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90 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
davantage centreacutees sur la supervision Mathieu par exemple a disparu agrave
la fin de la deuxiegraveme anneacutee de notre terrain Rencontreacute par hasard agrave
quelques reprises depuis il mrsquoexplique qursquoil laquo gegravere ses affaires agrave distance raquo
La description de cette trajectoire de rue transition montre que les
projets associeacutes agrave la rue peuvent ecirctre varieacutes et conduire agrave des chemine-
ments diffeacuterents Certes plus la trajectoire de rue est longue plus le
deacutecrochage des autres espaces sociaux est reacuteel bien qursquoil ne signifie pas
toujours lrsquoengagement dans le milieu criminel au sens strict du terme Il
importe cependant de distinguer les jeunes qui srsquoengagent dans des acti-
viteacutes criminelles pour subvenir agrave leurs besoins essentiels la majoriteacute de
ceux qui le font pour se payer une appartenance agrave la socieacuteteacute de consom-
mation Drsquoailleurs dans leur analyse de la deacutelinquance des jeunes de la
rue agrave Toronto et agrave Vancouver Hagan et McCarthy (1997) expliquent
qursquoon est le plus souvent en preacutesence drsquoune deacutelinquance de survie et
acquisitive Lorsqursquoil srsquoagit de jeunes qui aspirent agrave preacutesenter une cer-
taine reacuteussite sociale la lecture de lrsquoengagement dans des activiteacutes quali-
fieacutees de criminelles renvoie parfois plus agrave la lecture mertonienne de la
reacuteussite sociale qursquoagrave la lecture drsquoune pathologie du controcircle social person-
nel proposeacutee par Gottfredson et Hirshi (1990) En deacutegageant une diversiteacute
de trajectoires notre analyse a permis de constater que lrsquoengagement
criminel comme mode de reacuteussite sociale nrsquoest qursquoune traduction possible
de la conjonction entre une expeacuterience biographique et des logiques
drsquoacteurs structurants comme le milieu criminel ou le milieu reacutepressif
La question des processus de stigmatisation et de criminalisation lieacutes
agrave lrsquoappartenance sociale semble en effet jouer davantage dans la compreacute-
hension des trajectoires de rue que ne le fait tout autre eacuteleacutement des
theacuteories criminologiques Les trajectoires de rue comme forme de tran-
sition vers une inscription sociale qualifieacutee de deacuteviante sont le fait des
jeunes qui connaissent les contextes de fragilisation les plus grands en
amont de la rue Cette pauvreteacute eacuteconomique relationnelle et culturelle
les oblige le plus souvent agrave eacutelaborer des strateacutegies de deacutebrouillardise qui
les opposent agrave une intervention reacutepressive marquant une deacutesapprobation
sociale agrave leur endroit4 Cette reacutepression contribue alors agrave structurer un
parcours de criminalisation qui renforce leur engagement dans des acti-
viteacutes criminelles Cette dynamique sociale ougrave srsquoaffrontent lrsquoindividu et les
institutions reacutepressives devient le terreau drsquoune trajectoire criminelle des
jeunes en situation de rue
4 Pour une analyse plus approfondie des enjeux de classe autour des trajectoires de ruedes jeunes voir Bellot (2003)
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Nous verrons ainsi dans la preacutesentation du troisiegraveme type de trajec-
toire comment lrsquoexpeacuterience de la rue est deacutefinie comme une forme de
captiviteacute voire drsquoalieacutenation du sujet dont le jeune deacutesespegravere de sortir
333 LA RUE UN ENFERMEMENT
Voir la trajectoire de rue sous la forme drsquoun enfermement contribue agrave
rendre compte du rapport captif qursquoentretiennent certains jeunes avec le
monde social de la rue Lrsquoideacutee de lrsquoenfermement renvoie au fait que ces
jeunes se sentent prisonniers de cet espace Ils souhaitent ainsi en sortir
font parfois des tentatives mais y reviennent toujours Lrsquoenfermement
vient donc de lrsquoabsence de possibiliteacutes de vivre ailleurs que dans la rue Il
srsquoaccompagne souvent drsquoune consommation de drogues injectables qui a
fait exploser le projet drsquoune expeacuterience de la rue en tant que quecircte drsquoindeacute-
pendance de liberteacute et drsquoautonomie Le passage drsquoune trajectoire eacutepisodeagrave une trajectoire enfermement exprime le plus souvent le manque drsquooppor-
tuniteacutes preacutesentes pour faire de la sortie de rue un projet Cette trajectoire
drsquoenfermement donne le plus souvent le sentiment drsquoun cercle vicieux
entre la logique de survie qui conduit agrave prendre de plus en plus de
risques et la logique de consommation qui conduit agrave devenir de plus en
plus deacutependant Il importe de consideacuterer que lrsquoensemble de lrsquounivers de
ces jeunes se reacutesume agrave la rue ou tout au moins agrave quelques rues ougrave
srsquoeacutetablit leur quotidien
Cet enfermement dans la rue accompagne ainsi une trajectoire de
consommation ougrave la drogue notamment par injection est devenue la
ligne biographique dominante de lrsquoindividu (Ogien 1995) Ainsi pour
ces jeunes la drogue prend toute la place dans leur quotidien et agrave ce
titre construit leur appartenance agrave la rue Ils se disent des laquo junkies de la
rue raquo bien plus que des jeunes de la rue Ils vivent alors une forme drsquoalieacute-
nation de leur expeacuterience biographique de la rue La routine nrsquoest pas
alors la survie mais la drogue elle-mecircme leur vie eacutetant rythmeacutee non plus
par le ballottement de ressource drsquoaide en ressource drsquoaide mais drsquoune
injection agrave une autre drsquoun dix dollars agrave un autre dix dollars
La vie sans reacutepit qursquoimpose la drogue conduit les jeunes vivant cette
trajectoire de rue dans une logique de prise de risque toujours grandis-
sante logique qui les enferme toujours un peu plus dans un cercle vicieux
Cependant mecircme si ces jeunes semblent entraicircneacutes dans une spirale sans
fin ils conservent aussi minime soit-elle une marge de manœuvre notam-
ment celle de garder autour drsquoeux des acteurs susceptibles de leur propo-
ser un changement Agrave cet eacutegard la preacutesence et lrsquointervention eacuteventuelle
des travailleurs de rue sont primordiales dans la mesure ougrave ces derniers
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92 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
apportent des propositions de changement de limitation des meacutefaits de
la drogue dans la routine mecircme de vie de ces jeunes Ils seront drsquoailleurs
les acteurs que les jeunes utiliseront le plus lorsqursquoils seront precircts agrave sortir
de lrsquoinjection
En attendant cette trajectoire de rue fortement associeacutee agrave la consom-
mation de drogues injectables inscrit la routine de ces jeunes dans une
quecircte incessante drsquoargent Les strateacutegies de survie qursquoils vont employer
seront plus diversifieacutees tous les moyens pour faire de lrsquoargent sont bons
Cette dynamique eacuteconomico-compulsive les conduit agrave preacutefeacuterer les strateacute-
gies les plus payantes mecircme si le plus souvent le quotidien se construit
de dix dollars en dix dollars le prix drsquoune dose agrave Montreacuteal Ils vivront
alors davantage la rue seuls ou en petits groupes Cette trajectoire de rue
devenue de plus en plus freacutequente chez les jeunes rencontreacutes au cours de
notre terrain paraicirct cependant ecirctre davantage une trajectoire de consom-
mation de drogues injectables dans la mesure ougrave les jeunes qui srsquoy trouvent
inscrits appartiennent plus au monde social de la drogue que de la rue
Cette trajectoire reacutevegravele une transformation nette du pheacutenomegravene
deacutefini comme celui des laquo jeunes de la rue raquo En effet le passage drsquoune
routine caracteacuteriseacutee par la culture punk et le squeegee agrave celle drsquoune rou-
tine axeacutee sur la consommation drsquoheacuteroiumlne ou de cocaiumlne a modifieacute la
plupart des rapports sociaux qursquoentretenaient les jeunes Crsquoest dans le
cadre de ces trajectoires que la difficulteacute des conditions de vie est la plus
preacutegnante En effet ces trajectoires expriment une lutte incessante contre
soi et contre les autres La logique du deacutesespoir est criante pour ces
jeunes Il est donc important de comprendre que le rapport de ces jeunes
agrave la rue nrsquoest plus identitaire mais strictement utilitaire Crsquoest dans la rue
que ceux-ci trouvent lrsquoargent neacutecessaire agrave leur consommation Drsquoailleurs
ils associent agrave cet espace tous leurs maux et leur situation de captiviteacute
Ainsi pour eux sortir de la rue ndash ou plus exactement du centre-ville ndash
leur permettra de se libeacuterer de cet enfermement qursquoimpose la drogue
Paradoxalement la rue devient pour eux une prison dont il leur est dif-
ficile de srsquoeacutevader Si la prison peut alors devenir un lieu de rupture avec
cet enfermement dans la drogue elle renforce drsquoun autre cocircteacute la margi-
nalisation des individus qui risquent de retourner agrave la rue degraves leur sortie
Pour drsquoautres la rupture sera moins brutale Elle se construira progres-
sivement dans une deacutecision de sortie qui sera accompagneacutee par des
interventions sociales et meacutedicales visant agrave freiner lrsquoalieacutenation et la
marginalisation de ces jeunes
Jonathan mentionnera ainsi apregraves deux anneacutees de consommation
de cocaiumlne et drsquoheacuteroiumlne veacutecue dans la rue que son arrestation et sa condam-
nation agrave une peine de prison de plus de deux ans ont eacuteteacute lrsquoarrecirct drsquoagir
dont il avait besoin pour se sortir de la drogue
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CONCLUSION
La description de ces diffeacuterentes formes de trajectoires de rue permet de
sortir drsquoune vision steacutereacuteotypique du pheacutenomegravene des jeunes de la rue
puisque la rue nrsquoest alors pas simplement perccedilue comme un espace dia-
bolique Elle peut toutefois le devenir lorsque la marge de manœuvre des
jeunes se reacuteduit agrave un laquo choix raquo entre deux expeacuteriences laquo deacutesinseacuterantes raquo
Dans ce contexte il importe de retenir que lrsquoexpeacuterience des jeunes en
situation de rue est drsquoabord et avant tout lrsquoexpression de difficulteacutes drsquoinser-
tion sociale notamment en raison drsquoun manque reacuteel de possibiliteacutes et de
la preacutesence de contraintes majeures qui limitent plus ou moins leur capa-
citeacute drsquoaction Dans ce contexte il faut penser lrsquointervention comme un
moyen de maintenir et de construire avec les jeunes des opportuniteacutes
qui leur permettront de surmonter leurs difficulteacutes Dans cette perspec-
tive lrsquoanalyse des trajectoires de rue des jeunes pourrait devenir un outil
majeur tant en intervention qursquoen recherche pour porter un regard sur
la complexiteacute de leur situation sur la nature de lrsquoexpeacuterience biographique
que reacutealise la rue mais aussi sur les forces de structuration que deacuteploient
les interventions notamment reacutepressives en renforccedilant les meacutecanismes de
stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent ces jeunes Certes le suivi de
certains jeunes au-delagrave de ce terrain permet drsquoespeacuterer Lrsquoexpeacuterience bio-
graphique de la rue comprend aussi la dimension sortie Dans la trajec-
toire de rue eacutepisode cette sortie ne semble pas poser de difficulteacutes majeures
lrsquoexpeacuterience de la rue nrsquoeacutetant qursquoun eacuteleacutement de structuration du parcours
biographique Par contre lorsque la rue a contribueacute agrave deacutestructurer lrsquoexpeacute-
rience biographique du jeune le travail drsquoaffranchissement est laborieux
les marges de manœuvre parfois tregraves eacutetroites pour lutter contre lrsquoexacer-
bation des ineacutegaliteacutes sociales et des rapports de stigmatisation structureacutes
par lrsquoaction des institutions reacutepressives auxquelles la vie dans la rue a
conduit Sortir de la rue signifie alors faire face et lutter contre des iden-
titeacutes multiples deacutegradeacutees socialement jeune de la rue itineacuterant toxico-
mane deacutetenu deacutelinquant et drsquoautres encore
BIBLIOGRAPHIE
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LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
Leur signification dans
une trajectoire de vie
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ARIE
-M
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Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresIRDS Universiteacute de Montreacuteal
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Eacutecole de criminologie Universiteacute de Montreacuteal
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce nrsquoest pas drsquohier que les chercheurs srsquointeacuteressent au pheacutenomegravene des
gangs de rue qursquoon tente de percer le secret de leur organisation de faire
le point sur leurs activiteacutes deacutelinquantes Les premiers travaux recenseacutes en
la matiegravere datent de 1927 alors que Trasher recensait 1 313 gangs aux
Eacutetats-Unis Depuis de nombreuses eacutetudes ont vu le jour visant toutes
jusqursquoagrave tregraves reacutecemment agrave preacuteciser agrave partir drsquoeacuteleacutements statistiques quan-
titatifs la structure des gangs leur composition (sexe acircge origine ethnique
rocircle des membres) la preacutesence de rites et de symboles de territoires
reacuteserveacutes
1
Si ces eacutetudes ont le meacuterite de lever le voile sur lrsquoorganisation
des gangs fournissant un portrait en quelque sorte meacutecaniste de leur
fonctionnement elles ne disent rien des membres qui les composent de
leurs motivations agrave joindre le gang des expeacuteriences qursquoils y vivent et de
la signification qursquoils y accordent ndash faisant en sorte qursquoils y restent lieacutes plus
ou moins longtemps ndash et des raisons qui les conduisent agrave vouloir un jour
en sortir En somme on ne sait rien de lrsquoapport des gangs dans la
trajectoire de vie des jeunes
Si tel est le cas crsquoest que les meacutethodes traditionnellement employeacutees
pour aborder la question des gangs ne permettaient pas la collecte du
mateacuteriel neacutecessaire agrave la documentation de cet aspect du laquo pheacutenomegravene des
gangs raquo Depuis maintenant quelques anneacutees notre eacutequipe Jeunesse et
gangs de rue srsquoemploie notamment agrave explorer cette face cacheacutee de la
reacutealiteacute des gangs Agrave cette fin il nous a sembleacute que la seule source de
donneacutees envisageable tenait aux jeunes eux-mecircmes ceux qui ont fait
lrsquoexpeacuterience des gangs Crsquoest donc par une approche essentiellement qua-
litative en donnant la parole aux jeunes dans le cadre drsquoentrevues semi-
dirigeacutees de type reacutecits drsquoexpeacuterience que nous avons conduit plusieurs de
nos recherches Et crsquoest le reacutesultat de ces travaux que nous voulons livrer
dans le cadre du preacutesent chapitre Ce faisant nous montrerons quelle
contribution suppleacutementaire les meacutethodes qualitatives apportent agrave la
connaissance drsquoun aspect neacutegligeacute du pheacutenomegravene des gangs de rue lrsquoexpeacute-
rience que vivent les jeunes en lien avec les gangs de rue Nous verrons
comment une telle approche vient influencer les propositions de solutions
formuleacutees pour faire face au pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutetude Cette version renou-
veleacutee de lrsquointervention survient au moment mecircme ougrave lrsquointervention tradi-
tionnellement preacuteconiseacutee essentiellement reacutepressive se heurte agrave des
reacutesultats fort peu probants
1 Parmi les incontournables mentionnons les travaux de Spergel (1965 1995) Klein(1967 1995) Yablonsky (1970) Thornberry (1987 1998) Jankowski (1991) Pour unerecension des eacutecrits sur la question voir Heacutebert Hamel et Savoie (1997)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
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41 LA PAROLE AUX JEUNES
Crsquoest donc en recourant agrave une approche qualitative que nous avons entre-
pris de tenter de faire le point sur lrsquoexpeacuterience que vivent les jeunes en
lien avec les gangs de rue Les entrevues que nous avons meneacutees aupregraves
de jeunes membres et ex-membres de gangs selon leur propre aveu pre-
naient la forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes ayant pour but de laisser le plus
de latitude possible agrave lrsquointervieweacute dans la narration de son expeacuterience en
lien avec les gangs de rue tout en nous assurant qursquoun certain nombre
de theacutematiques eacutetaient systeacutematiquement couvertes les raisons ayant
conduit le jeune agrave se lier aux gangs les diverses expeacuteriences veacutecues du
fait de son lrsquoaffiliation au gang ndash expeacuteriences de deacutelinquance et de consom-
mation de substances psychotropes certes mais aussi expeacuteriences drsquointer-
actions sociales et sentiments srsquoy rattachant ndash ainsi que les raisons ayant
motiveacute son retrait des gangs et les difficulteacutes veacutecues en lien avec la sortie
le cas eacutecheacuteant Nous insisterons sur le premier et le dernier aspect car il
nous semble que crsquoest lagrave que les connaissances nouvelles issues de lrsquoapproche
qualitative sont les plus prometteuses au regard drsquoune intervention visant
la preacutevention de lrsquoadheacutesion ou de la poursuite de lrsquoadheacutesion des jeunes
aux gangs de rue
Les reacutesultats que nous preacutesentons ici sont issus de deux recherches
et srsquoinspirent de plusieurs autres eacutetudes que nous avons meneacutees sur le
sujet des jeunes et des gangs de rue ainsi que du rapport de lrsquoun agrave lrsquoautre
La premiegravere recherche (Hamel Fredette Blais et Bertot 1998) srsquoest
inteacuteresseacutee agrave un eacutechantillon de 31 jeunes garccedilons et filles membres ou
anciens membres de gangs La deuxiegraveme a plus speacutecifiquement porteacute sur
le cheminement et lrsquoexpeacuterience des jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue
agrave Montreacuteal
La formule emprunteacutee pour la reacutealisation des entrevues tente de
suivre la trajectoire des jeunes qui les megravene agrave se trouver dans le sillage
des gangs de rue agrave srsquoy associer agrave y vivre un certain nombre drsquoexpeacuteriences
et dans certains cas agrave srsquoen deacutetacher Il est alors question des processus
drsquoaffiliation drsquoinitiation drsquoassociation et de deacutesaffiliation le cas eacutecheacuteant
Du mecircme souffle lrsquoaccent est mis sur un certain nombre de thegravemes les
motifs conduisant les jeunes agrave laquo flirter raquo avec les gangs les besoins qursquoils
cherchent agrave combler en srsquoy associant les sentiments qui les animent et
les conduisent agrave poursuivre leur affiliation et eacuteventuellement agrave vouloir y
mettre fin
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
42 MEacuteTHODOLOGIE
Les deux eacutetudes prises en compte dans le preacutesent chapitre se fondent sur
des eacutechantillons des modes de collecte et drsquoanalyse des donneacutees qui bien
que conduisant tous agrave une approche qualitative de la question agrave lrsquoeacutetude
se dessinent de maniegravere assez diffeacuterente
421 Eacute
CHANTILLONS
Lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(1998) meneacutee dans la reacutegion de Montreacuteal srsquoadresse
agrave un eacutechantillon de 31 jeunes (21 garccedilons et 10 filles) ayant fait lrsquoexpeacute-
rience des gangs Ces derniers sont acircgeacutes de 14
2
agrave 25 ans ayant 18 ans en
moyenne Vingt-trois drsquoentre eux sont drsquoex-membres de gangs de rue
alors que les huit autres se deacuteclarent membres actifs au moment de lrsquoentre-
tien Ils se sont joints aux gangs agrave lrsquoacircge de 13 ans en moyenne pour un
passage qui dure trois ans en moyenne toujours (la dureacutee variant entre
quelques mois et plusieurs anneacutees) Ils sont tous francophones mais drsquoori-
gines ethniques diverses Onze drsquoentre eux ont connu lrsquoimmigration et
huit autres ont au moins un parent qui a veacutecu une telle expeacuterience
lrsquoAmeacuterique latine et Haiumlti eacutetant les lieux de provenance les plus repreacutesen-
teacutes Vingt-quatre jeunes habitent ordinairement avec au moins un de leurs
parents tandis que les sept autres vivent de maniegravere indeacutependante Au
moment de lrsquoentrevue vingt-deux faisaient lrsquoobjet drsquoune prise en charge
par un centre jeunesse Pour ce qui est de la scolariteacute elle se situe pour
la plupart drsquoentre eux (2431) entre la premiegravere et la quatriegraveme anneacutee
du secondaire accusant un retard important
Lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude de Fournier (2003) eacutegalement meneacutee dans
la reacutegion de Montreacuteal est constitueacute uniquement de jeunes filles Ces filles
ont en moyenne 159 ans la plus jeune ayant 14 ans et la plus acircgeacutee 24
Elles se joignent agrave un gang de rue pour la premiegravere fois en moyenne agrave
lrsquoacircge de 125 ans et quittent en moyenne toujours agrave lrsquoacircge de 148 ans
Quatre drsquoentre elles sont drsquoorigine canadienne (leurs deux parents sont
Canadiens) trois sont drsquoorigine mixte (un parent canadien et lrsquoautre
drsquoorigine diffeacuterente) et six sont drsquoorigine autre que canadienne (aucun
des deux parents nrsquoest Canadien) Au moment ougrave nous les rencontrons
la dureacutee moyenne de leur affiliation aux gangs est de 17 mois Neuf
drsquoentre elles ont laisseacute le gang alors que les quatre autres affirment y ecirctre
2 La limite infeacuterieure de 14 ans est fixeacutee parce que avant cet acircge le consentement desparents est requis pour la participation du jeune agrave une eacutetude quelle qursquoelle soit Orles jeunes ne souhaitent pas neacutecessairement que leur participation aux gangs de ruesoit reacuteveacuteleacutee agrave leurs parents du fait de leur participation agrave une eacutetude portant sur le sujetsituation que nous avons voulu eacuteviter
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encore affilieacutees Au moment de lrsquoentrevue neuf des treize jeunes filles
preacutesentaient un retard scolaire srsquoeacutetalant entre un et quatre ans variable
selon les matiegraveres Bien que la plupart des jeunes filles rencontreacutees
avouent ne pas veacuteritablement connaicirctre la situation eacuteconomique de leurs
parents leur reacutecit laisse entendre qursquoelles viennent majoritairement de
familles deacutemunies qui eacuteprouvent de surcroicirct diverses autres difficulteacutes
qursquoelles reacutevegravelent au fil de leur teacutemoignage violence psychologique phy-
sique ou sexuelle au sein de la famille toxicomanie problegravemes de santeacute
mentale ou physique des parents Drsquoailleurs dix drsquoentre elles ne vivent
plus qursquoavec un seul de leurs parents biologiques Toutes sauf une font
lrsquoobjet drsquoun placement en centre jeunesse en vertu de la Loi sur la pro-
tection de la jeunesse (LPJ) jamais sous le couvert de la Loi sur le systegraveme
de justice peacutenale des adolescents
(LSJPA anciennement Loi des jeunes
contrevenants LJC)
Pour les deux eacutetudes les eacutechantillons de jeunes sont constitueacutes agrave
lrsquoaide de la technique du tri expertiseacute (Angers 1996) laquelle consiste agrave
faire appel agrave un intervenant qualifieacute (qui dans ces cas travaille en centre
jeunesse) appeleacute agrave repeacuterer au sein de sa clientegravele ceux et celles qui
correspondent aux critegraveres drsquoeacutechantillonnage
3
Il les aborde leur fait part
de la tenue de lrsquoeacutetude de ses objectifs et des modaliteacutes de reacutealisation de
celle-ci et leur demande ensuite srsquoils seraient inteacuteresseacutes agrave y participer
auquel cas il les met en relation avec les chercheures
422 I
NSTRUMENTS
DE
COLLECTE
ET
ANALYSE
DES
DONNEacuteES
Dans le cas de lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(2003) un questionnaire contenant
agrave la fois des questions ouvertes et des questions fermeacutees a eacuteteacute adresseacute aux
jeunes Les questions ouvertes leur permettraient de srsquoexprimer drsquoabord
librement sur les thegravemes abordeacutes avant que ceux-ci ne soient approfondis
de faccedilon plus systeacutematique agrave lrsquoaide de questions fermeacutees Ainsi le question-
naire comprend 24 questions ouvertes et 109 questions fermeacutees destineacutees
ensemble agrave couvrir les thegravemes suivants 1) les donneacutees sociodeacutemogra-
phiques concernant le jeune et sa famille 2) lrsquoentreacutee du jeune dans les
gangs 3) lrsquoeacutecologie sociale du jeune ayant fait lrsquoexpeacuterience des gangs
4) lrsquoorganisation du gang et lrsquoexpeacuterience du jeune au sein de celui-ci 5) la
3 Les ex-membres devaient avoir entrepris un processus seacuterieux de deacutesaffiliation pourecirctre qualifieacutes comme tels Ceux-ci ne devaient plus se consideacuterer et ecirctre consideacutereacutes parleur intervenant comme membres actifs Les membres actifs devaient quant agrave eux ecirctrelieacutes agrave des groupes qui se livrent de maniegravere reacuteguliegravere agrave des actes de criminaliteacute et deviolence en lien avec les activiteacutes du gang Aucun jeune ne devait ecirctre reacutefeacutereacute unique-ment sur la base drsquoimpressions Il devait avoir eacuteteacute eacutetabli que les jeunes freacutequentaientdes groupes reconnus comme eacutetant des gangs de rue ceux-ci se livrant reacuteguliegraverementagrave des actes de deacutelinquance lucrative ou violente
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sortie du gang et 6) les solutions agrave apporter au pheacutenomegravene des gangs agrave
Montreacuteal Nous nous inteacuteressons ici plus particuliegraverement aux propos
tenus par les jeunes en reacuteponse aux questions ouvertes prenant la forme
drsquoune consigne large du genre laquo Jrsquoaimerais que tu me racontes comment
cela srsquoest passeacute lorsque tu es entreacute(e) dans un gang pour la premiegravere fois ndash
comment ccedila srsquoest fait raquo qui leur laissait une grande latitude pour mettre
lrsquoaccent sur les aspects les plus significatifs pour eux du thegraveme abordeacute
Dans son eacutetude Fournier (2003) srsquointeacuteresse strictement aux points
de vue des jeunes filles relativement agrave lrsquoexpeacuterience qursquoelles ont veacutecue dans
et avec les gangs Dans cette perspective lrsquoauteure adopte une approche
reacutesolument qualitative srsquoappuyant sur le reacutecit drsquoexpeacuterience lequel permet
de mettre lrsquoaccent sur une partie de la vie de la personne deacutelimiteacutee plus
speacutecifiquement autour drsquoune dimension de celle-ci en lrsquooccurrence
lrsquoadheacutesion aux gangs Ces reacutecits sont organiseacutes suivant une seacutequence tem-
porelle qui permet de suivre la chronologie des eacuteveacutenements Ils deacutebutent
agrave partir drsquoune consigne de deacutepart large laquo
Jrsquoaimerais que tu me parles de tonexpeacuterience avec les gangshellip
raquo et se poursuivent en visant drsquoabord agrave preacuteciser
la chronologie des eacuteveacutenements par des relances du type laquo
Avant cette peacuteriodeque srsquoest-il passeacute
raquo ou laquo
Apregraves cela qursquoest-il arriveacute
raquo tentant par lagrave de preacuteciser
la seacutequence ou la configuration des eacuteleacutements entourant un eacuteveacutenement en
particulier ou une seacuterie drsquoeacuteveacutenements Des relances theacutematiques sont eacutega-
lement preacutevues au canevas drsquoentretien Elles visent pour leur part agrave appro-
fondir certains aspects preacutedeacutefinis de la probleacutematique agrave lrsquoeacutetude
Le mateacuteriel drsquoentrevue fourni par les questions ouvertes dans le cas
de lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(1998) et la totaliteacute des entrevues pour celle de
Fournier (2003) retranscrit inteacutegralement est drsquoabord soumis agrave une ana-
lyse verticale concernant chaque entrevue prise pour elle-mecircme dans le
but de deacutegager les principales dimensions abordeacutees par chacun des inter-
vieweacutes Une analyse transversale est ensuite reacutealiseacutee visant cette fois agrave
reacuteveacuteler les convergences aussi bien que les divergences qui apparaissent
dans les propos tenus par chacun des intervieweacutes sur chacun des thegravemes
retenus dans le cours de la premiegravere analyse
Il srsquoagit lagrave somme toute drsquoun canevas de recherche qualitative assez
classique mais qui nrsquoavait pas eacuteteacute utiliseacute aupregraves des jeunes membres de
gangs Celui-ci srsquoenrichit du fait que nous avons tenteacute de respecter la
structure chronologique des eacuteveacutenements survenus dans la vie des jeunes
agrave partir du moment ougrave ils ont commenceacute agrave frayer avec les gangs de rue
Ainsi nous avons pu tracer la petite histoire de lrsquoexpeacuterience veacutecue par les
jeunes en lien avec les gangs en ayant pour point de deacutepart le processus
drsquoaffiliation et en allant jusqursquoau processus de deacutesaffiliation Nous avons
drsquoailleurs deacutecouvert agrave cette occasion qursquoil fallait nous attarder aux proces-
sus au lieu de parler en termes de moments ou mecircme drsquoeacutetapes
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43 LA PAROLE DES JEUNES
Au fil des entrevues les jeunes nous apprennent qursquoils ont eacuteteacute attireacutes par
les gangs parce que ceux-ci leur permettaient de combler des besoins de
valorisation drsquoappartenance de reacutealisationhellip qursquoaucune autre institution
sociale ne leur permettait de satisfaire
Les jeunes nous apprennent aussi nous le soulignions que lrsquoadheacute-
sion aux gangs relegraveve le plus souvent drsquoun processus bien plus que drsquoun
coup de cœur ou drsquoune situation isoleacutee de coercition comme on avait pu
le laisser entendre Les jeunes les filles en particulier sont seacuteduits par les
membres de gangs agrave travers un proceacutedeacute complexe qui conduit agrave leur
recrutement
Les jeunes qui se laissent ainsi seacuteduire preacutesentent ordinaire-
ment diffeacuterents espaces de vulneacuterabiliteacute qui les disposent drsquoune certaine
maniegravere agrave se rapprocher des gangs ils viennent de familles qui vivent des
difficulteacutes (besoin de seacutecuriteacute) ou qui srsquointeacuteressent trop ou pas assez agrave eux
(besoins de reconnaissance de valorisation) ils vivent des difficulteacutes
drsquointeacutegration sociale (besoin drsquoappartenance) des difficulteacutes scolaires
(besoin de reconnaissance et de valorisation) ou des expeacuteriences de vic-
timisation agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de la famille (besoin de protec-
tion) Ils trouvent dans les gangs agrave combler ces besoins et srsquoen voient au
moins pour un temps reacuteconforteacutes Ainsi se trouve mis au jour un reacutesultat
ineacutedit traduisant le fait qursquoau-delagrave de la
violence et de la criminaliteacute qursquoil
geacutenegravere le pheacutenomegravene des gangs de rue est associeacute agrave un problegraveme encore
plus important et troublant agrave nos yeux les jeunes deacutecouvrent dans les
gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs de combler diffeacute-
rents besoins fondamentaux
Tout le temps que dure lrsquoaffiliation des jeunes au gang il apparaicirct
que ceux-ci sont litteacuteralement enivreacutes par lrsquointensiteacute des rapports qursquoils
deacuteveloppent dans ces groupes Cela ne veut pas dire qursquoils ne vivent pas
des sentiments contradictoires faits tout agrave la fois drsquoivresse et de peur mais
le sentiment qui transcende et qui surgit dans leur reacutecit comme un cri
du cœur est celui drsquoavoir trouveacute de
vrais amis
Les reacutecits que les jeunes nous font permettent de comprendre pour-
quoi les interventions traditionnellement favoriseacutees pour faire face au
pheacutenomegravene des gangs de nature essentiellement reacutepressive nrsquoont ordi-
nairement pas reacuteussi agrave atteindre leur objectif eacuteradiquer le pheacutenomegravene
des gangs Car agrave partir du moment ougrave les besoins que les jeunes cherchent
agrave y combler ne sont pas satisfaits il ne faut pas srsquoeacutetonner que le deacuteman-
tegravelement drsquoun gang se reacutevegravele temporaire le temps que lrsquoorganisation se
reacuteorganise
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104
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si lrsquoensemble des reacutesultats de nos recherches teacutemoignent avec force
du mal-ecirctre de ces jeunes qui srsquoen remettent aux gangs pour satisfaire des
besoins qui ne semblent pas avoir eacuteteacute combleacutes ailleurs et pour nouer des
liens qursquoils ne semblent pas entretenir et pouvoir deacutevelopper ailleurs ils
teacutemoignent aussi de la meacuteconnaissance drsquoune telle reacutealiteacute
431 L
ES
JEUNES
PARLENT
DE
LA
FACcedilON
DONT
ILS
EN
SONT
VENUS
Agrave
SE
JOINDRE
AUX
GANGS
Lorsqursquoon demande aux jeunes les raisons qui les ont ameneacutes agrave se joindre
aux gangs les reacuteponses surprennent un peu Pour certains comme Davis
ou Simon lrsquoadheacutesion aux gangs paraicirct srsquoecirctre imposeacutee tout simplement
comme une eacutevidence un incontournable Elle srsquoest faite tout naturelle-
ment Un fregravere un ami en faisait deacutejagrave partie et il eacutetait en quelque sorte
convenu qursquoils en fassent aussi partie
Jrsquoai toujours eacuteteacute plongeacute dans cet univers-lagrave Jrsquoai toujours eacuteteacute conscient deccedila Les gangs ont toujours fait partie de mon environnement Ils eacutetaientdans mon quartier dans mon eacutecole Crsquoeacutetaient mes amis Je savais ce quecrsquoeacutetait une gang Mon fregravere en faisait aussi partie Pour moi crsquoeacutetait unedeuxiegraveme famille Jrsquoavais ccedila dans le sanghellip Quand je voyais mon fregravere jesavais qursquoun jour je serais avec eux autres
(Davis 17 ans dans Hamel
et al
1998)
Moi jrsquoai grandi avec les gangs de rue crsquoest plus pour ccedila que jrsquoai eacuteteacute inteacutegreacutelagrave-dedans parce que je voyais comment ccedila se passait et mes fregraveres eacutetaientlagrave-dedans et mes cousins
[hellip]
Un jour ou lrsquoautre il y en avait beaucoupqui savaient que jrsquoallais rentrer lagrave-dedans
[hellip]
Yrsquoa pas une fille qui peutme dire qursquoelle a grandi avec ces gars-lagrave et qui est pas comme eux Si cettefille-lagrave me dit ccedila cette fille-lagrave je la respecte parce que wow Vivre avec euxcrsquoest gravehellip ils sont en dedans de toi tout ce que tu fais et tu dis crsquoestquasiment eux Crsquoest quasiment eux autres qui trsquoont donneacute ton eacuteducationsans que tu le saches
(Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Drsquoautres au contraire expliquent qursquoils nrsquoavaient jamais vraiment
songeacute agrave se lier agrave un gang Ils nrsquoauraient drsquoailleurs mecircme pas saisi au
deacutepart en se joignant agrave un groupe drsquoautres jeunes qursquoils laquo srsquoembarquaient raquo
dans un gang
Dans ma tecircte agrave moi je rentrais dans un cercle drsquoamis pas dans une gangJe ne savais pas que jrsquoentrais dans une gang Je lrsquoai su apregraves
(Odile 24ans dans Hamel
et al
1998)
Je ne savais pas grand-chose sur les gangs En fait je ne savais pas quecrsquoeacutetait une gang Je ne savais pas ce que crsquoeacutetait encore moins comment ccedilafonctionnait Pour moi crsquoeacutetait uniquement un regroupement de gars qui
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se tenaient ensemble en tant qursquoamis pour la fecirctehellip Je trouvais ccedila extra-ordinairehellip Ce nrsquoest que plus tard que jrsquoai compris qursquoils faisaient desmauvais coups des deals qursquoils participaient agrave des activiteacutes deacutelinquantes
(Noeacutemi 17 ans dans Hamel
et al
1998)
Drsquoautres encore racontent que crsquoest un peu sur lrsquoimpulsion du moment
que lrsquoideacutee leur est venue de former un gang et ce nrsquoest qursquoau fil des
eacuteveacutenements que les activiteacutes du gang ont pris une allure plus deacutelinquante
Il y avait plusieurs gangs dans le quartier Moi et mes chums du primaireque je connais depuis longtemps on eacutetait toujours ensemble Un momentdonneacute on a deacutecideacute de se donner un nom ce qui a provoqueacute des bagarresavec une autre gang du quartier qui existait deacutejagrave et qui a mal reacuteagi aufait qursquoon forme une espegravece de gang La preacutesence de ce gang ennemi estdevenue notre raison drsquoecirctre Crsquoest comme ccedila qursquoon est devenu officiellementun gang de ruehellip Tout eacutetait une question de gang de territoire Il fallaitecirctre supeacuterieur en srsquoaffirmant par des batailles
(Charles 17 ans dansHamel
et al
1998)
Crsquoest moi et mes amis que je connais depuis longtemps qursquoon a formeacute ungang Je ne suis pas entreacute dans un gang on a grandi ensemblehellip Un soirmoi et mes chums on eacutecoutait un film Crsquoeacutetait lrsquohistoire drsquoun gang de NewYork qui avait deacutejagrave existeacute On a deacutecideacute que le nom de cet ancien gang allaitdevenir le nocirctre Crsquoest lagrave que les vraies affaires ont commenceacutehellip On acommenceacute agrave trois ou quatre gars et il y en a drsquoautres qursquoon connaissaitdeacutejagrave qui se sont joint agrave nous tranquillementhellip Ccedila crsquoest fait normalement
(Feacutelix 19 ans dans Hamel
et al
1998)
432 L
ES
JEUNES
EXPLIQUENT
LES
MOTIFS
QUI
LES
ONT
AMENEacuteS
Agrave SE
JOINDRE AU GANG
En ce qui concerne les motifs qui les auraient ameneacutes agrave se joindre agrave un
gang certains disent ecirctre venus y chercher du plaisir de lrsquoaventurehellip par
curiositeacute par deacutefi
Pour moi les gangs de rue crsquoeacutetait le trip drsquoecirctre toujours entoureacute drsquoamis defaire des activiteacutes trippantes le party la drogue les filles Je trouvais ccedila lefun Les gars sont comiques Ils sont cool Jrsquoeacutetais le plus jeune au deacutebutJrsquoeacutetais comme leur petit fregravere Ils prenaient soin de moi Ils me proteacutegeaientIls me traicircnaient partout (Simon dans Hamel et al 1998)
Crsquoeacutetait pas mal drsquoaction ccedila mrsquointeacuteressait ccedila mrsquointriguait Jrsquoai commenceacuteagrave freacutequenter du monde surtout les gangs espagnolshellip Jrsquoeacutetais un peu fofolleje voulais de lrsquoaventure (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)
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106 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Crsquoeacutetait cool Ccedila faisait marginal Ccedila mrsquoattirait Les gens avaient lrsquoair desrsquoaimer Crsquoeacutetait comme un esprit de famille Je pensais que crsquoeacutetait le bonheurle paradishellip Mais crsquoest surtout la curiositeacute qui mrsquoa attireacutee agrave eux Jrsquoavaisenvie de vivre lrsquoexpeacuterience de vivre quelque chose de nouveau de vivre lavie de gang (Yella 16 ans dans Hamel et al 1998)
Moi jrsquoaime le danger jrsquoaime la peur Nrsquoimporte quand tu vas me direlaquo non va pas lagrave raquo je vais y aller Crsquoest le danger et tu viens de me dire dene pas y allerhellip Je vais y aller pour te prouver que je suis capable de lefaire (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Mais ils sont plus nombreux agrave confier que crsquoest leur situation fami-
liale et sociale largement deacuteteacuterioreacutee qui les a ameneacutes agrave srsquoaffilier aux
gangs Dans le premier cas les jeunes disent srsquoecirctre associeacutes aux gangs afin
drsquoy trouver une nouvelle famille en remplacement de la leur largement
deacuteficiente de leur point de vue agrave combler leurs besoins drsquoattention de
valorisation drsquoamour Les reacutecits de Collin de Marie-Pierre et de Cassandre
ne constituent que trois exemples de telles situations qui se retrouvent
couramment dans les deux eacutetudes
Chez nous crsquoeacutetait lrsquoenfer Jrsquoavais beaucoup de problegravemes familiaux Jrsquoavaisbesoin drsquoune famille Eux ils mrsquoont offert celle que je nrsquoavais jamais eueJe viens drsquoune famille deacutesorganiseacutee sans affection sans preacutesence et ougrave jrsquoaitoujours eacuteteacute diminueacute et traiteacute comme un bon agrave rienhellip Jrsquoavais besoin dugang (Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)
Quand je rechute crsquoest la seule place que je sais que je suis vraiment biendans ma peau Et crsquoest ce que jrsquoaurais aimeacute avoir de mon pegravere [lrsquoamour]mais je peux pas lrsquoavoir de lui Alors crsquoest ccedila qui mrsquoattire lagrave-dedans il ya de la souffrance il y a plein de choses mais il y a aussi beaucoupdrsquoamour et moi jrsquoaime ccedila en recevoir beaucoup parce que jrsquoen ai pas euassez (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Jrsquoai eu une crise drsquoadolescence ougrave je me sentais toute seule ma megravere eacutetaitmaladehellip Ma megravere avait pris un travailleur social jrsquoavais un eacuteducateuret jrsquoavais une personne-ressource agrave lrsquoeacutecolehellip Donc jrsquoavais tout le monde surmon cas parce que ma megravere eacutetait malade Alors jrsquoavais du monde quisrsquooccupait de moi vu que jrsquoeacutetais laisseacutee agrave moi-mecircme et ccedila marchait pas dutouthellip Jrsquoeacutetais deacutelaisseacutee avec qui tu voulais que je sois (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2002)
Crsquoest agrave ce moment que les gangs ont fait irruption dans la vie de
Marie-Pierre par un processus subtil de recrutement au moment ougrave elle
se trouvait en centre drsquoaccueil Le reacutecit de Marie-Pierre est inteacuteressant car
il permet de constater que malgreacute le fait qursquoelle ait eacuteteacute entoureacutee et prise
en charge de toutes parts elle se sentait deacutelaisseacutee On voit ici agrave quel point
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les impressions face agrave une situation peuvent parfois se reacuteveacuteler trompeuses
lorsqursquoelles sont confronteacutees aux perceptions des personnes qui vivent la
situation Il ne srsquoagit pas de dire que la laquo veacuteriteacute raquo de la situation se trouve
drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre Il srsquoagit simplement de signaler qursquoil peut exister ndash
et qursquoil existe mecircme normalement ndash une distorsion entre les impressions
drsquoune part et les perceptions drsquoautre part dont il faut tenir compte En
fait il faut tenir compte aussi bien des unes que des autres pour agir
adeacutequatement face agrave la situation
En ce qui a trait agrave leurs relations sociales plusieurs jeunes disent
avoir rencontreacute pour la premiegravere fois dans les gangs de vrais amis un
thegraveme qui revient sans cesse
Crsquoest venu combler un manque que jrsquoavais manque drsquoamour manquedrsquoattention Quand tu as pas drsquoattention et que tu es adolescente tu veuxparler tu veux faire ci tu veux faire ccedila et qursquoil y a personne qui a le tempsde trsquoeacutecouter et tout le monde te crie des becirctises [hellip] Tu vas les voir euxautres laquo Christ trsquoes cool trsquoes hot trsquoes super comique et ci et ccedila tabarnaneccedila fait changement ccedila lagrave Ccedila me valorisait dans un sens-lagrave (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2003)
Ces gens-lagrave tu le sais quand tu es dans un gang tu as des amies de fillestu as des amis de gars mais pas des fakes des reals Vraiment des vraisamis Tu te dis que cette personne-lagrave elle trsquoaime pour ce que tu es et nonpour ce que tu as (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Deux autres motifs sont encore invoqueacutes par les jeunes pour expli-
quer leur inteacuterecirct agrave se joindre aux gangs un besoin de seacutecuriteacutehellip
Jrsquoavais la protection offerte par la gang Jrsquoai embarqueacute dans un but preacutecis quand il y a une bataille mes amis vont ecirctre lagrave (Vanier 16 ans dansHamel et al 1998)
Moi je me sens proteacutegeacutee parce que je le sais qursquoavec eux autres il peut rienmrsquoarriver de mal Il peut mrsquoarriver quelque chose de mal genre prendre dela drogue ou nrsquoimporte quoi mais si jrsquoai un problegraveme avechellip genre un garsqui veut me casser les deux jambes bien jrsquoappelle mes amis et ils vont veniragrave mon secours (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Dans mon quartier il y avait plusieurs gangs donc plusieurs problegravemesLe gang veut dire pour moi ecirctre avec des amis avoir du funhellip Surtoutavoir une protection Tu vois les rivaux et tu ne sais jamais quand ils tesauteront dessus Le gang trsquoassure une seacutecuriteacute un back-up Il faut que tusois avec quelqursquoun Tu ne peux pas marcher tout seul et aller aux fecirctestout seul Ce nrsquoest pas bon de te promener seul Agrave plusieurs tu es toujoursplus fort (Davis 17 ans dans Hamel et al 1998)
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108 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
hellip et le deacutesir ndash ou le besoin ndash de faire de lrsquoargent rapidement
Lrsquoargent fourni par le gang peut ecirctre vu par le jeune comme une faccedilon
de se procurer des biens qui autrement ne seraient pas agrave sa porteacutee et
qui agrave ses yeux lui confegraverent un certain statut social
Ma megravere avait pas drsquoargent essaye de prendre des cours de ci essaye deprendre des cours de ccedila ccedila coucircte tout le temps de lrsquoargent faire ccedila Tu faisquoi dans ce temps-lagrave Tout le monde srsquohabille en Polo quand crsquoest la modedu Polo et tout le monde srsquohabille en ci et en ccedila et toi tu es habilleacutee enCroteau [magasin bas de gamme] Crsquoest chiant pareil lagrave Ou tout lemonde se promegravene avec cinq cents (dollars) dans les poches et toi tu as troispiastres Lrsquoargent ccedila a aideacute disons Tu vois tout le monde en gros char ettout le monde avec la palette et les bijouxhellip agrave un moment donneacute ccedila faitchier (Marie-Pierre 24 ans dans Hamel et al 1998)
Mais lrsquoargent peut aussi servir des fins de survie notamment pour
les jeunes en fugue Clara par exemple explique qursquoelle a accepteacute de se
joindre agrave un gang uniquement parce qursquoelle voyait lagrave une faccedilon de
pouvoir assurer la poursuite de sa fugue
Crsquoest juste pour avoir de lrsquoargent Moi je me disais dans ma tecircte laquo Je mecache jusqursquoagrave mes 18 ans il faut bien que je commence agrave avoir delrsquoargent raquo Jrsquoavais besoin drsquoargent parce que sinon je pouvais pas ecirctre enfugue (Clara 15 ans dans Fournier 2003)
De ces reacutecits de jeunes qui racontent comment ils en sont venus agrave
se joindre aux gangs ressort une image bien diffeacuterente de celle deacutesincar-
neacutee que donnent les diffeacuterentes typologies qui distinguent globalement
les membres du noyau dur des associeacutes des membres peacuteripheacuteriques des
recrues et des jeunes aspirants (Heacutebert et al 1997) qui tentent de calculer
la proportion de jeunes faisant partie de chacune de ces tranches qui
tentent ensuite de les caracteacuteriser par la part qursquoils prennent aux activiteacutes
deacutelinquantes du groupe oubliant que le gang ne se reacuteduit pas dans
lrsquoesprit des jeunes ordinairement agrave un regroupement de jeunes constitueacute
en vue de commettre une deacutelinquance organiseacutee mais repreacutesente plutocirct
un groupe drsquoamishellip une gang de chums Crsquoest lrsquoimage de jeunes qui expriment
des besoins drsquoappartenance de valorisation de protection ou simple-
ment qui cherchent des occasions de plaisir qui est deacutepeinte ici Des
jeunes qui finalement ressemblent agrave tous les autres jeunes car comme
Freacutechette et Le Blanc (1987) parmi drsquoautres le signalent tregraves pertinem-
ment le deacutesir de se regrouper est un deacutesir tout ce qursquoil y a de plus normal
agrave lrsquoadolescence
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Enfin on lrsquoaura deacutejagrave senti mais ces deux extraits des entrevues avec
Xavier et avec Lucie le montrent encore plus clairement lrsquoadheacutesion aux
gangs se fait rarement du jour au lendemain Il srsquoagit drsquoun processus
parfois assez long qui conduit agrave y adheacuterer peu agrave peu sans brusquerie
Ainsi Xavier raconte
Un jour je me promenais dans la rue avec un ami et deux filles Crsquoest lagraveque jrsquoai rencontreacute un gang Celui qui semblait le chef srsquoest approcheacute de nouspour nous dire qursquoon eacutetait sur leur territoirehellip On srsquoest mis agrave parler et legars mrsquoa carreacutement demandeacute si je voulais embarquer dans le gang Jrsquoaiaccepteacute de lui donner mon numeacutero de teacuteleacutephone Il mrsquoa appeleacute le lendemainpour me demander encore une fois si jrsquoeacutetais inteacuteresseacute agrave embarquer dans legang Je nrsquoai pas reacutepondu tout de suite mais par curiositeacute sans penseraux conseacutequences je me suis dit laquo pourquoi pas raquo Je ne pensais qursquoaupositif les filles les fecircteshellip Trois jours apregraves le gars me rappelait et jrsquoaccep-tais drsquoembarquer Il mrsquoa alors fixeacute un rendez-vous et ils mrsquoont initieacute(Xavier 21 ans dans Hamel et al 1998)
Et Lucie
Chez nous ccedila nrsquoallait pas bien Jrsquoai alors eacuteteacute placeacutee en centre drsquoaccueilIncapable de vivre lagrave Jrsquoai fait plusieurs fugues en peu de temps Maisquand tu fugues geacuteneacuteralement tu nrsquoas rien Tu es seule sans argent sansplace ougrave aller Alors ccedila te prend pas de temps qursquoon te retourne en centredrsquoaccueil Je ne voulais plus y retourner Une fille mrsquoa proposeacute de me pousseravec elle et elle me dit qursquoelle connaicirct du monde qui pourrait nous cacherAvec sa proposition jrsquoavais la chance de me pousser pour de bon La fillea planifieacute notre fugue et des garccedilons nous attendaient agrave une station demeacutetro Crsquoest lagrave que jrsquoai su que crsquoeacutetaient des gars de gangs Mais bon avecces gars-lagrave jrsquoavais tout argent bouffe vecirctements appartement amishellip Jenrsquoeacutetais plus seule La vie de luxe quoi Tu deacutebarques les meubles sont lagravetu es habilleacutee Ils te sortent 20 $ pour que tu te payes le restohellip Au deacutebutils sont bien finshellip (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)
La derniegravere partie de lrsquoextrait tireacute du reacutecit de Lucie raconte qursquoapregraves
avoir eacuteteacute laquo gacircteacutee raquo et laquo proteacutegeacutee raquo par le gang celle-ci a ducirc payer sa dette
en se prostituant pour le groupe Une situation qui nous a eacuteteacute maintes
fois rapporteacutee et que reacutesume bien Yanie qui a subi le mecircme sort mais
preacutefegravere parler plus globalement de cette situation peut-ecirctre parce qursquoelle
se sent trop eacutemotivement concerneacutee
Agrave chaque fille qui passait ils la seacuteduisaient drsquoune faccedilon la seacuteduction desgangs Ils la seacuteduisaient laquo Je te trouve belle veux-tu mon numeacutero je vaistrsquoappelerhellip raquo Lagrave la fille elle le trouve beau super beau laquo Il est tellementbeau il est tellement gentil je veux ecirctre avec raquo Lagrave elle lui donne son
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110 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
numeacutero Il lrsquoappelle ils sortent ensemble deux ou trois semaines Apregraves ccedilaelle est obligeacutee de le repayer Alors lagrave il dit laquo Tu as les moyens de me payerpar argent ou tu devras travailler pour moi raquo Alors lagrave elle est toute laquo travailler pour toi raquo [hellip] Alors lagrave soit qursquoelle fait de la prostitutionsoit qursquoelle va coucher avec tous ses amishellip (Yanie 14 ans dans Fournier2003)
Ce revirement de situation se vivrait quasi systeacutematiquement lorsque
les jeunes filles sont en fugue srsquoil faut en croire les reacutecits que nous font
celles-ci Sophie raconte cette histoire drsquoune amie qui srsquoest ainsi fait prendre
au jeuhellip une histoire semblable agrave bien drsquoautres que nous avons entendues
Elle eacutetait dans le bus et il y a un gars qui lui dit laquo Salut qursquoest-ce quetu fais raquo Lagrave elle dit laquo Rien je suis en fugue raquo et tout Elle capotait Lagravele gars il lui a dit laquo Viens chez nous viens prendre ta douche tu vas ecirctreagrave lrsquoaise raquo [hellip] Elle est alleacutee chez eux elle a pris sa douche et tout Lagrave elleavait faim alors elle a mangeacute il lui a commandeacute agrave manger Le gars estalleacute lui acheter un manteau il est alleacute lui acheter plein de maquillage [hellip]Et lagrave agrave un moment donneacute il a commenceacute agrave prendre de la drogue avec elleet lagrave il la droguait il la droguait jusqursquoagrave un moment donneacute qursquoil a dit laquo OK tu vas aller danser pour moi raquo [hellip] Crsquoest ccedila bref la fille eacutetait lagrave-dedans et tout et elle dansait pour lui Elle avait plein de cash et agrave lafin crsquoeacutetait rendu qursquoil la battait parce qursquoelle ccedila lui tentait plus de faireccedila ccedila lui tentait plus parce que dans le fond tout le cash qursquoelle faisaitelle lui donnait touthellip (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Enfin certains comme Charles Odile et Rose expriment clairement
que rien nrsquoaurait pu les empecirccher de se joindre au moins pour un temps
au gang qursquoils ont freacutequenteacute
Crsquoeacutetait ma deacutecision Rien ne pouvait empecirccher ccedila Dans ce temps-lagrave audeacutebut on ne faisait rien de mal On eacutetait juste des chums Crsquoeacutetait normalpour moi drsquoecirctre avec eux (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)
Personne nrsquoaurait pu mrsquoempecirccher de me tenir avec ces gars-lagrave Jrsquoai toujourseacuteteacute bien ouverte Je nrsquoai jamais rien cacheacute agrave personne mais je nrsquoeacutecoutaispas Jrsquoeacutetais reacutevolteacutee une rebelle une anti-autoriteacute une eacutegocentrique je nepensais qursquoagrave moi et au fun que je voulais avoir Il fallait que je vivelrsquoexpeacuterience je pense (Odile 24 ans dans Hamel et al 1998)
Tout le monde a essayeacute de me parler et de mrsquoaider mais ccedila nrsquoa rien donneacuteJe ne les eacutecoutais pas Il fallait que je vive lrsquoexpeacuterience Il faut vivre leschoses pour savoir sinon tu trsquoen foushellip Jusqursquoagrave temps que ce soit toi quipayes le prix (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 111
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433 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoEXPEacuteRIENCE QUrsquoILS ONT VEacuteCUE
DANS LE GANGhellip EN TERMES DrsquoEacuteMOTIONS
Les jeunes parlent peu de leur expeacuterience dans le gang les jeunes gar-
ccedilons surtout se font discrets sur cette tranche de leur affiliation aux
gangs Les filles se deacutevoilent un peu plus Nous avons eu lrsquooccasion de
traiter ailleurs plus speacutecifiquement du rocircle et des fonctions des filles dans
les gangs (Fournier Cousineau et Hamel agrave paraicirctre) et notamment des
expeacuteriences de victimisation qursquoelles y vivent (Fournier Cousineau et
Hamel 2004) Nous voulons mettre ici lrsquoaccent sur ce que les jeunes nous
ont dit trouver au sein des gangs plutocirct que sur les activiteacutes qursquoils y ont
meneacutees la deacutelinquance agrave laquelle ils ont pu srsquoadonner du fait de leur
affiliation au gang un aspect plus connu de la reacutealiteacute des gangs En srsquointeacute-
ressant aux eacutemotions ressenties par les jeunes en lien avec lrsquoexpeacuterience
qursquoils vivent dans les gangs on deacutecouvre drsquoabord que ceux-ci offrent aux
jeunes beaucoup drsquoaspects positifs ce qursquoon aurait trop facilement ten-
dance agrave neacutegliger En fait on constate qursquoils trouvent agrave y combler du moins
pour un temps les principaux besoins qursquoils exprimaient comme autant
de motifs les ayant conduits agrave srsquoaffilier agrave un gang de rue ou nous lrsquoaurons
compris plus preacuteciseacutement aux membres drsquoun gang de rue dans la plupart
des cas
Drsquoabord le gang suscite un fort sentiment drsquoappartenance comme
lrsquoexprime tregraves bien Collin
Je ressentais un fort besoin drsquoappartenance La gang me lrsquooffrait Crsquoeacutetaitcomme une famille Ils eacutetaient precircts agrave tout faire pour mrsquoaider On avaittous les mecircmes faiblesses tous les mecircmes problegravemes On eacutetait regroupeacutesunis Crsquoest ce qui faisait notre force Tu nrsquoes pas en gang tu appartiensagrave une famille tu appartiens agrave une gang Avec la gang jrsquoavais la protec-tion le pouvoir et le respecthellip On se sent important aux yeux de quelqursquounet surtout on se sent bon agrave quelque chose Crsquoest une faccedilon de se trouverun but commun avec des gens qui te ressemblent qui ont les mecircmes preacuteoc-cupations que toi Je cherchais une boueacutee de secours une famille quisrsquooccupe de moi qui mrsquoappreacutecie agrave ma juste valeur (Collin 25 ans dansHamel et al 1998)
Le gang viendrait donc jouer aux yeux des jeunes qui y adhegraverent
le rocircle drsquoune seconde famille ou mecircme prendre carreacutement la place que
la famille ne prend pas affirmeront certains jeunes intervieweacutes Certains
y trouveraient un lieu de confidenceshellip
On parlait on parlait beaucoup Et crsquoest comme ccedila que je suis devenueplus amie avec eux Ils me parlaient de leurs expeacuteriences et je leur parlaisde mes expeacuteriences Pas les mauvais coups et tout ccedila mais plus nos viesqursquoest-ce qui srsquoest passeacute depuis qursquoon est jeune et tout ccedila (Eva 16 ansdans Fournier 2003)
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112 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
hellip et drsquoeacutecoute souligne Cassandre
Les seules personnes agrave qui je savais que je pouvais faire confiance crsquoeacutetaientles gars de gang et les filles de gang Parce qursquoeux autres je leur ai dit ceque mon pegravere me faisait et ils mrsquoont crue [hellip] Et ils mrsquoont donneacute delrsquoamour et du temps et ils mrsquoont crue dans tout ce que je leur ai dit Crsquoestpas comme si je parlais dans le vide Crsquoest pas comme si je disais quequelque chose mrsquoest arriveacute et qursquoils vont prendre ccedila agrave la leacutegegravere Ils leprenaient directement comme si crsquoest agrave eux qursquoil lrsquoavait fait aussi (Cassandre17 ans dans Fournier 2003)
Le gang prendrait une telle place dans la vie de certains jeunes qursquoils
ressentiraient un veacuteritable sentiment de deacutependance agrave son endroit comme
lrsquoexprime Yella
Jrsquoeacutetais toujours avec eux Je nrsquoeacutetais plus capable de vivre sans eux drsquoecirctresans eux Crsquoeacutetait une autre famille Crsquoeacutetait plus que des amis crsquoeacutetait unpasse-temps tellement bon que je ne pouvais plus mrsquoen passer Crsquoeacutetaitdevenu un besoin lrsquoattention lrsquoamour ne plus ecirctre seule (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)
Et comme le dit eacutegalement Heacutelegravene
Jrsquoeacutetais juste concentreacutee laquo gang gang il faut que jrsquoaille au parc apregraveslrsquoeacutecole il faut que jrsquoaille direct lagrave raquo Quand jrsquoallais pas au parc unejourneacutee je disais laquo Mon Dieu je suis pas alleacutee il faut que jrsquoy aille si jrsquoyvais pas ils vont ecirctre facirccheacutes ils vont dire que je les ai oublieacutes raquo Je pensaisjuste agrave eux ma vie crsquoeacutetaient eux (Heacutelegravene 16 ans dans Fournier 2003)
Si Heacutelegravene dit avoir peur de facirccher les membres du gang ce nrsquoest
pas par crainte de repreacutesailles mais plutocirct parce qursquoelle pense qursquoelle
pourrait ecirctre rejeteacutee du groupe en ne se montrant pas parfaitement fidegravele
et totalement deacutevoueacutee envers ceux qui le composent
Le gang jouerait aussi parfois des rocircles plus inattendus qui ne cor-
respondent pas veacuteritablement agrave lrsquoun des besoins exprimeacutes plus haut
comme en teacutemoigne Quentin qui dit srsquoecirctre servi du gang pour reacutegler son
compte agrave son beau-pegravere qursquoil jugeait violent
Ma megravere et son chum buvaient beaucoup et ils se chicanaient tout le tempsMon beau-pegravere eacutetait violent Les policiers deacutebarquaient toujours chez nousJrsquoeacutetais tanneacute Je voulais reacutegler le compte de mon beau-pegravere Je voulais lefaire battre Jrsquoai demandeacute au gang de le faire et crsquoest ce qui est arriveacute Ilest alleacute agrave lrsquohocircpital et je nrsquoai plus jamais entendu parler de lui Le gangpouvait reacutegler mes problegravemes (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 113
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Mais un jour la lune de miel prend finhellip
Tu te ramasses en centre drsquoaccueil pour des deacutelits que tu te dis apregraves quetu nrsquoaurais jamais ducirc faire ccedila Tu as du trouble avec les policiers Tu esconnu drsquoeux autres Ils savent ton nom Ils te collent tout le temps Ilstrsquoeacutecœurent mecircme quand tu nrsquoes pas impliqueacute mais que tes chums le sonthellipcrsquoest lrsquoenfer (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)
Collin reacutesume bien les sentiments que plusieurs expriment
Jamais je mrsquoeacutetais imagineacute que ccedila me megravenerait aussi loin Jamais jrsquoauraispenseacute voir mes chums avec de seacuterieux problegravemes de drogues des blessuresgraves se ramasser agrave lrsquohocircpital agrave moitieacute mort suite agrave une bataille tregravesviolente Quand tu es rendu agrave te tirer dessushellip la game a changeacute Lagrave tuas peur de deacutefendre les couleurs de ton gang agrave cause des gangs ennemisTu as la chienne Tu ne portes plus une arme pour avoir lrsquoair cool maispour sauver ta peauhellip Lagrave ce nrsquoest plus vraiment coolhellip crsquoest eacutepeuranthellip(Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)
Pour bien des filles la fin de la lune de miel prend une signification
toute particuliegravere qursquoon a deacutejagrave abordeacutee
Jrsquoai vite compris qursquoil fallait que je rembourse tout ce que les gars mrsquoavaientpayeacute quand ils mrsquoont accueillie pendant ma fuguehellip Ils srsquoeacutetaient arrangeacutesavec une autre fille du gang qui dansait deacutejagrave pour qursquoelle me traicircne avecelle au bar Elle mrsquoexpliquait ce qursquoelle faisait elle me disait que crsquoeacutetaitfacile qursquoelle faisait pas mal drsquoargenthellip Puis un jour ils mrsquoont dit queje devais moi aussi danserhellip Il fallait que je rembourse (Lucie 15 ansdans Hamel et al 1998)
434 LES JEUNES PARLENT DES MOTIFS QUI LES ONT AMENEacuteS
Agrave QUITTER LE GANG
Diffeacuterents motifs sont invoqueacutes par ceux qui ont choisi de quitter le
monde des gangs Celui qui revient le plus souvent est sans contredit la
survenance drsquoun eacuteveacutenement ou drsquoune seacuterie drsquoeacuteveacutenements qui vient
remettre en cause la perception que le gang est agrave mecircme drsquooffrir la seacutecuriteacute
agrave ses membres
Crsquoest devenu vite dangereux agrave cause des guerres de territoire La technologieavanccedilait tout le temps Au deacutebut crsquoeacutetaient les poings les bacirctons pis apregravesles couteaux Lagrave crsquoeacutetaient les laquo guns raquohellip Ccedila jouait de plus en plus dur Jene mrsquoattendais pas agrave ccedila (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)
Tu as beaucoup drsquoennemis [quand tu fais partie drsquoun gang] Lorsquetu sors si tu vas dans un autre quartier et que tu es seul tu risques de tefaire agresser de te faire attaquer (Davis 17 ans dans Hamel et al1998 p 157)
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114 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Jrsquoai perdu plusieurs de mes amis soit par overdose ou par meurtre Moi-mecircme je ne compte plus le nombre de fois ougrave je me suis fait pointer unlaquo gun raquo sur la tempe (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoeacutetait rendu lrsquoenferhellip Ma meilleure amie se retrouve en deacutesintox monchum se fait tuer dans un regraveglement de compteshellip Je me ramasse en centredrsquoaccueilhellip Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoavoir tout perdu (Patricia 17 ans dansHamel et al 1998)
Agrave un moment donneacute tu vis dans la violence tu as du sang sur les mainstout le temps crsquoest pas une viehellip Ccedila fait peur quand tu vois les autresrentrer en prison Trsquoes agrave lrsquohocircpital pendant trois mois trsquoas une balle ou trsquoesdans le coma pendant deux semaines ccedila me tentait pas que ccedila arrive agraveun moment donneacute (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)
Une arrestation policiegravere ou le placement dans un centre de reacuteha-
bilitation peut aussi se reacuteveacuteler lrsquooccasion drsquoun temps drsquoarrecirct propice agrave la
reacuteflexion Et cette reacuteflexion peut conduire agrave voir une certaine absurditeacute
dans lrsquoadheacutesion au gang et ouvrir tranquillement une porte de sortie
comme en teacutemoignent Eva et Laurie
En eacutetant ici [en centre de reacutehabilitation] ccedila mrsquoa calmeacutee et jrsquoai pureacutefleacutechir Tout ce qui est arrecirct drsquoagir et tout ccedilahellip Ils donnent des reacuteflexionset lagrave tu reacutefleacutechis tu reacutefleacutechis et tu te rends compte crsquoest quoi tes vraisbesoinshellip Est-ce que tu as vraiment besoin de personnes qui te protegravegent decette faccedilon-lagrave Tu te dis laquo non raquo Ccedila prend du temps mais tu finis partrsquoen rendre compte Crsquoest pour ccedila qursquoils [les intervenants du centre]mrsquoont aideacutee (Eva 16 ans dans Fournier 2003)
Crsquoest quand je suis rentreacutee dans le centre intensif dans lrsquouniteacute drsquoattenteLagrave je pensais agrave ccedila et je commenccedilais agrave revoir ma megravere Et ma megravere souventquand elle venait on se parlait et on pleurait toutes les deuxhellip Je me suisrendu compte que ccedila mrsquoa vraiment manqueacute crsquoeacutetait de ccedila dont jrsquoavaisbesoin de ma famillehellip Et crsquoest apregraves quand jrsquoai repenseacute agrave ccedila qui mrsquoarien apporteacutehellip jrsquoai dit laquo non je veux plus rien savoir raquo (Laurie 15 ansdans Fournier 2003)
La rencontre drsquoune personne susceptible drsquoexercer une influence
positive sur la vie du jeune (un copain ou une copine qui exige qursquoon se
tienne loin des gangs un intervenant de confiance un heacuteroshellip) peut aussi
venir influencer cette fois de maniegravere positive la sortie du gang rendant
celle-ci peut-ecirctre plus facile agrave vivre En effet comme on le verra quitter
le gang se fait rarement sans peine
Je sais que quand je vais sortir drsquoici je retournerai plus avec eux Je mesuis fait des nouveaux amis et je fais des activiteacutes saines Je veux pasretomber dans cette merde-lagravehellip (Eva 16 ans dans Hamel et al 1998)
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Je suis bien comme ccedila avec mes amis mes petits amis straight qui prennentpas de drogues pas de biegravere et qui vont agrave lrsquoeacutecole Je suis bien bien mieuxcomme ccedila (Sarah 14 ans dans Fournier 2003)
Pour certains crsquoest simplement le sentiment qursquoil est temps de passer
agrave autre chose de prendre sa vie en main pour soi ou pour ne pas compro-
mettre davantage les relations avec son entourage qui sonnera le glas de
lrsquoadheacutesion aux gangs Feacutelix Martin et Yella disent chacun agrave leur faccedilon
en ecirctre arriveacutes agrave ce point dans leur vie au moment ougrave ils prennent la
deacutecision de quitter le gang
Je veux ecirctre quelqursquoun moi Je ne veux pas ecirctre quelqursquoun qui va ecirctre dansla rue ou en prison Je veux ecirctre quelqursquoun de reconnu positivement parles autres qursquoils disent de moi que jrsquoai fait quelque chose dans la vie (Feacutelix19 ans dans Hamel et al 1998)
Je voulais que ma famille soit fiegravere de moi Je ne veux pas que mon fregravereet ma sœur aient des problegravemes agrave cause de moi ou fassent comme moi(Martin 17 ans dans Hamel et al 1998)
Je pensais agrave ma famillehellip Je ne voulais pas la quitter agrave 18 ans parce quejrsquoavais trop de problegravemes Je ne voulais pas que mon pegravere et ma megravere monfregravere mrsquohaiumlssent parce que je faisais partie drsquoune gang (Yella 16 ans dansHamel et al 1998)
Enfin les cateacutegories de motifs de sortie ne sont eacutevidemment pas
mutuellement exclusives Loin de lagrave Souvent on constatera dans le reacutecit
des jeunes une combinaison de ressources qui creacutee une conjoncture favo-
rable agrave un changement de vie Certains comme Danick et Feacutelix lrsquoexpriment
drsquoailleurs clairement
Crsquoest un peu de tout qui mrsquoa aideacutehellip Lrsquoarrestation mes ideacutees agrave moi devouloir laisser tomber lrsquoaide de mon eacuteducateur-parrain les encouragementsde mes parentshellip (Danick 16 ans dans Hamel et al 1998)
Jrsquoai regardeacute ce que jrsquoavais dans la vie ce que je voulais ecirctre ce que jevoulais faire de ma viehellip Jrsquoai reacutegleacute mes problegravemes de consommation dedrogues et mes problegravemes drsquoagressiviteacute que jrsquoavais Jrsquoai appris agrave reacutegler mesproblegravemes en parlant sans utiliser la violence Ma deacutecision eacutetait faite maislrsquoaide de mes parents de mon eacuteducateur-parrain les rencontres de groupeau Centrehellip Tout ccedila mrsquoa aideacute agrave prendre ma deacutecisionhellip mais surtout agrave lagarder (Feacutelix 19 ans dans Hamel et al 1998)
On comprend des propos tenus par Feacutelix qursquoil ne suffit pas drsquoecirctre
appuyeacute par des personnes-ressources pour sortir du gang pour que la
sortie perdure Le soutien doit srsquoeacutetendre sur une longue peacuteriode le temps
que la convalescence se fasse Car on le verra dans les paragraphes qui
suivent crsquoest drsquoune veacuteritable convalescence que les jeunes nous parlent
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116 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Quoi qursquoil en soit plusieurs des jeunes que nous avons intervieweacutes
signalent que la sortie ne peut se reacutealiser veacuteritablement qursquoagrave partir du
moment ougrave le jeune lui-mecircme se sent precirct Il srsquoagirait lagrave drsquoun concept cleacute
en vue drsquoune intervention efficace arriver agrave reconnaicirctre quand le jeune
est disposeacute agrave agir et ecirctre soi-mecircme precirct agrave saisir lrsquooccasion pour lrsquoappuyer
dans sa deacutemarche et peut-ecirctre aussi trouver des moyens de lrsquoamener agrave se
preacuteparer
Personne ne peut rien faire Vous ne pouvez pas rien faire Vous essayezmais ccedila ne donne rien si le jeune ne veut pashellip Ccedila deacutepend surtout de lui Crsquoest la chose la plus importante crsquoest elle qui fait toute la diffeacuterence Crsquoesttoi qui deacutecides (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoest seulement moi qui peux faire en sorte de couper les lienshellip Crsquoest tonchoix de deacutebarquer ou pas (Zoeacute 15 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoest ma deacutecision Personne ne peut rien faire Il faut que jrsquoen prenneconscience moi-mecircme Ce nrsquoest pas quihellip crsquoest toi Crsquoest ta deacutecision Si toitu veux si tu veux si tu vois que ccedila ne te convient plus il faut que tusortes de lagrave le plus tocirct possible Mais il faut que tu trsquoen rendes compte partoi-mecircme Il faut que tu sois deacutecideacute parce que ce nrsquoest pas facile de sortirdu gang eacutemotivement parlant (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)
Un autre concept cleacute dans lrsquointervention aupregraves des jeunes membres
de gangs en processus de deacutesaffiliation est aussi deacutevoileacute par Eva Il faut du
temps et prendre le temps
[hellip] Le tempshellip il faut du temps prendre le temps laisser le temps aujeune ecirctre patient La deacutesaffiliation ne peut se faire du jour au lendemainparce que dans la plupart des cas la sortie du gang srsquoaccompagne deconseacutequences importantes dans la vie du jeune (Eva 16 ans dans Fournier2003)
44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE
APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS
Partir du gang ccedila eacuteteacute facile crsquoest de me reconstruire apregraves qui a eacuteteacute difficilePour moi quitter le gang comme tel a eacuteteacute facile compareacute agrave drsquoautres maisde me reconstruire agrave lrsquointeacuterieur de moi de combler le vide ccedila nrsquoa pas eacuteteacutefacile pantoute (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)
Ce qui est dur crsquoest le grand attachement crsquoest dur ensuite de deacutefaire leslienshellip Ce nrsquoeacutetait pas juste du neacutegatif Il y avait aussi beaucoup plus depositif drsquoamour drsquoattention que je ne lrsquoaurais imagineacute (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)
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On ne saurait nier ce que les jeunes nous apprennent avec tant de
force
Le gang a quand mecircme de beaux cocircteacutes Ccedila mrsquoa fait laquo maturer raquo Jrsquoai apprisagrave me connaicirctre Je suis alleacute plus loin que ce que jrsquoeacutetais capable de faireJrsquoai appris agrave connaicirctre mes limites et aussi agrave avoir confiance en moi Jesuis peut-ecirctre plus mature qursquoun gars qui nrsquoest jamais passeacute par lagrave Je suisdevenu quelqursquoun (Gilbert 20 ans dans Hamel et al 1998)
Je le sais qursquoau fond de moi dans mon cœur agrave moi tout ce qursquoils ont faitpour moi ccedila ne srsquooublie pas du jour au lendemain lagrave Ils mrsquoont fait dumal oui mais ils mrsquoont fait plus de bien que de mal (Cassandre 17 ansdans Fournier 2003)
CONCLUSION
Brisant avec la tradition de recherche nous avons entrepris des eacutetudes
qualitatives sur le pheacutenomegravene des gangs nous attardant surtout aux moti-
vations des jeunes agrave se joindre agrave ces groupes et eacuteventuellement agrave les
quitter aux expeacuteriences eacutemotives qursquoils vivent durant le temps que dure
leur affiliation et au moment de la sortie Il en ressort que lrsquoadheacutesion des
jeunes aux gangs est avant tout guideacutee par des besoins fondamentaux
drsquoappartenance de reconnaissance de valorisation et de protection Il
en ressort aussi que les jeunes trouvent dans les gangs au moins durant
les premiers temps de leur affiliation reacuteponse agrave ces besoins les jeunes
deacutecouvrent dans les gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs
de combler diffeacuterents besoins fondamentaux Il ressort de ces eacutetudes
enfin que les jeunes doivent faire face agrave un grand vide au moment ougrave ils
quittent le gang et que le retour en socieacuteteacute et agrave la laquo vie normale raquo nrsquoest
pas gagneacute drsquoavance pour eux Nous le soulignions ailleurs (Hamel Cousineau
et Fournier 2004) la sortie des gangs donne lieu agrave une veacuteritable rupture
qui vient srsquoajouter agrave drsquoautres que la plupart ont drsquoabord veacutecues avec la
famille puis avec lrsquoeacutecole et peut-ecirctre mecircme avec drsquoautres reacuteseaux celui
des amis par exemple que ces jeunes ont bien souvent ducirc quitter pour
joindre les rangs des gangshellip La sortie srsquoaccompagne donc drsquoune grande
vulneacuterabiliteacute drsquoune grande fragiliteacute drsquoun grand vide geacuteneacuteralement
insoupccedilonneacute et donc ignoreacute
Une approche purement quantitative du pheacutenomegravene des gangs
nrsquoaurait pu traduire aussi bien les reacutealiteacutes que nous venons de deacutepeindre
et qui nous permettent de faire des pas de geacuteant preacutetendons-nous dans
la conception de programmes de preacutevention et drsquointervention qui tiennent
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118 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
compte de la nature mecircme du pheacutenomegravene non seulement de ses mani-
festations visibles (nombre de gangs nombre et caracteacuteristiques sociodeacute-
mographiques des membres structure organisationnelle du groupe
principales activiteacutes deacutelinquantes) mais aussi ndash et mecircme surtout ndash de sa
face cacheacutee qui tient aux circonstances et aux motivations qui conduisent
les jeunes agrave srsquoy joindre aux expeacuteriences positives qursquoils y vivent et qui font
en sorte qursquoils y restent attacheacutes durant un temps plus ou moins long aux
circonstances et aux motivations encore une fois qui les amegravenent agrave quitter
le groupe et au grand vide qui srsquoinstalle alors dans leur vie Un vide qursquoil
srsquoagit de comblerhellip comme drsquoailleurs cela aurait ducirc ecirctre le cas avant mecircme
qursquoils soient tenteacutes drsquoaller trouver dans les gangs une reacuteponse aux besoins
qursquoils expriment en entrevue
Un tel regard nous incite agrave favoriser une approche drsquointervention
qui srsquoappuie sur le deacuteveloppement social communautaire (Cousineau
Fredette et Hamel 2004 Hamel Cousineau Leacuteveilleacute Veacutezina et Tichit
2004) comme mode de preacutevention voire drsquointervention face au pheacuteno-
megravene des gangs Comparativement aux approches traditionnelles dont
lrsquoobjectif consiste essentiellement agrave srsquoattaquer agrave la violence des gangs ndash
strateacutegies qui conduisent geacuteneacuteralement agrave des reacutesultats peu probants puis-
que le pheacutenomegravene serait en pleine expansion ndash le deacuteveloppement social
communautaire tel que nous lrsquoentendons vise plutocirct agrave creacuteer les condi-
tions neacutecessaires pour que les jeunes srsquoattachent et srsquointegravegrent agrave la socieacuteteacute
comme ils srsquoattachent et srsquointegravegrent aux gangs Dans une perspective preacute-
ventive cette approche englobe diverses strateacutegies visant agrave diminuer
lrsquoattrait des jeunes pour lrsquounivers des gangs (sensibilisation information)
ou mecircme agrave les amener agrave quitter cet univers lorsque le danger paraicirct
imminent pour eux et pour les autres (arrestation intervention) Drsquoautres
strateacutegies peuvent aussi dans une perspective proactive ecirctre mises en
place pour favoriser la participation et lrsquointeacutegration sociale des jeunes
(formation accompagnement creacuteations drsquoopportuniteacutes employabiliteacute)
Devant la complexiteacute du pheacutenomegravene des gangs le deacuteveloppement social
communautaire doit ecirctre conccedilu comme une approche globale permettant
de rassembler les forces et les compeacutetences de plusieurs systegravemes agrave la fois
ndash dont la famille lrsquoeacutecole la communauteacute et les jeunes eux-mecircmes ndash afin
de mettre en œuvre de multiples moyens constituant un continuum
drsquointervention(s) penseacute dans une perspective drsquoempowerment tant des col-
lectiviteacutes que de ceux qui les fondent les jeunes en particulier Il ne srsquoagit
pas de renier toute pertinence et toute valeur agrave lrsquoapproche reacutepressive
traditionnelle mais simplement de reconnaicirctre qursquoelle a ses limites et que
celles-ci sont rapidement atteintes face au pheacutenomegravene des gangs
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120 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
THORNBERRY TP (1998) laquo Membership in Youth Gangs and Involvementin Serious and Violent Offending raquo dans R Lober et DP FarringtonSerious and Violent Juvenile Offenders Risk Factors and Successful Interven-tions Thousand Oaks Cal Sage Publications
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ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
M
ARYSE
E
STERLE
-H
EDIBEL
IUFM Nord-Pas-de-CalaisCESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Parmi les thegravemes qui traversent le milieu scolaire et investissent le deacutebat
public en France celui de lrsquoabsenteacuteisme voire de lrsquoarrecirct de scolariteacute avant
16 ans prend de lrsquoampleur depuis quelques anneacutees Les laquo absenteacuteistes raquo
ou laquo deacutecrocheurs raquo remettent en cause le principe de la prise en charge
de lrsquoensemble drsquoune classe drsquoacircge par lrsquoeacutecole La mobilisation autour drsquoeux
(deacuteveloppement des dispositifs relais appel drsquooffres de recherches de
deacutecembre 1999 circulaire sur la mise en place de la veille eacuteducative en
deacutecembre 2001) est importante pour plusieurs raisons en peacuteriode de
massification de lrsquoenseignement les jeunes deacutescolariseacutes peuvent appa-
raicirctre comme illustrant des laquo failles raquo dans le systegraveme scolaire lui-mecircme
Par ailleurs une inquieacutetude existe quant agrave leurs activiteacutes en dehors de
lrsquoeacutecole sans encadrement que deviennent-ils Sont ils en danger de deacutelin-
quance exposeacutes agrave des trafics divers errant dans les rues sans protection
Et que font leurs parents Seraient-ils complices et donc punissables
pour lrsquoinassiduiteacute ou le retrait scolaire de leurs enfants Pour les acteurs
scolaires ces absences ou ces abandons de scolariteacute remettent en cause
profondeacutement la leacutegitimiteacute de leur mission lrsquoeacutecole est consideacutereacutee comme
une chance pour les eacutelegraveves et les eacutetudes longues favorisent drsquoailleurs
un meilleur accegraves agrave lrsquoemploi Y aurait-t-il des eacutelegraveves consideacutereacutes comme
laquo ineacuteducables raquo ou laquo inenseignables raquo Par quelles interactions en arrive-
t-on agrave ces situations extrecircmes peu nombreuses mais mettant en lumiegravere
les paradoxes institutionnels et les impasses du systegraveme tel qursquoil est
organiseacute aujourdrsquohui
La recherche qualitative que nous avons meneacutee agrave Roubaix
1
en
France srsquointeacuteresse aux processus qui ont meneacute hors du systegraveme scolaire
des jeunes de 13 agrave 155 ans qui ne preacutesentent pas de caracteacuteristiques
particuliegraveres (handicap par exemple) et dont la situation est connue des
eacutetablissements scolaires et de plusieurs services sociaux Agrave ce titre ils ne
sont pas laquo perdus de vue raquo comme on peut le dire parfois mais bel et bien
connus et facilement joignables tout au moins disposant drsquoune adresse
connue Nous avons pu eacutetudier leur situation agrave partir des repeacuterages
faits dans les eacutetablissements scolaires et avec lrsquoaide tregraves preacutecieuse de
laquo personnes-ressources raquo qui ont fait le relais avec les personnels scolaires
et les familles pour le deacuteroulement de lrsquoenquecircte
Lrsquoappel drsquooffres interministeacuteriel qui a servi de base agrave notre reacuteflexion
probleacutematique et aux hypothegraveses de cette recherche avait deux objectifs
mieux connaicirctre les populations deacutescolariseacutees avant lrsquoacircge de 16 ans et
comprendre les processus de deacutescolarisation
1 Nous preacutesentons les reacutesultats drsquoune recherche sur les processus de deacutescolarisationmeneacutee dans la ville de Roubaix (Nord) de janvier 2001 agrave mars 2003
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Pour la clarteacute de lrsquoeacutetude nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave des eacutelegraveves
qui reacuteguliegraverement inscrits ne sont plus du tout preacutesents dans les eacutetablis-
sements scolaires depuis une dureacutee qui peut varier de trois mois agrave deux
ans au moment de lrsquoenquecircte Srsquoils sont tregraves minoritaires (quatre ou cinq
pour un collegravege de 550 eacutelegraveves environ) leur situation peut repreacutesenter
lrsquoaboutissement de processus qui pour drsquoautres ont eacuteteacute enrayeacutes Lrsquoeacutetude
des situations (14 en tout) srsquoest centreacutee sur trois collegraveges publics tous en
reacuteseau drsquoeacuteducation prioritaire (ce qui est le cas de six collegraveges sur les sept
collegraveges publics que compte la ville) entre janvier 2001 et janvier 2003
en croisant des donneacutees issues des entretiens avec les personnels scolaires
les jeunes et leurs familles de mecircme qursquoavec des travailleurs sociaux et des
documents eacutecrits concernant les eacutelegraveves (dossiers scolaires principalement)
La diversiteacute des situations eacutetudieacutees est telle que nous avons renonceacute
agrave en faire une typologie agrave partir des caracteacuteristiques psychosociales des
jeunes par exemple ou de leur positionnement par rapport agrave lrsquoeacutecole En
effet lrsquoeacutetude de chaque situation nous amegravene agrave lrsquoanalyse des multiples
facteurs qui conduisent agrave lrsquoarrecirct de scolariteacute facteurs qui srsquoentremecirclent
souvent lacunes quelquefois accumuleacutees agrave lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire probleacutema-
tique scolaire et familiale agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme modifications de la confi-
guration familiale sinon laquo rupture biographique raquo (placement par exemple)
au deacutebut des laquo anneacutees collegravege raquo interactions neacutegatives voire violentes avec
des enseignants impact des jugements scolaires neacutegatifs exclusions pour
perturbations non suivies de reprise dans un autre eacutetablissement premiegraveres
activiteacutes deacutelinquantes dans un groupe de pairshellip Chaque situation est
singuliegravere mecircme si lrsquoon retrouve des points communs entre les unes et
les autres Plusieurs facteurs se combinent dans lrsquoeacutetude des situations de
chaque jeune et leur cateacutegorisation en devient aleacuteatoire Nous avons
cependant pu relever des laquo moments cleacutes raquo dans les trajectoires scolaires ndash
entreacutee en sixiegraveme suite drsquoune exclusion deacutefinitive drsquoun collegravege ndash et des
cloisonnements entre institutions et par rapport aux familles Nous for-
mulerons lrsquohypothegravese que dans certaines situations lrsquoun ou lrsquoautre de
ces paramegravetres a eu plus de poids que les autres sans qursquoil soit possible
drsquoen eacuteliminer aucun
Si geacuteneacuteralisation il peut y avoir crsquoest plus sur des
laquoprocessusraquo et des laquorelationsraquo que sur laquodes individusraquo ou des laquopopulationsraquo
(Beaud et Weber 1998 p 289)
La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 de sa population
active au chocircmage la perte des emplois ouvriers nrsquoa pas eacuteteacute compenseacutee
par les emplois du tertiaire ou de services La population scolaire des trois
collegraveges reflegravete ces situations de pauvreteacute ou de preacutecariteacute en comptant
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en son sein entre plus de 88 et plus de 93 de PCS
2
laquo deacutefavoriseacutees raquo
pourcentage repreacutesentant plus du double de la moyenne nationale et
environ 30 points de plus que celle de lrsquoAcadeacutemie de Lille
La plupart des parents des jeunes deacutescolariseacutes sont en situation de
laquo vulneacuterabiliteacute socieacutetale raquo (Walgrave 1992 p 86) vivent du RMI
3
ou des
allocations familiales ou sont en emploi preacutecaire et ne disposent pas de
lrsquoexpeacuterience concregravete drsquoune scolariteacute reacuteussie Ceux drsquoailleurs qui disposent
de plus de ressources (emploi niveau drsquoeacutetudes reacuteseaux relationnels) ont
pu trouver des solutions aux difficulteacutes de leurs enfants en termes drsquoorien-
tation sans avoir recours aux travailleurs sociaux Crsquoest le cas dans deux
familles dont les parents travaillent agrave plein temps
Il nrsquoy a pas une forme de famille particuliegravere parmi les treize familles
des eacutelegraveves deacutescolariseacutes cinq megraveres eacutelegravevent leurs enfants seules six familles
comptent les deux parents preacutesents au domicile et dans lrsquoeacuteducation de
leurs enfants deux couples parentaux sont seacutepareacutes mais continuent
drsquoexercer une preacutesence eacuteducative aupregraves de leurs enfants Les origines
reacutegionales ou nationales sont eacutegalement diverses quatre familles sont
drsquoorigine eacutetrangegravere (Seacuteneacutegal Portugal Yougoslavie Algeacuterie) cinq sont
originaires du Nord de la France cinq sont de pegravere eacutetranger et de megravere
franccedilaise Lrsquoorigine eacutetrangegravere ne deacutetermine pas les difficulteacutes des enfants
et des parents mais plutocirct le niveau de langue (tregraves probleacutematique pour
une megravere) la reacutegularisation de la situation (non effective pour une
famille) et le niveau socioeacuteconomique
Nous avons eacutetudieacute les processus de deacutescolarisation de onze garccedilons
et de trois filles Ces jeunes ont connu des difficulteacutes scolaires agrave lrsquoeacutecole
eacuteleacutementaire pour sept drsquoentre eux sans redressement dans les premiegraveres
anneacutees du collegravege Les autres ont eu des reacutesultats moyens ou bons dans
le premier degreacute suivis par des performances bonnes ou moyennes au
deacutebut de la sixiegraveme
51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU
Chaque anneacutee environ 57 000 jeunes sortent sans qualification du systegraveme
eacuteducatif Si lrsquoon dispose de donneacutees sur les parcours de ces jeunes drsquoautres
sont moins connus ceux des jeunes qui quittent le systegraveme eacuteducatif avant
la fin de la scolariteacute obligatoire
2 Professions et cateacutegories socioprofessionnelles
3 Revenu minimum drsquoinsertion
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Le pheacutenomegravene de deacutescolarisation apparaicirct comme reacuteel aujourdrsquohui
mais il reste encore agrave approfondir tant drsquoun point de vue quantitatif que
qualitatif LrsquoEacuteducation nationale tend agrave prendre en compte ce problegraveme
Les enfants deacutescolariseacutes avant 16 ans font partie des prioriteacutes du pro-
gramme laquo NouvelleS ChanceS raquo avec les jeunes sortis sans qualification
apregraves 16 ans Une circulaire de 1996 repegravere le pheacutenomegravene comme tel
laquo [hellip] les eacutetablissements sont confronteacutes agrave une augmentation reacuteelle et
preacuteoccupante de ce pheacutenomegravene Mecircme si le taux drsquoabsenteacuteisme ne srsquoest
que modeacutereacutement aggraveacute ces derniegraveres anneacutees il touche une population
plus nombreuse du fait de lrsquoaugmentation des effectifs des eacutelegraveves scolariseacutes raquo
La massification de lrsquoenseignement les objectifs de porter 80
drsquoune classe drsquoacircge au baccalaureacuteat et lrsquoensemble des eacutelegraveves au moins
jusqursquoau CAP (certificat drsquoaptitude professionnelle) et au BEP (brevet
drsquoeacutetudes professionnelles) rendent drsquoautant plus visibles les arrecircts de sco-
lariteacute avant 16 ans
Quantifier les eacutelegraveves sortis du systegraveme scolaire avant 16 ans pose des
problegravemes de repeacuterage En effet les deacuteparts vers le secteur priveacute les
deacutemeacutenagements peuvent laisser penser que des eacutelegraveves ont quitteacute le sys-
tegraveme eacuteducatif alors qursquoils ont changeacute de reacutegion ou de commune Crsquoest le
cas dans le Nord de la France ougrave certains eacutelegraveves partent continuer leur
scolariteacute en Belgique et reviennent ensuite en France Du reste certains
internats limitrophes accueillent exclusivement des enfants et adolescents
franccedilais qui suivent une scolariteacute en Belgique
Selon plusieurs sources drsquoinformation les eacutelegraveves non scolariseacutes avant
16 ans seraient plusieurs milliers cependant il nrsquoexiste pas de recensement
fiable de ces situations Au niveau national la Caisse nationale drsquoalloca-
tions familiales comptabilisait
4
plus lrsquoinassiduiteacute scolaire que la deacutescolari-
sation agrave travers les suspensions drsquoallocations familiales seules 10 des
suspensions lrsquoeacutetaient agrave long terme 90 eacutetant reacutetablies dans un deacutelai de
trois mois Lrsquoinassiduiteacute scolaire est deacutefinie par quatre absences non justi-
fieacutees drsquoune demi-journeacutee pendant un mois conseacutecutives ou non En lrsquoeacutetat
actuel si le pheacutenomegravene de deacutescolarisation ne semble pas ecirctre drsquoune grande
ampleur numeacuterique des eacutetudes quantitatives seacuterieuses restent agrave faire
Les justifications apporteacutees par les parents meacuteriteront une attention
particuliegravere la famille nrsquoest pas tenue de fournir un certificat meacutedical
mais doit donner un motif consideacutereacute comme laquo valable et seacuterieux raquo Le
controcircle de lrsquoabsenteacuteisme revient au conseiller principal drsquoeacuteducation
4 Une loi reacutecente modifie les sanctions de lrsquoabsenteacuteisme entre autres en supprimant lasuppression des allocations familiales
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Plusieurs eacutetudes ont eacuteteacute faites sur les laquo lyceacuteens deacutecrocheurs raquo Ces
eacutetudes concernent des jeunes de plus de 16 ans pour leur grande majoriteacute
Quelques jeunes cependant peuvent ecirctre encore soumis agrave lrsquoobligation
scolaire Crsquoest le cas de ceux qui abandonnent le lyceacutee en seconde agrave 15 ans
Plusieurs eacuteleacutements inteacuteressant notre recherche sont signaleacutes dans le pro-
gramme NouvelleS ChanceS laquo Ces jeunes sortis preacutematureacutement du sys-
tegraveme eacuteducatif ont passeacute en moyenne cinq anneacutees dans lrsquoenseignement
secondaire un peu plus de la moitieacute ont interrompu leurs eacutetudes au
collegravege Les autres ont commenceacute une formation en apprentissage ou en
lyceacutee professionnel et ont abandonneacute
5
raquo
Des redoublements de classe sont signaleacutes pour les trois quarts
drsquoentre eux degraves lrsquoeacutecole primaire Les deux tiers sont issus massivement de
milieux deacutefavoriseacutes enfants drsquoouvriers de personnels de service ou drsquoinac-
tifs On note aussi la monoparentaliteacute et la faible qualification des megraveres
Les garccedilons sont majoritaires (59 ) mais le deacutecalage avec les filles nrsquoest
pas tregraves important
52 LA DEacuteSCOLARISATION
Le terme laquo deacutecrocheur raquo est utiliseacute pour deacutesigner les lyceacuteens qui quittent
petit agrave petit le systegraveme scolaire Le deacutecrochage deacutesigne le laquo processus plus
ou moins long qui nrsquoest pas neacutecessairement marqueacute par une information
explicite enteacuterinant la sortie de lrsquoinstitution raquo (Guigue 1998 p 29) Il
srsquooppose agrave la deacutemission qui explicite le deacutepart volontaire de lrsquoeacutelegraveve et agrave
lrsquoexclusion laquo acte par lequel une autoriteacute reconnue vous deacutemet de vos
fonctions raquo (Guigue 1998 p 29) Une deacutemission peut drsquoailleurs preacutevenir
une exclusion preacutevisible par lrsquoeacutelegraveve
Le terme de deacutescolarisation plus large permet de reprendre plu-
sieurs hypothegraveses concernant les processus qui conduisent en dehors du
systegraveme scolaire des jeunes de moins de 16 ans celle de lrsquoexclusion accom-
pagneacutee de lrsquoeacutetiquetage de certains enfants comme porteurs de mauvaises
performances scolaires (les eacutelegraveves
nuls
) non suivie de reprise dans un
autre eacutetablissement celle du deacutecrochage progressif signaleacute par un absen-
teacuteisme important et grandissant (avec participation agrave un groupe de pairs
le cas eacutecheacuteant) celle de la rupture biographique (accident de santeacute pla-
cement en institution speacutecialiseacutee errance lieacutee agrave une modification de la
configuration familiale etc) celle du deacutepart annonceacute clairement eacutetant
plus hasardeuse eacutetant donneacute lrsquoobligation scolaire
5
Programme laquo NouvelleS ChanceS raquo
p 20
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Il srsquoagit bien drsquoexpliciter le processus de
deacutesaffiliation scolaire
deacutefini
par Sylvain Broccolicchi (1998a p 41) qui renvoie laquo au fonctionnement
des institutions scolaires aux traitements diffeacuterencieacutes des eacutelegraveves et agrave
lrsquointeraction des contextes scolaires familiaux et locaux qui modulent les
parcours et expeacuteriences propres agrave chaque adolescent raquo
Alors que lrsquoeacutelegraveve deacutecrocheur acircgeacute de plus de 16 ans nrsquoest pas en
infraction avec la loi sur lrsquoobligation scolaire le jeune deacutescolariseacute se sous-
trait (ou est soustrait) agrave cette obligation Il nrsquoaccomplit plus son laquo meacutetier
drsquoeacutelegraveve raquo Aux yeux de lrsquoinstitution scolaire il srsquoinscrit dans un parcours
de deacuteviance Les termes mecircmes des circulaires indiquent bien que
lrsquoabsence de freacutequentation reacuteguliegravere (lrsquoinassiduiteacute scolaire) est un man-
quement agrave lrsquoobligation scolaire laquo Il convient en premier lieu drsquoexiger
que lrsquoobligation drsquoassiduiteacute soit respecteacutee par les eacutelegraveves
6
raquo Les divers arrecirc-
teacutes et circulaires preacutecisent par ailleurs la neacutecessiteacute drsquoactions de preacutevention
agrave lrsquointeacuterieur des eacutetablissements scolaires portant sur les laquo rythmes scolaires
lrsquoorganisation de la vie scolaire ou visant agrave renforcer le dialogue entre les
eacutelegraveves et les adultes
7
raquo
Par deacuteviance nous deacutesignons laquo le produit drsquoune transaction effectueacutee
entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a trans-
gresseacute une norme raquo (Becker 1963 p 33)
Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste laquo La
deacuteviance est alors une proprieacuteteacute non du comportement lui-mecircme mais
de lrsquointeraction entre la personne qui commet lrsquoacte et celles qui reacuteagissent
agrave cet acte raquo (Becker 1963 p 38) Cette deacutemarche induit la meacutethodologie
deacutejagrave eacutevoqueacutee croisement des discours des acteurs inteacuteresseacutes par la situa-
tion de deacutescolarisation et des documents traitant de cette situation afin
de reconstituer les processus en œuvre
521 L
ES
MARQUEURS
DE
LA
DEacuteSCOLARISATION
Un certain nombre de facteurs sont drsquoores et deacutejagrave repeacutereacutes comme preacute-
gnants dans le processus de deacutecrochage des lyceacuteens Nous les citons sans
ordre prioritaire particulier
5211 Le niveau de diplocircme des parents
Il existe un risque dix fois plus eacuteleveacute drsquointerruption drsquoeacutetudes moins de
cinq ans apregraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme pour les enfants drsquoouvriers que pour
les enfants de cadres ou drsquoenseignants (Broccolicchi 2000 p 40) et
6 Circulaire n
o
96-247 du 25 octobre 1996
7
Ibid
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encore trois plus eacuteleveacute pour ceux qui ont un parent inactif (pegravere ou megravere
en lrsquoabsence de pegravere) que pour ceux dont le parent (pegravere ou megravere en
lrsquoabsence de pegravere) est ouvrier Lrsquoinvestissement scolaire des parents est
drsquoailleurs tregraves diffeacuterent selon leur cateacutegorie sociale drsquoappartenance alors
qursquoagrave lrsquoeacutecole primaire les parents les moins diplocircmeacutes investissent plus la
scolariteacute de leurs enfants le pheacutenomegravene srsquoinverse au collegravege laquo Cette
inversion srsquoavegravere lieacutee agrave la proportion de parents qui se sentent deacutepasseacutes agrave
ce niveau entre les parents qui se disent tregraves rarement deacutepasseacutes et ceux
qui disent lrsquoecirctre souvent la dureacutee de lrsquoaide est diviseacutee par trois agrave chaque
niveau de scolariteacute raquo (Heacuteran 1994)
5212 La composition de la famille
Le facteur familial est un facteur de risque parmi drsquoautres mais il nrsquoest
pas preacutedictif en soi comme les autres paramegravetres mentionneacutes Crsquoest bien
la combinaison de plusieurs indicateurs qui peut donner des eacuteleacutements de
compreacutehension du processus de deacutescolarisation
Agrave cet eacutegard si lrsquoon note le nombre eacuteleveacute de familles monoparentales
parmi lrsquoentourage familial des jeunes deacutescolariseacutes nous adopterons la
prudence drsquoEacuteric Debarbieux (1999 p 60) quant aux correacutelations possibles
laquo Crsquoest lagrave toute la difficulteacute lieacutee aux eacutetudes de correacutelation qui montrent
uniquement lrsquoexistence drsquoune relation entre deux variables ndash ici les pro-
blegravemes de comportement et la situation familiale ndash sans que pour autant
on puisse deacuteduire de relation de cause agrave effet raquo
Plutocirct que le type de famille crsquoest la nature de la relation entre les
parents qui sera deacuteterminante dans le processus de deacuteviance juveacutenile ce
ne sont pas les familles dissocieacutees qui induisent la deacuteviance des jeunes
mais plutocirct la meacutesentente entre les parents qursquoils soient seacutepareacutes ou non
(Mucchielli 2000) Les ruptures biographiques (accident deacutecegraves drsquoun
parent deacutemeacutenagements reacutepeacuteteacutes placementshellip) peuvent aussi augmenter
les risques de deacutescolarisation
5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage
Parmi les eacutelegraveves dont les performances scolaires agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme sont
les plus basses 12 quittent le systegraveme scolaire moins de cinq ans apregraves
la sixiegraveme (Broccolicchi 1998) Les eacutelegraveves de SEGPA
8
entreacutes en 1989 ont
quitteacute le systegraveme eacuteducatif sans qualification pour la moitieacute drsquoentre eux
8 Section drsquoenseignement geacuteneacuteral et professionnel adapteacute
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Les eacutelegraveves en difficulteacute scolaire attachent une grande importance agrave
la relation avec les adultes et les autres eacutelegraveves dans la vie scolaire Quand
lrsquointeraction avec les enseignants les confirme dans leur laquo nulliteacute raquo sur le
plan de la performance (Broccolicchi 2000) le risque de deacutescolarisation
est preacutesent
Woods et Berhier (1992 p 56) rappellent
que la deacuteviance implique
neacutecessairement deux acteurs et que lrsquoenseignant peut provoquer ou
atteacutenuer la deacuteviance par le style de sa relation avec les eacutelegraveves
Les laquo provocateurs de deacuteviance raquo pensent que les eacutelegraveves fuient letravail qursquoil est impossible de pourvoir agrave leur eacuteducation sans leschanger qursquoils abhorrent lrsquoautoriteacute et sont ouvertement rebellesqursquoils se conduisent mal et ne doivent jamais ecirctre crus De tellesconvictions megravenent les professeurs agrave agir de maniegravere provocatrice lancer des ultimatums inciter agrave lrsquoaffrontement punir inconsideacutereacute-ment attirer sur eux la honte en les montrant du doigt ou en leurcherchant noise
Agrave lrsquoinverse les laquo isolateurs de deacuteviance raquo sont animeacutes drsquointentions
bienveillantes agrave lrsquoeacutegard des eacutelegraveves et agissent en conseacutequence avec eux
Broccolicchi (2000) souligne par ailleurs la solitude des eacutelegraveves deacutecro-
cheurs tant dans lrsquoenvironnement scolaire (absence de dispositif efficace
et drsquointerlocuteurs pour pallier les difficulteacutes) que dans le cadre de
lrsquoenvironnement familial
5214 Le passage du primaire au collegravege indiscipline et identiteacute
La question du rapport aux enseignants et agrave la leacutegitimiteacute de leurs juge-
ments change fondamentalement du primaire au collegravege Les relations
entre pairs gagnent en importance les cultures juveacuteniles entrent en
contradiction avec les normes scolaires de maniegravere plus preacutegnante (Dubet
et Martuccelli 1996 Lepoutre 1997)
En cas de difficulteacute scolaire majeure le recours agrave lrsquoindiscipline agrave
lrsquoinsolence peut ecirctre utiliseacute par les eacutelegraveves comme moyen de construire une
identiteacute deacuteviante par rapport aux normes scolaires mais conforme par
rapport aux normes juveacuteniles fragiliseacutes dans le systegraveme scolaire ces jeunes
deviennent des
outsiders
drsquoautant plus construits que lrsquoindiscipline se pra-
tique souvent collectivement Lrsquoindiscipline peut dans le mecircme temps
constituer un facteur de risque dans un processus de deacutescolarisation
Les recherches de Walgrave (1992) soulignent lrsquoimportance de
lrsquoeacutechec scolaire dans les processus de deacutelinquance juveacutenile La stigmatisation
de lrsquoeacutelegraveve comme laquo non performant raquo du point de vue de ses reacutesultats et
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
comme perturbateur fonctionne comme une laquo propheacutetie autoreacutealisatrice raquo
qui laquo contribue agrave sa propre reacutealisation raquo (Becker 1963) Lrsquoeacutelegraveve reacutepondra
ainsi agrave lrsquoinjonction qui lui est faite en abandonnant le systegraveme scolaire
53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION ET DEacuteLINQUANCE
531 Lrsquo
IMPACT
DES
GROUPES
DE
PAIRS
ET
LES
ACTIVITEacuteS
DEacuteLINQUANTES
Les reacuteseaux de sociabiliteacute dans lesquels vit le jeune en voie de deacutescolari-
sation semblent preacutepondeacuterants Lrsquoinfluence des pairs et le regroupement
des
outsiders
du systegraveme scolaire sont des eacuteleacutements agrave prendre en compte
dans la construction drsquoune sous-culture deacuteviante La constitution en bande
est lieacutee agrave la stigmatisation induite par les classements scolaires neacutegatifs et
la logique de bande offre un refuge et une deacutefense contre le sentiment
de deacutevalorisation qui habite les jeunes tout en contribuant agrave activer le
processus de deacutescolarisation (Esterle-Hedibel 1997 Carra 2002) Glasman
(1998 p 19) souligne que les lyceacuteens laquo deacutecrocheurs raquo peuvent laquo se rappro-
cher drsquoun groupe de pairs groupe qui fournit suffisamment de repegraveres
et drsquooccasions drsquoaffirmation identitaire pour que lrsquoexit hors du lyceacutee ne
signifie pas lrsquoexil pour que la non-appartenance au lyceacutee ne soit pas la
deacutesheacuterence raquo
Lrsquoinfluence des groupes de pairs peut ecirctre importante dans le pro-
cessus de deacutescolarisation qursquoil srsquoagisse de groupes marginaux agrave tendance
deacutelinquante ou axeacutes sur une activiteacute particuliegravere de type leacutegaliste
Plusieurs eacutetudes confirment le lien entre un style de vie deacuteviant
(consommation de psychotropes licites ou illicites) et le deacutecrochage sco-
laire celui-ci occasionnant de larges plages de temps libre domineacute par
lrsquoennui (Janosz et Le Blanc 1996) Cependant la correacutelation entre les
conduites inadapteacutees et le deacutecrochage scolaire si elle existe se heurte agrave
la deacutefinition mecircme de la conduite inadapteacutee qui rassemble des eacuteleacutements
aussi heacuteteacuteroclites que conduites deacutelinquantes consommation de drogues
illicites promiscuiteacute sexuelle reacutebellion familiale inadaptation scolaire et
grossesse adolescentehellip La reacutebellion familiale par exemple pourrait ecirctre
consideacutereacutee comme une reacuteaction plutocirct positive alors que son absence
traduirait un conformisme et une soumission aux adultes plutocirct inquieacute-
tante agrave lrsquoadolescence (Janosz Le Blanc et Boulerice 1998)
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Hugues Lagrange a eacutetudieacute le lien entre absenteacuteistes et conduites
deacutelictueuses dans la reacutegion de Mantes-la-Jolie Pregraves de la moitieacute des absen-
teacuteistes eacutetudieacutes ont des conduites de preacutedation ou de deacutelinquance expressive
(deacutelinquance avec ou non objectif drsquoappropriation des biens drsquoautrui) ils
sont les cadets de familles nombreuses et ont vu leurs fregraveres aicircneacutes se
heurter au problegraveme du chocircmage Ils auraient appris ainsi agrave vivre de petite
deacutelinquance tout en ne percevant plus lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutecole ce qui
expliquerait leur absenteacuteisme (Lagrange et Bidart 2000)
532 D
EacuteCROCHAGE
SCOLAIRE
ET
DEacuteLINQUANCE
Des auteurs affirment que laquo lrsquoabandon scolaire permet de reacuteduire le stress
et la frustration veacutecus agrave lrsquoeacutecole des facteurs qui favorisent lrsquoapparition des
conduites deacutelinquantes raquo (Elliott et Voss 1974 citeacutes dans Janosz et Le
Blanc 1996 p 76) Le lien entre deacutecrochage et activiteacutes deacutelinquantes
proprement dites nrsquoest pas automatique mais semble deacutependre du mar-
cheacute de lrsquoemploi En effet plusieurs recherches des anneacutees 1980 indiquent
que les deacutecrocheurs ayant trouveacute un emploi ont diminueacute leurs activiteacutes
deacutelinquantes deux fois plus que ceux qui nrsquoen ont pas trouveacute Encore faut-
il que les deacutecrocheurs soient en acircge de travailler et que le marcheacute du
travail leur offre des emplois (Pronovost et Le Blanc citeacutes par Janosz et
Le Blanc 1996)
Lrsquoeacutetat des eacutetudes existantes ne permet pas de deacutemontrer lrsquoeffet du
deacutecrochage sur les conduites deacuteviantes ou deacutelinquantes et sur les diffi-
culteacutes drsquointeacutegration socioprofessionnelles Pour le deacutemontrer pleinement
il faudrait pouvoir suivre des cohortes drsquolaquo eacutelegraveves deacutecrocheurs raquo jusqursquoagrave
lrsquoacircge adulte et une cohorte teacutemoin Ces manifestations peuvent en effet
avoir eacuteteacute causeacutees par des laquo vulneacuterabiliteacutes psycho-sociales anteacuteceacutedentes raquo qui
auraient elles-mecircmes provoqueacute lrsquoabandon scolaire La question de la
causaliteacute et la difficulteacute de sa deacutemonstration reste donc poseacutee (Janosz et
Le Blanc 1996)
Une reacutecente enquecircte du Centre drsquoeacutetudes et de recherches sur les
qualifications (CERQ 2001) nous eacuteclaire cependant sur le lien entre
qualification et emploi les sortants du systegraveme eacuteducatif en 1998 diplocircmeacutes
ou pas travaillent agrave 80 en majoriteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee (64 ) tout
en eacutetant deux fois plus nombreux agrave ecirctre passeacutes par lrsquointeacuterim (28 ) que
la geacuteneacuteration sortie de lrsquoeacutecole en 1992 Les non-diplocircmeacutes connaissent une
disqualification croissante si 11 de lrsquoensemble de la laquo geacuteneacuteration 1998 raquo
est au chocircmage 30 des non-diplocircmeacutes de cette mecircme geacuteneacuteration sont
sans emploi On peut formuler lrsquohypothegravese drsquoune plus grande vulneacuterabi-
liteacute des jeunes deacutescolariseacutes quant aux perspectives socioprofessionnelles
dans un contexte de peacutenurie drsquoemplois pour les personnes non qualifieacutees
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE
DES PERSONNES-RESSOURCES
Notre situation de maicirctre de confeacuterences dans un IUFM
9
nous a permis
de preacutesenter notre deacutemarche de recherche agrave des personnels de lrsquoEacuteduca-
tion nationale engageacutes dans les formations en IUFM et en contact ou en
poste dans des collegraveges Ainsi srsquoeacutetablissent des relations originales entre le
chercheur et les acteurs de terrain qui conditionnent la reacuteussite de
lrsquoenquecircte les eacutelegraveves deacutescolariseacutes sont en effet difficiles drsquoaccegraves isoleacutes des
eacutetablissements scolaires plutocirct centreacutes sur leurs groupes de pairs ou
replieacutes sur leur cercle familial immeacutediat la preacutesence drsquoune personne de
confiance qui favorise le premier entretien est cruciale dans ce type
drsquoenquecircte Les parents des jeunes deacutescolariseacutes et les jeunes eux-mecircmes
ont souvent lrsquoimpression de ne pas ecirctre entendus par les institutions (en
particulier lrsquoeacutecole) La rencontre avec un chercheur est une occasion de
srsquoexprimer le plus librement possible en reprenant le deacuteroulement des
eacuteveacutenements et en explicitant un point de vue devant un interlocuteur
neutre sans risque de culpabilisation ou de contradiction Pour ces per-
sonnes en situation de
vulneacuterabiliteacute socieacutetale
crsquoest une occasion rare de
srsquoexprimer sur un thegraveme qui peut bouleverser lrsquoeacutequilibre familial Il
importe cependant drsquoecirctre tregraves clair sur le statut de lrsquoentretien car la
demande drsquoaide affleure tant la deacutetresse et le sentiment drsquoabandon et
drsquoimpuissance sont grands
Par ailleurs notre inteacuterecirct de recherche se croise avec des question-
nements apparus dans plusieurs collegraveges quel est le sens drsquoexclusions et
de reacuteaffectations drsquoeacutelegraveves en grande difficulteacute scolaire et plutocirct opposi-
tionnels voire tregraves perturbateurs dans les classes et les eacutetablissements
Comment venir en aide aux eacutelegraveves qui arrivent en sixiegraveme sans posseacuteder
les acquis de base neacutecessaires au deacuteroulement drsquoune scolariteacute normale
dans le secondaire Quelles relations entretenir avec les parents de ces
eacutelegraveves Comment travailler en partenariat avec des travailleurs sociaux
exteacuterieurs aux eacutetablissements De mecircme les divers eacutetablissements contac-
teacutes srsquointerrogent sur lrsquoimpact de la deacutescolarisation sur les processus de
marginalisation et sur les difficulteacutes du partenariat avec lrsquoEacuteducation natio-
nale Les reacutesultats de la recherche eacutetant restitueacutes aux eacutetablissements et aux
agents institutionnels on comprend lrsquointeacuterecirct que ceux-ci trouvent agrave une
collaboration avec un chercheur sur cette question
9 Institut universitaire de formation des maicirctres
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55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS
551 L
ES
PERSONNELS
PEacuteDAGOGIQUES
10
5511 Des donneacutees non utiliseacutees
La majoriteacute des jeunes dont nous avons eacutetudieacute les trajectoires se sont
signaleacutes par des perturbations importantes de lrsquoordre scolaire menant
pour six drsquoentre eux agrave un conseil de discipline et agrave une exclusion deacutefini-
tive Les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo se sont montreacutes eacutegalement absenteacuteistes
alors que drsquoautres ont adopteacute une position de retrait sans perturber
lrsquoordre scolaire Dans plusieurs dossiers scolaires les appreacuteciations porteacutees
par les enseignants du premier degreacute eacuteclairent les difficulteacutes veacutecues par
lrsquoeacutelegraveve au collegravege certaines sont clairement des sortes drsquoalertes agrave destina-
tion des enseignants du second degreacute Mais dans lrsquoensemble les dossiers
des eacutelegraveves sont rarement consulteacutes par les enseignants des collegraveges mecircme
en cas de problegraveme seacuterieux rencontreacute au deacutebut de la scolariteacute du second
degreacute Bien que certains aient abordeacute la sixiegraveme avec des difficulteacutes et des
lacunes repeacutereacutees agrave la fin du cycle 3 la plupart des eacutelegraveves nrsquoont pas eacuteteacute
lrsquoobjet drsquoune prise en charge particuliegravere agrave ce propos Ils sont surtout
sanctionneacutes pour des perturbations scolaires importantes
Certains enseignants ont en main des donneacutees pouvant contribuer
agrave comprendre la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve situation familiale amenant
lrsquoeacutelegraveve agrave srsquoabsenter de lrsquoeacutecole pour soutenir un parent malade ou deacutefaillant
sentiment drsquoeacutechec massif et incompreacutehension du sens des eacutetudes ennui
profond agrave lrsquoeacutecolehellip Mais ces donneacutees ne sont pas travailleacutees collectivement
dans le sens de la recherche drsquoune solution peacutedagogique adapteacutee agrave lrsquoeacutelegraveve
Un eacutelegraveve perturbateur peut ecirctre un leader ou au contraire un jeune isoleacute
de ses camarades il peut avoir des reacutesultats assez bons malgreacute une preacute-
sence eacutepisodique ou au contraire montrer des lacunes drsquoapprentissage
seacuterieuses degraves lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire il peut appreacutecier lrsquoeacutecole tout au moins
au deacutebut de ses laquo anneacutees collegravege raquo ou srsquoen deacutesinteacuteresser degraves les premiers
mois de la sixiegravemehellip Les appreacuteciations sur les bulletins scolaires et les
mesures prises agrave son eacutegard seront sensiblement les mecircmes Cette reacutecur-
rence des mecircmes reacuteactions srsquoeacutetend aux eacutelegraveves non perturbateurs degraves lors
qursquoune eacutetape de plus est franchie dans leur laquo volonteacute drsquoopposition raquo du
point de vue des acteurs scolaires Il est drsquoailleurs frappant de constater
le deacutecalage entre certains discours sur les eacutelegraveves lors des entretiens avec
des enseignants et les eacutecrits les concernant (bulletins scolaires comptes
10 Enseignants principaux et principaux adjoints conseillers principaux drsquoeacuteducationhellip
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rendus de conseils de disciplinehellip) autant les premiers peuvent teacutemoi-
gner de compreacutehensions nuanceacutees des probleacutematiques des eacutelegraveves autant
les seconds suivent les mecircmes appreacuteciations ritualiseacutees et collectivement
mises en eacutecrit
5512 Des deacutecisions drsquoorientation non suivie drsquoeffets
Par ailleurs des deacutecisions drsquoorientation ne sont pas suivies drsquoeffets un
eacutelegraveve orienteacute en SEGPA se retrouve en section geacuteneacuterale un autre orienteacute
par un eacutetablissement vers une classe agrave projet speacutecifique (quatriegraveme drsquoaide
et de soutien) integravegre une classe ordinaire agrave la suite drsquoun deacutemeacutenage-
menthellip Manque de coordination entre eacutetablissements ou agrave lrsquointeacuterieur
drsquoun mecircme eacutetablissement reacuteticences voire refus des parents malenten-
dus ou absence drsquoexplication aux familles peuvent contribuer agrave lrsquoarrecirct de
scolariteacute
Les jeunes deacutescolariseacutes qui nrsquoont pas repris une forme de scolariteacute
par la suite nrsquoont pas reccedilu un soutien particulier ou beacuteneacuteficieacute drsquoun regard
bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur lrsquoensemble de leur vie
scolaire En ce sens on peut dire qursquoils nrsquoont pas eu drsquoallieacute efficace mecircme
si ccedilagrave et lagrave tel ou tel enseignant a pu se poser des questions sur les raisons
de leur absenteacuteisme ou tenter de leur venir en aide malgreacute les incidents
quelquefois spectaculaires dont certains adolescents eacutetaient des protago-
nistes actifs Ces interventions de mecircme que celles des travailleurs sociaux
ou celles de leurs parents nrsquoont pas suffi agrave leur permettre un redresse-
ment Ils se sont vu tregraves rarement proposer un dispositif relais ou des
actions de soutien coordonneacutees avec lrsquoenseignement geacuteneacuteral Les proces-
sus observeacutes illustrent ainsi les conclusions de Sylvain Broccolicchi (2000)
lorsqursquoil conclut agrave la solitude des eacutelegraveves deacutescolariseacutes compareacutes agrave ceux
autant en difficulteacute agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme qui ont continueacute leurs eacutetudes
5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure
Une conseacutequence de la suppression des orientations en fin de cinquiegraveme
lieacutee agrave lrsquoabsence de dispositifs de remeacutediation pour les eacutelegraveves en grande
difficulteacute est le deacuteveloppement de lrsquolaquo eacutechec scolaire raquo de ces eacutelegraveves et de
lrsquoideacutee que certains eacutelegraveves seraient quasiment laquo inenseignables raquo (Thin
1999) Les enseignants sont ainsi ameneacutes agrave faire un laquo tri raquo entre les eacutelegraveves
laquo reacutecupeacuterables raquo et les autres La seacutelection ne se fait pas tant au niveau des
reacutesultats qursquoagrave celui du comportement scolaire les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo
ou laquo paresseux raquo sont ainsi particuliegraverement viseacutes par les jugements neacutega-
tifs et le redoublement se fait quasiment au meacuterite dans tous les cas sur
la base drsquoun pari drsquoeacutevolution positive et selon lrsquoeacutevaluation de la possibiliteacute
pour les enseignants de laquo supporter raquo lrsquoeacutelegraveve une anneacutee de plus Agrave cela
srsquoajoute lrsquoargument de lrsquoacircge si lrsquoeacutelegraveve a deacutejagrave une anneacutee ou deux de retard
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il passera plus facilement dans la classe supeacuterieure Celui qui redouble est
donc gratifieacute drsquoune laquo chance raquo suppleacutementaire dont est priveacute celui qui
passe dans la classe supeacuterieure avec quelquefois des reacutesultats plus faibles
et un comportement plus perturbateur ou absenteacuteiste De ce fait le redou-
blement au collegravege nrsquoest pas correacuteleacute agrave lrsquointerruption preacutecoce drsquoeacutetude
(Broccolicchi 1998b)
Nous avons trouveacute dans plusieurs dossiers scolaires la mention
laquo redoublement inutile raquo accompagneacutee drsquoun avis de passage dans la classe
supeacuterieure Ces laquo faux passages raquo introduisent un leurre reconnu par de
nombreux enseignants de collegravege en lrsquoabsence de projet individuel concer-
nant un eacutelegraveve particuliegraverement en difficulteacute ce dernier est laquo emmeneacute raquo
vers la fin de la troisiegraveme qui correspond grosso modo agrave lrsquoacircge de 16 ans
(drsquoautant plus que certains eacutelegraveves ont une ou plusieurs anneacutees de retard)
et confronteacute agrave une injonction contradictoire rester dans lrsquoeacutetablissement
tout en sachant qursquoil ne peut y espeacuterer une progression de ses reacutesultats
La situation devient encore plus paradoxale quand en cas drsquoabsenteacuteisme
se deacuteclenche la proceacutedure de signalement agrave lrsquoInspection acadeacutemique
enjoignant les parents agrave respecter la loi sur la scolariteacute obligatoire jusqursquoagrave
16 ans
Ces passages fictifs sont accompagneacutes drsquoun double discours des
enseignants en forme de justifications regrets mecircleacutes drsquoimpuissance de
laisser ainsi agrave lrsquoabandon des eacutelegraveves sans leur apporter de reacuteelles proposi-
tions eacuteducatives et peacutedagogiques critique du laquo
collegravege unique
raquo dont on sait
par diverses enquecirctes que nombre drsquoenseignants en refusent le principe
en particulier les enseignants les plus jeunes et ceux des collegraveges Ces
regrets et justifications sont compleacuteteacutes par des exemples de cas drsquoeacutelegraveves
illustrant le constat geacuteneacuteral que certains laquo
nrsquoont pas leur place au collegravege
raquo
sans que lrsquoon puisse dans le mecircme temps deacuteterminer ougrave ils pourraient
trouver une laquo
place
raquo qui leur conviennehellip Lrsquoabsence de temps et de lieux
de concertation organiseacutes pour les eacutelegraveves en difficulteacute conduit au constat
drsquoimpuissance la question laquo
qursquoest-ce qursquoon peut faire pour ces eacutelegraveves-lagrave
raquo for-
muleacutee ainsi au chercheur renvoie agrave autrui la reacuteponse agrave cette interrogation
dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble comme srsquoil
existait un consensus pour laquo
sacrifier quelques-uns pour proteacuteger la communauteacutescolaire
raquo expression souvent entendue eacutegalement
On se trouve alors dans un systegraveme de non-reacutesolution des difficulteacutes
patentes de certains eacutelegraveves qui sont ainsi meneacutes vers lrsquoarrecirct de scolariteacute
par retrait du jeune drsquoune situation sans issue Ce retrait peut ecirctre silen-
cieux ou beaucoup plus spectaculaire il srsquoaccompagne alors freacutequemment
drsquoexclusions deacutefinitives lors de conseils de discipline
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136 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants
Lrsquoincidence de lrsquoeacutechec scolaire et du sentiment drsquoinjustice sur les compor-
tements drsquoindiscipline est connue par de nombreux travaux (Dubet et
Martuccelli 1996 Debarbieux 1999 Broccolicchi 1998a 2000 Van
Zanten 2001 etc) Dans lrsquoensemble des situations des eacutelegraveves laquoperturba-
teursraquo les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbations
causeacutees par ces eacutelegraveves beaucoup plus que sur leurs difficulteacutes drsquoappren-
tissage envisageacutees comme de simples conseacutequences de leur indiscipline
alors qursquoelles existent dans plusieurs cas depuis lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire et se
manifestent degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme
Lrsquolaquo absence de travail raquo qui engendre les mauvais reacutesultats apparaicirct
alors comme une forme drsquoindiscipline dont les formes drsquoexpression varieacutees
seraient la cause directe de ces piegravetres performances scolaires Dans le
mecircme temps ces difficulteacutes constituent des obstacles agrave la reprise drsquoeacutetudes
laquo normales raquo par les eacutelegraveves difficile de laquo se calmer raquo et de laquo se mettre au
travail raquo avec une moyenne geacuteneacuterale autour de 520 un retard consideacuterable
pris par rapport aux autres eacutelegraveves et aucun dispositif de remeacutediation
Ceux qui ont eacuteteacute laquo simplement raquo absenteacuteistes nrsquoont pas eacuteteacute sanction-
neacutes pour ce seul motif mis agrave part les avertissements sur les bulletins
scolaires Les appreacuteciations sur les bulletins essaient de les convaincre de
maniegravere de plus en plus insistante mais la deacuteviance ne se constitue qursquoau
moment ougrave les acteurs scolaires perccediloivent une intention de la part de
lrsquoeacutelegraveve par exemple lorsque les absences cessent drsquoecirctre justifieacutees par le
responsable de lrsquoeacutelegraveve Lorsque laquo la famille se manifeste raquo la situation de
lrsquoeacutelegraveve est prise en compte avec une relative bienveillance Dans le cas
contraire ougrave laquo aucune collaboration nrsquoest possible raquo ou lorsque lrsquoassistant
social indique plus laconiquement laquo famille muette raquo sur les dossiers de
freacutequentation scolaire le ton se durcit par rapport agrave lrsquoeacutelegraveve suspecteacute alors
de laquo mauvaise volonteacute raquo crsquoest-agrave-dire du dessein clair de srsquoopposer agrave lrsquoinsti-
tution scolaire Le paradoxe est que cette absence de justification pourrait
ecirctre la marque drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute accrue de lrsquoeacutelegraveve et neacutecessiter
un soutien plus appuyeacute encore
Les punitions et sanctions de lrsquoindiscipline et de laquo lrsquoabsence de
travail raquo sont repeacuterables dans les rapports drsquoincidents scolaires Elles sont
quelquefois tregraves nombreuses (plusieurs dizaines de rapports drsquoincidents
en une anneacutee pour un mecircme eacutelegraveve) et de plusieurs types lignes agrave copier
copies du regraveglement inteacuterieur du collegravege ou du regraveglement de classe en
plusieurs exemplaires copie de travaux scolaires correspondant au contenu
du cours perturbeacute retenues (heures de colle) avertissements (travail et
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conduite) ou blacircmes exclusions de cours exclusions de plusieurs jours
alors mecircme que lrsquoabsenteacuteisme est preacutesent dans la probleacutematique de
lrsquoeacutelegraveve Ces exclusions ne sont cependant pas lieacutees agrave lrsquoabsenteacuteisme mais
agrave des perturbations scolaires
Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la leacutegaliteacute11 et sont
souvent inapplicables peu expliciteacutees aux eacutelegraveves et elles peuvent geacuteneacuterer
un fort sentiment drsquoinjustice (Debarbieux 1999 p 102)
Dans aucune des situations eacutetudieacutees les sanctions eacutenumeacutereacutees ici
nrsquoont permis de modifier le comportement de lrsquoeacutelegraveve dans le sens souhaiteacute
par les acteurs scolaires Au contraire on constate une progression drsquoinci-
dents (altercations entre eacutelegraveves avec des enseignants ou des surveillants)
vers des commissions de vie scolaire avec exclusions de plusieurs jours
toujours pour les mecircmes comportements suivies quelques semaines ou
quelques mois apregraves drsquoun arrecirct total de freacutequentation scolaire du jeune
ou de conseils de discipline menant agrave lrsquoexclusion deacutefinitive Apregraves la reacuteaf-
fectation dans un autre collegravege le mecircme processus se reproduit menant
rapidement cette fois-ci lrsquoeacutelegraveve agrave la deacutescolarisation De fait les eacutelegraveves qui
en ont eacuteteacute les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront agrave
aucun moment un beacuteneacutefice en matiegravere de compreacutehension ou drsquoeacuteducation
tireacute de ces punitions scolaires Certains les consideacutereront davantage
comme des marques drsquoune profonde incompreacutehension de leur situation
Les processus de deacutescolarisation mettent en cause des pratiques
issues de lrsquoeacutevolution du systegraveme scolaire lui-mecircme qui deacuteterminent les
acteurs et leur laissent peu de latitude pour reacuteagir autrement Mais on
peut aussi repeacuterer des attitudes enseignantes individuelles plus exception-
nelles laquo la mise au coin raquo par exemple peine proscrite drsquoailleurs par la
circulaire du 13 juillet 2000
Dans le cas du jeune viseacute par cette punition la mise au coin a eacuteteacute
veacutecue comme humiliante a fonctionneacute comme une laquo provocation agrave la
deacuteviance raquo deacuteclencheacute une reacuteaction violente de lrsquoeacutelegraveve laquelle interpreacute-
teacutee comme un danger potentiel de violence physique agrave lrsquoeacutegard de tous les
personnels entraicircnera lrsquoexclusion deacutefinitive de lrsquoeacutelegraveve suivie drsquoune reacuteaffec-
tation dans un collegravege eacuteloigneacute de son domicile La scolariteacute du jeune
garccedilon srsquoarrecirctera lagrave
11 Voir Bulletin officiel du 13 juillet 2000
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138 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
5515 Haro sur les eacutelegraveves
Les eacutelegraveves deacutescolariseacutes et perturbateurs sont marqueacutes comme tels et
comme laquo ineacuteducables raquo depuis de nombreux mois voire plusieurs anneacutees
quand intervient lrsquoarrecirct de scolariteacute effectif Des mots ou expressions
comme laquo individu raquo laquo faire lrsquoimbeacutecile raquo et laquo imbeacutecile raquo eacutecrits sur des rapports
drsquoincidents laquo cas psychiatrique raquo laquo dangereux raquo sont freacutequemment lus ou
entendus les concernant avec une freacutequence drsquoautant plus grande que le
conflit srsquoaggrave entre lrsquoeacutelegraveve et lrsquoinstitution et que les adultes qui les
utilisent sont engageacutes directement dans les interactions Ces maniegraveres de
nommer ou de qualifier ces eacutelegraveves soulignent des eacuteleacutements drsquoune
ambiance qui banalise des termes deacutevalorisants agrave lrsquoencontre des eacutelegraveves
en tregraves grande difficulteacute drsquoapprentissage et perturbateurs de lrsquoordre sco-
laire Ils deviennent alors ce qursquoils montrent les adultes ayant tendance agrave
identifier lrsquoeacutelegraveve deacuteviant au vu des manifestations produites Ces juge-
ments srsquoaccompagnent de propheacuteties autoreacutealisatrices sur lrsquoineacuteducabiliteacute
de lrsquoeacutelegraveve et lrsquoineacuteluctabiliteacute de son destin scolaire et social Les theacuteories
de lrsquoeacutetiquetage appliqueacutees agrave lrsquoeacutecole fonctionnent alors agrave plein (Van
Zanten 2001)
Plusieurs dossiers comportent des appreacuteciations non fondeacutees sur des
examens meacutedicaux ou psychologiques portant sur lrsquoorientation neacutecessaire
en structure speacutecialiseacutee laquo adapteacutee au comportement de lrsquoeacutelegraveve raquo ainsi que des
injonctions aux parents drsquoaccompagner leur enfant suivre une psycho-
theacuterapie au vu des incidents scolaires dont il est protagoniste Lrsquoeacutelegraveve
perturbateur est alors paradoxalement consideacutereacute comme actif et volon-
taire dans les deacutesordres qursquoil met en scegravene dans lrsquoeacutetablissement scolaire
donc responsable de ce qui lui arrive et dans le mecircme temps porteur
de troubles seacuterieux du comportement ou de handicaps relevant drsquoune
commission speacutecialiseacutee
5516 Lrsquoexternalisation des solutions
Les causes possibles de la deacuteviance (quartier famille eacutelegraveve lui-mecircme) sont
situeacutees en dehors du champ de la relation peacutedagogique de mecircme que les
laquo solutions raquo eacuteventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux des familles
injonction de changer faite agrave lrsquoeacutelegraveve lui-mecircme) Dans cette logique les
mesures proposeacutees renvoient souvent la recherche de changement du
comportement de lrsquoeacutelegraveve agrave des structures ou agrave des personnes peacuteripheacute-
riques ou exteacuterieures aux situations drsquoenseignement contact avec des
eacuteducateurs suivi par lrsquoassistante sociale du collegravege injonction agrave la famille
de rescolariser le jeune avec assiduiteacutehellip
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 139
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Drsquoautres mesures conccedilues comme plus eacuteducatives sont mises en
place comme les promesses ou les engagements les cahiers de suivi les
commissions ou conseils de vie scolaire mais elles sont appliqueacutees sur le
mecircme mode de lrsquoinjonction ou de la sanction sans qursquoaucune ameacuteliora-
tion dans le sens souhaiteacute par les acteurs scolaires ait pu ecirctre constateacutee
Le non-respect de la proceacutedure du cahier de suivi srsquoest du reste rajouteacute
aux charges qui pegravesent contre lrsquoun des eacutelegraveves deacutescolariseacute par la suite au
moment du conseil de discipline
Le traitement appliqueacute aux eacutelegraveves perturbateurs et deacutescolariseacutes
ensuite rencontreacutes au cours de notre recherche est bien un traitement
coercitif classique depuis le deacutebut de leur scolariteacute au collegravege (avertisse-
ments exclusions conseil de vie scolaire) visant agrave leur faire apprendre de
greacute ou de force leur laquo meacutetier drsquoeacutelegraveve raquo laquo se comporter comme un eacutelegraveve raisonnable raquo
eacutetant entendu qursquoil ne tient qursquoagrave lrsquoeacutelegraveve de prendre la deacutecision de changer
Dans cette logique de refus ou drsquoacceptation la laquo mise au travail raquo
suffirait agrave reacutetablir la situation La question des lacunes scolaires est ainsi
eacuteviteacutee comme est preacuteserveacute le point central des compeacutetences enseignantes
les interactions peacutedagogiques dans la classe Lrsquoeacutelegraveve en difficulteacute devient
une personne laquo difficile raquo Une logique de rapport de force entre lrsquoinstitu-
tion et lrsquoeacutelegraveve srsquoeacutetablit ainsi visant agrave laquo faire changer lrsquoeacutelegraveve drsquoavis raquo Celui-ci est
alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de son
eacutevolution quelquefois sommeacute de laquo trouver une solution raquo avec la mention
laquo nous avons tout essayeacute raquo Lrsquoabsence de changement marque eacutevidente de
mauvaise volonteacute deacuteclenche la colegravere des personnels scolaires La reacuteaction
aux perturbations manifesteacutees par lrsquoeacutelegraveve renforce et cristallise lrsquoidentiteacute
deacuteviante et les relations srsquoinstallent durablement dans le conflit En cas
de perturbations graves ces eacutelegraveves sont alors consideacutereacutes comme laquodangereuxpour la communauteacute scolaire raquo laquo nrsquoayant pas leur place au collegravege raquo La seacutepara-
tion devient ineacutevitable soit agrave la suite drsquoun conseil de discipline qui pro-
nonce lrsquoexclusion deacutefinitive soit par retrait de lrsquoeacutelegraveve en particulier dans
le cas de laquo passages fictifs raquo dans la classe supeacuterieure Lrsquoensemble des acteurs
scolaires srsquoentend pour traiter la situation en fonction drsquoinjonctions et de
sanctions plutocirct que de reacutesolution dans le sens de la poursuite des eacutetudes
ou drsquoun parcours individuel adapteacute agrave la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve La
gestion des laquo deacuteviants scolaires raquo tend ainsi agrave ecirctre penseacutee et mise en actes
en termes de preacuteservation de lrsquoordre scolaire sanctionnant les manque-
ments aux regravegles tant drsquoassiduiteacute que de comportement les mauvais
reacutesultats eacutetant quasiment inclus dans le registre des transgressions
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140 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
552 LES EacuteLEgraveVES
Les jeunes deacutescolariseacutes srsquoexpriment peu par rapport agrave leur situation acircgeacutes
de 14 agrave 16 ans au moment de la rencontre avec le chercheur ils ont veacutecu
un processus de deacutescolarisation plus qursquoils ne lrsquoont construit avec parfois
lrsquoimpression qursquoils avaient tregraves peu de prise sur ce qui leur arrivait Un
seul (Patrick dont nous deacutetaillerons la situation plus loin) exprime un
refus clair de lrsquoeacutecole et de toutes les propositions qui lui seraient faites
en forme de conflit ouvert et non neacutegociable accompagneacute drsquoun deacutesinteacuterecirct
affirmeacute par rapport agrave son avenir Un autre qui nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute
souhaiterait vivement laquo entrer agrave lrsquoeacutecole raquo Pour les eacutelegraveves exclus drsquoun collegravege
lrsquoeacuteloignement du collegravege de reacuteaffectation est un obstacle important agrave la
suite de la scolariteacute Drsquoautres expriment un fort sentiment de deacutevalori-
sation personnelle (crsquoest le cas de ceux qui se sont signaleacutes par drsquoimpor-
tantes perturbations scolaires) et des espoirs deacuteccedilus dans la scolariteacute Les
jeunes qui nrsquoont pas eacuteteacute perturbateurs et ont de ce fait eacuteteacute moins stigma-
tiseacutes nrsquoexpriment pas de ressentiment ou de crainte mais plutocirct un deacutesin-
teacuterecirct global par rapport agrave lrsquoeacutecole en geacuteneacuteral tout en gardant un laquo bonsouvenir raquo drsquoenseignants ou drsquoacteurs scolaires Le processus de deacutescolari-
sation srsquoest accompagneacute drsquoun isolement croissant par rapport aux autres
eacutelegraveves du collegravege accentueacute par les nombreuses absences Lrsquoabsenteacuteisme
ou les fortes perturbations coupent les jeunes des sociabiliteacutes juveacuteniles
lieacutees agrave la vie quotidienne au collegravege et mecircme si les camarades peuvent
jouer un rocircle de relais et de garde-fous dans certaines situations leur
peacuterennisation entraicircne une deacutesaffection de leur part
Les jeunes deacutescolariseacutes occupent des rangs divers dans leurs fratries
dont le nombre drsquoenfants varie de un agrave sept six sont des aicircneacutes (ou enfant
unique pour un) quatre sont les plus jeunes quatre occupent des places
meacutedianes dans la fratrie Tous les jeunes deacutescolariseacutes vivent plutocirct laquo au jourle jour raquo pris en charge mateacuteriellement dans leurs familles avec lesquelles
ils entretiennent des relations diverses qui vont de la bonne entente au
conflit ouvert en forme de rapport de force avec les parents ou des fregraveres
et sœurs Plusieurs disent vouloir travailler et attendre drsquoavoir 16 ans pour
pouvoir le faire La notion drsquoadolescence est relative dans leur cas alors
que pour beaucoup de jeunes scolariseacutes elle est une peacuteriode assez longue
pendant laquelle ils restent deacutependants de leurs parents tout en menant
une vie relativement autonome il en va autrement pour ceux dont nous
avons eacutetudieacute les situations
Les jeunes deacutescolariseacutes se trouvent confronteacutes avant lrsquoacircge de 16 ans
agrave des choix et agrave des perspectives qui tiennent plus de lrsquoacircge adulte trouver
un travail ou une formation rapidement qualifiante seconder les parents
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la megravere en particulier La plupart drsquoentre eux vivent plus au contact
drsquoadultes que de jeunes de leur acircge (agrave part ceux qui sont attacheacutes agrave des
groupes de pairs) et leurs formes de sociabiliteacute juveacutenile se trouvent
modifieacutees par lrsquoarrecirct de scolariteacute
La majoriteacute des jeunes sont plutocirct resteacutes chez eux inteacutegrant laquo agrave plein
temps raquo la vie familiale au rythme de leurs parents Le temps est scandeacute
par les horaires scolaires des plus jeunes enfants que les jeunes filles
accompagnent ou vont chercher Lrsquoarrecirct de scolariteacute implique une dimi-
nution des reacuteseaux relationnels avec des pairs deacutejagrave restreints pour la
plupart des jeunes un repli sur la sphegravere familiale et une impression
drsquoennui avec dans un cas des activiteacutes reacutepeacutetitives Les relations intrafami-
liales se tendent drsquoautant plus que les intervenants exteacuterieurs se mani-
festent par des avertissements ou des injonctions et que les revenus de la
famille sont en baisse par la suspension ou la suppression des allocations
familiales Les jeunes qui avaient des reacutesultats scolaires satisfaisants agrave
lrsquoentreacutee en sixiegraveme peuvent espeacuterer dans un avenir indeacutetermineacute reprendre
une formation mais pour les autres les reacutesultats scolaires en chute ou
mauvais depuis plusieurs anneacutees rendent tregraves aleacuteatoire la perspective de
projets professionnels ou drsquoavenir lieacutes agrave la formation en geacuteneacuteral
Sur les quatorze situations rencontreacutees cinq jeunes ont commis des
actes deacutelinquants preacutealables ou parallegraveles agrave leur entreacutee au collegravege Agrave la
suite de lrsquoarrecirct de scolariteacute ces actes deacutelinquants ont continueacute et se sont
mecircme amplifieacutes mais on ne peut pas dire que lrsquoarrecirct de scolariteacute ait
geacuteneacutereacute la deacutelinquance Onze ont eacuteteacute lrsquoobjet de signalements pour faits
de petite deacutelinquance ou absenteacuteisme ou encore problegraveme familial Ces
signalements ont donneacute lieu agrave des rencontres avec un juge des enfants et
agrave des mesures eacuteducatives avec maintien au domicile dans la majoriteacute des
cas (deux jeunes ont eacuteteacute placeacutes sur des dureacutees courtes) Les deux jeunes
dont les parents ont trouveacute une issue en matiegravere drsquoapprentissage anticipeacute
nrsquoont fait lrsquoobjet drsquoaucun signalement pas plus que lrsquoenfant en situation
irreacuteguliegravere
La preacutesence drsquoun groupe de pairs dans le quartier peut jouer un rocircle
attractif ou compensatoire agrave lrsquoinactiviteacute lieacutee agrave la deacutescolarisation Crsquoest le
cas pour cinq des jeunes qui ont commis des actes deacutelinquants et srsquoattachent
agrave des groupes de pairs en forme de bandes au fur et agrave mesure que
srsquoaccentue le processus de deacutescolarisation
553 LES FAMILLES
Aux facteurs endogegravenes agrave lrsquoeacutecole srsquoajoutent des situations familiales qui
ne permettent pas de soutenir lrsquoeacutelegraveve dans son effort scolaire ni de contre-
balancer lrsquoimage neacutegative qui lui est renvoyeacutee Dans la plupart des situations
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142 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rencontreacutees si les parents se manifestent ou reacutepondent aux demandes de
rencontre des collegraveges (les laquo convocations raquo) au sujet de leur enfant ou
tout au moins acceptent un eacutechange avec lrsquoassistant social qui se rend au
domicile on note un deacutecalage entre le point de vue et lrsquohistoire scolaire
des familles en particulier les parents et les exigences de lrsquoeacutecole tant sur
le plan de lrsquoassiduiteacute que sur celui du comportement
La plupart des familles rencontreacutees disposent de trop peu de res-
sources pour se positionner en interlocuteurs creacutedibles de lrsquoeacutecole meacutecon-
naissent le fonctionnement du systegraveme scolaire tout en devant geacuterer une
vie quotidienne tregraves difficile drsquoun point de vue eacuteconomique Dans une
famille une incompreacutehension linguistique majeure empecircche tout travail
de coeacuteducation effectif entre le collegravege et les parents en lrsquoabsence de
traduction La gestion de la scolariteacute revient majoritairement aux megraveres
qui sont plus souvent preacutesentes dans les eacutetablissements scolaires les pegraveres
(lorsqursquoils sont preacutesents dans lrsquoeacuteducation de leurs enfants) intervenant
plus pour geacuterer les manquements aux normes Dans plusieurs familles les
strateacutegies familiales employeacutees sont de lrsquoordre de la contention corporelle
sans effet sur une reprise de la scolariteacute ainsi des parents accompagnent
leur enfant au collegravege le remettent dans les mains du conseiller principal
drsquoeacuteducation (CPE) qui lrsquoemmegravene en courshellip jusqursquoagrave la fin de lrsquoheure ougrave
le jeune disparaicirct agrave nouveau de lrsquoeacutetablissement Son refus du systegraveme
scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires nrsquoont drsquoinfluence
sur un eacuteventuel retour Des punitions corporelles reacutepeacuteteacutees sont appliqueacutees
par certaines familles aux jeunes visant agrave les faire laquo rentrer dans le droitchemin raquo (celui de lrsquoeacutecole en lrsquooccurrence censeacutee assurer une formation
et proteacuteger contre les risques de deacutelinquance) avec pour effet drsquoaccentuer
le retrait de la famille parallegravelement au retrait de lrsquoeacutecole La stigmatisation
opeacutereacutee par lrsquoeacutecole est renforceacutee dans certaines familles par un regard
neacutegatif porteacute sur lrsquoadolescent qui devient une laquo bouche inutile raquo en parti-
culier lorsque les allocations familiales sont suspendues
Eacuteloigneacutes du marcheacute du travail et de celui de la consommation les
parents nrsquooffrent pas drsquoimage creacutedible agrave leurs enfants en tant qursquoeacuteduca-
teurs Dans ces cas-lagrave le controcircle parental et la qualiteacute de la relation avec
les enfants deacutejagrave affecteacutes par la situation de preacutecariteacute dans laquelle se
trouvent les familles sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli 2001
p 224) Des conflits aviveacutes de surcroicirct par la situation critique du jeune
au collegravege bloquent aussi la communication agrave lrsquointeacuterieur de ces familles
Pour les familles marqueacutees par la pauvreteacute les aleacuteas de la vie fami-
liale prennent des proportions exacerbeacutees seacuteparations divorces disputes
recompositions ont lieu dans des espaces et des temps restreints (lrsquoabsence
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de travail confine les membres adultes de la famille au domicile et ils ne
disposent pas de reacuteseaux professionnels ou relationnels qui leur permet-
traient de se distraire de ces situations) Ces familles peuvent eacutevoluer
rapidement deacutepart drsquoun conjoint et arriveacutee drsquoun autre installation
momentaneacutee ou agrave plus long terme au domicile du nouveau conjoint drsquoun
des deux parents en preacutesence de lrsquoautre heacutebergement de proches en
difficulteacute momentaneacutee deacutepart ou arriveacutee des enfants les plus acircgeacutes avec
quelquefois des beacutebeacuteshellip Les enfants doivent geacuterer ces situations familiales
conflictuelles et leur scolariteacute en mecircme temps et le cas eacutecheacuteant assurer
le soutien du parent le plus vulneacuterable comme crsquoest le cas pour lrsquoune des
jeunes filles dont la scolariteacute srsquoest arrecircteacutee principalement pour ce motif
Les deacutemarches diverses sont tregraves difficiles agrave effectuer les deacuteplace-
ments entre Roubaix et Lille par exemple sont veacutecus comme aleacuteatoires et
dangereux alors que lrsquoagglomeacuteration est desservie par des moyens de
transport nombreux et fiables Les propositions drsquoorientation ou de pla-
cement qui peuvent ecirctre faites rencontrent un refus de se seacuteparer parents
et enfants veulent rester ensemble par crainte de la solitude (pour les uns
et les autres) de lrsquoinconnu des jugements deacutevalorisants de lrsquoentourage et
des agents institutionnels autour de la seacuteparation De ce fait les proposi-
tions alternatives sont tregraves limiteacutees car les centres speacutecialiseacutes ou de forma-
tion se trouvent rarement dans le mecircme quartier ou dans la mecircme ville
En lrsquoabsence drsquoadheacutesion minimale du groupe familial agrave ces propositions
leur reacutealisation comporte un fort risque drsquoeacutechec La valeur fondamentale
qui apparaicirct ainsi pour ces familles est le fait de preacuteserver lrsquouniteacute du
groupe refuge protection lieu de souffrance mais aussi lrsquoexercice de la
fonction parentale qui doit ecirctre maintenue fucirct-elle mise en peacuteril par des
interactions violentes ou peacutenibles entre parents et enfants La remise en
cause de cette laquo compeacutetence parentale raquo est drsquoautant plus difficile agrave vivre
qursquoelle est le seul facteur de reconnaissance sociale possible
Lrsquoisolement et le peu de gratifications reccedilu dans leur vie sociale la
multipliciteacute des eacuteveacutenements qui jalonnent la vie familiale favorisent sans
doute lrsquoentreacutee et lrsquoinstallation de plusieurs megraveres dans la laquo deacutepression raquo
qui devient partie inteacutegrante de lrsquoidentiteacute maternelle preacutesenteacutee comme
telle au chercheur Les difficulteacutes veacutecues avec les conjoints et les enfants
sont des drames quotidiennement ressasseacutes et certaines trouvent dans ces
rocircles de megravere et drsquoeacutepouse doloriseacutees une forme drsquoidentiteacute acceptable pour
elles-mecircmes pour les acteurs scolaires pour les travailleurs sociauxhellip qui
vont intervenir en tenant compte de la laquomaladieraquo de la megravere Les laquoproblegravemes
de santeacute raquo sont partie prenante de ces probleacutematiques parentales et
deacuteclenchent la compassion ou lrsquoagacement des interlocuteurs inteacuteresseacutes agrave
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144 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
la situation de lrsquoenfant Dans les cas extrecircmes ils se retrouvent en situation
drsquoeacutecouter de rassurer voire drsquoassister les parents vulneacuterabiliseacutes Cela eacutetant
les parents rencontreacutes ne se deacutesinteacuteressent pas de la situation de leurs
enfants et les megraveres restent souvent leurs seules laquo allieacutees inconditionnelles raquo
tentant drsquoassurer leur laquo protection raquo dans les aleacuteas de leurs deacutemecircleacutes avec
lrsquoeacutecole les travailleurs sociaux les juges des enfants parfois
Dans plusieurs situations la vie familiale srsquoaccommode bon an mal
an du retrait scolaire de un ou plusieurs des enfants la scolariteacute de un
ou plusieurs aicircneacutes srsquoest arrecircteacutee agrave lrsquoacircge de 16 ans et les perspectives fami-
liales en matiegravere drsquoeacutecole sont plus porteacutees vers des eacutetudes courtes sanc-
tionneacutees ou non par un diplocircme professionnel que vers des eacutetudes longues
Le savoir scolaire nrsquoest pas valoriseacute en tant que tel et lrsquoeacutecole est veacutecue
comme un lieu de formation permettant drsquoacceacuteder rapidement agrave un
emploi Lorsque les reacutesultats scolaires du jeune et les incidents au collegravege
rendent cette perspective peu creacutedible la famille envisage alors un retrait
de lrsquoeacutecole degraves lrsquoacircge de 16 ans conseillant agrave lrsquoenfant de laquo se tenir agrave carreau raquo
drsquoici lagrave afin de ne pas srsquoattirer les reproches et les interventions nombreu-
ses des acteurs scolaires Une fois atteint lrsquoacircge de 16 ans on parle alors
de laquo trouver un bon apprentissage raquo au jeune afin de lui permettre de tra-
vailler rapidement Cette perspective est drsquoautant plus affirmeacutee qursquoexistent
dans la famille des personnes qui travaillent ou ont travailleacute dans un passeacute
reacutecent et qui peuvent ecirctre porteuses de cette ideacutee de processus de forma-
tion Lrsquoinfluence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable dans les
discours mentionnant un laquo projet professionnel raquo alternatif agrave lrsquoeacutecole
Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en
place elles-mecircmes une issue agrave la deacutescolarisation de leur enfant en obte-
nant une deacuterogation pour une entreacutee en apprentissage avant 16 ans sans
passer par lrsquointermeacutediaire de travailleurs sociaux
Dans lrsquoensemble dans aucune des situations eacutetudieacutees on nrsquoa pu
observer des interactions efficaces entre les parents et lrsquoeacutetablissement
scolaire les familles globalement peu creacutedibles dans les repreacutesentations
des acteurs scolaires sont encore plus deacutevaloriseacutees quand elles sont en
situation de vulneacuterabiliteacute ou de pauvreteacute Agrave leur tour elles voient les
acteurs scolaires comme deacutesagreacuteables et peu efficaces porteurs drsquoinjonc-
tions irreacutealisables agrave lrsquoexception de certains (assistants sociaux principale-
ment) qui sont consideacutereacutes comme bienveillants et faisant tout leur possible
pour faire revenir lrsquoenfant au collegravege sans que cela corresponde agrave une
eacuteventualiteacute raisonnablement envisageable et reacutealisable par la famille
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554 LES TRAVAILLEURS SOCIAUX
(Agrave LrsquoINTEacuteRIEUR ET Agrave LrsquoEXTEacuteRIEUR DES COLLEgraveGES)
Les assistants sociaux scolaires jouent un rocircle cleacute dans le suivi des jeunes
en risque de deacutescolarisation ou dans lrsquointervention aupregraves drsquoeux quand
lrsquoarrecirct de scolariteacute est effectif car ils peuvent se rendre au domicile de la
famille et ne sont pas investis drsquoune mission peacutedagogique par rapport agrave
lrsquoeacutelegraveve Ils se situent dans un champ de relation plus laquo libre raquo et moins
stigmatisant pour le jeune et sa famille qui peuvent mettre en avant des
eacuteleacutements explicatifs ou justificatifs de lrsquoarrecirct de scolariteacute qui ne seraient
pas entendus par les autres agents scolaires Les familles sont par ailleurs
pour la plupart habitueacutees agrave recevoir ou agrave cocirctoyer des travailleurs sociaux
assistants sociaux en particulier dans une relation drsquoassistance et de controcircle
Les relations entre les assistants sociaux et les enseignants sont mar-
queacutees par un fort cloisonnement lorsqursquoils assurent le suivi social des
eacutelegraveves dans les collegraveges celui-ci se fait sans lien avec les interactions dans
les classes La question du secret professionnel reste entiegravere des ensei-
gnants adressent des eacutelegraveves au service social et ont quelquefois peu de
laquo retours raquo de ces interventions ils meacuteconnaissent des eacuteveacutenements graves
arrivant aux eacutelegraveves et regrettent ensuite drsquoecirctre intervenus agrave contretemps
aupregraves drsquoeux du fait de ces meacuteconnaissances Les personnels sociaux des
eacutetablissements maintiennent de leur cocircteacute la confidentialiteacute de nombre de
donneacutees par souci du respect de la vie priveacutee des eacutelegraveves et de leurs
familles et par crainte drsquoutilisations intempestives de ces informations Ces
mecircmes craintes existent drsquoailleurs aussi entre enseignants De fait les
intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir aupregraves des
familles et tenter de modifier la probleacutematique familiale plutocirct que les
interactions qui se deacuteroulent ou se sont deacuterouleacutees au collegravege Leur forma-
tion les entraicircne aussi sans doute plus du cocircteacute de la relation parents-
enfants que des acquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants
Par ailleurs les travailleurs sociaux insistent sur la mise en place de
laquo projets raquo qui se heurtent agrave la preacutecariteacute des conditions de vie faisant
justement obstacle agrave la construction de ces projets En outre si les enfants
deviennent plus qualifieacutes que leurs parents ils peuvent vivre des conflits
de loyauteacute qui remettraient en cause lrsquoeacutequilibre familial drsquoougrave des attitudes
de repli freacutequemment observeacutees et des laquo mises en eacutechec raquo de projets
construits autour de formations proposeacutees aux jeunes Lorsque les actions
dans les eacutetablissements scolaires ont eacutechoueacute agrave maintenir lrsquoeacutelegraveve dans le
milieu scolaire les solutions laquo sociales raquo prennent le relais en maintenant
un lien avec les familles et en eacutevitant un enclavement plus important pour
les familles les plus isoleacutees
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146 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
56 LE CAS DE PATRICK
Patrick est acircgeacute de 15 ans au moment ougrave nous le rencontrons chez lui avec
sa megravere et sa sœur aicircneacutee Il est le dernier drsquoune fratrie de sept enfants
Son pegravere est deacuteceacutedeacute il y a six ans Sa megravere employeacutee de collectiviteacute sur
Paris a arrecircteacute sa scolariteacute agrave la fin du cycle primaire Elle a deacutemeacutenageacute drsquoune
ville de la banlieue parisienne vers Roubaix en juin 1999 Elle est agente
de service agrave la DDASS12 drsquoun deacutepartement limitrophe de Paris poste
qursquoelle a obtenu en se faisant connaicirctre tout drsquoabord comme laquo cliente raquo
des services sociaux Elle fera le deacuteplacement Roubaix-Paris et retour tous
les jours jusqursquoau deacutebut de 2001 peacuteriode agrave laquelle elle entame une seacuterie
de congeacutes maladie pour laquo deacutepression raquo selon sa propre expression Au
moment du deacutemeacutenagement Patrick terminait une sixiegraveme marqueacutee par
de tregraves mauvais reacutesultats scolaires
Sur le bulletin de fin de CM213 de Patrick on peut lire laquo Des reacutesultats
faibles dans lrsquoensemble ndash Des efforts cependant tregraves doueacute pour lrsquoEPS14
perspectives drsquoadaptation en 6e moyennes (demande pour 6e hand-
ball) raquo Il a effectivement un A (meilleure cateacutegorie) en EPS et des per-
formances entre B et C pour la lecture lrsquoexpression orale les meacutecanismes
opeacuteratoires de C pour lrsquoexpression eacutecrite le raisonnement les sciences
et la technologie lrsquohistoire-geacuteographie lrsquoeacuteducation civique et musicale
les arts plastiques et de D pour lrsquoorthographe Dans le domaine des compeacute-
tences transversales on peut lire laquo Comportement irreacutegulier respecte
lrsquoautoriteacute Valoriseacute par les matiegraveres sportives raquo
Lrsquoappreacuteciation de fin de premier trimestre de sixiegraveme en banlieue
parisienne indique laquo Travail et reacutesultats tregraves insuffisants Il faut reacuteagir tregraves
rapidement raquo Cette injonction est soutenue par un dispositif de soutien
interne au collegravege Lrsquoenseignant en charge de ce soutien indique laquo bondeacutebut raquo sur le mecircme bulletin Au deuxiegraveme trimestre on note quelques
absences non justifieacutees et une attitude laquo peacutenible et deacutesagreacuteable raquo laquo perturbatrice raquo
est signaleacutee par la majoriteacute des professeurs Lrsquoenseignant chargeacute du sou-
tien indique laquo Encourageant Il faudrait ne manquer aucune seacuteance raquo Patrick
reccediloit un avertissement laquo travail et conduite raquo Il est exclu une journeacutee de
lrsquoeacutetablissement aux motifs de laquo Refuse drsquoobeacuteir perturbe la classe tutoie le
professeur raquo La megravere de Patrick eacutecrit une lettre au principal pour accuser
reacuteception du courrier lui notifiant cette exclusion et srsquoexcuser elle-mecircme
du comportement de son fils
12 Direction deacutepartementale de lrsquoaction sanitaire et sociale
13 Cours moyen 2e anneacutee
14 Eacuteducation physique et sportive
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Au troisiegraveme trimestre Patrick est scolariseacute agrave Roubaix sans que
lrsquoenseignant chargeacute du soutien en soit preacutevenu car il indique sur un
bulletin par ailleurs vide de toute appreacuteciation laquo Nrsquoest plus venu ce trimestreIl y avait pourtant quelque chose agrave faire raquo Au troisiegraveme trimestre agrave Roubaix
on comptabilise quatre demi-journeacutees drsquoabsence non justifieacutees La moyenne
geacuteneacuterale est faible (79520) les appreacuteciations soulignent le sentiment de
laquo peu drsquoefforts peu de travail ensemble un peu timide raquo avec des appreacuteciations
positives en technologie et en sciences et vie de la terre laquo seacuterieux ensemblecorrect bien raquo Sur le bulletin scolaire du premier trimestre de lrsquoanneacutee 1999-
2000 on note laquo Trimestre catastrophique Aucun travail et attitude tregraves peacutenibleAvertissement travail et conduite raquo Aucun dispositif de soutien nrsquoest cette
fois-ci proposeacute agrave Patrick
Les deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres de cinquiegraveme se deacuteroulent en
banlieue parisienne dans le collegravege ougrave il a effectueacute sa sixiegraveme Patrick a
en effet refuseacute le deacutemeacutenagement de sa megravere et a obtenu drsquoecirctre logeacute chez
lrsquoun de ses fregraveres aicircneacutes dans la ville de banlieue parisienne ougrave il habitait
preacuteceacutedemment en laquo faisant le chantage raquo comme le dit son fregravere laquo Srsquoilrevenait agrave X il suivait lrsquoeacutecole raquo Les reacutesultats scolaires tregraves mauvais se com-
binent avec des incidents violents qui lrsquoopposent agrave des enseignants et agrave
drsquoautres eacutelegraveves ainsi qursquoavec de multiples absences De fait Patrick fait
partie drsquoune bande de jeunes garccedilons qui commencent agrave commettre des
actes deacutelinquants (vols agressions sur drsquoautres du mecircme acircge) dans la citeacute
ougrave il habitait avec sa megravere
Le chef drsquoeacutetablissement connaicirct bien Patrick et sa famille (sa sœur
aicircneacutee a suivi sa scolariteacute dans ce mecircme collegravege) Il approuve au cours de
lrsquoentretien le choix de la megravere de Patrick laquo Ccedila permettait de couper Patrickde le couper des copains et des gangs dans lesquels il commenccedilait agrave srsquointeacutegrer raquo Il
a repeacutereacute chez Patrick un laquo gros gros problegraveme affectif [hellip] le gamin pas contentquand on lrsquoaime pas raquo Par ailleurs le principal et lrsquoeacutequipe de direction
travaillaient agrave laquo remettre de lrsquoordre raquo dans le collegravege laquo Patrick quand il estarriveacute eacutetait porteur des mecircmes problegravemes que lrsquoeacutetablissement raquo Le jeune garccedilon
fait alliance avec drsquoautres eacutelegraveves dont les comportements sont proches des
siens et les retrouve degraves son retour Il fait partie drsquoune cinquiegraveme agrave domi-
nante sportive ougrave il se signale par une absence de travail et 33 demi-
journeacutees drsquoabsence au troisiegraveme trimestre ponctueacute par cette appreacuteciation
laquo Bilan catastrophique Vous nrsquoecirctes pas motiveacute par lrsquoenseignement geacuteneacuteral Patienteztravaillezhellip pour pouvoir construire un projet Conseil 4e aide et soutien raquo
La vie familiale de son fregravere aicircneacute est perturbeacutee par la preacutesence de
ce jeune qui est agrave peine plus acircgeacute que lrsquoaicircneacute de ses neveux et reacuteclame de
sortir tard le soir en refusant lrsquoautoriteacute de son fregravere Une bagarre avec un
autre fregravere met un terme agrave la cohabitation en banlieue parisienne et
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148 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Patrick reacuteintegravegre le domicile de sa megravere agrave Roubaix Les contacts sont
coupeacutes entre le fregravere aicircneacute et sa megravere celui-ci reprochant agrave cette derniegravere
drsquoecirctre trop faible avec le plus jeune dont il constate qursquoil domine sa megravere
Il met un coup de pression et il aura ce qursquoil veut elle cegravede et elle lui donnetout ce qursquoil veut Depuis que mon pegravere est mort il nrsquoy a plus cette poigne[hellip] Avec moi il y avait le respect Avant je disais six heures et il eacutetait lagraveagrave six heures [hellip] Quand il mettait la musique trop fort je lui disaisdrsquoarrecircter une fois deux fois et je coupais les plombs Je lrsquoai vu faire avecsa megravere quand elle lui refuse quelque chose il va dans sa chambre il metla musique agrave fond Elle gueule il fait ce qursquoil veut Elle va dans sachambre il pourrait lever la main sur elle Alors elle redescend
Lrsquoinfluence du groupe de pairs et lrsquoattirance qursquoil exerce sur Patrick
sont aussi souligneacutees par son fregravere aicircneacute Patrick est envoyeacute au Portugal
pays drsquoorigine de ses parents dans le courant du premier trimestre 2000-
2001 pour une laquo mise au vert raquo visant aussi agrave soulager la famille la megravere
en particulier
De retour agrave la fin de deacutecembre 2000 agrave Roubaix Patrick refuse drsquoaller
au collegravege exigeant de retourner en banlieue parisienne afin de retrouver
ses laquo copains raquo Les bulletins des deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres sont
vides drsquoappreacuteciations (75 demi-journeacutees drsquoabsences non justifieacutees au troi-
siegraveme trimestre) et le commentaire final est laquo Eacutelegraveve fantocircme raquo En dessous
hors cadre on peut lire laquo Attention Obligation scolaire jusqursquoagrave 16 ans raquo (sou-
ligneacute deux fois)
Patrick instaure un rapport de force avec sa megravere il exige qursquoelle
lui donne de lrsquoargent pour ses deacutepenses personnelles met la musique agrave
fond quand elle veut lui reacutesister manifeste lors de lrsquoentretien une absence
drsquoempathie agrave son eacutegard et une insouciance pour son avenir professionnel
qui accentuent les pleurs et le deacutesarroi de cette derniegravere
Patrick Jrsquopeux rester comme ccedila jusqursquoagravehellip
Megravere Ben tu peux pas rester jusqursquoagrave agrave rien faire toute ta viehellip
Patrick Eh ben alors deacutemeacutenage deacutemeacutenage
Megravere Ah non Je ne deacutemeacutenage pas non
Patrick Si tu ne deacutemeacutenages pas je vais pas agrave lrsquoeacutecole ici
Megravere Je vais pas deacutemeacutenager pour toi hein
Patrick Et moi je ne vais pas aller agrave lrsquoeacutecole pour toi Moi jrsquoy vais pasici Crsquoest clair Ni travailler ni agrave lrsquoeacutecole ni agravehellip je vais pas aller agrave lrsquoeacutecolepour toi
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Tous les propos eacutechangeacutes entre Patrick et sa megravere sont de cette
teneur le jeune garccedilon regarde sa megravere et crie celle-ci pleure et tente
drsquoargumenter
La famille considegravere que lrsquoeacutecole ne lrsquoa pas aideacutee Le fregravere aicircneacute men-
tionne des reacuteflexions indeacutelicates drsquoenseignants en reacutegion parisienne la
sœur aicircneacutee commente ainsi une expression lue sur le bulletin du troisiegraveme
trimestre 2000-2001 laquo Ils marquent mecircme ldquoenfant fantocircmerdquo Crsquoest mecircme agrave sedemander si crsquoest pas de la moquerie parce qursquoon sait tregraves bien qursquoil va pas agrave lrsquoeacutecoleou ils savent tregraves bien les problegravemes qursquoon a ethellip marquer ce genre de choses sur lesbulletins crsquoest pas vraiment ce qursquoon a envie de voir ou de recevoir agrave la maison raquo
Une deacutecision drsquoorientation vers la classe-relais de Roubaix est prise
dans le courant de lrsquoanneacutee 2000-2001 Agrave cette occasion lrsquoassistante sociale
scolaire et une eacuteducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse se
rendent plusieurs fois au domicile de Patrick pour le rencontrer Le jeune
garccedilon dispose drsquoune chambre en haut drsquoun escalier et les intervenantes
parlementent plusieurs fois derriegravere la porte pour le faire sortir ce qui
semble laquo anormal raquo aux membres de la famille Par ailleurs Patrick ratera
de nombreux rendez-vous avec lrsquoeacuteducatrice et refusera entre autres de
travailler avec cette derniegravere sur la situation familiale laquo Alors jrsquoavais proposeacutedrsquoautres choses que lrsquoeacutecole [hellip] Mais non crsquoeacutetait non non non non non [hellip]
trois jours apregraves jrsquoavais pris un rendez-vous pour la journeacutee portes ouvertes delrsquoapprentissage en geacuteneacuteral il nrsquoeacutetait pas lagrave Je nrsquoai rien fait rien rien rien aveclui [hellip] crsquoest rarissime raquo
Patrick campe sur ses positions et tout se passe comme si plusieurs
adultes qursquoils soient de sa famille ou exteacuterieurs tentaient de le convaincre
de reprendre une scolariteacute alors qursquoaucune neacutecessiteacute eacuteconomique ou
autre ne le pousse agrave se mobiliser Sa megravere dit elle-mecircme qursquoelle est obli-
geacutee de le nourrir et qursquoelle est deacutepasseacutee par la situation Patrick semble
prendre exemple sur les violences exerceacutees par son pegravere et son fregravere aicircneacute
dans leur propre famille et agrave son eacutegard en les reportant aujourdrsquohui sur
sa megravere pour la faire ceacuteder Ce renversement de situation lrsquoadolescent
balayant lrsquoautoriteacute chancelante de sa megravere pour prendre le pouvoir est
renforceacutee par la logique de bande dans laquelle il est engageacute elle forme
sa reacutefeacuterence principale avant sa famille
Cette reacutefeacuterence primordiale est drsquoailleurs remarqueacutee par les membres
de la famille sa megravere en particulier qui srsquoinquiegravete de lrsquoinfluence des
copains sur son fils et de leurs trajectoires plusieurs drsquoentre eux sont
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150 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
incarceacutereacutes au quartier des mineurs agrave Fleury-Meacuterogis15 situation banaliseacutee
par Patrick qui dit souhaiter ecirctre avec eux plutocirct qursquoagrave Roubaix Quant au
parcours scolaire il en eacutetait deacutejagrave eacuteloigneacute lors de son deacutemeacutenagement
lrsquoanneacutee de sixiegraveme ayant drsquoailleurs eacuteteacute tregraves perturbeacutee au dire du principal
du collegravege de banlieue parisienne La fonction de lrsquoeacutecole est assez utilitaire
dans cette famille ougrave les eacutetudes longues ne sont pas une norme Le grand
fregravere de Patrick lui a drsquoailleurs conseilleacute de faire laquo profil bas raquo en attendant
la fin de la troisiegraveme et une formation en apprentissage Sa sœur aicircneacutee
acircgeacutee de 19 ans a arrecircteacute ses eacutetudes agrave 16 ans Elle est megravere drsquoun beacutebeacute drsquoun
an et a suivi sa megravere dans le Nord Elle se rend reacuteguliegraverement en reacutegion
parisienne pour rencontrer le pegravere de lrsquoenfant avec lequel elle a eu un
temps le projet de prendre un appartement Son jeune fregravere a alors
formuleacute le souhait de venir srsquoinstaller avec eux agrave deacutefaut de forcer sa megravere
agrave redeacutemeacutenager
La situation eacutetait bloqueacutee en juin 2001 Patrick refusant de rencon-
trer les intervenants sociaux qui se preacutesentent au domicile Lrsquoeacuteducatrice
prend alors la deacutecision drsquoun signalement au juge assorti drsquoune proposi-
tion de placement consideacuterant que les rocircles familiaux sont quasi inverseacutes
entre la megravere et son fils lesquels sont aussi laquo en danger raquo lrsquoun que lrsquoautre
Patrick quitte Roubaix dans le courant de lrsquoeacuteteacute et drsquoapregraves lrsquoeacuteducatrice
retourne chez son fregravere pour eacutechapper au placement avec lrsquoaccord de sa
megravere Au mois de septembre 2001 cette derniegravere fait parvenir au collegravege
de Roubaix une attestation indiquant que lrsquoadolescent est confieacute agrave sa sœur
et habite avec elle en reacutegion parisienne Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2002 la
sœur enceinte de son deuxiegraveme enfant est de retour agrave Roubaix dans
lrsquoappartement familial Patrick restant en reacutegion parisienne Il nrsquoa repris
agrave ce jour aucune scolariteacute
Se conjuguent ici une probleacutematique scolaire avec un niveau scolaire
tregraves bas et une non-perception des eacutetudes comme porteuses de projet
professionnel une logique deacutelinquante marqueacutee par une preacutedominance
du groupe des pairs et une sociabiliteacute juveacutenile deacutejagrave enclaveacutee une absence
de controcircle familial et parental lieacutee aux difficulteacutes de chaque membre de
la famille et agrave lrsquoeacutequilibre preacutecaire des relations agrave lrsquoimage de la preacutecariteacute
des ressources et des incertitudes qui jalonnent le quotidien Les injonc-
tions de lrsquoeacutetablissement scolaire nrsquoont aucune prise sur la famille qui le
tient en piegravetre estime (aucune aide veacuteritable ne lui est reconnue) et a
fortiori sur le jeune qui eacutevolue dans un autre systegraveme de reacutefeacuterences La
famille redoute en mecircme temps les deacutecisions comme un placement qui
enteacuterineraient lrsquoabsence de controcircle de sa part sur lrsquoadolescent
15 Maison drsquoarrecirct en banlieue Sud de Paris
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CONCLUSION
Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale autour des situations de deacutescolarisation on note
une pluraliteacute drsquointervenants qui se coordonnent peu voire ne se connaissent
pas et travaillent dans des optiques diffeacuterentes retour en classe travail
autour de la famille perspective drsquoun placement stage preacutequalifianthellip Les
uns et les autres attribuant agrave des sources diffeacuterentes les causes des difficul-
teacutes eacuteprouveacutees par le jeune ou causeacutees par lui sources consideacutereacutees en geacuteneacute-
ral comme exteacuterieures agrave leur propre action Chaque partie (famille jeunes
agents institutionnels) eacutevolue dans une logique qui lui est propre meacutecon-
nue de lrsquoautre partie La perspective drsquoeacutetudes geacuteneacuterales suivies sans succegraves
dans un contexte disciplinaire veacutecu comme conflictuel par les eacutelegraveves et
leurs professeurs incite agrave laquo chercher du travail raquo rapidement et agrave aban-
donner un cursus scolaire qui apparaicirct inutile et constamment frustrant
en tentant de passer immeacutediatement agrave un statut laquo adulte raquo (recherche
drsquoemploi ou prise de deacutecision autonome entre autres) dans un contexte
eacuteconomique marqueacute par la preacutecariteacute chez les cateacutegories sociales les moins
armeacutees sur le marcheacute de lrsquoemploi Mais lrsquoabsence de perspectives profes-
sionnelles et de possibiliteacutes de formation pour de tregraves jeunes garccedilons et
filles non qualifieacutes rend aleacuteatoires ces solutions alternatives fragilisent les
eacutequilibres familiaux et exposent les adolescents aux risques drsquoisolement
de repli sur soi ou de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes deacutelinquantes
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LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES
Lrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche
biographique
C
EacuteCILE
C
ARRA
CESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
La deacutelinquance juveacutenile apparaicirct en France comme un veacuteritable problegraveme
de socieacuteteacute preuve en serait lrsquoeacutevolution des statistiques officielles Ce
pheacutenomegravene suscite une profusion de discours de mises en garde de
recommandations Il occupe une place privileacutegieacutee dans le deacutebat politique
les meacutedias les colloques les discours ordinaires La deacutelinquance juveacutenile
est donc un sujet massivement traiteacute sur la scegravene publique Pour autant
sait-on qui sont ces laquo jeunes raquo au centre des deacutebats tout comme de lrsquoatten-
tion judiciaire Que connaicirct-on preacuteciseacutement de leur comportement et de
leurs motivations Qursquoen est-il de leurs familles qui tendent agrave ecirctre deacutesi-
gneacutees comme seules responsables de leurs actes (Mucchielli 2000) Quels
sont les effets du suivi judiciaire sur ces jeunes et sur leur famille Nom-
breux sont les travaux scientifiques franccedilais sur la deacutelinquance juveacutenile
mais ils portent davantage sur le systegraveme de prise en charge que sur les
populations suivies Selon Renouard (1995) la recherche franccedilaise a
mecircme deacutelaisseacute ce champ drsquoinvestigation
Cette orientation traditionnelle drsquoune partie de la recherche fran-
ccedilaise srsquoexplique notamment par des raisons de meacutethode ndash absence de
donneacutees disponibles difficulteacutes drsquoaccegraves au terrain Ceux qui srsquoy sont
essayeacutes savent combien il est difficile drsquoapprocher ces populations combien
lrsquoimmersion dans leur milieu de vie est longue et ardue Entrer en contact
se faire accepter connaicirctre leur milieu de vie sont pourtant des conditions
si ce nrsquoest suffisantes du moins incontournables pour tenter de comprendre
laquo de lrsquointeacuterieur raquo comment se constitue cette deacutelinquance qui apparaicirct
dans lrsquoactualiteacute sous la forme de laquo bandes de jeunes raquo et de laquo quartiers
sensibles raquo ces cateacutegories constituant le prisme agrave travers lequel la deacutelin-
quance juveacutenile est communeacutement appreacutehendeacutee Il ne srsquoagit donc pas ici
de traiter de la deacutelinquance en geacuteneacuteral mais de celle des mineurs issus
de milieux populaires dont les familles reacutesident dans des zones stigma-
tiseacutees Le questionnement poseacute les reacutesultats ne prendront sens qursquoen les
resituant dans ce cadre ce contexte speacutecifique
La citeacute des laquo 804 raquo quartier populaire drsquoune ville de moyenne impor-
tance de lrsquoEst de la France est qualifieacutee par les meacutedias de laquo zone de non-
droit raquo Parmi ses 1200 habitants nombreux sont ceux qui vivent ce lieu
comme inseacutecure et stigmatisant de nombreuses opeacuterations conduites
notamment dans le cadre de la Politique de la Ville tentent de changer
cette image Si les causes et les solutions proposeacutees par les diverses cateacute-
gories drsquoacteurs sont diffeacuterentes voire opposeacutees tous sont unanimes pour
deacutesigner les jeunes de la citeacute comme eacutetant les principaux responsables des
problegravemes locaux Ce sont certains de ces jeunes qui sont au centre de
cette recherche Ils ont comme point commun drsquoavoir appartenu agrave un
mecircme groupe de pairs ayant pris aux yeux des habitants et des acteurs
institutionnels la forme souterraine et dangereuse drsquoune bande Ces jeunes
DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES
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ont par ailleurs tous eacuteteacute condamneacutes par la justice des mineurs et suivis
dans le cadre du service eacuteducatif aupregraves du tribunal (SEAT)
1
Les carac-
teacuteristiques socioeacuteconomiques de ces enquecircteacutes correspondent agrave celles des
mineurs suivis au peacutenal par le SEAT fils drsquoouvriers ou de chocircmeurs dont
lrsquoacircge est compris entre 16 et 21 ans releacutegueacutes sur le plan socioscolaire
(enseignement et institutions speacutecialiseacutes) et professionnel (chocircmage dis-
positif drsquoinsertion)
Traiter de la deacutelinquance juveacutenile en prenant pour population des
jeunes habitant qui plus est dans des quartiers dits sensibles neacutecessite
quelques preacutecautions Toute deacutelinquance nrsquoest pas le fait de laquo jeunes raquo
tout jeune deacutelinquant nrsquohabite pas dans un quartier populaire tout quar-
tier populaire ne geacutenegravere pas de la deacutelinquance Rappelons avec Bachmann
(1994) que laquo Pas plus que les jeunes les ldquoquartiersrdquo ne sont un objet
scientifique construit raquo Dans ce domaine toute geacuteneacuteralisation est men-
songegravere Telle banlieue est calme et paisible telle autre est une chaudiegravere
sous pression Il est donc aberrant de chercher lagrave un principe unificateur
permettant de cerner agrave lui seul lrsquoensemble des conduites des jeunes
de banlieues
61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE
LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES
Parmi les principales perspectives theacuteoriques de la deacutelinquance juveacutenile
certaines utilisent questionnaires et entretiens preacuteconstruits et preacutecodeacutes
pour objectiver le deacutelinquant en tendant agrave lrsquoenfermer dans une seacuterie de
facteurs laquo biopsychosocioculturels raquo drsquoautres centrent leur attention sur
le fonctionnement des institutions consideacuterant le plus souvent le deacutelin-
quant comme une laquo cire molle faccedilonneacutee par le jeu des structures raquo (Dubet
1987) Comment alors appreacutehender lrsquoacteur ses pratiques et le sens qursquoil
leur donne Comment comprendre la constitution de son parcours
Lrsquoapproche biographique redeacutecouverte en France gracircce aux travaux
de Bertaux (1980) apparaicirct comme lrsquoune des deacutemarches les plus perti-
nentes pour pouvoir reacutepondre agrave ce type de questionnement Suivre la
transformation progressive des attitudes face aux eacuteveacutenements auxquels il
se confronte et acceacuteder agrave une expeacuterience sociale laquo vue de lrsquointeacuterieur raquo laquo agrave
la deacutefinition de la situation raquo par lrsquoacteur lui-mecircme tel est lrsquoobjectif de
cette recherche agrave lrsquoinstar de ce qui est devenu le souci central de la
1 Ce service a pour mission principale la mise en œuvre des deacutecisions de justice au titrede lrsquoenfance deacutelinquante il deacutepend de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
perspective interactionniste (de Queiroz 1994)
2
Il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexpeacute-
rience subjective de lrsquoindividu expeacuterience conccedilue ici comme la reacutesultante
drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions eacutetant agrave penser
comme un processus de neacutegociation Ce processus loin drsquoecirctre lineacuteaire
est au contraire ponctueacute de laquo passages statutaires raquo marqueacute par des
laquo accidents biographiques raquo qui creacuteent des ruptures (lrsquoexclusion scolaire
une condamnationhellip)
Le point de vue de lrsquoacteur bien qursquoimportant ne suffit pas pour
comprendre globalement une situation encore faut-il le replacer au sein
des rapports sociaux ce point de vue eacutetant dans une certaine mesure la
reacutesultante drsquoun reacuteseau interrelationnel lui-mecircme inseacutereacute dans une socieacuteteacute
ineacutegalitaire Autrement dit ce point de vue est ici consideacutereacute comme sinon
le reflet du moins la reacutesultante ou la maniegravere de reacuteagir agrave une histoire qui
srsquoest constitueacutee dans et agrave travers le social Pour rejoindre Balandier (1983)
lrsquolaquo objectif [ de la biographie ] est drsquoacceacuteder [ par lrsquointeacuterieur ] agrave une reacutealiteacute
qui deacutepasse le narrateur et le faccedilonne Il srsquoagit de saisir le veacutecu social le
sujet dans ses pratiques dans la maniegravere dont il neacutegocie les conditions
sociales qui lui sont particuliegraveres raquo
La dimension diachronique permet de comprendre comment lrsquoon
devient deacutelinquant laquo comment les habitudes les attitudes et la philoso-
phie de vie qui sous-tendent les actes deacutelinquants se sont construites pro-
gressivement agrave travers les expeacuteriences sociales successives du deacutelinquant
durant un certain nombre drsquoanneacutees raquo (Shaw 1931 p 13) Elle contribuera
agrave deacutemontrer que les actes deacutelinquants proviennent moins de processus
pathologiques que de processus normaux les individus se transforment
par eacutetapes successives agrave la suite des interrelations propres au milieu et
avec les autres et de laquo choix raquo successifs veacutecus par eux (Digneffe 1989)
Si cette deacutemarche deacutecoule plus drsquoun choix imposeacute par la speacutecificiteacute
du questionnement et de la probleacutematique de cette recherche que par des
preacutesupposeacutes ideacuteologiques et meacutethodologiques en faveur du laquo qualitatif raquo
et contre le laquo quantitatif raquo ces preacutesupposeacutes existent neacuteanmoins et doivent
ecirctre expliciteacutes Les deux principaux preacutesupposeacutes sur lesquels repose cette
approche consistent agrave reconnaicirctre lrsquoindividu comme un acteur ayant donc
une capaciteacute strateacutegique et son expeacuterience comme un savoir repreacutesentant
2 Notons avec ces auteurs que la notion de biographie est preacutesente dans le travail socio-logique degraves les deacutebuts de lrsquoEacutecole de Chicago sous la forme des laquo histoires de vie raquo Troisauteurs ont marqueacute la production de lrsquoEacutecole de Chicago par lrsquousage de documentsautobiographiques W Thomas et F Znaniecki (dans
The Polish Peasant in Europe andAmerica
Boston Bagder 1918) qui voient la biographie comme la meacutethode sociolo-gique par excellence pour connaicirctre la socieacuteteacute CR Shaw (dans
The Jack-Roller
ChicagoUniversity of Chicago Press 1931) et EH Sutherland (dans
The Professionnal Thief
Chicago University of Chicago Press 1937)
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de ce fait une valeur sociologique Si lrsquoindividu est un acteur dans le sens
ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passivement les effets
il est cependant conditionneacute par les structures sociales Produit des struc-
tures qursquoil contribue agrave produire voilagrave comment lrsquoindividu est conccedilu ici
La biographie permet de saisir cette double dimension de lrsquoindividu en
opeacuterant laquo la meacutediation de lrsquoacte agrave la structure de lrsquohistoire individuelle agrave
lrsquohistoire sociale en passant par un reacuteseau de meacutediations sociales qui sont
autant de lieux de tension entre individus et groupes sociaux placeacutes dans
des relations ineacutegalitaires et conflictuelles raquo (Ferrarotti 1990) Crsquoest lagrave que
reacuteside la valeur heuristique drsquoune telle approche
Srsquoappuyant sur la meacutethode biographique il srsquoagit de reconstituer le
processus de constitution de la deacutelinquance de chacun des six jeunes
individus qui ont accepteacute de participer agrave cette recherche Pour y parvenir
une soixantaine drsquoentretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec les jeunes leurs proches
(famille et pairs) et les professionnels qui ont eu agrave les suivre agrave un moment
donneacute (enseignants animateurs assistantes sociales eacuteducateurs magistrats)
drsquoautres donneacutees ont eacuteteacute extraites de documents institutionnels livrets et
bulletins scolaires dossiers de la mission locale ceux du centre drsquoorienta-
tion et drsquoaction eacuteducative (COAE) et du SEAT procegraves-verbaux dossiers
judiciaires
3
Lrsquoanalyse du mateacuteriau se rapportant agrave chacun des cas permet lrsquoiden-
tification de significations et de processus particuliers Leur comparaison
fait apparaicirctre des reacutecurrences des logiques drsquoaction semblables Leur
confrontation contribue agrave mettre au jour les configurations particuliegraveres
dans lesquelles ces logiques agissent Les donneacutees empiriques qui seront
restitueacutees mettent en eacutevidence de maniegravere archeacutetypique les meacutecanismes
agrave lrsquoœuvre dans le processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile Ils
renvoient de maniegravere transversale agrave deux dimensions ces deux dimen-
sions eacutetant eacutetroitement imbriqueacutees la construction identitaire de ces
mineurs les renvoyant agrave leur place au sein des rapports sociaux
3 Parvenir agrave associer les professionnels de la gestion de la deacuteviance a reacutesulteacute drsquoun pro-cessus long et complexe drsquointeractions entre des personnes qui avaient des inteacuterecirctsdivergents agrave la reacutealisation de ce travail agrave la connaissance qursquoil apporterait agrave la diffusionqui en serait faite Lrsquoaccegraves au terrain implique en effet le deacutevoilement de savoirs surdes populations savoirs qui sont sources de pouvoirs (voir plus loin la note 6 Quellesconseacutequences aurait cette divulgation de savoirs sur leurs pouvoirs pouvoirs de traite-ment de cateacutegories entiegraveres de la population Quelles conseacutequences aurait cette recher-che sur la repreacutesentation leacutegitime de la deacuteviance et de son traitement que chaqueinstitution tente drsquoimposer )
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute DE DEacuteLINQUANT
Agrave TRAVERS LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE
Lrsquoanalyse deacuteveloppeacutee ici ne rend pas compte de lrsquointeacutegraliteacute des meacutecanismes
de la deacutelinquance juveacutenile mais plutocirct drsquoun pheacutenomegravene preacutecis la cocons-
truction de lrsquoidentiteacute de deacutelinquant agrave travers la prise en charge institution-
nelle
4
Lrsquohistoire de vie de Slimane
5
et celle de Farid mettent en eacutevidence
le rocircle que peuvent jouer les reacutegulations institutionnelles dans le renfor-
cement du processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile et dans
la reproduction intrageacuteneacuterationnelle de ce pheacutenomegravene Ces effets srsquoils
ont pu ecirctre repeacutereacutes ici ne sont pas automatiques comme le montrent les
autres histoires de vie La probabiliteacute qursquoils se produisent est cependant
drsquoautant plus grande que le suivi judiciaire srsquoinscrit dans des configura-
tions particuliegraveres (spatiales familiales sociales eacuteconomiques et culturelles)
Lrsquohistoire de vie de Kamel montre ainsi le rocircle des reacutegulations sociales
geacuteneacuterales ndash par opposition aux reacutegulations speacutecialiseacutees dans la gestion de
la deacuteviance ndash dans la preacuteformation drsquoidentiteacutes neacutegatives et dans la
preacuteconstruction de parcours deacutelinquants
63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT
Agrave 16 ans Slimane est incarceacutereacute pour la premiegravere fois Quelques mois plus tard
il est condamneacute agrave sept ans drsquoemprisonnement Comment expliquer le ren-
forcement du processus de constitution de la deacutelinquance du mineur alors
que le suivi institutionnel sera drsquoanneacutee en anneacutee de plus en plus important
631 D
E
LA
CONSTRUCTION
D
rsquo
UN
PARCOURS
DE
DEacuteLINQUANT
hellip
Agrave 12 ans Slimane comparaicirct pour la premiegravere fois pour vol devant un
juge des enfants Il est reconnu coupable Le processus formel de consti-
tution de la deacutelinquance juveacutenile vient de srsquoenclencher
6
Non seulement
il ne srsquoarrecirctera plus mais il ne cessera de se renforcer Se succegravedent alors
4 Lrsquoeacutetude des autres dimensions qui interviennent dans la construction de parcours deacutelin-quants notamment le rocircle de la famille des pairs et des habitants est deacuteveloppeacuteeailleurs C Carra
Deacutelinquance juveacutenile et quartiers laquo sensibles raquo histoires de vie
ParisLrsquoHarmattan coll laquo Deacuteviance et Socieacuteteacute raquo 2001
5 Les preacutenoms sont fictifs mais ils tiennent compte de lrsquoorigine culturelle des enquecircteacutes
6 Comme dans Chamboredon (1971) est ici distingueacute le processus informel de constitu-tion de la deacutelinquance juveacutenile du processus formel Le processus deacutebute de maniegravereinformelle dans lrsquoentourage du jeune (voisinage eacutecolehellip) qui le met progressivementagrave lrsquoeacutecart et le deacutesigne au soupccedilon des institutions de reacutepression de la deacutelinquance puisil se poursuit de faccedilon formelle avec les diverses institutions chargeacutees de deacutetecter jugerpunir et amender les jeunes deacutelinquants La police joue un rocircle central dans le passagede lrsquoun agrave lrsquoautre en intervenant agrave la suite de lrsquoinfraction et en la qualifiant
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infractions arrestations comparutions jugements condamnations Les
mesures judiciaires se succegravedent des mesures drsquoaction eacuteducative en milieu
ouvert agrave des peines drsquoemprisonnement en passant par la simple admones-
tation des placements en foyer de lrsquoenfance et en centre eacuteducatif des
peines drsquoemprisonnement avec sursis assorties ou pas drsquoune mise agrave
lrsquoeacutepreuve des mesures de liberteacute surveilleacutee
Cet itineacuteraire est marqueacute agrave la fois par des faits judiciairement deacutefinis
(vols simples vols avec effraction vols avec effraction et deacutegradations
volontaires vols avec effraction et reacuteunionhellip) et par une peacuteriodisation des
reacuteponses institutionnelles ougrave trois phases peuvent se distinguer une
peacuteriode de simple admonestation et de mesures eacuteducatives en milieu
ouvert une peacuteriode de placements eacuteducatifs et une peacuteriode drsquoincarceacutera-
tions Une telle gradation dans les pratiques institutionnelles agrave partir du
moment ougrave la police intervient et institue le mineur en tant que deacutelin-
quant en le deacutefeacuterant agrave lrsquoinstance judiciaire constitue lrsquoune des principales
caracteacuteristiques des parcours des mineurs multireacutecidivistes (Leacuteomant et
Sotteau-Leacuteomant 1987)
Cette trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation des mesures et par la
prise en charge institutionnelle de plus en plus totale apparaicirct comme
une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances de passer drsquoun
degreacute agrave lrsquoautre sans cesse rappeleacutees par les mises en garde des diffeacuterents
professionnels laquo
Agrave force agrave force tu vas pas aller tregraves loin
raquo dit Slimane para-
phrasant le discours du juge des enfants Les placements dont il fait lrsquoobjet
sont cependant loin drsquoecirctre banaliseacutes par le mineur
ndash
Je suis resteacute
[au centre eacuteducatif]
enfin deux ans Mais sur deux ansje suis pas resteacute deux ans je fuguais beaucoup je partais beaucoup
ndash Pourquoi tu partais
ndash
Comme ccedila parce que jrsquoen avais marre Ccedila mrsquoarrivait drsquoavoir le cafardhellipCrsquoest lrsquoentourage crsquoest lrsquoentourage que jrsquoaime pas et puishellip Je savais quecrsquoeacutetait pas un lieu ougrave je devais me trouver
Pour autant le mineur semble avoir inteacuterioriseacute lrsquoavenir auquel il
paraicirct promis laquo
De toute maniegravere je sais que crsquoest sucircr que je vais tomber dans letrou
7
raquo dit-il Une telle trajectoire influe sur lrsquoimage que lrsquoindividu a de
lui-mecircme et de ses perspectives drsquoavenir
Agrave la diffeacuterence drsquoune seacuterie de places ou de statuts deacutepourvus delien les statuts ordonneacutes drsquoune carriegravere influencent profondeacutementla repreacutesentation qursquoun individu a de lui-mecircme et particuliegraverementpar lrsquoavenir objectiveacute que repreacutesentent les statuts auxquels il est
7 Il nrsquoa alors encore jamais eacuteteacute incarceacutereacute
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
ou laquo paraicirct raquo promis La carriegravere deacutelinquante existe comme uneseacuterie drsquoeacutetablissements et de situations juridiques qui marquent desdegreacutes de deacutelinquance nettement deacutefinis dont lrsquoobjectivation estdrsquoautant plus complegravete et inscrite dans des traitements et deseacutetablissements deacutetermineacutes que lrsquoon se situe plus loin de la pre-miegravere eacutetape celle qui ne comporte qursquoune instruction rapide etse termine par une simple admonestation avec remise agrave la famille(Chamberodon 1971 p 371)
Les chances de passer drsquoun degreacute agrave un autre augmentent au fur et
agrave mesure que lrsquoon avance dans cette carriegravere Avec les placements se
multiplient les occasions drsquoentraicircnement et drsquoapprentissage au contact de
deacutelinquants plus expeacuterimenteacutes
[hellip]
quand je suis rentreacute
[au centre eacuteducatif]
ils croyaient enfin mesparents que je sortirais peut-ecirctre pas bien bien mais peut-ecirctre que jrsquoauraisappris un peu quelque chosehellip mais en fait je suis sorti jrsquoeacutetais pire quelagrave-bas parce que crsquoest pareil ils nous mettent tous ensemble on se retrouvelagrave-bas ils sont tous dans le mecircme cas que moi et puis on est encoreensemble crsquoeacutetait comme qursquoon eacutetait crsquoest pareil on se fait des copains crsquoesttoujours pareil on volait lagrave-bas
(Slimane)
Srsquoaccroissent simultaneacutement la surveillance et la seacuteveacuteriteacute du systegraveme
de justice peacutenale Les incarceacuterations se preacutesentent comme une conseacute-
quence du parcours qui preacutecegravede le mineur tout en semblant sans cesse le
devancer Ce parcours prend la forme drsquoune veacuteritable carriegravere de deacutelin-
quant ndash au sens de Becker (1963) ndash et ce malgreacute un appareillage institu-
tionnel du mineur et de sa famille de plus en plus important dont lrsquoobjectif
annonceacute est de mettre fin agrave une telle carriegravere
Dire avec Foucault (1975) que laquo [le] deacutelinquant est un produit drsquoins-
titution Inutile par conseacutequent de srsquoeacutetonner que dans une proportion
consideacuterable la biographie des condamneacutes passe par tous ces meacutecanismes
et eacutetablissements dont on feint de croire qursquoils eacutetaient destineacutes agrave eacuteviter la
prison raquo crsquoest reconnaicirctre qursquoil existe des tendances lourdes La trajectoire
de Slimane est caracteacuteristique des trajectoires types qui conduisent les
individus depuis les niveaux drsquoinclusion repreacutesenteacutes par les groupes pri-
maires vers les agences speacutecialiseacutees eacutemanant du pouvoir drsquoEacutetat et cela agrave
travers un certain nombre drsquoordres intermeacutediaires qui balisent de faccedilon
systeacutematique ce type de trajet
Le parcours du mineur nrsquoest pas pour autant la reacutesultante drsquoune
volonteacute partageacutee entre les diffeacuterents intervenants institutionnels Multiples
sont leurs logiques drsquoaction Conflictuelles peuvent ecirctre les interactions
[hellip]
il a eacuteteacute mis en examen et crsquoest lagrave donc ougrave avec Mme L
[juge desenfants]
on a reacuteclameacute la mise en deacutetention Moi je ne parlais pas demise en deacutetention je parlais de coup de semonce parce qursquoil fallait qursquoil
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arrecircte de nous prendre pourhellip pour des rigolos
[hellip]
Le problegraveme crsquoestqursquoon srsquoest trouveacute devant un juge deacuteleacutegueacute qui a dit de toute faccedilon a priorije ne mets pas des mineurs de 16 ans en maison drsquoarrecirct mais de toutefaccedilon crsquoest un gosse Donc voyant ccedila Slimane de toute faccedilon ahellip a joueacuteson va-tout (eacuteducateur du SEAT)
Conflits de pratiques qui se justifient les unes par la connaissance
du laquo cas raquo les autres par le respect de la politique peacutenale conflits aussi de
pouvoir entre professionnels occupant une position hieacuterarchique diffeacuterente
au sein de lrsquoinstitution judiciaire mais aussi confrontation de temporaliteacutes
diffeacuterentes logique du court terme pour lrsquoeacuteducateur qui doit agir rapide-
ment lorsqursquoun problegraveme se preacutesente logique du moyen et du long terme
pour le juge qui entend faire respecter lrsquoorientation de la politique peacutenale
Ces temporaliteacutes diffeacuterentes rendent difficile une coordination des actions
drsquoautant plus difficile que ces actions impliquent non seulement des pra-
tiques diversifieacutees mais aussi une vision du monde diffeacuterente un systegraveme
de repreacutesentations divergent Crsquoest ce qui explique aussi que des reacuteponses
contradictoires sont proposeacutees par les professionnels de terrain contra-
dictions si souvent releveacutees par ces mecircmes professionnels
Cette difficulteacute de travailler ensemble paraicirct aussi attibuable au poids
des enjeux de pouvoir Comment comprendre autrement la reacuteticence agrave
eacutechanger les savoirs entre acteurs savoirs accumuleacutes sur les mecircmes
publics issus des mecircmes terrains Lrsquoexplication qursquoen donnent certains
est la parcellarisation des connaissances et leur destination agrave usage interne
Drsquoautres en appellent au devoir de reacuteserve au secret professionnel ou
deacuteontologique Le secret dit Enriquez (1983) est consubstantiel au savoir
et comme Foucault (1975) le montre le savoir est correacutelatif du pouvoir
dans notre type de socieacuteteacute
8
Derriegravere le secret professionnel ou deacuteontolo-
gique il peut srsquoagir moins de laquo proteacuteger raquo des publics en refusant de divul-
guer le savoir que lrsquoon a accumuleacute sur eux que de proteacuteger sa position
dans le champ protection qui passe par la reacutetention de savoirs speacutecifiques
et sur lesquels se fonde le pouvoir des acteurs
Certains invoqueront lrsquoatomisation des publics en fonctions colleacute-
giens jeunes en difficulteacute deacutelinquants juveacutenileshellip Cette atomisation des
publics en fonctions ou plutocirct cette cateacutegorisation constitue la base sur
laquelle repose la leacutegitimiteacute drsquointervention des institutions et associations
Elle permet le partage entre les diffeacuterentes organisations du mecircme public
consideacutereacute comme une clientegravele speacutecifique Crsquoest aussi ce qui permet agrave une
8 Foucault (1975 p 32) explique en effet laquo qursquoil nrsquoy a pas de relation de pouvoir sansconstitution correacutelative drsquoun champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et constitueen mecircme temps des relations de pouvoir raquo
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
multitude drsquoinstitutions drsquointervenir aupregraves drsquoune mecircme famille Dans la
citeacute des laquo 804 raquo la concurrence pour controcircler le marcheacute est drsquoautant plus
vive entre les professionnels qursquoils sont de plus en plus nombreux agrave exercer
en ce lieu
Ces temporaliteacutes institutionnelles srsquoopposent aussi agrave la temporaliteacute
propre des mineurs pris en charge celle du moment qui refuse laquo la pro-
messe des plaisirs diffeacutereacutes et diffeacuterents en eacutechange du renoncement immeacute-
diat agrave des plaisirs directement ou immeacutediatement sensibles raquo (Bourdieu
1972 p 209) Opposition entre la logique institutionnelle de la continuiteacute
et la logique individuelle de la discontinuiteacute Cette logique du mineur
constitue pour les professionnels la principale cause de lrsquoeacutechec de la prise
en charge Le jeune est resteacute selon eux laquo
insaisissable
raquo toujours laquo
opposeacute
raquo
agrave leurs actions pour reprendre des termes qui traduisent le mieux
lrsquoimpression qui leur reste de Slimane Crsquoest drsquoailleurs parce que les pro-
fessionnels ne reacuteussissent pas agrave imposer la temporaliteacute qui caracteacuterise leur
institution que la prison leur apparaicirctra finalement comme la meilleure
solution pour parvenir agrave imposer un autre temps au mineur en lrsquooccurrence
le temps carceacuteral auquel il est difficile drsquoeacutechapper
Ces logiques individuelles professionnelles institutionnelles de
lrsquourgence du court moyen et long terme de la discontinuiteacute et de la
continuiteacute sous-tendues par des pratiques et des repreacutesentations speacuteci-
fiques recouvrant elles-mecircmes des enjeux divergents se croisent srsquoentre-
croisent se confrontent srsquoaffrontent pour creacuteer finalement la trajectoire
judiciaire de Slimane Cette trajectoire srsquoancre dans une repreacutesentation
partageacutee par les diffeacuterentes cateacutegories de professionnels de la personnaliteacute
du mineur une personnaliteacute deacutelinquantehellip
632 hellip
Agrave
CELLE
D
rsquo
UNE
PERSONNALITEacute
DEacuteLINQUANTE
Ce nrsquoest pas seulement un itineacuteraire de deacutelinquant qui se construit de
renvoi en renvoi crsquoest aussi une personnaliteacute de deacutelinquant qui srsquoeacutelabore
de discours en discours Les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de
la deacutelinquance (eacuteducateurs speacutecialiseacutes eacuteducateurs de justice psychiatres
juges des enfants) srsquoaccordent unanimement agrave reconnaicirctre agrave Slimane une
personnaliteacute deacutelinquante personnaliteacute que chacun drsquoentre eux contribue
agrave constituer Cette eacutelaboration srsquoeffectue selon une double logique drsquoune
part la reconstruction du passeacute du mineur en fonction de ses derniers
passages agrave lrsquoacte les faits seacutelectionneacutes en conseacutequence constituant des
indices reacuteveacutelateurs drsquoune deacutelinquance anteacuterieure voire originelle (Kitsuse
[1962] parle drsquointerpreacutetation reacutetrospective ce pheacutenomegravene correspondant
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agrave un meacutecanisme de renforcement de lrsquoeacutetiquetage des deacuteviants) drsquoautre
part la reacutealisation drsquoun portrait de deacutelinquant par reacutetreacutecissement des attri-
buts pour se reacuteduire finalement et uniquement agrave lrsquoattribut de deacutelinquant
Si tout passeacute semble se reconstruire agrave la lumiegravere du preacutesent et donc
des derniers faits lrsquoeacutelaboration drsquoun portrait est drsquoautant plus caricatural
que les faits consideacutereacutes repreacutesentent des transgressions aux normes domi-
nantes Certains attributs ont un poids deacuteterminant dans la deacutefinition drsquoun
individu Crsquoest le cas de laquo voleur raquo laquo ldquoVoleurrdquo eacutelimine ou reacutetreacutecit tous les
attributs de lrsquohomme Une eacutetiquette antisociale simplifie le portrait de
lrsquoindividu en traitant quelqursquoun de voleur vous reacuteduisez agrave lrsquoinsignifiance
les autres rocircles et attributs qursquoil pourrait avoir excepteacute celui drsquoecirctre voleur raquo
(Shoham 1968 p 385) Si la personne a eacuteteacute condamneacutee on preacutesume en
outre qursquoelle est susceptible de commettre drsquoautres infractions
Lrsquoeacutelaboration drsquoune personnaliteacute de deacutelinquant selon ce processus
de reconstruction drsquoune vie apporte une coheacuterence agrave un ensemble de
discours qui nrsquoest pas coheacuterent La comparaison des discours des profes-
sionnels sur lrsquointerpreacutetation du comportement deacuteviant de Slimane montre
des divergences voire des oppositions pathologie pour lrsquoassistante
sociale mode de vie deacutelinquant des parents pour lrsquoeacuteducateur speacutecialiseacute
pegravere violent et megravere surprotectrice pour lrsquoeacuteducateur du SEAT
9
Si crsquoest au niveau de lrsquoeacutetiologie de la deacutelinquance juveacutenile que les
oppositions semblent les plus eacutevidentes tous srsquoentendent cependant tout
en contribuant agrave sa construction sur le caractegravere deacutelinquant de Slimane
ce qui permet simultaneacutement de diminuer les oppositions entre les diffeacute-
rentes approches et drsquoobtenir un portrait apparemment coheacuterent du
mineur Cette coheacuterence reacutesulte donc moins des discours que du produit
qui en reacutesulte ndash un portrait de deacutelinquant Se constitue ainsi le steacutereacuteotype
du deacutelinquant steacutereacuteotype selon lequel Slimane est traiteacute et ce drsquoautant
plus leacutegitimement que ce steacutereacuteotype est la reacutesultante de discours drsquoauto-
riteacute autoriteacute baseacutee agrave la fois sur la leacutegitimiteacute des intervenants ndash des speacutecia-
listes de la deacutelinquance ndash et sur la leacutegitimiteacute de leur discours ndash discours
drsquoexperts agrave preacutetention scientifique (Bourdieu 1982)
633 Lrsquo
INTEacuteRIORISATION
D
rsquo
UN
DESTIN
DE
DEacuteLINQUANT
ET SON ACTUALISATION
Les effets de trajectoire se conjuguent avec les effets propres des discours
que tiennent les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelin-
quance sur Slimane Crsquoest en reprenant ces discours que le mineur parle
9 Notons que cette diffeacuterence drsquointerpreacutetation se traduit par des pratiques opposeacutees pourle laquo traiter raquo
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
de lui ou plus exactement laquo est parleacute raquo Si ce meacutecanisme est reacuteveacutelateur
drsquoun rapport de domination il fait aussi apparaicirctre lrsquointeacuteriorisation de ce
rapport de domination comme eacutetant leacutegitime lrsquointeacuteriorisation de lrsquoimage
qui reacutesulte de ce rapport de domination donnant lrsquoimage de deacutelinquant
par laquelle le mineur se deacutefinit
ndash Et pourquoi tu as eacuteteacute placeacute
ndash
Pour la deacutelinquance Jrsquoeacutetais deacutelinquant Et agrave force agrave force ils mrsquoontplaceacute dans un centre
Lrsquoeffet drsquoimposition de cette deacutefinition est drsquoautant plus grand que
la classe sociale drsquoappartenance de Slimane (la classe ouvriegravere) doubleacutee
de son origine ethnique (arabe) et de son acircge (adolescence) le fait appar-
tenir agrave des cateacutegories marginaliseacutees et assisteacutees deacuteviantes et surveilleacutees
laquo En toute probabiliteacute la reacuteceptiviteacute du deacuteviant criminel primaire au rocircle
de criminel qursquoon lui impute est plus grande quand la conception de soi
qursquoa deacutejagrave lrsquoindividu est dicteacutee par une deacutefinition sociale plus large de son
statut et de sa classe comme sociopathique raquo (Lemert 1951 p 318) Neacutean-
moins Slimane ne constitue pas une cible passive du traitement institu-
tionnel et de la stigmatisation qui en deacutecoulehellip passiviteacute agrave quoi auraient
eu tendance agrave le reacuteduire les thegraveses du controcircle social Multiples sont ses
reacuteponses de la reacutebellion agrave la provocation en passant par lrsquoutilisation du
systegraveme que lrsquointelligence qursquoil srsquoen est forgeacutee anneacutee apregraves anneacutee lui
permet de faire
La repreacutesentation que les adolescents forment drsquoeux-mecircmes est
cependant affecteacutee par leur passage dans le systegraveme de justice peacutenale
lrsquoimage de deacutelinquant leur est renvoyeacutee tout au long du processus drsquoins-
truction de jugement et de traitement Les mineurs de justice ont une
image plus deacutevaloriseacutee drsquoeux-mecircmes que les autres mineurs drsquoautant plus
deacutevaloriseacutee qursquoils sont plus engageacutes dans la deacutelinquance (Malewska-Peyre
1988) La prison contribue agrave lrsquoinstallation du jeune dans une image neacutega-
tive du deacutelinquant qui a transgresseacute la loi et qui est jugeacute indeacutesirable dans
la vie normale drsquoune socieacuteteacute Lrsquointeacuteriorisation drsquoune telle image favorise
la continuation de la deacutelinquance (Camilleri Karstersztein Lipiansky
Malewska-Peyre Taboada-Leonetti et Vasquez 1990) Lrsquoeacutetiquette de deacutelin-
quant contribue finalement agrave produire ce qursquoapparemment elle deacutecrit ou
deacutesigne Peut-on dire avec Shoham (1968 p 375) que laquo nommer appeler
deacutefinir eacutetiqueter ne simule pas la reacutealiteacute crsquoest la reacutealiteacute mecircme raquo La
modification de la repreacutesentation de la reacutealiteacute semble en tout cas pouvoir
entraicircner la modification de cette derniegravere par le meacutecanisme de reacutealisation
par les individus des preacutevisions drsquoautrui (
self-fulfilling prophecy
)
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Le mineur finit non seulement par inteacuterioriser le stigmate de deacutelin-
quant (
self-labelling
10
) mais de surcroicirct en fait son identiteacute lrsquoactualisant
dans son mode de vie ce qui se traduit concregravetement par son inteacutegration
agrave un groupe organiseacute de
dealers
Tout se passe en fait comme si lrsquoidentiteacute
prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stigmatisant de celle-ci
eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassumer ces stigmates en
les renforccedilant
[hellip]
il y a des garages souterrains aux laquo 408 raquo lagrave dans les grandsgarages et il y avait eu 25 ou 30 voitures de fractureacutees ils eacutetaient agrave cemoment-lagrave 4 ou 5 dedans et puis sur le capot de la voiture Slimane avaitbaisseacute son pantalon et fait ses besoins et ccedila ccedila avait eacuteteacute tregraves choquant
[hellip]
ccedila faisait partie drsquoun jeu du gendarme et du voleur Donc lui agrave cemoment-lagrave eacutetait un voleur et que il pouvait crsquoest lui de toute faccedilon quieacutetablissait les regravegles (eacuteducateur du SEAT)
Laisser ses excreacutements sur laquo le lieu du crime raquo tient effectivement de
la provocation comme drsquoailleurs vandaliser et cambrioler la Maison pour
tous (MPT) de la citeacute en plein jour au vu et au su de tous comme encore
fumer du haschisch devant les travailleurs sociaux Crsquoest la mecircme volonteacute
de transgresser les codes sociaux et de lrsquoafficher ouvertement Crsquoest prou-
ver qursquoon est capable drsquoendosser le rocircle de deacutelinquant et non seulement
drsquoentrer dans le jeu mais de le mener de la place qui est la sienne Le
Moi est ainsi entiteacute reacutefleacutechie pour reprendre les propos de
Berger et
Luckman (1989 p 181)
[hellip] reacutefleacutechissant les attitudes adopteacutees drsquoabord par les autressignificatifs Lrsquoindividu devient lrsquoimage que les autres significatifsse font de lui il ne srsquoagit pas drsquoun processus unilateacuteral meacutecaniqueIl existe une dialectique entre lrsquoidentification et lrsquoauto-identificationentre lrsquoidentiteacute objectivement attribueacutee et subjectivement approprieacutee
64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE
DE LA DEacuteLINQUANCE
Slimane est aujourdrsquohui en prison Son jeune fregravere doit comparaicirctre en
justice Comment comprendre la reproduction de parcours deacutelinquants
au sein drsquoune mecircme famille Comment expliquer que dans cette autre
famille celle de Farid par cinq fois de fregravere en fregravere se reproduit le
10 Les recherches sur le
labelling
qui ont eacuteteacute les plus importantes avec les travaux deBecker Lemert Goffman et Matza montrent que le
labelling
impose tout agrave la fois unrocircle de deacutelinquant agrave un individu et une conscience de lui-mecircme comme deacutelinquant
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile alors que chacun des
fregraveres sera laquo traiteacute raquo par un ensemble ndash de plus en plus important ndash de
professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelinquance Il ne srsquoagit
pas ici drsquoeacutetudier les strateacutegies eacuteducatives familiales face agrave la deacuteviance mais
drsquoanalyser ce que produit ici la confrontation des reacutegulations familiales et
institutionnelles sur les parcours des mineurs
641 DE LA DEacuteCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute FAMILIALEhellip
Les passages agrave lrsquoacte deacutelictueux leacutegitiment lrsquointervention de professionnels
au sein de la famille Leur travail doit permettre drsquoagir sur les causes des
comportements deacuteviants Ces causes sont rechercheacutees de maniegravere privileacute-
gieacutee dans le fonctionnement familial Y est souvent repeacutereacute un problegraveme
de limites que ces limites soient qualifieacutees de rigides ou de laxistes Les
reacutefeacuterents des mesures srsquoefforcent alors de donner des repegraveres de poser
des limites de laquo responsabiliser raquo les parents laquo de faire entendre raison raquo
aux mineurs La capaciteacute de poser les limites laquo adeacutequates raquo renvoie la
plupart du temps pour les travailleurs sociaux au rocircle et agrave la place de
chacun au sein de la famille ougrave ce travail de redeacutefinition induit un pro-
cessus de normalisation Il srsquoagit au mieux de faire adopter aux familles
les modegraveles dominants en matiegravere drsquoeacuteducation de rocircles parentaux de
place des enfants du moins de laquo faire prendre conscience raquo aux parents
que leur fonctionnement familial est dangereux pour le deacuteveloppement
de leurs enfants
Agrave travers la confrontation des reacutegulations institutionnelles et fami-
liales srsquoaffrontent ici deux modegraveles ndash modegravele reposant sur les normes
dominantes en matiegravere drsquoeacuteducation dans les classes moyennes franccedilaises
et modegravele srsquoancrant dans des valeurs et des principes traditionnels algeacuteriens
selon lesquels la famille de Farid apparaicirct drsquoabord fortement structureacutee ndash
et deux leacutegitimiteacutes ndash lrsquoautoriteacute de lrsquoacteur institutionnel repreacutesentant de
la socieacuteteacute drsquoinstallation et celle du pegravere sur sa famille qui est traditionnel-
lement sans partage
En reacutesulte une opposition du pegravere aux interventions institutionnelles
qursquoil vit comme une humiliation et une remise en cause de son autoriteacute
De fait et pour rejoindre Donzelot (1977 p 98) laquo [sa] fonction symbo-
lique drsquoautoriteacute crsquoest le juge qui lrsquoa accapareacutee sa fonction pratique
lrsquoeacuteducateur lrsquoen a deacutelesteacute raquo Lrsquoempreinte spatiotemporelle de lrsquoautoriteacute
judiciaire sur le fonctionnement familial est lagrave pour le rappeler Le temps
familial est devenu celui des convocations des comparutions des deacuteposi-
tions des jugements des mesures Lrsquoespace de la famille est investi par les
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assistantes sociales les eacuteducateurs speacutecialiseacutes les eacuteducateurs de justice
les policiers par tous ceux qui viennent enquecircter diagnostiquer eacutevaluer
traiterhellip normaliser
Lrsquoeacutevolution de la probleacutematique familiale semble devoir passer par
plusieurs eacutetapes il srsquoagit drsquoabord pour le travailleur social de nommer les
problegravemes cette opeacuteration devant contribuer agrave la laquo conscientisation raquo de
ses difficulteacutes par la famille lrsquoobjectif eacutetant qursquoelle parvienne agrave les verbaliser
la connaissance et la reconnaissance des problegravemes eacutetant pour le profes-
sionnel une condition neacutecessaire agrave leur reacutesolution (Carra et Faggianelli
1998) Cette logique a pour effet une polarisation sur les aspects neacutegatifs
qui contribuent agrave la constitution drsquoune image neacutegative chez les parents
Tout au long du suivi institutionnel crsquoest en effet lrsquoeacutechec de leur modegravele
eacuteducatif qui est pointeacute crsquoest lrsquoimage de parents deacutefaillants deacutemission-
naires ou violents qui leur est renvoyeacutee Crsquoest aussi leur modegravele culturel
qui est jugeacute tellement les relations avec les familles drsquoorigine maghreacutebine
et plus encore algeacuterienne comme celle de Farid restent marqueacutees par la
meacutemoire des rapports entre coloniseacutes et colonisateurs laquo Le passeacute colonial
avec son ineacutegaliteacute fondamentale entre le groupe colonisateur et le groupe
coloniseacute continue agrave deacutefinir lrsquohorizon des relations entre Algeacuteriens et
Franccedilais raquo (Schnapper 1986 p 150)
La confrontation entre reacutegulations familiales et reacutegulations institu-
tionnelles conduit alors agrave une crise de leacutegitimiteacute du modegravele familial tout
en provoquant des transformations de ce monde laquo leacutegitime raquo La peur du
placement des enfants va amener la megravere agrave coopeacuterer bien que ce faisant
elle se deacutesolidarise de son mari Cette coopeacuteration laquo obligeacutee raquo deviendra
adheacutesion au travail des intervenants tant et si bien que la megravere suivant
en cela les conseils qui lui sont donneacutes demandera la poursuite du suivi
judiciaire de Farid
La mesure de liberteacute surveilleacutee a pris fin le [date] Farid et sa famille nesemblent pas le comprendre Il me tient au courant reacuteguliegraverement de sesactiviteacutes et crsquoest tout naturellement que je suis solliciteacute degraves lrsquoeacuteteacute pour envi-sager la rentreacutee scolaire suivante Je demande alors agrave la megravere de formulerune demande de prise en charge (dossier SEAT)
Crsquoest aussi agrave la demande de Farid qursquoune mesure de protection
judiciaire pour jeune majeur est prise Ainsi les membres de la famille
contribuent-ils directement agrave construire le parcours judiciaire de Farid
Agrave la majoriteacute la recherche drsquoune nouvelle activiteacute se fait pressante Faridsollicite lrsquoeacuteducateur qui lrsquoincite agrave formuler une demande drsquoaide au juge desEnfants en tant que Jeune Majeur (dossier SEAT)
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168 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cette eacutevolution est reacuteveacutelatrice drsquoune conversion du monde familial
autour de ce monde speacutecialiseacute conversion qui srsquoeffectue avec la substitution
progressive des reacutegulations institutionnelles aux reacutegulations familiales
Le pegravere qualifieacute par les travailleurs sociaux de laquodistantraquo et de laquofuyantraquo
reacutesiste agrave ces changements Mais le comportement de sa femme (et de ses
enfants) interroge ce systegraveme si agrave lrsquointeacuterieur du modegravele patriarcal lrsquoindi-
vidu perccediloit habituellement la femme comme un ecirctre ayant et devant avoir
par rapport agrave lrsquohomme un statut subordonneacute les rocircles commencent ici agrave
srsquoinverser les intervenants faisant de la femme lrsquointerlocuteur privileacutegieacute
de la famille en matiegravere drsquoeacuteducation des enfants tout en contribuant agrave son
eacutemancipation Cette eacutemancipation se traduit par son investissement dans
lrsquoespace public espace public traditionnellement reacuteserveacute agrave lrsquohomme La
megravere se met en effet agrave participer agrave des reacuteunions agrave suivre des cours drsquoalpha-
beacutetisation des cours de conduite Au-delagrave de la transformation des rocircles
crsquoest tout un univers de sens qui est remis en question le sens de la
femme de lrsquohomme de la famille du temps de lrsquoespace
Avec le licenciement de lrsquohomme le rocircle traditionnel du pegravere srsquoeffondre
Lrsquohumiliation du pegravere parviendra agrave son apogeacutee lorsque arrivant en fin de
droits il devra se reacutesigner agrave faire appel aux travailleurs sociaux pour beacuteneacute-
ficier du revenu minimum drsquoinsertion (RMI) Srsquoensuivront une deacutegradation
morale et une stigmatisation lieacutees agrave lrsquoinfeacuterioriteacute de son statut caracteacuteris-
tiques de ce que Paugam (1991) appelle la laquo crise identitaire des fragiles raquo
La multiplication de reacutegulations institutionnelles contribue ainsi agrave
deacutereacuteguler lrsquoespace familial en srsquoopposant ou en ignorant la logique propre
de ces espaces La logique familiale se deacutesagregravege lrsquoidentiteacute familiale se
disloque Ce mecircme processus est deacutecrit avec grande preacutecision par Nicolas
(1984) dans son livre La pauvreteacute intoleacuterable
642 hellip Agrave LA RECONSTRUCTION DrsquoIDENTITEacuteS
INDIVIDUELLES NEacuteGATIVES
Avec le repeacuterage du comportement deacuteviant des fregraveres chacun drsquoeux va
faire lrsquoobjet drsquointerventions institutionnelles multiples ndash service social sco-
laire service social de secteur centre drsquoorientation et drsquoaction eacuteducative
foyer centre eacuteducatif police justice service eacuteducatif aupregraves du tribunal
prison Chacun sera ordonneacute selon les proceacutedures propres agrave ces institu-
tions tous seront au terme du processus de renvoi eacutetiqueteacutes objectiveacutes
et classifieacutes comme deacutelinquants Un agrave un les garccedilons vont donc ecirctre
appareilleacutes tutelliseacutes eacutechappant ainsi agrave leur famille
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Selon Beauchard (1981) lrsquoeacuteclatement de la famille et lrsquolaquo appareillage raquo
de ses membres constituent deux eacuteleacutements deacuteterminants dans la repro-
duction drsquolaquo itineacuteraires drsquoexclusion raquo
Dans le cas des itineacuteraires drsquoexclusion sociale [hellip] la neutralisa-tion de la dynamique (crisique) srsquoopegravere suivant les interventionsdrsquoun controcircle social speacutecialiseacute exteacuterieur au groupe perturbeacute lessituations probleacutematiques sont fragmenteacutees et donnent lieu agrave desreacuteponses articuleacutees sur des problegravemes speacutecifiques La deacutemarchesrsquoavegravere momentaneacutement efficace mais agrave terme il est observeacute queces interventions speacutecialiseacutees (tutelle placement reacuteeacuteducation trai-tement assistance surveillance) tissent un reacuteseau de relations dedeacutependance qui agrave leur tour engendrent des tensions et des conflits(Beauchard 1981 p 73)
Ces relations de deacutependance apparaissent dans la famille de Farid
Si au deacutebut les interventions sont veacutecues comme une violation de lrsquoespace
priveacute elles deviennent pour la megravere et les enfants neacutecessaires voire valo-
risantes En se montrant coopeacuterante la megravere acquiert en effet une cer-
taine reconnaissance sociale de la part des professionnels ce que ne
peuvent lui procurer ni le pegravere ni dans la situation preacutesente ses fils
Ces relations la situation de non-travail et de deacutelinquance structurent
leur identiteacute Chacun des membres en vient agrave se deacutefinir pour et par ces
eacuteleacutements Une identiteacute speacutecifique se constitue donc en rapport eacutetroit avec
les intervenants car laquo Tout au long de son eacutelaboration de soi le sujet [hellip]
est obligeacute de tenir compte de ce qui lrsquoentoure la fonction identitaire le
construisant indissolublement comme rapport agrave lui-mecircme et rapport agrave son
environnement raquo (Camilleri et Cohen-Emerique 1989 p 46)
On peut observer qursquoapregraves avoir favoriseacute la deacutestructuration de la
famille deacutestabiliseacutee par le comportement deacuteviant des fils les reacutegulations
institutionnelles seront progressivement inteacutegreacutees agrave son organisation
qursquoelles contribueront par ailleurs agrave changer Parallegravelement agrave ce processus
de deacutestructuration-restructuration de la famille srsquoopegravere une deacuteconstruction-
reconstruction de lrsquoidentiteacute des diffeacuterents membres agrave laquelle participent
directement ces reacutegulations Lrsquointervention institutionnelle de stigmati-
sante va finir par ecirctre perccedilue par le mineur et sa famille comme normale
puis neacutecessaire au fonctionnement familial et individuel
Ainsi si Farid srsquoest montreacute tregraves laquo fuyant raquo au deacutebut du suivi ainsi que
le souligne lrsquoeacuteducateur de justice les rapports ont eacutevolueacute structureacutes
notamment par une strateacutegie drsquoutilisation du systegraveme de prise en charge
Selon Goffman (1975) son laquo itineacuteraire moral raquo va progressivement lui per-
mettre drsquointeacutegrer ces relations dans son parcours comme eacutetant normales
et ce drsquoautant plus facilement que tous ses fregraveres et la plupart de ses pairs
sont suivis par un eacuteducateur
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170 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Srsquoil rejette drsquoabord lrsquoidentiteacute stigmatiseacutee qui lui est prescrite Farid
finit par revendiquer lrsquoidentiteacute sociale de laquo jeune agrave problegravemes raquo puis
celle de laquo chocircmeur raquo identiteacutes qui lui permettent agrave la fois drsquoobtenir une
reconnaissance sociale et drsquoacceacuteder agrave des aides Cette identiteacute ne ressort
cependant pas de lrsquoidentiteacute sociale virtuelle du stigmatiseacute qui procircne le
faux-semblant telle que lrsquoa preacutesenteacutee Goffman (1975) Au contraire elle
fonctionne comme un laquo point de vue raquo pour reprendre lrsquoexpression de ce
mecircme auteur neutralisant ainsi le normal et le stigmatiseacute En ce sens on
peut rejoindre Messu (1991 p 88) soulignant agrave propos des laquo assisteacutes raquo
[qursquoil] importe degraves maintenant drsquoaffirmer combien cette image[de lrsquoassisteacute] nrsquoest pas aussi preacuteconstruite qursquoon a bien voulu ledire Non qursquoon ait tort de voir dans les institutions de lrsquoAssistancesociale des instances de laquo marquage raquo social [hellip] Pour autant nousnous garderons de faire du marquage le seul principe drsquoattributiondrsquoidentiteacute et du sens laquo stigmatique raquo le pur produit de lrsquoinstitu-tion Dans cette production du sens nous ne pouvons faire abs-traction de ceux qui sont lrsquoobjet du stigmate et les porteurs delrsquoidentiteacute nous ne saurions exclure ceux sans qui lrsquoinstitution neserait pas Car crsquoest bien de la relation entre lrsquoinstitution et sesusagers que prend corps ce sens
Les individus participent ainsi eux aussi agrave la deacutefinition de leur statut
social deacutegradeacute en utilisant les marges drsquoautonomie et de reacutesistance qursquoils
possegravedent voire en manipulant les professionnels Les propos de Farid
sont reacuteveacutelateurs agrave cet eacutegard
[hellip] il [lrsquoeacuteducateur du SEAT] voulait pas me donner de lrsquoargent puisje lui fais drsquoaccord pour moi crsquoest pas un problegraveme ce que je vais faireje vais [hellip] voler
65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT Agrave UNE
PLACE DOMINEacuteE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX
Si nombre de tenants de la perspective de la reacuteaction sociale sans doute
par biais ideacuteologique et aussi parfois par faiblesse meacutethodologique ont
focaliseacute leur attention sur lrsquoaction stigmatisante des institutions officielles
de controcircle social le systegraveme de justice peacutenale ainsi que lrsquoindiquent
Robert et Lascoumes (1974) nrsquoest pas self-started laquo Il ne srsquoapprovisionne paslui-mecircme dans la plupart des cas [hellip] raquo
En analysant par diffeacuterentes meacutethodes le temps consacreacute par les
agences policiegraveres agrave telle ou telle activiteacute on srsquoaperccediloit que la recherche
du crime et du criminel drsquoinitiative sans processus preacutealable de renvoi
est assez limiteacutee
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Non seulement ces agences ne se mettent geacuteneacuteralement pas en
action par elles-mecircmes mais de plus elles nrsquointerviennent parfois qursquoapregraves
un long processus informel de constitution de la deacutelinquance juveacutenile
Crsquoest ainsi qursquoau bout de six ans de repeacuterage de Slimane par son environ-
nement (quartier et eacutecole) apregraves nombre de reacutecriminations adresseacutees aux
travailleurs sociaux du quartier de plaintes deacuteposeacutees aupregraves de la police
et de signalements agrave la justice ces institutions ont reacuteagi
Le suivi judiciaire peut par ailleurs finir par ne plus ecirctre veacutecu comme
stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir le
support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire (crsquoest aussi ce que sou-
lignent Bruneteau et Lanzarini 1997) monde avec lequel ces mineurs ont
des relations distantes et conflictuelles Crsquoest drsquoailleurs drsquoabord au contact
de ce monde ordinaire que se constituent ces identiteacutes neacutegatives dans un
laquo quartier de releacutegation raquo ougrave les jeunes occupent une place domineacutee et
stigmatiseacutee (Delarue 1991)
Meacutepris et meacutefiance du monde que Kamel appelle le monde des
laquo bourges raquo (bourgeois) caracteacuterisent les interactions avec son monde et
celui de ses pairs ces interactions eacutetant elles-mecircmes structureacutees par des
steacutereacuteotypes et en particulier le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo selon lequel
Arabe signifie deacutelinquant11 Crsquoest selon ce steacutereacuteotype que Kamel dit ecirctre
traiteacute En assimilant agrave son identiteacute le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo (laquo Crsquoestvrai il y en a 80 75 qui sont en prison en France raquo dit-il) Kamel inteacute-
riorise lrsquoidentiteacute laquo prescrite raquo de sa communauteacute drsquoappartenance La stig-
matisation associeacutee agrave ses actes deacutelinquants et lrsquoimage collective neacutegative
qui lui est renvoyeacutee de sa collectiviteacute contribuent chez le mineur agrave la
formation drsquoune identiteacute personnelle deacutevaloriseacutee Des eacutetudes (voir en par-
ticulier Camilleri et al 1990) ont montreacute lrsquoexistence de fortes correacutelations
entre lrsquoexpeacuterience du racisme la stigmatisation sociale associeacutee agrave la deacutelin-
quance et agrave la deacutevalorisation de lrsquoimage de soi les immigreacutes deacutelinquants
cumulant les facteurs qui peuvent contribuer agrave cette deacutevalorisation On
voit bien ici comment lrsquoidentiteacute conccedilue comme une repreacutesentation de soi ndash
en tant qursquoindividu mais aussi en tant que groupe ndash est faccedilonneacutee par
lrsquoideacuteologie dominante dans une socieacuteteacute donneacutee Crsquoest ce qursquoont montreacute
en particulier les eacutetudes du sociolinguiste Labov (1976)
11 Si les dominants ceux qui sont en situation de pouvoir eacuteconomique social ou culturelstigmatisent les pratiques des domineacutes ces derniers font de mecircme en leur attribuantdes caractegraveres deacutevalorisants tout en affirmant leur propre identiteacute crsquoest ainsi que Kameloppose laquo Nous raquo laquo les francs raquo agrave laquo Eux raquo laquo les hypocrites raquo
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172 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
651 DES PARCOURS PREacuteDEacuteTERMINEacuteS PAR LES INSTANCES
DE REacuteGULATIONS SOCIALES GEacuteNEacuteRALES
Eacutechecs scolaires puis difficulteacutes drsquoinsertion socioprofessionnelles accen-
tuent cette deacutevalorisation de lrsquoidentiteacute tout en contribuant au processus
de constitution de la deacutelinquance juveacutenile
La criminologie considegravere comme un fait eacutetabli qursquoune mauvaise
carriegravere scolaire est lieacutee agrave la deacutelinquance Les difficulteacutes scolaires dans un
contexte ougrave la diplomation est devenue la norme (avec la massification
du second cycle puis de lrsquouniversiteacute lrsquoinstitution scolaire est devenue le
premier lieu producteur drsquolaquo exclusion relative raquo [Dubet 1996]) consti-
tuent en effet un motif deacuteterminant agrave un suivi judiciaire lorsque des
comportements deacuteviants sont repeacutereacutes Elles ne suffisent cependant pas agrave
expliquer lrsquoancrage de certains eacutelegraveves dans la deacutelinquance Encore faut-il
que des meacutecanismes les y attirent activement Les relations entre lrsquoeacutecole
et les adolescents intervieweacutes le font sur tous les modes possibles du rap-
port de force de la notation aux sanctions en passant par les orientations
qui aboutiront agrave lrsquoexclusion deacutefinitive drsquoun cocircteacute des comportements
deacuteviants tels qursquoabsenteacuteisme insolence coups vols consommation drsquoalcool
et de cannabis de lrsquoautre La marginalisation agrave lrsquoeacutecole quand elle srsquoaccom-
pagne de rejets actifs par la stigmatisation favorise cet ancrage des ado-
lescents dans la deacutelinquance (Walgrave 1992) Si la deacutelinquance agrave lrsquoeacutecole
peut srsquoexpliquer par les opportuniteacutes qursquooffrent les eacutetablissements scolaires
et renvoie donc agrave une manifestation laquo banale raquo de deacutelinquance elle peut
aussi ecirctre engendreacutee par la situation scolaire elle-mecircme Elle constitue
alors une reacuteponse agrave la violence symbolique de lrsquoinstitutionhellip deacutefinie par
Bourdieu et Passeron (1970 p 18) comme laquo pouvoir qui parvient agrave impo-
ser des significations et agrave les imposer comme leacutegitimes en dissimulant les
rapports de force qui sont au fondement de sa forcehellip raquo
Les eacutechecs scolaires preacutedeacutetermineront dans un contexte marqueacute par
le chocircmage des moins de 25 ans lrsquoorientation de Kamel et de ses pairs
vers la mission locale ougrave leur seront proposeacutes des stages de remise agrave
niveau des preacuteapprentissages un CES (contrat emploi-solidariteacute) un
TUC (travail drsquoutiliteacute collective) et drsquoautres activiteacutes qui apparaissent
drsquoabord occupationnelles Lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave lrsquoemploi dans les
sphegraveres ordinaires du salariat traiteacutee ici selon le mode de gestion sociale
du chocircmage associeacutee ndash tout en y contribuant ndash agrave la poursuite des activiteacutes
deacutelictuelles augmentera la probabiliteacute drsquoune prise en charge judiciaire au
peacutenal (Meacutehaut Rose Monaco et de Chassey 1987) Si lrsquoabsence de situation
professionnelle drsquoindividus de milieu populaire favorise en cas de poursuites
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judiciaires lrsquoincarceacuteration12 elle contribue tout autant agrave donner une autre
nature aux activiteacutes deacutelinquantes qui drsquooccasionnelles tendent agrave devenir
professionnelles Slimane en fera une carriegravere
652 LA DEacuteLINQUANCE COMME STRATEacuteGIE IDENTITAIRE
Eacutechecs scolaires et chocircmage contribuent au repli de Kamel Farid et
Slimane sur leur quartier en en investissant le temps et lrsquoespace avec les
autres membres de leur bande Moyen drsquooccuper collectivement son
temps libre la bande permet aussi drsquoattendre une veacuteritable situation sur
le marcheacute du travail En cela le groupe change de substrat alors qursquoil
permettait aux jeunes des classes populaires de passer leur temps libre
apregraves lrsquoeacutecole ou le travail il est aujourdrsquohui agrave rapporter laquo aux meacutecanismes
et logiques de lrsquoinsertion sociale et eacuteconomique qui frappent en premier
lieu les jeunes originaires des milieux deacutefavoriseacutes et renforcent leurs dif-
ficulteacutes degraves lors que sous-instruits ils sont aussi drsquoorigine eacutetrangegravere raquo
(Lagreacutee et Lew-Fai 1985 p 520) On est ainsi passeacute drsquoune maniegravere de
passer sa jeunesse avant de laquo se caser raquo drsquoune marginaliteacute temporaire agrave
une marginaliteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee qui dans certains cas peut devenir
deacutefinitive
Occupation13 qui permet de procurer sensations et gains financiers
la deacutelinquance dans la bande constitue aussi une reacuteaction collective agrave
lrsquoexclusion et agrave la stigmatisation dont font lrsquoobjet ses diffeacuterents membres
(Carra 1999) Les activiteacutes de la bande peuvent se lire comme un double
mouvement drsquoaffirmation aux deacutepens de lrsquoenvironnement ndash reacuteduit agrave des
scheacutemas lointains et hostiles (et reacuteciproquement) promotion du groupe
et promotion personnelle dans ce groupe (Robert et Lascoumes 1974)
Se voir qualifier par ses pairs de laquo vrai cambrioleur un vrai de vrai raquo agrave
lrsquoinstar de Kamel est source de prestige Le savoir-faire deacutelinquant associeacute
12 Lrsquoanalyse du produit final du processus peacutenal montre que ce public constituera ensuitela clientegravele privileacutegieacutee de la justice peacutenale des majeurs les condamneacutes sans professionayant toujours la plus forte proportion drsquoemprisonnement ferme On peut srsquointerrogersur cette surcondamnation avec Aubusson de Cavarlay qui aboutit agrave la conclusionsuivante laquo finalement si la partialiteacute reacutesiste agrave sa justification juridique il faut concluresoit que les faits commis par les classes populaires sont les plus graves puisque touteschoses juridiques eacutegales par ailleurs elles sont plus lourdement sanctionneacutees soit etpour les mecircmes raisons que la justice peacutenale deacutefavorise les classes domineacutees raquo (Aubussonde Cavarley 1985 p 308)
13 laquo [hellip] qui apparaicirct endeacutemique dans la citeacute impliquant non seulement les jeunes maisaussi les adultes Elle srsquoapparente essentiellement agrave une ldquodeacutelinquance de survierdquo raquo(Bailleau 1997 p 29)
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174 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave la prise de risque est source de reconnaissance au sein de la bande
reconnaissance que les propos de lrsquoadolescent reflegravetent laquo jrsquoeacutetais le roi desmalins raquo dit-il Crsquoest aussi un moyen de se positionner dans lrsquoespace
Les tentatives drsquoappropriation des eacutequipements socioculturels parti-
cipent des strateacutegies deacuteployeacutees par la bande pour y parvenir tout en eacutetant
constitutives de la formation drsquoune identiteacute spatiale de substitution Les
propos tenus par lrsquoun des permanents de la Maison pour tous informent
sur lrsquoactualisation de ces tentatives
Les animateurs constatent qursquoun puissant rapport de force a eacuteteacute eacutetabli parles jeunes agrave leur eacutegard De la part des jeunes le point drsquoancrage de leurforce est le chahut qursquoils peuvent faire les carreaux qursquoils peuvent casserles bagarres qursquoils peuvent deacuteclencher lrsquoalcool qursquoils peuvent boire Cetteforce est leur pouvoir de neacutegociation avec les animateurs pour obtenir ceqursquoils deacutesirent une machine agrave cafeacute une salle leur eacutetant reacuteserveacutee une sortieski [hellip]
Pour ces jeunes renvoyeacutes et enfermeacutes dans lrsquounivers des pairs le
quartier constitue le dernier lieu pour acqueacuterir une reconnaissance
sociale Aussi peut-on dire avec Lagreacutee (1996 p 334)
Srsquoagissant des jeunes deacutepourvus des capitaux neacutecessaires pourobtenir une place valorisante dans la socieacuteteacute at large pour ceux quine sont ni agrave lrsquoeacutecole ni dans lrsquoemploi lrsquoespace reacutesidentiel la collec-tiviteacute sociale que constitue le voisinage deviennent le dernier lieuougrave peut se gagner la reconnaissance sociale Pour ceux qui ne sontnulle part lrsquoespace reacutesidentiel animeacute par la vie des bandes estplus que le lieu ougrave lrsquoon vit ougrave lrsquoon attend ougrave lrsquoon galegravere crsquoestaussi le dernier endroit ougrave se reacutealise lrsquointeacutegration ou la marginali-sation agrave une microsocieacuteteacute
En eacutetablissant un rapport de force la bande parvient agrave se positionner
dans lrsquoespace local en obligeant les autres acteurs agrave prendre en compte
ce positionnement Mais en forccedilant la reconnaissance de leur place dans
les rapports sociaux locaux les membres de la bande participent directe-
ment non seulement agrave leur marginalisation mais aussi agrave leur stigmatisa-
tion tout en contribuant fortement agrave leur renvoi agrave des agences speacutecialiseacutees
de la reacuteaction sociale Dans leurs rapports avec les autres ils srsquoenferment
dans une logique qui les expose agrave la reacuteaction stigmatisante du corps social
et au renvoi vers le systegraveme de justice peacutenale
Ce renvoi a drsquoautant plus de chances de se reacutealiser et de srsquoamplifier
dans ce quartier que lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sociale de sa population rend difficile
la mise en œuvre de proceacutedures internes et coheacuterentes de reacutegulation de
la deacuteviance Ce contexte contribue par ailleurs agrave transformer le controcircle
social informel en rapport de classes placcedilant les jeunes issus des milieux
populaires en premiegravere ligne de lrsquoaffrontement (Chamboredon et Lemaire
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1970) Reacuteponse au sentiment drsquoinseacutecuriteacute qursquoeacuteprouvent certaines cateacutego-
ries de la population le renvoi et plus globalement lrsquoentreprise de deacutefini-
tion de la deacuteviance opeacutereacutee dans cette citeacute participent donc aussi aux
strateacutegies de diffeacuterenciation des groupes les uns par rapport aux autres
La bande apparaicirct finalement comme une tentative pour participer
au jeu social mecircme si ce jeu se reacuteduit agrave la scegravene locale cette scegravene
devenant le theacuteacirctre ougrave se joue la production identitaire de ces jeunes La
deacutelinquance dans le contexte de la bande srsquoexplique moins par un manque
de repegraveres par une meacuteconnaissance des normes qursquoelle ne reacutesulte drsquoun
rapport speacutecifique aux autres et agrave lrsquoenvironnement amenant les adoles-
cents agrave utiliser la transgression des normes comme moyen de reconnais-
sance ultime but de toute construction identitaire On peut ainsi dire avec
Digneffe (1989 p 174)
Crsquoest moins le contenu des regravegles qursquoun certain type de rapportaux autres qui lrsquoamegravene [le mineur deacutelinquant] agrave se constituer unerepreacutesentation de ce qui est laquo pour lui raquo agrave faire ou agrave ne pas faireMecircme srsquoil sait que laquo certaines choses sont mauvaises et drsquoautresbonnes raquo ces critegraveres ne deviendront pertinents que srsquoils srsquointegravegrentagrave son propre univers de sens agrave son cadre de reacutefeacuterence en tantqursquoil constitue ce qui lui permet de vivre
CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT
DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES
Lrsquoidentiteacute de lrsquoindividu se construit ainsi au cours drsquointeractions dont la
signification si elle se deacutefinit au sein de ces interactions deacutepend aussi de
la position de lrsquoindividu au sein des structures sociales laquo la dialectique
entre structures sociales meacutediatiseacutees par des interactions concregravetes et la
formation drsquoun ldquosoirdquo individuel est constante raquo (de Queiroz 1994 p 40)
La place que lrsquoindividu occupe au sein des rapports sociaux le rendra plus
ou moins vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de
vie agrave lrsquoeacutecole au travail ndash instances de socialisation geacuteneacuterale qui agissent
comme autant drsquoentrepreneurs de morale de pocircle de repeacuterage et de
stigmatisation ndash et face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-
lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance
juveacutenile
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DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
Paroles et strateacutegies
de jeunes deacutelinquants
I
SABELLE
D
ELENS
-R
AVIER
Deacutepartement de criminologie et de droit peacutenal Universiteacute catholique de Louvain
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Notre propos srsquoappuie sur les reacutesultats drsquoune recherche qualitative portant
sur le point de vue de jeunes francophones belges laquo ayant commis des faits
qualifieacutes infraction raquo en drsquoautres termes des jeunes deacutelinquants agrave propos
de deux types de reacuteactions judiciaires particuliegraveres le placement en ins-
titution speacutecialiseacutee ou lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de laquo travail drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral raquo appeleacutee en Belgique laquo prestation eacuteducative ou philanthropique raquo
(Delens-Ravier et Thibaut 2001 et 2003) Lrsquoanalyse porte sur le sens sub-
jectif que ces jeunes donnent agrave leur expeacuterience de judiciarisation inscrite
dans une trajectoire sociofamiliale comprenant souvent un suivi social
individuel ou familial Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction au processus judi-
ciaire sont mises en lumiegravere agrave travers le veacutecu de leur environnement social
(scolaire et familial) de leur trajectoire deacutelinquante et judiciaire et des
mesures dont ils font lrsquoobjet
71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE
QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE
Ce travail srsquoinscrit reacutesolument dans une deacutemarche inductive et geacuteneacuterative
(Laperriegravere 1997 p 326) de lrsquoempirique au theacuteorique du concret agrave
lrsquoabstrait du particulier au geacuteneacuteral La posture ainsi adopteacutee se veut ana-
lytique (Demaziegravere et Dubar 1997 p 33) cherchant agrave produire meacutetho-
diquement du sens agrave partir de lrsquoexploitation des entretiens de recherche
Les donneacutees qualitatives portent donc sur lrsquoexpeacuterience les repreacutesenta-
tions les deacutefinitions de situation les opinions et les paroles (Deslauriers
et Keacuterisit 1997 p 105) qui deacutecrivent la reacutealiteacute sociale telle qursquoelle est
veacutecue et telle qursquoelle est perccedilue par des jeunes deacutelinquants judiciariseacutes
Nous ne recherchons pas la repreacutesentativiteacute statistique mais la repreacute-
sentativiteacute du discours qui tient agrave deux critegraveres particuliers la diversifica-
tion
1
et la saturation
2
crsquoest donc la diversiteacute des discours et des points de
vue sur la mesure judiciaire qui est au cœur de lrsquoinvestigation
1 La diversification signifie qursquoil srsquoagit de rencontrer les jeunes dont on peut attendredes discours tregraves diffeacuterents en fonction de laquo variables strateacutegiques raquo permettant desupputer ces diffeacuterences (type de mesure parcours protectionnel parcours scolaireorigine culturelle du jeunehellip)
2 La saturation signifie que le nombre de jeunes agrave interroger nrsquoest pas deacutetermineacute agravelrsquoavance mais deacutepend de lrsquoapparition de la redondance dans le discours laquo La satura-tion empirique deacutesigne le pheacutenomegravene par lequel le chercheur juge que les derniegraveresentrevues nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles ou diffeacuterentes pourjustifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo (Pires 1997 p 157)
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La deacutemarche qualitative choisie a privileacutegieacute des entretiens semi-directifs
avec des jeunes faisant lrsquoobjet drsquoune deacutecision judiciaire Au cours de
lrsquoanneacutee 1999-2000 nous avons intervieweacute 45 adolescents garccedilons et filles
40 drsquoentre eux eacutetaient placeacutes en institution speacutecialiseacutee agrave reacutegime ouvert
ou fermeacute parfois apregraves avoir fait lrsquoobjet drsquoune mesure de reacuteparation et
cinq venaient drsquoexeacutecuter la mesure appeleacutee laquo prestation eacuteducative ou
philanthropique raquo Les deux critegraveres de diversification et de saturation ont
eacuteteacute remplis pour les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee nous permet-
tant donc une geacuteneacuteralisation de nos propos Il nrsquoen va pas de mecircme pour
les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation pour qui la difficulteacute de rencontre
ne nous a pas permis de preacutetendre diversifier suffisamment notre cible
et donc de reacutepondre au principe de saturation Les connaissances pro-
duites agrave partir du discours des jeunes ayant exeacutecuteacute exclusivement ce type
de mesure bien qursquoelles soient particuliegraverement contrasteacutees doivent ecirctre
consideacutereacutees comme des informations fournies agrave titre exploratoire
Les jeunes placeacutes intervieweacutes 39 garccedilons et 6 filles eacutetaient drsquoorigines
culturelles diverses Belgique autres pays drsquoEurope Maroc Turquie
Afrique Leur acircge moyen eacutetait de 16 ans et 1 mois Les jeunes scolariseacutes
freacutequentaient principalement lrsquoenseignement de type professionnel mais
ils sont nombreux agrave srsquoecirctre deacuteclareacutes en deacutecrochage scolaire Ils eacutevoquent
une multipliciteacute de deacutelits essentiellement des laquo deacutelits drsquoacquisition raquo
(vols) Des diffeacuterences apparaissent cependant selon le sexe ainsi pour
les filles la probleacutematique laquo drogue raquo est particuliegraverement preacutesente
Lrsquoarriveacutee en institution speacutecialiseacutee apparaicirct comme une eacutetape dans
un parcours deacutejagrave chargeacute de guidances surveillances ndash eacuteventuellement
associeacutees agrave une mesure de prestation eacuteducative ndash placements institution-
nels et souvent apregraves un seacutejour dans une autre institution du mecircme type
voire en prison Il nrsquoen va pas de mecircme pour les jeunes faisant lrsquoobjet
drsquoune mesure de reacuteparation telle lrsquoexeacutecution drsquoune prestation eacuteducative
ou philanthropique ce sont essentiellement des jeunes ameneacutes agrave compa-
raicirctre pour la premiegravere fois devant le tribunal de la jeunesse
Notre meacutethode drsquoanalyse qualitative srsquoapparente agrave une meacutethode eth-
nographique (Laperriegravere 1997 p 326) dans laquelle collecte et analyse
des donneacutees sont parallegraveles et ougrave les cateacutegories et theacutematiques sont eacuteta-
blies agrave lrsquoaide des donneacutees empiriques Lrsquoanalyse theacutematique nous a permis
drsquoarriver agrave une description analytique (Maroy 1995 p 85) de lrsquoexpeacuterience
de lrsquounivers des mineurs placeacutes Interpreacutetation et description sont ici deux
opeacuterations meneacutees de concert dans une deacutemarche de deacuteconstruction-
reconstruction du discours des jeunes en reacutefeacuterence agrave des travaux theacuteoriques
reconnus dans le champ de la deacutelinquance des mineurs Nous nous atta-
cherons ici essentiellement au veacutecu de la mesure judiciaire par les jeunes
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE
Sans qursquoil soit possible de faire de comparaison stricte les cateacutegories des-
criptives utiliseacutees nrsquoeacutetant pas rigoureusement identiques le profil des
familles des mineurs rencontreacutes alimente lrsquohypothegravese drsquoune surrepreacutesen-
tation de cateacutegories sociales preacutecariseacutees pour les mineurs soumis agrave une
mesure du juge de la jeunesse (Duliegravere-DrsquoUrsel et Delens-Ravier 1992
Born et Thys 1996 Vanneste 2001 p 148)
Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un
systegraveme complexe dans lequel les relations familiales sont agrave la fois le
baromegravetre du comportement du jeune et la reacutesultante de ce comporte-
ment Les interactions familiales sont cruciales dans le veacutecu et lrsquoeacutevolution
des jeunes rejeteacutes par les leurs ils srsquoenfoncent dans des comportements
qursquoils preacutesentent eux-mecircmes comme une forme drsquolaquo appel raquo mais qui
entretiennent ce rejet Alors que la possibiliteacute de renouer avec la famille
est un facteur de deacutesistance (Born 2001 p 178) dans la mesure ougrave laquo seul
le retour en famille ldquochoisi
3
rdquo offre de bonnes garanties de reacuteussite du
projet de reacuteinteacutegration du jeune apregraves un placement en institution speacute-
cialiseacutee que ce soit agrave court ou agrave long terme raquo (Born 2001 p 185) Ainsi
lorsqursquoil est question de conflit et de rupture le placement et lrsquoeacuteloigne-
ment physique qursquoil induit ne font qursquoentretenir le rejet familial drsquoautant
plus que le jeune est dans lrsquoincapaciteacute mateacuterielle de neacutegocier avec sa
famille son image deacuteteacuterioreacutee par le processus judiciaire La peacuteriode du
placement signe alors cette rupture agrave sa sortie le jeune devra srsquoinstaller
seul ou trouver une institution
Pour drsquoautres la crise provoqueacutee par la judiciarisation suivie du
placement peut ecirctre lrsquooccasion drsquoun changement tant dans le comporte-
ment du jeune que dans les relations avec sa famille
Le lien avec la famille se preacutesente eacutegalement comme un eacuteleacutement
fondamental dans la compreacutehension des diffeacuterentes faccedilons de vivre la
mesure de prestation eacuteducative
4
Ainsi en toutes circonstances quelle que
soit la mesure prise par le magistrat la judiciarisation agit comme un
catalyseur de lrsquoeacutevolution de la situation agrave partir de la reacuteaction familiale
au deacutelit judiciariseacute
3 On parle de laquo solution choisie raquo par lrsquoeacutequipe lorsqursquoil y a convergence entre le projetdu jeune les possibiliteacutes familiales le deacutesir de lrsquoun et de lrsquoautre de reacuteinvestir dans cesens de mecircme qursquoadeacutequation entre le projet envisageacute et les ressources
4 Voir plus bas
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Lrsquoinstitution scolaire se preacutesente eacutegalement comme une pierre angu-
laire dans le parcours des jeunes agrave la fois vecteur drsquoexclusion et vecteur
de reacuteinsertion Elle est en mecircme temps la premiegravere expeacuterience significa-
tive de releacutegation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient agrave leur
situation notamment en tant que projet de sortie de lrsquoinstitution valide
aux yeux de lrsquoensemble des intervenants
Les rapports agrave lrsquoeacutecole et agrave la famille se trouvent donc au cœur des
trajectoires deacutelinquantes des jeunes rencontreacutes La theacuteorie de la vulneacutera-
biliteacute socieacutetale
5
deacuteveloppeacutee par Walgrave comme explication de la deacutelin-
quance persistante de certains jeunes avait deacutejagrave montreacute combien la
famille et lrsquoeacutecole davantage encore jouaient un rocircle crucial dans le pro-
cessus drsquoaffiliation sociale (Vettenburg 2003 p 193)
La cristallisation des reacuteactions des jeunes et des familles autour du
processus de judiciarisation pourrait laisser agrave penser que la trajectoire
judiciaire vient imposer sa logique aux diffeacuterentes trajectoires familiales
scolaires des mineurs mais en fait comme le dit Carra laquo cette trajectoire
judiciaire ne se deacuteveloppe ni indeacutependamment ni parallegravelement aux
autres trajectoires Elle se construit avec ndash gracircce ndash aux autres trajectoires
et reacuteciproquement (Carra 2001 p 72) raquo Crsquoest que nous allons tenter
drsquoexpliciter
73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE
Les jeunes rencontreacutes nrsquoont pas une vision tregraves claire de la chronologie
de leur parcours Les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee ont le plus
souvent deacutejagrave connu un suivi individuel ou psychosocial avant drsquoecirctre lrsquoobjet
de mesures judiciaires pour des faits de deacutelinquance Ce qui nrsquoest pas le
cas pour les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation
Le parcours des jeunes placeacutes a donc souvent deacutebuteacute bien avant les
faits infractionnels repeacutereacutes il est jalonneacute de nombreux placements insti-
tutionnels dont lrsquoinstitution speacutecialiseacutee est lrsquoaboutissement souvent de
5 La notion de vulneacuterabiliteacute socieacutetale est deacutefinie ainsi laquo la potentialiteacute de la vulneacuterabiliteacutesuggegravere une certaine permanence qui pourrait deacutependre des caracteacuteristiques du sujetou de la situation Pour ce qui est de la vulneacuterabiliteacute socieacutetale elle deacutepend de la positiondes sujets dans la socieacuteteacute La position envisageacutee est proche de la position socioeacutecono-mique infeacuterieure raquo (Walgrave 1992 p 85) La personne socialement faible est unepersonne qui dans ses contacts avec les institutions sociales (lrsquoeacutecole le marcheacute dutravail la justice) se confronte principalement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee aux aspects neacutegatifset profite moins de lrsquooffre positive (Vettenburg 2003 p 194)
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faccedilon reacutepeacuteteacutee Les discours font eacutetat drsquoun parcours en forme de spirale
constitueacutee drsquoune longue suite de mesures et drsquoinstitutions dont les jeunes
ne gardent pas toujours un souvenir preacutecis Que ce soit la consommation
de stupeacutefiants le comportement adopteacute le deacutecrochage scolaire chacun
de ces eacuteleacutements constitue la cause drsquoun nouveau placement un nouveau
mouvement de va-et-vient entre retour en famille et institution Apregraves une
premiegravere mesure judiciaire de placement le poids du dossier joue en
deacutefaveur des jeunes Ainsi un placement en institution speacutecialiseacutee en
appelle drsquoautres mecircme si le jeune a lrsquoimpression de commettre des faits
moins graves ou drsquoavancer vers une prise de conscience Crsquoest agrave partir des
difficulteacutes scolaires que les jeunes commencent agrave eacutecrire leur histoire ins-
titutionnelle chaotique mecircme si souvent celle-ci a deacutemarreacute bien plus tocirct
dans un contexte familial perturbeacute
Les services ou institutions qui jalonnent leur parcours avant lrsquoarriveacutee
dans la laquo nasse raquo que repreacutesente le placement en institution speacutecialiseacutee sont
diversement appreacutecieacutes Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le rocircle et les missions speacuteci-
fiques du service drsquoaide agrave la jeunesse (SAJ) proposant une aide neacutegocieacutee
aux familles et aux mineurs qui eacuteprouvent des difficulteacutes dans le processus
eacuteducatif ne sont pas clairement perccedilus
6
ainsi les entretiens reacutealiseacutes dans
le cadre de ce type drsquointervention drsquoaide la plupart du temps en vue drsquoune
autonomie aux contours impreacutecis leur sont apparus laquo inutiles raquo reacuteduits agrave
du simple bavardage les articulations avec drsquoautres services nrsquoeacutetant pas
claires pour eux Lorsque ce type de service transmet le dossier au parquet
en vue drsquoimposer une aide contrainte le service de protection judiciaire
chargeacute de mettre en œuvre cette aide est perccedilu comme une surveillance
sur les mineurs et leurs familles plutocirct que comme un accompagnement
ou une aide On le juge aussi carreacutement laquo impuissant raquo devant les obstacles
agrave la reacuteinsertion scolaire familiale socialehellip des mineurs placeacutes en eacutetablis-
sement speacutecialiseacute Les seacutejours en institution reacutesidentielle priveacutee sont veacutecus
comme un temps durant lequel ils disent nrsquoavoir pas eacuteteacute reacuteellement pris
en charge ougrave le quotidien leur est apparu comme non structureacute offrant
trop de liberteacutehellip Ceux qui ont connu un passage en institution psychia-
trique sont fortement marqueacutes par des eacuteleacutements comme la camisole chi-
mique et le meacutelange entre adultes et adolescents Ils gardent en meacutemoire
essentiellement la stigmatisation qui en deacutecoule La prison est eacutegalement
6 Le rocircle et la mission du SAJ sont deacutefinis par le Deacutecret relatif agrave lrsquoaide agrave la jeunesse du4 mars 1991 Pour une preacutesentation deacutetailleacutee voir le site Internet httpwwwcfwbbeaide-jeunessehtmlproplatprohtm
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une expeacuterience traumatisante principalement agrave cause du reacutegime cellulaire
24 heures sur 24 qui est propre aux mineurs et ougrave la seule activiteacute est la
teacuteleacutevision Cependant une incarceacuteration de 15 jours nrsquoa guegravere de conseacute-
quences laquo eacuteducatives raquo agrave leurs yeux elle renforce plutocirct la laquo haine raquo agrave
lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute conforte le jeune dans son rocircle de caiumld dans son
quartier ou encore permet la rencontre de familiers ou de connaissances
et contribue alors agrave la contagion deacutelinquante
Les consideacuterations eacutemises agrave propos de ces diffeacuterentes interventions
qui ont eacutemailleacute leur parcours sociojudiciaire deacutenotent une absence de
compreacutehension et de maicirctrise de la coheacuterence de celui-ci Les jeunes
parlent de leur place dans cette trajectoire comme srsquoils eacutetaient laquo
une piegravecedans un jeu de dames
raquo
hellip
Ainsi drsquoune faccedilon geacuteneacuterale pour les jeunes que
nous avons rencontreacutes alors qursquoils eacutetaient en institution speacutecialiseacutee
lrsquoentreacutee dans le circuit institutionnel a signeacute le deacutebut drsquoun parcours
chaotique essoufflant drsquoinstitution en institution ponctueacute par quelques
tentatives de retour en famille dont ce type drsquoinstitution constitue lrsquoabou-
tissement La chronologie reste floue les seuls repegraveres temporels preacutecis
eacutetant directement en lien avec le processus de judiciarisation la date
drsquoarriveacutee agrave lrsquoinstitution la date du jugement ou de lrsquoordonnance la date
du prochain rendez-vous au tribunal de la jeunesse Nous sommes ici
devant ce que Carra appelle le processus formel de constitution de la
deacutelinquance au travers duquel laquo la trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation
des mesures et la prise en charge institutionnelle de plus en plus totale
apparaicirct comme une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances
de passer drsquoun degreacute agrave lrsquoautre Elle influence profondeacutement lrsquoimage et les
perspectives drsquoavenir du mineur raquo (Carra 2001 p 94) Si leur trajectoire
au sein de la sphegravere protectionnelle du suivi familial aux mesures de
placement se reacutevegravele floue et aux contours impreacutecis se preacutesentant donc
davantage comme une ligne briseacutee que comme un cheminement logique
connu par eux lrsquoeacutevolution graduelle et ineacuteluctable vers une prise en
charge de plus en plus resserreacutee est bien reacuteelle
Les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation avaient un parcours nette-
ment moins laquo lourd raquo dans la mesure ougrave ce type de mesure judiciaire est
deacutecideacute par les magistrats lors drsquoune premiegravere comparution au tribunal
de la jeunesse En effet comme lrsquoont montreacute drsquoautres recherches laquo la
cateacutegorie des mineurs faisant lrsquoobjet drsquoune mesure de prestation drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral preacutesente le profil le plus ldquoprimo-deacutelinquantrdquo et ldquoprimo-judiciairerdquo raquo
(Vanneste 2001 p 93)
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74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION
Lrsquoanalyse du discours sur lrsquoexpeacuterience veacutecue du placement ou de la pres-
tation
7
permet de deacutegager des veacutecus tregraves diffeacuterencieacutes que nous nous
proposons drsquoorganiser autour de diffeacuterentes laquo strateacutegies raquo de reacuteaction au
processus de judiciarisation Si geacuteneacuteralement lrsquoideacutee de strateacutegie fait reacutefeacute-
rence agrave une deacutemarche construite et consciente en vue drsquoatteindre un
objectif le terme de strateacutegie est compris ici comme la combinaison de
diffeacuterentes faccedilons de laquo dominer la tension qui existe entre lrsquounivers domes-
tique et lrsquounivers de lrsquoinstitution raquo (Goffman 1968 p 110) Plus large-
ment nous comprenons la strateacutegie comme les modes de reacuteaction agrave la
situation creacuteeacutes par la deacutecision judiciaire les modes drsquoadaptation aux
conseacutequences de la judiciarisation La notion de strateacutegie se situe agrave lrsquoarti-
culation du systegraveme social et de lrsquoindividu du social et du psychologique
Les strateacutegies de reacuteponse agrave une situation sociale deacutecrivent simple-ment les comportements individuels ou collectifs conscients ouinconscients adapteacutes ou inadapteacutes mis en œuvre pour atteindrecertaines finaliteacutes La notion de strateacutegie appliqueacutee au champsocial suggegravere que lrsquoindividu dispose drsquoune certaine liberteacute dechoix dans les limites des regravegles du jeu Elle exprime commentles comportements individuels sont le reacutesultat drsquoune interactionde facteurs sociaux et individuels Elle permet de lire les diffeacute-rentes maniegraveres dont les acteurs laquo font avec raquo les deacuteterminantssociaux en fonction de quels paramegravetres sociaux familiaux oupsychologiques La diversiteacute relative des comportements en reacuteponseagrave des situations sociales similaires met en eacutevidence le caractegravereinteractionnel dynamique et complexe du processus (De Gaulejacet Leonetti 1994 p 184)
Nous nous inteacuteressons ici agrave la reconstruction subjective des trajectoires
des jeunes (Delens-Ravier 2001 p 13) Il ne srsquoagit pas de retracer lrsquoeacutevo-
lution chronologique des eacuteveacutenements de leur parcours sociojudiciaire
mais de mettre en perspective leur expeacuterience agrave la suite drsquoune deacutecision
judiciaire en deacutegageant les eacuteleacutements cleacutes qui srsquoarticulent dans les diffeacuterentes
strateacutegies eacutevoqueacutees que nous cherchons agrave comprendre du point de vue
7 Lrsquoexpeacuterience de prestation eacuteducative ou philanthropique est relateacutee par deux types dejeunes des jeunes qui ont fait lrsquoobjet drsquoune prestation lrsquoont termineacutee et ont eacuteteacute eacutevalueacutespositivement par les intervenants et le milieu drsquoaccueil des jeunes placeacutes en institutionspeacutecialiseacutee ayant eacuteteacute confronteacutes drsquoune faccedilon ou drsquoune autre agrave ce type de mesurecertains ayant purement et simplement refuseacute drsquoexeacutecuter la mesure Malheureusementle nombre trop restreint drsquoentretiens ne nous permet pas de parler de saturation delrsquoinformation nous ne pouvons que lancer des pistes drsquointerpreacutetation exploratoire duveacutecu de cette mesure
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subjectif de lrsquoacteur Nous retenons comme eacuteleacutement le veacutecu de la deacutelin-
quance la perception de la deacutecision du magistrat et de la relation agrave celui-ci
la rencontre avec les acteurs institutionnels lrsquoappreacuteciation globale de la
mesure par la faccedilon dont est veacutecu le reacutegime institutionnel
741 V
EacuteCU
DE
LA
DEacuteLINQUANCE
La deacutelinquance est une attitude speacutecifique de la peacuteriode de lrsquoadolescence
La plupart des passages agrave lrsquoacte sont des vols simples et de la consomma-
tion de cannabis et constituent une activiteacute propre agrave un processus de
deacuteveloppement normal agrave la peacuteriode charniegravere de lrsquoadolescence Bien
qursquoeacutetiqueteacutes comme laquo mineurs deacutelinquants raquo par les instances peacutenales et
stigmatiseacutes par les multiples placements nombre drsquoentre eux refusent de
srsquoidentifier agrave une telle image Ils revendiquent au contraire un droit agrave
lrsquoerreur un droit agrave lrsquoexpeacuterimentation Ainsi srsquoils reconnaissent les faits
pour lesquels ils sont poursuivis leur interpreacutetation de ceux-ci ne corres-
pond certainement pas agrave la lecture reacuteductrice proposeacutee par le systegraveme
judiciaire faisant reacutefeacuterence aux cateacutegories du code peacutenal
La plupart des jeunes insistent sur une dimension fondamentale qui
les lie agrave lrsquoaction elle-mecircme laquo
lrsquoadreacutenaline
raquo Lrsquoanxieacuteteacute au moment de voler
est stimulante ils eacutevoquent aussi la prise de risque et la reacuteussite le plaisir
lieacute agrave la consommation de stupeacutefiantshellip Nombreux sont ceux qui confessent
avoir trouveacute dans la vente de stupeacutefiants ou le vol laquo quelque chose dans
lrsquoaction qui ne se passe pas ailleurs raquo (Brion et de Coninck 1999 p 939)
Associeacutee agrave la prise de risque laquo
lrsquoadreacutenaline
raquo est lrsquooccasion de vivre des
eacutemotions intenses qui deacutepassent largement leur quotidien habituel Le fait
de commettre les deacutelits en groupe augmente par ailleurs le plaisir ressenti
Crsquoest le stress aussi Crsquoest de vivrehellip Je crois comme dans les films vousvoyez Crsquoest bon simplement crsquoest de lrsquoadreacutenaline (Manu 17 ans)
Drsquoautres recherches ont drsquoailleurs mis en eacutevidence que laquo lrsquoentreacutee
dans le style de vie deacuteviant relegraveve presque toujours initialement drsquoune
motivation lieacutee agrave la recherche du plaisir raquo (Brunelle Cousineau et Brochu
2002 p 24)
La recherche drsquoargent est une autre motivation fondamentale pour
ces jeunes Elle prend pour eux des connotations particuliegraveres drsquolaquo argent
facile raquo ou drsquolaquo argent-compensation raquo Deacutepenser de lrsquoargent est synonyme
drsquoexister de vivre Durckheim avait deacutejagrave souligneacute le lien entre sentiment
drsquoexister et deacutepenses laquo Vivre crsquoest avant tout agir agir sans compter pour
le plaisir drsquoagir Et [hellip] srsquoil faut amasser pour pouvoir deacutepenser crsquoest
pourtant la deacutepense qui est le but et la deacutepense crsquoest lrsquoaction raquo (tel que
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
citeacute dans
Grell 1999 p 207) La recherche drsquoargent se manifeste sous
deux formes particuliegraveres le plaisir de lrsquoargent facile ou la jouissance de
posseacuteder et la compensation drsquoune situation deacutefavorable Lrsquoargent facile
ou lrsquoargent plaisir correspond agrave des beacuteneacutefices rapidement acquis par la
vente de stupeacutefiants ou le vol de voitures qui poussent agrave la surconsomma-
tion Cet argent mateacuterialiseacute par lrsquoachat de produits ostensibles et luxueux
(motos vecirctementshellip) brucircle les doigts vite acquis il est vite deacutepenseacute
Lrsquoargent facile est ainsi une tentation agrave laquelle il est difficile de reacutesister
qui procure de plantureux beacuteneacutefices inaccessibles par des voies leacutegalement
reconnues au vu du niveau scolaire familial et social
Crsquoest fou lrsquoargent qursquoon peut se faire
[en vendant des pilules drsquoecstasy]
Crsquoest laquo deacutegueulasse raquo parce qursquoon vend de la mort Moi jrsquoaime bien lrsquoargentcomme tout le monde peut-ecirctre un peu plus Quand jrsquoai de lrsquoargent je ledeacutepense direct Et quand je vendais je pouvais me permettre tout je pou-vais mrsquoacheter tout je me faisais un meacutechant beacuteneacutefice Et quand je vaissortir je vais toujours y retourner pour aller en chercher Je vais recommen-cer agrave vendre crsquoest clair Je vendrai agrave gauche et agrave droite pour arrondir mesfins de mois Jrsquoaimerais bien arrecircter mais quand on sait combien ccedila rap-porte ccedila va ecirctre plus fort que moi Crsquoest la tentation de lrsquoargent facile Crsquoestpas si eacutevident Ici on peut faire un projet mais quand on est dehors crsquoestpas la mecircme vie
(Dominique 17 ans)
La recherche drsquoargent peut eacutegalement ecirctre en lien avec un contexte
de vie aux ressources financiegraveres limiteacutees Le vol est alors un mode
drsquoappropriation drsquoobjets consideacutereacutes comme inaccessibles La deacutelinquance
se preacutesente parfois comme une modaliteacute de survie neacutecessaire agrave lrsquointeacutegration
dans une socieacuteteacute de consommation lorsqursquoon ne beacuteneacuteficie pas des moyens
drsquoy participer pleinement (Delens-Ravier et Thibaut 2003 p 30)
Faut voir les circonstances pourquoi il a voleacute
[hellip]
Srsquoil a vu une belle pairede chaussures dans un magasin que ses parents ne savent pas payerhellipQursquoest-ce qursquoil va faire le jeune Il va aller voler pour se les payer crsquoesttouthellip Srsquoil y avait du travail srsquoil y avait quelque chose pour nous occuperce serait laquo agrave lrsquoaise raquo Mais en Belgique il nrsquoy a rien du tout pour les jeunes
(Rodovan 17
1
2
ans)
Les deacutelits peuvent eacutegalement avoir pour objet drsquoexprimer des diffi-
culteacutes drsquoordre familial permettant une visibiliteacute accrue agrave travers la reacuteaction
judiciaire Lrsquoexpression des difficulteacutes correspond agrave une quecircte drsquoidentiteacute
ou de reacuteponses parentales Cet appel agrave exister peut srsquoadresser non seule-
ment agrave la famille mais agrave lrsquoensemble de la socieacuteteacute comme reacuteponse aux
interpellations policiegraveres systeacutematiques aux
homes
ougrave lrsquoon est placeacute aux
eacutecoles dont on a eacuteteacute exclu au patron qui a refuseacute drsquoembaucherhellip Ce type
de laquo motivation raquo de la transgression fait reacutefeacuterence agrave une situation person-
nelle insatisfaisante laissant preacutesager des trajectoires discontinues marqueacutees
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
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par les ruptures notamment avec le milieu familial et risquant de conduire
agrave la deacutesaffiliation ou agrave une affiliation deacuteviante agrave la vengeance agrave lrsquoauto-
destructionhellip (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 14)
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutelinquance des jeunes rencontreacutes peut se
comprendre comme une eacutechappatoire agrave une socialisation contraignante
difficile voire impossible pour eux Dans ce sens la transgression est vue
comme un signe de bonne santeacute pour des jeunes que le monde nrsquoattend
pas ce dont ils ont pris conscience assez tocirct notamment agrave travers leur
veacutecu scolaire et la position sociale de leurs familles Comme le dit tregraves
justement Grell agrave propos de jeunes Canadiens
[hellip] leurs deacuteambulations existentielles indissociables de leurs pas-sions et leurs excegraves seraient agrave lire comme drsquoincessantes tentativesde deacutepassement de ce preacutesent tragique drsquoun monde qui au lieude leur offrir des prises fermes leur met plutocirct des sables mou-vants sous les pieds Leurs deacuteambulations existentielles excessiveset passionneacutees ne posent-elles pas degraves lors lrsquoinsoutenable questionde lrsquoinsignifiance drsquoun monde qui ne constitue plus ou insuffisam-ment lrsquoarmature de lrsquoexistence des mortels Les excegraves et les mul-tiples eacutecarts de ces jeunes ne sont-ils pas dans ce cas un signe desanteacute la fabrication drsquoanticorps ayant pour fonction de franchirles limites de la maladie mondaine (Grell 1999 p 210)
Les diffeacuterents sens de la transgression peuvent cohabiter chez un
mecircme jeune eacutevoluer au fil du tempshellip La faccedilon de vivre leur deacuteviance
ne paraicirct pas vraiment centrale dans la reacuteaction subjective agrave la mesure
judiciaire Ce nrsquoest donc pas le veacutecu de leur deacutelinquance qui srsquoarticule
avec drsquoautres eacuteleacutements comme le sentiment de justice ou drsquoinjustice de
la deacutecision ou le type de rapports aux acteurs sociaux et judiciaires mais
bien le fait que les acteurs judiciaires et sociaux vont prendre en consideacute-
ration laquo leur raquo interpreacutetation subjective de leur deacutelinquance le sens que
les jeunes eux-mecircmes lui donnent dans leur contexte particulier ce qui
neacutecessite eacutecoute et compreacutehension au-delagrave de lrsquoaffirmation de la norme
et de la leacutegitimation drsquoune sanction
742 L
A
DEacuteCISION
DU
MAGISTRAT
La deacutecision de placement en IPPJ se preacutesente clairement comme une
punition agrave leurs yeux justifieacutee ou non Elle apparaicirct comme une reacuteponse
logique essentiellement en comparaison avec le systegraveme peacutenal adulte dans
la mesure ougrave ils admettent avoir fait des laquo conneries raquo et qursquoil est normal
drsquoecirctre laquo puni raquo Il srsquoagit parfois drsquoune deacutecision par deacutefaut lorsque les
familles ne veulent plus rien entendre ou qursquoaucune autre institution
nrsquoaccepte le mineur La deacutecision est cependant veacutecue comme une injustice
si le jeune ne reconnaicirct pas les faits lorsque le deacutelai entre les faits et la
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190
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sanction est trop long lorsqursquoune seacuterie de mesures srsquoaccumulent sans que
le jeune perccediloive quelle est la sanction veacuteritable lorsque les conditions
drsquoentreacutee et de sortie ne sont pas clairement eacutetablies lorsque la diffeacuterence
de traitement entre mineurs et majeurs ou drsquoun arrondissement judiciaire
agrave lrsquoautre est trop marqueacutee
La deacutecision qui consiste en lrsquoinjonction de reacutealisation drsquoune prestation
eacuteducative ou philanthropique est veacutecue comme une sanction laquo leacutegegravere raquo
comparativement au placement jugeacute trop seacutevegravere
Jrsquoavais peur de ce qursquoelle
[juge de la jeunesse]
allait me dire De ce quejrsquoallais avoir Si jrsquoallais ecirctre placeacute ou pas Je mrsquoattendais pas agrave ccedila jemrsquoattendaishellip Je sais pashellip Plus seacutevegravere Et ici ccedila allait
(Joseo 18 ans)
Elle est accepteacutee par certains dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice
jugeacutee alors moins laquo coucircteuse raquo qursquoun placement ou carreacutement refuseacutee par
drsquoautres car repreacutesentant une sorte de laquo travaux forceacutes
8
raquo
743 L
E
MAGISTRAT
DE
LA
JEUNESSE
Le juge de la jeunesse est une figure marquante associeacutee avant tout agrave
lrsquoinstance qui peut deacutecider drsquoun placement dont la crainte repreacutesente
vraiment le pivot autour duquel srsquoarticule lrsquoappreacuteciation que les jeunes
ont de lrsquointervention judiciaire comme si pour eux le juge nrsquoavait pas
drsquoautres mesures agrave sa disposition
Les diffeacuterentes images de juges qui eacutemergent du discours des jeunes
renvoient agrave des perceptions contrasteacutees Elles vont drsquoune appreacuteciation
franchement neacutegative (le juge qui place sans reacuteflexion) agrave une appreacuteciation
franchement positive (le juge protecteur et paternaliste) Le juge qui place
sans reacuteflexion
est celui qui mateacuterialise son action par une mesure de
placement comme reacuteponse unique malgreacute la diversiteacute des jeunes ou des
situations qursquoil rencontre La relation est ici hyperstandardiseacutee lrsquoespace
de parole accordeacute aux jeunes et agrave leur famille apparaissant extrecircmement
restreint Aux yeux des jeunes la systeacutematisation du placement est reacuteveacutela-
trice agrave la fois drsquoun manque drsquoindividualisation des mesures et donc drsquoeacutecoute
et drsquoun manque de connaissance des reacutealiteacutes institutionnelles Certains
jeunes reacutepondent alors par la fugue agrave ce manque drsquoeacutecoute ressenti au
moment de la deacutecision ou au cours de leur placement strateacutegie qui oblige
le juge de la jeunesse agrave rouvrir le deacutebat sur leur compte Agrave lrsquoopposeacute le
juge protecteur et paternaliste
constitue lrsquoimage inverseacutee du juge laquo qui
place sans reacuteflexion raquo Ici le rocircle du juge de la jeunesse deacuteborde celui de
8 Voir plus bas les diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction
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laquo dire la loi raquo et son intervention deacutepasse le cadre du fait commis Il nrsquoest
pas lagrave uniquement pour sanctionner il cherche agrave comprendre agrave aider Ce
nrsquoest cependant pas lrsquoideacutee drsquoassistance qui suffit en soi agrave eacutetayer cette image
du laquo bon raquo juge Lrsquoimage positive du juge est le reacutesultat de la conjugaison
de plusieurs eacuteleacutements notamment le respect du jeune (par exemple en
faisant respecter les droits du jeune par les policiers) la franchise et la
clarteacute des deacutecisions Neacuteanmoins la figure peut ecirctre double juge paternel
dans des situations de mineur en danger juge laquo placeur raquo lorsque le jeune
a commis un fait qualifieacute drsquoinfraction Les deux facettes sont fonction de
la motivation de la saisine mais sont eacutegalement conditionneacutees par le
conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance qursquoil
parvient agrave susciter ou non
Si les images du juge diffegraverent il existe une certaine constance dans
les relations Preacutevaut drsquoabord la crainte du placement Ainsi bien que les
jeunes qualifient geacuteneacuteralement de laquo
bonnes
raquo les relations avec leur juge
eacutevoquant mecircme une certaine proximiteacute affective en parlant de laquo
mon (ma)juge
raquo
ils perccediloivent les deacutecisions prises par le magistrat comme eacutetant en
quelque sorte exteacuterieures agrave cette relation comme si le juge ne maicirctrisait
pas reacuteellement sa deacutecision guideacutee par des facteurs exteacuterieurs
Dans leurs appreacuteciations les jeunes distinguent acteurs judiciaires et
systegraveme de justice des mineurs Si le juge est parfois consideacutereacute comme un
laquo bon raquo juge et appreacutecieacute le systegraveme de justice est globalement perccedilu
comme injuste pour ces jeunes marginaliseacutes
Moi la justice je trouve qursquoelle est pas juste crsquoest touthellip Je dis pas dujuge il est pas juste je dis la socieacuteteacute elle est pas juste
(Nick 16 ans)
744 L
ES
ACTEURS
INSTITUTIONNELS
9
La confrontation avec les acteurs institutionnels est la cleacute de voucircte du
systegraveme eacuteducatif de placement en institution speacutecialiseacutee Les acteurs cleacutes
aux yeux des jeunes sont drsquoabord les eacuteducateurs lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-
sociale (assistants sociaux psychologues meacutedecin psychiatre) et enfin
les autres jeunes
7441 Les eacuteducateurs
Les jeunes insistent sur la distance ineacuteluctable et neacutecessaire qui existe
entre jeunes et eacuteducateurs bien que les deux soient soumis aux regravegles et
agrave lrsquoinfrastructure institutionnelle et soient pris dans les mecircmes contraintes
9 Nous deacuteveloppons ici exclusivement le discours des jeunes placeacutes les donneacutees concer-nant les jeunes en prestation eacutetant trop restreintes
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Comme dans leurs rapports avec les magistrats les relations avec les eacutedu-
cateurs sont marqueacutees par les laquo
figures
raquo auxquelles ces derniers se rattachent
selon les jeunes Ainsi lrsquoeacuteducateur laquo
qui eacutecoute et qui rigole
raquo correspond agrave
une image positiveacutee du rocircle drsquoeacuteducateur Cette image renvoie agrave une fonc-
tion de compreacutehension drsquoeacutecoute attentive au-delagrave drsquoune simple eacutecoute
qui restitue en retour une image positive au jeune le valorisant et lui
permettant de croire en lui Ce type drsquoeacuteducateur parvient agrave une connais-
sance suffisante du jeune pour arriver agrave lui mettre des limites Il est eacutega-
lement engageacute dans son travail essentiellement par son inteacuterecirct profond
pour les jeunes eux-mecircmes avant toute recherche de reconnaissance
sociale ou peacutecuniaire Une autre figure est lrsquoeacuteducateur laquo
avec qui on rigolepas
raquo qui se cantonne dans le respect strict du regraveglement la discipline
nrsquoest pas neacutegocieacutee elle est appliqueacutee au pied de la lettre Il en reacutesulte un
manque de souplesse et de dialogue lrsquoapplication du regraveglement strict
apparaissant comme une fin en soi Une derniegravere figure est celle de lrsquoeacutedu-
cateur laquo
lasseacute
raquo
qui aux yeux des jeunes ne remplit son rocircle ni dans lrsquoani-
mation de groupe ni dans le maintien de la discipline
7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale
Les deux acteurs principaux de ces eacutequipes dans la vie des jeunes sont les
assistantes et assistants sociaux et les psychologues Selon eux lrsquoeacutequipe
remplit trois fonctions le laquo
gribouillage
raquo rocircle drsquoexpertise par la reacutealisation
de tests et la reacutedaction de rapports dont les jeunes ne perccediloivent pas la
finaliteacute lrsquoeacutecoute et le soutien et enfin lrsquoeacutelaboration du projet de sortie
Lorsque les professionnels sont perccedilus comme centreacutes essentiellement sur
leur mission drsquoobservation et drsquoexpertise les relations sont insatisfaisantes
pour les jeunes qui ne se sentent degraves lors pas laquo
eacutecouteacutes
raquo
Par contre lorsque les intervenants psychosociaux sont preacutesents dans
le quotidien des jeunes et qursquoils peuvent se rendre disponibles en cas de
difficulteacute ou de demande ils sont perccedilus comme un soutien reacuteel
Lrsquoeacutelaboration du projet de sortie est le reflet de tous les obstacles
que devront surmonter ces jeunes pour devenir les laquo entrepreneurs raquo de
leur existence (Blairon 2003 p 8) alors qursquoils sont marqueacutes par la releacute-
gation et la deacutesaffiliation Ainsi lorsque le projet qui tient agrave cœur au jeune
ne correspond pas vraiment agrave un projet de sortie mais srsquoapparente plutocirct
agrave une recherche sur soi-mecircme son eacutelaboration avec les membres de
lrsquoeacutequipe psychosociale si celle-ci ne se limite pas agrave son rocircle laquo drsquoeacutecriture
de rapports raquo peut ecirctre lrsquooccasion drsquoune rencontre et drsquoune eacutecoute Mais
lorsque le projet est discuteacute dans un cadre laquo moralisateur raquo ougrave les objectifs
sont deacutefinis par lrsquoensemble des intervenants plutocirct que par le jeune lui-
mecircme il apparaicirct comme le vecteur unique de communication et reste
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enfermeacute dans son caractegravere hyperformel Il ne permet pas alors une reacuteelle
eacutecoute ni un reacuteel travail sur laquo le sens veacutecu raquo des actes poseacutes il nrsquoest que
conformiteacute de surface aux attentes sociales
745 DIFFEacuteRENTES STRATEacuteGIES DE REacuteACTION
Les diffeacuterentes reacuteactions agrave la mesure de placement articulant les eacuteleacutements
cleacutes que nous venons drsquoexposer reacuteactions qui eacutemergent agrave lrsquoanalyse font
reacutefeacuterence soit agrave une eacutevolution en termes drsquoadaptation et de rationalisation
de la mesure alors veacutecue comme une possibiliteacute de laquo rachat raquo soit agrave une
eacutevolution en termes de repli et de refus Et dans ce cas la mesure est veacutecue
comme une punition insupportable Une derniegravere strateacutegie consiste agrave se
rendre en quelque sorte impermeacuteable agrave ne pas donner prise aux interve-
nants en adoptant une attitude minimale de conformisme de surface ou
drsquoindiffeacuterence
Les discours tregraves contrasteacutes des quelques jeunes rencontreacutes dans le
cadre de lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de prestation eacuteducative alimentent
lrsquohypothegravese drsquoune strateacutegie de reacuteaction srsquoarticulant autour des rapports
que le jeune entretient avec le corps social en termes drsquointeacutegration ou
drsquoexclusion La mesure peut ainsi se preacutesenter comme une sanction per-
mettant de tourner la page une humiliation suppleacutementaire insuppor-
table ou une sanction ineacuteluctable moins coucircteuse qursquoun placement trois
formes de reacuteaction apparenteacutees selon nous agrave celles que manifestent les
jeunes placeacutes
7451 Une strateacutegie drsquoadaptation et de rationalisation
Si le placement deacutebute toujours par des premiegraveres semaines difficiles
certains jeunes srsquoadaptent progressivement agrave lrsquoenvironnement institution-
nel en laissant place agrave une volonteacute de tirer un certain profit de leur seacutejour
Ils tentent de positiver la mesure par lrsquoappropriation des objectifs du
placement judiciaire en termes de victoire sur eux-mecircmes (en se maicirctri-
sant suffisamment pour parvenir agrave se conformer au carcan institutionnel)
drsquoinvestissement dans lrsquooffre scolaire et dans les divers apprentissages
sociaux Le temps du placement permet alors drsquoalimenter certains objec-
tifs personnels du jeune il est veacutecu comme lrsquooffre drsquoune chance de srsquoen
sortir Ces jeunes sont demandeurs drsquoun encadrement drsquoun accompagne-
ment drsquoun soutien speacutecifique par rapport agrave leur probleacutematique et sont
donc tregraves exigeants agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadulte
Que peut-on retenir comme eacuteleacutements srsquoarticulant autour de ce type
de reacuteaction au placement en institution speacutecialiseacutee Il ne semble pas que
lrsquoacircge des mineurs le reacutegime fermeacute ou ouvert le type de deacutelinquance ou
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194 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
son veacutecu soient des facteurs de compreacutehension particuliers Lrsquoorigine
sociale et culturelle de ces mineurs qui rationalisent leur expeacuterience est
diversifieacutee belge europeacuteenne et africaine Une prise de conscience au
terme drsquoun parcours chaotique jalonneacute de nombreuses prises en charge
srsquoamorce pour permettre cette rationalisation Un deacuteclic semble se faire
comme srsquoils eacutetaient arriveacutes laquo au bout du bout raquo mais drsquoautres se trouvant
dans le mecircme type de situation vont reacuteagir tout agrave fait diffeacuteremmenthellip
Un premier eacuteleacutement est le fait de consideacuterer la deacutecision judiciaire
comme une deacutecision logique et juste mecircme srsquoils auraient preacutefeacutereacute une
autre deacutecision10
Il semblerait que le veacutecu relationnel avec lrsquoun des acteurs judiciaires
principaux soit un eacuteleacutement de compreacutehension de cette position de ratio-
nalisation Ainsi pour ces jeunes la rencontre avec leur juge de la jeunesse
ou avec un eacuteducateur ou un membre de lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale
de lrsquoinstitution se preacutesente comme une offre reacuteelle la personne est vue
par le jeune comme cherchant agrave le comprendre agrave lui donner une chance
agrave lui offrir quelque chose dans un contexte geacuteneacuteral ougrave preacutevaut lrsquoimpres-
sion de rejet et de meacutepris On retrouvera ici les figures de juge laquo protecteur
et paternaliste raquo drsquoeacuteducateur laquo avec qui on peut rigoler raquo et drsquointervenants
psychosociaux donnant prioriteacute agrave leur mission drsquoeacutecoute et de soutien11 Si
le reacutegime fermeacute ou ouvert nrsquoest pas en lui-mecircme un eacuteleacutement de compreacute-
hension particulier la faccedilon dont ce reacutegime srsquoorganise soit en privileacutegiant
lrsquoaspect eacuteducatif agrave travers le relationnel soit en donnant la prioriteacute au
respect des regravegles et agrave la discipline est un facteur drsquointelligibiliteacute de la
reacuteaction des jeunes
La situation familiale de ces jeunes est pour la plupart drsquoentre eux
profondeacutement insatisfaisante le placement en institution speacutecialiseacutee sera
parfois lrsquooccasion de renouer un lien avec la famille de tenter une der-
niegravere fois de retrouver une confiance agrave partir du travail de lrsquoinstitution
Cependant pour certains lrsquoinstitution sera le dernier refuge avant de se
retrouver seul dans la vie en socieacuteteacute sachant qursquoil sera impossible de
compter sur lrsquoenvironnement familial Lrsquoinstitution est alors la derniegravere
eacutetape avant lrsquoautonomie
On retrouve le mecircme type de strateacutegie associeacutee agrave une reacuteaction de
rationalisation chez des jeunes ayant accompli une prestation eacuteducative
lorsque celle-ci est veacutecue comme lrsquooccasion drsquoune expeacuterience positive nou-
velle qui permet agrave la fois de deacutecouvrir de nouveaux horizons de chasser
10 Voir plus haut
11 Voir plus haut laquo Le magistrat de la jeunesse raquo
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lrsquoennui et de restaurer une image de soi mise agrave mal par les faits de deacutelin-
quance Mecircme srsquoil srsquoagit bien drsquoune sanction imposeacutee par le cadre judi-
ciaire celle-ci se reacutevegravele une expeacuterience positive satisfaisante tant sur le
plan personnel que relationnel et social La satisfaction personnelle est
lieacutee au fait que le travail imposeacute est le plus souvent consideacutereacute comme
inteacuteressant voire agreacuteable Il permet drsquoapprofondir ou drsquoacqueacuterir une
expeacuterience qui pourra se reacuteveacuteler utile ulteacuterieurement il est lrsquooccasion de
deacutevelopper certains savoir-ecirctre Sur le plan relationnel le contact avec le
responsable de lrsquoexeacutecution de la prestation est valorisant de mecircme que
la rencontre avec les eacuteventuels beacuteneacuteficiaires de la prestation (patients
jeunes enfantshellip) Plus largement la valorisation sociale vient du senti-
ment drsquoutiliteacute aupregraves de la communauteacute ressenti par ces jeunes ainsi que
de la possibiliteacute drsquoexister autrement qursquoagrave travers lrsquoacte de deacutelinquance
Vaillant parle de reacuteparation symbolique de restauration du lien lorsque
lrsquoexpeacuterience de travail agrave partir de la mesure de prestation avec tout ce
qursquoelle comporte comme reacutealisations concregravetes deacutemarches rencontres
permet une reacuteelle confrontation ou rencontre entre le mineur deacutelinquant
et les autres laquo La reacuteparation se pose sur le mode de la reacuteconciliation
sociale le jeune et la socieacuteteacute doivent tous les deux faire un pas pour aller
lrsquoun vers lrsquoautre raquo (Vaillant 2000 p 71)
Jrsquoai appris quelque chose et moi jrsquoai fait ce qursquoon me demande de faire pourreacuteparerhellip Alors moi je savais deacutejagrave que crsquoeacutetait possible drsquoapprendre un meacutetierAu lieu drsquoaller dans un internat ou dans une prison pour un mois oudeux mois on nous demande de travailler comme ccedila pour la socieacuteteacute commeccedila en mecircme temps on fait quelque chose de bien on travaille bien Oui onse fait punir mais drsquoune autre faccedilon (Joseo 18 ans)
Lrsquoeffet de reconstruction de lrsquoimage du jeune et par lagrave drsquoune forme
de lien social est ici indeacuteniable Au-delagrave de lrsquoimage neacutegative qursquoun jeune
laquo deacutelinquant raquo pensait donner de lui le veacutecu de la prestation lui permet
de ne pas ecirctre reacuteduit agrave lrsquoacte commis de tourner la page et de conserver
la consideacuteration des autres
Ce type de strateacutegie est deacuteveloppeacute par des jeunes que nous avons
situeacutes du cocircteacute du pocircle inteacutegration la judiciarisation du passage agrave lrsquoacte
rompt un eacutequilibre dans les rapports que le jeune entretient avec son
entourage social scolaire et familial et la mesure permet de restaurer
une nouvelle forme drsquoeacutequilibre Le jeune srsquoapproprie les objectifs eacuteduca-
tifs des intervenants qursquoil rencontre tant dans la proceacutedure judiciaire que
sur le terrain drsquoexeacutecution de la prestation
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196 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
7452 Une strateacutegie de repli-refus
Agrave lrsquoinverse certains jeunes pratiquent une strateacutegie de repli par rapport
agrave leur placement lequel est veacutecu essentiellement comme une limite neacutega-
tive une sanction sans offre positive Ils adoptent une attitude activement
neacutegative La mesure est veacutecue essentiellement comme une punition une
forme drsquoemprisonnement mecircme srsquoil srsquoagit drsquoun placement en milieu eacutedu-
catif ouvert crsquoest le laquocalvaireraquo Ce type de jeunes nrsquoaccroche agrave rien deacuteveloppe
une influence neacutegative sur le groupe et un travail constructif est tregraves
difficile agrave mettre en œuvre Souvent drsquoailleurs ces jeunes finissent par
fuguer de lrsquoinstitution marquant ainsi clairement leur refus
Il semblerait que les jeunes qui pratiquent cette strateacutegie soient plus
jeunes que ceux qui rationalisent sans doute la maturiteacute ou lrsquoaccumula-
tion des mesures jouent-elles un rocircle agrave cet eacutegard Si les origines de ces
jeunes sont diversifieacutees ndash belge europeacuteenne ndash on retrouve ici des jeunes
drsquoorigine maghreacutebine refusant drsquoailleurs le plus souvent de srsquoexprimer sur
leur veacutecu sur leur famille sur leur deacutelinquance niant mecircme les faits12hellip
Agrave partir drsquoune perception de la sanction comme injuste en raison
du deacutelai de la proceacutedure du flou entourant la dureacutee de la deacutecision judi-
ciaire des diffeacuterences de traitement selon les arrondissements ou lrsquoacircge ou
plus largement drsquoun sentiment drsquoecirctre constamment floueacute et rejeteacute la
mesure de placement est veacutecue exclusivement en termes de laquo perte detemps raquo drsquoennui de temps srsquoeacutetirant agrave lrsquoinfini Lrsquoaccent est mis sur le cadre
laquo merdique raquo de lrsquoinstitutionhellip Les rapports aux acteurs judiciaires au juge
notamment se caracteacuterisent par lrsquoincompreacutehension mutuelle et le senti-
ment drsquoinjustice subie on retrouve ici les figures de juges laquo qui placent sansreacuteflexion raquo
Le parcours est chaotique mais aucune intervention aucune ren-
contre nrsquoa encore pu lui donner un sens Les eacuteducateurs sont perccedilus
comme laquo lasseacutes raquo ou se cantonnant dans lrsquoapplication du regraveglement les
intervenants psychosociaux leur semblent se contenter drsquoeacutecrire des rap-
ports Tout se passe pour ces jeunes comme si les eacuteveacutenements se deacuterou-
laient en dehors drsquoeux ils subissent avec colegravere ce qui leur arrive Ce sont
des jeunes qui parlent peu de leur environnement familial ou refusent
mecircme carreacutement drsquoen parler Les rapports au monde sont veacutecus en termes
drsquoinjustice la sanction est une iniquiteacute suppleacutementaire Ils se trouvent
12 Il conviendrait de poursuivre les recherches pour comprendre cette meacutefiance et cettereacuteticence agrave se confier
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dans un eacutetat profond drsquoinsatisfaction agrave lrsquoeacutegard des conditions de vie et de
la reacuteaction judiciaire qui peut faire craindre lrsquoinstallation dans un style de
vie deacuteviant (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 25)
On retrouve le mecircme type de strateacutegie chez des jeunes agrave qui le
magistrat impose une mesure de prestation eacuteducative et qui refusent car-
reacutement drsquoentreprendre toute action reacuteparatrice comme ils refuseraient
toute proposition venant de la socieacuteteacute Vaillant dit de ces mineurs qursquoils
se sentent des laquo victimes eacutetrangegraveres agrave toute responsabiliteacute [hellip] Ce nrsquoest
qursquoun juste retour des choses ils manquent de tout on leur doit tout on
ne peut rien leur demander raquo (Vaillant 2000 p 84)
On peut raisonnablement faire lrsquohypothegravese que ces jeunes nrsquoont
jamais connu une quelconque forme de lien social et ne vivent leur rap-
port agrave la socieacuteteacute que comme exclusion et injustice Crsquoest effectivement le
discours de certains jeunes qui ont refuseacute une mesure de prestation et se
sont donc retrouveacutes placeacutes en institution speacutecialiseacutee La prestation devient
ici une laquo proposition injurieuse raquo
Il [le juge] sait bien que ccedila marche pas avec moi Je vais pas commenceragrave me taper la gecircne dans mon quartier agrave faire des travaux geacuteneacuteraux Fautpas commencer non plus Ccedila va aller 250 heures de travaux geacuteneacuterauxou deux semaines agrave la prison je cherche pas agrave comprendre (Yves 16 ans)
7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence
Pour les jeunes qui emploient ce type de strateacutegie le placement est minimiseacute
le jeune srsquoinstalle dans une sorte drsquohibernation pour ne pas donner prise
aux intervenants il laquo attend que le temps passe raquo Cette attitude passive est le
plus souvent perccedilue neacutegativement par les eacutequipes eacuteducatives les jeunes
ne se laissant pas approcher ne permettant aucune opportuniteacute de ren-
contre nrsquoaccrochant pas aux propositions institutionnelles La mesure est
une punition agrave laquelle on se reacutesigne Sachant qursquoils nrsquoont pas vraiment
le choix et nrsquoayant pas envie de tomber plus bas ce type de jeunes se tient
tranquille Leur veacutecu est souvent proche de celui des jeunes qui deacuteve-
loppent une strateacutegie de refus leur caracteacuteristique principale est leur
impermeacuteabiliteacute mais ils sont moins vindicatifs que les jeunes en repli Ils
minimisent lrsquoimpact de la deacutecision judiciaire souvent en reacutefeacuterence agrave la
prison qui est plus deacutesagreacuteable encore Les relations aux acteurs judi-
ciaires ne paraissent pas tregraves porteuses les juges sont perccedilus comme ne
comprenant rien les relations aux eacutequipes eacuteducatives sont veacutecues comme
distantes Ce sont des jeunes qui se reacutefugient derriegravere les faits sans
investissement eacutemotionnel personnel
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198 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
On retrouve en fait la mecircme toile de fond entre la strateacutegie de refus
et drsquoindiffeacuterence il srsquoagit de deux modes de reacuteaction de retrait qui
rendent le travail eacuteducatif tregraves difficile voire impossible On ne peut pas
vraiment consideacuterer qursquoil srsquoagit de strateacutegies diffeacuterentes On serait plutocirct
en preacutesence de deux faccedilons de deacutecliner un rapport de distanciation par
rapport agrave lrsquointervention eacuteducative
Dans le mecircme type de rapport de distanciation on retrouve des
jeunes qui ont accepteacute et reacutealiseacute une mesure de prestation en arguant
principalement sur le caractegravere moins contraignant de la mesure par le
fait qursquoelle permet de conserver sa liberteacute (McIvor 1992 p 94) Il srsquoagit
drsquoune solution agrave moindre coucirct
Vaillant parle de ces mineurs pour qui la mesure de reacuteparation a
glisseacute sur eux sans les mouiller comme des laquo canards qui laissent couler
lrsquoeau sur leurs plumes et ne laissent rien deviner de leurs sentiments raquo
(Vaillant 2000 p 83) Ces jeunes se conforment agrave ce qursquoon leur impose
la prestation se passe bien lrsquoeacutevaluation est globalement positive mais ils
nrsquoinvestissent pas dans la dimension symbolique de la reacuteparation
Ainsi si la prestation est veacutecue uniquement comme une faccedilon drsquoeacutechap-
per agrave une punition plus seacutevegravere dans lrsquoennui et dans lrsquoattente que le temps
srsquoeacutecoule sans reacutealiser lrsquoutiliteacute du travail agrave effectuer sans rencontre inter-
personnelle elle correspond effectivement agrave une reacuteparation mais sans la
dimension de restauration drsquoun lien social Ce type de strateacutegie est deacuteve-
loppeacute par des jeunes que nous avons situeacutes du cocircteacute du pocircle marginalisation
La judiciarisation est alors une sorte de rateacute dans un parcours drsquointeacute-
gration parallegravele la mesure de prestation eacutetant consideacutereacutee comme un
moindre mal dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice elle est accepteacutee par
le jeune qui lrsquoinscrit dans son projet de sortir le plus vite possible du circuit
judiciaire
CONCLUSION
La judiciarisation drsquoune transgression et la deacutecision qui lrsquoaccompagne sont
un eacuteveacutenement marquant qui repreacutesentent le point de deacutepart drsquoune relec-
ture de lrsquoensemble de la trajectoire des mineurs rencontreacutes La date de la
deacutecision judiciaire est drsquoailleurs souvent le seul repegravere temporel La signi-
fication que le jeune va accorder agrave cette deacutecision sanction logique ou
injustice en drsquoautres termes sa perception de la deacutecision est extrecircmement
importante pour comprendre la strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure et ainsi
le sens que celle-ci va prendre dans le parcours du jeune Mais comme le
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dit Carra si laquo lrsquointervention judiciaire par son action stigmatisante contri-
bue agrave lrsquoamplification secondaire de la deacutelinquance cet effet nrsquoest ni absolu
ni ineacutevitable Elle peut dans un contexte speacutecifique contribuer agrave lrsquoarrecirct
des activiteacutes deacutelictuelles Le suivi judiciaire peut finir par ne plus ecirctre veacutecu
comme stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir
le support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire avec lequel ces mineurs
nrsquoont plus de liens positifs raquo (Carra 2001 p 164) crsquoest effectivement ce
que nous disent les mineurs qui deacuteveloppent une strateacutegie de rationalisation
La mesure de placement ou de prestation constitue alors une laquo veacuteritable
promesse de socialiteacute pour des jeunes priveacutes drsquoeacutechanges humains non
commerciaux livreacutes aux trafics magouilles deacutebrouilles et autres eacutecono-
mies de survie raquo (Vaillant 2000 p 67) agrave partir drsquoune rencontre drsquoacteurs
sociaux et judiciaires privileacutegiant lrsquoeacutecoute et le dialogue
La strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure judiciaire se preacutesente comme
une combinaison complexe de diffeacuterents eacuteleacutements de lrsquohistoire person-
nelle du jeune de sa position sociale de son parcours sociojudiciairehellip
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la perception de la mesure et par lagrave son impact
est en lien avec la faccedilon dont srsquoest construit le rapport du jeune agrave la
socieacuteteacute Ainsi un jeune eacutetablissant certaines affiliations qui a des points
drsquointeacutegration et drsquoaccrochage avec lrsquoensemble de la socieacuteteacute percevra la
sanction comme une reacuteaction justifieacutee agrave un acte reconnu comme une
transgression
Si moi je fais une connerie le juge nrsquoaccepte pas donc je dois ecirctre puni etcrsquoest ccedila la punition crsquoest juste (Kevin 17 ans)
Admettant la sanction le jeune pourra la vivre comme une reacuteconci-
liation avec la socieacuteteacute et une reconstruction de lrsquoimage de soi
Agrave lrsquoopposeacute le jeune qui occupe une position drsquoexclusion ou simple-
ment marginale qui nrsquoeacutetablit pas drsquoaffiliation avec les circuits socialement
reconnus vivra la sanction comme un signe suppleacutementaire de rapports
deacutejagrave ressentis comme eacutetant profondeacutement ineacutegalitaires La laquo deacutelinquance raquo
peut ecirctre veacutecue comme une source de revenu une base de statut social
dans un environnement parallegravele le jeune cherche alors comment eacuteviter
(strateacutegie de refus) ou annuler (strateacutegie drsquoindiffeacuterence) ce qursquoimplique
la mesure au lieu de tenter drsquointeacutegrer les valeurs que le juge et les inter-
venants lui proposent agrave travers celle-ci
La reacuteaction des jeunes agrave la mesure judiciaire nrsquoest cependant pas le
seul effet de lrsquointervention du systegraveme de justice des mineurs Celui-ci ne
fait souvent que renforcer certains aspects qui preacuteexistent agrave son action
action qui apparaicirct en fait preacutedeacutetermineacutee par la place de lrsquoindividu au
sein des rapports sociaux (Carra 2001 p 164) Lrsquointervention judiciaire
relative aux mineurs srsquoinscrit dans un processus complexe ougrave interviennent
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200 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
de multiples acteurs et agents de socialisation et au cours duquel laquo la place
que lrsquoindividu occupe dans les rapports sociaux le rendra plus ou moins
vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de vie agrave
lrsquoeacutecole au travail face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-
lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance
juveacutenile raquo (Carra 2001 p 166)
Il semble que la strateacutegie de rationalisation deacutegageacutee du discours de
certains jeunes ne serait accessible qursquoagrave ceux qui ont drsquoune maniegravere ou
drsquoune autre rencontreacute une possibiliteacute de sortir de la domination totale qui
ont eu lrsquooccasion de faire lrsquoexpeacuterience de la reconnaissance et de lrsquoeacutechange
Ainsi par exemple lrsquoimage du juge laquo protecteur et paternaliste raquo image
valoriseacutee par les jeunes qui cherchent agrave laquo profiter raquo de lrsquooffre judiciaire
est perccedilue par des jeunes qui possegravedent suffisamment de maicirctrise des
rouages du systegraveme pour se conformer minimalement aux exigences de
ce systegraveme en parvenant agrave srsquoattirer la bienveillance de ses acteurs13
Lrsquoacceptation de la neacutegociation drsquoun projet de sortie socialement acceptable
est lrsquoun des eacuteleacutements de cette strateacutegie de rationalisation
Tous ces jeunes laquo deacutelinquants raquo parlent drsquoune souffrance sociale ou
familiale leur comportement probleacutematique est finalement une forme de
reacuteponse agrave un besoin de reconnaissance agrave travers la possession de biens
mateacuteriels ou de consommation lrsquoexpression de leur rage ou de leur
malaisehellip Pour comprendre lrsquoarticulation des eacuteveacutenements de leurs trajec-
toires vers la sortie des pratiques deacuteviantes ou au contraire lrsquoinstallation
dans lrsquoescalade il faudrait approfondir la dialectique identiteacute personnelle
reacutegulations sociales dans la production de la deacuteviance (Carra 2001 p 161)
agrave partir de la perception qursquoont les jeunes eux-mecircmes de leur parcours et
des eacuteveacutenements qui le jalonnent Agrave travers notre analyse la perception
subjective des individus est apparue fondamentale dans la compreacutehension
des strateacutegies de reacuteaction aux interventions de reacutegulation sociale Cette
perception est neacuteanmoins le produit drsquoune combinaison drsquoeacuteleacutements qui
tiennent tant aux caracteacuteristiques personnelles du jeune et agrave son histoire
socioculturelle et individuelle qursquoagrave son laquo destin social raquo (De Gaulejac
1994) ougrave la confrontation aux acteurs sociaux et judiciaires et la recon-
naissance qursquoils permettent drsquoobtenir est lrsquoun des eacuteleacutements cleacutes de la
combinaison La quecircte de reconnaissance est au cœur de leur strateacutegie
drsquoadaptation agrave la judiciarisation Crsquoest par la mise en confiance dans une
relation entre le jeune et lrsquoadulte que le jeune va pouvoir se construire
13 Comme nous lrsquoavons deacuteja releveacute la perception du juge est eacutegalement conditionneacutee parle conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance que celui-ciparvient ou non agrave susciter
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ou se reconstruire deacutecouvrir une certaine estime de soi par lrsquoinvestisse-
ment dans une activiteacute valorisante qui lui permettra alors de deacutevelopper
une envie minimale de srsquoinscrire dans un projet de sortie reacuteellement per-
sonnel et investi laquo Lrsquoaccegraves agrave un rapport agrave soi reacuteussi deacutepend de la recon-
naissance intersubjective de ses capaciteacutes et de ses reacutealisations raquo (Honneth
traduit par Pourtois 1998 p 9) Lrsquoexpeacuterience de judiciarisation et ce
qursquoelle implique peut permettre cette reconnaissance intersubjectivehellip
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NC
LU
SI
ON
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cette conclusion aurait pu faire lrsquoeacuteloge de chacun des chapitres qui consti-
tuent ce collectif drsquoauteurs En adoptant une approche reacutesolument qualitative
tous contribuent en effet drsquoune maniegravere significative agrave lrsquoenrichissement
des connaissances concernant la reacutealiteacute complexe des
trajectoires de viedeacuteviantes
des adolescents Nous avons plutocirct choisi de mettre en relation
les eacuteleacutements de savoir qui se deacutegagent de lrsquoensemble des chapitres car il
est apparu qursquoau-delagrave des contributions singuliegraveres se deacutetachent des lignes
drsquointelligence qui transcendent lrsquoensemble des productions preacutesenteacutees par
les diffeacuterents auteurs Pris individuellement chaque regard poseacute sur un
aspect de la probleacutematique favorise une meilleure compreacutehension de
lrsquointeacuterieur de lrsquounivers de cette jeunesse qui se reacutealise de diverses faccedilons
Certaines sont mieux admises socialement et par conseacutequent jamais remises
en question alors que drsquoautres sont jugeacutees deacuteviantes et attirent lrsquoattention
des chercheurs comme du public en geacuteneacuteral
Agrave la lecture des contributions regroupeacutees dans ce collectif drsquoauteurs
qui tous adoptent une approche qualitative visant la compreacutehension des
trajectoires de vie deacuteviantes
il apparaicirct rapidement que bien qursquoelles
abordent des manifestations diffeacuterentes de la deacuteviance des jeunes bien
qursquoelles mettent lrsquoaccent sur des moments diffeacuterents de la trajectoire et
bien qursquoelles reposent sur des meacutethodologies diffeacuterentes ces contribu-
tions eacutetonnent par le fait qursquoon y retrouve des eacuteleacutements communs qursquoil
importe de souligner et drsquoautres compleacutementaires qursquoil importe de mettre
en relation
Mais avant drsquoentrer dans le vif du sujet qui nous conduira agrave appreacutecier
agrave sa juste valeur lrsquoapport drsquoune approche qualitative prenant diverses
formes agrave la compreacutehension des
trajectoires de vie deacuteviantes
des jeunes il faut
rappeler et insister sur le fait que mecircme si durant la peacuteriode de lrsquoadoles-
cence plusieurs jeunes srsquoadonnent agrave des comportements deacuteviants de
nature de graviteacute et drsquointensiteacute variables seule une minoriteacute drsquoentre eux
srsquoengagent vraiment dans une trajectoire deacuteviante En effet peu de jeunes
deviennent des toxicomanes ou des deacutelinquants laquo structureacutes raquo mecircme si
plusieurs font un certain usage de drogues ou commettent des deacutelits de
faccedilon occasionnelle Et encore tous les jeunes ne le feront pas Mais pour
ceux qui srsquoengagent dans une
trajectoire de vie deacuteviante
ceux auxquels les
auteurs qui participent au preacutesent collectif se sont inteacuteresseacutes certains
constats communs se deacutegagent dont nous ferons eacutetat ici
Drsquoabord tous les auteurs reconnaissent lrsquoimportance de srsquoadresser
directement aux jeunes pour faire la lumiegravere sur leur reacutealiteacute telle qursquoils
la perccediloivent telle qursquoils la vivent Il srsquoagit de comprendre les motivations
les aspirations les projets de ces jeunes consideacutereacutes comme des acteurs de
leur histoire selon lrsquoexpression de Michel Kokoreff Agrave cette fin il est
neacutecessaire drsquoappreacutehender les significations que les jeunes donnent aux
CONCLUSION
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copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
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eacuteveacutenements survenant dans leur vie aux sentiments qui srsquoy rattachent et
aux actions qui en deacutecoulent insistent Natacha Brunelle et ses collabora-
teurs Il srsquoagit en effet de reconnaicirctre que les jeunes ne sont pas que des
reacutecepteurs qui subissent passivement les eacuteveacutenements qui jalonnent leur
vie mais qursquoils contribuent dans la mesure des possibiliteacutes qui srsquooffrent agrave
eux agrave forger leur itineacuteraire Les jeunes usent de strateacutegies qursquoils sont les
seuls agrave pouvoir nous faire deacutecouvrir soutiennent tous les auteurs Il convient
donc de faire de la recherche
avec
et non
sur
les jeunes
Il faut toutefois reconnaicirctre comme le font drsquoun bel accord lrsquoensemble
des auteurs que la liberteacute drsquoaction dont jouissent les jeunes est condition-
neacutee par les structures sociales qui lrsquoencadrent Si lrsquoindividu est un acteur
dans le sens ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passive-
ment les effets eacutecrit Ceacutecile Carra il est cependant contraint par son
environnement Il est aussi jugeacute par son entourage et il arrive qursquoil fasse
sien ce jugement Ainsi signale Michel Kokoreff lrsquoindividu deacutesigneacute socia-
lement comme laquo toxicomane raquo se consideacuterera comme tel deacutefini comme
laquo multireacutecidiviste raquo agrave la suite de confrontations multiples avec les autoriteacutes
il ira jusqursquoagrave reprendre cette deacutesignation institutionnelle comme il a inteacute-
rioriseacute son identiteacute de laquo toxicomane raquo Tout se passe preacutecise Ceacutecile Carra
laquo comme si lrsquoidentiteacute prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stig-
matisant de celle-ci eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassu-
mer ces stigmates en les renforccedilant raquo Mais cet effet comme tout autre
effet nrsquoest pas automatique signale lrsquoauteure Il nrsquoy a qursquoagrave rappeler
lrsquoexemple apporteacute par Kokoreff de cet homme qui se preacutesente aux siens
comme un
dealer
pas comme un consommateur mais qui adopte la posi-
tion inverse lorsque mis agrave lrsquoarrecirct par les policiers il vise agrave voir sa sanction
peacutenale alleacutegeacutee
Cela eacutetant il apparaicirct que la compreacutehension de la trajectoire de vie
deacuteviante des jeunes doit passer par lrsquoappreacutehension des interactions qui
contribuent agrave la faccedilonner Selon Michel Kokoreff il faut resituer les eacuteveacute-
nements et les actions dans des parcours et des contextes sociaux ougrave
jouent les relations aussi bien avec les familles et les groupes de pairs
qursquoavec les institutions reacutepressives sanitaires sociales ou scolaires
Crsquoest aussi dans cette perspective que Ceacutecile Carra souligne lrsquoimpor-
tance de consideacuterer lrsquoexpeacuterience subjective de lrsquoindividu comme la reacutesultante
drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions prenant la forme de
neacutegociations ou de meacutediations qui constituent des lieux de tension entre
individus et groupes sociaux placeacutes dans des relations ineacutegalitaires et
conflictuelles Lrsquoauteure tout comme Michel Kokoreff Ceacuteline Bellot et
Maryse Esterle-Hedibel nous ramegravene ainsi agrave la perspective interaction-
niste envisageacutee il y a deacutejagrave plus de quarante ans par Becker les auteurs
tenant compte des avanceacutees theacuteoriques reacutealiseacutees agrave sa suite
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Dans la mecircme ligne de penseacutee chacun des auteurs signale lrsquoimpor-
tance de prendre en compte tout autant les logiques des acteurs que le
rocircle des institutions des familles de lrsquoenvironnement et des groupes de
pairs dans lrsquoanalyse des processus en œuvre dans la constitution de trajec-
toires de vie deacuteviantes Surgit ici la notion de processus qui rapidement
eacutevoqueacutee pourrait laisser penser agrave une forme drsquoengrenage induisant une
certaine lineacuteariteacute ou du moins agrave une certaine seacutequence dans les parcours
des jeunes Ces parcours les conduiraient drsquoune eacutetape agrave lrsquoautre jusqursquoagrave
ce qursquoils srsquoinstallent deacutefinitivement dans un parcours de vie deacutevianthellip ou
qursquoils en sortent Mais lrsquoideacutee forte qui se deacutegage de lrsquoensemble des textes
est celle de la non-lineacuteariteacute des parcours lesquels se dessinent plutocirct
comme une suite de meacuteandres drsquoallers-retours de peacuteriodes drsquointensifica-
tion et de diminution drsquoescalade et de deacutegringolade drsquoabstinence et de
rechutes reacuteversibles Srsquoimposent alors la complexiteacute des parcours et la
difficulteacute de les suivre et de les preacutevoir puisque comme le signale fort
justement Ceacuteline Bellot ceux-ci srsquoinscrivent toujours dans laquo un univers de
possibles qui se construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les
eacuteveacutenements srsquoenchacircssent et que les rencontres avec les autres se reacutealisent
ou non que les rapports sociaux structurent ou non la dialectique deacuteviance
conformiteacute raquo Prendre une photo de la vie du jeune agrave un moment donneacute
de sa vie ou mecircme une seacuterie de photos agrave diffeacuterents moments de sa vie
ne peut que cacher la sinuositeacute de son itineacuteraire et masquer la complexiteacute
qui se trouve derriegravere la construction des trajectoires de vie qui apparaissent
loin drsquoecirctre traceacutees deacutetermineacutees drsquoavance Les motivations peuvent chan-
ger en cours de route En teacutemoigne le passage drsquoune consommation pour
le plaisir agrave une consommation pour lrsquooubli souligneacute par Natacha Brunelle
et ses collegravegues Les perceptions aussi peuvent changer comme crsquoest le
cas lorsque la laquo lune de miel raquo deacutecrite par Marie-Marthe Cousineau et ses
collaboratrices qui marque lrsquoentreacutee dans les gangs pour plusieurs jeunes
garccedilons et filles prend fin et que la peur srsquoinstalle Les situations srsquointer-
influencent neacutecessairement Crsquoest ainsi que les relations familiales repreacute-
sentent agrave la fois laquo le baromegravetre du comportement et la reacutesultante de ce
comportement raquo note Isabelle Delens-Ravier Rejeteacute par les siens le jeune
srsquoenfoncera dans des comportements deacuterangeants qursquoil preacutesente lui-mecircme
comme une forme drsquoappel mais qui entretiennent le rejet Crsquoest eacutegale-
ment ainsi qursquoune bande de jeunes parvient agrave se positionner dans lrsquoespace
local en obligeant les acteurs environnants agrave tenir compte de sa preacutesence
mais que du mecircme coup ce positionnement participe directement non
seulement agrave la marginalisation de ses membres mais aussi agrave leur stigma-
tisation contribuant agrave leur prise en charge par les autoriteacutes chargeacutees de
faire reacutegner lrsquoordre soutient Ceacutecile Carra
CONCLUSION
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De fait chaque situation est singuliegravere souligne Maryse Esterle-Hedibel
mais on trouve des points communs entre les unes et les autres Lrsquoanalyse
des donneacutees qualitatives fournies par chaque reacutecit de jeune ou par lrsquoobser-
vation de situations au cœur desquelles les jeunes se trouvent mecircleacutes per-
met de deacutefinir des laquo profils de situation raquo La compreacutehension de ces profils
fait apparaicirctre des reacutecurrences qui dessinent des logiques drsquoaction compa-
rables alors que leur confrontation contribue agrave mettre au jour des confi-
gurations particuliegraveres dans lesquelles ces logiques agissent observe Ceacutecile
Carra Agrave cet eacutegard on se rappellera les trajectoires de rue identifieacutees par
Ceacuteline Bellot qui met en lumiegravere la rue comme eacutepisode initiatique dans
la vie du jeune la rue comme tremplin vers le monde conventionnel ou
criminel et la rue deacuterive Qursquoon pense aussi aux trajectoires continues et
discontinues de consommation de drogues et drsquoengagement dans la deacutelin-
quance qursquoeacutevoquent Natacha Brunelle et ses collegravegues pour en avoir fait
une description plus fine ailleurs
Il ne faut donc pas nier ou occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des situations
qui megravenent agrave lrsquoadoption drsquoune
trajectoire de vie deacuteviante
non plus que la
diversiteacute des trajectoires deacuteviantes qui ne saurait drsquoaucune faccedilon se reacutesu-
mer agrave lrsquoadoption drsquoune ligne de conduite toute traceacutee Les eacutetudes montrent
en effet que la trajectoire naicirct drsquointeractions complexes entre lrsquoindividu
son environnement et le contexte qui offre plus ou moins drsquooccasions
licites ou deacuteviantes Par ailleurs srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la
trajectoire il faut retenir quelles sont les expeacuteriences qui contribuent au
renforcement ou au contraire agrave lrsquoeffritement ou agrave la cassure
drsquoune trajec-toire de vie deacuteviante
Il srsquoagit en somme comme le reacutesume fort bien Ceacuteline
Bellot laquo de saisir la mise en mots du parcours biographique [dans le reacutecit
qursquoen fait le jeune lui-mecircme] mise en mots qui donne accegraves agrave la logique
des neacutegociations identitaires de lrsquoindividu raquo et aux expeacuteriences qui mar-
quent la vie du jeune Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindi-
vidu aux rencontres que celui-ci fait ou non ndash et aux expeacuteriences qursquoil vit
ou non ndash en tenant compte des significations et des sentiments qui srsquoy
rattachent pour mettre en lumiegravere les tenants et les aboutissants qui
srsquoentremecirclent dans la constitution de la
trajectoire de vie deacuteviante
Au regard de ces connaissances qursquoaura permis drsquoacqueacuterir une
approche qualitative diversifieacutee dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie
deacuteviantes des jeunes se dessinent des lignes drsquoaction pour lrsquointervention
Puisque le jeune est lrsquoacteur principal de sa trajectoire il faut le laisser tracer
le portrait de cette trajectoire en insistant pour qursquoil fasse eacutetat du sens qursquoil
donne et des sentiments qursquoil associe aux eacuteveacutenements qursquoil vit Il faut du
mecircme coup tenter de faire la lumiegravere sur les interactions agrave lrsquoœuvre agrave
chaque occasion Reconnaissant le rocircle des interactions dans la constitu-
tion des trajectoires deacuteviantes des jeunes ainsi que celui des structures
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sociales il apparaicirct incontournable drsquoadopter une approche drsquointervention
systeacutemique qui non seulement srsquoadresse agrave lrsquoindividu mais tient eacutegalement
compte de lrsquoenvironnement dans lequel celui-ci eacutevolue et sur lequel il agit
Une telle approche exige des diffeacuterents intervenants qursquoils travaillent de
maniegravere concerteacutee
Agrave la suite de Ceacuteline Bellot nous soutenons qursquoune approche quali-
tative dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie des jeunes se reacutevegravele un outil
majeur tant en intervention qursquoen recherche Le recours agrave un tel outil
vient soutenir le regard porteacute sur la complexiteacute des situations sur la
nature de lrsquoexpeacuterience biographique de mecircme que sur les capaciteacutes de
structuration qursquoengendrent les interventions notamment reacutepressives en
renforccedilant les meacutecanismes de stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent
les jeunes Il peut tout aussi bien permettre de mieux cerner les sorties
de la deacuteviance et les aleacuteas que celles-ci comportent
Enfin srsquoil est important pour les intervenants drsquoagir de concert il
en va de mecircme des chercheurs qui devraient collaborer en vue de parve-
nir agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun savoir multidisciplinaire articuleacute autour du jeune
lui-mecircme au cœur des preacuteoccupations et des devis de recherche Ce livre
aura donc montreacute au-delagrave des singulariteacutes propres agrave chaque cas que
chaque cheminement deacutevoile diverses geacuteneacuteraliteacutes sur lesquelles on devrait
tabler afin drsquoen tirer un savoir inteacutegreacute au service des jeunes
PO
ST
FA
CE
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C
ANDIDO
DA
A
GRA
Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de PortoDirecteur de lrsquoEacutecole de Criminologie
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si on me demandait
a posteriori
de titrer ce livre jrsquoutiliserais un eacutenonceacute
constitueacute par trois mots
vie
temps
et
reacutecit
Crsquoest cela qui caracteacuterise il
me semble cet excellent ouvrage sur la deacuteviance juveacutenile En lisant ce
livre je suis presque obseacutedeacute par la mecircme question mais quel est lrsquoesprit
(scientifique bien entendu) qui traverse lrsquoensemble des textes Y a-t-il des
structures de penseacutee communes parmi les diffeacuterences dans les objets les
concepts les points de vue les meacutethodes les scheacutemas Y a-t-il un cadre
de reacutefeacuterence assez large et coheacuterent dont le pouvoir et la valeur eacutepisteacute-
miques puissent rendre compte du laquo mecircme raquo agrave lrsquointeacuterieur de la diffeacuterence
Si la reacuteponse est oui quelle est la nature du
mecircme
persistant souterrain
occulteacute sous la surface des discours Quel est le dessous des notions des
concepts des points de vue des meacutethodes
Un ouvrage mecircme srsquoil est collectif deacutefinit son objet son cadre theacuteo-
rique et sa meacutethode en toute coheacuterence avec une viseacutee Celle de ce livre
est de contribuer agrave lrsquoeacuteclaircissement drsquoun problegraveme social la deacuteviance
juveacutenile en vue drsquoune intervention qui tienne compte de la connaissance
Mais nrsquoa-t-on pas assez de connaissance sur cet objet eacutetudieacute depuis bientocirct
un siegravecle Non Tout drsquoabord le pheacutenomegravene a subi des transformations
et ses nouvelles manifestations sont loin drsquoecirctre deacutecrites expliqueacutees et
comprises Puis les approches traditionnelles de par leur simpliciteacute reacuteduc-
tionniste ne rendent pas compte de la complexiteacute des nouvelles manifes-
tations du pheacutenomegravene Ces approches le traitent du dehors Dans cet
ouvrage le point laquo drsquoattaque raquo crsquoest plutocirct lrsquoenvers du pheacutenomegravene Con-
naicirctre le dedans de la deacuteviance juveacutenile voilagrave son propos Pour le faire
les auteurs srsquoadressent agrave la
vie
des jeunes au
temps
qui caracteacuterise son
deacuteroulement agrave travers le langage narratif le
reacutecit
LA VIE
Lrsquoobjet de cet ouvrage crsquoest la vie des jeunes La vie dans son deacutebat avec
le soi avec les autres avec la famille lrsquoeacutecole le quartier la ville La vie
dans ses rapports avec la consommation le plaisir la souffrance et lrsquoargent
La vie dont le temps est celui des meacutetamorphoses physiologiques psycho-
logiques et sociales La vie dont lrsquoespace srsquoeacutetend entre lrsquoouverture des rues
et la fermeture des prisons
On a eu beau tenter drsquoexpliquer le comportement des jeunes pour
intervenir aupregraves drsquoeux chercher des laquo causes raquo aupregraves des systegravemes exteacute-
rieurs (lrsquoheacutereacutediteacute les valeurs la socieacuteteacute) se deacuteplacer de la surface du
comportement vers ses structures profondes (le systegraveme nerveux la per-
sonnaliteacute le caractegravere) demander des comptes aux processus de deacutevelop-
pement (classe drsquoacircge geacuteneacuteration troubles de deacuteveloppement) pourtant
POSTFACE
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malgreacute les acquis non neacutegligeables de ces approches la
vie
des jeunes
nrsquoeacutetait pas eacutetudieacutee La vie au sens propre systegraveme constitueacute par un ensemble
drsquoeacuteleacutements vivants articuleacutes entre eux selon une logique preacutesentant deux
milieux en interaction le milieu interne et le milieu externe les
systegravemesde vie
voilagrave le vrai objet drsquoeacutetude
LE TEMPS
La jeunesse est par excellence un systegraveme agrave eacutetats qui se deacuteploient dans
le temps Les notions de laquo trajectoire raquo laquo carriegravere raquo laquo cheminement raquo tra-
duisent cette volonteacute drsquoimpliquer la temporaliteacute dans la compreacutehension
de la deacuteviance juveacutenile Lrsquoapproche deacuteveloppementale le fait depuis long-
temps dira-t-on Crsquoest vrai du point de vue du
temps codifieacute
(le temps
chronologique du monde externe) Ce nrsquoest pas vrai lorsqursquoon se deacuteplace
vers ce qursquoon pourrait appeler une hermeacuteneutique du
temps veacutecu
Le temps
du monde veacutecu amegravene du sens le sens eacutemergeant de faccedilon continue agrave
lrsquointeacuterieur drsquoune configuration existentielle dont la profonde singulariteacute
consiste dans le fait de se sentir exister et drsquoexprimer ce sentiment De ce
point de vue le
processus
du systegraveme agrave eacutetats est loin de coiumlncider avec la
logique des processus deacuteterministes par exemple des systegravemes agrave eacutetats
physiques ou biologiques Le simple transfert des sciences de la nature
parfois agrave la mode dans les sciences sociales et du comportement consti-
tuerait un tregraves grave obstacle eacutepisteacutemologique agrave ces domaines du savoir
La recherche actuelle ne peut pas ne doit pas se passer de lrsquoanalyse
des processus Je dirais que les regravegles de
lrsquoeacutepisteacutemologie
contemporaine y
obligent Mais en ce qui concerne le laquo drame raquo (au sens de lrsquoaction) en
tant que vrai objet des sciences du comportement humain comme le
voulait Politzer ou le laquo tragique de lrsquoaction raquo selon la belle formule de
P Ricœur tout processus est marqueacute par le jeu dialectique entre le milieu
interne et le milieu externe la contingence et la neacutecessiteacute la conservation
et lrsquoinnovation lrsquoacteur et le systegraveme la normativiteacute et la deacuteviance le
subjectif et lrsquoobjectif Jrsquoemprunterais le concept drsquolaquo accident controcircleacute raquo ou
de laquo hasard controcircleacute raquo utiliseacute par certains critiques de lrsquoart pour caracteacute-
riser lrsquoeacutetat le plus eacutevolueacute drsquoun artiste donneacute pour deacutefinir le concept de
processus propre agrave la recherche dans le domaine de la deacuteviance Peu
importe les mots ou les notions trajectoire carriegraverehellip les discussions lagrave-
dessus sont inutiles Ce qursquoil nous faut srsquoagissant drsquoanalyse des processus
et de la temporaliteacute crsquoest une
accidentologie de lrsquoexistence
et des systegravemes
de vie En fait exister crsquoest la tacircche la plus complexe agrave exeacutecuter que nous
ayons reccedilue le jour de notre naissance Toutes les autres sont secondaires
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
et beaucoup plus simples Elles devraient ecirctre au service de la tacircche prin-
cipale et fondatrice Assurer lrsquoeacutequifinaliteacute des multiples segments drsquoexis-
tence est le seul destin reccedilu auquel il faut donner un nouveau destin agrave
travers la deacutefinition drsquoune position de signification existentielle Mais com-
ment y parvenir sinon par le truchement de
lrsquoart drsquoexister
appris dans
lrsquointercommunicabiliteacute de lrsquoexpeacuterience constitueacutee par le savoir le savoir-
faire le pouvoir (le politique) et la subjectiviteacute (eacutethique)
LE REacuteCIT
La vie ne srsquoeacutetudie plus dans les laboratoires dit F Jacob Si cela est vrai
deacutejagrave au niveau biologique que faut-il penser sur la meacutethode de recherche
quand on parle du comportement du langage des eacutemotions de la cognition
et de la signification humaine Si lrsquohumaniteacute de lrsquohomme (jrsquoemprunte le
concept drsquoHeidegger) la vie humaine en tant que monde veacutecu nrsquoest pas
abordable en dehors du temps elle ne lrsquoest pas non plus en dehors du
langage et du sens Le temps humain est toujours un temps doubleacute plieacute
deacuteplieacute deacutecoupeacute et cousu par le reacutecit Le reacutecit est un systegraveme langagier
dont la structure la fonction et la finaliteacute sont la capture des deacuteplacements
de sens opeacutereacutee par lrsquoexistant dans lrsquoexercice de sa tacircche drsquoexister dans la
flegraveche du temps
La vie humaine telle qursquoelle se manifeste dans son
essence probleacute-matique
et dont la normativiteacute et la deacuteviance sont les analyseurs demande
drsquoecirctre eacutetudieacutee par un mode de connaissance speacutecifique qui est obligeacute de
plonger lrsquoobjet dans le laquo temps raconteacute raquo Le travail de lrsquoeacutevidenciation de
cet objet risque alors de tomber dans les piegraveges du sentiment et des laquo
apriori
raquo psychologistes et socio-ideacuteologiques Or il faut concevoir lrsquoeacutevidence
de lrsquoobjet comme laquo preacutesence-en-personne raquo le fondement et la connais-
sance de lrsquoessence des origines selon la pheacutenomeacutenologie de Husserl Ce
qui est ici la cause ce nrsquoest pas lrsquoexistence de lrsquoexistant mais
lrsquoessence delrsquoexistant
lrsquoapparaicirctre
de lrsquohomme agrave lui-mecircme Ceci eacutetant la meacutethode doit
srsquoeacutecarter de la laquo reacuteduction transcendantale raquo de la mise entre parenthegravese
de lrsquoobjet
Lrsquoessence
historique de l
rsquo
existant-Homme bloque le chemin
(meacutethode) de la connaissance de l
rsquo
essence geacuteneacuterique de la vie La vie qui
se deacuteroule dans les rapports individu-socieacuteteacute fait-norme nature-culture
constitue une laquo preacutesence-en-personne raquo typique Elle demande un autre
chemin le reacutecit
laquo Reacutecit de vie raquo laquo Histoire de vie raquo laquo Biographie raquo Voici la bonne
meacutethode Pourquoi Parce que la vie des hommes est reacutecit elle-mecircme est
histoire elle-mecircme est eacutecriture elle-mecircme
NO
TIC
ES B
IOG
RA
PHIQ
UES
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Ceacuteline Bellot
PhD en criminologie est professeure adjointe
agrave lrsquoEacutecole de service social de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal depuis
2003 Elle est eacutegalement chercheure au Collectif de recherche
sur lrsquoitineacuterance (CRI) et au Centre international de crimi-
nologie compareacutee (CICC) Ses inteacuterecircts de recherche portent
sur les jeunes en situation de rue (leurs trajectoires et leurs
expeacuteriences) sur les enjeux de la judiciarisation des pro-
blegravemes sociaux notamment de lrsquoitineacuterance et sur les pro-
cessus drsquoinsertion sociale et professionnelle des jeunes en
difficulteacute agrave partir de leurs trajectoires ou de lrsquoeacutevaluation
drsquointerventions dans ce champ
Serge Brochu
PhD en psychologie est professeur titu-
laire agrave lrsquoEacutecole de criminologie et chercheur au Centre
international de criminologie compareacutee (CICC) de lrsquoUniver-
siteacute de Montreacuteal Il est eacutegalement codirecteur du Groupe de
recherche et drsquointervention sur les substances psychoactives-
Queacutebec (RISQ) et du Collectif drsquointervention et de recherche
sur les aspects sociosanitaires de la toxicomanie (CIRASST)
Ses inteacuterecircts de recherche portent sur les relations drogues-
crimes et lrsquoimpact des interventions aupregraves des toxico-
manes judiciariseacutes
Natacha Brunelle
PhD en criminologie est professeure
agreacutegeacutee au Deacutepartement de psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute
du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres (UQTR) depuis deacutecembre
1998 Elle est chercheure au Groupe de recherche et drsquointer-
vention sur les substances psychoactives-Queacutebec (RISQ)
copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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214
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
au Collectif drsquointervention et de recherche sur les aspects socio-sanitaires
de la toxicomanie (CIRASST) au Centre international de criminologie
compareacutee (CICC) et au Groupe de recherche et drsquointervention sur lrsquoadap-
tation psychosociale et scolaire (GRIAPS) Elle dirige le Regroupement
CICC-UQTR Ses travaux de recherche portent principalement sur les
trajectoires drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence et sur
les liens drogue-crime
Ceacutecile Carra
PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences agrave lrsquoInstitut
universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-Calais et
chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les institutions
peacutenales (CESDIPCNRS) Elle travaille sur les questions de deacutelinquance
juveacutenile dans les quartiers populaires Elle eacutetudie les processus de cons-
truction et de deacuteconstruction de la deacutelinquance et le rocircle des acteurs
concerneacutes dans ces processus en particulier les professionnels du travail
social et de la justice Ses recherches srsquoorientent depuis quelques anneacutees
sur la violence agrave lrsquoeacutecole les pratiques professionnelles des enseignants et
le fonctionnement des eacutetablissements scolaires
Marie-Marthe Cousineau
PhD en sociologie est professeure agreacutegeacutee agrave
lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal et chercheure associeacutee
au Centre international de criminologie compareacutee (CICC) agrave lrsquoInstitut de
recherche pour le deacuteveloppement social des jeunes (IRDS) et au Centre
de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite
aux femmes (CRI-VIFF) Ses inteacuterecircts de recherche portent pour une part
sur diffeacuterentes formes de marginaliteacute et de marginalisation veacutecus par
les jeunes (gangs de rue prostitution deacutelinquance toxicomanie) et sur les
faccedilons drsquoy reacuteagir et pour une autre part sur les violences touchant les
femmes et les reacuteponses sociales agrave ces violences
Isabelle Delens-Ravier
PhD en criminologie est
sociologue et titulaire
drsquoun doctorat en criminologie Elle est actuellement chargeacutee de cours
inviteacutee et chargeacutee de recherche au Deacutepartement de criminologie et de
droit peacutenal de lrsquoUniversiteacute catholique de louvain dans le cadre drsquoun Pocircle
drsquoattraction interuniversitaire sur les droits de lrsquoenfant en collaboration
avec trois universiteacutes neacuteerlandophones Ses recherches et ses publications
portent principalement sur lrsquoaide et la protection de la jeunesse sur les
probleacutematiques lieacutees agrave la deacutelinquance juveacutenile et agrave la suppleacuteance familiale
notamment en milieu carceacuteral Elle srsquointeacuteresse particuliegraverement agrave lrsquoexpeacute-
rience veacutecue des laquo acteurs raquo familles jeunes et intervenants professionnels
dans leur rencontre avec les institutions sociales judiciaires et peacutenitentiaires
Maryse Esterle-Hedibel
PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences
agrave lrsquoInstitut universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-
Calais et chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les
NOTICES BIOGRAPHIQUES
215
copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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institutions peacutenales (CESDIPCNRS) Ses travaux ont porteacute sur les bandes
de jeunes les processus deacutelinquants et les prises de risque Ses derniegraveres
recherches concernent les processus de deacutescolarisation (arrecircts de scolariteacute
avant 16 ans) et les expeacuteriences de remeacutediation peacutedagogique et eacuteducative
Elle srsquointeacuteresse eacutegalement aux relations eacutecole-police-justice
Michegravele Fournier
MSc en criminologie est candidate au doctorat agrave
lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal Elle a reacutealiseacute un
meacutemoire de maicirctrise portant sur lrsquoexpeacuterience et le cheminement des
jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue de la reacutegion meacutetropolitaine de
Montreacuteal Ses recherches portent essentiellement sur la marginaliteacute la
deacuteviance et utilisent une meacutethodologie qualitative
Michel Kokoreff
PhD en sociologie a obtenu son doctorat de sociologie
agrave lrsquoUniversiteacute Paris VII Jussieu apregraves voir suivi un double cursus de socio-
logie et de philosophie agrave lrsquoUniversiteacute Paris X ndash Nanterre Maicirctre de confeacute-
rences pendant dix ans agrave lrsquoUniversiteacute de Lille I il a obtenu sa mutation agrave
lrsquoUniversiteacute Paris V en 2004 Il est membre du CESAMES (CNRS-INSERM-
Paris V) Ses travaux de recherches ont porteacute sur lrsquoinscription urbaine des
sociabiliteacutes juveacuteniles les carriegraveres deacuteviantes dans le monde des quartiers
populaires et le traitement peacutenal des usages et trafics de drogues les
politiques publiques en matiegravere de seacutecuriteacute et de preacutevention
Sylvie Hamel
PhD en psychologie est professeure au Deacutepartement de
psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres Elle est eacutega-
lement chercheure reacuteguliegravere agrave lrsquoInstitut de recherche pour le deacuteveloppement
social des jeunes (IRDS) et chercheure associeacutee au Centre international
de criminologie compareacutee (CICC) Ses champs drsquointeacuterecirct touchent les ado-
lescents notamment membres de gang les processus drsquoaffiliation de
deacutesaffiliation drsquoexclusion de marginalisation les trajectoires et les deacuteter-
minants psychosociaux srsquoattachant agrave la violence et agrave la deacutelinquance de
mecircme qursquoagrave lrsquointervention pouvant srsquoy adresser lrsquointervention familiale et
communautaire
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Revenu minimum garantiLionel-Henri Groulx2005 ISBN 2-7605-1365-3 380 pages
Amour violence et adolescenceMylegravene Fernet2005 ISBN 2-7605-1347-5 268 pages
Reacuteclusion et InternetJean-Franccedilois Pelletier2005 ISBN 2-7605-1259-2 172 pages
Au-delagrave du systegraveme peacutenalLrsquointeacutegration sociale et professionnelle des groupes judiciariseacutes et marginaliseacutesSous la direction de Jean Poupart2004 ISBN 2-7605-1307-6 294 pages
Lrsquoimaginaire urbain et les jeunesLa ville comme espace drsquoexpeacuteriences identitaires et creacuteatricesSous la direction de Pierre-W Boudreault et Michel Parazelli2004 ISBN 2-7605-1293-2 388 pages
Parents drsquoailleurs enfants drsquoiciDynamique drsquoadaptation du rocircle parental chez les immigrantsLouise Beacuterubeacute2004 ISBN 2-7605-1263-0 276 pages
Citoyenneteacute et pauvreteacutePolitiques pratiques et strateacutegies drsquoinsertion en emploi et de luttecontre la pauvreteacutePierre Joseph Ulysse et Freacutedeacuteric Lesemann 2004 ISBN 2-7605-1261-4 330 pages
Eacutethique travail social et action communautaireHenri Lamoureux2003 ISBN 2-7605-1245-2 266 pages
Travailler dans le communautaireJean-Pierre Deslauriers avec la collaboration de Renaud Paquet2003 ISBN 2-7605-1230-4 158 pages
Sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer
Violence parentale et violence conjugaleDes reacutealiteacutes plurielles multidimensionnelles et interrelieacuteesClaire Chamberland2003 ISBN 2-7605-1216-9 410 pages
Le virage ambulatoire deacutefi s et enjeuxSous la direction de Guilhegraveme Peacuterodeau et Denyse Cocircteacute2002 ISBN 2-7605-1195-2 216 pages
Priver ou privatiser la vieillesse Entre le domicile agrave tout prix et le placement agrave aucun prixMichegravele Charpentier2002 ISBN 2-7605-1171-5 226 pages
Huit cleacutes pour la preacutevention du suicide chez les jeunesMarlegravene Falardeau2002 ISBN 2-7605-1177-4 202 pages
La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002 ISBN 2-7605-1158-8 378 pages
Le jardin drsquoombres La poeacutetique et la politique de la reacuteeacuteducation socialeMichel Desjardins2002 ISBN 2-7605-1157-X 260 pages
Problegravemes sociaux bull Tome 1 ndash Theacuteories et meacutethodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1126-X 622 pages
Problegravemes sociaux bull Tome 2 ndash Eacutetudes de cas et interventions socialesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1127-8 700 pages
- TRAJECTOIRE DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
- Preacuteface
- Table des matiegraveres
- Introduction
- Chapitre 1_Trajectoires deacuteviantes de garccedilons et de filles
- Chapitre 2_Toxicomanie et trafics de drogues
- Chapitre 3_La diversiteacute des trajectoires de rue des jeunes agrave Montreacuteal
- Chapitre 4_Les gangs du point de vue des jeunes
- Chapitre 5_Arrecircts de scolariteacute et deacutelinquance
- Chapitre 6_Le deacutelinquant comme produit de la dialectique identiteacute personnelle reacutegulations sociales
- Chapitre 7_Du tribunal de la jeunesse au placement en institution speacutecialiseacutee
- Conclusion
- Postface
- Notices biographiques
-
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PRESSES DE LrsquoUNIVERSITEacute DU QUEacuteBECLe Delta I 2875 boulevard Laurier bureau 450Sainte-Foy (Queacutebec) G1V 2M2Teacuteleacutephone (418) 657-4399 bull Teacuteleacutecopieur (418) 657-2096Courriel puqpuqca bull Internet wwwpuqca
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FRANCEDistribution du Nouveau Monde30 rue Gay-Lussac 75005 Paris FranceTeacuteleacutephone 33 1 43 54 49 02Teacuteleacutecopieur 33 1 43 54 39 15
SUISSEServidis SA5 rue des Chaudronniers CH-1211 Genegraveve 3 SuisseTeacuteleacutephone 022 960 95 25Teacuteleacutecopieur 022 776 35 27
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2005
Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec
Le Delta I 2875 boul Laurier bur 450Sainte-Foy (Queacutebec) Canada G1V 2M2
Preacuteface de CLAUDE FAUGERON
Postface de CANDIDO DA AGRA
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Mise en pages Infoscan Collette Queacutebec
Couverture ndash Conception Richard Hodgson Illustration Jean-Michel Girard
Catalogage avant publication de Bibliothegraveque et Archives Canada
Vedette principale au titre
Trajectoires de deacuteviance juveacutenile les eacuteclairages de la recherche qualitative
(Collection Problegravemes sociaux amp interventions sociales 18) Comprend des reacutef bibliogr
ISBN 2-7605-1372-6
1 Deacutelinquance juveacutenile 2 Deacuteviance 3 Jeunes deacutelinquants 4 Jeunesse ndash Usage des drogues 5 Jeunes de la rue 6 Deacutelinquance juveacutenile ndash Cas Eacutetudes de I Brunelle Natacha 1971- II Cousineau Marie-Marthe III Collection
HV9071T72 2005 36436 C2005-940919-3
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2005 9 8 7 6 5 4 3 2 1
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes copy 2005 Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec
Deacutepocirct leacutegal ndash 3e trimestre 2005Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du CanadaImprimeacute au Canada
Nous reconnaissons lrsquoaide fi nanciegravere du gouvernement du Canada par lrsquoentremise du Programme drsquoaide au deacuteveloppement de lrsquoindustrie de lrsquoeacutedition (PADIEacute) pour nos activiteacutes drsquoeacutedition
La publication de cet ouvrage a eacuteteacute rendue possibleavec lrsquoaide fi nanciegravere de la Socieacuteteacute de deacuteveloppementdes entreprises culturelles (SODEC)
PR
EacuteF
AC
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Il me fait plaisir de faire la preacuteface de cet ouvrage Crsquoest qursquoen effet
une partie de ma carriegravere a eacuteteacute consacreacutee agrave la promotion des approchesqualitatives Il srsquoagissait au deacutebut de montrer comment ces meacutethodesse seacuteparaient drsquoun journalisme intelligent donc de labourer le champdes pratiques de recherches en deacuteveloppant les aspects eacutepisteacutemolo-giques et la rigueur meacutethodologique Mais il fallait aussi montrerque ces approches permettaient de disposer drsquooutils pertinents pour larecherche sociologique donc de leur donner une leacutegitimiteacute theacuteoriqueque les tenants de la sociologie quantitative leur deacuteniaient
Crsquoeacutetait un beau chantier que jrsquoai partageacute avec des chercheursde lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal puis plustard avec des collegravegues de lrsquoUniversiteacute catholique de Louvain Ilme semble que ce qui a rendu ces expeacuteriences collectives possiblesest le partage drsquoune posture theacuteorique dite de la criminologie de lareacuteaction sociale ensuite moduleacutee par la reacutefeacuterence agrave lrsquoacteur social
Je retrouve plus ou moins expliciteacutee cette posture dans les chapitres
qui suivent Mais peut-ecirctre est-il devenu moins neacutecessaire de lrsquoexpliciterce qui voudrait dire qursquoelle fait maintenant partie de la culturecriminologique
Il nrsquoempecircche que demeure une difficulteacute technique difficile agravesurmonter en particulier dans les eacutetudes de carriegraveres ou les biogra-phies En lrsquoabsence de groupes teacutemoins et surtout lorsque lrsquoonchoisit les personnes agrave interroger agrave partir drsquoun critegravere fort commeun marquage institutionnel lrsquoimage que lrsquoon donne de leur par-cours peut apparaicirctre comme celle drsquoun
destin
Cette tendance estrenforceacutee par les rationalisations
a posteriori
que donnent souvent
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VIII
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
les diffeacuterents acteurs agrave leurs conduites Une observation quasi ethnologique descontextes de vie ainsi qursquoune bonne connaissance des histoires familiales peuventpermettre de relativiser les reconstructions opeacutereacutees par les acteurs Crsquoest bien ce agravequoi plusieurs des auteurs preacutesents dans cet ouvrage se sont attacheacutes
Une autre difficulteacute consiste agrave ne pas rester enfermeacute dans un interactionnismetrop eacutetroit Certes lrsquointeractionnisme a beaucoup apporteacute ndash et continue drsquoapporter ndashagrave la recherche sur les deacuteviances et les deacutelinquances et cet ouvrage en est la preuveIl nrsquoempecircche que si lrsquoon veut pouvoir interpreacuteter sociologiquement les reacutesultats destravaux qualitatifs on ne doive croiser ce que lrsquoon peut apprendre de la faccedilon dontles structures sociales agissent au niveau des trajectoires individuelles Ceci ne peutse faire sans une bonne connaissance de ce que certains on appeleacute des
micro
pouvoirs
Connaissance qui peut provenir de la recherche elle-mecircme mais aussi ducroisement de recherches portant sur des objets diffeacuterents Ougrave mecircme utilisant desmeacutethodes diffeacuterentes Agrave cet eacutegard on ne peut renvoyer dos agrave dos recherches qualita-tives et recherches quantitatives sous le preacutetexte que leurs meacutethodes seraient incon-ciliables Agrave mon avis seuls doivent ecirctre eacuteviteacutes des deacuteveloppements theacuteoriques qui nesrsquoappuieraient pas sur une bonne connaissance du terrain et des recherches empi-riques Autrement dit si la recherche empirique ne peut se passer de theacuteorie la theacuteoriene peut se passer de recherches empiriques On pourrait appeleacute cette position delrsquoeacuteclectisme sociologique je lrsquoai deacutefendue agrave plusieurs reprises Et je continue de penserqursquoune recherche empirique bien meneacutee apporte toujours quelque chose
Mais une preacuteface ne peut se contenter seulement de mises en garde Il fautici se feacuteliciter des efforts que les chercheurs preacutesents dans cet ouvrage ont soutenusagrave plusieurs niveaux Le premier est celui de lrsquoimmersion dans leurs terrains et lrsquoonsait que crsquoest chose difficile il est plus aiseacute de travailler dans son bureau que dansdes quartiers laquo chaudsraquo Un deuxiegraveme niveau est celui de la rigueur meacutethodologiquele choix des meacutethodes de recueil des donneacutees et drsquoanalyse du mateacuteriel Enfin lecroisement des points de vue celui des acteurs institutionnels et celui des acteursaupregraves desquels srsquoeffectue lrsquointervention apporte des eacuteclairages neacutecessaires agrave la compreacute-hension des positions des jeunes confronteacutes aux institutions Crsquoest pourquoi jesouhaite que de tels travaux continuent de se deacutevelopper
Claude Faugeron
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PREacuteFACE
VII
Claude Faugeron
INTRODUCTION
1
Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau
C
HAPITRE
1
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLESPoints de convergence et de divergence
9
Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu
11
LrsquoADOLESCENT
VS
LrsquoADOLESCENTE 10
111 Deacutelinquance 11
112 Consommation de substances
psychoactives 11
12 CONTEXTE THEacuteORIQUE 12
13 MEacuteTHODOLOGIE 12
14 REacuteSULTATS 15
141 Les filles et les garccedilons plus de
ressemblances que de diffeacuterences 15
1411 Motifs de consommation
de drogues 15
1412 Motifs de deacutelinquance 18
1413 Motifs de diminution
ou drsquoarrecirct de consommation 19
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X
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
142 Les garccedilons en particulier 21
1421 Motifs de deacutelinquance 22
1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct
de la consommation 23
143 Les filles en particulier 24
1431 Motif de consommation 24
1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct
de la consommation et la deacutelinquance 25
CONCLUSION 25
BIBLIOGRAPHIE 27
C
HAPITRE
2
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUESDiversiteacute des cheminements et effets de geacuteneacuteration au sein des milieux populaires en France
31
Michel Kokoreff
21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES
SELON LES GEacuteNEacuteRATIONS 32
211 Au-delagrave du feacutetichisme conceptuel
lrsquoanalyse des processus 33
212 Les effets de geacuteneacuteration 35
22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES
DES ANNEacuteES 1980 38
221 Le contexte social et urbain 38
222 Cheminements vers lrsquoheacuteroiumlne 40
223 De lrsquousage agrave la revente 44
224 Une vulneacuterabiliteacute structurelle 48
23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC
AU COURS DES ANNEacuteES 1990 52
231 Scegravenes de revente 53
232 Le rapport au produit 55
233 Le trafic comme travail 57
234 Avoir lrsquoesprit entrepreneur 59
24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS
DANS LE TRAFIC 62
241 Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre 62
242 Les hieacuterarchies informelles 64
BIBLIOGRAPHIE 68
TABLE DES MATIEgraveRES
XI
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C
HAPITRE
3
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
71
Ceacuteline Bellot
31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE
DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE 72
311 La trajectoire objective 73
312 La trajectoire subjective 74
313 La trajectoire de rue dans une analyse
de la structuration 75
32 MEacuteTHODOLOGIE 76
33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES 78
331 La rue un eacutepisode 78
332 La rue une transition 85
3321 La rue comme tremplin
vers une insertion sociale 85
3322 La rue comme tremplin
vers une deacutesinsertion sociale 86
333 La rue un enfermement 91
CONCLUSION 93
BIBLIOGRAPHIE 93
C
HAPITRE
4
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNESLeur signification dans une trajectoire de vie
97
Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele Fournier
41 LA PAROLE AUX JEUNES 99
42 MEacuteTHODOLOGIE 100
421 Eacutechantillons 100
422 Instruments de collecte et analyse des donneacutees 101
43 LA PAROLE DES JEUNES 103
431 Les jeunes parlent de la faccedilon
dont ils en sont venus agrave se joindre aux gangs 104
432 Les jeunes expliquent les motifs
qui les ont ameneacutes agrave se joindre au gang 105
433 Les jeunes parlent de lrsquoexpeacuterience qursquoils
ont veacutecue dans le ganghellip en termes drsquoeacutemotions 111
434 Les jeunes parlent des motifs
qui les ont ameneacutes agrave quitter le gang 113
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XII
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE
APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS 116
CONCLUSION 117
BIBLIOGRAPHIE 119
C
HAPITRE
5
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
121
Maryse Esterle-Hedibel
51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU 124
52 LA DEacuteSCOLARISATION 126
521 Les marqueurs de la deacutescolarisation 127
5211 Le niveau de diplocircme des parents 127
5212 La composition de la famille 128
5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage 128
5214 Le passage du primaire au collegravege
indiscipline et identiteacute 129
53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION
ET DEacuteLINQUANCE 130
531 Lrsquoimpact des groupes de pairs
et les activiteacutes deacutelinquantes 130
532 Deacutecrochage scolaire et deacutelinquance 131
54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE
DES PERSONNES-RESSOURCES 132
55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS 133
551 Les personnels peacutedagogiques 133
5511 Des donneacutees non utiliseacutees 133
5512 Des deacutecisions drsquoorientation
non suivie drsquoeffets 134
5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure 134
5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants 136
5515 Haro sur les eacutelegraveves 138
5516 Lrsquoexternalisation des solutions 138
552 Les eacutelegraveves 140
553 Les familles 141
554 Les travailleurs sociaux
(agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des collegraveges) 145
56 LE CAS DE PATRICK 146
CONCLUSION 151
BIBLIOGRAPHIE 151
TABLE DES MATIEgraveRES
XIII
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C
HAPITRE
6
LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUEIDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALESLrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche biographique
153
Ceacutecile Carra
61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE
LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES 155
62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute
DE DEacuteLINQUANT Agrave TRAVERS LA PRISE
EN CHARGE INSTITUTIONNELLE 158
63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT 158
631 De la construction drsquoun parcours de deacutelinquanthellip 158
632 hellip agrave celle drsquoune personnaliteacute deacutelinquante 162
633 Lrsquointeacuteriorisation drsquoun destin de deacutelinquant
et son actualisation 163
64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE
DE LA DEacuteLINQUANCE 165
641 De la deacuteconstruction de lrsquoidentiteacute familialehellip 166
642 hellip agrave la reconstruction drsquoidentiteacutes
individuelles neacutegatives 168
65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT
Agrave UNE PLACE DOMINEacuteE DANS LES
RAPPORTS SOCIAUX 170
651 Des parcours preacutedeacutetermineacutes par les instances
de reacutegulations sociales geacuteneacuterales 172
652 La deacutelinquance comme strateacutegie identitaire 173
CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT
DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES 175
BIBLIOGRAPHIE 176
C
HAPITRE
7
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteEParoles et strateacutegies de jeunes deacutelinquants
179
Isabelle Delens-Ravier
71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE
QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE 180
72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE 182
73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE 183
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XIV
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION 186
741 Veacutecu de la deacutelinquance 187
742 La deacutecision du magistrat 189
743 Le magistrat de la jeunesse 190
744 Les acteurs institutionnels 191
7441 Les eacuteducateurs 191
7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale 192
745 Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction 193
7451 Une strateacutegie drsquoadaptation
et de rationalisation 193
7452 Une strateacutegie de repli-refus 196
7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence 197
CONCLUSION 198
BIBLIOGRAPHIE 201
CONCLUSION
203
Marie-Marthe Cousineau et Natacha Brunelle
POSTFACE
209
Candido da Agra
NOTICES BIOGRAPHIQUES
213
IN
TR
OD
UC
TI
ON
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N
ATACHA
B
RUNELLE
Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresChercheure au CICC au RISQ et au GRIAPS
M
ARIE
-M
ARTHE
C
OUSINEAU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealChercheure associeacutee au CICC et agrave lrsquoIRDS
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2
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Plusieurs ouvrages scientifiques sur la deacuteviance juveacutenile qui utilisent le mot
trajectoire
ou ses traductions anglaises laquo
pathway
raquo ou laquo
trajectory
raquo reposent
sur des eacutetudes quantitatives (Nagin Farrington et Moffitt 1995 Brunswick
et Titus 1998) et sont reacutealiseacutes dans une perspective psychosociale ou de
psychologie deacuteveloppementale Toutefois de plus en plus de chercheurs
qui conduisent des eacutetudes qualitatives parlent aussi de
trajectoire
Non seu-
lement le terme est commode mais il permet en outre de rendre compte
des eacuteveacutenements veacutecus et de leur eacutevolution chronologique Agrave ceux qui
travaillent dans cette optique il paraicirct aussi le mieux agrave mecircme de refleacuteter
les aspects plus pheacutenomeacutenologiques lieacutes agrave la signification que la personne
concerneacutee accorde aux eacuteveacutenements qursquoelle vit ainsi qursquoaux sentiments que
ceux-ci provoquent Lrsquoemploi du mot trajectoire permet eacutegalement de
rendre compte de la sinuositeacute du parcours de vie des individus
Srsquoagissant des trajectoires de deacuteviance juveacutenile lrsquoun des aspects les
plus documenteacutes est sans aucun doute la progression de la deacutelinquance
des jeunes en ce qui a trait agrave la nature agrave la diversiteacute et agrave la graviteacute des
deacutelits commis tout au long de la trajectoire (Freacutechette et Le Blanc 1987
Le Blanc 1994 Kelley Loeber Keenan et DeLamatre 1997) Dans la
documentation scientifique cette progression deacutelictueuse a souvent eacuteteacute
associeacutee agrave la structure de la personnaliteacute et plus reacutecemment on lrsquoa mise
en rapport avec le contexte psychosocial dans lequel srsquoopegravere cette progres-
sion Certaines eacutetudes longitudinales eacutetablissent de tels liens avec le contexte
psychosocial mais de faccedilon quantitative en consideacuterant un nombre limiteacute
de dimensions (relations avec la famille association agrave des pairs deacuteviants
promiscuiteacute sexuellehellip) partant moins des perceptions des jeunes ndash pro-
cessus inductif ndash que drsquohypothegraveses de recherche agrave veacuterifier ndash processus
deacuteductif (Simons Wu Conger et Lorenz 1994 Nagin Farrington et Moffitt
1995 Le Blanc et Kaspy 1998)
De nombreux auteurs traitant des trajectoires deacuteviantes deacutefinissent
une typologie de trajectoires qui srsquoapparente agrave une typologie de deacutelin-
quants ou de toxicomanes baseacutee sur leurs comportements ou sur lrsquoeacutevolution
de ceux-ci (Le Blanc Cocircteacute et Loeber 1991 Hammersley et Ditton 1994
Loeber Farrington Southamer-Loeber Moffitt et Caspi 1998 Nagin et
Tremblay 1999) Cette faccedilon de deacutefinir des trajectoires agrave partir de lrsquoeacutevo-
lution des comportements possegravede sans contredit son utiliteacute descriptive
mais elle tend agrave omettre le pouvoir des cognitions et des sentiments en
amont sur les comportements en aval
Or plusieurs auteurs ont montreacute lrsquoimportance de tenir compte des
processus cognitifs et eacutemotifs pour bien saisir et comprendre les compor-
tements humains (Lewin 1967 Blumer 1969 Mischel 1973 Endler et
Magnusson 1976 Bandura 1977 Brown et Harris 1989 Debuyst 1989
Beck Freeman Pretzer Davis Fleming Ottaviani Beck Simon Padesky
INTRODUCTION
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Meyer Trexler 1990 de Gaulejac 1997) Ils ont eacutegalement constateacute qursquoen
se centrant sur lrsquoeacutevolution et la description des actes deacutelinquants ou toxi-
comaniaques en tant que tels au fil de la trajectoire bon nombre drsquoeacutetudes
omettaient de relier agrave cette eacutevolution le contexte dans lequel celle-ci
srsquoopegravere et surtout lrsquointeraction entre lrsquoindividu et ce contexte Or la prise
en compte de lrsquointeraction entre les dimensions individuelles et contex-
tuelles est jugeacutee non seulement importante mais eacutegalement cruciale
par diffeacuterents auteurs (Blumer 1969 Debuyst 1989 Digneffe 1989
Castel Benard-Pellen Bonnemain Boullenger Coppel Leclerc Ogien et
Weinberger 1992 Cormier 1993) particuliegraverement lorsqursquoil srsquoagit de
comprendre les comportements humains
Certaines eacutetudes sur les trajectoires deacuteviantes paraissent avoir quelque
peu deacuteplaceacute lrsquoattention du comportement en srsquointeacuteressant aux motivations
qui y sont associeacutees et aux eacuteleacutements autres qui permettent de discriminer
les trajectoires entre elles (Sampson et Laub 1993 Erickson et Weber
1994 Le Blanc 1996 Le Blanc et Kaspy 1998)
Par exemple Sampson et Laub (1993) notent qursquoon trouve souvent
agrave la fois continuiteacute et changements dans lrsquoimplication deacuteviante au fil du
temps La deacuteviance demeure preacutesente agrave lrsquoacircge adulte mais elle change de
forme Par exemple la consommation de drogues illeacutegales agrave lrsquoadolescence
peut se transformer en un veacuteritable problegraveme la toxicomanie agrave lrsquoacircge
adulte Agrave lrsquoinverse des eacuteveacutenements de vie comme le mariage ou lrsquoobten-
tion drsquoun emploi peuvent entraicircner un changement drsquoorientation dans
la trajectoire vers un conformisme accru Dans cette eacutetude de Sampson et
Laub (1993) les reacutesultats quantitatifs sont appuyeacutes par des donneacutees
qualitatives recueillies a posteriori
Les auteurs du preacutesent livre ont voulu donner une voix encore plus
forte aux jeunes au cœur de leurs eacutetudes en deacutecrivant lrsquoensemble de leurs
reacutesultats par un processus inductif qui reflegravete lrsquoapproche qualitative qursquoils
ont adopteacutee
Srsquoapparentant aux travaux preacutesenteacutes dans ce livre ceux de Faupel
(1991) Castel (1994) Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) adoptent
une position eacutepisteacutemologique dont la particulariteacute est de consideacuterer les
participants comme des acteurs sociaux capables de laquo geacuterer raquo leur vie
(Debuyst 1989) Ces travaux srsquoattardent agrave comprendre la vie des personnes
en contexte en ne se limitant pas agrave cerner leurs comportements et en
adoptant une perspective plus laquo interactionniste raquo (Blumer 1969)
Une approche qualitative a eacuteteacute privileacutegieacutee dans ces travaux Cette
approche favorise une meilleure compreacutehension de la speacutecificiteacute et de la
complexiteacute des processus en jeu en fournissant un point de vue de lrsquointeacute-
rieur des pheacutenomegravenes (Groulx 1997 Pires 1997) Elle permet drsquoacceacuteder
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4
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par les acteurs sociaux aux significations qursquoils
accordent agrave celle-ci de mecircme qursquoau sens de leurs actions (Deslauriers et
Keacuterisit 1997) En particulier lrsquoentretien de type qualitatif reacutevegravele le point
de vue des acteurs sociaux et permet drsquoen tenir compte pour comprendre
et interpreacuteter leurs reacutealiteacutes (Poupart 1997)
Il reste que drsquoun cocircteacute la plupart des eacutetudes sur les trajectoires
deacuteviantes srsquointeacuteressent tregraves peu aux perceptions des acteurs et visent ordi-
nairement agrave veacuterifier des postulats de recherche (processus deacuteductif) et
que drsquoun autre cocircteacute ces eacutetudes ne sont pas propres agrave la peacuteriode de
lrsquoadolescence Pourtant les auteurs qui ont conduit des eacutetudes qualita-
tives inductives aupregraves drsquoadolescents ont obtenu du mateacuteriel pertinent et
inteacuteressant agrave plusieurs eacutegards (Billson 1996 Piron 1996 Way 1998)
Malheureusement ces eacutetudes ne srsquointeacuteressent pas speacutecifiquement agrave la
deacuteviance juveacutenile ou encore elles ne sont pas des eacutetudes de trajectoires
Dans les recherches qui ont donneacute lieu au preacutesent collectif drsquoauteurs le
point de vue des jeunes constitue le centre de reacutefeacuterence initial dont sont
tireacutees les conclusions menant agrave une approche diffeacuterente et compleacutemen-
taire aux travaux preacuteceacutedents Cette approche nous est-il apparu permet
drsquoobtenir une compreacutehension plus diversifieacutee des trajectoires deacuteviantes
agrave lrsquoadolescence
1
Lrsquoensemble des textes des auteurs que nous avons reacuteunis dans ce
collectif met en lumiegravere les apports drsquoeacutetudes qualitatives sur les trajectoires
de deacuteviance juveacutenile reacutealiseacutees au Queacutebec en France et en Belgique depuis
une dizaine drsquoanneacutees Ces eacutetudes font appel agrave diffeacuterentes meacutethodes qua-
litatives Plusieurs utilisent des formes drsquoentretien de type qualitatif
drsquoautres ont recours agrave lrsquoethnographie ou encore agrave lrsquoanalyse documentaire
Les premiers chapitres portent davantage sur les pheacutenomegravenes deacuteviants
que constituent la deacutelinquance ou lrsquousage de drogues chez les jeunes alors
que les derniers traitent eacutegalement ou uniquement de la prise en charge
sociale ou judiciaire de ces jeunes
Lrsquooriginaliteacute des productions rassembleacutees tient au fait que le point
de vue des jeunes eux-mecircmes est refleacuteteacute dans les reacutesultats des eacutetudes
traiteacutees dans la majoriteacute des chapitres tandis que drsquoautres fournissent
aussi le point de vue des intervenants sociaux et judiciaires quant agrave la
deacuteviance juveacutenile et agrave sa prise en charge
1 Voir Stahler et Cohen (2000) pour une discussion sur lrsquoapport compleacutementaire deseacutetudes qualitatives dans le domaine de la toxicomanie
INTRODUCTION
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Le premier chapitre traite des diffeacuterences entre jeunes Queacutebeacutecois
filles et garccedilons quant aux motivations qursquoils associent agrave leurs trajectoires
deacuteviantes Les significations qursquoils rattachent agrave leurs comportements deacutelin-
quants ou drsquousage de drogues sont plus speacutecifiquement traiteacutees par les
auteurs Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu
Il est plutocirct question au chapitre 2 de toxicomanie et de trafic de
drogues dans des quartiers deacutefavoriseacutes de la France Le point de vue de
toxicomanes et de trafiquants est analyseacute par lrsquoauteur Michel Kokoreff
Agrave la suite drsquoune expeacuterience de terrain ethnobiographique combi-
nant observations et entrevues reacutealiseacutees au centre-ville de Montreacuteal Ceacuteline
Bellot propose au chapitre 3 trois diffeacuterentes configurations de parcours
des jeunes dans le monde social de la rue
Au chapitre 4 Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele
Fournier traitent des motivations des jeunes agrave joindre les gangs des expeacute-
riences qursquoils y vivent et de la signification qursquoils y attachent
Au chapitre 5 Maryse Esterle-Hedibel relie lrsquoabandon de scolariteacute
avant lrsquoacircge de 16 ans agrave la trajectoire deacutelinquante de certains jeunes Franccedilais
agrave partir du point de vue des jeunes eux-mecircmes de leur famille des agents
scolaires et de partenaires exteacuterieurs
Une double approche monographique et biographique a permis
drsquoobtenir les reacutesultats preacutesenteacutes par Ceacutecile Carra au chapitre 6 Lrsquoauteure
y traite des parcours judiciaires des jeunes enquecircteacutes ainsi que des meacuteca-
nismes de production et de reproduction de la deacutelinquance juveacutenile
Enfin au chapitre 7 Isabelle Delens-Ravier approfondit le sens sub-
jectif que des jeunes deacutelinquants belges donnent agrave leurs expeacuteriences de
judiciarisation en lien avec une trajectoire sociofamiliale marqueacutee par un
suivi social individuel ou familial
Lrsquoapport de ces auteurs reacutevegravele lrsquounivers de la deacuteviance des jeunes
tel que ceux-ci le vivent le perccediloivent et y reacuteagissent Du mecircme coup
une connaissance nouvelle srsquoouvre aux chercheurs et aux praticiens qui
tentent de mieux comprendre ces jeunes et de mieux les aider lorsque
cela paraicirct srsquoimposer
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8 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
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TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES
Points de convergence
et de divergence
N
ATACHA
B
RUNELLE
Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresCICC RISQ et GRIAPS
M
ARIE
-M
ARTHE
C
OUSINEAU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et IRDS
S
ERGE
B
ROCHU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et RISQ
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10
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
La transition de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte constitue une deacutefinition commune
de lrsquoadolescence Celle-ci se caracteacuterise par des modifications importantes
dans lrsquounivers social et relationnel des jeunes (Cloutier 1996 Claes
2003) Les filles et les garccedilons passent par cette transition mais ils le font
de maniegravere parfois diffeacuterente
11
LrsquoADOLESCENT
VS
LrsquoADOLESCENTE
De toute eacutevidence les filles et les garccedilons diffegraverent physiquement et
sexuellement Les filles sont notamment plus preacutecoces sur le plan puber-
taire (Cloutier 1996)
Le processus identitaire des filles passe par un eacutequilibre entre leurs
rapports aux autres et leur recherche drsquoautonomie Celui des garccedilons
passe davantage par une recherche drsquoindeacutependance et drsquoautonomie
(Cloutier 1996)
Sur le plan familial les filles perccediloivent un plus grand controcircle
parental que les garccedilons Crsquoest ainsi qursquoelles revendiquent souvent plus
drsquoautonomie (Cloutier 1996 Claes 2003) Eacutegalement les filles ressentent
plus de proximiteacute et drsquointimiteacute que les garccedilons dans leurs relations avec
leurs fregraveres et sœurs (Claes 2003)
Par ailleurs les filles valorisent davantage lrsquoamitieacute et font preuve
drsquoune plus grande maturiteacute eacutemotionnelle agrave lrsquoeacutegard de ce sentiment Elles
utilisent beaucoup la parole dans leurs relations amicales tandis que les
garccedilons sont davantage porteacutes agrave faire des activiteacutes avec leurs amis Les filles
montrent plus drsquohabileteacutes relationnelles et eacutemotionnelles alors que les
habileteacutes instrumentales et lrsquoaffirmation de soi sont davantage le lot des
garccedilons (Cloutier 1996 Claes 2003)
Les relations amoureuses sont souvent veacutecues diffeacuteremment par les
garccedilons et par les filles Ces derniegraveres recherchent plus de proximiteacute et
drsquointimiteacute dans leurs amours tandis que les garccedilons ont des attentes
sexuelles plus preacutecoces et persistantes et cherchent agrave maintenir avant tout
un lien fort avec leur groupe drsquoamis au deacutetriment de la relation avec leur
petite amie (Cloutier 1996 Claes 2003)
Les prochaines sections srsquoattarderont aux diffeacuterences selon le sexe
au regard de certaines formes de deacuteviance particuliegraverement la deacutelin-
quance et la consommation de drogues
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111 D
EacuteLINQUANCE
Lrsquoimage que nous donnent les statistiques montre que les filles commettent
geacuteneacuteralement moins de deacutelits graves et persistent moins dans la deacutelin-
quance que les garccedilons (Lanctocirct et Le Blanc 2000) Elles seraient davan-
tage impliqueacutees dans des deacutelits mineurs comme le vol agrave lrsquoeacutetalage et seraient
plus nombreuses que les garccedilons agrave faire de la prostitution Elles commet-
traient tout de mecircme des deacutelits violents Leur violence atteindrait drsquoailleurs
un sommet plus tocirct que celle manifesteacutee par les adolescents (agrave 15 ans pour
les filles et agrave 17 ans pour les garccedilons en 1998 Savoie 1999) Malgreacute une
augmentation des deacutelits de violence noteacutee chez les filles ces derniegraveres
anneacutees une plus grande proportion de garccedilons que de filles commet-
traient des voies de fait par exemple (Savoie 1999)
Lrsquoagressiviteacute des filles prendrait geacuteneacuteralement une forme plus indi-
recte ou psychologique ridiculiser deacutenigrer isoler les autres (Owens et
MacMullin 1995) La deacutelinquance des filles et des garccedilons diffeacutererait donc
par sa nature sa freacutequence et sa persistance
112 C
ONSOMMATION
DE
SUBSTANCES
PSYCHOACTIVES
Les proportions de filles et de garccedilons queacutebeacutecois consommant de lrsquoalcool
et drsquoautres drogues sont tregraves semblables (Guyon et Desjardins 2005) Les
drogues de preacutedilection de chacun diffegraverent toutefois un peu Filles et
garccedilons se distingueraient aussi sur le plan de la freacutequence et de lrsquointensiteacute
de leur usage drsquoalcool et drsquoautres drogues Les garccedilons rapportent boire
plus souvent (Guyon et Desjardins 2005) et se saouler eacutegalement plus
souvent (Comiteacute permanent de lutte agrave la toxicomanie CPLT 2002) Les
garccedilons sont aussi proportionnellement plus nombreux agrave reacuteveacuteler une
consommation de cannabis quotidienne (Guyon et Desjardins 2005)
Lrsquoenquecircte meneacutee en 2000 par lrsquoInstitut de la statistique du Queacutebec
(2002) reacutevegravele que les adolescents sont plus nombreux que les adolescentes
agrave deacutevelopper des problegravemes de toxicomanie Parmi les facteurs associeacutes
aux problegravemes de consommation chez les jeunes une faible estime de
soi ressort plus speacutecifiquement chez les filles Par ailleurs outre les pro-
blegravemes drsquoargent que les jeunes rattachent agrave leur consommation les filles
nomment des problegravemes familiaux et de santeacute tandis que les garccedilons
parlent de gestes deacutelinquants et de difficulteacutes scolaires qursquoils associent agrave
leur consommation (Institut de la statistique du Queacutebec 2002)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
12 CONTEXTE THEacuteORIQUE
Srsquoinspirant en grande partie des travaux de Faupel (1991) Castel (1994)
Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) notre eacutetude a ceci de
particulier qursquoelle se centre sur les motivations significations perceptions
et sentiments que des jeunes deacutelinquants et toxicomanes relient agrave leur
itineacuteraire et plus particuliegraverement agrave leurs comportements deacuteviants de
mecircme qursquoau contexte dans lequel ils adoptent ces comportements Nous
nous inscrivons donc dans une perspective pheacutenomeacutenologique (Schutz
1987) qui accorde une place de premier plan agrave lrsquointerpreacutetation que lrsquoacteur
social (ici le jeune) fait des situations qui le touchent (Debuyst 1989)
Notre projet de recherche porte sur les trajectoires de consomma-
tion de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Trois objectifs speacuteci-
fiques consistent agrave documenter davantage 1) la nature et lrsquoeacutevolution des
relations drogue-crime agrave lrsquoadolescence 2) les eacuteleacutements lieacutes aux phases
drsquoaugmentation et de diminution de lrsquoimplication deacuteviante et 3) les tra-
jectoires deacuteviantes types agrave lrsquoadolescence Les points de convergence et de
divergence entre les trajectoires deacuteviantes des garccedilons et des filles sont
alors appreacutehendeacutes en fonction de ce que chacun a veacutecu et surtout de la
faccedilon dont il lrsquoa veacutecu
13 MEacuteTHODOLOGIE
Pour atteindre nos objectifs nous avons opteacute pour une meacutethodologie
qualitative (Poupart Deslauriers Groulx Laperriegravere Mayer Pires 1997)
qui paraissait drsquoailleurs srsquoimposer Plus preacuteciseacutement nous avons eu recours
agrave la meacutethode du reacutecit de vie (Desmarais et Grell 1986) laquelle fait parler
lrsquointervieweacute sur sa vie en privileacutegiant une structure du discours chronolo-
gique et permet de mettre en lumiegravere la trajectoire de lrsquoindividu selon la
vision personnelle qursquoil en a
Les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent sur deux eacutetudes diffeacuterentes qui
partagent plusieurs similitudes La premiegravere base du doctorat de Natacha
Brunelle qui est lrsquoauteure principale du preacutesent texte srsquoest termineacutee en 2001
La collecte de donneacutees de cette eacutetude srsquoest deacuterouleacutee de 1996 agrave 1998 La
deuxiegraveme toujours en cours se situe dans le prolongement de la premiegravere
Dans lrsquoensemble ces deux eacutetudes visaient des jeunes ndash garccedilons et
filles ndash qui se livrent plus ou moins agrave des comportements de consomma-
tion de drogues et de deacutelinquance Cherchant agrave comprendre les processus
qui conduisent certains jeunes agrave srsquoengager dans un style de vie deacuteviant et
plus particuliegraverement dans la deacutelinquance ou la consommation de drogues
nous avons dans un premier temps eacutetabli que les jeunes rencontreacutes
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devraient ecirctre des adolescents pris en charge dans une institution judi-
ciaire ou de traitement de la toxicomanie cela en raison de leur plus
grande accessibiliteacute Des adolescents placeacutes sous garde en vertu de la Loi
sur les jeunes contrevenants (LJC)
1
dans les centres jeunesse ou suivant
un traitement dans un centre pour jeunes toxicomanes forment ainsi une
partie de lrsquoeacutechantillon Ces jeunes ont drsquoabord eacuteteacute solliciteacutes dans le cadre
drsquoune preacuteenquecircte reacutealiseacutee en lien avec la premiegravere eacutetude
Agrave la suite de la preacuteenquecircte et des interactions avec diffeacuterents colla-
borateurs il est apparu neacutecessaire de rencontrer aussi des jeunes qui ne
srsquoadonnent ni agrave la deacutelinquance ni agrave la consommation de drogues ou qui
du moins nrsquoont jamais eacuteteacute pris en charge par une quelconque institution
pour des comportements de deacutelinquance ou de consommation de drogues
afin de voir si leurs trajectoires diffeacuteraient autrement que sur ces aspects
de la vie des jeunes Des jeunes freacutequentant des maisons des jeunes de
lrsquoicircle de Montreacuteal allaient constituer cette deuxiegraveme partie de lrsquoeacutechantillon
de la premiegravere eacutetude
Aux jeunes participants srsquoajoutent dans lrsquoeacutetude en cours des jeunes
qui se trouvent en milieu scolaire secondaire et des jeunes de la rue Pour
cette nouvelle collecte de donneacutees srsquoajoutent agrave la grande ville de Montreacuteal
deux lieux de recrutement Queacutebec et Trois-Riviegraveres Lrsquoajout de nouveaux
milieux et sites de recrutement avait pour but drsquoobtenir une meilleure
repreacutesentation de la reacutealiteacute associeacutee agrave la saturation empirique des donneacutees
(Mayer et Ouellet 1991 Bertaux 1997 Pires 1997) Une limite reconnue
de la premiegravere eacutetude eacutetait drsquoavoir eacuteteacute conduite aupregraves drsquoun eacutechantillon
insuffisamment diversifieacute sur ces deux critegraveres des lieux et des sites de
recrutement (Brunelle 2001)
Trois critegraveres drsquoeacutechantillonnage sont communs agrave tous les jeunes
recruteacutes garccedilons et filles ecirctre volontaire srsquoexprimer couramment en
franccedilais et ecirctre acircgeacute de 14 agrave 20 ans
Pour fixer la taille de lrsquoeacutechantillon le principe adopteacute a eacuteteacute celui de
la saturation empirique laquo La saturation empirique deacutesigne alors le pheacuteno-
megravene par lequel le chercheur juge que les derniers documents entrevues
ou observations nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles
ou diffeacuterentes pour justifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo
(Pires 1997 p 156-157)
Ainsi afin drsquoatteindre une certaine repreacutesentation de la reacutealiteacute la
collecte des donneacutees prend fin au moment ougrave les informations qui srsquoajoutent
deviennent essentiellement reacutepeacutetitives ou anecdotiques (Mayer et Ouellet
1 Aujourdrsquohui Loi sur le systegraveme de justice peacutenale des adolescents (LSJPA)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
1991) Nous avons proceacutedeacute de cette maniegravere lors de la premiegravere eacutetude et
crsquoest ainsi que nous comptons mettre fin au recrutement de nouveaux
reacutepondants pour la deuxiegraveme eacutetude
Une fois les deux eacutetudes combineacutees les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent
sur un eacutechantillon de 62 jeunes
2
Un total de 31 jeunes pris en charge en
centre jeunesse et 12 en centre de traitement de la toxicomanie ont eacuteteacute
rencontreacutes de mecircme qursquoune douzaine drsquoadolescents freacutequentant des mai-
sons de jeunes six jeunes en milieu scolaire secondaire et un jeune de la
rue Parmi lrsquoensemble de ces jeunes participants on trouve 36 garccedilons et
26 filles dont lrsquoacircge moyen est de 165 ans
3
Au moment des entrevues drsquoune dureacutee moyenne drsquoune heure la
consigne de deacutepart de lrsquointervieweuse eacutetait formuleacutee ainsi
Jrsquoaimerais que tu considegraveres que je repreacutesente ton journal intime Alorsdans tes propres termes et selon ce que tu penses raconte-moi ta vie jusqursquoagrave
aujourdrsquohui comme si tu traccedilais ton itineacuteraire en incluant toutes lesdimensions de ta vie famille amis amours eacutecole deacutelinquance drogue leseacuteveacutenements que tu as veacutecus et surtout comment tu les as veacutecushellip
Une grille constitueacutee de mots cleacutes repreacutesentant autant de thegravemes agrave
aborder eacutetait utiliseacutee par lrsquointervieweuse agrave titre de guide drsquoentrevue Ainsi
que le suggegraverent Mayer et Ouellet (1991) ces entrevues prenaient la
forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes (Ghiglione et Matalon 1978)
Lrsquoanalyse du contenu des entretiens (Bardin 1977 LrsquoEacutecuyer 1990)
srsquoest faite selon deux approches utiliseacutees de maniegravere compleacutementaire
Drsquoune part une analyse theacutematique (Ghiglione et Matalon 1978) a eacuteteacute
privileacutegieacutee comme mode principal de reacuteduction du mateacuteriel Drsquoabord de
maniegravere verticale une analyse intrinsegraveque de chacune des entrevues a eacuteteacute
effectueacutee Ensuite de maniegravere transversale nous avons chercheacute agrave repeacuterer
les points de convergence et de divergence entre les reacutecits recueillis
Drsquoautre part une analyse seacutequentielle traitant de la suite des eacuteveacutenements
et de leurs reacutepercussions sur le jeune selon sa lecture a eacuteteacute reacutealiseacutee Pour
cette analyse seacutequentielle trois lignes biographiques traitant respective-
ment de lrsquohistoire de vie geacuteneacuterale (trajectoire sociale) de la consomma-
tion de drogues et de la deacutelinquance aux diffeacuterents acircges ont eacuteteacute traceacutees
et repreacutesenteacutees graphiquement pour chaque reacutepondant pour ensuite ecirctre
mises en relation Il sera ici question des ressemblances et des diffeacuterences
entre les reacutecits de vie obtenus des filles et des garccedilons
2 Les 38 premiers jeunes ont eacuteteacute rencontreacutes en cours de reacutealisation du doctorat et24 entrevues ont eacuteteacute ajouteacutees depuis le deacutebut de la deuxiegraveme eacutetude en cours
3 Voir Brunelle (2001) pour une description plus deacutetailleacutee des reacutepondants de la premiegravereeacutetude
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14 REacuteSULTATS
En plus drsquoavoir veacutecu plusieurs situations similaires les garccedilons et les filles
de lrsquoeacutechantillon tiennent un reacutecit relativement semblable agrave plusieurs
eacutegards Lrsquoexemple le plus eacutevident dans nos reacutesultats concerne les motiva-
tions principales qui ont pousseacute les participants agrave commettre des deacutelits ou
agrave consommer La curiositeacute et le fait de vouloir faire comme les autres pour
que ceux-ci les acceptent plus facilement sont mentionneacutes tant par les
filles que par les garccedilons de lrsquoeacutechantillon pour expliquer leurs premiegraveres
expeacuterimentations avec la drogue ou la deacutelinquance
141 L
ES
FILLES
ET
LES
GARCcedilONS
PLUS
DE
RESSEMBLANCES
QUE DE
DIFFEacuteRENCES
Plusieurs raisons motivant lrsquoadoption de comportements dits deacuteviants
limiteacutes ici agrave la consommation de substances psychoactives et agrave diverses
formes de deacutelinquance apparaissent comme eacutetant communes aux filles et
aux garccedilons de notre eacutechantillon Cela est vrai pour les motifs lieacutes agrave la
consommation drsquoalcool et drsquoautres drogues et pour ceux qui sont lieacutes agrave
des peacuteriodes de diminution ou drsquoarrecirct de cette consommation Crsquoest aussi
le cas pour les motivations que les jeunes filles et garccedilons eacutevoquent pour
expliquer des peacuteriodes ougrave ils commettent un nombre important de deacutelits
et des peacuteriodes ougrave ils en commettent peu ou pas du tout
1411 Motifs de consommation de drogues
Curiositeacute
ndash Plusieurs auteurs se sont inteacuteresseacutes au rocircle que joue la curiositeacute
dans les processus drsquoexpeacuterimentation des drogues (Fagan et Chin 1990
Erickson et Weber 1994 Brochu et Parent 2005) Nos reacutesultats montrent
que la curiositeacute influence le parcours tant des filles que des garccedilons
Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot en secondaire 3hellip ccedila me tentait drsquoessayerccedilahellip tous mes amis avaient deacutejagrave fumeacute Jrsquoai dit laquo bon je vais essayer ccedila raquo
(Minou fille 16 ans milieu scolaire)
Eh bien au deacutebut il y a quelqursquoun qui mrsquoa inviteacute et je me suis dit laquo crsquoestquoi ccedila Je vais essayer ccedila raquo
(Jean 18 ans centre jeunesse)
Du plaisir agrave lrsquooubli ndash
Comme dans plusieurs autres recherches
(Collison 1996 Glauser 1995) le plaisir apparaicirct dans notre eacutetude au
centre des motivations agrave consommer des drogues Les filles comme les
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16
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
garccedilons lrsquoeacutevoquent pour expliquer leur usage de drogues Ils parlent drsquoun
plaisir ludique pour la majeure partie de leur trajectoire deacuteviante parti-
culiegraverement pour le deacutebut de celle-ci
Jrsquoai toujours aimeacute ce feeling-lagrave tu nrsquoes jamais choqueacute tu ris tout le temps
puis tu veux tout le temps niaiserhellip tu nrsquoes jamais down puis le fameux
trip de bouffe aussi quand on fumehellip
(Franck 15 ans milieu scolaire)
Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot avec mon voisin crsquoeacutetait pas pire crsquoeacutetait lefun [rire] je mrsquoennuie de ccedila
(Julienne 15 ans centre jeunesse)
Toutefois ceux et celles qui se rendent agrave un stade de deacutependance
expliquent que ce plaisir srsquoest transformeacute peu agrave peu en un plaisir amneacute-
sique Ainsi certains et certaines en sont venus agrave consommer pour oublier
leurs problegravemes On observe ainsi une discontinuiteacute dans leurs motiva-
tions agrave consommer (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)
Mais tseacute en premier crsquoeacutetait juste pour le fun lagrave Mais agrave un moment donneacuteje me suis rendu compte que jrsquoen avais plus de besoin que drsquoautre chosehellipLagrave je me suis vraiment mis agrave laquo rusher raquo pis la seule issue pas mal que
la seule issue que je me suis trouveacute crsquoest de prendre de la dope prendrede la dope parce que quand jrsquoeacutetais geleacute ben lagrave je ne pensais plus agrave rien
(Antoine 17 ans centre jeunesse)
Au deacutebut crsquoeacutetait plus comme pour le fun apregraves ccedila eacuteteacute pour me faire une
carapace des attaques qursquoil pouvait me faire ou quelque chose
[
son ex-chum
]
Apregraves ccedila crsquoeacutetait pour oublier Crsquoeacutetait beaucoup beaucoup pour oublier cequi pouvait arriver
(Rachel 16 ans centre de toxicomanie)
Appartenance agrave un groupe de pairs ndash
Plusieurs filles et garccedilons de
lrsquoeacutechantillon ont reacuteveacuteleacute que le fait de consommer ou de commettre des
deacutelits leur procurait une valorisation agrave travers leur appartenance agrave un
groupe de pairs
Je me sentais bien avec mon groupe drsquoamis je me sentais mieux je sentaisque je faisais les mecircmes affaires qursquoeux autres pis tu sais jrsquoeacutetais laquo tough raquopis christ moi jrsquoen prends je me sentais dans la gang ccedila fait que jrsquoai bienaimeacute mon expeacuterience
(Charlie fille de 17 ans centre de toxicomanie)
Crsquoeacutetait
[ses deacutelits]
pour me montrer laquo tough raquo pis ecirctre respecteacute aupregraves desautres
[ses copains] (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)
Influence parentale ndash
Des garccedilons et des filles de notre eacutechantillon
ont raconteacute avoir eacuteteacute inciteacutes agrave consommer par leurs parents Ces derniers
les ont initieacutes agrave la consommation de cannabis en particulier Dans certains
cas ils en ont fait une activiteacute familiale plus ou moins reacuteguliegravere
Moi jrsquoai commenceacute agrave fumer des joints avec mon pegravere
(Moh 19 ans jeunede la rue)
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
On eacutetait dans un petit chalet dans le bois ma megravere son chum et moiCrsquoeacutetait quand mecircme laquo cool raquo Puis lagrave ils mrsquoont fait fumer un joint tu saisCcedila a eacuteteacute mon deuxiegraveme joint et celui-lagrave mrsquoa geleacutee jrsquoeacutetais perdue
(Mireille17 ans maison de jeunes)
Problegravemes familiaux ndash
Les problegravemes familiaux de diffeacuterents ordres
sont souvent au cœur des reacutecits de vie des jeunes et se rattachent selon
eux agrave leur consommation de drogues Des problegravemes de relations inter-
personnelles entre parents et enfants ou agrave lrsquointeacuterieur de la fratrie ou
encore des difficulteacutes veacutecues par un ou plusieurs membres de la famille
sont eacutevoqueacutes notamment pour expliquer des peacuteriodes de recrudescence
de leur deacuteviance marqueacutees par le deacutesir drsquooublier leurs problegravemes (Brunelle
Brochu et Cousineau 2002b)
Problegraveme crsquoest comme mon pegravere lui il eacutetait plus seacutevegravere tu comprends
[rires]
les Africains crsquoest plus seacutevegravere lagrave Puis moi vu que crsquoeacutetait plus seacutevegravere etpuis que jrsquoai grandi avec deux mentaliteacutes diffeacuterentes crsquoest comme un peuavec la mentaliteacute africaine puis je suis venu ici je te le jure que jrsquoai grandiavec la mentaliteacute ici tu comprends Jrsquoallais agrave lrsquoeacutecole mais je faisais drsquoautresaffaires puis lui
[son pegravere]
il nrsquoaimait pas ccedila fait que lagrave on se chicanaitje mrsquoen allais de chez moi je faisais des fugues lagrave je suis devenu plusdeacutelinquant mes amis ce sont des deacutelinquants jrsquoai commenceacute agrave consommerpuis crsquoest ccedila jusqursquoagrave temps qursquoon mrsquoarrecircte
(Outwall 17 ans centrejeunesse)
Jrsquoavais tellement peur qursquoelle se tue
[sa megravere]
Jrsquoai tout le temps peurComme tseacute elle me parlait qursquoelle avait voulu mourir ou elle disait ben grosqursquoelle prenait une coupe de pilules pis qursquoelle partait elle faisait laplanche Faque jrsquoai toujours peur encore
(Lilianne 16 ans centre detoxicomanie)
Faciliter les deacutelits ndash
Plusieurs jeunes filles et garccedilons ont mentionneacute
que la drogue leur permettait de commettre les deacutelits voulus en leur
fournissant courage et deacutesinhibition (Brunelle Brochu et Cousineau
2000) Certains reacutevegravelent mecircme qursquoelle leur permet drsquooublier du moins
momentaneacutement les conseacutequences de leurs gestes
La drogue crsquoest pour te donner un peu plus de courage Lagrave apregraves si lapersonne veut le faire sans drogue il va le faire sans fumerhellip crsquoest commequand quelqursquoun qui boit pis il va voir une fille apregraves
(William 17 anscentre jeunesse)
Il faut que je donne mon corps pour rembourser Je suis toujours geleacutee quandje fais ccedila Parce que je lrsquoai fait longtemps sans ecirctre geleacutee pis tu te sens pasagrave lrsquoaise Crsquoest une personne inconnue avec qui tu couches tu sais pascrsquoest qui
(Isabelle 16 ans centre jeunesse)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
1412 Motifs de deacutelinquance
Vengeance des abus subis ndash
Afin drsquoexpliquer leurs gestes deacutelinquants en
particulier certaines filles et certains garccedilons de lrsquoeacutechantillon mentionnent
leur deacutesir de venger les abus qursquoils ont subis Comme plusieurs auteurs
lrsquoont deacutejagrave mentionneacute les victimes de violence deviennent parfois eux-mecircmes
auteurs de violence (Hammersley Forsyth et Lavelle 1990 Agnew 1991
Dembo Williams Schmeidler Berry Wothke Getreu Wish et Christensen
1992 Miller et Downs 1995 Alexander 1996) Les jeunes dont il est ici
question ont geacuteneacuteralement adopteacute une trajectoire vraiment deacuteviante que
nous avons nommeacutee trajectoire discontinue marqueacutee par la recherche
drsquoun plaisir amneacutesique (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)
Parce que je suis rentreacutee en centre drsquoaccueil pis je pensais tout de suite laquo Ils vont faire comme ma megravere raquo Crsquoest lrsquoimpression que jrsquoai eue Pis il y aune fois ougrave je me suis faite retirer en retrait pis lagrave je lrsquoai pas pris Jrsquoai dit laquo Ils ont fait comme ma megravere ils vont mrsquoenfermer je ne mangerai pas raquohellipCrsquoest lagrave que ccedila a commenceacute les voies de fait Crsquoest comme jrsquoai eu lrsquoimpressionque ma megravere eacutetait lagrave encore
(Isabelle 16 ans centre jeunesse)
Jrsquoeacutetais frustreacute pour les coups que jrsquoavais pris faque je lrsquoai battu puis crsquoestccedila
(Phency 17 ans centre jeunesse)
Placement en protection de la jeunesse ndash
Quelques jeunes filles et
garccedilons eacutevoquent un sentiment drsquoinjustice subie et de reacutevolte associeacute agrave
leur placement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse Ce sont
des jeunes fortement impliqueacutes dans la deacutelinquance et geacuteneacuteralement ren-
contreacutes en centre jeunesse
La premiegravere fois que jrsquoai eacuteteacute arrecircteacute crsquoest vrai ccedila a eacuteteacute pour tentative demeurtre jrsquoai essayeacute de poigner deux personnes puis dehors agrave lrsquoexteacuterieurpuis toute ccedila Puis le gars il me cherchait puis lagrave moi jrsquoeacutetais comme reacutevolteacuteaussi dans le sens que je me disais que mes parents mrsquoavaient placeacute puisque crsquoest agrave cause drsquoeux autres que jrsquoeacutetais placeacute puis lagrave ils se sont seacutepareacutesccedila fait que le monde est illeacutegal le monde leacutegal genre je les ai mis ensembleen dernierhellip
(Baby Joker 18 ans centre jeunesse)
Moi je me suis reacutevolteacutee parce que je me suis dit coudon je me suis faitbattre par mes parents je nrsquoavais pas drsquoaffaire en centre drsquoaccueil tseacute Jeme suis dit laquo Non ccedila nrsquoa pas drsquoallure raquo Alors je me suis dit que je neserais pas en centre drsquoaccueil pour rien Pis lagrave je me suis reacutevolteacutee pis ccedilatout ensemble fait que jrsquoai embarqueacute dans les motards
(Isabelle 16 anscentre jeunesse)
Payer sa drogue ndash
La deacutelinquance lucrative en particulier occupe vite
une fonction utilitaire pour les consommateurs et consommatrices de
drogues de notre eacutechantillon Les vols la vente de drogues et la prostitution
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sont au nombre des deacutelits que commettent ces jeunes pour pouvoir consom-
mer de la drogue La vente de drogues apparaicirct rapidement dans leur
trajectoire plus rapidement que chez les adultes consommateurs Nous
faisons lrsquohypothegravese que le faible pouvoir eacuteconomique des adolescents
explique du moins en partie cette reacutealiteacute (Brunelle Brochu et Cousineau
2000) Quoi qursquoil en soit plus la consommation de drogues des jeunes
augmente plus ils sont impliqueacutes dans les deacutelits lucratifs citeacutes Crsquoest
ainsi que certains et certaines atteignent un stade eacuteconomico-compulsif
(Brunelle Brochu et Cousineau 2005)
Au deacutebut de mon secondaire crsquoest lagrave que jrsquoai commenceacute agrave consommer Jemrsquoeacutetais fait des amis de consommation tout ccedila et vu que je nrsquoavais pasgros de revenus et bien jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutelits et des deacutelits Je volaisde lrsquoargent ou des choses comme ccedila des choses qui allaient ecirctre le laquo fun raquopour pouvoir acheter ma consommation
(Jean 18 ans centre jeunesse)
Jrsquoai commenceacute agrave faire beaucoup de coke beaucoup je buvais tous les soirsje nrsquoallais plus agrave lrsquoeacutecolehellip Jrsquoai commenceacute agrave consommer tout le temps tousles jours je consommais je pouvais boire pis je volais tout le temps Ccedilacoucirctait cher agrave un moment donneacute ce nrsquoest pas donneacute pareil lagrave Je vendaisde la drogue pis je volais pour me faire de lrsquoargent pis je travaillais aussitu saishellip Jrsquoai commenceacute agrave faire de la coke pis crsquoest lagrave que jrsquoai deacutecideacute defaire mon vol qualifieacute pour mrsquoen ramasser
(Julienne 15 ans centrejeunesse)
1413 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de consommation
Coucircts trop eacuteleveacutes ndash Agrave la fois des filles et des garccedilons eacutevoquent le fait que
leur consommation est devenue trop coucircteuse pour expliquer qursquoils aient
ralenti ou cesseacute leur usage de drogues agrave un certain moment
La coke jrsquoen ai fait gros mais maintenant je me suis calmeacute parce que agrave unmoment donneacute ccedila coucircte cher (Moh 19 ans jeune de la rue)
Lrsquoalcool bien jrsquoai bu toutes sortes drsquoalcool Mais lagrave je nrsquoen bois plus parceque ccedila coucircte cher (Amitieacutes 18 ans jeune de la rue)
Plaisir disparu ndash Certains jeunes mentionnent que lrsquoeffet ludique
que leur procurait leur usage de drogues a disparu et de ce fait ils ont
arrecircteacute drsquoen prendre ou diminueacute leur consommation
Je nrsquoaime plus ccedila le laquo buzz raquo que ccedila fait (Cerise 16 ans milieu scolaire)
Ben je trouvais ccedila lrsquolaquo fun raquo le hasch Mais agrave la longue agrave lrsquointeacuterieur de soicrsquoest plate parce que tu ne peux pas vraiment te controcircler (Eacutelavien 15 ansmilieu scolaire)
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20 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Trop agrave perdre ou limite atteinte ndash Plusieurs confient que les conseacute-
quences de leur consommation les ont pousseacutes agrave vouloir la diminuer ou
lrsquoarrecircter Ils en sont venus agrave consideacuterer ces conseacutequences comme eacutetant
excessives trop deacutesavantageuses Ces conseacutequences relateacutees par les jeunes
sont drsquoordre physique psychologique et social ainsi que le montrent
chacun des trois extraits drsquoentrevue suivants
Fumer lagrave ccedila me fait vomir puis tu sais tout me rend malade (Julie 17 ansmilieu scolaire)
Je pense que jrsquoai trop fumeacute du pot puis agrave un moment donneacute je suis devenuparanoiumlaque apregraves jrsquoai arrecircteacute tout ccedila pendant deux ans de temps (Jack20 ans jeune de la rue)
Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Faque ccedila mrsquoa deacutecourageacutedrsquoen refumer (Bac 17 ans milieu scolaire)
Inteacutegriteacute morale atteinte ndash Quelques filles et garccedilons associent des
repreacutesentations sociales neacutegatives agrave la consommation de cocaiumlne agrave lrsquoitineacute-
rance et agrave la prostitution et ils les relient aux peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur
trajectoire drsquousage de drogues Ces repreacutesentations sociales les conduisent
agrave croire que leur inteacutegriteacute morale sera trop atteinte srsquoils continuent de
consommer notamment de la cocaiumlne
On commence agrave fumer du crack puis lagrave je baisse mes culottes tu sais il mesuce Le lendemain lagrave [soupir] jrsquoavais tellement honte de moihellip je merespectais avant tu sais je nrsquoaurais jamais fait ccedila je me tapais sur la tecirctepuis lagrave jrsquoavais vraiment honte Jrsquoai lacirccheacute le crack ccedila a eacuteteacute la derniegravere foisque jrsquoen ai fait (Raon 17 ans centre de toxicomanie)
Pis agrave la fin je me suis rendue au point ougrave jrsquoai commenceacute agrave faire de lapoudre et pis je me suis dit laquo Non je ne veux pas commencer agrave vendremon cul sur Sainte-Catherine raquo Je ne me sentais plus bien jrsquoeacutetais vraimentmalheureusehellip (Pamela 16 ans centre de toxicomanie)
Pairs conformistes ndash Ainsi que Esbensen et Elliot (1994) lrsquoavaient
deacutejagrave souligneacute certains reacutepondants et reacutepondantes reacutevegravelent que des peacuteriodes
de diminution de leur usage de drogues sont marqueacutees par des sentiments
positifs associeacutes agrave une identiteacute plus conformiste deacutecoulant de freacutequenta-
tions amicales elles-mecircmes plus conformistes
Jrsquoai quelques bons amis qui mrsquoont aideacutee agrave arrecircter de consommer il y a deuxans Jrsquoai arrecircteacute de battre les gens de faire des conneries Jrsquoai arrecircteacute de metenir avec ma gang Jrsquoai changeacute drsquoamis Crsquoeacutetait du monde normal dumonde comme toi et moi du monde comme ccedila (Isabelle 16 ans centrejeunesse)
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Un de mes amis commenccedilait agrave me talonner pour que jrsquoarrecircte de consommerCes gars-lagrave mes vieux amis drsquoenfance ils ne mrsquoont pas lacirccheacute Ils avaientarrecircteacute de consommer et ils ont commenceacute agrave srsquoentraicircner agrave avoir une job agraveavoir une vie normale Ils voulaient que je fasse la mecircme chose Crsquoest lagraveque jrsquoai reacutealiseacute plein drsquoaffaires que jrsquoeacutetais eacutecœureacute de cette vie-lagrave que je mesentais bien quand je ne consommais pas que jrsquoeacutetais quelqursquoun que jrsquoeacutetaisun homme (Nathan 18 ans centre jeunesse)
Amoureux conformiste ndash Dans la mecircme veine des filles et des gar-
ccedilons mentionnent avoir diminueacute leur consommation de drogues agrave des
peacuteriodes dans leur vie ougrave ils avaient un amoureux ou une amoureuse qui
ne consommait pas
Depuis que je sors avec elle je savais qursquoelle nrsquoaimait pas ccedila puis apregraveselle capotait alors jrsquoai reculeacute puis jrsquoai arrecircteacute (Quincy 16 ans maisonde jeunes)
Il ne voulait pas que je fume au deacutebut tu sais il me lrsquoa dit que lui il nefumait pas puis qursquoil nrsquoaimait pas ccedila des filles qui fument puis crsquoest unpeu agrave cause de lui aussi que jrsquoai arrecircteacute de fumer lagrave Depuis que je sors avecon dirait que je trouve ccedila moins dur drsquoarrecircter de fumer lagrave Lui il ne fumepas pantoute il nrsquoa jamais toucheacute agrave ccedila cela fait que moi jrsquoai arrecircteacute defumer lagrave (Cerise 16 ans milieu scolaire)
Autres avenues sports et arts ndash Plusieurs jeunes ont mentionneacute
qursquoils avaient cesseacute ou diminueacute leur consommation de drogues dans des
peacuteriodes ougrave ils srsquoadonnaient agrave des activiteacutes de nature sportive ou artistique
Ils parlent des fonctions occupantes et valorisantes de ces activiteacutes
Je suis devenu un peu moins illeacutegal pendant cet eacuteteacute-lagrave agrave cause du soccerTu sais ccedila mrsquoa bien aideacute ccedila mrsquoa bien gros accrocheacute puis ccedila mrsquoa permisde continuer ma vie et de faire ce que jrsquoavais agrave faire (Philippe 15 anscentre jeunesse)
Mais je pense que ce qui mrsquoa le plus aideacutee crsquoest que jrsquoai fait partie drsquounepiegravece drsquoune troupe de theacuteacirctre pendant deux ans Ccedila me donnait un butdans la vie et quand jrsquoai un but dans la vie le reste ne compte pas (Julie17 ans milieu scolaire)
142 LES GARCcedilONS EN PARTICULIER
Les reacutecits de vie recueillis aupregraves des garccedilons et des filles de lrsquoeacutechantillon
srsquoils se reacutevegravelent semblables agrave bien des eacutegards nrsquoen montrent pas moins
des distinctions dans les types de situations que ces jeunes relient le plus
clairement agrave lrsquoamplification de leur trajectoire deacuteviante Ainsi les garccedilons
parlent davantage de la recherche de plaisir et aussi de situations qui ont
entraicircneacute une reacuteaction agressive de leur part pour expliquer leur trajectoire
de deacutelinquance en particulier Par ailleurs ils font part de raisonnements
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22 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rationnels du type calcul du rapport coucirct-beacuteneacutefice lorsqursquoils racontent
pourquoi ils ont ralenti leur trajectoire de consommation agrave certaines
peacuteriodes de leur vie
1421 Motifs de deacutelinquance
Plaisir ndash Quelques garccedilons mentionnent le plaisir ressenti au moment de
commettre des deacutelits pour expliquer leur deacutelinquance Les filles nrsquoen font
pas mention
Les intros ces affaires-lagrave crsquoeacutetait juste pour le trip parce que je nrsquoen avaispas besoin drsquoargent jrsquoen faisais beaucoup en vendant de la dopehellip Ccedila merapportait rien ccedila me rapportait du fun (Oscar 18 ans centre jeunesse)
Pis lagrave jrsquoai commenceacute agrave me battre avec pis je ne sais pas jrsquoavais aimeacute ccedilaPis il eacutetait agrave terre plein de sang pis jrsquoavais comme un sentiment de pouvoirenvers lui Pis depuis ce temps-lagrave jrsquoy ai pris plaisir (Sacha 17 ans centrejeunesse)
Vengeance des abus subis par drsquoautres ndash Quelques garccedilons ont expli-
queacute certains de leurs deacutelits de violence en reacuteveacutelant qursquoils voulaient venger
des proches qui ont eacuteteacute abuseacutes comme pour deacutefendre leurs inteacuterecircts
[hellip] lagrave jrsquoai ressauteacute dessus [sur son beau-pegravere] Crsquoest comme tseacute crsquoeacutetaitplus de lrsquoaccumulation tseacute le temps lagrave Tseacute jrsquoeacutetais petit pis je le voyaistaper sur ma megravere pis tout Pis crsquoeacutetait comme agrave peu pregraves tout ce que jrsquoavaislagrave ma megraverehellip Tseacute je veux dire crsquoest comme srsquoil mrsquoavait arracheacute tout ce quime restaithellip Pis il fallait que je le fasse sentir au moins un petit peu commeil mrsquoavait fait sentir tseacutehellip Pis une grande gueule comme qursquoil est il acontinueacute pis lagrave jrsquoai comme laquo pitcheacute raquo le rouleau agrave pacircte pis je lrsquoai atteintau-dessus de lrsquoœil Pis lagrave ccedila srsquoest mis agrave saigner pis tout tseacutehellip (Louis17 ans centre jeunesse)
Lagrave il y avait plein de sang partout lagrave je capotais Lagrave je vois ma petitesœurhellip Mon fregravere me saute dessus il me dit laquo Elle srsquoest faite violer piscrsquoest un estie de negravegre qui lui a fait ccedilahellip raquo Lagrave depuis ce temps-lagrave les noirsccedila eacuteteacute fini fini fini Depuis ce temps-lagrave je suis devenu agressif tabarnachellipCrsquoest depuis ce temps-lagrave que je suis devenu violent pas mal sur les bords(Christian 17 ans centre jeunesse)
Un instinct de survie ndash Certains jeunes reacutepondants affilieacutes agrave des
gangs de rue ont eacutevoqueacute une forme de leacutegitime deacutefense pour expliquer
qursquoils aient commis des deacutelits violents
Crsquoest lagrave que jrsquoai lacirccheacute tous les noirs pis lagrave apregraves ccedila quand tu deacutebarquesdrsquoune gang lagrave-bas trsquoes un estie tu te fais traiter de conhellip Faque je me suisbattu en masse pis je suis devenu violent en tabarnac il fallait que je medeacutefende je nrsquoavais pas le choix (Christian 17 ans centre jeunesse)
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Ccedila ne me deacuterange pas de tuer srsquoil y en a un en avant de moi qui veut mefaire chier et que je vois dans ses yeux qursquoil veut me tuer eh bien je vaisle tuer avant qursquoil le fasse crsquoest simple (Moh 19 ans jeune de la rue)
Une laquo susceptibiliteacute raquo agressive ndash Certains garccedilons ont raconteacute avoir
eacuteteacute violents envers drsquoautres jeunes en reacuteponse agrave un comportement de leur
part qursquoils jugeaient offensant
Une autre fois il y en avait un qui mrsquoeacutenervait puis le lendemain jrsquoaiapporteacute un couteau agrave lrsquoeacutecole Puis je me battais apregraves lrsquoeacutecolehellip (William17 ans centre jeunesse)
Chaque fois que quelqursquoun disait quelque chose de pas correct sur moijrsquoallais le chercher et je le battaishellip (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)
1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation
Meilleure harmonie familiale ndash Mecircme si certains garccedilons disent avoir eacuteteacute
initieacutes aux drogues par leurs parents drsquoautres expliquent qursquoils ont cesseacute
ou diminueacute leur consommation afin de preacuteserver la paix avec leurs parents
ou par attachement parental
Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Ccedila fait que ccedila mrsquoaencourageacute agrave ne pas en refumer Mettons que ccedila mrsquoencourage agrave pas fumerde la drogue aussi souvent devenir un leacutegume agrave cause de ccedila ccedila mrsquointeacuteressepas fumer Ccedila fait que ccedila ma megravere celle-lagrave elle lrsquoa jamais su je trouveque crsquoest peut-ecirctre bien agrave quelque part peut-ecirctre qursquoelle mrsquoaurait sucircrementre-peacuteteacute une coche comme la derniegravere fois Je trouve ccedila mieux de mecircme ellesait que je nrsquoen prends pas pis je nrsquoai pas inteacuterecirct agrave en prendre de un etde deux je nrsquoaime pas ccedila (Bac 17 ans milieu scolaire)
Agrave un moment donneacute jrsquoai consommeacute pendant deux semaines tregraves intensi-vement puis je me suis eacutecœureacute Je me suis dit laquo Pourquoi Qursquoest-ce queccedila change raquo Crsquoest surtout que mes parents ne le savaient pas Agrave chaquefois que jrsquoarrivais agrave la maison je ne savais jamais si mes parents srsquoenrendraient compte toutes les fois tu comprends Et puis je me suis tanneacutedrsquoavoir peur et jrsquoai reacutealiseacute que ccedila ne me donnait rienhellip (Samuel 16 ansmaison de jeunes)
Trop agrave perdre ou rien agrave gagner une reacuteflexion laquo rationnelle raquo ndash De
maniegravere particuliegraverement rationnelle certains garccedilons calculent qursquoils ont
trop agrave perdre ou rien agrave gagner agrave consommer des drogues
Ccedila fait 4 mois que jrsquoai arrecircteacute pour la peacuteriode drsquoexamen parce que je savaisque ccedila me rendait genre un petit peu cellule dans ma tecircte (Arnold 15 ansmilieu scolaire)
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24 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Aujourdrsquohui la cour me lrsquoa encore obligeacute de travailler ma consommationsauf que je suis conscient du besoin que jrsquoai de geacuterer ma consommation eten plus on a vendu notre maison agrave Trois-Riviegraveres ma megravere srsquoen va habiteragrave Longueuil et moi je poursuis mes eacutetudes au professionnel agrave Trois-Riviegraveresalors je vais me retrouver en appartement Pour ccedila il faut de lrsquoargent et sije fume trop comme je fumais avant eh bien je nrsquoaurai plus drsquoargent pourpayer mon loyer et tout ccedila Cela fait que je vais avoir un problegraveme Crsquoestpour ccedila que je mrsquoimplique reacuteellement dans mon atelier de toxicomanie(Jean 18 ans centre jeunesse)
Pour reacuteussir une carriegravere deacutelinquante ndash Certains garccedilons de lrsquoeacutetude
mentionnent qursquoils ont cesseacute ou diminueacute leur usage de drogue ou de
certaines drogues pour srsquoassurer de faire beaucoup de profits illeacutegaux ou
pour eacuteviter de se faire arrecircter par les policiers
Quelqursquoun qui vend un vendeur lagrave ccedila ne touche pas comme un gars quivend du crack il ne touche pas au crack Sinon crsquoest lui qui fume sonstock Ben moi je ne fume pas de crack alors je peux vendre (William17 ans centre jeunesse)
Un bon voleur ok il ne va jamais faire ses affaires quand il est chaud ougeleacute tu as pas mal plus de risque de te faire prendre (Outwall 17 anscentre jeunesse)
143 LES FILLES EN PARTICULIER
Peu de chose distinguent speacutecifiquement les filles sinon le fait deacutejagrave men-
tionneacute qursquoune grande partie de leur reacutecit srsquoarticule autour du besoin de
plaire aux pairs deacuteviants pour expliquer leur consommation de drogues
ou leur implication dans la deacutelinquance et le fait que parmi les motifs de
sortie se trouve la reacuteponse agrave un ultimatum parental
1431 Motif de consommation
Un vide affectif ndash Certaines filles reacutevegravelent consommer des drogues pour
combler un sentiment de vide drsquoamour
Mais tseacute je voulais prouver que jrsquoeacutetais vieille de caractegravere que jrsquoeacutetaisquelqursquoun Pour qursquoils mrsquoaiment parce que je me sentais ben gros pas aimeacute(Pamela 16 ans centre de toxicomanie)
Parce que je ne voulais pas ressentir le vide que jrsquoai en dedans un videinteacuterieur de ne pas recevoir de lrsquoamour autant que je voudrais tout le tempsce vide agrave combler tu sais (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)
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1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation
et de la deacutelinquance
Ultimatum parental ndash Afin de preacuteserver une relation relativement satisfai-
sante avec leur pegravere ou leur megravere ou afin de lrsquoameacuteliorer certaines filles
disent avoir diminueacute ou cesseacute leur consommation drsquoune ou de plusieurs
drogues agrave leur demande ou parce qursquoelles ont compris qursquoautrement elles
se feraient rejeter
Apregraves cet eacuteveacutenement-lagrave jrsquoai reconsommeacute jrsquoai recontinueacute agrave vendre tu saisccedila nrsquoavait pas cliqueacute dans ma tecircte pis euh quand que ma megravere a trouveacutemon sac de ziploc dans ma sacoche elle a dit laquo je suis eacutecœureacutee raquo elle adit laquo jrsquoabandonne raquo elle a dit laquo je trsquoabandonne raquo elle a dit laquo je ne peuxplus rien faire pour toi raquo elle a dit laquo fais donc ce que tu veux je mrsquoencalice raquo Ccedila fait que crsquoest lagrave que ccedila a cliqueacute laquo jrsquoai un problegraveme raquo pis lagravejrsquoai peacuteteacute les plombs je braillais pis laquo qursquoest-ce que je vais faire raquo Crsquoest lagraveque je suis alleacutee voir Juliette lrsquointervenante en toxico jrsquoai dit lagrave lagrave fais dequoi (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)
Je ne vole plus maintenant Je me suis calmeacutee parce que je me suis dit quesi je me faisais prendre encorehellip ce nrsquoest pas que jrsquoai peur ou que je mesens mal crsquoest juste qursquoils vont appeler ma megravere Je ne veux pas que mamegravere soit choqueacutee apregraves moi Crsquoest trop je lui ai causeacute assez de maux detecircte comme ccedila Apregraves tout je veux continuer de rester avec elle sinon ougravejrsquoirais Je ne veux pas aller habiter avec mon pegravere il est beaucoup tropseacutevegravere (Anouk 16 ans maison de jeunes)
CONCLUSION
Dans son bilan des recherches sur lrsquousage de drogues des jeunes Queacutebeacutecois
depuis les anneacutees 1960 Le Blanc (2005) conclut que les eacutetudes relatives
aux eacuteleacutements qui preacutecipitent la consommation et surtout agrave ceux qui en
facilitent lrsquoarrecirct sont encore trop peu nombreuses Nous avons voulu
apporter une compreacutehension compleacutementaire et diffeacuterente au corpus de
recherches deacutejagrave existant en nous centrant sur la lecture que font les
adolescents de leur trajectoire drsquousage de drogues et de deacutelinquance Non
seulement les motifs eacutevoqueacutes par les jeunes pour expliquer qursquoils consom-
maient ou qursquoils commettaient des deacutelits agrave certaines peacuteriodes de leur vie
eacutetaient rechercheacutes mais aussi ceux qursquoils ont eacutevoqueacutes relativement aux
peacuteriodes ougrave ils diminuaient ou cessaient leur implication deacuteviante De
plus il est apparu important de faire cet exercice en distinguant les filles
et les garccedilons Trop souvent en effet on a conclu agrave lrsquoinsignifiance de la
deacutelinquance des filles en srsquoappuyant sur des donneacutees statistiques issues de
sources policiegraveres ou judiciaires donneacutees qui indiquent une tregraves faible
preacutesence des filles au sein de la population de jeunes deacutelinquants eacutetudieacutee
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26 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Devant ce constat plusieurs chercheurs ont convenu de faire porter leurs
eacutetudes sur le seul groupe des deacutelinquants de sexe masculin repoussant
dans lrsquoombre la speacutecificiteacute possible de la deacutelinquance des filles et de son
traitement judiciaire et peacutenal
Essentiellement on constate que les motifs eacutevoqueacutes par les filles et les
garccedilons pour consommer des drogues et commettre des deacutelits sont dans
la plupart des cas les mecircmes curiositeacute plaisir oubli appartenance agrave un
groupe de pairs problegravemes familiaux vengeance des abus subis person-
nellement Les raisons que filles et garccedilons associent agrave des peacuteriodes de
diminution ou drsquoarrecirct de ces comportements deacuteviants sont aussi geacuteneacutera-
lement les mecircmes conseacutequences physiques psychologiques et sociales
devenues intoleacuterables pairs ou amoureux conformistes activiteacutes alterna-
tives agrave la consommation Ainsi contrairement agrave ce qursquoon avait pu croire
en se fiant aux statistiques portant sur la deacutelinquance juveacutenile une cer-
taine forme drsquoandrogynie (Cloutier 1996) apparaicirct au moment de consi-
deacuterer les motivations que les filles et les garccedilons associent au deacutebut et au
maintien de leur implication dans une trajectoire deacuteviante
Sur le plan de lrsquointervention il paraicirct inteacuteressant de srsquoattarder au rocircle
particulier que jouent lrsquoassociation agrave des pairs conformistes et les alterna-
tives agrave la consommation entraicircnant des peacuteriodes drsquoaccalmie et mecircme drsquoabs-
tinence dans les comportements deacuteviants des jeunes des deux sexes Il y a
lagrave certainement des pistes drsquointervention qui se dessinent se concreacutetisant
notamment par la mise en œuvre de projets positifs susceptibles de susciter
lrsquointeacuterecirct et lrsquoinvestissement des jeunes deacuteviants qui pourraient y participer
de concert avec des jeunes plus conformistes
Des caracteacuteristiques propres aux garccedilons sont toutefois deacutecelables
dans le mateacuteriel recueilli aupregraves des jeunes reacutepondants La recherche du
plaisir ainsi que des reacuteactions agressives se deacutegagent de leurs motivations
agrave commettre des deacutelits et pas de celles deacutevoileacutees par les filles Ici il y a
lieu de srsquoattarder au caractegravere souvent impulsif des garccedilons et agrave leur
recherche constante de gratification immeacutediate et drsquoen tenir compte dans
la planification de lrsquointervention
Pour expliquer une accalmie dans leur trajectoire de consommation
certains jeunes garccedilons estiment avoir eu trop agrave perdre sur les plans fami-
lial scolaire ou des conditions drsquohabitation Ils eacutevoquent aussi le fait que
leur usage de drogues pouvait nuire agrave leur laquo carriegravere deacutelinquante raquo Le
raisonnement arithmeacutetique associeacute aux garccedilons peut ecirctre eacutevoqueacute ici
(Cloutier 1996) Lrsquoexercice de prise de deacutecision soupesant les avantages
et les deacutesavantages drsquoune situation de consommation paraicirct approprieacute
pour les garccedilons dans la mesure ougrave on les laisse aborder eux-mecircmes les
aspects neacutegatifs de leur usage de drogues Il srsquoagit drsquoailleurs lagrave drsquoune
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strateacutegie qui srsquoest reacuteveacuteleacutee utile dans le cadre de lrsquoapproche motivationnelle
de plus en plus conseilleacutee pour lrsquointervention preacuteventive et de reacuteadaptation
meneacutee aupregraves des jeunes consommateurs de drogues (Prochaska Norcross
et DiClemente 1994)
Quant aux filles elles se distinguent des garccedilons lorsqursquoelles invoquent
un manque drsquoamour pour expliquer leur consommation Elles sont aussi
les seules agrave faire reacutefeacuterence agrave une forme drsquoultimatum parental lorsqursquoelles
mentionnent les peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur trajectoire deacuteviante Cloutier
(1996) dirait probablement que ces reacutesultats sont lieacutes au processus iden-
titaire feacuteminin lequel se caracteacuterise par une constante reacutefeacuterence au rap-
port aux autres Une intervention faisant appel agrave la famille et visant agrave
deacutevelopper des relations saines entre ses membres se preacutesente degraves lors
comme une avenue inteacuteressante pour les filles en venant notamment
combler le vide affectif que celles-ci deacutenoncent
Lrsquoexercice qui consiste agrave demander agrave des jeunes de se raconter dans
le cadre drsquoune entrevue semi-directive srsquoest aveacutereacute tregraves profitable pour
approfondir nuancer et qualifier les connaissances sur leurs trajectoires
drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Il apparaicirct indis-
pensable pour bien comprendre les jeunes et intervenir aupregraves drsquoeux
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TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES
Diversiteacute des cheminements
et effets de geacuteneacuteration au sein
des milieux populaires en France
M
ICHEL
K
OKOREFF
Universiteacute Paris VCESAMES (CNRSndashINSERMndashParis V)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce chapitre part de la notion de laquo carriegraveres raquo telle qursquoelle est deacutefinie par
Howard Becker (1963) et en propose une lecture renouveleacutee dans un
contexte social et urbain et agrave propos de pratiques speacutecifiques Il srsquoapplique
agrave deacutecrire et agrave analyser les carriegraveres des usagers et des revendeurs de
drogues consideacutereacutees dans leurs dimensions territoriales dans les quartiers
pauvres Il srsquoappuie essentiellement sur des entretiens de type qualitatif
aupregraves drsquoindividus rencontreacutes pour la plupart en deacutetention
1
Une enquecircte
par observation meneacutee durant plusieurs anneacutees dans plusieurs communes
de la reacutegion parisienne et une analyse de la construction des affaires por-
tant sur des infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants dans la juridiction
de reacutefeacuterence constituent lrsquoarriegravere-plan de cette recherche qualitative elles
rendent possible une mise en situation de ce que nous avons appeleacute des
laquo reacutecits de carriegraveres raquo (Duprez et Kokoreff 2000) Agrave partir de ces donneacutees
il srsquoagit de mettre en relief les facteurs structurant les carriegraveres crsquoest-agrave-dire
des processus qui conduisent au deacuteveloppement de ces conduites illicites
dans un monde social donneacute Plus preacuteciseacutement on se propose drsquointerroger
lrsquoinfluence de lrsquoappartenance agrave une geacuteneacuteration sur les modaliteacutes drsquoenga-
gement dans le trafic consideacutereacute essentiellement agrave lrsquoeacutechelle locale
Nous commencerons par expliciter cette probleacutematique puis nous
distinguerons deux types de cheminements au sein de ce monde social
lrsquoun centreacute sur la consommation drsquoheacuteroiumlne agrave lrsquointeacuterieur drsquoune cohorte
neacutee au deacutebut des anneacutees 1960 lrsquoautre marqueacute par une entreacutee dans le
trafic de divers produits au cours des anneacutees 1990 avant de souligner la
diffeacuterenciation des positions dans le trafic
21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES SELON
LES GEacuteNEacuteRATIONS
Tout se passe aujourdrsquohui en France tout au moins comme si lrsquoengage-
ment dans le trafic de drogues illicites eacutetait le destin des pauvres inheacuterent
aux conditions de vie et de socialisation Or une telle repreacutesentation
largement inteacuterioriseacutee tant par les habitants des quartiers et les acteurs
locaux que par lrsquoopinion publique est doublement reacuteductrice Elle parti-
cipe tout drsquoabord drsquoun effet de meacuteconnaissance de la reacutealiteacute sociale de
1 Ce mode de seacutelection agrave partir du processus peacutenal constitue bien eacutevidemment unlaquo biais raquo Il conduit agrave la surrepreacutesentation drsquoune cateacutegorie de personnes selon unelogique ougrave lrsquoorigine sociale la nationaliteacute et les preacuteceacutedents jouent un rocircle consideacuterableCela eacutetant les caracteacuteristiques de cette population sont tregraves proches de celle que lechercheur est ameneacute agrave rencontrer dans les quartiers et qui srsquoavegravere la plus visible
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES
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ces pratiques qui deacutepasse largement lrsquohorizon borneacute des quartiers HLM
Elle occulte ensuite la diversiteacute interne des carriegraveres dans la drogue au
sein des mondes populaires Autrement dit contrairement aux ideacutees
reccedilues les jeunes des citeacutes ne sont pas tous des
dealers
ndash comme ils ne
sont pas tous impliqueacutes durablement dans un systegraveme de vie structureacute
autour de la deacutelinquance
2
Par ailleurs cette mise en repreacutesentation
sociale des figures urbaines des deacuteviances juveacuteniles preacutesente un inconveacute-
nient majeur elle ne permet pas ensuite de comprendre les diffeacuterentes
phases des carriegraveres dans le monde de la drogue aussi bien que la varieacuteteacute
des cheminements crsquoest-agrave-dire de reacutepondre agrave la question laquo Comment
devient-on
dealer
raquo
211 A
U
-
DELAgrave
DU
FEacuteTICHISME
CONCEPTUEL
L
rsquo
ANALYSE DES PROCESSUS
Lrsquointeacuterecirct de la notion de laquo carriegravere raquo telle qursquoelle a eacuteteacute appliqueacutee au
domaine des conduites deacuteviantes par Becker (1963) dans le prolongement
de Hughes (1958) vise agrave reacutepondre agrave ce type drsquointerrogation Cette notion
consiste agrave prendre en compte les dimensions agrave la fois objectives et subjec-
tives drsquoune succession drsquoactions En ce sens elle est un moyen terme entre
les approches des trajectoires de vie de type deacuteterministe et celles qui sont
plus attentives aux singulariteacutes biographiques Il srsquoagit drsquoun laquo pont raquo entre
trajectoires objectives et trajectoires subjectives (Dubar 1998) qui peut
donner lieu agrave des approches tant qualitatives que quantitatives (Peretti-
Watel 2001) Lrsquoun des apports de ces travaux est de resituer des pratiques
dans des parcours et des contextes sociaux ougrave jouent aussi bien les rela-
tions avec les familles et les groupes de pairs que celles avec les institutions
reacutepressives sanitaires ou sociales Loin de constituer un chemin traceacute
drsquoavance un effet de destin les carriegraveres sont le produit de
lrsquointeraction
entre ces diffeacuterents eacuteleacutements Ce qui conduit agrave mettre en relief les tem-
poraliteacutes dans lesquelles srsquoinscrivent ces pratiques crsquoest-agrave-dire les seacutequences
ou les phases les moments et les seuils les points de rupture ou de
bifurcation constitutifs des carriegraveres dans un monde social donneacute toujours
en interaction avec drsquoautres mondes sociaux (les policiers les magistrats
les travailleurs sociaux et intervenants speacutecialiseacutes etc)
2 Pour une tentative de classification des jeunes habitant les quartiers HLM voir notam-ment Begag et Delorme 1994 Jazouli 1995 Oberti 1999
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cela eacutetant la notion de carriegravere preacutesente aussi des limites
3
Lrsquoaccent
mis sur ce laquo qui fait de la deacuteviance un genre de vie raquo (Becker 1963) sur
la consommation plus que sur le trafic conduit agrave deacutelaisser les facteurs lieacutes
aux conditions de vie et au cadre urbain Or dans les contextes eacutetudieacutes
les effets de milieu ndash au sens eacutecologique du terme ndash lrsquoaccumulation des
difficulteacutes sociales et personnelles les ruptures biographiques qursquoelles
impliquent sont des facteurs tregraves preacutegnants dans le deacuteveloppement des
pratiques illicites pouvant entraicircner deux conseacutequences Drsquoune part on
peut estimer que les logiques sont autant de contraintes qui interviennent
en amont des pratiques Lrsquoanalyse des trajectoires sociales srsquoinscrit dans
cette perspective avec le risque drsquoun glissement vers un modegravele balistique
(Chamboredon 1971) de celles-ci Ce qui serait occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute
des trajectoires des laquo jeunes toxicomanes des banlieues raquo (Bouhnik 1994)
Drsquoautre part la notion drsquoengagement utiliseacutee par les interactionnistes
srsquoavegravere difficile agrave manier Elle amegravene agrave consideacuterer les usagers de drogues
comme des acteurs de leur histoire (et non comme de simples agents ou
malades) agrave repeacuterer les dilemmes auxquels ils ont agrave faire face et les reacuteponses
qui y sont apporteacutees Comment consideacuterer comme un laquo engagement raquo ce
qui paraicirct ecirctre une suite de petites coupures Sur le plan meacutethodologique
on bute ici sur un problegraveme que Passeron (1989) a bien mis en relief
comment faire la part de lrsquoaspect indissociablement contraignant non voulu
(objectiveacute) et veacutecu comme personnel (subjectiveacute) drsquoune biographie
4
Agrave
cette difficulteacute srsquoajoutent les effets de sens associeacutes agrave cette notion qui
rendent son usage parfois ambigu au-delagrave du cercle des speacutecialistes Enfin
en deacutepit des preacutecautions drsquousage le terme de carriegravere a une reacutesonance
particuliegravere associeacute qursquoil est au modegravele de la reacuteussite en particulier
lorsqursquoil est accoleacute aux activiteacutes de revente et de distribution dans des
quartiers de misegravere
Jrsquoai donc preacutefeacutereacute adopter dans ce texte la notion de laquo cheminements raquo
Situeacutee dans le mecircme registre seacutemantique que les notions de trajectoire
parcours itineacuteraire ligne biographique ou ligne de vie cette notion me
semblait aussi plus neutre Lrsquoideacutee forte eacutetait de suggeacuterer le caractegravere non
lineacuteaire reacuteversible accidenteacute bref la complexiteacute des processus lieacutes agrave
lrsquousage de drogues sans bien entendu dissiper totalement les problegravemes
3 La litteacuterature speacutecialiseacutee anglo-saxonne visant agrave discuter les travaux de Becker et agraverevisiter les donneacutees utiliseacutees est vaste Voir les contributions reacutecentes de Hathaway(1997)
4 Voir agrave ce propos les travaux des chercheurs canadiens sur les laquo biogrammes raquo Il srsquoagitdrsquoarticuler des donneacutees quantitatives et qualitatives sur la base de calendriers reacutealiseacutes agravepartir de la consultation de dossiers officiels qui sont compleacuteteacutes et approfondis aumoyen drsquoentrevues semi-dirigeacutees De la sorte la chronologie des eacuteveacutenements est eacutetablieen parallegravele avec ce qui a fait sens dans les trajectoires des deacutelinquants au cours destrois derniegraveres anneacutees Voir Brochu da Agra et Cousineau (2002)
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
eacutevoqueacutes Sans ceacuteder au feacutetichisme conceptuel souvent de mise au sein des
sciences sociales crsquoest bien cet aspect qursquoil faut retenir au regard des
donneacutees recueillies
Afin de restituer cette complexiteacute on se propose de probleacutematiser
les liens entre carriegraveres et geacuteneacuterations En quoi les appartenances de
geacuteneacuteration ou de cohorte
5
influent-elles sur le deacuteveloppement des carriegraveres
en particulier dans le trafic de drogues Dans quelle mesure permettent-
ils de rendre compte de la varieacuteteacute des parcours ou des configurations
biographiques en relation avec drsquoautres facteurs (sociaux familiaux ter-
ritoriaux institutionnels)
6
212 L
ES
EFFETS
DE
GEacuteNEacuteRATION
Il est banal de consideacuterer la drogue comme un pheacutenomegravene de geacuteneacuteration
En ce qui concerne les usagers drsquoheacuteroiumlne on distingue geacuteneacuteralement
deux geacuteneacuterations Celle des anneacutees 1970 eacutetait composeacutee pour une grande
part de jeunes de couches moyennes et supeacuterieures dont le rapport agrave la
drogue eacutetait deacutefini par la contre-culture plutocirct que par le cumul des
handicaps sociaux Celle des anneacutees 1980 appartenait en revanche agrave la
jeunesse des classes populaires particuliegraverement toucheacutees par le chocircmage
de masse et la preacutecariteacute Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre on a assisteacute agrave une
diffusion verticale de lrsquousage de drogues et agrave une extension des produits
consommeacutes qui ont modifieacute leur repreacutesentation sociale drsquoun attribut
contre-culturel la drogue est (re)devenue un laquo fleacuteau social raquo (Mauger
1984) Crsquoest aussi le traitement institutionnel qui distingue ces deux geacuteneacute-
rations Si en effet la premiegravere a constitueacute la clientegravele de base du dispo-
sitif de soins speacutecialiseacutes qui srsquoest progressivement mis en place apregraves la loi
de 1970 la seconde a eu difficilement accegraves agrave des structures peu adapteacutees
5 On nrsquoignore pas les difficulteacutes que posent les notions souvent confondues de geacuteneacuterationet de cohorte Selon la deacutefinition geacuteneacuterale que peut en donner la deacutemographie unecohorte est constitueacutee drsquoun ensemble drsquoindividus qui ont veacutecu un eacuteveacutenement semblablependant la mecircme peacuteriode de temps Dans ce sens la geacuteneacuteration pourra ecirctre deacutefiniecomme une laquo cohorte de naissance raquo Afin de dissiper cette ambiguiumlteacute certains socio-logues reacuteservent le terme de geacuteneacuteration au domaine de la parenteacute drsquoautres en fontlrsquoeacutequivalent drsquoune position de classe drsquoautres encore insistent sur le fait drsquoavoir veacutecules mecircmes expeacuteriences collectives Ces questions de deacutefinition sont indissociables decelles plus techniques qui consistent agrave diffeacuterencier les effets de geacuteneacuteration (lrsquoapparte-nance agrave une cohorte de naissance particuliegravere) les effets drsquoacircge (qui relegravevent du vieillis-sement) et les effets de peacuteriode (srsquoexerccedilant sur tous les membres drsquoune socieacuteteacute quelque soit lrsquoacircge) Elles seront peu abordeacutees en tant que telles ici lrsquoarticle eacutetant centreacutesur les aspects empiriques de la dynamique des carriegraveres selon les geacuteneacuterations
6 Voir dans un autre domaine (les personnes heacutemophiles) mais agrave partir drsquoune approchecomparable les analyses stimulantes consacreacutees par Carricaburu (2000) aux laquotrajectoiresde maladie raquo
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
de surcroicirct agrave ses caracteacuteristiques sociologiques et sanitaires (Bergeron
1999) La proleacutetarisation de la consommation a eacuteteacute synonyme drsquoun rabat-
tement de la toxicomanie sur la deacutelinquance urbaine
Sans doute cette opposition traduite en termes de classes sociales
(moyennespopulaires) devrait-elle ecirctre affineacutee Non parce que ce voca-
bulaire serait devenu deacutesuet mais pour deux raisons essentielles distin-
guer plusieurs phases pour comprendre lrsquoapparition et la diffusion des
drogues dans les quartiers de releacutegation drsquoune part prendre en compte
agrave cocircteacute des pratiques de consommation les pratiques de revente qui consti-
tuent le fait majeur des anneacutees 1990 drsquoautre part Dans ce sens on pourrait
distinguer non pas deux geacuteneacuterations mais quatre cohortes
Pour en rester aux milieux populaires force est de constater que les
enfants des familles ouvriegraveres drsquoorigine franccedilaise ou eacutetrangegravere qui ont
eu 20 ans au deacutebut des anneacutees 1970 nrsquoont pas connu les drogues ndash en
tout cas pas lrsquoheacuteroiumlne et accessoirement le cannabis dans le cas restant
limiteacute des eacutetudiants Si certains quartiers sont des foyers de deacutelinquance
notoire ougrave lrsquoexistence de bandes se traduit par divers meacutefaits (vols bra-
quages homicides etc) la drogue est apparenteacutee agrave la bourgeoisie et est
signe de faiblesse La persistance des codes sociaux des anciens voyous
peut expliquer que lrsquoarriveacutee massive de lrsquoheacuteroiumlne dans drsquoanciennes citeacutes
ouvriegraveres ait pu ecirctre retardeacutee au cours des anneacutees 1980 alors que dans drsquoautres
citeacutes moins structureacutees elle soit survenue degraves le deacutebut des anneacutees 1970
7
Dans son reacutecit de lrsquoitineacuteraire collectif des jeunes Algeacuteriens (ou drsquoorigine
algeacuterienne) neacutes agrave Nanterre Colombes ou Gennevilliers qui ont grandi
dans les bidonvilles puis les citeacutes de transit Lefort (1980) nrsquoaborde pas
cette question Deux raisons peuvent ecirctre invoqueacutees Drsquoune part lrsquoorga-
nisation sociale des bidonvilles consideacutereacutes comme un veacuteritable quartier
suburbain (Peacutetonnet 1982) conduit agrave un rejet de tout ce qui nrsquoest
pas le groupe eacutetroit La situation politique apregraves la fin de la guerre drsquoAlgeacuterie
et le vide laisseacute par le deacutepart des cadres du Front national de libeacuteration
(FNL) renforcent cette meacutefiance Celle-ci se porte sur les journalistes
autant que sur les gauchistes dont les comportements sont deacutecrits comme
ceux de missionnaires La peacutedophilie
8
tregraves preacutesente dans les anneacutees 1960
renforce cette deacutefense du territoire Il ne pouvait donc y avoir de revente
7 Sur les processus drsquoimmunisation et drsquoacceacuteleacuteration de la deacuteviance voir les remarquesde Becker (1963 p 59-61) sur le rocircle des facteurs structurels voir Fagan (1995)
8 Traditionnellement la laquo zone raquo est un lieu ougrave les bourgeois viennent srsquoencanailler Defait dans les anneacutees 1960 les membres de milieux aiseacutes ont des relations sexuelles avecdes jeunes garccedilons arabes tout particuliegraverement Lefort (1980) mentionne bien ceproblegraveme et comment il a eacuteteacute geacutereacute par la police agrave partir drsquoune logique de cantonnementque lrsquoon retrouvera plus tard agrave propos du trafic de drogues
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de drogues agrave ce moment-lagrave Si certains teacutemoignages signalent une con-
sommation de cannabis elle est le fait des laquo vieux raquo qui se maintiennent
agrave bonne distance des laquo jeunes raquo Et lorsque des jeunes commencent agrave
prendre du cannabis et de lrsquoheacuteroiumlne ils le font de faccedilon cacheacutee dans un
cas et agrave lrsquoexteacuterieur de leur espace de vie agrave Paris dans lrsquoautre comme on
le verra plus loin
En fait crsquoest parmi les fregraveres cadets que lrsquoheacuteroiumlne se diffuse Neacutes
dans la premiegravere partie des anneacutees 1960 ces jeunes commencent agrave consom-
mer dans la seconde partie des anneacutees 1970 parfois de faccedilon preacutecoce (agrave
16 ans et moins) Selon les teacutemoignages recueillis crsquoest vers 1982-1983 que
lrsquoon assiste agrave lrsquoeacutemergence de la toxicomanie chez les jeunes filles qui
restera malgreacute tout discregravete dans le contexte eacutetudieacute Quels sont les facteurs
qui ont rendu possible
la diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers popu-
laires peacuteripheacuteriques Quelle forme speacutecifique les carriegraveres ont-elles prise
On verra comment la carriegravere des jeunes des quartiers a eacuteteacute ponctueacutee par
le passage de la laquo petite deacutelinquance raquo agrave lrsquousage puis de la deacutependance au
trafic avant drsquoentrer dans un cycle de vie marqueacute par drsquoinnombrables
seacutejours en prison
Une seconde coupure peut ecirctre repeacutereacutee avec la geacuteneacuteration neacutee agrave la
fin des anneacutees 1970 La grande caracteacuteristique en est la dissociation entre
usage et trafic Souvent usagers de cannabis les acteurs du trafic drsquoheacuteroiumlne
ne sont pas usagers ndash du moins agrave un moment de leur carriegravere Agrave une
logique drsquoautofinancement de la consommation se substitue une logique
que lrsquoon pourrait dire de laquo revalidation sociale raquo au sens ougrave elle vient
conjurer les effets de lrsquoinvalidation sociale dont une part des habitants des
citeacutes sont lrsquoobjet il srsquoagit de faire de lrsquoargent tout en eacutetant quelqursquoun Les
carriegraveres de cette nouvelle geacuteneacuteration renvoient agrave une professionnalisa-
tion du commerce local de drogues et agrave un durcissement des rapports
sociaux de trafic
Pour grossir le trait on peut donc distinguer deux types de chemi-
nements Dans le cas de la geacuteneacuteration des usagers drsquoheacuteroiumlne devenus pour
une part revendeurs crsquoest une logique de marginalisation sociale qui sous-
tend les trajectoires Dans celui des
dealers
non usagers crsquoest une logique
drsquointeacutegration sociale par des voies illicites qui les sous-tend afin drsquoacceacuteder
agrave lrsquoargent ndash signe majeur de la reacuteussite sociale aujourdrsquohui Mais une
diffeacuterence essentielle est agrave prendre en compte pour appreacutecier ces itineacute-
raires et les ressources mobiliseacutees par les uns et les autres Agrave un certain
moment les toxicomanes empruntent un chemin bien diffeacuterent des
laquo petits voyous raquo de banlieue qui ont acquis leur reacuteputation en faisant des
braquages dans le monde des jeux ou de la prostitution ils vont contri-
buer agrave construire une culture de la drogue dans les quartiers avec ses
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normes et ses valeurs ses savoir-faire et ses techniques ses mythes et ses
leacutegendes Les
dealers
de citeacutes ont eux largement heacuteriteacute de cette culture
ils ont grandi avec
Avant de revenir de faccedilon deacutetailleacutee sur ces dynamiques disons un
mot sur les liens intergeacuteneacuterationnels La geacuteneacuteration des laquo grands fregraveres raquo
a ndash au moins durant un temps ndash tenteacute drsquoempecirccher la revente de la laquopoudreraquo
sur leur territoire et exerceacute une pression morale La geacuteneacuteration suivante
en partie deacutemolie par les surdoses le sida les suicides a servi de modegravele
repoussoir agrave une troisiegraveme geacuteneacuteration dont lrsquoinvestissement eacuteconomique
est primordial ndash ce qui nrsquoempecircche pas certains drsquoentre eux de laquo tomber
dedans raquo agrave un moment donneacute Quant aux adolescents drsquoaujourdrsquohui le
plus souvent ils connaissent peu cette histoire Il apparaicirct que la force de
lrsquoexemple nrsquoa pas joueacute pour eux comme on aurait pu srsquoy attendre
9
22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES
DES ANNEacuteES 1980
221 L
E
CONTEXTE
SOCIAL
ET
URBAIN
La diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les banlieues srsquoest deacuteveloppeacutee dans un
contexte social et eacuteconomique bien particulier qui permet de rendre
compte de lrsquoinscription territoriale des carriegraveres Trois caracteacuteristiques
essentielles de ce processus peuvent ecirctre rappeleacutees
La premiegravere est que ces territoires ont eacuteteacute particuliegraverement affecteacutes
par les effets sociaux de la deacutesindustrialisation ainsi que par le mouve-
ment de deacutelocalisation des grandes uniteacutes au cours des anneacutees 1970 On
assiste aux premiers signes de lrsquoeffondrement du marcheacute du travail agrave cette
peacuteriode Les eacutetablissements industriels implanteacutes dans les sites eacutetudieacutes
perdent pregraves du quart de leurs effectifs salarieacutes Il en reacutesulte un chocircmage
massif et une grande difficulteacute des jeunes agrave trouver un emploi Parallegravele-
ment on assiste agrave une deacutecomposition du monde ouvrier qui perd ses
capaciteacutes de socialisation drsquoencadrement des deacuteviances juveacuteniles (Dubet
et Lapeyronnie 1992) processus se traduisant par un rejet de la condition
ouvriegravere (Beaud et Pialoux 1999)
9 Crsquoest aussi le constat que fait Esterle-Heacutedibel (1997) sur deux terrains diffeacuterents de lareacutegion parisienne Les peacuteriodisations observeacutees du deacuteveloppement des toxicomanies etdes trafics sont aussi tregraves semblables dans ces diffeacuterents quartiers agrave celles que nous avonsobserveacutees
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La deuxiegraveme caracteacuteristique reacutesulte des effets conjugueacutes des processus
drsquoimmigration et drsquourbanisation de masse Bien avant 1974 date de lrsquoarrecirct
officiel de lrsquoimmigration de main-drsquoœuvre les ouvriers que les grandes
entreprises sont alleacutees chercher dans les zones rurales du Maroc et de
lrsquoAlgeacuterie vivent avec leur famille dans des conditions de misegravere Neacutean-
moins une vie communautaire existe (Peacutetonnet 1982) Le relogement
contraint dans les citeacutes de transit marque cependant une rupture (Zehraoui
1994) Srsquoamorce une peacuteriode de cohabitation interethnique synonyme de
tensions nouvelles Avec la laquo crise raquo la cohabitation devient plus probleacute-
matique les plus pauvres (et parmi eux les immigreacutes) restent les plus
aiseacutes (et parmi eux beaucoup de Franccedilais) partent ailleurs alors que les
familles repreacutesentant les laquo cas lourds raquo de lrsquoaide sociale alimentent une
spirale de la deacutegradation La seacutegreacutegation sociale se double drsquoune seacutegreacutegation
ethnique dont lrsquoeacutecole est un agent primordial (Barthon et Oberti 2000)
La troisiegraveme caracteacuteristique ndash moins connue ndash est lrsquoexistence de
foyers de deacutelinquance bien anteacuterieure agrave lrsquoarriveacutee de la drogue dans ces
quartiers et les effets de reacuteputation symbolique qui les caracteacuterisent depuis
bien longtemps La micro-histoire de ces quartiers est souvent une cleacute
neacutegligeacutee par les sociologues
10
On peut remonter dans certains cas jusqursquoaux
anneacutees 1920 Une analyse de contenu de la presse de lrsquoeacutepoque (Marliegravere
1998) agrave propos de certains quartiers atteste agrave travers un certain nombre
de faits (regraveglements de compte homicides vols braquages) lrsquoexistence
de bandes lieacutees au banditisme comme le rapporte ce chercheur habitant
lui-mecircme dans un de ces quartiers
Je me souviens drsquoecirctre tombeacute sur un article de
Banlieue Ouest
en1932 ougrave la Poste du quartier qui a eacuteteacute construite en 1931 avait deacutejagraveeacuteteacute drsquoapregraves lrsquoarticle visiteacutee trois fois [hellip] Je crois que je suistombeacute sur deux ou trois homicides pour le quartier Donc crsquoeacutetaitun quartier deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque tregraves malfameacute [hellip] Et avec la construc-tion de la citeacute de transit dans les anneacutees 1960 yrsquoa eu un retourun peu des bandes plus dures crsquoest-agrave-dire avec des jeunes quifiniront mal [hellip] Et donc je pense que le retour du grand bandi-tisme avec vraiment une peacuteriode de violence crsquoest entre 1975et 1990
11
Tout cela pour dire que la deacutelinquance dans ces quartiers nrsquoest pas
un fait nouveau les meacutecanismes de reacuteputation opeacuterant sur une longue
dureacutee Ce qui nrsquoempecircche pas de relever les processus qui ont rendu pos-
sibles plutocirct que produit les cheminements dans lrsquounivers de la drogue
10 Voir notamment en France Bachmann et Basier (1989) et aux Eacutetats-Unis Bourgois (2001)
11 Pour une histoire sociale de la deacutelinquance voir notamment Mucchielli (2001)
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222 C
HEMINEMENTS
VERS
L
rsquo
HEacuteROIumlNE
Ce qui distingue nos deux cohortes dans ce contexte crsquoest la laquo position
chronologique raquo (Cagliero Lagrange et Moyses 1999) des conduites
deacuteviantes notamment en ce qui concerne lrsquoemploi En scheacutematisant on
peut dire que pour les plus anciens la deacutelinquance puis lrsquoemploi ont
plutocirct preacuteceacutedeacute la consommation ou la revente drsquoheacuteroiumlne alors que pour
les plus jeunes on le verra crsquoest plutocirct la participation au trafic local qui
a eacuteteacute anteacuterieure agrave un emploi leacutegal
12
Une scolariteacute plus ou moins chaotique dans lrsquoenseignement tech-
nique conduit les membres de la premiegravere cohorte agrave un CAP (certificat
drsquoaptitude professionnelle) ndash obtenu ou pas Cette formation les destine
agrave ecirctre ouvriers qualifieacutes crsquoest-agrave-dire agrave occuper bien souvent une position
plus eacuteleveacutee que celle de leur pegravere travaillant dans des emplois agrave faible
qualification comme manœuvre en usine Dans la plupart des entretiens
reacutealiseacutes on constate un rejet du travail en usine et de la condition qui y
est associeacutee Mais la mobiliteacute sociale est limiteacutee On le voit par exemple
avec Bruno dont le pegravere est carrossier dans un petit garage de Levallois-
Perret et qui fait vivre sa femme en invaliditeacute agrave 50 et ses deux enfants
avec un salaire modeste Apregraves une peacuteriode difficile ougrave il est interpelleacute et
condamneacute pour vol comme mineur agrave trois mois de prison ferme
13
Bruno
obtient son CAP de carrossier agrave 17 ans Ouvrier qualifieacute il trouve un travail
et megravene la belle vie pendant deux ans Jusqursquoau moment ougrave il goucircte agrave la
laquo drogue raquo non pas le cannabis qursquoil consomme quotidiennement
comme il boit de lrsquoalcool (laquo
On est des bons vivants alors je buvais mon petitapeacuteritif et tout et puis mon petit shit le soir
raquo) mais lrsquoheacuteroiumlne dont la
consommation va devenir incompatible avec drsquoautres rocircles sociaux
Crsquoeacutetait en 1982 Jrsquoai eu mon CAP en 1982 agrave 17 ans Et puis apregraves moije rentrais dans la vie jrsquoavais mon CAP mon permis de conduire jetravaillais jrsquoavais tout Je manquais de rien yrsquoavait qursquoun seul truc queje connaissais pas crsquoeacutetait ccedila Je freacutequentais que des mecs qui eacutetaient commemoi On bossait tous hein On avait tous un patron et tout et puis je lesvoyais ccedila faisait deux ou trois semaines qursquoils prenaient devant moi ccedila
12 Dans le contexte des anneacutees 1990 de chocircmage de masse on peut se demander si laparticipation au trafic nrsquoa pas joueacute quasiment un rocircle de filiegravere preacuteprofessionnelle Surle trafic comme travail voir Bouhnik et Joubert (1992) Ruggiero et South (1996)Duprez et Kokoreff (1999)
13 Ce point ne sera abordeacute qursquoau deuxiegraveme des quatre entretiens reacutealiseacutes entre 1997 et2000 en deacutetention Il indique que le fait de rencontrer sur une peacuteriode eacutetendue unemecircme personne peut diminuer lrsquoeffet de censure Par ailleurs lorsque lrsquoon sait quedurant cette peacuteriode Bruno est sorti trois fois de prison il reacutevegravele aussi la vulneacuterabiliteacutestructurelle dans laquelle celui-ci se trouve
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changeait rien dans leur vie Je me suis dit laquo Je vais rentrer dans leur trippour ecirctre dans la mecircme soireacutee dans la mecircme ambiance qursquoeux raquo Et puisvoilagrave et puis voilagrave
Quoi voilagrave Qursquoest-ce qui srsquoest passeacute apregraves
Bah apregraves crsquoest con agrave dire ccedila maishellip faut pas le dire mais je vais le direon arrive agrave aimer cette deacutefonce Le premier petit joint on fume un jointon rigole on est heureux on se sent bien Donc le lendemain on srsquoen refaitun petit Crsquoest pareil la drogue Lrsquoalcool crsquoest pareil On se fait un bonrepas on lrsquoarrose de deux bons verres de vin on se sent bien on est heureuxDegraves qursquoon peut recommencer un bon repas on va recommencer et ainsi desuite Et puis voilagrave
(26 mars 1997)
Cet extrait drsquoentretien dit bien la dimension collective drsquoune initia-
tion veacutecue comme un plaisir tout en eacutetant appeleacutee ndash reacutetrospectivement ndash
agrave devenir un destin pour ces jeunes ouvriers qui habitent des quartiers agrave
mauvaise reacuteputation Pourtant les parcours ne sont pas aussi lineacuteaires que
le disent ces derniers Tout drsquoabord parce que bien souvent les contacts
avec la justice et la prison sont preacutecoces mecircme srsquoils nrsquoont pas pour laquo cause raquo
la drogue Ensuite parce que si la rencontre avec lrsquoheacuteroiumlne constitue un
point de rupture ou de bifurcation elle ne doit pas masquer drsquoautres
moments facilement discernables dans les reacutecits de carriegravere le passage du
sniff
au
shoot
et le changement de milieu drsquousage qui lrsquoaccompagne (laquo
etpuis un jour jrsquoai eacuteteacute dans une autre soireacutee crsquoeacutetaient pas des sniffeurs crsquoeacutetaient desseringueurs
raquo) la perte de lrsquoemploi qui reacutesulte du processus de deacutependance
(laquo
on est trop en manque pour se lever et mecircme si on peut le boulot y suit pas lepatron il le voithellip
raquo) mais qui reste une deacutecision propre (laquo
crsquoest toujours moiqui ai pris mon compte
raquo) la deacutelinquance qui srsquoimpose (laquo
il fallait que je medeacutebrouille de lrsquoargent
raquo) et la situation de reacutecidive leacutegale qui alourdit la sanc-
tion peacutenale Enfin en deacutepit de ce processus de deacutegradation le capital
eacuteconomique et culturel acquis reste une ressource (laquo
jrsquoai un meacutetier dans lesmains
raquo) et un ethos (laquo
jrsquoai une mentaliteacute de travailleur
raquo) y compris en prison
lorsque le travail exerceacute redonne sens et fierteacute
Crsquoest aussi le registre drsquoexpression du plaisir agrave travers lrsquohomologie
alcooldrogues illicites (petit jointpetit apeacuteritif deacutefoncebon repas etc)
qui constitue un motif socialement appris et significatif
14
On pourrait
y voir lrsquoexpression drsquoun
habitus de classe
se traduisant tout particuliegravere-
ment dans le rapport au corps agrave travers la prise de laquo drogues dures raquo qui
laquo deacutefoncent raquo et permettent drsquooublier la pratique mecircme de lrsquoinjection la
seringue Ce lien est aussi un aspect des cheminements eacutetudieacutes En effet
lrsquoalcool plus ou moins associeacute agrave la violence occupe une place importante
14 Sur ce point voir les analyses de Mauger et Fosseacute-Poliak (1983)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
dans lrsquohistoire des toxicomanes des citeacutes Comme bien drsquoautres Bruno a
grandi dans un milieu familial tregraves marqueacute par lrsquoalcoolisme son pegravere est
mort drsquoun cancer du foie en 1991 sa megravere faisait de lrsquohypertension elle
srsquoest mise agrave boire apregraves le deacutecegraves de son mari et est deacuteceacutedeacutee en 1998 quant
agrave sa sœur sans emploi marieacutee avec deux enfants laquo
elle boit elle picole ellearrecircte elle picole
raquo avec son mari qui est employeacute dans une papeterie laquo
ilssrsquoengueulent agrave cause de lrsquoalcool
raquo Cet exemple nrsquoest pas isoleacute On pourrait
prendre celui drsquoAbensour dont le pegravere a fui la guerre drsquoAlgeacuterie en mecircme
temps que la misegravere drsquoabord en Tunisie puis en France agrave Nanterre Ayant
grandi dans ce qursquoon appelait alors la laquo zone raquo la trajectoire drsquoAbensour
prend une tournure nouvelle agrave la suite drsquoune orientation scolaire malheu-
reuse Il commence agrave prendre de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans Crsquoest ainsi qursquoil
eacutevoque son pegravere et lrsquoambiance reacutegnant au domicile familial
Il buvait beaucoup de ce temps-lagrave il buvait Toujours il avait sa bouteillede rouge Alors je peux pas te dire si crsquoest son boulot ou la bouteille qui lefatiguait Il eacutetait bourreacute tous les soirs Quand il arrivait deacutefonceacute on avaitpeur il eacutetait tregraves meacutechant il frappait ma megravere il nous sortait des grosmots on eacutetait petits Il traitait mes petites sœurs de putes il nous disait laquo Allez vous faire voir par les peacutedeacutes et tout raquo Moi jrsquoaimais pas trop resteragrave la maison les filles elles pouvaient pas sortir mais nous on se cassaitdans la rue
(15 mars 1997)
Lrsquoalcoolisme et les violences familiales sont souvent eacutevoqueacutes par les
intervenants speacutecialiseacutes afin de rendre compte des parcours vers lrsquoheacuteroiumlne
la consommation de produits injecteacutes symbolisant une forme de violence
contre soi Bouhnik (1994) rejoint en partie cette perspective dans la
classification qursquoelle propose en distinguant un type de configuration
biographique baseacute sur la continuiteacute de lrsquoalcoolisme du pegravere agrave la toxico-
manie du fils Mais ce type nrsquoeacutepuise pas la varieacuteteacute des cheminements et
la citation ci-dessus amegravene aussi agrave prendre en compte les conditions de
socialisation des adolescents et leur diffeacuterenciation selon les sexes dans ce
contexte social
La preacutesence des filles dans la rue est en effet peu importante Il
semble que rares sont celles qui consomment ou revendent de lrsquoheacuteroiumlne
dans les quartiers eacutetudieacutes
15
Lrsquoune des explications donneacutees par les enquecircteacutes
quand on leur pose la question reacuteside dans la surveillance effectueacutee par
les fregraveres les fratries nombreuses et lrsquointerconnaissance favorisent cette
15 Contrairement agrave la situation observeacutee aux Eacutetats-Unis ougrave la combinaison de divers fac-teurs structurels a contribueacute agrave la monteacutee en puissance des femmes dans lrsquoorganisationde revente de la cocaiumlne (Fagan 1995) on nrsquoobserve pas de pheacutenomegravene comparabledans les quartiers que nous avons eacutetudieacutes en reacutegion parisienne
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forme de controcircle communautaire Cela ne signifie pas que ce pheacuteno-
megravene nrsquoexiste pas dans les quartiers eacutetudieacutes il est simplement plus diffus
et cacheacute Certaines femmes envoient leurs proches srsquoapprovisionner
drsquoautres neacutegocient avec les
dealers
pour obtenir le produit contre des
relations sexuelles La prostitution si elle semble limiteacutee existe mais
davantage en direction de Paris que dans les quartiers En ce qui concerne
le
deal
certaines femmes apparaissent comme de veacuteritables figures connues
dans tout le deacutepartement Lrsquoune drsquoelles est issue drsquoune famille dont
lrsquoimplication dans le trafic est notoire un de ses fregraveres qui revendait de
lrsquoheacuteroiumlne est mort dans des circonstances eacutetranges apregraves son interpella-
tion par la police un autre a eacuteteacute condamneacute agrave sept ans de prison pour
trafic lrsquoaicircneacute a eacuteteacute condamneacute agrave cinq ans pour une affaire mixte Si cette
femme est bien connue dans le quartier et les communes voisines cela
teacutemoigne de lrsquoeacutetroitesse de ce petit monde de la drogue
Par contre bon nombre drsquoobservations nous indiquent que ces
conduites illicites srsquoinscrivent dans la continuiteacute du mode de vie des jeunes
garccedilons des citeacutes Prenons lrsquoexemple paradigmatique de ceux que nous
appellerons pour reprendre leur propre deacutesignation les laquo Nanterriens
16
raquo
Ces jeunes garccedilons issus de familles immigreacutees en particulier algeacuteriennes
ont grandi dans la commune de Nanterre au milieu des bidonvilles puis
dans les citeacutes de transit au cours des anneacutees 1960 et 1970 Ils suivent agrave
peu pregraves normalement leur scolariteacute dans lrsquoenseignement technique
jusqursquoagrave 16 ou 17 ans passent leur CAP et commencent agrave faire des petits
boulots Crsquoest alors qursquoils freacutequentent les quartiers parisiens de Pigalle et
de Barbegraves la rue Montmartre lrsquoOpeacutera pour peu agrave peu srsquoinscrire dans un
style de vie marginal
Jrsquoai connu un homosexuel qui eacutetait un peu voyou un peu deacutelinquant tuvois Crsquoeacutetait un cambrioleur Jrsquoai commenceacute agrave faire ccedila avec luihellip Et puispar la suite on a continueacute entre copains On allait voler on avait delrsquoargent on trouvait que crsquoeacutetait trop facile Au deacutebut on srsquoachetait desfringues on allait en boicircte de nuit On faisait beaucoup drsquoargent avec lesmachines de la RATP les machines dans le RER On trouvait que crsquoeacutetaitvraiment un jeu drsquoenfant il suffisait de casser une machine et on trouvait10 000 20 000 F
[en anciens francs] juste en piegraveces Crsquoeacutetait vraimentfacile et ccedila a dureacute un moment [hellip] Et puis agrave cette eacutepoque-lagrave on acommenceacute on eacutetait une bande de copains on vagabondait on dormaitpas des fois on passait des nuits en boicircte de nuit Pendant des jours on
16 laquo Nous on sait qursquoon a veacutecu agrave Nanterre on a grandi ici mecircme si on a deacutemeacutenageacute mecircme si on ahabiteacute Vanves Anthony ou dans les alentours on est toujours des Nanterriens trop de nous-mecircmes raquo Sur la constitution de lrsquoidentiteacute locale dans ce cas preacutecis voir Seacutegalen (1990)
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44 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rentrait pas agrave la maison Quand je rentrais agrave la maison crsquoeacutetait monpegravere il mrsquoengueulait il me frappait alors bon jrsquoeacutevitais de rentrer jrsquoessayaisde me deacutemerder je pensais qursquoon allait pouvoir srsquoen sortir tout seul(14 avril 1999)
Crsquoest dans les boicirctes de nuit parisiennes que ce groupe de copains
commence agrave consommer de lrsquoheacuteroiumlne laquo par hasard raquo pour reprendre leur
terme
Apregraves on a commenceacute agrave toucher agrave la came Crsquoeacutetait en boicircte de nuit je mesouviens on buvait pas drsquoalcool on eacutetait vraiment pas attireacute par lrsquoalcoolon fumait que du hasch agrave cette eacutepoque-lagrave Et puis un jour on eacutetait enboicircte on nrsquoa pas trouveacute de haschich et il y a un type qui nous a proposeacutede la laquo blanche raquo On eacutetait encore naiumlf on ne savait pas trop ce que crsquoeacutetaitOn srsquoest un peu concerteacute entre copains Y en a un qui disait laquo oui on vaen prendre raquo il y en avait un autre qui disait laquo non raquo Et puis toutcompte fait on en a pris Ccedila a commenceacute comme ccedila
Crsquoeacutetait de lrsquoheacutero
Ouais crsquoeacutetait de lrsquoheacutero Ccedila a commenceacute comme ccedila On a sniffeacute ccedila Il y ena qui se sont sentis mal Moi non plus je ne mrsquoeacutetais pas senti tregraves bien lapremiegravere fois Peut-ecirctre un mois ou quinze jourshellip je ne sais pas tropcombien de temps apregraves on a commenceacute agrave renouveler lrsquoopeacuteration Petit agravepetit on a aimeacute ccedila Au deacutebut crsquoeacutetait que les fois ougrave on allait en boicircte endehors quand on eacutetait dans la citeacute les jours de la semaine on nrsquoy pensaitpas Il y en avait pas dans notre quartier crsquoeacutetait pas comme maintenantAvant fallait vraiment ecirctre brancheacute il fallait aller en boicirctes de nuit agraveParis dans les cafeacutes fallait vraiment connaicirctre Nous on connaissait quece plan-lagrave crsquoeacutetait en boicircte de nuit Un Tunisien qui vendait la came(14 avril 1999)
Que srsquoest-il passeacute pour que brusquement entre 16 et 19 ans Abdellah
Nordin Mohamed mais aussi Pascal et Laurent et bien drsquoautres parfois
plus jeunes encore deviennent toxicomanes au tournant des anneacutees 1980
Faut-il incriminer lrsquoeacutecole dans la genegravese de la toxicomanie Est-ce plus
largement la logique sociale de lrsquoimmigration qui a conduit agrave la margina-
lisation de ces laquo enfants illeacutegitimes raquo (Sayad 1991) Quelle place accorder
agrave des facteurs contextuels tels que les logiques de lrsquooffre et le redeacuteploie-
ment de lrsquoeacuteconomie de la drogue
223 DE LrsquoUSAGE Agrave LA REVENTE
Au deacutebut des anneacutees 1980 les laquo banlieues raquo font parler drsquoelles mais la
drogue et lrsquoheacuteroiumlne en particulier nrsquoy ont pas la place qursquoelles occuperont
quelques anneacutees plus tard Durant cette peacuteriode le quartier de la rue
Montmartre situeacute dans le IXe arrondissement est un des hauts lieux de
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la nuit parisienne avec ses boicirctes de nuit ceacutelegravebres dans les milieux bran-
cheacutes Dans la rue se cocirctoient touristes et pickpockets laquo gays raquo des beaux
quartiers et jeunes laquo beurs raquo des citeacutes deacutefavoriseacutees Ces derniers sont
encore des usagers occasionnels qui font la fecircte et ne connaissent pas
drsquoautres laquo plans raquo Crsquoest toute la diffeacuterence avec leurs laquo petits fregraveres raquo qui
eux nrsquoauront pas besoin drsquoaller agrave Paris pour acheter leur paquet dispo-
nible sur le marcheacute du laquo coin de la rue raquo
Le passage du trafic des quartiers parisiens vers les citeacutes de banlieue
va se faire progressivement (Fatela 1992) Une note sur la toxicomanie
reacutedigeacutee en 1983 par un chargeacute de mission aupregraves du secreacutetaire drsquoEacutetat
aux affaires sociales souligne que si lrsquoheacuteroiumlne est preacutesente parmi les
jeunes depuis plus de dix ans laquo on assiste depuis trois ans agrave une veacuteritable
flambeacutee de cette forme de toxicomanie raquo Et de preacuteciser les transforma-
tions du marcheacute
Les lieux de vente sont situeacutes principalement au coin de la rueMontmartre et du boulevard Montmartre agrave Belleville aux laquoQuatreTempsraquo de La Deacutefense au-dessus de la patinoire mais depuis quelquetemps les revendeurs ne cegravedent leur marchandise que par quantiteacutede 5 grammes On assiste donc agrave la naissance de petits revendeurs(dealers) qui vendent dose par dose aux laquo Quatre Temps raquo de LaDeacutefense et dans toutes les citeacutes concerneacutees Dans une citeacute de Nanterrele trafic serait beaucoup plus important17
Un usager-revendeur aujourdrsquohui acircgeacute de 42 ans qui a commenceacute agrave
consommer agrave lrsquoacircge de 16 ans deacutecrit ce processus Un rien nostalgique il
souligne la modification des pratiques et des valeurs qui les sous-tendent
Avant tu trouvais pas de came en banlieue Crsquoeacutetait Belleville ou rueMontmartre ou lrsquoIcirclocirct-Chalonshellip Crsquoest depuis les anneacutees 1980 que laschnouf elle arrive en banlieue Apregraves ccedila a commenceacute agrave arriver agrave LaFourche Brochant18 tout ccedila lagravehellip [hellip] Ah moi je lrsquoai vu arriver parce queje vais te dire un truc bon avant tu allais tu faisais ton cambriolage outon petit braquo de merde lagrave tu montais agrave Paris tu achetais ta dose Maismaintenant crsquoest plus ccedila Tu descends de chez toi euh vider la poubelleben voilagrave Devant ton vide-ordures trsquoas un type en train de se piquer parceqursquoagrave cocircteacute agrave cocircteacute lrsquoautre il lui vend de la schnouf Tu vois y a eu situ veux une autre forme de deacutelinquance crsquoest pour ccedila que je dis nous agravenotre eacutepoque crsquoeacutetait pas pareil On allait chercher notre argent (30 sep-tembre 1996)
17 Note sur la toxicomanie dans les Hauts-de-Seine ministegravere des Affaires sociales 1983
18 Crsquoest-agrave-dire sur la ligne de meacutetro desservant la proche banlieue Nord-Ouest de Paris
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46 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Crsquoest dans ce contexte de bouleversement de lrsquooffre que srsquoinscrivent
les parcours des personnes rencontreacutees Srsquoinstallant dans un processus de
deacutependance (Ingold 1985) elles sont interpelleacutees et condamneacutees agrave des
peines de prison ferme apregraves avoir eacuteteacute incarceacutereacutees comme mineures Crsquoest
le cas drsquoAbdellah qui est condamneacute agrave quinze mois de prison pour vol agrave
lrsquoacircge de 20 ans
Je suis sorti en 1982 en pleine forme et je pensais vraiment dans ma tecircteque jrsquoallais pas retoucher agrave la came Et quand je suis sorti je voyais qursquoily avait tellement de fric agrave faire lagrave-dedans [ la revente ] je me suis dit aulieu de voler et de prendre de lrsquoargent pour aller en acheter je vais acheterde la came par cinq grammes par dix grammes et puis je vais essayer devoir les types qui en veulent Jrsquoai commenceacute agrave vendre
Sur ton quartier
Ouais sur mon quartier sur ma ville crsquoeacutetait en 1982 En sortant deprison jrsquoai commenceacute agrave vendre Au deacutebut ccedila marchait bien crsquoest malheu-reux agrave dire mais ccedila marchait bien Crsquoest fou lrsquoargent que ccedila ramegravene Ccedilaramenait beaucoup drsquoargent (14 avril 1999)
Il nrsquoest plus question de faire un ou deux cambriolages par mois
avec la consommation drsquoheacuteroiumlne les besoins financiers augmentent La
revente apparaicirct comme une ressource pour ceux qui ont eacuteteacute incarceacutereacutes
agrave plusieurs reprises Drsquoautres ne revendent pas dans leur quartier ougrave agrave
cette eacutepoque la pression des grands fregraveres est encore forte pour eacuteviter
le deal de rue et lrsquoafflux de toxicomanes de la rue Montmartre ougrave ils
srsquoapprovisionnent ils se rendent aux laquo Quatre-Temps raquo agrave La Deacutefense lieu
de rencontre de nombreux usagers drsquoheacuteroiumlne accessoirement laquo tireurs raquo
(pickpockets) faisant les poches ou les sacs des passants dans les escaliers
meacutecaniques Jusqursquoau moment ougrave ces activiteacutes illicites sont jugeacutees intoleacute-
rables au sein de ce nouveau quartier drsquoaffaires et ougrave les opeacuterations de
police se multiplient alors qursquoagrave la mecircme peacuteriode le squat de lrsquoIcirclot-Chalons
est fermeacute Reacutesultat indirect et bien connu le marcheacute se deacuteplace et se
restructure dans les citeacutes de la proche banlieue
Cela dit tout le monde ne revend pas Certains mecircme lrsquoaffirment
avec force lors des entretiens Crsquoest le cas de Bruno qui tire ses ressources
de vols simples laquo Je nrsquoai pas la mentaliteacute pour dealer raquo dit-il pour trouver sa
came il va laquo fouiller raquo au petit matin les cages drsquoescalier des immeubles
de son quartier en quecircte des paquets cacheacutes par les laquo petits jeunes raquo Autre
exemple celui drsquoAbdelmaleck qui commence agrave fumer du cannabis agrave 15 ans
et agrave sniffer de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans en boicircte avec les autres rue Montmartre
Non je ne voulais pas parce que jrsquoavais peur [hellip] Drsquoabord alors questionmoi les grands fregraveres et tout ils mrsquoont fait ils mrsquoont preacutevenuhellip laquo On nrsquoapas inteacuterecirct agrave entendre dire que trsquoes en train de revendre de la came ou untruc comme ccedila raquo Moi vendre agrave quelqursquoun que je connais jrsquoavais peur de
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de si je me mettais agrave ccedila que le mec il fait une OD [overdose] Trsquoimagi-nais le mec que je connais depuis lrsquoenfance agrave cause de moi il me deman-dait un paquet il tapait une ODhellip Je pouvais pas vendre agrave quelqursquounque je connais mecircme vendre agrave nrsquoimporte qui mecircme que ce soit quelqursquounque je ne connais pas Jrsquoai jamais vendu de la drogue jrsquoai jamais dealeacutemecircme que ce soit lrsquoheacutero ou le shit (19 mars 1997)
La pression des grands fregraveres mais aussi celle des familles (laquo lesparents on se connaicirct ccedila va faire des problegravemes de famille graves raquo) opegravere
comme un mode de controcircle socieacutetal pour reprendre le terme de Castel
et Coppel (1991) On peut y voir la morale du deacuteviant (Ogien 1996)
Celle-ci peut valoir pour lrsquoheacuteroiumlne qui est perccedilue comme la drogue par
excellence et non pour le cannabis Mais il y a des arrangements avec la
morale selon les situations
Jrsquoai jamais vendu de drogue Enfin tout petit agrave la citeacute jrsquoai vendu desbarrettes pour la fin de la semaine aller en boicircte de nuit payer agrave notrenana faire rentrer quand mecircme un peu de tunes comme la plupart desjeunes En ce moment ils fonthellip mais ils font pas ccedila avec du shit ils fontccedila avec de la drogue dure Moi je me rappelle un moment quand on eacutetaitpetit on vendait du shit mais les grands qui venaient ils nous disaient laquo Voilagrave par rapport agrave votre shit moi je vous donne quelque chose vous mela vendez je vous rabats les clients raquo Et agrave la fin agrave la fin de la semainemecircme pas agrave la fin de la soireacutee je reacutecupeacuterais les sous mais agrave la fin de lasemaine je faisais dans les 400 000 [4000 F] Alors 400 000 agrave lrsquoeacutepoquecrsquoeacutetaient trois millions [30 000 F] aujourdrsquohui On eacutetait heureux Onprenait les 400 000 on allait chez nous on donnait 1 000 balles agrave nosparents ils les acceptaient ils nous disaient laquo Ougrave vous les avez eus raquoOn disait laquo Ah on les a voleacutes raquo Mais en sachant ccedila mecircme srsquoils eacutetaientdans la religion mecircme srsquoils avaienthellip ils faisaient leurs priegraveres et tout ilsavaient un pardon parce que crsquoeacutetaient pas eux qui venaient drsquoaller volerMais par rapport agrave ccedila on arrivait agrave vivre agrave payer notre loyer Mais euhhellipde fil en aiguille on est arriveacute agravehellip agrave ccedila Agrave se retrouver toujours dans lesmecircmes milieux en sachant que crsquoeacutetait mal mais on nrsquoavait pas le choixhellip(26 mars 1997)
On touche lagrave un point sensible des carriegraveres dans le trafic la redis-
tribution des gains dans le milieu familial Beaucoup de rumeurs circulent
sur lrsquoargent de la drogue qui ferait vivre les citeacutes en tout cas des familles
entiegraveres Dans tous les entretiens reacutealiseacutes ici ou lagrave la plupart de nos inter-
locuteurs nuancent cette vision des choses laquo nos parents nrsquoauraient jamaisaccepteacute de lrsquoargent sale raquo Ce qui nrsquoempecircche pas toutes sortes de subterfuges
ou de ruses ni des arrangements au sein de la fratrie afin de satisfaire aux
deacutesirs des petits fregraveres ou des petites sœurs
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48 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
224 UNE VULNEacuteRABILITEacute STRUCTURELLE
Agrave un moment donneacute les usagers ou revendeurs drsquoheacuteroiumlne qui ont grandi
dans ces quartiers pauvres sont pris dans ce qursquoils appellent un laquoengrenageraquo
ou un laquo systegraveme raquo Un premier dilemme se preacutesente agrave eux pour financer
leur consommation voler ou revendre Pour les filles la prostitution peut
constituer un autre choix possible bien que rarissime dans les quartiers
observeacutes Quoi qursquoil en soit le risque drsquoecirctre interpelleacute pour usage vol ou
revente nrsquoest pas neacutegligeable dans ce contexte urbain de mecircme que ce
faisant celui drsquoecirctre incarceacutereacute agrave mesure que cette seacutequence se reacutepegravete Il
en reacutesulte un style de vie rythmeacute par la reacutepeacutetition drsquoune mecircme seacutequence
interpellationprisonsortie preacutecairereprise de la consommation etc
Dans certains cas cette seacutequence peut se reacutepeacuteter six ou sept fois durant
des anneacutees Crsquoest dire que lrsquoexpeacuterience de vie est ponctueacutee par les alleacutees
et retours en prison la prison faisant partie inteacutegrante drsquoune trajectoire
plutocirct qursquoelle ne constitue une rupture (Bouhnik et Touzeacute 1996) Mais
cela nrsquoest pas suffisant pour rendre compte des meacutecanismes qui concourent
au bout du compte agrave la vulneacuterabiliteacute structurelle (Bourgois 2001) des
toxicomanes des citeacutes Lrsquoanalyse des effets conjugueacutes des logiques institu-
tionnelles et des logiques territoriales permet drsquoen rendre compte
Dans ce processus la logique peacutenale est centrale Entreacutes dans cette
phase de leur carriegravere ces individus ne sont plus seulement deacutesigneacutes
socialement comme laquo toxicomanes raquo dans leur face-agrave-face avec les policiers
magistrats et intervenants speacutecialiseacutes ils sont deacutefinis comme laquo multireacuteci-
divistes raquo ndash jusqursquoagrave reprendre agrave leur propre compte pour certains drsquoentre
eux ce marquage institutionnel comme ils ont inteacuterioriseacute leur identiteacute
de laquo toxicomanes raquo La plupart des entretiens meneacutes en prison tant agrave
Nanterre qursquoagrave Lille ont eacuteteacute effectueacutes avec cette cateacutegorie de deacutetenus Si
lrsquoon reprend les cas drsquoAbdellah et de Bruno le premier neacute en 1961 a eacuteteacute
condamneacute 17 fois entre 1977 et 1998 le second neacute en 1963 a eacuteteacute condamneacute
pregraves de 20 fois entre 1981 et 1999 On sait que la logique des laquo preacuteceacutedents raquo
pegravese lourd dans le traitement peacutenal (Faugeron 1991) en particulier pour
ce qui concerne les infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants (Guillain
et Scohier 2002) Elle se traduit par une expeacuterience de la justice peacutenale bien
particuliegravere engendreacutee par la preacutegnance des critegraveres socio-individuels
(origine sociale nationaliteacute) et lrsquolaquo effet casier raquo
Le temps passeacute en prison est bien eacutevidemment un facteur puissant
de reacutecidive La plupart des toxicomanes des anneacutees 1980 intervieweacutes
lorsqursquoils nrsquoont pas connu la prison comme mineurs ont eu une expeacute-
rience preacutecoce des institutions disciplinaires (depuis les centres de lrsquoAssistance
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publique jusqursquoaux maisons de correction) Certains racontent le choc
que leur a fait la prison non pas tant dans sa mateacuterialiteacute mais paradoxa-
lement comme prolongement de la citeacute
Ccedila mrsquoa fait un choc sur le coup [hellip] Yrsquoavait tout le monde yrsquoavait tousles copains [hellip] deacutejagrave on eacutetait tous unis alors on se retrouve en prisoncomme si on eacutetait dans la citeacute mais tous enfermeacutes Et la plupart du tempson eacutetait jeunes on savait qursquoon nrsquoallait pas rester longtemps (19 mars1997)
Plus geacuteneacuteralement on sait depuis Foucault (1975) que la prison est
une machine agrave produire de la deacutelinquance et par lagrave un lieu de socialisa-
tion laquo deacuteviante raquo Ce qui se transmet et srsquoapprend ce sont des faccedilons de
faire les codeacutetenus parlent beaucoup des coups qursquoils ont faits et de
ceux qursquoils recircvent de faire comment faire son argent voler eacutechanger
revendre ougrave aupregraves de qui etc Par lrsquointermeacutediaire des personnes ren-
contreacutees en deacutetention lors des promenades en particulier un savoir pra-
tique se constitue et se diffuse En matiegravere de trafics si lrsquoon procegravede par
recoupement avec le contenu des dossiers judiciaires ou drsquoautres entre-
tiens les reacutecits sur les passages agrave la frontiegravere franco-belge les marcheacutes de
la meacutetropole lilloise le fonctionnement des reacuteseaux de trafic depuis le
Maroc via lrsquoEspagne sont drsquoun grand reacutealisme Or dans la mesure ougrave ces
faits deacutepassent le cadre territorial des quartiers eacutetudieacutes ils peuvent nrsquoavoir
eacuteteacute connus qursquoen prison ndash en tout cas on peut en faire lrsquohypothegravese
Un autre meacutecanisme institutionnel qui contribue agrave la construction
sociale du multireacutecidivisme est lrsquoemprise des dettes Au deacutebut du premier
des quatre entretiens reacutealiseacutes avec Bruno entre 1997 et 2000 srsquointerro-
geant sur les attentes du chercheur il adopte une posture proche du
sociologue en proposant une lecture tout agrave fait vraisemblable de sa carriegravere
Crsquoest sur le deacutemarrage comment on entre dans le systegraveme de la drogue quevous voulez savoir au fait ou pourquoi on y rentre Parce que moi je suismultireacutecidiviste et je ne sais pas pourquoi Agrave chaque fois que je sorshellipQuand je suis en prison jrsquoai toutes les dettes qui srsquoaccumulent quand ona un appartement le loyer il court et tout et quand on sort de prison enfait on est assommeacute par les dettes On nrsquoa pas une tune deacutejagrave quand onsort de prison et en plus tout le monde vous demande lrsquoargent que vous devez
Tout le monde crsquoest-agrave-dire
Crsquoest-agrave-dire le treacutesor public les HLM les creacutedits qursquoon avait pris avant derentrer en prison depuis six ans maintenant je sors jrsquoai envie de recom-mencer ma vie jrsquoavais un meacutetier dans les mains Mais [hellip] jrsquoai vraimentbesoin drsquoargent drsquoargent drsquoargent et je recommence agrave voler Et puis volercomme ccedila spontaneacutement non Faut prendre un petit truc une petite forcequi nous pousse agrave vouloir voler Et la force nous ma geacuteneacuteration agrave moion la trouve dans la came (26 mars 1997)
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50 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Lrsquoaccumulation des dettes fait donc partie de ces meacutecanismes produc-teurs drsquoemprise auxquels il faut ajouter les amendes douaniegraveres (Duprez et
Kokoreff 2000) Les effets sociaux de ces meacutecanismes engendrent une
double fragiliteacute Fragiliteacute drsquoune part des positions de ceux qui ont eacuteteacute
condamneacutes agrave de multiples reprises fragiliteacute professionnelle faute drsquoemploi
ou du fait drsquoune activiteacute preacutecaire (CDD [contrat agrave dureacutee deacutetermineacutee]
inteacuterim stages travail au noirhellip) peu reacutemuneacuteratrice et peu valorisante
fragiliteacute administrative pour les ressortissants de nationaliteacute eacutetrangegravere qui
rencontrent des difficulteacutes agrave renouveler leur carte de seacutejour sans parler
de ceux qui sont menaceacutes drsquoune expulsion du territoire national en tombant
sous le coup de la laquo double peine raquo Fragiliteacute drsquoautre part engendreacutee par
la capaciteacute drsquoattraction du systegraveme de vie structureacute autour des conduites
illicites dans les quartiers Cette capaciteacute drsquoattraction nrsquoest peut-ecirctre jamais
aussi manifeste que lors des sorties de prison En effet les laquo sortants raquo
apregraves une peacuteriode drsquoabstinence et de remise en forme se trouvent confron-
teacutes agrave toutes les sollicitations du quartier (produits trafics combines) Ils
ne peuvent pas ne pas retrouver leurs copains toujours dans la laquo came raquo
Ils finissent ainsi par en reprendre et par reacutepeacuteter les seacutequences analyseacutees
plus haut
Crsquoest la conjugaison de ces deux types de facteurs ndash la fragiliteacute sta-
tutaire induite par les contraintes de lrsquoadministration et du marcheacute du
travail drsquoune part et lrsquoattraction drsquoun style de vie fondeacute sur des pratiques
illicites drsquoautre part ndash qui permet aussi de rendre compte des rechutes et
rateacutes qui ponctuent les trajectoires de la toxicomanie Une illustration
concregravete de ce processus nous est fournie par Abdellah qui a gardeacute sa
nationaliteacute algeacuterienne agrave la diffeacuterence de ses fregraveres et sœurs Sorti de
prison en mars 1997 il ne trouve pas de travail
Jrsquoavais des problegravemes de papier pour qursquoils me donnent la carte de seacutejouret tout et puis bon de lagrave jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutemarches et tout etccedila mrsquoa vraiment bloqueacute parce qursquoils mrsquoenvoyaient de la Preacutefecture auConsulat et du Consulat ils mrsquoenvoyaient agrave la Preacutefecture Ccedila fait quejrsquoeacutetais en permanence avec un titre de seacutejour provisoire et puis bon pourfaire certaines deacutemarches administratives crsquoesthellip on galegravere quoi Trsquoas ledroit agrave rien Tu vas faire ta demande de RMI on te la refuse tu trsquoinscrisau chocircmage sans trsquoavertir bon on te radie Je commenccedilais agrave en avoirmarre et puis bon voilagrave crsquoest la galegravere tellement jrsquoeacutetais deacutegoucircteacute jrsquoaicommenceacute agrave freacutequenter des copains qui eacutetaient un peu dans la came crsquoesttoujours le mecircme systegraveme Crsquoest lagrave que jrsquoai recommenceacute agrave les freacutequenter petitagrave petit et puis de temps en temps ccedila a commenceacute jrsquoai commenceacute agrave toucheragrave la came et puis ccedila faithellip jrsquoen avais marre quoi La drogue crsquoest desvols crsquoest lrsquoargent crsquoest le bizness quoi En fin de compte jrsquoai rien faitquoi quand je regarde bien jrsquoai rien fait (15 deacutecembre 1998)
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 51
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Un an plus tard il sera agrave nouveau interpelleacute pour vol et condamneacute
agrave 18 mois de prison On ne peut donc pas se cantonner agrave invoquer les
proprieacuteteacutes pharmacologiques des substances consommeacutees pour rendre
compte des trajectoires des usagers drsquoheacuteroiumlne Intervient aussi la dimen-
sion sociale des pratiques en jeu crsquoest-agrave-dire laquo lrsquointeacutegration de lrsquoindividu
dans un milieu de toxicomanes [qui] le lie agrave un systegraveme drsquoobligations raquo
(Castel 1998 p 228) Cette dimension nrsquoeacutechappe pas agrave cette cateacutegorie
drsquousagers de drogues lorsqursquoils deacuteploient des strateacutegies drsquoeacutevitement agrave
lrsquoeacutegard de leurs anciens amis laquo qui ne parlent pratiquement que de ccedila raquo et
freacutequentent plutocirct ceux qui ne consommaient pas ou qui ont reacuteussi agrave
srsquoarrecircter encourageant les autres agrave sortir de ce systegraveme Autrement dit si
la toxicomanie dans les quartiers pauvres peut se comprendre comme une
forme de reacuteaffiliation puisque y eacutechapper crsquoest srsquoextraire des liens forts
qursquoelle noue les toxicomanes apparaissent comme des deacutesaffilieacutes par excel-
lence agrave un moment donneacute Tous ceux qui ont dix ans et plus drsquoancienneteacute
dans ce monde disent la difficulteacute de recommencer tout agrave zeacutero la tren-
taine passeacutee sans rien agrave eux agrave ecirctre sur un fil Bruno est un cas limite
laquo Jrsquoai plus rien qui mrsquoaccroche agrave la vie jrsquoai pas de femme jrsquoai pas drsquoenfants jrsquoaiplus de famille et je dois eacutenormeacutement drsquoargent alors crsquoest dur drsquoecirctre motiveacute raquo Il a
fait sa premiegravere postcure il y a deux ans agrave 35 ans avant de repartir apregraves
un eacutechec et une nouvelle arrestation-condamnation-incarceacuteration dans
une autre structure Il a choisi de preacuteparer sa sortie en participant agrave un
programme de substitution au Subutex en deacutetention alors que trois ans
auparavant il rejetait avec force cette solution
Crsquoest une autre particulariteacute de cette geacuteneacuteration drsquousagers son accegraves
aux structures de soins ndash speacutecialiseacutees ou pas ndash a eacuteteacute sacrifieacute agrave drsquoautres
enjeux alors mecircme qursquoelle a eacuteteacute particuliegraverement exposeacutee aux risques de
contamination du VIH (virus du sida) et du VHC (virus de lrsquoheacutepatite C)
Entre les logiques lourdes de lrsquoordre public et du peacutenal drsquoun cocircteacute et celles
du quartier de lrsquoautre peu de place a eacuteteacute laisseacutee agrave la prise en compte des
enjeux de santeacute publique et de preacutevention On ne srsquoeacutetonnera pas que
de leur cocircteacute les toxicomanes rencontreacutes aient longtemps cru qursquoils
pourraient srsquoen sortir tout seuls
Bon jrsquoai coupeacute avec la prison Tu me diras crsquoest pas la mecircme chose maisbon je ne sais pas Jrsquoai toujours cru que jrsquoarriverais agrave mrsquoen sortir toutseul en fait Michel Jrsquoai jamais eacuteteacute frapper agrave une porte drsquoune associationquelconque ou aller dans une postcure Jrsquoai toujours cru que jrsquoallais mrsquoensortir que le seul type qui pouvait mrsquoaider crsquoeacutetait moi-mecircme Le seul typequi pouvait me sortir de cette merde crsquoeacutetait moi avec du courage et de lavolonteacute surtout de la volonteacute Jrsquoai toujours cru ccedila Et puis maintenantjusqursquoagrave preacutesent je me rends compte que non il aurait fallu peut-ecirctre unsuivi theacuterapeutique voir des psychologues de temps en temps Je dis pas que
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52 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
ccedila aurait reacuteussi mais ccedila mrsquoaurait fait du bien et ccedila mrsquoaurait aideacute beau-coup Puisque jrsquoai jamais eacuteteacutehellip en fin de compte faire une postcure Laseule fois ougrave jrsquoai fait une sorte de cure crsquoest quand ma famille mrsquoa emmeneacuteen 85 ils sont partis en vacances en Espagnehellip Ma megravere leur a dit laquo Vouspouvez lrsquoemmener avec vous le laissez pas ici il va crever sinon raquo Jrsquoai eacuteteacuteavec eux et je suis resteacute pendant un mois lagrave-bas Le premier jour ccedila a eacuteteacutedur jrsquoeacutetais alleacute voir un meacutedecin Bon jrsquoai deacutecrocheacute et ccedila allait par lasuite Crsquoest la seule fois ougrave jrsquoai deacutecrocheacute en vacances Jrsquoavais eacuteteacute aussi uneautre fois en 83 Mais crsquoeacutetait avec des amis on se faisait envoyer de lacame par lettre pour te dire par la poste (28 mars 1997)
23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC AU COURS
DES ANNEacuteES 1990
Que sont devenus les membres de cette geacuteneacuteration ayant commenceacute agrave
consommer et agrave revendre de lrsquoheacuteroiumlne au deacutebut des anneacutees 1990 La
diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers on ne le reacutepeacutetera jamais assez a
eu des effets dramatiques laquo Jrsquoai eu des deacutecegraves qui mrsquoont suivi agrave longueur detemps raquo reacutepeacutetera lrsquoun laquo tous ceux de notre eacutepoque la plupart ils sont partis raquo
souligne un autre qui a perdu son fregravere et son cousin laquo mes amis ils onttous fini au cimetiegravere raquo dira encore un autre Bien que ce pheacutenomegravene soit
quasi impossible agrave quantifier de nombreuses familles ont eacuteteacute toucheacutees par
les effets conjugueacutes de lrsquoheacuteroiumlne et du sida laquo Survivants raquo laquo rescapeacutes raquo
laquo dinosaures raquo telles sont les expressions utiliseacutees dans les citeacutes pour deacutesi-
gner ceux qui ont eacutechappeacute aux surdoses au sida au suicide (reacuteel ou
deacuteguiseacute) Les laquo tox raquo qui approchent la quarantaine alternent des peacuteriodes
drsquoabstinence et des peacuteriodes ougrave ils sont laquo agrave fond dedans raquo vont et viennent
entre prison et quartier Malades le corps marqueacute habilleacutes pauvrement
on les nomme ici ou lagrave les laquo schlagues raquo ou les laquo gueux raquo ndash expressions
renouant eacutetrangement avec lrsquoancienne imagerie des vagabonds Degraves lors
on comprend qursquoils aient pu jouer la fonction drsquoimage repoussoir aupregraves
des nouvelles geacuteneacuterations Au moins un temps leur histoire a pu dissuader
ces derniegraveres de prendre massivement de lrsquoheacuteroiumlne
Le paradoxe crsquoest que ce processus nrsquoa pas empecirccheacute lrsquoessor du trafic
drsquoheacuteroiumlne puis de cocaiumlne entre le milieu des anneacutees 1980 et le milieu
des anneacutees 1990 On peut y voir lrsquoeffet drsquoune strateacutegie drsquoordre public visant
agrave laquo nettoyer raquo la ville-centre et ses espaces publics et agrave cantonner les mar-
cheacutes de la drogue dans les quartiers peacuteripheacuteriques Mais crsquoest aussi le biznessqui a changeacute dans cette peacuteriode Si drsquoapregraves nos informateurs de terrain
ceux qui controcirclent les marcheacutes sont agrave peu pregraves les mecircmes qursquoil y a dix
ans les modes drsquoorganisation sont devenus plus complexes Une triple
transformation est survenue un redeacuteploiement drsquoeacutechelle du trafic qui de
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micro-locale est devenue deacutepartementale voire interdeacutepartementale avec
la constitution de reacuteseaux de trafics beacuteneacuteficiant de supports logistiques et
sociaux varieacutes le deacuteveloppement des polytrafics (heacuteroiumlne cocaiumlne ou
crack speed Subutex) visant agrave srsquoadapter agrave la concurrence et agrave la tendance
persistante agrave la polyconsommation de produits drsquousage illicite et licite
lrsquoeacutemergence agrave cocircteacute des logiques de quartier de logiques baseacutees sur le
caiumldat avec des modes drsquoaction et de repreacutesentation eacutevoquant fortement
les mafias Par ailleurs ceux qui participent au deal (rabatteurs guetteurs
revendeurs transporteurs etc) semblent plus souvent des non-usagers atti-
reacutes agrave la fois par un motif eacuteconomique et par la mythologie entourant le
laquo dealer des citeacutes raquo Demeurant bien plus lucratifs que le marcheacute du can-
nabis souvent plus artisanal et atomiseacute les marcheacutes de lrsquoheacuteroiumlne et de la
cocaiumlne ont ainsi tireacute parti des ressources offertes par cette armeacutee de
reacuteserve de jeunes sans avenir deacutescolariseacutes sous influence chocircmeurs ou
travailleurs preacutecaires avides de prendre place dans la socieacuteteacute de consom-
mation et de srsquoen approprier les signes les plus valoriseacutes Bref on est passeacute
drsquoune logique drsquoautofinancement de la consommation agrave une logique
marqueacutee par une professionnalisation du trafic Du coup de nouveaux
cheminements et strateacutegies se dessinent qursquoil nous faut maintenant deacutecrire
231 SCEgraveNES DE REVENTE
Ce qui est remarquable crsquoest la tension qui regravegne sur les lieux de deal et
plus encore le durcissement des eacutechanges entre usagers et dealers On
pourrait multiplier les citations faisant eacutetat de lrsquoinsolence du manque de
respect de la violence verbale ou physique agrave lrsquoeacutegard des usagers (laquo un tox
il faut lrsquoinsulter raquo) Et les observations sur le terrain confirment largement
cette tension palpable et le climat de suspicion que renforcent les inter-
ventions policiegraveres On peut interpreacuteter ces situations comme lrsquoun des
effets des transformations du trafic Ainsi il y a drsquoun cocircteacute les toxicomanes
qui sont affaiblis par le manque les pressions policiegraveres les maladies des
conditions de vie preacutecaires reacuteduits agrave des rocircles subalternes dans la deacutelin-
quance (intermeacutediaires rabatteurs voleurs receleurs occasionnels) por-
tant les stigmates de la deacutegradation et perccedilus comme indeacutesirables dans les
citeacutes de lrsquoautre il y a les revendeurs animeacutes par lrsquoappacirct du gain agressifs
voire meacuteprisants agrave lrsquoeacutegard de leurs clients peu sociables ou compreacutehensifs
refusant de neacutegocier les prix ou les quantiteacutes ce qui les rend aussi plus
vulneacuterables les usagers ayant moins de scrupules agrave les balancer La concur-
rence srsquoest accrue la preacutesence policiegravere aussi laquelle peut ecirctre instru-
mentaliseacutee de diverses maniegraveres19
19 Pour une analyse plus deacuteveloppeacutee de cet aspect des rapports sociaux du trafic voirnotre article (Kokoreff 2000)
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54 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Afin de rendre plus sensibles les changements qui se sont opeacutereacutes
arrecirctons-nous sur ces deux scegravenes de transaction dans la mecircme citeacute telles
qursquoelles sont deacutecrites par Bruno La premiegravere se passe au milieu des
anneacutees 1980
Ben trsquoavais les mecs qui avaient 20 ans qursquoavaient leur came et puistrsquoavais leurs petits fregraveres qui avaient 10 11 ans [hellip] Degraves qursquoils voyaientune voiture arriver comme ccedila tous les petits ils se battaient crsquoest agrave celuiqui courrait le plus vite Ils disaient laquo Crsquoest mon client crsquoest mon client raquoLe petit jeune il courait voir son fregravere et son fregravere entre-temps il preacuteparaitdeux paquets et quand toi tu arrivais il te disait laquo Tiens ccedila y est tiensmais va-t-en va-t-en raquo Il fallait vite que tu trsquoen ailles (26 mars 1997)
La deuxiegraveme scegravene a lieu dix ans plus tard Du deal agrave ciel ouvert on
est passeacute agrave un dispositif ougrave les revendeurs agissent masqueacutes (dans les caves
les escaliers) et armeacutes ce qui rend plus difficile leur identification par les
usagers et lrsquoaction de la police On les appelle les laquo Ninjas raquo
Tu fais la queue dans hellip tu sais le grand bacirctiment qui est en face le mienalors ils attendaient qursquoil y ait au moins trente toxicos qui attendent dansles escaliers puis drsquoun seul coup tu voyais deux dealers arriver alorslrsquoextincteur la lacrymogegravene la batte de baseball le couteau tout ce qursquoilfaut et cagouleacutes
ndash Toi combien tu veux toi
ndash Moi je veux deux
ndash Tu preacutepares tes cinquante sacs
Tu lui donnais et il te donnait tes deux demis
ndash Casse-toi par lrsquoautre cocircteacute
ndash Il y avait la queue et trsquoavais trente toxicos qui passaient et voilagrave (15 deacutecembre 1998)
En est-on toujours lagrave Il conviendrait de prendre en compte plus
qursquoon peut ne le faire ici les changements intervenus dans lrsquoorganisation
du deal avec la banalisation des teacuteleacutephones portables Un simple coup de
fil suffit pour contacter un revendeur et se mettre drsquoaccord sur un lieu de
rendez-vous De la sorte les livraisons agrave domicile peuvent ecirctre favoriseacutees
Crsquoest une situation intermeacutediaire deacutecrite par Mourad dont on abordera
plus loin lrsquoitineacuteraire
Vous faisiez tout vous-mecircme
Oui je faisais tout moi-mecircme Jrsquoaimais bien preacuteparer
Y compris au deacutetail dans la rue
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Oui [hellip] je connaissais mecircmehellip sur le bip Jrsquoeacutetais fou jrsquoeacutetais un incons-cient Je vendais je leur disais je suis sur la came Il y en a qui me bipaientagrave 3 heures du matin Je leur donnais rendez-vous en face de chez moi dansle hall Je descendais en claquette en peignoir pour leur donner Jrsquoeacutetaisbarreacute je lacircchais rien
Vous faisiez tout
Tu veux 200 F je te donne 200 F tu veux 400 F je te donne 400 F Jeme deacuteplace jrsquoallais chez eux Ce nrsquoest pas eux qui se deacuteplaccedilaient Je suisun des premiers agrave avoir fait ccedila Maintenant tout le monde le fait
Ccedila majore les prix
Non mais ce qursquoil y a crsquoest que moi je pense qursquoil y a moins de risquesCrsquoest grilleacute dans la rue
Bien qursquoelles puissent ecirctre encore observables aujourdrsquohui ces scegravenes
de deal font entrevoir les modifications enregistreacutees depuis vingt ans dans
la revente au deacutetail Dans un premier temps crsquoest lrsquoinvisibiliteacute (de la rue
aux bacirctiments des halls et escaliers aux caves du face-agrave-face agrave lrsquoanonymat)
qui est rechercheacutee Dans un second temps crsquoest la mobiliteacute (des laquo plans raquo
des personnes) Sans ecirctre lineacuteaires ces modifications manifestent les capa-
citeacutes drsquoadaptation des acteurs du trafic et la labiliteacute de leurs rapports
drsquoeacutechange
232 LE RAPPORT AU PRODUIT
Un bon indice de ce processus de professionnalisation du trafic est le
rapport au produit Si dans le cas du cannabis usage et revente vont de
pair en matiegravere drsquoheacuteroiumlne de cocaiumlne ou de crack il nrsquoen va pas de
mecircme Participer au trafic drsquoune maniegravere ou drsquoune autre crsquoest drsquoabord
acceacuteder agrave des ressources financiegraveres dans un contexte de chocircmage de
masse et de preacutecariteacute cela devient un travail un job un bizness et parallegrave-
lement sur un plan symbolique une faccedilon drsquoacqueacuterir une bonne reacuteputa-
tion et drsquoecirctre quelqursquoun Mais ces deux exigences ne sont pas faciles agrave
associer agrave la consommation Selon une opinion freacutequemment entendue
il est incompatible de revendre et de consommer de lrsquoheacuteroiumlne
Prenons lrsquoexemple de Mounir que nous connaissions de vue dans
une citeacute avant de le revoir en deacutetention Il avait 24 ans au moment du
premier entretien reacutealiseacute avec lui Lorsqursquoon lui demande quels sont les
eacuteveacutenements qui ont fait qursquoil a rencontreacute le monde de la drogue il deacutecrit
lrsquoengrenage
Ccedila crsquoest au deacutebut trsquoes bien trsquoes agrave lrsquoeacutecole tout va pour le mieux si on peutdire Apregraves le jour ougrave tu te retrouves agrave la rue le fait drsquoavoir des amis laquo oh ccedilrsquouirsquolagrave il est bien habilleacute ccedilrsquouirsquolagrave il a plus drsquoinfluence raquo les gens qui
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56 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
fument le shit bon tu commences agrave fumer un petit peu agrave goucircter apregravescrsquoest un engrenage tu rentres dedans tu commences agrave fumer de plus enplus apregraves tu mets de lrsquoargent pour trsquoacheter des affaires donc tu commencesagrave dealer apregraves la vie plus on approche de lrsquoan 2000 plus les temps sontdurs tu trsquoaperccedilois que le shit ccedila ne rapporte plus Crsquoest pas que ccedila nerapporte plus crsquoest que pour rapporter ccedila met trop longtemps et tu voistes amis agrave cocircteacute toi trsquoes en galegravere et eux en un rien de temps ils fontrentrer en deux journeacutees trois quatre briques Ccedila commence agrave travaillerdans la tecircte et apregraves agrave force tu te dis laquo Bon le shit mets-le de cocircteacute amegravenela came raquo Tu commences agrave dealer un petit peu juste de quoi te faire 500ou 1000 F 2000 F mecircme 4000 F et apregraves crsquoest un engrenage (11 avril 1997)
Cette entreacutee progressive dans la revente srsquoinscrit dans un processus
beaucoup plus geacuteneacuteral de diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers pauvres
qui attire un certain nombre drsquoindividus deacutejagrave impliqueacutes dans drsquoautres
trafics Lrsquoheacuteroiumlne est une marchandise plus que rentable crsquoest dans ce
sens que son arriveacutee a bouleverseacute les autres trafics (laquo elle a niqueacute le biznessde shit raquo) elle donne du mecircme coup un statut qui sort du commun des
petits revendeurs de cannabis Au cours de lrsquoentretien Mounir se preacutesen-
tera comme un dealer pas comme un consommateur20 Telle est la condi-
tion pour ne pas se deacutetruire la santeacute (ecirctre une laquo loque raquo) faire des affaires
(ne pas laquo couler raquo ni laquo aller faire nrsquoimporte quoi pour aller peacute-cho [ldquochoperrdquo] sacame raquo) et ecirctre respecteacute (laquo les tox les petits des dealers drsquoagrave cocircteacute je les mettais tousagrave lrsquoamende raquo)
Selon que lrsquoon ait affaire agrave des revendeurs de rue ou agrave leurs pour-
voyeurs le rapport au produit est diffeacuterent Pour reprendre les cateacutegories
indigegravenes les toxicomanes qui vendent ce sont des rabatteurs des laquo petits
dealers raquo sur une pile de dix ils revendent six ou sept laquo keacutepas raquo et en
gardent trois ou quatre pour leur consommation Les dealers eux ne
consomment pas sont joignables sur leur portable et vendent au gramme
peseacute Crsquoest un pheacutenomegravene encore plus remarquable agrave mesure que lrsquoon
srsquoeacutelegraveve dans la hieacuterarchie des trafiquants Par exemple ce Marocain de 47 ans
neacute dans la valleacutee du Riff poursuivi pour avoir joueacute un rocircle drsquointermeacutediaire
dans un important reacuteseau de trafic international de cannabis a commenceacute
agrave fumer le kif agrave 17 ans Mais au Maroc sa consommation srsquoinscrit dans un
tout autre contexte drsquousage En France Omar ne fume ni tabac ni cannabis
20 Lors de lrsquoinstruction de son affaire il adoptera la position inverse En deacutetention preacute-ventive pour une affaire drsquoheacuteroiumlne (dix doses trouveacutees agrave ses pieds cinq chez lui) ilminimisera son rocircle de dealer et se deacuteclarera consommateur aux policiers cela en vuedrsquoalleacuteger la sanction peacutenale Cette strateacutegie si elle teacutemoigne de la labiliteacute des statutsselon les situations vise bien eacutevidemment agrave eacutechapper agrave des sanctions lourdes
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il ne boit pas non plus drsquoalcool Il interdit agrave ses enfants de le faire parce
qursquoils sont trop jeunes pour se controcircler Crsquoest pour la mecircme raison qursquoagrave
un certain niveau de trafic la regravegle veut qursquoon ne consomme pas
Il y en a qui sont consommateurs Mais il y en a qui savent pas controcirclerMais crsquoest vrai que la plupart des vrais trafiquants ils ne fument pas[hellip] Ils ne doivent pas fumer Ils doivent travailler Ils doivent avoir latecircte fraicircche pour travailler Srsquoil fume il perd la tecircte Srsquoil sniffe ccedila y est ila plus de parole Moi si je vois quelqursquoun sniffer de la cocaiumlne je nrsquoaiplus confiance Il peut faire nrsquoimporte quoi Il propose des trucs qui sontnrsquoimporte quoi Il fait nrsquoimporte quoi Il peut aller tuer (3 juillet 1999)
La consommation notamment de cocaiumlne altegravere ce que Tarrius
(1997) appelle lrsquolaquo eacutethique des reacuteseaux raquo celle qui repose sur la confiance
en la parole donneacutee aux antipodes du modegravele contractuel Mais il en va
aussi de ce que lrsquoon pourrait appeler une eacutethique du travail bien fait
Normalement quelqursquoun qui vend qui trafique il ne doit pas faire celaIl ne doit pas fumer fumer pour consommer srsquoil veut Mais il ne doit pasfumer ou boire beaucoup Il faut ecirctre quelqursquoun de seacuterieux Il faut restersur son travail Crsquoest comme si vous alliez agrave lrsquousine vous travaillez aubureau Crsquoest pareil il faut avoir la tecircte Parce que les flics sont forts Doncil faut faire des plans pour srsquoen sortir Il faut avoir la tecircte si vous nrsquoavezpas de tecircte vous nrsquoallez pas travailler avec les pieds (9 juillet 1999)
233 LE TRAFIC COMME TRAVAIL
Lrsquoengagement dans le trafic local peut se comprendre comme un proces-
sus et reacutepondre agrave des motivations diverses selon les moments Les lyceacuteens
qui revendent des barrettes de shit dans leur eacutetablissement scolaire ou leur
quartier ne peuvent ecirctre assimileacutes aux chocircmeurs qui laquo font la survie raquo en
vendant quelques paquets drsquoheacuteroiumlne pour un laquo grand raquo de leur citeacute Ceux
qui revendent pour srsquoacheter des habits et sortir les filles ne sont pas dans
le mecircme laquo film raquo que ceux ou celles qui revendent pour faire un laquo coup raquo
(partir en vacances srsquoacheter une voiture subvenir agrave une dette aider le
retour clandestin drsquoun proche apregraves une expulsion du territoire) pas plus
que les uns et les autres ne peuvent ecirctre assimileacutes agrave ceux pour qui la
revente est lrsquoeacutequivalent drsquoun travail leur prenant la majeure partie de
leur temps
Revenons au parcours de Mounir abordeacute plus haut Issu drsquoune
famille algeacuterienne de cinq enfants Mounir avait 24 ans lorsque nous
lrsquoavons rencontreacute Son pegravere arriveacute agrave lrsquoacircge de 16 ans en France a termineacute
sa vie professionnelle comme chef de chantier Lorsque jrsquoai connu le fregravere
cadet de Mounir il eacutetait en terminale S puis il srsquoest inscrit en classes
preacuteparatoires (section scientifique) Sa sœur a eu un brevet de technicien
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58 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
supeacuterieur (BTS) en comptabiliteacute et travaille dans une grande entreprise
Un autre de ses fregraveres a eu un BTS en comptabiliteacute Seul son plus petit
fregravere acircgeacute de 13 ans est agrave la rue comme lui preacutecisera-t-il Drsquoougrave la question
deacutejagrave poseacutee agrave drsquoautres comment expliquer son parcours dans la deacutelin-
quance et la drogue alors que les autres srsquoen sont plutocirct bien sortis
Ben il faut dire franchement ce qui est moi je vois qursquoune reacuteponse crsquoestque quand jrsquoai commenceacute agrave deacutemarrer tout ccedila crsquoest que agrave mon avis crsquoestla tentation du diable et en plus crsquoest que je devais ecirctre trop influenccedilableEt peut-ecirctre tu sais quand trsquoes jeune histoire de jouer eacuteleacutegant aussi Ona peut-ecirctre de ccedila aussi Mais apregraves crsquoest mecircme plus ccedila Apregraves crsquoest ton jobApregraves crsquoest mecircme plus question de flamber ou un truc comme ccedila tu voistoi crsquoest ton job Crsquoest histoire de sauver ta peau de remplir ta pocheFranchement qursquoest-ce que tu veux que je foute Jrsquoai aucun diplocircme
Trsquoas arrecircteacute lrsquoeacutecolehellip
hellip en troisiegraveme technologie Jrsquoai aucun diplocircme Jrsquoai travailleacute un petit peuagrave droite agrave gauche des deux mois en inteacuterim des trucs comme ccedila Apregravesavec le placard quinze mois pour homicide je sors pendant cinq mois jetrouve rien Je retombe six mois je sors en provisoire je reste quatre moiset demi dehors je retourne trois mois je sors je reste un an je retombe(11 avril 1997)
En quelques phrases est reacutesumeacutee cette expeacuterience fragmenteacutee du
temps qui laisse peu de place agrave une position stabiliseacutee et rend illusoires
les projets drsquoinsertion Si les laquo raisons raquo invoqueacutees peuvent passer pour des
justifications leur inteacuterecirct est drsquoecirctre situeacutees dans le temps aux croyances
(la tentation du diable) et traits de caractegravere (ecirctre influenccedilable) succegravede
la neacutecessiteacute celle faisant de la revente un moyen de survie faute de for-
mation Comment trouver un travail leacutegal face au racisme des employeurs
et aux effets du stigmate judiciaire Tel est le dilemme de bien des jeunes
des quartiers pauvres
Au-delagrave de la mythologie du trafiquant professionnel on connaicirct
assez mal les strateacutegies deacuteployeacutees par les petits revendeurs non pas seule-
ment pour survivre mais pour rendre coheacuterentes aspirations et ressources
Aujourdrsquohui plus que jamais le trafic est geacuteneacutereacute par une ambition de ne
pas travailler agrave lrsquousine Il y a cette volonteacute drsquoeacutechapper aux conditions de
vie qui furent celles des parents laquo Nous nos parents se sont fait exploiterNous crsquoest finihellip raquo Mais en mecircme temps on retrouve le travail dans le
trafic Un acteur local remarque laquo La strateacutegie des jeunes qui ont 20 ans crsquoest
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 59
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ldquoon met de cocircteacute Comme ccedila dans dix ans on prend un boulot pourri mais au moinson aura ce qursquoil fautrdquo raquo Ce que dit drsquoune autre maniegravere Mourad petit
revendeur devenu fournisseur
On ne vend pas de la drogue pour le plaisir Agrave la rigueur celui qui vendde la drogue il a raison drsquoessayer de faire sa vie drsquoessayer de mettre de cocircteacutele plus rapidement possible pour deacutemarrer la vie Se lancer dans quelquechose de concret de droit Bon il y en a qui ne peuvent faire que ccedila21
(26 juillet 1999)
234 AVOIR LrsquoESPRIT ENTREPRENEUR
Mourad offre une variante assez inteacuteressante de ces cheminements dans
le trafic moins caracteacuteriseacutes par une logique de marginalisation que par
une logique entrepreneuriale Acircgeacute de 23 ans lors de nos premiegraveres ren-
contres il est issu drsquoune famille drsquoenseignants Drsquoorigine algeacuterienne il a
grandi agrave Issy-les-Moulineaux avec ses deux sœurs ses parents sa grand-
megravere et sa tante loin de lrsquounivers des citeacutes Agrave lrsquoadolescence il deacutemeacutenage
dans une commune proche qui a mauvaise reacuteputation Il poursuit sa sco-
lariteacute au lyceacutee jusqursquoau bac et lui-mecircme se qualifie de laquo bon eacutelegraveve raquo Peu
inteacutegreacute dans un quartier qursquoil ne connaicirct pas il se met agrave freacutequenter par
lrsquointermeacutediaire de la sœur de sa meilleure amie les jeunes des halls de sa
citeacute qui revendent du cannabis Agrave ce moment une rupture profonde
survient dans son existence avec le meurtre de sa megravere par son pegravere qui
lui-mecircme se suicidera quelques mois apregraves en deacutetention On est en 1995
Mourad a tout juste 18 ans Crsquoest peu apregraves qursquoil commence agrave revendre
du cannabis dans son eacutetablissement scolaire Pour autant il reacutefute toute
interpreacutetation psychologique attribuant au drame familial la cause de son
entreacutee dans la deacutelinquance laquo Crsquoest par palier que crsquoest arriveacute En deux ansjrsquoai vraiment tout fait Jrsquoen parlais agrave un copain il mrsquoa dit ldquoTrsquoas fait en un ande temps ce que jrsquoai fait en dix ansrdquo raquo
Il commence par acheter 25 grammes puis des laquo savonnettes raquo
(250 grammes) avant de passer rapidement agrave des achats par kilos qursquoil
partage avec deux de ses amis Fait remarquable alors que ses copains de
classe et les gens autour de lui fument lui-mecircme nrsquoest pas consommateur
Son contact le met en rapport avec un fournisseur drsquoheacuteroiumlne drsquoune autre
citeacute il lui propose de faire de laquo lrsquoargent vite fait raquo Mourad relegraveve le deacutefi
En 1996 il obtient son bac et arrecircte lrsquoeacutecole Il prend de lrsquoenvergure
comme dealer srsquoassocie avec un autre revendeur drsquoheacuteroiumlne et de cocaiumlne
qui revend dans la rue derriegravere chez lui Il noue des relations qui lrsquoamegravenent
21 Voir dans un tout autre milieu social les strateacutegies des laquo enfants de bonne famille raquoanalyseacutees par Missaoui et Tarrius (1999)
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60 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave rencontrer des laquo grosses tecirctes raquo dans une autre commune Ces relations
lui permettent de srsquoeacutemanciper dans une certaine mesure des reacuteseaux
locaux La situation srsquoinverse crsquoest lui qui procure une marchandise de
qualiteacute et obtenue agrave bas prix agrave ceux qui le fournissaient agrave ses deacutebuts
Nrsquoeacutetant pas connu des services de police il megravene la belle vie Pourtant les
ennuis commencent Il est interpelleacute mis en examen et eacutecroueacute une pre-
miegravere fois pour trafic agrave peine deux ans apregraves ses deacutebuts Trois mois apregraves
sa libeacuteration il est agrave nouveau placeacute en deacutetention preacuteventive pour une
affaire connexe au deacutebut de 1999 Beacuteneacuteficiant drsquoune confusion de peine
il est finalement condamneacute agrave quatre ans de prison
Dans son reacutecit plusieurs modes drsquoexplication plus ou moins clas-
siques sont mobiliseacutes pour rendre compte de son cheminement les effets
de lrsquoenvironnement (laquo Si jrsquoavais connu des voleurs je crois que je serais devenuvoleur si jrsquoavais connu des braqueurs jrsquoaurais fait des braquages forts je me suisreacutefugieacute dans la drogue chez moi yrsquoa plus de gens qui font ccedila que de gens qui fontpas ccedilahellip raquo) mais surtout le deacutesir de reacuteussite sociale (laquo avec lrsquoeacuteducation quejrsquoai eue je ne pouvais pas ne pas reacuteussir raquo) et de reconnaissance par ses pairs
(ecirctre un laquo bonhomme raquo crsquoest-agrave-dire quelqursquoun) Dans le contexte ougrave il vit
trouver de lrsquoargent est une obsession laquo Il faut de lrsquoargent pour srsquoen sortir delrsquoargent pour sortir il faut de lrsquoargent pour les copines raquo Paradoxalement de
lrsquoargent Mourad en a puisqursquoil a toucheacute une indemniteacute drsquoassurance deacutecegraves
Il part en vacances en Corse aux sports drsquohiver srsquoachegravete des vecirctements
de marque les premiers teacuteleacutephones portables une Golf VR-6 bref il
deacutepense sans compter pour lui et ses proches
On retrouve dans lrsquoitineacuteraire de Mourad un lien eacutetroit avec lrsquoeacutevolu-
tion du marcheacute des drogues dans les citeacutes En effet on a assisteacute lors de la
seconde partie des anneacutees 1990 agrave une recomposition du marcheacute de can-
nabis La concurrence est devenue de plus en plus forte conduisant agrave la
baisse des prix et des marges beacuteneacuteficiaires Drsquoougrave des ventes qui portent
sur des quantiteacutes de plus en plus importantes et une augmentation des
risques en cas de coups durs pour les revendeurs Mourad lui passe aux
drogues dures Il limite les risques au minimum en vendant agrave domicile
comme on lrsquoa vu prend ses rendez-vous sur portable ou se fait laquo biper raquo agrave
toute heure du jour et de la nuit Il compare le deal agrave une entreprise
Oh crsquoest une entreprise Franchement quand je vendais jrsquoai toujoursraisonneacute comme si crsquoeacutetait une entreprise Crsquoest maintenant avec le recul Jeme revoyais pas Maintenant avec le recul crsquoeacutetait ccedila Je me reacuteveillais lematin il faut payer le grossiste Il y a [hellip] le beacuteneacutefice Il faut payer lesgens avec qui vous ecirctes Il faut srsquoacheter ccedila Des fois il faut srsquoacheter destrucs par exemple la bouffe Crsquoest marrant parce que mecircme la bouffe eacutetait
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 61
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comprise dans le prix Il y avait 1000 F par jour qui partaient pour labouffe les journaux Moihellip mecircme si jrsquoai pas fait trop drsquoargent je me suisfait plus manipuler qursquoautre chose (21 septembre 1999)
Pourtant dans ses deacutebuts Mourad deacuteclare laquo tourner agrave 25 000 mini-mum par jour raquo parfois plus Dans sa commune en 1998 100 grammes de
cocaiumlne reviennent agrave 45 000 F lui il les touche agrave 35 000 F Tout est affaire
de relations comme il lrsquoexplique
Donc jrsquoai connu des gens drsquoune citeacute [hellip] qui sont venus me voir pour medemander combien je touchais Ils mrsquoont dit que si je prenais un peuplushellip Crsquoest parti comme ccedila Lagrave jrsquoai commenceacute agrave connaicirctre les gens deB Agrave cette eacutepoque-lagrave ils nous donnaient mais ils nous disaient qursquoilscouraient des risques Il y en a drsquoautres qui disaient laquo oui si tu luidonnes il va te balancer raquo Je me rappelle que crsquoeacutetaient des bruits quicouraient souvent et crsquoest vrai que je ne les connaissais pas
Sorti de prison dans la mesure ougrave il nrsquoavait pas balanceacute Mourad
raconte que laquo tous les grands raquo sont venus le voir pour lui demander de
srsquooccuper du terrain Il faut dire que lrsquoaction des services de police et des
juges drsquoinstruction est intense agrave cette eacutepoque surtout sur les petits reven-
deurs (laquo Crsquoest lrsquousine il y en a un qui tombe on en prend un autre raquo) Les
laquo grosses tecirctes raquo recrutent des hommes de confiance
Lrsquoenvers du deacutecor ce sont les emprises et pressions qursquoimplique
lrsquoinscription dans ces reacuteseaux en particulier lorsque les liens dans le
monde de la citeacute sont faibles Mourad nrsquoa pas de famille cela se sait il a
deux sœurs de 21 et 16 ans sur lesquelles les pressions sont faciles per-
sonne ne peut bouger pour lui laquo Ils me tiennent raquo dit-il Ainsi lorsqursquoil sort
de prison il est mis agrave lrsquoamende par ses partenaires de deal afin de payer
la cavale de lrsquoun drsquoeux Refusant de retourner vendre dans la citeacute de
Chacirctillon il est contraint par un caiumld local drsquoeacutecouler 40 kilos de cannabis
Ces emprises justifient son silence et sa reacutecidive
Au cours du troisiegraveme entretien reacutealiseacute agrave la maison drsquoarrecirct de la
Santeacute Mourad multipliera les mentions aux deacutemarches entreprises pour
srsquoen sortir et agrave ses projets laquo Jrsquoai envie de monter une entreprise raquo laquo jrsquoaurais aimeacutetravailleacute dans lrsquoimmobilier mais maintenant avec mon casierhellip raquo laquo je fais desrecherches par lrsquoANPE je prends les journaux raquo laquo je suis des cours je poursuis deseacutetudes jrsquoai des super bonnes notes raquo Il avait eacuteteacute transfeacutereacute quelques semaines
auparavant de la maison drsquoarrecirct de Nanterre manifestement exceacutedeacute par
lrsquoambiance qui y reacutegnait
Je grandissais plus Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoecirctre dans un moule Les discus-sions crsquoeacutetait laquo Ouais tu fais combien Ouais je gagnais tant par jouron faisait comme ccedila on faisait comme ccedila Quand je sors je vais faire ccedila raquoComme on dit dans le jargon de la prison laquo on va tout niquer raquo
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62 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce qui veut dire
Ce qui veut dire quand je sors je fais encore pire qursquoavant mais je faisccedila mieux [hellip] Alors on est entre hommeshellip Crsquoest une image crsquoest pasnous-mecircmes Ccedila parle de came on parle de came Ccedila se dit pas laquo Ouaisles gars faut arrecircter raquo On dit pas laquo Ouais quand je sors je travaille raquo(7 avril 2000)
Mourad a eacuteteacute libeacutereacute en conditionnelle agrave la fin de lrsquoanneacutee 2000 et
jrsquoai perdu sa trace Est-il un cas exceptionnel Sans doute sa trajectoire
sociale comporte-t-elle des traits atypiques par rapport agrave des dealers qui
sont neacutes et ont toujours veacutecu dans lrsquounivers des citeacutes Elle est remarquable
aussi par la rapiditeacute avec laquelle il est arriveacute agrave traiter avec des semi-
grossistes drsquoenvergure Mais on peut estimer que de tels cheminements
dans le bizness ne sont plus rares aujourdrsquohui Cette logique entrepreneu-
riale est agrave lrsquoœuvre en matiegravere de stupeacutefiants comme pour les biens de
consommation courante (automobiles deux-roues piegraveces deacutetacheacutees por-
tables habits) faisant lrsquoobjet de toutes sortes de bizness dans certaines citeacutes
Elle fonctionne drsquoautant plus que quelques personnes peuvent agrave un
moment donneacute faire beaucoup drsquoargent et attirer les autres bref servir
de modegraveles Cela eacutetant on retrouve cette logique bien eacutevidemment dans
drsquoautres milieux sociaux Lrsquoitineacuteraire de certains revendeurs drsquoabord
revendeurs drsquoecstasy puis de cocaiumlne dans le monde de la nuit parisienne
en est une illustration parmi drsquoautres22
24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS
DANS LE TRAFIC
Le rapport au produit lrsquoengagement dans le trafic lrsquoesprit dans lequel il
srsquoexerce distinguent les carriegraveres des usagers-revendeurs des anneacutees 1980
et celles des dealers des anneacutees 1990 Crsquoest sur cette question qursquoil nous
faut revenir Nous soulignerons les hieacuterarchies informelles (Becker 1963
p 128) qui structurent lrsquoeacuteconomie de la drogue et au final la mobiliteacute
des positions qui en deacutecoule
241 DrsquoUNE GEacuteNEacuteRATION Agrave LrsquoAUTRE
Entre la geacuteneacuteration de la rue Montmartre et celle qui a grandi dans les
quartiers ougrave la came eacutetait deacutejagrave preacutesente ougrave se situent les diffeacuterences en
termes de carriegraveres Pour Bruno par exemple il nrsquoy a pas drsquoambiguiumlteacute les
22 Voir sur ce point Duprez Kokoreff et Weinberger (2001 p 308-313)
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laquo petits jeunes raquo reproduisent le mecircme parcours que leurs grands fregraveres
cinq ou dix ans plus tard Les produits consommeacutes indiquent certes des
speacutecificiteacutes le Subutex plutocirct que lrsquoheacuteroiumlne consommeacute dans la rue ou en
prison la cocaiumlne plus proche des galettes de crack que de la poudre Et
quand on suggegravere que finalement le parcours des grands fregraveres aurait
pu servir drsquoimage repoussoir et dissuader les plus jeunes Bruno preacutecise
Ouais mais justement yrsquoen a plein ici leurs fregraveres leurs fregraveres et mes copainseuhhellip ils les ont conseilleacutes jrsquoeacutetais en prison et tout leurs fregraveres et tout etmoi je les ai vus grandir Ils sont tous agrave lrsquoinfirmerie en train de se battrepour avoir leur Subutex Ils ont 20 ans
Des gens drsquoAsniegraveres
En plus des gens yrsquoen a un paquet drsquoAsniegraveres de Gennevilliers NanterreToute la banane du 92 jusqursquoagrave Chacirctillon Montrouge lagrave Toute la bananeelle est concerneacutee
Ils rentrent comment ces gens-lagrave
Ils rentrent comment en prison
Non ils commencent comment
Non eux ils ont voulu deacutepasser leurs fregraveres Leur fregravere a eacuteteacute consommateurEux ils se sont dit laquo On va pas faire la mecircme connerie que notre fregravereNous on va faire de lrsquoargent avec raquo Sauf que une fois qursquoils avaient leproduit et qursquoils ont commenceacute agrave vendre ils ont voulu goucircter et tac [tapedans les mains] (9 avril 2000)
Drsquoautres reacutecits drsquousagers font un constat similaire Les laquo petits jeunes raquo
sont loin drsquoavoir eacuteteacute dissuadeacutes par les laquo anciens raquo qui font figure aujourdrsquohui
de rescapeacutes des anneacutees sida Le message nrsquoest pas passeacute Lrsquoentreacutee se ferait
beaucoup plus souvent par le deal avant de laquo tomber dedans raquo agrave un moment
donneacute ndash ou pas
Lorsqursquoon lui demande si agrave son avis les laquo petits jeunes raquo ont suivi le
mecircme parcours que les membres de sa geacuteneacuteration Abdellah reacutepond
Crsquoest un peu diffeacuterent on peut pas dire je trouve que crsquoest diffeacuterent parceqursquoils ont lrsquoexemple devant eux Je les comprends pas ils ont lrsquoexempledevant eux ils ont des copains mecircme des fregraveres ils ont vu les ravages queccedila fait Moi jrsquoai connu des types de 22 23 24 ans ils venaient me fairela morale [hellip] Je les revoyais pas pendant un moment je rentrais en prisonet jrsquoapprenais un peu plus tard que ce type eacutetait lui-mecircme tombeacute dans lacame Parce qursquoil a commenceacute agrave en avoir dans les mains il a commenceacuteagrave vendre avec des rentreacutees drsquoargent mortelles Et puis un jour peut-ecirctre parcuriositeacute ou quoi que ce soit il en a sniffeacute et voilagrave Et apregraves crsquoest lrsquoengrenage(15 deacutecembre 1998)
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64 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce type de reacutecit nrsquoaccreacutedite-t-il pas le scheacutema fataliste de la
toxicomanie Mais les dimensions territoriales des trafics sont aussi agrave
prendre en compte afin de saisir la singulariteacute des carriegraveres En effet avoir
grandi dans un quartier connu pour ecirctre un lieu de deal drsquoheacuteroiumlne nrsquoest
pas sans conseacutequences par rapport agrave une socialisation au sein de quartiers
speacutecialiseacutes dans les laquo petits bizness de shit raquo Bruno deacutecrit tregraves bien lagrave aussi
cette opposition entre deux types de quartiers drsquoambiances et de bizness
Moi je jouais encore au bac agrave sable hein quand yrsquoen a qui venaient acheterde la came Apregraves jrsquoai habiteacute dix ans agrave cocircteacute de lrsquoeacuteglise Et apregraves les grandsils sont partis aux Oiseaux Aux Oiseaux il nrsquoy avait pas de came Alorscrsquoest une citeacute yrsquoen a partout autour mais il nrsquoy a jamais eu de came Yrsquoaque du shit
Et depuis tregraves longtemps
Et depuis tregraves longtemps Yrsquoa jamais eu de problegravemes Bon deux ou troispetits serrages comme ccedila Mais crsquoest du cannabis crsquoest tout Alors queAsniegraveres au L crsquoest rempli rempli que de came hein
Et les Oiseaux crsquoest plutocirct une famille qui controcirclait un peu lemarcheacute ou crsquoeacutetaient plusieurshellip
Oh non Lagrave crsquoeacutetait un peu tout un peu tout le monde Crsquoeacutetait du petitbizness quoi Bon yrsquoavait deux ou trois familles qui avaient un peu lemonopole ils avaient un peu plus drsquoargent ou ils achetaient un peu plusMais ce qui est bien crsquoest qursquoil nrsquoy avait que du cannabis Yrsquoa pas eude morts yrsquoa pas eu dehellip alors que bon au L yrsquoen a eu des morts(9 avril 2000)
Il nrsquoest pas question drsquoen conclure que grandir dans tel ou tel type
de quartier preacutedeacutetermine les carriegraveres dans la consommation et le trafic
On pourrait neacuteanmoins avancer la notion de laquo carriegraveres de quartier raquo qui
interagissent avec la trajectoire des personnes impliqueacutees
242 LES HIEacuteRARCHIES INFORMELLES
Si lrsquoon voit donc agrave partir des entretiens reacutealiseacutes que les cheminements dans
le monde populaire des drogues ne sont pas identiques selon les cohortes
ou les geacuteneacuterations consideacutereacutees il apparaicirct aussi que les positions occupeacutees
dans le trafic ne sont pas homogegravenes En effet la cateacutegorie de laquo trafic raquo et
plus encore celle de laquo trafiquants raquo sont peu opeacuteratoires pour rendre
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compte de la diversiteacute des formes de trafic agrave lrsquoeacutechelon local Il convient
aussi de consideacuterer la diffeacuterenciation des engagements et des positions
acquises les hieacuterarchies internes et les itineacuteraires qursquoelles dessinent23
Nous avons souvent eu lrsquooccasion de le constater lors de nos enquecirctes
les toxicomanes et les grossistes nrsquoappartiennent pas au mecircme monde
social Ils ne se connaissent pas directement puisque les usagers ont prin-
cipalement affaire aux revendeurs de rue De leur cocircteacute les grossistes
eacutevitent de se faire repeacuterer dans la rue et souvent nrsquohabitent plus sur
place Crsquoest aussi la nature des relations entre usagers revendeurs et gros-
sistes qui explique cette diffeacuterenciation Par exemple Bruno eacutevoquant les
formes drsquoentraide preacutecise
Tu vois quand le gros a donneacute plusieurs petits paquets aux jeunes de20 ans si yrsquoa un jeune qui tombe normalement le gros il envoie un petitmandat tous les mois mais ce nrsquoest pas mon monde agrave moi ccedila moi je suisde lrsquoautre cocircteacute moi je suis client donc moi personne ne mrsquoaide du fait quejrsquoai plus drsquoamis plus de famillehellip (15 deacutecembre 1998)
Sans doute la position occupeacutee par Bruno deacutesaffilieacute par excellence
renforce-t-elle cette distance entre ces deux mondes lrsquoun ougrave la regravegle est
de venir en aide en cas de coup dur lrsquoautre ougrave lrsquoabsence de solidariteacute est
deacutecrite comme la regravegle Cela eacutetant lrsquoabsence de liens directs nrsquoempecircche
pas de savoir comment les choses se passent comment la marchandise est
acheteacutee partageacutee distribueacutee agrave lrsquoeacutechelle drsquoun deacutepartement quelles rela-
tions les grossistes entretiennent entre eux
De toute faccedilon yrsquoa des gens qui leur apportent qui sont en haut quoi Jrsquoenconnais pas personnellement mais je sais comment que ccedila se passe quoiIls se teacuteleacutephonent ils en prennent 100 grammes 200 grammes ccedila deacutependquoi et puis des fois ils se mettent mecircme agrave plusieurs pour voir si bonhellipils se mettent agrave plusieurs puisque y a des grossistes qui vendent ils disent laquo Moi je ne vends pas en dessous de 100 grammes ou en dessous de500 grammes raquo Le minimum que tu peux prendre crsquoest 500 grammes situ viens pour 100 300 grammes il va te dire laquo Non moi je vends pasccedila 100 100 grammes si tu veux un demi-kilo ou un kilo raquo Alors ils semettent agrave plusieurs et puis apregraves ils se partagent ils se partagent lamarchandise et chacun va avoirhellip Lrsquoautre il est agrave Asniegraveres il vend agraveAsniegraveres lrsquoautre agrave Nanterre il vend agrave Nanterre celui drsquoArgenteuil il vendagrave Argenteuil crsquoest comme ccedila [hellip]
23 On srsquoinspire ici de lrsquoarticle de Hughes sur les carriegraveres reacutedigeacute en 1958 qui soulignenotamment que laquo Certains meacutetiers se trouvent dans des systegravemes qui offrent de nom-breuses ouvertures sur drsquoautres systegravemes connexes et sur le public lorsque quelqursquounarrive au terme drsquoune eacutetape de sa carriegravere il peut ecirctre transfeacutereacute vers une position danslrsquoun de ces systegravemes connexes raquo (Hughes 1958 p 182)
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66 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Et ces gens-lagrave qui vendent en semi-gros disons ils habitent dansle quartier
Voilagrave des fois ils habitent dans le quartier bon crsquoest des gens trsquoas mecircmepas tu soupccedilonnerais mecircme pas Des gens des pegraveres de famille avec desenfants jrsquoen ai vus jrsquoen ai connus deux ou trois je suis resteacute eacutebahi sur lecoup Jrsquoai dit laquo Non crsquoest pas possible raquo Et puis jrsquoai remarqueacute qursquoen finde compte jrsquoai vu qursquoils avaient raison parce que jrsquoai remarqueacute un peuson manegravege une fois que jrsquoentends parler de plus [drsquoune] personne onsurveille du coin de lrsquoœil plus ou moins et puis jrsquoai remarqueacute qursquoils avaientraison crsquoest des gens insoupccedilonnables qui font ccedila une paire de fois pen-dant une certaine peacuteriode pendant deux trois mois Ils font ccedila avec leurpetit paquet drsquoargent Apregraves tu nrsquoentends plus parler drsquoeux Trsquoen asdrsquoautres ccedila se prolonge et ils font ccedila longtemps jusqursquoau jour ougrave il leurarrive une galegravere [hellip]
Et au-dessus drsquoeux
Au-dessus drsquoeux [il siffle]
Ccedila vient drsquoougrave
Ben ccedila vient de Lille ccedila pratiquement de Lille Lagrave-bas les gens ils vontagrave Lille hein Trsquoas des tas de gens qui vont lagrave-bas agrave Amsterdam ils vontlagrave-bas ils ils vont ils vont faire des ils vont prendre simplement descontacts et puis apregraves ils cherchent des passeurs ils cherchent carreacutement despasseurs et puis qui font passer la came pour eux et voilagrave Et le type ilreste il reste lagrave il est derriegravere il est pas loin il suit la cargaison euh agravevue drsquoœil quoi il va chercher de la blanche euh crsquoest ce qui marche lemieux ccedila crsquoest la blanche hein parce que agrave Paris y a de la brune et euhmais euh les gens ils sont pas attireacutes hein la plupart ils veulent tous dela blanche Asniegraveres Nanterre euh Argenteuil voilagrave Et bon de toutefaccedilon geacuteneacuteralement elle est tregraves organiseacutee puisqursquoils sont tregraves discrets desfois ils font ccedila pas longtemps et quand ils font des transactions crsquoest unefois tous les trois mois tous les six mois (15 deacutecembre 1998)
Cette longue citation souligne les diverses positions occupeacutees dans
lrsquoorganisation des trafics Il nrsquoest pas dans notre intention drsquoalimenter les
repreacutesentations communes ou institutionnelles de trafics organiseacutes dans
les citeacutes selon un modegravele pyramidal avec ses laquo petits soldats raquo faisant
tampon et ses laquo grosses tecirctes raquo Bien souvent ce que lrsquoon peut observer agrave
lrsquoeacutechelle locale ce sont des microreacuteseaux peu ou pas ramifieacutes entre eux
qui cohabitent dans lrsquoespace Agrave un niveau supeacuterieur plutocirct qursquoagrave de veacuteri-
tables filiegraveres organiseacutees on a affaire agrave des trafics de fourmis agrave lrsquoimage
de ceux entre la Hollande et le Nord de la France ou de ceux entre le
Maroc et la France Cela eacutetant la professionnalisation du trafic deacutecrite
plus haut a aussi conduit agrave un renforcement de la division du travail avec
une multipliciteacute des rocircles qui rendent possibles tant la distribution (pas-
seurs convoyeurs intermeacutediaires responsables et gardiens des stocks) la
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revente au deacutetail (guetteurs rabatteurs revendeurs) que la solvabilisation
des acheteurs (receleurs attitreacutes ou occasionnels banquiers de citeacute) sans
parler des rocircles lieacutes au blanchiment En outre on ne peut nier lrsquoexistence
de places fortes de la drogue qui possegravedent un rayon drsquoaction large ni
celle drsquoeacutequipes exerccedilant non seulement un controcircle de ces places mais
agrave travers elles un pouvoir reacuteel bien que mal connu Au sein des quartiers
ougrave nous avons enquecircteacute des rumeurs persistantes mentionnent des trafi-
quants notoires consideacutereacutes comme laquo intouchables raquo Ils beacuteneacuteficieraient de
protections au plus haut niveau et seraient precircts agrave srsquoengager dans le jeu
politique local Est-ce un mythe Faut-il consideacuterer qursquoau fond tous les
chemins megravenent en prison Le mythe nrsquoen perd pas moins son efficaciteacute
symbolique aupregraves des jeunes comme des moins jeunes agrave lrsquointeacuterieur et agrave
lrsquoexteacuterieur des quartiers
Il faudrait sans doute retracer les trajectoires des trafiquants qui
participent agrave ces marcheacutes illicites agrave cocircteacute de celles qui sont domineacutees par
la toxicomanie et lrsquoengagement dans le deal Ce qui permettrait drsquoaffiner
notre connaissance des mondes de lrsquoillicite et la classification des chemi-
nements sociobiographiques Mais la diversiteacute des parcours ne doit pas
nous deacutetourner des facteurs structurels qui leur sont sous-jacents On a
essayeacute de le montrer ces cheminements srsquoinscrivent dans un processus de
marginalisation sociale que ce soit sous la forme drsquoun destin collectif ou
drsquoune tentative de revalidation sociale Au sein de ce processus les logiques
sociales de lrsquoimmigration semblent avoir joueacute un rocircle non neacutegligeable
elles se sont traduites par un engagement massif de la seconde geacuteneacuteration
de lrsquoimmigration maghreacutebine dans ces carriegraveres Tout se passe comme si
les reacutepercussions du processus migratoire et des conditions de vie des
familles celles de la violence sociale subie tant agrave lrsquousine que dans les
habitats de fortune et agrave lrsquoeacutecole srsquoeacutetaient manifesteacutees agrave retardement au
tournant des anneacutees 1980 au moment ougrave la crise eacuteconomique commenccedilait
agrave faire ressentir ses effets
Cela eacutetant dit on ne peut oublier que les jeunes laquo beurs raquo ont eacuteteacute
socialiseacutes dans le mecircme contexte que les jeunes Franccedilais dits de laquo souche raquo
et qursquoeux-mecircmes ont eacuteteacute aussi particuliegraverement toucheacutes par la diffusion
de lrsquoheacuteroiumlne et le sida Le mecircme constat peut ecirctre fait en ce qui concerne
les reacuteseaux de trafic on constate au niveau des semi-grossistes comme des
chefs de clan une mixiteacute sur le plan ethnique Historiquement dans le
secteur eacutetudieacute les premiegraveres familles connues pour leur implication dans
le trafic eacutetaient franccedilaises Reste agrave savoir si les transformations urbaines et
sociologiques de ces anciens quartiers ouvriers tantocirct vers une plus
grande mixiteacute sociale tantocirct vers la constitution de niches ethniques
ajouteacutees aux effets pervers de lrsquoaction des services de police et de justice
ne contribuent pas agrave renforcer la stigmatisation des populations qui y vivent
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LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
C
EacuteLINE
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ELLOT
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Lrsquoassociation entre la jeunesse et les pratiques deacuteviantes et deacutelinquantes
nrsquoest pas reacutecente La mise en place des institutions peacutenales pour jeunes
accompagne au
XIX
e
siegravecle la construction de la jeunesse comme une
cateacutegorie sociale speacutecifique (Gillis 1974 Laberge 1997 Fecteau 1998)
Cette coiumlncidence srsquoexplique par le fait que les transformations socieacutetales
(industrialisation immigration notamment) ont contribueacute agrave lrsquoeacutemergence
de groupes drsquoenfants qui posaient problegraveme notamment en raison de leur
preacutesence dans les rues des villes (Meacutenard et Strimelle 2000) Or les muta-
tions sociales reacutecentes coiumlncident aussi avec une transformation profonde
de lrsquoexpeacuterience de la jeunesse dans son ensemble Ainsi les eacutetudes meneacutees
depuis vingt ans montrent un allongement de cette peacuteriode de vie (Galland
1991 Gauthier 2000) De la mecircme faccedilon les difficulteacutes drsquoinsertion sociale
et professionnelle des jeunes ont contribueacute agrave lrsquoapparition de nouvelles
preacuteoccupations agrave lrsquoeacutegard de la preacutesence de groupes de jeunes dans les
rues des centres-villes (Laberge et Roy 1994)
Dans ce contexte la compreacutehension des jeunes qui vivent dans la
rue permet drsquoune part de faire eacutetat de certaines transformations de la
jeunesse notamment au regard des difficulteacutes drsquoinsertion dont elle fait
lrsquoexpeacuterience et drsquoautre part de consideacuterer les pratiques de reacutegulations
sociales mises en place pour faire face agrave ce pheacutenomegravene Donnant suite agrave
une recherche ethnographique sur les jeunes en situation de rue
1
une
analyse des trajectoires de rue des jeunes a permis de rendre compte de
la diversiteacute des situations tant sur le plan des expeacuteriences que reacutealisent
les jeunes que sur le plan des interventions dont ils font lrsquoobjet
Lrsquoobjectif de ce chapitre consiste drsquoabord agrave examiner le concept de
trajectoire et son utilisation dans les eacutecrits criminologiques pour ensuite
preacutesenter les reacutesultats drsquoune eacutetude portant sur les jeunes en situation de rue
en faisant eacutetat des diffeacuterents types de trajectoires de rue qursquoils peuvent vivre
31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE
DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE
Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans les analyses de la jeunesse et
de la deacutelinquance juveacutenile est courante La trajectoire se deacutefinit alors
comme une finaliteacute de recherche qui permet de caracteacuteriser lrsquoidentiteacute de
1 Nous utiliserons le terme de jeune en situation de rue au lieu de celui de jeune de larue parce que nous souhaitons eacuteviter drsquoune part le rapport stigmatisant et stigmatiseacutedes jeunes agrave cet espace et drsquoautre part la reacuteduction de leur expeacuterience agrave un liendrsquoappartenance agrave la rue Pour plus de preacutecisions voir Bellot (2001)
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
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lrsquoindividu et son eacutevolution au regard de son statut de ses conduites de
sa position sociale de ses relations Ce concept a cependant autant servi
pour les theacuteories drsquoinspiration structuraliste voire culturaliste que pour
les theacuteories drsquoinspiration interactionniste (Dubar 1998) Ici la trajectoire
sera utiliseacutee comme un outil analytique pour faire le pont entre lrsquoacteur
et la structure dans le cadre drsquoune perspective de la structuration (Bellot
2000) Cependant avant de preacutesenter cette nouvelle deacutefinition concep-
tuelle il importe de revenir sur les autres utilisations du concept de tra-
jectoire dans la mesure ougrave celles-ci demeurent des sources drsquoinspiration
311 L
A
TRAJECTOIRE
OBJECTIVE
Comme les analyses structuralistes ont pour objectif de faire eacutetat des
conditions de production et de reproduction sociale le concept de trajec-
toire rend ici compte des eacuteleacutements deacuteterminant la destineacutee des individus
Cette lecture qualifieacutee drsquoobjective par Dubar (1998) retranscrit donc
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un statut particulier ou agrave une classe sociale
et agrave son eacutevolution Si elle srsquointeacuteresse au changement cette conception de
la trajectoire lit la diffeacuterence entre le point de deacutepart et celui drsquoarriveacutee
observeacute chez lrsquoindividu en termes de rocircles de statuts drsquoactiviteacutes Il srsquoagit
dans cette optique non pas drsquoignorer totalement la place de lrsquoacteur dans
la construction de sa trajectoire de vie mais de consideacuterer plutocirct que celle-ci
est largement encadreacutee par des structures qui la profilent
Le programme analytique consiste donc agrave deacutefinir diffeacuterentes formes
de trajectoires types theacuteoriques susceptibles par la suite de retracer le
cheminement singulier des individus Cette maniegravere de conceptualiser la
trajectoire contribue selon Bourdieu (1986) agrave marquer lrsquoillusion biogra-
phique puisque le modelage par lrsquoindividu de son identiteacute singuliegravere ne
peut se faire que dans le cadre deacutetermineacute par les institutions que celui-ci
freacutequente
En criminologie la lecture deacuteveloppementale utilise la trajectoire
pour expliquer comment et dans quelle mesure se deacuteveloppent les conduites
deacuteviantes et deacutelinquantes (Le Blanc et Loeber 1998) Elle montre par
exemple comment les conditions deacutefavorables de lrsquoenfance viennent anti-
ciper les difficulteacutes de lrsquoadolescence et de la vie adulte Agrave ce titre la lecture
des trajectoires des individus srsquoinscrit dans un cadre drsquoanalyse ougrave il srsquoagit
drsquoidentifier les facteurs de risque qui contribueront agrave preacutedire lrsquoadoption
par les personnes de comportements qualifieacutes de deacuteviants ou de deacutelin-
quants en deacuteterminant notamment la propension de ces personnes agrave
adopter de tels comportements (Gottfredson et Hirschi 1990) La lecture
de la deacutesorganisation sociale familiale ou individuelle constitue ici une
assise pour consideacuterer la faiblesse drsquoun capital social et culturel heacuteriteacute
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
comme un handicap de la trajectoire de vie du jeune dans la mesure ougrave
il construit une inadaptation sociale du jeune Pour les jeunes de la rue
les analyses de Whitbeck et Hoyt (1999) mentionnent les enjeux des cycles
de vie intergeacuteneacuterationnels reproduisant les conditions de pauvreteacute agrave lrsquoori-
gine des diffeacuterentes formes de fragilisation que connaicirctront les jeunes et
qui porteront atteinte agrave la reacutealisation drsquoune socialisation adeacutequate
Sampson et Laub (1993) viendront renforcer la pertinence de lrsquouti-
lisation du concept de trajectoire de maniegravere objective en deacutemontrant
lrsquoexistence drsquoeffets drsquointeraction entre les diverses expeacuteriences que doivent
vivre les jeunes Cette lecture dynamique introduite dans la perspective
deacuteveloppementale aura pour conseacutequence de lire dans une dimension
temporelle les jeux de continuiteacute et de changement qui tracent la trajec-
toire Ainsi srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la trajectoire il faut rete-
nir quelles sont les expeacuteriences qui renforcent ou au contraire freinent la
propension agrave la deacutelinquance observeacutee (Lanctocirct 1999) Cette maniegravere de
consideacuterer lrsquoeacutevolution des trajectoires sort de la perspective strictement
structuraliste pour faire une place agrave lrsquoacteur dans la consideacuteration de sa
trajectoire Cependant elle precircte peu drsquoattention au sens que lrsquoindividu
donne agrave ses gestes et agrave la deacutefinition sociale de ces gestes La perspective
interactionniste viendra combler ces limites en retenant lrsquoideacutee drsquoune tra-
jectoire en construction Dubar (1998) affirme ainsi que pour parvenir agrave
une lecture complexe des trajectoires de vie il faut eacutegalement srsquointeacuteresser
agrave la compreacutehension des trajectoires subjectives
312 L
A
TRAJECTOIRE
SUBJECTIVE
Contre toute conception substantielle du sujet ou de la socieacuteteacute les interac-
tionnistes srsquoefforcent de construire une conception relationnelle ougrave non
seulement lrsquoindividu et la socieacuteteacute sont interdeacutependants mais se constituent
lrsquoun par lrsquoautre (de Queiroz et Ziolkovski 1994 p 17)
Si dans la trajectoire objective la lecture du temps se fait autour du
cumul et de la reacutepeacutetition des situations en vue de caracteacuteriser les chan-
gements et les continuiteacutes la trajectoire subjective donne accegraves au travail
inteacuterieur fait par lrsquoindividu de construction de son identiteacute
Il srsquoagit donc de saisir la mise en mots du parcours biographique
mise en mots qui donne accegraves agrave la logique des neacutegociations identitaires
de lrsquoindividu Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindividu aux
rencontres qursquoil fait ou non et aux interactions qursquoil vit Ces reacuteactions que
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
la plupart des auteurs (Bergier 1992 Vexliard 1957) expriment en termes
drsquoeacutetapes de la reacutesistance agrave la reacutesignation en passant par lrsquoadaptation
relegravevent le plus souvent drsquoune vision lineacuteaire et seacutequentielle de la
trajectoire de vie
Ainsi la succession des places occupeacutees au cours drsquoune vie nrsquoestpas seulement une seacuterie de deacuteplacements objectifs de positionsdans lrsquoespace social mais simultaneacutement un replacement delrsquoimage de soi exigeant un travail biographique de mise en coheacute-rence des diffeacuterents aspects du moi (De Queiroz 1996 p 297)
Ce point de vue srsquoil rappelle que dans sa routine quotidienne
lrsquoindividu cherche autant agrave se creacuteer qursquoagrave assurer une continuiteacute avec ce
qursquoil eacutetait a contribueacute agrave associer le concept de trajectoire agrave celui de
carriegravere (Becker 1963) et drsquoidentiteacute (Strauss 1959)
Or il importe ici de consideacuterer que le concept de carriegravere postulant
une progressiviteacute dans la trajectoire de vie drsquoun individu emprisonne la
situation sociale agrave lrsquoeacutetude dans un univers particulier et singulier En effet
consideacuterer la carriegravere du deacuteviant crsquoest retenir qursquoil nrsquoa qursquoune identiteacute
celle de deacuteviant et que la trajectoire de vie ne srsquoinscrit que dans ce rapport
social (Duprez et Kokoreff 2000)
En retenant les deux utilisations du concept de trajectoire objective
et subjective pour les unir dans une perspective de la structuration telle
que Giddens (1987) la deacutefinit la recherche sur les jeunes en situation
de rue que nous avons meneacutee srsquointeacuteressait agrave faire ressortir la marge de
manœuvre de ces jeunes dans la construction de leur trajectoire Sortant
ainsi de lrsquoimage du jeune victime pour qui la situation est imposeacutee ou
de lrsquoimage du jeune deacutelinquant pour qui la situation est choisie lrsquoancrage
de la structuration permet de lire lrsquoaction des jeunes dans leur rapport
aux contraintes et aux opportuniteacutes qursquoils rencontrent
313 L
A
TRAJECTOIRE
DE
RUE
DANS
UNE
ANALYSE
DE LA STRUCTURATION
Inteacutegrer la lecture de la moderniteacute avanceacutee en ce qui a trait aux enjeux
lieacutes agrave lrsquoincertitude et aux risques dans la compreacutehension drsquoune trajectoire
de vie doit donner lrsquooccasion de srsquoeacuteloigner drsquoune vision lineacuteaire drsquoune
trajectoire de vie qui tend agrave deacutefinir la reacuteussite ou lrsquoeacutechec biographique
au plan des positions sociales pour parvenir au contraire agrave la compreacutehen-
sion de la nature parcellaire fragmenteacutee et construite de lrsquoexpeacuterience
reacuteveacuteleacutee par le quotidien et les rapports sociaux (Dubet 1994 Maffessoli
1994) Dans ce contexte lire une trajectoire de rue crsquoest srsquointeacuteresser au
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
chemin parcouru par ces jeunes dans lrsquoespace physique mais aussi social
qursquoest la rue en tant qursquoexpeacuterience biographique Crsquoest srsquointeacuteresser aussi
aux rapports identitaires construits entre deacuteviance et conformiteacute
La trajectoire permet alors de composer avec la dialectique entre
lrsquoacteur et la structure la contrainte et lrsquoaction la continuiteacute et le chan-
gement en appreacutehendant dans une perspective des cycles de vie
(life courseperspective)
les points tournants les eacuteveacutenements les mouvements enga-
geant les individus dans des lignes drsquoaction et biographique particuliegraveres
(Ogien 1995) Dans le cadre de la lecture de la trajectoire Jones (1997)
montre ainsi qursquoil est important de consideacuterer
[hellip]
That individual life-courses are led along a ldquoreflexive biographyrdquo(Giddens 1991 1994) in which there is a dynamic interaction betweenagency (self-determination and choice) and structure (affecting inequalityand constraint)
(Jones 1997 p 100)
Dans cette perspective la lecture des situations que les acteurs deacutefi-
nissent comme des eacuteveacutenements cleacutes devient cruciale (Leclerc-Olive 1998)
Les reacuteflexions de Ulmer (2000) sur le concept de
commitment
montrent en
outre comment ce concept vient appuyer dans une lecture de la trajec-
toire les logiques drsquoaction des individus dans leurs constances comme
dans leurs transformations La perspective inteacutegrative qursquoil adopte lui per-
met en outre drsquoenvisager lrsquoengagement dans une voie deacuteviante de la
mecircme faccedilon que dans une voie conventionnelle Il srsquoagit de saisir comment
laquo
opportunities structures do not determine action but set constraints within whichactors make choices on the basis of their definitions
raquo (Ulmer 2000 p 320)
Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans une analyse ancreacutee dans
la theacuteorie de la structuration permet ainsi de faire ressortir les logiques
drsquoaction qui preacutevalent dans le quotidien mais aussi de consideacuterer comment
les expeacuteriences de rue srsquoeacutetablissent dans un univers des possibles qui se
construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les eacuteveacutenements srsquoenchacircssent
et que les rencontres avec les autres se reacutealisent ou non que les rapports
sociaux structurent ou non la dialectique deacutevianceconformiteacute
32 MEacuteTHODOLOGIE
La deacutemarche meacutethodologique srsquoappuie sur une approche ethnographique
de la rue baseacutee sur deux principaux outils de collecte utiliseacutes de maniegravere
compleacutementaire lrsquoobservation participante et les reacutecits de vie (Jamoulle
2000)
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
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Lrsquoobservation participante srsquoinscrit dans une volonteacute de partir agrave la
rencontre drsquoun monde particulier celui des jeunes en situation de rue qui
freacutequentent le centre-ville de Montreacuteal Ce terrain de recherche srsquoest ainsi
construit autour drsquoune immersion le plus souvent nocturne dans le milieu
de ces jeunes au fur et agrave mesure que la confiance se gagnait et que la
reacuteciprociteacute des liens permettait des eacutechanges de qualiteacute Au-delagrave de
lrsquoimmersion et des liens bacirctis le temps passeacute sur le terrain constitue la cleacute
qui permet de consideacuterer la compreacutehension reacuteelle du chercheur des
valeurs des repreacutesentations des codes des pratiques du milieu observeacute
En passant trois ans (du printemps 1996 au printemps 1999) dans le
centre-ville agrave freacutequenter les espaces investis par les jeunes (parcs stations
de meacutetro couloirs souterrains
squats
appartements organismes) nous
avons pu veacuteritablement plonger dans le quotidien de ces jeunes mais aussi
suivre leur eacutevolution tant sur le plan individuel que sur le plan collectif
Les temps drsquoobservations ont eacuteteacute variables allant de un ou deux jours en
hiver agrave cinq jours en eacuteteacute ce qui nous a permis de partager le quotidien
de plus drsquoune centaine de jeunes
La reacutealisation de 22 entretiens biographiques a donneacute lrsquooccasion de
mettre la rue provisoirement agrave distance pour que les jeunes se racontent
En effet lrsquourgence la survie lrsquoaleacuteatoire lrsquoincertitude de la rue rendent
parfois difficile un reacutecit de soi un reacutecit sur soi Dans ce contexte ce
moment a eacuteteacute perccedilu comme un espace-temps ideacuteal pour se raconter dans
lrsquointimiteacute drsquoun espace priveacute sans les aleacuteas de la vie dans lrsquoespace public
qursquoest la rue Sur ces 22 entretiens 14 ont eacuteteacute conduits aupregraves de jeunes
avec qui nous avions preacutealablement eacutetabli des liens privileacutegieacutes sur le ter-
rain Le recrutement de ces jeunes a eacuteteacute organiseacute de faccedilon agrave obtenir la
plus grande diversiteacute possible drsquoexpeacuteriences de rue Ainsi certains tout
juste arriveacutes nous racontaient le passage agrave la rue alors que drsquoautres
complegravetement engageacutes dans le monde de la rue nous preacutecisaient leur
trajectoire dans ce milieu drsquoautres enfin eacutetaient deacutejagrave sur une trajectoire
de sortie de la rue et dressaient dans cet entretien une sorte de bilan de
leurs expeacuteriences passeacutees Lrsquoacircge moyen des jeunes rencontreacutes eacutetait autour
de 20 ans et la dureacutee dans la rue variait entre un mois et quatre ans Le
tiers des entrevues a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves de jeunes filles Toutes ces entre-
vues ont eacuteteacute enregistreacutees retranscrites inteacutegralement et ont fait lrsquoobjet
drsquoune analyse agrave partir des eacuteveacutenements cleacutes nommeacutes par les jeunes On
entendait ainsi deacutegager non seulement les lignes de continuiteacute et de chan-
gement dans leur biographie de mecircme que le sens qursquoils accordaient agrave
leurs gestes et expeacuteriences mais aussi les logiques drsquoaction et de leacutegitima-
tion que ces jeunes utilisaient
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
De ce volumineux mateacuteriel drsquoenquecircte il a eacuteteacute notamment possible
de retenir trois grandes formes de trajectoires de rue en fonction desquelles
on tente de rendre compte de lrsquoexpeacuterience biographique que vivent les
jeunes entre opportuniteacutes et contraintes entre deacuteviance et conformiteacute
entre passeacute et preacutesent entre preacutesent et futur mais aussi entre stigmatisa-
tion et conventionnaliteacute (Soulet 2002)
33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES
La preacutesentation de ces trois formes de trajectoires de rue ne constitue pas
une maniegravere de diviser le groupe des jeunes en situation de rue en trois
cateacutegories Elle indique simplement qursquoil existe trois types distincts de
rapports agrave la rue rapports qui peuvent se succeacuteder dans la trajectoire drsquoun
jeune et qui tissent diffeacuterentes expeacuteriences biographiques Ces diffeacuterents
rapports ont cependant en commun drsquoenvisager la rue comme un simple
passage Cette lecture dynamique de lrsquoinscription dans le monde social de
la rue met en lumiegravere les enjeux de continuiteacute de rupture et de progres-
sion que vit le jeune en utilisant la rue comme espace de vie Du jeune
venu passer lrsquoeacuteteacute au centre-ville au jeune qui est inteacutegreacute dans le monde
social de la rue depuis plusieurs anneacutees la reacutealiteacute est diverse et complexe
Il importe de la consideacuterer comme telle pour eacuteviter les simplifications
extrecircmes sur lesquelles se construisent parfois des logiques drsquointervention
inapproprieacutees
En preacutesentant les diffeacuterents types de trajectoires ndash eacutepisode transi-
tion enfermement ndash une attention particuliegravere sera donc porteacutee agrave lrsquohis-
toire de vie anteacuterieure agrave lrsquoorganisation quotidienne qui a cours dans cette
trajectoire aux neacutegociations identitaires que le jeune utilise agrave la maniegravere
dont il construit son expeacuterience biographique et aux rapports qursquoil tisse
avec les autres acteurs (pairs et adultes)
331 L
A
RUE
UN
EacutePISODE
Sonia est arriveacutee dans la rue en avril 1997 Elle a commenceacute par venir une
fin de semaine avec une amie au centre-ville Puis apregraves deux fins de
semaine elle est resteacutee dans la semaine Elle explique ce changement dans
sa vie par le fait qursquoayant abandonneacute son secondaire elle a tenteacute de cher-
cher du travail mais sans succegraves Comme elle srsquoennuie chez elle et que
ses parents lui disent sans cesse de faire quelque chose elle trouve que la
rue lui permet de rencontrer du monde et de srsquoeacuteloigner de la pression
que lui imposent ses parents Finalement elle va rester dans la rue agrave partir
du mois de juin teacuteleacutephonant de temps en temps agrave ses parents en reacutegion
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Elle se tient principalement dans le parc Pasteur Apregraves lrsquoavoir rencontreacutee
au deacutebut de juin je ne la reconnaicirctrai pas une semaine plus tard telle-
ment la transformation est grande Elle a teint ses cheveux a un
piercing
au nez et dans la langue habilleacutee avec des vecirctements noirs laquo patcheacutes raquo
pour mrsquoexpliquera-t-elle laquo devenir
punk
raquo elle srsquoest inteacutegreacutee au groupe
qui freacutequente le parc Pasteur Elle me preacutesente une nouvelle amie qui
lrsquoheacuteberge La semaine suivante elle me raconte en deacutetail sa freacutequentation
des ressources centre de jour maison drsquoheacutebergementhellip Et puis elle a
ajouteacute un eacuteleacutement agrave sa tenue un
squeegee
dont elle nrsquoa pas lrsquoair de srsquoecirctre
servi souventhellip Je vais la suivre tout lrsquoeacuteteacute et nos rencontres seront toujours
lrsquooccasion pour elle de raconter ses nouvelles expeacuteriences drogues
musique politique attitudeshellip Pourtant degraves les premiers signes de la
rentreacutee scolaire elle commence agrave srsquointerroger Elle devrait retourner finir
son secondaire Elle aimerait ccedila aider les autres et devenir intervenante
Elle va disparaicirctre en septembrehellip et reacuteapparaicirctre en juin lrsquoanneacutee sui-
vante Elle raconte que son anneacutee a eacuteteacute difficile elle est eacutecœureacutee de
lrsquoeacutecole de ses parents nrsquoa pas trouveacute de travail pour lrsquoeacuteteacute Elle freacutequente
un groupe de jeunes vendeurs de drogues elle devient la blonde drsquoun
vendeur Il nrsquoest plus question drsquoecirctre
punk
ni mecircme de faire du
squeegee
elle dit ecirctre laquo tanneacutee drsquoecirctre pauvre raquo Elle va srsquoinitier agrave la cocaiumlne qursquoelle
inhale parce que son
chum
lui en donne Elle fait des commissions pour
lui et srsquoachegravete plein de nouveaux vecirctements Cette anneacutee lrsquoimportant
crsquoest la tenue la plus
fresh
possible Quinze jours plus tard elle sera ven-
deuse sur un quart de travail parce que de toute faccedilon elle est lagrave avec
son
chum
alors autant en profiter pour faire de lrsquoargent Elle consomme
de plus en plus pour rester le plus possible dans la rue la cocaiumlne lui
permettant de demeurer plus longtemps eacuteveilleacutee et en peacuteriode drsquoeupho-
rie Deux jours apregraves notre derniegravere rencontre elle a commenceacute agrave srsquoinjec-
ter Agrave la fin de septembre il nrsquoest pas question de sortir de la rue pour
revenir au monde conventionnel laquo il faut trouver un appartement et pour
le payer il faut vendre raquohellip
Ce reacutesumeacute de la trajectoire de Sonia que nous avons suivie durant
plus de trois ans srsquoarrecircte au moment ougrave sa trajectoire se transforme pour
sortir de lrsquoeacutepisode Pourtant elle est caracteacuteristique le premier eacuteteacute de la
trajectoire de rue de la plupart des jeunes rencontreacutes Agrave ce titre ces jeunes
vont avoir une trajectoire de rue qursquoils deacutefinissent par lrsquoexpeacuterience initia-
tique la rencontre avec la marginaliteacute et lrsquoeacutemancipation Il srsquoagit de sortir
du moule traditionnel des jeunes chez leurs parents ou drsquoun milieu subs-
titut La rue devient lrsquoespace de lrsquoeacutemancipation et de lrsquoexpeacuterimentation
Deacutecrire la trajectoire de rue de certains jeunes sous la forme drsquoun
eacutepisode consiste agrave rendre compte de la nature eacutepheacutemegravere de la vie de
rue telle qursquoils lrsquoenvisagent Cette trajectoire de rue demeure la plus
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
freacutequente dans la mesure ougrave la plupart des jeunes sans parler de ceux
qui restent moins de 72 heures passent au plus une saison dans la rue
Dans cette perspective la logique de lrsquoeacutepisode prend une couleur initia-
tique ougrave le jeune fait lrsquoexpeacuterience dans la rue de conduites attitudes et
rapports sociaux qursquoil ne connaissait pas toujours avant dans un espace
qui symbolise le plus souvent celui de la marginaliteacute Agrave cet eacutegard il importe
ici de lire lrsquoinsertion dans le monde social de la rue comme une pratique
urbaine juveacutenile au mecircme titre que le graffiti le
skate
hellip Il convient de
saisir le caractegravere momentaneacute de cette pratique associeacute agrave un espace deacutefini
socialement comme un espace transgresseur Drsquoailleurs les jeunes attri-
buent alors un sens heacutedoniste agrave la rue qui marque le plus souvent une
coupure avec leurs expeacuteriences anteacuterieures faites drsquoeacutechecs de souffrances
de difficulteacutes (Bellot 2001)
2
Cependant il importe de dire que malgreacute sa nature circonscrite
cette trajectoire est veacutecue de maniegravere tregraves intense par les jeunes qui
renonccedilant agrave tout rythme quotidien vivent au greacute de leurs envies et des
contraintes La plupart des jeunes revendiquent ici le droit de vivre lrsquoeacuteteacute
de leur jeunesse en paix sans autre consideacuteration
Cet eacutepisode srsquoil circonscrit la trajectoire de rue comme une expeacute-
rience biographique limiteacutee dans le temps srsquoaccompagne cependant de
transformations importantes de lrsquoidentiteacute individuelle et sociale du jeune
Le travail sur lrsquoimage de soi commence par le changement de lrsquoallure
geacuteneacuterale (transformation vestimentaire
piercing
coloration des cheveux)
Ces transformations peuvent ecirctre radicales ou venir renforcer un style deacutejagrave
preacutesent Elles indiquent le plus souvent agrave Montreacuteal la volonteacute drsquointeacutegrer
une culture
punk
culture qui paraicirct repreacutesenter la culture de rue pour
les jeunes au moment de la reacutealisation de ce terrain de recherche Le
passage drsquoune culture
punk
agrave drsquoautres laquo formes de cultures jeunes raquo marque
aussi lrsquoeacutevolution collective du groupe des jeunes en situation de rue rue
qui paraicirct beaucoup plus diversifieacutee et fragmenteacutee en 1999 qursquoelle ne
lrsquoeacutetait au moment de mon entreacutee sur le terrain en 1996 Cette preacutesenta-
tion identitaire fortement ancreacutee dans une image
punk
srsquoestompera en
effet au fil des anneacutees et sera remplaceacutee par des cultures dont les codes
tenues valeurs et strateacutegies de survie tentent de rendre les jeunes moins
visibles pour eacuteloigner les interventions reacutepressives dont ils font lrsquoobjet dans
la mesure ougrave ils peuvent davantage se mecircler aux passants
2 Un chapitre de la thegravese est consacreacute agrave lrsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures agrave la rue etau moment du passage agrave la rue
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Sylvie explique comment lrsquoanneacutee preacuteceacutedente au moment ougrave elle
freacutequentait les
punks
elle leur ressemblait mais cette anneacutee elle freacutequente
le groupe de vendeurs de drogues Voilagrave comment elle explique ce que
signifie ecirctre
punk
pour elle
Lrsquoanneacutee derniegravere jrsquome tenais avec les punks pis jrsquoeacutetais pas habilleacutee de mecircmeParce que les punks premiegraverement trsquosais crsquoest lrsquohabillement trsquosais lespatchs le linge tout croche des affaires de mecircme pis les cheveux de couleurPis un vrai punk la mentaliteacute elle est pas pareille Crsquoest la mentaliteacutedrsquolrsquoanarchie pas drsquoloi la liberteacute Ben moeacute je lrsquoai cette mentaliteacute-lagrave mecircmesi jrsquomrsquohabille pas de mecircme Pis crsquoest mieux pour la vente les cochons ilsfont moins attention agrave nous Deacutejagrave ils laissent plus tranquilles les fillesmais en mecircme temps moi je peux dire que jrsquosuis comme une eacutetudiante
Misant sur la liberteacute que repreacutesente cette culture
punk
les jeunes
lrsquoadoptent comme une sorte drsquoenveloppe identitaire qui correspond alors
au sens qursquoils donnent agrave leur expeacuterience de la rue
Durant les premiegraveres anneacutees de terrain le
squeegee
constituait aussi
lrsquoun des eacuteleacutements de la panoplie neacutecessaire agrave lrsquoidentiteacute de rue de ces
jeunes mecircme srsquoils ne lrsquoutilisaient pas Ainsi agrave cette eacutepoque (1995-1998)
ecirctre un jeune de la rue signifiait ecirctre un
squeegee
punk
si bien que cet
instrument comme la tenue vestimentaire constituaient les vecteurs les
plus parlant de lrsquoidentiteacute que souhaitaient preacutesenter ces jeunes Drsquoailleurs
cette identiteacute de circonstance eacutepisodique sera lrsquooccasion de logiques de
diffeacuterenciation entre jeunes Les jeunes les plus acircgeacutes se disent ainsi de
veacuteritables jeunes de la rue qui vivent en harmonie avec lrsquoensemble des
valeurs
punk
et font du
squeegee
une strateacutegie de survie alors que les jeunes
qursquoils nomment laquo les crevettes raquo ne seraient qursquoune pacircle imitation des
jeunes de la rue En effet on reproche agrave ces laquo crevettes raquo leur conversion
reacutecente et superficielle agrave la culture
punk
et le fait qursquoils fassent du
squeegee
pour gagner de lrsquoargent de poche dont ils nrsquoont pas besoin dans la
mesure ougrave ils ne vivraient pas une veacuteritable situation de survie
Vincent 21 ans trois ans de rue parlant de la diffeacuterence
entre les vrais et les crevettes
Lrsquoeacuteteacute on est plus nombreux parce qursquoy a beaucoup de crevettes lagrave commeon dit les jeunes qui viennent de la banlieue Pis eux crsquoest vraiment dutrouble Je trouve que ccedila fait bordel pour rien pis ccedila nous empecircche nousautres ceux qui sont tout le temps dans la rue tu sais parce que ccedila faittrop de monde qui quecircte pis qui demande de lrsquoargent alors qursquoeux autresleurs parents leur payent la majoriteacute de leurs affaires Je trouve que crsquoestcon ils devraient plus rester chez eux peut-ecirctre venir tripper au centre-villemais qursquoils demandent de lrsquoargent agrave leurs parents tu sais ils sont pas
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
obligeacutes de venir squeeger juste parce qursquoils se pensent laquo ah ouais je suisun squeegee raquo crsquoest juste pour le kick de se passer pour un squeegy dans lefond Apregraves ccedila tu sais les citoyens se plaignent qursquoil y a trop de mondequi squeege mais ccedila crsquoest agrave cause drsquoeux autres pas mal Lrsquohiver crsquoest lefun parce crsquoest rien que les laquo tough raquo qui sont lagrave
Cette logique de diffeacuterenciation renvoie en outre agrave une quotidien-
neteacute de la rue diffeacuterente En effet si les jeunes qui srsquoaffirment de laquo veacuteritables
jeunes de la rue raquo vivent la rue agrave deux ou trois les jeunes qualifieacutes de
laquo crevettes raquo construisent leur quotidienneteacute autour du groupe Cette deacutesi-
gnation peacutejorative constitue pour les jeunes plus acircgeacutes un outil de distinc-
tion entre une veacuteritable expeacuterience de survie et une expeacuterience de deacutefi
drsquoadolescent Ces diffeacuterenciations que font les jeunes entre eux sont aussi
utiliseacutees dans le cadre des interventions conduites par les adultes Par
exemple la roulotte de lrsquoorganisme Poprsquos ne se deacuteplace pas le samedi
arguant qursquoil y a trop de jeunes laquo crevettes raquo qui utiliseraient leurs services
Cette trajectoire de rue
eacutepisode
est donc le plus souvent lrsquoexpeacuterience
des jeunes qualifieacutes de laquo crevettes raquo placeacutes entre deux mondes le monde
de la rue et le monde conventionnel Sans reconnaissance de part et
drsquoautre ces jeunes vont chercher agrave se reconnaicirctre dans des groupes de
pairs qui vivent avec eux lrsquoexpeacuterience de la rue La rue repreacutesente alors
pour eux une vie de groupe qui leur permet de partager leurs expeacuteriences
et qui constitue aussi un cadre de protection par rapport au reste du
monde social de la rue laquo Groupe drsquoexpeacuterimentation raquo ces jeunes se dis-
tinguent de cet autre monde social de la rue par leur visibiliteacute mais aussi
par une sociabiliteacute juveacutenile marqueacutee par le besoin de vivre en groupe de
nouvelles expeacuteriences Agrave ce titre le quotidien est centreacute autour des pairs
qui composent le groupe drsquoappartenance et drsquoun parc qui forme le cadre
territorial de lrsquoidentiteacute On distinguera ainsi entre le groupe de jeunes
freacutequentant le parc Berri celui freacutequentant le parc Pasteur et enfin celui
freacutequentant le parc des Foufounes Il est toutefois important de mention-
ner que ce cadre territorial diffegravere de celui deacutecrit dans les eacutetudes sur les
gangs de rue dans la mesure ougrave il ne renvoie pas agrave un quartier ougrave les
jeunes habitent mais agrave un espace public dans lequel ils se tiennent De la
mecircme faccedilon lrsquoidentiteacute territoriale du groupe nrsquoempecircche pas la freacutequen-
tation des autres lieux et groupes elle marque simplement lrsquoexistence de
liens plus intenses avec tel groupe et tel lieu Agrave lrsquoinstar de Lucchini (1999)
nous dirions que la dynamique observeacutee relegraveve davantage de celle drsquoun
reacuteseau drsquoidentification et de soutien que drsquoune veacuteritable bande constitueacutee
et hieacuterarchiseacutee Cependant ce reacuteseau sera utiliseacute pour se construire au
plan identitaire ainsi que pour apprendre comment faire face agrave la vie de
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
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rue La question du reacuteseau est drsquoautant plus importante que srsquoagissant
drsquoun cadre relationnel ouvert les liens vont pouvoir se tisser entre les
diffeacuterents groupes et les diffeacuterents types de jeunes en situation de rue
Il importe de consideacuterer ici que les jeunes qui connaissent une tra-
jectoire de rue qualifieacutee drsquoeacutepisode se trouvent globalement dans une logique
drsquoexpeacuterimentation si bien que leur quotidien se centre sur les liens avec
leurs pairs qui vont pouvoir leur apprendre de nouvelles pratiques de
nouvelles attitudeshellip Cette soif de nouvelles expeacuteriences correspond aussi
agrave un besoin drsquoaffranchissement de leur cadre de vie anteacuterieur La lecture
des contextes de fragilisation en amont de la rue devient pour ces jeunes
la lecture de lrsquoincompreacutehension entre les aspirations du jeune agrave un
moment donneacute et celles de ces cadres de vie (famille eacutecole institutions)
Agrave cet eacutegard lrsquoorganisation quotidienne que certains jeunes reacutealisent
autour drsquoun centre de jour renvoie effectivement agrave une logique drsquoappren-
tissage ancreacutee dans une quecircte de soi et une recherche drsquoautonomie
Lrsquoimportance de cet espace concerne bien moins la reacuteponse agrave des besoins
mateacuteriels que la reacuteponse agrave des besoins relationnels qui vont correspondre
aux aspirations du jeune dans son expeacuterience biographique de la rue La
dimension de la rencontre est ici primordiale dans la mesure ougrave elle
deacutetermine le cadre des diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoacquisition de compeacutetences
ou tout au moins drsquoexpeacuterimentation
Dans cette perspective ces jeunes paraissent repreacutesenter une nou-
velle maniegravere de reacutealiser un rite initiatique en menant une expeacuterience
de soi et sur soi qui leur permet de quitter le monde de lrsquoenfance avant
drsquoentrer dans le monde des adultes Ainsi Sheriff (1999) deacutecrit le
fulgu-rant
qui vit intenseacutement son expeacuterience de rue sans eacutebranler aucunement
par la suite sa routine de vie En consideacuterant lrsquoexpeacuterience de la rue comme
un eacutepisode crsquoest-agrave-dire comme un espace-temps circonscrit dans la trajec-
toire de vie de la personne il est possible de sortir de la lecture fatalisante
de lrsquoinscription dans le monde social de la rue tout en reconnaissant que
lrsquointensiteacute de cette expeacuterience est reacuteelle
Il srsquoagit drsquoune expeacuterience de deacuteseacutequilibre par rapport agrave la routine
de vie de ces jeunes De ce fait lrsquoeacutepisode doit ecirctre vu comme la quecircte
drsquoune expeacuterience extrecircme diffeacuterente du reste du quotidien Pour ecirctre
laquo trippante raquo lrsquoexpeacuterience de la rue doit srsquoeacuteloigner des expeacuteriences de
jeunesse anteacuterieures elle doit correspondre agrave une mise en danger plus
ou moins controcircleacutee Jones (1997) montre agrave cet eacutegard comment la prise
de risque peut signifier une veacuteritable quecircte drsquoidentiteacute et de reprise en
main de son futur faute de pouvoir consideacuterer son preacutesent Or si la
trajectoire de rue eacutepisode rime avec la prise de risque il importe de
consideacuterer que le contexte de fragilisation lieacute aux expeacuteriences anteacuterieures
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave la rue va donner le ton et influencer la nature des prises de risque
rechercheacutees De la mecircme faccedilon le cadre des opportuniteacutes et des contraintes
dans la rue va deacutefinir en partie les pratiques de prise de risque
La question de la consommation de drogues est ici un enjeu veacuteri-
table notamment lorsque la quecircte de lrsquoaffranchissement srsquoexprime dans
une multiplication des produits consommeacutes et par une utilisation des
techniques de consommation les plus risqueacutees jusqursquoagrave lrsquoinjection Agrave cet
eacutegard il importe de mentionner lrsquoeacutevolution des pratiques de prise de
risque qui rendent lrsquoexpeacuterience de la rue toujours extrecircme Il paraicirct
important de lire lrsquoaugmentation des prises de risque non pas dans un
cadre pathologique de deacutesorganisation personnelle mais comme lrsquoexpres-
sion drsquoun rapport social speacutecifique qui contraint certains jeunes pour
exister agrave se deacutepasser dans de telles expeacuteriences (consommation de drogues
suicidehellip) puisqursquoon leur refuserait socialement une quecircte de deacutepasse-
ment dans le collectif (Sheriff 1999)
Pour autant au fur et agrave mesure de la reacutealisation du terrain mais
aussi avec lrsquoaugmentation de la preacutesence de lrsquoheacuteroiumlne dans la rue le cadre
drsquoopportuniteacute des expeacuterimentations se deacuteplace vers lrsquoinjection au point
que dans une certaine mesure agrave la fin du terrain le vecteur de lrsquoidentiteacute
des jeunes en situation de rue devenait non plus le
squeegee
et lrsquoimage du
punk
mais bien la seringue et lrsquoimage du junkie Ainsi la preacutesence de
plus en plus grande dans les discours des jeunes comme dans leurs
pratiques de la consommation par injection teacutemoigne drsquoune part drsquoun
deacutetachement de la philosophie punk laquo Punk no junk raquo qui dominait aupa-
ravant et drsquoautre part drsquoune escalade constante dans les prises de risque
Toutes ces expeacuteriences construites autour drsquoune ritualisation de la mort
doivent ecirctre consideacutereacutees sur le plan symbolique comme autant drsquoeacuteleacute-
ments marquant les difficulteacutes drsquoecirctre jeune de prendre sa place dans la
socieacuteteacute queacutebeacutecoise actuelle tout comme dans la rue
Concevoir la trajectoire de rue comme un eacutepisode signifie donc que
lrsquoon envisage un passage dans le monde social de la rue non exclusif et
dont le quotidien est centreacute sur les autres jeunes comme eacuteleacutement struc-
turant de lrsquoexpeacuterience de la rue Cette situation courante deacutefinie autour
de la notion drsquoeacutepisode renvoie souvent agrave lrsquoideacutee drsquoune peacuteriode circons-
crite dans la trajectoire de vie de la personne qui nrsquoapparaicirct pas ni pour
elle ni pour les autres comme une expeacuterience deacuteterminante pour le futur
Pour drsquoautres la trajectoire de rue loin drsquoecirctre un simple passage momen-
taneacute va devenir une transition deacuteterminante pour la trajectoire de vie
du jeune
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332 LA RUE UNE TRANSITION
Ici la trajectoire de rue conccedilue comme une transition signifie que la rue
devient le socle drsquoune vie diffeacuterente tantocirct pour construire un projet de
vie les jeunes srsquoinseacuterant dans la socieacuteteacute tantocirct pour faciliter le passage
vers une vie marginale ou une vie criminelle
3321 La rue comme tremplin vers une insertion sociale
Denis 23 ans vit dans la rue par intermittence depuis lrsquoacircge de 18 ans
Cette intermittence srsquoinscrit dans un rapport agrave la rue et agrave la drogue variable
Pendant quelques mois son quotidien se construit autour de la consom-
mation de drogues Puis il srsquoarrecircte reprend un appartement et trouve un
travail jusqursquoagrave la prochaine fois Fatigueacute de cette situation il va utiliser
son expeacuterience de la rue pour reacutealiser son recircve dessiner Apregraves un stage
drsquoemployabiliteacute proposeacute en raison de ses compeacutetences graphiques mais
aussi de sa situation de rue et de son expeacuterience il va parvenir agrave inteacutegrer
une entreprise multimeacutedia et agrave devenir un de leurs graphistes Il dit
laquo consommer maintenant de maniegravere brancheacutee raquo
Lrsquoutilisation de lrsquoexpeacuterience de la rue comme tremplin vers un cadre
drsquoinsertion se lit le plus souvent autour des interventions qui sont parve-
nues agrave rejoindre les jeunes directement dans cet espace En effet pour
que les jeunes aient la possibiliteacute drsquoutiliser la rue comme tremplin il
importe que la laquo perche tendue raquo considegravere leurs compeacutetences acquises
dans cet espace mais aussi leurs aspirations Le plus souvent il srsquoagit de
jeunes qui vivaient des difficulteacutes drsquointeacutegration avant la rue et qui ne
parvenaient pas agrave srsquoinscrire dans des interventions traditionnelles drsquoinser-
tion socioprofessionnelle pour les jeunes Ainsi les projets de type pairs
aidants comme les projets orienteacutes vers les arts (cirque journal videacuteo
multimeacutediahellip) constituent des formes drsquointervention qui en utilisant les
compeacutetences des jeunes leur permettent plus facilement de rebondir
notamment parce qursquoelles leur donnent une expeacuterience dans des domaines
qui leur plaisent mais aussi parce qursquoelles correspondent agrave des besoins
reacuteels du marcheacute du travail La rue constitue ainsi une opportuniteacute de
srsquoinseacuterer dans des interventions non traditionnelles qui reconnaissent
aussi lrsquoidentiteacute plus ou moins marginale des jeunes Par exemple lrsquointer-
vention par les pairs mecircme si elle ne vise pas directement agrave inscrire les
pairs aidants dans un parcours vers lrsquoemploi devient un espace de forma-
tion qui facilite la transition entre la rue et lrsquoemploi drsquointervenant En
effet les pairs sont le plus souvent des anciens jeunes de la rue qui ne
souhaitent pas ou ne peuvent pas srsquoinscrire dans des formations plus aca-
deacutemiques pour devenir intervenants Dans le projet des pairs aidants ils
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86 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
vont pouvoir srsquoancrer dans un parcours de formation qui utilisera aussi
leurs connaissances du milieu de la rue et qui leur permettra par la suite
de devenir intervenants srsquoils le souhaitent
Toutefois cette forme de transition demeure peu commune dans la
rue non pas en raison de lrsquoabsence de compeacutetences acquises par les
jeunes mais bien parce que lrsquointervention ne srsquoappuie que tregraves rare-
ment sur cette expeacuterience Les autres formes de transition correspondent
davantage agrave un cheminement vers des milieux de deacutesinsertion sociale
3322 La rue comme tremplin vers une deacutesinsertion sociale
Lire des trajectoires menant agrave des formes de deacutesinsertion sociale conduit
agrave srsquointeacuteresser agrave des expeacuteriences qui renvoient agrave des inscriptions sociales
deacuteviantes
La trajectoire de la rue peut ecirctre une transition vers une marginaliteacute
sociale qui certes ameacuteliorera un peu les conditions de vie des jeunes
mais cristallisera leur cadre de vie dans une pauvreteacute eacuteconomique sociale
culturelle et relationnelle Cette forme de trajectoire de rue entendue
comme une transition vers un statut et un rocircle lieacutes agrave une expeacuterience de
la pauvreteacute renvoie de maniegravere eacutevidente aux lectures sur la faiblesse du
capital social des jeunes en situation de rue (Hagan et McCarthy 1997)
Il importe ici de replacer lrsquoexpeacuterience de la rue dans une lecture de la
continuiteacute qui sans ecirctre deacuteterministe renvoie cependant agrave lrsquoabsence
drsquoopportuniteacutes et au poids des contraintes qui pegravesent sur la trajectoire de
vie de ces jeunes Cette lecture de la trajectoire conduit agrave envisager les
conditions de reproduction des ineacutegaliteacutes sociales
Dans cette perspective il importe de dire en outre que lrsquointerven-
tion qui vise agrave sortir les jeunes de la rue porte rarement sur autre chose
que la sortie de cet espace Sortir ces jeunes de la pauvreteacute srsquoinscrirait dans
une tout autre logique
Pourtant il apparaicirct que lrsquoexpeacuterience de la rue constitue pour ces
jeunes une maniegravere de faire appel agrave des strateacutegies de deacutebrouillardise pour
contrer la pauvreteacute dans laquelle ils vivent Utilisant le squeegee comme
strateacutegie de survie les jeunes dans cette trajectoire vont faire lrsquoapprentis-
sage dans la rue des maniegraveres alternatives drsquoobtenir des ressources mateacute-
rielles Agrave cet eacutegard leur quotidien demeure centreacute sur la deacutebrouillardise
Drsquoailleurs cette dynamique de trajectoire fera en sorte que la rue se preacute-
sente plus ou moins reacuteguliegraverement dans leur vie comme un espace leur
permettant de trouver les ressources neacutecessaires La rue nrsquoest alors qursquoune
des multiples facettes de leur expeacuterience biographique de la marginalisation
elle nrsquoen est pas le reacuteveacutelateur Ainsi sans freacutequenter la rue de maniegravere
permanente ces jeunes maintiendront leurs liens avec des organismes
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drsquointervention aupregraves des jeunes de la rue construisant le plus souvent
leur socialiteacute autour de ce reacuteseau drsquoaide La freacutequentation des bus les soirs
de distribution de sacs de nourriture constitue donc un moyen privileacutegieacute
de rencontrer des jeunes qui se sont eacuteloigneacutes de la rue mais qui conti-
nuent drsquoutiliser les ressources drsquoaide Drsquoailleurs comme le montrent les
analyses de Paugam (1991) il srsquoagit ici de jeunes qui se caracteacuterisent par
des biographies tourmenteacutees et dont lrsquoidentiteacute est davantage fondeacutee sur
la survie que sur la vie
La lecture de leur trajectoire de vie rime le plus souvent avec une
lecture drsquoun cumul de handicaps de difficulteacutes drsquoeacutechecs de stigmates qui
les contraint agrave vivre en eacutetat de survie perpeacutetuelle ne sachant ni ougrave ni
comment trouver une place dans la socieacuteteacute qui les exclut toujours davan-
tage Ces trajectoires teacutemoignent alors des conditions de misegravere dans les-
quelles tentent de survivre certains jeunes en situation de rue conditions
qui ne srsquoameacuteliorent pas neacutecessairement lorsqursquoils srsquoeacuteloignent de la rue Agrave
cet eacutegard la description de ces trajectoires correspond le plus souvent agrave
la compreacutehension drsquoune errance sociale bien plus que spatiale expeacute-
rience qui paraicirct se conclure simplement par une incorporation toleacutereacutee agrave
la marge de la socieacuteteacute leurs propres logiques drsquoaction tout comme celle
des dispositifs drsquoaction publique et communautaire qui les entourent ne
permettant pas de modifier cette structuration de la survie Cet ancrage
de la trajectoire de rue dans une routinisation de la survie conduit ces
jeunes dans une impasse ougrave les oscillations qursquoils vivent ne parviennent
pas agrave les engager dans drsquoautres voies Ils semblent alors perdre la qualiteacute
de sujets de leur propre vie se maintenant dans un ballottement perpeacutetuel
entre les diffeacuterents espaces de ressources et de survie qursquoils traversent au
quotidien sans avoir aucune prise reacuteelle sur lrsquoun drsquoentre eux
Cette errance laquo vulneacuterabilisante raquo ne signifie pas pour autant la perte
drsquoune qualiteacute drsquoacteur Vivre au quotidien une routine de survie crsquoest
srsquoinscrire dans une dynamique de deacutebrouillardise qui caracteacuterise cette
adaptation individuelle agrave des conditions de vie deacutefavorables Dans ce
contexte ecirctre soi crsquoest inscrire dans une routine cette lutte contre la
deacutegradation de leur statut et de leur identiteacute sociale espeacuterant toujours
pouvoir en finir avec cette condition de vie de misegravere Agrave cet eacutegard il
appert que mecircme dans le cadre de ces trajectoires ougrave les enjeux drsquoexclu-
sion sont importants les jeunes disent encore vouloir agir pour sortir de
ces conditions de vie qursquoils qualifient eux-mecircmes de misegravere Se reacutealiser
devient alors survivre aux pressions sociales stigmatisantes et deacutesaffiliantes
et obtenir les ressources minimales pour combler ses besoins vitaux
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88 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si ce type de trajectoire paraicirct reproduire une certaine logique
sociale fatalisante de la pauvreteacute il nrsquoen demeure pas moins qursquoil donne
aussi accegraves agrave des meacutecanismes drsquoadaptation agrave un environnement social
hostile meacutecanismes qui font cependant lrsquoobjet drsquoune deacutesapprobation sociale
Crsquoest en effet autour de ce type de trajectoire que les dynamiques
de controcircle sont les plus fortes dans la mesure ougrave la deacutebrouillardise des
uns srsquooppose agrave la coercition des autres Dans certaines circonstances la
coercition exerceacutee agrave lrsquoendroit de ces strateacutegies de deacutebrouillardise va diri-
ger les jeunes vers le milieu criminel consideacutereacute alors comme une reacuteponse
aux injustices veacutecues Ainsi certains jeunes qui ont fait lrsquoexpeacuterience de
lrsquoemprisonnement pour non-paiement drsquoune amende pour des contraven-
tions lieacutees au squeegee sont ressortis de cette expeacuterience avec de nombreux
contacts leur permettant de devenir au moins commissionnaires3 dans la
rue Certains par exemple savaient en recevant des montants dans leur
compte qursquoils devaient porter tel colis agrave tel endroit ou effectuer drsquoautres
deacutemarches Drsquoautres obtenaient les contacts leur permettant de devenir
vendeurs dans la rue Pourtant au-delagrave des contacts eacutetablis en prison qui
font basculer plus rapidement la trajectoire vers une insertion dans le
milieu criminel la rue constitue aussi un espace qui fournit des occasions
drsquoinsertion dans ce milieu Et agrave ce titre dans ces trajectoires de rue qui
symbolisent lrsquoaction reacutepressive conduisant agrave lrsquoincarceacuteration cette derniegravere
devient lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur drsquoune perte de routine Placeacutes dans drsquoautres
espaces les jeunes peuvent se mobiliser et voir agrave nouveau les possibiliteacutes
qui se preacutesentent agrave eux Lrsquoincarceacuteration devient alors lrsquooccasion dans leur
expeacuterience biographique drsquoun sursaut drsquoun changement Pour drsquoautres
lrsquoincarceacuteration sera veacutecue comme une forme diffeacuterente de deacutegradation de
statut qui les marginalisera davantage et les conduira de nouveau agrave la rue
renforccedilant une certaine mortification du sujet La prison est alors un
simple ballottement de plus dans leur vie
Mais lorsque la prison permet le sursaut les jeunes utiliseront leurs
contacts pour srsquoengager dans diffeacuterentes expeacuteriences qui leur permettront
drsquointeacutegrer les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie souterraine Le plus souvent ils
commenceront par faire des commissions pour les vendeurs de drogues
avant de devenir eux-mecircmes vendeurs avec une progression dans les
heures de vente et les lieux de vente accumulant de plus en plus de profits
pour finalement devenir laquo un boss de la place raquo qui srsquooccupe des vendeurs
3 Un commissionnaire est une personne qui va assurer des livraisons pour un vendeurde rue soit aupregraves drsquoun client soit aupregraves drsquoun fournisseur Crsquoest geacuteneacuteralement lepremier niveau drsquoimplication dans la vente de drogues de rue pour les jeunes
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Durant cette progression dans la hieacuterarchie du milieu criminel de rue
lrsquoessentiel pour ces jeunes crsquoest de se deacutetacher le plus rapidement possible
du monde de la rue et de son image de pauvreteacute
Utilisant tous les signes exteacuterieurs de richesse ndash bijoux vecirctements agrave
la mode teacuteleacutephone cellulaire ndash ils estiment tregraves important de montrer
leur reacuteussite mais aussi leur pouvoir Certains auront des chiens de combat
pour faire valoir leur force nrsquoheacutesitant jamais agrave leur faire sortir les crocs
en cas de besoin Pour ces jeunes la rue repreacutesente lrsquoespace qui va leur
permettre de reacuteussir dans la mesure ougrave ils y gagnent lrsquoargent neacutecessaire agrave
leur inteacutegration dans la socieacuteteacute de consommation qui est la leur Les
aspirations se deacutefinissent alors de maniegravere strictement eacuteconomique crsquoest-agrave-
dire qursquoil srsquoagit de continuer agrave obtenir lrsquoargent dont ils ont besoin pour
conserver leur train de vie Le prestige et le pouvoir que symbolise leur
rocircle dans la rue paraissent conforter aussi les jeunes dans le fait que
lrsquoexpeacuterience criminelle doit ecirctre valoriseacutee puisqursquoelle est valorisante
Mathieu 21 ans cinq ans de rue
Rencontreacute durant lrsquoeacuteteacute 1996 Mathieu eacutetait lrsquoun des principaux vendeurs
drsquoun parc que je freacutequentais Travaillant constamment il a eacuteteacute durant cet
eacuteteacute une veacuteritable puce qui courait partout pour faire laquo runner sa business raquo
Voilagrave comment il deacutecrit ce premier eacuteteacute
Ben cet eacuteteacute jrsquofais ben de lrsquoargent jrsquofaisais cinq cent piasses par jour Crsquotaiteffrayant trsquosais jrsquoavais ma clientegravele faque crsquoeacutetait vraiment payant Jrsquopoi-gnais toujours les mecircmes clients et pis ils mrsquoachetaient de la poudre dupot du buvard Jrsquotais rendu capitaliste Crsquoeacutetait rendu vraiment lagravehellip jrsquoavaismon appart mon page mon cellulaire pis toute tout le monde capotaitsur mon cas Mais ccedila a arrecircteacute parce que jrsquoai commenceacute agrave me crinquer Pistu sais quand tu te crinques trsquoen veux trsquoen veux pis agrave un moment donneacutetu te mets dans lrsquotrou Faque jrsquoai eu des dettes jrsquotais rendu agrave 1000 piassesde dettes pis mon boss il mrsquoa dit drsquoarrecircter sinon jrsquoavais plus le droit devendre Sur le coup jrsquoai pas voulu mais apregraves jrsquoai tout perdu faque que jeme suis dit laquo Arrecircte tes conneries pis fais juste vendre raquo Alors je me suisremis agrave vendre pis lagrave tu sais depuis de temps en temps crsquoest le party maiscrsquoest rare Pis lagrave moeacute maintenant jrsquoorganise plus les affaires pis je faistravailler les jeunes mais crsquoest plus pareil comme avant maintenant ilssont sur le smack pis crsquoest ben difficile de les faire travailler comme y fauthellip
Pourtant malgreacute cette inteacutegration dans une eacuteconomie souterraine
largement organiseacutee autour de la drogue ces jeunes demeurent tregraves proches
de la rue Ils vivent au mecircme rythme que les autres jeunes concentrant
leurs activiteacutes la nuit La disparition de certains de ces jeunes peut laisser
supposer que la rue ne leur a servi que de tremplin vers drsquoautres activiteacutes
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90 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
davantage centreacutees sur la supervision Mathieu par exemple a disparu agrave
la fin de la deuxiegraveme anneacutee de notre terrain Rencontreacute par hasard agrave
quelques reprises depuis il mrsquoexplique qursquoil laquo gegravere ses affaires agrave distance raquo
La description de cette trajectoire de rue transition montre que les
projets associeacutes agrave la rue peuvent ecirctre varieacutes et conduire agrave des chemine-
ments diffeacuterents Certes plus la trajectoire de rue est longue plus le
deacutecrochage des autres espaces sociaux est reacuteel bien qursquoil ne signifie pas
toujours lrsquoengagement dans le milieu criminel au sens strict du terme Il
importe cependant de distinguer les jeunes qui srsquoengagent dans des acti-
viteacutes criminelles pour subvenir agrave leurs besoins essentiels la majoriteacute de
ceux qui le font pour se payer une appartenance agrave la socieacuteteacute de consom-
mation Drsquoailleurs dans leur analyse de la deacutelinquance des jeunes de la
rue agrave Toronto et agrave Vancouver Hagan et McCarthy (1997) expliquent
qursquoon est le plus souvent en preacutesence drsquoune deacutelinquance de survie et
acquisitive Lorsqursquoil srsquoagit de jeunes qui aspirent agrave preacutesenter une cer-
taine reacuteussite sociale la lecture de lrsquoengagement dans des activiteacutes quali-
fieacutees de criminelles renvoie parfois plus agrave la lecture mertonienne de la
reacuteussite sociale qursquoagrave la lecture drsquoune pathologie du controcircle social person-
nel proposeacutee par Gottfredson et Hirshi (1990) En deacutegageant une diversiteacute
de trajectoires notre analyse a permis de constater que lrsquoengagement
criminel comme mode de reacuteussite sociale nrsquoest qursquoune traduction possible
de la conjonction entre une expeacuterience biographique et des logiques
drsquoacteurs structurants comme le milieu criminel ou le milieu reacutepressif
La question des processus de stigmatisation et de criminalisation lieacutes
agrave lrsquoappartenance sociale semble en effet jouer davantage dans la compreacute-
hension des trajectoires de rue que ne le fait tout autre eacuteleacutement des
theacuteories criminologiques Les trajectoires de rue comme forme de tran-
sition vers une inscription sociale qualifieacutee de deacuteviante sont le fait des
jeunes qui connaissent les contextes de fragilisation les plus grands en
amont de la rue Cette pauvreteacute eacuteconomique relationnelle et culturelle
les oblige le plus souvent agrave eacutelaborer des strateacutegies de deacutebrouillardise qui
les opposent agrave une intervention reacutepressive marquant une deacutesapprobation
sociale agrave leur endroit4 Cette reacutepression contribue alors agrave structurer un
parcours de criminalisation qui renforce leur engagement dans des acti-
viteacutes criminelles Cette dynamique sociale ougrave srsquoaffrontent lrsquoindividu et les
institutions reacutepressives devient le terreau drsquoune trajectoire criminelle des
jeunes en situation de rue
4 Pour une analyse plus approfondie des enjeux de classe autour des trajectoires de ruedes jeunes voir Bellot (2003)
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 91
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Nous verrons ainsi dans la preacutesentation du troisiegraveme type de trajec-
toire comment lrsquoexpeacuterience de la rue est deacutefinie comme une forme de
captiviteacute voire drsquoalieacutenation du sujet dont le jeune deacutesespegravere de sortir
333 LA RUE UN ENFERMEMENT
Voir la trajectoire de rue sous la forme drsquoun enfermement contribue agrave
rendre compte du rapport captif qursquoentretiennent certains jeunes avec le
monde social de la rue Lrsquoideacutee de lrsquoenfermement renvoie au fait que ces
jeunes se sentent prisonniers de cet espace Ils souhaitent ainsi en sortir
font parfois des tentatives mais y reviennent toujours Lrsquoenfermement
vient donc de lrsquoabsence de possibiliteacutes de vivre ailleurs que dans la rue Il
srsquoaccompagne souvent drsquoune consommation de drogues injectables qui a
fait exploser le projet drsquoune expeacuterience de la rue en tant que quecircte drsquoindeacute-
pendance de liberteacute et drsquoautonomie Le passage drsquoune trajectoire eacutepisodeagrave une trajectoire enfermement exprime le plus souvent le manque drsquooppor-
tuniteacutes preacutesentes pour faire de la sortie de rue un projet Cette trajectoire
drsquoenfermement donne le plus souvent le sentiment drsquoun cercle vicieux
entre la logique de survie qui conduit agrave prendre de plus en plus de
risques et la logique de consommation qui conduit agrave devenir de plus en
plus deacutependant Il importe de consideacuterer que lrsquoensemble de lrsquounivers de
ces jeunes se reacutesume agrave la rue ou tout au moins agrave quelques rues ougrave
srsquoeacutetablit leur quotidien
Cet enfermement dans la rue accompagne ainsi une trajectoire de
consommation ougrave la drogue notamment par injection est devenue la
ligne biographique dominante de lrsquoindividu (Ogien 1995) Ainsi pour
ces jeunes la drogue prend toute la place dans leur quotidien et agrave ce
titre construit leur appartenance agrave la rue Ils se disent des laquo junkies de la
rue raquo bien plus que des jeunes de la rue Ils vivent alors une forme drsquoalieacute-
nation de leur expeacuterience biographique de la rue La routine nrsquoest pas
alors la survie mais la drogue elle-mecircme leur vie eacutetant rythmeacutee non plus
par le ballottement de ressource drsquoaide en ressource drsquoaide mais drsquoune
injection agrave une autre drsquoun dix dollars agrave un autre dix dollars
La vie sans reacutepit qursquoimpose la drogue conduit les jeunes vivant cette
trajectoire de rue dans une logique de prise de risque toujours grandis-
sante logique qui les enferme toujours un peu plus dans un cercle vicieux
Cependant mecircme si ces jeunes semblent entraicircneacutes dans une spirale sans
fin ils conservent aussi minime soit-elle une marge de manœuvre notam-
ment celle de garder autour drsquoeux des acteurs susceptibles de leur propo-
ser un changement Agrave cet eacutegard la preacutesence et lrsquointervention eacuteventuelle
des travailleurs de rue sont primordiales dans la mesure ougrave ces derniers
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92 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
apportent des propositions de changement de limitation des meacutefaits de
la drogue dans la routine mecircme de vie de ces jeunes Ils seront drsquoailleurs
les acteurs que les jeunes utiliseront le plus lorsqursquoils seront precircts agrave sortir
de lrsquoinjection
En attendant cette trajectoire de rue fortement associeacutee agrave la consom-
mation de drogues injectables inscrit la routine de ces jeunes dans une
quecircte incessante drsquoargent Les strateacutegies de survie qursquoils vont employer
seront plus diversifieacutees tous les moyens pour faire de lrsquoargent sont bons
Cette dynamique eacuteconomico-compulsive les conduit agrave preacutefeacuterer les strateacute-
gies les plus payantes mecircme si le plus souvent le quotidien se construit
de dix dollars en dix dollars le prix drsquoune dose agrave Montreacuteal Ils vivront
alors davantage la rue seuls ou en petits groupes Cette trajectoire de rue
devenue de plus en plus freacutequente chez les jeunes rencontreacutes au cours de
notre terrain paraicirct cependant ecirctre davantage une trajectoire de consom-
mation de drogues injectables dans la mesure ougrave les jeunes qui srsquoy trouvent
inscrits appartiennent plus au monde social de la drogue que de la rue
Cette trajectoire reacutevegravele une transformation nette du pheacutenomegravene
deacutefini comme celui des laquo jeunes de la rue raquo En effet le passage drsquoune
routine caracteacuteriseacutee par la culture punk et le squeegee agrave celle drsquoune rou-
tine axeacutee sur la consommation drsquoheacuteroiumlne ou de cocaiumlne a modifieacute la
plupart des rapports sociaux qursquoentretenaient les jeunes Crsquoest dans le
cadre de ces trajectoires que la difficulteacute des conditions de vie est la plus
preacutegnante En effet ces trajectoires expriment une lutte incessante contre
soi et contre les autres La logique du deacutesespoir est criante pour ces
jeunes Il est donc important de comprendre que le rapport de ces jeunes
agrave la rue nrsquoest plus identitaire mais strictement utilitaire Crsquoest dans la rue
que ceux-ci trouvent lrsquoargent neacutecessaire agrave leur consommation Drsquoailleurs
ils associent agrave cet espace tous leurs maux et leur situation de captiviteacute
Ainsi pour eux sortir de la rue ndash ou plus exactement du centre-ville ndash
leur permettra de se libeacuterer de cet enfermement qursquoimpose la drogue
Paradoxalement la rue devient pour eux une prison dont il leur est dif-
ficile de srsquoeacutevader Si la prison peut alors devenir un lieu de rupture avec
cet enfermement dans la drogue elle renforce drsquoun autre cocircteacute la margi-
nalisation des individus qui risquent de retourner agrave la rue degraves leur sortie
Pour drsquoautres la rupture sera moins brutale Elle se construira progres-
sivement dans une deacutecision de sortie qui sera accompagneacutee par des
interventions sociales et meacutedicales visant agrave freiner lrsquoalieacutenation et la
marginalisation de ces jeunes
Jonathan mentionnera ainsi apregraves deux anneacutees de consommation
de cocaiumlne et drsquoheacuteroiumlne veacutecue dans la rue que son arrestation et sa condam-
nation agrave une peine de prison de plus de deux ans ont eacuteteacute lrsquoarrecirct drsquoagir
dont il avait besoin pour se sortir de la drogue
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CONCLUSION
La description de ces diffeacuterentes formes de trajectoires de rue permet de
sortir drsquoune vision steacutereacuteotypique du pheacutenomegravene des jeunes de la rue
puisque la rue nrsquoest alors pas simplement perccedilue comme un espace dia-
bolique Elle peut toutefois le devenir lorsque la marge de manœuvre des
jeunes se reacuteduit agrave un laquo choix raquo entre deux expeacuteriences laquo deacutesinseacuterantes raquo
Dans ce contexte il importe de retenir que lrsquoexpeacuterience des jeunes en
situation de rue est drsquoabord et avant tout lrsquoexpression de difficulteacutes drsquoinser-
tion sociale notamment en raison drsquoun manque reacuteel de possibiliteacutes et de
la preacutesence de contraintes majeures qui limitent plus ou moins leur capa-
citeacute drsquoaction Dans ce contexte il faut penser lrsquointervention comme un
moyen de maintenir et de construire avec les jeunes des opportuniteacutes
qui leur permettront de surmonter leurs difficulteacutes Dans cette perspec-
tive lrsquoanalyse des trajectoires de rue des jeunes pourrait devenir un outil
majeur tant en intervention qursquoen recherche pour porter un regard sur
la complexiteacute de leur situation sur la nature de lrsquoexpeacuterience biographique
que reacutealise la rue mais aussi sur les forces de structuration que deacuteploient
les interventions notamment reacutepressives en renforccedilant les meacutecanismes de
stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent ces jeunes Certes le suivi de
certains jeunes au-delagrave de ce terrain permet drsquoespeacuterer Lrsquoexpeacuterience bio-
graphique de la rue comprend aussi la dimension sortie Dans la trajec-
toire de rue eacutepisode cette sortie ne semble pas poser de difficulteacutes majeures
lrsquoexpeacuterience de la rue nrsquoeacutetant qursquoun eacuteleacutement de structuration du parcours
biographique Par contre lorsque la rue a contribueacute agrave deacutestructurer lrsquoexpeacute-
rience biographique du jeune le travail drsquoaffranchissement est laborieux
les marges de manœuvre parfois tregraves eacutetroites pour lutter contre lrsquoexacer-
bation des ineacutegaliteacutes sociales et des rapports de stigmatisation structureacutes
par lrsquoaction des institutions reacutepressives auxquelles la vie dans la rue a
conduit Sortir de la rue signifie alors faire face et lutter contre des iden-
titeacutes multiples deacutegradeacutees socialement jeune de la rue itineacuterant toxico-
mane deacutetenu deacutelinquant et drsquoautres encore
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LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
Leur signification dans
une trajectoire de vie
M
ARIE
-M
ARTHE
C
OUSINEAU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et agrave lrsquoIRDS
S
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H
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Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresIRDS Universiteacute de Montreacuteal
M
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F
OURNIER
Eacutecole de criminologie Universiteacute de Montreacuteal
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce nrsquoest pas drsquohier que les chercheurs srsquointeacuteressent au pheacutenomegravene des
gangs de rue qursquoon tente de percer le secret de leur organisation de faire
le point sur leurs activiteacutes deacutelinquantes Les premiers travaux recenseacutes en
la matiegravere datent de 1927 alors que Trasher recensait 1 313 gangs aux
Eacutetats-Unis Depuis de nombreuses eacutetudes ont vu le jour visant toutes
jusqursquoagrave tregraves reacutecemment agrave preacuteciser agrave partir drsquoeacuteleacutements statistiques quan-
titatifs la structure des gangs leur composition (sexe acircge origine ethnique
rocircle des membres) la preacutesence de rites et de symboles de territoires
reacuteserveacutes
1
Si ces eacutetudes ont le meacuterite de lever le voile sur lrsquoorganisation
des gangs fournissant un portrait en quelque sorte meacutecaniste de leur
fonctionnement elles ne disent rien des membres qui les composent de
leurs motivations agrave joindre le gang des expeacuteriences qursquoils y vivent et de
la signification qursquoils y accordent ndash faisant en sorte qursquoils y restent lieacutes plus
ou moins longtemps ndash et des raisons qui les conduisent agrave vouloir un jour
en sortir En somme on ne sait rien de lrsquoapport des gangs dans la
trajectoire de vie des jeunes
Si tel est le cas crsquoest que les meacutethodes traditionnellement employeacutees
pour aborder la question des gangs ne permettaient pas la collecte du
mateacuteriel neacutecessaire agrave la documentation de cet aspect du laquo pheacutenomegravene des
gangs raquo Depuis maintenant quelques anneacutees notre eacutequipe Jeunesse et
gangs de rue srsquoemploie notamment agrave explorer cette face cacheacutee de la
reacutealiteacute des gangs Agrave cette fin il nous a sembleacute que la seule source de
donneacutees envisageable tenait aux jeunes eux-mecircmes ceux qui ont fait
lrsquoexpeacuterience des gangs Crsquoest donc par une approche essentiellement qua-
litative en donnant la parole aux jeunes dans le cadre drsquoentrevues semi-
dirigeacutees de type reacutecits drsquoexpeacuterience que nous avons conduit plusieurs de
nos recherches Et crsquoest le reacutesultat de ces travaux que nous voulons livrer
dans le cadre du preacutesent chapitre Ce faisant nous montrerons quelle
contribution suppleacutementaire les meacutethodes qualitatives apportent agrave la
connaissance drsquoun aspect neacutegligeacute du pheacutenomegravene des gangs de rue lrsquoexpeacute-
rience que vivent les jeunes en lien avec les gangs de rue Nous verrons
comment une telle approche vient influencer les propositions de solutions
formuleacutees pour faire face au pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutetude Cette version renou-
veleacutee de lrsquointervention survient au moment mecircme ougrave lrsquointervention tradi-
tionnellement preacuteconiseacutee essentiellement reacutepressive se heurte agrave des
reacutesultats fort peu probants
1 Parmi les incontournables mentionnons les travaux de Spergel (1965 1995) Klein(1967 1995) Yablonsky (1970) Thornberry (1987 1998) Jankowski (1991) Pour unerecension des eacutecrits sur la question voir Heacutebert Hamel et Savoie (1997)
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41 LA PAROLE AUX JEUNES
Crsquoest donc en recourant agrave une approche qualitative que nous avons entre-
pris de tenter de faire le point sur lrsquoexpeacuterience que vivent les jeunes en
lien avec les gangs de rue Les entrevues que nous avons meneacutees aupregraves
de jeunes membres et ex-membres de gangs selon leur propre aveu pre-
naient la forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes ayant pour but de laisser le plus
de latitude possible agrave lrsquointervieweacute dans la narration de son expeacuterience en
lien avec les gangs de rue tout en nous assurant qursquoun certain nombre
de theacutematiques eacutetaient systeacutematiquement couvertes les raisons ayant
conduit le jeune agrave se lier aux gangs les diverses expeacuteriences veacutecues du
fait de son lrsquoaffiliation au gang ndash expeacuteriences de deacutelinquance et de consom-
mation de substances psychotropes certes mais aussi expeacuteriences drsquointer-
actions sociales et sentiments srsquoy rattachant ndash ainsi que les raisons ayant
motiveacute son retrait des gangs et les difficulteacutes veacutecues en lien avec la sortie
le cas eacutecheacuteant Nous insisterons sur le premier et le dernier aspect car il
nous semble que crsquoest lagrave que les connaissances nouvelles issues de lrsquoapproche
qualitative sont les plus prometteuses au regard drsquoune intervention visant
la preacutevention de lrsquoadheacutesion ou de la poursuite de lrsquoadheacutesion des jeunes
aux gangs de rue
Les reacutesultats que nous preacutesentons ici sont issus de deux recherches
et srsquoinspirent de plusieurs autres eacutetudes que nous avons meneacutees sur le
sujet des jeunes et des gangs de rue ainsi que du rapport de lrsquoun agrave lrsquoautre
La premiegravere recherche (Hamel Fredette Blais et Bertot 1998) srsquoest
inteacuteresseacutee agrave un eacutechantillon de 31 jeunes garccedilons et filles membres ou
anciens membres de gangs La deuxiegraveme a plus speacutecifiquement porteacute sur
le cheminement et lrsquoexpeacuterience des jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue
agrave Montreacuteal
La formule emprunteacutee pour la reacutealisation des entrevues tente de
suivre la trajectoire des jeunes qui les megravene agrave se trouver dans le sillage
des gangs de rue agrave srsquoy associer agrave y vivre un certain nombre drsquoexpeacuteriences
et dans certains cas agrave srsquoen deacutetacher Il est alors question des processus
drsquoaffiliation drsquoinitiation drsquoassociation et de deacutesaffiliation le cas eacutecheacuteant
Du mecircme souffle lrsquoaccent est mis sur un certain nombre de thegravemes les
motifs conduisant les jeunes agrave laquo flirter raquo avec les gangs les besoins qursquoils
cherchent agrave combler en srsquoy associant les sentiments qui les animent et
les conduisent agrave poursuivre leur affiliation et eacuteventuellement agrave vouloir y
mettre fin
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42 MEacuteTHODOLOGIE
Les deux eacutetudes prises en compte dans le preacutesent chapitre se fondent sur
des eacutechantillons des modes de collecte et drsquoanalyse des donneacutees qui bien
que conduisant tous agrave une approche qualitative de la question agrave lrsquoeacutetude
se dessinent de maniegravere assez diffeacuterente
421 Eacute
CHANTILLONS
Lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(1998) meneacutee dans la reacutegion de Montreacuteal srsquoadresse
agrave un eacutechantillon de 31 jeunes (21 garccedilons et 10 filles) ayant fait lrsquoexpeacute-
rience des gangs Ces derniers sont acircgeacutes de 14
2
agrave 25 ans ayant 18 ans en
moyenne Vingt-trois drsquoentre eux sont drsquoex-membres de gangs de rue
alors que les huit autres se deacuteclarent membres actifs au moment de lrsquoentre-
tien Ils se sont joints aux gangs agrave lrsquoacircge de 13 ans en moyenne pour un
passage qui dure trois ans en moyenne toujours (la dureacutee variant entre
quelques mois et plusieurs anneacutees) Ils sont tous francophones mais drsquoori-
gines ethniques diverses Onze drsquoentre eux ont connu lrsquoimmigration et
huit autres ont au moins un parent qui a veacutecu une telle expeacuterience
lrsquoAmeacuterique latine et Haiumlti eacutetant les lieux de provenance les plus repreacutesen-
teacutes Vingt-quatre jeunes habitent ordinairement avec au moins un de leurs
parents tandis que les sept autres vivent de maniegravere indeacutependante Au
moment de lrsquoentrevue vingt-deux faisaient lrsquoobjet drsquoune prise en charge
par un centre jeunesse Pour ce qui est de la scolariteacute elle se situe pour
la plupart drsquoentre eux (2431) entre la premiegravere et la quatriegraveme anneacutee
du secondaire accusant un retard important
Lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude de Fournier (2003) eacutegalement meneacutee dans
la reacutegion de Montreacuteal est constitueacute uniquement de jeunes filles Ces filles
ont en moyenne 159 ans la plus jeune ayant 14 ans et la plus acircgeacutee 24
Elles se joignent agrave un gang de rue pour la premiegravere fois en moyenne agrave
lrsquoacircge de 125 ans et quittent en moyenne toujours agrave lrsquoacircge de 148 ans
Quatre drsquoentre elles sont drsquoorigine canadienne (leurs deux parents sont
Canadiens) trois sont drsquoorigine mixte (un parent canadien et lrsquoautre
drsquoorigine diffeacuterente) et six sont drsquoorigine autre que canadienne (aucun
des deux parents nrsquoest Canadien) Au moment ougrave nous les rencontrons
la dureacutee moyenne de leur affiliation aux gangs est de 17 mois Neuf
drsquoentre elles ont laisseacute le gang alors que les quatre autres affirment y ecirctre
2 La limite infeacuterieure de 14 ans est fixeacutee parce que avant cet acircge le consentement desparents est requis pour la participation du jeune agrave une eacutetude quelle qursquoelle soit Orles jeunes ne souhaitent pas neacutecessairement que leur participation aux gangs de ruesoit reacuteveacuteleacutee agrave leurs parents du fait de leur participation agrave une eacutetude portant sur le sujetsituation que nous avons voulu eacuteviter
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
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encore affilieacutees Au moment de lrsquoentrevue neuf des treize jeunes filles
preacutesentaient un retard scolaire srsquoeacutetalant entre un et quatre ans variable
selon les matiegraveres Bien que la plupart des jeunes filles rencontreacutees
avouent ne pas veacuteritablement connaicirctre la situation eacuteconomique de leurs
parents leur reacutecit laisse entendre qursquoelles viennent majoritairement de
familles deacutemunies qui eacuteprouvent de surcroicirct diverses autres difficulteacutes
qursquoelles reacutevegravelent au fil de leur teacutemoignage violence psychologique phy-
sique ou sexuelle au sein de la famille toxicomanie problegravemes de santeacute
mentale ou physique des parents Drsquoailleurs dix drsquoentre elles ne vivent
plus qursquoavec un seul de leurs parents biologiques Toutes sauf une font
lrsquoobjet drsquoun placement en centre jeunesse en vertu de la Loi sur la pro-
tection de la jeunesse (LPJ) jamais sous le couvert de la Loi sur le systegraveme
de justice peacutenale des adolescents
(LSJPA anciennement Loi des jeunes
contrevenants LJC)
Pour les deux eacutetudes les eacutechantillons de jeunes sont constitueacutes agrave
lrsquoaide de la technique du tri expertiseacute (Angers 1996) laquelle consiste agrave
faire appel agrave un intervenant qualifieacute (qui dans ces cas travaille en centre
jeunesse) appeleacute agrave repeacuterer au sein de sa clientegravele ceux et celles qui
correspondent aux critegraveres drsquoeacutechantillonnage
3
Il les aborde leur fait part
de la tenue de lrsquoeacutetude de ses objectifs et des modaliteacutes de reacutealisation de
celle-ci et leur demande ensuite srsquoils seraient inteacuteresseacutes agrave y participer
auquel cas il les met en relation avec les chercheures
422 I
NSTRUMENTS
DE
COLLECTE
ET
ANALYSE
DES
DONNEacuteES
Dans le cas de lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(2003) un questionnaire contenant
agrave la fois des questions ouvertes et des questions fermeacutees a eacuteteacute adresseacute aux
jeunes Les questions ouvertes leur permettraient de srsquoexprimer drsquoabord
librement sur les thegravemes abordeacutes avant que ceux-ci ne soient approfondis
de faccedilon plus systeacutematique agrave lrsquoaide de questions fermeacutees Ainsi le question-
naire comprend 24 questions ouvertes et 109 questions fermeacutees destineacutees
ensemble agrave couvrir les thegravemes suivants 1) les donneacutees sociodeacutemogra-
phiques concernant le jeune et sa famille 2) lrsquoentreacutee du jeune dans les
gangs 3) lrsquoeacutecologie sociale du jeune ayant fait lrsquoexpeacuterience des gangs
4) lrsquoorganisation du gang et lrsquoexpeacuterience du jeune au sein de celui-ci 5) la
3 Les ex-membres devaient avoir entrepris un processus seacuterieux de deacutesaffiliation pourecirctre qualifieacutes comme tels Ceux-ci ne devaient plus se consideacuterer et ecirctre consideacutereacutes parleur intervenant comme membres actifs Les membres actifs devaient quant agrave eux ecirctrelieacutes agrave des groupes qui se livrent de maniegravere reacuteguliegravere agrave des actes de criminaliteacute et deviolence en lien avec les activiteacutes du gang Aucun jeune ne devait ecirctre reacutefeacutereacute unique-ment sur la base drsquoimpressions Il devait avoir eacuteteacute eacutetabli que les jeunes freacutequentaientdes groupes reconnus comme eacutetant des gangs de rue ceux-ci se livrant reacuteguliegraverementagrave des actes de deacutelinquance lucrative ou violente
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102
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sortie du gang et 6) les solutions agrave apporter au pheacutenomegravene des gangs agrave
Montreacuteal Nous nous inteacuteressons ici plus particuliegraverement aux propos
tenus par les jeunes en reacuteponse aux questions ouvertes prenant la forme
drsquoune consigne large du genre laquo Jrsquoaimerais que tu me racontes comment
cela srsquoest passeacute lorsque tu es entreacute(e) dans un gang pour la premiegravere fois ndash
comment ccedila srsquoest fait raquo qui leur laissait une grande latitude pour mettre
lrsquoaccent sur les aspects les plus significatifs pour eux du thegraveme abordeacute
Dans son eacutetude Fournier (2003) srsquointeacuteresse strictement aux points
de vue des jeunes filles relativement agrave lrsquoexpeacuterience qursquoelles ont veacutecue dans
et avec les gangs Dans cette perspective lrsquoauteure adopte une approche
reacutesolument qualitative srsquoappuyant sur le reacutecit drsquoexpeacuterience lequel permet
de mettre lrsquoaccent sur une partie de la vie de la personne deacutelimiteacutee plus
speacutecifiquement autour drsquoune dimension de celle-ci en lrsquooccurrence
lrsquoadheacutesion aux gangs Ces reacutecits sont organiseacutes suivant une seacutequence tem-
porelle qui permet de suivre la chronologie des eacuteveacutenements Ils deacutebutent
agrave partir drsquoune consigne de deacutepart large laquo
Jrsquoaimerais que tu me parles de tonexpeacuterience avec les gangshellip
raquo et se poursuivent en visant drsquoabord agrave preacuteciser
la chronologie des eacuteveacutenements par des relances du type laquo
Avant cette peacuteriodeque srsquoest-il passeacute
raquo ou laquo
Apregraves cela qursquoest-il arriveacute
raquo tentant par lagrave de preacuteciser
la seacutequence ou la configuration des eacuteleacutements entourant un eacuteveacutenement en
particulier ou une seacuterie drsquoeacuteveacutenements Des relances theacutematiques sont eacutega-
lement preacutevues au canevas drsquoentretien Elles visent pour leur part agrave appro-
fondir certains aspects preacutedeacutefinis de la probleacutematique agrave lrsquoeacutetude
Le mateacuteriel drsquoentrevue fourni par les questions ouvertes dans le cas
de lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(1998) et la totaliteacute des entrevues pour celle de
Fournier (2003) retranscrit inteacutegralement est drsquoabord soumis agrave une ana-
lyse verticale concernant chaque entrevue prise pour elle-mecircme dans le
but de deacutegager les principales dimensions abordeacutees par chacun des inter-
vieweacutes Une analyse transversale est ensuite reacutealiseacutee visant cette fois agrave
reacuteveacuteler les convergences aussi bien que les divergences qui apparaissent
dans les propos tenus par chacun des intervieweacutes sur chacun des thegravemes
retenus dans le cours de la premiegravere analyse
Il srsquoagit lagrave somme toute drsquoun canevas de recherche qualitative assez
classique mais qui nrsquoavait pas eacuteteacute utiliseacute aupregraves des jeunes membres de
gangs Celui-ci srsquoenrichit du fait que nous avons tenteacute de respecter la
structure chronologique des eacuteveacutenements survenus dans la vie des jeunes
agrave partir du moment ougrave ils ont commenceacute agrave frayer avec les gangs de rue
Ainsi nous avons pu tracer la petite histoire de lrsquoexpeacuterience veacutecue par les
jeunes en lien avec les gangs en ayant pour point de deacutepart le processus
drsquoaffiliation et en allant jusqursquoau processus de deacutesaffiliation Nous avons
drsquoailleurs deacutecouvert agrave cette occasion qursquoil fallait nous attarder aux proces-
sus au lieu de parler en termes de moments ou mecircme drsquoeacutetapes
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
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43 LA PAROLE DES JEUNES
Au fil des entrevues les jeunes nous apprennent qursquoils ont eacuteteacute attireacutes par
les gangs parce que ceux-ci leur permettaient de combler des besoins de
valorisation drsquoappartenance de reacutealisationhellip qursquoaucune autre institution
sociale ne leur permettait de satisfaire
Les jeunes nous apprennent aussi nous le soulignions que lrsquoadheacute-
sion aux gangs relegraveve le plus souvent drsquoun processus bien plus que drsquoun
coup de cœur ou drsquoune situation isoleacutee de coercition comme on avait pu
le laisser entendre Les jeunes les filles en particulier sont seacuteduits par les
membres de gangs agrave travers un proceacutedeacute complexe qui conduit agrave leur
recrutement
Les jeunes qui se laissent ainsi seacuteduire preacutesentent ordinaire-
ment diffeacuterents espaces de vulneacuterabiliteacute qui les disposent drsquoune certaine
maniegravere agrave se rapprocher des gangs ils viennent de familles qui vivent des
difficulteacutes (besoin de seacutecuriteacute) ou qui srsquointeacuteressent trop ou pas assez agrave eux
(besoins de reconnaissance de valorisation) ils vivent des difficulteacutes
drsquointeacutegration sociale (besoin drsquoappartenance) des difficulteacutes scolaires
(besoin de reconnaissance et de valorisation) ou des expeacuteriences de vic-
timisation agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de la famille (besoin de protec-
tion) Ils trouvent dans les gangs agrave combler ces besoins et srsquoen voient au
moins pour un temps reacuteconforteacutes Ainsi se trouve mis au jour un reacutesultat
ineacutedit traduisant le fait qursquoau-delagrave de la
violence et de la criminaliteacute qursquoil
geacutenegravere le pheacutenomegravene des gangs de rue est associeacute agrave un problegraveme encore
plus important et troublant agrave nos yeux les jeunes deacutecouvrent dans les
gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs de combler diffeacute-
rents besoins fondamentaux
Tout le temps que dure lrsquoaffiliation des jeunes au gang il apparaicirct
que ceux-ci sont litteacuteralement enivreacutes par lrsquointensiteacute des rapports qursquoils
deacuteveloppent dans ces groupes Cela ne veut pas dire qursquoils ne vivent pas
des sentiments contradictoires faits tout agrave la fois drsquoivresse et de peur mais
le sentiment qui transcende et qui surgit dans leur reacutecit comme un cri
du cœur est celui drsquoavoir trouveacute de
vrais amis
Les reacutecits que les jeunes nous font permettent de comprendre pour-
quoi les interventions traditionnellement favoriseacutees pour faire face au
pheacutenomegravene des gangs de nature essentiellement reacutepressive nrsquoont ordi-
nairement pas reacuteussi agrave atteindre leur objectif eacuteradiquer le pheacutenomegravene
des gangs Car agrave partir du moment ougrave les besoins que les jeunes cherchent
agrave y combler ne sont pas satisfaits il ne faut pas srsquoeacutetonner que le deacuteman-
tegravelement drsquoun gang se reacutevegravele temporaire le temps que lrsquoorganisation se
reacuteorganise
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104
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si lrsquoensemble des reacutesultats de nos recherches teacutemoignent avec force
du mal-ecirctre de ces jeunes qui srsquoen remettent aux gangs pour satisfaire des
besoins qui ne semblent pas avoir eacuteteacute combleacutes ailleurs et pour nouer des
liens qursquoils ne semblent pas entretenir et pouvoir deacutevelopper ailleurs ils
teacutemoignent aussi de la meacuteconnaissance drsquoune telle reacutealiteacute
431 L
ES
JEUNES
PARLENT
DE
LA
FACcedilON
DONT
ILS
EN
SONT
VENUS
Agrave
SE
JOINDRE
AUX
GANGS
Lorsqursquoon demande aux jeunes les raisons qui les ont ameneacutes agrave se joindre
aux gangs les reacuteponses surprennent un peu Pour certains comme Davis
ou Simon lrsquoadheacutesion aux gangs paraicirct srsquoecirctre imposeacutee tout simplement
comme une eacutevidence un incontournable Elle srsquoest faite tout naturelle-
ment Un fregravere un ami en faisait deacutejagrave partie et il eacutetait en quelque sorte
convenu qursquoils en fassent aussi partie
Jrsquoai toujours eacuteteacute plongeacute dans cet univers-lagrave Jrsquoai toujours eacuteteacute conscient deccedila Les gangs ont toujours fait partie de mon environnement Ils eacutetaientdans mon quartier dans mon eacutecole Crsquoeacutetaient mes amis Je savais ce quecrsquoeacutetait une gang Mon fregravere en faisait aussi partie Pour moi crsquoeacutetait unedeuxiegraveme famille Jrsquoavais ccedila dans le sanghellip Quand je voyais mon fregravere jesavais qursquoun jour je serais avec eux autres
(Davis 17 ans dans Hamel
et al
1998)
Moi jrsquoai grandi avec les gangs de rue crsquoest plus pour ccedila que jrsquoai eacuteteacute inteacutegreacutelagrave-dedans parce que je voyais comment ccedila se passait et mes fregraveres eacutetaientlagrave-dedans et mes cousins
[hellip]
Un jour ou lrsquoautre il y en avait beaucoupqui savaient que jrsquoallais rentrer lagrave-dedans
[hellip]
Yrsquoa pas une fille qui peutme dire qursquoelle a grandi avec ces gars-lagrave et qui est pas comme eux Si cettefille-lagrave me dit ccedila cette fille-lagrave je la respecte parce que wow Vivre avec euxcrsquoest gravehellip ils sont en dedans de toi tout ce que tu fais et tu dis crsquoestquasiment eux Crsquoest quasiment eux autres qui trsquoont donneacute ton eacuteducationsans que tu le saches
(Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Drsquoautres au contraire expliquent qursquoils nrsquoavaient jamais vraiment
songeacute agrave se lier agrave un gang Ils nrsquoauraient drsquoailleurs mecircme pas saisi au
deacutepart en se joignant agrave un groupe drsquoautres jeunes qursquoils laquo srsquoembarquaient raquo
dans un gang
Dans ma tecircte agrave moi je rentrais dans un cercle drsquoamis pas dans une gangJe ne savais pas que jrsquoentrais dans une gang Je lrsquoai su apregraves
(Odile 24ans dans Hamel
et al
1998)
Je ne savais pas grand-chose sur les gangs En fait je ne savais pas quecrsquoeacutetait une gang Je ne savais pas ce que crsquoeacutetait encore moins comment ccedilafonctionnait Pour moi crsquoeacutetait uniquement un regroupement de gars qui
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se tenaient ensemble en tant qursquoamis pour la fecirctehellip Je trouvais ccedila extra-ordinairehellip Ce nrsquoest que plus tard que jrsquoai compris qursquoils faisaient desmauvais coups des deals qursquoils participaient agrave des activiteacutes deacutelinquantes
(Noeacutemi 17 ans dans Hamel
et al
1998)
Drsquoautres encore racontent que crsquoest un peu sur lrsquoimpulsion du moment
que lrsquoideacutee leur est venue de former un gang et ce nrsquoest qursquoau fil des
eacuteveacutenements que les activiteacutes du gang ont pris une allure plus deacutelinquante
Il y avait plusieurs gangs dans le quartier Moi et mes chums du primaireque je connais depuis longtemps on eacutetait toujours ensemble Un momentdonneacute on a deacutecideacute de se donner un nom ce qui a provoqueacute des bagarresavec une autre gang du quartier qui existait deacutejagrave et qui a mal reacuteagi aufait qursquoon forme une espegravece de gang La preacutesence de ce gang ennemi estdevenue notre raison drsquoecirctre Crsquoest comme ccedila qursquoon est devenu officiellementun gang de ruehellip Tout eacutetait une question de gang de territoire Il fallaitecirctre supeacuterieur en srsquoaffirmant par des batailles
(Charles 17 ans dansHamel
et al
1998)
Crsquoest moi et mes amis que je connais depuis longtemps qursquoon a formeacute ungang Je ne suis pas entreacute dans un gang on a grandi ensemblehellip Un soirmoi et mes chums on eacutecoutait un film Crsquoeacutetait lrsquohistoire drsquoun gang de NewYork qui avait deacutejagrave existeacute On a deacutecideacute que le nom de cet ancien gang allaitdevenir le nocirctre Crsquoest lagrave que les vraies affaires ont commenceacutehellip On acommenceacute agrave trois ou quatre gars et il y en a drsquoautres qursquoon connaissaitdeacutejagrave qui se sont joint agrave nous tranquillementhellip Ccedila crsquoest fait normalement
(Feacutelix 19 ans dans Hamel
et al
1998)
432 L
ES
JEUNES
EXPLIQUENT
LES
MOTIFS
QUI
LES
ONT
AMENEacuteS
Agrave SE
JOINDRE AU GANG
En ce qui concerne les motifs qui les auraient ameneacutes agrave se joindre agrave un
gang certains disent ecirctre venus y chercher du plaisir de lrsquoaventurehellip par
curiositeacute par deacutefi
Pour moi les gangs de rue crsquoeacutetait le trip drsquoecirctre toujours entoureacute drsquoamis defaire des activiteacutes trippantes le party la drogue les filles Je trouvais ccedila lefun Les gars sont comiques Ils sont cool Jrsquoeacutetais le plus jeune au deacutebutJrsquoeacutetais comme leur petit fregravere Ils prenaient soin de moi Ils me proteacutegeaientIls me traicircnaient partout (Simon dans Hamel et al 1998)
Crsquoeacutetait pas mal drsquoaction ccedila mrsquointeacuteressait ccedila mrsquointriguait Jrsquoai commenceacuteagrave freacutequenter du monde surtout les gangs espagnolshellip Jrsquoeacutetais un peu fofolleje voulais de lrsquoaventure (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)
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106 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Crsquoeacutetait cool Ccedila faisait marginal Ccedila mrsquoattirait Les gens avaient lrsquoair desrsquoaimer Crsquoeacutetait comme un esprit de famille Je pensais que crsquoeacutetait le bonheurle paradishellip Mais crsquoest surtout la curiositeacute qui mrsquoa attireacutee agrave eux Jrsquoavaisenvie de vivre lrsquoexpeacuterience de vivre quelque chose de nouveau de vivre lavie de gang (Yella 16 ans dans Hamel et al 1998)
Moi jrsquoaime le danger jrsquoaime la peur Nrsquoimporte quand tu vas me direlaquo non va pas lagrave raquo je vais y aller Crsquoest le danger et tu viens de me dire dene pas y allerhellip Je vais y aller pour te prouver que je suis capable de lefaire (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Mais ils sont plus nombreux agrave confier que crsquoest leur situation fami-
liale et sociale largement deacuteteacuterioreacutee qui les a ameneacutes agrave srsquoaffilier aux
gangs Dans le premier cas les jeunes disent srsquoecirctre associeacutes aux gangs afin
drsquoy trouver une nouvelle famille en remplacement de la leur largement
deacuteficiente de leur point de vue agrave combler leurs besoins drsquoattention de
valorisation drsquoamour Les reacutecits de Collin de Marie-Pierre et de Cassandre
ne constituent que trois exemples de telles situations qui se retrouvent
couramment dans les deux eacutetudes
Chez nous crsquoeacutetait lrsquoenfer Jrsquoavais beaucoup de problegravemes familiaux Jrsquoavaisbesoin drsquoune famille Eux ils mrsquoont offert celle que je nrsquoavais jamais eueJe viens drsquoune famille deacutesorganiseacutee sans affection sans preacutesence et ougrave jrsquoaitoujours eacuteteacute diminueacute et traiteacute comme un bon agrave rienhellip Jrsquoavais besoin dugang (Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)
Quand je rechute crsquoest la seule place que je sais que je suis vraiment biendans ma peau Et crsquoest ce que jrsquoaurais aimeacute avoir de mon pegravere [lrsquoamour]mais je peux pas lrsquoavoir de lui Alors crsquoest ccedila qui mrsquoattire lagrave-dedans il ya de la souffrance il y a plein de choses mais il y a aussi beaucoupdrsquoamour et moi jrsquoaime ccedila en recevoir beaucoup parce que jrsquoen ai pas euassez (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Jrsquoai eu une crise drsquoadolescence ougrave je me sentais toute seule ma megravere eacutetaitmaladehellip Ma megravere avait pris un travailleur social jrsquoavais un eacuteducateuret jrsquoavais une personne-ressource agrave lrsquoeacutecolehellip Donc jrsquoavais tout le monde surmon cas parce que ma megravere eacutetait malade Alors jrsquoavais du monde quisrsquooccupait de moi vu que jrsquoeacutetais laisseacutee agrave moi-mecircme et ccedila marchait pas dutouthellip Jrsquoeacutetais deacutelaisseacutee avec qui tu voulais que je sois (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2002)
Crsquoest agrave ce moment que les gangs ont fait irruption dans la vie de
Marie-Pierre par un processus subtil de recrutement au moment ougrave elle
se trouvait en centre drsquoaccueil Le reacutecit de Marie-Pierre est inteacuteressant car
il permet de constater que malgreacute le fait qursquoelle ait eacuteteacute entoureacutee et prise
en charge de toutes parts elle se sentait deacutelaisseacutee On voit ici agrave quel point
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les impressions face agrave une situation peuvent parfois se reacuteveacuteler trompeuses
lorsqursquoelles sont confronteacutees aux perceptions des personnes qui vivent la
situation Il ne srsquoagit pas de dire que la laquo veacuteriteacute raquo de la situation se trouve
drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre Il srsquoagit simplement de signaler qursquoil peut exister ndash
et qursquoil existe mecircme normalement ndash une distorsion entre les impressions
drsquoune part et les perceptions drsquoautre part dont il faut tenir compte En
fait il faut tenir compte aussi bien des unes que des autres pour agir
adeacutequatement face agrave la situation
En ce qui a trait agrave leurs relations sociales plusieurs jeunes disent
avoir rencontreacute pour la premiegravere fois dans les gangs de vrais amis un
thegraveme qui revient sans cesse
Crsquoest venu combler un manque que jrsquoavais manque drsquoamour manquedrsquoattention Quand tu as pas drsquoattention et que tu es adolescente tu veuxparler tu veux faire ci tu veux faire ccedila et qursquoil y a personne qui a le tempsde trsquoeacutecouter et tout le monde te crie des becirctises [hellip] Tu vas les voir euxautres laquo Christ trsquoes cool trsquoes hot trsquoes super comique et ci et ccedila tabarnaneccedila fait changement ccedila lagrave Ccedila me valorisait dans un sens-lagrave (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2003)
Ces gens-lagrave tu le sais quand tu es dans un gang tu as des amies de fillestu as des amis de gars mais pas des fakes des reals Vraiment des vraisamis Tu te dis que cette personne-lagrave elle trsquoaime pour ce que tu es et nonpour ce que tu as (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Deux autres motifs sont encore invoqueacutes par les jeunes pour expli-
quer leur inteacuterecirct agrave se joindre aux gangs un besoin de seacutecuriteacutehellip
Jrsquoavais la protection offerte par la gang Jrsquoai embarqueacute dans un but preacutecis quand il y a une bataille mes amis vont ecirctre lagrave (Vanier 16 ans dansHamel et al 1998)
Moi je me sens proteacutegeacutee parce que je le sais qursquoavec eux autres il peut rienmrsquoarriver de mal Il peut mrsquoarriver quelque chose de mal genre prendre dela drogue ou nrsquoimporte quoi mais si jrsquoai un problegraveme avechellip genre un garsqui veut me casser les deux jambes bien jrsquoappelle mes amis et ils vont veniragrave mon secours (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Dans mon quartier il y avait plusieurs gangs donc plusieurs problegravemesLe gang veut dire pour moi ecirctre avec des amis avoir du funhellip Surtoutavoir une protection Tu vois les rivaux et tu ne sais jamais quand ils tesauteront dessus Le gang trsquoassure une seacutecuriteacute un back-up Il faut que tusois avec quelqursquoun Tu ne peux pas marcher tout seul et aller aux fecirctestout seul Ce nrsquoest pas bon de te promener seul Agrave plusieurs tu es toujoursplus fort (Davis 17 ans dans Hamel et al 1998)
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108 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
hellip et le deacutesir ndash ou le besoin ndash de faire de lrsquoargent rapidement
Lrsquoargent fourni par le gang peut ecirctre vu par le jeune comme une faccedilon
de se procurer des biens qui autrement ne seraient pas agrave sa porteacutee et
qui agrave ses yeux lui confegraverent un certain statut social
Ma megravere avait pas drsquoargent essaye de prendre des cours de ci essaye deprendre des cours de ccedila ccedila coucircte tout le temps de lrsquoargent faire ccedila Tu faisquoi dans ce temps-lagrave Tout le monde srsquohabille en Polo quand crsquoest la modedu Polo et tout le monde srsquohabille en ci et en ccedila et toi tu es habilleacutee enCroteau [magasin bas de gamme] Crsquoest chiant pareil lagrave Ou tout lemonde se promegravene avec cinq cents (dollars) dans les poches et toi tu as troispiastres Lrsquoargent ccedila a aideacute disons Tu vois tout le monde en gros char ettout le monde avec la palette et les bijouxhellip agrave un moment donneacute ccedila faitchier (Marie-Pierre 24 ans dans Hamel et al 1998)
Mais lrsquoargent peut aussi servir des fins de survie notamment pour
les jeunes en fugue Clara par exemple explique qursquoelle a accepteacute de se
joindre agrave un gang uniquement parce qursquoelle voyait lagrave une faccedilon de
pouvoir assurer la poursuite de sa fugue
Crsquoest juste pour avoir de lrsquoargent Moi je me disais dans ma tecircte laquo Je mecache jusqursquoagrave mes 18 ans il faut bien que je commence agrave avoir delrsquoargent raquo Jrsquoavais besoin drsquoargent parce que sinon je pouvais pas ecirctre enfugue (Clara 15 ans dans Fournier 2003)
De ces reacutecits de jeunes qui racontent comment ils en sont venus agrave
se joindre aux gangs ressort une image bien diffeacuterente de celle deacutesincar-
neacutee que donnent les diffeacuterentes typologies qui distinguent globalement
les membres du noyau dur des associeacutes des membres peacuteripheacuteriques des
recrues et des jeunes aspirants (Heacutebert et al 1997) qui tentent de calculer
la proportion de jeunes faisant partie de chacune de ces tranches qui
tentent ensuite de les caracteacuteriser par la part qursquoils prennent aux activiteacutes
deacutelinquantes du groupe oubliant que le gang ne se reacuteduit pas dans
lrsquoesprit des jeunes ordinairement agrave un regroupement de jeunes constitueacute
en vue de commettre une deacutelinquance organiseacutee mais repreacutesente plutocirct
un groupe drsquoamishellip une gang de chums Crsquoest lrsquoimage de jeunes qui expriment
des besoins drsquoappartenance de valorisation de protection ou simple-
ment qui cherchent des occasions de plaisir qui est deacutepeinte ici Des
jeunes qui finalement ressemblent agrave tous les autres jeunes car comme
Freacutechette et Le Blanc (1987) parmi drsquoautres le signalent tregraves pertinem-
ment le deacutesir de se regrouper est un deacutesir tout ce qursquoil y a de plus normal
agrave lrsquoadolescence
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 109
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Enfin on lrsquoaura deacutejagrave senti mais ces deux extraits des entrevues avec
Xavier et avec Lucie le montrent encore plus clairement lrsquoadheacutesion aux
gangs se fait rarement du jour au lendemain Il srsquoagit drsquoun processus
parfois assez long qui conduit agrave y adheacuterer peu agrave peu sans brusquerie
Ainsi Xavier raconte
Un jour je me promenais dans la rue avec un ami et deux filles Crsquoest lagraveque jrsquoai rencontreacute un gang Celui qui semblait le chef srsquoest approcheacute de nouspour nous dire qursquoon eacutetait sur leur territoirehellip On srsquoest mis agrave parler et legars mrsquoa carreacutement demandeacute si je voulais embarquer dans le gang Jrsquoaiaccepteacute de lui donner mon numeacutero de teacuteleacutephone Il mrsquoa appeleacute le lendemainpour me demander encore une fois si jrsquoeacutetais inteacuteresseacute agrave embarquer dans legang Je nrsquoai pas reacutepondu tout de suite mais par curiositeacute sans penseraux conseacutequences je me suis dit laquo pourquoi pas raquo Je ne pensais qursquoaupositif les filles les fecircteshellip Trois jours apregraves le gars me rappelait et jrsquoaccep-tais drsquoembarquer Il mrsquoa alors fixeacute un rendez-vous et ils mrsquoont initieacute(Xavier 21 ans dans Hamel et al 1998)
Et Lucie
Chez nous ccedila nrsquoallait pas bien Jrsquoai alors eacuteteacute placeacutee en centre drsquoaccueilIncapable de vivre lagrave Jrsquoai fait plusieurs fugues en peu de temps Maisquand tu fugues geacuteneacuteralement tu nrsquoas rien Tu es seule sans argent sansplace ougrave aller Alors ccedila te prend pas de temps qursquoon te retourne en centredrsquoaccueil Je ne voulais plus y retourner Une fille mrsquoa proposeacute de me pousseravec elle et elle me dit qursquoelle connaicirct du monde qui pourrait nous cacherAvec sa proposition jrsquoavais la chance de me pousser pour de bon La fillea planifieacute notre fugue et des garccedilons nous attendaient agrave une station demeacutetro Crsquoest lagrave que jrsquoai su que crsquoeacutetaient des gars de gangs Mais bon avecces gars-lagrave jrsquoavais tout argent bouffe vecirctements appartement amishellip Jenrsquoeacutetais plus seule La vie de luxe quoi Tu deacutebarques les meubles sont lagravetu es habilleacutee Ils te sortent 20 $ pour que tu te payes le restohellip Au deacutebutils sont bien finshellip (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)
La derniegravere partie de lrsquoextrait tireacute du reacutecit de Lucie raconte qursquoapregraves
avoir eacuteteacute laquo gacircteacutee raquo et laquo proteacutegeacutee raquo par le gang celle-ci a ducirc payer sa dette
en se prostituant pour le groupe Une situation qui nous a eacuteteacute maintes
fois rapporteacutee et que reacutesume bien Yanie qui a subi le mecircme sort mais
preacutefegravere parler plus globalement de cette situation peut-ecirctre parce qursquoelle
se sent trop eacutemotivement concerneacutee
Agrave chaque fille qui passait ils la seacuteduisaient drsquoune faccedilon la seacuteduction desgangs Ils la seacuteduisaient laquo Je te trouve belle veux-tu mon numeacutero je vaistrsquoappelerhellip raquo Lagrave la fille elle le trouve beau super beau laquo Il est tellementbeau il est tellement gentil je veux ecirctre avec raquo Lagrave elle lui donne son
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110 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
numeacutero Il lrsquoappelle ils sortent ensemble deux ou trois semaines Apregraves ccedilaelle est obligeacutee de le repayer Alors lagrave il dit laquo Tu as les moyens de me payerpar argent ou tu devras travailler pour moi raquo Alors lagrave elle est toute laquo travailler pour toi raquo [hellip] Alors lagrave soit qursquoelle fait de la prostitutionsoit qursquoelle va coucher avec tous ses amishellip (Yanie 14 ans dans Fournier2003)
Ce revirement de situation se vivrait quasi systeacutematiquement lorsque
les jeunes filles sont en fugue srsquoil faut en croire les reacutecits que nous font
celles-ci Sophie raconte cette histoire drsquoune amie qui srsquoest ainsi fait prendre
au jeuhellip une histoire semblable agrave bien drsquoautres que nous avons entendues
Elle eacutetait dans le bus et il y a un gars qui lui dit laquo Salut qursquoest-ce quetu fais raquo Lagrave elle dit laquo Rien je suis en fugue raquo et tout Elle capotait Lagravele gars il lui a dit laquo Viens chez nous viens prendre ta douche tu vas ecirctreagrave lrsquoaise raquo [hellip] Elle est alleacutee chez eux elle a pris sa douche et tout Lagrave elleavait faim alors elle a mangeacute il lui a commandeacute agrave manger Le gars estalleacute lui acheter un manteau il est alleacute lui acheter plein de maquillage [hellip]Et lagrave agrave un moment donneacute il a commenceacute agrave prendre de la drogue avec elleet lagrave il la droguait il la droguait jusqursquoagrave un moment donneacute qursquoil a dit laquo OK tu vas aller danser pour moi raquo [hellip] Crsquoest ccedila bref la fille eacutetait lagrave-dedans et tout et elle dansait pour lui Elle avait plein de cash et agrave lafin crsquoeacutetait rendu qursquoil la battait parce qursquoelle ccedila lui tentait plus de faireccedila ccedila lui tentait plus parce que dans le fond tout le cash qursquoelle faisaitelle lui donnait touthellip (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Enfin certains comme Charles Odile et Rose expriment clairement
que rien nrsquoaurait pu les empecirccher de se joindre au moins pour un temps
au gang qursquoils ont freacutequenteacute
Crsquoeacutetait ma deacutecision Rien ne pouvait empecirccher ccedila Dans ce temps-lagrave audeacutebut on ne faisait rien de mal On eacutetait juste des chums Crsquoeacutetait normalpour moi drsquoecirctre avec eux (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)
Personne nrsquoaurait pu mrsquoempecirccher de me tenir avec ces gars-lagrave Jrsquoai toujourseacuteteacute bien ouverte Je nrsquoai jamais rien cacheacute agrave personne mais je nrsquoeacutecoutaispas Jrsquoeacutetais reacutevolteacutee une rebelle une anti-autoriteacute une eacutegocentrique je nepensais qursquoagrave moi et au fun que je voulais avoir Il fallait que je vivelrsquoexpeacuterience je pense (Odile 24 ans dans Hamel et al 1998)
Tout le monde a essayeacute de me parler et de mrsquoaider mais ccedila nrsquoa rien donneacuteJe ne les eacutecoutais pas Il fallait que je vive lrsquoexpeacuterience Il faut vivre leschoses pour savoir sinon tu trsquoen foushellip Jusqursquoagrave temps que ce soit toi quipayes le prix (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 111
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433 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoEXPEacuteRIENCE QUrsquoILS ONT VEacuteCUE
DANS LE GANGhellip EN TERMES DrsquoEacuteMOTIONS
Les jeunes parlent peu de leur expeacuterience dans le gang les jeunes gar-
ccedilons surtout se font discrets sur cette tranche de leur affiliation aux
gangs Les filles se deacutevoilent un peu plus Nous avons eu lrsquooccasion de
traiter ailleurs plus speacutecifiquement du rocircle et des fonctions des filles dans
les gangs (Fournier Cousineau et Hamel agrave paraicirctre) et notamment des
expeacuteriences de victimisation qursquoelles y vivent (Fournier Cousineau et
Hamel 2004) Nous voulons mettre ici lrsquoaccent sur ce que les jeunes nous
ont dit trouver au sein des gangs plutocirct que sur les activiteacutes qursquoils y ont
meneacutees la deacutelinquance agrave laquelle ils ont pu srsquoadonner du fait de leur
affiliation au gang un aspect plus connu de la reacutealiteacute des gangs En srsquointeacute-
ressant aux eacutemotions ressenties par les jeunes en lien avec lrsquoexpeacuterience
qursquoils vivent dans les gangs on deacutecouvre drsquoabord que ceux-ci offrent aux
jeunes beaucoup drsquoaspects positifs ce qursquoon aurait trop facilement ten-
dance agrave neacutegliger En fait on constate qursquoils trouvent agrave y combler du moins
pour un temps les principaux besoins qursquoils exprimaient comme autant
de motifs les ayant conduits agrave srsquoaffilier agrave un gang de rue ou nous lrsquoaurons
compris plus preacuteciseacutement aux membres drsquoun gang de rue dans la plupart
des cas
Drsquoabord le gang suscite un fort sentiment drsquoappartenance comme
lrsquoexprime tregraves bien Collin
Je ressentais un fort besoin drsquoappartenance La gang me lrsquooffrait Crsquoeacutetaitcomme une famille Ils eacutetaient precircts agrave tout faire pour mrsquoaider On avaittous les mecircmes faiblesses tous les mecircmes problegravemes On eacutetait regroupeacutesunis Crsquoest ce qui faisait notre force Tu nrsquoes pas en gang tu appartiensagrave une famille tu appartiens agrave une gang Avec la gang jrsquoavais la protec-tion le pouvoir et le respecthellip On se sent important aux yeux de quelqursquounet surtout on se sent bon agrave quelque chose Crsquoest une faccedilon de se trouverun but commun avec des gens qui te ressemblent qui ont les mecircmes preacuteoc-cupations que toi Je cherchais une boueacutee de secours une famille quisrsquooccupe de moi qui mrsquoappreacutecie agrave ma juste valeur (Collin 25 ans dansHamel et al 1998)
Le gang viendrait donc jouer aux yeux des jeunes qui y adhegraverent
le rocircle drsquoune seconde famille ou mecircme prendre carreacutement la place que
la famille ne prend pas affirmeront certains jeunes intervieweacutes Certains
y trouveraient un lieu de confidenceshellip
On parlait on parlait beaucoup Et crsquoest comme ccedila que je suis devenueplus amie avec eux Ils me parlaient de leurs expeacuteriences et je leur parlaisde mes expeacuteriences Pas les mauvais coups et tout ccedila mais plus nos viesqursquoest-ce qui srsquoest passeacute depuis qursquoon est jeune et tout ccedila (Eva 16 ansdans Fournier 2003)
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112 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
hellip et drsquoeacutecoute souligne Cassandre
Les seules personnes agrave qui je savais que je pouvais faire confiance crsquoeacutetaientles gars de gang et les filles de gang Parce qursquoeux autres je leur ai dit ceque mon pegravere me faisait et ils mrsquoont crue [hellip] Et ils mrsquoont donneacute delrsquoamour et du temps et ils mrsquoont crue dans tout ce que je leur ai dit Crsquoestpas comme si je parlais dans le vide Crsquoest pas comme si je disais quequelque chose mrsquoest arriveacute et qursquoils vont prendre ccedila agrave la leacutegegravere Ils leprenaient directement comme si crsquoest agrave eux qursquoil lrsquoavait fait aussi (Cassandre17 ans dans Fournier 2003)
Le gang prendrait une telle place dans la vie de certains jeunes qursquoils
ressentiraient un veacuteritable sentiment de deacutependance agrave son endroit comme
lrsquoexprime Yella
Jrsquoeacutetais toujours avec eux Je nrsquoeacutetais plus capable de vivre sans eux drsquoecirctresans eux Crsquoeacutetait une autre famille Crsquoeacutetait plus que des amis crsquoeacutetait unpasse-temps tellement bon que je ne pouvais plus mrsquoen passer Crsquoeacutetaitdevenu un besoin lrsquoattention lrsquoamour ne plus ecirctre seule (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)
Et comme le dit eacutegalement Heacutelegravene
Jrsquoeacutetais juste concentreacutee laquo gang gang il faut que jrsquoaille au parc apregraveslrsquoeacutecole il faut que jrsquoaille direct lagrave raquo Quand jrsquoallais pas au parc unejourneacutee je disais laquo Mon Dieu je suis pas alleacutee il faut que jrsquoy aille si jrsquoyvais pas ils vont ecirctre facirccheacutes ils vont dire que je les ai oublieacutes raquo Je pensaisjuste agrave eux ma vie crsquoeacutetaient eux (Heacutelegravene 16 ans dans Fournier 2003)
Si Heacutelegravene dit avoir peur de facirccher les membres du gang ce nrsquoest
pas par crainte de repreacutesailles mais plutocirct parce qursquoelle pense qursquoelle
pourrait ecirctre rejeteacutee du groupe en ne se montrant pas parfaitement fidegravele
et totalement deacutevoueacutee envers ceux qui le composent
Le gang jouerait aussi parfois des rocircles plus inattendus qui ne cor-
respondent pas veacuteritablement agrave lrsquoun des besoins exprimeacutes plus haut
comme en teacutemoigne Quentin qui dit srsquoecirctre servi du gang pour reacutegler son
compte agrave son beau-pegravere qursquoil jugeait violent
Ma megravere et son chum buvaient beaucoup et ils se chicanaient tout le tempsMon beau-pegravere eacutetait violent Les policiers deacutebarquaient toujours chez nousJrsquoeacutetais tanneacute Je voulais reacutegler le compte de mon beau-pegravere Je voulais lefaire battre Jrsquoai demandeacute au gang de le faire et crsquoest ce qui est arriveacute Ilest alleacute agrave lrsquohocircpital et je nrsquoai plus jamais entendu parler de lui Le gangpouvait reacutegler mes problegravemes (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)
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Mais un jour la lune de miel prend finhellip
Tu te ramasses en centre drsquoaccueil pour des deacutelits que tu te dis apregraves quetu nrsquoaurais jamais ducirc faire ccedila Tu as du trouble avec les policiers Tu esconnu drsquoeux autres Ils savent ton nom Ils te collent tout le temps Ilstrsquoeacutecœurent mecircme quand tu nrsquoes pas impliqueacute mais que tes chums le sonthellipcrsquoest lrsquoenfer (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)
Collin reacutesume bien les sentiments que plusieurs expriment
Jamais je mrsquoeacutetais imagineacute que ccedila me megravenerait aussi loin Jamais jrsquoauraispenseacute voir mes chums avec de seacuterieux problegravemes de drogues des blessuresgraves se ramasser agrave lrsquohocircpital agrave moitieacute mort suite agrave une bataille tregravesviolente Quand tu es rendu agrave te tirer dessushellip la game a changeacute Lagrave tuas peur de deacutefendre les couleurs de ton gang agrave cause des gangs ennemisTu as la chienne Tu ne portes plus une arme pour avoir lrsquoair cool maispour sauver ta peauhellip Lagrave ce nrsquoest plus vraiment coolhellip crsquoest eacutepeuranthellip(Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)
Pour bien des filles la fin de la lune de miel prend une signification
toute particuliegravere qursquoon a deacutejagrave abordeacutee
Jrsquoai vite compris qursquoil fallait que je rembourse tout ce que les gars mrsquoavaientpayeacute quand ils mrsquoont accueillie pendant ma fuguehellip Ils srsquoeacutetaient arrangeacutesavec une autre fille du gang qui dansait deacutejagrave pour qursquoelle me traicircne avecelle au bar Elle mrsquoexpliquait ce qursquoelle faisait elle me disait que crsquoeacutetaitfacile qursquoelle faisait pas mal drsquoargenthellip Puis un jour ils mrsquoont dit queje devais moi aussi danserhellip Il fallait que je rembourse (Lucie 15 ansdans Hamel et al 1998)
434 LES JEUNES PARLENT DES MOTIFS QUI LES ONT AMENEacuteS
Agrave QUITTER LE GANG
Diffeacuterents motifs sont invoqueacutes par ceux qui ont choisi de quitter le
monde des gangs Celui qui revient le plus souvent est sans contredit la
survenance drsquoun eacuteveacutenement ou drsquoune seacuterie drsquoeacuteveacutenements qui vient
remettre en cause la perception que le gang est agrave mecircme drsquooffrir la seacutecuriteacute
agrave ses membres
Crsquoest devenu vite dangereux agrave cause des guerres de territoire La technologieavanccedilait tout le temps Au deacutebut crsquoeacutetaient les poings les bacirctons pis apregravesles couteaux Lagrave crsquoeacutetaient les laquo guns raquohellip Ccedila jouait de plus en plus dur Jene mrsquoattendais pas agrave ccedila (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)
Tu as beaucoup drsquoennemis [quand tu fais partie drsquoun gang] Lorsquetu sors si tu vas dans un autre quartier et que tu es seul tu risques de tefaire agresser de te faire attaquer (Davis 17 ans dans Hamel et al1998 p 157)
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114 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Jrsquoai perdu plusieurs de mes amis soit par overdose ou par meurtre Moi-mecircme je ne compte plus le nombre de fois ougrave je me suis fait pointer unlaquo gun raquo sur la tempe (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoeacutetait rendu lrsquoenferhellip Ma meilleure amie se retrouve en deacutesintox monchum se fait tuer dans un regraveglement de compteshellip Je me ramasse en centredrsquoaccueilhellip Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoavoir tout perdu (Patricia 17 ans dansHamel et al 1998)
Agrave un moment donneacute tu vis dans la violence tu as du sang sur les mainstout le temps crsquoest pas une viehellip Ccedila fait peur quand tu vois les autresrentrer en prison Trsquoes agrave lrsquohocircpital pendant trois mois trsquoas une balle ou trsquoesdans le coma pendant deux semaines ccedila me tentait pas que ccedila arrive agraveun moment donneacute (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)
Une arrestation policiegravere ou le placement dans un centre de reacuteha-
bilitation peut aussi se reacuteveacuteler lrsquooccasion drsquoun temps drsquoarrecirct propice agrave la
reacuteflexion Et cette reacuteflexion peut conduire agrave voir une certaine absurditeacute
dans lrsquoadheacutesion au gang et ouvrir tranquillement une porte de sortie
comme en teacutemoignent Eva et Laurie
En eacutetant ici [en centre de reacutehabilitation] ccedila mrsquoa calmeacutee et jrsquoai pureacutefleacutechir Tout ce qui est arrecirct drsquoagir et tout ccedilahellip Ils donnent des reacuteflexionset lagrave tu reacutefleacutechis tu reacutefleacutechis et tu te rends compte crsquoest quoi tes vraisbesoinshellip Est-ce que tu as vraiment besoin de personnes qui te protegravegent decette faccedilon-lagrave Tu te dis laquo non raquo Ccedila prend du temps mais tu finis partrsquoen rendre compte Crsquoest pour ccedila qursquoils [les intervenants du centre]mrsquoont aideacutee (Eva 16 ans dans Fournier 2003)
Crsquoest quand je suis rentreacutee dans le centre intensif dans lrsquouniteacute drsquoattenteLagrave je pensais agrave ccedila et je commenccedilais agrave revoir ma megravere Et ma megravere souventquand elle venait on se parlait et on pleurait toutes les deuxhellip Je me suisrendu compte que ccedila mrsquoa vraiment manqueacute crsquoeacutetait de ccedila dont jrsquoavaisbesoin de ma famillehellip Et crsquoest apregraves quand jrsquoai repenseacute agrave ccedila qui mrsquoarien apporteacutehellip jrsquoai dit laquo non je veux plus rien savoir raquo (Laurie 15 ansdans Fournier 2003)
La rencontre drsquoune personne susceptible drsquoexercer une influence
positive sur la vie du jeune (un copain ou une copine qui exige qursquoon se
tienne loin des gangs un intervenant de confiance un heacuteroshellip) peut aussi
venir influencer cette fois de maniegravere positive la sortie du gang rendant
celle-ci peut-ecirctre plus facile agrave vivre En effet comme on le verra quitter
le gang se fait rarement sans peine
Je sais que quand je vais sortir drsquoici je retournerai plus avec eux Je mesuis fait des nouveaux amis et je fais des activiteacutes saines Je veux pasretomber dans cette merde-lagravehellip (Eva 16 ans dans Hamel et al 1998)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 115
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Je suis bien comme ccedila avec mes amis mes petits amis straight qui prennentpas de drogues pas de biegravere et qui vont agrave lrsquoeacutecole Je suis bien bien mieuxcomme ccedila (Sarah 14 ans dans Fournier 2003)
Pour certains crsquoest simplement le sentiment qursquoil est temps de passer
agrave autre chose de prendre sa vie en main pour soi ou pour ne pas compro-
mettre davantage les relations avec son entourage qui sonnera le glas de
lrsquoadheacutesion aux gangs Feacutelix Martin et Yella disent chacun agrave leur faccedilon
en ecirctre arriveacutes agrave ce point dans leur vie au moment ougrave ils prennent la
deacutecision de quitter le gang
Je veux ecirctre quelqursquoun moi Je ne veux pas ecirctre quelqursquoun qui va ecirctre dansla rue ou en prison Je veux ecirctre quelqursquoun de reconnu positivement parles autres qursquoils disent de moi que jrsquoai fait quelque chose dans la vie (Feacutelix19 ans dans Hamel et al 1998)
Je voulais que ma famille soit fiegravere de moi Je ne veux pas que mon fregravereet ma sœur aient des problegravemes agrave cause de moi ou fassent comme moi(Martin 17 ans dans Hamel et al 1998)
Je pensais agrave ma famillehellip Je ne voulais pas la quitter agrave 18 ans parce quejrsquoavais trop de problegravemes Je ne voulais pas que mon pegravere et ma megravere monfregravere mrsquohaiumlssent parce que je faisais partie drsquoune gang (Yella 16 ans dansHamel et al 1998)
Enfin les cateacutegories de motifs de sortie ne sont eacutevidemment pas
mutuellement exclusives Loin de lagrave Souvent on constatera dans le reacutecit
des jeunes une combinaison de ressources qui creacutee une conjoncture favo-
rable agrave un changement de vie Certains comme Danick et Feacutelix lrsquoexpriment
drsquoailleurs clairement
Crsquoest un peu de tout qui mrsquoa aideacutehellip Lrsquoarrestation mes ideacutees agrave moi devouloir laisser tomber lrsquoaide de mon eacuteducateur-parrain les encouragementsde mes parentshellip (Danick 16 ans dans Hamel et al 1998)
Jrsquoai regardeacute ce que jrsquoavais dans la vie ce que je voulais ecirctre ce que jevoulais faire de ma viehellip Jrsquoai reacutegleacute mes problegravemes de consommation dedrogues et mes problegravemes drsquoagressiviteacute que jrsquoavais Jrsquoai appris agrave reacutegler mesproblegravemes en parlant sans utiliser la violence Ma deacutecision eacutetait faite maislrsquoaide de mes parents de mon eacuteducateur-parrain les rencontres de groupeau Centrehellip Tout ccedila mrsquoa aideacute agrave prendre ma deacutecisionhellip mais surtout agrave lagarder (Feacutelix 19 ans dans Hamel et al 1998)
On comprend des propos tenus par Feacutelix qursquoil ne suffit pas drsquoecirctre
appuyeacute par des personnes-ressources pour sortir du gang pour que la
sortie perdure Le soutien doit srsquoeacutetendre sur une longue peacuteriode le temps
que la convalescence se fasse Car on le verra dans les paragraphes qui
suivent crsquoest drsquoune veacuteritable convalescence que les jeunes nous parlent
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116 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Quoi qursquoil en soit plusieurs des jeunes que nous avons intervieweacutes
signalent que la sortie ne peut se reacutealiser veacuteritablement qursquoagrave partir du
moment ougrave le jeune lui-mecircme se sent precirct Il srsquoagirait lagrave drsquoun concept cleacute
en vue drsquoune intervention efficace arriver agrave reconnaicirctre quand le jeune
est disposeacute agrave agir et ecirctre soi-mecircme precirct agrave saisir lrsquooccasion pour lrsquoappuyer
dans sa deacutemarche et peut-ecirctre aussi trouver des moyens de lrsquoamener agrave se
preacuteparer
Personne ne peut rien faire Vous ne pouvez pas rien faire Vous essayezmais ccedila ne donne rien si le jeune ne veut pashellip Ccedila deacutepend surtout de lui Crsquoest la chose la plus importante crsquoest elle qui fait toute la diffeacuterence Crsquoesttoi qui deacutecides (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoest seulement moi qui peux faire en sorte de couper les lienshellip Crsquoest tonchoix de deacutebarquer ou pas (Zoeacute 15 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoest ma deacutecision Personne ne peut rien faire Il faut que jrsquoen prenneconscience moi-mecircme Ce nrsquoest pas quihellip crsquoest toi Crsquoest ta deacutecision Si toitu veux si tu veux si tu vois que ccedila ne te convient plus il faut que tusortes de lagrave le plus tocirct possible Mais il faut que tu trsquoen rendes compte partoi-mecircme Il faut que tu sois deacutecideacute parce que ce nrsquoest pas facile de sortirdu gang eacutemotivement parlant (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)
Un autre concept cleacute dans lrsquointervention aupregraves des jeunes membres
de gangs en processus de deacutesaffiliation est aussi deacutevoileacute par Eva Il faut du
temps et prendre le temps
[hellip] Le tempshellip il faut du temps prendre le temps laisser le temps aujeune ecirctre patient La deacutesaffiliation ne peut se faire du jour au lendemainparce que dans la plupart des cas la sortie du gang srsquoaccompagne deconseacutequences importantes dans la vie du jeune (Eva 16 ans dans Fournier2003)
44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE
APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS
Partir du gang ccedila eacuteteacute facile crsquoest de me reconstruire apregraves qui a eacuteteacute difficilePour moi quitter le gang comme tel a eacuteteacute facile compareacute agrave drsquoautres maisde me reconstruire agrave lrsquointeacuterieur de moi de combler le vide ccedila nrsquoa pas eacuteteacutefacile pantoute (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)
Ce qui est dur crsquoest le grand attachement crsquoest dur ensuite de deacutefaire leslienshellip Ce nrsquoeacutetait pas juste du neacutegatif Il y avait aussi beaucoup plus depositif drsquoamour drsquoattention que je ne lrsquoaurais imagineacute (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 117
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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On ne saurait nier ce que les jeunes nous apprennent avec tant de
force
Le gang a quand mecircme de beaux cocircteacutes Ccedila mrsquoa fait laquo maturer raquo Jrsquoai apprisagrave me connaicirctre Je suis alleacute plus loin que ce que jrsquoeacutetais capable de faireJrsquoai appris agrave connaicirctre mes limites et aussi agrave avoir confiance en moi Jesuis peut-ecirctre plus mature qursquoun gars qui nrsquoest jamais passeacute par lagrave Je suisdevenu quelqursquoun (Gilbert 20 ans dans Hamel et al 1998)
Je le sais qursquoau fond de moi dans mon cœur agrave moi tout ce qursquoils ont faitpour moi ccedila ne srsquooublie pas du jour au lendemain lagrave Ils mrsquoont fait dumal oui mais ils mrsquoont fait plus de bien que de mal (Cassandre 17 ansdans Fournier 2003)
CONCLUSION
Brisant avec la tradition de recherche nous avons entrepris des eacutetudes
qualitatives sur le pheacutenomegravene des gangs nous attardant surtout aux moti-
vations des jeunes agrave se joindre agrave ces groupes et eacuteventuellement agrave les
quitter aux expeacuteriences eacutemotives qursquoils vivent durant le temps que dure
leur affiliation et au moment de la sortie Il en ressort que lrsquoadheacutesion des
jeunes aux gangs est avant tout guideacutee par des besoins fondamentaux
drsquoappartenance de reconnaissance de valorisation et de protection Il
en ressort aussi que les jeunes trouvent dans les gangs au moins durant
les premiers temps de leur affiliation reacuteponse agrave ces besoins les jeunes
deacutecouvrent dans les gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs
de combler diffeacuterents besoins fondamentaux Il ressort de ces eacutetudes
enfin que les jeunes doivent faire face agrave un grand vide au moment ougrave ils
quittent le gang et que le retour en socieacuteteacute et agrave la laquo vie normale raquo nrsquoest
pas gagneacute drsquoavance pour eux Nous le soulignions ailleurs (Hamel Cousineau
et Fournier 2004) la sortie des gangs donne lieu agrave une veacuteritable rupture
qui vient srsquoajouter agrave drsquoautres que la plupart ont drsquoabord veacutecues avec la
famille puis avec lrsquoeacutecole et peut-ecirctre mecircme avec drsquoautres reacuteseaux celui
des amis par exemple que ces jeunes ont bien souvent ducirc quitter pour
joindre les rangs des gangshellip La sortie srsquoaccompagne donc drsquoune grande
vulneacuterabiliteacute drsquoune grande fragiliteacute drsquoun grand vide geacuteneacuteralement
insoupccedilonneacute et donc ignoreacute
Une approche purement quantitative du pheacutenomegravene des gangs
nrsquoaurait pu traduire aussi bien les reacutealiteacutes que nous venons de deacutepeindre
et qui nous permettent de faire des pas de geacuteant preacutetendons-nous dans
la conception de programmes de preacutevention et drsquointervention qui tiennent
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compte de la nature mecircme du pheacutenomegravene non seulement de ses mani-
festations visibles (nombre de gangs nombre et caracteacuteristiques sociodeacute-
mographiques des membres structure organisationnelle du groupe
principales activiteacutes deacutelinquantes) mais aussi ndash et mecircme surtout ndash de sa
face cacheacutee qui tient aux circonstances et aux motivations qui conduisent
les jeunes agrave srsquoy joindre aux expeacuteriences positives qursquoils y vivent et qui font
en sorte qursquoils y restent attacheacutes durant un temps plus ou moins long aux
circonstances et aux motivations encore une fois qui les amegravenent agrave quitter
le groupe et au grand vide qui srsquoinstalle alors dans leur vie Un vide qursquoil
srsquoagit de comblerhellip comme drsquoailleurs cela aurait ducirc ecirctre le cas avant mecircme
qursquoils soient tenteacutes drsquoaller trouver dans les gangs une reacuteponse aux besoins
qursquoils expriment en entrevue
Un tel regard nous incite agrave favoriser une approche drsquointervention
qui srsquoappuie sur le deacuteveloppement social communautaire (Cousineau
Fredette et Hamel 2004 Hamel Cousineau Leacuteveilleacute Veacutezina et Tichit
2004) comme mode de preacutevention voire drsquointervention face au pheacuteno-
megravene des gangs Comparativement aux approches traditionnelles dont
lrsquoobjectif consiste essentiellement agrave srsquoattaquer agrave la violence des gangs ndash
strateacutegies qui conduisent geacuteneacuteralement agrave des reacutesultats peu probants puis-
que le pheacutenomegravene serait en pleine expansion ndash le deacuteveloppement social
communautaire tel que nous lrsquoentendons vise plutocirct agrave creacuteer les condi-
tions neacutecessaires pour que les jeunes srsquoattachent et srsquointegravegrent agrave la socieacuteteacute
comme ils srsquoattachent et srsquointegravegrent aux gangs Dans une perspective preacute-
ventive cette approche englobe diverses strateacutegies visant agrave diminuer
lrsquoattrait des jeunes pour lrsquounivers des gangs (sensibilisation information)
ou mecircme agrave les amener agrave quitter cet univers lorsque le danger paraicirct
imminent pour eux et pour les autres (arrestation intervention) Drsquoautres
strateacutegies peuvent aussi dans une perspective proactive ecirctre mises en
place pour favoriser la participation et lrsquointeacutegration sociale des jeunes
(formation accompagnement creacuteations drsquoopportuniteacutes employabiliteacute)
Devant la complexiteacute du pheacutenomegravene des gangs le deacuteveloppement social
communautaire doit ecirctre conccedilu comme une approche globale permettant
de rassembler les forces et les compeacutetences de plusieurs systegravemes agrave la fois
ndash dont la famille lrsquoeacutecole la communauteacute et les jeunes eux-mecircmes ndash afin
de mettre en œuvre de multiples moyens constituant un continuum
drsquointervention(s) penseacute dans une perspective drsquoempowerment tant des col-
lectiviteacutes que de ceux qui les fondent les jeunes en particulier Il ne srsquoagit
pas de renier toute pertinence et toute valeur agrave lrsquoapproche reacutepressive
traditionnelle mais simplement de reconnaicirctre qursquoelle a ses limites et que
celles-ci sont rapidement atteintes face au pheacutenomegravene des gangs
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ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
M
ARYSE
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STERLE
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EDIBEL
IUFM Nord-Pas-de-CalaisCESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Parmi les thegravemes qui traversent le milieu scolaire et investissent le deacutebat
public en France celui de lrsquoabsenteacuteisme voire de lrsquoarrecirct de scolariteacute avant
16 ans prend de lrsquoampleur depuis quelques anneacutees Les laquo absenteacuteistes raquo
ou laquo deacutecrocheurs raquo remettent en cause le principe de la prise en charge
de lrsquoensemble drsquoune classe drsquoacircge par lrsquoeacutecole La mobilisation autour drsquoeux
(deacuteveloppement des dispositifs relais appel drsquooffres de recherches de
deacutecembre 1999 circulaire sur la mise en place de la veille eacuteducative en
deacutecembre 2001) est importante pour plusieurs raisons en peacuteriode de
massification de lrsquoenseignement les jeunes deacutescolariseacutes peuvent appa-
raicirctre comme illustrant des laquo failles raquo dans le systegraveme scolaire lui-mecircme
Par ailleurs une inquieacutetude existe quant agrave leurs activiteacutes en dehors de
lrsquoeacutecole sans encadrement que deviennent-ils Sont ils en danger de deacutelin-
quance exposeacutes agrave des trafics divers errant dans les rues sans protection
Et que font leurs parents Seraient-ils complices et donc punissables
pour lrsquoinassiduiteacute ou le retrait scolaire de leurs enfants Pour les acteurs
scolaires ces absences ou ces abandons de scolariteacute remettent en cause
profondeacutement la leacutegitimiteacute de leur mission lrsquoeacutecole est consideacutereacutee comme
une chance pour les eacutelegraveves et les eacutetudes longues favorisent drsquoailleurs
un meilleur accegraves agrave lrsquoemploi Y aurait-t-il des eacutelegraveves consideacutereacutes comme
laquo ineacuteducables raquo ou laquo inenseignables raquo Par quelles interactions en arrive-
t-on agrave ces situations extrecircmes peu nombreuses mais mettant en lumiegravere
les paradoxes institutionnels et les impasses du systegraveme tel qursquoil est
organiseacute aujourdrsquohui
La recherche qualitative que nous avons meneacutee agrave Roubaix
1
en
France srsquointeacuteresse aux processus qui ont meneacute hors du systegraveme scolaire
des jeunes de 13 agrave 155 ans qui ne preacutesentent pas de caracteacuteristiques
particuliegraveres (handicap par exemple) et dont la situation est connue des
eacutetablissements scolaires et de plusieurs services sociaux Agrave ce titre ils ne
sont pas laquo perdus de vue raquo comme on peut le dire parfois mais bel et bien
connus et facilement joignables tout au moins disposant drsquoune adresse
connue Nous avons pu eacutetudier leur situation agrave partir des repeacuterages
faits dans les eacutetablissements scolaires et avec lrsquoaide tregraves preacutecieuse de
laquo personnes-ressources raquo qui ont fait le relais avec les personnels scolaires
et les familles pour le deacuteroulement de lrsquoenquecircte
Lrsquoappel drsquooffres interministeacuteriel qui a servi de base agrave notre reacuteflexion
probleacutematique et aux hypothegraveses de cette recherche avait deux objectifs
mieux connaicirctre les populations deacutescolariseacutees avant lrsquoacircge de 16 ans et
comprendre les processus de deacutescolarisation
1 Nous preacutesentons les reacutesultats drsquoune recherche sur les processus de deacutescolarisationmeneacutee dans la ville de Roubaix (Nord) de janvier 2001 agrave mars 2003
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Pour la clarteacute de lrsquoeacutetude nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave des eacutelegraveves
qui reacuteguliegraverement inscrits ne sont plus du tout preacutesents dans les eacutetablis-
sements scolaires depuis une dureacutee qui peut varier de trois mois agrave deux
ans au moment de lrsquoenquecircte Srsquoils sont tregraves minoritaires (quatre ou cinq
pour un collegravege de 550 eacutelegraveves environ) leur situation peut repreacutesenter
lrsquoaboutissement de processus qui pour drsquoautres ont eacuteteacute enrayeacutes Lrsquoeacutetude
des situations (14 en tout) srsquoest centreacutee sur trois collegraveges publics tous en
reacuteseau drsquoeacuteducation prioritaire (ce qui est le cas de six collegraveges sur les sept
collegraveges publics que compte la ville) entre janvier 2001 et janvier 2003
en croisant des donneacutees issues des entretiens avec les personnels scolaires
les jeunes et leurs familles de mecircme qursquoavec des travailleurs sociaux et des
documents eacutecrits concernant les eacutelegraveves (dossiers scolaires principalement)
La diversiteacute des situations eacutetudieacutees est telle que nous avons renonceacute
agrave en faire une typologie agrave partir des caracteacuteristiques psychosociales des
jeunes par exemple ou de leur positionnement par rapport agrave lrsquoeacutecole En
effet lrsquoeacutetude de chaque situation nous amegravene agrave lrsquoanalyse des multiples
facteurs qui conduisent agrave lrsquoarrecirct de scolariteacute facteurs qui srsquoentremecirclent
souvent lacunes quelquefois accumuleacutees agrave lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire probleacutema-
tique scolaire et familiale agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme modifications de la confi-
guration familiale sinon laquo rupture biographique raquo (placement par exemple)
au deacutebut des laquo anneacutees collegravege raquo interactions neacutegatives voire violentes avec
des enseignants impact des jugements scolaires neacutegatifs exclusions pour
perturbations non suivies de reprise dans un autre eacutetablissement premiegraveres
activiteacutes deacutelinquantes dans un groupe de pairshellip Chaque situation est
singuliegravere mecircme si lrsquoon retrouve des points communs entre les unes et
les autres Plusieurs facteurs se combinent dans lrsquoeacutetude des situations de
chaque jeune et leur cateacutegorisation en devient aleacuteatoire Nous avons
cependant pu relever des laquo moments cleacutes raquo dans les trajectoires scolaires ndash
entreacutee en sixiegraveme suite drsquoune exclusion deacutefinitive drsquoun collegravege ndash et des
cloisonnements entre institutions et par rapport aux familles Nous for-
mulerons lrsquohypothegravese que dans certaines situations lrsquoun ou lrsquoautre de
ces paramegravetres a eu plus de poids que les autres sans qursquoil soit possible
drsquoen eacuteliminer aucun
Si geacuteneacuteralisation il peut y avoir crsquoest plus sur des
laquoprocessusraquo et des laquorelationsraquo que sur laquodes individusraquo ou des laquopopulationsraquo
(Beaud et Weber 1998 p 289)
La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 de sa population
active au chocircmage la perte des emplois ouvriers nrsquoa pas eacuteteacute compenseacutee
par les emplois du tertiaire ou de services La population scolaire des trois
collegraveges reflegravete ces situations de pauvreteacute ou de preacutecariteacute en comptant
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en son sein entre plus de 88 et plus de 93 de PCS
2
laquo deacutefavoriseacutees raquo
pourcentage repreacutesentant plus du double de la moyenne nationale et
environ 30 points de plus que celle de lrsquoAcadeacutemie de Lille
La plupart des parents des jeunes deacutescolariseacutes sont en situation de
laquo vulneacuterabiliteacute socieacutetale raquo (Walgrave 1992 p 86) vivent du RMI
3
ou des
allocations familiales ou sont en emploi preacutecaire et ne disposent pas de
lrsquoexpeacuterience concregravete drsquoune scolariteacute reacuteussie Ceux drsquoailleurs qui disposent
de plus de ressources (emploi niveau drsquoeacutetudes reacuteseaux relationnels) ont
pu trouver des solutions aux difficulteacutes de leurs enfants en termes drsquoorien-
tation sans avoir recours aux travailleurs sociaux Crsquoest le cas dans deux
familles dont les parents travaillent agrave plein temps
Il nrsquoy a pas une forme de famille particuliegravere parmi les treize familles
des eacutelegraveves deacutescolariseacutes cinq megraveres eacutelegravevent leurs enfants seules six familles
comptent les deux parents preacutesents au domicile et dans lrsquoeacuteducation de
leurs enfants deux couples parentaux sont seacutepareacutes mais continuent
drsquoexercer une preacutesence eacuteducative aupregraves de leurs enfants Les origines
reacutegionales ou nationales sont eacutegalement diverses quatre familles sont
drsquoorigine eacutetrangegravere (Seacuteneacutegal Portugal Yougoslavie Algeacuterie) cinq sont
originaires du Nord de la France cinq sont de pegravere eacutetranger et de megravere
franccedilaise Lrsquoorigine eacutetrangegravere ne deacutetermine pas les difficulteacutes des enfants
et des parents mais plutocirct le niveau de langue (tregraves probleacutematique pour
une megravere) la reacutegularisation de la situation (non effective pour une
famille) et le niveau socioeacuteconomique
Nous avons eacutetudieacute les processus de deacutescolarisation de onze garccedilons
et de trois filles Ces jeunes ont connu des difficulteacutes scolaires agrave lrsquoeacutecole
eacuteleacutementaire pour sept drsquoentre eux sans redressement dans les premiegraveres
anneacutees du collegravege Les autres ont eu des reacutesultats moyens ou bons dans
le premier degreacute suivis par des performances bonnes ou moyennes au
deacutebut de la sixiegraveme
51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU
Chaque anneacutee environ 57 000 jeunes sortent sans qualification du systegraveme
eacuteducatif Si lrsquoon dispose de donneacutees sur les parcours de ces jeunes drsquoautres
sont moins connus ceux des jeunes qui quittent le systegraveme eacuteducatif avant
la fin de la scolariteacute obligatoire
2 Professions et cateacutegories socioprofessionnelles
3 Revenu minimum drsquoinsertion
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Le pheacutenomegravene de deacutescolarisation apparaicirct comme reacuteel aujourdrsquohui
mais il reste encore agrave approfondir tant drsquoun point de vue quantitatif que
qualitatif LrsquoEacuteducation nationale tend agrave prendre en compte ce problegraveme
Les enfants deacutescolariseacutes avant 16 ans font partie des prioriteacutes du pro-
gramme laquo NouvelleS ChanceS raquo avec les jeunes sortis sans qualification
apregraves 16 ans Une circulaire de 1996 repegravere le pheacutenomegravene comme tel
laquo [hellip] les eacutetablissements sont confronteacutes agrave une augmentation reacuteelle et
preacuteoccupante de ce pheacutenomegravene Mecircme si le taux drsquoabsenteacuteisme ne srsquoest
que modeacutereacutement aggraveacute ces derniegraveres anneacutees il touche une population
plus nombreuse du fait de lrsquoaugmentation des effectifs des eacutelegraveves scolariseacutes raquo
La massification de lrsquoenseignement les objectifs de porter 80
drsquoune classe drsquoacircge au baccalaureacuteat et lrsquoensemble des eacutelegraveves au moins
jusqursquoau CAP (certificat drsquoaptitude professionnelle) et au BEP (brevet
drsquoeacutetudes professionnelles) rendent drsquoautant plus visibles les arrecircts de sco-
lariteacute avant 16 ans
Quantifier les eacutelegraveves sortis du systegraveme scolaire avant 16 ans pose des
problegravemes de repeacuterage En effet les deacuteparts vers le secteur priveacute les
deacutemeacutenagements peuvent laisser penser que des eacutelegraveves ont quitteacute le sys-
tegraveme eacuteducatif alors qursquoils ont changeacute de reacutegion ou de commune Crsquoest le
cas dans le Nord de la France ougrave certains eacutelegraveves partent continuer leur
scolariteacute en Belgique et reviennent ensuite en France Du reste certains
internats limitrophes accueillent exclusivement des enfants et adolescents
franccedilais qui suivent une scolariteacute en Belgique
Selon plusieurs sources drsquoinformation les eacutelegraveves non scolariseacutes avant
16 ans seraient plusieurs milliers cependant il nrsquoexiste pas de recensement
fiable de ces situations Au niveau national la Caisse nationale drsquoalloca-
tions familiales comptabilisait
4
plus lrsquoinassiduiteacute scolaire que la deacutescolari-
sation agrave travers les suspensions drsquoallocations familiales seules 10 des
suspensions lrsquoeacutetaient agrave long terme 90 eacutetant reacutetablies dans un deacutelai de
trois mois Lrsquoinassiduiteacute scolaire est deacutefinie par quatre absences non justi-
fieacutees drsquoune demi-journeacutee pendant un mois conseacutecutives ou non En lrsquoeacutetat
actuel si le pheacutenomegravene de deacutescolarisation ne semble pas ecirctre drsquoune grande
ampleur numeacuterique des eacutetudes quantitatives seacuterieuses restent agrave faire
Les justifications apporteacutees par les parents meacuteriteront une attention
particuliegravere la famille nrsquoest pas tenue de fournir un certificat meacutedical
mais doit donner un motif consideacutereacute comme laquo valable et seacuterieux raquo Le
controcircle de lrsquoabsenteacuteisme revient au conseiller principal drsquoeacuteducation
4 Une loi reacutecente modifie les sanctions de lrsquoabsenteacuteisme entre autres en supprimant lasuppression des allocations familiales
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Plusieurs eacutetudes ont eacuteteacute faites sur les laquo lyceacuteens deacutecrocheurs raquo Ces
eacutetudes concernent des jeunes de plus de 16 ans pour leur grande majoriteacute
Quelques jeunes cependant peuvent ecirctre encore soumis agrave lrsquoobligation
scolaire Crsquoest le cas de ceux qui abandonnent le lyceacutee en seconde agrave 15 ans
Plusieurs eacuteleacutements inteacuteressant notre recherche sont signaleacutes dans le pro-
gramme NouvelleS ChanceS laquo Ces jeunes sortis preacutematureacutement du sys-
tegraveme eacuteducatif ont passeacute en moyenne cinq anneacutees dans lrsquoenseignement
secondaire un peu plus de la moitieacute ont interrompu leurs eacutetudes au
collegravege Les autres ont commenceacute une formation en apprentissage ou en
lyceacutee professionnel et ont abandonneacute
5
raquo
Des redoublements de classe sont signaleacutes pour les trois quarts
drsquoentre eux degraves lrsquoeacutecole primaire Les deux tiers sont issus massivement de
milieux deacutefavoriseacutes enfants drsquoouvriers de personnels de service ou drsquoinac-
tifs On note aussi la monoparentaliteacute et la faible qualification des megraveres
Les garccedilons sont majoritaires (59 ) mais le deacutecalage avec les filles nrsquoest
pas tregraves important
52 LA DEacuteSCOLARISATION
Le terme laquo deacutecrocheur raquo est utiliseacute pour deacutesigner les lyceacuteens qui quittent
petit agrave petit le systegraveme scolaire Le deacutecrochage deacutesigne le laquo processus plus
ou moins long qui nrsquoest pas neacutecessairement marqueacute par une information
explicite enteacuterinant la sortie de lrsquoinstitution raquo (Guigue 1998 p 29) Il
srsquooppose agrave la deacutemission qui explicite le deacutepart volontaire de lrsquoeacutelegraveve et agrave
lrsquoexclusion laquo acte par lequel une autoriteacute reconnue vous deacutemet de vos
fonctions raquo (Guigue 1998 p 29) Une deacutemission peut drsquoailleurs preacutevenir
une exclusion preacutevisible par lrsquoeacutelegraveve
Le terme de deacutescolarisation plus large permet de reprendre plu-
sieurs hypothegraveses concernant les processus qui conduisent en dehors du
systegraveme scolaire des jeunes de moins de 16 ans celle de lrsquoexclusion accom-
pagneacutee de lrsquoeacutetiquetage de certains enfants comme porteurs de mauvaises
performances scolaires (les eacutelegraveves
nuls
) non suivie de reprise dans un
autre eacutetablissement celle du deacutecrochage progressif signaleacute par un absen-
teacuteisme important et grandissant (avec participation agrave un groupe de pairs
le cas eacutecheacuteant) celle de la rupture biographique (accident de santeacute pla-
cement en institution speacutecialiseacutee errance lieacutee agrave une modification de la
configuration familiale etc) celle du deacutepart annonceacute clairement eacutetant
plus hasardeuse eacutetant donneacute lrsquoobligation scolaire
5
Programme laquo NouvelleS ChanceS raquo
p 20
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
127
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Il srsquoagit bien drsquoexpliciter le processus de
deacutesaffiliation scolaire
deacutefini
par Sylvain Broccolicchi (1998a p 41) qui renvoie laquo au fonctionnement
des institutions scolaires aux traitements diffeacuterencieacutes des eacutelegraveves et agrave
lrsquointeraction des contextes scolaires familiaux et locaux qui modulent les
parcours et expeacuteriences propres agrave chaque adolescent raquo
Alors que lrsquoeacutelegraveve deacutecrocheur acircgeacute de plus de 16 ans nrsquoest pas en
infraction avec la loi sur lrsquoobligation scolaire le jeune deacutescolariseacute se sous-
trait (ou est soustrait) agrave cette obligation Il nrsquoaccomplit plus son laquo meacutetier
drsquoeacutelegraveve raquo Aux yeux de lrsquoinstitution scolaire il srsquoinscrit dans un parcours
de deacuteviance Les termes mecircmes des circulaires indiquent bien que
lrsquoabsence de freacutequentation reacuteguliegravere (lrsquoinassiduiteacute scolaire) est un man-
quement agrave lrsquoobligation scolaire laquo Il convient en premier lieu drsquoexiger
que lrsquoobligation drsquoassiduiteacute soit respecteacutee par les eacutelegraveves
6
raquo Les divers arrecirc-
teacutes et circulaires preacutecisent par ailleurs la neacutecessiteacute drsquoactions de preacutevention
agrave lrsquointeacuterieur des eacutetablissements scolaires portant sur les laquo rythmes scolaires
lrsquoorganisation de la vie scolaire ou visant agrave renforcer le dialogue entre les
eacutelegraveves et les adultes
7
raquo
Par deacuteviance nous deacutesignons laquo le produit drsquoune transaction effectueacutee
entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a trans-
gresseacute une norme raquo (Becker 1963 p 33)
Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste laquo La
deacuteviance est alors une proprieacuteteacute non du comportement lui-mecircme mais
de lrsquointeraction entre la personne qui commet lrsquoacte et celles qui reacuteagissent
agrave cet acte raquo (Becker 1963 p 38) Cette deacutemarche induit la meacutethodologie
deacutejagrave eacutevoqueacutee croisement des discours des acteurs inteacuteresseacutes par la situa-
tion de deacutescolarisation et des documents traitant de cette situation afin
de reconstituer les processus en œuvre
521 L
ES
MARQUEURS
DE
LA
DEacuteSCOLARISATION
Un certain nombre de facteurs sont drsquoores et deacutejagrave repeacutereacutes comme preacute-
gnants dans le processus de deacutecrochage des lyceacuteens Nous les citons sans
ordre prioritaire particulier
5211 Le niveau de diplocircme des parents
Il existe un risque dix fois plus eacuteleveacute drsquointerruption drsquoeacutetudes moins de
cinq ans apregraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme pour les enfants drsquoouvriers que pour
les enfants de cadres ou drsquoenseignants (Broccolicchi 2000 p 40) et
6 Circulaire n
o
96-247 du 25 octobre 1996
7
Ibid
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
encore trois plus eacuteleveacute pour ceux qui ont un parent inactif (pegravere ou megravere
en lrsquoabsence de pegravere) que pour ceux dont le parent (pegravere ou megravere en
lrsquoabsence de pegravere) est ouvrier Lrsquoinvestissement scolaire des parents est
drsquoailleurs tregraves diffeacuterent selon leur cateacutegorie sociale drsquoappartenance alors
qursquoagrave lrsquoeacutecole primaire les parents les moins diplocircmeacutes investissent plus la
scolariteacute de leurs enfants le pheacutenomegravene srsquoinverse au collegravege laquo Cette
inversion srsquoavegravere lieacutee agrave la proportion de parents qui se sentent deacutepasseacutes agrave
ce niveau entre les parents qui se disent tregraves rarement deacutepasseacutes et ceux
qui disent lrsquoecirctre souvent la dureacutee de lrsquoaide est diviseacutee par trois agrave chaque
niveau de scolariteacute raquo (Heacuteran 1994)
5212 La composition de la famille
Le facteur familial est un facteur de risque parmi drsquoautres mais il nrsquoest
pas preacutedictif en soi comme les autres paramegravetres mentionneacutes Crsquoest bien
la combinaison de plusieurs indicateurs qui peut donner des eacuteleacutements de
compreacutehension du processus de deacutescolarisation
Agrave cet eacutegard si lrsquoon note le nombre eacuteleveacute de familles monoparentales
parmi lrsquoentourage familial des jeunes deacutescolariseacutes nous adopterons la
prudence drsquoEacuteric Debarbieux (1999 p 60) quant aux correacutelations possibles
laquo Crsquoest lagrave toute la difficulteacute lieacutee aux eacutetudes de correacutelation qui montrent
uniquement lrsquoexistence drsquoune relation entre deux variables ndash ici les pro-
blegravemes de comportement et la situation familiale ndash sans que pour autant
on puisse deacuteduire de relation de cause agrave effet raquo
Plutocirct que le type de famille crsquoest la nature de la relation entre les
parents qui sera deacuteterminante dans le processus de deacuteviance juveacutenile ce
ne sont pas les familles dissocieacutees qui induisent la deacuteviance des jeunes
mais plutocirct la meacutesentente entre les parents qursquoils soient seacutepareacutes ou non
(Mucchielli 2000) Les ruptures biographiques (accident deacutecegraves drsquoun
parent deacutemeacutenagements reacutepeacuteteacutes placementshellip) peuvent aussi augmenter
les risques de deacutescolarisation
5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage
Parmi les eacutelegraveves dont les performances scolaires agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme sont
les plus basses 12 quittent le systegraveme scolaire moins de cinq ans apregraves
la sixiegraveme (Broccolicchi 1998) Les eacutelegraveves de SEGPA
8
entreacutes en 1989 ont
quitteacute le systegraveme eacuteducatif sans qualification pour la moitieacute drsquoentre eux
8 Section drsquoenseignement geacuteneacuteral et professionnel adapteacute
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Les eacutelegraveves en difficulteacute scolaire attachent une grande importance agrave
la relation avec les adultes et les autres eacutelegraveves dans la vie scolaire Quand
lrsquointeraction avec les enseignants les confirme dans leur laquo nulliteacute raquo sur le
plan de la performance (Broccolicchi 2000) le risque de deacutescolarisation
est preacutesent
Woods et Berhier (1992 p 56) rappellent
que la deacuteviance implique
neacutecessairement deux acteurs et que lrsquoenseignant peut provoquer ou
atteacutenuer la deacuteviance par le style de sa relation avec les eacutelegraveves
Les laquo provocateurs de deacuteviance raquo pensent que les eacutelegraveves fuient letravail qursquoil est impossible de pourvoir agrave leur eacuteducation sans leschanger qursquoils abhorrent lrsquoautoriteacute et sont ouvertement rebellesqursquoils se conduisent mal et ne doivent jamais ecirctre crus De tellesconvictions megravenent les professeurs agrave agir de maniegravere provocatrice lancer des ultimatums inciter agrave lrsquoaffrontement punir inconsideacutereacute-ment attirer sur eux la honte en les montrant du doigt ou en leurcherchant noise
Agrave lrsquoinverse les laquo isolateurs de deacuteviance raquo sont animeacutes drsquointentions
bienveillantes agrave lrsquoeacutegard des eacutelegraveves et agissent en conseacutequence avec eux
Broccolicchi (2000) souligne par ailleurs la solitude des eacutelegraveves deacutecro-
cheurs tant dans lrsquoenvironnement scolaire (absence de dispositif efficace
et drsquointerlocuteurs pour pallier les difficulteacutes) que dans le cadre de
lrsquoenvironnement familial
5214 Le passage du primaire au collegravege indiscipline et identiteacute
La question du rapport aux enseignants et agrave la leacutegitimiteacute de leurs juge-
ments change fondamentalement du primaire au collegravege Les relations
entre pairs gagnent en importance les cultures juveacuteniles entrent en
contradiction avec les normes scolaires de maniegravere plus preacutegnante (Dubet
et Martuccelli 1996 Lepoutre 1997)
En cas de difficulteacute scolaire majeure le recours agrave lrsquoindiscipline agrave
lrsquoinsolence peut ecirctre utiliseacute par les eacutelegraveves comme moyen de construire une
identiteacute deacuteviante par rapport aux normes scolaires mais conforme par
rapport aux normes juveacuteniles fragiliseacutes dans le systegraveme scolaire ces jeunes
deviennent des
outsiders
drsquoautant plus construits que lrsquoindiscipline se pra-
tique souvent collectivement Lrsquoindiscipline peut dans le mecircme temps
constituer un facteur de risque dans un processus de deacutescolarisation
Les recherches de Walgrave (1992) soulignent lrsquoimportance de
lrsquoeacutechec scolaire dans les processus de deacutelinquance juveacutenile La stigmatisation
de lrsquoeacutelegraveve comme laquo non performant raquo du point de vue de ses reacutesultats et
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comme perturbateur fonctionne comme une laquo propheacutetie autoreacutealisatrice raquo
qui laquo contribue agrave sa propre reacutealisation raquo (Becker 1963) Lrsquoeacutelegraveve reacutepondra
ainsi agrave lrsquoinjonction qui lui est faite en abandonnant le systegraveme scolaire
53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION ET DEacuteLINQUANCE
531 Lrsquo
IMPACT
DES
GROUPES
DE
PAIRS
ET
LES
ACTIVITEacuteS
DEacuteLINQUANTES
Les reacuteseaux de sociabiliteacute dans lesquels vit le jeune en voie de deacutescolari-
sation semblent preacutepondeacuterants Lrsquoinfluence des pairs et le regroupement
des
outsiders
du systegraveme scolaire sont des eacuteleacutements agrave prendre en compte
dans la construction drsquoune sous-culture deacuteviante La constitution en bande
est lieacutee agrave la stigmatisation induite par les classements scolaires neacutegatifs et
la logique de bande offre un refuge et une deacutefense contre le sentiment
de deacutevalorisation qui habite les jeunes tout en contribuant agrave activer le
processus de deacutescolarisation (Esterle-Hedibel 1997 Carra 2002) Glasman
(1998 p 19) souligne que les lyceacuteens laquo deacutecrocheurs raquo peuvent laquo se rappro-
cher drsquoun groupe de pairs groupe qui fournit suffisamment de repegraveres
et drsquooccasions drsquoaffirmation identitaire pour que lrsquoexit hors du lyceacutee ne
signifie pas lrsquoexil pour que la non-appartenance au lyceacutee ne soit pas la
deacutesheacuterence raquo
Lrsquoinfluence des groupes de pairs peut ecirctre importante dans le pro-
cessus de deacutescolarisation qursquoil srsquoagisse de groupes marginaux agrave tendance
deacutelinquante ou axeacutes sur une activiteacute particuliegravere de type leacutegaliste
Plusieurs eacutetudes confirment le lien entre un style de vie deacuteviant
(consommation de psychotropes licites ou illicites) et le deacutecrochage sco-
laire celui-ci occasionnant de larges plages de temps libre domineacute par
lrsquoennui (Janosz et Le Blanc 1996) Cependant la correacutelation entre les
conduites inadapteacutees et le deacutecrochage scolaire si elle existe se heurte agrave
la deacutefinition mecircme de la conduite inadapteacutee qui rassemble des eacuteleacutements
aussi heacuteteacuteroclites que conduites deacutelinquantes consommation de drogues
illicites promiscuiteacute sexuelle reacutebellion familiale inadaptation scolaire et
grossesse adolescentehellip La reacutebellion familiale par exemple pourrait ecirctre
consideacutereacutee comme une reacuteaction plutocirct positive alors que son absence
traduirait un conformisme et une soumission aux adultes plutocirct inquieacute-
tante agrave lrsquoadolescence (Janosz Le Blanc et Boulerice 1998)
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Hugues Lagrange a eacutetudieacute le lien entre absenteacuteistes et conduites
deacutelictueuses dans la reacutegion de Mantes-la-Jolie Pregraves de la moitieacute des absen-
teacuteistes eacutetudieacutes ont des conduites de preacutedation ou de deacutelinquance expressive
(deacutelinquance avec ou non objectif drsquoappropriation des biens drsquoautrui) ils
sont les cadets de familles nombreuses et ont vu leurs fregraveres aicircneacutes se
heurter au problegraveme du chocircmage Ils auraient appris ainsi agrave vivre de petite
deacutelinquance tout en ne percevant plus lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutecole ce qui
expliquerait leur absenteacuteisme (Lagrange et Bidart 2000)
532 D
EacuteCROCHAGE
SCOLAIRE
ET
DEacuteLINQUANCE
Des auteurs affirment que laquo lrsquoabandon scolaire permet de reacuteduire le stress
et la frustration veacutecus agrave lrsquoeacutecole des facteurs qui favorisent lrsquoapparition des
conduites deacutelinquantes raquo (Elliott et Voss 1974 citeacutes dans Janosz et Le
Blanc 1996 p 76) Le lien entre deacutecrochage et activiteacutes deacutelinquantes
proprement dites nrsquoest pas automatique mais semble deacutependre du mar-
cheacute de lrsquoemploi En effet plusieurs recherches des anneacutees 1980 indiquent
que les deacutecrocheurs ayant trouveacute un emploi ont diminueacute leurs activiteacutes
deacutelinquantes deux fois plus que ceux qui nrsquoen ont pas trouveacute Encore faut-
il que les deacutecrocheurs soient en acircge de travailler et que le marcheacute du
travail leur offre des emplois (Pronovost et Le Blanc citeacutes par Janosz et
Le Blanc 1996)
Lrsquoeacutetat des eacutetudes existantes ne permet pas de deacutemontrer lrsquoeffet du
deacutecrochage sur les conduites deacuteviantes ou deacutelinquantes et sur les diffi-
culteacutes drsquointeacutegration socioprofessionnelles Pour le deacutemontrer pleinement
il faudrait pouvoir suivre des cohortes drsquolaquo eacutelegraveves deacutecrocheurs raquo jusqursquoagrave
lrsquoacircge adulte et une cohorte teacutemoin Ces manifestations peuvent en effet
avoir eacuteteacute causeacutees par des laquo vulneacuterabiliteacutes psycho-sociales anteacuteceacutedentes raquo qui
auraient elles-mecircmes provoqueacute lrsquoabandon scolaire La question de la
causaliteacute et la difficulteacute de sa deacutemonstration reste donc poseacutee (Janosz et
Le Blanc 1996)
Une reacutecente enquecircte du Centre drsquoeacutetudes et de recherches sur les
qualifications (CERQ 2001) nous eacuteclaire cependant sur le lien entre
qualification et emploi les sortants du systegraveme eacuteducatif en 1998 diplocircmeacutes
ou pas travaillent agrave 80 en majoriteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee (64 ) tout
en eacutetant deux fois plus nombreux agrave ecirctre passeacutes par lrsquointeacuterim (28 ) que
la geacuteneacuteration sortie de lrsquoeacutecole en 1992 Les non-diplocircmeacutes connaissent une
disqualification croissante si 11 de lrsquoensemble de la laquo geacuteneacuteration 1998 raquo
est au chocircmage 30 des non-diplocircmeacutes de cette mecircme geacuteneacuteration sont
sans emploi On peut formuler lrsquohypothegravese drsquoune plus grande vulneacuterabi-
liteacute des jeunes deacutescolariseacutes quant aux perspectives socioprofessionnelles
dans un contexte de peacutenurie drsquoemplois pour les personnes non qualifieacutees
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE
DES PERSONNES-RESSOURCES
Notre situation de maicirctre de confeacuterences dans un IUFM
9
nous a permis
de preacutesenter notre deacutemarche de recherche agrave des personnels de lrsquoEacuteduca-
tion nationale engageacutes dans les formations en IUFM et en contact ou en
poste dans des collegraveges Ainsi srsquoeacutetablissent des relations originales entre le
chercheur et les acteurs de terrain qui conditionnent la reacuteussite de
lrsquoenquecircte les eacutelegraveves deacutescolariseacutes sont en effet difficiles drsquoaccegraves isoleacutes des
eacutetablissements scolaires plutocirct centreacutes sur leurs groupes de pairs ou
replieacutes sur leur cercle familial immeacutediat la preacutesence drsquoune personne de
confiance qui favorise le premier entretien est cruciale dans ce type
drsquoenquecircte Les parents des jeunes deacutescolariseacutes et les jeunes eux-mecircmes
ont souvent lrsquoimpression de ne pas ecirctre entendus par les institutions (en
particulier lrsquoeacutecole) La rencontre avec un chercheur est une occasion de
srsquoexprimer le plus librement possible en reprenant le deacuteroulement des
eacuteveacutenements et en explicitant un point de vue devant un interlocuteur
neutre sans risque de culpabilisation ou de contradiction Pour ces per-
sonnes en situation de
vulneacuterabiliteacute socieacutetale
crsquoest une occasion rare de
srsquoexprimer sur un thegraveme qui peut bouleverser lrsquoeacutequilibre familial Il
importe cependant drsquoecirctre tregraves clair sur le statut de lrsquoentretien car la
demande drsquoaide affleure tant la deacutetresse et le sentiment drsquoabandon et
drsquoimpuissance sont grands
Par ailleurs notre inteacuterecirct de recherche se croise avec des question-
nements apparus dans plusieurs collegraveges quel est le sens drsquoexclusions et
de reacuteaffectations drsquoeacutelegraveves en grande difficulteacute scolaire et plutocirct opposi-
tionnels voire tregraves perturbateurs dans les classes et les eacutetablissements
Comment venir en aide aux eacutelegraveves qui arrivent en sixiegraveme sans posseacuteder
les acquis de base neacutecessaires au deacuteroulement drsquoune scolariteacute normale
dans le secondaire Quelles relations entretenir avec les parents de ces
eacutelegraveves Comment travailler en partenariat avec des travailleurs sociaux
exteacuterieurs aux eacutetablissements De mecircme les divers eacutetablissements contac-
teacutes srsquointerrogent sur lrsquoimpact de la deacutescolarisation sur les processus de
marginalisation et sur les difficulteacutes du partenariat avec lrsquoEacuteducation natio-
nale Les reacutesultats de la recherche eacutetant restitueacutes aux eacutetablissements et aux
agents institutionnels on comprend lrsquointeacuterecirct que ceux-ci trouvent agrave une
collaboration avec un chercheur sur cette question
9 Institut universitaire de formation des maicirctres
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55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS
551 L
ES
PERSONNELS
PEacuteDAGOGIQUES
10
5511 Des donneacutees non utiliseacutees
La majoriteacute des jeunes dont nous avons eacutetudieacute les trajectoires se sont
signaleacutes par des perturbations importantes de lrsquoordre scolaire menant
pour six drsquoentre eux agrave un conseil de discipline et agrave une exclusion deacutefini-
tive Les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo se sont montreacutes eacutegalement absenteacuteistes
alors que drsquoautres ont adopteacute une position de retrait sans perturber
lrsquoordre scolaire Dans plusieurs dossiers scolaires les appreacuteciations porteacutees
par les enseignants du premier degreacute eacuteclairent les difficulteacutes veacutecues par
lrsquoeacutelegraveve au collegravege certaines sont clairement des sortes drsquoalertes agrave destina-
tion des enseignants du second degreacute Mais dans lrsquoensemble les dossiers
des eacutelegraveves sont rarement consulteacutes par les enseignants des collegraveges mecircme
en cas de problegraveme seacuterieux rencontreacute au deacutebut de la scolariteacute du second
degreacute Bien que certains aient abordeacute la sixiegraveme avec des difficulteacutes et des
lacunes repeacutereacutees agrave la fin du cycle 3 la plupart des eacutelegraveves nrsquoont pas eacuteteacute
lrsquoobjet drsquoune prise en charge particuliegravere agrave ce propos Ils sont surtout
sanctionneacutes pour des perturbations scolaires importantes
Certains enseignants ont en main des donneacutees pouvant contribuer
agrave comprendre la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve situation familiale amenant
lrsquoeacutelegraveve agrave srsquoabsenter de lrsquoeacutecole pour soutenir un parent malade ou deacutefaillant
sentiment drsquoeacutechec massif et incompreacutehension du sens des eacutetudes ennui
profond agrave lrsquoeacutecolehellip Mais ces donneacutees ne sont pas travailleacutees collectivement
dans le sens de la recherche drsquoune solution peacutedagogique adapteacutee agrave lrsquoeacutelegraveve
Un eacutelegraveve perturbateur peut ecirctre un leader ou au contraire un jeune isoleacute
de ses camarades il peut avoir des reacutesultats assez bons malgreacute une preacute-
sence eacutepisodique ou au contraire montrer des lacunes drsquoapprentissage
seacuterieuses degraves lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire il peut appreacutecier lrsquoeacutecole tout au moins
au deacutebut de ses laquo anneacutees collegravege raquo ou srsquoen deacutesinteacuteresser degraves les premiers
mois de la sixiegravemehellip Les appreacuteciations sur les bulletins scolaires et les
mesures prises agrave son eacutegard seront sensiblement les mecircmes Cette reacutecur-
rence des mecircmes reacuteactions srsquoeacutetend aux eacutelegraveves non perturbateurs degraves lors
qursquoune eacutetape de plus est franchie dans leur laquo volonteacute drsquoopposition raquo du
point de vue des acteurs scolaires Il est drsquoailleurs frappant de constater
le deacutecalage entre certains discours sur les eacutelegraveves lors des entretiens avec
des enseignants et les eacutecrits les concernant (bulletins scolaires comptes
10 Enseignants principaux et principaux adjoints conseillers principaux drsquoeacuteducationhellip
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rendus de conseils de disciplinehellip) autant les premiers peuvent teacutemoi-
gner de compreacutehensions nuanceacutees des probleacutematiques des eacutelegraveves autant
les seconds suivent les mecircmes appreacuteciations ritualiseacutees et collectivement
mises en eacutecrit
5512 Des deacutecisions drsquoorientation non suivie drsquoeffets
Par ailleurs des deacutecisions drsquoorientation ne sont pas suivies drsquoeffets un
eacutelegraveve orienteacute en SEGPA se retrouve en section geacuteneacuterale un autre orienteacute
par un eacutetablissement vers une classe agrave projet speacutecifique (quatriegraveme drsquoaide
et de soutien) integravegre une classe ordinaire agrave la suite drsquoun deacutemeacutenage-
menthellip Manque de coordination entre eacutetablissements ou agrave lrsquointeacuterieur
drsquoun mecircme eacutetablissement reacuteticences voire refus des parents malenten-
dus ou absence drsquoexplication aux familles peuvent contribuer agrave lrsquoarrecirct de
scolariteacute
Les jeunes deacutescolariseacutes qui nrsquoont pas repris une forme de scolariteacute
par la suite nrsquoont pas reccedilu un soutien particulier ou beacuteneacuteficieacute drsquoun regard
bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur lrsquoensemble de leur vie
scolaire En ce sens on peut dire qursquoils nrsquoont pas eu drsquoallieacute efficace mecircme
si ccedilagrave et lagrave tel ou tel enseignant a pu se poser des questions sur les raisons
de leur absenteacuteisme ou tenter de leur venir en aide malgreacute les incidents
quelquefois spectaculaires dont certains adolescents eacutetaient des protago-
nistes actifs Ces interventions de mecircme que celles des travailleurs sociaux
ou celles de leurs parents nrsquoont pas suffi agrave leur permettre un redresse-
ment Ils se sont vu tregraves rarement proposer un dispositif relais ou des
actions de soutien coordonneacutees avec lrsquoenseignement geacuteneacuteral Les proces-
sus observeacutes illustrent ainsi les conclusions de Sylvain Broccolicchi (2000)
lorsqursquoil conclut agrave la solitude des eacutelegraveves deacutescolariseacutes compareacutes agrave ceux
autant en difficulteacute agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme qui ont continueacute leurs eacutetudes
5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure
Une conseacutequence de la suppression des orientations en fin de cinquiegraveme
lieacutee agrave lrsquoabsence de dispositifs de remeacutediation pour les eacutelegraveves en grande
difficulteacute est le deacuteveloppement de lrsquolaquo eacutechec scolaire raquo de ces eacutelegraveves et de
lrsquoideacutee que certains eacutelegraveves seraient quasiment laquo inenseignables raquo (Thin
1999) Les enseignants sont ainsi ameneacutes agrave faire un laquo tri raquo entre les eacutelegraveves
laquo reacutecupeacuterables raquo et les autres La seacutelection ne se fait pas tant au niveau des
reacutesultats qursquoagrave celui du comportement scolaire les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo
ou laquo paresseux raquo sont ainsi particuliegraverement viseacutes par les jugements neacutega-
tifs et le redoublement se fait quasiment au meacuterite dans tous les cas sur
la base drsquoun pari drsquoeacutevolution positive et selon lrsquoeacutevaluation de la possibiliteacute
pour les enseignants de laquo supporter raquo lrsquoeacutelegraveve une anneacutee de plus Agrave cela
srsquoajoute lrsquoargument de lrsquoacircge si lrsquoeacutelegraveve a deacutejagrave une anneacutee ou deux de retard
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
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il passera plus facilement dans la classe supeacuterieure Celui qui redouble est
donc gratifieacute drsquoune laquo chance raquo suppleacutementaire dont est priveacute celui qui
passe dans la classe supeacuterieure avec quelquefois des reacutesultats plus faibles
et un comportement plus perturbateur ou absenteacuteiste De ce fait le redou-
blement au collegravege nrsquoest pas correacuteleacute agrave lrsquointerruption preacutecoce drsquoeacutetude
(Broccolicchi 1998b)
Nous avons trouveacute dans plusieurs dossiers scolaires la mention
laquo redoublement inutile raquo accompagneacutee drsquoun avis de passage dans la classe
supeacuterieure Ces laquo faux passages raquo introduisent un leurre reconnu par de
nombreux enseignants de collegravege en lrsquoabsence de projet individuel concer-
nant un eacutelegraveve particuliegraverement en difficulteacute ce dernier est laquo emmeneacute raquo
vers la fin de la troisiegraveme qui correspond grosso modo agrave lrsquoacircge de 16 ans
(drsquoautant plus que certains eacutelegraveves ont une ou plusieurs anneacutees de retard)
et confronteacute agrave une injonction contradictoire rester dans lrsquoeacutetablissement
tout en sachant qursquoil ne peut y espeacuterer une progression de ses reacutesultats
La situation devient encore plus paradoxale quand en cas drsquoabsenteacuteisme
se deacuteclenche la proceacutedure de signalement agrave lrsquoInspection acadeacutemique
enjoignant les parents agrave respecter la loi sur la scolariteacute obligatoire jusqursquoagrave
16 ans
Ces passages fictifs sont accompagneacutes drsquoun double discours des
enseignants en forme de justifications regrets mecircleacutes drsquoimpuissance de
laisser ainsi agrave lrsquoabandon des eacutelegraveves sans leur apporter de reacuteelles proposi-
tions eacuteducatives et peacutedagogiques critique du laquo
collegravege unique
raquo dont on sait
par diverses enquecirctes que nombre drsquoenseignants en refusent le principe
en particulier les enseignants les plus jeunes et ceux des collegraveges Ces
regrets et justifications sont compleacuteteacutes par des exemples de cas drsquoeacutelegraveves
illustrant le constat geacuteneacuteral que certains laquo
nrsquoont pas leur place au collegravege
raquo
sans que lrsquoon puisse dans le mecircme temps deacuteterminer ougrave ils pourraient
trouver une laquo
place
raquo qui leur conviennehellip Lrsquoabsence de temps et de lieux
de concertation organiseacutes pour les eacutelegraveves en difficulteacute conduit au constat
drsquoimpuissance la question laquo
qursquoest-ce qursquoon peut faire pour ces eacutelegraveves-lagrave
raquo for-
muleacutee ainsi au chercheur renvoie agrave autrui la reacuteponse agrave cette interrogation
dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble comme srsquoil
existait un consensus pour laquo
sacrifier quelques-uns pour proteacuteger la communauteacutescolaire
raquo expression souvent entendue eacutegalement
On se trouve alors dans un systegraveme de non-reacutesolution des difficulteacutes
patentes de certains eacutelegraveves qui sont ainsi meneacutes vers lrsquoarrecirct de scolariteacute
par retrait du jeune drsquoune situation sans issue Ce retrait peut ecirctre silen-
cieux ou beaucoup plus spectaculaire il srsquoaccompagne alors freacutequemment
drsquoexclusions deacutefinitives lors de conseils de discipline
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136 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants
Lrsquoincidence de lrsquoeacutechec scolaire et du sentiment drsquoinjustice sur les compor-
tements drsquoindiscipline est connue par de nombreux travaux (Dubet et
Martuccelli 1996 Debarbieux 1999 Broccolicchi 1998a 2000 Van
Zanten 2001 etc) Dans lrsquoensemble des situations des eacutelegraveves laquoperturba-
teursraquo les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbations
causeacutees par ces eacutelegraveves beaucoup plus que sur leurs difficulteacutes drsquoappren-
tissage envisageacutees comme de simples conseacutequences de leur indiscipline
alors qursquoelles existent dans plusieurs cas depuis lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire et se
manifestent degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme
Lrsquolaquo absence de travail raquo qui engendre les mauvais reacutesultats apparaicirct
alors comme une forme drsquoindiscipline dont les formes drsquoexpression varieacutees
seraient la cause directe de ces piegravetres performances scolaires Dans le
mecircme temps ces difficulteacutes constituent des obstacles agrave la reprise drsquoeacutetudes
laquo normales raquo par les eacutelegraveves difficile de laquo se calmer raquo et de laquo se mettre au
travail raquo avec une moyenne geacuteneacuterale autour de 520 un retard consideacuterable
pris par rapport aux autres eacutelegraveves et aucun dispositif de remeacutediation
Ceux qui ont eacuteteacute laquo simplement raquo absenteacuteistes nrsquoont pas eacuteteacute sanction-
neacutes pour ce seul motif mis agrave part les avertissements sur les bulletins
scolaires Les appreacuteciations sur les bulletins essaient de les convaincre de
maniegravere de plus en plus insistante mais la deacuteviance ne se constitue qursquoau
moment ougrave les acteurs scolaires perccediloivent une intention de la part de
lrsquoeacutelegraveve par exemple lorsque les absences cessent drsquoecirctre justifieacutees par le
responsable de lrsquoeacutelegraveve Lorsque laquo la famille se manifeste raquo la situation de
lrsquoeacutelegraveve est prise en compte avec une relative bienveillance Dans le cas
contraire ougrave laquo aucune collaboration nrsquoest possible raquo ou lorsque lrsquoassistant
social indique plus laconiquement laquo famille muette raquo sur les dossiers de
freacutequentation scolaire le ton se durcit par rapport agrave lrsquoeacutelegraveve suspecteacute alors
de laquo mauvaise volonteacute raquo crsquoest-agrave-dire du dessein clair de srsquoopposer agrave lrsquoinsti-
tution scolaire Le paradoxe est que cette absence de justification pourrait
ecirctre la marque drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute accrue de lrsquoeacutelegraveve et neacutecessiter
un soutien plus appuyeacute encore
Les punitions et sanctions de lrsquoindiscipline et de laquo lrsquoabsence de
travail raquo sont repeacuterables dans les rapports drsquoincidents scolaires Elles sont
quelquefois tregraves nombreuses (plusieurs dizaines de rapports drsquoincidents
en une anneacutee pour un mecircme eacutelegraveve) et de plusieurs types lignes agrave copier
copies du regraveglement inteacuterieur du collegravege ou du regraveglement de classe en
plusieurs exemplaires copie de travaux scolaires correspondant au contenu
du cours perturbeacute retenues (heures de colle) avertissements (travail et
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conduite) ou blacircmes exclusions de cours exclusions de plusieurs jours
alors mecircme que lrsquoabsenteacuteisme est preacutesent dans la probleacutematique de
lrsquoeacutelegraveve Ces exclusions ne sont cependant pas lieacutees agrave lrsquoabsenteacuteisme mais
agrave des perturbations scolaires
Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la leacutegaliteacute11 et sont
souvent inapplicables peu expliciteacutees aux eacutelegraveves et elles peuvent geacuteneacuterer
un fort sentiment drsquoinjustice (Debarbieux 1999 p 102)
Dans aucune des situations eacutetudieacutees les sanctions eacutenumeacutereacutees ici
nrsquoont permis de modifier le comportement de lrsquoeacutelegraveve dans le sens souhaiteacute
par les acteurs scolaires Au contraire on constate une progression drsquoinci-
dents (altercations entre eacutelegraveves avec des enseignants ou des surveillants)
vers des commissions de vie scolaire avec exclusions de plusieurs jours
toujours pour les mecircmes comportements suivies quelques semaines ou
quelques mois apregraves drsquoun arrecirct total de freacutequentation scolaire du jeune
ou de conseils de discipline menant agrave lrsquoexclusion deacutefinitive Apregraves la reacuteaf-
fectation dans un autre collegravege le mecircme processus se reproduit menant
rapidement cette fois-ci lrsquoeacutelegraveve agrave la deacutescolarisation De fait les eacutelegraveves qui
en ont eacuteteacute les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront agrave
aucun moment un beacuteneacutefice en matiegravere de compreacutehension ou drsquoeacuteducation
tireacute de ces punitions scolaires Certains les consideacutereront davantage
comme des marques drsquoune profonde incompreacutehension de leur situation
Les processus de deacutescolarisation mettent en cause des pratiques
issues de lrsquoeacutevolution du systegraveme scolaire lui-mecircme qui deacuteterminent les
acteurs et leur laissent peu de latitude pour reacuteagir autrement Mais on
peut aussi repeacuterer des attitudes enseignantes individuelles plus exception-
nelles laquo la mise au coin raquo par exemple peine proscrite drsquoailleurs par la
circulaire du 13 juillet 2000
Dans le cas du jeune viseacute par cette punition la mise au coin a eacuteteacute
veacutecue comme humiliante a fonctionneacute comme une laquo provocation agrave la
deacuteviance raquo deacuteclencheacute une reacuteaction violente de lrsquoeacutelegraveve laquelle interpreacute-
teacutee comme un danger potentiel de violence physique agrave lrsquoeacutegard de tous les
personnels entraicircnera lrsquoexclusion deacutefinitive de lrsquoeacutelegraveve suivie drsquoune reacuteaffec-
tation dans un collegravege eacuteloigneacute de son domicile La scolariteacute du jeune
garccedilon srsquoarrecirctera lagrave
11 Voir Bulletin officiel du 13 juillet 2000
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138 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
5515 Haro sur les eacutelegraveves
Les eacutelegraveves deacutescolariseacutes et perturbateurs sont marqueacutes comme tels et
comme laquo ineacuteducables raquo depuis de nombreux mois voire plusieurs anneacutees
quand intervient lrsquoarrecirct de scolariteacute effectif Des mots ou expressions
comme laquo individu raquo laquo faire lrsquoimbeacutecile raquo et laquo imbeacutecile raquo eacutecrits sur des rapports
drsquoincidents laquo cas psychiatrique raquo laquo dangereux raquo sont freacutequemment lus ou
entendus les concernant avec une freacutequence drsquoautant plus grande que le
conflit srsquoaggrave entre lrsquoeacutelegraveve et lrsquoinstitution et que les adultes qui les
utilisent sont engageacutes directement dans les interactions Ces maniegraveres de
nommer ou de qualifier ces eacutelegraveves soulignent des eacuteleacutements drsquoune
ambiance qui banalise des termes deacutevalorisants agrave lrsquoencontre des eacutelegraveves
en tregraves grande difficulteacute drsquoapprentissage et perturbateurs de lrsquoordre sco-
laire Ils deviennent alors ce qursquoils montrent les adultes ayant tendance agrave
identifier lrsquoeacutelegraveve deacuteviant au vu des manifestations produites Ces juge-
ments srsquoaccompagnent de propheacuteties autoreacutealisatrices sur lrsquoineacuteducabiliteacute
de lrsquoeacutelegraveve et lrsquoineacuteluctabiliteacute de son destin scolaire et social Les theacuteories
de lrsquoeacutetiquetage appliqueacutees agrave lrsquoeacutecole fonctionnent alors agrave plein (Van
Zanten 2001)
Plusieurs dossiers comportent des appreacuteciations non fondeacutees sur des
examens meacutedicaux ou psychologiques portant sur lrsquoorientation neacutecessaire
en structure speacutecialiseacutee laquo adapteacutee au comportement de lrsquoeacutelegraveve raquo ainsi que des
injonctions aux parents drsquoaccompagner leur enfant suivre une psycho-
theacuterapie au vu des incidents scolaires dont il est protagoniste Lrsquoeacutelegraveve
perturbateur est alors paradoxalement consideacutereacute comme actif et volon-
taire dans les deacutesordres qursquoil met en scegravene dans lrsquoeacutetablissement scolaire
donc responsable de ce qui lui arrive et dans le mecircme temps porteur
de troubles seacuterieux du comportement ou de handicaps relevant drsquoune
commission speacutecialiseacutee
5516 Lrsquoexternalisation des solutions
Les causes possibles de la deacuteviance (quartier famille eacutelegraveve lui-mecircme) sont
situeacutees en dehors du champ de la relation peacutedagogique de mecircme que les
laquo solutions raquo eacuteventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux des familles
injonction de changer faite agrave lrsquoeacutelegraveve lui-mecircme) Dans cette logique les
mesures proposeacutees renvoient souvent la recherche de changement du
comportement de lrsquoeacutelegraveve agrave des structures ou agrave des personnes peacuteripheacute-
riques ou exteacuterieures aux situations drsquoenseignement contact avec des
eacuteducateurs suivi par lrsquoassistante sociale du collegravege injonction agrave la famille
de rescolariser le jeune avec assiduiteacutehellip
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Drsquoautres mesures conccedilues comme plus eacuteducatives sont mises en
place comme les promesses ou les engagements les cahiers de suivi les
commissions ou conseils de vie scolaire mais elles sont appliqueacutees sur le
mecircme mode de lrsquoinjonction ou de la sanction sans qursquoaucune ameacuteliora-
tion dans le sens souhaiteacute par les acteurs scolaires ait pu ecirctre constateacutee
Le non-respect de la proceacutedure du cahier de suivi srsquoest du reste rajouteacute
aux charges qui pegravesent contre lrsquoun des eacutelegraveves deacutescolariseacute par la suite au
moment du conseil de discipline
Le traitement appliqueacute aux eacutelegraveves perturbateurs et deacutescolariseacutes
ensuite rencontreacutes au cours de notre recherche est bien un traitement
coercitif classique depuis le deacutebut de leur scolariteacute au collegravege (avertisse-
ments exclusions conseil de vie scolaire) visant agrave leur faire apprendre de
greacute ou de force leur laquo meacutetier drsquoeacutelegraveve raquo laquo se comporter comme un eacutelegraveve raisonnable raquo
eacutetant entendu qursquoil ne tient qursquoagrave lrsquoeacutelegraveve de prendre la deacutecision de changer
Dans cette logique de refus ou drsquoacceptation la laquo mise au travail raquo
suffirait agrave reacutetablir la situation La question des lacunes scolaires est ainsi
eacuteviteacutee comme est preacuteserveacute le point central des compeacutetences enseignantes
les interactions peacutedagogiques dans la classe Lrsquoeacutelegraveve en difficulteacute devient
une personne laquo difficile raquo Une logique de rapport de force entre lrsquoinstitu-
tion et lrsquoeacutelegraveve srsquoeacutetablit ainsi visant agrave laquo faire changer lrsquoeacutelegraveve drsquoavis raquo Celui-ci est
alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de son
eacutevolution quelquefois sommeacute de laquo trouver une solution raquo avec la mention
laquo nous avons tout essayeacute raquo Lrsquoabsence de changement marque eacutevidente de
mauvaise volonteacute deacuteclenche la colegravere des personnels scolaires La reacuteaction
aux perturbations manifesteacutees par lrsquoeacutelegraveve renforce et cristallise lrsquoidentiteacute
deacuteviante et les relations srsquoinstallent durablement dans le conflit En cas
de perturbations graves ces eacutelegraveves sont alors consideacutereacutes comme laquodangereuxpour la communauteacute scolaire raquo laquo nrsquoayant pas leur place au collegravege raquo La seacutepara-
tion devient ineacutevitable soit agrave la suite drsquoun conseil de discipline qui pro-
nonce lrsquoexclusion deacutefinitive soit par retrait de lrsquoeacutelegraveve en particulier dans
le cas de laquo passages fictifs raquo dans la classe supeacuterieure Lrsquoensemble des acteurs
scolaires srsquoentend pour traiter la situation en fonction drsquoinjonctions et de
sanctions plutocirct que de reacutesolution dans le sens de la poursuite des eacutetudes
ou drsquoun parcours individuel adapteacute agrave la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve La
gestion des laquo deacuteviants scolaires raquo tend ainsi agrave ecirctre penseacutee et mise en actes
en termes de preacuteservation de lrsquoordre scolaire sanctionnant les manque-
ments aux regravegles tant drsquoassiduiteacute que de comportement les mauvais
reacutesultats eacutetant quasiment inclus dans le registre des transgressions
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140 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
552 LES EacuteLEgraveVES
Les jeunes deacutescolariseacutes srsquoexpriment peu par rapport agrave leur situation acircgeacutes
de 14 agrave 16 ans au moment de la rencontre avec le chercheur ils ont veacutecu
un processus de deacutescolarisation plus qursquoils ne lrsquoont construit avec parfois
lrsquoimpression qursquoils avaient tregraves peu de prise sur ce qui leur arrivait Un
seul (Patrick dont nous deacutetaillerons la situation plus loin) exprime un
refus clair de lrsquoeacutecole et de toutes les propositions qui lui seraient faites
en forme de conflit ouvert et non neacutegociable accompagneacute drsquoun deacutesinteacuterecirct
affirmeacute par rapport agrave son avenir Un autre qui nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute
souhaiterait vivement laquo entrer agrave lrsquoeacutecole raquo Pour les eacutelegraveves exclus drsquoun collegravege
lrsquoeacuteloignement du collegravege de reacuteaffectation est un obstacle important agrave la
suite de la scolariteacute Drsquoautres expriment un fort sentiment de deacutevalori-
sation personnelle (crsquoest le cas de ceux qui se sont signaleacutes par drsquoimpor-
tantes perturbations scolaires) et des espoirs deacuteccedilus dans la scolariteacute Les
jeunes qui nrsquoont pas eacuteteacute perturbateurs et ont de ce fait eacuteteacute moins stigma-
tiseacutes nrsquoexpriment pas de ressentiment ou de crainte mais plutocirct un deacutesin-
teacuterecirct global par rapport agrave lrsquoeacutecole en geacuteneacuteral tout en gardant un laquo bonsouvenir raquo drsquoenseignants ou drsquoacteurs scolaires Le processus de deacutescolari-
sation srsquoest accompagneacute drsquoun isolement croissant par rapport aux autres
eacutelegraveves du collegravege accentueacute par les nombreuses absences Lrsquoabsenteacuteisme
ou les fortes perturbations coupent les jeunes des sociabiliteacutes juveacuteniles
lieacutees agrave la vie quotidienne au collegravege et mecircme si les camarades peuvent
jouer un rocircle de relais et de garde-fous dans certaines situations leur
peacuterennisation entraicircne une deacutesaffection de leur part
Les jeunes deacutescolariseacutes occupent des rangs divers dans leurs fratries
dont le nombre drsquoenfants varie de un agrave sept six sont des aicircneacutes (ou enfant
unique pour un) quatre sont les plus jeunes quatre occupent des places
meacutedianes dans la fratrie Tous les jeunes deacutescolariseacutes vivent plutocirct laquo au jourle jour raquo pris en charge mateacuteriellement dans leurs familles avec lesquelles
ils entretiennent des relations diverses qui vont de la bonne entente au
conflit ouvert en forme de rapport de force avec les parents ou des fregraveres
et sœurs Plusieurs disent vouloir travailler et attendre drsquoavoir 16 ans pour
pouvoir le faire La notion drsquoadolescence est relative dans leur cas alors
que pour beaucoup de jeunes scolariseacutes elle est une peacuteriode assez longue
pendant laquelle ils restent deacutependants de leurs parents tout en menant
une vie relativement autonome il en va autrement pour ceux dont nous
avons eacutetudieacute les situations
Les jeunes deacutescolariseacutes se trouvent confronteacutes avant lrsquoacircge de 16 ans
agrave des choix et agrave des perspectives qui tiennent plus de lrsquoacircge adulte trouver
un travail ou une formation rapidement qualifiante seconder les parents
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la megravere en particulier La plupart drsquoentre eux vivent plus au contact
drsquoadultes que de jeunes de leur acircge (agrave part ceux qui sont attacheacutes agrave des
groupes de pairs) et leurs formes de sociabiliteacute juveacutenile se trouvent
modifieacutees par lrsquoarrecirct de scolariteacute
La majoriteacute des jeunes sont plutocirct resteacutes chez eux inteacutegrant laquo agrave plein
temps raquo la vie familiale au rythme de leurs parents Le temps est scandeacute
par les horaires scolaires des plus jeunes enfants que les jeunes filles
accompagnent ou vont chercher Lrsquoarrecirct de scolariteacute implique une dimi-
nution des reacuteseaux relationnels avec des pairs deacutejagrave restreints pour la
plupart des jeunes un repli sur la sphegravere familiale et une impression
drsquoennui avec dans un cas des activiteacutes reacutepeacutetitives Les relations intrafami-
liales se tendent drsquoautant plus que les intervenants exteacuterieurs se mani-
festent par des avertissements ou des injonctions et que les revenus de la
famille sont en baisse par la suspension ou la suppression des allocations
familiales Les jeunes qui avaient des reacutesultats scolaires satisfaisants agrave
lrsquoentreacutee en sixiegraveme peuvent espeacuterer dans un avenir indeacutetermineacute reprendre
une formation mais pour les autres les reacutesultats scolaires en chute ou
mauvais depuis plusieurs anneacutees rendent tregraves aleacuteatoire la perspective de
projets professionnels ou drsquoavenir lieacutes agrave la formation en geacuteneacuteral
Sur les quatorze situations rencontreacutees cinq jeunes ont commis des
actes deacutelinquants preacutealables ou parallegraveles agrave leur entreacutee au collegravege Agrave la
suite de lrsquoarrecirct de scolariteacute ces actes deacutelinquants ont continueacute et se sont
mecircme amplifieacutes mais on ne peut pas dire que lrsquoarrecirct de scolariteacute ait
geacuteneacutereacute la deacutelinquance Onze ont eacuteteacute lrsquoobjet de signalements pour faits
de petite deacutelinquance ou absenteacuteisme ou encore problegraveme familial Ces
signalements ont donneacute lieu agrave des rencontres avec un juge des enfants et
agrave des mesures eacuteducatives avec maintien au domicile dans la majoriteacute des
cas (deux jeunes ont eacuteteacute placeacutes sur des dureacutees courtes) Les deux jeunes
dont les parents ont trouveacute une issue en matiegravere drsquoapprentissage anticipeacute
nrsquoont fait lrsquoobjet drsquoaucun signalement pas plus que lrsquoenfant en situation
irreacuteguliegravere
La preacutesence drsquoun groupe de pairs dans le quartier peut jouer un rocircle
attractif ou compensatoire agrave lrsquoinactiviteacute lieacutee agrave la deacutescolarisation Crsquoest le
cas pour cinq des jeunes qui ont commis des actes deacutelinquants et srsquoattachent
agrave des groupes de pairs en forme de bandes au fur et agrave mesure que
srsquoaccentue le processus de deacutescolarisation
553 LES FAMILLES
Aux facteurs endogegravenes agrave lrsquoeacutecole srsquoajoutent des situations familiales qui
ne permettent pas de soutenir lrsquoeacutelegraveve dans son effort scolaire ni de contre-
balancer lrsquoimage neacutegative qui lui est renvoyeacutee Dans la plupart des situations
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142 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rencontreacutees si les parents se manifestent ou reacutepondent aux demandes de
rencontre des collegraveges (les laquo convocations raquo) au sujet de leur enfant ou
tout au moins acceptent un eacutechange avec lrsquoassistant social qui se rend au
domicile on note un deacutecalage entre le point de vue et lrsquohistoire scolaire
des familles en particulier les parents et les exigences de lrsquoeacutecole tant sur
le plan de lrsquoassiduiteacute que sur celui du comportement
La plupart des familles rencontreacutees disposent de trop peu de res-
sources pour se positionner en interlocuteurs creacutedibles de lrsquoeacutecole meacutecon-
naissent le fonctionnement du systegraveme scolaire tout en devant geacuterer une
vie quotidienne tregraves difficile drsquoun point de vue eacuteconomique Dans une
famille une incompreacutehension linguistique majeure empecircche tout travail
de coeacuteducation effectif entre le collegravege et les parents en lrsquoabsence de
traduction La gestion de la scolariteacute revient majoritairement aux megraveres
qui sont plus souvent preacutesentes dans les eacutetablissements scolaires les pegraveres
(lorsqursquoils sont preacutesents dans lrsquoeacuteducation de leurs enfants) intervenant
plus pour geacuterer les manquements aux normes Dans plusieurs familles les
strateacutegies familiales employeacutees sont de lrsquoordre de la contention corporelle
sans effet sur une reprise de la scolariteacute ainsi des parents accompagnent
leur enfant au collegravege le remettent dans les mains du conseiller principal
drsquoeacuteducation (CPE) qui lrsquoemmegravene en courshellip jusqursquoagrave la fin de lrsquoheure ougrave
le jeune disparaicirct agrave nouveau de lrsquoeacutetablissement Son refus du systegraveme
scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires nrsquoont drsquoinfluence
sur un eacuteventuel retour Des punitions corporelles reacutepeacuteteacutees sont appliqueacutees
par certaines familles aux jeunes visant agrave les faire laquo rentrer dans le droitchemin raquo (celui de lrsquoeacutecole en lrsquooccurrence censeacutee assurer une formation
et proteacuteger contre les risques de deacutelinquance) avec pour effet drsquoaccentuer
le retrait de la famille parallegravelement au retrait de lrsquoeacutecole La stigmatisation
opeacutereacutee par lrsquoeacutecole est renforceacutee dans certaines familles par un regard
neacutegatif porteacute sur lrsquoadolescent qui devient une laquo bouche inutile raquo en parti-
culier lorsque les allocations familiales sont suspendues
Eacuteloigneacutes du marcheacute du travail et de celui de la consommation les
parents nrsquooffrent pas drsquoimage creacutedible agrave leurs enfants en tant qursquoeacuteduca-
teurs Dans ces cas-lagrave le controcircle parental et la qualiteacute de la relation avec
les enfants deacutejagrave affecteacutes par la situation de preacutecariteacute dans laquelle se
trouvent les familles sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli 2001
p 224) Des conflits aviveacutes de surcroicirct par la situation critique du jeune
au collegravege bloquent aussi la communication agrave lrsquointeacuterieur de ces familles
Pour les familles marqueacutees par la pauvreteacute les aleacuteas de la vie fami-
liale prennent des proportions exacerbeacutees seacuteparations divorces disputes
recompositions ont lieu dans des espaces et des temps restreints (lrsquoabsence
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 143
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de travail confine les membres adultes de la famille au domicile et ils ne
disposent pas de reacuteseaux professionnels ou relationnels qui leur permet-
traient de se distraire de ces situations) Ces familles peuvent eacutevoluer
rapidement deacutepart drsquoun conjoint et arriveacutee drsquoun autre installation
momentaneacutee ou agrave plus long terme au domicile du nouveau conjoint drsquoun
des deux parents en preacutesence de lrsquoautre heacutebergement de proches en
difficulteacute momentaneacutee deacutepart ou arriveacutee des enfants les plus acircgeacutes avec
quelquefois des beacutebeacuteshellip Les enfants doivent geacuterer ces situations familiales
conflictuelles et leur scolariteacute en mecircme temps et le cas eacutecheacuteant assurer
le soutien du parent le plus vulneacuterable comme crsquoest le cas pour lrsquoune des
jeunes filles dont la scolariteacute srsquoest arrecircteacutee principalement pour ce motif
Les deacutemarches diverses sont tregraves difficiles agrave effectuer les deacuteplace-
ments entre Roubaix et Lille par exemple sont veacutecus comme aleacuteatoires et
dangereux alors que lrsquoagglomeacuteration est desservie par des moyens de
transport nombreux et fiables Les propositions drsquoorientation ou de pla-
cement qui peuvent ecirctre faites rencontrent un refus de se seacuteparer parents
et enfants veulent rester ensemble par crainte de la solitude (pour les uns
et les autres) de lrsquoinconnu des jugements deacutevalorisants de lrsquoentourage et
des agents institutionnels autour de la seacuteparation De ce fait les proposi-
tions alternatives sont tregraves limiteacutees car les centres speacutecialiseacutes ou de forma-
tion se trouvent rarement dans le mecircme quartier ou dans la mecircme ville
En lrsquoabsence drsquoadheacutesion minimale du groupe familial agrave ces propositions
leur reacutealisation comporte un fort risque drsquoeacutechec La valeur fondamentale
qui apparaicirct ainsi pour ces familles est le fait de preacuteserver lrsquouniteacute du
groupe refuge protection lieu de souffrance mais aussi lrsquoexercice de la
fonction parentale qui doit ecirctre maintenue fucirct-elle mise en peacuteril par des
interactions violentes ou peacutenibles entre parents et enfants La remise en
cause de cette laquo compeacutetence parentale raquo est drsquoautant plus difficile agrave vivre
qursquoelle est le seul facteur de reconnaissance sociale possible
Lrsquoisolement et le peu de gratifications reccedilu dans leur vie sociale la
multipliciteacute des eacuteveacutenements qui jalonnent la vie familiale favorisent sans
doute lrsquoentreacutee et lrsquoinstallation de plusieurs megraveres dans la laquo deacutepression raquo
qui devient partie inteacutegrante de lrsquoidentiteacute maternelle preacutesenteacutee comme
telle au chercheur Les difficulteacutes veacutecues avec les conjoints et les enfants
sont des drames quotidiennement ressasseacutes et certaines trouvent dans ces
rocircles de megravere et drsquoeacutepouse doloriseacutees une forme drsquoidentiteacute acceptable pour
elles-mecircmes pour les acteurs scolaires pour les travailleurs sociauxhellip qui
vont intervenir en tenant compte de la laquomaladieraquo de la megravere Les laquoproblegravemes
de santeacute raquo sont partie prenante de ces probleacutematiques parentales et
deacuteclenchent la compassion ou lrsquoagacement des interlocuteurs inteacuteresseacutes agrave
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144 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
la situation de lrsquoenfant Dans les cas extrecircmes ils se retrouvent en situation
drsquoeacutecouter de rassurer voire drsquoassister les parents vulneacuterabiliseacutes Cela eacutetant
les parents rencontreacutes ne se deacutesinteacuteressent pas de la situation de leurs
enfants et les megraveres restent souvent leurs seules laquo allieacutees inconditionnelles raquo
tentant drsquoassurer leur laquo protection raquo dans les aleacuteas de leurs deacutemecircleacutes avec
lrsquoeacutecole les travailleurs sociaux les juges des enfants parfois
Dans plusieurs situations la vie familiale srsquoaccommode bon an mal
an du retrait scolaire de un ou plusieurs des enfants la scolariteacute de un
ou plusieurs aicircneacutes srsquoest arrecircteacutee agrave lrsquoacircge de 16 ans et les perspectives fami-
liales en matiegravere drsquoeacutecole sont plus porteacutees vers des eacutetudes courtes sanc-
tionneacutees ou non par un diplocircme professionnel que vers des eacutetudes longues
Le savoir scolaire nrsquoest pas valoriseacute en tant que tel et lrsquoeacutecole est veacutecue
comme un lieu de formation permettant drsquoacceacuteder rapidement agrave un
emploi Lorsque les reacutesultats scolaires du jeune et les incidents au collegravege
rendent cette perspective peu creacutedible la famille envisage alors un retrait
de lrsquoeacutecole degraves lrsquoacircge de 16 ans conseillant agrave lrsquoenfant de laquo se tenir agrave carreau raquo
drsquoici lagrave afin de ne pas srsquoattirer les reproches et les interventions nombreu-
ses des acteurs scolaires Une fois atteint lrsquoacircge de 16 ans on parle alors
de laquo trouver un bon apprentissage raquo au jeune afin de lui permettre de tra-
vailler rapidement Cette perspective est drsquoautant plus affirmeacutee qursquoexistent
dans la famille des personnes qui travaillent ou ont travailleacute dans un passeacute
reacutecent et qui peuvent ecirctre porteuses de cette ideacutee de processus de forma-
tion Lrsquoinfluence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable dans les
discours mentionnant un laquo projet professionnel raquo alternatif agrave lrsquoeacutecole
Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en
place elles-mecircmes une issue agrave la deacutescolarisation de leur enfant en obte-
nant une deacuterogation pour une entreacutee en apprentissage avant 16 ans sans
passer par lrsquointermeacutediaire de travailleurs sociaux
Dans lrsquoensemble dans aucune des situations eacutetudieacutees on nrsquoa pu
observer des interactions efficaces entre les parents et lrsquoeacutetablissement
scolaire les familles globalement peu creacutedibles dans les repreacutesentations
des acteurs scolaires sont encore plus deacutevaloriseacutees quand elles sont en
situation de vulneacuterabiliteacute ou de pauvreteacute Agrave leur tour elles voient les
acteurs scolaires comme deacutesagreacuteables et peu efficaces porteurs drsquoinjonc-
tions irreacutealisables agrave lrsquoexception de certains (assistants sociaux principale-
ment) qui sont consideacutereacutes comme bienveillants et faisant tout leur possible
pour faire revenir lrsquoenfant au collegravege sans que cela corresponde agrave une
eacuteventualiteacute raisonnablement envisageable et reacutealisable par la famille
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554 LES TRAVAILLEURS SOCIAUX
(Agrave LrsquoINTEacuteRIEUR ET Agrave LrsquoEXTEacuteRIEUR DES COLLEgraveGES)
Les assistants sociaux scolaires jouent un rocircle cleacute dans le suivi des jeunes
en risque de deacutescolarisation ou dans lrsquointervention aupregraves drsquoeux quand
lrsquoarrecirct de scolariteacute est effectif car ils peuvent se rendre au domicile de la
famille et ne sont pas investis drsquoune mission peacutedagogique par rapport agrave
lrsquoeacutelegraveve Ils se situent dans un champ de relation plus laquo libre raquo et moins
stigmatisant pour le jeune et sa famille qui peuvent mettre en avant des
eacuteleacutements explicatifs ou justificatifs de lrsquoarrecirct de scolariteacute qui ne seraient
pas entendus par les autres agents scolaires Les familles sont par ailleurs
pour la plupart habitueacutees agrave recevoir ou agrave cocirctoyer des travailleurs sociaux
assistants sociaux en particulier dans une relation drsquoassistance et de controcircle
Les relations entre les assistants sociaux et les enseignants sont mar-
queacutees par un fort cloisonnement lorsqursquoils assurent le suivi social des
eacutelegraveves dans les collegraveges celui-ci se fait sans lien avec les interactions dans
les classes La question du secret professionnel reste entiegravere des ensei-
gnants adressent des eacutelegraveves au service social et ont quelquefois peu de
laquo retours raquo de ces interventions ils meacuteconnaissent des eacuteveacutenements graves
arrivant aux eacutelegraveves et regrettent ensuite drsquoecirctre intervenus agrave contretemps
aupregraves drsquoeux du fait de ces meacuteconnaissances Les personnels sociaux des
eacutetablissements maintiennent de leur cocircteacute la confidentialiteacute de nombre de
donneacutees par souci du respect de la vie priveacutee des eacutelegraveves et de leurs
familles et par crainte drsquoutilisations intempestives de ces informations Ces
mecircmes craintes existent drsquoailleurs aussi entre enseignants De fait les
intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir aupregraves des
familles et tenter de modifier la probleacutematique familiale plutocirct que les
interactions qui se deacuteroulent ou se sont deacuterouleacutees au collegravege Leur forma-
tion les entraicircne aussi sans doute plus du cocircteacute de la relation parents-
enfants que des acquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants
Par ailleurs les travailleurs sociaux insistent sur la mise en place de
laquo projets raquo qui se heurtent agrave la preacutecariteacute des conditions de vie faisant
justement obstacle agrave la construction de ces projets En outre si les enfants
deviennent plus qualifieacutes que leurs parents ils peuvent vivre des conflits
de loyauteacute qui remettraient en cause lrsquoeacutequilibre familial drsquoougrave des attitudes
de repli freacutequemment observeacutees et des laquo mises en eacutechec raquo de projets
construits autour de formations proposeacutees aux jeunes Lorsque les actions
dans les eacutetablissements scolaires ont eacutechoueacute agrave maintenir lrsquoeacutelegraveve dans le
milieu scolaire les solutions laquo sociales raquo prennent le relais en maintenant
un lien avec les familles et en eacutevitant un enclavement plus important pour
les familles les plus isoleacutees
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146 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
56 LE CAS DE PATRICK
Patrick est acircgeacute de 15 ans au moment ougrave nous le rencontrons chez lui avec
sa megravere et sa sœur aicircneacutee Il est le dernier drsquoune fratrie de sept enfants
Son pegravere est deacuteceacutedeacute il y a six ans Sa megravere employeacutee de collectiviteacute sur
Paris a arrecircteacute sa scolariteacute agrave la fin du cycle primaire Elle a deacutemeacutenageacute drsquoune
ville de la banlieue parisienne vers Roubaix en juin 1999 Elle est agente
de service agrave la DDASS12 drsquoun deacutepartement limitrophe de Paris poste
qursquoelle a obtenu en se faisant connaicirctre tout drsquoabord comme laquo cliente raquo
des services sociaux Elle fera le deacuteplacement Roubaix-Paris et retour tous
les jours jusqursquoau deacutebut de 2001 peacuteriode agrave laquelle elle entame une seacuterie
de congeacutes maladie pour laquo deacutepression raquo selon sa propre expression Au
moment du deacutemeacutenagement Patrick terminait une sixiegraveme marqueacutee par
de tregraves mauvais reacutesultats scolaires
Sur le bulletin de fin de CM213 de Patrick on peut lire laquo Des reacutesultats
faibles dans lrsquoensemble ndash Des efforts cependant tregraves doueacute pour lrsquoEPS14
perspectives drsquoadaptation en 6e moyennes (demande pour 6e hand-
ball) raquo Il a effectivement un A (meilleure cateacutegorie) en EPS et des per-
formances entre B et C pour la lecture lrsquoexpression orale les meacutecanismes
opeacuteratoires de C pour lrsquoexpression eacutecrite le raisonnement les sciences
et la technologie lrsquohistoire-geacuteographie lrsquoeacuteducation civique et musicale
les arts plastiques et de D pour lrsquoorthographe Dans le domaine des compeacute-
tences transversales on peut lire laquo Comportement irreacutegulier respecte
lrsquoautoriteacute Valoriseacute par les matiegraveres sportives raquo
Lrsquoappreacuteciation de fin de premier trimestre de sixiegraveme en banlieue
parisienne indique laquo Travail et reacutesultats tregraves insuffisants Il faut reacuteagir tregraves
rapidement raquo Cette injonction est soutenue par un dispositif de soutien
interne au collegravege Lrsquoenseignant en charge de ce soutien indique laquo bondeacutebut raquo sur le mecircme bulletin Au deuxiegraveme trimestre on note quelques
absences non justifieacutees et une attitude laquo peacutenible et deacutesagreacuteable raquo laquo perturbatrice raquo
est signaleacutee par la majoriteacute des professeurs Lrsquoenseignant chargeacute du sou-
tien indique laquo Encourageant Il faudrait ne manquer aucune seacuteance raquo Patrick
reccediloit un avertissement laquo travail et conduite raquo Il est exclu une journeacutee de
lrsquoeacutetablissement aux motifs de laquo Refuse drsquoobeacuteir perturbe la classe tutoie le
professeur raquo La megravere de Patrick eacutecrit une lettre au principal pour accuser
reacuteception du courrier lui notifiant cette exclusion et srsquoexcuser elle-mecircme
du comportement de son fils
12 Direction deacutepartementale de lrsquoaction sanitaire et sociale
13 Cours moyen 2e anneacutee
14 Eacuteducation physique et sportive
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Au troisiegraveme trimestre Patrick est scolariseacute agrave Roubaix sans que
lrsquoenseignant chargeacute du soutien en soit preacutevenu car il indique sur un
bulletin par ailleurs vide de toute appreacuteciation laquo Nrsquoest plus venu ce trimestreIl y avait pourtant quelque chose agrave faire raquo Au troisiegraveme trimestre agrave Roubaix
on comptabilise quatre demi-journeacutees drsquoabsence non justifieacutees La moyenne
geacuteneacuterale est faible (79520) les appreacuteciations soulignent le sentiment de
laquo peu drsquoefforts peu de travail ensemble un peu timide raquo avec des appreacuteciations
positives en technologie et en sciences et vie de la terre laquo seacuterieux ensemblecorrect bien raquo Sur le bulletin scolaire du premier trimestre de lrsquoanneacutee 1999-
2000 on note laquo Trimestre catastrophique Aucun travail et attitude tregraves peacutenibleAvertissement travail et conduite raquo Aucun dispositif de soutien nrsquoest cette
fois-ci proposeacute agrave Patrick
Les deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres de cinquiegraveme se deacuteroulent en
banlieue parisienne dans le collegravege ougrave il a effectueacute sa sixiegraveme Patrick a
en effet refuseacute le deacutemeacutenagement de sa megravere et a obtenu drsquoecirctre logeacute chez
lrsquoun de ses fregraveres aicircneacutes dans la ville de banlieue parisienne ougrave il habitait
preacuteceacutedemment en laquo faisant le chantage raquo comme le dit son fregravere laquo Srsquoilrevenait agrave X il suivait lrsquoeacutecole raquo Les reacutesultats scolaires tregraves mauvais se com-
binent avec des incidents violents qui lrsquoopposent agrave des enseignants et agrave
drsquoautres eacutelegraveves ainsi qursquoavec de multiples absences De fait Patrick fait
partie drsquoune bande de jeunes garccedilons qui commencent agrave commettre des
actes deacutelinquants (vols agressions sur drsquoautres du mecircme acircge) dans la citeacute
ougrave il habitait avec sa megravere
Le chef drsquoeacutetablissement connaicirct bien Patrick et sa famille (sa sœur
aicircneacutee a suivi sa scolariteacute dans ce mecircme collegravege) Il approuve au cours de
lrsquoentretien le choix de la megravere de Patrick laquo Ccedila permettait de couper Patrickde le couper des copains et des gangs dans lesquels il commenccedilait agrave srsquointeacutegrer raquo Il
a repeacutereacute chez Patrick un laquo gros gros problegraveme affectif [hellip] le gamin pas contentquand on lrsquoaime pas raquo Par ailleurs le principal et lrsquoeacutequipe de direction
travaillaient agrave laquo remettre de lrsquoordre raquo dans le collegravege laquo Patrick quand il estarriveacute eacutetait porteur des mecircmes problegravemes que lrsquoeacutetablissement raquo Le jeune garccedilon
fait alliance avec drsquoautres eacutelegraveves dont les comportements sont proches des
siens et les retrouve degraves son retour Il fait partie drsquoune cinquiegraveme agrave domi-
nante sportive ougrave il se signale par une absence de travail et 33 demi-
journeacutees drsquoabsence au troisiegraveme trimestre ponctueacute par cette appreacuteciation
laquo Bilan catastrophique Vous nrsquoecirctes pas motiveacute par lrsquoenseignement geacuteneacuteral Patienteztravaillezhellip pour pouvoir construire un projet Conseil 4e aide et soutien raquo
La vie familiale de son fregravere aicircneacute est perturbeacutee par la preacutesence de
ce jeune qui est agrave peine plus acircgeacute que lrsquoaicircneacute de ses neveux et reacuteclame de
sortir tard le soir en refusant lrsquoautoriteacute de son fregravere Une bagarre avec un
autre fregravere met un terme agrave la cohabitation en banlieue parisienne et
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148 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Patrick reacuteintegravegre le domicile de sa megravere agrave Roubaix Les contacts sont
coupeacutes entre le fregravere aicircneacute et sa megravere celui-ci reprochant agrave cette derniegravere
drsquoecirctre trop faible avec le plus jeune dont il constate qursquoil domine sa megravere
Il met un coup de pression et il aura ce qursquoil veut elle cegravede et elle lui donnetout ce qursquoil veut Depuis que mon pegravere est mort il nrsquoy a plus cette poigne[hellip] Avec moi il y avait le respect Avant je disais six heures et il eacutetait lagraveagrave six heures [hellip] Quand il mettait la musique trop fort je lui disaisdrsquoarrecircter une fois deux fois et je coupais les plombs Je lrsquoai vu faire avecsa megravere quand elle lui refuse quelque chose il va dans sa chambre il metla musique agrave fond Elle gueule il fait ce qursquoil veut Elle va dans sachambre il pourrait lever la main sur elle Alors elle redescend
Lrsquoinfluence du groupe de pairs et lrsquoattirance qursquoil exerce sur Patrick
sont aussi souligneacutees par son fregravere aicircneacute Patrick est envoyeacute au Portugal
pays drsquoorigine de ses parents dans le courant du premier trimestre 2000-
2001 pour une laquo mise au vert raquo visant aussi agrave soulager la famille la megravere
en particulier
De retour agrave la fin de deacutecembre 2000 agrave Roubaix Patrick refuse drsquoaller
au collegravege exigeant de retourner en banlieue parisienne afin de retrouver
ses laquo copains raquo Les bulletins des deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres sont
vides drsquoappreacuteciations (75 demi-journeacutees drsquoabsences non justifieacutees au troi-
siegraveme trimestre) et le commentaire final est laquo Eacutelegraveve fantocircme raquo En dessous
hors cadre on peut lire laquo Attention Obligation scolaire jusqursquoagrave 16 ans raquo (sou-
ligneacute deux fois)
Patrick instaure un rapport de force avec sa megravere il exige qursquoelle
lui donne de lrsquoargent pour ses deacutepenses personnelles met la musique agrave
fond quand elle veut lui reacutesister manifeste lors de lrsquoentretien une absence
drsquoempathie agrave son eacutegard et une insouciance pour son avenir professionnel
qui accentuent les pleurs et le deacutesarroi de cette derniegravere
Patrick Jrsquopeux rester comme ccedila jusqursquoagravehellip
Megravere Ben tu peux pas rester jusqursquoagrave agrave rien faire toute ta viehellip
Patrick Eh ben alors deacutemeacutenage deacutemeacutenage
Megravere Ah non Je ne deacutemeacutenage pas non
Patrick Si tu ne deacutemeacutenages pas je vais pas agrave lrsquoeacutecole ici
Megravere Je vais pas deacutemeacutenager pour toi hein
Patrick Et moi je ne vais pas aller agrave lrsquoeacutecole pour toi Moi jrsquoy vais pasici Crsquoest clair Ni travailler ni agrave lrsquoeacutecole ni agravehellip je vais pas aller agrave lrsquoeacutecolepour toi
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Tous les propos eacutechangeacutes entre Patrick et sa megravere sont de cette
teneur le jeune garccedilon regarde sa megravere et crie celle-ci pleure et tente
drsquoargumenter
La famille considegravere que lrsquoeacutecole ne lrsquoa pas aideacutee Le fregravere aicircneacute men-
tionne des reacuteflexions indeacutelicates drsquoenseignants en reacutegion parisienne la
sœur aicircneacutee commente ainsi une expression lue sur le bulletin du troisiegraveme
trimestre 2000-2001 laquo Ils marquent mecircme ldquoenfant fantocircmerdquo Crsquoest mecircme agrave sedemander si crsquoest pas de la moquerie parce qursquoon sait tregraves bien qursquoil va pas agrave lrsquoeacutecoleou ils savent tregraves bien les problegravemes qursquoon a ethellip marquer ce genre de choses sur lesbulletins crsquoest pas vraiment ce qursquoon a envie de voir ou de recevoir agrave la maison raquo
Une deacutecision drsquoorientation vers la classe-relais de Roubaix est prise
dans le courant de lrsquoanneacutee 2000-2001 Agrave cette occasion lrsquoassistante sociale
scolaire et une eacuteducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse se
rendent plusieurs fois au domicile de Patrick pour le rencontrer Le jeune
garccedilon dispose drsquoune chambre en haut drsquoun escalier et les intervenantes
parlementent plusieurs fois derriegravere la porte pour le faire sortir ce qui
semble laquo anormal raquo aux membres de la famille Par ailleurs Patrick ratera
de nombreux rendez-vous avec lrsquoeacuteducatrice et refusera entre autres de
travailler avec cette derniegravere sur la situation familiale laquo Alors jrsquoavais proposeacutedrsquoautres choses que lrsquoeacutecole [hellip] Mais non crsquoeacutetait non non non non non [hellip]
trois jours apregraves jrsquoavais pris un rendez-vous pour la journeacutee portes ouvertes delrsquoapprentissage en geacuteneacuteral il nrsquoeacutetait pas lagrave Je nrsquoai rien fait rien rien rien aveclui [hellip] crsquoest rarissime raquo
Patrick campe sur ses positions et tout se passe comme si plusieurs
adultes qursquoils soient de sa famille ou exteacuterieurs tentaient de le convaincre
de reprendre une scolariteacute alors qursquoaucune neacutecessiteacute eacuteconomique ou
autre ne le pousse agrave se mobiliser Sa megravere dit elle-mecircme qursquoelle est obli-
geacutee de le nourrir et qursquoelle est deacutepasseacutee par la situation Patrick semble
prendre exemple sur les violences exerceacutees par son pegravere et son fregravere aicircneacute
dans leur propre famille et agrave son eacutegard en les reportant aujourdrsquohui sur
sa megravere pour la faire ceacuteder Ce renversement de situation lrsquoadolescent
balayant lrsquoautoriteacute chancelante de sa megravere pour prendre le pouvoir est
renforceacutee par la logique de bande dans laquelle il est engageacute elle forme
sa reacutefeacuterence principale avant sa famille
Cette reacutefeacuterence primordiale est drsquoailleurs remarqueacutee par les membres
de la famille sa megravere en particulier qui srsquoinquiegravete de lrsquoinfluence des
copains sur son fils et de leurs trajectoires plusieurs drsquoentre eux sont
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150 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
incarceacutereacutes au quartier des mineurs agrave Fleury-Meacuterogis15 situation banaliseacutee
par Patrick qui dit souhaiter ecirctre avec eux plutocirct qursquoagrave Roubaix Quant au
parcours scolaire il en eacutetait deacutejagrave eacuteloigneacute lors de son deacutemeacutenagement
lrsquoanneacutee de sixiegraveme ayant drsquoailleurs eacuteteacute tregraves perturbeacutee au dire du principal
du collegravege de banlieue parisienne La fonction de lrsquoeacutecole est assez utilitaire
dans cette famille ougrave les eacutetudes longues ne sont pas une norme Le grand
fregravere de Patrick lui a drsquoailleurs conseilleacute de faire laquo profil bas raquo en attendant
la fin de la troisiegraveme et une formation en apprentissage Sa sœur aicircneacutee
acircgeacutee de 19 ans a arrecircteacute ses eacutetudes agrave 16 ans Elle est megravere drsquoun beacutebeacute drsquoun
an et a suivi sa megravere dans le Nord Elle se rend reacuteguliegraverement en reacutegion
parisienne pour rencontrer le pegravere de lrsquoenfant avec lequel elle a eu un
temps le projet de prendre un appartement Son jeune fregravere a alors
formuleacute le souhait de venir srsquoinstaller avec eux agrave deacutefaut de forcer sa megravere
agrave redeacutemeacutenager
La situation eacutetait bloqueacutee en juin 2001 Patrick refusant de rencon-
trer les intervenants sociaux qui se preacutesentent au domicile Lrsquoeacuteducatrice
prend alors la deacutecision drsquoun signalement au juge assorti drsquoune proposi-
tion de placement consideacuterant que les rocircles familiaux sont quasi inverseacutes
entre la megravere et son fils lesquels sont aussi laquo en danger raquo lrsquoun que lrsquoautre
Patrick quitte Roubaix dans le courant de lrsquoeacuteteacute et drsquoapregraves lrsquoeacuteducatrice
retourne chez son fregravere pour eacutechapper au placement avec lrsquoaccord de sa
megravere Au mois de septembre 2001 cette derniegravere fait parvenir au collegravege
de Roubaix une attestation indiquant que lrsquoadolescent est confieacute agrave sa sœur
et habite avec elle en reacutegion parisienne Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2002 la
sœur enceinte de son deuxiegraveme enfant est de retour agrave Roubaix dans
lrsquoappartement familial Patrick restant en reacutegion parisienne Il nrsquoa repris
agrave ce jour aucune scolariteacute
Se conjuguent ici une probleacutematique scolaire avec un niveau scolaire
tregraves bas et une non-perception des eacutetudes comme porteuses de projet
professionnel une logique deacutelinquante marqueacutee par une preacutedominance
du groupe des pairs et une sociabiliteacute juveacutenile deacutejagrave enclaveacutee une absence
de controcircle familial et parental lieacutee aux difficulteacutes de chaque membre de
la famille et agrave lrsquoeacutequilibre preacutecaire des relations agrave lrsquoimage de la preacutecariteacute
des ressources et des incertitudes qui jalonnent le quotidien Les injonc-
tions de lrsquoeacutetablissement scolaire nrsquoont aucune prise sur la famille qui le
tient en piegravetre estime (aucune aide veacuteritable ne lui est reconnue) et a
fortiori sur le jeune qui eacutevolue dans un autre systegraveme de reacutefeacuterences La
famille redoute en mecircme temps les deacutecisions comme un placement qui
enteacuterineraient lrsquoabsence de controcircle de sa part sur lrsquoadolescent
15 Maison drsquoarrecirct en banlieue Sud de Paris
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 151
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CONCLUSION
Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale autour des situations de deacutescolarisation on note
une pluraliteacute drsquointervenants qui se coordonnent peu voire ne se connaissent
pas et travaillent dans des optiques diffeacuterentes retour en classe travail
autour de la famille perspective drsquoun placement stage preacutequalifianthellip Les
uns et les autres attribuant agrave des sources diffeacuterentes les causes des difficul-
teacutes eacuteprouveacutees par le jeune ou causeacutees par lui sources consideacutereacutees en geacuteneacute-
ral comme exteacuterieures agrave leur propre action Chaque partie (famille jeunes
agents institutionnels) eacutevolue dans une logique qui lui est propre meacutecon-
nue de lrsquoautre partie La perspective drsquoeacutetudes geacuteneacuterales suivies sans succegraves
dans un contexte disciplinaire veacutecu comme conflictuel par les eacutelegraveves et
leurs professeurs incite agrave laquo chercher du travail raquo rapidement et agrave aban-
donner un cursus scolaire qui apparaicirct inutile et constamment frustrant
en tentant de passer immeacutediatement agrave un statut laquo adulte raquo (recherche
drsquoemploi ou prise de deacutecision autonome entre autres) dans un contexte
eacuteconomique marqueacute par la preacutecariteacute chez les cateacutegories sociales les moins
armeacutees sur le marcheacute de lrsquoemploi Mais lrsquoabsence de perspectives profes-
sionnelles et de possibiliteacutes de formation pour de tregraves jeunes garccedilons et
filles non qualifieacutes rend aleacuteatoires ces solutions alternatives fragilisent les
eacutequilibres familiaux et exposent les adolescents aux risques drsquoisolement
de repli sur soi ou de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes deacutelinquantes
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LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES
Lrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche
biographique
C
EacuteCILE
C
ARRA
CESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
La deacutelinquance juveacutenile apparaicirct en France comme un veacuteritable problegraveme
de socieacuteteacute preuve en serait lrsquoeacutevolution des statistiques officielles Ce
pheacutenomegravene suscite une profusion de discours de mises en garde de
recommandations Il occupe une place privileacutegieacutee dans le deacutebat politique
les meacutedias les colloques les discours ordinaires La deacutelinquance juveacutenile
est donc un sujet massivement traiteacute sur la scegravene publique Pour autant
sait-on qui sont ces laquo jeunes raquo au centre des deacutebats tout comme de lrsquoatten-
tion judiciaire Que connaicirct-on preacuteciseacutement de leur comportement et de
leurs motivations Qursquoen est-il de leurs familles qui tendent agrave ecirctre deacutesi-
gneacutees comme seules responsables de leurs actes (Mucchielli 2000) Quels
sont les effets du suivi judiciaire sur ces jeunes et sur leur famille Nom-
breux sont les travaux scientifiques franccedilais sur la deacutelinquance juveacutenile
mais ils portent davantage sur le systegraveme de prise en charge que sur les
populations suivies Selon Renouard (1995) la recherche franccedilaise a
mecircme deacutelaisseacute ce champ drsquoinvestigation
Cette orientation traditionnelle drsquoune partie de la recherche fran-
ccedilaise srsquoexplique notamment par des raisons de meacutethode ndash absence de
donneacutees disponibles difficulteacutes drsquoaccegraves au terrain Ceux qui srsquoy sont
essayeacutes savent combien il est difficile drsquoapprocher ces populations combien
lrsquoimmersion dans leur milieu de vie est longue et ardue Entrer en contact
se faire accepter connaicirctre leur milieu de vie sont pourtant des conditions
si ce nrsquoest suffisantes du moins incontournables pour tenter de comprendre
laquo de lrsquointeacuterieur raquo comment se constitue cette deacutelinquance qui apparaicirct
dans lrsquoactualiteacute sous la forme de laquo bandes de jeunes raquo et de laquo quartiers
sensibles raquo ces cateacutegories constituant le prisme agrave travers lequel la deacutelin-
quance juveacutenile est communeacutement appreacutehendeacutee Il ne srsquoagit donc pas ici
de traiter de la deacutelinquance en geacuteneacuteral mais de celle des mineurs issus
de milieux populaires dont les familles reacutesident dans des zones stigma-
tiseacutees Le questionnement poseacute les reacutesultats ne prendront sens qursquoen les
resituant dans ce cadre ce contexte speacutecifique
La citeacute des laquo 804 raquo quartier populaire drsquoune ville de moyenne impor-
tance de lrsquoEst de la France est qualifieacutee par les meacutedias de laquo zone de non-
droit raquo Parmi ses 1200 habitants nombreux sont ceux qui vivent ce lieu
comme inseacutecure et stigmatisant de nombreuses opeacuterations conduites
notamment dans le cadre de la Politique de la Ville tentent de changer
cette image Si les causes et les solutions proposeacutees par les diverses cateacute-
gories drsquoacteurs sont diffeacuterentes voire opposeacutees tous sont unanimes pour
deacutesigner les jeunes de la citeacute comme eacutetant les principaux responsables des
problegravemes locaux Ce sont certains de ces jeunes qui sont au centre de
cette recherche Ils ont comme point commun drsquoavoir appartenu agrave un
mecircme groupe de pairs ayant pris aux yeux des habitants et des acteurs
institutionnels la forme souterraine et dangereuse drsquoune bande Ces jeunes
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ont par ailleurs tous eacuteteacute condamneacutes par la justice des mineurs et suivis
dans le cadre du service eacuteducatif aupregraves du tribunal (SEAT)
1
Les carac-
teacuteristiques socioeacuteconomiques de ces enquecircteacutes correspondent agrave celles des
mineurs suivis au peacutenal par le SEAT fils drsquoouvriers ou de chocircmeurs dont
lrsquoacircge est compris entre 16 et 21 ans releacutegueacutes sur le plan socioscolaire
(enseignement et institutions speacutecialiseacutes) et professionnel (chocircmage dis-
positif drsquoinsertion)
Traiter de la deacutelinquance juveacutenile en prenant pour population des
jeunes habitant qui plus est dans des quartiers dits sensibles neacutecessite
quelques preacutecautions Toute deacutelinquance nrsquoest pas le fait de laquo jeunes raquo
tout jeune deacutelinquant nrsquohabite pas dans un quartier populaire tout quar-
tier populaire ne geacutenegravere pas de la deacutelinquance Rappelons avec Bachmann
(1994) que laquo Pas plus que les jeunes les ldquoquartiersrdquo ne sont un objet
scientifique construit raquo Dans ce domaine toute geacuteneacuteralisation est men-
songegravere Telle banlieue est calme et paisible telle autre est une chaudiegravere
sous pression Il est donc aberrant de chercher lagrave un principe unificateur
permettant de cerner agrave lui seul lrsquoensemble des conduites des jeunes
de banlieues
61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE
LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES
Parmi les principales perspectives theacuteoriques de la deacutelinquance juveacutenile
certaines utilisent questionnaires et entretiens preacuteconstruits et preacutecodeacutes
pour objectiver le deacutelinquant en tendant agrave lrsquoenfermer dans une seacuterie de
facteurs laquo biopsychosocioculturels raquo drsquoautres centrent leur attention sur
le fonctionnement des institutions consideacuterant le plus souvent le deacutelin-
quant comme une laquo cire molle faccedilonneacutee par le jeu des structures raquo (Dubet
1987) Comment alors appreacutehender lrsquoacteur ses pratiques et le sens qursquoil
leur donne Comment comprendre la constitution de son parcours
Lrsquoapproche biographique redeacutecouverte en France gracircce aux travaux
de Bertaux (1980) apparaicirct comme lrsquoune des deacutemarches les plus perti-
nentes pour pouvoir reacutepondre agrave ce type de questionnement Suivre la
transformation progressive des attitudes face aux eacuteveacutenements auxquels il
se confronte et acceacuteder agrave une expeacuterience sociale laquo vue de lrsquointeacuterieur raquo laquo agrave
la deacutefinition de la situation raquo par lrsquoacteur lui-mecircme tel est lrsquoobjectif de
cette recherche agrave lrsquoinstar de ce qui est devenu le souci central de la
1 Ce service a pour mission principale la mise en œuvre des deacutecisions de justice au titrede lrsquoenfance deacutelinquante il deacutepend de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
perspective interactionniste (de Queiroz 1994)
2
Il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexpeacute-
rience subjective de lrsquoindividu expeacuterience conccedilue ici comme la reacutesultante
drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions eacutetant agrave penser
comme un processus de neacutegociation Ce processus loin drsquoecirctre lineacuteaire
est au contraire ponctueacute de laquo passages statutaires raquo marqueacute par des
laquo accidents biographiques raquo qui creacuteent des ruptures (lrsquoexclusion scolaire
une condamnationhellip)
Le point de vue de lrsquoacteur bien qursquoimportant ne suffit pas pour
comprendre globalement une situation encore faut-il le replacer au sein
des rapports sociaux ce point de vue eacutetant dans une certaine mesure la
reacutesultante drsquoun reacuteseau interrelationnel lui-mecircme inseacutereacute dans une socieacuteteacute
ineacutegalitaire Autrement dit ce point de vue est ici consideacutereacute comme sinon
le reflet du moins la reacutesultante ou la maniegravere de reacuteagir agrave une histoire qui
srsquoest constitueacutee dans et agrave travers le social Pour rejoindre Balandier (1983)
lrsquolaquo objectif [ de la biographie ] est drsquoacceacuteder [ par lrsquointeacuterieur ] agrave une reacutealiteacute
qui deacutepasse le narrateur et le faccedilonne Il srsquoagit de saisir le veacutecu social le
sujet dans ses pratiques dans la maniegravere dont il neacutegocie les conditions
sociales qui lui sont particuliegraveres raquo
La dimension diachronique permet de comprendre comment lrsquoon
devient deacutelinquant laquo comment les habitudes les attitudes et la philoso-
phie de vie qui sous-tendent les actes deacutelinquants se sont construites pro-
gressivement agrave travers les expeacuteriences sociales successives du deacutelinquant
durant un certain nombre drsquoanneacutees raquo (Shaw 1931 p 13) Elle contribuera
agrave deacutemontrer que les actes deacutelinquants proviennent moins de processus
pathologiques que de processus normaux les individus se transforment
par eacutetapes successives agrave la suite des interrelations propres au milieu et
avec les autres et de laquo choix raquo successifs veacutecus par eux (Digneffe 1989)
Si cette deacutemarche deacutecoule plus drsquoun choix imposeacute par la speacutecificiteacute
du questionnement et de la probleacutematique de cette recherche que par des
preacutesupposeacutes ideacuteologiques et meacutethodologiques en faveur du laquo qualitatif raquo
et contre le laquo quantitatif raquo ces preacutesupposeacutes existent neacuteanmoins et doivent
ecirctre expliciteacutes Les deux principaux preacutesupposeacutes sur lesquels repose cette
approche consistent agrave reconnaicirctre lrsquoindividu comme un acteur ayant donc
une capaciteacute strateacutegique et son expeacuterience comme un savoir repreacutesentant
2 Notons avec ces auteurs que la notion de biographie est preacutesente dans le travail socio-logique degraves les deacutebuts de lrsquoEacutecole de Chicago sous la forme des laquo histoires de vie raquo Troisauteurs ont marqueacute la production de lrsquoEacutecole de Chicago par lrsquousage de documentsautobiographiques W Thomas et F Znaniecki (dans
The Polish Peasant in Europe andAmerica
Boston Bagder 1918) qui voient la biographie comme la meacutethode sociolo-gique par excellence pour connaicirctre la socieacuteteacute CR Shaw (dans
The Jack-Roller
ChicagoUniversity of Chicago Press 1931) et EH Sutherland (dans
The Professionnal Thief
Chicago University of Chicago Press 1937)
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de ce fait une valeur sociologique Si lrsquoindividu est un acteur dans le sens
ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passivement les effets
il est cependant conditionneacute par les structures sociales Produit des struc-
tures qursquoil contribue agrave produire voilagrave comment lrsquoindividu est conccedilu ici
La biographie permet de saisir cette double dimension de lrsquoindividu en
opeacuterant laquo la meacutediation de lrsquoacte agrave la structure de lrsquohistoire individuelle agrave
lrsquohistoire sociale en passant par un reacuteseau de meacutediations sociales qui sont
autant de lieux de tension entre individus et groupes sociaux placeacutes dans
des relations ineacutegalitaires et conflictuelles raquo (Ferrarotti 1990) Crsquoest lagrave que
reacuteside la valeur heuristique drsquoune telle approche
Srsquoappuyant sur la meacutethode biographique il srsquoagit de reconstituer le
processus de constitution de la deacutelinquance de chacun des six jeunes
individus qui ont accepteacute de participer agrave cette recherche Pour y parvenir
une soixantaine drsquoentretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec les jeunes leurs proches
(famille et pairs) et les professionnels qui ont eu agrave les suivre agrave un moment
donneacute (enseignants animateurs assistantes sociales eacuteducateurs magistrats)
drsquoautres donneacutees ont eacuteteacute extraites de documents institutionnels livrets et
bulletins scolaires dossiers de la mission locale ceux du centre drsquoorienta-
tion et drsquoaction eacuteducative (COAE) et du SEAT procegraves-verbaux dossiers
judiciaires
3
Lrsquoanalyse du mateacuteriau se rapportant agrave chacun des cas permet lrsquoiden-
tification de significations et de processus particuliers Leur comparaison
fait apparaicirctre des reacutecurrences des logiques drsquoaction semblables Leur
confrontation contribue agrave mettre au jour les configurations particuliegraveres
dans lesquelles ces logiques agissent Les donneacutees empiriques qui seront
restitueacutees mettent en eacutevidence de maniegravere archeacutetypique les meacutecanismes
agrave lrsquoœuvre dans le processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile Ils
renvoient de maniegravere transversale agrave deux dimensions ces deux dimen-
sions eacutetant eacutetroitement imbriqueacutees la construction identitaire de ces
mineurs les renvoyant agrave leur place au sein des rapports sociaux
3 Parvenir agrave associer les professionnels de la gestion de la deacuteviance a reacutesulteacute drsquoun pro-cessus long et complexe drsquointeractions entre des personnes qui avaient des inteacuterecirctsdivergents agrave la reacutealisation de ce travail agrave la connaissance qursquoil apporterait agrave la diffusionqui en serait faite Lrsquoaccegraves au terrain implique en effet le deacutevoilement de savoirs surdes populations savoirs qui sont sources de pouvoirs (voir plus loin la note 6 Quellesconseacutequences aurait cette divulgation de savoirs sur leurs pouvoirs pouvoirs de traite-ment de cateacutegories entiegraveres de la population Quelles conseacutequences aurait cette recher-che sur la repreacutesentation leacutegitime de la deacuteviance et de son traitement que chaqueinstitution tente drsquoimposer )
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62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute DE DEacuteLINQUANT
Agrave TRAVERS LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE
Lrsquoanalyse deacuteveloppeacutee ici ne rend pas compte de lrsquointeacutegraliteacute des meacutecanismes
de la deacutelinquance juveacutenile mais plutocirct drsquoun pheacutenomegravene preacutecis la cocons-
truction de lrsquoidentiteacute de deacutelinquant agrave travers la prise en charge institution-
nelle
4
Lrsquohistoire de vie de Slimane
5
et celle de Farid mettent en eacutevidence
le rocircle que peuvent jouer les reacutegulations institutionnelles dans le renfor-
cement du processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile et dans
la reproduction intrageacuteneacuterationnelle de ce pheacutenomegravene Ces effets srsquoils
ont pu ecirctre repeacutereacutes ici ne sont pas automatiques comme le montrent les
autres histoires de vie La probabiliteacute qursquoils se produisent est cependant
drsquoautant plus grande que le suivi judiciaire srsquoinscrit dans des configura-
tions particuliegraveres (spatiales familiales sociales eacuteconomiques et culturelles)
Lrsquohistoire de vie de Kamel montre ainsi le rocircle des reacutegulations sociales
geacuteneacuterales ndash par opposition aux reacutegulations speacutecialiseacutees dans la gestion de
la deacuteviance ndash dans la preacuteformation drsquoidentiteacutes neacutegatives et dans la
preacuteconstruction de parcours deacutelinquants
63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT
Agrave 16 ans Slimane est incarceacutereacute pour la premiegravere fois Quelques mois plus tard
il est condamneacute agrave sept ans drsquoemprisonnement Comment expliquer le ren-
forcement du processus de constitution de la deacutelinquance du mineur alors
que le suivi institutionnel sera drsquoanneacutee en anneacutee de plus en plus important
631 D
E
LA
CONSTRUCTION
D
rsquo
UN
PARCOURS
DE
DEacuteLINQUANT
hellip
Agrave 12 ans Slimane comparaicirct pour la premiegravere fois pour vol devant un
juge des enfants Il est reconnu coupable Le processus formel de consti-
tution de la deacutelinquance juveacutenile vient de srsquoenclencher
6
Non seulement
il ne srsquoarrecirctera plus mais il ne cessera de se renforcer Se succegravedent alors
4 Lrsquoeacutetude des autres dimensions qui interviennent dans la construction de parcours deacutelin-quants notamment le rocircle de la famille des pairs et des habitants est deacuteveloppeacuteeailleurs C Carra
Deacutelinquance juveacutenile et quartiers laquo sensibles raquo histoires de vie
ParisLrsquoHarmattan coll laquo Deacuteviance et Socieacuteteacute raquo 2001
5 Les preacutenoms sont fictifs mais ils tiennent compte de lrsquoorigine culturelle des enquecircteacutes
6 Comme dans Chamboredon (1971) est ici distingueacute le processus informel de constitu-tion de la deacutelinquance juveacutenile du processus formel Le processus deacutebute de maniegravereinformelle dans lrsquoentourage du jeune (voisinage eacutecolehellip) qui le met progressivementagrave lrsquoeacutecart et le deacutesigne au soupccedilon des institutions de reacutepression de la deacutelinquance puisil se poursuit de faccedilon formelle avec les diverses institutions chargeacutees de deacutetecter jugerpunir et amender les jeunes deacutelinquants La police joue un rocircle central dans le passagede lrsquoun agrave lrsquoautre en intervenant agrave la suite de lrsquoinfraction et en la qualifiant
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infractions arrestations comparutions jugements condamnations Les
mesures judiciaires se succegravedent des mesures drsquoaction eacuteducative en milieu
ouvert agrave des peines drsquoemprisonnement en passant par la simple admones-
tation des placements en foyer de lrsquoenfance et en centre eacuteducatif des
peines drsquoemprisonnement avec sursis assorties ou pas drsquoune mise agrave
lrsquoeacutepreuve des mesures de liberteacute surveilleacutee
Cet itineacuteraire est marqueacute agrave la fois par des faits judiciairement deacutefinis
(vols simples vols avec effraction vols avec effraction et deacutegradations
volontaires vols avec effraction et reacuteunionhellip) et par une peacuteriodisation des
reacuteponses institutionnelles ougrave trois phases peuvent se distinguer une
peacuteriode de simple admonestation et de mesures eacuteducatives en milieu
ouvert une peacuteriode de placements eacuteducatifs et une peacuteriode drsquoincarceacutera-
tions Une telle gradation dans les pratiques institutionnelles agrave partir du
moment ougrave la police intervient et institue le mineur en tant que deacutelin-
quant en le deacutefeacuterant agrave lrsquoinstance judiciaire constitue lrsquoune des principales
caracteacuteristiques des parcours des mineurs multireacutecidivistes (Leacuteomant et
Sotteau-Leacuteomant 1987)
Cette trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation des mesures et par la
prise en charge institutionnelle de plus en plus totale apparaicirct comme
une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances de passer drsquoun
degreacute agrave lrsquoautre sans cesse rappeleacutees par les mises en garde des diffeacuterents
professionnels laquo
Agrave force agrave force tu vas pas aller tregraves loin
raquo dit Slimane para-
phrasant le discours du juge des enfants Les placements dont il fait lrsquoobjet
sont cependant loin drsquoecirctre banaliseacutes par le mineur
ndash
Je suis resteacute
[au centre eacuteducatif]
enfin deux ans Mais sur deux ansje suis pas resteacute deux ans je fuguais beaucoup je partais beaucoup
ndash Pourquoi tu partais
ndash
Comme ccedila parce que jrsquoen avais marre Ccedila mrsquoarrivait drsquoavoir le cafardhellipCrsquoest lrsquoentourage crsquoest lrsquoentourage que jrsquoaime pas et puishellip Je savais quecrsquoeacutetait pas un lieu ougrave je devais me trouver
Pour autant le mineur semble avoir inteacuterioriseacute lrsquoavenir auquel il
paraicirct promis laquo
De toute maniegravere je sais que crsquoest sucircr que je vais tomber dans letrou
7
raquo dit-il Une telle trajectoire influe sur lrsquoimage que lrsquoindividu a de
lui-mecircme et de ses perspectives drsquoavenir
Agrave la diffeacuterence drsquoune seacuterie de places ou de statuts deacutepourvus delien les statuts ordonneacutes drsquoune carriegravere influencent profondeacutementla repreacutesentation qursquoun individu a de lui-mecircme et particuliegraverementpar lrsquoavenir objectiveacute que repreacutesentent les statuts auxquels il est
7 Il nrsquoa alors encore jamais eacuteteacute incarceacutereacute
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
ou laquo paraicirct raquo promis La carriegravere deacutelinquante existe comme uneseacuterie drsquoeacutetablissements et de situations juridiques qui marquent desdegreacutes de deacutelinquance nettement deacutefinis dont lrsquoobjectivation estdrsquoautant plus complegravete et inscrite dans des traitements et deseacutetablissements deacutetermineacutes que lrsquoon se situe plus loin de la pre-miegravere eacutetape celle qui ne comporte qursquoune instruction rapide etse termine par une simple admonestation avec remise agrave la famille(Chamberodon 1971 p 371)
Les chances de passer drsquoun degreacute agrave un autre augmentent au fur et
agrave mesure que lrsquoon avance dans cette carriegravere Avec les placements se
multiplient les occasions drsquoentraicircnement et drsquoapprentissage au contact de
deacutelinquants plus expeacuterimenteacutes
[hellip]
quand je suis rentreacute
[au centre eacuteducatif]
ils croyaient enfin mesparents que je sortirais peut-ecirctre pas bien bien mais peut-ecirctre que jrsquoauraisappris un peu quelque chosehellip mais en fait je suis sorti jrsquoeacutetais pire quelagrave-bas parce que crsquoest pareil ils nous mettent tous ensemble on se retrouvelagrave-bas ils sont tous dans le mecircme cas que moi et puis on est encoreensemble crsquoeacutetait comme qursquoon eacutetait crsquoest pareil on se fait des copains crsquoesttoujours pareil on volait lagrave-bas
(Slimane)
Srsquoaccroissent simultaneacutement la surveillance et la seacuteveacuteriteacute du systegraveme
de justice peacutenale Les incarceacuterations se preacutesentent comme une conseacute-
quence du parcours qui preacutecegravede le mineur tout en semblant sans cesse le
devancer Ce parcours prend la forme drsquoune veacuteritable carriegravere de deacutelin-
quant ndash au sens de Becker (1963) ndash et ce malgreacute un appareillage institu-
tionnel du mineur et de sa famille de plus en plus important dont lrsquoobjectif
annonceacute est de mettre fin agrave une telle carriegravere
Dire avec Foucault (1975) que laquo [le] deacutelinquant est un produit drsquoins-
titution Inutile par conseacutequent de srsquoeacutetonner que dans une proportion
consideacuterable la biographie des condamneacutes passe par tous ces meacutecanismes
et eacutetablissements dont on feint de croire qursquoils eacutetaient destineacutes agrave eacuteviter la
prison raquo crsquoest reconnaicirctre qursquoil existe des tendances lourdes La trajectoire
de Slimane est caracteacuteristique des trajectoires types qui conduisent les
individus depuis les niveaux drsquoinclusion repreacutesenteacutes par les groupes pri-
maires vers les agences speacutecialiseacutees eacutemanant du pouvoir drsquoEacutetat et cela agrave
travers un certain nombre drsquoordres intermeacutediaires qui balisent de faccedilon
systeacutematique ce type de trajet
Le parcours du mineur nrsquoest pas pour autant la reacutesultante drsquoune
volonteacute partageacutee entre les diffeacuterents intervenants institutionnels Multiples
sont leurs logiques drsquoaction Conflictuelles peuvent ecirctre les interactions
[hellip]
il a eacuteteacute mis en examen et crsquoest lagrave donc ougrave avec Mme L
[juge desenfants]
on a reacuteclameacute la mise en deacutetention Moi je ne parlais pas demise en deacutetention je parlais de coup de semonce parce qursquoil fallait qursquoil
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arrecircte de nous prendre pourhellip pour des rigolos
[hellip]
Le problegraveme crsquoestqursquoon srsquoest trouveacute devant un juge deacuteleacutegueacute qui a dit de toute faccedilon a priorije ne mets pas des mineurs de 16 ans en maison drsquoarrecirct mais de toutefaccedilon crsquoest un gosse Donc voyant ccedila Slimane de toute faccedilon ahellip a joueacuteson va-tout (eacuteducateur du SEAT)
Conflits de pratiques qui se justifient les unes par la connaissance
du laquo cas raquo les autres par le respect de la politique peacutenale conflits aussi de
pouvoir entre professionnels occupant une position hieacuterarchique diffeacuterente
au sein de lrsquoinstitution judiciaire mais aussi confrontation de temporaliteacutes
diffeacuterentes logique du court terme pour lrsquoeacuteducateur qui doit agir rapide-
ment lorsqursquoun problegraveme se preacutesente logique du moyen et du long terme
pour le juge qui entend faire respecter lrsquoorientation de la politique peacutenale
Ces temporaliteacutes diffeacuterentes rendent difficile une coordination des actions
drsquoautant plus difficile que ces actions impliquent non seulement des pra-
tiques diversifieacutees mais aussi une vision du monde diffeacuterente un systegraveme
de repreacutesentations divergent Crsquoest ce qui explique aussi que des reacuteponses
contradictoires sont proposeacutees par les professionnels de terrain contra-
dictions si souvent releveacutees par ces mecircmes professionnels
Cette difficulteacute de travailler ensemble paraicirct aussi attibuable au poids
des enjeux de pouvoir Comment comprendre autrement la reacuteticence agrave
eacutechanger les savoirs entre acteurs savoirs accumuleacutes sur les mecircmes
publics issus des mecircmes terrains Lrsquoexplication qursquoen donnent certains
est la parcellarisation des connaissances et leur destination agrave usage interne
Drsquoautres en appellent au devoir de reacuteserve au secret professionnel ou
deacuteontologique Le secret dit Enriquez (1983) est consubstantiel au savoir
et comme Foucault (1975) le montre le savoir est correacutelatif du pouvoir
dans notre type de socieacuteteacute
8
Derriegravere le secret professionnel ou deacuteontolo-
gique il peut srsquoagir moins de laquo proteacuteger raquo des publics en refusant de divul-
guer le savoir que lrsquoon a accumuleacute sur eux que de proteacuteger sa position
dans le champ protection qui passe par la reacutetention de savoirs speacutecifiques
et sur lesquels se fonde le pouvoir des acteurs
Certains invoqueront lrsquoatomisation des publics en fonctions colleacute-
giens jeunes en difficulteacute deacutelinquants juveacutenileshellip Cette atomisation des
publics en fonctions ou plutocirct cette cateacutegorisation constitue la base sur
laquelle repose la leacutegitimiteacute drsquointervention des institutions et associations
Elle permet le partage entre les diffeacuterentes organisations du mecircme public
consideacutereacute comme une clientegravele speacutecifique Crsquoest aussi ce qui permet agrave une
8 Foucault (1975 p 32) explique en effet laquo qursquoil nrsquoy a pas de relation de pouvoir sansconstitution correacutelative drsquoun champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et constitueen mecircme temps des relations de pouvoir raquo
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multitude drsquoinstitutions drsquointervenir aupregraves drsquoune mecircme famille Dans la
citeacute des laquo 804 raquo la concurrence pour controcircler le marcheacute est drsquoautant plus
vive entre les professionnels qursquoils sont de plus en plus nombreux agrave exercer
en ce lieu
Ces temporaliteacutes institutionnelles srsquoopposent aussi agrave la temporaliteacute
propre des mineurs pris en charge celle du moment qui refuse laquo la pro-
messe des plaisirs diffeacutereacutes et diffeacuterents en eacutechange du renoncement immeacute-
diat agrave des plaisirs directement ou immeacutediatement sensibles raquo (Bourdieu
1972 p 209) Opposition entre la logique institutionnelle de la continuiteacute
et la logique individuelle de la discontinuiteacute Cette logique du mineur
constitue pour les professionnels la principale cause de lrsquoeacutechec de la prise
en charge Le jeune est resteacute selon eux laquo
insaisissable
raquo toujours laquo
opposeacute
raquo
agrave leurs actions pour reprendre des termes qui traduisent le mieux
lrsquoimpression qui leur reste de Slimane Crsquoest drsquoailleurs parce que les pro-
fessionnels ne reacuteussissent pas agrave imposer la temporaliteacute qui caracteacuterise leur
institution que la prison leur apparaicirctra finalement comme la meilleure
solution pour parvenir agrave imposer un autre temps au mineur en lrsquooccurrence
le temps carceacuteral auquel il est difficile drsquoeacutechapper
Ces logiques individuelles professionnelles institutionnelles de
lrsquourgence du court moyen et long terme de la discontinuiteacute et de la
continuiteacute sous-tendues par des pratiques et des repreacutesentations speacuteci-
fiques recouvrant elles-mecircmes des enjeux divergents se croisent srsquoentre-
croisent se confrontent srsquoaffrontent pour creacuteer finalement la trajectoire
judiciaire de Slimane Cette trajectoire srsquoancre dans une repreacutesentation
partageacutee par les diffeacuterentes cateacutegories de professionnels de la personnaliteacute
du mineur une personnaliteacute deacutelinquantehellip
632 hellip
Agrave
CELLE
D
rsquo
UNE
PERSONNALITEacute
DEacuteLINQUANTE
Ce nrsquoest pas seulement un itineacuteraire de deacutelinquant qui se construit de
renvoi en renvoi crsquoest aussi une personnaliteacute de deacutelinquant qui srsquoeacutelabore
de discours en discours Les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de
la deacutelinquance (eacuteducateurs speacutecialiseacutes eacuteducateurs de justice psychiatres
juges des enfants) srsquoaccordent unanimement agrave reconnaicirctre agrave Slimane une
personnaliteacute deacutelinquante personnaliteacute que chacun drsquoentre eux contribue
agrave constituer Cette eacutelaboration srsquoeffectue selon une double logique drsquoune
part la reconstruction du passeacute du mineur en fonction de ses derniers
passages agrave lrsquoacte les faits seacutelectionneacutes en conseacutequence constituant des
indices reacuteveacutelateurs drsquoune deacutelinquance anteacuterieure voire originelle (Kitsuse
[1962] parle drsquointerpreacutetation reacutetrospective ce pheacutenomegravene correspondant
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agrave un meacutecanisme de renforcement de lrsquoeacutetiquetage des deacuteviants) drsquoautre
part la reacutealisation drsquoun portrait de deacutelinquant par reacutetreacutecissement des attri-
buts pour se reacuteduire finalement et uniquement agrave lrsquoattribut de deacutelinquant
Si tout passeacute semble se reconstruire agrave la lumiegravere du preacutesent et donc
des derniers faits lrsquoeacutelaboration drsquoun portrait est drsquoautant plus caricatural
que les faits consideacutereacutes repreacutesentent des transgressions aux normes domi-
nantes Certains attributs ont un poids deacuteterminant dans la deacutefinition drsquoun
individu Crsquoest le cas de laquo voleur raquo laquo ldquoVoleurrdquo eacutelimine ou reacutetreacutecit tous les
attributs de lrsquohomme Une eacutetiquette antisociale simplifie le portrait de
lrsquoindividu en traitant quelqursquoun de voleur vous reacuteduisez agrave lrsquoinsignifiance
les autres rocircles et attributs qursquoil pourrait avoir excepteacute celui drsquoecirctre voleur raquo
(Shoham 1968 p 385) Si la personne a eacuteteacute condamneacutee on preacutesume en
outre qursquoelle est susceptible de commettre drsquoautres infractions
Lrsquoeacutelaboration drsquoune personnaliteacute de deacutelinquant selon ce processus
de reconstruction drsquoune vie apporte une coheacuterence agrave un ensemble de
discours qui nrsquoest pas coheacuterent La comparaison des discours des profes-
sionnels sur lrsquointerpreacutetation du comportement deacuteviant de Slimane montre
des divergences voire des oppositions pathologie pour lrsquoassistante
sociale mode de vie deacutelinquant des parents pour lrsquoeacuteducateur speacutecialiseacute
pegravere violent et megravere surprotectrice pour lrsquoeacuteducateur du SEAT
9
Si crsquoest au niveau de lrsquoeacutetiologie de la deacutelinquance juveacutenile que les
oppositions semblent les plus eacutevidentes tous srsquoentendent cependant tout
en contribuant agrave sa construction sur le caractegravere deacutelinquant de Slimane
ce qui permet simultaneacutement de diminuer les oppositions entre les diffeacute-
rentes approches et drsquoobtenir un portrait apparemment coheacuterent du
mineur Cette coheacuterence reacutesulte donc moins des discours que du produit
qui en reacutesulte ndash un portrait de deacutelinquant Se constitue ainsi le steacutereacuteotype
du deacutelinquant steacutereacuteotype selon lequel Slimane est traiteacute et ce drsquoautant
plus leacutegitimement que ce steacutereacuteotype est la reacutesultante de discours drsquoauto-
riteacute autoriteacute baseacutee agrave la fois sur la leacutegitimiteacute des intervenants ndash des speacutecia-
listes de la deacutelinquance ndash et sur la leacutegitimiteacute de leur discours ndash discours
drsquoexperts agrave preacutetention scientifique (Bourdieu 1982)
633 Lrsquo
INTEacuteRIORISATION
D
rsquo
UN
DESTIN
DE
DEacuteLINQUANT
ET SON ACTUALISATION
Les effets de trajectoire se conjuguent avec les effets propres des discours
que tiennent les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelin-
quance sur Slimane Crsquoest en reprenant ces discours que le mineur parle
9 Notons que cette diffeacuterence drsquointerpreacutetation se traduit par des pratiques opposeacutees pourle laquo traiter raquo
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de lui ou plus exactement laquo est parleacute raquo Si ce meacutecanisme est reacuteveacutelateur
drsquoun rapport de domination il fait aussi apparaicirctre lrsquointeacuteriorisation de ce
rapport de domination comme eacutetant leacutegitime lrsquointeacuteriorisation de lrsquoimage
qui reacutesulte de ce rapport de domination donnant lrsquoimage de deacutelinquant
par laquelle le mineur se deacutefinit
ndash Et pourquoi tu as eacuteteacute placeacute
ndash
Pour la deacutelinquance Jrsquoeacutetais deacutelinquant Et agrave force agrave force ils mrsquoontplaceacute dans un centre
Lrsquoeffet drsquoimposition de cette deacutefinition est drsquoautant plus grand que
la classe sociale drsquoappartenance de Slimane (la classe ouvriegravere) doubleacutee
de son origine ethnique (arabe) et de son acircge (adolescence) le fait appar-
tenir agrave des cateacutegories marginaliseacutees et assisteacutees deacuteviantes et surveilleacutees
laquo En toute probabiliteacute la reacuteceptiviteacute du deacuteviant criminel primaire au rocircle
de criminel qursquoon lui impute est plus grande quand la conception de soi
qursquoa deacutejagrave lrsquoindividu est dicteacutee par une deacutefinition sociale plus large de son
statut et de sa classe comme sociopathique raquo (Lemert 1951 p 318) Neacutean-
moins Slimane ne constitue pas une cible passive du traitement institu-
tionnel et de la stigmatisation qui en deacutecoulehellip passiviteacute agrave quoi auraient
eu tendance agrave le reacuteduire les thegraveses du controcircle social Multiples sont ses
reacuteponses de la reacutebellion agrave la provocation en passant par lrsquoutilisation du
systegraveme que lrsquointelligence qursquoil srsquoen est forgeacutee anneacutee apregraves anneacutee lui
permet de faire
La repreacutesentation que les adolescents forment drsquoeux-mecircmes est
cependant affecteacutee par leur passage dans le systegraveme de justice peacutenale
lrsquoimage de deacutelinquant leur est renvoyeacutee tout au long du processus drsquoins-
truction de jugement et de traitement Les mineurs de justice ont une
image plus deacutevaloriseacutee drsquoeux-mecircmes que les autres mineurs drsquoautant plus
deacutevaloriseacutee qursquoils sont plus engageacutes dans la deacutelinquance (Malewska-Peyre
1988) La prison contribue agrave lrsquoinstallation du jeune dans une image neacutega-
tive du deacutelinquant qui a transgresseacute la loi et qui est jugeacute indeacutesirable dans
la vie normale drsquoune socieacuteteacute Lrsquointeacuteriorisation drsquoune telle image favorise
la continuation de la deacutelinquance (Camilleri Karstersztein Lipiansky
Malewska-Peyre Taboada-Leonetti et Vasquez 1990) Lrsquoeacutetiquette de deacutelin-
quant contribue finalement agrave produire ce qursquoapparemment elle deacutecrit ou
deacutesigne Peut-on dire avec Shoham (1968 p 375) que laquo nommer appeler
deacutefinir eacutetiqueter ne simule pas la reacutealiteacute crsquoest la reacutealiteacute mecircme raquo La
modification de la repreacutesentation de la reacutealiteacute semble en tout cas pouvoir
entraicircner la modification de cette derniegravere par le meacutecanisme de reacutealisation
par les individus des preacutevisions drsquoautrui (
self-fulfilling prophecy
)
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Le mineur finit non seulement par inteacuterioriser le stigmate de deacutelin-
quant (
self-labelling
10
) mais de surcroicirct en fait son identiteacute lrsquoactualisant
dans son mode de vie ce qui se traduit concregravetement par son inteacutegration
agrave un groupe organiseacute de
dealers
Tout se passe en fait comme si lrsquoidentiteacute
prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stigmatisant de celle-ci
eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassumer ces stigmates en
les renforccedilant
[hellip]
il y a des garages souterrains aux laquo 408 raquo lagrave dans les grandsgarages et il y avait eu 25 ou 30 voitures de fractureacutees ils eacutetaient agrave cemoment-lagrave 4 ou 5 dedans et puis sur le capot de la voiture Slimane avaitbaisseacute son pantalon et fait ses besoins et ccedila ccedila avait eacuteteacute tregraves choquant
[hellip]
ccedila faisait partie drsquoun jeu du gendarme et du voleur Donc lui agrave cemoment-lagrave eacutetait un voleur et que il pouvait crsquoest lui de toute faccedilon quieacutetablissait les regravegles (eacuteducateur du SEAT)
Laisser ses excreacutements sur laquo le lieu du crime raquo tient effectivement de
la provocation comme drsquoailleurs vandaliser et cambrioler la Maison pour
tous (MPT) de la citeacute en plein jour au vu et au su de tous comme encore
fumer du haschisch devant les travailleurs sociaux Crsquoest la mecircme volonteacute
de transgresser les codes sociaux et de lrsquoafficher ouvertement Crsquoest prou-
ver qursquoon est capable drsquoendosser le rocircle de deacutelinquant et non seulement
drsquoentrer dans le jeu mais de le mener de la place qui est la sienne Le
Moi est ainsi entiteacute reacutefleacutechie pour reprendre les propos de
Berger et
Luckman (1989 p 181)
[hellip] reacutefleacutechissant les attitudes adopteacutees drsquoabord par les autressignificatifs Lrsquoindividu devient lrsquoimage que les autres significatifsse font de lui il ne srsquoagit pas drsquoun processus unilateacuteral meacutecaniqueIl existe une dialectique entre lrsquoidentification et lrsquoauto-identificationentre lrsquoidentiteacute objectivement attribueacutee et subjectivement approprieacutee
64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE
DE LA DEacuteLINQUANCE
Slimane est aujourdrsquohui en prison Son jeune fregravere doit comparaicirctre en
justice Comment comprendre la reproduction de parcours deacutelinquants
au sein drsquoune mecircme famille Comment expliquer que dans cette autre
famille celle de Farid par cinq fois de fregravere en fregravere se reproduit le
10 Les recherches sur le
labelling
qui ont eacuteteacute les plus importantes avec les travaux deBecker Lemert Goffman et Matza montrent que le
labelling
impose tout agrave la fois unrocircle de deacutelinquant agrave un individu et une conscience de lui-mecircme comme deacutelinquant
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processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile alors que chacun des
fregraveres sera laquo traiteacute raquo par un ensemble ndash de plus en plus important ndash de
professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelinquance Il ne srsquoagit
pas ici drsquoeacutetudier les strateacutegies eacuteducatives familiales face agrave la deacuteviance mais
drsquoanalyser ce que produit ici la confrontation des reacutegulations familiales et
institutionnelles sur les parcours des mineurs
641 DE LA DEacuteCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute FAMILIALEhellip
Les passages agrave lrsquoacte deacutelictueux leacutegitiment lrsquointervention de professionnels
au sein de la famille Leur travail doit permettre drsquoagir sur les causes des
comportements deacuteviants Ces causes sont rechercheacutees de maniegravere privileacute-
gieacutee dans le fonctionnement familial Y est souvent repeacutereacute un problegraveme
de limites que ces limites soient qualifieacutees de rigides ou de laxistes Les
reacutefeacuterents des mesures srsquoefforcent alors de donner des repegraveres de poser
des limites de laquo responsabiliser raquo les parents laquo de faire entendre raison raquo
aux mineurs La capaciteacute de poser les limites laquo adeacutequates raquo renvoie la
plupart du temps pour les travailleurs sociaux au rocircle et agrave la place de
chacun au sein de la famille ougrave ce travail de redeacutefinition induit un pro-
cessus de normalisation Il srsquoagit au mieux de faire adopter aux familles
les modegraveles dominants en matiegravere drsquoeacuteducation de rocircles parentaux de
place des enfants du moins de laquo faire prendre conscience raquo aux parents
que leur fonctionnement familial est dangereux pour le deacuteveloppement
de leurs enfants
Agrave travers la confrontation des reacutegulations institutionnelles et fami-
liales srsquoaffrontent ici deux modegraveles ndash modegravele reposant sur les normes
dominantes en matiegravere drsquoeacuteducation dans les classes moyennes franccedilaises
et modegravele srsquoancrant dans des valeurs et des principes traditionnels algeacuteriens
selon lesquels la famille de Farid apparaicirct drsquoabord fortement structureacutee ndash
et deux leacutegitimiteacutes ndash lrsquoautoriteacute de lrsquoacteur institutionnel repreacutesentant de
la socieacuteteacute drsquoinstallation et celle du pegravere sur sa famille qui est traditionnel-
lement sans partage
En reacutesulte une opposition du pegravere aux interventions institutionnelles
qursquoil vit comme une humiliation et une remise en cause de son autoriteacute
De fait et pour rejoindre Donzelot (1977 p 98) laquo [sa] fonction symbo-
lique drsquoautoriteacute crsquoest le juge qui lrsquoa accapareacutee sa fonction pratique
lrsquoeacuteducateur lrsquoen a deacutelesteacute raquo Lrsquoempreinte spatiotemporelle de lrsquoautoriteacute
judiciaire sur le fonctionnement familial est lagrave pour le rappeler Le temps
familial est devenu celui des convocations des comparutions des deacuteposi-
tions des jugements des mesures Lrsquoespace de la famille est investi par les
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
assistantes sociales les eacuteducateurs speacutecialiseacutes les eacuteducateurs de justice
les policiers par tous ceux qui viennent enquecircter diagnostiquer eacutevaluer
traiterhellip normaliser
Lrsquoeacutevolution de la probleacutematique familiale semble devoir passer par
plusieurs eacutetapes il srsquoagit drsquoabord pour le travailleur social de nommer les
problegravemes cette opeacuteration devant contribuer agrave la laquo conscientisation raquo de
ses difficulteacutes par la famille lrsquoobjectif eacutetant qursquoelle parvienne agrave les verbaliser
la connaissance et la reconnaissance des problegravemes eacutetant pour le profes-
sionnel une condition neacutecessaire agrave leur reacutesolution (Carra et Faggianelli
1998) Cette logique a pour effet une polarisation sur les aspects neacutegatifs
qui contribuent agrave la constitution drsquoune image neacutegative chez les parents
Tout au long du suivi institutionnel crsquoest en effet lrsquoeacutechec de leur modegravele
eacuteducatif qui est pointeacute crsquoest lrsquoimage de parents deacutefaillants deacutemission-
naires ou violents qui leur est renvoyeacutee Crsquoest aussi leur modegravele culturel
qui est jugeacute tellement les relations avec les familles drsquoorigine maghreacutebine
et plus encore algeacuterienne comme celle de Farid restent marqueacutees par la
meacutemoire des rapports entre coloniseacutes et colonisateurs laquo Le passeacute colonial
avec son ineacutegaliteacute fondamentale entre le groupe colonisateur et le groupe
coloniseacute continue agrave deacutefinir lrsquohorizon des relations entre Algeacuteriens et
Franccedilais raquo (Schnapper 1986 p 150)
La confrontation entre reacutegulations familiales et reacutegulations institu-
tionnelles conduit alors agrave une crise de leacutegitimiteacute du modegravele familial tout
en provoquant des transformations de ce monde laquo leacutegitime raquo La peur du
placement des enfants va amener la megravere agrave coopeacuterer bien que ce faisant
elle se deacutesolidarise de son mari Cette coopeacuteration laquo obligeacutee raquo deviendra
adheacutesion au travail des intervenants tant et si bien que la megravere suivant
en cela les conseils qui lui sont donneacutes demandera la poursuite du suivi
judiciaire de Farid
La mesure de liberteacute surveilleacutee a pris fin le [date] Farid et sa famille nesemblent pas le comprendre Il me tient au courant reacuteguliegraverement de sesactiviteacutes et crsquoest tout naturellement que je suis solliciteacute degraves lrsquoeacuteteacute pour envi-sager la rentreacutee scolaire suivante Je demande alors agrave la megravere de formulerune demande de prise en charge (dossier SEAT)
Crsquoest aussi agrave la demande de Farid qursquoune mesure de protection
judiciaire pour jeune majeur est prise Ainsi les membres de la famille
contribuent-ils directement agrave construire le parcours judiciaire de Farid
Agrave la majoriteacute la recherche drsquoune nouvelle activiteacute se fait pressante Faridsollicite lrsquoeacuteducateur qui lrsquoincite agrave formuler une demande drsquoaide au juge desEnfants en tant que Jeune Majeur (dossier SEAT)
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168 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cette eacutevolution est reacuteveacutelatrice drsquoune conversion du monde familial
autour de ce monde speacutecialiseacute conversion qui srsquoeffectue avec la substitution
progressive des reacutegulations institutionnelles aux reacutegulations familiales
Le pegravere qualifieacute par les travailleurs sociaux de laquodistantraquo et de laquofuyantraquo
reacutesiste agrave ces changements Mais le comportement de sa femme (et de ses
enfants) interroge ce systegraveme si agrave lrsquointeacuterieur du modegravele patriarcal lrsquoindi-
vidu perccediloit habituellement la femme comme un ecirctre ayant et devant avoir
par rapport agrave lrsquohomme un statut subordonneacute les rocircles commencent ici agrave
srsquoinverser les intervenants faisant de la femme lrsquointerlocuteur privileacutegieacute
de la famille en matiegravere drsquoeacuteducation des enfants tout en contribuant agrave son
eacutemancipation Cette eacutemancipation se traduit par son investissement dans
lrsquoespace public espace public traditionnellement reacuteserveacute agrave lrsquohomme La
megravere se met en effet agrave participer agrave des reacuteunions agrave suivre des cours drsquoalpha-
beacutetisation des cours de conduite Au-delagrave de la transformation des rocircles
crsquoest tout un univers de sens qui est remis en question le sens de la
femme de lrsquohomme de la famille du temps de lrsquoespace
Avec le licenciement de lrsquohomme le rocircle traditionnel du pegravere srsquoeffondre
Lrsquohumiliation du pegravere parviendra agrave son apogeacutee lorsque arrivant en fin de
droits il devra se reacutesigner agrave faire appel aux travailleurs sociaux pour beacuteneacute-
ficier du revenu minimum drsquoinsertion (RMI) Srsquoensuivront une deacutegradation
morale et une stigmatisation lieacutees agrave lrsquoinfeacuterioriteacute de son statut caracteacuteris-
tiques de ce que Paugam (1991) appelle la laquo crise identitaire des fragiles raquo
La multiplication de reacutegulations institutionnelles contribue ainsi agrave
deacutereacuteguler lrsquoespace familial en srsquoopposant ou en ignorant la logique propre
de ces espaces La logique familiale se deacutesagregravege lrsquoidentiteacute familiale se
disloque Ce mecircme processus est deacutecrit avec grande preacutecision par Nicolas
(1984) dans son livre La pauvreteacute intoleacuterable
642 hellip Agrave LA RECONSTRUCTION DrsquoIDENTITEacuteS
INDIVIDUELLES NEacuteGATIVES
Avec le repeacuterage du comportement deacuteviant des fregraveres chacun drsquoeux va
faire lrsquoobjet drsquointerventions institutionnelles multiples ndash service social sco-
laire service social de secteur centre drsquoorientation et drsquoaction eacuteducative
foyer centre eacuteducatif police justice service eacuteducatif aupregraves du tribunal
prison Chacun sera ordonneacute selon les proceacutedures propres agrave ces institu-
tions tous seront au terme du processus de renvoi eacutetiqueteacutes objectiveacutes
et classifieacutes comme deacutelinquants Un agrave un les garccedilons vont donc ecirctre
appareilleacutes tutelliseacutes eacutechappant ainsi agrave leur famille
DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES 169
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Selon Beauchard (1981) lrsquoeacuteclatement de la famille et lrsquolaquo appareillage raquo
de ses membres constituent deux eacuteleacutements deacuteterminants dans la repro-
duction drsquolaquo itineacuteraires drsquoexclusion raquo
Dans le cas des itineacuteraires drsquoexclusion sociale [hellip] la neutralisa-tion de la dynamique (crisique) srsquoopegravere suivant les interventionsdrsquoun controcircle social speacutecialiseacute exteacuterieur au groupe perturbeacute lessituations probleacutematiques sont fragmenteacutees et donnent lieu agrave desreacuteponses articuleacutees sur des problegravemes speacutecifiques La deacutemarchesrsquoavegravere momentaneacutement efficace mais agrave terme il est observeacute queces interventions speacutecialiseacutees (tutelle placement reacuteeacuteducation trai-tement assistance surveillance) tissent un reacuteseau de relations dedeacutependance qui agrave leur tour engendrent des tensions et des conflits(Beauchard 1981 p 73)
Ces relations de deacutependance apparaissent dans la famille de Farid
Si au deacutebut les interventions sont veacutecues comme une violation de lrsquoespace
priveacute elles deviennent pour la megravere et les enfants neacutecessaires voire valo-
risantes En se montrant coopeacuterante la megravere acquiert en effet une cer-
taine reconnaissance sociale de la part des professionnels ce que ne
peuvent lui procurer ni le pegravere ni dans la situation preacutesente ses fils
Ces relations la situation de non-travail et de deacutelinquance structurent
leur identiteacute Chacun des membres en vient agrave se deacutefinir pour et par ces
eacuteleacutements Une identiteacute speacutecifique se constitue donc en rapport eacutetroit avec
les intervenants car laquo Tout au long de son eacutelaboration de soi le sujet [hellip]
est obligeacute de tenir compte de ce qui lrsquoentoure la fonction identitaire le
construisant indissolublement comme rapport agrave lui-mecircme et rapport agrave son
environnement raquo (Camilleri et Cohen-Emerique 1989 p 46)
On peut observer qursquoapregraves avoir favoriseacute la deacutestructuration de la
famille deacutestabiliseacutee par le comportement deacuteviant des fils les reacutegulations
institutionnelles seront progressivement inteacutegreacutees agrave son organisation
qursquoelles contribueront par ailleurs agrave changer Parallegravelement agrave ce processus
de deacutestructuration-restructuration de la famille srsquoopegravere une deacuteconstruction-
reconstruction de lrsquoidentiteacute des diffeacuterents membres agrave laquelle participent
directement ces reacutegulations Lrsquointervention institutionnelle de stigmati-
sante va finir par ecirctre perccedilue par le mineur et sa famille comme normale
puis neacutecessaire au fonctionnement familial et individuel
Ainsi si Farid srsquoest montreacute tregraves laquo fuyant raquo au deacutebut du suivi ainsi que
le souligne lrsquoeacuteducateur de justice les rapports ont eacutevolueacute structureacutes
notamment par une strateacutegie drsquoutilisation du systegraveme de prise en charge
Selon Goffman (1975) son laquo itineacuteraire moral raquo va progressivement lui per-
mettre drsquointeacutegrer ces relations dans son parcours comme eacutetant normales
et ce drsquoautant plus facilement que tous ses fregraveres et la plupart de ses pairs
sont suivis par un eacuteducateur
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170 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Srsquoil rejette drsquoabord lrsquoidentiteacute stigmatiseacutee qui lui est prescrite Farid
finit par revendiquer lrsquoidentiteacute sociale de laquo jeune agrave problegravemes raquo puis
celle de laquo chocircmeur raquo identiteacutes qui lui permettent agrave la fois drsquoobtenir une
reconnaissance sociale et drsquoacceacuteder agrave des aides Cette identiteacute ne ressort
cependant pas de lrsquoidentiteacute sociale virtuelle du stigmatiseacute qui procircne le
faux-semblant telle que lrsquoa preacutesenteacutee Goffman (1975) Au contraire elle
fonctionne comme un laquo point de vue raquo pour reprendre lrsquoexpression de ce
mecircme auteur neutralisant ainsi le normal et le stigmatiseacute En ce sens on
peut rejoindre Messu (1991 p 88) soulignant agrave propos des laquo assisteacutes raquo
[qursquoil] importe degraves maintenant drsquoaffirmer combien cette image[de lrsquoassisteacute] nrsquoest pas aussi preacuteconstruite qursquoon a bien voulu ledire Non qursquoon ait tort de voir dans les institutions de lrsquoAssistancesociale des instances de laquo marquage raquo social [hellip] Pour autant nousnous garderons de faire du marquage le seul principe drsquoattributiondrsquoidentiteacute et du sens laquo stigmatique raquo le pur produit de lrsquoinstitu-tion Dans cette production du sens nous ne pouvons faire abs-traction de ceux qui sont lrsquoobjet du stigmate et les porteurs delrsquoidentiteacute nous ne saurions exclure ceux sans qui lrsquoinstitution neserait pas Car crsquoest bien de la relation entre lrsquoinstitution et sesusagers que prend corps ce sens
Les individus participent ainsi eux aussi agrave la deacutefinition de leur statut
social deacutegradeacute en utilisant les marges drsquoautonomie et de reacutesistance qursquoils
possegravedent voire en manipulant les professionnels Les propos de Farid
sont reacuteveacutelateurs agrave cet eacutegard
[hellip] il [lrsquoeacuteducateur du SEAT] voulait pas me donner de lrsquoargent puisje lui fais drsquoaccord pour moi crsquoest pas un problegraveme ce que je vais faireje vais [hellip] voler
65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT Agrave UNE
PLACE DOMINEacuteE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX
Si nombre de tenants de la perspective de la reacuteaction sociale sans doute
par biais ideacuteologique et aussi parfois par faiblesse meacutethodologique ont
focaliseacute leur attention sur lrsquoaction stigmatisante des institutions officielles
de controcircle social le systegraveme de justice peacutenale ainsi que lrsquoindiquent
Robert et Lascoumes (1974) nrsquoest pas self-started laquo Il ne srsquoapprovisionne paslui-mecircme dans la plupart des cas [hellip] raquo
En analysant par diffeacuterentes meacutethodes le temps consacreacute par les
agences policiegraveres agrave telle ou telle activiteacute on srsquoaperccediloit que la recherche
du crime et du criminel drsquoinitiative sans processus preacutealable de renvoi
est assez limiteacutee
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Non seulement ces agences ne se mettent geacuteneacuteralement pas en
action par elles-mecircmes mais de plus elles nrsquointerviennent parfois qursquoapregraves
un long processus informel de constitution de la deacutelinquance juveacutenile
Crsquoest ainsi qursquoau bout de six ans de repeacuterage de Slimane par son environ-
nement (quartier et eacutecole) apregraves nombre de reacutecriminations adresseacutees aux
travailleurs sociaux du quartier de plaintes deacuteposeacutees aupregraves de la police
et de signalements agrave la justice ces institutions ont reacuteagi
Le suivi judiciaire peut par ailleurs finir par ne plus ecirctre veacutecu comme
stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir le
support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire (crsquoest aussi ce que sou-
lignent Bruneteau et Lanzarini 1997) monde avec lequel ces mineurs ont
des relations distantes et conflictuelles Crsquoest drsquoailleurs drsquoabord au contact
de ce monde ordinaire que se constituent ces identiteacutes neacutegatives dans un
laquo quartier de releacutegation raquo ougrave les jeunes occupent une place domineacutee et
stigmatiseacutee (Delarue 1991)
Meacutepris et meacutefiance du monde que Kamel appelle le monde des
laquo bourges raquo (bourgeois) caracteacuterisent les interactions avec son monde et
celui de ses pairs ces interactions eacutetant elles-mecircmes structureacutees par des
steacutereacuteotypes et en particulier le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo selon lequel
Arabe signifie deacutelinquant11 Crsquoest selon ce steacutereacuteotype que Kamel dit ecirctre
traiteacute En assimilant agrave son identiteacute le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo (laquo Crsquoestvrai il y en a 80 75 qui sont en prison en France raquo dit-il) Kamel inteacute-
riorise lrsquoidentiteacute laquo prescrite raquo de sa communauteacute drsquoappartenance La stig-
matisation associeacutee agrave ses actes deacutelinquants et lrsquoimage collective neacutegative
qui lui est renvoyeacutee de sa collectiviteacute contribuent chez le mineur agrave la
formation drsquoune identiteacute personnelle deacutevaloriseacutee Des eacutetudes (voir en par-
ticulier Camilleri et al 1990) ont montreacute lrsquoexistence de fortes correacutelations
entre lrsquoexpeacuterience du racisme la stigmatisation sociale associeacutee agrave la deacutelin-
quance et agrave la deacutevalorisation de lrsquoimage de soi les immigreacutes deacutelinquants
cumulant les facteurs qui peuvent contribuer agrave cette deacutevalorisation On
voit bien ici comment lrsquoidentiteacute conccedilue comme une repreacutesentation de soi ndash
en tant qursquoindividu mais aussi en tant que groupe ndash est faccedilonneacutee par
lrsquoideacuteologie dominante dans une socieacuteteacute donneacutee Crsquoest ce qursquoont montreacute
en particulier les eacutetudes du sociolinguiste Labov (1976)
11 Si les dominants ceux qui sont en situation de pouvoir eacuteconomique social ou culturelstigmatisent les pratiques des domineacutes ces derniers font de mecircme en leur attribuantdes caractegraveres deacutevalorisants tout en affirmant leur propre identiteacute crsquoest ainsi que Kameloppose laquo Nous raquo laquo les francs raquo agrave laquo Eux raquo laquo les hypocrites raquo
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172 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
651 DES PARCOURS PREacuteDEacuteTERMINEacuteS PAR LES INSTANCES
DE REacuteGULATIONS SOCIALES GEacuteNEacuteRALES
Eacutechecs scolaires puis difficulteacutes drsquoinsertion socioprofessionnelles accen-
tuent cette deacutevalorisation de lrsquoidentiteacute tout en contribuant au processus
de constitution de la deacutelinquance juveacutenile
La criminologie considegravere comme un fait eacutetabli qursquoune mauvaise
carriegravere scolaire est lieacutee agrave la deacutelinquance Les difficulteacutes scolaires dans un
contexte ougrave la diplomation est devenue la norme (avec la massification
du second cycle puis de lrsquouniversiteacute lrsquoinstitution scolaire est devenue le
premier lieu producteur drsquolaquo exclusion relative raquo [Dubet 1996]) consti-
tuent en effet un motif deacuteterminant agrave un suivi judiciaire lorsque des
comportements deacuteviants sont repeacutereacutes Elles ne suffisent cependant pas agrave
expliquer lrsquoancrage de certains eacutelegraveves dans la deacutelinquance Encore faut-il
que des meacutecanismes les y attirent activement Les relations entre lrsquoeacutecole
et les adolescents intervieweacutes le font sur tous les modes possibles du rap-
port de force de la notation aux sanctions en passant par les orientations
qui aboutiront agrave lrsquoexclusion deacutefinitive drsquoun cocircteacute des comportements
deacuteviants tels qursquoabsenteacuteisme insolence coups vols consommation drsquoalcool
et de cannabis de lrsquoautre La marginalisation agrave lrsquoeacutecole quand elle srsquoaccom-
pagne de rejets actifs par la stigmatisation favorise cet ancrage des ado-
lescents dans la deacutelinquance (Walgrave 1992) Si la deacutelinquance agrave lrsquoeacutecole
peut srsquoexpliquer par les opportuniteacutes qursquooffrent les eacutetablissements scolaires
et renvoie donc agrave une manifestation laquo banale raquo de deacutelinquance elle peut
aussi ecirctre engendreacutee par la situation scolaire elle-mecircme Elle constitue
alors une reacuteponse agrave la violence symbolique de lrsquoinstitutionhellip deacutefinie par
Bourdieu et Passeron (1970 p 18) comme laquo pouvoir qui parvient agrave impo-
ser des significations et agrave les imposer comme leacutegitimes en dissimulant les
rapports de force qui sont au fondement de sa forcehellip raquo
Les eacutechecs scolaires preacutedeacutetermineront dans un contexte marqueacute par
le chocircmage des moins de 25 ans lrsquoorientation de Kamel et de ses pairs
vers la mission locale ougrave leur seront proposeacutes des stages de remise agrave
niveau des preacuteapprentissages un CES (contrat emploi-solidariteacute) un
TUC (travail drsquoutiliteacute collective) et drsquoautres activiteacutes qui apparaissent
drsquoabord occupationnelles Lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave lrsquoemploi dans les
sphegraveres ordinaires du salariat traiteacutee ici selon le mode de gestion sociale
du chocircmage associeacutee ndash tout en y contribuant ndash agrave la poursuite des activiteacutes
deacutelictuelles augmentera la probabiliteacute drsquoune prise en charge judiciaire au
peacutenal (Meacutehaut Rose Monaco et de Chassey 1987) Si lrsquoabsence de situation
professionnelle drsquoindividus de milieu populaire favorise en cas de poursuites
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judiciaires lrsquoincarceacuteration12 elle contribue tout autant agrave donner une autre
nature aux activiteacutes deacutelinquantes qui drsquooccasionnelles tendent agrave devenir
professionnelles Slimane en fera une carriegravere
652 LA DEacuteLINQUANCE COMME STRATEacuteGIE IDENTITAIRE
Eacutechecs scolaires et chocircmage contribuent au repli de Kamel Farid et
Slimane sur leur quartier en en investissant le temps et lrsquoespace avec les
autres membres de leur bande Moyen drsquooccuper collectivement son
temps libre la bande permet aussi drsquoattendre une veacuteritable situation sur
le marcheacute du travail En cela le groupe change de substrat alors qursquoil
permettait aux jeunes des classes populaires de passer leur temps libre
apregraves lrsquoeacutecole ou le travail il est aujourdrsquohui agrave rapporter laquo aux meacutecanismes
et logiques de lrsquoinsertion sociale et eacuteconomique qui frappent en premier
lieu les jeunes originaires des milieux deacutefavoriseacutes et renforcent leurs dif-
ficulteacutes degraves lors que sous-instruits ils sont aussi drsquoorigine eacutetrangegravere raquo
(Lagreacutee et Lew-Fai 1985 p 520) On est ainsi passeacute drsquoune maniegravere de
passer sa jeunesse avant de laquo se caser raquo drsquoune marginaliteacute temporaire agrave
une marginaliteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee qui dans certains cas peut devenir
deacutefinitive
Occupation13 qui permet de procurer sensations et gains financiers
la deacutelinquance dans la bande constitue aussi une reacuteaction collective agrave
lrsquoexclusion et agrave la stigmatisation dont font lrsquoobjet ses diffeacuterents membres
(Carra 1999) Les activiteacutes de la bande peuvent se lire comme un double
mouvement drsquoaffirmation aux deacutepens de lrsquoenvironnement ndash reacuteduit agrave des
scheacutemas lointains et hostiles (et reacuteciproquement) promotion du groupe
et promotion personnelle dans ce groupe (Robert et Lascoumes 1974)
Se voir qualifier par ses pairs de laquo vrai cambrioleur un vrai de vrai raquo agrave
lrsquoinstar de Kamel est source de prestige Le savoir-faire deacutelinquant associeacute
12 Lrsquoanalyse du produit final du processus peacutenal montre que ce public constituera ensuitela clientegravele privileacutegieacutee de la justice peacutenale des majeurs les condamneacutes sans professionayant toujours la plus forte proportion drsquoemprisonnement ferme On peut srsquointerrogersur cette surcondamnation avec Aubusson de Cavarlay qui aboutit agrave la conclusionsuivante laquo finalement si la partialiteacute reacutesiste agrave sa justification juridique il faut concluresoit que les faits commis par les classes populaires sont les plus graves puisque touteschoses juridiques eacutegales par ailleurs elles sont plus lourdement sanctionneacutees soit etpour les mecircmes raisons que la justice peacutenale deacutefavorise les classes domineacutees raquo (Aubussonde Cavarley 1985 p 308)
13 laquo [hellip] qui apparaicirct endeacutemique dans la citeacute impliquant non seulement les jeunes maisaussi les adultes Elle srsquoapparente essentiellement agrave une ldquodeacutelinquance de survierdquo raquo(Bailleau 1997 p 29)
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174 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave la prise de risque est source de reconnaissance au sein de la bande
reconnaissance que les propos de lrsquoadolescent reflegravetent laquo jrsquoeacutetais le roi desmalins raquo dit-il Crsquoest aussi un moyen de se positionner dans lrsquoespace
Les tentatives drsquoappropriation des eacutequipements socioculturels parti-
cipent des strateacutegies deacuteployeacutees par la bande pour y parvenir tout en eacutetant
constitutives de la formation drsquoune identiteacute spatiale de substitution Les
propos tenus par lrsquoun des permanents de la Maison pour tous informent
sur lrsquoactualisation de ces tentatives
Les animateurs constatent qursquoun puissant rapport de force a eacuteteacute eacutetabli parles jeunes agrave leur eacutegard De la part des jeunes le point drsquoancrage de leurforce est le chahut qursquoils peuvent faire les carreaux qursquoils peuvent casserles bagarres qursquoils peuvent deacuteclencher lrsquoalcool qursquoils peuvent boire Cetteforce est leur pouvoir de neacutegociation avec les animateurs pour obtenir ceqursquoils deacutesirent une machine agrave cafeacute une salle leur eacutetant reacuteserveacutee une sortieski [hellip]
Pour ces jeunes renvoyeacutes et enfermeacutes dans lrsquounivers des pairs le
quartier constitue le dernier lieu pour acqueacuterir une reconnaissance
sociale Aussi peut-on dire avec Lagreacutee (1996 p 334)
Srsquoagissant des jeunes deacutepourvus des capitaux neacutecessaires pourobtenir une place valorisante dans la socieacuteteacute at large pour ceux quine sont ni agrave lrsquoeacutecole ni dans lrsquoemploi lrsquoespace reacutesidentiel la collec-tiviteacute sociale que constitue le voisinage deviennent le dernier lieuougrave peut se gagner la reconnaissance sociale Pour ceux qui ne sontnulle part lrsquoespace reacutesidentiel animeacute par la vie des bandes estplus que le lieu ougrave lrsquoon vit ougrave lrsquoon attend ougrave lrsquoon galegravere crsquoestaussi le dernier endroit ougrave se reacutealise lrsquointeacutegration ou la marginali-sation agrave une microsocieacuteteacute
En eacutetablissant un rapport de force la bande parvient agrave se positionner
dans lrsquoespace local en obligeant les autres acteurs agrave prendre en compte
ce positionnement Mais en forccedilant la reconnaissance de leur place dans
les rapports sociaux locaux les membres de la bande participent directe-
ment non seulement agrave leur marginalisation mais aussi agrave leur stigmatisa-
tion tout en contribuant fortement agrave leur renvoi agrave des agences speacutecialiseacutees
de la reacuteaction sociale Dans leurs rapports avec les autres ils srsquoenferment
dans une logique qui les expose agrave la reacuteaction stigmatisante du corps social
et au renvoi vers le systegraveme de justice peacutenale
Ce renvoi a drsquoautant plus de chances de se reacutealiser et de srsquoamplifier
dans ce quartier que lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sociale de sa population rend difficile
la mise en œuvre de proceacutedures internes et coheacuterentes de reacutegulation de
la deacuteviance Ce contexte contribue par ailleurs agrave transformer le controcircle
social informel en rapport de classes placcedilant les jeunes issus des milieux
populaires en premiegravere ligne de lrsquoaffrontement (Chamboredon et Lemaire
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
1970) Reacuteponse au sentiment drsquoinseacutecuriteacute qursquoeacuteprouvent certaines cateacutego-
ries de la population le renvoi et plus globalement lrsquoentreprise de deacutefini-
tion de la deacuteviance opeacutereacutee dans cette citeacute participent donc aussi aux
strateacutegies de diffeacuterenciation des groupes les uns par rapport aux autres
La bande apparaicirct finalement comme une tentative pour participer
au jeu social mecircme si ce jeu se reacuteduit agrave la scegravene locale cette scegravene
devenant le theacuteacirctre ougrave se joue la production identitaire de ces jeunes La
deacutelinquance dans le contexte de la bande srsquoexplique moins par un manque
de repegraveres par une meacuteconnaissance des normes qursquoelle ne reacutesulte drsquoun
rapport speacutecifique aux autres et agrave lrsquoenvironnement amenant les adoles-
cents agrave utiliser la transgression des normes comme moyen de reconnais-
sance ultime but de toute construction identitaire On peut ainsi dire avec
Digneffe (1989 p 174)
Crsquoest moins le contenu des regravegles qursquoun certain type de rapportaux autres qui lrsquoamegravene [le mineur deacutelinquant] agrave se constituer unerepreacutesentation de ce qui est laquo pour lui raquo agrave faire ou agrave ne pas faireMecircme srsquoil sait que laquo certaines choses sont mauvaises et drsquoautresbonnes raquo ces critegraveres ne deviendront pertinents que srsquoils srsquointegravegrentagrave son propre univers de sens agrave son cadre de reacutefeacuterence en tantqursquoil constitue ce qui lui permet de vivre
CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT
DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES
Lrsquoidentiteacute de lrsquoindividu se construit ainsi au cours drsquointeractions dont la
signification si elle se deacutefinit au sein de ces interactions deacutepend aussi de
la position de lrsquoindividu au sein des structures sociales laquo la dialectique
entre structures sociales meacutediatiseacutees par des interactions concregravetes et la
formation drsquoun ldquosoirdquo individuel est constante raquo (de Queiroz 1994 p 40)
La place que lrsquoindividu occupe au sein des rapports sociaux le rendra plus
ou moins vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de
vie agrave lrsquoeacutecole au travail ndash instances de socialisation geacuteneacuterale qui agissent
comme autant drsquoentrepreneurs de morale de pocircle de repeacuterage et de
stigmatisation ndash et face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-
lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance
juveacutenile
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176 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
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DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
Paroles et strateacutegies
de jeunes deacutelinquants
I
SABELLE
D
ELENS
-R
AVIER
Deacutepartement de criminologie et de droit peacutenal Universiteacute catholique de Louvain
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Notre propos srsquoappuie sur les reacutesultats drsquoune recherche qualitative portant
sur le point de vue de jeunes francophones belges laquo ayant commis des faits
qualifieacutes infraction raquo en drsquoautres termes des jeunes deacutelinquants agrave propos
de deux types de reacuteactions judiciaires particuliegraveres le placement en ins-
titution speacutecialiseacutee ou lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de laquo travail drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral raquo appeleacutee en Belgique laquo prestation eacuteducative ou philanthropique raquo
(Delens-Ravier et Thibaut 2001 et 2003) Lrsquoanalyse porte sur le sens sub-
jectif que ces jeunes donnent agrave leur expeacuterience de judiciarisation inscrite
dans une trajectoire sociofamiliale comprenant souvent un suivi social
individuel ou familial Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction au processus judi-
ciaire sont mises en lumiegravere agrave travers le veacutecu de leur environnement social
(scolaire et familial) de leur trajectoire deacutelinquante et judiciaire et des
mesures dont ils font lrsquoobjet
71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE
QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE
Ce travail srsquoinscrit reacutesolument dans une deacutemarche inductive et geacuteneacuterative
(Laperriegravere 1997 p 326) de lrsquoempirique au theacuteorique du concret agrave
lrsquoabstrait du particulier au geacuteneacuteral La posture ainsi adopteacutee se veut ana-
lytique (Demaziegravere et Dubar 1997 p 33) cherchant agrave produire meacutetho-
diquement du sens agrave partir de lrsquoexploitation des entretiens de recherche
Les donneacutees qualitatives portent donc sur lrsquoexpeacuterience les repreacutesenta-
tions les deacutefinitions de situation les opinions et les paroles (Deslauriers
et Keacuterisit 1997 p 105) qui deacutecrivent la reacutealiteacute sociale telle qursquoelle est
veacutecue et telle qursquoelle est perccedilue par des jeunes deacutelinquants judiciariseacutes
Nous ne recherchons pas la repreacutesentativiteacute statistique mais la repreacute-
sentativiteacute du discours qui tient agrave deux critegraveres particuliers la diversifica-
tion
1
et la saturation
2
crsquoest donc la diversiteacute des discours et des points de
vue sur la mesure judiciaire qui est au cœur de lrsquoinvestigation
1 La diversification signifie qursquoil srsquoagit de rencontrer les jeunes dont on peut attendredes discours tregraves diffeacuterents en fonction de laquo variables strateacutegiques raquo permettant desupputer ces diffeacuterences (type de mesure parcours protectionnel parcours scolaireorigine culturelle du jeunehellip)
2 La saturation signifie que le nombre de jeunes agrave interroger nrsquoest pas deacutetermineacute agravelrsquoavance mais deacutepend de lrsquoapparition de la redondance dans le discours laquo La satura-tion empirique deacutesigne le pheacutenomegravene par lequel le chercheur juge que les derniegraveresentrevues nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles ou diffeacuterentes pourjustifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo (Pires 1997 p 157)
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
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La deacutemarche qualitative choisie a privileacutegieacute des entretiens semi-directifs
avec des jeunes faisant lrsquoobjet drsquoune deacutecision judiciaire Au cours de
lrsquoanneacutee 1999-2000 nous avons intervieweacute 45 adolescents garccedilons et filles
40 drsquoentre eux eacutetaient placeacutes en institution speacutecialiseacutee agrave reacutegime ouvert
ou fermeacute parfois apregraves avoir fait lrsquoobjet drsquoune mesure de reacuteparation et
cinq venaient drsquoexeacutecuter la mesure appeleacutee laquo prestation eacuteducative ou
philanthropique raquo Les deux critegraveres de diversification et de saturation ont
eacuteteacute remplis pour les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee nous permet-
tant donc une geacuteneacuteralisation de nos propos Il nrsquoen va pas de mecircme pour
les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation pour qui la difficulteacute de rencontre
ne nous a pas permis de preacutetendre diversifier suffisamment notre cible
et donc de reacutepondre au principe de saturation Les connaissances pro-
duites agrave partir du discours des jeunes ayant exeacutecuteacute exclusivement ce type
de mesure bien qursquoelles soient particuliegraverement contrasteacutees doivent ecirctre
consideacutereacutees comme des informations fournies agrave titre exploratoire
Les jeunes placeacutes intervieweacutes 39 garccedilons et 6 filles eacutetaient drsquoorigines
culturelles diverses Belgique autres pays drsquoEurope Maroc Turquie
Afrique Leur acircge moyen eacutetait de 16 ans et 1 mois Les jeunes scolariseacutes
freacutequentaient principalement lrsquoenseignement de type professionnel mais
ils sont nombreux agrave srsquoecirctre deacuteclareacutes en deacutecrochage scolaire Ils eacutevoquent
une multipliciteacute de deacutelits essentiellement des laquo deacutelits drsquoacquisition raquo
(vols) Des diffeacuterences apparaissent cependant selon le sexe ainsi pour
les filles la probleacutematique laquo drogue raquo est particuliegraverement preacutesente
Lrsquoarriveacutee en institution speacutecialiseacutee apparaicirct comme une eacutetape dans
un parcours deacutejagrave chargeacute de guidances surveillances ndash eacuteventuellement
associeacutees agrave une mesure de prestation eacuteducative ndash placements institution-
nels et souvent apregraves un seacutejour dans une autre institution du mecircme type
voire en prison Il nrsquoen va pas de mecircme pour les jeunes faisant lrsquoobjet
drsquoune mesure de reacuteparation telle lrsquoexeacutecution drsquoune prestation eacuteducative
ou philanthropique ce sont essentiellement des jeunes ameneacutes agrave compa-
raicirctre pour la premiegravere fois devant le tribunal de la jeunesse
Notre meacutethode drsquoanalyse qualitative srsquoapparente agrave une meacutethode eth-
nographique (Laperriegravere 1997 p 326) dans laquelle collecte et analyse
des donneacutees sont parallegraveles et ougrave les cateacutegories et theacutematiques sont eacuteta-
blies agrave lrsquoaide des donneacutees empiriques Lrsquoanalyse theacutematique nous a permis
drsquoarriver agrave une description analytique (Maroy 1995 p 85) de lrsquoexpeacuterience
de lrsquounivers des mineurs placeacutes Interpreacutetation et description sont ici deux
opeacuterations meneacutees de concert dans une deacutemarche de deacuteconstruction-
reconstruction du discours des jeunes en reacutefeacuterence agrave des travaux theacuteoriques
reconnus dans le champ de la deacutelinquance des mineurs Nous nous atta-
cherons ici essentiellement au veacutecu de la mesure judiciaire par les jeunes
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE
Sans qursquoil soit possible de faire de comparaison stricte les cateacutegories des-
criptives utiliseacutees nrsquoeacutetant pas rigoureusement identiques le profil des
familles des mineurs rencontreacutes alimente lrsquohypothegravese drsquoune surrepreacutesen-
tation de cateacutegories sociales preacutecariseacutees pour les mineurs soumis agrave une
mesure du juge de la jeunesse (Duliegravere-DrsquoUrsel et Delens-Ravier 1992
Born et Thys 1996 Vanneste 2001 p 148)
Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un
systegraveme complexe dans lequel les relations familiales sont agrave la fois le
baromegravetre du comportement du jeune et la reacutesultante de ce comporte-
ment Les interactions familiales sont cruciales dans le veacutecu et lrsquoeacutevolution
des jeunes rejeteacutes par les leurs ils srsquoenfoncent dans des comportements
qursquoils preacutesentent eux-mecircmes comme une forme drsquolaquo appel raquo mais qui
entretiennent ce rejet Alors que la possibiliteacute de renouer avec la famille
est un facteur de deacutesistance (Born 2001 p 178) dans la mesure ougrave laquo seul
le retour en famille ldquochoisi
3
rdquo offre de bonnes garanties de reacuteussite du
projet de reacuteinteacutegration du jeune apregraves un placement en institution speacute-
cialiseacutee que ce soit agrave court ou agrave long terme raquo (Born 2001 p 185) Ainsi
lorsqursquoil est question de conflit et de rupture le placement et lrsquoeacuteloigne-
ment physique qursquoil induit ne font qursquoentretenir le rejet familial drsquoautant
plus que le jeune est dans lrsquoincapaciteacute mateacuterielle de neacutegocier avec sa
famille son image deacuteteacuterioreacutee par le processus judiciaire La peacuteriode du
placement signe alors cette rupture agrave sa sortie le jeune devra srsquoinstaller
seul ou trouver une institution
Pour drsquoautres la crise provoqueacutee par la judiciarisation suivie du
placement peut ecirctre lrsquooccasion drsquoun changement tant dans le comporte-
ment du jeune que dans les relations avec sa famille
Le lien avec la famille se preacutesente eacutegalement comme un eacuteleacutement
fondamental dans la compreacutehension des diffeacuterentes faccedilons de vivre la
mesure de prestation eacuteducative
4
Ainsi en toutes circonstances quelle que
soit la mesure prise par le magistrat la judiciarisation agit comme un
catalyseur de lrsquoeacutevolution de la situation agrave partir de la reacuteaction familiale
au deacutelit judiciariseacute
3 On parle de laquo solution choisie raquo par lrsquoeacutequipe lorsqursquoil y a convergence entre le projetdu jeune les possibiliteacutes familiales le deacutesir de lrsquoun et de lrsquoautre de reacuteinvestir dans cesens de mecircme qursquoadeacutequation entre le projet envisageacute et les ressources
4 Voir plus bas
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
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Lrsquoinstitution scolaire se preacutesente eacutegalement comme une pierre angu-
laire dans le parcours des jeunes agrave la fois vecteur drsquoexclusion et vecteur
de reacuteinsertion Elle est en mecircme temps la premiegravere expeacuterience significa-
tive de releacutegation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient agrave leur
situation notamment en tant que projet de sortie de lrsquoinstitution valide
aux yeux de lrsquoensemble des intervenants
Les rapports agrave lrsquoeacutecole et agrave la famille se trouvent donc au cœur des
trajectoires deacutelinquantes des jeunes rencontreacutes La theacuteorie de la vulneacutera-
biliteacute socieacutetale
5
deacuteveloppeacutee par Walgrave comme explication de la deacutelin-
quance persistante de certains jeunes avait deacutejagrave montreacute combien la
famille et lrsquoeacutecole davantage encore jouaient un rocircle crucial dans le pro-
cessus drsquoaffiliation sociale (Vettenburg 2003 p 193)
La cristallisation des reacuteactions des jeunes et des familles autour du
processus de judiciarisation pourrait laisser agrave penser que la trajectoire
judiciaire vient imposer sa logique aux diffeacuterentes trajectoires familiales
scolaires des mineurs mais en fait comme le dit Carra laquo cette trajectoire
judiciaire ne se deacuteveloppe ni indeacutependamment ni parallegravelement aux
autres trajectoires Elle se construit avec ndash gracircce ndash aux autres trajectoires
et reacuteciproquement (Carra 2001 p 72) raquo Crsquoest que nous allons tenter
drsquoexpliciter
73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE
Les jeunes rencontreacutes nrsquoont pas une vision tregraves claire de la chronologie
de leur parcours Les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee ont le plus
souvent deacutejagrave connu un suivi individuel ou psychosocial avant drsquoecirctre lrsquoobjet
de mesures judiciaires pour des faits de deacutelinquance Ce qui nrsquoest pas le
cas pour les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation
Le parcours des jeunes placeacutes a donc souvent deacutebuteacute bien avant les
faits infractionnels repeacutereacutes il est jalonneacute de nombreux placements insti-
tutionnels dont lrsquoinstitution speacutecialiseacutee est lrsquoaboutissement souvent de
5 La notion de vulneacuterabiliteacute socieacutetale est deacutefinie ainsi laquo la potentialiteacute de la vulneacuterabiliteacutesuggegravere une certaine permanence qui pourrait deacutependre des caracteacuteristiques du sujetou de la situation Pour ce qui est de la vulneacuterabiliteacute socieacutetale elle deacutepend de la positiondes sujets dans la socieacuteteacute La position envisageacutee est proche de la position socioeacutecono-mique infeacuterieure raquo (Walgrave 1992 p 85) La personne socialement faible est unepersonne qui dans ses contacts avec les institutions sociales (lrsquoeacutecole le marcheacute dutravail la justice) se confronte principalement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee aux aspects neacutegatifset profite moins de lrsquooffre positive (Vettenburg 2003 p 194)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
faccedilon reacutepeacuteteacutee Les discours font eacutetat drsquoun parcours en forme de spirale
constitueacutee drsquoune longue suite de mesures et drsquoinstitutions dont les jeunes
ne gardent pas toujours un souvenir preacutecis Que ce soit la consommation
de stupeacutefiants le comportement adopteacute le deacutecrochage scolaire chacun
de ces eacuteleacutements constitue la cause drsquoun nouveau placement un nouveau
mouvement de va-et-vient entre retour en famille et institution Apregraves une
premiegravere mesure judiciaire de placement le poids du dossier joue en
deacutefaveur des jeunes Ainsi un placement en institution speacutecialiseacutee en
appelle drsquoautres mecircme si le jeune a lrsquoimpression de commettre des faits
moins graves ou drsquoavancer vers une prise de conscience Crsquoest agrave partir des
difficulteacutes scolaires que les jeunes commencent agrave eacutecrire leur histoire ins-
titutionnelle chaotique mecircme si souvent celle-ci a deacutemarreacute bien plus tocirct
dans un contexte familial perturbeacute
Les services ou institutions qui jalonnent leur parcours avant lrsquoarriveacutee
dans la laquo nasse raquo que repreacutesente le placement en institution speacutecialiseacutee sont
diversement appreacutecieacutes Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le rocircle et les missions speacuteci-
fiques du service drsquoaide agrave la jeunesse (SAJ) proposant une aide neacutegocieacutee
aux familles et aux mineurs qui eacuteprouvent des difficulteacutes dans le processus
eacuteducatif ne sont pas clairement perccedilus
6
ainsi les entretiens reacutealiseacutes dans
le cadre de ce type drsquointervention drsquoaide la plupart du temps en vue drsquoune
autonomie aux contours impreacutecis leur sont apparus laquo inutiles raquo reacuteduits agrave
du simple bavardage les articulations avec drsquoautres services nrsquoeacutetant pas
claires pour eux Lorsque ce type de service transmet le dossier au parquet
en vue drsquoimposer une aide contrainte le service de protection judiciaire
chargeacute de mettre en œuvre cette aide est perccedilu comme une surveillance
sur les mineurs et leurs familles plutocirct que comme un accompagnement
ou une aide On le juge aussi carreacutement laquo impuissant raquo devant les obstacles
agrave la reacuteinsertion scolaire familiale socialehellip des mineurs placeacutes en eacutetablis-
sement speacutecialiseacute Les seacutejours en institution reacutesidentielle priveacutee sont veacutecus
comme un temps durant lequel ils disent nrsquoavoir pas eacuteteacute reacuteellement pris
en charge ougrave le quotidien leur est apparu comme non structureacute offrant
trop de liberteacutehellip Ceux qui ont connu un passage en institution psychia-
trique sont fortement marqueacutes par des eacuteleacutements comme la camisole chi-
mique et le meacutelange entre adultes et adolescents Ils gardent en meacutemoire
essentiellement la stigmatisation qui en deacutecoule La prison est eacutegalement
6 Le rocircle et la mission du SAJ sont deacutefinis par le Deacutecret relatif agrave lrsquoaide agrave la jeunesse du4 mars 1991 Pour une preacutesentation deacutetailleacutee voir le site Internet httpwwwcfwbbeaide-jeunessehtmlproplatprohtm
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une expeacuterience traumatisante principalement agrave cause du reacutegime cellulaire
24 heures sur 24 qui est propre aux mineurs et ougrave la seule activiteacute est la
teacuteleacutevision Cependant une incarceacuteration de 15 jours nrsquoa guegravere de conseacute-
quences laquo eacuteducatives raquo agrave leurs yeux elle renforce plutocirct la laquo haine raquo agrave
lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute conforte le jeune dans son rocircle de caiumld dans son
quartier ou encore permet la rencontre de familiers ou de connaissances
et contribue alors agrave la contagion deacutelinquante
Les consideacuterations eacutemises agrave propos de ces diffeacuterentes interventions
qui ont eacutemailleacute leur parcours sociojudiciaire deacutenotent une absence de
compreacutehension et de maicirctrise de la coheacuterence de celui-ci Les jeunes
parlent de leur place dans cette trajectoire comme srsquoils eacutetaient laquo
une piegravecedans un jeu de dames
raquo
hellip
Ainsi drsquoune faccedilon geacuteneacuterale pour les jeunes que
nous avons rencontreacutes alors qursquoils eacutetaient en institution speacutecialiseacutee
lrsquoentreacutee dans le circuit institutionnel a signeacute le deacutebut drsquoun parcours
chaotique essoufflant drsquoinstitution en institution ponctueacute par quelques
tentatives de retour en famille dont ce type drsquoinstitution constitue lrsquoabou-
tissement La chronologie reste floue les seuls repegraveres temporels preacutecis
eacutetant directement en lien avec le processus de judiciarisation la date
drsquoarriveacutee agrave lrsquoinstitution la date du jugement ou de lrsquoordonnance la date
du prochain rendez-vous au tribunal de la jeunesse Nous sommes ici
devant ce que Carra appelle le processus formel de constitution de la
deacutelinquance au travers duquel laquo la trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation
des mesures et la prise en charge institutionnelle de plus en plus totale
apparaicirct comme une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances
de passer drsquoun degreacute agrave lrsquoautre Elle influence profondeacutement lrsquoimage et les
perspectives drsquoavenir du mineur raquo (Carra 2001 p 94) Si leur trajectoire
au sein de la sphegravere protectionnelle du suivi familial aux mesures de
placement se reacutevegravele floue et aux contours impreacutecis se preacutesentant donc
davantage comme une ligne briseacutee que comme un cheminement logique
connu par eux lrsquoeacutevolution graduelle et ineacuteluctable vers une prise en
charge de plus en plus resserreacutee est bien reacuteelle
Les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation avaient un parcours nette-
ment moins laquo lourd raquo dans la mesure ougrave ce type de mesure judiciaire est
deacutecideacute par les magistrats lors drsquoune premiegravere comparution au tribunal
de la jeunesse En effet comme lrsquoont montreacute drsquoautres recherches laquo la
cateacutegorie des mineurs faisant lrsquoobjet drsquoune mesure de prestation drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral preacutesente le profil le plus ldquoprimo-deacutelinquantrdquo et ldquoprimo-judiciairerdquo raquo
(Vanneste 2001 p 93)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION
Lrsquoanalyse du discours sur lrsquoexpeacuterience veacutecue du placement ou de la pres-
tation
7
permet de deacutegager des veacutecus tregraves diffeacuterencieacutes que nous nous
proposons drsquoorganiser autour de diffeacuterentes laquo strateacutegies raquo de reacuteaction au
processus de judiciarisation Si geacuteneacuteralement lrsquoideacutee de strateacutegie fait reacutefeacute-
rence agrave une deacutemarche construite et consciente en vue drsquoatteindre un
objectif le terme de strateacutegie est compris ici comme la combinaison de
diffeacuterentes faccedilons de laquo dominer la tension qui existe entre lrsquounivers domes-
tique et lrsquounivers de lrsquoinstitution raquo (Goffman 1968 p 110) Plus large-
ment nous comprenons la strateacutegie comme les modes de reacuteaction agrave la
situation creacuteeacutes par la deacutecision judiciaire les modes drsquoadaptation aux
conseacutequences de la judiciarisation La notion de strateacutegie se situe agrave lrsquoarti-
culation du systegraveme social et de lrsquoindividu du social et du psychologique
Les strateacutegies de reacuteponse agrave une situation sociale deacutecrivent simple-ment les comportements individuels ou collectifs conscients ouinconscients adapteacutes ou inadapteacutes mis en œuvre pour atteindrecertaines finaliteacutes La notion de strateacutegie appliqueacutee au champsocial suggegravere que lrsquoindividu dispose drsquoune certaine liberteacute dechoix dans les limites des regravegles du jeu Elle exprime commentles comportements individuels sont le reacutesultat drsquoune interactionde facteurs sociaux et individuels Elle permet de lire les diffeacute-rentes maniegraveres dont les acteurs laquo font avec raquo les deacuteterminantssociaux en fonction de quels paramegravetres sociaux familiaux oupsychologiques La diversiteacute relative des comportements en reacuteponseagrave des situations sociales similaires met en eacutevidence le caractegravereinteractionnel dynamique et complexe du processus (De Gaulejacet Leonetti 1994 p 184)
Nous nous inteacuteressons ici agrave la reconstruction subjective des trajectoires
des jeunes (Delens-Ravier 2001 p 13) Il ne srsquoagit pas de retracer lrsquoeacutevo-
lution chronologique des eacuteveacutenements de leur parcours sociojudiciaire
mais de mettre en perspective leur expeacuterience agrave la suite drsquoune deacutecision
judiciaire en deacutegageant les eacuteleacutements cleacutes qui srsquoarticulent dans les diffeacuterentes
strateacutegies eacutevoqueacutees que nous cherchons agrave comprendre du point de vue
7 Lrsquoexpeacuterience de prestation eacuteducative ou philanthropique est relateacutee par deux types dejeunes des jeunes qui ont fait lrsquoobjet drsquoune prestation lrsquoont termineacutee et ont eacuteteacute eacutevalueacutespositivement par les intervenants et le milieu drsquoaccueil des jeunes placeacutes en institutionspeacutecialiseacutee ayant eacuteteacute confronteacutes drsquoune faccedilon ou drsquoune autre agrave ce type de mesurecertains ayant purement et simplement refuseacute drsquoexeacutecuter la mesure Malheureusementle nombre trop restreint drsquoentretiens ne nous permet pas de parler de saturation delrsquoinformation nous ne pouvons que lancer des pistes drsquointerpreacutetation exploratoire duveacutecu de cette mesure
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subjectif de lrsquoacteur Nous retenons comme eacuteleacutement le veacutecu de la deacutelin-
quance la perception de la deacutecision du magistrat et de la relation agrave celui-ci
la rencontre avec les acteurs institutionnels lrsquoappreacuteciation globale de la
mesure par la faccedilon dont est veacutecu le reacutegime institutionnel
741 V
EacuteCU
DE
LA
DEacuteLINQUANCE
La deacutelinquance est une attitude speacutecifique de la peacuteriode de lrsquoadolescence
La plupart des passages agrave lrsquoacte sont des vols simples et de la consomma-
tion de cannabis et constituent une activiteacute propre agrave un processus de
deacuteveloppement normal agrave la peacuteriode charniegravere de lrsquoadolescence Bien
qursquoeacutetiqueteacutes comme laquo mineurs deacutelinquants raquo par les instances peacutenales et
stigmatiseacutes par les multiples placements nombre drsquoentre eux refusent de
srsquoidentifier agrave une telle image Ils revendiquent au contraire un droit agrave
lrsquoerreur un droit agrave lrsquoexpeacuterimentation Ainsi srsquoils reconnaissent les faits
pour lesquels ils sont poursuivis leur interpreacutetation de ceux-ci ne corres-
pond certainement pas agrave la lecture reacuteductrice proposeacutee par le systegraveme
judiciaire faisant reacutefeacuterence aux cateacutegories du code peacutenal
La plupart des jeunes insistent sur une dimension fondamentale qui
les lie agrave lrsquoaction elle-mecircme laquo
lrsquoadreacutenaline
raquo Lrsquoanxieacuteteacute au moment de voler
est stimulante ils eacutevoquent aussi la prise de risque et la reacuteussite le plaisir
lieacute agrave la consommation de stupeacutefiantshellip Nombreux sont ceux qui confessent
avoir trouveacute dans la vente de stupeacutefiants ou le vol laquo quelque chose dans
lrsquoaction qui ne se passe pas ailleurs raquo (Brion et de Coninck 1999 p 939)
Associeacutee agrave la prise de risque laquo
lrsquoadreacutenaline
raquo est lrsquooccasion de vivre des
eacutemotions intenses qui deacutepassent largement leur quotidien habituel Le fait
de commettre les deacutelits en groupe augmente par ailleurs le plaisir ressenti
Crsquoest le stress aussi Crsquoest de vivrehellip Je crois comme dans les films vousvoyez Crsquoest bon simplement crsquoest de lrsquoadreacutenaline (Manu 17 ans)
Drsquoautres recherches ont drsquoailleurs mis en eacutevidence que laquo lrsquoentreacutee
dans le style de vie deacuteviant relegraveve presque toujours initialement drsquoune
motivation lieacutee agrave la recherche du plaisir raquo (Brunelle Cousineau et Brochu
2002 p 24)
La recherche drsquoargent est une autre motivation fondamentale pour
ces jeunes Elle prend pour eux des connotations particuliegraveres drsquolaquo argent
facile raquo ou drsquolaquo argent-compensation raquo Deacutepenser de lrsquoargent est synonyme
drsquoexister de vivre Durckheim avait deacutejagrave souligneacute le lien entre sentiment
drsquoexister et deacutepenses laquo Vivre crsquoest avant tout agir agir sans compter pour
le plaisir drsquoagir Et [hellip] srsquoil faut amasser pour pouvoir deacutepenser crsquoest
pourtant la deacutepense qui est le but et la deacutepense crsquoest lrsquoaction raquo (tel que
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
citeacute dans
Grell 1999 p 207) La recherche drsquoargent se manifeste sous
deux formes particuliegraveres le plaisir de lrsquoargent facile ou la jouissance de
posseacuteder et la compensation drsquoune situation deacutefavorable Lrsquoargent facile
ou lrsquoargent plaisir correspond agrave des beacuteneacutefices rapidement acquis par la
vente de stupeacutefiants ou le vol de voitures qui poussent agrave la surconsomma-
tion Cet argent mateacuterialiseacute par lrsquoachat de produits ostensibles et luxueux
(motos vecirctementshellip) brucircle les doigts vite acquis il est vite deacutepenseacute
Lrsquoargent facile est ainsi une tentation agrave laquelle il est difficile de reacutesister
qui procure de plantureux beacuteneacutefices inaccessibles par des voies leacutegalement
reconnues au vu du niveau scolaire familial et social
Crsquoest fou lrsquoargent qursquoon peut se faire
[en vendant des pilules drsquoecstasy]
Crsquoest laquo deacutegueulasse raquo parce qursquoon vend de la mort Moi jrsquoaime bien lrsquoargentcomme tout le monde peut-ecirctre un peu plus Quand jrsquoai de lrsquoargent je ledeacutepense direct Et quand je vendais je pouvais me permettre tout je pou-vais mrsquoacheter tout je me faisais un meacutechant beacuteneacutefice Et quand je vaissortir je vais toujours y retourner pour aller en chercher Je vais recommen-cer agrave vendre crsquoest clair Je vendrai agrave gauche et agrave droite pour arrondir mesfins de mois Jrsquoaimerais bien arrecircter mais quand on sait combien ccedila rap-porte ccedila va ecirctre plus fort que moi Crsquoest la tentation de lrsquoargent facile Crsquoestpas si eacutevident Ici on peut faire un projet mais quand on est dehors crsquoestpas la mecircme vie
(Dominique 17 ans)
La recherche drsquoargent peut eacutegalement ecirctre en lien avec un contexte
de vie aux ressources financiegraveres limiteacutees Le vol est alors un mode
drsquoappropriation drsquoobjets consideacutereacutes comme inaccessibles La deacutelinquance
se preacutesente parfois comme une modaliteacute de survie neacutecessaire agrave lrsquointeacutegration
dans une socieacuteteacute de consommation lorsqursquoon ne beacuteneacuteficie pas des moyens
drsquoy participer pleinement (Delens-Ravier et Thibaut 2003 p 30)
Faut voir les circonstances pourquoi il a voleacute
[hellip]
Srsquoil a vu une belle pairede chaussures dans un magasin que ses parents ne savent pas payerhellipQursquoest-ce qursquoil va faire le jeune Il va aller voler pour se les payer crsquoesttouthellip Srsquoil y avait du travail srsquoil y avait quelque chose pour nous occuperce serait laquo agrave lrsquoaise raquo Mais en Belgique il nrsquoy a rien du tout pour les jeunes
(Rodovan 17
1
2
ans)
Les deacutelits peuvent eacutegalement avoir pour objet drsquoexprimer des diffi-
culteacutes drsquoordre familial permettant une visibiliteacute accrue agrave travers la reacuteaction
judiciaire Lrsquoexpression des difficulteacutes correspond agrave une quecircte drsquoidentiteacute
ou de reacuteponses parentales Cet appel agrave exister peut srsquoadresser non seule-
ment agrave la famille mais agrave lrsquoensemble de la socieacuteteacute comme reacuteponse aux
interpellations policiegraveres systeacutematiques aux
homes
ougrave lrsquoon est placeacute aux
eacutecoles dont on a eacuteteacute exclu au patron qui a refuseacute drsquoembaucherhellip Ce type
de laquo motivation raquo de la transgression fait reacutefeacuterence agrave une situation person-
nelle insatisfaisante laissant preacutesager des trajectoires discontinues marqueacutees
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par les ruptures notamment avec le milieu familial et risquant de conduire
agrave la deacutesaffiliation ou agrave une affiliation deacuteviante agrave la vengeance agrave lrsquoauto-
destructionhellip (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 14)
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutelinquance des jeunes rencontreacutes peut se
comprendre comme une eacutechappatoire agrave une socialisation contraignante
difficile voire impossible pour eux Dans ce sens la transgression est vue
comme un signe de bonne santeacute pour des jeunes que le monde nrsquoattend
pas ce dont ils ont pris conscience assez tocirct notamment agrave travers leur
veacutecu scolaire et la position sociale de leurs familles Comme le dit tregraves
justement Grell agrave propos de jeunes Canadiens
[hellip] leurs deacuteambulations existentielles indissociables de leurs pas-sions et leurs excegraves seraient agrave lire comme drsquoincessantes tentativesde deacutepassement de ce preacutesent tragique drsquoun monde qui au lieude leur offrir des prises fermes leur met plutocirct des sables mou-vants sous les pieds Leurs deacuteambulations existentielles excessiveset passionneacutees ne posent-elles pas degraves lors lrsquoinsoutenable questionde lrsquoinsignifiance drsquoun monde qui ne constitue plus ou insuffisam-ment lrsquoarmature de lrsquoexistence des mortels Les excegraves et les mul-tiples eacutecarts de ces jeunes ne sont-ils pas dans ce cas un signe desanteacute la fabrication drsquoanticorps ayant pour fonction de franchirles limites de la maladie mondaine (Grell 1999 p 210)
Les diffeacuterents sens de la transgression peuvent cohabiter chez un
mecircme jeune eacutevoluer au fil du tempshellip La faccedilon de vivre leur deacuteviance
ne paraicirct pas vraiment centrale dans la reacuteaction subjective agrave la mesure
judiciaire Ce nrsquoest donc pas le veacutecu de leur deacutelinquance qui srsquoarticule
avec drsquoautres eacuteleacutements comme le sentiment de justice ou drsquoinjustice de
la deacutecision ou le type de rapports aux acteurs sociaux et judiciaires mais
bien le fait que les acteurs judiciaires et sociaux vont prendre en consideacute-
ration laquo leur raquo interpreacutetation subjective de leur deacutelinquance le sens que
les jeunes eux-mecircmes lui donnent dans leur contexte particulier ce qui
neacutecessite eacutecoute et compreacutehension au-delagrave de lrsquoaffirmation de la norme
et de la leacutegitimation drsquoune sanction
742 L
A
DEacuteCISION
DU
MAGISTRAT
La deacutecision de placement en IPPJ se preacutesente clairement comme une
punition agrave leurs yeux justifieacutee ou non Elle apparaicirct comme une reacuteponse
logique essentiellement en comparaison avec le systegraveme peacutenal adulte dans
la mesure ougrave ils admettent avoir fait des laquo conneries raquo et qursquoil est normal
drsquoecirctre laquo puni raquo Il srsquoagit parfois drsquoune deacutecision par deacutefaut lorsque les
familles ne veulent plus rien entendre ou qursquoaucune autre institution
nrsquoaccepte le mineur La deacutecision est cependant veacutecue comme une injustice
si le jeune ne reconnaicirct pas les faits lorsque le deacutelai entre les faits et la
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sanction est trop long lorsqursquoune seacuterie de mesures srsquoaccumulent sans que
le jeune perccediloive quelle est la sanction veacuteritable lorsque les conditions
drsquoentreacutee et de sortie ne sont pas clairement eacutetablies lorsque la diffeacuterence
de traitement entre mineurs et majeurs ou drsquoun arrondissement judiciaire
agrave lrsquoautre est trop marqueacutee
La deacutecision qui consiste en lrsquoinjonction de reacutealisation drsquoune prestation
eacuteducative ou philanthropique est veacutecue comme une sanction laquo leacutegegravere raquo
comparativement au placement jugeacute trop seacutevegravere
Jrsquoavais peur de ce qursquoelle
[juge de la jeunesse]
allait me dire De ce quejrsquoallais avoir Si jrsquoallais ecirctre placeacute ou pas Je mrsquoattendais pas agrave ccedila jemrsquoattendaishellip Je sais pashellip Plus seacutevegravere Et ici ccedila allait
(Joseo 18 ans)
Elle est accepteacutee par certains dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice
jugeacutee alors moins laquo coucircteuse raquo qursquoun placement ou carreacutement refuseacutee par
drsquoautres car repreacutesentant une sorte de laquo travaux forceacutes
8
raquo
743 L
E
MAGISTRAT
DE
LA
JEUNESSE
Le juge de la jeunesse est une figure marquante associeacutee avant tout agrave
lrsquoinstance qui peut deacutecider drsquoun placement dont la crainte repreacutesente
vraiment le pivot autour duquel srsquoarticule lrsquoappreacuteciation que les jeunes
ont de lrsquointervention judiciaire comme si pour eux le juge nrsquoavait pas
drsquoautres mesures agrave sa disposition
Les diffeacuterentes images de juges qui eacutemergent du discours des jeunes
renvoient agrave des perceptions contrasteacutees Elles vont drsquoune appreacuteciation
franchement neacutegative (le juge qui place sans reacuteflexion) agrave une appreacuteciation
franchement positive (le juge protecteur et paternaliste) Le juge qui place
sans reacuteflexion
est celui qui mateacuterialise son action par une mesure de
placement comme reacuteponse unique malgreacute la diversiteacute des jeunes ou des
situations qursquoil rencontre La relation est ici hyperstandardiseacutee lrsquoespace
de parole accordeacute aux jeunes et agrave leur famille apparaissant extrecircmement
restreint Aux yeux des jeunes la systeacutematisation du placement est reacuteveacutela-
trice agrave la fois drsquoun manque drsquoindividualisation des mesures et donc drsquoeacutecoute
et drsquoun manque de connaissance des reacutealiteacutes institutionnelles Certains
jeunes reacutepondent alors par la fugue agrave ce manque drsquoeacutecoute ressenti au
moment de la deacutecision ou au cours de leur placement strateacutegie qui oblige
le juge de la jeunesse agrave rouvrir le deacutebat sur leur compte Agrave lrsquoopposeacute le
juge protecteur et paternaliste
constitue lrsquoimage inverseacutee du juge laquo qui
place sans reacuteflexion raquo Ici le rocircle du juge de la jeunesse deacuteborde celui de
8 Voir plus bas les diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction
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laquo dire la loi raquo et son intervention deacutepasse le cadre du fait commis Il nrsquoest
pas lagrave uniquement pour sanctionner il cherche agrave comprendre agrave aider Ce
nrsquoest cependant pas lrsquoideacutee drsquoassistance qui suffit en soi agrave eacutetayer cette image
du laquo bon raquo juge Lrsquoimage positive du juge est le reacutesultat de la conjugaison
de plusieurs eacuteleacutements notamment le respect du jeune (par exemple en
faisant respecter les droits du jeune par les policiers) la franchise et la
clarteacute des deacutecisions Neacuteanmoins la figure peut ecirctre double juge paternel
dans des situations de mineur en danger juge laquo placeur raquo lorsque le jeune
a commis un fait qualifieacute drsquoinfraction Les deux facettes sont fonction de
la motivation de la saisine mais sont eacutegalement conditionneacutees par le
conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance qursquoil
parvient agrave susciter ou non
Si les images du juge diffegraverent il existe une certaine constance dans
les relations Preacutevaut drsquoabord la crainte du placement Ainsi bien que les
jeunes qualifient geacuteneacuteralement de laquo
bonnes
raquo les relations avec leur juge
eacutevoquant mecircme une certaine proximiteacute affective en parlant de laquo
mon (ma)juge
raquo
ils perccediloivent les deacutecisions prises par le magistrat comme eacutetant en
quelque sorte exteacuterieures agrave cette relation comme si le juge ne maicirctrisait
pas reacuteellement sa deacutecision guideacutee par des facteurs exteacuterieurs
Dans leurs appreacuteciations les jeunes distinguent acteurs judiciaires et
systegraveme de justice des mineurs Si le juge est parfois consideacutereacute comme un
laquo bon raquo juge et appreacutecieacute le systegraveme de justice est globalement perccedilu
comme injuste pour ces jeunes marginaliseacutes
Moi la justice je trouve qursquoelle est pas juste crsquoest touthellip Je dis pas dujuge il est pas juste je dis la socieacuteteacute elle est pas juste
(Nick 16 ans)
744 L
ES
ACTEURS
INSTITUTIONNELS
9
La confrontation avec les acteurs institutionnels est la cleacute de voucircte du
systegraveme eacuteducatif de placement en institution speacutecialiseacutee Les acteurs cleacutes
aux yeux des jeunes sont drsquoabord les eacuteducateurs lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-
sociale (assistants sociaux psychologues meacutedecin psychiatre) et enfin
les autres jeunes
7441 Les eacuteducateurs
Les jeunes insistent sur la distance ineacuteluctable et neacutecessaire qui existe
entre jeunes et eacuteducateurs bien que les deux soient soumis aux regravegles et
agrave lrsquoinfrastructure institutionnelle et soient pris dans les mecircmes contraintes
9 Nous deacuteveloppons ici exclusivement le discours des jeunes placeacutes les donneacutees concer-nant les jeunes en prestation eacutetant trop restreintes
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Comme dans leurs rapports avec les magistrats les relations avec les eacutedu-
cateurs sont marqueacutees par les laquo
figures
raquo auxquelles ces derniers se rattachent
selon les jeunes Ainsi lrsquoeacuteducateur laquo
qui eacutecoute et qui rigole
raquo correspond agrave
une image positiveacutee du rocircle drsquoeacuteducateur Cette image renvoie agrave une fonc-
tion de compreacutehension drsquoeacutecoute attentive au-delagrave drsquoune simple eacutecoute
qui restitue en retour une image positive au jeune le valorisant et lui
permettant de croire en lui Ce type drsquoeacuteducateur parvient agrave une connais-
sance suffisante du jeune pour arriver agrave lui mettre des limites Il est eacutega-
lement engageacute dans son travail essentiellement par son inteacuterecirct profond
pour les jeunes eux-mecircmes avant toute recherche de reconnaissance
sociale ou peacutecuniaire Une autre figure est lrsquoeacuteducateur laquo
avec qui on rigolepas
raquo qui se cantonne dans le respect strict du regraveglement la discipline
nrsquoest pas neacutegocieacutee elle est appliqueacutee au pied de la lettre Il en reacutesulte un
manque de souplesse et de dialogue lrsquoapplication du regraveglement strict
apparaissant comme une fin en soi Une derniegravere figure est celle de lrsquoeacutedu-
cateur laquo
lasseacute
raquo
qui aux yeux des jeunes ne remplit son rocircle ni dans lrsquoani-
mation de groupe ni dans le maintien de la discipline
7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale
Les deux acteurs principaux de ces eacutequipes dans la vie des jeunes sont les
assistantes et assistants sociaux et les psychologues Selon eux lrsquoeacutequipe
remplit trois fonctions le laquo
gribouillage
raquo rocircle drsquoexpertise par la reacutealisation
de tests et la reacutedaction de rapports dont les jeunes ne perccediloivent pas la
finaliteacute lrsquoeacutecoute et le soutien et enfin lrsquoeacutelaboration du projet de sortie
Lorsque les professionnels sont perccedilus comme centreacutes essentiellement sur
leur mission drsquoobservation et drsquoexpertise les relations sont insatisfaisantes
pour les jeunes qui ne se sentent degraves lors pas laquo
eacutecouteacutes
raquo
Par contre lorsque les intervenants psychosociaux sont preacutesents dans
le quotidien des jeunes et qursquoils peuvent se rendre disponibles en cas de
difficulteacute ou de demande ils sont perccedilus comme un soutien reacuteel
Lrsquoeacutelaboration du projet de sortie est le reflet de tous les obstacles
que devront surmonter ces jeunes pour devenir les laquo entrepreneurs raquo de
leur existence (Blairon 2003 p 8) alors qursquoils sont marqueacutes par la releacute-
gation et la deacutesaffiliation Ainsi lorsque le projet qui tient agrave cœur au jeune
ne correspond pas vraiment agrave un projet de sortie mais srsquoapparente plutocirct
agrave une recherche sur soi-mecircme son eacutelaboration avec les membres de
lrsquoeacutequipe psychosociale si celle-ci ne se limite pas agrave son rocircle laquo drsquoeacutecriture
de rapports raquo peut ecirctre lrsquooccasion drsquoune rencontre et drsquoune eacutecoute Mais
lorsque le projet est discuteacute dans un cadre laquo moralisateur raquo ougrave les objectifs
sont deacutefinis par lrsquoensemble des intervenants plutocirct que par le jeune lui-
mecircme il apparaicirct comme le vecteur unique de communication et reste
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enfermeacute dans son caractegravere hyperformel Il ne permet pas alors une reacuteelle
eacutecoute ni un reacuteel travail sur laquo le sens veacutecu raquo des actes poseacutes il nrsquoest que
conformiteacute de surface aux attentes sociales
745 DIFFEacuteRENTES STRATEacuteGIES DE REacuteACTION
Les diffeacuterentes reacuteactions agrave la mesure de placement articulant les eacuteleacutements
cleacutes que nous venons drsquoexposer reacuteactions qui eacutemergent agrave lrsquoanalyse font
reacutefeacuterence soit agrave une eacutevolution en termes drsquoadaptation et de rationalisation
de la mesure alors veacutecue comme une possibiliteacute de laquo rachat raquo soit agrave une
eacutevolution en termes de repli et de refus Et dans ce cas la mesure est veacutecue
comme une punition insupportable Une derniegravere strateacutegie consiste agrave se
rendre en quelque sorte impermeacuteable agrave ne pas donner prise aux interve-
nants en adoptant une attitude minimale de conformisme de surface ou
drsquoindiffeacuterence
Les discours tregraves contrasteacutes des quelques jeunes rencontreacutes dans le
cadre de lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de prestation eacuteducative alimentent
lrsquohypothegravese drsquoune strateacutegie de reacuteaction srsquoarticulant autour des rapports
que le jeune entretient avec le corps social en termes drsquointeacutegration ou
drsquoexclusion La mesure peut ainsi se preacutesenter comme une sanction per-
mettant de tourner la page une humiliation suppleacutementaire insuppor-
table ou une sanction ineacuteluctable moins coucircteuse qursquoun placement trois
formes de reacuteaction apparenteacutees selon nous agrave celles que manifestent les
jeunes placeacutes
7451 Une strateacutegie drsquoadaptation et de rationalisation
Si le placement deacutebute toujours par des premiegraveres semaines difficiles
certains jeunes srsquoadaptent progressivement agrave lrsquoenvironnement institution-
nel en laissant place agrave une volonteacute de tirer un certain profit de leur seacutejour
Ils tentent de positiver la mesure par lrsquoappropriation des objectifs du
placement judiciaire en termes de victoire sur eux-mecircmes (en se maicirctri-
sant suffisamment pour parvenir agrave se conformer au carcan institutionnel)
drsquoinvestissement dans lrsquooffre scolaire et dans les divers apprentissages
sociaux Le temps du placement permet alors drsquoalimenter certains objec-
tifs personnels du jeune il est veacutecu comme lrsquooffre drsquoune chance de srsquoen
sortir Ces jeunes sont demandeurs drsquoun encadrement drsquoun accompagne-
ment drsquoun soutien speacutecifique par rapport agrave leur probleacutematique et sont
donc tregraves exigeants agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadulte
Que peut-on retenir comme eacuteleacutements srsquoarticulant autour de ce type
de reacuteaction au placement en institution speacutecialiseacutee Il ne semble pas que
lrsquoacircge des mineurs le reacutegime fermeacute ou ouvert le type de deacutelinquance ou
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194 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
son veacutecu soient des facteurs de compreacutehension particuliers Lrsquoorigine
sociale et culturelle de ces mineurs qui rationalisent leur expeacuterience est
diversifieacutee belge europeacuteenne et africaine Une prise de conscience au
terme drsquoun parcours chaotique jalonneacute de nombreuses prises en charge
srsquoamorce pour permettre cette rationalisation Un deacuteclic semble se faire
comme srsquoils eacutetaient arriveacutes laquo au bout du bout raquo mais drsquoautres se trouvant
dans le mecircme type de situation vont reacuteagir tout agrave fait diffeacuteremmenthellip
Un premier eacuteleacutement est le fait de consideacuterer la deacutecision judiciaire
comme une deacutecision logique et juste mecircme srsquoils auraient preacutefeacutereacute une
autre deacutecision10
Il semblerait que le veacutecu relationnel avec lrsquoun des acteurs judiciaires
principaux soit un eacuteleacutement de compreacutehension de cette position de ratio-
nalisation Ainsi pour ces jeunes la rencontre avec leur juge de la jeunesse
ou avec un eacuteducateur ou un membre de lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale
de lrsquoinstitution se preacutesente comme une offre reacuteelle la personne est vue
par le jeune comme cherchant agrave le comprendre agrave lui donner une chance
agrave lui offrir quelque chose dans un contexte geacuteneacuteral ougrave preacutevaut lrsquoimpres-
sion de rejet et de meacutepris On retrouvera ici les figures de juge laquo protecteur
et paternaliste raquo drsquoeacuteducateur laquo avec qui on peut rigoler raquo et drsquointervenants
psychosociaux donnant prioriteacute agrave leur mission drsquoeacutecoute et de soutien11 Si
le reacutegime fermeacute ou ouvert nrsquoest pas en lui-mecircme un eacuteleacutement de compreacute-
hension particulier la faccedilon dont ce reacutegime srsquoorganise soit en privileacutegiant
lrsquoaspect eacuteducatif agrave travers le relationnel soit en donnant la prioriteacute au
respect des regravegles et agrave la discipline est un facteur drsquointelligibiliteacute de la
reacuteaction des jeunes
La situation familiale de ces jeunes est pour la plupart drsquoentre eux
profondeacutement insatisfaisante le placement en institution speacutecialiseacutee sera
parfois lrsquooccasion de renouer un lien avec la famille de tenter une der-
niegravere fois de retrouver une confiance agrave partir du travail de lrsquoinstitution
Cependant pour certains lrsquoinstitution sera le dernier refuge avant de se
retrouver seul dans la vie en socieacuteteacute sachant qursquoil sera impossible de
compter sur lrsquoenvironnement familial Lrsquoinstitution est alors la derniegravere
eacutetape avant lrsquoautonomie
On retrouve le mecircme type de strateacutegie associeacutee agrave une reacuteaction de
rationalisation chez des jeunes ayant accompli une prestation eacuteducative
lorsque celle-ci est veacutecue comme lrsquooccasion drsquoune expeacuterience positive nou-
velle qui permet agrave la fois de deacutecouvrir de nouveaux horizons de chasser
10 Voir plus haut
11 Voir plus haut laquo Le magistrat de la jeunesse raquo
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lrsquoennui et de restaurer une image de soi mise agrave mal par les faits de deacutelin-
quance Mecircme srsquoil srsquoagit bien drsquoune sanction imposeacutee par le cadre judi-
ciaire celle-ci se reacutevegravele une expeacuterience positive satisfaisante tant sur le
plan personnel que relationnel et social La satisfaction personnelle est
lieacutee au fait que le travail imposeacute est le plus souvent consideacutereacute comme
inteacuteressant voire agreacuteable Il permet drsquoapprofondir ou drsquoacqueacuterir une
expeacuterience qui pourra se reacuteveacuteler utile ulteacuterieurement il est lrsquooccasion de
deacutevelopper certains savoir-ecirctre Sur le plan relationnel le contact avec le
responsable de lrsquoexeacutecution de la prestation est valorisant de mecircme que
la rencontre avec les eacuteventuels beacuteneacuteficiaires de la prestation (patients
jeunes enfantshellip) Plus largement la valorisation sociale vient du senti-
ment drsquoutiliteacute aupregraves de la communauteacute ressenti par ces jeunes ainsi que
de la possibiliteacute drsquoexister autrement qursquoagrave travers lrsquoacte de deacutelinquance
Vaillant parle de reacuteparation symbolique de restauration du lien lorsque
lrsquoexpeacuterience de travail agrave partir de la mesure de prestation avec tout ce
qursquoelle comporte comme reacutealisations concregravetes deacutemarches rencontres
permet une reacuteelle confrontation ou rencontre entre le mineur deacutelinquant
et les autres laquo La reacuteparation se pose sur le mode de la reacuteconciliation
sociale le jeune et la socieacuteteacute doivent tous les deux faire un pas pour aller
lrsquoun vers lrsquoautre raquo (Vaillant 2000 p 71)
Jrsquoai appris quelque chose et moi jrsquoai fait ce qursquoon me demande de faire pourreacuteparerhellip Alors moi je savais deacutejagrave que crsquoeacutetait possible drsquoapprendre un meacutetierAu lieu drsquoaller dans un internat ou dans une prison pour un mois oudeux mois on nous demande de travailler comme ccedila pour la socieacuteteacute commeccedila en mecircme temps on fait quelque chose de bien on travaille bien Oui onse fait punir mais drsquoune autre faccedilon (Joseo 18 ans)
Lrsquoeffet de reconstruction de lrsquoimage du jeune et par lagrave drsquoune forme
de lien social est ici indeacuteniable Au-delagrave de lrsquoimage neacutegative qursquoun jeune
laquo deacutelinquant raquo pensait donner de lui le veacutecu de la prestation lui permet
de ne pas ecirctre reacuteduit agrave lrsquoacte commis de tourner la page et de conserver
la consideacuteration des autres
Ce type de strateacutegie est deacuteveloppeacute par des jeunes que nous avons
situeacutes du cocircteacute du pocircle inteacutegration la judiciarisation du passage agrave lrsquoacte
rompt un eacutequilibre dans les rapports que le jeune entretient avec son
entourage social scolaire et familial et la mesure permet de restaurer
une nouvelle forme drsquoeacutequilibre Le jeune srsquoapproprie les objectifs eacuteduca-
tifs des intervenants qursquoil rencontre tant dans la proceacutedure judiciaire que
sur le terrain drsquoexeacutecution de la prestation
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196 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
7452 Une strateacutegie de repli-refus
Agrave lrsquoinverse certains jeunes pratiquent une strateacutegie de repli par rapport
agrave leur placement lequel est veacutecu essentiellement comme une limite neacutega-
tive une sanction sans offre positive Ils adoptent une attitude activement
neacutegative La mesure est veacutecue essentiellement comme une punition une
forme drsquoemprisonnement mecircme srsquoil srsquoagit drsquoun placement en milieu eacutedu-
catif ouvert crsquoest le laquocalvaireraquo Ce type de jeunes nrsquoaccroche agrave rien deacuteveloppe
une influence neacutegative sur le groupe et un travail constructif est tregraves
difficile agrave mettre en œuvre Souvent drsquoailleurs ces jeunes finissent par
fuguer de lrsquoinstitution marquant ainsi clairement leur refus
Il semblerait que les jeunes qui pratiquent cette strateacutegie soient plus
jeunes que ceux qui rationalisent sans doute la maturiteacute ou lrsquoaccumula-
tion des mesures jouent-elles un rocircle agrave cet eacutegard Si les origines de ces
jeunes sont diversifieacutees ndash belge europeacuteenne ndash on retrouve ici des jeunes
drsquoorigine maghreacutebine refusant drsquoailleurs le plus souvent de srsquoexprimer sur
leur veacutecu sur leur famille sur leur deacutelinquance niant mecircme les faits12hellip
Agrave partir drsquoune perception de la sanction comme injuste en raison
du deacutelai de la proceacutedure du flou entourant la dureacutee de la deacutecision judi-
ciaire des diffeacuterences de traitement selon les arrondissements ou lrsquoacircge ou
plus largement drsquoun sentiment drsquoecirctre constamment floueacute et rejeteacute la
mesure de placement est veacutecue exclusivement en termes de laquo perte detemps raquo drsquoennui de temps srsquoeacutetirant agrave lrsquoinfini Lrsquoaccent est mis sur le cadre
laquo merdique raquo de lrsquoinstitutionhellip Les rapports aux acteurs judiciaires au juge
notamment se caracteacuterisent par lrsquoincompreacutehension mutuelle et le senti-
ment drsquoinjustice subie on retrouve ici les figures de juges laquo qui placent sansreacuteflexion raquo
Le parcours est chaotique mais aucune intervention aucune ren-
contre nrsquoa encore pu lui donner un sens Les eacuteducateurs sont perccedilus
comme laquo lasseacutes raquo ou se cantonnant dans lrsquoapplication du regraveglement les
intervenants psychosociaux leur semblent se contenter drsquoeacutecrire des rap-
ports Tout se passe pour ces jeunes comme si les eacuteveacutenements se deacuterou-
laient en dehors drsquoeux ils subissent avec colegravere ce qui leur arrive Ce sont
des jeunes qui parlent peu de leur environnement familial ou refusent
mecircme carreacutement drsquoen parler Les rapports au monde sont veacutecus en termes
drsquoinjustice la sanction est une iniquiteacute suppleacutementaire Ils se trouvent
12 Il conviendrait de poursuivre les recherches pour comprendre cette meacutefiance et cettereacuteticence agrave se confier
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dans un eacutetat profond drsquoinsatisfaction agrave lrsquoeacutegard des conditions de vie et de
la reacuteaction judiciaire qui peut faire craindre lrsquoinstallation dans un style de
vie deacuteviant (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 25)
On retrouve le mecircme type de strateacutegie chez des jeunes agrave qui le
magistrat impose une mesure de prestation eacuteducative et qui refusent car-
reacutement drsquoentreprendre toute action reacuteparatrice comme ils refuseraient
toute proposition venant de la socieacuteteacute Vaillant dit de ces mineurs qursquoils
se sentent des laquo victimes eacutetrangegraveres agrave toute responsabiliteacute [hellip] Ce nrsquoest
qursquoun juste retour des choses ils manquent de tout on leur doit tout on
ne peut rien leur demander raquo (Vaillant 2000 p 84)
On peut raisonnablement faire lrsquohypothegravese que ces jeunes nrsquoont
jamais connu une quelconque forme de lien social et ne vivent leur rap-
port agrave la socieacuteteacute que comme exclusion et injustice Crsquoest effectivement le
discours de certains jeunes qui ont refuseacute une mesure de prestation et se
sont donc retrouveacutes placeacutes en institution speacutecialiseacutee La prestation devient
ici une laquo proposition injurieuse raquo
Il [le juge] sait bien que ccedila marche pas avec moi Je vais pas commenceragrave me taper la gecircne dans mon quartier agrave faire des travaux geacuteneacuteraux Fautpas commencer non plus Ccedila va aller 250 heures de travaux geacuteneacuterauxou deux semaines agrave la prison je cherche pas agrave comprendre (Yves 16 ans)
7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence
Pour les jeunes qui emploient ce type de strateacutegie le placement est minimiseacute
le jeune srsquoinstalle dans une sorte drsquohibernation pour ne pas donner prise
aux intervenants il laquo attend que le temps passe raquo Cette attitude passive est le
plus souvent perccedilue neacutegativement par les eacutequipes eacuteducatives les jeunes
ne se laissant pas approcher ne permettant aucune opportuniteacute de ren-
contre nrsquoaccrochant pas aux propositions institutionnelles La mesure est
une punition agrave laquelle on se reacutesigne Sachant qursquoils nrsquoont pas vraiment
le choix et nrsquoayant pas envie de tomber plus bas ce type de jeunes se tient
tranquille Leur veacutecu est souvent proche de celui des jeunes qui deacuteve-
loppent une strateacutegie de refus leur caracteacuteristique principale est leur
impermeacuteabiliteacute mais ils sont moins vindicatifs que les jeunes en repli Ils
minimisent lrsquoimpact de la deacutecision judiciaire souvent en reacutefeacuterence agrave la
prison qui est plus deacutesagreacuteable encore Les relations aux acteurs judi-
ciaires ne paraissent pas tregraves porteuses les juges sont perccedilus comme ne
comprenant rien les relations aux eacutequipes eacuteducatives sont veacutecues comme
distantes Ce sont des jeunes qui se reacutefugient derriegravere les faits sans
investissement eacutemotionnel personnel
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198 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
On retrouve en fait la mecircme toile de fond entre la strateacutegie de refus
et drsquoindiffeacuterence il srsquoagit de deux modes de reacuteaction de retrait qui
rendent le travail eacuteducatif tregraves difficile voire impossible On ne peut pas
vraiment consideacuterer qursquoil srsquoagit de strateacutegies diffeacuterentes On serait plutocirct
en preacutesence de deux faccedilons de deacutecliner un rapport de distanciation par
rapport agrave lrsquointervention eacuteducative
Dans le mecircme type de rapport de distanciation on retrouve des
jeunes qui ont accepteacute et reacutealiseacute une mesure de prestation en arguant
principalement sur le caractegravere moins contraignant de la mesure par le
fait qursquoelle permet de conserver sa liberteacute (McIvor 1992 p 94) Il srsquoagit
drsquoune solution agrave moindre coucirct
Vaillant parle de ces mineurs pour qui la mesure de reacuteparation a
glisseacute sur eux sans les mouiller comme des laquo canards qui laissent couler
lrsquoeau sur leurs plumes et ne laissent rien deviner de leurs sentiments raquo
(Vaillant 2000 p 83) Ces jeunes se conforment agrave ce qursquoon leur impose
la prestation se passe bien lrsquoeacutevaluation est globalement positive mais ils
nrsquoinvestissent pas dans la dimension symbolique de la reacuteparation
Ainsi si la prestation est veacutecue uniquement comme une faccedilon drsquoeacutechap-
per agrave une punition plus seacutevegravere dans lrsquoennui et dans lrsquoattente que le temps
srsquoeacutecoule sans reacutealiser lrsquoutiliteacute du travail agrave effectuer sans rencontre inter-
personnelle elle correspond effectivement agrave une reacuteparation mais sans la
dimension de restauration drsquoun lien social Ce type de strateacutegie est deacuteve-
loppeacute par des jeunes que nous avons situeacutes du cocircteacute du pocircle marginalisation
La judiciarisation est alors une sorte de rateacute dans un parcours drsquointeacute-
gration parallegravele la mesure de prestation eacutetant consideacutereacutee comme un
moindre mal dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice elle est accepteacutee par
le jeune qui lrsquoinscrit dans son projet de sortir le plus vite possible du circuit
judiciaire
CONCLUSION
La judiciarisation drsquoune transgression et la deacutecision qui lrsquoaccompagne sont
un eacuteveacutenement marquant qui repreacutesentent le point de deacutepart drsquoune relec-
ture de lrsquoensemble de la trajectoire des mineurs rencontreacutes La date de la
deacutecision judiciaire est drsquoailleurs souvent le seul repegravere temporel La signi-
fication que le jeune va accorder agrave cette deacutecision sanction logique ou
injustice en drsquoautres termes sa perception de la deacutecision est extrecircmement
importante pour comprendre la strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure et ainsi
le sens que celle-ci va prendre dans le parcours du jeune Mais comme le
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dit Carra si laquo lrsquointervention judiciaire par son action stigmatisante contri-
bue agrave lrsquoamplification secondaire de la deacutelinquance cet effet nrsquoest ni absolu
ni ineacutevitable Elle peut dans un contexte speacutecifique contribuer agrave lrsquoarrecirct
des activiteacutes deacutelictuelles Le suivi judiciaire peut finir par ne plus ecirctre veacutecu
comme stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir
le support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire avec lequel ces mineurs
nrsquoont plus de liens positifs raquo (Carra 2001 p 164) crsquoest effectivement ce
que nous disent les mineurs qui deacuteveloppent une strateacutegie de rationalisation
La mesure de placement ou de prestation constitue alors une laquo veacuteritable
promesse de socialiteacute pour des jeunes priveacutes drsquoeacutechanges humains non
commerciaux livreacutes aux trafics magouilles deacutebrouilles et autres eacutecono-
mies de survie raquo (Vaillant 2000 p 67) agrave partir drsquoune rencontre drsquoacteurs
sociaux et judiciaires privileacutegiant lrsquoeacutecoute et le dialogue
La strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure judiciaire se preacutesente comme
une combinaison complexe de diffeacuterents eacuteleacutements de lrsquohistoire person-
nelle du jeune de sa position sociale de son parcours sociojudiciairehellip
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la perception de la mesure et par lagrave son impact
est en lien avec la faccedilon dont srsquoest construit le rapport du jeune agrave la
socieacuteteacute Ainsi un jeune eacutetablissant certaines affiliations qui a des points
drsquointeacutegration et drsquoaccrochage avec lrsquoensemble de la socieacuteteacute percevra la
sanction comme une reacuteaction justifieacutee agrave un acte reconnu comme une
transgression
Si moi je fais une connerie le juge nrsquoaccepte pas donc je dois ecirctre puni etcrsquoest ccedila la punition crsquoest juste (Kevin 17 ans)
Admettant la sanction le jeune pourra la vivre comme une reacuteconci-
liation avec la socieacuteteacute et une reconstruction de lrsquoimage de soi
Agrave lrsquoopposeacute le jeune qui occupe une position drsquoexclusion ou simple-
ment marginale qui nrsquoeacutetablit pas drsquoaffiliation avec les circuits socialement
reconnus vivra la sanction comme un signe suppleacutementaire de rapports
deacutejagrave ressentis comme eacutetant profondeacutement ineacutegalitaires La laquo deacutelinquance raquo
peut ecirctre veacutecue comme une source de revenu une base de statut social
dans un environnement parallegravele le jeune cherche alors comment eacuteviter
(strateacutegie de refus) ou annuler (strateacutegie drsquoindiffeacuterence) ce qursquoimplique
la mesure au lieu de tenter drsquointeacutegrer les valeurs que le juge et les inter-
venants lui proposent agrave travers celle-ci
La reacuteaction des jeunes agrave la mesure judiciaire nrsquoest cependant pas le
seul effet de lrsquointervention du systegraveme de justice des mineurs Celui-ci ne
fait souvent que renforcer certains aspects qui preacuteexistent agrave son action
action qui apparaicirct en fait preacutedeacutetermineacutee par la place de lrsquoindividu au
sein des rapports sociaux (Carra 2001 p 164) Lrsquointervention judiciaire
relative aux mineurs srsquoinscrit dans un processus complexe ougrave interviennent
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200 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
de multiples acteurs et agents de socialisation et au cours duquel laquo la place
que lrsquoindividu occupe dans les rapports sociaux le rendra plus ou moins
vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de vie agrave
lrsquoeacutecole au travail face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-
lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance
juveacutenile raquo (Carra 2001 p 166)
Il semble que la strateacutegie de rationalisation deacutegageacutee du discours de
certains jeunes ne serait accessible qursquoagrave ceux qui ont drsquoune maniegravere ou
drsquoune autre rencontreacute une possibiliteacute de sortir de la domination totale qui
ont eu lrsquooccasion de faire lrsquoexpeacuterience de la reconnaissance et de lrsquoeacutechange
Ainsi par exemple lrsquoimage du juge laquo protecteur et paternaliste raquo image
valoriseacutee par les jeunes qui cherchent agrave laquo profiter raquo de lrsquooffre judiciaire
est perccedilue par des jeunes qui possegravedent suffisamment de maicirctrise des
rouages du systegraveme pour se conformer minimalement aux exigences de
ce systegraveme en parvenant agrave srsquoattirer la bienveillance de ses acteurs13
Lrsquoacceptation de la neacutegociation drsquoun projet de sortie socialement acceptable
est lrsquoun des eacuteleacutements de cette strateacutegie de rationalisation
Tous ces jeunes laquo deacutelinquants raquo parlent drsquoune souffrance sociale ou
familiale leur comportement probleacutematique est finalement une forme de
reacuteponse agrave un besoin de reconnaissance agrave travers la possession de biens
mateacuteriels ou de consommation lrsquoexpression de leur rage ou de leur
malaisehellip Pour comprendre lrsquoarticulation des eacuteveacutenements de leurs trajec-
toires vers la sortie des pratiques deacuteviantes ou au contraire lrsquoinstallation
dans lrsquoescalade il faudrait approfondir la dialectique identiteacute personnelle
reacutegulations sociales dans la production de la deacuteviance (Carra 2001 p 161)
agrave partir de la perception qursquoont les jeunes eux-mecircmes de leur parcours et
des eacuteveacutenements qui le jalonnent Agrave travers notre analyse la perception
subjective des individus est apparue fondamentale dans la compreacutehension
des strateacutegies de reacuteaction aux interventions de reacutegulation sociale Cette
perception est neacuteanmoins le produit drsquoune combinaison drsquoeacuteleacutements qui
tiennent tant aux caracteacuteristiques personnelles du jeune et agrave son histoire
socioculturelle et individuelle qursquoagrave son laquo destin social raquo (De Gaulejac
1994) ougrave la confrontation aux acteurs sociaux et judiciaires et la recon-
naissance qursquoils permettent drsquoobtenir est lrsquoun des eacuteleacutements cleacutes de la
combinaison La quecircte de reconnaissance est au cœur de leur strateacutegie
drsquoadaptation agrave la judiciarisation Crsquoest par la mise en confiance dans une
relation entre le jeune et lrsquoadulte que le jeune va pouvoir se construire
13 Comme nous lrsquoavons deacuteja releveacute la perception du juge est eacutegalement conditionneacutee parle conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance que celui-ciparvient ou non agrave susciter
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE 201
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ou se reconstruire deacutecouvrir une certaine estime de soi par lrsquoinvestisse-
ment dans une activiteacute valorisante qui lui permettra alors de deacutevelopper
une envie minimale de srsquoinscrire dans un projet de sortie reacuteellement per-
sonnel et investi laquo Lrsquoaccegraves agrave un rapport agrave soi reacuteussi deacutepend de la recon-
naissance intersubjective de ses capaciteacutes et de ses reacutealisations raquo (Honneth
traduit par Pourtois 1998 p 9) Lrsquoexpeacuterience de judiciarisation et ce
qursquoelle implique peut permettre cette reconnaissance intersubjectivehellip
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cette conclusion aurait pu faire lrsquoeacuteloge de chacun des chapitres qui consti-
tuent ce collectif drsquoauteurs En adoptant une approche reacutesolument qualitative
tous contribuent en effet drsquoune maniegravere significative agrave lrsquoenrichissement
des connaissances concernant la reacutealiteacute complexe des
trajectoires de viedeacuteviantes
des adolescents Nous avons plutocirct choisi de mettre en relation
les eacuteleacutements de savoir qui se deacutegagent de lrsquoensemble des chapitres car il
est apparu qursquoau-delagrave des contributions singuliegraveres se deacutetachent des lignes
drsquointelligence qui transcendent lrsquoensemble des productions preacutesenteacutees par
les diffeacuterents auteurs Pris individuellement chaque regard poseacute sur un
aspect de la probleacutematique favorise une meilleure compreacutehension de
lrsquointeacuterieur de lrsquounivers de cette jeunesse qui se reacutealise de diverses faccedilons
Certaines sont mieux admises socialement et par conseacutequent jamais remises
en question alors que drsquoautres sont jugeacutees deacuteviantes et attirent lrsquoattention
des chercheurs comme du public en geacuteneacuteral
Agrave la lecture des contributions regroupeacutees dans ce collectif drsquoauteurs
qui tous adoptent une approche qualitative visant la compreacutehension des
trajectoires de vie deacuteviantes
il apparaicirct rapidement que bien qursquoelles
abordent des manifestations diffeacuterentes de la deacuteviance des jeunes bien
qursquoelles mettent lrsquoaccent sur des moments diffeacuterents de la trajectoire et
bien qursquoelles reposent sur des meacutethodologies diffeacuterentes ces contribu-
tions eacutetonnent par le fait qursquoon y retrouve des eacuteleacutements communs qursquoil
importe de souligner et drsquoautres compleacutementaires qursquoil importe de mettre
en relation
Mais avant drsquoentrer dans le vif du sujet qui nous conduira agrave appreacutecier
agrave sa juste valeur lrsquoapport drsquoune approche qualitative prenant diverses
formes agrave la compreacutehension des
trajectoires de vie deacuteviantes
des jeunes il faut
rappeler et insister sur le fait que mecircme si durant la peacuteriode de lrsquoadoles-
cence plusieurs jeunes srsquoadonnent agrave des comportements deacuteviants de
nature de graviteacute et drsquointensiteacute variables seule une minoriteacute drsquoentre eux
srsquoengagent vraiment dans une trajectoire deacuteviante En effet peu de jeunes
deviennent des toxicomanes ou des deacutelinquants laquo structureacutes raquo mecircme si
plusieurs font un certain usage de drogues ou commettent des deacutelits de
faccedilon occasionnelle Et encore tous les jeunes ne le feront pas Mais pour
ceux qui srsquoengagent dans une
trajectoire de vie deacuteviante
ceux auxquels les
auteurs qui participent au preacutesent collectif se sont inteacuteresseacutes certains
constats communs se deacutegagent dont nous ferons eacutetat ici
Drsquoabord tous les auteurs reconnaissent lrsquoimportance de srsquoadresser
directement aux jeunes pour faire la lumiegravere sur leur reacutealiteacute telle qursquoils
la perccediloivent telle qursquoils la vivent Il srsquoagit de comprendre les motivations
les aspirations les projets de ces jeunes consideacutereacutes comme des acteurs de
leur histoire selon lrsquoexpression de Michel Kokoreff Agrave cette fin il est
neacutecessaire drsquoappreacutehender les significations que les jeunes donnent aux
CONCLUSION
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eacuteveacutenements survenant dans leur vie aux sentiments qui srsquoy rattachent et
aux actions qui en deacutecoulent insistent Natacha Brunelle et ses collabora-
teurs Il srsquoagit en effet de reconnaicirctre que les jeunes ne sont pas que des
reacutecepteurs qui subissent passivement les eacuteveacutenements qui jalonnent leur
vie mais qursquoils contribuent dans la mesure des possibiliteacutes qui srsquooffrent agrave
eux agrave forger leur itineacuteraire Les jeunes usent de strateacutegies qursquoils sont les
seuls agrave pouvoir nous faire deacutecouvrir soutiennent tous les auteurs Il convient
donc de faire de la recherche
avec
et non
sur
les jeunes
Il faut toutefois reconnaicirctre comme le font drsquoun bel accord lrsquoensemble
des auteurs que la liberteacute drsquoaction dont jouissent les jeunes est condition-
neacutee par les structures sociales qui lrsquoencadrent Si lrsquoindividu est un acteur
dans le sens ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passive-
ment les effets eacutecrit Ceacutecile Carra il est cependant contraint par son
environnement Il est aussi jugeacute par son entourage et il arrive qursquoil fasse
sien ce jugement Ainsi signale Michel Kokoreff lrsquoindividu deacutesigneacute socia-
lement comme laquo toxicomane raquo se consideacuterera comme tel deacutefini comme
laquo multireacutecidiviste raquo agrave la suite de confrontations multiples avec les autoriteacutes
il ira jusqursquoagrave reprendre cette deacutesignation institutionnelle comme il a inteacute-
rioriseacute son identiteacute de laquo toxicomane raquo Tout se passe preacutecise Ceacutecile Carra
laquo comme si lrsquoidentiteacute prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stig-
matisant de celle-ci eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassu-
mer ces stigmates en les renforccedilant raquo Mais cet effet comme tout autre
effet nrsquoest pas automatique signale lrsquoauteure Il nrsquoy a qursquoagrave rappeler
lrsquoexemple apporteacute par Kokoreff de cet homme qui se preacutesente aux siens
comme un
dealer
pas comme un consommateur mais qui adopte la posi-
tion inverse lorsque mis agrave lrsquoarrecirct par les policiers il vise agrave voir sa sanction
peacutenale alleacutegeacutee
Cela eacutetant il apparaicirct que la compreacutehension de la trajectoire de vie
deacuteviante des jeunes doit passer par lrsquoappreacutehension des interactions qui
contribuent agrave la faccedilonner Selon Michel Kokoreff il faut resituer les eacuteveacute-
nements et les actions dans des parcours et des contextes sociaux ougrave
jouent les relations aussi bien avec les familles et les groupes de pairs
qursquoavec les institutions reacutepressives sanitaires sociales ou scolaires
Crsquoest aussi dans cette perspective que Ceacutecile Carra souligne lrsquoimpor-
tance de consideacuterer lrsquoexpeacuterience subjective de lrsquoindividu comme la reacutesultante
drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions prenant la forme de
neacutegociations ou de meacutediations qui constituent des lieux de tension entre
individus et groupes sociaux placeacutes dans des relations ineacutegalitaires et
conflictuelles Lrsquoauteure tout comme Michel Kokoreff Ceacuteline Bellot et
Maryse Esterle-Hedibel nous ramegravene ainsi agrave la perspective interaction-
niste envisageacutee il y a deacutejagrave plus de quarante ans par Becker les auteurs
tenant compte des avanceacutees theacuteoriques reacutealiseacutees agrave sa suite
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Dans la mecircme ligne de penseacutee chacun des auteurs signale lrsquoimpor-
tance de prendre en compte tout autant les logiques des acteurs que le
rocircle des institutions des familles de lrsquoenvironnement et des groupes de
pairs dans lrsquoanalyse des processus en œuvre dans la constitution de trajec-
toires de vie deacuteviantes Surgit ici la notion de processus qui rapidement
eacutevoqueacutee pourrait laisser penser agrave une forme drsquoengrenage induisant une
certaine lineacuteariteacute ou du moins agrave une certaine seacutequence dans les parcours
des jeunes Ces parcours les conduiraient drsquoune eacutetape agrave lrsquoautre jusqursquoagrave
ce qursquoils srsquoinstallent deacutefinitivement dans un parcours de vie deacutevianthellip ou
qursquoils en sortent Mais lrsquoideacutee forte qui se deacutegage de lrsquoensemble des textes
est celle de la non-lineacuteariteacute des parcours lesquels se dessinent plutocirct
comme une suite de meacuteandres drsquoallers-retours de peacuteriodes drsquointensifica-
tion et de diminution drsquoescalade et de deacutegringolade drsquoabstinence et de
rechutes reacuteversibles Srsquoimposent alors la complexiteacute des parcours et la
difficulteacute de les suivre et de les preacutevoir puisque comme le signale fort
justement Ceacuteline Bellot ceux-ci srsquoinscrivent toujours dans laquo un univers de
possibles qui se construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les
eacuteveacutenements srsquoenchacircssent et que les rencontres avec les autres se reacutealisent
ou non que les rapports sociaux structurent ou non la dialectique deacuteviance
conformiteacute raquo Prendre une photo de la vie du jeune agrave un moment donneacute
de sa vie ou mecircme une seacuterie de photos agrave diffeacuterents moments de sa vie
ne peut que cacher la sinuositeacute de son itineacuteraire et masquer la complexiteacute
qui se trouve derriegravere la construction des trajectoires de vie qui apparaissent
loin drsquoecirctre traceacutees deacutetermineacutees drsquoavance Les motivations peuvent chan-
ger en cours de route En teacutemoigne le passage drsquoune consommation pour
le plaisir agrave une consommation pour lrsquooubli souligneacute par Natacha Brunelle
et ses collegravegues Les perceptions aussi peuvent changer comme crsquoest le
cas lorsque la laquo lune de miel raquo deacutecrite par Marie-Marthe Cousineau et ses
collaboratrices qui marque lrsquoentreacutee dans les gangs pour plusieurs jeunes
garccedilons et filles prend fin et que la peur srsquoinstalle Les situations srsquointer-
influencent neacutecessairement Crsquoest ainsi que les relations familiales repreacute-
sentent agrave la fois laquo le baromegravetre du comportement et la reacutesultante de ce
comportement raquo note Isabelle Delens-Ravier Rejeteacute par les siens le jeune
srsquoenfoncera dans des comportements deacuterangeants qursquoil preacutesente lui-mecircme
comme une forme drsquoappel mais qui entretiennent le rejet Crsquoest eacutegale-
ment ainsi qursquoune bande de jeunes parvient agrave se positionner dans lrsquoespace
local en obligeant les acteurs environnants agrave tenir compte de sa preacutesence
mais que du mecircme coup ce positionnement participe directement non
seulement agrave la marginalisation de ses membres mais aussi agrave leur stigma-
tisation contribuant agrave leur prise en charge par les autoriteacutes chargeacutees de
faire reacutegner lrsquoordre soutient Ceacutecile Carra
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De fait chaque situation est singuliegravere souligne Maryse Esterle-Hedibel
mais on trouve des points communs entre les unes et les autres Lrsquoanalyse
des donneacutees qualitatives fournies par chaque reacutecit de jeune ou par lrsquoobser-
vation de situations au cœur desquelles les jeunes se trouvent mecircleacutes per-
met de deacutefinir des laquo profils de situation raquo La compreacutehension de ces profils
fait apparaicirctre des reacutecurrences qui dessinent des logiques drsquoaction compa-
rables alors que leur confrontation contribue agrave mettre au jour des confi-
gurations particuliegraveres dans lesquelles ces logiques agissent observe Ceacutecile
Carra Agrave cet eacutegard on se rappellera les trajectoires de rue identifieacutees par
Ceacuteline Bellot qui met en lumiegravere la rue comme eacutepisode initiatique dans
la vie du jeune la rue comme tremplin vers le monde conventionnel ou
criminel et la rue deacuterive Qursquoon pense aussi aux trajectoires continues et
discontinues de consommation de drogues et drsquoengagement dans la deacutelin-
quance qursquoeacutevoquent Natacha Brunelle et ses collegravegues pour en avoir fait
une description plus fine ailleurs
Il ne faut donc pas nier ou occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des situations
qui megravenent agrave lrsquoadoption drsquoune
trajectoire de vie deacuteviante
non plus que la
diversiteacute des trajectoires deacuteviantes qui ne saurait drsquoaucune faccedilon se reacutesu-
mer agrave lrsquoadoption drsquoune ligne de conduite toute traceacutee Les eacutetudes montrent
en effet que la trajectoire naicirct drsquointeractions complexes entre lrsquoindividu
son environnement et le contexte qui offre plus ou moins drsquooccasions
licites ou deacuteviantes Par ailleurs srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la
trajectoire il faut retenir quelles sont les expeacuteriences qui contribuent au
renforcement ou au contraire agrave lrsquoeffritement ou agrave la cassure
drsquoune trajec-toire de vie deacuteviante
Il srsquoagit en somme comme le reacutesume fort bien Ceacuteline
Bellot laquo de saisir la mise en mots du parcours biographique [dans le reacutecit
qursquoen fait le jeune lui-mecircme] mise en mots qui donne accegraves agrave la logique
des neacutegociations identitaires de lrsquoindividu raquo et aux expeacuteriences qui mar-
quent la vie du jeune Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindi-
vidu aux rencontres que celui-ci fait ou non ndash et aux expeacuteriences qursquoil vit
ou non ndash en tenant compte des significations et des sentiments qui srsquoy
rattachent pour mettre en lumiegravere les tenants et les aboutissants qui
srsquoentremecirclent dans la constitution de la
trajectoire de vie deacuteviante
Au regard de ces connaissances qursquoaura permis drsquoacqueacuterir une
approche qualitative diversifieacutee dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie
deacuteviantes des jeunes se dessinent des lignes drsquoaction pour lrsquointervention
Puisque le jeune est lrsquoacteur principal de sa trajectoire il faut le laisser tracer
le portrait de cette trajectoire en insistant pour qursquoil fasse eacutetat du sens qursquoil
donne et des sentiments qursquoil associe aux eacuteveacutenements qursquoil vit Il faut du
mecircme coup tenter de faire la lumiegravere sur les interactions agrave lrsquoœuvre agrave
chaque occasion Reconnaissant le rocircle des interactions dans la constitu-
tion des trajectoires deacuteviantes des jeunes ainsi que celui des structures
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sociales il apparaicirct incontournable drsquoadopter une approche drsquointervention
systeacutemique qui non seulement srsquoadresse agrave lrsquoindividu mais tient eacutegalement
compte de lrsquoenvironnement dans lequel celui-ci eacutevolue et sur lequel il agit
Une telle approche exige des diffeacuterents intervenants qursquoils travaillent de
maniegravere concerteacutee
Agrave la suite de Ceacuteline Bellot nous soutenons qursquoune approche quali-
tative dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie des jeunes se reacutevegravele un outil
majeur tant en intervention qursquoen recherche Le recours agrave un tel outil
vient soutenir le regard porteacute sur la complexiteacute des situations sur la
nature de lrsquoexpeacuterience biographique de mecircme que sur les capaciteacutes de
structuration qursquoengendrent les interventions notamment reacutepressives en
renforccedilant les meacutecanismes de stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent
les jeunes Il peut tout aussi bien permettre de mieux cerner les sorties
de la deacuteviance et les aleacuteas que celles-ci comportent
Enfin srsquoil est important pour les intervenants drsquoagir de concert il
en va de mecircme des chercheurs qui devraient collaborer en vue de parve-
nir agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun savoir multidisciplinaire articuleacute autour du jeune
lui-mecircme au cœur des preacuteoccupations et des devis de recherche Ce livre
aura donc montreacute au-delagrave des singulariteacutes propres agrave chaque cas que
chaque cheminement deacutevoile diverses geacuteneacuteraliteacutes sur lesquelles on devrait
tabler afin drsquoen tirer un savoir inteacutegreacute au service des jeunes
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C
ANDIDO
DA
A
GRA
Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de PortoDirecteur de lrsquoEacutecole de Criminologie
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si on me demandait
a posteriori
de titrer ce livre jrsquoutiliserais un eacutenonceacute
constitueacute par trois mots
vie
temps
et
reacutecit
Crsquoest cela qui caracteacuterise il
me semble cet excellent ouvrage sur la deacuteviance juveacutenile En lisant ce
livre je suis presque obseacutedeacute par la mecircme question mais quel est lrsquoesprit
(scientifique bien entendu) qui traverse lrsquoensemble des textes Y a-t-il des
structures de penseacutee communes parmi les diffeacuterences dans les objets les
concepts les points de vue les meacutethodes les scheacutemas Y a-t-il un cadre
de reacutefeacuterence assez large et coheacuterent dont le pouvoir et la valeur eacutepisteacute-
miques puissent rendre compte du laquo mecircme raquo agrave lrsquointeacuterieur de la diffeacuterence
Si la reacuteponse est oui quelle est la nature du
mecircme
persistant souterrain
occulteacute sous la surface des discours Quel est le dessous des notions des
concepts des points de vue des meacutethodes
Un ouvrage mecircme srsquoil est collectif deacutefinit son objet son cadre theacuteo-
rique et sa meacutethode en toute coheacuterence avec une viseacutee Celle de ce livre
est de contribuer agrave lrsquoeacuteclaircissement drsquoun problegraveme social la deacuteviance
juveacutenile en vue drsquoune intervention qui tienne compte de la connaissance
Mais nrsquoa-t-on pas assez de connaissance sur cet objet eacutetudieacute depuis bientocirct
un siegravecle Non Tout drsquoabord le pheacutenomegravene a subi des transformations
et ses nouvelles manifestations sont loin drsquoecirctre deacutecrites expliqueacutees et
comprises Puis les approches traditionnelles de par leur simpliciteacute reacuteduc-
tionniste ne rendent pas compte de la complexiteacute des nouvelles manifes-
tations du pheacutenomegravene Ces approches le traitent du dehors Dans cet
ouvrage le point laquo drsquoattaque raquo crsquoest plutocirct lrsquoenvers du pheacutenomegravene Con-
naicirctre le dedans de la deacuteviance juveacutenile voilagrave son propos Pour le faire
les auteurs srsquoadressent agrave la
vie
des jeunes au
temps
qui caracteacuterise son
deacuteroulement agrave travers le langage narratif le
reacutecit
LA VIE
Lrsquoobjet de cet ouvrage crsquoest la vie des jeunes La vie dans son deacutebat avec
le soi avec les autres avec la famille lrsquoeacutecole le quartier la ville La vie
dans ses rapports avec la consommation le plaisir la souffrance et lrsquoargent
La vie dont le temps est celui des meacutetamorphoses physiologiques psycho-
logiques et sociales La vie dont lrsquoespace srsquoeacutetend entre lrsquoouverture des rues
et la fermeture des prisons
On a eu beau tenter drsquoexpliquer le comportement des jeunes pour
intervenir aupregraves drsquoeux chercher des laquo causes raquo aupregraves des systegravemes exteacute-
rieurs (lrsquoheacutereacutediteacute les valeurs la socieacuteteacute) se deacuteplacer de la surface du
comportement vers ses structures profondes (le systegraveme nerveux la per-
sonnaliteacute le caractegravere) demander des comptes aux processus de deacutevelop-
pement (classe drsquoacircge geacuteneacuteration troubles de deacuteveloppement) pourtant
POSTFACE
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
malgreacute les acquis non neacutegligeables de ces approches la
vie
des jeunes
nrsquoeacutetait pas eacutetudieacutee La vie au sens propre systegraveme constitueacute par un ensemble
drsquoeacuteleacutements vivants articuleacutes entre eux selon une logique preacutesentant deux
milieux en interaction le milieu interne et le milieu externe les
systegravemesde vie
voilagrave le vrai objet drsquoeacutetude
LE TEMPS
La jeunesse est par excellence un systegraveme agrave eacutetats qui se deacuteploient dans
le temps Les notions de laquo trajectoire raquo laquo carriegravere raquo laquo cheminement raquo tra-
duisent cette volonteacute drsquoimpliquer la temporaliteacute dans la compreacutehension
de la deacuteviance juveacutenile Lrsquoapproche deacuteveloppementale le fait depuis long-
temps dira-t-on Crsquoest vrai du point de vue du
temps codifieacute
(le temps
chronologique du monde externe) Ce nrsquoest pas vrai lorsqursquoon se deacuteplace
vers ce qursquoon pourrait appeler une hermeacuteneutique du
temps veacutecu
Le temps
du monde veacutecu amegravene du sens le sens eacutemergeant de faccedilon continue agrave
lrsquointeacuterieur drsquoune configuration existentielle dont la profonde singulariteacute
consiste dans le fait de se sentir exister et drsquoexprimer ce sentiment De ce
point de vue le
processus
du systegraveme agrave eacutetats est loin de coiumlncider avec la
logique des processus deacuteterministes par exemple des systegravemes agrave eacutetats
physiques ou biologiques Le simple transfert des sciences de la nature
parfois agrave la mode dans les sciences sociales et du comportement consti-
tuerait un tregraves grave obstacle eacutepisteacutemologique agrave ces domaines du savoir
La recherche actuelle ne peut pas ne doit pas se passer de lrsquoanalyse
des processus Je dirais que les regravegles de
lrsquoeacutepisteacutemologie
contemporaine y
obligent Mais en ce qui concerne le laquo drame raquo (au sens de lrsquoaction) en
tant que vrai objet des sciences du comportement humain comme le
voulait Politzer ou le laquo tragique de lrsquoaction raquo selon la belle formule de
P Ricœur tout processus est marqueacute par le jeu dialectique entre le milieu
interne et le milieu externe la contingence et la neacutecessiteacute la conservation
et lrsquoinnovation lrsquoacteur et le systegraveme la normativiteacute et la deacuteviance le
subjectif et lrsquoobjectif Jrsquoemprunterais le concept drsquolaquo accident controcircleacute raquo ou
de laquo hasard controcircleacute raquo utiliseacute par certains critiques de lrsquoart pour caracteacute-
riser lrsquoeacutetat le plus eacutevolueacute drsquoun artiste donneacute pour deacutefinir le concept de
processus propre agrave la recherche dans le domaine de la deacuteviance Peu
importe les mots ou les notions trajectoire carriegraverehellip les discussions lagrave-
dessus sont inutiles Ce qursquoil nous faut srsquoagissant drsquoanalyse des processus
et de la temporaliteacute crsquoest une
accidentologie de lrsquoexistence
et des systegravemes
de vie En fait exister crsquoest la tacircche la plus complexe agrave exeacutecuter que nous
ayons reccedilue le jour de notre naissance Toutes les autres sont secondaires
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
et beaucoup plus simples Elles devraient ecirctre au service de la tacircche prin-
cipale et fondatrice Assurer lrsquoeacutequifinaliteacute des multiples segments drsquoexis-
tence est le seul destin reccedilu auquel il faut donner un nouveau destin agrave
travers la deacutefinition drsquoune position de signification existentielle Mais com-
ment y parvenir sinon par le truchement de
lrsquoart drsquoexister
appris dans
lrsquointercommunicabiliteacute de lrsquoexpeacuterience constitueacutee par le savoir le savoir-
faire le pouvoir (le politique) et la subjectiviteacute (eacutethique)
LE REacuteCIT
La vie ne srsquoeacutetudie plus dans les laboratoires dit F Jacob Si cela est vrai
deacutejagrave au niveau biologique que faut-il penser sur la meacutethode de recherche
quand on parle du comportement du langage des eacutemotions de la cognition
et de la signification humaine Si lrsquohumaniteacute de lrsquohomme (jrsquoemprunte le
concept drsquoHeidegger) la vie humaine en tant que monde veacutecu nrsquoest pas
abordable en dehors du temps elle ne lrsquoest pas non plus en dehors du
langage et du sens Le temps humain est toujours un temps doubleacute plieacute
deacuteplieacute deacutecoupeacute et cousu par le reacutecit Le reacutecit est un systegraveme langagier
dont la structure la fonction et la finaliteacute sont la capture des deacuteplacements
de sens opeacutereacutee par lrsquoexistant dans lrsquoexercice de sa tacircche drsquoexister dans la
flegraveche du temps
La vie humaine telle qursquoelle se manifeste dans son
essence probleacute-matique
et dont la normativiteacute et la deacuteviance sont les analyseurs demande
drsquoecirctre eacutetudieacutee par un mode de connaissance speacutecifique qui est obligeacute de
plonger lrsquoobjet dans le laquo temps raconteacute raquo Le travail de lrsquoeacutevidenciation de
cet objet risque alors de tomber dans les piegraveges du sentiment et des laquo
apriori
raquo psychologistes et socio-ideacuteologiques Or il faut concevoir lrsquoeacutevidence
de lrsquoobjet comme laquo preacutesence-en-personne raquo le fondement et la connais-
sance de lrsquoessence des origines selon la pheacutenomeacutenologie de Husserl Ce
qui est ici la cause ce nrsquoest pas lrsquoexistence de lrsquoexistant mais
lrsquoessence delrsquoexistant
lrsquoapparaicirctre
de lrsquohomme agrave lui-mecircme Ceci eacutetant la meacutethode doit
srsquoeacutecarter de la laquo reacuteduction transcendantale raquo de la mise entre parenthegravese
de lrsquoobjet
Lrsquoessence
historique de l
rsquo
existant-Homme bloque le chemin
(meacutethode) de la connaissance de l
rsquo
essence geacuteneacuterique de la vie La vie qui
se deacuteroule dans les rapports individu-socieacuteteacute fait-norme nature-culture
constitue une laquo preacutesence-en-personne raquo typique Elle demande un autre
chemin le reacutecit
laquo Reacutecit de vie raquo laquo Histoire de vie raquo laquo Biographie raquo Voici la bonne
meacutethode Pourquoi Parce que la vie des hommes est reacutecit elle-mecircme est
histoire elle-mecircme est eacutecriture elle-mecircme
NO
TIC
ES B
IOG
RA
PHIQ
UES
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Ceacuteline Bellot
PhD en criminologie est professeure adjointe
agrave lrsquoEacutecole de service social de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal depuis
2003 Elle est eacutegalement chercheure au Collectif de recherche
sur lrsquoitineacuterance (CRI) et au Centre international de crimi-
nologie compareacutee (CICC) Ses inteacuterecircts de recherche portent
sur les jeunes en situation de rue (leurs trajectoires et leurs
expeacuteriences) sur les enjeux de la judiciarisation des pro-
blegravemes sociaux notamment de lrsquoitineacuterance et sur les pro-
cessus drsquoinsertion sociale et professionnelle des jeunes en
difficulteacute agrave partir de leurs trajectoires ou de lrsquoeacutevaluation
drsquointerventions dans ce champ
Serge Brochu
PhD en psychologie est professeur titu-
laire agrave lrsquoEacutecole de criminologie et chercheur au Centre
international de criminologie compareacutee (CICC) de lrsquoUniver-
siteacute de Montreacuteal Il est eacutegalement codirecteur du Groupe de
recherche et drsquointervention sur les substances psychoactives-
Queacutebec (RISQ) et du Collectif drsquointervention et de recherche
sur les aspects sociosanitaires de la toxicomanie (CIRASST)
Ses inteacuterecircts de recherche portent sur les relations drogues-
crimes et lrsquoimpact des interventions aupregraves des toxico-
manes judiciariseacutes
Natacha Brunelle
PhD en criminologie est professeure
agreacutegeacutee au Deacutepartement de psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute
du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres (UQTR) depuis deacutecembre
1998 Elle est chercheure au Groupe de recherche et drsquointer-
vention sur les substances psychoactives-Queacutebec (RISQ)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
au Collectif drsquointervention et de recherche sur les aspects socio-sanitaires
de la toxicomanie (CIRASST) au Centre international de criminologie
compareacutee (CICC) et au Groupe de recherche et drsquointervention sur lrsquoadap-
tation psychosociale et scolaire (GRIAPS) Elle dirige le Regroupement
CICC-UQTR Ses travaux de recherche portent principalement sur les
trajectoires drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence et sur
les liens drogue-crime
Ceacutecile Carra
PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences agrave lrsquoInstitut
universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-Calais et
chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les institutions
peacutenales (CESDIPCNRS) Elle travaille sur les questions de deacutelinquance
juveacutenile dans les quartiers populaires Elle eacutetudie les processus de cons-
truction et de deacuteconstruction de la deacutelinquance et le rocircle des acteurs
concerneacutes dans ces processus en particulier les professionnels du travail
social et de la justice Ses recherches srsquoorientent depuis quelques anneacutees
sur la violence agrave lrsquoeacutecole les pratiques professionnelles des enseignants et
le fonctionnement des eacutetablissements scolaires
Marie-Marthe Cousineau
PhD en sociologie est professeure agreacutegeacutee agrave
lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal et chercheure associeacutee
au Centre international de criminologie compareacutee (CICC) agrave lrsquoInstitut de
recherche pour le deacuteveloppement social des jeunes (IRDS) et au Centre
de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite
aux femmes (CRI-VIFF) Ses inteacuterecircts de recherche portent pour une part
sur diffeacuterentes formes de marginaliteacute et de marginalisation veacutecus par
les jeunes (gangs de rue prostitution deacutelinquance toxicomanie) et sur les
faccedilons drsquoy reacuteagir et pour une autre part sur les violences touchant les
femmes et les reacuteponses sociales agrave ces violences
Isabelle Delens-Ravier
PhD en criminologie est
sociologue et titulaire
drsquoun doctorat en criminologie Elle est actuellement chargeacutee de cours
inviteacutee et chargeacutee de recherche au Deacutepartement de criminologie et de
droit peacutenal de lrsquoUniversiteacute catholique de louvain dans le cadre drsquoun Pocircle
drsquoattraction interuniversitaire sur les droits de lrsquoenfant en collaboration
avec trois universiteacutes neacuteerlandophones Ses recherches et ses publications
portent principalement sur lrsquoaide et la protection de la jeunesse sur les
probleacutematiques lieacutees agrave la deacutelinquance juveacutenile et agrave la suppleacuteance familiale
notamment en milieu carceacuteral Elle srsquointeacuteresse particuliegraverement agrave lrsquoexpeacute-
rience veacutecue des laquo acteurs raquo familles jeunes et intervenants professionnels
dans leur rencontre avec les institutions sociales judiciaires et peacutenitentiaires
Maryse Esterle-Hedibel
PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences
agrave lrsquoInstitut universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-
Calais et chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les
NOTICES BIOGRAPHIQUES
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
institutions peacutenales (CESDIPCNRS) Ses travaux ont porteacute sur les bandes
de jeunes les processus deacutelinquants et les prises de risque Ses derniegraveres
recherches concernent les processus de deacutescolarisation (arrecircts de scolariteacute
avant 16 ans) et les expeacuteriences de remeacutediation peacutedagogique et eacuteducative
Elle srsquointeacuteresse eacutegalement aux relations eacutecole-police-justice
Michegravele Fournier
MSc en criminologie est candidate au doctorat agrave
lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal Elle a reacutealiseacute un
meacutemoire de maicirctrise portant sur lrsquoexpeacuterience et le cheminement des
jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue de la reacutegion meacutetropolitaine de
Montreacuteal Ses recherches portent essentiellement sur la marginaliteacute la
deacuteviance et utilisent une meacutethodologie qualitative
Michel Kokoreff
PhD en sociologie a obtenu son doctorat de sociologie
agrave lrsquoUniversiteacute Paris VII Jussieu apregraves voir suivi un double cursus de socio-
logie et de philosophie agrave lrsquoUniversiteacute Paris X ndash Nanterre Maicirctre de confeacute-
rences pendant dix ans agrave lrsquoUniversiteacute de Lille I il a obtenu sa mutation agrave
lrsquoUniversiteacute Paris V en 2004 Il est membre du CESAMES (CNRS-INSERM-
Paris V) Ses travaux de recherches ont porteacute sur lrsquoinscription urbaine des
sociabiliteacutes juveacuteniles les carriegraveres deacuteviantes dans le monde des quartiers
populaires et le traitement peacutenal des usages et trafics de drogues les
politiques publiques en matiegravere de seacutecuriteacute et de preacutevention
Sylvie Hamel
PhD en psychologie est professeure au Deacutepartement de
psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres Elle est eacutega-
lement chercheure reacuteguliegravere agrave lrsquoInstitut de recherche pour le deacuteveloppement
social des jeunes (IRDS) et chercheure associeacutee au Centre international
de criminologie compareacutee (CICC) Ses champs drsquointeacuterecirct touchent les ado-
lescents notamment membres de gang les processus drsquoaffiliation de
deacutesaffiliation drsquoexclusion de marginalisation les trajectoires et les deacuteter-
minants psychosociaux srsquoattachant agrave la violence et agrave la deacutelinquance de
mecircme qursquoagrave lrsquointervention pouvant srsquoy adresser lrsquointervention familiale et
communautaire
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Revenu minimum garantiLionel-Henri Groulx2005 ISBN 2-7605-1365-3 380 pages
Amour violence et adolescenceMylegravene Fernet2005 ISBN 2-7605-1347-5 268 pages
Reacuteclusion et InternetJean-Franccedilois Pelletier2005 ISBN 2-7605-1259-2 172 pages
Au-delagrave du systegraveme peacutenalLrsquointeacutegration sociale et professionnelle des groupes judiciariseacutes et marginaliseacutesSous la direction de Jean Poupart2004 ISBN 2-7605-1307-6 294 pages
Lrsquoimaginaire urbain et les jeunesLa ville comme espace drsquoexpeacuteriences identitaires et creacuteatricesSous la direction de Pierre-W Boudreault et Michel Parazelli2004 ISBN 2-7605-1293-2 388 pages
Parents drsquoailleurs enfants drsquoiciDynamique drsquoadaptation du rocircle parental chez les immigrantsLouise Beacuterubeacute2004 ISBN 2-7605-1263-0 276 pages
Citoyenneteacute et pauvreteacutePolitiques pratiques et strateacutegies drsquoinsertion en emploi et de luttecontre la pauvreteacutePierre Joseph Ulysse et Freacutedeacuteric Lesemann 2004 ISBN 2-7605-1261-4 330 pages
Eacutethique travail social et action communautaireHenri Lamoureux2003 ISBN 2-7605-1245-2 266 pages
Travailler dans le communautaireJean-Pierre Deslauriers avec la collaboration de Renaud Paquet2003 ISBN 2-7605-1230-4 158 pages
Sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer
Violence parentale et violence conjugaleDes reacutealiteacutes plurielles multidimensionnelles et interrelieacuteesClaire Chamberland2003 ISBN 2-7605-1216-9 410 pages
Le virage ambulatoire deacutefi s et enjeuxSous la direction de Guilhegraveme Peacuterodeau et Denyse Cocircteacute2002 ISBN 2-7605-1195-2 216 pages
Priver ou privatiser la vieillesse Entre le domicile agrave tout prix et le placement agrave aucun prixMichegravele Charpentier2002 ISBN 2-7605-1171-5 226 pages
Huit cleacutes pour la preacutevention du suicide chez les jeunesMarlegravene Falardeau2002 ISBN 2-7605-1177-4 202 pages
La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002 ISBN 2-7605-1158-8 378 pages
Le jardin drsquoombres La poeacutetique et la politique de la reacuteeacuteducation socialeMichel Desjardins2002 ISBN 2-7605-1157-X 260 pages
Problegravemes sociaux bull Tome 1 ndash Theacuteories et meacutethodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1126-X 622 pages
Problegravemes sociaux bull Tome 2 ndash Eacutetudes de cas et interventions socialesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1127-8 700 pages
- TRAJECTOIRE DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
- Preacuteface
- Table des matiegraveres
- Introduction
- Chapitre 1_Trajectoires deacuteviantes de garccedilons et de filles
- Chapitre 2_Toxicomanie et trafics de drogues
- Chapitre 3_La diversiteacute des trajectoires de rue des jeunes agrave Montreacuteal
- Chapitre 4_Les gangs du point de vue des jeunes
- Chapitre 5_Arrecircts de scolariteacute et deacutelinquance
- Chapitre 6_Le deacutelinquant comme produit de la dialectique identiteacute personnelle reacutegulations sociales
- Chapitre 7_Du tribunal de la jeunesse au placement en institution speacutecialiseacutee
- Conclusion
- Postface
- Notices biographiques
-
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2005
Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec
Le Delta I 2875 boul Laurier bur 450Sainte-Foy (Queacutebec) Canada G1V 2M2
Preacuteface de CLAUDE FAUGERON
Postface de CANDIDO DA AGRA
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Mise en pages Infoscan Collette Queacutebec
Couverture ndash Conception Richard Hodgson Illustration Jean-Michel Girard
Catalogage avant publication de Bibliothegraveque et Archives Canada
Vedette principale au titre
Trajectoires de deacuteviance juveacutenile les eacuteclairages de la recherche qualitative
(Collection Problegravemes sociaux amp interventions sociales 18) Comprend des reacutef bibliogr
ISBN 2-7605-1372-6
1 Deacutelinquance juveacutenile 2 Deacuteviance 3 Jeunes deacutelinquants 4 Jeunesse ndash Usage des drogues 5 Jeunes de la rue 6 Deacutelinquance juveacutenile ndash Cas Eacutetudes de I Brunelle Natacha 1971- II Cousineau Marie-Marthe III Collection
HV9071T72 2005 36436 C2005-940919-3
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2005 9 8 7 6 5 4 3 2 1
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes copy 2005 Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec
Deacutepocirct leacutegal ndash 3e trimestre 2005Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du CanadaImprimeacute au Canada
Nous reconnaissons lrsquoaide fi nanciegravere du gouvernement du Canada par lrsquoentremise du Programme drsquoaide au deacuteveloppement de lrsquoindustrie de lrsquoeacutedition (PADIEacute) pour nos activiteacutes drsquoeacutedition
La publication de cet ouvrage a eacuteteacute rendue possibleavec lrsquoaide fi nanciegravere de la Socieacuteteacute de deacuteveloppementdes entreprises culturelles (SODEC)
PR
EacuteF
AC
E
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Il me fait plaisir de faire la preacuteface de cet ouvrage Crsquoest qursquoen effet
une partie de ma carriegravere a eacuteteacute consacreacutee agrave la promotion des approchesqualitatives Il srsquoagissait au deacutebut de montrer comment ces meacutethodesse seacuteparaient drsquoun journalisme intelligent donc de labourer le champdes pratiques de recherches en deacuteveloppant les aspects eacutepisteacutemolo-giques et la rigueur meacutethodologique Mais il fallait aussi montrerque ces approches permettaient de disposer drsquooutils pertinents pour larecherche sociologique donc de leur donner une leacutegitimiteacute theacuteoriqueque les tenants de la sociologie quantitative leur deacuteniaient
Crsquoeacutetait un beau chantier que jrsquoai partageacute avec des chercheursde lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal puis plustard avec des collegravegues de lrsquoUniversiteacute catholique de Louvain Ilme semble que ce qui a rendu ces expeacuteriences collectives possiblesest le partage drsquoune posture theacuteorique dite de la criminologie de lareacuteaction sociale ensuite moduleacutee par la reacutefeacuterence agrave lrsquoacteur social
Je retrouve plus ou moins expliciteacutee cette posture dans les chapitres
qui suivent Mais peut-ecirctre est-il devenu moins neacutecessaire de lrsquoexpliciterce qui voudrait dire qursquoelle fait maintenant partie de la culturecriminologique
Il nrsquoempecircche que demeure une difficulteacute technique difficile agravesurmonter en particulier dans les eacutetudes de carriegraveres ou les biogra-phies En lrsquoabsence de groupes teacutemoins et surtout lorsque lrsquoonchoisit les personnes agrave interroger agrave partir drsquoun critegravere fort commeun marquage institutionnel lrsquoimage que lrsquoon donne de leur par-cours peut apparaicirctre comme celle drsquoun
destin
Cette tendance estrenforceacutee par les rationalisations
a posteriori
que donnent souvent
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VIII
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
les diffeacuterents acteurs agrave leurs conduites Une observation quasi ethnologique descontextes de vie ainsi qursquoune bonne connaissance des histoires familiales peuventpermettre de relativiser les reconstructions opeacutereacutees par les acteurs Crsquoest bien ce agravequoi plusieurs des auteurs preacutesents dans cet ouvrage se sont attacheacutes
Une autre difficulteacute consiste agrave ne pas rester enfermeacute dans un interactionnismetrop eacutetroit Certes lrsquointeractionnisme a beaucoup apporteacute ndash et continue drsquoapporter ndashagrave la recherche sur les deacuteviances et les deacutelinquances et cet ouvrage en est la preuveIl nrsquoempecircche que si lrsquoon veut pouvoir interpreacuteter sociologiquement les reacutesultats destravaux qualitatifs on ne doive croiser ce que lrsquoon peut apprendre de la faccedilon dontles structures sociales agissent au niveau des trajectoires individuelles Ceci ne peutse faire sans une bonne connaissance de ce que certains on appeleacute des
micro
pouvoirs
Connaissance qui peut provenir de la recherche elle-mecircme mais aussi ducroisement de recherches portant sur des objets diffeacuterents Ougrave mecircme utilisant desmeacutethodes diffeacuterentes Agrave cet eacutegard on ne peut renvoyer dos agrave dos recherches qualita-tives et recherches quantitatives sous le preacutetexte que leurs meacutethodes seraient incon-ciliables Agrave mon avis seuls doivent ecirctre eacuteviteacutes des deacuteveloppements theacuteoriques qui nesrsquoappuieraient pas sur une bonne connaissance du terrain et des recherches empi-riques Autrement dit si la recherche empirique ne peut se passer de theacuteorie la theacuteoriene peut se passer de recherches empiriques On pourrait appeleacute cette position delrsquoeacuteclectisme sociologique je lrsquoai deacutefendue agrave plusieurs reprises Et je continue de penserqursquoune recherche empirique bien meneacutee apporte toujours quelque chose
Mais une preacuteface ne peut se contenter seulement de mises en garde Il fautici se feacuteliciter des efforts que les chercheurs preacutesents dans cet ouvrage ont soutenusagrave plusieurs niveaux Le premier est celui de lrsquoimmersion dans leurs terrains et lrsquoonsait que crsquoest chose difficile il est plus aiseacute de travailler dans son bureau que dansdes quartiers laquo chaudsraquo Un deuxiegraveme niveau est celui de la rigueur meacutethodologiquele choix des meacutethodes de recueil des donneacutees et drsquoanalyse du mateacuteriel Enfin lecroisement des points de vue celui des acteurs institutionnels et celui des acteursaupregraves desquels srsquoeffectue lrsquointervention apporte des eacuteclairages neacutecessaires agrave la compreacute-hension des positions des jeunes confronteacutes aux institutions Crsquoest pourquoi jesouhaite que de tels travaux continuent de se deacutevelopper
Claude Faugeron
TA
BL
E D
ES
MA
TIEgrave
RE
S
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PREacuteFACE
VII
Claude Faugeron
INTRODUCTION
1
Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau
C
HAPITRE
1
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLESPoints de convergence et de divergence
9
Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu
11
LrsquoADOLESCENT
VS
LrsquoADOLESCENTE 10
111 Deacutelinquance 11
112 Consommation de substances
psychoactives 11
12 CONTEXTE THEacuteORIQUE 12
13 MEacuteTHODOLOGIE 12
14 REacuteSULTATS 15
141 Les filles et les garccedilons plus de
ressemblances que de diffeacuterences 15
1411 Motifs de consommation
de drogues 15
1412 Motifs de deacutelinquance 18
1413 Motifs de diminution
ou drsquoarrecirct de consommation 19
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X
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
142 Les garccedilons en particulier 21
1421 Motifs de deacutelinquance 22
1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct
de la consommation 23
143 Les filles en particulier 24
1431 Motif de consommation 24
1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct
de la consommation et la deacutelinquance 25
CONCLUSION 25
BIBLIOGRAPHIE 27
C
HAPITRE
2
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUESDiversiteacute des cheminements et effets de geacuteneacuteration au sein des milieux populaires en France
31
Michel Kokoreff
21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES
SELON LES GEacuteNEacuteRATIONS 32
211 Au-delagrave du feacutetichisme conceptuel
lrsquoanalyse des processus 33
212 Les effets de geacuteneacuteration 35
22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES
DES ANNEacuteES 1980 38
221 Le contexte social et urbain 38
222 Cheminements vers lrsquoheacuteroiumlne 40
223 De lrsquousage agrave la revente 44
224 Une vulneacuterabiliteacute structurelle 48
23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC
AU COURS DES ANNEacuteES 1990 52
231 Scegravenes de revente 53
232 Le rapport au produit 55
233 Le trafic comme travail 57
234 Avoir lrsquoesprit entrepreneur 59
24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS
DANS LE TRAFIC 62
241 Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre 62
242 Les hieacuterarchies informelles 64
BIBLIOGRAPHIE 68
TABLE DES MATIEgraveRES
XI
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C
HAPITRE
3
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
71
Ceacuteline Bellot
31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE
DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE 72
311 La trajectoire objective 73
312 La trajectoire subjective 74
313 La trajectoire de rue dans une analyse
de la structuration 75
32 MEacuteTHODOLOGIE 76
33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES 78
331 La rue un eacutepisode 78
332 La rue une transition 85
3321 La rue comme tremplin
vers une insertion sociale 85
3322 La rue comme tremplin
vers une deacutesinsertion sociale 86
333 La rue un enfermement 91
CONCLUSION 93
BIBLIOGRAPHIE 93
C
HAPITRE
4
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNESLeur signification dans une trajectoire de vie
97
Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele Fournier
41 LA PAROLE AUX JEUNES 99
42 MEacuteTHODOLOGIE 100
421 Eacutechantillons 100
422 Instruments de collecte et analyse des donneacutees 101
43 LA PAROLE DES JEUNES 103
431 Les jeunes parlent de la faccedilon
dont ils en sont venus agrave se joindre aux gangs 104
432 Les jeunes expliquent les motifs
qui les ont ameneacutes agrave se joindre au gang 105
433 Les jeunes parlent de lrsquoexpeacuterience qursquoils
ont veacutecue dans le ganghellip en termes drsquoeacutemotions 111
434 Les jeunes parlent des motifs
qui les ont ameneacutes agrave quitter le gang 113
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XII
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE
APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS 116
CONCLUSION 117
BIBLIOGRAPHIE 119
C
HAPITRE
5
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
121
Maryse Esterle-Hedibel
51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU 124
52 LA DEacuteSCOLARISATION 126
521 Les marqueurs de la deacutescolarisation 127
5211 Le niveau de diplocircme des parents 127
5212 La composition de la famille 128
5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage 128
5214 Le passage du primaire au collegravege
indiscipline et identiteacute 129
53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION
ET DEacuteLINQUANCE 130
531 Lrsquoimpact des groupes de pairs
et les activiteacutes deacutelinquantes 130
532 Deacutecrochage scolaire et deacutelinquance 131
54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE
DES PERSONNES-RESSOURCES 132
55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS 133
551 Les personnels peacutedagogiques 133
5511 Des donneacutees non utiliseacutees 133
5512 Des deacutecisions drsquoorientation
non suivie drsquoeffets 134
5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure 134
5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants 136
5515 Haro sur les eacutelegraveves 138
5516 Lrsquoexternalisation des solutions 138
552 Les eacutelegraveves 140
553 Les familles 141
554 Les travailleurs sociaux
(agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des collegraveges) 145
56 LE CAS DE PATRICK 146
CONCLUSION 151
BIBLIOGRAPHIE 151
TABLE DES MATIEgraveRES
XIII
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C
HAPITRE
6
LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUEIDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALESLrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche biographique
153
Ceacutecile Carra
61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE
LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES 155
62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute
DE DEacuteLINQUANT Agrave TRAVERS LA PRISE
EN CHARGE INSTITUTIONNELLE 158
63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT 158
631 De la construction drsquoun parcours de deacutelinquanthellip 158
632 hellip agrave celle drsquoune personnaliteacute deacutelinquante 162
633 Lrsquointeacuteriorisation drsquoun destin de deacutelinquant
et son actualisation 163
64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE
DE LA DEacuteLINQUANCE 165
641 De la deacuteconstruction de lrsquoidentiteacute familialehellip 166
642 hellip agrave la reconstruction drsquoidentiteacutes
individuelles neacutegatives 168
65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT
Agrave UNE PLACE DOMINEacuteE DANS LES
RAPPORTS SOCIAUX 170
651 Des parcours preacutedeacutetermineacutes par les instances
de reacutegulations sociales geacuteneacuterales 172
652 La deacutelinquance comme strateacutegie identitaire 173
CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT
DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES 175
BIBLIOGRAPHIE 176
C
HAPITRE
7
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteEParoles et strateacutegies de jeunes deacutelinquants
179
Isabelle Delens-Ravier
71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE
QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE 180
72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE 182
73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE 183
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XIV
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION 186
741 Veacutecu de la deacutelinquance 187
742 La deacutecision du magistrat 189
743 Le magistrat de la jeunesse 190
744 Les acteurs institutionnels 191
7441 Les eacuteducateurs 191
7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale 192
745 Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction 193
7451 Une strateacutegie drsquoadaptation
et de rationalisation 193
7452 Une strateacutegie de repli-refus 196
7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence 197
CONCLUSION 198
BIBLIOGRAPHIE 201
CONCLUSION
203
Marie-Marthe Cousineau et Natacha Brunelle
POSTFACE
209
Candido da Agra
NOTICES BIOGRAPHIQUES
213
IN
TR
OD
UC
TI
ON
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N
ATACHA
B
RUNELLE
Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresChercheure au CICC au RISQ et au GRIAPS
M
ARIE
-M
ARTHE
C
OUSINEAU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealChercheure associeacutee au CICC et agrave lrsquoIRDS
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2
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Plusieurs ouvrages scientifiques sur la deacuteviance juveacutenile qui utilisent le mot
trajectoire
ou ses traductions anglaises laquo
pathway
raquo ou laquo
trajectory
raquo reposent
sur des eacutetudes quantitatives (Nagin Farrington et Moffitt 1995 Brunswick
et Titus 1998) et sont reacutealiseacutes dans une perspective psychosociale ou de
psychologie deacuteveloppementale Toutefois de plus en plus de chercheurs
qui conduisent des eacutetudes qualitatives parlent aussi de
trajectoire
Non seu-
lement le terme est commode mais il permet en outre de rendre compte
des eacuteveacutenements veacutecus et de leur eacutevolution chronologique Agrave ceux qui
travaillent dans cette optique il paraicirct aussi le mieux agrave mecircme de refleacuteter
les aspects plus pheacutenomeacutenologiques lieacutes agrave la signification que la personne
concerneacutee accorde aux eacuteveacutenements qursquoelle vit ainsi qursquoaux sentiments que
ceux-ci provoquent Lrsquoemploi du mot trajectoire permet eacutegalement de
rendre compte de la sinuositeacute du parcours de vie des individus
Srsquoagissant des trajectoires de deacuteviance juveacutenile lrsquoun des aspects les
plus documenteacutes est sans aucun doute la progression de la deacutelinquance
des jeunes en ce qui a trait agrave la nature agrave la diversiteacute et agrave la graviteacute des
deacutelits commis tout au long de la trajectoire (Freacutechette et Le Blanc 1987
Le Blanc 1994 Kelley Loeber Keenan et DeLamatre 1997) Dans la
documentation scientifique cette progression deacutelictueuse a souvent eacuteteacute
associeacutee agrave la structure de la personnaliteacute et plus reacutecemment on lrsquoa mise
en rapport avec le contexte psychosocial dans lequel srsquoopegravere cette progres-
sion Certaines eacutetudes longitudinales eacutetablissent de tels liens avec le contexte
psychosocial mais de faccedilon quantitative en consideacuterant un nombre limiteacute
de dimensions (relations avec la famille association agrave des pairs deacuteviants
promiscuiteacute sexuellehellip) partant moins des perceptions des jeunes ndash pro-
cessus inductif ndash que drsquohypothegraveses de recherche agrave veacuterifier ndash processus
deacuteductif (Simons Wu Conger et Lorenz 1994 Nagin Farrington et Moffitt
1995 Le Blanc et Kaspy 1998)
De nombreux auteurs traitant des trajectoires deacuteviantes deacutefinissent
une typologie de trajectoires qui srsquoapparente agrave une typologie de deacutelin-
quants ou de toxicomanes baseacutee sur leurs comportements ou sur lrsquoeacutevolution
de ceux-ci (Le Blanc Cocircteacute et Loeber 1991 Hammersley et Ditton 1994
Loeber Farrington Southamer-Loeber Moffitt et Caspi 1998 Nagin et
Tremblay 1999) Cette faccedilon de deacutefinir des trajectoires agrave partir de lrsquoeacutevo-
lution des comportements possegravede sans contredit son utiliteacute descriptive
mais elle tend agrave omettre le pouvoir des cognitions et des sentiments en
amont sur les comportements en aval
Or plusieurs auteurs ont montreacute lrsquoimportance de tenir compte des
processus cognitifs et eacutemotifs pour bien saisir et comprendre les compor-
tements humains (Lewin 1967 Blumer 1969 Mischel 1973 Endler et
Magnusson 1976 Bandura 1977 Brown et Harris 1989 Debuyst 1989
Beck Freeman Pretzer Davis Fleming Ottaviani Beck Simon Padesky
INTRODUCTION
3
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Meyer Trexler 1990 de Gaulejac 1997) Ils ont eacutegalement constateacute qursquoen
se centrant sur lrsquoeacutevolution et la description des actes deacutelinquants ou toxi-
comaniaques en tant que tels au fil de la trajectoire bon nombre drsquoeacutetudes
omettaient de relier agrave cette eacutevolution le contexte dans lequel celle-ci
srsquoopegravere et surtout lrsquointeraction entre lrsquoindividu et ce contexte Or la prise
en compte de lrsquointeraction entre les dimensions individuelles et contex-
tuelles est jugeacutee non seulement importante mais eacutegalement cruciale
par diffeacuterents auteurs (Blumer 1969 Debuyst 1989 Digneffe 1989
Castel Benard-Pellen Bonnemain Boullenger Coppel Leclerc Ogien et
Weinberger 1992 Cormier 1993) particuliegraverement lorsqursquoil srsquoagit de
comprendre les comportements humains
Certaines eacutetudes sur les trajectoires deacuteviantes paraissent avoir quelque
peu deacuteplaceacute lrsquoattention du comportement en srsquointeacuteressant aux motivations
qui y sont associeacutees et aux eacuteleacutements autres qui permettent de discriminer
les trajectoires entre elles (Sampson et Laub 1993 Erickson et Weber
1994 Le Blanc 1996 Le Blanc et Kaspy 1998)
Par exemple Sampson et Laub (1993) notent qursquoon trouve souvent
agrave la fois continuiteacute et changements dans lrsquoimplication deacuteviante au fil du
temps La deacuteviance demeure preacutesente agrave lrsquoacircge adulte mais elle change de
forme Par exemple la consommation de drogues illeacutegales agrave lrsquoadolescence
peut se transformer en un veacuteritable problegraveme la toxicomanie agrave lrsquoacircge
adulte Agrave lrsquoinverse des eacuteveacutenements de vie comme le mariage ou lrsquoobten-
tion drsquoun emploi peuvent entraicircner un changement drsquoorientation dans
la trajectoire vers un conformisme accru Dans cette eacutetude de Sampson et
Laub (1993) les reacutesultats quantitatifs sont appuyeacutes par des donneacutees
qualitatives recueillies a posteriori
Les auteurs du preacutesent livre ont voulu donner une voix encore plus
forte aux jeunes au cœur de leurs eacutetudes en deacutecrivant lrsquoensemble de leurs
reacutesultats par un processus inductif qui reflegravete lrsquoapproche qualitative qursquoils
ont adopteacutee
Srsquoapparentant aux travaux preacutesenteacutes dans ce livre ceux de Faupel
(1991) Castel (1994) Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) adoptent
une position eacutepisteacutemologique dont la particulariteacute est de consideacuterer les
participants comme des acteurs sociaux capables de laquo geacuterer raquo leur vie
(Debuyst 1989) Ces travaux srsquoattardent agrave comprendre la vie des personnes
en contexte en ne se limitant pas agrave cerner leurs comportements et en
adoptant une perspective plus laquo interactionniste raquo (Blumer 1969)
Une approche qualitative a eacuteteacute privileacutegieacutee dans ces travaux Cette
approche favorise une meilleure compreacutehension de la speacutecificiteacute et de la
complexiteacute des processus en jeu en fournissant un point de vue de lrsquointeacute-
rieur des pheacutenomegravenes (Groulx 1997 Pires 1997) Elle permet drsquoacceacuteder
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4
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par les acteurs sociaux aux significations qursquoils
accordent agrave celle-ci de mecircme qursquoau sens de leurs actions (Deslauriers et
Keacuterisit 1997) En particulier lrsquoentretien de type qualitatif reacutevegravele le point
de vue des acteurs sociaux et permet drsquoen tenir compte pour comprendre
et interpreacuteter leurs reacutealiteacutes (Poupart 1997)
Il reste que drsquoun cocircteacute la plupart des eacutetudes sur les trajectoires
deacuteviantes srsquointeacuteressent tregraves peu aux perceptions des acteurs et visent ordi-
nairement agrave veacuterifier des postulats de recherche (processus deacuteductif) et
que drsquoun autre cocircteacute ces eacutetudes ne sont pas propres agrave la peacuteriode de
lrsquoadolescence Pourtant les auteurs qui ont conduit des eacutetudes qualita-
tives inductives aupregraves drsquoadolescents ont obtenu du mateacuteriel pertinent et
inteacuteressant agrave plusieurs eacutegards (Billson 1996 Piron 1996 Way 1998)
Malheureusement ces eacutetudes ne srsquointeacuteressent pas speacutecifiquement agrave la
deacuteviance juveacutenile ou encore elles ne sont pas des eacutetudes de trajectoires
Dans les recherches qui ont donneacute lieu au preacutesent collectif drsquoauteurs le
point de vue des jeunes constitue le centre de reacutefeacuterence initial dont sont
tireacutees les conclusions menant agrave une approche diffeacuterente et compleacutemen-
taire aux travaux preacuteceacutedents Cette approche nous est-il apparu permet
drsquoobtenir une compreacutehension plus diversifieacutee des trajectoires deacuteviantes
agrave lrsquoadolescence
1
Lrsquoensemble des textes des auteurs que nous avons reacuteunis dans ce
collectif met en lumiegravere les apports drsquoeacutetudes qualitatives sur les trajectoires
de deacuteviance juveacutenile reacutealiseacutees au Queacutebec en France et en Belgique depuis
une dizaine drsquoanneacutees Ces eacutetudes font appel agrave diffeacuterentes meacutethodes qua-
litatives Plusieurs utilisent des formes drsquoentretien de type qualitatif
drsquoautres ont recours agrave lrsquoethnographie ou encore agrave lrsquoanalyse documentaire
Les premiers chapitres portent davantage sur les pheacutenomegravenes deacuteviants
que constituent la deacutelinquance ou lrsquousage de drogues chez les jeunes alors
que les derniers traitent eacutegalement ou uniquement de la prise en charge
sociale ou judiciaire de ces jeunes
Lrsquooriginaliteacute des productions rassembleacutees tient au fait que le point
de vue des jeunes eux-mecircmes est refleacuteteacute dans les reacutesultats des eacutetudes
traiteacutees dans la majoriteacute des chapitres tandis que drsquoautres fournissent
aussi le point de vue des intervenants sociaux et judiciaires quant agrave la
deacuteviance juveacutenile et agrave sa prise en charge
1 Voir Stahler et Cohen (2000) pour une discussion sur lrsquoapport compleacutementaire deseacutetudes qualitatives dans le domaine de la toxicomanie
INTRODUCTION
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Le premier chapitre traite des diffeacuterences entre jeunes Queacutebeacutecois
filles et garccedilons quant aux motivations qursquoils associent agrave leurs trajectoires
deacuteviantes Les significations qursquoils rattachent agrave leurs comportements deacutelin-
quants ou drsquousage de drogues sont plus speacutecifiquement traiteacutees par les
auteurs Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu
Il est plutocirct question au chapitre 2 de toxicomanie et de trafic de
drogues dans des quartiers deacutefavoriseacutes de la France Le point de vue de
toxicomanes et de trafiquants est analyseacute par lrsquoauteur Michel Kokoreff
Agrave la suite drsquoune expeacuterience de terrain ethnobiographique combi-
nant observations et entrevues reacutealiseacutees au centre-ville de Montreacuteal Ceacuteline
Bellot propose au chapitre 3 trois diffeacuterentes configurations de parcours
des jeunes dans le monde social de la rue
Au chapitre 4 Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele
Fournier traitent des motivations des jeunes agrave joindre les gangs des expeacute-
riences qursquoils y vivent et de la signification qursquoils y attachent
Au chapitre 5 Maryse Esterle-Hedibel relie lrsquoabandon de scolariteacute
avant lrsquoacircge de 16 ans agrave la trajectoire deacutelinquante de certains jeunes Franccedilais
agrave partir du point de vue des jeunes eux-mecircmes de leur famille des agents
scolaires et de partenaires exteacuterieurs
Une double approche monographique et biographique a permis
drsquoobtenir les reacutesultats preacutesenteacutes par Ceacutecile Carra au chapitre 6 Lrsquoauteure
y traite des parcours judiciaires des jeunes enquecircteacutes ainsi que des meacuteca-
nismes de production et de reproduction de la deacutelinquance juveacutenile
Enfin au chapitre 7 Isabelle Delens-Ravier approfondit le sens sub-
jectif que des jeunes deacutelinquants belges donnent agrave leurs expeacuteriences de
judiciarisation en lien avec une trajectoire sociofamiliale marqueacutee par un
suivi social individuel ou familial
Lrsquoapport de ces auteurs reacutevegravele lrsquounivers de la deacuteviance des jeunes
tel que ceux-ci le vivent le perccediloivent et y reacuteagissent Du mecircme coup
une connaissance nouvelle srsquoouvre aux chercheurs et aux praticiens qui
tentent de mieux comprendre ces jeunes et de mieux les aider lorsque
cela paraicirct srsquoimposer
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES
Points de convergence
et de divergence
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10
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
La transition de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte constitue une deacutefinition commune
de lrsquoadolescence Celle-ci se caracteacuterise par des modifications importantes
dans lrsquounivers social et relationnel des jeunes (Cloutier 1996 Claes
2003) Les filles et les garccedilons passent par cette transition mais ils le font
de maniegravere parfois diffeacuterente
11
LrsquoADOLESCENT
VS
LrsquoADOLESCENTE
De toute eacutevidence les filles et les garccedilons diffegraverent physiquement et
sexuellement Les filles sont notamment plus preacutecoces sur le plan puber-
taire (Cloutier 1996)
Le processus identitaire des filles passe par un eacutequilibre entre leurs
rapports aux autres et leur recherche drsquoautonomie Celui des garccedilons
passe davantage par une recherche drsquoindeacutependance et drsquoautonomie
(Cloutier 1996)
Sur le plan familial les filles perccediloivent un plus grand controcircle
parental que les garccedilons Crsquoest ainsi qursquoelles revendiquent souvent plus
drsquoautonomie (Cloutier 1996 Claes 2003) Eacutegalement les filles ressentent
plus de proximiteacute et drsquointimiteacute que les garccedilons dans leurs relations avec
leurs fregraveres et sœurs (Claes 2003)
Par ailleurs les filles valorisent davantage lrsquoamitieacute et font preuve
drsquoune plus grande maturiteacute eacutemotionnelle agrave lrsquoeacutegard de ce sentiment Elles
utilisent beaucoup la parole dans leurs relations amicales tandis que les
garccedilons sont davantage porteacutes agrave faire des activiteacutes avec leurs amis Les filles
montrent plus drsquohabileteacutes relationnelles et eacutemotionnelles alors que les
habileteacutes instrumentales et lrsquoaffirmation de soi sont davantage le lot des
garccedilons (Cloutier 1996 Claes 2003)
Les relations amoureuses sont souvent veacutecues diffeacuteremment par les
garccedilons et par les filles Ces derniegraveres recherchent plus de proximiteacute et
drsquointimiteacute dans leurs amours tandis que les garccedilons ont des attentes
sexuelles plus preacutecoces et persistantes et cherchent agrave maintenir avant tout
un lien fort avec leur groupe drsquoamis au deacutetriment de la relation avec leur
petite amie (Cloutier 1996 Claes 2003)
Les prochaines sections srsquoattarderont aux diffeacuterences selon le sexe
au regard de certaines formes de deacuteviance particuliegraverement la deacutelin-
quance et la consommation de drogues
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES
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111 D
EacuteLINQUANCE
Lrsquoimage que nous donnent les statistiques montre que les filles commettent
geacuteneacuteralement moins de deacutelits graves et persistent moins dans la deacutelin-
quance que les garccedilons (Lanctocirct et Le Blanc 2000) Elles seraient davan-
tage impliqueacutees dans des deacutelits mineurs comme le vol agrave lrsquoeacutetalage et seraient
plus nombreuses que les garccedilons agrave faire de la prostitution Elles commet-
traient tout de mecircme des deacutelits violents Leur violence atteindrait drsquoailleurs
un sommet plus tocirct que celle manifesteacutee par les adolescents (agrave 15 ans pour
les filles et agrave 17 ans pour les garccedilons en 1998 Savoie 1999) Malgreacute une
augmentation des deacutelits de violence noteacutee chez les filles ces derniegraveres
anneacutees une plus grande proportion de garccedilons que de filles commet-
traient des voies de fait par exemple (Savoie 1999)
Lrsquoagressiviteacute des filles prendrait geacuteneacuteralement une forme plus indi-
recte ou psychologique ridiculiser deacutenigrer isoler les autres (Owens et
MacMullin 1995) La deacutelinquance des filles et des garccedilons diffeacutererait donc
par sa nature sa freacutequence et sa persistance
112 C
ONSOMMATION
DE
SUBSTANCES
PSYCHOACTIVES
Les proportions de filles et de garccedilons queacutebeacutecois consommant de lrsquoalcool
et drsquoautres drogues sont tregraves semblables (Guyon et Desjardins 2005) Les
drogues de preacutedilection de chacun diffegraverent toutefois un peu Filles et
garccedilons se distingueraient aussi sur le plan de la freacutequence et de lrsquointensiteacute
de leur usage drsquoalcool et drsquoautres drogues Les garccedilons rapportent boire
plus souvent (Guyon et Desjardins 2005) et se saouler eacutegalement plus
souvent (Comiteacute permanent de lutte agrave la toxicomanie CPLT 2002) Les
garccedilons sont aussi proportionnellement plus nombreux agrave reacuteveacuteler une
consommation de cannabis quotidienne (Guyon et Desjardins 2005)
Lrsquoenquecircte meneacutee en 2000 par lrsquoInstitut de la statistique du Queacutebec
(2002) reacutevegravele que les adolescents sont plus nombreux que les adolescentes
agrave deacutevelopper des problegravemes de toxicomanie Parmi les facteurs associeacutes
aux problegravemes de consommation chez les jeunes une faible estime de
soi ressort plus speacutecifiquement chez les filles Par ailleurs outre les pro-
blegravemes drsquoargent que les jeunes rattachent agrave leur consommation les filles
nomment des problegravemes familiaux et de santeacute tandis que les garccedilons
parlent de gestes deacutelinquants et de difficulteacutes scolaires qursquoils associent agrave
leur consommation (Institut de la statistique du Queacutebec 2002)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
12 CONTEXTE THEacuteORIQUE
Srsquoinspirant en grande partie des travaux de Faupel (1991) Castel (1994)
Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) notre eacutetude a ceci de
particulier qursquoelle se centre sur les motivations significations perceptions
et sentiments que des jeunes deacutelinquants et toxicomanes relient agrave leur
itineacuteraire et plus particuliegraverement agrave leurs comportements deacuteviants de
mecircme qursquoau contexte dans lequel ils adoptent ces comportements Nous
nous inscrivons donc dans une perspective pheacutenomeacutenologique (Schutz
1987) qui accorde une place de premier plan agrave lrsquointerpreacutetation que lrsquoacteur
social (ici le jeune) fait des situations qui le touchent (Debuyst 1989)
Notre projet de recherche porte sur les trajectoires de consomma-
tion de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Trois objectifs speacuteci-
fiques consistent agrave documenter davantage 1) la nature et lrsquoeacutevolution des
relations drogue-crime agrave lrsquoadolescence 2) les eacuteleacutements lieacutes aux phases
drsquoaugmentation et de diminution de lrsquoimplication deacuteviante et 3) les tra-
jectoires deacuteviantes types agrave lrsquoadolescence Les points de convergence et de
divergence entre les trajectoires deacuteviantes des garccedilons et des filles sont
alors appreacutehendeacutes en fonction de ce que chacun a veacutecu et surtout de la
faccedilon dont il lrsquoa veacutecu
13 MEacuteTHODOLOGIE
Pour atteindre nos objectifs nous avons opteacute pour une meacutethodologie
qualitative (Poupart Deslauriers Groulx Laperriegravere Mayer Pires 1997)
qui paraissait drsquoailleurs srsquoimposer Plus preacuteciseacutement nous avons eu recours
agrave la meacutethode du reacutecit de vie (Desmarais et Grell 1986) laquelle fait parler
lrsquointervieweacute sur sa vie en privileacutegiant une structure du discours chronolo-
gique et permet de mettre en lumiegravere la trajectoire de lrsquoindividu selon la
vision personnelle qursquoil en a
Les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent sur deux eacutetudes diffeacuterentes qui
partagent plusieurs similitudes La premiegravere base du doctorat de Natacha
Brunelle qui est lrsquoauteure principale du preacutesent texte srsquoest termineacutee en 2001
La collecte de donneacutees de cette eacutetude srsquoest deacuterouleacutee de 1996 agrave 1998 La
deuxiegraveme toujours en cours se situe dans le prolongement de la premiegravere
Dans lrsquoensemble ces deux eacutetudes visaient des jeunes ndash garccedilons et
filles ndash qui se livrent plus ou moins agrave des comportements de consomma-
tion de drogues et de deacutelinquance Cherchant agrave comprendre les processus
qui conduisent certains jeunes agrave srsquoengager dans un style de vie deacuteviant et
plus particuliegraverement dans la deacutelinquance ou la consommation de drogues
nous avons dans un premier temps eacutetabli que les jeunes rencontreacutes
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devraient ecirctre des adolescents pris en charge dans une institution judi-
ciaire ou de traitement de la toxicomanie cela en raison de leur plus
grande accessibiliteacute Des adolescents placeacutes sous garde en vertu de la Loi
sur les jeunes contrevenants (LJC)
1
dans les centres jeunesse ou suivant
un traitement dans un centre pour jeunes toxicomanes forment ainsi une
partie de lrsquoeacutechantillon Ces jeunes ont drsquoabord eacuteteacute solliciteacutes dans le cadre
drsquoune preacuteenquecircte reacutealiseacutee en lien avec la premiegravere eacutetude
Agrave la suite de la preacuteenquecircte et des interactions avec diffeacuterents colla-
borateurs il est apparu neacutecessaire de rencontrer aussi des jeunes qui ne
srsquoadonnent ni agrave la deacutelinquance ni agrave la consommation de drogues ou qui
du moins nrsquoont jamais eacuteteacute pris en charge par une quelconque institution
pour des comportements de deacutelinquance ou de consommation de drogues
afin de voir si leurs trajectoires diffeacuteraient autrement que sur ces aspects
de la vie des jeunes Des jeunes freacutequentant des maisons des jeunes de
lrsquoicircle de Montreacuteal allaient constituer cette deuxiegraveme partie de lrsquoeacutechantillon
de la premiegravere eacutetude
Aux jeunes participants srsquoajoutent dans lrsquoeacutetude en cours des jeunes
qui se trouvent en milieu scolaire secondaire et des jeunes de la rue Pour
cette nouvelle collecte de donneacutees srsquoajoutent agrave la grande ville de Montreacuteal
deux lieux de recrutement Queacutebec et Trois-Riviegraveres Lrsquoajout de nouveaux
milieux et sites de recrutement avait pour but drsquoobtenir une meilleure
repreacutesentation de la reacutealiteacute associeacutee agrave la saturation empirique des donneacutees
(Mayer et Ouellet 1991 Bertaux 1997 Pires 1997) Une limite reconnue
de la premiegravere eacutetude eacutetait drsquoavoir eacuteteacute conduite aupregraves drsquoun eacutechantillon
insuffisamment diversifieacute sur ces deux critegraveres des lieux et des sites de
recrutement (Brunelle 2001)
Trois critegraveres drsquoeacutechantillonnage sont communs agrave tous les jeunes
recruteacutes garccedilons et filles ecirctre volontaire srsquoexprimer couramment en
franccedilais et ecirctre acircgeacute de 14 agrave 20 ans
Pour fixer la taille de lrsquoeacutechantillon le principe adopteacute a eacuteteacute celui de
la saturation empirique laquo La saturation empirique deacutesigne alors le pheacuteno-
megravene par lequel le chercheur juge que les derniers documents entrevues
ou observations nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles
ou diffeacuterentes pour justifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo
(Pires 1997 p 156-157)
Ainsi afin drsquoatteindre une certaine repreacutesentation de la reacutealiteacute la
collecte des donneacutees prend fin au moment ougrave les informations qui srsquoajoutent
deviennent essentiellement reacutepeacutetitives ou anecdotiques (Mayer et Ouellet
1 Aujourdrsquohui Loi sur le systegraveme de justice peacutenale des adolescents (LSJPA)
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14
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
1991) Nous avons proceacutedeacute de cette maniegravere lors de la premiegravere eacutetude et
crsquoest ainsi que nous comptons mettre fin au recrutement de nouveaux
reacutepondants pour la deuxiegraveme eacutetude
Une fois les deux eacutetudes combineacutees les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent
sur un eacutechantillon de 62 jeunes
2
Un total de 31 jeunes pris en charge en
centre jeunesse et 12 en centre de traitement de la toxicomanie ont eacuteteacute
rencontreacutes de mecircme qursquoune douzaine drsquoadolescents freacutequentant des mai-
sons de jeunes six jeunes en milieu scolaire secondaire et un jeune de la
rue Parmi lrsquoensemble de ces jeunes participants on trouve 36 garccedilons et
26 filles dont lrsquoacircge moyen est de 165 ans
3
Au moment des entrevues drsquoune dureacutee moyenne drsquoune heure la
consigne de deacutepart de lrsquointervieweuse eacutetait formuleacutee ainsi
Jrsquoaimerais que tu considegraveres que je repreacutesente ton journal intime Alorsdans tes propres termes et selon ce que tu penses raconte-moi ta vie jusqursquoagrave
aujourdrsquohui comme si tu traccedilais ton itineacuteraire en incluant toutes lesdimensions de ta vie famille amis amours eacutecole deacutelinquance drogue leseacuteveacutenements que tu as veacutecus et surtout comment tu les as veacutecushellip
Une grille constitueacutee de mots cleacutes repreacutesentant autant de thegravemes agrave
aborder eacutetait utiliseacutee par lrsquointervieweuse agrave titre de guide drsquoentrevue Ainsi
que le suggegraverent Mayer et Ouellet (1991) ces entrevues prenaient la
forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes (Ghiglione et Matalon 1978)
Lrsquoanalyse du contenu des entretiens (Bardin 1977 LrsquoEacutecuyer 1990)
srsquoest faite selon deux approches utiliseacutees de maniegravere compleacutementaire
Drsquoune part une analyse theacutematique (Ghiglione et Matalon 1978) a eacuteteacute
privileacutegieacutee comme mode principal de reacuteduction du mateacuteriel Drsquoabord de
maniegravere verticale une analyse intrinsegraveque de chacune des entrevues a eacuteteacute
effectueacutee Ensuite de maniegravere transversale nous avons chercheacute agrave repeacuterer
les points de convergence et de divergence entre les reacutecits recueillis
Drsquoautre part une analyse seacutequentielle traitant de la suite des eacuteveacutenements
et de leurs reacutepercussions sur le jeune selon sa lecture a eacuteteacute reacutealiseacutee Pour
cette analyse seacutequentielle trois lignes biographiques traitant respective-
ment de lrsquohistoire de vie geacuteneacuterale (trajectoire sociale) de la consomma-
tion de drogues et de la deacutelinquance aux diffeacuterents acircges ont eacuteteacute traceacutees
et repreacutesenteacutees graphiquement pour chaque reacutepondant pour ensuite ecirctre
mises en relation Il sera ici question des ressemblances et des diffeacuterences
entre les reacutecits de vie obtenus des filles et des garccedilons
2 Les 38 premiers jeunes ont eacuteteacute rencontreacutes en cours de reacutealisation du doctorat et24 entrevues ont eacuteteacute ajouteacutees depuis le deacutebut de la deuxiegraveme eacutetude en cours
3 Voir Brunelle (2001) pour une description plus deacutetailleacutee des reacutepondants de la premiegravereeacutetude
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14 REacuteSULTATS
En plus drsquoavoir veacutecu plusieurs situations similaires les garccedilons et les filles
de lrsquoeacutechantillon tiennent un reacutecit relativement semblable agrave plusieurs
eacutegards Lrsquoexemple le plus eacutevident dans nos reacutesultats concerne les motiva-
tions principales qui ont pousseacute les participants agrave commettre des deacutelits ou
agrave consommer La curiositeacute et le fait de vouloir faire comme les autres pour
que ceux-ci les acceptent plus facilement sont mentionneacutes tant par les
filles que par les garccedilons de lrsquoeacutechantillon pour expliquer leurs premiegraveres
expeacuterimentations avec la drogue ou la deacutelinquance
141 L
ES
FILLES
ET
LES
GARCcedilONS
PLUS
DE
RESSEMBLANCES
QUE DE
DIFFEacuteRENCES
Plusieurs raisons motivant lrsquoadoption de comportements dits deacuteviants
limiteacutes ici agrave la consommation de substances psychoactives et agrave diverses
formes de deacutelinquance apparaissent comme eacutetant communes aux filles et
aux garccedilons de notre eacutechantillon Cela est vrai pour les motifs lieacutes agrave la
consommation drsquoalcool et drsquoautres drogues et pour ceux qui sont lieacutes agrave
des peacuteriodes de diminution ou drsquoarrecirct de cette consommation Crsquoest aussi
le cas pour les motivations que les jeunes filles et garccedilons eacutevoquent pour
expliquer des peacuteriodes ougrave ils commettent un nombre important de deacutelits
et des peacuteriodes ougrave ils en commettent peu ou pas du tout
1411 Motifs de consommation de drogues
Curiositeacute
ndash Plusieurs auteurs se sont inteacuteresseacutes au rocircle que joue la curiositeacute
dans les processus drsquoexpeacuterimentation des drogues (Fagan et Chin 1990
Erickson et Weber 1994 Brochu et Parent 2005) Nos reacutesultats montrent
que la curiositeacute influence le parcours tant des filles que des garccedilons
Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot en secondaire 3hellip ccedila me tentait drsquoessayerccedilahellip tous mes amis avaient deacutejagrave fumeacute Jrsquoai dit laquo bon je vais essayer ccedila raquo
(Minou fille 16 ans milieu scolaire)
Eh bien au deacutebut il y a quelqursquoun qui mrsquoa inviteacute et je me suis dit laquo crsquoestquoi ccedila Je vais essayer ccedila raquo
(Jean 18 ans centre jeunesse)
Du plaisir agrave lrsquooubli ndash
Comme dans plusieurs autres recherches
(Collison 1996 Glauser 1995) le plaisir apparaicirct dans notre eacutetude au
centre des motivations agrave consommer des drogues Les filles comme les
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
garccedilons lrsquoeacutevoquent pour expliquer leur usage de drogues Ils parlent drsquoun
plaisir ludique pour la majeure partie de leur trajectoire deacuteviante parti-
culiegraverement pour le deacutebut de celle-ci
Jrsquoai toujours aimeacute ce feeling-lagrave tu nrsquoes jamais choqueacute tu ris tout le temps
puis tu veux tout le temps niaiserhellip tu nrsquoes jamais down puis le fameux
trip de bouffe aussi quand on fumehellip
(Franck 15 ans milieu scolaire)
Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot avec mon voisin crsquoeacutetait pas pire crsquoeacutetait lefun [rire] je mrsquoennuie de ccedila
(Julienne 15 ans centre jeunesse)
Toutefois ceux et celles qui se rendent agrave un stade de deacutependance
expliquent que ce plaisir srsquoest transformeacute peu agrave peu en un plaisir amneacute-
sique Ainsi certains et certaines en sont venus agrave consommer pour oublier
leurs problegravemes On observe ainsi une discontinuiteacute dans leurs motiva-
tions agrave consommer (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)
Mais tseacute en premier crsquoeacutetait juste pour le fun lagrave Mais agrave un moment donneacuteje me suis rendu compte que jrsquoen avais plus de besoin que drsquoautre chosehellipLagrave je me suis vraiment mis agrave laquo rusher raquo pis la seule issue pas mal que
la seule issue que je me suis trouveacute crsquoest de prendre de la dope prendrede la dope parce que quand jrsquoeacutetais geleacute ben lagrave je ne pensais plus agrave rien
(Antoine 17 ans centre jeunesse)
Au deacutebut crsquoeacutetait plus comme pour le fun apregraves ccedila eacuteteacute pour me faire une
carapace des attaques qursquoil pouvait me faire ou quelque chose
[
son ex-chum
]
Apregraves ccedila crsquoeacutetait pour oublier Crsquoeacutetait beaucoup beaucoup pour oublier cequi pouvait arriver
(Rachel 16 ans centre de toxicomanie)
Appartenance agrave un groupe de pairs ndash
Plusieurs filles et garccedilons de
lrsquoeacutechantillon ont reacuteveacuteleacute que le fait de consommer ou de commettre des
deacutelits leur procurait une valorisation agrave travers leur appartenance agrave un
groupe de pairs
Je me sentais bien avec mon groupe drsquoamis je me sentais mieux je sentaisque je faisais les mecircmes affaires qursquoeux autres pis tu sais jrsquoeacutetais laquo tough raquopis christ moi jrsquoen prends je me sentais dans la gang ccedila fait que jrsquoai bienaimeacute mon expeacuterience
(Charlie fille de 17 ans centre de toxicomanie)
Crsquoeacutetait
[ses deacutelits]
pour me montrer laquo tough raquo pis ecirctre respecteacute aupregraves desautres
[ses copains] (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)
Influence parentale ndash
Des garccedilons et des filles de notre eacutechantillon
ont raconteacute avoir eacuteteacute inciteacutes agrave consommer par leurs parents Ces derniers
les ont initieacutes agrave la consommation de cannabis en particulier Dans certains
cas ils en ont fait une activiteacute familiale plus ou moins reacuteguliegravere
Moi jrsquoai commenceacute agrave fumer des joints avec mon pegravere
(Moh 19 ans jeunede la rue)
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On eacutetait dans un petit chalet dans le bois ma megravere son chum et moiCrsquoeacutetait quand mecircme laquo cool raquo Puis lagrave ils mrsquoont fait fumer un joint tu saisCcedila a eacuteteacute mon deuxiegraveme joint et celui-lagrave mrsquoa geleacutee jrsquoeacutetais perdue
(Mireille17 ans maison de jeunes)
Problegravemes familiaux ndash
Les problegravemes familiaux de diffeacuterents ordres
sont souvent au cœur des reacutecits de vie des jeunes et se rattachent selon
eux agrave leur consommation de drogues Des problegravemes de relations inter-
personnelles entre parents et enfants ou agrave lrsquointeacuterieur de la fratrie ou
encore des difficulteacutes veacutecues par un ou plusieurs membres de la famille
sont eacutevoqueacutes notamment pour expliquer des peacuteriodes de recrudescence
de leur deacuteviance marqueacutees par le deacutesir drsquooublier leurs problegravemes (Brunelle
Brochu et Cousineau 2002b)
Problegraveme crsquoest comme mon pegravere lui il eacutetait plus seacutevegravere tu comprends
[rires]
les Africains crsquoest plus seacutevegravere lagrave Puis moi vu que crsquoeacutetait plus seacutevegravere etpuis que jrsquoai grandi avec deux mentaliteacutes diffeacuterentes crsquoest comme un peuavec la mentaliteacute africaine puis je suis venu ici je te le jure que jrsquoai grandiavec la mentaliteacute ici tu comprends Jrsquoallais agrave lrsquoeacutecole mais je faisais drsquoautresaffaires puis lui
[son pegravere]
il nrsquoaimait pas ccedila fait que lagrave on se chicanaitje mrsquoen allais de chez moi je faisais des fugues lagrave je suis devenu plusdeacutelinquant mes amis ce sont des deacutelinquants jrsquoai commenceacute agrave consommerpuis crsquoest ccedila jusqursquoagrave temps qursquoon mrsquoarrecircte
(Outwall 17 ans centrejeunesse)
Jrsquoavais tellement peur qursquoelle se tue
[sa megravere]
Jrsquoai tout le temps peurComme tseacute elle me parlait qursquoelle avait voulu mourir ou elle disait ben grosqursquoelle prenait une coupe de pilules pis qursquoelle partait elle faisait laplanche Faque jrsquoai toujours peur encore
(Lilianne 16 ans centre detoxicomanie)
Faciliter les deacutelits ndash
Plusieurs jeunes filles et garccedilons ont mentionneacute
que la drogue leur permettait de commettre les deacutelits voulus en leur
fournissant courage et deacutesinhibition (Brunelle Brochu et Cousineau
2000) Certains reacutevegravelent mecircme qursquoelle leur permet drsquooublier du moins
momentaneacutement les conseacutequences de leurs gestes
La drogue crsquoest pour te donner un peu plus de courage Lagrave apregraves si lapersonne veut le faire sans drogue il va le faire sans fumerhellip crsquoest commequand quelqursquoun qui boit pis il va voir une fille apregraves
(William 17 anscentre jeunesse)
Il faut que je donne mon corps pour rembourser Je suis toujours geleacutee quandje fais ccedila Parce que je lrsquoai fait longtemps sans ecirctre geleacutee pis tu te sens pasagrave lrsquoaise Crsquoest une personne inconnue avec qui tu couches tu sais pascrsquoest qui
(Isabelle 16 ans centre jeunesse)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
1412 Motifs de deacutelinquance
Vengeance des abus subis ndash
Afin drsquoexpliquer leurs gestes deacutelinquants en
particulier certaines filles et certains garccedilons de lrsquoeacutechantillon mentionnent
leur deacutesir de venger les abus qursquoils ont subis Comme plusieurs auteurs
lrsquoont deacutejagrave mentionneacute les victimes de violence deviennent parfois eux-mecircmes
auteurs de violence (Hammersley Forsyth et Lavelle 1990 Agnew 1991
Dembo Williams Schmeidler Berry Wothke Getreu Wish et Christensen
1992 Miller et Downs 1995 Alexander 1996) Les jeunes dont il est ici
question ont geacuteneacuteralement adopteacute une trajectoire vraiment deacuteviante que
nous avons nommeacutee trajectoire discontinue marqueacutee par la recherche
drsquoun plaisir amneacutesique (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)
Parce que je suis rentreacutee en centre drsquoaccueil pis je pensais tout de suite laquo Ils vont faire comme ma megravere raquo Crsquoest lrsquoimpression que jrsquoai eue Pis il y aune fois ougrave je me suis faite retirer en retrait pis lagrave je lrsquoai pas pris Jrsquoai dit laquo Ils ont fait comme ma megravere ils vont mrsquoenfermer je ne mangerai pas raquohellipCrsquoest lagrave que ccedila a commenceacute les voies de fait Crsquoest comme jrsquoai eu lrsquoimpressionque ma megravere eacutetait lagrave encore
(Isabelle 16 ans centre jeunesse)
Jrsquoeacutetais frustreacute pour les coups que jrsquoavais pris faque je lrsquoai battu puis crsquoestccedila
(Phency 17 ans centre jeunesse)
Placement en protection de la jeunesse ndash
Quelques jeunes filles et
garccedilons eacutevoquent un sentiment drsquoinjustice subie et de reacutevolte associeacute agrave
leur placement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse Ce sont
des jeunes fortement impliqueacutes dans la deacutelinquance et geacuteneacuteralement ren-
contreacutes en centre jeunesse
La premiegravere fois que jrsquoai eacuteteacute arrecircteacute crsquoest vrai ccedila a eacuteteacute pour tentative demeurtre jrsquoai essayeacute de poigner deux personnes puis dehors agrave lrsquoexteacuterieurpuis toute ccedila Puis le gars il me cherchait puis lagrave moi jrsquoeacutetais comme reacutevolteacuteaussi dans le sens que je me disais que mes parents mrsquoavaient placeacute puisque crsquoest agrave cause drsquoeux autres que jrsquoeacutetais placeacute puis lagrave ils se sont seacutepareacutesccedila fait que le monde est illeacutegal le monde leacutegal genre je les ai mis ensembleen dernierhellip
(Baby Joker 18 ans centre jeunesse)
Moi je me suis reacutevolteacutee parce que je me suis dit coudon je me suis faitbattre par mes parents je nrsquoavais pas drsquoaffaire en centre drsquoaccueil tseacute Jeme suis dit laquo Non ccedila nrsquoa pas drsquoallure raquo Alors je me suis dit que je neserais pas en centre drsquoaccueil pour rien Pis lagrave je me suis reacutevolteacutee pis ccedilatout ensemble fait que jrsquoai embarqueacute dans les motards
(Isabelle 16 anscentre jeunesse)
Payer sa drogue ndash
La deacutelinquance lucrative en particulier occupe vite
une fonction utilitaire pour les consommateurs et consommatrices de
drogues de notre eacutechantillon Les vols la vente de drogues et la prostitution
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sont au nombre des deacutelits que commettent ces jeunes pour pouvoir consom-
mer de la drogue La vente de drogues apparaicirct rapidement dans leur
trajectoire plus rapidement que chez les adultes consommateurs Nous
faisons lrsquohypothegravese que le faible pouvoir eacuteconomique des adolescents
explique du moins en partie cette reacutealiteacute (Brunelle Brochu et Cousineau
2000) Quoi qursquoil en soit plus la consommation de drogues des jeunes
augmente plus ils sont impliqueacutes dans les deacutelits lucratifs citeacutes Crsquoest
ainsi que certains et certaines atteignent un stade eacuteconomico-compulsif
(Brunelle Brochu et Cousineau 2005)
Au deacutebut de mon secondaire crsquoest lagrave que jrsquoai commenceacute agrave consommer Jemrsquoeacutetais fait des amis de consommation tout ccedila et vu que je nrsquoavais pasgros de revenus et bien jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutelits et des deacutelits Je volaisde lrsquoargent ou des choses comme ccedila des choses qui allaient ecirctre le laquo fun raquopour pouvoir acheter ma consommation
(Jean 18 ans centre jeunesse)
Jrsquoai commenceacute agrave faire beaucoup de coke beaucoup je buvais tous les soirsje nrsquoallais plus agrave lrsquoeacutecolehellip Jrsquoai commenceacute agrave consommer tout le temps tousles jours je consommais je pouvais boire pis je volais tout le temps Ccedilacoucirctait cher agrave un moment donneacute ce nrsquoest pas donneacute pareil lagrave Je vendaisde la drogue pis je volais pour me faire de lrsquoargent pis je travaillais aussitu saishellip Jrsquoai commenceacute agrave faire de la coke pis crsquoest lagrave que jrsquoai deacutecideacute defaire mon vol qualifieacute pour mrsquoen ramasser
(Julienne 15 ans centrejeunesse)
1413 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de consommation
Coucircts trop eacuteleveacutes ndash Agrave la fois des filles et des garccedilons eacutevoquent le fait que
leur consommation est devenue trop coucircteuse pour expliquer qursquoils aient
ralenti ou cesseacute leur usage de drogues agrave un certain moment
La coke jrsquoen ai fait gros mais maintenant je me suis calmeacute parce que agrave unmoment donneacute ccedila coucircte cher (Moh 19 ans jeune de la rue)
Lrsquoalcool bien jrsquoai bu toutes sortes drsquoalcool Mais lagrave je nrsquoen bois plus parceque ccedila coucircte cher (Amitieacutes 18 ans jeune de la rue)
Plaisir disparu ndash Certains jeunes mentionnent que lrsquoeffet ludique
que leur procurait leur usage de drogues a disparu et de ce fait ils ont
arrecircteacute drsquoen prendre ou diminueacute leur consommation
Je nrsquoaime plus ccedila le laquo buzz raquo que ccedila fait (Cerise 16 ans milieu scolaire)
Ben je trouvais ccedila lrsquolaquo fun raquo le hasch Mais agrave la longue agrave lrsquointeacuterieur de soicrsquoest plate parce que tu ne peux pas vraiment te controcircler (Eacutelavien 15 ansmilieu scolaire)
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20 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Trop agrave perdre ou limite atteinte ndash Plusieurs confient que les conseacute-
quences de leur consommation les ont pousseacutes agrave vouloir la diminuer ou
lrsquoarrecircter Ils en sont venus agrave consideacuterer ces conseacutequences comme eacutetant
excessives trop deacutesavantageuses Ces conseacutequences relateacutees par les jeunes
sont drsquoordre physique psychologique et social ainsi que le montrent
chacun des trois extraits drsquoentrevue suivants
Fumer lagrave ccedila me fait vomir puis tu sais tout me rend malade (Julie 17 ansmilieu scolaire)
Je pense que jrsquoai trop fumeacute du pot puis agrave un moment donneacute je suis devenuparanoiumlaque apregraves jrsquoai arrecircteacute tout ccedila pendant deux ans de temps (Jack20 ans jeune de la rue)
Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Faque ccedila mrsquoa deacutecourageacutedrsquoen refumer (Bac 17 ans milieu scolaire)
Inteacutegriteacute morale atteinte ndash Quelques filles et garccedilons associent des
repreacutesentations sociales neacutegatives agrave la consommation de cocaiumlne agrave lrsquoitineacute-
rance et agrave la prostitution et ils les relient aux peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur
trajectoire drsquousage de drogues Ces repreacutesentations sociales les conduisent
agrave croire que leur inteacutegriteacute morale sera trop atteinte srsquoils continuent de
consommer notamment de la cocaiumlne
On commence agrave fumer du crack puis lagrave je baisse mes culottes tu sais il mesuce Le lendemain lagrave [soupir] jrsquoavais tellement honte de moihellip je merespectais avant tu sais je nrsquoaurais jamais fait ccedila je me tapais sur la tecirctepuis lagrave jrsquoavais vraiment honte Jrsquoai lacirccheacute le crack ccedila a eacuteteacute la derniegravere foisque jrsquoen ai fait (Raon 17 ans centre de toxicomanie)
Pis agrave la fin je me suis rendue au point ougrave jrsquoai commenceacute agrave faire de lapoudre et pis je me suis dit laquo Non je ne veux pas commencer agrave vendremon cul sur Sainte-Catherine raquo Je ne me sentais plus bien jrsquoeacutetais vraimentmalheureusehellip (Pamela 16 ans centre de toxicomanie)
Pairs conformistes ndash Ainsi que Esbensen et Elliot (1994) lrsquoavaient
deacutejagrave souligneacute certains reacutepondants et reacutepondantes reacutevegravelent que des peacuteriodes
de diminution de leur usage de drogues sont marqueacutees par des sentiments
positifs associeacutes agrave une identiteacute plus conformiste deacutecoulant de freacutequenta-
tions amicales elles-mecircmes plus conformistes
Jrsquoai quelques bons amis qui mrsquoont aideacutee agrave arrecircter de consommer il y a deuxans Jrsquoai arrecircteacute de battre les gens de faire des conneries Jrsquoai arrecircteacute de metenir avec ma gang Jrsquoai changeacute drsquoamis Crsquoeacutetait du monde normal dumonde comme toi et moi du monde comme ccedila (Isabelle 16 ans centrejeunesse)
TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES 21
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Un de mes amis commenccedilait agrave me talonner pour que jrsquoarrecircte de consommerCes gars-lagrave mes vieux amis drsquoenfance ils ne mrsquoont pas lacirccheacute Ils avaientarrecircteacute de consommer et ils ont commenceacute agrave srsquoentraicircner agrave avoir une job agraveavoir une vie normale Ils voulaient que je fasse la mecircme chose Crsquoest lagraveque jrsquoai reacutealiseacute plein drsquoaffaires que jrsquoeacutetais eacutecœureacute de cette vie-lagrave que je mesentais bien quand je ne consommais pas que jrsquoeacutetais quelqursquoun que jrsquoeacutetaisun homme (Nathan 18 ans centre jeunesse)
Amoureux conformiste ndash Dans la mecircme veine des filles et des gar-
ccedilons mentionnent avoir diminueacute leur consommation de drogues agrave des
peacuteriodes dans leur vie ougrave ils avaient un amoureux ou une amoureuse qui
ne consommait pas
Depuis que je sors avec elle je savais qursquoelle nrsquoaimait pas ccedila puis apregraveselle capotait alors jrsquoai reculeacute puis jrsquoai arrecircteacute (Quincy 16 ans maisonde jeunes)
Il ne voulait pas que je fume au deacutebut tu sais il me lrsquoa dit que lui il nefumait pas puis qursquoil nrsquoaimait pas ccedila des filles qui fument puis crsquoest unpeu agrave cause de lui aussi que jrsquoai arrecircteacute de fumer lagrave Depuis que je sors avecon dirait que je trouve ccedila moins dur drsquoarrecircter de fumer lagrave Lui il ne fumepas pantoute il nrsquoa jamais toucheacute agrave ccedila cela fait que moi jrsquoai arrecircteacute defumer lagrave (Cerise 16 ans milieu scolaire)
Autres avenues sports et arts ndash Plusieurs jeunes ont mentionneacute
qursquoils avaient cesseacute ou diminueacute leur consommation de drogues dans des
peacuteriodes ougrave ils srsquoadonnaient agrave des activiteacutes de nature sportive ou artistique
Ils parlent des fonctions occupantes et valorisantes de ces activiteacutes
Je suis devenu un peu moins illeacutegal pendant cet eacuteteacute-lagrave agrave cause du soccerTu sais ccedila mrsquoa bien aideacute ccedila mrsquoa bien gros accrocheacute puis ccedila mrsquoa permisde continuer ma vie et de faire ce que jrsquoavais agrave faire (Philippe 15 anscentre jeunesse)
Mais je pense que ce qui mrsquoa le plus aideacutee crsquoest que jrsquoai fait partie drsquounepiegravece drsquoune troupe de theacuteacirctre pendant deux ans Ccedila me donnait un butdans la vie et quand jrsquoai un but dans la vie le reste ne compte pas (Julie17 ans milieu scolaire)
142 LES GARCcedilONS EN PARTICULIER
Les reacutecits de vie recueillis aupregraves des garccedilons et des filles de lrsquoeacutechantillon
srsquoils se reacutevegravelent semblables agrave bien des eacutegards nrsquoen montrent pas moins
des distinctions dans les types de situations que ces jeunes relient le plus
clairement agrave lrsquoamplification de leur trajectoire deacuteviante Ainsi les garccedilons
parlent davantage de la recherche de plaisir et aussi de situations qui ont
entraicircneacute une reacuteaction agressive de leur part pour expliquer leur trajectoire
de deacutelinquance en particulier Par ailleurs ils font part de raisonnements
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22 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rationnels du type calcul du rapport coucirct-beacuteneacutefice lorsqursquoils racontent
pourquoi ils ont ralenti leur trajectoire de consommation agrave certaines
peacuteriodes de leur vie
1421 Motifs de deacutelinquance
Plaisir ndash Quelques garccedilons mentionnent le plaisir ressenti au moment de
commettre des deacutelits pour expliquer leur deacutelinquance Les filles nrsquoen font
pas mention
Les intros ces affaires-lagrave crsquoeacutetait juste pour le trip parce que je nrsquoen avaispas besoin drsquoargent jrsquoen faisais beaucoup en vendant de la dopehellip Ccedila merapportait rien ccedila me rapportait du fun (Oscar 18 ans centre jeunesse)
Pis lagrave jrsquoai commenceacute agrave me battre avec pis je ne sais pas jrsquoavais aimeacute ccedilaPis il eacutetait agrave terre plein de sang pis jrsquoavais comme un sentiment de pouvoirenvers lui Pis depuis ce temps-lagrave jrsquoy ai pris plaisir (Sacha 17 ans centrejeunesse)
Vengeance des abus subis par drsquoautres ndash Quelques garccedilons ont expli-
queacute certains de leurs deacutelits de violence en reacuteveacutelant qursquoils voulaient venger
des proches qui ont eacuteteacute abuseacutes comme pour deacutefendre leurs inteacuterecircts
[hellip] lagrave jrsquoai ressauteacute dessus [sur son beau-pegravere] Crsquoest comme tseacute crsquoeacutetaitplus de lrsquoaccumulation tseacute le temps lagrave Tseacute jrsquoeacutetais petit pis je le voyaistaper sur ma megravere pis tout Pis crsquoeacutetait comme agrave peu pregraves tout ce que jrsquoavaislagrave ma megraverehellip Tseacute je veux dire crsquoest comme srsquoil mrsquoavait arracheacute tout ce quime restaithellip Pis il fallait que je le fasse sentir au moins un petit peu commeil mrsquoavait fait sentir tseacutehellip Pis une grande gueule comme qursquoil est il acontinueacute pis lagrave jrsquoai comme laquo pitcheacute raquo le rouleau agrave pacircte pis je lrsquoai atteintau-dessus de lrsquoœil Pis lagrave ccedila srsquoest mis agrave saigner pis tout tseacutehellip (Louis17 ans centre jeunesse)
Lagrave il y avait plein de sang partout lagrave je capotais Lagrave je vois ma petitesœurhellip Mon fregravere me saute dessus il me dit laquo Elle srsquoest faite violer piscrsquoest un estie de negravegre qui lui a fait ccedilahellip raquo Lagrave depuis ce temps-lagrave les noirsccedila eacuteteacute fini fini fini Depuis ce temps-lagrave je suis devenu agressif tabarnachellipCrsquoest depuis ce temps-lagrave que je suis devenu violent pas mal sur les bords(Christian 17 ans centre jeunesse)
Un instinct de survie ndash Certains jeunes reacutepondants affilieacutes agrave des
gangs de rue ont eacutevoqueacute une forme de leacutegitime deacutefense pour expliquer
qursquoils aient commis des deacutelits violents
Crsquoest lagrave que jrsquoai lacirccheacute tous les noirs pis lagrave apregraves ccedila quand tu deacutebarquesdrsquoune gang lagrave-bas trsquoes un estie tu te fais traiter de conhellip Faque je me suisbattu en masse pis je suis devenu violent en tabarnac il fallait que je medeacutefende je nrsquoavais pas le choix (Christian 17 ans centre jeunesse)
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Ccedila ne me deacuterange pas de tuer srsquoil y en a un en avant de moi qui veut mefaire chier et que je vois dans ses yeux qursquoil veut me tuer eh bien je vaisle tuer avant qursquoil le fasse crsquoest simple (Moh 19 ans jeune de la rue)
Une laquo susceptibiliteacute raquo agressive ndash Certains garccedilons ont raconteacute avoir
eacuteteacute violents envers drsquoautres jeunes en reacuteponse agrave un comportement de leur
part qursquoils jugeaient offensant
Une autre fois il y en avait un qui mrsquoeacutenervait puis le lendemain jrsquoaiapporteacute un couteau agrave lrsquoeacutecole Puis je me battais apregraves lrsquoeacutecolehellip (William17 ans centre jeunesse)
Chaque fois que quelqursquoun disait quelque chose de pas correct sur moijrsquoallais le chercher et je le battaishellip (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)
1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation
Meilleure harmonie familiale ndash Mecircme si certains garccedilons disent avoir eacuteteacute
initieacutes aux drogues par leurs parents drsquoautres expliquent qursquoils ont cesseacute
ou diminueacute leur consommation afin de preacuteserver la paix avec leurs parents
ou par attachement parental
Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Ccedila fait que ccedila mrsquoaencourageacute agrave ne pas en refumer Mettons que ccedila mrsquoencourage agrave pas fumerde la drogue aussi souvent devenir un leacutegume agrave cause de ccedila ccedila mrsquointeacuteressepas fumer Ccedila fait que ccedila ma megravere celle-lagrave elle lrsquoa jamais su je trouveque crsquoest peut-ecirctre bien agrave quelque part peut-ecirctre qursquoelle mrsquoaurait sucircrementre-peacuteteacute une coche comme la derniegravere fois Je trouve ccedila mieux de mecircme ellesait que je nrsquoen prends pas pis je nrsquoai pas inteacuterecirct agrave en prendre de un etde deux je nrsquoaime pas ccedila (Bac 17 ans milieu scolaire)
Agrave un moment donneacute jrsquoai consommeacute pendant deux semaines tregraves intensi-vement puis je me suis eacutecœureacute Je me suis dit laquo Pourquoi Qursquoest-ce queccedila change raquo Crsquoest surtout que mes parents ne le savaient pas Agrave chaquefois que jrsquoarrivais agrave la maison je ne savais jamais si mes parents srsquoenrendraient compte toutes les fois tu comprends Et puis je me suis tanneacutedrsquoavoir peur et jrsquoai reacutealiseacute que ccedila ne me donnait rienhellip (Samuel 16 ansmaison de jeunes)
Trop agrave perdre ou rien agrave gagner une reacuteflexion laquo rationnelle raquo ndash De
maniegravere particuliegraverement rationnelle certains garccedilons calculent qursquoils ont
trop agrave perdre ou rien agrave gagner agrave consommer des drogues
Ccedila fait 4 mois que jrsquoai arrecircteacute pour la peacuteriode drsquoexamen parce que je savaisque ccedila me rendait genre un petit peu cellule dans ma tecircte (Arnold 15 ansmilieu scolaire)
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Aujourdrsquohui la cour me lrsquoa encore obligeacute de travailler ma consommationsauf que je suis conscient du besoin que jrsquoai de geacuterer ma consommation eten plus on a vendu notre maison agrave Trois-Riviegraveres ma megravere srsquoen va habiteragrave Longueuil et moi je poursuis mes eacutetudes au professionnel agrave Trois-Riviegraveresalors je vais me retrouver en appartement Pour ccedila il faut de lrsquoargent et sije fume trop comme je fumais avant eh bien je nrsquoaurai plus drsquoargent pourpayer mon loyer et tout ccedila Cela fait que je vais avoir un problegraveme Crsquoestpour ccedila que je mrsquoimplique reacuteellement dans mon atelier de toxicomanie(Jean 18 ans centre jeunesse)
Pour reacuteussir une carriegravere deacutelinquante ndash Certains garccedilons de lrsquoeacutetude
mentionnent qursquoils ont cesseacute ou diminueacute leur usage de drogue ou de
certaines drogues pour srsquoassurer de faire beaucoup de profits illeacutegaux ou
pour eacuteviter de se faire arrecircter par les policiers
Quelqursquoun qui vend un vendeur lagrave ccedila ne touche pas comme un gars quivend du crack il ne touche pas au crack Sinon crsquoest lui qui fume sonstock Ben moi je ne fume pas de crack alors je peux vendre (William17 ans centre jeunesse)
Un bon voleur ok il ne va jamais faire ses affaires quand il est chaud ougeleacute tu as pas mal plus de risque de te faire prendre (Outwall 17 anscentre jeunesse)
143 LES FILLES EN PARTICULIER
Peu de chose distinguent speacutecifiquement les filles sinon le fait deacutejagrave men-
tionneacute qursquoune grande partie de leur reacutecit srsquoarticule autour du besoin de
plaire aux pairs deacuteviants pour expliquer leur consommation de drogues
ou leur implication dans la deacutelinquance et le fait que parmi les motifs de
sortie se trouve la reacuteponse agrave un ultimatum parental
1431 Motif de consommation
Un vide affectif ndash Certaines filles reacutevegravelent consommer des drogues pour
combler un sentiment de vide drsquoamour
Mais tseacute je voulais prouver que jrsquoeacutetais vieille de caractegravere que jrsquoeacutetaisquelqursquoun Pour qursquoils mrsquoaiment parce que je me sentais ben gros pas aimeacute(Pamela 16 ans centre de toxicomanie)
Parce que je ne voulais pas ressentir le vide que jrsquoai en dedans un videinteacuterieur de ne pas recevoir de lrsquoamour autant que je voudrais tout le tempsce vide agrave combler tu sais (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)
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1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation
et de la deacutelinquance
Ultimatum parental ndash Afin de preacuteserver une relation relativement satisfai-
sante avec leur pegravere ou leur megravere ou afin de lrsquoameacuteliorer certaines filles
disent avoir diminueacute ou cesseacute leur consommation drsquoune ou de plusieurs
drogues agrave leur demande ou parce qursquoelles ont compris qursquoautrement elles
se feraient rejeter
Apregraves cet eacuteveacutenement-lagrave jrsquoai reconsommeacute jrsquoai recontinueacute agrave vendre tu saisccedila nrsquoavait pas cliqueacute dans ma tecircte pis euh quand que ma megravere a trouveacutemon sac de ziploc dans ma sacoche elle a dit laquo je suis eacutecœureacutee raquo elle adit laquo jrsquoabandonne raquo elle a dit laquo je trsquoabandonne raquo elle a dit laquo je ne peuxplus rien faire pour toi raquo elle a dit laquo fais donc ce que tu veux je mrsquoencalice raquo Ccedila fait que crsquoest lagrave que ccedila a cliqueacute laquo jrsquoai un problegraveme raquo pis lagravejrsquoai peacuteteacute les plombs je braillais pis laquo qursquoest-ce que je vais faire raquo Crsquoest lagraveque je suis alleacutee voir Juliette lrsquointervenante en toxico jrsquoai dit lagrave lagrave fais dequoi (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)
Je ne vole plus maintenant Je me suis calmeacutee parce que je me suis dit quesi je me faisais prendre encorehellip ce nrsquoest pas que jrsquoai peur ou que je mesens mal crsquoest juste qursquoils vont appeler ma megravere Je ne veux pas que mamegravere soit choqueacutee apregraves moi Crsquoest trop je lui ai causeacute assez de maux detecircte comme ccedila Apregraves tout je veux continuer de rester avec elle sinon ougravejrsquoirais Je ne veux pas aller habiter avec mon pegravere il est beaucoup tropseacutevegravere (Anouk 16 ans maison de jeunes)
CONCLUSION
Dans son bilan des recherches sur lrsquousage de drogues des jeunes Queacutebeacutecois
depuis les anneacutees 1960 Le Blanc (2005) conclut que les eacutetudes relatives
aux eacuteleacutements qui preacutecipitent la consommation et surtout agrave ceux qui en
facilitent lrsquoarrecirct sont encore trop peu nombreuses Nous avons voulu
apporter une compreacutehension compleacutementaire et diffeacuterente au corpus de
recherches deacutejagrave existant en nous centrant sur la lecture que font les
adolescents de leur trajectoire drsquousage de drogues et de deacutelinquance Non
seulement les motifs eacutevoqueacutes par les jeunes pour expliquer qursquoils consom-
maient ou qursquoils commettaient des deacutelits agrave certaines peacuteriodes de leur vie
eacutetaient rechercheacutes mais aussi ceux qursquoils ont eacutevoqueacutes relativement aux
peacuteriodes ougrave ils diminuaient ou cessaient leur implication deacuteviante De
plus il est apparu important de faire cet exercice en distinguant les filles
et les garccedilons Trop souvent en effet on a conclu agrave lrsquoinsignifiance de la
deacutelinquance des filles en srsquoappuyant sur des donneacutees statistiques issues de
sources policiegraveres ou judiciaires donneacutees qui indiquent une tregraves faible
preacutesence des filles au sein de la population de jeunes deacutelinquants eacutetudieacutee
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26 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Devant ce constat plusieurs chercheurs ont convenu de faire porter leurs
eacutetudes sur le seul groupe des deacutelinquants de sexe masculin repoussant
dans lrsquoombre la speacutecificiteacute possible de la deacutelinquance des filles et de son
traitement judiciaire et peacutenal
Essentiellement on constate que les motifs eacutevoqueacutes par les filles et les
garccedilons pour consommer des drogues et commettre des deacutelits sont dans
la plupart des cas les mecircmes curiositeacute plaisir oubli appartenance agrave un
groupe de pairs problegravemes familiaux vengeance des abus subis person-
nellement Les raisons que filles et garccedilons associent agrave des peacuteriodes de
diminution ou drsquoarrecirct de ces comportements deacuteviants sont aussi geacuteneacutera-
lement les mecircmes conseacutequences physiques psychologiques et sociales
devenues intoleacuterables pairs ou amoureux conformistes activiteacutes alterna-
tives agrave la consommation Ainsi contrairement agrave ce qursquoon avait pu croire
en se fiant aux statistiques portant sur la deacutelinquance juveacutenile une cer-
taine forme drsquoandrogynie (Cloutier 1996) apparaicirct au moment de consi-
deacuterer les motivations que les filles et les garccedilons associent au deacutebut et au
maintien de leur implication dans une trajectoire deacuteviante
Sur le plan de lrsquointervention il paraicirct inteacuteressant de srsquoattarder au rocircle
particulier que jouent lrsquoassociation agrave des pairs conformistes et les alterna-
tives agrave la consommation entraicircnant des peacuteriodes drsquoaccalmie et mecircme drsquoabs-
tinence dans les comportements deacuteviants des jeunes des deux sexes Il y a
lagrave certainement des pistes drsquointervention qui se dessinent se concreacutetisant
notamment par la mise en œuvre de projets positifs susceptibles de susciter
lrsquointeacuterecirct et lrsquoinvestissement des jeunes deacuteviants qui pourraient y participer
de concert avec des jeunes plus conformistes
Des caracteacuteristiques propres aux garccedilons sont toutefois deacutecelables
dans le mateacuteriel recueilli aupregraves des jeunes reacutepondants La recherche du
plaisir ainsi que des reacuteactions agressives se deacutegagent de leurs motivations
agrave commettre des deacutelits et pas de celles deacutevoileacutees par les filles Ici il y a
lieu de srsquoattarder au caractegravere souvent impulsif des garccedilons et agrave leur
recherche constante de gratification immeacutediate et drsquoen tenir compte dans
la planification de lrsquointervention
Pour expliquer une accalmie dans leur trajectoire de consommation
certains jeunes garccedilons estiment avoir eu trop agrave perdre sur les plans fami-
lial scolaire ou des conditions drsquohabitation Ils eacutevoquent aussi le fait que
leur usage de drogues pouvait nuire agrave leur laquo carriegravere deacutelinquante raquo Le
raisonnement arithmeacutetique associeacute aux garccedilons peut ecirctre eacutevoqueacute ici
(Cloutier 1996) Lrsquoexercice de prise de deacutecision soupesant les avantages
et les deacutesavantages drsquoune situation de consommation paraicirct approprieacute
pour les garccedilons dans la mesure ougrave on les laisse aborder eux-mecircmes les
aspects neacutegatifs de leur usage de drogues Il srsquoagit drsquoailleurs lagrave drsquoune
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strateacutegie qui srsquoest reacuteveacuteleacutee utile dans le cadre de lrsquoapproche motivationnelle
de plus en plus conseilleacutee pour lrsquointervention preacuteventive et de reacuteadaptation
meneacutee aupregraves des jeunes consommateurs de drogues (Prochaska Norcross
et DiClemente 1994)
Quant aux filles elles se distinguent des garccedilons lorsqursquoelles invoquent
un manque drsquoamour pour expliquer leur consommation Elles sont aussi
les seules agrave faire reacutefeacuterence agrave une forme drsquoultimatum parental lorsqursquoelles
mentionnent les peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur trajectoire deacuteviante Cloutier
(1996) dirait probablement que ces reacutesultats sont lieacutes au processus iden-
titaire feacuteminin lequel se caracteacuterise par une constante reacutefeacuterence au rap-
port aux autres Une intervention faisant appel agrave la famille et visant agrave
deacutevelopper des relations saines entre ses membres se preacutesente degraves lors
comme une avenue inteacuteressante pour les filles en venant notamment
combler le vide affectif que celles-ci deacutenoncent
Lrsquoexercice qui consiste agrave demander agrave des jeunes de se raconter dans
le cadre drsquoune entrevue semi-directive srsquoest aveacutereacute tregraves profitable pour
approfondir nuancer et qualifier les connaissances sur leurs trajectoires
drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Il apparaicirct indis-
pensable pour bien comprendre les jeunes et intervenir aupregraves drsquoeux
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TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES
Diversiteacute des cheminements
et effets de geacuteneacuteration au sein
des milieux populaires en France
M
ICHEL
K
OKOREFF
Universiteacute Paris VCESAMES (CNRSndashINSERMndashParis V)
copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce chapitre part de la notion de laquo carriegraveres raquo telle qursquoelle est deacutefinie par
Howard Becker (1963) et en propose une lecture renouveleacutee dans un
contexte social et urbain et agrave propos de pratiques speacutecifiques Il srsquoapplique
agrave deacutecrire et agrave analyser les carriegraveres des usagers et des revendeurs de
drogues consideacutereacutees dans leurs dimensions territoriales dans les quartiers
pauvres Il srsquoappuie essentiellement sur des entretiens de type qualitatif
aupregraves drsquoindividus rencontreacutes pour la plupart en deacutetention
1
Une enquecircte
par observation meneacutee durant plusieurs anneacutees dans plusieurs communes
de la reacutegion parisienne et une analyse de la construction des affaires por-
tant sur des infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants dans la juridiction
de reacutefeacuterence constituent lrsquoarriegravere-plan de cette recherche qualitative elles
rendent possible une mise en situation de ce que nous avons appeleacute des
laquo reacutecits de carriegraveres raquo (Duprez et Kokoreff 2000) Agrave partir de ces donneacutees
il srsquoagit de mettre en relief les facteurs structurant les carriegraveres crsquoest-agrave-dire
des processus qui conduisent au deacuteveloppement de ces conduites illicites
dans un monde social donneacute Plus preacuteciseacutement on se propose drsquointerroger
lrsquoinfluence de lrsquoappartenance agrave une geacuteneacuteration sur les modaliteacutes drsquoenga-
gement dans le trafic consideacutereacute essentiellement agrave lrsquoeacutechelle locale
Nous commencerons par expliciter cette probleacutematique puis nous
distinguerons deux types de cheminements au sein de ce monde social
lrsquoun centreacute sur la consommation drsquoheacuteroiumlne agrave lrsquointeacuterieur drsquoune cohorte
neacutee au deacutebut des anneacutees 1960 lrsquoautre marqueacute par une entreacutee dans le
trafic de divers produits au cours des anneacutees 1990 avant de souligner la
diffeacuterenciation des positions dans le trafic
21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES SELON
LES GEacuteNEacuteRATIONS
Tout se passe aujourdrsquohui en France tout au moins comme si lrsquoengage-
ment dans le trafic de drogues illicites eacutetait le destin des pauvres inheacuterent
aux conditions de vie et de socialisation Or une telle repreacutesentation
largement inteacuterioriseacutee tant par les habitants des quartiers et les acteurs
locaux que par lrsquoopinion publique est doublement reacuteductrice Elle parti-
cipe tout drsquoabord drsquoun effet de meacuteconnaissance de la reacutealiteacute sociale de
1 Ce mode de seacutelection agrave partir du processus peacutenal constitue bien eacutevidemment unlaquo biais raquo Il conduit agrave la surrepreacutesentation drsquoune cateacutegorie de personnes selon unelogique ougrave lrsquoorigine sociale la nationaliteacute et les preacuteceacutedents jouent un rocircle consideacuterableCela eacutetant les caracteacuteristiques de cette population sont tregraves proches de celle que lechercheur est ameneacute agrave rencontrer dans les quartiers et qui srsquoavegravere la plus visible
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ces pratiques qui deacutepasse largement lrsquohorizon borneacute des quartiers HLM
Elle occulte ensuite la diversiteacute interne des carriegraveres dans la drogue au
sein des mondes populaires Autrement dit contrairement aux ideacutees
reccedilues les jeunes des citeacutes ne sont pas tous des
dealers
ndash comme ils ne
sont pas tous impliqueacutes durablement dans un systegraveme de vie structureacute
autour de la deacutelinquance
2
Par ailleurs cette mise en repreacutesentation
sociale des figures urbaines des deacuteviances juveacuteniles preacutesente un inconveacute-
nient majeur elle ne permet pas ensuite de comprendre les diffeacuterentes
phases des carriegraveres dans le monde de la drogue aussi bien que la varieacuteteacute
des cheminements crsquoest-agrave-dire de reacutepondre agrave la question laquo Comment
devient-on
dealer
raquo
211 A
U
-
DELAgrave
DU
FEacuteTICHISME
CONCEPTUEL
L
rsquo
ANALYSE DES PROCESSUS
Lrsquointeacuterecirct de la notion de laquo carriegravere raquo telle qursquoelle a eacuteteacute appliqueacutee au
domaine des conduites deacuteviantes par Becker (1963) dans le prolongement
de Hughes (1958) vise agrave reacutepondre agrave ce type drsquointerrogation Cette notion
consiste agrave prendre en compte les dimensions agrave la fois objectives et subjec-
tives drsquoune succession drsquoactions En ce sens elle est un moyen terme entre
les approches des trajectoires de vie de type deacuteterministe et celles qui sont
plus attentives aux singulariteacutes biographiques Il srsquoagit drsquoun laquo pont raquo entre
trajectoires objectives et trajectoires subjectives (Dubar 1998) qui peut
donner lieu agrave des approches tant qualitatives que quantitatives (Peretti-
Watel 2001) Lrsquoun des apports de ces travaux est de resituer des pratiques
dans des parcours et des contextes sociaux ougrave jouent aussi bien les rela-
tions avec les familles et les groupes de pairs que celles avec les institutions
reacutepressives sanitaires ou sociales Loin de constituer un chemin traceacute
drsquoavance un effet de destin les carriegraveres sont le produit de
lrsquointeraction
entre ces diffeacuterents eacuteleacutements Ce qui conduit agrave mettre en relief les tem-
poraliteacutes dans lesquelles srsquoinscrivent ces pratiques crsquoest-agrave-dire les seacutequences
ou les phases les moments et les seuils les points de rupture ou de
bifurcation constitutifs des carriegraveres dans un monde social donneacute toujours
en interaction avec drsquoautres mondes sociaux (les policiers les magistrats
les travailleurs sociaux et intervenants speacutecialiseacutes etc)
2 Pour une tentative de classification des jeunes habitant les quartiers HLM voir notam-ment Begag et Delorme 1994 Jazouli 1995 Oberti 1999
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cela eacutetant la notion de carriegravere preacutesente aussi des limites
3
Lrsquoaccent
mis sur ce laquo qui fait de la deacuteviance un genre de vie raquo (Becker 1963) sur
la consommation plus que sur le trafic conduit agrave deacutelaisser les facteurs lieacutes
aux conditions de vie et au cadre urbain Or dans les contextes eacutetudieacutes
les effets de milieu ndash au sens eacutecologique du terme ndash lrsquoaccumulation des
difficulteacutes sociales et personnelles les ruptures biographiques qursquoelles
impliquent sont des facteurs tregraves preacutegnants dans le deacuteveloppement des
pratiques illicites pouvant entraicircner deux conseacutequences Drsquoune part on
peut estimer que les logiques sont autant de contraintes qui interviennent
en amont des pratiques Lrsquoanalyse des trajectoires sociales srsquoinscrit dans
cette perspective avec le risque drsquoun glissement vers un modegravele balistique
(Chamboredon 1971) de celles-ci Ce qui serait occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute
des trajectoires des laquo jeunes toxicomanes des banlieues raquo (Bouhnik 1994)
Drsquoautre part la notion drsquoengagement utiliseacutee par les interactionnistes
srsquoavegravere difficile agrave manier Elle amegravene agrave consideacuterer les usagers de drogues
comme des acteurs de leur histoire (et non comme de simples agents ou
malades) agrave repeacuterer les dilemmes auxquels ils ont agrave faire face et les reacuteponses
qui y sont apporteacutees Comment consideacuterer comme un laquo engagement raquo ce
qui paraicirct ecirctre une suite de petites coupures Sur le plan meacutethodologique
on bute ici sur un problegraveme que Passeron (1989) a bien mis en relief
comment faire la part de lrsquoaspect indissociablement contraignant non voulu
(objectiveacute) et veacutecu comme personnel (subjectiveacute) drsquoune biographie
4
Agrave
cette difficulteacute srsquoajoutent les effets de sens associeacutes agrave cette notion qui
rendent son usage parfois ambigu au-delagrave du cercle des speacutecialistes Enfin
en deacutepit des preacutecautions drsquousage le terme de carriegravere a une reacutesonance
particuliegravere associeacute qursquoil est au modegravele de la reacuteussite en particulier
lorsqursquoil est accoleacute aux activiteacutes de revente et de distribution dans des
quartiers de misegravere
Jrsquoai donc preacutefeacutereacute adopter dans ce texte la notion de laquo cheminements raquo
Situeacutee dans le mecircme registre seacutemantique que les notions de trajectoire
parcours itineacuteraire ligne biographique ou ligne de vie cette notion me
semblait aussi plus neutre Lrsquoideacutee forte eacutetait de suggeacuterer le caractegravere non
lineacuteaire reacuteversible accidenteacute bref la complexiteacute des processus lieacutes agrave
lrsquousage de drogues sans bien entendu dissiper totalement les problegravemes
3 La litteacuterature speacutecialiseacutee anglo-saxonne visant agrave discuter les travaux de Becker et agraverevisiter les donneacutees utiliseacutees est vaste Voir les contributions reacutecentes de Hathaway(1997)
4 Voir agrave ce propos les travaux des chercheurs canadiens sur les laquo biogrammes raquo Il srsquoagitdrsquoarticuler des donneacutees quantitatives et qualitatives sur la base de calendriers reacutealiseacutes agravepartir de la consultation de dossiers officiels qui sont compleacuteteacutes et approfondis aumoyen drsquoentrevues semi-dirigeacutees De la sorte la chronologie des eacuteveacutenements est eacutetablieen parallegravele avec ce qui a fait sens dans les trajectoires des deacutelinquants au cours destrois derniegraveres anneacutees Voir Brochu da Agra et Cousineau (2002)
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eacutevoqueacutes Sans ceacuteder au feacutetichisme conceptuel souvent de mise au sein des
sciences sociales crsquoest bien cet aspect qursquoil faut retenir au regard des
donneacutees recueillies
Afin de restituer cette complexiteacute on se propose de probleacutematiser
les liens entre carriegraveres et geacuteneacuterations En quoi les appartenances de
geacuteneacuteration ou de cohorte
5
influent-elles sur le deacuteveloppement des carriegraveres
en particulier dans le trafic de drogues Dans quelle mesure permettent-
ils de rendre compte de la varieacuteteacute des parcours ou des configurations
biographiques en relation avec drsquoautres facteurs (sociaux familiaux ter-
ritoriaux institutionnels)
6
212 L
ES
EFFETS
DE
GEacuteNEacuteRATION
Il est banal de consideacuterer la drogue comme un pheacutenomegravene de geacuteneacuteration
En ce qui concerne les usagers drsquoheacuteroiumlne on distingue geacuteneacuteralement
deux geacuteneacuterations Celle des anneacutees 1970 eacutetait composeacutee pour une grande
part de jeunes de couches moyennes et supeacuterieures dont le rapport agrave la
drogue eacutetait deacutefini par la contre-culture plutocirct que par le cumul des
handicaps sociaux Celle des anneacutees 1980 appartenait en revanche agrave la
jeunesse des classes populaires particuliegraverement toucheacutees par le chocircmage
de masse et la preacutecariteacute Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre on a assisteacute agrave une
diffusion verticale de lrsquousage de drogues et agrave une extension des produits
consommeacutes qui ont modifieacute leur repreacutesentation sociale drsquoun attribut
contre-culturel la drogue est (re)devenue un laquo fleacuteau social raquo (Mauger
1984) Crsquoest aussi le traitement institutionnel qui distingue ces deux geacuteneacute-
rations Si en effet la premiegravere a constitueacute la clientegravele de base du dispo-
sitif de soins speacutecialiseacutes qui srsquoest progressivement mis en place apregraves la loi
de 1970 la seconde a eu difficilement accegraves agrave des structures peu adapteacutees
5 On nrsquoignore pas les difficulteacutes que posent les notions souvent confondues de geacuteneacuterationet de cohorte Selon la deacutefinition geacuteneacuterale que peut en donner la deacutemographie unecohorte est constitueacutee drsquoun ensemble drsquoindividus qui ont veacutecu un eacuteveacutenement semblablependant la mecircme peacuteriode de temps Dans ce sens la geacuteneacuteration pourra ecirctre deacutefiniecomme une laquo cohorte de naissance raquo Afin de dissiper cette ambiguiumlteacute certains socio-logues reacuteservent le terme de geacuteneacuteration au domaine de la parenteacute drsquoautres en fontlrsquoeacutequivalent drsquoune position de classe drsquoautres encore insistent sur le fait drsquoavoir veacutecules mecircmes expeacuteriences collectives Ces questions de deacutefinition sont indissociables decelles plus techniques qui consistent agrave diffeacuterencier les effets de geacuteneacuteration (lrsquoapparte-nance agrave une cohorte de naissance particuliegravere) les effets drsquoacircge (qui relegravevent du vieillis-sement) et les effets de peacuteriode (srsquoexerccedilant sur tous les membres drsquoune socieacuteteacute quelque soit lrsquoacircge) Elles seront peu abordeacutees en tant que telles ici lrsquoarticle eacutetant centreacutesur les aspects empiriques de la dynamique des carriegraveres selon les geacuteneacuterations
6 Voir dans un autre domaine (les personnes heacutemophiles) mais agrave partir drsquoune approchecomparable les analyses stimulantes consacreacutees par Carricaburu (2000) aux laquotrajectoiresde maladie raquo
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de surcroicirct agrave ses caracteacuteristiques sociologiques et sanitaires (Bergeron
1999) La proleacutetarisation de la consommation a eacuteteacute synonyme drsquoun rabat-
tement de la toxicomanie sur la deacutelinquance urbaine
Sans doute cette opposition traduite en termes de classes sociales
(moyennespopulaires) devrait-elle ecirctre affineacutee Non parce que ce voca-
bulaire serait devenu deacutesuet mais pour deux raisons essentielles distin-
guer plusieurs phases pour comprendre lrsquoapparition et la diffusion des
drogues dans les quartiers de releacutegation drsquoune part prendre en compte
agrave cocircteacute des pratiques de consommation les pratiques de revente qui consti-
tuent le fait majeur des anneacutees 1990 drsquoautre part Dans ce sens on pourrait
distinguer non pas deux geacuteneacuterations mais quatre cohortes
Pour en rester aux milieux populaires force est de constater que les
enfants des familles ouvriegraveres drsquoorigine franccedilaise ou eacutetrangegravere qui ont
eu 20 ans au deacutebut des anneacutees 1970 nrsquoont pas connu les drogues ndash en
tout cas pas lrsquoheacuteroiumlne et accessoirement le cannabis dans le cas restant
limiteacute des eacutetudiants Si certains quartiers sont des foyers de deacutelinquance
notoire ougrave lrsquoexistence de bandes se traduit par divers meacutefaits (vols bra-
quages homicides etc) la drogue est apparenteacutee agrave la bourgeoisie et est
signe de faiblesse La persistance des codes sociaux des anciens voyous
peut expliquer que lrsquoarriveacutee massive de lrsquoheacuteroiumlne dans drsquoanciennes citeacutes
ouvriegraveres ait pu ecirctre retardeacutee au cours des anneacutees 1980 alors que dans drsquoautres
citeacutes moins structureacutees elle soit survenue degraves le deacutebut des anneacutees 1970
7
Dans son reacutecit de lrsquoitineacuteraire collectif des jeunes Algeacuteriens (ou drsquoorigine
algeacuterienne) neacutes agrave Nanterre Colombes ou Gennevilliers qui ont grandi
dans les bidonvilles puis les citeacutes de transit Lefort (1980) nrsquoaborde pas
cette question Deux raisons peuvent ecirctre invoqueacutees Drsquoune part lrsquoorga-
nisation sociale des bidonvilles consideacutereacutes comme un veacuteritable quartier
suburbain (Peacutetonnet 1982) conduit agrave un rejet de tout ce qui nrsquoest
pas le groupe eacutetroit La situation politique apregraves la fin de la guerre drsquoAlgeacuterie
et le vide laisseacute par le deacutepart des cadres du Front national de libeacuteration
(FNL) renforcent cette meacutefiance Celle-ci se porte sur les journalistes
autant que sur les gauchistes dont les comportements sont deacutecrits comme
ceux de missionnaires La peacutedophilie
8
tregraves preacutesente dans les anneacutees 1960
renforce cette deacutefense du territoire Il ne pouvait donc y avoir de revente
7 Sur les processus drsquoimmunisation et drsquoacceacuteleacuteration de la deacuteviance voir les remarquesde Becker (1963 p 59-61) sur le rocircle des facteurs structurels voir Fagan (1995)
8 Traditionnellement la laquo zone raquo est un lieu ougrave les bourgeois viennent srsquoencanailler Defait dans les anneacutees 1960 les membres de milieux aiseacutes ont des relations sexuelles avecdes jeunes garccedilons arabes tout particuliegraverement Lefort (1980) mentionne bien ceproblegraveme et comment il a eacuteteacute geacutereacute par la police agrave partir drsquoune logique de cantonnementque lrsquoon retrouvera plus tard agrave propos du trafic de drogues
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de drogues agrave ce moment-lagrave Si certains teacutemoignages signalent une con-
sommation de cannabis elle est le fait des laquo vieux raquo qui se maintiennent
agrave bonne distance des laquo jeunes raquo Et lorsque des jeunes commencent agrave
prendre du cannabis et de lrsquoheacuteroiumlne ils le font de faccedilon cacheacutee dans un
cas et agrave lrsquoexteacuterieur de leur espace de vie agrave Paris dans lrsquoautre comme on
le verra plus loin
En fait crsquoest parmi les fregraveres cadets que lrsquoheacuteroiumlne se diffuse Neacutes
dans la premiegravere partie des anneacutees 1960 ces jeunes commencent agrave consom-
mer dans la seconde partie des anneacutees 1970 parfois de faccedilon preacutecoce (agrave
16 ans et moins) Selon les teacutemoignages recueillis crsquoest vers 1982-1983 que
lrsquoon assiste agrave lrsquoeacutemergence de la toxicomanie chez les jeunes filles qui
restera malgreacute tout discregravete dans le contexte eacutetudieacute Quels sont les facteurs
qui ont rendu possible
la diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers popu-
laires peacuteripheacuteriques Quelle forme speacutecifique les carriegraveres ont-elles prise
On verra comment la carriegravere des jeunes des quartiers a eacuteteacute ponctueacutee par
le passage de la laquo petite deacutelinquance raquo agrave lrsquousage puis de la deacutependance au
trafic avant drsquoentrer dans un cycle de vie marqueacute par drsquoinnombrables
seacutejours en prison
Une seconde coupure peut ecirctre repeacutereacutee avec la geacuteneacuteration neacutee agrave la
fin des anneacutees 1970 La grande caracteacuteristique en est la dissociation entre
usage et trafic Souvent usagers de cannabis les acteurs du trafic drsquoheacuteroiumlne
ne sont pas usagers ndash du moins agrave un moment de leur carriegravere Agrave une
logique drsquoautofinancement de la consommation se substitue une logique
que lrsquoon pourrait dire de laquo revalidation sociale raquo au sens ougrave elle vient
conjurer les effets de lrsquoinvalidation sociale dont une part des habitants des
citeacutes sont lrsquoobjet il srsquoagit de faire de lrsquoargent tout en eacutetant quelqursquoun Les
carriegraveres de cette nouvelle geacuteneacuteration renvoient agrave une professionnalisa-
tion du commerce local de drogues et agrave un durcissement des rapports
sociaux de trafic
Pour grossir le trait on peut donc distinguer deux types de chemi-
nements Dans le cas de la geacuteneacuteration des usagers drsquoheacuteroiumlne devenus pour
une part revendeurs crsquoest une logique de marginalisation sociale qui sous-
tend les trajectoires Dans celui des
dealers
non usagers crsquoest une logique
drsquointeacutegration sociale par des voies illicites qui les sous-tend afin drsquoacceacuteder
agrave lrsquoargent ndash signe majeur de la reacuteussite sociale aujourdrsquohui Mais une
diffeacuterence essentielle est agrave prendre en compte pour appreacutecier ces itineacute-
raires et les ressources mobiliseacutees par les uns et les autres Agrave un certain
moment les toxicomanes empruntent un chemin bien diffeacuterent des
laquo petits voyous raquo de banlieue qui ont acquis leur reacuteputation en faisant des
braquages dans le monde des jeux ou de la prostitution ils vont contri-
buer agrave construire une culture de la drogue dans les quartiers avec ses
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
normes et ses valeurs ses savoir-faire et ses techniques ses mythes et ses
leacutegendes Les
dealers
de citeacutes ont eux largement heacuteriteacute de cette culture
ils ont grandi avec
Avant de revenir de faccedilon deacutetailleacutee sur ces dynamiques disons un
mot sur les liens intergeacuteneacuterationnels La geacuteneacuteration des laquo grands fregraveres raquo
a ndash au moins durant un temps ndash tenteacute drsquoempecirccher la revente de la laquopoudreraquo
sur leur territoire et exerceacute une pression morale La geacuteneacuteration suivante
en partie deacutemolie par les surdoses le sida les suicides a servi de modegravele
repoussoir agrave une troisiegraveme geacuteneacuteration dont lrsquoinvestissement eacuteconomique
est primordial ndash ce qui nrsquoempecircche pas certains drsquoentre eux de laquo tomber
dedans raquo agrave un moment donneacute Quant aux adolescents drsquoaujourdrsquohui le
plus souvent ils connaissent peu cette histoire Il apparaicirct que la force de
lrsquoexemple nrsquoa pas joueacute pour eux comme on aurait pu srsquoy attendre
9
22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES
DES ANNEacuteES 1980
221 L
E
CONTEXTE
SOCIAL
ET
URBAIN
La diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les banlieues srsquoest deacuteveloppeacutee dans un
contexte social et eacuteconomique bien particulier qui permet de rendre
compte de lrsquoinscription territoriale des carriegraveres Trois caracteacuteristiques
essentielles de ce processus peuvent ecirctre rappeleacutees
La premiegravere est que ces territoires ont eacuteteacute particuliegraverement affecteacutes
par les effets sociaux de la deacutesindustrialisation ainsi que par le mouve-
ment de deacutelocalisation des grandes uniteacutes au cours des anneacutees 1970 On
assiste aux premiers signes de lrsquoeffondrement du marcheacute du travail agrave cette
peacuteriode Les eacutetablissements industriels implanteacutes dans les sites eacutetudieacutes
perdent pregraves du quart de leurs effectifs salarieacutes Il en reacutesulte un chocircmage
massif et une grande difficulteacute des jeunes agrave trouver un emploi Parallegravele-
ment on assiste agrave une deacutecomposition du monde ouvrier qui perd ses
capaciteacutes de socialisation drsquoencadrement des deacuteviances juveacuteniles (Dubet
et Lapeyronnie 1992) processus se traduisant par un rejet de la condition
ouvriegravere (Beaud et Pialoux 1999)
9 Crsquoest aussi le constat que fait Esterle-Heacutedibel (1997) sur deux terrains diffeacuterents de lareacutegion parisienne Les peacuteriodisations observeacutees du deacuteveloppement des toxicomanies etdes trafics sont aussi tregraves semblables dans ces diffeacuterents quartiers agrave celles que nous avonsobserveacutees
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La deuxiegraveme caracteacuteristique reacutesulte des effets conjugueacutes des processus
drsquoimmigration et drsquourbanisation de masse Bien avant 1974 date de lrsquoarrecirct
officiel de lrsquoimmigration de main-drsquoœuvre les ouvriers que les grandes
entreprises sont alleacutees chercher dans les zones rurales du Maroc et de
lrsquoAlgeacuterie vivent avec leur famille dans des conditions de misegravere Neacutean-
moins une vie communautaire existe (Peacutetonnet 1982) Le relogement
contraint dans les citeacutes de transit marque cependant une rupture (Zehraoui
1994) Srsquoamorce une peacuteriode de cohabitation interethnique synonyme de
tensions nouvelles Avec la laquo crise raquo la cohabitation devient plus probleacute-
matique les plus pauvres (et parmi eux les immigreacutes) restent les plus
aiseacutes (et parmi eux beaucoup de Franccedilais) partent ailleurs alors que les
familles repreacutesentant les laquo cas lourds raquo de lrsquoaide sociale alimentent une
spirale de la deacutegradation La seacutegreacutegation sociale se double drsquoune seacutegreacutegation
ethnique dont lrsquoeacutecole est un agent primordial (Barthon et Oberti 2000)
La troisiegraveme caracteacuteristique ndash moins connue ndash est lrsquoexistence de
foyers de deacutelinquance bien anteacuterieure agrave lrsquoarriveacutee de la drogue dans ces
quartiers et les effets de reacuteputation symbolique qui les caracteacuterisent depuis
bien longtemps La micro-histoire de ces quartiers est souvent une cleacute
neacutegligeacutee par les sociologues
10
On peut remonter dans certains cas jusqursquoaux
anneacutees 1920 Une analyse de contenu de la presse de lrsquoeacutepoque (Marliegravere
1998) agrave propos de certains quartiers atteste agrave travers un certain nombre
de faits (regraveglements de compte homicides vols braquages) lrsquoexistence
de bandes lieacutees au banditisme comme le rapporte ce chercheur habitant
lui-mecircme dans un de ces quartiers
Je me souviens drsquoecirctre tombeacute sur un article de
Banlieue Ouest
en1932 ougrave la Poste du quartier qui a eacuteteacute construite en 1931 avait deacutejagraveeacuteteacute drsquoapregraves lrsquoarticle visiteacutee trois fois [hellip] Je crois que je suistombeacute sur deux ou trois homicides pour le quartier Donc crsquoeacutetaitun quartier deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque tregraves malfameacute [hellip] Et avec la construc-tion de la citeacute de transit dans les anneacutees 1960 yrsquoa eu un retourun peu des bandes plus dures crsquoest-agrave-dire avec des jeunes quifiniront mal [hellip] Et donc je pense que le retour du grand bandi-tisme avec vraiment une peacuteriode de violence crsquoest entre 1975et 1990
11
Tout cela pour dire que la deacutelinquance dans ces quartiers nrsquoest pas
un fait nouveau les meacutecanismes de reacuteputation opeacuterant sur une longue
dureacutee Ce qui nrsquoempecircche pas de relever les processus qui ont rendu pos-
sibles plutocirct que produit les cheminements dans lrsquounivers de la drogue
10 Voir notamment en France Bachmann et Basier (1989) et aux Eacutetats-Unis Bourgois (2001)
11 Pour une histoire sociale de la deacutelinquance voir notamment Mucchielli (2001)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
222 C
HEMINEMENTS
VERS
L
rsquo
HEacuteROIumlNE
Ce qui distingue nos deux cohortes dans ce contexte crsquoest la laquo position
chronologique raquo (Cagliero Lagrange et Moyses 1999) des conduites
deacuteviantes notamment en ce qui concerne lrsquoemploi En scheacutematisant on
peut dire que pour les plus anciens la deacutelinquance puis lrsquoemploi ont
plutocirct preacuteceacutedeacute la consommation ou la revente drsquoheacuteroiumlne alors que pour
les plus jeunes on le verra crsquoest plutocirct la participation au trafic local qui
a eacuteteacute anteacuterieure agrave un emploi leacutegal
12
Une scolariteacute plus ou moins chaotique dans lrsquoenseignement tech-
nique conduit les membres de la premiegravere cohorte agrave un CAP (certificat
drsquoaptitude professionnelle) ndash obtenu ou pas Cette formation les destine
agrave ecirctre ouvriers qualifieacutes crsquoest-agrave-dire agrave occuper bien souvent une position
plus eacuteleveacutee que celle de leur pegravere travaillant dans des emplois agrave faible
qualification comme manœuvre en usine Dans la plupart des entretiens
reacutealiseacutes on constate un rejet du travail en usine et de la condition qui y
est associeacutee Mais la mobiliteacute sociale est limiteacutee On le voit par exemple
avec Bruno dont le pegravere est carrossier dans un petit garage de Levallois-
Perret et qui fait vivre sa femme en invaliditeacute agrave 50 et ses deux enfants
avec un salaire modeste Apregraves une peacuteriode difficile ougrave il est interpelleacute et
condamneacute pour vol comme mineur agrave trois mois de prison ferme
13
Bruno
obtient son CAP de carrossier agrave 17 ans Ouvrier qualifieacute il trouve un travail
et megravene la belle vie pendant deux ans Jusqursquoau moment ougrave il goucircte agrave la
laquo drogue raquo non pas le cannabis qursquoil consomme quotidiennement
comme il boit de lrsquoalcool (laquo
On est des bons vivants alors je buvais mon petitapeacuteritif et tout et puis mon petit shit le soir
raquo) mais lrsquoheacuteroiumlne dont la
consommation va devenir incompatible avec drsquoautres rocircles sociaux
Crsquoeacutetait en 1982 Jrsquoai eu mon CAP en 1982 agrave 17 ans Et puis apregraves moije rentrais dans la vie jrsquoavais mon CAP mon permis de conduire jetravaillais jrsquoavais tout Je manquais de rien yrsquoavait qursquoun seul truc queje connaissais pas crsquoeacutetait ccedila Je freacutequentais que des mecs qui eacutetaient commemoi On bossait tous hein On avait tous un patron et tout et puis je lesvoyais ccedila faisait deux ou trois semaines qursquoils prenaient devant moi ccedila
12 Dans le contexte des anneacutees 1990 de chocircmage de masse on peut se demander si laparticipation au trafic nrsquoa pas joueacute quasiment un rocircle de filiegravere preacuteprofessionnelle Surle trafic comme travail voir Bouhnik et Joubert (1992) Ruggiero et South (1996)Duprez et Kokoreff (1999)
13 Ce point ne sera abordeacute qursquoau deuxiegraveme des quatre entretiens reacutealiseacutes entre 1997 et2000 en deacutetention Il indique que le fait de rencontrer sur une peacuteriode eacutetendue unemecircme personne peut diminuer lrsquoeffet de censure Par ailleurs lorsque lrsquoon sait quedurant cette peacuteriode Bruno est sorti trois fois de prison il reacutevegravele aussi la vulneacuterabiliteacutestructurelle dans laquelle celui-ci se trouve
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changeait rien dans leur vie Je me suis dit laquo Je vais rentrer dans leur trippour ecirctre dans la mecircme soireacutee dans la mecircme ambiance qursquoeux raquo Et puisvoilagrave et puis voilagrave
Quoi voilagrave Qursquoest-ce qui srsquoest passeacute apregraves
Bah apregraves crsquoest con agrave dire ccedila maishellip faut pas le dire mais je vais le direon arrive agrave aimer cette deacutefonce Le premier petit joint on fume un jointon rigole on est heureux on se sent bien Donc le lendemain on srsquoen refaitun petit Crsquoest pareil la drogue Lrsquoalcool crsquoest pareil On se fait un bonrepas on lrsquoarrose de deux bons verres de vin on se sent bien on est heureuxDegraves qursquoon peut recommencer un bon repas on va recommencer et ainsi desuite Et puis voilagrave
(26 mars 1997)
Cet extrait drsquoentretien dit bien la dimension collective drsquoune initia-
tion veacutecue comme un plaisir tout en eacutetant appeleacutee ndash reacutetrospectivement ndash
agrave devenir un destin pour ces jeunes ouvriers qui habitent des quartiers agrave
mauvaise reacuteputation Pourtant les parcours ne sont pas aussi lineacuteaires que
le disent ces derniers Tout drsquoabord parce que bien souvent les contacts
avec la justice et la prison sont preacutecoces mecircme srsquoils nrsquoont pas pour laquo cause raquo
la drogue Ensuite parce que si la rencontre avec lrsquoheacuteroiumlne constitue un
point de rupture ou de bifurcation elle ne doit pas masquer drsquoautres
moments facilement discernables dans les reacutecits de carriegravere le passage du
sniff
au
shoot
et le changement de milieu drsquousage qui lrsquoaccompagne (laquo
etpuis un jour jrsquoai eacuteteacute dans une autre soireacutee crsquoeacutetaient pas des sniffeurs crsquoeacutetaient desseringueurs
raquo) la perte de lrsquoemploi qui reacutesulte du processus de deacutependance
(laquo
on est trop en manque pour se lever et mecircme si on peut le boulot y suit pas lepatron il le voithellip
raquo) mais qui reste une deacutecision propre (laquo
crsquoest toujours moiqui ai pris mon compte
raquo) la deacutelinquance qui srsquoimpose (laquo
il fallait que je medeacutebrouille de lrsquoargent
raquo) et la situation de reacutecidive leacutegale qui alourdit la sanc-
tion peacutenale Enfin en deacutepit de ce processus de deacutegradation le capital
eacuteconomique et culturel acquis reste une ressource (laquo
jrsquoai un meacutetier dans lesmains
raquo) et un ethos (laquo
jrsquoai une mentaliteacute de travailleur
raquo) y compris en prison
lorsque le travail exerceacute redonne sens et fierteacute
Crsquoest aussi le registre drsquoexpression du plaisir agrave travers lrsquohomologie
alcooldrogues illicites (petit jointpetit apeacuteritif deacutefoncebon repas etc)
qui constitue un motif socialement appris et significatif
14
On pourrait
y voir lrsquoexpression drsquoun
habitus de classe
se traduisant tout particuliegravere-
ment dans le rapport au corps agrave travers la prise de laquo drogues dures raquo qui
laquo deacutefoncent raquo et permettent drsquooublier la pratique mecircme de lrsquoinjection la
seringue Ce lien est aussi un aspect des cheminements eacutetudieacutes En effet
lrsquoalcool plus ou moins associeacute agrave la violence occupe une place importante
14 Sur ce point voir les analyses de Mauger et Fosseacute-Poliak (1983)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
dans lrsquohistoire des toxicomanes des citeacutes Comme bien drsquoautres Bruno a
grandi dans un milieu familial tregraves marqueacute par lrsquoalcoolisme son pegravere est
mort drsquoun cancer du foie en 1991 sa megravere faisait de lrsquohypertension elle
srsquoest mise agrave boire apregraves le deacutecegraves de son mari et est deacuteceacutedeacutee en 1998 quant
agrave sa sœur sans emploi marieacutee avec deux enfants laquo
elle boit elle picole ellearrecircte elle picole
raquo avec son mari qui est employeacute dans une papeterie laquo
ilssrsquoengueulent agrave cause de lrsquoalcool
raquo Cet exemple nrsquoest pas isoleacute On pourrait
prendre celui drsquoAbensour dont le pegravere a fui la guerre drsquoAlgeacuterie en mecircme
temps que la misegravere drsquoabord en Tunisie puis en France agrave Nanterre Ayant
grandi dans ce qursquoon appelait alors la laquo zone raquo la trajectoire drsquoAbensour
prend une tournure nouvelle agrave la suite drsquoune orientation scolaire malheu-
reuse Il commence agrave prendre de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans Crsquoest ainsi qursquoil
eacutevoque son pegravere et lrsquoambiance reacutegnant au domicile familial
Il buvait beaucoup de ce temps-lagrave il buvait Toujours il avait sa bouteillede rouge Alors je peux pas te dire si crsquoest son boulot ou la bouteille qui lefatiguait Il eacutetait bourreacute tous les soirs Quand il arrivait deacutefonceacute on avaitpeur il eacutetait tregraves meacutechant il frappait ma megravere il nous sortait des grosmots on eacutetait petits Il traitait mes petites sœurs de putes il nous disait laquo Allez vous faire voir par les peacutedeacutes et tout raquo Moi jrsquoaimais pas trop resteragrave la maison les filles elles pouvaient pas sortir mais nous on se cassaitdans la rue
(15 mars 1997)
Lrsquoalcoolisme et les violences familiales sont souvent eacutevoqueacutes par les
intervenants speacutecialiseacutes afin de rendre compte des parcours vers lrsquoheacuteroiumlne
la consommation de produits injecteacutes symbolisant une forme de violence
contre soi Bouhnik (1994) rejoint en partie cette perspective dans la
classification qursquoelle propose en distinguant un type de configuration
biographique baseacute sur la continuiteacute de lrsquoalcoolisme du pegravere agrave la toxico-
manie du fils Mais ce type nrsquoeacutepuise pas la varieacuteteacute des cheminements et
la citation ci-dessus amegravene aussi agrave prendre en compte les conditions de
socialisation des adolescents et leur diffeacuterenciation selon les sexes dans ce
contexte social
La preacutesence des filles dans la rue est en effet peu importante Il
semble que rares sont celles qui consomment ou revendent de lrsquoheacuteroiumlne
dans les quartiers eacutetudieacutes
15
Lrsquoune des explications donneacutees par les enquecircteacutes
quand on leur pose la question reacuteside dans la surveillance effectueacutee par
les fregraveres les fratries nombreuses et lrsquointerconnaissance favorisent cette
15 Contrairement agrave la situation observeacutee aux Eacutetats-Unis ougrave la combinaison de divers fac-teurs structurels a contribueacute agrave la monteacutee en puissance des femmes dans lrsquoorganisationde revente de la cocaiumlne (Fagan 1995) on nrsquoobserve pas de pheacutenomegravene comparabledans les quartiers que nous avons eacutetudieacutes en reacutegion parisienne
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forme de controcircle communautaire Cela ne signifie pas que ce pheacuteno-
megravene nrsquoexiste pas dans les quartiers eacutetudieacutes il est simplement plus diffus
et cacheacute Certaines femmes envoient leurs proches srsquoapprovisionner
drsquoautres neacutegocient avec les
dealers
pour obtenir le produit contre des
relations sexuelles La prostitution si elle semble limiteacutee existe mais
davantage en direction de Paris que dans les quartiers En ce qui concerne
le
deal
certaines femmes apparaissent comme de veacuteritables figures connues
dans tout le deacutepartement Lrsquoune drsquoelles est issue drsquoune famille dont
lrsquoimplication dans le trafic est notoire un de ses fregraveres qui revendait de
lrsquoheacuteroiumlne est mort dans des circonstances eacutetranges apregraves son interpella-
tion par la police un autre a eacuteteacute condamneacute agrave sept ans de prison pour
trafic lrsquoaicircneacute a eacuteteacute condamneacute agrave cinq ans pour une affaire mixte Si cette
femme est bien connue dans le quartier et les communes voisines cela
teacutemoigne de lrsquoeacutetroitesse de ce petit monde de la drogue
Par contre bon nombre drsquoobservations nous indiquent que ces
conduites illicites srsquoinscrivent dans la continuiteacute du mode de vie des jeunes
garccedilons des citeacutes Prenons lrsquoexemple paradigmatique de ceux que nous
appellerons pour reprendre leur propre deacutesignation les laquo Nanterriens
16
raquo
Ces jeunes garccedilons issus de familles immigreacutees en particulier algeacuteriennes
ont grandi dans la commune de Nanterre au milieu des bidonvilles puis
dans les citeacutes de transit au cours des anneacutees 1960 et 1970 Ils suivent agrave
peu pregraves normalement leur scolariteacute dans lrsquoenseignement technique
jusqursquoagrave 16 ou 17 ans passent leur CAP et commencent agrave faire des petits
boulots Crsquoest alors qursquoils freacutequentent les quartiers parisiens de Pigalle et
de Barbegraves la rue Montmartre lrsquoOpeacutera pour peu agrave peu srsquoinscrire dans un
style de vie marginal
Jrsquoai connu un homosexuel qui eacutetait un peu voyou un peu deacutelinquant tuvois Crsquoeacutetait un cambrioleur Jrsquoai commenceacute agrave faire ccedila avec luihellip Et puispar la suite on a continueacute entre copains On allait voler on avait delrsquoargent on trouvait que crsquoeacutetait trop facile Au deacutebut on srsquoachetait desfringues on allait en boicircte de nuit On faisait beaucoup drsquoargent avec lesmachines de la RATP les machines dans le RER On trouvait que crsquoeacutetaitvraiment un jeu drsquoenfant il suffisait de casser une machine et on trouvait10 000 20 000 F
[en anciens francs] juste en piegraveces Crsquoeacutetait vraimentfacile et ccedila a dureacute un moment [hellip] Et puis agrave cette eacutepoque-lagrave on acommenceacute on eacutetait une bande de copains on vagabondait on dormaitpas des fois on passait des nuits en boicircte de nuit Pendant des jours on
16 laquo Nous on sait qursquoon a veacutecu agrave Nanterre on a grandi ici mecircme si on a deacutemeacutenageacute mecircme si on ahabiteacute Vanves Anthony ou dans les alentours on est toujours des Nanterriens trop de nous-mecircmes raquo Sur la constitution de lrsquoidentiteacute locale dans ce cas preacutecis voir Seacutegalen (1990)
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44 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rentrait pas agrave la maison Quand je rentrais agrave la maison crsquoeacutetait monpegravere il mrsquoengueulait il me frappait alors bon jrsquoeacutevitais de rentrer jrsquoessayaisde me deacutemerder je pensais qursquoon allait pouvoir srsquoen sortir tout seul(14 avril 1999)
Crsquoest dans les boicirctes de nuit parisiennes que ce groupe de copains
commence agrave consommer de lrsquoheacuteroiumlne laquo par hasard raquo pour reprendre leur
terme
Apregraves on a commenceacute agrave toucher agrave la came Crsquoeacutetait en boicircte de nuit je mesouviens on buvait pas drsquoalcool on eacutetait vraiment pas attireacute par lrsquoalcoolon fumait que du hasch agrave cette eacutepoque-lagrave Et puis un jour on eacutetait enboicircte on nrsquoa pas trouveacute de haschich et il y a un type qui nous a proposeacutede la laquo blanche raquo On eacutetait encore naiumlf on ne savait pas trop ce que crsquoeacutetaitOn srsquoest un peu concerteacute entre copains Y en a un qui disait laquo oui on vaen prendre raquo il y en avait un autre qui disait laquo non raquo Et puis toutcompte fait on en a pris Ccedila a commenceacute comme ccedila
Crsquoeacutetait de lrsquoheacutero
Ouais crsquoeacutetait de lrsquoheacutero Ccedila a commenceacute comme ccedila On a sniffeacute ccedila Il y ena qui se sont sentis mal Moi non plus je ne mrsquoeacutetais pas senti tregraves bien lapremiegravere fois Peut-ecirctre un mois ou quinze jourshellip je ne sais pas tropcombien de temps apregraves on a commenceacute agrave renouveler lrsquoopeacuteration Petit agravepetit on a aimeacute ccedila Au deacutebut crsquoeacutetait que les fois ougrave on allait en boicircte endehors quand on eacutetait dans la citeacute les jours de la semaine on nrsquoy pensaitpas Il y en avait pas dans notre quartier crsquoeacutetait pas comme maintenantAvant fallait vraiment ecirctre brancheacute il fallait aller en boicirctes de nuit agraveParis dans les cafeacutes fallait vraiment connaicirctre Nous on connaissait quece plan-lagrave crsquoeacutetait en boicircte de nuit Un Tunisien qui vendait la came(14 avril 1999)
Que srsquoest-il passeacute pour que brusquement entre 16 et 19 ans Abdellah
Nordin Mohamed mais aussi Pascal et Laurent et bien drsquoautres parfois
plus jeunes encore deviennent toxicomanes au tournant des anneacutees 1980
Faut-il incriminer lrsquoeacutecole dans la genegravese de la toxicomanie Est-ce plus
largement la logique sociale de lrsquoimmigration qui a conduit agrave la margina-
lisation de ces laquo enfants illeacutegitimes raquo (Sayad 1991) Quelle place accorder
agrave des facteurs contextuels tels que les logiques de lrsquooffre et le redeacuteploie-
ment de lrsquoeacuteconomie de la drogue
223 DE LrsquoUSAGE Agrave LA REVENTE
Au deacutebut des anneacutees 1980 les laquo banlieues raquo font parler drsquoelles mais la
drogue et lrsquoheacuteroiumlne en particulier nrsquoy ont pas la place qursquoelles occuperont
quelques anneacutees plus tard Durant cette peacuteriode le quartier de la rue
Montmartre situeacute dans le IXe arrondissement est un des hauts lieux de
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la nuit parisienne avec ses boicirctes de nuit ceacutelegravebres dans les milieux bran-
cheacutes Dans la rue se cocirctoient touristes et pickpockets laquo gays raquo des beaux
quartiers et jeunes laquo beurs raquo des citeacutes deacutefavoriseacutees Ces derniers sont
encore des usagers occasionnels qui font la fecircte et ne connaissent pas
drsquoautres laquo plans raquo Crsquoest toute la diffeacuterence avec leurs laquo petits fregraveres raquo qui
eux nrsquoauront pas besoin drsquoaller agrave Paris pour acheter leur paquet dispo-
nible sur le marcheacute du laquo coin de la rue raquo
Le passage du trafic des quartiers parisiens vers les citeacutes de banlieue
va se faire progressivement (Fatela 1992) Une note sur la toxicomanie
reacutedigeacutee en 1983 par un chargeacute de mission aupregraves du secreacutetaire drsquoEacutetat
aux affaires sociales souligne que si lrsquoheacuteroiumlne est preacutesente parmi les
jeunes depuis plus de dix ans laquo on assiste depuis trois ans agrave une veacuteritable
flambeacutee de cette forme de toxicomanie raquo Et de preacuteciser les transforma-
tions du marcheacute
Les lieux de vente sont situeacutes principalement au coin de la rueMontmartre et du boulevard Montmartre agrave Belleville aux laquoQuatreTempsraquo de La Deacutefense au-dessus de la patinoire mais depuis quelquetemps les revendeurs ne cegravedent leur marchandise que par quantiteacutede 5 grammes On assiste donc agrave la naissance de petits revendeurs(dealers) qui vendent dose par dose aux laquo Quatre Temps raquo de LaDeacutefense et dans toutes les citeacutes concerneacutees Dans une citeacute de Nanterrele trafic serait beaucoup plus important17
Un usager-revendeur aujourdrsquohui acircgeacute de 42 ans qui a commenceacute agrave
consommer agrave lrsquoacircge de 16 ans deacutecrit ce processus Un rien nostalgique il
souligne la modification des pratiques et des valeurs qui les sous-tendent
Avant tu trouvais pas de came en banlieue Crsquoeacutetait Belleville ou rueMontmartre ou lrsquoIcirclocirct-Chalonshellip Crsquoest depuis les anneacutees 1980 que laschnouf elle arrive en banlieue Apregraves ccedila a commenceacute agrave arriver agrave LaFourche Brochant18 tout ccedila lagravehellip [hellip] Ah moi je lrsquoai vu arriver parce queje vais te dire un truc bon avant tu allais tu faisais ton cambriolage outon petit braquo de merde lagrave tu montais agrave Paris tu achetais ta dose Maismaintenant crsquoest plus ccedila Tu descends de chez toi euh vider la poubelleben voilagrave Devant ton vide-ordures trsquoas un type en train de se piquer parceqursquoagrave cocircteacute agrave cocircteacute lrsquoautre il lui vend de la schnouf Tu vois y a eu situ veux une autre forme de deacutelinquance crsquoest pour ccedila que je dis nous agravenotre eacutepoque crsquoeacutetait pas pareil On allait chercher notre argent (30 sep-tembre 1996)
17 Note sur la toxicomanie dans les Hauts-de-Seine ministegravere des Affaires sociales 1983
18 Crsquoest-agrave-dire sur la ligne de meacutetro desservant la proche banlieue Nord-Ouest de Paris
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46 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Crsquoest dans ce contexte de bouleversement de lrsquooffre que srsquoinscrivent
les parcours des personnes rencontreacutees Srsquoinstallant dans un processus de
deacutependance (Ingold 1985) elles sont interpelleacutees et condamneacutees agrave des
peines de prison ferme apregraves avoir eacuteteacute incarceacutereacutees comme mineures Crsquoest
le cas drsquoAbdellah qui est condamneacute agrave quinze mois de prison pour vol agrave
lrsquoacircge de 20 ans
Je suis sorti en 1982 en pleine forme et je pensais vraiment dans ma tecircteque jrsquoallais pas retoucher agrave la came Et quand je suis sorti je voyais qursquoily avait tellement de fric agrave faire lagrave-dedans [ la revente ] je me suis dit aulieu de voler et de prendre de lrsquoargent pour aller en acheter je vais acheterde la came par cinq grammes par dix grammes et puis je vais essayer devoir les types qui en veulent Jrsquoai commenceacute agrave vendre
Sur ton quartier
Ouais sur mon quartier sur ma ville crsquoeacutetait en 1982 En sortant deprison jrsquoai commenceacute agrave vendre Au deacutebut ccedila marchait bien crsquoest malheu-reux agrave dire mais ccedila marchait bien Crsquoest fou lrsquoargent que ccedila ramegravene Ccedilaramenait beaucoup drsquoargent (14 avril 1999)
Il nrsquoest plus question de faire un ou deux cambriolages par mois
avec la consommation drsquoheacuteroiumlne les besoins financiers augmentent La
revente apparaicirct comme une ressource pour ceux qui ont eacuteteacute incarceacutereacutes
agrave plusieurs reprises Drsquoautres ne revendent pas dans leur quartier ougrave agrave
cette eacutepoque la pression des grands fregraveres est encore forte pour eacuteviter
le deal de rue et lrsquoafflux de toxicomanes de la rue Montmartre ougrave ils
srsquoapprovisionnent ils se rendent aux laquo Quatre-Temps raquo agrave La Deacutefense lieu
de rencontre de nombreux usagers drsquoheacuteroiumlne accessoirement laquo tireurs raquo
(pickpockets) faisant les poches ou les sacs des passants dans les escaliers
meacutecaniques Jusqursquoau moment ougrave ces activiteacutes illicites sont jugeacutees intoleacute-
rables au sein de ce nouveau quartier drsquoaffaires et ougrave les opeacuterations de
police se multiplient alors qursquoagrave la mecircme peacuteriode le squat de lrsquoIcirclot-Chalons
est fermeacute Reacutesultat indirect et bien connu le marcheacute se deacuteplace et se
restructure dans les citeacutes de la proche banlieue
Cela dit tout le monde ne revend pas Certains mecircme lrsquoaffirment
avec force lors des entretiens Crsquoest le cas de Bruno qui tire ses ressources
de vols simples laquo Je nrsquoai pas la mentaliteacute pour dealer raquo dit-il pour trouver sa
came il va laquo fouiller raquo au petit matin les cages drsquoescalier des immeubles
de son quartier en quecircte des paquets cacheacutes par les laquo petits jeunes raquo Autre
exemple celui drsquoAbdelmaleck qui commence agrave fumer du cannabis agrave 15 ans
et agrave sniffer de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans en boicircte avec les autres rue Montmartre
Non je ne voulais pas parce que jrsquoavais peur [hellip] Drsquoabord alors questionmoi les grands fregraveres et tout ils mrsquoont fait ils mrsquoont preacutevenuhellip laquo On nrsquoapas inteacuterecirct agrave entendre dire que trsquoes en train de revendre de la came ou untruc comme ccedila raquo Moi vendre agrave quelqursquoun que je connais jrsquoavais peur de
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de si je me mettais agrave ccedila que le mec il fait une OD [overdose] Trsquoimagi-nais le mec que je connais depuis lrsquoenfance agrave cause de moi il me deman-dait un paquet il tapait une ODhellip Je pouvais pas vendre agrave quelqursquounque je connais mecircme vendre agrave nrsquoimporte qui mecircme que ce soit quelqursquounque je ne connais pas Jrsquoai jamais vendu de la drogue jrsquoai jamais dealeacutemecircme que ce soit lrsquoheacutero ou le shit (19 mars 1997)
La pression des grands fregraveres mais aussi celle des familles (laquo lesparents on se connaicirct ccedila va faire des problegravemes de famille graves raquo) opegravere
comme un mode de controcircle socieacutetal pour reprendre le terme de Castel
et Coppel (1991) On peut y voir la morale du deacuteviant (Ogien 1996)
Celle-ci peut valoir pour lrsquoheacuteroiumlne qui est perccedilue comme la drogue par
excellence et non pour le cannabis Mais il y a des arrangements avec la
morale selon les situations
Jrsquoai jamais vendu de drogue Enfin tout petit agrave la citeacute jrsquoai vendu desbarrettes pour la fin de la semaine aller en boicircte de nuit payer agrave notrenana faire rentrer quand mecircme un peu de tunes comme la plupart desjeunes En ce moment ils fonthellip mais ils font pas ccedila avec du shit ils fontccedila avec de la drogue dure Moi je me rappelle un moment quand on eacutetaitpetit on vendait du shit mais les grands qui venaient ils nous disaient laquo Voilagrave par rapport agrave votre shit moi je vous donne quelque chose vous mela vendez je vous rabats les clients raquo Et agrave la fin agrave la fin de la semainemecircme pas agrave la fin de la soireacutee je reacutecupeacuterais les sous mais agrave la fin de lasemaine je faisais dans les 400 000 [4000 F] Alors 400 000 agrave lrsquoeacutepoquecrsquoeacutetaient trois millions [30 000 F] aujourdrsquohui On eacutetait heureux Onprenait les 400 000 on allait chez nous on donnait 1 000 balles agrave nosparents ils les acceptaient ils nous disaient laquo Ougrave vous les avez eus raquoOn disait laquo Ah on les a voleacutes raquo Mais en sachant ccedila mecircme srsquoils eacutetaientdans la religion mecircme srsquoils avaienthellip ils faisaient leurs priegraveres et tout ilsavaient un pardon parce que crsquoeacutetaient pas eux qui venaient drsquoaller volerMais par rapport agrave ccedila on arrivait agrave vivre agrave payer notre loyer Mais euhhellipde fil en aiguille on est arriveacute agravehellip agrave ccedila Agrave se retrouver toujours dans lesmecircmes milieux en sachant que crsquoeacutetait mal mais on nrsquoavait pas le choixhellip(26 mars 1997)
On touche lagrave un point sensible des carriegraveres dans le trafic la redis-
tribution des gains dans le milieu familial Beaucoup de rumeurs circulent
sur lrsquoargent de la drogue qui ferait vivre les citeacutes en tout cas des familles
entiegraveres Dans tous les entretiens reacutealiseacutes ici ou lagrave la plupart de nos inter-
locuteurs nuancent cette vision des choses laquo nos parents nrsquoauraient jamaisaccepteacute de lrsquoargent sale raquo Ce qui nrsquoempecircche pas toutes sortes de subterfuges
ou de ruses ni des arrangements au sein de la fratrie afin de satisfaire aux
deacutesirs des petits fregraveres ou des petites sœurs
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48 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
224 UNE VULNEacuteRABILITEacute STRUCTURELLE
Agrave un moment donneacute les usagers ou revendeurs drsquoheacuteroiumlne qui ont grandi
dans ces quartiers pauvres sont pris dans ce qursquoils appellent un laquoengrenageraquo
ou un laquo systegraveme raquo Un premier dilemme se preacutesente agrave eux pour financer
leur consommation voler ou revendre Pour les filles la prostitution peut
constituer un autre choix possible bien que rarissime dans les quartiers
observeacutes Quoi qursquoil en soit le risque drsquoecirctre interpelleacute pour usage vol ou
revente nrsquoest pas neacutegligeable dans ce contexte urbain de mecircme que ce
faisant celui drsquoecirctre incarceacutereacute agrave mesure que cette seacutequence se reacutepegravete Il
en reacutesulte un style de vie rythmeacute par la reacutepeacutetition drsquoune mecircme seacutequence
interpellationprisonsortie preacutecairereprise de la consommation etc
Dans certains cas cette seacutequence peut se reacutepeacuteter six ou sept fois durant
des anneacutees Crsquoest dire que lrsquoexpeacuterience de vie est ponctueacutee par les alleacutees
et retours en prison la prison faisant partie inteacutegrante drsquoune trajectoire
plutocirct qursquoelle ne constitue une rupture (Bouhnik et Touzeacute 1996) Mais
cela nrsquoest pas suffisant pour rendre compte des meacutecanismes qui concourent
au bout du compte agrave la vulneacuterabiliteacute structurelle (Bourgois 2001) des
toxicomanes des citeacutes Lrsquoanalyse des effets conjugueacutes des logiques institu-
tionnelles et des logiques territoriales permet drsquoen rendre compte
Dans ce processus la logique peacutenale est centrale Entreacutes dans cette
phase de leur carriegravere ces individus ne sont plus seulement deacutesigneacutes
socialement comme laquo toxicomanes raquo dans leur face-agrave-face avec les policiers
magistrats et intervenants speacutecialiseacutes ils sont deacutefinis comme laquo multireacuteci-
divistes raquo ndash jusqursquoagrave reprendre agrave leur propre compte pour certains drsquoentre
eux ce marquage institutionnel comme ils ont inteacuterioriseacute leur identiteacute
de laquo toxicomanes raquo La plupart des entretiens meneacutes en prison tant agrave
Nanterre qursquoagrave Lille ont eacuteteacute effectueacutes avec cette cateacutegorie de deacutetenus Si
lrsquoon reprend les cas drsquoAbdellah et de Bruno le premier neacute en 1961 a eacuteteacute
condamneacute 17 fois entre 1977 et 1998 le second neacute en 1963 a eacuteteacute condamneacute
pregraves de 20 fois entre 1981 et 1999 On sait que la logique des laquo preacuteceacutedents raquo
pegravese lourd dans le traitement peacutenal (Faugeron 1991) en particulier pour
ce qui concerne les infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants (Guillain
et Scohier 2002) Elle se traduit par une expeacuterience de la justice peacutenale bien
particuliegravere engendreacutee par la preacutegnance des critegraveres socio-individuels
(origine sociale nationaliteacute) et lrsquolaquo effet casier raquo
Le temps passeacute en prison est bien eacutevidemment un facteur puissant
de reacutecidive La plupart des toxicomanes des anneacutees 1980 intervieweacutes
lorsqursquoils nrsquoont pas connu la prison comme mineurs ont eu une expeacute-
rience preacutecoce des institutions disciplinaires (depuis les centres de lrsquoAssistance
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publique jusqursquoaux maisons de correction) Certains racontent le choc
que leur a fait la prison non pas tant dans sa mateacuterialiteacute mais paradoxa-
lement comme prolongement de la citeacute
Ccedila mrsquoa fait un choc sur le coup [hellip] Yrsquoavait tout le monde yrsquoavait tousles copains [hellip] deacutejagrave on eacutetait tous unis alors on se retrouve en prisoncomme si on eacutetait dans la citeacute mais tous enfermeacutes Et la plupart du tempson eacutetait jeunes on savait qursquoon nrsquoallait pas rester longtemps (19 mars1997)
Plus geacuteneacuteralement on sait depuis Foucault (1975) que la prison est
une machine agrave produire de la deacutelinquance et par lagrave un lieu de socialisa-
tion laquo deacuteviante raquo Ce qui se transmet et srsquoapprend ce sont des faccedilons de
faire les codeacutetenus parlent beaucoup des coups qursquoils ont faits et de
ceux qursquoils recircvent de faire comment faire son argent voler eacutechanger
revendre ougrave aupregraves de qui etc Par lrsquointermeacutediaire des personnes ren-
contreacutees en deacutetention lors des promenades en particulier un savoir pra-
tique se constitue et se diffuse En matiegravere de trafics si lrsquoon procegravede par
recoupement avec le contenu des dossiers judiciaires ou drsquoautres entre-
tiens les reacutecits sur les passages agrave la frontiegravere franco-belge les marcheacutes de
la meacutetropole lilloise le fonctionnement des reacuteseaux de trafic depuis le
Maroc via lrsquoEspagne sont drsquoun grand reacutealisme Or dans la mesure ougrave ces
faits deacutepassent le cadre territorial des quartiers eacutetudieacutes ils peuvent nrsquoavoir
eacuteteacute connus qursquoen prison ndash en tout cas on peut en faire lrsquohypothegravese
Un autre meacutecanisme institutionnel qui contribue agrave la construction
sociale du multireacutecidivisme est lrsquoemprise des dettes Au deacutebut du premier
des quatre entretiens reacutealiseacutes avec Bruno entre 1997 et 2000 srsquointerro-
geant sur les attentes du chercheur il adopte une posture proche du
sociologue en proposant une lecture tout agrave fait vraisemblable de sa carriegravere
Crsquoest sur le deacutemarrage comment on entre dans le systegraveme de la drogue quevous voulez savoir au fait ou pourquoi on y rentre Parce que moi je suismultireacutecidiviste et je ne sais pas pourquoi Agrave chaque fois que je sorshellipQuand je suis en prison jrsquoai toutes les dettes qui srsquoaccumulent quand ona un appartement le loyer il court et tout et quand on sort de prison enfait on est assommeacute par les dettes On nrsquoa pas une tune deacutejagrave quand onsort de prison et en plus tout le monde vous demande lrsquoargent que vous devez
Tout le monde crsquoest-agrave-dire
Crsquoest-agrave-dire le treacutesor public les HLM les creacutedits qursquoon avait pris avant derentrer en prison depuis six ans maintenant je sors jrsquoai envie de recom-mencer ma vie jrsquoavais un meacutetier dans les mains Mais [hellip] jrsquoai vraimentbesoin drsquoargent drsquoargent drsquoargent et je recommence agrave voler Et puis volercomme ccedila spontaneacutement non Faut prendre un petit truc une petite forcequi nous pousse agrave vouloir voler Et la force nous ma geacuteneacuteration agrave moion la trouve dans la came (26 mars 1997)
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50 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Lrsquoaccumulation des dettes fait donc partie de ces meacutecanismes produc-teurs drsquoemprise auxquels il faut ajouter les amendes douaniegraveres (Duprez et
Kokoreff 2000) Les effets sociaux de ces meacutecanismes engendrent une
double fragiliteacute Fragiliteacute drsquoune part des positions de ceux qui ont eacuteteacute
condamneacutes agrave de multiples reprises fragiliteacute professionnelle faute drsquoemploi
ou du fait drsquoune activiteacute preacutecaire (CDD [contrat agrave dureacutee deacutetermineacutee]
inteacuterim stages travail au noirhellip) peu reacutemuneacuteratrice et peu valorisante
fragiliteacute administrative pour les ressortissants de nationaliteacute eacutetrangegravere qui
rencontrent des difficulteacutes agrave renouveler leur carte de seacutejour sans parler
de ceux qui sont menaceacutes drsquoune expulsion du territoire national en tombant
sous le coup de la laquo double peine raquo Fragiliteacute drsquoautre part engendreacutee par
la capaciteacute drsquoattraction du systegraveme de vie structureacute autour des conduites
illicites dans les quartiers Cette capaciteacute drsquoattraction nrsquoest peut-ecirctre jamais
aussi manifeste que lors des sorties de prison En effet les laquo sortants raquo
apregraves une peacuteriode drsquoabstinence et de remise en forme se trouvent confron-
teacutes agrave toutes les sollicitations du quartier (produits trafics combines) Ils
ne peuvent pas ne pas retrouver leurs copains toujours dans la laquo came raquo
Ils finissent ainsi par en reprendre et par reacutepeacuteter les seacutequences analyseacutees
plus haut
Crsquoest la conjugaison de ces deux types de facteurs ndash la fragiliteacute sta-
tutaire induite par les contraintes de lrsquoadministration et du marcheacute du
travail drsquoune part et lrsquoattraction drsquoun style de vie fondeacute sur des pratiques
illicites drsquoautre part ndash qui permet aussi de rendre compte des rechutes et
rateacutes qui ponctuent les trajectoires de la toxicomanie Une illustration
concregravete de ce processus nous est fournie par Abdellah qui a gardeacute sa
nationaliteacute algeacuterienne agrave la diffeacuterence de ses fregraveres et sœurs Sorti de
prison en mars 1997 il ne trouve pas de travail
Jrsquoavais des problegravemes de papier pour qursquoils me donnent la carte de seacutejouret tout et puis bon de lagrave jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutemarches et tout etccedila mrsquoa vraiment bloqueacute parce qursquoils mrsquoenvoyaient de la Preacutefecture auConsulat et du Consulat ils mrsquoenvoyaient agrave la Preacutefecture Ccedila fait quejrsquoeacutetais en permanence avec un titre de seacutejour provisoire et puis bon pourfaire certaines deacutemarches administratives crsquoesthellip on galegravere quoi Trsquoas ledroit agrave rien Tu vas faire ta demande de RMI on te la refuse tu trsquoinscrisau chocircmage sans trsquoavertir bon on te radie Je commenccedilais agrave en avoirmarre et puis bon voilagrave crsquoest la galegravere tellement jrsquoeacutetais deacutegoucircteacute jrsquoaicommenceacute agrave freacutequenter des copains qui eacutetaient un peu dans la came crsquoesttoujours le mecircme systegraveme Crsquoest lagrave que jrsquoai recommenceacute agrave les freacutequenter petitagrave petit et puis de temps en temps ccedila a commenceacute jrsquoai commenceacute agrave toucheragrave la came et puis ccedila faithellip jrsquoen avais marre quoi La drogue crsquoest desvols crsquoest lrsquoargent crsquoest le bizness quoi En fin de compte jrsquoai rien faitquoi quand je regarde bien jrsquoai rien fait (15 deacutecembre 1998)
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 51
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Un an plus tard il sera agrave nouveau interpelleacute pour vol et condamneacute
agrave 18 mois de prison On ne peut donc pas se cantonner agrave invoquer les
proprieacuteteacutes pharmacologiques des substances consommeacutees pour rendre
compte des trajectoires des usagers drsquoheacuteroiumlne Intervient aussi la dimen-
sion sociale des pratiques en jeu crsquoest-agrave-dire laquo lrsquointeacutegration de lrsquoindividu
dans un milieu de toxicomanes [qui] le lie agrave un systegraveme drsquoobligations raquo
(Castel 1998 p 228) Cette dimension nrsquoeacutechappe pas agrave cette cateacutegorie
drsquousagers de drogues lorsqursquoils deacuteploient des strateacutegies drsquoeacutevitement agrave
lrsquoeacutegard de leurs anciens amis laquo qui ne parlent pratiquement que de ccedila raquo et
freacutequentent plutocirct ceux qui ne consommaient pas ou qui ont reacuteussi agrave
srsquoarrecircter encourageant les autres agrave sortir de ce systegraveme Autrement dit si
la toxicomanie dans les quartiers pauvres peut se comprendre comme une
forme de reacuteaffiliation puisque y eacutechapper crsquoest srsquoextraire des liens forts
qursquoelle noue les toxicomanes apparaissent comme des deacutesaffilieacutes par excel-
lence agrave un moment donneacute Tous ceux qui ont dix ans et plus drsquoancienneteacute
dans ce monde disent la difficulteacute de recommencer tout agrave zeacutero la tren-
taine passeacutee sans rien agrave eux agrave ecirctre sur un fil Bruno est un cas limite
laquo Jrsquoai plus rien qui mrsquoaccroche agrave la vie jrsquoai pas de femme jrsquoai pas drsquoenfants jrsquoaiplus de famille et je dois eacutenormeacutement drsquoargent alors crsquoest dur drsquoecirctre motiveacute raquo Il a
fait sa premiegravere postcure il y a deux ans agrave 35 ans avant de repartir apregraves
un eacutechec et une nouvelle arrestation-condamnation-incarceacuteration dans
une autre structure Il a choisi de preacuteparer sa sortie en participant agrave un
programme de substitution au Subutex en deacutetention alors que trois ans
auparavant il rejetait avec force cette solution
Crsquoest une autre particulariteacute de cette geacuteneacuteration drsquousagers son accegraves
aux structures de soins ndash speacutecialiseacutees ou pas ndash a eacuteteacute sacrifieacute agrave drsquoautres
enjeux alors mecircme qursquoelle a eacuteteacute particuliegraverement exposeacutee aux risques de
contamination du VIH (virus du sida) et du VHC (virus de lrsquoheacutepatite C)
Entre les logiques lourdes de lrsquoordre public et du peacutenal drsquoun cocircteacute et celles
du quartier de lrsquoautre peu de place a eacuteteacute laisseacutee agrave la prise en compte des
enjeux de santeacute publique et de preacutevention On ne srsquoeacutetonnera pas que
de leur cocircteacute les toxicomanes rencontreacutes aient longtemps cru qursquoils
pourraient srsquoen sortir tout seuls
Bon jrsquoai coupeacute avec la prison Tu me diras crsquoest pas la mecircme chose maisbon je ne sais pas Jrsquoai toujours cru que jrsquoarriverais agrave mrsquoen sortir toutseul en fait Michel Jrsquoai jamais eacuteteacute frapper agrave une porte drsquoune associationquelconque ou aller dans une postcure Jrsquoai toujours cru que jrsquoallais mrsquoensortir que le seul type qui pouvait mrsquoaider crsquoeacutetait moi-mecircme Le seul typequi pouvait me sortir de cette merde crsquoeacutetait moi avec du courage et de lavolonteacute surtout de la volonteacute Jrsquoai toujours cru ccedila Et puis maintenantjusqursquoagrave preacutesent je me rends compte que non il aurait fallu peut-ecirctre unsuivi theacuterapeutique voir des psychologues de temps en temps Je dis pas que
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52 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
ccedila aurait reacuteussi mais ccedila mrsquoaurait fait du bien et ccedila mrsquoaurait aideacute beau-coup Puisque jrsquoai jamais eacuteteacutehellip en fin de compte faire une postcure Laseule fois ougrave jrsquoai fait une sorte de cure crsquoest quand ma famille mrsquoa emmeneacuteen 85 ils sont partis en vacances en Espagnehellip Ma megravere leur a dit laquo Vouspouvez lrsquoemmener avec vous le laissez pas ici il va crever sinon raquo Jrsquoai eacuteteacuteavec eux et je suis resteacute pendant un mois lagrave-bas Le premier jour ccedila a eacuteteacutedur jrsquoeacutetais alleacute voir un meacutedecin Bon jrsquoai deacutecrocheacute et ccedila allait par lasuite Crsquoest la seule fois ougrave jrsquoai deacutecrocheacute en vacances Jrsquoavais eacuteteacute aussi uneautre fois en 83 Mais crsquoeacutetait avec des amis on se faisait envoyer de lacame par lettre pour te dire par la poste (28 mars 1997)
23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC AU COURS
DES ANNEacuteES 1990
Que sont devenus les membres de cette geacuteneacuteration ayant commenceacute agrave
consommer et agrave revendre de lrsquoheacuteroiumlne au deacutebut des anneacutees 1990 La
diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers on ne le reacutepeacutetera jamais assez a
eu des effets dramatiques laquo Jrsquoai eu des deacutecegraves qui mrsquoont suivi agrave longueur detemps raquo reacutepeacutetera lrsquoun laquo tous ceux de notre eacutepoque la plupart ils sont partis raquo
souligne un autre qui a perdu son fregravere et son cousin laquo mes amis ils onttous fini au cimetiegravere raquo dira encore un autre Bien que ce pheacutenomegravene soit
quasi impossible agrave quantifier de nombreuses familles ont eacuteteacute toucheacutees par
les effets conjugueacutes de lrsquoheacuteroiumlne et du sida laquo Survivants raquo laquo rescapeacutes raquo
laquo dinosaures raquo telles sont les expressions utiliseacutees dans les citeacutes pour deacutesi-
gner ceux qui ont eacutechappeacute aux surdoses au sida au suicide (reacuteel ou
deacuteguiseacute) Les laquo tox raquo qui approchent la quarantaine alternent des peacuteriodes
drsquoabstinence et des peacuteriodes ougrave ils sont laquo agrave fond dedans raquo vont et viennent
entre prison et quartier Malades le corps marqueacute habilleacutes pauvrement
on les nomme ici ou lagrave les laquo schlagues raquo ou les laquo gueux raquo ndash expressions
renouant eacutetrangement avec lrsquoancienne imagerie des vagabonds Degraves lors
on comprend qursquoils aient pu jouer la fonction drsquoimage repoussoir aupregraves
des nouvelles geacuteneacuterations Au moins un temps leur histoire a pu dissuader
ces derniegraveres de prendre massivement de lrsquoheacuteroiumlne
Le paradoxe crsquoest que ce processus nrsquoa pas empecirccheacute lrsquoessor du trafic
drsquoheacuteroiumlne puis de cocaiumlne entre le milieu des anneacutees 1980 et le milieu
des anneacutees 1990 On peut y voir lrsquoeffet drsquoune strateacutegie drsquoordre public visant
agrave laquo nettoyer raquo la ville-centre et ses espaces publics et agrave cantonner les mar-
cheacutes de la drogue dans les quartiers peacuteripheacuteriques Mais crsquoest aussi le biznessqui a changeacute dans cette peacuteriode Si drsquoapregraves nos informateurs de terrain
ceux qui controcirclent les marcheacutes sont agrave peu pregraves les mecircmes qursquoil y a dix
ans les modes drsquoorganisation sont devenus plus complexes Une triple
transformation est survenue un redeacuteploiement drsquoeacutechelle du trafic qui de
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micro-locale est devenue deacutepartementale voire interdeacutepartementale avec
la constitution de reacuteseaux de trafics beacuteneacuteficiant de supports logistiques et
sociaux varieacutes le deacuteveloppement des polytrafics (heacuteroiumlne cocaiumlne ou
crack speed Subutex) visant agrave srsquoadapter agrave la concurrence et agrave la tendance
persistante agrave la polyconsommation de produits drsquousage illicite et licite
lrsquoeacutemergence agrave cocircteacute des logiques de quartier de logiques baseacutees sur le
caiumldat avec des modes drsquoaction et de repreacutesentation eacutevoquant fortement
les mafias Par ailleurs ceux qui participent au deal (rabatteurs guetteurs
revendeurs transporteurs etc) semblent plus souvent des non-usagers atti-
reacutes agrave la fois par un motif eacuteconomique et par la mythologie entourant le
laquo dealer des citeacutes raquo Demeurant bien plus lucratifs que le marcheacute du can-
nabis souvent plus artisanal et atomiseacute les marcheacutes de lrsquoheacuteroiumlne et de la
cocaiumlne ont ainsi tireacute parti des ressources offertes par cette armeacutee de
reacuteserve de jeunes sans avenir deacutescolariseacutes sous influence chocircmeurs ou
travailleurs preacutecaires avides de prendre place dans la socieacuteteacute de consom-
mation et de srsquoen approprier les signes les plus valoriseacutes Bref on est passeacute
drsquoune logique drsquoautofinancement de la consommation agrave une logique
marqueacutee par une professionnalisation du trafic Du coup de nouveaux
cheminements et strateacutegies se dessinent qursquoil nous faut maintenant deacutecrire
231 SCEgraveNES DE REVENTE
Ce qui est remarquable crsquoest la tension qui regravegne sur les lieux de deal et
plus encore le durcissement des eacutechanges entre usagers et dealers On
pourrait multiplier les citations faisant eacutetat de lrsquoinsolence du manque de
respect de la violence verbale ou physique agrave lrsquoeacutegard des usagers (laquo un tox
il faut lrsquoinsulter raquo) Et les observations sur le terrain confirment largement
cette tension palpable et le climat de suspicion que renforcent les inter-
ventions policiegraveres On peut interpreacuteter ces situations comme lrsquoun des
effets des transformations du trafic Ainsi il y a drsquoun cocircteacute les toxicomanes
qui sont affaiblis par le manque les pressions policiegraveres les maladies des
conditions de vie preacutecaires reacuteduits agrave des rocircles subalternes dans la deacutelin-
quance (intermeacutediaires rabatteurs voleurs receleurs occasionnels) por-
tant les stigmates de la deacutegradation et perccedilus comme indeacutesirables dans les
citeacutes de lrsquoautre il y a les revendeurs animeacutes par lrsquoappacirct du gain agressifs
voire meacuteprisants agrave lrsquoeacutegard de leurs clients peu sociables ou compreacutehensifs
refusant de neacutegocier les prix ou les quantiteacutes ce qui les rend aussi plus
vulneacuterables les usagers ayant moins de scrupules agrave les balancer La concur-
rence srsquoest accrue la preacutesence policiegravere aussi laquelle peut ecirctre instru-
mentaliseacutee de diverses maniegraveres19
19 Pour une analyse plus deacuteveloppeacutee de cet aspect des rapports sociaux du trafic voirnotre article (Kokoreff 2000)
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54 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Afin de rendre plus sensibles les changements qui se sont opeacutereacutes
arrecirctons-nous sur ces deux scegravenes de transaction dans la mecircme citeacute telles
qursquoelles sont deacutecrites par Bruno La premiegravere se passe au milieu des
anneacutees 1980
Ben trsquoavais les mecs qui avaient 20 ans qursquoavaient leur came et puistrsquoavais leurs petits fregraveres qui avaient 10 11 ans [hellip] Degraves qursquoils voyaientune voiture arriver comme ccedila tous les petits ils se battaient crsquoest agrave celuiqui courrait le plus vite Ils disaient laquo Crsquoest mon client crsquoest mon client raquoLe petit jeune il courait voir son fregravere et son fregravere entre-temps il preacuteparaitdeux paquets et quand toi tu arrivais il te disait laquo Tiens ccedila y est tiensmais va-t-en va-t-en raquo Il fallait vite que tu trsquoen ailles (26 mars 1997)
La deuxiegraveme scegravene a lieu dix ans plus tard Du deal agrave ciel ouvert on
est passeacute agrave un dispositif ougrave les revendeurs agissent masqueacutes (dans les caves
les escaliers) et armeacutes ce qui rend plus difficile leur identification par les
usagers et lrsquoaction de la police On les appelle les laquo Ninjas raquo
Tu fais la queue dans hellip tu sais le grand bacirctiment qui est en face le mienalors ils attendaient qursquoil y ait au moins trente toxicos qui attendent dansles escaliers puis drsquoun seul coup tu voyais deux dealers arriver alorslrsquoextincteur la lacrymogegravene la batte de baseball le couteau tout ce qursquoilfaut et cagouleacutes
ndash Toi combien tu veux toi
ndash Moi je veux deux
ndash Tu preacutepares tes cinquante sacs
Tu lui donnais et il te donnait tes deux demis
ndash Casse-toi par lrsquoautre cocircteacute
ndash Il y avait la queue et trsquoavais trente toxicos qui passaient et voilagrave (15 deacutecembre 1998)
En est-on toujours lagrave Il conviendrait de prendre en compte plus
qursquoon peut ne le faire ici les changements intervenus dans lrsquoorganisation
du deal avec la banalisation des teacuteleacutephones portables Un simple coup de
fil suffit pour contacter un revendeur et se mettre drsquoaccord sur un lieu de
rendez-vous De la sorte les livraisons agrave domicile peuvent ecirctre favoriseacutees
Crsquoest une situation intermeacutediaire deacutecrite par Mourad dont on abordera
plus loin lrsquoitineacuteraire
Vous faisiez tout vous-mecircme
Oui je faisais tout moi-mecircme Jrsquoaimais bien preacuteparer
Y compris au deacutetail dans la rue
TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 55
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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Oui [hellip] je connaissais mecircmehellip sur le bip Jrsquoeacutetais fou jrsquoeacutetais un incons-cient Je vendais je leur disais je suis sur la came Il y en a qui me bipaientagrave 3 heures du matin Je leur donnais rendez-vous en face de chez moi dansle hall Je descendais en claquette en peignoir pour leur donner Jrsquoeacutetaisbarreacute je lacircchais rien
Vous faisiez tout
Tu veux 200 F je te donne 200 F tu veux 400 F je te donne 400 F Jeme deacuteplace jrsquoallais chez eux Ce nrsquoest pas eux qui se deacuteplaccedilaient Je suisun des premiers agrave avoir fait ccedila Maintenant tout le monde le fait
Ccedila majore les prix
Non mais ce qursquoil y a crsquoest que moi je pense qursquoil y a moins de risquesCrsquoest grilleacute dans la rue
Bien qursquoelles puissent ecirctre encore observables aujourdrsquohui ces scegravenes
de deal font entrevoir les modifications enregistreacutees depuis vingt ans dans
la revente au deacutetail Dans un premier temps crsquoest lrsquoinvisibiliteacute (de la rue
aux bacirctiments des halls et escaliers aux caves du face-agrave-face agrave lrsquoanonymat)
qui est rechercheacutee Dans un second temps crsquoest la mobiliteacute (des laquo plans raquo
des personnes) Sans ecirctre lineacuteaires ces modifications manifestent les capa-
citeacutes drsquoadaptation des acteurs du trafic et la labiliteacute de leurs rapports
drsquoeacutechange
232 LE RAPPORT AU PRODUIT
Un bon indice de ce processus de professionnalisation du trafic est le
rapport au produit Si dans le cas du cannabis usage et revente vont de
pair en matiegravere drsquoheacuteroiumlne de cocaiumlne ou de crack il nrsquoen va pas de
mecircme Participer au trafic drsquoune maniegravere ou drsquoune autre crsquoest drsquoabord
acceacuteder agrave des ressources financiegraveres dans un contexte de chocircmage de
masse et de preacutecariteacute cela devient un travail un job un bizness et parallegrave-
lement sur un plan symbolique une faccedilon drsquoacqueacuterir une bonne reacuteputa-
tion et drsquoecirctre quelqursquoun Mais ces deux exigences ne sont pas faciles agrave
associer agrave la consommation Selon une opinion freacutequemment entendue
il est incompatible de revendre et de consommer de lrsquoheacuteroiumlne
Prenons lrsquoexemple de Mounir que nous connaissions de vue dans
une citeacute avant de le revoir en deacutetention Il avait 24 ans au moment du
premier entretien reacutealiseacute avec lui Lorsqursquoon lui demande quels sont les
eacuteveacutenements qui ont fait qursquoil a rencontreacute le monde de la drogue il deacutecrit
lrsquoengrenage
Ccedila crsquoest au deacutebut trsquoes bien trsquoes agrave lrsquoeacutecole tout va pour le mieux si on peutdire Apregraves le jour ougrave tu te retrouves agrave la rue le fait drsquoavoir des amis laquo oh ccedilrsquouirsquolagrave il est bien habilleacute ccedilrsquouirsquolagrave il a plus drsquoinfluence raquo les gens qui
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56 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
fument le shit bon tu commences agrave fumer un petit peu agrave goucircter apregravescrsquoest un engrenage tu rentres dedans tu commences agrave fumer de plus enplus apregraves tu mets de lrsquoargent pour trsquoacheter des affaires donc tu commencesagrave dealer apregraves la vie plus on approche de lrsquoan 2000 plus les temps sontdurs tu trsquoaperccedilois que le shit ccedila ne rapporte plus Crsquoest pas que ccedila nerapporte plus crsquoest que pour rapporter ccedila met trop longtemps et tu voistes amis agrave cocircteacute toi trsquoes en galegravere et eux en un rien de temps ils fontrentrer en deux journeacutees trois quatre briques Ccedila commence agrave travaillerdans la tecircte et apregraves agrave force tu te dis laquo Bon le shit mets-le de cocircteacute amegravenela came raquo Tu commences agrave dealer un petit peu juste de quoi te faire 500ou 1000 F 2000 F mecircme 4000 F et apregraves crsquoest un engrenage (11 avril 1997)
Cette entreacutee progressive dans la revente srsquoinscrit dans un processus
beaucoup plus geacuteneacuteral de diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers pauvres
qui attire un certain nombre drsquoindividus deacutejagrave impliqueacutes dans drsquoautres
trafics Lrsquoheacuteroiumlne est une marchandise plus que rentable crsquoest dans ce
sens que son arriveacutee a bouleverseacute les autres trafics (laquo elle a niqueacute le biznessde shit raquo) elle donne du mecircme coup un statut qui sort du commun des
petits revendeurs de cannabis Au cours de lrsquoentretien Mounir se preacutesen-
tera comme un dealer pas comme un consommateur20 Telle est la condi-
tion pour ne pas se deacutetruire la santeacute (ecirctre une laquo loque raquo) faire des affaires
(ne pas laquo couler raquo ni laquo aller faire nrsquoimporte quoi pour aller peacute-cho [ldquochoperrdquo] sacame raquo) et ecirctre respecteacute (laquo les tox les petits des dealers drsquoagrave cocircteacute je les mettais tousagrave lrsquoamende raquo)
Selon que lrsquoon ait affaire agrave des revendeurs de rue ou agrave leurs pour-
voyeurs le rapport au produit est diffeacuterent Pour reprendre les cateacutegories
indigegravenes les toxicomanes qui vendent ce sont des rabatteurs des laquo petits
dealers raquo sur une pile de dix ils revendent six ou sept laquo keacutepas raquo et en
gardent trois ou quatre pour leur consommation Les dealers eux ne
consomment pas sont joignables sur leur portable et vendent au gramme
peseacute Crsquoest un pheacutenomegravene encore plus remarquable agrave mesure que lrsquoon
srsquoeacutelegraveve dans la hieacuterarchie des trafiquants Par exemple ce Marocain de 47 ans
neacute dans la valleacutee du Riff poursuivi pour avoir joueacute un rocircle drsquointermeacutediaire
dans un important reacuteseau de trafic international de cannabis a commenceacute
agrave fumer le kif agrave 17 ans Mais au Maroc sa consommation srsquoinscrit dans un
tout autre contexte drsquousage En France Omar ne fume ni tabac ni cannabis
20 Lors de lrsquoinstruction de son affaire il adoptera la position inverse En deacutetention preacute-ventive pour une affaire drsquoheacuteroiumlne (dix doses trouveacutees agrave ses pieds cinq chez lui) ilminimisera son rocircle de dealer et se deacuteclarera consommateur aux policiers cela en vuedrsquoalleacuteger la sanction peacutenale Cette strateacutegie si elle teacutemoigne de la labiliteacute des statutsselon les situations vise bien eacutevidemment agrave eacutechapper agrave des sanctions lourdes
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il ne boit pas non plus drsquoalcool Il interdit agrave ses enfants de le faire parce
qursquoils sont trop jeunes pour se controcircler Crsquoest pour la mecircme raison qursquoagrave
un certain niveau de trafic la regravegle veut qursquoon ne consomme pas
Il y en a qui sont consommateurs Mais il y en a qui savent pas controcirclerMais crsquoest vrai que la plupart des vrais trafiquants ils ne fument pas[hellip] Ils ne doivent pas fumer Ils doivent travailler Ils doivent avoir latecircte fraicircche pour travailler Srsquoil fume il perd la tecircte Srsquoil sniffe ccedila y est ila plus de parole Moi si je vois quelqursquoun sniffer de la cocaiumlne je nrsquoaiplus confiance Il peut faire nrsquoimporte quoi Il propose des trucs qui sontnrsquoimporte quoi Il fait nrsquoimporte quoi Il peut aller tuer (3 juillet 1999)
La consommation notamment de cocaiumlne altegravere ce que Tarrius
(1997) appelle lrsquolaquo eacutethique des reacuteseaux raquo celle qui repose sur la confiance
en la parole donneacutee aux antipodes du modegravele contractuel Mais il en va
aussi de ce que lrsquoon pourrait appeler une eacutethique du travail bien fait
Normalement quelqursquoun qui vend qui trafique il ne doit pas faire celaIl ne doit pas fumer fumer pour consommer srsquoil veut Mais il ne doit pasfumer ou boire beaucoup Il faut ecirctre quelqursquoun de seacuterieux Il faut restersur son travail Crsquoest comme si vous alliez agrave lrsquousine vous travaillez aubureau Crsquoest pareil il faut avoir la tecircte Parce que les flics sont forts Doncil faut faire des plans pour srsquoen sortir Il faut avoir la tecircte si vous nrsquoavezpas de tecircte vous nrsquoallez pas travailler avec les pieds (9 juillet 1999)
233 LE TRAFIC COMME TRAVAIL
Lrsquoengagement dans le trafic local peut se comprendre comme un proces-
sus et reacutepondre agrave des motivations diverses selon les moments Les lyceacuteens
qui revendent des barrettes de shit dans leur eacutetablissement scolaire ou leur
quartier ne peuvent ecirctre assimileacutes aux chocircmeurs qui laquo font la survie raquo en
vendant quelques paquets drsquoheacuteroiumlne pour un laquo grand raquo de leur citeacute Ceux
qui revendent pour srsquoacheter des habits et sortir les filles ne sont pas dans
le mecircme laquo film raquo que ceux ou celles qui revendent pour faire un laquo coup raquo
(partir en vacances srsquoacheter une voiture subvenir agrave une dette aider le
retour clandestin drsquoun proche apregraves une expulsion du territoire) pas plus
que les uns et les autres ne peuvent ecirctre assimileacutes agrave ceux pour qui la
revente est lrsquoeacutequivalent drsquoun travail leur prenant la majeure partie de
leur temps
Revenons au parcours de Mounir abordeacute plus haut Issu drsquoune
famille algeacuterienne de cinq enfants Mounir avait 24 ans lorsque nous
lrsquoavons rencontreacute Son pegravere arriveacute agrave lrsquoacircge de 16 ans en France a termineacute
sa vie professionnelle comme chef de chantier Lorsque jrsquoai connu le fregravere
cadet de Mounir il eacutetait en terminale S puis il srsquoest inscrit en classes
preacuteparatoires (section scientifique) Sa sœur a eu un brevet de technicien
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58 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
supeacuterieur (BTS) en comptabiliteacute et travaille dans une grande entreprise
Un autre de ses fregraveres a eu un BTS en comptabiliteacute Seul son plus petit
fregravere acircgeacute de 13 ans est agrave la rue comme lui preacutecisera-t-il Drsquoougrave la question
deacutejagrave poseacutee agrave drsquoautres comment expliquer son parcours dans la deacutelin-
quance et la drogue alors que les autres srsquoen sont plutocirct bien sortis
Ben il faut dire franchement ce qui est moi je vois qursquoune reacuteponse crsquoestque quand jrsquoai commenceacute agrave deacutemarrer tout ccedila crsquoest que agrave mon avis crsquoestla tentation du diable et en plus crsquoest que je devais ecirctre trop influenccedilableEt peut-ecirctre tu sais quand trsquoes jeune histoire de jouer eacuteleacutegant aussi Ona peut-ecirctre de ccedila aussi Mais apregraves crsquoest mecircme plus ccedila Apregraves crsquoest ton jobApregraves crsquoest mecircme plus question de flamber ou un truc comme ccedila tu voistoi crsquoest ton job Crsquoest histoire de sauver ta peau de remplir ta pocheFranchement qursquoest-ce que tu veux que je foute Jrsquoai aucun diplocircme
Trsquoas arrecircteacute lrsquoeacutecolehellip
hellip en troisiegraveme technologie Jrsquoai aucun diplocircme Jrsquoai travailleacute un petit peuagrave droite agrave gauche des deux mois en inteacuterim des trucs comme ccedila Apregravesavec le placard quinze mois pour homicide je sors pendant cinq mois jetrouve rien Je retombe six mois je sors en provisoire je reste quatre moiset demi dehors je retourne trois mois je sors je reste un an je retombe(11 avril 1997)
En quelques phrases est reacutesumeacutee cette expeacuterience fragmenteacutee du
temps qui laisse peu de place agrave une position stabiliseacutee et rend illusoires
les projets drsquoinsertion Si les laquo raisons raquo invoqueacutees peuvent passer pour des
justifications leur inteacuterecirct est drsquoecirctre situeacutees dans le temps aux croyances
(la tentation du diable) et traits de caractegravere (ecirctre influenccedilable) succegravede
la neacutecessiteacute celle faisant de la revente un moyen de survie faute de for-
mation Comment trouver un travail leacutegal face au racisme des employeurs
et aux effets du stigmate judiciaire Tel est le dilemme de bien des jeunes
des quartiers pauvres
Au-delagrave de la mythologie du trafiquant professionnel on connaicirct
assez mal les strateacutegies deacuteployeacutees par les petits revendeurs non pas seule-
ment pour survivre mais pour rendre coheacuterentes aspirations et ressources
Aujourdrsquohui plus que jamais le trafic est geacuteneacutereacute par une ambition de ne
pas travailler agrave lrsquousine Il y a cette volonteacute drsquoeacutechapper aux conditions de
vie qui furent celles des parents laquo Nous nos parents se sont fait exploiterNous crsquoest finihellip raquo Mais en mecircme temps on retrouve le travail dans le
trafic Un acteur local remarque laquo La strateacutegie des jeunes qui ont 20 ans crsquoest
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ldquoon met de cocircteacute Comme ccedila dans dix ans on prend un boulot pourri mais au moinson aura ce qursquoil fautrdquo raquo Ce que dit drsquoune autre maniegravere Mourad petit
revendeur devenu fournisseur
On ne vend pas de la drogue pour le plaisir Agrave la rigueur celui qui vendde la drogue il a raison drsquoessayer de faire sa vie drsquoessayer de mettre de cocircteacutele plus rapidement possible pour deacutemarrer la vie Se lancer dans quelquechose de concret de droit Bon il y en a qui ne peuvent faire que ccedila21
(26 juillet 1999)
234 AVOIR LrsquoESPRIT ENTREPRENEUR
Mourad offre une variante assez inteacuteressante de ces cheminements dans
le trafic moins caracteacuteriseacutes par une logique de marginalisation que par
une logique entrepreneuriale Acircgeacute de 23 ans lors de nos premiegraveres ren-
contres il est issu drsquoune famille drsquoenseignants Drsquoorigine algeacuterienne il a
grandi agrave Issy-les-Moulineaux avec ses deux sœurs ses parents sa grand-
megravere et sa tante loin de lrsquounivers des citeacutes Agrave lrsquoadolescence il deacutemeacutenage
dans une commune proche qui a mauvaise reacuteputation Il poursuit sa sco-
lariteacute au lyceacutee jusqursquoau bac et lui-mecircme se qualifie de laquo bon eacutelegraveve raquo Peu
inteacutegreacute dans un quartier qursquoil ne connaicirct pas il se met agrave freacutequenter par
lrsquointermeacutediaire de la sœur de sa meilleure amie les jeunes des halls de sa
citeacute qui revendent du cannabis Agrave ce moment une rupture profonde
survient dans son existence avec le meurtre de sa megravere par son pegravere qui
lui-mecircme se suicidera quelques mois apregraves en deacutetention On est en 1995
Mourad a tout juste 18 ans Crsquoest peu apregraves qursquoil commence agrave revendre
du cannabis dans son eacutetablissement scolaire Pour autant il reacutefute toute
interpreacutetation psychologique attribuant au drame familial la cause de son
entreacutee dans la deacutelinquance laquo Crsquoest par palier que crsquoest arriveacute En deux ansjrsquoai vraiment tout fait Jrsquoen parlais agrave un copain il mrsquoa dit ldquoTrsquoas fait en un ande temps ce que jrsquoai fait en dix ansrdquo raquo
Il commence par acheter 25 grammes puis des laquo savonnettes raquo
(250 grammes) avant de passer rapidement agrave des achats par kilos qursquoil
partage avec deux de ses amis Fait remarquable alors que ses copains de
classe et les gens autour de lui fument lui-mecircme nrsquoest pas consommateur
Son contact le met en rapport avec un fournisseur drsquoheacuteroiumlne drsquoune autre
citeacute il lui propose de faire de laquo lrsquoargent vite fait raquo Mourad relegraveve le deacutefi
En 1996 il obtient son bac et arrecircte lrsquoeacutecole Il prend de lrsquoenvergure
comme dealer srsquoassocie avec un autre revendeur drsquoheacuteroiumlne et de cocaiumlne
qui revend dans la rue derriegravere chez lui Il noue des relations qui lrsquoamegravenent
21 Voir dans un tout autre milieu social les strateacutegies des laquo enfants de bonne famille raquoanalyseacutees par Missaoui et Tarrius (1999)
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60 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave rencontrer des laquo grosses tecirctes raquo dans une autre commune Ces relations
lui permettent de srsquoeacutemanciper dans une certaine mesure des reacuteseaux
locaux La situation srsquoinverse crsquoest lui qui procure une marchandise de
qualiteacute et obtenue agrave bas prix agrave ceux qui le fournissaient agrave ses deacutebuts
Nrsquoeacutetant pas connu des services de police il megravene la belle vie Pourtant les
ennuis commencent Il est interpelleacute mis en examen et eacutecroueacute une pre-
miegravere fois pour trafic agrave peine deux ans apregraves ses deacutebuts Trois mois apregraves
sa libeacuteration il est agrave nouveau placeacute en deacutetention preacuteventive pour une
affaire connexe au deacutebut de 1999 Beacuteneacuteficiant drsquoune confusion de peine
il est finalement condamneacute agrave quatre ans de prison
Dans son reacutecit plusieurs modes drsquoexplication plus ou moins clas-
siques sont mobiliseacutes pour rendre compte de son cheminement les effets
de lrsquoenvironnement (laquo Si jrsquoavais connu des voleurs je crois que je serais devenuvoleur si jrsquoavais connu des braqueurs jrsquoaurais fait des braquages forts je me suisreacutefugieacute dans la drogue chez moi yrsquoa plus de gens qui font ccedila que de gens qui fontpas ccedilahellip raquo) mais surtout le deacutesir de reacuteussite sociale (laquo avec lrsquoeacuteducation quejrsquoai eue je ne pouvais pas ne pas reacuteussir raquo) et de reconnaissance par ses pairs
(ecirctre un laquo bonhomme raquo crsquoest-agrave-dire quelqursquoun) Dans le contexte ougrave il vit
trouver de lrsquoargent est une obsession laquo Il faut de lrsquoargent pour srsquoen sortir delrsquoargent pour sortir il faut de lrsquoargent pour les copines raquo Paradoxalement de
lrsquoargent Mourad en a puisqursquoil a toucheacute une indemniteacute drsquoassurance deacutecegraves
Il part en vacances en Corse aux sports drsquohiver srsquoachegravete des vecirctements
de marque les premiers teacuteleacutephones portables une Golf VR-6 bref il
deacutepense sans compter pour lui et ses proches
On retrouve dans lrsquoitineacuteraire de Mourad un lien eacutetroit avec lrsquoeacutevolu-
tion du marcheacute des drogues dans les citeacutes En effet on a assisteacute lors de la
seconde partie des anneacutees 1990 agrave une recomposition du marcheacute de can-
nabis La concurrence est devenue de plus en plus forte conduisant agrave la
baisse des prix et des marges beacuteneacuteficiaires Drsquoougrave des ventes qui portent
sur des quantiteacutes de plus en plus importantes et une augmentation des
risques en cas de coups durs pour les revendeurs Mourad lui passe aux
drogues dures Il limite les risques au minimum en vendant agrave domicile
comme on lrsquoa vu prend ses rendez-vous sur portable ou se fait laquo biper raquo agrave
toute heure du jour et de la nuit Il compare le deal agrave une entreprise
Oh crsquoest une entreprise Franchement quand je vendais jrsquoai toujoursraisonneacute comme si crsquoeacutetait une entreprise Crsquoest maintenant avec le recul Jeme revoyais pas Maintenant avec le recul crsquoeacutetait ccedila Je me reacuteveillais lematin il faut payer le grossiste Il y a [hellip] le beacuteneacutefice Il faut payer lesgens avec qui vous ecirctes Il faut srsquoacheter ccedila Des fois il faut srsquoacheter destrucs par exemple la bouffe Crsquoest marrant parce que mecircme la bouffe eacutetait
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comprise dans le prix Il y avait 1000 F par jour qui partaient pour labouffe les journaux Moihellip mecircme si jrsquoai pas fait trop drsquoargent je me suisfait plus manipuler qursquoautre chose (21 septembre 1999)
Pourtant dans ses deacutebuts Mourad deacuteclare laquo tourner agrave 25 000 mini-mum par jour raquo parfois plus Dans sa commune en 1998 100 grammes de
cocaiumlne reviennent agrave 45 000 F lui il les touche agrave 35 000 F Tout est affaire
de relations comme il lrsquoexplique
Donc jrsquoai connu des gens drsquoune citeacute [hellip] qui sont venus me voir pour medemander combien je touchais Ils mrsquoont dit que si je prenais un peuplushellip Crsquoest parti comme ccedila Lagrave jrsquoai commenceacute agrave connaicirctre les gens deB Agrave cette eacutepoque-lagrave ils nous donnaient mais ils nous disaient qursquoilscouraient des risques Il y en a drsquoautres qui disaient laquo oui si tu luidonnes il va te balancer raquo Je me rappelle que crsquoeacutetaient des bruits quicouraient souvent et crsquoest vrai que je ne les connaissais pas
Sorti de prison dans la mesure ougrave il nrsquoavait pas balanceacute Mourad
raconte que laquo tous les grands raquo sont venus le voir pour lui demander de
srsquooccuper du terrain Il faut dire que lrsquoaction des services de police et des
juges drsquoinstruction est intense agrave cette eacutepoque surtout sur les petits reven-
deurs (laquo Crsquoest lrsquousine il y en a un qui tombe on en prend un autre raquo) Les
laquo grosses tecirctes raquo recrutent des hommes de confiance
Lrsquoenvers du deacutecor ce sont les emprises et pressions qursquoimplique
lrsquoinscription dans ces reacuteseaux en particulier lorsque les liens dans le
monde de la citeacute sont faibles Mourad nrsquoa pas de famille cela se sait il a
deux sœurs de 21 et 16 ans sur lesquelles les pressions sont faciles per-
sonne ne peut bouger pour lui laquo Ils me tiennent raquo dit-il Ainsi lorsqursquoil sort
de prison il est mis agrave lrsquoamende par ses partenaires de deal afin de payer
la cavale de lrsquoun drsquoeux Refusant de retourner vendre dans la citeacute de
Chacirctillon il est contraint par un caiumld local drsquoeacutecouler 40 kilos de cannabis
Ces emprises justifient son silence et sa reacutecidive
Au cours du troisiegraveme entretien reacutealiseacute agrave la maison drsquoarrecirct de la
Santeacute Mourad multipliera les mentions aux deacutemarches entreprises pour
srsquoen sortir et agrave ses projets laquo Jrsquoai envie de monter une entreprise raquo laquo jrsquoaurais aimeacutetravailleacute dans lrsquoimmobilier mais maintenant avec mon casierhellip raquo laquo je fais desrecherches par lrsquoANPE je prends les journaux raquo laquo je suis des cours je poursuis deseacutetudes jrsquoai des super bonnes notes raquo Il avait eacuteteacute transfeacutereacute quelques semaines
auparavant de la maison drsquoarrecirct de Nanterre manifestement exceacutedeacute par
lrsquoambiance qui y reacutegnait
Je grandissais plus Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoecirctre dans un moule Les discus-sions crsquoeacutetait laquo Ouais tu fais combien Ouais je gagnais tant par jouron faisait comme ccedila on faisait comme ccedila Quand je sors je vais faire ccedila raquoComme on dit dans le jargon de la prison laquo on va tout niquer raquo
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62 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce qui veut dire
Ce qui veut dire quand je sors je fais encore pire qursquoavant mais je faisccedila mieux [hellip] Alors on est entre hommeshellip Crsquoest une image crsquoest pasnous-mecircmes Ccedila parle de came on parle de came Ccedila se dit pas laquo Ouaisles gars faut arrecircter raquo On dit pas laquo Ouais quand je sors je travaille raquo(7 avril 2000)
Mourad a eacuteteacute libeacutereacute en conditionnelle agrave la fin de lrsquoanneacutee 2000 et
jrsquoai perdu sa trace Est-il un cas exceptionnel Sans doute sa trajectoire
sociale comporte-t-elle des traits atypiques par rapport agrave des dealers qui
sont neacutes et ont toujours veacutecu dans lrsquounivers des citeacutes Elle est remarquable
aussi par la rapiditeacute avec laquelle il est arriveacute agrave traiter avec des semi-
grossistes drsquoenvergure Mais on peut estimer que de tels cheminements
dans le bizness ne sont plus rares aujourdrsquohui Cette logique entrepreneu-
riale est agrave lrsquoœuvre en matiegravere de stupeacutefiants comme pour les biens de
consommation courante (automobiles deux-roues piegraveces deacutetacheacutees por-
tables habits) faisant lrsquoobjet de toutes sortes de bizness dans certaines citeacutes
Elle fonctionne drsquoautant plus que quelques personnes peuvent agrave un
moment donneacute faire beaucoup drsquoargent et attirer les autres bref servir
de modegraveles Cela eacutetant on retrouve cette logique bien eacutevidemment dans
drsquoautres milieux sociaux Lrsquoitineacuteraire de certains revendeurs drsquoabord
revendeurs drsquoecstasy puis de cocaiumlne dans le monde de la nuit parisienne
en est une illustration parmi drsquoautres22
24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS
DANS LE TRAFIC
Le rapport au produit lrsquoengagement dans le trafic lrsquoesprit dans lequel il
srsquoexerce distinguent les carriegraveres des usagers-revendeurs des anneacutees 1980
et celles des dealers des anneacutees 1990 Crsquoest sur cette question qursquoil nous
faut revenir Nous soulignerons les hieacuterarchies informelles (Becker 1963
p 128) qui structurent lrsquoeacuteconomie de la drogue et au final la mobiliteacute
des positions qui en deacutecoule
241 DrsquoUNE GEacuteNEacuteRATION Agrave LrsquoAUTRE
Entre la geacuteneacuteration de la rue Montmartre et celle qui a grandi dans les
quartiers ougrave la came eacutetait deacutejagrave preacutesente ougrave se situent les diffeacuterences en
termes de carriegraveres Pour Bruno par exemple il nrsquoy a pas drsquoambiguiumlteacute les
22 Voir sur ce point Duprez Kokoreff et Weinberger (2001 p 308-313)
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laquo petits jeunes raquo reproduisent le mecircme parcours que leurs grands fregraveres
cinq ou dix ans plus tard Les produits consommeacutes indiquent certes des
speacutecificiteacutes le Subutex plutocirct que lrsquoheacuteroiumlne consommeacute dans la rue ou en
prison la cocaiumlne plus proche des galettes de crack que de la poudre Et
quand on suggegravere que finalement le parcours des grands fregraveres aurait
pu servir drsquoimage repoussoir et dissuader les plus jeunes Bruno preacutecise
Ouais mais justement yrsquoen a plein ici leurs fregraveres leurs fregraveres et mes copainseuhhellip ils les ont conseilleacutes jrsquoeacutetais en prison et tout leurs fregraveres et tout etmoi je les ai vus grandir Ils sont tous agrave lrsquoinfirmerie en train de se battrepour avoir leur Subutex Ils ont 20 ans
Des gens drsquoAsniegraveres
En plus des gens yrsquoen a un paquet drsquoAsniegraveres de Gennevilliers NanterreToute la banane du 92 jusqursquoagrave Chacirctillon Montrouge lagrave Toute la bananeelle est concerneacutee
Ils rentrent comment ces gens-lagrave
Ils rentrent comment en prison
Non ils commencent comment
Non eux ils ont voulu deacutepasser leurs fregraveres Leur fregravere a eacuteteacute consommateurEux ils se sont dit laquo On va pas faire la mecircme connerie que notre fregravereNous on va faire de lrsquoargent avec raquo Sauf que une fois qursquoils avaient leproduit et qursquoils ont commenceacute agrave vendre ils ont voulu goucircter et tac [tapedans les mains] (9 avril 2000)
Drsquoautres reacutecits drsquousagers font un constat similaire Les laquo petits jeunes raquo
sont loin drsquoavoir eacuteteacute dissuadeacutes par les laquo anciens raquo qui font figure aujourdrsquohui
de rescapeacutes des anneacutees sida Le message nrsquoest pas passeacute Lrsquoentreacutee se ferait
beaucoup plus souvent par le deal avant de laquo tomber dedans raquo agrave un moment
donneacute ndash ou pas
Lorsqursquoon lui demande si agrave son avis les laquo petits jeunes raquo ont suivi le
mecircme parcours que les membres de sa geacuteneacuteration Abdellah reacutepond
Crsquoest un peu diffeacuterent on peut pas dire je trouve que crsquoest diffeacuterent parceqursquoils ont lrsquoexemple devant eux Je les comprends pas ils ont lrsquoexempledevant eux ils ont des copains mecircme des fregraveres ils ont vu les ravages queccedila fait Moi jrsquoai connu des types de 22 23 24 ans ils venaient me fairela morale [hellip] Je les revoyais pas pendant un moment je rentrais en prisonet jrsquoapprenais un peu plus tard que ce type eacutetait lui-mecircme tombeacute dans lacame Parce qursquoil a commenceacute agrave en avoir dans les mains il a commenceacuteagrave vendre avec des rentreacutees drsquoargent mortelles Et puis un jour peut-ecirctre parcuriositeacute ou quoi que ce soit il en a sniffeacute et voilagrave Et apregraves crsquoest lrsquoengrenage(15 deacutecembre 1998)
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64 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce type de reacutecit nrsquoaccreacutedite-t-il pas le scheacutema fataliste de la
toxicomanie Mais les dimensions territoriales des trafics sont aussi agrave
prendre en compte afin de saisir la singulariteacute des carriegraveres En effet avoir
grandi dans un quartier connu pour ecirctre un lieu de deal drsquoheacuteroiumlne nrsquoest
pas sans conseacutequences par rapport agrave une socialisation au sein de quartiers
speacutecialiseacutes dans les laquo petits bizness de shit raquo Bruno deacutecrit tregraves bien lagrave aussi
cette opposition entre deux types de quartiers drsquoambiances et de bizness
Moi je jouais encore au bac agrave sable hein quand yrsquoen a qui venaient acheterde la came Apregraves jrsquoai habiteacute dix ans agrave cocircteacute de lrsquoeacuteglise Et apregraves les grandsils sont partis aux Oiseaux Aux Oiseaux il nrsquoy avait pas de came Alorscrsquoest une citeacute yrsquoen a partout autour mais il nrsquoy a jamais eu de came Yrsquoaque du shit
Et depuis tregraves longtemps
Et depuis tregraves longtemps Yrsquoa jamais eu de problegravemes Bon deux ou troispetits serrages comme ccedila Mais crsquoest du cannabis crsquoest tout Alors queAsniegraveres au L crsquoest rempli rempli que de came hein
Et les Oiseaux crsquoest plutocirct une famille qui controcirclait un peu lemarcheacute ou crsquoeacutetaient plusieurshellip
Oh non Lagrave crsquoeacutetait un peu tout un peu tout le monde Crsquoeacutetait du petitbizness quoi Bon yrsquoavait deux ou trois familles qui avaient un peu lemonopole ils avaient un peu plus drsquoargent ou ils achetaient un peu plusMais ce qui est bien crsquoest qursquoil nrsquoy avait que du cannabis Yrsquoa pas eude morts yrsquoa pas eu dehellip alors que bon au L yrsquoen a eu des morts(9 avril 2000)
Il nrsquoest pas question drsquoen conclure que grandir dans tel ou tel type
de quartier preacutedeacutetermine les carriegraveres dans la consommation et le trafic
On pourrait neacuteanmoins avancer la notion de laquo carriegraveres de quartier raquo qui
interagissent avec la trajectoire des personnes impliqueacutees
242 LES HIEacuteRARCHIES INFORMELLES
Si lrsquoon voit donc agrave partir des entretiens reacutealiseacutes que les cheminements dans
le monde populaire des drogues ne sont pas identiques selon les cohortes
ou les geacuteneacuterations consideacutereacutees il apparaicirct aussi que les positions occupeacutees
dans le trafic ne sont pas homogegravenes En effet la cateacutegorie de laquo trafic raquo et
plus encore celle de laquo trafiquants raquo sont peu opeacuteratoires pour rendre
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compte de la diversiteacute des formes de trafic agrave lrsquoeacutechelon local Il convient
aussi de consideacuterer la diffeacuterenciation des engagements et des positions
acquises les hieacuterarchies internes et les itineacuteraires qursquoelles dessinent23
Nous avons souvent eu lrsquooccasion de le constater lors de nos enquecirctes
les toxicomanes et les grossistes nrsquoappartiennent pas au mecircme monde
social Ils ne se connaissent pas directement puisque les usagers ont prin-
cipalement affaire aux revendeurs de rue De leur cocircteacute les grossistes
eacutevitent de se faire repeacuterer dans la rue et souvent nrsquohabitent plus sur
place Crsquoest aussi la nature des relations entre usagers revendeurs et gros-
sistes qui explique cette diffeacuterenciation Par exemple Bruno eacutevoquant les
formes drsquoentraide preacutecise
Tu vois quand le gros a donneacute plusieurs petits paquets aux jeunes de20 ans si yrsquoa un jeune qui tombe normalement le gros il envoie un petitmandat tous les mois mais ce nrsquoest pas mon monde agrave moi ccedila moi je suisde lrsquoautre cocircteacute moi je suis client donc moi personne ne mrsquoaide du fait quejrsquoai plus drsquoamis plus de famillehellip (15 deacutecembre 1998)
Sans doute la position occupeacutee par Bruno deacutesaffilieacute par excellence
renforce-t-elle cette distance entre ces deux mondes lrsquoun ougrave la regravegle est
de venir en aide en cas de coup dur lrsquoautre ougrave lrsquoabsence de solidariteacute est
deacutecrite comme la regravegle Cela eacutetant lrsquoabsence de liens directs nrsquoempecircche
pas de savoir comment les choses se passent comment la marchandise est
acheteacutee partageacutee distribueacutee agrave lrsquoeacutechelle drsquoun deacutepartement quelles rela-
tions les grossistes entretiennent entre eux
De toute faccedilon yrsquoa des gens qui leur apportent qui sont en haut quoi Jrsquoenconnais pas personnellement mais je sais comment que ccedila se passe quoiIls se teacuteleacutephonent ils en prennent 100 grammes 200 grammes ccedila deacutependquoi et puis des fois ils se mettent mecircme agrave plusieurs pour voir si bonhellipils se mettent agrave plusieurs puisque y a des grossistes qui vendent ils disent laquo Moi je ne vends pas en dessous de 100 grammes ou en dessous de500 grammes raquo Le minimum que tu peux prendre crsquoest 500 grammes situ viens pour 100 300 grammes il va te dire laquo Non moi je vends pasccedila 100 100 grammes si tu veux un demi-kilo ou un kilo raquo Alors ils semettent agrave plusieurs et puis apregraves ils se partagent ils se partagent lamarchandise et chacun va avoirhellip Lrsquoautre il est agrave Asniegraveres il vend agraveAsniegraveres lrsquoautre agrave Nanterre il vend agrave Nanterre celui drsquoArgenteuil il vendagrave Argenteuil crsquoest comme ccedila [hellip]
23 On srsquoinspire ici de lrsquoarticle de Hughes sur les carriegraveres reacutedigeacute en 1958 qui soulignenotamment que laquo Certains meacutetiers se trouvent dans des systegravemes qui offrent de nom-breuses ouvertures sur drsquoautres systegravemes connexes et sur le public lorsque quelqursquounarrive au terme drsquoune eacutetape de sa carriegravere il peut ecirctre transfeacutereacute vers une position danslrsquoun de ces systegravemes connexes raquo (Hughes 1958 p 182)
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Et ces gens-lagrave qui vendent en semi-gros disons ils habitent dansle quartier
Voilagrave des fois ils habitent dans le quartier bon crsquoest des gens trsquoas mecircmepas tu soupccedilonnerais mecircme pas Des gens des pegraveres de famille avec desenfants jrsquoen ai vus jrsquoen ai connus deux ou trois je suis resteacute eacutebahi sur lecoup Jrsquoai dit laquo Non crsquoest pas possible raquo Et puis jrsquoai remarqueacute qursquoen finde compte jrsquoai vu qursquoils avaient raison parce que jrsquoai remarqueacute un peuson manegravege une fois que jrsquoentends parler de plus [drsquoune] personne onsurveille du coin de lrsquoœil plus ou moins et puis jrsquoai remarqueacute qursquoils avaientraison crsquoest des gens insoupccedilonnables qui font ccedila une paire de fois pen-dant une certaine peacuteriode pendant deux trois mois Ils font ccedila avec leurpetit paquet drsquoargent Apregraves tu nrsquoentends plus parler drsquoeux Trsquoen asdrsquoautres ccedila se prolonge et ils font ccedila longtemps jusqursquoau jour ougrave il leurarrive une galegravere [hellip]
Et au-dessus drsquoeux
Au-dessus drsquoeux [il siffle]
Ccedila vient drsquoougrave
Ben ccedila vient de Lille ccedila pratiquement de Lille Lagrave-bas les gens ils vontagrave Lille hein Trsquoas des tas de gens qui vont lagrave-bas agrave Amsterdam ils vontlagrave-bas ils ils vont ils vont faire des ils vont prendre simplement descontacts et puis apregraves ils cherchent des passeurs ils cherchent carreacutement despasseurs et puis qui font passer la came pour eux et voilagrave Et le type ilreste il reste lagrave il est derriegravere il est pas loin il suit la cargaison euh agravevue drsquoœil quoi il va chercher de la blanche euh crsquoest ce qui marche lemieux ccedila crsquoest la blanche hein parce que agrave Paris y a de la brune et euhmais euh les gens ils sont pas attireacutes hein la plupart ils veulent tous dela blanche Asniegraveres Nanterre euh Argenteuil voilagrave Et bon de toutefaccedilon geacuteneacuteralement elle est tregraves organiseacutee puisqursquoils sont tregraves discrets desfois ils font ccedila pas longtemps et quand ils font des transactions crsquoest unefois tous les trois mois tous les six mois (15 deacutecembre 1998)
Cette longue citation souligne les diverses positions occupeacutees dans
lrsquoorganisation des trafics Il nrsquoest pas dans notre intention drsquoalimenter les
repreacutesentations communes ou institutionnelles de trafics organiseacutes dans
les citeacutes selon un modegravele pyramidal avec ses laquo petits soldats raquo faisant
tampon et ses laquo grosses tecirctes raquo Bien souvent ce que lrsquoon peut observer agrave
lrsquoeacutechelle locale ce sont des microreacuteseaux peu ou pas ramifieacutes entre eux
qui cohabitent dans lrsquoespace Agrave un niveau supeacuterieur plutocirct qursquoagrave de veacuteri-
tables filiegraveres organiseacutees on a affaire agrave des trafics de fourmis agrave lrsquoimage
de ceux entre la Hollande et le Nord de la France ou de ceux entre le
Maroc et la France Cela eacutetant la professionnalisation du trafic deacutecrite
plus haut a aussi conduit agrave un renforcement de la division du travail avec
une multipliciteacute des rocircles qui rendent possibles tant la distribution (pas-
seurs convoyeurs intermeacutediaires responsables et gardiens des stocks) la
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revente au deacutetail (guetteurs rabatteurs revendeurs) que la solvabilisation
des acheteurs (receleurs attitreacutes ou occasionnels banquiers de citeacute) sans
parler des rocircles lieacutes au blanchiment En outre on ne peut nier lrsquoexistence
de places fortes de la drogue qui possegravedent un rayon drsquoaction large ni
celle drsquoeacutequipes exerccedilant non seulement un controcircle de ces places mais
agrave travers elles un pouvoir reacuteel bien que mal connu Au sein des quartiers
ougrave nous avons enquecircteacute des rumeurs persistantes mentionnent des trafi-
quants notoires consideacutereacutes comme laquo intouchables raquo Ils beacuteneacuteficieraient de
protections au plus haut niveau et seraient precircts agrave srsquoengager dans le jeu
politique local Est-ce un mythe Faut-il consideacuterer qursquoau fond tous les
chemins megravenent en prison Le mythe nrsquoen perd pas moins son efficaciteacute
symbolique aupregraves des jeunes comme des moins jeunes agrave lrsquointeacuterieur et agrave
lrsquoexteacuterieur des quartiers
Il faudrait sans doute retracer les trajectoires des trafiquants qui
participent agrave ces marcheacutes illicites agrave cocircteacute de celles qui sont domineacutees par
la toxicomanie et lrsquoengagement dans le deal Ce qui permettrait drsquoaffiner
notre connaissance des mondes de lrsquoillicite et la classification des chemi-
nements sociobiographiques Mais la diversiteacute des parcours ne doit pas
nous deacutetourner des facteurs structurels qui leur sont sous-jacents On a
essayeacute de le montrer ces cheminements srsquoinscrivent dans un processus de
marginalisation sociale que ce soit sous la forme drsquoun destin collectif ou
drsquoune tentative de revalidation sociale Au sein de ce processus les logiques
sociales de lrsquoimmigration semblent avoir joueacute un rocircle non neacutegligeable
elles se sont traduites par un engagement massif de la seconde geacuteneacuteration
de lrsquoimmigration maghreacutebine dans ces carriegraveres Tout se passe comme si
les reacutepercussions du processus migratoire et des conditions de vie des
familles celles de la violence sociale subie tant agrave lrsquousine que dans les
habitats de fortune et agrave lrsquoeacutecole srsquoeacutetaient manifesteacutees agrave retardement au
tournant des anneacutees 1980 au moment ougrave la crise eacuteconomique commenccedilait
agrave faire ressentir ses effets
Cela eacutetant dit on ne peut oublier que les jeunes laquo beurs raquo ont eacuteteacute
socialiseacutes dans le mecircme contexte que les jeunes Franccedilais dits de laquo souche raquo
et qursquoeux-mecircmes ont eacuteteacute aussi particuliegraverement toucheacutes par la diffusion
de lrsquoheacuteroiumlne et le sida Le mecircme constat peut ecirctre fait en ce qui concerne
les reacuteseaux de trafic on constate au niveau des semi-grossistes comme des
chefs de clan une mixiteacute sur le plan ethnique Historiquement dans le
secteur eacutetudieacute les premiegraveres familles connues pour leur implication dans
le trafic eacutetaient franccedilaises Reste agrave savoir si les transformations urbaines et
sociologiques de ces anciens quartiers ouvriers tantocirct vers une plus
grande mixiteacute sociale tantocirct vers la constitution de niches ethniques
ajouteacutees aux effets pervers de lrsquoaction des services de police et de justice
ne contribuent pas agrave renforcer la stigmatisation des populations qui y vivent
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C
EacuteLINE
B
ELLOT
Eacutecole de service social Universiteacute de MontreacutealCICC
copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Lrsquoassociation entre la jeunesse et les pratiques deacuteviantes et deacutelinquantes
nrsquoest pas reacutecente La mise en place des institutions peacutenales pour jeunes
accompagne au
XIX
e
siegravecle la construction de la jeunesse comme une
cateacutegorie sociale speacutecifique (Gillis 1974 Laberge 1997 Fecteau 1998)
Cette coiumlncidence srsquoexplique par le fait que les transformations socieacutetales
(industrialisation immigration notamment) ont contribueacute agrave lrsquoeacutemergence
de groupes drsquoenfants qui posaient problegraveme notamment en raison de leur
preacutesence dans les rues des villes (Meacutenard et Strimelle 2000) Or les muta-
tions sociales reacutecentes coiumlncident aussi avec une transformation profonde
de lrsquoexpeacuterience de la jeunesse dans son ensemble Ainsi les eacutetudes meneacutees
depuis vingt ans montrent un allongement de cette peacuteriode de vie (Galland
1991 Gauthier 2000) De la mecircme faccedilon les difficulteacutes drsquoinsertion sociale
et professionnelle des jeunes ont contribueacute agrave lrsquoapparition de nouvelles
preacuteoccupations agrave lrsquoeacutegard de la preacutesence de groupes de jeunes dans les
rues des centres-villes (Laberge et Roy 1994)
Dans ce contexte la compreacutehension des jeunes qui vivent dans la
rue permet drsquoune part de faire eacutetat de certaines transformations de la
jeunesse notamment au regard des difficulteacutes drsquoinsertion dont elle fait
lrsquoexpeacuterience et drsquoautre part de consideacuterer les pratiques de reacutegulations
sociales mises en place pour faire face agrave ce pheacutenomegravene Donnant suite agrave
une recherche ethnographique sur les jeunes en situation de rue
1
une
analyse des trajectoires de rue des jeunes a permis de rendre compte de
la diversiteacute des situations tant sur le plan des expeacuteriences que reacutealisent
les jeunes que sur le plan des interventions dont ils font lrsquoobjet
Lrsquoobjectif de ce chapitre consiste drsquoabord agrave examiner le concept de
trajectoire et son utilisation dans les eacutecrits criminologiques pour ensuite
preacutesenter les reacutesultats drsquoune eacutetude portant sur les jeunes en situation de rue
en faisant eacutetat des diffeacuterents types de trajectoires de rue qursquoils peuvent vivre
31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE
DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE
Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans les analyses de la jeunesse et
de la deacutelinquance juveacutenile est courante La trajectoire se deacutefinit alors
comme une finaliteacute de recherche qui permet de caracteacuteriser lrsquoidentiteacute de
1 Nous utiliserons le terme de jeune en situation de rue au lieu de celui de jeune de larue parce que nous souhaitons eacuteviter drsquoune part le rapport stigmatisant et stigmatiseacutedes jeunes agrave cet espace et drsquoautre part la reacuteduction de leur expeacuterience agrave un liendrsquoappartenance agrave la rue Pour plus de preacutecisions voir Bellot (2001)
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lrsquoindividu et son eacutevolution au regard de son statut de ses conduites de
sa position sociale de ses relations Ce concept a cependant autant servi
pour les theacuteories drsquoinspiration structuraliste voire culturaliste que pour
les theacuteories drsquoinspiration interactionniste (Dubar 1998) Ici la trajectoire
sera utiliseacutee comme un outil analytique pour faire le pont entre lrsquoacteur
et la structure dans le cadre drsquoune perspective de la structuration (Bellot
2000) Cependant avant de preacutesenter cette nouvelle deacutefinition concep-
tuelle il importe de revenir sur les autres utilisations du concept de tra-
jectoire dans la mesure ougrave celles-ci demeurent des sources drsquoinspiration
311 L
A
TRAJECTOIRE
OBJECTIVE
Comme les analyses structuralistes ont pour objectif de faire eacutetat des
conditions de production et de reproduction sociale le concept de trajec-
toire rend ici compte des eacuteleacutements deacuteterminant la destineacutee des individus
Cette lecture qualifieacutee drsquoobjective par Dubar (1998) retranscrit donc
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un statut particulier ou agrave une classe sociale
et agrave son eacutevolution Si elle srsquointeacuteresse au changement cette conception de
la trajectoire lit la diffeacuterence entre le point de deacutepart et celui drsquoarriveacutee
observeacute chez lrsquoindividu en termes de rocircles de statuts drsquoactiviteacutes Il srsquoagit
dans cette optique non pas drsquoignorer totalement la place de lrsquoacteur dans
la construction de sa trajectoire de vie mais de consideacuterer plutocirct que celle-ci
est largement encadreacutee par des structures qui la profilent
Le programme analytique consiste donc agrave deacutefinir diffeacuterentes formes
de trajectoires types theacuteoriques susceptibles par la suite de retracer le
cheminement singulier des individus Cette maniegravere de conceptualiser la
trajectoire contribue selon Bourdieu (1986) agrave marquer lrsquoillusion biogra-
phique puisque le modelage par lrsquoindividu de son identiteacute singuliegravere ne
peut se faire que dans le cadre deacutetermineacute par les institutions que celui-ci
freacutequente
En criminologie la lecture deacuteveloppementale utilise la trajectoire
pour expliquer comment et dans quelle mesure se deacuteveloppent les conduites
deacuteviantes et deacutelinquantes (Le Blanc et Loeber 1998) Elle montre par
exemple comment les conditions deacutefavorables de lrsquoenfance viennent anti-
ciper les difficulteacutes de lrsquoadolescence et de la vie adulte Agrave ce titre la lecture
des trajectoires des individus srsquoinscrit dans un cadre drsquoanalyse ougrave il srsquoagit
drsquoidentifier les facteurs de risque qui contribueront agrave preacutedire lrsquoadoption
par les personnes de comportements qualifieacutes de deacuteviants ou de deacutelin-
quants en deacuteterminant notamment la propension de ces personnes agrave
adopter de tels comportements (Gottfredson et Hirschi 1990) La lecture
de la deacutesorganisation sociale familiale ou individuelle constitue ici une
assise pour consideacuterer la faiblesse drsquoun capital social et culturel heacuteriteacute
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
comme un handicap de la trajectoire de vie du jeune dans la mesure ougrave
il construit une inadaptation sociale du jeune Pour les jeunes de la rue
les analyses de Whitbeck et Hoyt (1999) mentionnent les enjeux des cycles
de vie intergeacuteneacuterationnels reproduisant les conditions de pauvreteacute agrave lrsquoori-
gine des diffeacuterentes formes de fragilisation que connaicirctront les jeunes et
qui porteront atteinte agrave la reacutealisation drsquoune socialisation adeacutequate
Sampson et Laub (1993) viendront renforcer la pertinence de lrsquouti-
lisation du concept de trajectoire de maniegravere objective en deacutemontrant
lrsquoexistence drsquoeffets drsquointeraction entre les diverses expeacuteriences que doivent
vivre les jeunes Cette lecture dynamique introduite dans la perspective
deacuteveloppementale aura pour conseacutequence de lire dans une dimension
temporelle les jeux de continuiteacute et de changement qui tracent la trajec-
toire Ainsi srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la trajectoire il faut rete-
nir quelles sont les expeacuteriences qui renforcent ou au contraire freinent la
propension agrave la deacutelinquance observeacutee (Lanctocirct 1999) Cette maniegravere de
consideacuterer lrsquoeacutevolution des trajectoires sort de la perspective strictement
structuraliste pour faire une place agrave lrsquoacteur dans la consideacuteration de sa
trajectoire Cependant elle precircte peu drsquoattention au sens que lrsquoindividu
donne agrave ses gestes et agrave la deacutefinition sociale de ces gestes La perspective
interactionniste viendra combler ces limites en retenant lrsquoideacutee drsquoune tra-
jectoire en construction Dubar (1998) affirme ainsi que pour parvenir agrave
une lecture complexe des trajectoires de vie il faut eacutegalement srsquointeacuteresser
agrave la compreacutehension des trajectoires subjectives
312 L
A
TRAJECTOIRE
SUBJECTIVE
Contre toute conception substantielle du sujet ou de la socieacuteteacute les interac-
tionnistes srsquoefforcent de construire une conception relationnelle ougrave non
seulement lrsquoindividu et la socieacuteteacute sont interdeacutependants mais se constituent
lrsquoun par lrsquoautre (de Queiroz et Ziolkovski 1994 p 17)
Si dans la trajectoire objective la lecture du temps se fait autour du
cumul et de la reacutepeacutetition des situations en vue de caracteacuteriser les chan-
gements et les continuiteacutes la trajectoire subjective donne accegraves au travail
inteacuterieur fait par lrsquoindividu de construction de son identiteacute
Il srsquoagit donc de saisir la mise en mots du parcours biographique
mise en mots qui donne accegraves agrave la logique des neacutegociations identitaires
de lrsquoindividu Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindividu aux
rencontres qursquoil fait ou non et aux interactions qursquoil vit Ces reacuteactions que
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la plupart des auteurs (Bergier 1992 Vexliard 1957) expriment en termes
drsquoeacutetapes de la reacutesistance agrave la reacutesignation en passant par lrsquoadaptation
relegravevent le plus souvent drsquoune vision lineacuteaire et seacutequentielle de la
trajectoire de vie
Ainsi la succession des places occupeacutees au cours drsquoune vie nrsquoestpas seulement une seacuterie de deacuteplacements objectifs de positionsdans lrsquoespace social mais simultaneacutement un replacement delrsquoimage de soi exigeant un travail biographique de mise en coheacute-rence des diffeacuterents aspects du moi (De Queiroz 1996 p 297)
Ce point de vue srsquoil rappelle que dans sa routine quotidienne
lrsquoindividu cherche autant agrave se creacuteer qursquoagrave assurer une continuiteacute avec ce
qursquoil eacutetait a contribueacute agrave associer le concept de trajectoire agrave celui de
carriegravere (Becker 1963) et drsquoidentiteacute (Strauss 1959)
Or il importe ici de consideacuterer que le concept de carriegravere postulant
une progressiviteacute dans la trajectoire de vie drsquoun individu emprisonne la
situation sociale agrave lrsquoeacutetude dans un univers particulier et singulier En effet
consideacuterer la carriegravere du deacuteviant crsquoest retenir qursquoil nrsquoa qursquoune identiteacute
celle de deacuteviant et que la trajectoire de vie ne srsquoinscrit que dans ce rapport
social (Duprez et Kokoreff 2000)
En retenant les deux utilisations du concept de trajectoire objective
et subjective pour les unir dans une perspective de la structuration telle
que Giddens (1987) la deacutefinit la recherche sur les jeunes en situation
de rue que nous avons meneacutee srsquointeacuteressait agrave faire ressortir la marge de
manœuvre de ces jeunes dans la construction de leur trajectoire Sortant
ainsi de lrsquoimage du jeune victime pour qui la situation est imposeacutee ou
de lrsquoimage du jeune deacutelinquant pour qui la situation est choisie lrsquoancrage
de la structuration permet de lire lrsquoaction des jeunes dans leur rapport
aux contraintes et aux opportuniteacutes qursquoils rencontrent
313 L
A
TRAJECTOIRE
DE
RUE
DANS
UNE
ANALYSE
DE LA STRUCTURATION
Inteacutegrer la lecture de la moderniteacute avanceacutee en ce qui a trait aux enjeux
lieacutes agrave lrsquoincertitude et aux risques dans la compreacutehension drsquoune trajectoire
de vie doit donner lrsquooccasion de srsquoeacuteloigner drsquoune vision lineacuteaire drsquoune
trajectoire de vie qui tend agrave deacutefinir la reacuteussite ou lrsquoeacutechec biographique
au plan des positions sociales pour parvenir au contraire agrave la compreacutehen-
sion de la nature parcellaire fragmenteacutee et construite de lrsquoexpeacuterience
reacuteveacuteleacutee par le quotidien et les rapports sociaux (Dubet 1994 Maffessoli
1994) Dans ce contexte lire une trajectoire de rue crsquoest srsquointeacuteresser au
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
chemin parcouru par ces jeunes dans lrsquoespace physique mais aussi social
qursquoest la rue en tant qursquoexpeacuterience biographique Crsquoest srsquointeacuteresser aussi
aux rapports identitaires construits entre deacuteviance et conformiteacute
La trajectoire permet alors de composer avec la dialectique entre
lrsquoacteur et la structure la contrainte et lrsquoaction la continuiteacute et le chan-
gement en appreacutehendant dans une perspective des cycles de vie
(life courseperspective)
les points tournants les eacuteveacutenements les mouvements enga-
geant les individus dans des lignes drsquoaction et biographique particuliegraveres
(Ogien 1995) Dans le cadre de la lecture de la trajectoire Jones (1997)
montre ainsi qursquoil est important de consideacuterer
[hellip]
That individual life-courses are led along a ldquoreflexive biographyrdquo(Giddens 1991 1994) in which there is a dynamic interaction betweenagency (self-determination and choice) and structure (affecting inequalityand constraint)
(Jones 1997 p 100)
Dans cette perspective la lecture des situations que les acteurs deacutefi-
nissent comme des eacuteveacutenements cleacutes devient cruciale (Leclerc-Olive 1998)
Les reacuteflexions de Ulmer (2000) sur le concept de
commitment
montrent en
outre comment ce concept vient appuyer dans une lecture de la trajec-
toire les logiques drsquoaction des individus dans leurs constances comme
dans leurs transformations La perspective inteacutegrative qursquoil adopte lui per-
met en outre drsquoenvisager lrsquoengagement dans une voie deacuteviante de la
mecircme faccedilon que dans une voie conventionnelle Il srsquoagit de saisir comment
laquo
opportunities structures do not determine action but set constraints within whichactors make choices on the basis of their definitions
raquo (Ulmer 2000 p 320)
Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans une analyse ancreacutee dans
la theacuteorie de la structuration permet ainsi de faire ressortir les logiques
drsquoaction qui preacutevalent dans le quotidien mais aussi de consideacuterer comment
les expeacuteriences de rue srsquoeacutetablissent dans un univers des possibles qui se
construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les eacuteveacutenements srsquoenchacircssent
et que les rencontres avec les autres se reacutealisent ou non que les rapports
sociaux structurent ou non la dialectique deacutevianceconformiteacute
32 MEacuteTHODOLOGIE
La deacutemarche meacutethodologique srsquoappuie sur une approche ethnographique
de la rue baseacutee sur deux principaux outils de collecte utiliseacutes de maniegravere
compleacutementaire lrsquoobservation participante et les reacutecits de vie (Jamoulle
2000)
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Lrsquoobservation participante srsquoinscrit dans une volonteacute de partir agrave la
rencontre drsquoun monde particulier celui des jeunes en situation de rue qui
freacutequentent le centre-ville de Montreacuteal Ce terrain de recherche srsquoest ainsi
construit autour drsquoune immersion le plus souvent nocturne dans le milieu
de ces jeunes au fur et agrave mesure que la confiance se gagnait et que la
reacuteciprociteacute des liens permettait des eacutechanges de qualiteacute Au-delagrave de
lrsquoimmersion et des liens bacirctis le temps passeacute sur le terrain constitue la cleacute
qui permet de consideacuterer la compreacutehension reacuteelle du chercheur des
valeurs des repreacutesentations des codes des pratiques du milieu observeacute
En passant trois ans (du printemps 1996 au printemps 1999) dans le
centre-ville agrave freacutequenter les espaces investis par les jeunes (parcs stations
de meacutetro couloirs souterrains
squats
appartements organismes) nous
avons pu veacuteritablement plonger dans le quotidien de ces jeunes mais aussi
suivre leur eacutevolution tant sur le plan individuel que sur le plan collectif
Les temps drsquoobservations ont eacuteteacute variables allant de un ou deux jours en
hiver agrave cinq jours en eacuteteacute ce qui nous a permis de partager le quotidien
de plus drsquoune centaine de jeunes
La reacutealisation de 22 entretiens biographiques a donneacute lrsquooccasion de
mettre la rue provisoirement agrave distance pour que les jeunes se racontent
En effet lrsquourgence la survie lrsquoaleacuteatoire lrsquoincertitude de la rue rendent
parfois difficile un reacutecit de soi un reacutecit sur soi Dans ce contexte ce
moment a eacuteteacute perccedilu comme un espace-temps ideacuteal pour se raconter dans
lrsquointimiteacute drsquoun espace priveacute sans les aleacuteas de la vie dans lrsquoespace public
qursquoest la rue Sur ces 22 entretiens 14 ont eacuteteacute conduits aupregraves de jeunes
avec qui nous avions preacutealablement eacutetabli des liens privileacutegieacutes sur le ter-
rain Le recrutement de ces jeunes a eacuteteacute organiseacute de faccedilon agrave obtenir la
plus grande diversiteacute possible drsquoexpeacuteriences de rue Ainsi certains tout
juste arriveacutes nous racontaient le passage agrave la rue alors que drsquoautres
complegravetement engageacutes dans le monde de la rue nous preacutecisaient leur
trajectoire dans ce milieu drsquoautres enfin eacutetaient deacutejagrave sur une trajectoire
de sortie de la rue et dressaient dans cet entretien une sorte de bilan de
leurs expeacuteriences passeacutees Lrsquoacircge moyen des jeunes rencontreacutes eacutetait autour
de 20 ans et la dureacutee dans la rue variait entre un mois et quatre ans Le
tiers des entrevues a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves de jeunes filles Toutes ces entre-
vues ont eacuteteacute enregistreacutees retranscrites inteacutegralement et ont fait lrsquoobjet
drsquoune analyse agrave partir des eacuteveacutenements cleacutes nommeacutes par les jeunes On
entendait ainsi deacutegager non seulement les lignes de continuiteacute et de chan-
gement dans leur biographie de mecircme que le sens qursquoils accordaient agrave
leurs gestes et expeacuteriences mais aussi les logiques drsquoaction et de leacutegitima-
tion que ces jeunes utilisaient
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
De ce volumineux mateacuteriel drsquoenquecircte il a eacuteteacute notamment possible
de retenir trois grandes formes de trajectoires de rue en fonction desquelles
on tente de rendre compte de lrsquoexpeacuterience biographique que vivent les
jeunes entre opportuniteacutes et contraintes entre deacuteviance et conformiteacute
entre passeacute et preacutesent entre preacutesent et futur mais aussi entre stigmatisa-
tion et conventionnaliteacute (Soulet 2002)
33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES
La preacutesentation de ces trois formes de trajectoires de rue ne constitue pas
une maniegravere de diviser le groupe des jeunes en situation de rue en trois
cateacutegories Elle indique simplement qursquoil existe trois types distincts de
rapports agrave la rue rapports qui peuvent se succeacuteder dans la trajectoire drsquoun
jeune et qui tissent diffeacuterentes expeacuteriences biographiques Ces diffeacuterents
rapports ont cependant en commun drsquoenvisager la rue comme un simple
passage Cette lecture dynamique de lrsquoinscription dans le monde social de
la rue met en lumiegravere les enjeux de continuiteacute de rupture et de progres-
sion que vit le jeune en utilisant la rue comme espace de vie Du jeune
venu passer lrsquoeacuteteacute au centre-ville au jeune qui est inteacutegreacute dans le monde
social de la rue depuis plusieurs anneacutees la reacutealiteacute est diverse et complexe
Il importe de la consideacuterer comme telle pour eacuteviter les simplifications
extrecircmes sur lesquelles se construisent parfois des logiques drsquointervention
inapproprieacutees
En preacutesentant les diffeacuterents types de trajectoires ndash eacutepisode transi-
tion enfermement ndash une attention particuliegravere sera donc porteacutee agrave lrsquohis-
toire de vie anteacuterieure agrave lrsquoorganisation quotidienne qui a cours dans cette
trajectoire aux neacutegociations identitaires que le jeune utilise agrave la maniegravere
dont il construit son expeacuterience biographique et aux rapports qursquoil tisse
avec les autres acteurs (pairs et adultes)
331 L
A
RUE
UN
EacutePISODE
Sonia est arriveacutee dans la rue en avril 1997 Elle a commenceacute par venir une
fin de semaine avec une amie au centre-ville Puis apregraves deux fins de
semaine elle est resteacutee dans la semaine Elle explique ce changement dans
sa vie par le fait qursquoayant abandonneacute son secondaire elle a tenteacute de cher-
cher du travail mais sans succegraves Comme elle srsquoennuie chez elle et que
ses parents lui disent sans cesse de faire quelque chose elle trouve que la
rue lui permet de rencontrer du monde et de srsquoeacuteloigner de la pression
que lui imposent ses parents Finalement elle va rester dans la rue agrave partir
du mois de juin teacuteleacutephonant de temps en temps agrave ses parents en reacutegion
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Elle se tient principalement dans le parc Pasteur Apregraves lrsquoavoir rencontreacutee
au deacutebut de juin je ne la reconnaicirctrai pas une semaine plus tard telle-
ment la transformation est grande Elle a teint ses cheveux a un
piercing
au nez et dans la langue habilleacutee avec des vecirctements noirs laquo patcheacutes raquo
pour mrsquoexpliquera-t-elle laquo devenir
punk
raquo elle srsquoest inteacutegreacutee au groupe
qui freacutequente le parc Pasteur Elle me preacutesente une nouvelle amie qui
lrsquoheacuteberge La semaine suivante elle me raconte en deacutetail sa freacutequentation
des ressources centre de jour maison drsquoheacutebergementhellip Et puis elle a
ajouteacute un eacuteleacutement agrave sa tenue un
squeegee
dont elle nrsquoa pas lrsquoair de srsquoecirctre
servi souventhellip Je vais la suivre tout lrsquoeacuteteacute et nos rencontres seront toujours
lrsquooccasion pour elle de raconter ses nouvelles expeacuteriences drogues
musique politique attitudeshellip Pourtant degraves les premiers signes de la
rentreacutee scolaire elle commence agrave srsquointerroger Elle devrait retourner finir
son secondaire Elle aimerait ccedila aider les autres et devenir intervenante
Elle va disparaicirctre en septembrehellip et reacuteapparaicirctre en juin lrsquoanneacutee sui-
vante Elle raconte que son anneacutee a eacuteteacute difficile elle est eacutecœureacutee de
lrsquoeacutecole de ses parents nrsquoa pas trouveacute de travail pour lrsquoeacuteteacute Elle freacutequente
un groupe de jeunes vendeurs de drogues elle devient la blonde drsquoun
vendeur Il nrsquoest plus question drsquoecirctre
punk
ni mecircme de faire du
squeegee
elle dit ecirctre laquo tanneacutee drsquoecirctre pauvre raquo Elle va srsquoinitier agrave la cocaiumlne qursquoelle
inhale parce que son
chum
lui en donne Elle fait des commissions pour
lui et srsquoachegravete plein de nouveaux vecirctements Cette anneacutee lrsquoimportant
crsquoest la tenue la plus
fresh
possible Quinze jours plus tard elle sera ven-
deuse sur un quart de travail parce que de toute faccedilon elle est lagrave avec
son
chum
alors autant en profiter pour faire de lrsquoargent Elle consomme
de plus en plus pour rester le plus possible dans la rue la cocaiumlne lui
permettant de demeurer plus longtemps eacuteveilleacutee et en peacuteriode drsquoeupho-
rie Deux jours apregraves notre derniegravere rencontre elle a commenceacute agrave srsquoinjec-
ter Agrave la fin de septembre il nrsquoest pas question de sortir de la rue pour
revenir au monde conventionnel laquo il faut trouver un appartement et pour
le payer il faut vendre raquohellip
Ce reacutesumeacute de la trajectoire de Sonia que nous avons suivie durant
plus de trois ans srsquoarrecircte au moment ougrave sa trajectoire se transforme pour
sortir de lrsquoeacutepisode Pourtant elle est caracteacuteristique le premier eacuteteacute de la
trajectoire de rue de la plupart des jeunes rencontreacutes Agrave ce titre ces jeunes
vont avoir une trajectoire de rue qursquoils deacutefinissent par lrsquoexpeacuterience initia-
tique la rencontre avec la marginaliteacute et lrsquoeacutemancipation Il srsquoagit de sortir
du moule traditionnel des jeunes chez leurs parents ou drsquoun milieu subs-
titut La rue devient lrsquoespace de lrsquoeacutemancipation et de lrsquoexpeacuterimentation
Deacutecrire la trajectoire de rue de certains jeunes sous la forme drsquoun
eacutepisode consiste agrave rendre compte de la nature eacutepheacutemegravere de la vie de
rue telle qursquoils lrsquoenvisagent Cette trajectoire de rue demeure la plus
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
freacutequente dans la mesure ougrave la plupart des jeunes sans parler de ceux
qui restent moins de 72 heures passent au plus une saison dans la rue
Dans cette perspective la logique de lrsquoeacutepisode prend une couleur initia-
tique ougrave le jeune fait lrsquoexpeacuterience dans la rue de conduites attitudes et
rapports sociaux qursquoil ne connaissait pas toujours avant dans un espace
qui symbolise le plus souvent celui de la marginaliteacute Agrave cet eacutegard il importe
ici de lire lrsquoinsertion dans le monde social de la rue comme une pratique
urbaine juveacutenile au mecircme titre que le graffiti le
skate
hellip Il convient de
saisir le caractegravere momentaneacute de cette pratique associeacute agrave un espace deacutefini
socialement comme un espace transgresseur Drsquoailleurs les jeunes attri-
buent alors un sens heacutedoniste agrave la rue qui marque le plus souvent une
coupure avec leurs expeacuteriences anteacuterieures faites drsquoeacutechecs de souffrances
de difficulteacutes (Bellot 2001)
2
Cependant il importe de dire que malgreacute sa nature circonscrite
cette trajectoire est veacutecue de maniegravere tregraves intense par les jeunes qui
renonccedilant agrave tout rythme quotidien vivent au greacute de leurs envies et des
contraintes La plupart des jeunes revendiquent ici le droit de vivre lrsquoeacuteteacute
de leur jeunesse en paix sans autre consideacuteration
Cet eacutepisode srsquoil circonscrit la trajectoire de rue comme une expeacute-
rience biographique limiteacutee dans le temps srsquoaccompagne cependant de
transformations importantes de lrsquoidentiteacute individuelle et sociale du jeune
Le travail sur lrsquoimage de soi commence par le changement de lrsquoallure
geacuteneacuterale (transformation vestimentaire
piercing
coloration des cheveux)
Ces transformations peuvent ecirctre radicales ou venir renforcer un style deacutejagrave
preacutesent Elles indiquent le plus souvent agrave Montreacuteal la volonteacute drsquointeacutegrer
une culture
punk
culture qui paraicirct repreacutesenter la culture de rue pour
les jeunes au moment de la reacutealisation de ce terrain de recherche Le
passage drsquoune culture
punk
agrave drsquoautres laquo formes de cultures jeunes raquo marque
aussi lrsquoeacutevolution collective du groupe des jeunes en situation de rue rue
qui paraicirct beaucoup plus diversifieacutee et fragmenteacutee en 1999 qursquoelle ne
lrsquoeacutetait au moment de mon entreacutee sur le terrain en 1996 Cette preacutesenta-
tion identitaire fortement ancreacutee dans une image
punk
srsquoestompera en
effet au fil des anneacutees et sera remplaceacutee par des cultures dont les codes
tenues valeurs et strateacutegies de survie tentent de rendre les jeunes moins
visibles pour eacuteloigner les interventions reacutepressives dont ils font lrsquoobjet dans
la mesure ougrave ils peuvent davantage se mecircler aux passants
2 Un chapitre de la thegravese est consacreacute agrave lrsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures agrave la rue etau moment du passage agrave la rue
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL
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copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Sylvie explique comment lrsquoanneacutee preacuteceacutedente au moment ougrave elle
freacutequentait les
punks
elle leur ressemblait mais cette anneacutee elle freacutequente
le groupe de vendeurs de drogues Voilagrave comment elle explique ce que
signifie ecirctre
punk
pour elle
Lrsquoanneacutee derniegravere jrsquome tenais avec les punks pis jrsquoeacutetais pas habilleacutee de mecircmeParce que les punks premiegraverement trsquosais crsquoest lrsquohabillement trsquosais lespatchs le linge tout croche des affaires de mecircme pis les cheveux de couleurPis un vrai punk la mentaliteacute elle est pas pareille Crsquoest la mentaliteacutedrsquolrsquoanarchie pas drsquoloi la liberteacute Ben moeacute je lrsquoai cette mentaliteacute-lagrave mecircmesi jrsquomrsquohabille pas de mecircme Pis crsquoest mieux pour la vente les cochons ilsfont moins attention agrave nous Deacutejagrave ils laissent plus tranquilles les fillesmais en mecircme temps moi je peux dire que jrsquosuis comme une eacutetudiante
Misant sur la liberteacute que repreacutesente cette culture
punk
les jeunes
lrsquoadoptent comme une sorte drsquoenveloppe identitaire qui correspond alors
au sens qursquoils donnent agrave leur expeacuterience de la rue
Durant les premiegraveres anneacutees de terrain le
squeegee
constituait aussi
lrsquoun des eacuteleacutements de la panoplie neacutecessaire agrave lrsquoidentiteacute de rue de ces
jeunes mecircme srsquoils ne lrsquoutilisaient pas Ainsi agrave cette eacutepoque (1995-1998)
ecirctre un jeune de la rue signifiait ecirctre un
squeegee
punk
si bien que cet
instrument comme la tenue vestimentaire constituaient les vecteurs les
plus parlant de lrsquoidentiteacute que souhaitaient preacutesenter ces jeunes Drsquoailleurs
cette identiteacute de circonstance eacutepisodique sera lrsquooccasion de logiques de
diffeacuterenciation entre jeunes Les jeunes les plus acircgeacutes se disent ainsi de
veacuteritables jeunes de la rue qui vivent en harmonie avec lrsquoensemble des
valeurs
punk
et font du
squeegee
une strateacutegie de survie alors que les jeunes
qursquoils nomment laquo les crevettes raquo ne seraient qursquoune pacircle imitation des
jeunes de la rue En effet on reproche agrave ces laquo crevettes raquo leur conversion
reacutecente et superficielle agrave la culture
punk
et le fait qursquoils fassent du
squeegee
pour gagner de lrsquoargent de poche dont ils nrsquoont pas besoin dans la
mesure ougrave ils ne vivraient pas une veacuteritable situation de survie
Vincent 21 ans trois ans de rue parlant de la diffeacuterence
entre les vrais et les crevettes
Lrsquoeacuteteacute on est plus nombreux parce qursquoy a beaucoup de crevettes lagrave commeon dit les jeunes qui viennent de la banlieue Pis eux crsquoest vraiment dutrouble Je trouve que ccedila fait bordel pour rien pis ccedila nous empecircche nousautres ceux qui sont tout le temps dans la rue tu sais parce que ccedila faittrop de monde qui quecircte pis qui demande de lrsquoargent alors qursquoeux autresleurs parents leur payent la majoriteacute de leurs affaires Je trouve que crsquoestcon ils devraient plus rester chez eux peut-ecirctre venir tripper au centre-villemais qursquoils demandent de lrsquoargent agrave leurs parents tu sais ils sont pas
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
obligeacutes de venir squeeger juste parce qursquoils se pensent laquo ah ouais je suisun squeegee raquo crsquoest juste pour le kick de se passer pour un squeegy dans lefond Apregraves ccedila tu sais les citoyens se plaignent qursquoil y a trop de mondequi squeege mais ccedila crsquoest agrave cause drsquoeux autres pas mal Lrsquohiver crsquoest lefun parce crsquoest rien que les laquo tough raquo qui sont lagrave
Cette logique de diffeacuterenciation renvoie en outre agrave une quotidien-
neteacute de la rue diffeacuterente En effet si les jeunes qui srsquoaffirment de laquo veacuteritables
jeunes de la rue raquo vivent la rue agrave deux ou trois les jeunes qualifieacutes de
laquo crevettes raquo construisent leur quotidienneteacute autour du groupe Cette deacutesi-
gnation peacutejorative constitue pour les jeunes plus acircgeacutes un outil de distinc-
tion entre une veacuteritable expeacuterience de survie et une expeacuterience de deacutefi
drsquoadolescent Ces diffeacuterenciations que font les jeunes entre eux sont aussi
utiliseacutees dans le cadre des interventions conduites par les adultes Par
exemple la roulotte de lrsquoorganisme Poprsquos ne se deacuteplace pas le samedi
arguant qursquoil y a trop de jeunes laquo crevettes raquo qui utiliseraient leurs services
Cette trajectoire de rue
eacutepisode
est donc le plus souvent lrsquoexpeacuterience
des jeunes qualifieacutes de laquo crevettes raquo placeacutes entre deux mondes le monde
de la rue et le monde conventionnel Sans reconnaissance de part et
drsquoautre ces jeunes vont chercher agrave se reconnaicirctre dans des groupes de
pairs qui vivent avec eux lrsquoexpeacuterience de la rue La rue repreacutesente alors
pour eux une vie de groupe qui leur permet de partager leurs expeacuteriences
et qui constitue aussi un cadre de protection par rapport au reste du
monde social de la rue laquo Groupe drsquoexpeacuterimentation raquo ces jeunes se dis-
tinguent de cet autre monde social de la rue par leur visibiliteacute mais aussi
par une sociabiliteacute juveacutenile marqueacutee par le besoin de vivre en groupe de
nouvelles expeacuteriences Agrave ce titre le quotidien est centreacute autour des pairs
qui composent le groupe drsquoappartenance et drsquoun parc qui forme le cadre
territorial de lrsquoidentiteacute On distinguera ainsi entre le groupe de jeunes
freacutequentant le parc Berri celui freacutequentant le parc Pasteur et enfin celui
freacutequentant le parc des Foufounes Il est toutefois important de mention-
ner que ce cadre territorial diffegravere de celui deacutecrit dans les eacutetudes sur les
gangs de rue dans la mesure ougrave il ne renvoie pas agrave un quartier ougrave les
jeunes habitent mais agrave un espace public dans lequel ils se tiennent De la
mecircme faccedilon lrsquoidentiteacute territoriale du groupe nrsquoempecircche pas la freacutequen-
tation des autres lieux et groupes elle marque simplement lrsquoexistence de
liens plus intenses avec tel groupe et tel lieu Agrave lrsquoinstar de Lucchini (1999)
nous dirions que la dynamique observeacutee relegraveve davantage de celle drsquoun
reacuteseau drsquoidentification et de soutien que drsquoune veacuteritable bande constitueacutee
et hieacuterarchiseacutee Cependant ce reacuteseau sera utiliseacute pour se construire au
plan identitaire ainsi que pour apprendre comment faire face agrave la vie de
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rue La question du reacuteseau est drsquoautant plus importante que srsquoagissant
drsquoun cadre relationnel ouvert les liens vont pouvoir se tisser entre les
diffeacuterents groupes et les diffeacuterents types de jeunes en situation de rue
Il importe de consideacuterer ici que les jeunes qui connaissent une tra-
jectoire de rue qualifieacutee drsquoeacutepisode se trouvent globalement dans une logique
drsquoexpeacuterimentation si bien que leur quotidien se centre sur les liens avec
leurs pairs qui vont pouvoir leur apprendre de nouvelles pratiques de
nouvelles attitudeshellip Cette soif de nouvelles expeacuteriences correspond aussi
agrave un besoin drsquoaffranchissement de leur cadre de vie anteacuterieur La lecture
des contextes de fragilisation en amont de la rue devient pour ces jeunes
la lecture de lrsquoincompreacutehension entre les aspirations du jeune agrave un
moment donneacute et celles de ces cadres de vie (famille eacutecole institutions)
Agrave cet eacutegard lrsquoorganisation quotidienne que certains jeunes reacutealisent
autour drsquoun centre de jour renvoie effectivement agrave une logique drsquoappren-
tissage ancreacutee dans une quecircte de soi et une recherche drsquoautonomie
Lrsquoimportance de cet espace concerne bien moins la reacuteponse agrave des besoins
mateacuteriels que la reacuteponse agrave des besoins relationnels qui vont correspondre
aux aspirations du jeune dans son expeacuterience biographique de la rue La
dimension de la rencontre est ici primordiale dans la mesure ougrave elle
deacutetermine le cadre des diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoacquisition de compeacutetences
ou tout au moins drsquoexpeacuterimentation
Dans cette perspective ces jeunes paraissent repreacutesenter une nou-
velle maniegravere de reacutealiser un rite initiatique en menant une expeacuterience
de soi et sur soi qui leur permet de quitter le monde de lrsquoenfance avant
drsquoentrer dans le monde des adultes Ainsi Sheriff (1999) deacutecrit le
fulgu-rant
qui vit intenseacutement son expeacuterience de rue sans eacutebranler aucunement
par la suite sa routine de vie En consideacuterant lrsquoexpeacuterience de la rue comme
un eacutepisode crsquoest-agrave-dire comme un espace-temps circonscrit dans la trajec-
toire de vie de la personne il est possible de sortir de la lecture fatalisante
de lrsquoinscription dans le monde social de la rue tout en reconnaissant que
lrsquointensiteacute de cette expeacuterience est reacuteelle
Il srsquoagit drsquoune expeacuterience de deacuteseacutequilibre par rapport agrave la routine
de vie de ces jeunes De ce fait lrsquoeacutepisode doit ecirctre vu comme la quecircte
drsquoune expeacuterience extrecircme diffeacuterente du reste du quotidien Pour ecirctre
laquo trippante raquo lrsquoexpeacuterience de la rue doit srsquoeacuteloigner des expeacuteriences de
jeunesse anteacuterieures elle doit correspondre agrave une mise en danger plus
ou moins controcircleacutee Jones (1997) montre agrave cet eacutegard comment la prise
de risque peut signifier une veacuteritable quecircte drsquoidentiteacute et de reprise en
main de son futur faute de pouvoir consideacuterer son preacutesent Or si la
trajectoire de rue eacutepisode rime avec la prise de risque il importe de
consideacuterer que le contexte de fragilisation lieacute aux expeacuteriences anteacuterieures
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave la rue va donner le ton et influencer la nature des prises de risque
rechercheacutees De la mecircme faccedilon le cadre des opportuniteacutes et des contraintes
dans la rue va deacutefinir en partie les pratiques de prise de risque
La question de la consommation de drogues est ici un enjeu veacuteri-
table notamment lorsque la quecircte de lrsquoaffranchissement srsquoexprime dans
une multiplication des produits consommeacutes et par une utilisation des
techniques de consommation les plus risqueacutees jusqursquoagrave lrsquoinjection Agrave cet
eacutegard il importe de mentionner lrsquoeacutevolution des pratiques de prise de
risque qui rendent lrsquoexpeacuterience de la rue toujours extrecircme Il paraicirct
important de lire lrsquoaugmentation des prises de risque non pas dans un
cadre pathologique de deacutesorganisation personnelle mais comme lrsquoexpres-
sion drsquoun rapport social speacutecifique qui contraint certains jeunes pour
exister agrave se deacutepasser dans de telles expeacuteriences (consommation de drogues
suicidehellip) puisqursquoon leur refuserait socialement une quecircte de deacutepasse-
ment dans le collectif (Sheriff 1999)
Pour autant au fur et agrave mesure de la reacutealisation du terrain mais
aussi avec lrsquoaugmentation de la preacutesence de lrsquoheacuteroiumlne dans la rue le cadre
drsquoopportuniteacute des expeacuterimentations se deacuteplace vers lrsquoinjection au point
que dans une certaine mesure agrave la fin du terrain le vecteur de lrsquoidentiteacute
des jeunes en situation de rue devenait non plus le
squeegee
et lrsquoimage du
punk
mais bien la seringue et lrsquoimage du junkie Ainsi la preacutesence de
plus en plus grande dans les discours des jeunes comme dans leurs
pratiques de la consommation par injection teacutemoigne drsquoune part drsquoun
deacutetachement de la philosophie punk laquo Punk no junk raquo qui dominait aupa-
ravant et drsquoautre part drsquoune escalade constante dans les prises de risque
Toutes ces expeacuteriences construites autour drsquoune ritualisation de la mort
doivent ecirctre consideacutereacutees sur le plan symbolique comme autant drsquoeacuteleacute-
ments marquant les difficulteacutes drsquoecirctre jeune de prendre sa place dans la
socieacuteteacute queacutebeacutecoise actuelle tout comme dans la rue
Concevoir la trajectoire de rue comme un eacutepisode signifie donc que
lrsquoon envisage un passage dans le monde social de la rue non exclusif et
dont le quotidien est centreacute sur les autres jeunes comme eacuteleacutement struc-
turant de lrsquoexpeacuterience de la rue Cette situation courante deacutefinie autour
de la notion drsquoeacutepisode renvoie souvent agrave lrsquoideacutee drsquoune peacuteriode circons-
crite dans la trajectoire de vie de la personne qui nrsquoapparaicirct pas ni pour
elle ni pour les autres comme une expeacuterience deacuteterminante pour le futur
Pour drsquoautres la trajectoire de rue loin drsquoecirctre un simple passage momen-
taneacute va devenir une transition deacuteterminante pour la trajectoire de vie
du jeune
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332 LA RUE UNE TRANSITION
Ici la trajectoire de rue conccedilue comme une transition signifie que la rue
devient le socle drsquoune vie diffeacuterente tantocirct pour construire un projet de
vie les jeunes srsquoinseacuterant dans la socieacuteteacute tantocirct pour faciliter le passage
vers une vie marginale ou une vie criminelle
3321 La rue comme tremplin vers une insertion sociale
Denis 23 ans vit dans la rue par intermittence depuis lrsquoacircge de 18 ans
Cette intermittence srsquoinscrit dans un rapport agrave la rue et agrave la drogue variable
Pendant quelques mois son quotidien se construit autour de la consom-
mation de drogues Puis il srsquoarrecircte reprend un appartement et trouve un
travail jusqursquoagrave la prochaine fois Fatigueacute de cette situation il va utiliser
son expeacuterience de la rue pour reacutealiser son recircve dessiner Apregraves un stage
drsquoemployabiliteacute proposeacute en raison de ses compeacutetences graphiques mais
aussi de sa situation de rue et de son expeacuterience il va parvenir agrave inteacutegrer
une entreprise multimeacutedia et agrave devenir un de leurs graphistes Il dit
laquo consommer maintenant de maniegravere brancheacutee raquo
Lrsquoutilisation de lrsquoexpeacuterience de la rue comme tremplin vers un cadre
drsquoinsertion se lit le plus souvent autour des interventions qui sont parve-
nues agrave rejoindre les jeunes directement dans cet espace En effet pour
que les jeunes aient la possibiliteacute drsquoutiliser la rue comme tremplin il
importe que la laquo perche tendue raquo considegravere leurs compeacutetences acquises
dans cet espace mais aussi leurs aspirations Le plus souvent il srsquoagit de
jeunes qui vivaient des difficulteacutes drsquointeacutegration avant la rue et qui ne
parvenaient pas agrave srsquoinscrire dans des interventions traditionnelles drsquoinser-
tion socioprofessionnelle pour les jeunes Ainsi les projets de type pairs
aidants comme les projets orienteacutes vers les arts (cirque journal videacuteo
multimeacutediahellip) constituent des formes drsquointervention qui en utilisant les
compeacutetences des jeunes leur permettent plus facilement de rebondir
notamment parce qursquoelles leur donnent une expeacuterience dans des domaines
qui leur plaisent mais aussi parce qursquoelles correspondent agrave des besoins
reacuteels du marcheacute du travail La rue constitue ainsi une opportuniteacute de
srsquoinseacuterer dans des interventions non traditionnelles qui reconnaissent
aussi lrsquoidentiteacute plus ou moins marginale des jeunes Par exemple lrsquointer-
vention par les pairs mecircme si elle ne vise pas directement agrave inscrire les
pairs aidants dans un parcours vers lrsquoemploi devient un espace de forma-
tion qui facilite la transition entre la rue et lrsquoemploi drsquointervenant En
effet les pairs sont le plus souvent des anciens jeunes de la rue qui ne
souhaitent pas ou ne peuvent pas srsquoinscrire dans des formations plus aca-
deacutemiques pour devenir intervenants Dans le projet des pairs aidants ils
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86 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
vont pouvoir srsquoancrer dans un parcours de formation qui utilisera aussi
leurs connaissances du milieu de la rue et qui leur permettra par la suite
de devenir intervenants srsquoils le souhaitent
Toutefois cette forme de transition demeure peu commune dans la
rue non pas en raison de lrsquoabsence de compeacutetences acquises par les
jeunes mais bien parce que lrsquointervention ne srsquoappuie que tregraves rare-
ment sur cette expeacuterience Les autres formes de transition correspondent
davantage agrave un cheminement vers des milieux de deacutesinsertion sociale
3322 La rue comme tremplin vers une deacutesinsertion sociale
Lire des trajectoires menant agrave des formes de deacutesinsertion sociale conduit
agrave srsquointeacuteresser agrave des expeacuteriences qui renvoient agrave des inscriptions sociales
deacuteviantes
La trajectoire de la rue peut ecirctre une transition vers une marginaliteacute
sociale qui certes ameacuteliorera un peu les conditions de vie des jeunes
mais cristallisera leur cadre de vie dans une pauvreteacute eacuteconomique sociale
culturelle et relationnelle Cette forme de trajectoire de rue entendue
comme une transition vers un statut et un rocircle lieacutes agrave une expeacuterience de
la pauvreteacute renvoie de maniegravere eacutevidente aux lectures sur la faiblesse du
capital social des jeunes en situation de rue (Hagan et McCarthy 1997)
Il importe ici de replacer lrsquoexpeacuterience de la rue dans une lecture de la
continuiteacute qui sans ecirctre deacuteterministe renvoie cependant agrave lrsquoabsence
drsquoopportuniteacutes et au poids des contraintes qui pegravesent sur la trajectoire de
vie de ces jeunes Cette lecture de la trajectoire conduit agrave envisager les
conditions de reproduction des ineacutegaliteacutes sociales
Dans cette perspective il importe de dire en outre que lrsquointerven-
tion qui vise agrave sortir les jeunes de la rue porte rarement sur autre chose
que la sortie de cet espace Sortir ces jeunes de la pauvreteacute srsquoinscrirait dans
une tout autre logique
Pourtant il apparaicirct que lrsquoexpeacuterience de la rue constitue pour ces
jeunes une maniegravere de faire appel agrave des strateacutegies de deacutebrouillardise pour
contrer la pauvreteacute dans laquelle ils vivent Utilisant le squeegee comme
strateacutegie de survie les jeunes dans cette trajectoire vont faire lrsquoapprentis-
sage dans la rue des maniegraveres alternatives drsquoobtenir des ressources mateacute-
rielles Agrave cet eacutegard leur quotidien demeure centreacute sur la deacutebrouillardise
Drsquoailleurs cette dynamique de trajectoire fera en sorte que la rue se preacute-
sente plus ou moins reacuteguliegraverement dans leur vie comme un espace leur
permettant de trouver les ressources neacutecessaires La rue nrsquoest alors qursquoune
des multiples facettes de leur expeacuterience biographique de la marginalisation
elle nrsquoen est pas le reacuteveacutelateur Ainsi sans freacutequenter la rue de maniegravere
permanente ces jeunes maintiendront leurs liens avec des organismes
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drsquointervention aupregraves des jeunes de la rue construisant le plus souvent
leur socialiteacute autour de ce reacuteseau drsquoaide La freacutequentation des bus les soirs
de distribution de sacs de nourriture constitue donc un moyen privileacutegieacute
de rencontrer des jeunes qui se sont eacuteloigneacutes de la rue mais qui conti-
nuent drsquoutiliser les ressources drsquoaide Drsquoailleurs comme le montrent les
analyses de Paugam (1991) il srsquoagit ici de jeunes qui se caracteacuterisent par
des biographies tourmenteacutees et dont lrsquoidentiteacute est davantage fondeacutee sur
la survie que sur la vie
La lecture de leur trajectoire de vie rime le plus souvent avec une
lecture drsquoun cumul de handicaps de difficulteacutes drsquoeacutechecs de stigmates qui
les contraint agrave vivre en eacutetat de survie perpeacutetuelle ne sachant ni ougrave ni
comment trouver une place dans la socieacuteteacute qui les exclut toujours davan-
tage Ces trajectoires teacutemoignent alors des conditions de misegravere dans les-
quelles tentent de survivre certains jeunes en situation de rue conditions
qui ne srsquoameacuteliorent pas neacutecessairement lorsqursquoils srsquoeacuteloignent de la rue Agrave
cet eacutegard la description de ces trajectoires correspond le plus souvent agrave
la compreacutehension drsquoune errance sociale bien plus que spatiale expeacute-
rience qui paraicirct se conclure simplement par une incorporation toleacutereacutee agrave
la marge de la socieacuteteacute leurs propres logiques drsquoaction tout comme celle
des dispositifs drsquoaction publique et communautaire qui les entourent ne
permettant pas de modifier cette structuration de la survie Cet ancrage
de la trajectoire de rue dans une routinisation de la survie conduit ces
jeunes dans une impasse ougrave les oscillations qursquoils vivent ne parviennent
pas agrave les engager dans drsquoautres voies Ils semblent alors perdre la qualiteacute
de sujets de leur propre vie se maintenant dans un ballottement perpeacutetuel
entre les diffeacuterents espaces de ressources et de survie qursquoils traversent au
quotidien sans avoir aucune prise reacuteelle sur lrsquoun drsquoentre eux
Cette errance laquo vulneacuterabilisante raquo ne signifie pas pour autant la perte
drsquoune qualiteacute drsquoacteur Vivre au quotidien une routine de survie crsquoest
srsquoinscrire dans une dynamique de deacutebrouillardise qui caracteacuterise cette
adaptation individuelle agrave des conditions de vie deacutefavorables Dans ce
contexte ecirctre soi crsquoest inscrire dans une routine cette lutte contre la
deacutegradation de leur statut et de leur identiteacute sociale espeacuterant toujours
pouvoir en finir avec cette condition de vie de misegravere Agrave cet eacutegard il
appert que mecircme dans le cadre de ces trajectoires ougrave les enjeux drsquoexclu-
sion sont importants les jeunes disent encore vouloir agir pour sortir de
ces conditions de vie qursquoils qualifient eux-mecircmes de misegravere Se reacutealiser
devient alors survivre aux pressions sociales stigmatisantes et deacutesaffiliantes
et obtenir les ressources minimales pour combler ses besoins vitaux
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88 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si ce type de trajectoire paraicirct reproduire une certaine logique
sociale fatalisante de la pauvreteacute il nrsquoen demeure pas moins qursquoil donne
aussi accegraves agrave des meacutecanismes drsquoadaptation agrave un environnement social
hostile meacutecanismes qui font cependant lrsquoobjet drsquoune deacutesapprobation sociale
Crsquoest en effet autour de ce type de trajectoire que les dynamiques
de controcircle sont les plus fortes dans la mesure ougrave la deacutebrouillardise des
uns srsquooppose agrave la coercition des autres Dans certaines circonstances la
coercition exerceacutee agrave lrsquoendroit de ces strateacutegies de deacutebrouillardise va diri-
ger les jeunes vers le milieu criminel consideacutereacute alors comme une reacuteponse
aux injustices veacutecues Ainsi certains jeunes qui ont fait lrsquoexpeacuterience de
lrsquoemprisonnement pour non-paiement drsquoune amende pour des contraven-
tions lieacutees au squeegee sont ressortis de cette expeacuterience avec de nombreux
contacts leur permettant de devenir au moins commissionnaires3 dans la
rue Certains par exemple savaient en recevant des montants dans leur
compte qursquoils devaient porter tel colis agrave tel endroit ou effectuer drsquoautres
deacutemarches Drsquoautres obtenaient les contacts leur permettant de devenir
vendeurs dans la rue Pourtant au-delagrave des contacts eacutetablis en prison qui
font basculer plus rapidement la trajectoire vers une insertion dans le
milieu criminel la rue constitue aussi un espace qui fournit des occasions
drsquoinsertion dans ce milieu Et agrave ce titre dans ces trajectoires de rue qui
symbolisent lrsquoaction reacutepressive conduisant agrave lrsquoincarceacuteration cette derniegravere
devient lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur drsquoune perte de routine Placeacutes dans drsquoautres
espaces les jeunes peuvent se mobiliser et voir agrave nouveau les possibiliteacutes
qui se preacutesentent agrave eux Lrsquoincarceacuteration devient alors lrsquooccasion dans leur
expeacuterience biographique drsquoun sursaut drsquoun changement Pour drsquoautres
lrsquoincarceacuteration sera veacutecue comme une forme diffeacuterente de deacutegradation de
statut qui les marginalisera davantage et les conduira de nouveau agrave la rue
renforccedilant une certaine mortification du sujet La prison est alors un
simple ballottement de plus dans leur vie
Mais lorsque la prison permet le sursaut les jeunes utiliseront leurs
contacts pour srsquoengager dans diffeacuterentes expeacuteriences qui leur permettront
drsquointeacutegrer les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie souterraine Le plus souvent ils
commenceront par faire des commissions pour les vendeurs de drogues
avant de devenir eux-mecircmes vendeurs avec une progression dans les
heures de vente et les lieux de vente accumulant de plus en plus de profits
pour finalement devenir laquo un boss de la place raquo qui srsquooccupe des vendeurs
3 Un commissionnaire est une personne qui va assurer des livraisons pour un vendeurde rue soit aupregraves drsquoun client soit aupregraves drsquoun fournisseur Crsquoest geacuteneacuteralement lepremier niveau drsquoimplication dans la vente de drogues de rue pour les jeunes
LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 89
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Durant cette progression dans la hieacuterarchie du milieu criminel de rue
lrsquoessentiel pour ces jeunes crsquoest de se deacutetacher le plus rapidement possible
du monde de la rue et de son image de pauvreteacute
Utilisant tous les signes exteacuterieurs de richesse ndash bijoux vecirctements agrave
la mode teacuteleacutephone cellulaire ndash ils estiment tregraves important de montrer
leur reacuteussite mais aussi leur pouvoir Certains auront des chiens de combat
pour faire valoir leur force nrsquoheacutesitant jamais agrave leur faire sortir les crocs
en cas de besoin Pour ces jeunes la rue repreacutesente lrsquoespace qui va leur
permettre de reacuteussir dans la mesure ougrave ils y gagnent lrsquoargent neacutecessaire agrave
leur inteacutegration dans la socieacuteteacute de consommation qui est la leur Les
aspirations se deacutefinissent alors de maniegravere strictement eacuteconomique crsquoest-agrave-
dire qursquoil srsquoagit de continuer agrave obtenir lrsquoargent dont ils ont besoin pour
conserver leur train de vie Le prestige et le pouvoir que symbolise leur
rocircle dans la rue paraissent conforter aussi les jeunes dans le fait que
lrsquoexpeacuterience criminelle doit ecirctre valoriseacutee puisqursquoelle est valorisante
Mathieu 21 ans cinq ans de rue
Rencontreacute durant lrsquoeacuteteacute 1996 Mathieu eacutetait lrsquoun des principaux vendeurs
drsquoun parc que je freacutequentais Travaillant constamment il a eacuteteacute durant cet
eacuteteacute une veacuteritable puce qui courait partout pour faire laquo runner sa business raquo
Voilagrave comment il deacutecrit ce premier eacuteteacute
Ben cet eacuteteacute jrsquofais ben de lrsquoargent jrsquofaisais cinq cent piasses par jour Crsquotaiteffrayant trsquosais jrsquoavais ma clientegravele faque crsquoeacutetait vraiment payant Jrsquopoi-gnais toujours les mecircmes clients et pis ils mrsquoachetaient de la poudre dupot du buvard Jrsquotais rendu capitaliste Crsquoeacutetait rendu vraiment lagravehellip jrsquoavaismon appart mon page mon cellulaire pis toute tout le monde capotaitsur mon cas Mais ccedila a arrecircteacute parce que jrsquoai commenceacute agrave me crinquer Pistu sais quand tu te crinques trsquoen veux trsquoen veux pis agrave un moment donneacutetu te mets dans lrsquotrou Faque jrsquoai eu des dettes jrsquotais rendu agrave 1000 piassesde dettes pis mon boss il mrsquoa dit drsquoarrecircter sinon jrsquoavais plus le droit devendre Sur le coup jrsquoai pas voulu mais apregraves jrsquoai tout perdu faque que jeme suis dit laquo Arrecircte tes conneries pis fais juste vendre raquo Alors je me suisremis agrave vendre pis lagrave tu sais depuis de temps en temps crsquoest le party maiscrsquoest rare Pis lagrave moeacute maintenant jrsquoorganise plus les affaires pis je faistravailler les jeunes mais crsquoest plus pareil comme avant maintenant ilssont sur le smack pis crsquoest ben difficile de les faire travailler comme y fauthellip
Pourtant malgreacute cette inteacutegration dans une eacuteconomie souterraine
largement organiseacutee autour de la drogue ces jeunes demeurent tregraves proches
de la rue Ils vivent au mecircme rythme que les autres jeunes concentrant
leurs activiteacutes la nuit La disparition de certains de ces jeunes peut laisser
supposer que la rue ne leur a servi que de tremplin vers drsquoautres activiteacutes
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90 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
davantage centreacutees sur la supervision Mathieu par exemple a disparu agrave
la fin de la deuxiegraveme anneacutee de notre terrain Rencontreacute par hasard agrave
quelques reprises depuis il mrsquoexplique qursquoil laquo gegravere ses affaires agrave distance raquo
La description de cette trajectoire de rue transition montre que les
projets associeacutes agrave la rue peuvent ecirctre varieacutes et conduire agrave des chemine-
ments diffeacuterents Certes plus la trajectoire de rue est longue plus le
deacutecrochage des autres espaces sociaux est reacuteel bien qursquoil ne signifie pas
toujours lrsquoengagement dans le milieu criminel au sens strict du terme Il
importe cependant de distinguer les jeunes qui srsquoengagent dans des acti-
viteacutes criminelles pour subvenir agrave leurs besoins essentiels la majoriteacute de
ceux qui le font pour se payer une appartenance agrave la socieacuteteacute de consom-
mation Drsquoailleurs dans leur analyse de la deacutelinquance des jeunes de la
rue agrave Toronto et agrave Vancouver Hagan et McCarthy (1997) expliquent
qursquoon est le plus souvent en preacutesence drsquoune deacutelinquance de survie et
acquisitive Lorsqursquoil srsquoagit de jeunes qui aspirent agrave preacutesenter une cer-
taine reacuteussite sociale la lecture de lrsquoengagement dans des activiteacutes quali-
fieacutees de criminelles renvoie parfois plus agrave la lecture mertonienne de la
reacuteussite sociale qursquoagrave la lecture drsquoune pathologie du controcircle social person-
nel proposeacutee par Gottfredson et Hirshi (1990) En deacutegageant une diversiteacute
de trajectoires notre analyse a permis de constater que lrsquoengagement
criminel comme mode de reacuteussite sociale nrsquoest qursquoune traduction possible
de la conjonction entre une expeacuterience biographique et des logiques
drsquoacteurs structurants comme le milieu criminel ou le milieu reacutepressif
La question des processus de stigmatisation et de criminalisation lieacutes
agrave lrsquoappartenance sociale semble en effet jouer davantage dans la compreacute-
hension des trajectoires de rue que ne le fait tout autre eacuteleacutement des
theacuteories criminologiques Les trajectoires de rue comme forme de tran-
sition vers une inscription sociale qualifieacutee de deacuteviante sont le fait des
jeunes qui connaissent les contextes de fragilisation les plus grands en
amont de la rue Cette pauvreteacute eacuteconomique relationnelle et culturelle
les oblige le plus souvent agrave eacutelaborer des strateacutegies de deacutebrouillardise qui
les opposent agrave une intervention reacutepressive marquant une deacutesapprobation
sociale agrave leur endroit4 Cette reacutepression contribue alors agrave structurer un
parcours de criminalisation qui renforce leur engagement dans des acti-
viteacutes criminelles Cette dynamique sociale ougrave srsquoaffrontent lrsquoindividu et les
institutions reacutepressives devient le terreau drsquoune trajectoire criminelle des
jeunes en situation de rue
4 Pour une analyse plus approfondie des enjeux de classe autour des trajectoires de ruedes jeunes voir Bellot (2003)
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Nous verrons ainsi dans la preacutesentation du troisiegraveme type de trajec-
toire comment lrsquoexpeacuterience de la rue est deacutefinie comme une forme de
captiviteacute voire drsquoalieacutenation du sujet dont le jeune deacutesespegravere de sortir
333 LA RUE UN ENFERMEMENT
Voir la trajectoire de rue sous la forme drsquoun enfermement contribue agrave
rendre compte du rapport captif qursquoentretiennent certains jeunes avec le
monde social de la rue Lrsquoideacutee de lrsquoenfermement renvoie au fait que ces
jeunes se sentent prisonniers de cet espace Ils souhaitent ainsi en sortir
font parfois des tentatives mais y reviennent toujours Lrsquoenfermement
vient donc de lrsquoabsence de possibiliteacutes de vivre ailleurs que dans la rue Il
srsquoaccompagne souvent drsquoune consommation de drogues injectables qui a
fait exploser le projet drsquoune expeacuterience de la rue en tant que quecircte drsquoindeacute-
pendance de liberteacute et drsquoautonomie Le passage drsquoune trajectoire eacutepisodeagrave une trajectoire enfermement exprime le plus souvent le manque drsquooppor-
tuniteacutes preacutesentes pour faire de la sortie de rue un projet Cette trajectoire
drsquoenfermement donne le plus souvent le sentiment drsquoun cercle vicieux
entre la logique de survie qui conduit agrave prendre de plus en plus de
risques et la logique de consommation qui conduit agrave devenir de plus en
plus deacutependant Il importe de consideacuterer que lrsquoensemble de lrsquounivers de
ces jeunes se reacutesume agrave la rue ou tout au moins agrave quelques rues ougrave
srsquoeacutetablit leur quotidien
Cet enfermement dans la rue accompagne ainsi une trajectoire de
consommation ougrave la drogue notamment par injection est devenue la
ligne biographique dominante de lrsquoindividu (Ogien 1995) Ainsi pour
ces jeunes la drogue prend toute la place dans leur quotidien et agrave ce
titre construit leur appartenance agrave la rue Ils se disent des laquo junkies de la
rue raquo bien plus que des jeunes de la rue Ils vivent alors une forme drsquoalieacute-
nation de leur expeacuterience biographique de la rue La routine nrsquoest pas
alors la survie mais la drogue elle-mecircme leur vie eacutetant rythmeacutee non plus
par le ballottement de ressource drsquoaide en ressource drsquoaide mais drsquoune
injection agrave une autre drsquoun dix dollars agrave un autre dix dollars
La vie sans reacutepit qursquoimpose la drogue conduit les jeunes vivant cette
trajectoire de rue dans une logique de prise de risque toujours grandis-
sante logique qui les enferme toujours un peu plus dans un cercle vicieux
Cependant mecircme si ces jeunes semblent entraicircneacutes dans une spirale sans
fin ils conservent aussi minime soit-elle une marge de manœuvre notam-
ment celle de garder autour drsquoeux des acteurs susceptibles de leur propo-
ser un changement Agrave cet eacutegard la preacutesence et lrsquointervention eacuteventuelle
des travailleurs de rue sont primordiales dans la mesure ougrave ces derniers
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92 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
apportent des propositions de changement de limitation des meacutefaits de
la drogue dans la routine mecircme de vie de ces jeunes Ils seront drsquoailleurs
les acteurs que les jeunes utiliseront le plus lorsqursquoils seront precircts agrave sortir
de lrsquoinjection
En attendant cette trajectoire de rue fortement associeacutee agrave la consom-
mation de drogues injectables inscrit la routine de ces jeunes dans une
quecircte incessante drsquoargent Les strateacutegies de survie qursquoils vont employer
seront plus diversifieacutees tous les moyens pour faire de lrsquoargent sont bons
Cette dynamique eacuteconomico-compulsive les conduit agrave preacutefeacuterer les strateacute-
gies les plus payantes mecircme si le plus souvent le quotidien se construit
de dix dollars en dix dollars le prix drsquoune dose agrave Montreacuteal Ils vivront
alors davantage la rue seuls ou en petits groupes Cette trajectoire de rue
devenue de plus en plus freacutequente chez les jeunes rencontreacutes au cours de
notre terrain paraicirct cependant ecirctre davantage une trajectoire de consom-
mation de drogues injectables dans la mesure ougrave les jeunes qui srsquoy trouvent
inscrits appartiennent plus au monde social de la drogue que de la rue
Cette trajectoire reacutevegravele une transformation nette du pheacutenomegravene
deacutefini comme celui des laquo jeunes de la rue raquo En effet le passage drsquoune
routine caracteacuteriseacutee par la culture punk et le squeegee agrave celle drsquoune rou-
tine axeacutee sur la consommation drsquoheacuteroiumlne ou de cocaiumlne a modifieacute la
plupart des rapports sociaux qursquoentretenaient les jeunes Crsquoest dans le
cadre de ces trajectoires que la difficulteacute des conditions de vie est la plus
preacutegnante En effet ces trajectoires expriment une lutte incessante contre
soi et contre les autres La logique du deacutesespoir est criante pour ces
jeunes Il est donc important de comprendre que le rapport de ces jeunes
agrave la rue nrsquoest plus identitaire mais strictement utilitaire Crsquoest dans la rue
que ceux-ci trouvent lrsquoargent neacutecessaire agrave leur consommation Drsquoailleurs
ils associent agrave cet espace tous leurs maux et leur situation de captiviteacute
Ainsi pour eux sortir de la rue ndash ou plus exactement du centre-ville ndash
leur permettra de se libeacuterer de cet enfermement qursquoimpose la drogue
Paradoxalement la rue devient pour eux une prison dont il leur est dif-
ficile de srsquoeacutevader Si la prison peut alors devenir un lieu de rupture avec
cet enfermement dans la drogue elle renforce drsquoun autre cocircteacute la margi-
nalisation des individus qui risquent de retourner agrave la rue degraves leur sortie
Pour drsquoautres la rupture sera moins brutale Elle se construira progres-
sivement dans une deacutecision de sortie qui sera accompagneacutee par des
interventions sociales et meacutedicales visant agrave freiner lrsquoalieacutenation et la
marginalisation de ces jeunes
Jonathan mentionnera ainsi apregraves deux anneacutees de consommation
de cocaiumlne et drsquoheacuteroiumlne veacutecue dans la rue que son arrestation et sa condam-
nation agrave une peine de prison de plus de deux ans ont eacuteteacute lrsquoarrecirct drsquoagir
dont il avait besoin pour se sortir de la drogue
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CONCLUSION
La description de ces diffeacuterentes formes de trajectoires de rue permet de
sortir drsquoune vision steacutereacuteotypique du pheacutenomegravene des jeunes de la rue
puisque la rue nrsquoest alors pas simplement perccedilue comme un espace dia-
bolique Elle peut toutefois le devenir lorsque la marge de manœuvre des
jeunes se reacuteduit agrave un laquo choix raquo entre deux expeacuteriences laquo deacutesinseacuterantes raquo
Dans ce contexte il importe de retenir que lrsquoexpeacuterience des jeunes en
situation de rue est drsquoabord et avant tout lrsquoexpression de difficulteacutes drsquoinser-
tion sociale notamment en raison drsquoun manque reacuteel de possibiliteacutes et de
la preacutesence de contraintes majeures qui limitent plus ou moins leur capa-
citeacute drsquoaction Dans ce contexte il faut penser lrsquointervention comme un
moyen de maintenir et de construire avec les jeunes des opportuniteacutes
qui leur permettront de surmonter leurs difficulteacutes Dans cette perspec-
tive lrsquoanalyse des trajectoires de rue des jeunes pourrait devenir un outil
majeur tant en intervention qursquoen recherche pour porter un regard sur
la complexiteacute de leur situation sur la nature de lrsquoexpeacuterience biographique
que reacutealise la rue mais aussi sur les forces de structuration que deacuteploient
les interventions notamment reacutepressives en renforccedilant les meacutecanismes de
stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent ces jeunes Certes le suivi de
certains jeunes au-delagrave de ce terrain permet drsquoespeacuterer Lrsquoexpeacuterience bio-
graphique de la rue comprend aussi la dimension sortie Dans la trajec-
toire de rue eacutepisode cette sortie ne semble pas poser de difficulteacutes majeures
lrsquoexpeacuterience de la rue nrsquoeacutetant qursquoun eacuteleacutement de structuration du parcours
biographique Par contre lorsque la rue a contribueacute agrave deacutestructurer lrsquoexpeacute-
rience biographique du jeune le travail drsquoaffranchissement est laborieux
les marges de manœuvre parfois tregraves eacutetroites pour lutter contre lrsquoexacer-
bation des ineacutegaliteacutes sociales et des rapports de stigmatisation structureacutes
par lrsquoaction des institutions reacutepressives auxquelles la vie dans la rue a
conduit Sortir de la rue signifie alors faire face et lutter contre des iden-
titeacutes multiples deacutegradeacutees socialement jeune de la rue itineacuterant toxico-
mane deacutetenu deacutelinquant et drsquoautres encore
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LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
Leur signification dans
une trajectoire de vie
M
ARIE
-M
ARTHE
C
OUSINEAU
Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et agrave lrsquoIRDS
S
YLVIE
H
AMEL
Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresIRDS Universiteacute de Montreacuteal
M
ICHEgraveLE
F
OURNIER
Eacutecole de criminologie Universiteacute de Montreacuteal
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Ce nrsquoest pas drsquohier que les chercheurs srsquointeacuteressent au pheacutenomegravene des
gangs de rue qursquoon tente de percer le secret de leur organisation de faire
le point sur leurs activiteacutes deacutelinquantes Les premiers travaux recenseacutes en
la matiegravere datent de 1927 alors que Trasher recensait 1 313 gangs aux
Eacutetats-Unis Depuis de nombreuses eacutetudes ont vu le jour visant toutes
jusqursquoagrave tregraves reacutecemment agrave preacuteciser agrave partir drsquoeacuteleacutements statistiques quan-
titatifs la structure des gangs leur composition (sexe acircge origine ethnique
rocircle des membres) la preacutesence de rites et de symboles de territoires
reacuteserveacutes
1
Si ces eacutetudes ont le meacuterite de lever le voile sur lrsquoorganisation
des gangs fournissant un portrait en quelque sorte meacutecaniste de leur
fonctionnement elles ne disent rien des membres qui les composent de
leurs motivations agrave joindre le gang des expeacuteriences qursquoils y vivent et de
la signification qursquoils y accordent ndash faisant en sorte qursquoils y restent lieacutes plus
ou moins longtemps ndash et des raisons qui les conduisent agrave vouloir un jour
en sortir En somme on ne sait rien de lrsquoapport des gangs dans la
trajectoire de vie des jeunes
Si tel est le cas crsquoest que les meacutethodes traditionnellement employeacutees
pour aborder la question des gangs ne permettaient pas la collecte du
mateacuteriel neacutecessaire agrave la documentation de cet aspect du laquo pheacutenomegravene des
gangs raquo Depuis maintenant quelques anneacutees notre eacutequipe Jeunesse et
gangs de rue srsquoemploie notamment agrave explorer cette face cacheacutee de la
reacutealiteacute des gangs Agrave cette fin il nous a sembleacute que la seule source de
donneacutees envisageable tenait aux jeunes eux-mecircmes ceux qui ont fait
lrsquoexpeacuterience des gangs Crsquoest donc par une approche essentiellement qua-
litative en donnant la parole aux jeunes dans le cadre drsquoentrevues semi-
dirigeacutees de type reacutecits drsquoexpeacuterience que nous avons conduit plusieurs de
nos recherches Et crsquoest le reacutesultat de ces travaux que nous voulons livrer
dans le cadre du preacutesent chapitre Ce faisant nous montrerons quelle
contribution suppleacutementaire les meacutethodes qualitatives apportent agrave la
connaissance drsquoun aspect neacutegligeacute du pheacutenomegravene des gangs de rue lrsquoexpeacute-
rience que vivent les jeunes en lien avec les gangs de rue Nous verrons
comment une telle approche vient influencer les propositions de solutions
formuleacutees pour faire face au pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutetude Cette version renou-
veleacutee de lrsquointervention survient au moment mecircme ougrave lrsquointervention tradi-
tionnellement preacuteconiseacutee essentiellement reacutepressive se heurte agrave des
reacutesultats fort peu probants
1 Parmi les incontournables mentionnons les travaux de Spergel (1965 1995) Klein(1967 1995) Yablonsky (1970) Thornberry (1987 1998) Jankowski (1991) Pour unerecension des eacutecrits sur la question voir Heacutebert Hamel et Savoie (1997)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
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41 LA PAROLE AUX JEUNES
Crsquoest donc en recourant agrave une approche qualitative que nous avons entre-
pris de tenter de faire le point sur lrsquoexpeacuterience que vivent les jeunes en
lien avec les gangs de rue Les entrevues que nous avons meneacutees aupregraves
de jeunes membres et ex-membres de gangs selon leur propre aveu pre-
naient la forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes ayant pour but de laisser le plus
de latitude possible agrave lrsquointervieweacute dans la narration de son expeacuterience en
lien avec les gangs de rue tout en nous assurant qursquoun certain nombre
de theacutematiques eacutetaient systeacutematiquement couvertes les raisons ayant
conduit le jeune agrave se lier aux gangs les diverses expeacuteriences veacutecues du
fait de son lrsquoaffiliation au gang ndash expeacuteriences de deacutelinquance et de consom-
mation de substances psychotropes certes mais aussi expeacuteriences drsquointer-
actions sociales et sentiments srsquoy rattachant ndash ainsi que les raisons ayant
motiveacute son retrait des gangs et les difficulteacutes veacutecues en lien avec la sortie
le cas eacutecheacuteant Nous insisterons sur le premier et le dernier aspect car il
nous semble que crsquoest lagrave que les connaissances nouvelles issues de lrsquoapproche
qualitative sont les plus prometteuses au regard drsquoune intervention visant
la preacutevention de lrsquoadheacutesion ou de la poursuite de lrsquoadheacutesion des jeunes
aux gangs de rue
Les reacutesultats que nous preacutesentons ici sont issus de deux recherches
et srsquoinspirent de plusieurs autres eacutetudes que nous avons meneacutees sur le
sujet des jeunes et des gangs de rue ainsi que du rapport de lrsquoun agrave lrsquoautre
La premiegravere recherche (Hamel Fredette Blais et Bertot 1998) srsquoest
inteacuteresseacutee agrave un eacutechantillon de 31 jeunes garccedilons et filles membres ou
anciens membres de gangs La deuxiegraveme a plus speacutecifiquement porteacute sur
le cheminement et lrsquoexpeacuterience des jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue
agrave Montreacuteal
La formule emprunteacutee pour la reacutealisation des entrevues tente de
suivre la trajectoire des jeunes qui les megravene agrave se trouver dans le sillage
des gangs de rue agrave srsquoy associer agrave y vivre un certain nombre drsquoexpeacuteriences
et dans certains cas agrave srsquoen deacutetacher Il est alors question des processus
drsquoaffiliation drsquoinitiation drsquoassociation et de deacutesaffiliation le cas eacutecheacuteant
Du mecircme souffle lrsquoaccent est mis sur un certain nombre de thegravemes les
motifs conduisant les jeunes agrave laquo flirter raquo avec les gangs les besoins qursquoils
cherchent agrave combler en srsquoy associant les sentiments qui les animent et
les conduisent agrave poursuivre leur affiliation et eacuteventuellement agrave vouloir y
mettre fin
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100
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
42 MEacuteTHODOLOGIE
Les deux eacutetudes prises en compte dans le preacutesent chapitre se fondent sur
des eacutechantillons des modes de collecte et drsquoanalyse des donneacutees qui bien
que conduisant tous agrave une approche qualitative de la question agrave lrsquoeacutetude
se dessinent de maniegravere assez diffeacuterente
421 Eacute
CHANTILLONS
Lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(1998) meneacutee dans la reacutegion de Montreacuteal srsquoadresse
agrave un eacutechantillon de 31 jeunes (21 garccedilons et 10 filles) ayant fait lrsquoexpeacute-
rience des gangs Ces derniers sont acircgeacutes de 14
2
agrave 25 ans ayant 18 ans en
moyenne Vingt-trois drsquoentre eux sont drsquoex-membres de gangs de rue
alors que les huit autres se deacuteclarent membres actifs au moment de lrsquoentre-
tien Ils se sont joints aux gangs agrave lrsquoacircge de 13 ans en moyenne pour un
passage qui dure trois ans en moyenne toujours (la dureacutee variant entre
quelques mois et plusieurs anneacutees) Ils sont tous francophones mais drsquoori-
gines ethniques diverses Onze drsquoentre eux ont connu lrsquoimmigration et
huit autres ont au moins un parent qui a veacutecu une telle expeacuterience
lrsquoAmeacuterique latine et Haiumlti eacutetant les lieux de provenance les plus repreacutesen-
teacutes Vingt-quatre jeunes habitent ordinairement avec au moins un de leurs
parents tandis que les sept autres vivent de maniegravere indeacutependante Au
moment de lrsquoentrevue vingt-deux faisaient lrsquoobjet drsquoune prise en charge
par un centre jeunesse Pour ce qui est de la scolariteacute elle se situe pour
la plupart drsquoentre eux (2431) entre la premiegravere et la quatriegraveme anneacutee
du secondaire accusant un retard important
Lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude de Fournier (2003) eacutegalement meneacutee dans
la reacutegion de Montreacuteal est constitueacute uniquement de jeunes filles Ces filles
ont en moyenne 159 ans la plus jeune ayant 14 ans et la plus acircgeacutee 24
Elles se joignent agrave un gang de rue pour la premiegravere fois en moyenne agrave
lrsquoacircge de 125 ans et quittent en moyenne toujours agrave lrsquoacircge de 148 ans
Quatre drsquoentre elles sont drsquoorigine canadienne (leurs deux parents sont
Canadiens) trois sont drsquoorigine mixte (un parent canadien et lrsquoautre
drsquoorigine diffeacuterente) et six sont drsquoorigine autre que canadienne (aucun
des deux parents nrsquoest Canadien) Au moment ougrave nous les rencontrons
la dureacutee moyenne de leur affiliation aux gangs est de 17 mois Neuf
drsquoentre elles ont laisseacute le gang alors que les quatre autres affirment y ecirctre
2 La limite infeacuterieure de 14 ans est fixeacutee parce que avant cet acircge le consentement desparents est requis pour la participation du jeune agrave une eacutetude quelle qursquoelle soit Orles jeunes ne souhaitent pas neacutecessairement que leur participation aux gangs de ruesoit reacuteveacuteleacutee agrave leurs parents du fait de leur participation agrave une eacutetude portant sur le sujetsituation que nous avons voulu eacuteviter
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
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encore affilieacutees Au moment de lrsquoentrevue neuf des treize jeunes filles
preacutesentaient un retard scolaire srsquoeacutetalant entre un et quatre ans variable
selon les matiegraveres Bien que la plupart des jeunes filles rencontreacutees
avouent ne pas veacuteritablement connaicirctre la situation eacuteconomique de leurs
parents leur reacutecit laisse entendre qursquoelles viennent majoritairement de
familles deacutemunies qui eacuteprouvent de surcroicirct diverses autres difficulteacutes
qursquoelles reacutevegravelent au fil de leur teacutemoignage violence psychologique phy-
sique ou sexuelle au sein de la famille toxicomanie problegravemes de santeacute
mentale ou physique des parents Drsquoailleurs dix drsquoentre elles ne vivent
plus qursquoavec un seul de leurs parents biologiques Toutes sauf une font
lrsquoobjet drsquoun placement en centre jeunesse en vertu de la Loi sur la pro-
tection de la jeunesse (LPJ) jamais sous le couvert de la Loi sur le systegraveme
de justice peacutenale des adolescents
(LSJPA anciennement Loi des jeunes
contrevenants LJC)
Pour les deux eacutetudes les eacutechantillons de jeunes sont constitueacutes agrave
lrsquoaide de la technique du tri expertiseacute (Angers 1996) laquelle consiste agrave
faire appel agrave un intervenant qualifieacute (qui dans ces cas travaille en centre
jeunesse) appeleacute agrave repeacuterer au sein de sa clientegravele ceux et celles qui
correspondent aux critegraveres drsquoeacutechantillonnage
3
Il les aborde leur fait part
de la tenue de lrsquoeacutetude de ses objectifs et des modaliteacutes de reacutealisation de
celle-ci et leur demande ensuite srsquoils seraient inteacuteresseacutes agrave y participer
auquel cas il les met en relation avec les chercheures
422 I
NSTRUMENTS
DE
COLLECTE
ET
ANALYSE
DES
DONNEacuteES
Dans le cas de lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(2003) un questionnaire contenant
agrave la fois des questions ouvertes et des questions fermeacutees a eacuteteacute adresseacute aux
jeunes Les questions ouvertes leur permettraient de srsquoexprimer drsquoabord
librement sur les thegravemes abordeacutes avant que ceux-ci ne soient approfondis
de faccedilon plus systeacutematique agrave lrsquoaide de questions fermeacutees Ainsi le question-
naire comprend 24 questions ouvertes et 109 questions fermeacutees destineacutees
ensemble agrave couvrir les thegravemes suivants 1) les donneacutees sociodeacutemogra-
phiques concernant le jeune et sa famille 2) lrsquoentreacutee du jeune dans les
gangs 3) lrsquoeacutecologie sociale du jeune ayant fait lrsquoexpeacuterience des gangs
4) lrsquoorganisation du gang et lrsquoexpeacuterience du jeune au sein de celui-ci 5) la
3 Les ex-membres devaient avoir entrepris un processus seacuterieux de deacutesaffiliation pourecirctre qualifieacutes comme tels Ceux-ci ne devaient plus se consideacuterer et ecirctre consideacutereacutes parleur intervenant comme membres actifs Les membres actifs devaient quant agrave eux ecirctrelieacutes agrave des groupes qui se livrent de maniegravere reacuteguliegravere agrave des actes de criminaliteacute et deviolence en lien avec les activiteacutes du gang Aucun jeune ne devait ecirctre reacutefeacutereacute unique-ment sur la base drsquoimpressions Il devait avoir eacuteteacute eacutetabli que les jeunes freacutequentaientdes groupes reconnus comme eacutetant des gangs de rue ceux-ci se livrant reacuteguliegraverementagrave des actes de deacutelinquance lucrative ou violente
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102
TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sortie du gang et 6) les solutions agrave apporter au pheacutenomegravene des gangs agrave
Montreacuteal Nous nous inteacuteressons ici plus particuliegraverement aux propos
tenus par les jeunes en reacuteponse aux questions ouvertes prenant la forme
drsquoune consigne large du genre laquo Jrsquoaimerais que tu me racontes comment
cela srsquoest passeacute lorsque tu es entreacute(e) dans un gang pour la premiegravere fois ndash
comment ccedila srsquoest fait raquo qui leur laissait une grande latitude pour mettre
lrsquoaccent sur les aspects les plus significatifs pour eux du thegraveme abordeacute
Dans son eacutetude Fournier (2003) srsquointeacuteresse strictement aux points
de vue des jeunes filles relativement agrave lrsquoexpeacuterience qursquoelles ont veacutecue dans
et avec les gangs Dans cette perspective lrsquoauteure adopte une approche
reacutesolument qualitative srsquoappuyant sur le reacutecit drsquoexpeacuterience lequel permet
de mettre lrsquoaccent sur une partie de la vie de la personne deacutelimiteacutee plus
speacutecifiquement autour drsquoune dimension de celle-ci en lrsquooccurrence
lrsquoadheacutesion aux gangs Ces reacutecits sont organiseacutes suivant une seacutequence tem-
porelle qui permet de suivre la chronologie des eacuteveacutenements Ils deacutebutent
agrave partir drsquoune consigne de deacutepart large laquo
Jrsquoaimerais que tu me parles de tonexpeacuterience avec les gangshellip
raquo et se poursuivent en visant drsquoabord agrave preacuteciser
la chronologie des eacuteveacutenements par des relances du type laquo
Avant cette peacuteriodeque srsquoest-il passeacute
raquo ou laquo
Apregraves cela qursquoest-il arriveacute
raquo tentant par lagrave de preacuteciser
la seacutequence ou la configuration des eacuteleacutements entourant un eacuteveacutenement en
particulier ou une seacuterie drsquoeacuteveacutenements Des relances theacutematiques sont eacutega-
lement preacutevues au canevas drsquoentretien Elles visent pour leur part agrave appro-
fondir certains aspects preacutedeacutefinis de la probleacutematique agrave lrsquoeacutetude
Le mateacuteriel drsquoentrevue fourni par les questions ouvertes dans le cas
de lrsquoeacutetude de Hamel
et al
(1998) et la totaliteacute des entrevues pour celle de
Fournier (2003) retranscrit inteacutegralement est drsquoabord soumis agrave une ana-
lyse verticale concernant chaque entrevue prise pour elle-mecircme dans le
but de deacutegager les principales dimensions abordeacutees par chacun des inter-
vieweacutes Une analyse transversale est ensuite reacutealiseacutee visant cette fois agrave
reacuteveacuteler les convergences aussi bien que les divergences qui apparaissent
dans les propos tenus par chacun des intervieweacutes sur chacun des thegravemes
retenus dans le cours de la premiegravere analyse
Il srsquoagit lagrave somme toute drsquoun canevas de recherche qualitative assez
classique mais qui nrsquoavait pas eacuteteacute utiliseacute aupregraves des jeunes membres de
gangs Celui-ci srsquoenrichit du fait que nous avons tenteacute de respecter la
structure chronologique des eacuteveacutenements survenus dans la vie des jeunes
agrave partir du moment ougrave ils ont commenceacute agrave frayer avec les gangs de rue
Ainsi nous avons pu tracer la petite histoire de lrsquoexpeacuterience veacutecue par les
jeunes en lien avec les gangs en ayant pour point de deacutepart le processus
drsquoaffiliation et en allant jusqursquoau processus de deacutesaffiliation Nous avons
drsquoailleurs deacutecouvert agrave cette occasion qursquoil fallait nous attarder aux proces-
sus au lieu de parler en termes de moments ou mecircme drsquoeacutetapes
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES
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43 LA PAROLE DES JEUNES
Au fil des entrevues les jeunes nous apprennent qursquoils ont eacuteteacute attireacutes par
les gangs parce que ceux-ci leur permettaient de combler des besoins de
valorisation drsquoappartenance de reacutealisationhellip qursquoaucune autre institution
sociale ne leur permettait de satisfaire
Les jeunes nous apprennent aussi nous le soulignions que lrsquoadheacute-
sion aux gangs relegraveve le plus souvent drsquoun processus bien plus que drsquoun
coup de cœur ou drsquoune situation isoleacutee de coercition comme on avait pu
le laisser entendre Les jeunes les filles en particulier sont seacuteduits par les
membres de gangs agrave travers un proceacutedeacute complexe qui conduit agrave leur
recrutement
Les jeunes qui se laissent ainsi seacuteduire preacutesentent ordinaire-
ment diffeacuterents espaces de vulneacuterabiliteacute qui les disposent drsquoune certaine
maniegravere agrave se rapprocher des gangs ils viennent de familles qui vivent des
difficulteacutes (besoin de seacutecuriteacute) ou qui srsquointeacuteressent trop ou pas assez agrave eux
(besoins de reconnaissance de valorisation) ils vivent des difficulteacutes
drsquointeacutegration sociale (besoin drsquoappartenance) des difficulteacutes scolaires
(besoin de reconnaissance et de valorisation) ou des expeacuteriences de vic-
timisation agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de la famille (besoin de protec-
tion) Ils trouvent dans les gangs agrave combler ces besoins et srsquoen voient au
moins pour un temps reacuteconforteacutes Ainsi se trouve mis au jour un reacutesultat
ineacutedit traduisant le fait qursquoau-delagrave de la
violence et de la criminaliteacute qursquoil
geacutenegravere le pheacutenomegravene des gangs de rue est associeacute agrave un problegraveme encore
plus important et troublant agrave nos yeux les jeunes deacutecouvrent dans les
gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs de combler diffeacute-
rents besoins fondamentaux
Tout le temps que dure lrsquoaffiliation des jeunes au gang il apparaicirct
que ceux-ci sont litteacuteralement enivreacutes par lrsquointensiteacute des rapports qursquoils
deacuteveloppent dans ces groupes Cela ne veut pas dire qursquoils ne vivent pas
des sentiments contradictoires faits tout agrave la fois drsquoivresse et de peur mais
le sentiment qui transcende et qui surgit dans leur reacutecit comme un cri
du cœur est celui drsquoavoir trouveacute de
vrais amis
Les reacutecits que les jeunes nous font permettent de comprendre pour-
quoi les interventions traditionnellement favoriseacutees pour faire face au
pheacutenomegravene des gangs de nature essentiellement reacutepressive nrsquoont ordi-
nairement pas reacuteussi agrave atteindre leur objectif eacuteradiquer le pheacutenomegravene
des gangs Car agrave partir du moment ougrave les besoins que les jeunes cherchent
agrave y combler ne sont pas satisfaits il ne faut pas srsquoeacutetonner que le deacuteman-
tegravelement drsquoun gang se reacutevegravele temporaire le temps que lrsquoorganisation se
reacuteorganise
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si lrsquoensemble des reacutesultats de nos recherches teacutemoignent avec force
du mal-ecirctre de ces jeunes qui srsquoen remettent aux gangs pour satisfaire des
besoins qui ne semblent pas avoir eacuteteacute combleacutes ailleurs et pour nouer des
liens qursquoils ne semblent pas entretenir et pouvoir deacutevelopper ailleurs ils
teacutemoignent aussi de la meacuteconnaissance drsquoune telle reacutealiteacute
431 L
ES
JEUNES
PARLENT
DE
LA
FACcedilON
DONT
ILS
EN
SONT
VENUS
Agrave
SE
JOINDRE
AUX
GANGS
Lorsqursquoon demande aux jeunes les raisons qui les ont ameneacutes agrave se joindre
aux gangs les reacuteponses surprennent un peu Pour certains comme Davis
ou Simon lrsquoadheacutesion aux gangs paraicirct srsquoecirctre imposeacutee tout simplement
comme une eacutevidence un incontournable Elle srsquoest faite tout naturelle-
ment Un fregravere un ami en faisait deacutejagrave partie et il eacutetait en quelque sorte
convenu qursquoils en fassent aussi partie
Jrsquoai toujours eacuteteacute plongeacute dans cet univers-lagrave Jrsquoai toujours eacuteteacute conscient deccedila Les gangs ont toujours fait partie de mon environnement Ils eacutetaientdans mon quartier dans mon eacutecole Crsquoeacutetaient mes amis Je savais ce quecrsquoeacutetait une gang Mon fregravere en faisait aussi partie Pour moi crsquoeacutetait unedeuxiegraveme famille Jrsquoavais ccedila dans le sanghellip Quand je voyais mon fregravere jesavais qursquoun jour je serais avec eux autres
(Davis 17 ans dans Hamel
et al
1998)
Moi jrsquoai grandi avec les gangs de rue crsquoest plus pour ccedila que jrsquoai eacuteteacute inteacutegreacutelagrave-dedans parce que je voyais comment ccedila se passait et mes fregraveres eacutetaientlagrave-dedans et mes cousins
[hellip]
Un jour ou lrsquoautre il y en avait beaucoupqui savaient que jrsquoallais rentrer lagrave-dedans
[hellip]
Yrsquoa pas une fille qui peutme dire qursquoelle a grandi avec ces gars-lagrave et qui est pas comme eux Si cettefille-lagrave me dit ccedila cette fille-lagrave je la respecte parce que wow Vivre avec euxcrsquoest gravehellip ils sont en dedans de toi tout ce que tu fais et tu dis crsquoestquasiment eux Crsquoest quasiment eux autres qui trsquoont donneacute ton eacuteducationsans que tu le saches
(Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Drsquoautres au contraire expliquent qursquoils nrsquoavaient jamais vraiment
songeacute agrave se lier agrave un gang Ils nrsquoauraient drsquoailleurs mecircme pas saisi au
deacutepart en se joignant agrave un groupe drsquoautres jeunes qursquoils laquo srsquoembarquaient raquo
dans un gang
Dans ma tecircte agrave moi je rentrais dans un cercle drsquoamis pas dans une gangJe ne savais pas que jrsquoentrais dans une gang Je lrsquoai su apregraves
(Odile 24ans dans Hamel
et al
1998)
Je ne savais pas grand-chose sur les gangs En fait je ne savais pas quecrsquoeacutetait une gang Je ne savais pas ce que crsquoeacutetait encore moins comment ccedilafonctionnait Pour moi crsquoeacutetait uniquement un regroupement de gars qui
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se tenaient ensemble en tant qursquoamis pour la fecirctehellip Je trouvais ccedila extra-ordinairehellip Ce nrsquoest que plus tard que jrsquoai compris qursquoils faisaient desmauvais coups des deals qursquoils participaient agrave des activiteacutes deacutelinquantes
(Noeacutemi 17 ans dans Hamel
et al
1998)
Drsquoautres encore racontent que crsquoest un peu sur lrsquoimpulsion du moment
que lrsquoideacutee leur est venue de former un gang et ce nrsquoest qursquoau fil des
eacuteveacutenements que les activiteacutes du gang ont pris une allure plus deacutelinquante
Il y avait plusieurs gangs dans le quartier Moi et mes chums du primaireque je connais depuis longtemps on eacutetait toujours ensemble Un momentdonneacute on a deacutecideacute de se donner un nom ce qui a provoqueacute des bagarresavec une autre gang du quartier qui existait deacutejagrave et qui a mal reacuteagi aufait qursquoon forme une espegravece de gang La preacutesence de ce gang ennemi estdevenue notre raison drsquoecirctre Crsquoest comme ccedila qursquoon est devenu officiellementun gang de ruehellip Tout eacutetait une question de gang de territoire Il fallaitecirctre supeacuterieur en srsquoaffirmant par des batailles
(Charles 17 ans dansHamel
et al
1998)
Crsquoest moi et mes amis que je connais depuis longtemps qursquoon a formeacute ungang Je ne suis pas entreacute dans un gang on a grandi ensemblehellip Un soirmoi et mes chums on eacutecoutait un film Crsquoeacutetait lrsquohistoire drsquoun gang de NewYork qui avait deacutejagrave existeacute On a deacutecideacute que le nom de cet ancien gang allaitdevenir le nocirctre Crsquoest lagrave que les vraies affaires ont commenceacutehellip On acommenceacute agrave trois ou quatre gars et il y en a drsquoautres qursquoon connaissaitdeacutejagrave qui se sont joint agrave nous tranquillementhellip Ccedila crsquoest fait normalement
(Feacutelix 19 ans dans Hamel
et al
1998)
432 L
ES
JEUNES
EXPLIQUENT
LES
MOTIFS
QUI
LES
ONT
AMENEacuteS
Agrave SE
JOINDRE AU GANG
En ce qui concerne les motifs qui les auraient ameneacutes agrave se joindre agrave un
gang certains disent ecirctre venus y chercher du plaisir de lrsquoaventurehellip par
curiositeacute par deacutefi
Pour moi les gangs de rue crsquoeacutetait le trip drsquoecirctre toujours entoureacute drsquoamis defaire des activiteacutes trippantes le party la drogue les filles Je trouvais ccedila lefun Les gars sont comiques Ils sont cool Jrsquoeacutetais le plus jeune au deacutebutJrsquoeacutetais comme leur petit fregravere Ils prenaient soin de moi Ils me proteacutegeaientIls me traicircnaient partout (Simon dans Hamel et al 1998)
Crsquoeacutetait pas mal drsquoaction ccedila mrsquointeacuteressait ccedila mrsquointriguait Jrsquoai commenceacuteagrave freacutequenter du monde surtout les gangs espagnolshellip Jrsquoeacutetais un peu fofolleje voulais de lrsquoaventure (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)
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106 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Crsquoeacutetait cool Ccedila faisait marginal Ccedila mrsquoattirait Les gens avaient lrsquoair desrsquoaimer Crsquoeacutetait comme un esprit de famille Je pensais que crsquoeacutetait le bonheurle paradishellip Mais crsquoest surtout la curiositeacute qui mrsquoa attireacutee agrave eux Jrsquoavaisenvie de vivre lrsquoexpeacuterience de vivre quelque chose de nouveau de vivre lavie de gang (Yella 16 ans dans Hamel et al 1998)
Moi jrsquoaime le danger jrsquoaime la peur Nrsquoimporte quand tu vas me direlaquo non va pas lagrave raquo je vais y aller Crsquoest le danger et tu viens de me dire dene pas y allerhellip Je vais y aller pour te prouver que je suis capable de lefaire (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Mais ils sont plus nombreux agrave confier que crsquoest leur situation fami-
liale et sociale largement deacuteteacuterioreacutee qui les a ameneacutes agrave srsquoaffilier aux
gangs Dans le premier cas les jeunes disent srsquoecirctre associeacutes aux gangs afin
drsquoy trouver une nouvelle famille en remplacement de la leur largement
deacuteficiente de leur point de vue agrave combler leurs besoins drsquoattention de
valorisation drsquoamour Les reacutecits de Collin de Marie-Pierre et de Cassandre
ne constituent que trois exemples de telles situations qui se retrouvent
couramment dans les deux eacutetudes
Chez nous crsquoeacutetait lrsquoenfer Jrsquoavais beaucoup de problegravemes familiaux Jrsquoavaisbesoin drsquoune famille Eux ils mrsquoont offert celle que je nrsquoavais jamais eueJe viens drsquoune famille deacutesorganiseacutee sans affection sans preacutesence et ougrave jrsquoaitoujours eacuteteacute diminueacute et traiteacute comme un bon agrave rienhellip Jrsquoavais besoin dugang (Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)
Quand je rechute crsquoest la seule place que je sais que je suis vraiment biendans ma peau Et crsquoest ce que jrsquoaurais aimeacute avoir de mon pegravere [lrsquoamour]mais je peux pas lrsquoavoir de lui Alors crsquoest ccedila qui mrsquoattire lagrave-dedans il ya de la souffrance il y a plein de choses mais il y a aussi beaucoupdrsquoamour et moi jrsquoaime ccedila en recevoir beaucoup parce que jrsquoen ai pas euassez (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Jrsquoai eu une crise drsquoadolescence ougrave je me sentais toute seule ma megravere eacutetaitmaladehellip Ma megravere avait pris un travailleur social jrsquoavais un eacuteducateuret jrsquoavais une personne-ressource agrave lrsquoeacutecolehellip Donc jrsquoavais tout le monde surmon cas parce que ma megravere eacutetait malade Alors jrsquoavais du monde quisrsquooccupait de moi vu que jrsquoeacutetais laisseacutee agrave moi-mecircme et ccedila marchait pas dutouthellip Jrsquoeacutetais deacutelaisseacutee avec qui tu voulais que je sois (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2002)
Crsquoest agrave ce moment que les gangs ont fait irruption dans la vie de
Marie-Pierre par un processus subtil de recrutement au moment ougrave elle
se trouvait en centre drsquoaccueil Le reacutecit de Marie-Pierre est inteacuteressant car
il permet de constater que malgreacute le fait qursquoelle ait eacuteteacute entoureacutee et prise
en charge de toutes parts elle se sentait deacutelaisseacutee On voit ici agrave quel point
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 107
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les impressions face agrave une situation peuvent parfois se reacuteveacuteler trompeuses
lorsqursquoelles sont confronteacutees aux perceptions des personnes qui vivent la
situation Il ne srsquoagit pas de dire que la laquo veacuteriteacute raquo de la situation se trouve
drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre Il srsquoagit simplement de signaler qursquoil peut exister ndash
et qursquoil existe mecircme normalement ndash une distorsion entre les impressions
drsquoune part et les perceptions drsquoautre part dont il faut tenir compte En
fait il faut tenir compte aussi bien des unes que des autres pour agir
adeacutequatement face agrave la situation
En ce qui a trait agrave leurs relations sociales plusieurs jeunes disent
avoir rencontreacute pour la premiegravere fois dans les gangs de vrais amis un
thegraveme qui revient sans cesse
Crsquoest venu combler un manque que jrsquoavais manque drsquoamour manquedrsquoattention Quand tu as pas drsquoattention et que tu es adolescente tu veuxparler tu veux faire ci tu veux faire ccedila et qursquoil y a personne qui a le tempsde trsquoeacutecouter et tout le monde te crie des becirctises [hellip] Tu vas les voir euxautres laquo Christ trsquoes cool trsquoes hot trsquoes super comique et ci et ccedila tabarnaneccedila fait changement ccedila lagrave Ccedila me valorisait dans un sens-lagrave (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2003)
Ces gens-lagrave tu le sais quand tu es dans un gang tu as des amies de fillestu as des amis de gars mais pas des fakes des reals Vraiment des vraisamis Tu te dis que cette personne-lagrave elle trsquoaime pour ce que tu es et nonpour ce que tu as (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)
Deux autres motifs sont encore invoqueacutes par les jeunes pour expli-
quer leur inteacuterecirct agrave se joindre aux gangs un besoin de seacutecuriteacutehellip
Jrsquoavais la protection offerte par la gang Jrsquoai embarqueacute dans un but preacutecis quand il y a une bataille mes amis vont ecirctre lagrave (Vanier 16 ans dansHamel et al 1998)
Moi je me sens proteacutegeacutee parce que je le sais qursquoavec eux autres il peut rienmrsquoarriver de mal Il peut mrsquoarriver quelque chose de mal genre prendre dela drogue ou nrsquoimporte quoi mais si jrsquoai un problegraveme avechellip genre un garsqui veut me casser les deux jambes bien jrsquoappelle mes amis et ils vont veniragrave mon secours (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Dans mon quartier il y avait plusieurs gangs donc plusieurs problegravemesLe gang veut dire pour moi ecirctre avec des amis avoir du funhellip Surtoutavoir une protection Tu vois les rivaux et tu ne sais jamais quand ils tesauteront dessus Le gang trsquoassure une seacutecuriteacute un back-up Il faut que tusois avec quelqursquoun Tu ne peux pas marcher tout seul et aller aux fecirctestout seul Ce nrsquoest pas bon de te promener seul Agrave plusieurs tu es toujoursplus fort (Davis 17 ans dans Hamel et al 1998)
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108 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
hellip et le deacutesir ndash ou le besoin ndash de faire de lrsquoargent rapidement
Lrsquoargent fourni par le gang peut ecirctre vu par le jeune comme une faccedilon
de se procurer des biens qui autrement ne seraient pas agrave sa porteacutee et
qui agrave ses yeux lui confegraverent un certain statut social
Ma megravere avait pas drsquoargent essaye de prendre des cours de ci essaye deprendre des cours de ccedila ccedila coucircte tout le temps de lrsquoargent faire ccedila Tu faisquoi dans ce temps-lagrave Tout le monde srsquohabille en Polo quand crsquoest la modedu Polo et tout le monde srsquohabille en ci et en ccedila et toi tu es habilleacutee enCroteau [magasin bas de gamme] Crsquoest chiant pareil lagrave Ou tout lemonde se promegravene avec cinq cents (dollars) dans les poches et toi tu as troispiastres Lrsquoargent ccedila a aideacute disons Tu vois tout le monde en gros char ettout le monde avec la palette et les bijouxhellip agrave un moment donneacute ccedila faitchier (Marie-Pierre 24 ans dans Hamel et al 1998)
Mais lrsquoargent peut aussi servir des fins de survie notamment pour
les jeunes en fugue Clara par exemple explique qursquoelle a accepteacute de se
joindre agrave un gang uniquement parce qursquoelle voyait lagrave une faccedilon de
pouvoir assurer la poursuite de sa fugue
Crsquoest juste pour avoir de lrsquoargent Moi je me disais dans ma tecircte laquo Je mecache jusqursquoagrave mes 18 ans il faut bien que je commence agrave avoir delrsquoargent raquo Jrsquoavais besoin drsquoargent parce que sinon je pouvais pas ecirctre enfugue (Clara 15 ans dans Fournier 2003)
De ces reacutecits de jeunes qui racontent comment ils en sont venus agrave
se joindre aux gangs ressort une image bien diffeacuterente de celle deacutesincar-
neacutee que donnent les diffeacuterentes typologies qui distinguent globalement
les membres du noyau dur des associeacutes des membres peacuteripheacuteriques des
recrues et des jeunes aspirants (Heacutebert et al 1997) qui tentent de calculer
la proportion de jeunes faisant partie de chacune de ces tranches qui
tentent ensuite de les caracteacuteriser par la part qursquoils prennent aux activiteacutes
deacutelinquantes du groupe oubliant que le gang ne se reacuteduit pas dans
lrsquoesprit des jeunes ordinairement agrave un regroupement de jeunes constitueacute
en vue de commettre une deacutelinquance organiseacutee mais repreacutesente plutocirct
un groupe drsquoamishellip une gang de chums Crsquoest lrsquoimage de jeunes qui expriment
des besoins drsquoappartenance de valorisation de protection ou simple-
ment qui cherchent des occasions de plaisir qui est deacutepeinte ici Des
jeunes qui finalement ressemblent agrave tous les autres jeunes car comme
Freacutechette et Le Blanc (1987) parmi drsquoautres le signalent tregraves pertinem-
ment le deacutesir de se regrouper est un deacutesir tout ce qursquoil y a de plus normal
agrave lrsquoadolescence
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Enfin on lrsquoaura deacutejagrave senti mais ces deux extraits des entrevues avec
Xavier et avec Lucie le montrent encore plus clairement lrsquoadheacutesion aux
gangs se fait rarement du jour au lendemain Il srsquoagit drsquoun processus
parfois assez long qui conduit agrave y adheacuterer peu agrave peu sans brusquerie
Ainsi Xavier raconte
Un jour je me promenais dans la rue avec un ami et deux filles Crsquoest lagraveque jrsquoai rencontreacute un gang Celui qui semblait le chef srsquoest approcheacute de nouspour nous dire qursquoon eacutetait sur leur territoirehellip On srsquoest mis agrave parler et legars mrsquoa carreacutement demandeacute si je voulais embarquer dans le gang Jrsquoaiaccepteacute de lui donner mon numeacutero de teacuteleacutephone Il mrsquoa appeleacute le lendemainpour me demander encore une fois si jrsquoeacutetais inteacuteresseacute agrave embarquer dans legang Je nrsquoai pas reacutepondu tout de suite mais par curiositeacute sans penseraux conseacutequences je me suis dit laquo pourquoi pas raquo Je ne pensais qursquoaupositif les filles les fecircteshellip Trois jours apregraves le gars me rappelait et jrsquoaccep-tais drsquoembarquer Il mrsquoa alors fixeacute un rendez-vous et ils mrsquoont initieacute(Xavier 21 ans dans Hamel et al 1998)
Et Lucie
Chez nous ccedila nrsquoallait pas bien Jrsquoai alors eacuteteacute placeacutee en centre drsquoaccueilIncapable de vivre lagrave Jrsquoai fait plusieurs fugues en peu de temps Maisquand tu fugues geacuteneacuteralement tu nrsquoas rien Tu es seule sans argent sansplace ougrave aller Alors ccedila te prend pas de temps qursquoon te retourne en centredrsquoaccueil Je ne voulais plus y retourner Une fille mrsquoa proposeacute de me pousseravec elle et elle me dit qursquoelle connaicirct du monde qui pourrait nous cacherAvec sa proposition jrsquoavais la chance de me pousser pour de bon La fillea planifieacute notre fugue et des garccedilons nous attendaient agrave une station demeacutetro Crsquoest lagrave que jrsquoai su que crsquoeacutetaient des gars de gangs Mais bon avecces gars-lagrave jrsquoavais tout argent bouffe vecirctements appartement amishellip Jenrsquoeacutetais plus seule La vie de luxe quoi Tu deacutebarques les meubles sont lagravetu es habilleacutee Ils te sortent 20 $ pour que tu te payes le restohellip Au deacutebutils sont bien finshellip (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)
La derniegravere partie de lrsquoextrait tireacute du reacutecit de Lucie raconte qursquoapregraves
avoir eacuteteacute laquo gacircteacutee raquo et laquo proteacutegeacutee raquo par le gang celle-ci a ducirc payer sa dette
en se prostituant pour le groupe Une situation qui nous a eacuteteacute maintes
fois rapporteacutee et que reacutesume bien Yanie qui a subi le mecircme sort mais
preacutefegravere parler plus globalement de cette situation peut-ecirctre parce qursquoelle
se sent trop eacutemotivement concerneacutee
Agrave chaque fille qui passait ils la seacuteduisaient drsquoune faccedilon la seacuteduction desgangs Ils la seacuteduisaient laquo Je te trouve belle veux-tu mon numeacutero je vaistrsquoappelerhellip raquo Lagrave la fille elle le trouve beau super beau laquo Il est tellementbeau il est tellement gentil je veux ecirctre avec raquo Lagrave elle lui donne son
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110 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
numeacutero Il lrsquoappelle ils sortent ensemble deux ou trois semaines Apregraves ccedilaelle est obligeacutee de le repayer Alors lagrave il dit laquo Tu as les moyens de me payerpar argent ou tu devras travailler pour moi raquo Alors lagrave elle est toute laquo travailler pour toi raquo [hellip] Alors lagrave soit qursquoelle fait de la prostitutionsoit qursquoelle va coucher avec tous ses amishellip (Yanie 14 ans dans Fournier2003)
Ce revirement de situation se vivrait quasi systeacutematiquement lorsque
les jeunes filles sont en fugue srsquoil faut en croire les reacutecits que nous font
celles-ci Sophie raconte cette histoire drsquoune amie qui srsquoest ainsi fait prendre
au jeuhellip une histoire semblable agrave bien drsquoautres que nous avons entendues
Elle eacutetait dans le bus et il y a un gars qui lui dit laquo Salut qursquoest-ce quetu fais raquo Lagrave elle dit laquo Rien je suis en fugue raquo et tout Elle capotait Lagravele gars il lui a dit laquo Viens chez nous viens prendre ta douche tu vas ecirctreagrave lrsquoaise raquo [hellip] Elle est alleacutee chez eux elle a pris sa douche et tout Lagrave elleavait faim alors elle a mangeacute il lui a commandeacute agrave manger Le gars estalleacute lui acheter un manteau il est alleacute lui acheter plein de maquillage [hellip]Et lagrave agrave un moment donneacute il a commenceacute agrave prendre de la drogue avec elleet lagrave il la droguait il la droguait jusqursquoagrave un moment donneacute qursquoil a dit laquo OK tu vas aller danser pour moi raquo [hellip] Crsquoest ccedila bref la fille eacutetait lagrave-dedans et tout et elle dansait pour lui Elle avait plein de cash et agrave lafin crsquoeacutetait rendu qursquoil la battait parce qursquoelle ccedila lui tentait plus de faireccedila ccedila lui tentait plus parce que dans le fond tout le cash qursquoelle faisaitelle lui donnait touthellip (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)
Enfin certains comme Charles Odile et Rose expriment clairement
que rien nrsquoaurait pu les empecirccher de se joindre au moins pour un temps
au gang qursquoils ont freacutequenteacute
Crsquoeacutetait ma deacutecision Rien ne pouvait empecirccher ccedila Dans ce temps-lagrave audeacutebut on ne faisait rien de mal On eacutetait juste des chums Crsquoeacutetait normalpour moi drsquoecirctre avec eux (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)
Personne nrsquoaurait pu mrsquoempecirccher de me tenir avec ces gars-lagrave Jrsquoai toujourseacuteteacute bien ouverte Je nrsquoai jamais rien cacheacute agrave personne mais je nrsquoeacutecoutaispas Jrsquoeacutetais reacutevolteacutee une rebelle une anti-autoriteacute une eacutegocentrique je nepensais qursquoagrave moi et au fun que je voulais avoir Il fallait que je vivelrsquoexpeacuterience je pense (Odile 24 ans dans Hamel et al 1998)
Tout le monde a essayeacute de me parler et de mrsquoaider mais ccedila nrsquoa rien donneacuteJe ne les eacutecoutais pas Il fallait que je vive lrsquoexpeacuterience Il faut vivre leschoses pour savoir sinon tu trsquoen foushellip Jusqursquoagrave temps que ce soit toi quipayes le prix (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)
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433 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoEXPEacuteRIENCE QUrsquoILS ONT VEacuteCUE
DANS LE GANGhellip EN TERMES DrsquoEacuteMOTIONS
Les jeunes parlent peu de leur expeacuterience dans le gang les jeunes gar-
ccedilons surtout se font discrets sur cette tranche de leur affiliation aux
gangs Les filles se deacutevoilent un peu plus Nous avons eu lrsquooccasion de
traiter ailleurs plus speacutecifiquement du rocircle et des fonctions des filles dans
les gangs (Fournier Cousineau et Hamel agrave paraicirctre) et notamment des
expeacuteriences de victimisation qursquoelles y vivent (Fournier Cousineau et
Hamel 2004) Nous voulons mettre ici lrsquoaccent sur ce que les jeunes nous
ont dit trouver au sein des gangs plutocirct que sur les activiteacutes qursquoils y ont
meneacutees la deacutelinquance agrave laquelle ils ont pu srsquoadonner du fait de leur
affiliation au gang un aspect plus connu de la reacutealiteacute des gangs En srsquointeacute-
ressant aux eacutemotions ressenties par les jeunes en lien avec lrsquoexpeacuterience
qursquoils vivent dans les gangs on deacutecouvre drsquoabord que ceux-ci offrent aux
jeunes beaucoup drsquoaspects positifs ce qursquoon aurait trop facilement ten-
dance agrave neacutegliger En fait on constate qursquoils trouvent agrave y combler du moins
pour un temps les principaux besoins qursquoils exprimaient comme autant
de motifs les ayant conduits agrave srsquoaffilier agrave un gang de rue ou nous lrsquoaurons
compris plus preacuteciseacutement aux membres drsquoun gang de rue dans la plupart
des cas
Drsquoabord le gang suscite un fort sentiment drsquoappartenance comme
lrsquoexprime tregraves bien Collin
Je ressentais un fort besoin drsquoappartenance La gang me lrsquooffrait Crsquoeacutetaitcomme une famille Ils eacutetaient precircts agrave tout faire pour mrsquoaider On avaittous les mecircmes faiblesses tous les mecircmes problegravemes On eacutetait regroupeacutesunis Crsquoest ce qui faisait notre force Tu nrsquoes pas en gang tu appartiensagrave une famille tu appartiens agrave une gang Avec la gang jrsquoavais la protec-tion le pouvoir et le respecthellip On se sent important aux yeux de quelqursquounet surtout on se sent bon agrave quelque chose Crsquoest une faccedilon de se trouverun but commun avec des gens qui te ressemblent qui ont les mecircmes preacuteoc-cupations que toi Je cherchais une boueacutee de secours une famille quisrsquooccupe de moi qui mrsquoappreacutecie agrave ma juste valeur (Collin 25 ans dansHamel et al 1998)
Le gang viendrait donc jouer aux yeux des jeunes qui y adhegraverent
le rocircle drsquoune seconde famille ou mecircme prendre carreacutement la place que
la famille ne prend pas affirmeront certains jeunes intervieweacutes Certains
y trouveraient un lieu de confidenceshellip
On parlait on parlait beaucoup Et crsquoest comme ccedila que je suis devenueplus amie avec eux Ils me parlaient de leurs expeacuteriences et je leur parlaisde mes expeacuteriences Pas les mauvais coups et tout ccedila mais plus nos viesqursquoest-ce qui srsquoest passeacute depuis qursquoon est jeune et tout ccedila (Eva 16 ansdans Fournier 2003)
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112 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
hellip et drsquoeacutecoute souligne Cassandre
Les seules personnes agrave qui je savais que je pouvais faire confiance crsquoeacutetaientles gars de gang et les filles de gang Parce qursquoeux autres je leur ai dit ceque mon pegravere me faisait et ils mrsquoont crue [hellip] Et ils mrsquoont donneacute delrsquoamour et du temps et ils mrsquoont crue dans tout ce que je leur ai dit Crsquoestpas comme si je parlais dans le vide Crsquoest pas comme si je disais quequelque chose mrsquoest arriveacute et qursquoils vont prendre ccedila agrave la leacutegegravere Ils leprenaient directement comme si crsquoest agrave eux qursquoil lrsquoavait fait aussi (Cassandre17 ans dans Fournier 2003)
Le gang prendrait une telle place dans la vie de certains jeunes qursquoils
ressentiraient un veacuteritable sentiment de deacutependance agrave son endroit comme
lrsquoexprime Yella
Jrsquoeacutetais toujours avec eux Je nrsquoeacutetais plus capable de vivre sans eux drsquoecirctresans eux Crsquoeacutetait une autre famille Crsquoeacutetait plus que des amis crsquoeacutetait unpasse-temps tellement bon que je ne pouvais plus mrsquoen passer Crsquoeacutetaitdevenu un besoin lrsquoattention lrsquoamour ne plus ecirctre seule (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)
Et comme le dit eacutegalement Heacutelegravene
Jrsquoeacutetais juste concentreacutee laquo gang gang il faut que jrsquoaille au parc apregraveslrsquoeacutecole il faut que jrsquoaille direct lagrave raquo Quand jrsquoallais pas au parc unejourneacutee je disais laquo Mon Dieu je suis pas alleacutee il faut que jrsquoy aille si jrsquoyvais pas ils vont ecirctre facirccheacutes ils vont dire que je les ai oublieacutes raquo Je pensaisjuste agrave eux ma vie crsquoeacutetaient eux (Heacutelegravene 16 ans dans Fournier 2003)
Si Heacutelegravene dit avoir peur de facirccher les membres du gang ce nrsquoest
pas par crainte de repreacutesailles mais plutocirct parce qursquoelle pense qursquoelle
pourrait ecirctre rejeteacutee du groupe en ne se montrant pas parfaitement fidegravele
et totalement deacutevoueacutee envers ceux qui le composent
Le gang jouerait aussi parfois des rocircles plus inattendus qui ne cor-
respondent pas veacuteritablement agrave lrsquoun des besoins exprimeacutes plus haut
comme en teacutemoigne Quentin qui dit srsquoecirctre servi du gang pour reacutegler son
compte agrave son beau-pegravere qursquoil jugeait violent
Ma megravere et son chum buvaient beaucoup et ils se chicanaient tout le tempsMon beau-pegravere eacutetait violent Les policiers deacutebarquaient toujours chez nousJrsquoeacutetais tanneacute Je voulais reacutegler le compte de mon beau-pegravere Je voulais lefaire battre Jrsquoai demandeacute au gang de le faire et crsquoest ce qui est arriveacute Ilest alleacute agrave lrsquohocircpital et je nrsquoai plus jamais entendu parler de lui Le gangpouvait reacutegler mes problegravemes (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)
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Mais un jour la lune de miel prend finhellip
Tu te ramasses en centre drsquoaccueil pour des deacutelits que tu te dis apregraves quetu nrsquoaurais jamais ducirc faire ccedila Tu as du trouble avec les policiers Tu esconnu drsquoeux autres Ils savent ton nom Ils te collent tout le temps Ilstrsquoeacutecœurent mecircme quand tu nrsquoes pas impliqueacute mais que tes chums le sonthellipcrsquoest lrsquoenfer (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)
Collin reacutesume bien les sentiments que plusieurs expriment
Jamais je mrsquoeacutetais imagineacute que ccedila me megravenerait aussi loin Jamais jrsquoauraispenseacute voir mes chums avec de seacuterieux problegravemes de drogues des blessuresgraves se ramasser agrave lrsquohocircpital agrave moitieacute mort suite agrave une bataille tregravesviolente Quand tu es rendu agrave te tirer dessushellip la game a changeacute Lagrave tuas peur de deacutefendre les couleurs de ton gang agrave cause des gangs ennemisTu as la chienne Tu ne portes plus une arme pour avoir lrsquoair cool maispour sauver ta peauhellip Lagrave ce nrsquoest plus vraiment coolhellip crsquoest eacutepeuranthellip(Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)
Pour bien des filles la fin de la lune de miel prend une signification
toute particuliegravere qursquoon a deacutejagrave abordeacutee
Jrsquoai vite compris qursquoil fallait que je rembourse tout ce que les gars mrsquoavaientpayeacute quand ils mrsquoont accueillie pendant ma fuguehellip Ils srsquoeacutetaient arrangeacutesavec une autre fille du gang qui dansait deacutejagrave pour qursquoelle me traicircne avecelle au bar Elle mrsquoexpliquait ce qursquoelle faisait elle me disait que crsquoeacutetaitfacile qursquoelle faisait pas mal drsquoargenthellip Puis un jour ils mrsquoont dit queje devais moi aussi danserhellip Il fallait que je rembourse (Lucie 15 ansdans Hamel et al 1998)
434 LES JEUNES PARLENT DES MOTIFS QUI LES ONT AMENEacuteS
Agrave QUITTER LE GANG
Diffeacuterents motifs sont invoqueacutes par ceux qui ont choisi de quitter le
monde des gangs Celui qui revient le plus souvent est sans contredit la
survenance drsquoun eacuteveacutenement ou drsquoune seacuterie drsquoeacuteveacutenements qui vient
remettre en cause la perception que le gang est agrave mecircme drsquooffrir la seacutecuriteacute
agrave ses membres
Crsquoest devenu vite dangereux agrave cause des guerres de territoire La technologieavanccedilait tout le temps Au deacutebut crsquoeacutetaient les poings les bacirctons pis apregravesles couteaux Lagrave crsquoeacutetaient les laquo guns raquohellip Ccedila jouait de plus en plus dur Jene mrsquoattendais pas agrave ccedila (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)
Tu as beaucoup drsquoennemis [quand tu fais partie drsquoun gang] Lorsquetu sors si tu vas dans un autre quartier et que tu es seul tu risques de tefaire agresser de te faire attaquer (Davis 17 ans dans Hamel et al1998 p 157)
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114 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Jrsquoai perdu plusieurs de mes amis soit par overdose ou par meurtre Moi-mecircme je ne compte plus le nombre de fois ougrave je me suis fait pointer unlaquo gun raquo sur la tempe (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoeacutetait rendu lrsquoenferhellip Ma meilleure amie se retrouve en deacutesintox monchum se fait tuer dans un regraveglement de compteshellip Je me ramasse en centredrsquoaccueilhellip Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoavoir tout perdu (Patricia 17 ans dansHamel et al 1998)
Agrave un moment donneacute tu vis dans la violence tu as du sang sur les mainstout le temps crsquoest pas une viehellip Ccedila fait peur quand tu vois les autresrentrer en prison Trsquoes agrave lrsquohocircpital pendant trois mois trsquoas une balle ou trsquoesdans le coma pendant deux semaines ccedila me tentait pas que ccedila arrive agraveun moment donneacute (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)
Une arrestation policiegravere ou le placement dans un centre de reacuteha-
bilitation peut aussi se reacuteveacuteler lrsquooccasion drsquoun temps drsquoarrecirct propice agrave la
reacuteflexion Et cette reacuteflexion peut conduire agrave voir une certaine absurditeacute
dans lrsquoadheacutesion au gang et ouvrir tranquillement une porte de sortie
comme en teacutemoignent Eva et Laurie
En eacutetant ici [en centre de reacutehabilitation] ccedila mrsquoa calmeacutee et jrsquoai pureacutefleacutechir Tout ce qui est arrecirct drsquoagir et tout ccedilahellip Ils donnent des reacuteflexionset lagrave tu reacutefleacutechis tu reacutefleacutechis et tu te rends compte crsquoest quoi tes vraisbesoinshellip Est-ce que tu as vraiment besoin de personnes qui te protegravegent decette faccedilon-lagrave Tu te dis laquo non raquo Ccedila prend du temps mais tu finis partrsquoen rendre compte Crsquoest pour ccedila qursquoils [les intervenants du centre]mrsquoont aideacutee (Eva 16 ans dans Fournier 2003)
Crsquoest quand je suis rentreacutee dans le centre intensif dans lrsquouniteacute drsquoattenteLagrave je pensais agrave ccedila et je commenccedilais agrave revoir ma megravere Et ma megravere souventquand elle venait on se parlait et on pleurait toutes les deuxhellip Je me suisrendu compte que ccedila mrsquoa vraiment manqueacute crsquoeacutetait de ccedila dont jrsquoavaisbesoin de ma famillehellip Et crsquoest apregraves quand jrsquoai repenseacute agrave ccedila qui mrsquoarien apporteacutehellip jrsquoai dit laquo non je veux plus rien savoir raquo (Laurie 15 ansdans Fournier 2003)
La rencontre drsquoune personne susceptible drsquoexercer une influence
positive sur la vie du jeune (un copain ou une copine qui exige qursquoon se
tienne loin des gangs un intervenant de confiance un heacuteroshellip) peut aussi
venir influencer cette fois de maniegravere positive la sortie du gang rendant
celle-ci peut-ecirctre plus facile agrave vivre En effet comme on le verra quitter
le gang se fait rarement sans peine
Je sais que quand je vais sortir drsquoici je retournerai plus avec eux Je mesuis fait des nouveaux amis et je fais des activiteacutes saines Je veux pasretomber dans cette merde-lagravehellip (Eva 16 ans dans Hamel et al 1998)
LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 115
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Je suis bien comme ccedila avec mes amis mes petits amis straight qui prennentpas de drogues pas de biegravere et qui vont agrave lrsquoeacutecole Je suis bien bien mieuxcomme ccedila (Sarah 14 ans dans Fournier 2003)
Pour certains crsquoest simplement le sentiment qursquoil est temps de passer
agrave autre chose de prendre sa vie en main pour soi ou pour ne pas compro-
mettre davantage les relations avec son entourage qui sonnera le glas de
lrsquoadheacutesion aux gangs Feacutelix Martin et Yella disent chacun agrave leur faccedilon
en ecirctre arriveacutes agrave ce point dans leur vie au moment ougrave ils prennent la
deacutecision de quitter le gang
Je veux ecirctre quelqursquoun moi Je ne veux pas ecirctre quelqursquoun qui va ecirctre dansla rue ou en prison Je veux ecirctre quelqursquoun de reconnu positivement parles autres qursquoils disent de moi que jrsquoai fait quelque chose dans la vie (Feacutelix19 ans dans Hamel et al 1998)
Je voulais que ma famille soit fiegravere de moi Je ne veux pas que mon fregravereet ma sœur aient des problegravemes agrave cause de moi ou fassent comme moi(Martin 17 ans dans Hamel et al 1998)
Je pensais agrave ma famillehellip Je ne voulais pas la quitter agrave 18 ans parce quejrsquoavais trop de problegravemes Je ne voulais pas que mon pegravere et ma megravere monfregravere mrsquohaiumlssent parce que je faisais partie drsquoune gang (Yella 16 ans dansHamel et al 1998)
Enfin les cateacutegories de motifs de sortie ne sont eacutevidemment pas
mutuellement exclusives Loin de lagrave Souvent on constatera dans le reacutecit
des jeunes une combinaison de ressources qui creacutee une conjoncture favo-
rable agrave un changement de vie Certains comme Danick et Feacutelix lrsquoexpriment
drsquoailleurs clairement
Crsquoest un peu de tout qui mrsquoa aideacutehellip Lrsquoarrestation mes ideacutees agrave moi devouloir laisser tomber lrsquoaide de mon eacuteducateur-parrain les encouragementsde mes parentshellip (Danick 16 ans dans Hamel et al 1998)
Jrsquoai regardeacute ce que jrsquoavais dans la vie ce que je voulais ecirctre ce que jevoulais faire de ma viehellip Jrsquoai reacutegleacute mes problegravemes de consommation dedrogues et mes problegravemes drsquoagressiviteacute que jrsquoavais Jrsquoai appris agrave reacutegler mesproblegravemes en parlant sans utiliser la violence Ma deacutecision eacutetait faite maislrsquoaide de mes parents de mon eacuteducateur-parrain les rencontres de groupeau Centrehellip Tout ccedila mrsquoa aideacute agrave prendre ma deacutecisionhellip mais surtout agrave lagarder (Feacutelix 19 ans dans Hamel et al 1998)
On comprend des propos tenus par Feacutelix qursquoil ne suffit pas drsquoecirctre
appuyeacute par des personnes-ressources pour sortir du gang pour que la
sortie perdure Le soutien doit srsquoeacutetendre sur une longue peacuteriode le temps
que la convalescence se fasse Car on le verra dans les paragraphes qui
suivent crsquoest drsquoune veacuteritable convalescence que les jeunes nous parlent
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116 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Quoi qursquoil en soit plusieurs des jeunes que nous avons intervieweacutes
signalent que la sortie ne peut se reacutealiser veacuteritablement qursquoagrave partir du
moment ougrave le jeune lui-mecircme se sent precirct Il srsquoagirait lagrave drsquoun concept cleacute
en vue drsquoune intervention efficace arriver agrave reconnaicirctre quand le jeune
est disposeacute agrave agir et ecirctre soi-mecircme precirct agrave saisir lrsquooccasion pour lrsquoappuyer
dans sa deacutemarche et peut-ecirctre aussi trouver des moyens de lrsquoamener agrave se
preacuteparer
Personne ne peut rien faire Vous ne pouvez pas rien faire Vous essayezmais ccedila ne donne rien si le jeune ne veut pashellip Ccedila deacutepend surtout de lui Crsquoest la chose la plus importante crsquoest elle qui fait toute la diffeacuterence Crsquoesttoi qui deacutecides (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoest seulement moi qui peux faire en sorte de couper les lienshellip Crsquoest tonchoix de deacutebarquer ou pas (Zoeacute 15 ans dans Hamel et al 1998)
Crsquoest ma deacutecision Personne ne peut rien faire Il faut que jrsquoen prenneconscience moi-mecircme Ce nrsquoest pas quihellip crsquoest toi Crsquoest ta deacutecision Si toitu veux si tu veux si tu vois que ccedila ne te convient plus il faut que tusortes de lagrave le plus tocirct possible Mais il faut que tu trsquoen rendes compte partoi-mecircme Il faut que tu sois deacutecideacute parce que ce nrsquoest pas facile de sortirdu gang eacutemotivement parlant (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)
Un autre concept cleacute dans lrsquointervention aupregraves des jeunes membres
de gangs en processus de deacutesaffiliation est aussi deacutevoileacute par Eva Il faut du
temps et prendre le temps
[hellip] Le tempshellip il faut du temps prendre le temps laisser le temps aujeune ecirctre patient La deacutesaffiliation ne peut se faire du jour au lendemainparce que dans la plupart des cas la sortie du gang srsquoaccompagne deconseacutequences importantes dans la vie du jeune (Eva 16 ans dans Fournier2003)
44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE
APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS
Partir du gang ccedila eacuteteacute facile crsquoest de me reconstruire apregraves qui a eacuteteacute difficilePour moi quitter le gang comme tel a eacuteteacute facile compareacute agrave drsquoautres maisde me reconstruire agrave lrsquointeacuterieur de moi de combler le vide ccedila nrsquoa pas eacuteteacutefacile pantoute (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)
Ce qui est dur crsquoest le grand attachement crsquoest dur ensuite de deacutefaire leslienshellip Ce nrsquoeacutetait pas juste du neacutegatif Il y avait aussi beaucoup plus depositif drsquoamour drsquoattention que je ne lrsquoaurais imagineacute (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)
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On ne saurait nier ce que les jeunes nous apprennent avec tant de
force
Le gang a quand mecircme de beaux cocircteacutes Ccedila mrsquoa fait laquo maturer raquo Jrsquoai apprisagrave me connaicirctre Je suis alleacute plus loin que ce que jrsquoeacutetais capable de faireJrsquoai appris agrave connaicirctre mes limites et aussi agrave avoir confiance en moi Jesuis peut-ecirctre plus mature qursquoun gars qui nrsquoest jamais passeacute par lagrave Je suisdevenu quelqursquoun (Gilbert 20 ans dans Hamel et al 1998)
Je le sais qursquoau fond de moi dans mon cœur agrave moi tout ce qursquoils ont faitpour moi ccedila ne srsquooublie pas du jour au lendemain lagrave Ils mrsquoont fait dumal oui mais ils mrsquoont fait plus de bien que de mal (Cassandre 17 ansdans Fournier 2003)
CONCLUSION
Brisant avec la tradition de recherche nous avons entrepris des eacutetudes
qualitatives sur le pheacutenomegravene des gangs nous attardant surtout aux moti-
vations des jeunes agrave se joindre agrave ces groupes et eacuteventuellement agrave les
quitter aux expeacuteriences eacutemotives qursquoils vivent durant le temps que dure
leur affiliation et au moment de la sortie Il en ressort que lrsquoadheacutesion des
jeunes aux gangs est avant tout guideacutee par des besoins fondamentaux
drsquoappartenance de reconnaissance de valorisation et de protection Il
en ressort aussi que les jeunes trouvent dans les gangs au moins durant
les premiers temps de leur affiliation reacuteponse agrave ces besoins les jeunes
deacutecouvrent dans les gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs
de combler diffeacuterents besoins fondamentaux Il ressort de ces eacutetudes
enfin que les jeunes doivent faire face agrave un grand vide au moment ougrave ils
quittent le gang et que le retour en socieacuteteacute et agrave la laquo vie normale raquo nrsquoest
pas gagneacute drsquoavance pour eux Nous le soulignions ailleurs (Hamel Cousineau
et Fournier 2004) la sortie des gangs donne lieu agrave une veacuteritable rupture
qui vient srsquoajouter agrave drsquoautres que la plupart ont drsquoabord veacutecues avec la
famille puis avec lrsquoeacutecole et peut-ecirctre mecircme avec drsquoautres reacuteseaux celui
des amis par exemple que ces jeunes ont bien souvent ducirc quitter pour
joindre les rangs des gangshellip La sortie srsquoaccompagne donc drsquoune grande
vulneacuterabiliteacute drsquoune grande fragiliteacute drsquoun grand vide geacuteneacuteralement
insoupccedilonneacute et donc ignoreacute
Une approche purement quantitative du pheacutenomegravene des gangs
nrsquoaurait pu traduire aussi bien les reacutealiteacutes que nous venons de deacutepeindre
et qui nous permettent de faire des pas de geacuteant preacutetendons-nous dans
la conception de programmes de preacutevention et drsquointervention qui tiennent
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118 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
compte de la nature mecircme du pheacutenomegravene non seulement de ses mani-
festations visibles (nombre de gangs nombre et caracteacuteristiques sociodeacute-
mographiques des membres structure organisationnelle du groupe
principales activiteacutes deacutelinquantes) mais aussi ndash et mecircme surtout ndash de sa
face cacheacutee qui tient aux circonstances et aux motivations qui conduisent
les jeunes agrave srsquoy joindre aux expeacuteriences positives qursquoils y vivent et qui font
en sorte qursquoils y restent attacheacutes durant un temps plus ou moins long aux
circonstances et aux motivations encore une fois qui les amegravenent agrave quitter
le groupe et au grand vide qui srsquoinstalle alors dans leur vie Un vide qursquoil
srsquoagit de comblerhellip comme drsquoailleurs cela aurait ducirc ecirctre le cas avant mecircme
qursquoils soient tenteacutes drsquoaller trouver dans les gangs une reacuteponse aux besoins
qursquoils expriment en entrevue
Un tel regard nous incite agrave favoriser une approche drsquointervention
qui srsquoappuie sur le deacuteveloppement social communautaire (Cousineau
Fredette et Hamel 2004 Hamel Cousineau Leacuteveilleacute Veacutezina et Tichit
2004) comme mode de preacutevention voire drsquointervention face au pheacuteno-
megravene des gangs Comparativement aux approches traditionnelles dont
lrsquoobjectif consiste essentiellement agrave srsquoattaquer agrave la violence des gangs ndash
strateacutegies qui conduisent geacuteneacuteralement agrave des reacutesultats peu probants puis-
que le pheacutenomegravene serait en pleine expansion ndash le deacuteveloppement social
communautaire tel que nous lrsquoentendons vise plutocirct agrave creacuteer les condi-
tions neacutecessaires pour que les jeunes srsquoattachent et srsquointegravegrent agrave la socieacuteteacute
comme ils srsquoattachent et srsquointegravegrent aux gangs Dans une perspective preacute-
ventive cette approche englobe diverses strateacutegies visant agrave diminuer
lrsquoattrait des jeunes pour lrsquounivers des gangs (sensibilisation information)
ou mecircme agrave les amener agrave quitter cet univers lorsque le danger paraicirct
imminent pour eux et pour les autres (arrestation intervention) Drsquoautres
strateacutegies peuvent aussi dans une perspective proactive ecirctre mises en
place pour favoriser la participation et lrsquointeacutegration sociale des jeunes
(formation accompagnement creacuteations drsquoopportuniteacutes employabiliteacute)
Devant la complexiteacute du pheacutenomegravene des gangs le deacuteveloppement social
communautaire doit ecirctre conccedilu comme une approche globale permettant
de rassembler les forces et les compeacutetences de plusieurs systegravemes agrave la fois
ndash dont la famille lrsquoeacutecole la communauteacute et les jeunes eux-mecircmes ndash afin
de mettre en œuvre de multiples moyens constituant un continuum
drsquointervention(s) penseacute dans une perspective drsquoempowerment tant des col-
lectiviteacutes que de ceux qui les fondent les jeunes en particulier Il ne srsquoagit
pas de renier toute pertinence et toute valeur agrave lrsquoapproche reacutepressive
traditionnelle mais simplement de reconnaicirctre qursquoelle a ses limites et que
celles-ci sont rapidement atteintes face au pheacutenomegravene des gangs
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ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
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ARYSE
E
STERLE
-H
EDIBEL
IUFM Nord-Pas-de-CalaisCESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Parmi les thegravemes qui traversent le milieu scolaire et investissent le deacutebat
public en France celui de lrsquoabsenteacuteisme voire de lrsquoarrecirct de scolariteacute avant
16 ans prend de lrsquoampleur depuis quelques anneacutees Les laquo absenteacuteistes raquo
ou laquo deacutecrocheurs raquo remettent en cause le principe de la prise en charge
de lrsquoensemble drsquoune classe drsquoacircge par lrsquoeacutecole La mobilisation autour drsquoeux
(deacuteveloppement des dispositifs relais appel drsquooffres de recherches de
deacutecembre 1999 circulaire sur la mise en place de la veille eacuteducative en
deacutecembre 2001) est importante pour plusieurs raisons en peacuteriode de
massification de lrsquoenseignement les jeunes deacutescolariseacutes peuvent appa-
raicirctre comme illustrant des laquo failles raquo dans le systegraveme scolaire lui-mecircme
Par ailleurs une inquieacutetude existe quant agrave leurs activiteacutes en dehors de
lrsquoeacutecole sans encadrement que deviennent-ils Sont ils en danger de deacutelin-
quance exposeacutes agrave des trafics divers errant dans les rues sans protection
Et que font leurs parents Seraient-ils complices et donc punissables
pour lrsquoinassiduiteacute ou le retrait scolaire de leurs enfants Pour les acteurs
scolaires ces absences ou ces abandons de scolariteacute remettent en cause
profondeacutement la leacutegitimiteacute de leur mission lrsquoeacutecole est consideacutereacutee comme
une chance pour les eacutelegraveves et les eacutetudes longues favorisent drsquoailleurs
un meilleur accegraves agrave lrsquoemploi Y aurait-t-il des eacutelegraveves consideacutereacutes comme
laquo ineacuteducables raquo ou laquo inenseignables raquo Par quelles interactions en arrive-
t-on agrave ces situations extrecircmes peu nombreuses mais mettant en lumiegravere
les paradoxes institutionnels et les impasses du systegraveme tel qursquoil est
organiseacute aujourdrsquohui
La recherche qualitative que nous avons meneacutee agrave Roubaix
1
en
France srsquointeacuteresse aux processus qui ont meneacute hors du systegraveme scolaire
des jeunes de 13 agrave 155 ans qui ne preacutesentent pas de caracteacuteristiques
particuliegraveres (handicap par exemple) et dont la situation est connue des
eacutetablissements scolaires et de plusieurs services sociaux Agrave ce titre ils ne
sont pas laquo perdus de vue raquo comme on peut le dire parfois mais bel et bien
connus et facilement joignables tout au moins disposant drsquoune adresse
connue Nous avons pu eacutetudier leur situation agrave partir des repeacuterages
faits dans les eacutetablissements scolaires et avec lrsquoaide tregraves preacutecieuse de
laquo personnes-ressources raquo qui ont fait le relais avec les personnels scolaires
et les familles pour le deacuteroulement de lrsquoenquecircte
Lrsquoappel drsquooffres interministeacuteriel qui a servi de base agrave notre reacuteflexion
probleacutematique et aux hypothegraveses de cette recherche avait deux objectifs
mieux connaicirctre les populations deacutescolariseacutees avant lrsquoacircge de 16 ans et
comprendre les processus de deacutescolarisation
1 Nous preacutesentons les reacutesultats drsquoune recherche sur les processus de deacutescolarisationmeneacutee dans la ville de Roubaix (Nord) de janvier 2001 agrave mars 2003
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
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Pour la clarteacute de lrsquoeacutetude nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave des eacutelegraveves
qui reacuteguliegraverement inscrits ne sont plus du tout preacutesents dans les eacutetablis-
sements scolaires depuis une dureacutee qui peut varier de trois mois agrave deux
ans au moment de lrsquoenquecircte Srsquoils sont tregraves minoritaires (quatre ou cinq
pour un collegravege de 550 eacutelegraveves environ) leur situation peut repreacutesenter
lrsquoaboutissement de processus qui pour drsquoautres ont eacuteteacute enrayeacutes Lrsquoeacutetude
des situations (14 en tout) srsquoest centreacutee sur trois collegraveges publics tous en
reacuteseau drsquoeacuteducation prioritaire (ce qui est le cas de six collegraveges sur les sept
collegraveges publics que compte la ville) entre janvier 2001 et janvier 2003
en croisant des donneacutees issues des entretiens avec les personnels scolaires
les jeunes et leurs familles de mecircme qursquoavec des travailleurs sociaux et des
documents eacutecrits concernant les eacutelegraveves (dossiers scolaires principalement)
La diversiteacute des situations eacutetudieacutees est telle que nous avons renonceacute
agrave en faire une typologie agrave partir des caracteacuteristiques psychosociales des
jeunes par exemple ou de leur positionnement par rapport agrave lrsquoeacutecole En
effet lrsquoeacutetude de chaque situation nous amegravene agrave lrsquoanalyse des multiples
facteurs qui conduisent agrave lrsquoarrecirct de scolariteacute facteurs qui srsquoentremecirclent
souvent lacunes quelquefois accumuleacutees agrave lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire probleacutema-
tique scolaire et familiale agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme modifications de la confi-
guration familiale sinon laquo rupture biographique raquo (placement par exemple)
au deacutebut des laquo anneacutees collegravege raquo interactions neacutegatives voire violentes avec
des enseignants impact des jugements scolaires neacutegatifs exclusions pour
perturbations non suivies de reprise dans un autre eacutetablissement premiegraveres
activiteacutes deacutelinquantes dans un groupe de pairshellip Chaque situation est
singuliegravere mecircme si lrsquoon retrouve des points communs entre les unes et
les autres Plusieurs facteurs se combinent dans lrsquoeacutetude des situations de
chaque jeune et leur cateacutegorisation en devient aleacuteatoire Nous avons
cependant pu relever des laquo moments cleacutes raquo dans les trajectoires scolaires ndash
entreacutee en sixiegraveme suite drsquoune exclusion deacutefinitive drsquoun collegravege ndash et des
cloisonnements entre institutions et par rapport aux familles Nous for-
mulerons lrsquohypothegravese que dans certaines situations lrsquoun ou lrsquoautre de
ces paramegravetres a eu plus de poids que les autres sans qursquoil soit possible
drsquoen eacuteliminer aucun
Si geacuteneacuteralisation il peut y avoir crsquoest plus sur des
laquoprocessusraquo et des laquorelationsraquo que sur laquodes individusraquo ou des laquopopulationsraquo
(Beaud et Weber 1998 p 289)
La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 de sa population
active au chocircmage la perte des emplois ouvriers nrsquoa pas eacuteteacute compenseacutee
par les emplois du tertiaire ou de services La population scolaire des trois
collegraveges reflegravete ces situations de pauvreteacute ou de preacutecariteacute en comptant
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en son sein entre plus de 88 et plus de 93 de PCS
2
laquo deacutefavoriseacutees raquo
pourcentage repreacutesentant plus du double de la moyenne nationale et
environ 30 points de plus que celle de lrsquoAcadeacutemie de Lille
La plupart des parents des jeunes deacutescolariseacutes sont en situation de
laquo vulneacuterabiliteacute socieacutetale raquo (Walgrave 1992 p 86) vivent du RMI
3
ou des
allocations familiales ou sont en emploi preacutecaire et ne disposent pas de
lrsquoexpeacuterience concregravete drsquoune scolariteacute reacuteussie Ceux drsquoailleurs qui disposent
de plus de ressources (emploi niveau drsquoeacutetudes reacuteseaux relationnels) ont
pu trouver des solutions aux difficulteacutes de leurs enfants en termes drsquoorien-
tation sans avoir recours aux travailleurs sociaux Crsquoest le cas dans deux
familles dont les parents travaillent agrave plein temps
Il nrsquoy a pas une forme de famille particuliegravere parmi les treize familles
des eacutelegraveves deacutescolariseacutes cinq megraveres eacutelegravevent leurs enfants seules six familles
comptent les deux parents preacutesents au domicile et dans lrsquoeacuteducation de
leurs enfants deux couples parentaux sont seacutepareacutes mais continuent
drsquoexercer une preacutesence eacuteducative aupregraves de leurs enfants Les origines
reacutegionales ou nationales sont eacutegalement diverses quatre familles sont
drsquoorigine eacutetrangegravere (Seacuteneacutegal Portugal Yougoslavie Algeacuterie) cinq sont
originaires du Nord de la France cinq sont de pegravere eacutetranger et de megravere
franccedilaise Lrsquoorigine eacutetrangegravere ne deacutetermine pas les difficulteacutes des enfants
et des parents mais plutocirct le niveau de langue (tregraves probleacutematique pour
une megravere) la reacutegularisation de la situation (non effective pour une
famille) et le niveau socioeacuteconomique
Nous avons eacutetudieacute les processus de deacutescolarisation de onze garccedilons
et de trois filles Ces jeunes ont connu des difficulteacutes scolaires agrave lrsquoeacutecole
eacuteleacutementaire pour sept drsquoentre eux sans redressement dans les premiegraveres
anneacutees du collegravege Les autres ont eu des reacutesultats moyens ou bons dans
le premier degreacute suivis par des performances bonnes ou moyennes au
deacutebut de la sixiegraveme
51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU
Chaque anneacutee environ 57 000 jeunes sortent sans qualification du systegraveme
eacuteducatif Si lrsquoon dispose de donneacutees sur les parcours de ces jeunes drsquoautres
sont moins connus ceux des jeunes qui quittent le systegraveme eacuteducatif avant
la fin de la scolariteacute obligatoire
2 Professions et cateacutegories socioprofessionnelles
3 Revenu minimum drsquoinsertion
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Le pheacutenomegravene de deacutescolarisation apparaicirct comme reacuteel aujourdrsquohui
mais il reste encore agrave approfondir tant drsquoun point de vue quantitatif que
qualitatif LrsquoEacuteducation nationale tend agrave prendre en compte ce problegraveme
Les enfants deacutescolariseacutes avant 16 ans font partie des prioriteacutes du pro-
gramme laquo NouvelleS ChanceS raquo avec les jeunes sortis sans qualification
apregraves 16 ans Une circulaire de 1996 repegravere le pheacutenomegravene comme tel
laquo [hellip] les eacutetablissements sont confronteacutes agrave une augmentation reacuteelle et
preacuteoccupante de ce pheacutenomegravene Mecircme si le taux drsquoabsenteacuteisme ne srsquoest
que modeacutereacutement aggraveacute ces derniegraveres anneacutees il touche une population
plus nombreuse du fait de lrsquoaugmentation des effectifs des eacutelegraveves scolariseacutes raquo
La massification de lrsquoenseignement les objectifs de porter 80
drsquoune classe drsquoacircge au baccalaureacuteat et lrsquoensemble des eacutelegraveves au moins
jusqursquoau CAP (certificat drsquoaptitude professionnelle) et au BEP (brevet
drsquoeacutetudes professionnelles) rendent drsquoautant plus visibles les arrecircts de sco-
lariteacute avant 16 ans
Quantifier les eacutelegraveves sortis du systegraveme scolaire avant 16 ans pose des
problegravemes de repeacuterage En effet les deacuteparts vers le secteur priveacute les
deacutemeacutenagements peuvent laisser penser que des eacutelegraveves ont quitteacute le sys-
tegraveme eacuteducatif alors qursquoils ont changeacute de reacutegion ou de commune Crsquoest le
cas dans le Nord de la France ougrave certains eacutelegraveves partent continuer leur
scolariteacute en Belgique et reviennent ensuite en France Du reste certains
internats limitrophes accueillent exclusivement des enfants et adolescents
franccedilais qui suivent une scolariteacute en Belgique
Selon plusieurs sources drsquoinformation les eacutelegraveves non scolariseacutes avant
16 ans seraient plusieurs milliers cependant il nrsquoexiste pas de recensement
fiable de ces situations Au niveau national la Caisse nationale drsquoalloca-
tions familiales comptabilisait
4
plus lrsquoinassiduiteacute scolaire que la deacutescolari-
sation agrave travers les suspensions drsquoallocations familiales seules 10 des
suspensions lrsquoeacutetaient agrave long terme 90 eacutetant reacutetablies dans un deacutelai de
trois mois Lrsquoinassiduiteacute scolaire est deacutefinie par quatre absences non justi-
fieacutees drsquoune demi-journeacutee pendant un mois conseacutecutives ou non En lrsquoeacutetat
actuel si le pheacutenomegravene de deacutescolarisation ne semble pas ecirctre drsquoune grande
ampleur numeacuterique des eacutetudes quantitatives seacuterieuses restent agrave faire
Les justifications apporteacutees par les parents meacuteriteront une attention
particuliegravere la famille nrsquoest pas tenue de fournir un certificat meacutedical
mais doit donner un motif consideacutereacute comme laquo valable et seacuterieux raquo Le
controcircle de lrsquoabsenteacuteisme revient au conseiller principal drsquoeacuteducation
4 Une loi reacutecente modifie les sanctions de lrsquoabsenteacuteisme entre autres en supprimant lasuppression des allocations familiales
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Plusieurs eacutetudes ont eacuteteacute faites sur les laquo lyceacuteens deacutecrocheurs raquo Ces
eacutetudes concernent des jeunes de plus de 16 ans pour leur grande majoriteacute
Quelques jeunes cependant peuvent ecirctre encore soumis agrave lrsquoobligation
scolaire Crsquoest le cas de ceux qui abandonnent le lyceacutee en seconde agrave 15 ans
Plusieurs eacuteleacutements inteacuteressant notre recherche sont signaleacutes dans le pro-
gramme NouvelleS ChanceS laquo Ces jeunes sortis preacutematureacutement du sys-
tegraveme eacuteducatif ont passeacute en moyenne cinq anneacutees dans lrsquoenseignement
secondaire un peu plus de la moitieacute ont interrompu leurs eacutetudes au
collegravege Les autres ont commenceacute une formation en apprentissage ou en
lyceacutee professionnel et ont abandonneacute
5
raquo
Des redoublements de classe sont signaleacutes pour les trois quarts
drsquoentre eux degraves lrsquoeacutecole primaire Les deux tiers sont issus massivement de
milieux deacutefavoriseacutes enfants drsquoouvriers de personnels de service ou drsquoinac-
tifs On note aussi la monoparentaliteacute et la faible qualification des megraveres
Les garccedilons sont majoritaires (59 ) mais le deacutecalage avec les filles nrsquoest
pas tregraves important
52 LA DEacuteSCOLARISATION
Le terme laquo deacutecrocheur raquo est utiliseacute pour deacutesigner les lyceacuteens qui quittent
petit agrave petit le systegraveme scolaire Le deacutecrochage deacutesigne le laquo processus plus
ou moins long qui nrsquoest pas neacutecessairement marqueacute par une information
explicite enteacuterinant la sortie de lrsquoinstitution raquo (Guigue 1998 p 29) Il
srsquooppose agrave la deacutemission qui explicite le deacutepart volontaire de lrsquoeacutelegraveve et agrave
lrsquoexclusion laquo acte par lequel une autoriteacute reconnue vous deacutemet de vos
fonctions raquo (Guigue 1998 p 29) Une deacutemission peut drsquoailleurs preacutevenir
une exclusion preacutevisible par lrsquoeacutelegraveve
Le terme de deacutescolarisation plus large permet de reprendre plu-
sieurs hypothegraveses concernant les processus qui conduisent en dehors du
systegraveme scolaire des jeunes de moins de 16 ans celle de lrsquoexclusion accom-
pagneacutee de lrsquoeacutetiquetage de certains enfants comme porteurs de mauvaises
performances scolaires (les eacutelegraveves
nuls
) non suivie de reprise dans un
autre eacutetablissement celle du deacutecrochage progressif signaleacute par un absen-
teacuteisme important et grandissant (avec participation agrave un groupe de pairs
le cas eacutecheacuteant) celle de la rupture biographique (accident de santeacute pla-
cement en institution speacutecialiseacutee errance lieacutee agrave une modification de la
configuration familiale etc) celle du deacutepart annonceacute clairement eacutetant
plus hasardeuse eacutetant donneacute lrsquoobligation scolaire
5
Programme laquo NouvelleS ChanceS raquo
p 20
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Il srsquoagit bien drsquoexpliciter le processus de
deacutesaffiliation scolaire
deacutefini
par Sylvain Broccolicchi (1998a p 41) qui renvoie laquo au fonctionnement
des institutions scolaires aux traitements diffeacuterencieacutes des eacutelegraveves et agrave
lrsquointeraction des contextes scolaires familiaux et locaux qui modulent les
parcours et expeacuteriences propres agrave chaque adolescent raquo
Alors que lrsquoeacutelegraveve deacutecrocheur acircgeacute de plus de 16 ans nrsquoest pas en
infraction avec la loi sur lrsquoobligation scolaire le jeune deacutescolariseacute se sous-
trait (ou est soustrait) agrave cette obligation Il nrsquoaccomplit plus son laquo meacutetier
drsquoeacutelegraveve raquo Aux yeux de lrsquoinstitution scolaire il srsquoinscrit dans un parcours
de deacuteviance Les termes mecircmes des circulaires indiquent bien que
lrsquoabsence de freacutequentation reacuteguliegravere (lrsquoinassiduiteacute scolaire) est un man-
quement agrave lrsquoobligation scolaire laquo Il convient en premier lieu drsquoexiger
que lrsquoobligation drsquoassiduiteacute soit respecteacutee par les eacutelegraveves
6
raquo Les divers arrecirc-
teacutes et circulaires preacutecisent par ailleurs la neacutecessiteacute drsquoactions de preacutevention
agrave lrsquointeacuterieur des eacutetablissements scolaires portant sur les laquo rythmes scolaires
lrsquoorganisation de la vie scolaire ou visant agrave renforcer le dialogue entre les
eacutelegraveves et les adultes
7
raquo
Par deacuteviance nous deacutesignons laquo le produit drsquoune transaction effectueacutee
entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a trans-
gresseacute une norme raquo (Becker 1963 p 33)
Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste laquo La
deacuteviance est alors une proprieacuteteacute non du comportement lui-mecircme mais
de lrsquointeraction entre la personne qui commet lrsquoacte et celles qui reacuteagissent
agrave cet acte raquo (Becker 1963 p 38) Cette deacutemarche induit la meacutethodologie
deacutejagrave eacutevoqueacutee croisement des discours des acteurs inteacuteresseacutes par la situa-
tion de deacutescolarisation et des documents traitant de cette situation afin
de reconstituer les processus en œuvre
521 L
ES
MARQUEURS
DE
LA
DEacuteSCOLARISATION
Un certain nombre de facteurs sont drsquoores et deacutejagrave repeacutereacutes comme preacute-
gnants dans le processus de deacutecrochage des lyceacuteens Nous les citons sans
ordre prioritaire particulier
5211 Le niveau de diplocircme des parents
Il existe un risque dix fois plus eacuteleveacute drsquointerruption drsquoeacutetudes moins de
cinq ans apregraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme pour les enfants drsquoouvriers que pour
les enfants de cadres ou drsquoenseignants (Broccolicchi 2000 p 40) et
6 Circulaire n
o
96-247 du 25 octobre 1996
7
Ibid
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
encore trois plus eacuteleveacute pour ceux qui ont un parent inactif (pegravere ou megravere
en lrsquoabsence de pegravere) que pour ceux dont le parent (pegravere ou megravere en
lrsquoabsence de pegravere) est ouvrier Lrsquoinvestissement scolaire des parents est
drsquoailleurs tregraves diffeacuterent selon leur cateacutegorie sociale drsquoappartenance alors
qursquoagrave lrsquoeacutecole primaire les parents les moins diplocircmeacutes investissent plus la
scolariteacute de leurs enfants le pheacutenomegravene srsquoinverse au collegravege laquo Cette
inversion srsquoavegravere lieacutee agrave la proportion de parents qui se sentent deacutepasseacutes agrave
ce niveau entre les parents qui se disent tregraves rarement deacutepasseacutes et ceux
qui disent lrsquoecirctre souvent la dureacutee de lrsquoaide est diviseacutee par trois agrave chaque
niveau de scolariteacute raquo (Heacuteran 1994)
5212 La composition de la famille
Le facteur familial est un facteur de risque parmi drsquoautres mais il nrsquoest
pas preacutedictif en soi comme les autres paramegravetres mentionneacutes Crsquoest bien
la combinaison de plusieurs indicateurs qui peut donner des eacuteleacutements de
compreacutehension du processus de deacutescolarisation
Agrave cet eacutegard si lrsquoon note le nombre eacuteleveacute de familles monoparentales
parmi lrsquoentourage familial des jeunes deacutescolariseacutes nous adopterons la
prudence drsquoEacuteric Debarbieux (1999 p 60) quant aux correacutelations possibles
laquo Crsquoest lagrave toute la difficulteacute lieacutee aux eacutetudes de correacutelation qui montrent
uniquement lrsquoexistence drsquoune relation entre deux variables ndash ici les pro-
blegravemes de comportement et la situation familiale ndash sans que pour autant
on puisse deacuteduire de relation de cause agrave effet raquo
Plutocirct que le type de famille crsquoest la nature de la relation entre les
parents qui sera deacuteterminante dans le processus de deacuteviance juveacutenile ce
ne sont pas les familles dissocieacutees qui induisent la deacuteviance des jeunes
mais plutocirct la meacutesentente entre les parents qursquoils soient seacutepareacutes ou non
(Mucchielli 2000) Les ruptures biographiques (accident deacutecegraves drsquoun
parent deacutemeacutenagements reacutepeacuteteacutes placementshellip) peuvent aussi augmenter
les risques de deacutescolarisation
5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage
Parmi les eacutelegraveves dont les performances scolaires agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme sont
les plus basses 12 quittent le systegraveme scolaire moins de cinq ans apregraves
la sixiegraveme (Broccolicchi 1998) Les eacutelegraveves de SEGPA
8
entreacutes en 1989 ont
quitteacute le systegraveme eacuteducatif sans qualification pour la moitieacute drsquoentre eux
8 Section drsquoenseignement geacuteneacuteral et professionnel adapteacute
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Les eacutelegraveves en difficulteacute scolaire attachent une grande importance agrave
la relation avec les adultes et les autres eacutelegraveves dans la vie scolaire Quand
lrsquointeraction avec les enseignants les confirme dans leur laquo nulliteacute raquo sur le
plan de la performance (Broccolicchi 2000) le risque de deacutescolarisation
est preacutesent
Woods et Berhier (1992 p 56) rappellent
que la deacuteviance implique
neacutecessairement deux acteurs et que lrsquoenseignant peut provoquer ou
atteacutenuer la deacuteviance par le style de sa relation avec les eacutelegraveves
Les laquo provocateurs de deacuteviance raquo pensent que les eacutelegraveves fuient letravail qursquoil est impossible de pourvoir agrave leur eacuteducation sans leschanger qursquoils abhorrent lrsquoautoriteacute et sont ouvertement rebellesqursquoils se conduisent mal et ne doivent jamais ecirctre crus De tellesconvictions megravenent les professeurs agrave agir de maniegravere provocatrice lancer des ultimatums inciter agrave lrsquoaffrontement punir inconsideacutereacute-ment attirer sur eux la honte en les montrant du doigt ou en leurcherchant noise
Agrave lrsquoinverse les laquo isolateurs de deacuteviance raquo sont animeacutes drsquointentions
bienveillantes agrave lrsquoeacutegard des eacutelegraveves et agissent en conseacutequence avec eux
Broccolicchi (2000) souligne par ailleurs la solitude des eacutelegraveves deacutecro-
cheurs tant dans lrsquoenvironnement scolaire (absence de dispositif efficace
et drsquointerlocuteurs pour pallier les difficulteacutes) que dans le cadre de
lrsquoenvironnement familial
5214 Le passage du primaire au collegravege indiscipline et identiteacute
La question du rapport aux enseignants et agrave la leacutegitimiteacute de leurs juge-
ments change fondamentalement du primaire au collegravege Les relations
entre pairs gagnent en importance les cultures juveacuteniles entrent en
contradiction avec les normes scolaires de maniegravere plus preacutegnante (Dubet
et Martuccelli 1996 Lepoutre 1997)
En cas de difficulteacute scolaire majeure le recours agrave lrsquoindiscipline agrave
lrsquoinsolence peut ecirctre utiliseacute par les eacutelegraveves comme moyen de construire une
identiteacute deacuteviante par rapport aux normes scolaires mais conforme par
rapport aux normes juveacuteniles fragiliseacutes dans le systegraveme scolaire ces jeunes
deviennent des
outsiders
drsquoautant plus construits que lrsquoindiscipline se pra-
tique souvent collectivement Lrsquoindiscipline peut dans le mecircme temps
constituer un facteur de risque dans un processus de deacutescolarisation
Les recherches de Walgrave (1992) soulignent lrsquoimportance de
lrsquoeacutechec scolaire dans les processus de deacutelinquance juveacutenile La stigmatisation
de lrsquoeacutelegraveve comme laquo non performant raquo du point de vue de ses reacutesultats et
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
comme perturbateur fonctionne comme une laquo propheacutetie autoreacutealisatrice raquo
qui laquo contribue agrave sa propre reacutealisation raquo (Becker 1963) Lrsquoeacutelegraveve reacutepondra
ainsi agrave lrsquoinjonction qui lui est faite en abandonnant le systegraveme scolaire
53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION ET DEacuteLINQUANCE
531 Lrsquo
IMPACT
DES
GROUPES
DE
PAIRS
ET
LES
ACTIVITEacuteS
DEacuteLINQUANTES
Les reacuteseaux de sociabiliteacute dans lesquels vit le jeune en voie de deacutescolari-
sation semblent preacutepondeacuterants Lrsquoinfluence des pairs et le regroupement
des
outsiders
du systegraveme scolaire sont des eacuteleacutements agrave prendre en compte
dans la construction drsquoune sous-culture deacuteviante La constitution en bande
est lieacutee agrave la stigmatisation induite par les classements scolaires neacutegatifs et
la logique de bande offre un refuge et une deacutefense contre le sentiment
de deacutevalorisation qui habite les jeunes tout en contribuant agrave activer le
processus de deacutescolarisation (Esterle-Hedibel 1997 Carra 2002) Glasman
(1998 p 19) souligne que les lyceacuteens laquo deacutecrocheurs raquo peuvent laquo se rappro-
cher drsquoun groupe de pairs groupe qui fournit suffisamment de repegraveres
et drsquooccasions drsquoaffirmation identitaire pour que lrsquoexit hors du lyceacutee ne
signifie pas lrsquoexil pour que la non-appartenance au lyceacutee ne soit pas la
deacutesheacuterence raquo
Lrsquoinfluence des groupes de pairs peut ecirctre importante dans le pro-
cessus de deacutescolarisation qursquoil srsquoagisse de groupes marginaux agrave tendance
deacutelinquante ou axeacutes sur une activiteacute particuliegravere de type leacutegaliste
Plusieurs eacutetudes confirment le lien entre un style de vie deacuteviant
(consommation de psychotropes licites ou illicites) et le deacutecrochage sco-
laire celui-ci occasionnant de larges plages de temps libre domineacute par
lrsquoennui (Janosz et Le Blanc 1996) Cependant la correacutelation entre les
conduites inadapteacutees et le deacutecrochage scolaire si elle existe se heurte agrave
la deacutefinition mecircme de la conduite inadapteacutee qui rassemble des eacuteleacutements
aussi heacuteteacuteroclites que conduites deacutelinquantes consommation de drogues
illicites promiscuiteacute sexuelle reacutebellion familiale inadaptation scolaire et
grossesse adolescentehellip La reacutebellion familiale par exemple pourrait ecirctre
consideacutereacutee comme une reacuteaction plutocirct positive alors que son absence
traduirait un conformisme et une soumission aux adultes plutocirct inquieacute-
tante agrave lrsquoadolescence (Janosz Le Blanc et Boulerice 1998)
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Hugues Lagrange a eacutetudieacute le lien entre absenteacuteistes et conduites
deacutelictueuses dans la reacutegion de Mantes-la-Jolie Pregraves de la moitieacute des absen-
teacuteistes eacutetudieacutes ont des conduites de preacutedation ou de deacutelinquance expressive
(deacutelinquance avec ou non objectif drsquoappropriation des biens drsquoautrui) ils
sont les cadets de familles nombreuses et ont vu leurs fregraveres aicircneacutes se
heurter au problegraveme du chocircmage Ils auraient appris ainsi agrave vivre de petite
deacutelinquance tout en ne percevant plus lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutecole ce qui
expliquerait leur absenteacuteisme (Lagrange et Bidart 2000)
532 D
EacuteCROCHAGE
SCOLAIRE
ET
DEacuteLINQUANCE
Des auteurs affirment que laquo lrsquoabandon scolaire permet de reacuteduire le stress
et la frustration veacutecus agrave lrsquoeacutecole des facteurs qui favorisent lrsquoapparition des
conduites deacutelinquantes raquo (Elliott et Voss 1974 citeacutes dans Janosz et Le
Blanc 1996 p 76) Le lien entre deacutecrochage et activiteacutes deacutelinquantes
proprement dites nrsquoest pas automatique mais semble deacutependre du mar-
cheacute de lrsquoemploi En effet plusieurs recherches des anneacutees 1980 indiquent
que les deacutecrocheurs ayant trouveacute un emploi ont diminueacute leurs activiteacutes
deacutelinquantes deux fois plus que ceux qui nrsquoen ont pas trouveacute Encore faut-
il que les deacutecrocheurs soient en acircge de travailler et que le marcheacute du
travail leur offre des emplois (Pronovost et Le Blanc citeacutes par Janosz et
Le Blanc 1996)
Lrsquoeacutetat des eacutetudes existantes ne permet pas de deacutemontrer lrsquoeffet du
deacutecrochage sur les conduites deacuteviantes ou deacutelinquantes et sur les diffi-
culteacutes drsquointeacutegration socioprofessionnelles Pour le deacutemontrer pleinement
il faudrait pouvoir suivre des cohortes drsquolaquo eacutelegraveves deacutecrocheurs raquo jusqursquoagrave
lrsquoacircge adulte et une cohorte teacutemoin Ces manifestations peuvent en effet
avoir eacuteteacute causeacutees par des laquo vulneacuterabiliteacutes psycho-sociales anteacuteceacutedentes raquo qui
auraient elles-mecircmes provoqueacute lrsquoabandon scolaire La question de la
causaliteacute et la difficulteacute de sa deacutemonstration reste donc poseacutee (Janosz et
Le Blanc 1996)
Une reacutecente enquecircte du Centre drsquoeacutetudes et de recherches sur les
qualifications (CERQ 2001) nous eacuteclaire cependant sur le lien entre
qualification et emploi les sortants du systegraveme eacuteducatif en 1998 diplocircmeacutes
ou pas travaillent agrave 80 en majoriteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee (64 ) tout
en eacutetant deux fois plus nombreux agrave ecirctre passeacutes par lrsquointeacuterim (28 ) que
la geacuteneacuteration sortie de lrsquoeacutecole en 1992 Les non-diplocircmeacutes connaissent une
disqualification croissante si 11 de lrsquoensemble de la laquo geacuteneacuteration 1998 raquo
est au chocircmage 30 des non-diplocircmeacutes de cette mecircme geacuteneacuteration sont
sans emploi On peut formuler lrsquohypothegravese drsquoune plus grande vulneacuterabi-
liteacute des jeunes deacutescolariseacutes quant aux perspectives socioprofessionnelles
dans un contexte de peacutenurie drsquoemplois pour les personnes non qualifieacutees
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE
DES PERSONNES-RESSOURCES
Notre situation de maicirctre de confeacuterences dans un IUFM
9
nous a permis
de preacutesenter notre deacutemarche de recherche agrave des personnels de lrsquoEacuteduca-
tion nationale engageacutes dans les formations en IUFM et en contact ou en
poste dans des collegraveges Ainsi srsquoeacutetablissent des relations originales entre le
chercheur et les acteurs de terrain qui conditionnent la reacuteussite de
lrsquoenquecircte les eacutelegraveves deacutescolariseacutes sont en effet difficiles drsquoaccegraves isoleacutes des
eacutetablissements scolaires plutocirct centreacutes sur leurs groupes de pairs ou
replieacutes sur leur cercle familial immeacutediat la preacutesence drsquoune personne de
confiance qui favorise le premier entretien est cruciale dans ce type
drsquoenquecircte Les parents des jeunes deacutescolariseacutes et les jeunes eux-mecircmes
ont souvent lrsquoimpression de ne pas ecirctre entendus par les institutions (en
particulier lrsquoeacutecole) La rencontre avec un chercheur est une occasion de
srsquoexprimer le plus librement possible en reprenant le deacuteroulement des
eacuteveacutenements et en explicitant un point de vue devant un interlocuteur
neutre sans risque de culpabilisation ou de contradiction Pour ces per-
sonnes en situation de
vulneacuterabiliteacute socieacutetale
crsquoest une occasion rare de
srsquoexprimer sur un thegraveme qui peut bouleverser lrsquoeacutequilibre familial Il
importe cependant drsquoecirctre tregraves clair sur le statut de lrsquoentretien car la
demande drsquoaide affleure tant la deacutetresse et le sentiment drsquoabandon et
drsquoimpuissance sont grands
Par ailleurs notre inteacuterecirct de recherche se croise avec des question-
nements apparus dans plusieurs collegraveges quel est le sens drsquoexclusions et
de reacuteaffectations drsquoeacutelegraveves en grande difficulteacute scolaire et plutocirct opposi-
tionnels voire tregraves perturbateurs dans les classes et les eacutetablissements
Comment venir en aide aux eacutelegraveves qui arrivent en sixiegraveme sans posseacuteder
les acquis de base neacutecessaires au deacuteroulement drsquoune scolariteacute normale
dans le secondaire Quelles relations entretenir avec les parents de ces
eacutelegraveves Comment travailler en partenariat avec des travailleurs sociaux
exteacuterieurs aux eacutetablissements De mecircme les divers eacutetablissements contac-
teacutes srsquointerrogent sur lrsquoimpact de la deacutescolarisation sur les processus de
marginalisation et sur les difficulteacutes du partenariat avec lrsquoEacuteducation natio-
nale Les reacutesultats de la recherche eacutetant restitueacutes aux eacutetablissements et aux
agents institutionnels on comprend lrsquointeacuterecirct que ceux-ci trouvent agrave une
collaboration avec un chercheur sur cette question
9 Institut universitaire de formation des maicirctres
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55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS
551 L
ES
PERSONNELS
PEacuteDAGOGIQUES
10
5511 Des donneacutees non utiliseacutees
La majoriteacute des jeunes dont nous avons eacutetudieacute les trajectoires se sont
signaleacutes par des perturbations importantes de lrsquoordre scolaire menant
pour six drsquoentre eux agrave un conseil de discipline et agrave une exclusion deacutefini-
tive Les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo se sont montreacutes eacutegalement absenteacuteistes
alors que drsquoautres ont adopteacute une position de retrait sans perturber
lrsquoordre scolaire Dans plusieurs dossiers scolaires les appreacuteciations porteacutees
par les enseignants du premier degreacute eacuteclairent les difficulteacutes veacutecues par
lrsquoeacutelegraveve au collegravege certaines sont clairement des sortes drsquoalertes agrave destina-
tion des enseignants du second degreacute Mais dans lrsquoensemble les dossiers
des eacutelegraveves sont rarement consulteacutes par les enseignants des collegraveges mecircme
en cas de problegraveme seacuterieux rencontreacute au deacutebut de la scolariteacute du second
degreacute Bien que certains aient abordeacute la sixiegraveme avec des difficulteacutes et des
lacunes repeacutereacutees agrave la fin du cycle 3 la plupart des eacutelegraveves nrsquoont pas eacuteteacute
lrsquoobjet drsquoune prise en charge particuliegravere agrave ce propos Ils sont surtout
sanctionneacutes pour des perturbations scolaires importantes
Certains enseignants ont en main des donneacutees pouvant contribuer
agrave comprendre la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve situation familiale amenant
lrsquoeacutelegraveve agrave srsquoabsenter de lrsquoeacutecole pour soutenir un parent malade ou deacutefaillant
sentiment drsquoeacutechec massif et incompreacutehension du sens des eacutetudes ennui
profond agrave lrsquoeacutecolehellip Mais ces donneacutees ne sont pas travailleacutees collectivement
dans le sens de la recherche drsquoune solution peacutedagogique adapteacutee agrave lrsquoeacutelegraveve
Un eacutelegraveve perturbateur peut ecirctre un leader ou au contraire un jeune isoleacute
de ses camarades il peut avoir des reacutesultats assez bons malgreacute une preacute-
sence eacutepisodique ou au contraire montrer des lacunes drsquoapprentissage
seacuterieuses degraves lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire il peut appreacutecier lrsquoeacutecole tout au moins
au deacutebut de ses laquo anneacutees collegravege raquo ou srsquoen deacutesinteacuteresser degraves les premiers
mois de la sixiegravemehellip Les appreacuteciations sur les bulletins scolaires et les
mesures prises agrave son eacutegard seront sensiblement les mecircmes Cette reacutecur-
rence des mecircmes reacuteactions srsquoeacutetend aux eacutelegraveves non perturbateurs degraves lors
qursquoune eacutetape de plus est franchie dans leur laquo volonteacute drsquoopposition raquo du
point de vue des acteurs scolaires Il est drsquoailleurs frappant de constater
le deacutecalage entre certains discours sur les eacutelegraveves lors des entretiens avec
des enseignants et les eacutecrits les concernant (bulletins scolaires comptes
10 Enseignants principaux et principaux adjoints conseillers principaux drsquoeacuteducationhellip
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rendus de conseils de disciplinehellip) autant les premiers peuvent teacutemoi-
gner de compreacutehensions nuanceacutees des probleacutematiques des eacutelegraveves autant
les seconds suivent les mecircmes appreacuteciations ritualiseacutees et collectivement
mises en eacutecrit
5512 Des deacutecisions drsquoorientation non suivie drsquoeffets
Par ailleurs des deacutecisions drsquoorientation ne sont pas suivies drsquoeffets un
eacutelegraveve orienteacute en SEGPA se retrouve en section geacuteneacuterale un autre orienteacute
par un eacutetablissement vers une classe agrave projet speacutecifique (quatriegraveme drsquoaide
et de soutien) integravegre une classe ordinaire agrave la suite drsquoun deacutemeacutenage-
menthellip Manque de coordination entre eacutetablissements ou agrave lrsquointeacuterieur
drsquoun mecircme eacutetablissement reacuteticences voire refus des parents malenten-
dus ou absence drsquoexplication aux familles peuvent contribuer agrave lrsquoarrecirct de
scolariteacute
Les jeunes deacutescolariseacutes qui nrsquoont pas repris une forme de scolariteacute
par la suite nrsquoont pas reccedilu un soutien particulier ou beacuteneacuteficieacute drsquoun regard
bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur lrsquoensemble de leur vie
scolaire En ce sens on peut dire qursquoils nrsquoont pas eu drsquoallieacute efficace mecircme
si ccedilagrave et lagrave tel ou tel enseignant a pu se poser des questions sur les raisons
de leur absenteacuteisme ou tenter de leur venir en aide malgreacute les incidents
quelquefois spectaculaires dont certains adolescents eacutetaient des protago-
nistes actifs Ces interventions de mecircme que celles des travailleurs sociaux
ou celles de leurs parents nrsquoont pas suffi agrave leur permettre un redresse-
ment Ils se sont vu tregraves rarement proposer un dispositif relais ou des
actions de soutien coordonneacutees avec lrsquoenseignement geacuteneacuteral Les proces-
sus observeacutes illustrent ainsi les conclusions de Sylvain Broccolicchi (2000)
lorsqursquoil conclut agrave la solitude des eacutelegraveves deacutescolariseacutes compareacutes agrave ceux
autant en difficulteacute agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme qui ont continueacute leurs eacutetudes
5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure
Une conseacutequence de la suppression des orientations en fin de cinquiegraveme
lieacutee agrave lrsquoabsence de dispositifs de remeacutediation pour les eacutelegraveves en grande
difficulteacute est le deacuteveloppement de lrsquolaquo eacutechec scolaire raquo de ces eacutelegraveves et de
lrsquoideacutee que certains eacutelegraveves seraient quasiment laquo inenseignables raquo (Thin
1999) Les enseignants sont ainsi ameneacutes agrave faire un laquo tri raquo entre les eacutelegraveves
laquo reacutecupeacuterables raquo et les autres La seacutelection ne se fait pas tant au niveau des
reacutesultats qursquoagrave celui du comportement scolaire les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo
ou laquo paresseux raquo sont ainsi particuliegraverement viseacutes par les jugements neacutega-
tifs et le redoublement se fait quasiment au meacuterite dans tous les cas sur
la base drsquoun pari drsquoeacutevolution positive et selon lrsquoeacutevaluation de la possibiliteacute
pour les enseignants de laquo supporter raquo lrsquoeacutelegraveve une anneacutee de plus Agrave cela
srsquoajoute lrsquoargument de lrsquoacircge si lrsquoeacutelegraveve a deacutejagrave une anneacutee ou deux de retard
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE
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il passera plus facilement dans la classe supeacuterieure Celui qui redouble est
donc gratifieacute drsquoune laquo chance raquo suppleacutementaire dont est priveacute celui qui
passe dans la classe supeacuterieure avec quelquefois des reacutesultats plus faibles
et un comportement plus perturbateur ou absenteacuteiste De ce fait le redou-
blement au collegravege nrsquoest pas correacuteleacute agrave lrsquointerruption preacutecoce drsquoeacutetude
(Broccolicchi 1998b)
Nous avons trouveacute dans plusieurs dossiers scolaires la mention
laquo redoublement inutile raquo accompagneacutee drsquoun avis de passage dans la classe
supeacuterieure Ces laquo faux passages raquo introduisent un leurre reconnu par de
nombreux enseignants de collegravege en lrsquoabsence de projet individuel concer-
nant un eacutelegraveve particuliegraverement en difficulteacute ce dernier est laquo emmeneacute raquo
vers la fin de la troisiegraveme qui correspond grosso modo agrave lrsquoacircge de 16 ans
(drsquoautant plus que certains eacutelegraveves ont une ou plusieurs anneacutees de retard)
et confronteacute agrave une injonction contradictoire rester dans lrsquoeacutetablissement
tout en sachant qursquoil ne peut y espeacuterer une progression de ses reacutesultats
La situation devient encore plus paradoxale quand en cas drsquoabsenteacuteisme
se deacuteclenche la proceacutedure de signalement agrave lrsquoInspection acadeacutemique
enjoignant les parents agrave respecter la loi sur la scolariteacute obligatoire jusqursquoagrave
16 ans
Ces passages fictifs sont accompagneacutes drsquoun double discours des
enseignants en forme de justifications regrets mecircleacutes drsquoimpuissance de
laisser ainsi agrave lrsquoabandon des eacutelegraveves sans leur apporter de reacuteelles proposi-
tions eacuteducatives et peacutedagogiques critique du laquo
collegravege unique
raquo dont on sait
par diverses enquecirctes que nombre drsquoenseignants en refusent le principe
en particulier les enseignants les plus jeunes et ceux des collegraveges Ces
regrets et justifications sont compleacuteteacutes par des exemples de cas drsquoeacutelegraveves
illustrant le constat geacuteneacuteral que certains laquo
nrsquoont pas leur place au collegravege
raquo
sans que lrsquoon puisse dans le mecircme temps deacuteterminer ougrave ils pourraient
trouver une laquo
place
raquo qui leur conviennehellip Lrsquoabsence de temps et de lieux
de concertation organiseacutes pour les eacutelegraveves en difficulteacute conduit au constat
drsquoimpuissance la question laquo
qursquoest-ce qursquoon peut faire pour ces eacutelegraveves-lagrave
raquo for-
muleacutee ainsi au chercheur renvoie agrave autrui la reacuteponse agrave cette interrogation
dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble comme srsquoil
existait un consensus pour laquo
sacrifier quelques-uns pour proteacuteger la communauteacutescolaire
raquo expression souvent entendue eacutegalement
On se trouve alors dans un systegraveme de non-reacutesolution des difficulteacutes
patentes de certains eacutelegraveves qui sont ainsi meneacutes vers lrsquoarrecirct de scolariteacute
par retrait du jeune drsquoune situation sans issue Ce retrait peut ecirctre silen-
cieux ou beaucoup plus spectaculaire il srsquoaccompagne alors freacutequemment
drsquoexclusions deacutefinitives lors de conseils de discipline
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136 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants
Lrsquoincidence de lrsquoeacutechec scolaire et du sentiment drsquoinjustice sur les compor-
tements drsquoindiscipline est connue par de nombreux travaux (Dubet et
Martuccelli 1996 Debarbieux 1999 Broccolicchi 1998a 2000 Van
Zanten 2001 etc) Dans lrsquoensemble des situations des eacutelegraveves laquoperturba-
teursraquo les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbations
causeacutees par ces eacutelegraveves beaucoup plus que sur leurs difficulteacutes drsquoappren-
tissage envisageacutees comme de simples conseacutequences de leur indiscipline
alors qursquoelles existent dans plusieurs cas depuis lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire et se
manifestent degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme
Lrsquolaquo absence de travail raquo qui engendre les mauvais reacutesultats apparaicirct
alors comme une forme drsquoindiscipline dont les formes drsquoexpression varieacutees
seraient la cause directe de ces piegravetres performances scolaires Dans le
mecircme temps ces difficulteacutes constituent des obstacles agrave la reprise drsquoeacutetudes
laquo normales raquo par les eacutelegraveves difficile de laquo se calmer raquo et de laquo se mettre au
travail raquo avec une moyenne geacuteneacuterale autour de 520 un retard consideacuterable
pris par rapport aux autres eacutelegraveves et aucun dispositif de remeacutediation
Ceux qui ont eacuteteacute laquo simplement raquo absenteacuteistes nrsquoont pas eacuteteacute sanction-
neacutes pour ce seul motif mis agrave part les avertissements sur les bulletins
scolaires Les appreacuteciations sur les bulletins essaient de les convaincre de
maniegravere de plus en plus insistante mais la deacuteviance ne se constitue qursquoau
moment ougrave les acteurs scolaires perccediloivent une intention de la part de
lrsquoeacutelegraveve par exemple lorsque les absences cessent drsquoecirctre justifieacutees par le
responsable de lrsquoeacutelegraveve Lorsque laquo la famille se manifeste raquo la situation de
lrsquoeacutelegraveve est prise en compte avec une relative bienveillance Dans le cas
contraire ougrave laquo aucune collaboration nrsquoest possible raquo ou lorsque lrsquoassistant
social indique plus laconiquement laquo famille muette raquo sur les dossiers de
freacutequentation scolaire le ton se durcit par rapport agrave lrsquoeacutelegraveve suspecteacute alors
de laquo mauvaise volonteacute raquo crsquoest-agrave-dire du dessein clair de srsquoopposer agrave lrsquoinsti-
tution scolaire Le paradoxe est que cette absence de justification pourrait
ecirctre la marque drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute accrue de lrsquoeacutelegraveve et neacutecessiter
un soutien plus appuyeacute encore
Les punitions et sanctions de lrsquoindiscipline et de laquo lrsquoabsence de
travail raquo sont repeacuterables dans les rapports drsquoincidents scolaires Elles sont
quelquefois tregraves nombreuses (plusieurs dizaines de rapports drsquoincidents
en une anneacutee pour un mecircme eacutelegraveve) et de plusieurs types lignes agrave copier
copies du regraveglement inteacuterieur du collegravege ou du regraveglement de classe en
plusieurs exemplaires copie de travaux scolaires correspondant au contenu
du cours perturbeacute retenues (heures de colle) avertissements (travail et
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conduite) ou blacircmes exclusions de cours exclusions de plusieurs jours
alors mecircme que lrsquoabsenteacuteisme est preacutesent dans la probleacutematique de
lrsquoeacutelegraveve Ces exclusions ne sont cependant pas lieacutees agrave lrsquoabsenteacuteisme mais
agrave des perturbations scolaires
Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la leacutegaliteacute11 et sont
souvent inapplicables peu expliciteacutees aux eacutelegraveves et elles peuvent geacuteneacuterer
un fort sentiment drsquoinjustice (Debarbieux 1999 p 102)
Dans aucune des situations eacutetudieacutees les sanctions eacutenumeacutereacutees ici
nrsquoont permis de modifier le comportement de lrsquoeacutelegraveve dans le sens souhaiteacute
par les acteurs scolaires Au contraire on constate une progression drsquoinci-
dents (altercations entre eacutelegraveves avec des enseignants ou des surveillants)
vers des commissions de vie scolaire avec exclusions de plusieurs jours
toujours pour les mecircmes comportements suivies quelques semaines ou
quelques mois apregraves drsquoun arrecirct total de freacutequentation scolaire du jeune
ou de conseils de discipline menant agrave lrsquoexclusion deacutefinitive Apregraves la reacuteaf-
fectation dans un autre collegravege le mecircme processus se reproduit menant
rapidement cette fois-ci lrsquoeacutelegraveve agrave la deacutescolarisation De fait les eacutelegraveves qui
en ont eacuteteacute les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront agrave
aucun moment un beacuteneacutefice en matiegravere de compreacutehension ou drsquoeacuteducation
tireacute de ces punitions scolaires Certains les consideacutereront davantage
comme des marques drsquoune profonde incompreacutehension de leur situation
Les processus de deacutescolarisation mettent en cause des pratiques
issues de lrsquoeacutevolution du systegraveme scolaire lui-mecircme qui deacuteterminent les
acteurs et leur laissent peu de latitude pour reacuteagir autrement Mais on
peut aussi repeacuterer des attitudes enseignantes individuelles plus exception-
nelles laquo la mise au coin raquo par exemple peine proscrite drsquoailleurs par la
circulaire du 13 juillet 2000
Dans le cas du jeune viseacute par cette punition la mise au coin a eacuteteacute
veacutecue comme humiliante a fonctionneacute comme une laquo provocation agrave la
deacuteviance raquo deacuteclencheacute une reacuteaction violente de lrsquoeacutelegraveve laquelle interpreacute-
teacutee comme un danger potentiel de violence physique agrave lrsquoeacutegard de tous les
personnels entraicircnera lrsquoexclusion deacutefinitive de lrsquoeacutelegraveve suivie drsquoune reacuteaffec-
tation dans un collegravege eacuteloigneacute de son domicile La scolariteacute du jeune
garccedilon srsquoarrecirctera lagrave
11 Voir Bulletin officiel du 13 juillet 2000
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138 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
5515 Haro sur les eacutelegraveves
Les eacutelegraveves deacutescolariseacutes et perturbateurs sont marqueacutes comme tels et
comme laquo ineacuteducables raquo depuis de nombreux mois voire plusieurs anneacutees
quand intervient lrsquoarrecirct de scolariteacute effectif Des mots ou expressions
comme laquo individu raquo laquo faire lrsquoimbeacutecile raquo et laquo imbeacutecile raquo eacutecrits sur des rapports
drsquoincidents laquo cas psychiatrique raquo laquo dangereux raquo sont freacutequemment lus ou
entendus les concernant avec une freacutequence drsquoautant plus grande que le
conflit srsquoaggrave entre lrsquoeacutelegraveve et lrsquoinstitution et que les adultes qui les
utilisent sont engageacutes directement dans les interactions Ces maniegraveres de
nommer ou de qualifier ces eacutelegraveves soulignent des eacuteleacutements drsquoune
ambiance qui banalise des termes deacutevalorisants agrave lrsquoencontre des eacutelegraveves
en tregraves grande difficulteacute drsquoapprentissage et perturbateurs de lrsquoordre sco-
laire Ils deviennent alors ce qursquoils montrent les adultes ayant tendance agrave
identifier lrsquoeacutelegraveve deacuteviant au vu des manifestations produites Ces juge-
ments srsquoaccompagnent de propheacuteties autoreacutealisatrices sur lrsquoineacuteducabiliteacute
de lrsquoeacutelegraveve et lrsquoineacuteluctabiliteacute de son destin scolaire et social Les theacuteories
de lrsquoeacutetiquetage appliqueacutees agrave lrsquoeacutecole fonctionnent alors agrave plein (Van
Zanten 2001)
Plusieurs dossiers comportent des appreacuteciations non fondeacutees sur des
examens meacutedicaux ou psychologiques portant sur lrsquoorientation neacutecessaire
en structure speacutecialiseacutee laquo adapteacutee au comportement de lrsquoeacutelegraveve raquo ainsi que des
injonctions aux parents drsquoaccompagner leur enfant suivre une psycho-
theacuterapie au vu des incidents scolaires dont il est protagoniste Lrsquoeacutelegraveve
perturbateur est alors paradoxalement consideacutereacute comme actif et volon-
taire dans les deacutesordres qursquoil met en scegravene dans lrsquoeacutetablissement scolaire
donc responsable de ce qui lui arrive et dans le mecircme temps porteur
de troubles seacuterieux du comportement ou de handicaps relevant drsquoune
commission speacutecialiseacutee
5516 Lrsquoexternalisation des solutions
Les causes possibles de la deacuteviance (quartier famille eacutelegraveve lui-mecircme) sont
situeacutees en dehors du champ de la relation peacutedagogique de mecircme que les
laquo solutions raquo eacuteventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux des familles
injonction de changer faite agrave lrsquoeacutelegraveve lui-mecircme) Dans cette logique les
mesures proposeacutees renvoient souvent la recherche de changement du
comportement de lrsquoeacutelegraveve agrave des structures ou agrave des personnes peacuteripheacute-
riques ou exteacuterieures aux situations drsquoenseignement contact avec des
eacuteducateurs suivi par lrsquoassistante sociale du collegravege injonction agrave la famille
de rescolariser le jeune avec assiduiteacutehellip
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Drsquoautres mesures conccedilues comme plus eacuteducatives sont mises en
place comme les promesses ou les engagements les cahiers de suivi les
commissions ou conseils de vie scolaire mais elles sont appliqueacutees sur le
mecircme mode de lrsquoinjonction ou de la sanction sans qursquoaucune ameacuteliora-
tion dans le sens souhaiteacute par les acteurs scolaires ait pu ecirctre constateacutee
Le non-respect de la proceacutedure du cahier de suivi srsquoest du reste rajouteacute
aux charges qui pegravesent contre lrsquoun des eacutelegraveves deacutescolariseacute par la suite au
moment du conseil de discipline
Le traitement appliqueacute aux eacutelegraveves perturbateurs et deacutescolariseacutes
ensuite rencontreacutes au cours de notre recherche est bien un traitement
coercitif classique depuis le deacutebut de leur scolariteacute au collegravege (avertisse-
ments exclusions conseil de vie scolaire) visant agrave leur faire apprendre de
greacute ou de force leur laquo meacutetier drsquoeacutelegraveve raquo laquo se comporter comme un eacutelegraveve raisonnable raquo
eacutetant entendu qursquoil ne tient qursquoagrave lrsquoeacutelegraveve de prendre la deacutecision de changer
Dans cette logique de refus ou drsquoacceptation la laquo mise au travail raquo
suffirait agrave reacutetablir la situation La question des lacunes scolaires est ainsi
eacuteviteacutee comme est preacuteserveacute le point central des compeacutetences enseignantes
les interactions peacutedagogiques dans la classe Lrsquoeacutelegraveve en difficulteacute devient
une personne laquo difficile raquo Une logique de rapport de force entre lrsquoinstitu-
tion et lrsquoeacutelegraveve srsquoeacutetablit ainsi visant agrave laquo faire changer lrsquoeacutelegraveve drsquoavis raquo Celui-ci est
alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de son
eacutevolution quelquefois sommeacute de laquo trouver une solution raquo avec la mention
laquo nous avons tout essayeacute raquo Lrsquoabsence de changement marque eacutevidente de
mauvaise volonteacute deacuteclenche la colegravere des personnels scolaires La reacuteaction
aux perturbations manifesteacutees par lrsquoeacutelegraveve renforce et cristallise lrsquoidentiteacute
deacuteviante et les relations srsquoinstallent durablement dans le conflit En cas
de perturbations graves ces eacutelegraveves sont alors consideacutereacutes comme laquodangereuxpour la communauteacute scolaire raquo laquo nrsquoayant pas leur place au collegravege raquo La seacutepara-
tion devient ineacutevitable soit agrave la suite drsquoun conseil de discipline qui pro-
nonce lrsquoexclusion deacutefinitive soit par retrait de lrsquoeacutelegraveve en particulier dans
le cas de laquo passages fictifs raquo dans la classe supeacuterieure Lrsquoensemble des acteurs
scolaires srsquoentend pour traiter la situation en fonction drsquoinjonctions et de
sanctions plutocirct que de reacutesolution dans le sens de la poursuite des eacutetudes
ou drsquoun parcours individuel adapteacute agrave la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve La
gestion des laquo deacuteviants scolaires raquo tend ainsi agrave ecirctre penseacutee et mise en actes
en termes de preacuteservation de lrsquoordre scolaire sanctionnant les manque-
ments aux regravegles tant drsquoassiduiteacute que de comportement les mauvais
reacutesultats eacutetant quasiment inclus dans le registre des transgressions
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140 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
552 LES EacuteLEgraveVES
Les jeunes deacutescolariseacutes srsquoexpriment peu par rapport agrave leur situation acircgeacutes
de 14 agrave 16 ans au moment de la rencontre avec le chercheur ils ont veacutecu
un processus de deacutescolarisation plus qursquoils ne lrsquoont construit avec parfois
lrsquoimpression qursquoils avaient tregraves peu de prise sur ce qui leur arrivait Un
seul (Patrick dont nous deacutetaillerons la situation plus loin) exprime un
refus clair de lrsquoeacutecole et de toutes les propositions qui lui seraient faites
en forme de conflit ouvert et non neacutegociable accompagneacute drsquoun deacutesinteacuterecirct
affirmeacute par rapport agrave son avenir Un autre qui nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute
souhaiterait vivement laquo entrer agrave lrsquoeacutecole raquo Pour les eacutelegraveves exclus drsquoun collegravege
lrsquoeacuteloignement du collegravege de reacuteaffectation est un obstacle important agrave la
suite de la scolariteacute Drsquoautres expriment un fort sentiment de deacutevalori-
sation personnelle (crsquoest le cas de ceux qui se sont signaleacutes par drsquoimpor-
tantes perturbations scolaires) et des espoirs deacuteccedilus dans la scolariteacute Les
jeunes qui nrsquoont pas eacuteteacute perturbateurs et ont de ce fait eacuteteacute moins stigma-
tiseacutes nrsquoexpriment pas de ressentiment ou de crainte mais plutocirct un deacutesin-
teacuterecirct global par rapport agrave lrsquoeacutecole en geacuteneacuteral tout en gardant un laquo bonsouvenir raquo drsquoenseignants ou drsquoacteurs scolaires Le processus de deacutescolari-
sation srsquoest accompagneacute drsquoun isolement croissant par rapport aux autres
eacutelegraveves du collegravege accentueacute par les nombreuses absences Lrsquoabsenteacuteisme
ou les fortes perturbations coupent les jeunes des sociabiliteacutes juveacuteniles
lieacutees agrave la vie quotidienne au collegravege et mecircme si les camarades peuvent
jouer un rocircle de relais et de garde-fous dans certaines situations leur
peacuterennisation entraicircne une deacutesaffection de leur part
Les jeunes deacutescolariseacutes occupent des rangs divers dans leurs fratries
dont le nombre drsquoenfants varie de un agrave sept six sont des aicircneacutes (ou enfant
unique pour un) quatre sont les plus jeunes quatre occupent des places
meacutedianes dans la fratrie Tous les jeunes deacutescolariseacutes vivent plutocirct laquo au jourle jour raquo pris en charge mateacuteriellement dans leurs familles avec lesquelles
ils entretiennent des relations diverses qui vont de la bonne entente au
conflit ouvert en forme de rapport de force avec les parents ou des fregraveres
et sœurs Plusieurs disent vouloir travailler et attendre drsquoavoir 16 ans pour
pouvoir le faire La notion drsquoadolescence est relative dans leur cas alors
que pour beaucoup de jeunes scolariseacutes elle est une peacuteriode assez longue
pendant laquelle ils restent deacutependants de leurs parents tout en menant
une vie relativement autonome il en va autrement pour ceux dont nous
avons eacutetudieacute les situations
Les jeunes deacutescolariseacutes se trouvent confronteacutes avant lrsquoacircge de 16 ans
agrave des choix et agrave des perspectives qui tiennent plus de lrsquoacircge adulte trouver
un travail ou une formation rapidement qualifiante seconder les parents
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 141
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la megravere en particulier La plupart drsquoentre eux vivent plus au contact
drsquoadultes que de jeunes de leur acircge (agrave part ceux qui sont attacheacutes agrave des
groupes de pairs) et leurs formes de sociabiliteacute juveacutenile se trouvent
modifieacutees par lrsquoarrecirct de scolariteacute
La majoriteacute des jeunes sont plutocirct resteacutes chez eux inteacutegrant laquo agrave plein
temps raquo la vie familiale au rythme de leurs parents Le temps est scandeacute
par les horaires scolaires des plus jeunes enfants que les jeunes filles
accompagnent ou vont chercher Lrsquoarrecirct de scolariteacute implique une dimi-
nution des reacuteseaux relationnels avec des pairs deacutejagrave restreints pour la
plupart des jeunes un repli sur la sphegravere familiale et une impression
drsquoennui avec dans un cas des activiteacutes reacutepeacutetitives Les relations intrafami-
liales se tendent drsquoautant plus que les intervenants exteacuterieurs se mani-
festent par des avertissements ou des injonctions et que les revenus de la
famille sont en baisse par la suspension ou la suppression des allocations
familiales Les jeunes qui avaient des reacutesultats scolaires satisfaisants agrave
lrsquoentreacutee en sixiegraveme peuvent espeacuterer dans un avenir indeacutetermineacute reprendre
une formation mais pour les autres les reacutesultats scolaires en chute ou
mauvais depuis plusieurs anneacutees rendent tregraves aleacuteatoire la perspective de
projets professionnels ou drsquoavenir lieacutes agrave la formation en geacuteneacuteral
Sur les quatorze situations rencontreacutees cinq jeunes ont commis des
actes deacutelinquants preacutealables ou parallegraveles agrave leur entreacutee au collegravege Agrave la
suite de lrsquoarrecirct de scolariteacute ces actes deacutelinquants ont continueacute et se sont
mecircme amplifieacutes mais on ne peut pas dire que lrsquoarrecirct de scolariteacute ait
geacuteneacutereacute la deacutelinquance Onze ont eacuteteacute lrsquoobjet de signalements pour faits
de petite deacutelinquance ou absenteacuteisme ou encore problegraveme familial Ces
signalements ont donneacute lieu agrave des rencontres avec un juge des enfants et
agrave des mesures eacuteducatives avec maintien au domicile dans la majoriteacute des
cas (deux jeunes ont eacuteteacute placeacutes sur des dureacutees courtes) Les deux jeunes
dont les parents ont trouveacute une issue en matiegravere drsquoapprentissage anticipeacute
nrsquoont fait lrsquoobjet drsquoaucun signalement pas plus que lrsquoenfant en situation
irreacuteguliegravere
La preacutesence drsquoun groupe de pairs dans le quartier peut jouer un rocircle
attractif ou compensatoire agrave lrsquoinactiviteacute lieacutee agrave la deacutescolarisation Crsquoest le
cas pour cinq des jeunes qui ont commis des actes deacutelinquants et srsquoattachent
agrave des groupes de pairs en forme de bandes au fur et agrave mesure que
srsquoaccentue le processus de deacutescolarisation
553 LES FAMILLES
Aux facteurs endogegravenes agrave lrsquoeacutecole srsquoajoutent des situations familiales qui
ne permettent pas de soutenir lrsquoeacutelegraveve dans son effort scolaire ni de contre-
balancer lrsquoimage neacutegative qui lui est renvoyeacutee Dans la plupart des situations
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142 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
rencontreacutees si les parents se manifestent ou reacutepondent aux demandes de
rencontre des collegraveges (les laquo convocations raquo) au sujet de leur enfant ou
tout au moins acceptent un eacutechange avec lrsquoassistant social qui se rend au
domicile on note un deacutecalage entre le point de vue et lrsquohistoire scolaire
des familles en particulier les parents et les exigences de lrsquoeacutecole tant sur
le plan de lrsquoassiduiteacute que sur celui du comportement
La plupart des familles rencontreacutees disposent de trop peu de res-
sources pour se positionner en interlocuteurs creacutedibles de lrsquoeacutecole meacutecon-
naissent le fonctionnement du systegraveme scolaire tout en devant geacuterer une
vie quotidienne tregraves difficile drsquoun point de vue eacuteconomique Dans une
famille une incompreacutehension linguistique majeure empecircche tout travail
de coeacuteducation effectif entre le collegravege et les parents en lrsquoabsence de
traduction La gestion de la scolariteacute revient majoritairement aux megraveres
qui sont plus souvent preacutesentes dans les eacutetablissements scolaires les pegraveres
(lorsqursquoils sont preacutesents dans lrsquoeacuteducation de leurs enfants) intervenant
plus pour geacuterer les manquements aux normes Dans plusieurs familles les
strateacutegies familiales employeacutees sont de lrsquoordre de la contention corporelle
sans effet sur une reprise de la scolariteacute ainsi des parents accompagnent
leur enfant au collegravege le remettent dans les mains du conseiller principal
drsquoeacuteducation (CPE) qui lrsquoemmegravene en courshellip jusqursquoagrave la fin de lrsquoheure ougrave
le jeune disparaicirct agrave nouveau de lrsquoeacutetablissement Son refus du systegraveme
scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires nrsquoont drsquoinfluence
sur un eacuteventuel retour Des punitions corporelles reacutepeacuteteacutees sont appliqueacutees
par certaines familles aux jeunes visant agrave les faire laquo rentrer dans le droitchemin raquo (celui de lrsquoeacutecole en lrsquooccurrence censeacutee assurer une formation
et proteacuteger contre les risques de deacutelinquance) avec pour effet drsquoaccentuer
le retrait de la famille parallegravelement au retrait de lrsquoeacutecole La stigmatisation
opeacutereacutee par lrsquoeacutecole est renforceacutee dans certaines familles par un regard
neacutegatif porteacute sur lrsquoadolescent qui devient une laquo bouche inutile raquo en parti-
culier lorsque les allocations familiales sont suspendues
Eacuteloigneacutes du marcheacute du travail et de celui de la consommation les
parents nrsquooffrent pas drsquoimage creacutedible agrave leurs enfants en tant qursquoeacuteduca-
teurs Dans ces cas-lagrave le controcircle parental et la qualiteacute de la relation avec
les enfants deacutejagrave affecteacutes par la situation de preacutecariteacute dans laquelle se
trouvent les familles sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli 2001
p 224) Des conflits aviveacutes de surcroicirct par la situation critique du jeune
au collegravege bloquent aussi la communication agrave lrsquointeacuterieur de ces familles
Pour les familles marqueacutees par la pauvreteacute les aleacuteas de la vie fami-
liale prennent des proportions exacerbeacutees seacuteparations divorces disputes
recompositions ont lieu dans des espaces et des temps restreints (lrsquoabsence
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de travail confine les membres adultes de la famille au domicile et ils ne
disposent pas de reacuteseaux professionnels ou relationnels qui leur permet-
traient de se distraire de ces situations) Ces familles peuvent eacutevoluer
rapidement deacutepart drsquoun conjoint et arriveacutee drsquoun autre installation
momentaneacutee ou agrave plus long terme au domicile du nouveau conjoint drsquoun
des deux parents en preacutesence de lrsquoautre heacutebergement de proches en
difficulteacute momentaneacutee deacutepart ou arriveacutee des enfants les plus acircgeacutes avec
quelquefois des beacutebeacuteshellip Les enfants doivent geacuterer ces situations familiales
conflictuelles et leur scolariteacute en mecircme temps et le cas eacutecheacuteant assurer
le soutien du parent le plus vulneacuterable comme crsquoest le cas pour lrsquoune des
jeunes filles dont la scolariteacute srsquoest arrecircteacutee principalement pour ce motif
Les deacutemarches diverses sont tregraves difficiles agrave effectuer les deacuteplace-
ments entre Roubaix et Lille par exemple sont veacutecus comme aleacuteatoires et
dangereux alors que lrsquoagglomeacuteration est desservie par des moyens de
transport nombreux et fiables Les propositions drsquoorientation ou de pla-
cement qui peuvent ecirctre faites rencontrent un refus de se seacuteparer parents
et enfants veulent rester ensemble par crainte de la solitude (pour les uns
et les autres) de lrsquoinconnu des jugements deacutevalorisants de lrsquoentourage et
des agents institutionnels autour de la seacuteparation De ce fait les proposi-
tions alternatives sont tregraves limiteacutees car les centres speacutecialiseacutes ou de forma-
tion se trouvent rarement dans le mecircme quartier ou dans la mecircme ville
En lrsquoabsence drsquoadheacutesion minimale du groupe familial agrave ces propositions
leur reacutealisation comporte un fort risque drsquoeacutechec La valeur fondamentale
qui apparaicirct ainsi pour ces familles est le fait de preacuteserver lrsquouniteacute du
groupe refuge protection lieu de souffrance mais aussi lrsquoexercice de la
fonction parentale qui doit ecirctre maintenue fucirct-elle mise en peacuteril par des
interactions violentes ou peacutenibles entre parents et enfants La remise en
cause de cette laquo compeacutetence parentale raquo est drsquoautant plus difficile agrave vivre
qursquoelle est le seul facteur de reconnaissance sociale possible
Lrsquoisolement et le peu de gratifications reccedilu dans leur vie sociale la
multipliciteacute des eacuteveacutenements qui jalonnent la vie familiale favorisent sans
doute lrsquoentreacutee et lrsquoinstallation de plusieurs megraveres dans la laquo deacutepression raquo
qui devient partie inteacutegrante de lrsquoidentiteacute maternelle preacutesenteacutee comme
telle au chercheur Les difficulteacutes veacutecues avec les conjoints et les enfants
sont des drames quotidiennement ressasseacutes et certaines trouvent dans ces
rocircles de megravere et drsquoeacutepouse doloriseacutees une forme drsquoidentiteacute acceptable pour
elles-mecircmes pour les acteurs scolaires pour les travailleurs sociauxhellip qui
vont intervenir en tenant compte de la laquomaladieraquo de la megravere Les laquoproblegravemes
de santeacute raquo sont partie prenante de ces probleacutematiques parentales et
deacuteclenchent la compassion ou lrsquoagacement des interlocuteurs inteacuteresseacutes agrave
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144 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
la situation de lrsquoenfant Dans les cas extrecircmes ils se retrouvent en situation
drsquoeacutecouter de rassurer voire drsquoassister les parents vulneacuterabiliseacutes Cela eacutetant
les parents rencontreacutes ne se deacutesinteacuteressent pas de la situation de leurs
enfants et les megraveres restent souvent leurs seules laquo allieacutees inconditionnelles raquo
tentant drsquoassurer leur laquo protection raquo dans les aleacuteas de leurs deacutemecircleacutes avec
lrsquoeacutecole les travailleurs sociaux les juges des enfants parfois
Dans plusieurs situations la vie familiale srsquoaccommode bon an mal
an du retrait scolaire de un ou plusieurs des enfants la scolariteacute de un
ou plusieurs aicircneacutes srsquoest arrecircteacutee agrave lrsquoacircge de 16 ans et les perspectives fami-
liales en matiegravere drsquoeacutecole sont plus porteacutees vers des eacutetudes courtes sanc-
tionneacutees ou non par un diplocircme professionnel que vers des eacutetudes longues
Le savoir scolaire nrsquoest pas valoriseacute en tant que tel et lrsquoeacutecole est veacutecue
comme un lieu de formation permettant drsquoacceacuteder rapidement agrave un
emploi Lorsque les reacutesultats scolaires du jeune et les incidents au collegravege
rendent cette perspective peu creacutedible la famille envisage alors un retrait
de lrsquoeacutecole degraves lrsquoacircge de 16 ans conseillant agrave lrsquoenfant de laquo se tenir agrave carreau raquo
drsquoici lagrave afin de ne pas srsquoattirer les reproches et les interventions nombreu-
ses des acteurs scolaires Une fois atteint lrsquoacircge de 16 ans on parle alors
de laquo trouver un bon apprentissage raquo au jeune afin de lui permettre de tra-
vailler rapidement Cette perspective est drsquoautant plus affirmeacutee qursquoexistent
dans la famille des personnes qui travaillent ou ont travailleacute dans un passeacute
reacutecent et qui peuvent ecirctre porteuses de cette ideacutee de processus de forma-
tion Lrsquoinfluence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable dans les
discours mentionnant un laquo projet professionnel raquo alternatif agrave lrsquoeacutecole
Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en
place elles-mecircmes une issue agrave la deacutescolarisation de leur enfant en obte-
nant une deacuterogation pour une entreacutee en apprentissage avant 16 ans sans
passer par lrsquointermeacutediaire de travailleurs sociaux
Dans lrsquoensemble dans aucune des situations eacutetudieacutees on nrsquoa pu
observer des interactions efficaces entre les parents et lrsquoeacutetablissement
scolaire les familles globalement peu creacutedibles dans les repreacutesentations
des acteurs scolaires sont encore plus deacutevaloriseacutees quand elles sont en
situation de vulneacuterabiliteacute ou de pauvreteacute Agrave leur tour elles voient les
acteurs scolaires comme deacutesagreacuteables et peu efficaces porteurs drsquoinjonc-
tions irreacutealisables agrave lrsquoexception de certains (assistants sociaux principale-
ment) qui sont consideacutereacutes comme bienveillants et faisant tout leur possible
pour faire revenir lrsquoenfant au collegravege sans que cela corresponde agrave une
eacuteventualiteacute raisonnablement envisageable et reacutealisable par la famille
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554 LES TRAVAILLEURS SOCIAUX
(Agrave LrsquoINTEacuteRIEUR ET Agrave LrsquoEXTEacuteRIEUR DES COLLEgraveGES)
Les assistants sociaux scolaires jouent un rocircle cleacute dans le suivi des jeunes
en risque de deacutescolarisation ou dans lrsquointervention aupregraves drsquoeux quand
lrsquoarrecirct de scolariteacute est effectif car ils peuvent se rendre au domicile de la
famille et ne sont pas investis drsquoune mission peacutedagogique par rapport agrave
lrsquoeacutelegraveve Ils se situent dans un champ de relation plus laquo libre raquo et moins
stigmatisant pour le jeune et sa famille qui peuvent mettre en avant des
eacuteleacutements explicatifs ou justificatifs de lrsquoarrecirct de scolariteacute qui ne seraient
pas entendus par les autres agents scolaires Les familles sont par ailleurs
pour la plupart habitueacutees agrave recevoir ou agrave cocirctoyer des travailleurs sociaux
assistants sociaux en particulier dans une relation drsquoassistance et de controcircle
Les relations entre les assistants sociaux et les enseignants sont mar-
queacutees par un fort cloisonnement lorsqursquoils assurent le suivi social des
eacutelegraveves dans les collegraveges celui-ci se fait sans lien avec les interactions dans
les classes La question du secret professionnel reste entiegravere des ensei-
gnants adressent des eacutelegraveves au service social et ont quelquefois peu de
laquo retours raquo de ces interventions ils meacuteconnaissent des eacuteveacutenements graves
arrivant aux eacutelegraveves et regrettent ensuite drsquoecirctre intervenus agrave contretemps
aupregraves drsquoeux du fait de ces meacuteconnaissances Les personnels sociaux des
eacutetablissements maintiennent de leur cocircteacute la confidentialiteacute de nombre de
donneacutees par souci du respect de la vie priveacutee des eacutelegraveves et de leurs
familles et par crainte drsquoutilisations intempestives de ces informations Ces
mecircmes craintes existent drsquoailleurs aussi entre enseignants De fait les
intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir aupregraves des
familles et tenter de modifier la probleacutematique familiale plutocirct que les
interactions qui se deacuteroulent ou se sont deacuterouleacutees au collegravege Leur forma-
tion les entraicircne aussi sans doute plus du cocircteacute de la relation parents-
enfants que des acquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants
Par ailleurs les travailleurs sociaux insistent sur la mise en place de
laquo projets raquo qui se heurtent agrave la preacutecariteacute des conditions de vie faisant
justement obstacle agrave la construction de ces projets En outre si les enfants
deviennent plus qualifieacutes que leurs parents ils peuvent vivre des conflits
de loyauteacute qui remettraient en cause lrsquoeacutequilibre familial drsquoougrave des attitudes
de repli freacutequemment observeacutees et des laquo mises en eacutechec raquo de projets
construits autour de formations proposeacutees aux jeunes Lorsque les actions
dans les eacutetablissements scolaires ont eacutechoueacute agrave maintenir lrsquoeacutelegraveve dans le
milieu scolaire les solutions laquo sociales raquo prennent le relais en maintenant
un lien avec les familles et en eacutevitant un enclavement plus important pour
les familles les plus isoleacutees
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146 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
56 LE CAS DE PATRICK
Patrick est acircgeacute de 15 ans au moment ougrave nous le rencontrons chez lui avec
sa megravere et sa sœur aicircneacutee Il est le dernier drsquoune fratrie de sept enfants
Son pegravere est deacuteceacutedeacute il y a six ans Sa megravere employeacutee de collectiviteacute sur
Paris a arrecircteacute sa scolariteacute agrave la fin du cycle primaire Elle a deacutemeacutenageacute drsquoune
ville de la banlieue parisienne vers Roubaix en juin 1999 Elle est agente
de service agrave la DDASS12 drsquoun deacutepartement limitrophe de Paris poste
qursquoelle a obtenu en se faisant connaicirctre tout drsquoabord comme laquo cliente raquo
des services sociaux Elle fera le deacuteplacement Roubaix-Paris et retour tous
les jours jusqursquoau deacutebut de 2001 peacuteriode agrave laquelle elle entame une seacuterie
de congeacutes maladie pour laquo deacutepression raquo selon sa propre expression Au
moment du deacutemeacutenagement Patrick terminait une sixiegraveme marqueacutee par
de tregraves mauvais reacutesultats scolaires
Sur le bulletin de fin de CM213 de Patrick on peut lire laquo Des reacutesultats
faibles dans lrsquoensemble ndash Des efforts cependant tregraves doueacute pour lrsquoEPS14
perspectives drsquoadaptation en 6e moyennes (demande pour 6e hand-
ball) raquo Il a effectivement un A (meilleure cateacutegorie) en EPS et des per-
formances entre B et C pour la lecture lrsquoexpression orale les meacutecanismes
opeacuteratoires de C pour lrsquoexpression eacutecrite le raisonnement les sciences
et la technologie lrsquohistoire-geacuteographie lrsquoeacuteducation civique et musicale
les arts plastiques et de D pour lrsquoorthographe Dans le domaine des compeacute-
tences transversales on peut lire laquo Comportement irreacutegulier respecte
lrsquoautoriteacute Valoriseacute par les matiegraveres sportives raquo
Lrsquoappreacuteciation de fin de premier trimestre de sixiegraveme en banlieue
parisienne indique laquo Travail et reacutesultats tregraves insuffisants Il faut reacuteagir tregraves
rapidement raquo Cette injonction est soutenue par un dispositif de soutien
interne au collegravege Lrsquoenseignant en charge de ce soutien indique laquo bondeacutebut raquo sur le mecircme bulletin Au deuxiegraveme trimestre on note quelques
absences non justifieacutees et une attitude laquo peacutenible et deacutesagreacuteable raquo laquo perturbatrice raquo
est signaleacutee par la majoriteacute des professeurs Lrsquoenseignant chargeacute du sou-
tien indique laquo Encourageant Il faudrait ne manquer aucune seacuteance raquo Patrick
reccediloit un avertissement laquo travail et conduite raquo Il est exclu une journeacutee de
lrsquoeacutetablissement aux motifs de laquo Refuse drsquoobeacuteir perturbe la classe tutoie le
professeur raquo La megravere de Patrick eacutecrit une lettre au principal pour accuser
reacuteception du courrier lui notifiant cette exclusion et srsquoexcuser elle-mecircme
du comportement de son fils
12 Direction deacutepartementale de lrsquoaction sanitaire et sociale
13 Cours moyen 2e anneacutee
14 Eacuteducation physique et sportive
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Au troisiegraveme trimestre Patrick est scolariseacute agrave Roubaix sans que
lrsquoenseignant chargeacute du soutien en soit preacutevenu car il indique sur un
bulletin par ailleurs vide de toute appreacuteciation laquo Nrsquoest plus venu ce trimestreIl y avait pourtant quelque chose agrave faire raquo Au troisiegraveme trimestre agrave Roubaix
on comptabilise quatre demi-journeacutees drsquoabsence non justifieacutees La moyenne
geacuteneacuterale est faible (79520) les appreacuteciations soulignent le sentiment de
laquo peu drsquoefforts peu de travail ensemble un peu timide raquo avec des appreacuteciations
positives en technologie et en sciences et vie de la terre laquo seacuterieux ensemblecorrect bien raquo Sur le bulletin scolaire du premier trimestre de lrsquoanneacutee 1999-
2000 on note laquo Trimestre catastrophique Aucun travail et attitude tregraves peacutenibleAvertissement travail et conduite raquo Aucun dispositif de soutien nrsquoest cette
fois-ci proposeacute agrave Patrick
Les deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres de cinquiegraveme se deacuteroulent en
banlieue parisienne dans le collegravege ougrave il a effectueacute sa sixiegraveme Patrick a
en effet refuseacute le deacutemeacutenagement de sa megravere et a obtenu drsquoecirctre logeacute chez
lrsquoun de ses fregraveres aicircneacutes dans la ville de banlieue parisienne ougrave il habitait
preacuteceacutedemment en laquo faisant le chantage raquo comme le dit son fregravere laquo Srsquoilrevenait agrave X il suivait lrsquoeacutecole raquo Les reacutesultats scolaires tregraves mauvais se com-
binent avec des incidents violents qui lrsquoopposent agrave des enseignants et agrave
drsquoautres eacutelegraveves ainsi qursquoavec de multiples absences De fait Patrick fait
partie drsquoune bande de jeunes garccedilons qui commencent agrave commettre des
actes deacutelinquants (vols agressions sur drsquoautres du mecircme acircge) dans la citeacute
ougrave il habitait avec sa megravere
Le chef drsquoeacutetablissement connaicirct bien Patrick et sa famille (sa sœur
aicircneacutee a suivi sa scolariteacute dans ce mecircme collegravege) Il approuve au cours de
lrsquoentretien le choix de la megravere de Patrick laquo Ccedila permettait de couper Patrickde le couper des copains et des gangs dans lesquels il commenccedilait agrave srsquointeacutegrer raquo Il
a repeacutereacute chez Patrick un laquo gros gros problegraveme affectif [hellip] le gamin pas contentquand on lrsquoaime pas raquo Par ailleurs le principal et lrsquoeacutequipe de direction
travaillaient agrave laquo remettre de lrsquoordre raquo dans le collegravege laquo Patrick quand il estarriveacute eacutetait porteur des mecircmes problegravemes que lrsquoeacutetablissement raquo Le jeune garccedilon
fait alliance avec drsquoautres eacutelegraveves dont les comportements sont proches des
siens et les retrouve degraves son retour Il fait partie drsquoune cinquiegraveme agrave domi-
nante sportive ougrave il se signale par une absence de travail et 33 demi-
journeacutees drsquoabsence au troisiegraveme trimestre ponctueacute par cette appreacuteciation
laquo Bilan catastrophique Vous nrsquoecirctes pas motiveacute par lrsquoenseignement geacuteneacuteral Patienteztravaillezhellip pour pouvoir construire un projet Conseil 4e aide et soutien raquo
La vie familiale de son fregravere aicircneacute est perturbeacutee par la preacutesence de
ce jeune qui est agrave peine plus acircgeacute que lrsquoaicircneacute de ses neveux et reacuteclame de
sortir tard le soir en refusant lrsquoautoriteacute de son fregravere Une bagarre avec un
autre fregravere met un terme agrave la cohabitation en banlieue parisienne et
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148 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Patrick reacuteintegravegre le domicile de sa megravere agrave Roubaix Les contacts sont
coupeacutes entre le fregravere aicircneacute et sa megravere celui-ci reprochant agrave cette derniegravere
drsquoecirctre trop faible avec le plus jeune dont il constate qursquoil domine sa megravere
Il met un coup de pression et il aura ce qursquoil veut elle cegravede et elle lui donnetout ce qursquoil veut Depuis que mon pegravere est mort il nrsquoy a plus cette poigne[hellip] Avec moi il y avait le respect Avant je disais six heures et il eacutetait lagraveagrave six heures [hellip] Quand il mettait la musique trop fort je lui disaisdrsquoarrecircter une fois deux fois et je coupais les plombs Je lrsquoai vu faire avecsa megravere quand elle lui refuse quelque chose il va dans sa chambre il metla musique agrave fond Elle gueule il fait ce qursquoil veut Elle va dans sachambre il pourrait lever la main sur elle Alors elle redescend
Lrsquoinfluence du groupe de pairs et lrsquoattirance qursquoil exerce sur Patrick
sont aussi souligneacutees par son fregravere aicircneacute Patrick est envoyeacute au Portugal
pays drsquoorigine de ses parents dans le courant du premier trimestre 2000-
2001 pour une laquo mise au vert raquo visant aussi agrave soulager la famille la megravere
en particulier
De retour agrave la fin de deacutecembre 2000 agrave Roubaix Patrick refuse drsquoaller
au collegravege exigeant de retourner en banlieue parisienne afin de retrouver
ses laquo copains raquo Les bulletins des deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres sont
vides drsquoappreacuteciations (75 demi-journeacutees drsquoabsences non justifieacutees au troi-
siegraveme trimestre) et le commentaire final est laquo Eacutelegraveve fantocircme raquo En dessous
hors cadre on peut lire laquo Attention Obligation scolaire jusqursquoagrave 16 ans raquo (sou-
ligneacute deux fois)
Patrick instaure un rapport de force avec sa megravere il exige qursquoelle
lui donne de lrsquoargent pour ses deacutepenses personnelles met la musique agrave
fond quand elle veut lui reacutesister manifeste lors de lrsquoentretien une absence
drsquoempathie agrave son eacutegard et une insouciance pour son avenir professionnel
qui accentuent les pleurs et le deacutesarroi de cette derniegravere
Patrick Jrsquopeux rester comme ccedila jusqursquoagravehellip
Megravere Ben tu peux pas rester jusqursquoagrave agrave rien faire toute ta viehellip
Patrick Eh ben alors deacutemeacutenage deacutemeacutenage
Megravere Ah non Je ne deacutemeacutenage pas non
Patrick Si tu ne deacutemeacutenages pas je vais pas agrave lrsquoeacutecole ici
Megravere Je vais pas deacutemeacutenager pour toi hein
Patrick Et moi je ne vais pas aller agrave lrsquoeacutecole pour toi Moi jrsquoy vais pasici Crsquoest clair Ni travailler ni agrave lrsquoeacutecole ni agravehellip je vais pas aller agrave lrsquoeacutecolepour toi
ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 149
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Tous les propos eacutechangeacutes entre Patrick et sa megravere sont de cette
teneur le jeune garccedilon regarde sa megravere et crie celle-ci pleure et tente
drsquoargumenter
La famille considegravere que lrsquoeacutecole ne lrsquoa pas aideacutee Le fregravere aicircneacute men-
tionne des reacuteflexions indeacutelicates drsquoenseignants en reacutegion parisienne la
sœur aicircneacutee commente ainsi une expression lue sur le bulletin du troisiegraveme
trimestre 2000-2001 laquo Ils marquent mecircme ldquoenfant fantocircmerdquo Crsquoest mecircme agrave sedemander si crsquoest pas de la moquerie parce qursquoon sait tregraves bien qursquoil va pas agrave lrsquoeacutecoleou ils savent tregraves bien les problegravemes qursquoon a ethellip marquer ce genre de choses sur lesbulletins crsquoest pas vraiment ce qursquoon a envie de voir ou de recevoir agrave la maison raquo
Une deacutecision drsquoorientation vers la classe-relais de Roubaix est prise
dans le courant de lrsquoanneacutee 2000-2001 Agrave cette occasion lrsquoassistante sociale
scolaire et une eacuteducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse se
rendent plusieurs fois au domicile de Patrick pour le rencontrer Le jeune
garccedilon dispose drsquoune chambre en haut drsquoun escalier et les intervenantes
parlementent plusieurs fois derriegravere la porte pour le faire sortir ce qui
semble laquo anormal raquo aux membres de la famille Par ailleurs Patrick ratera
de nombreux rendez-vous avec lrsquoeacuteducatrice et refusera entre autres de
travailler avec cette derniegravere sur la situation familiale laquo Alors jrsquoavais proposeacutedrsquoautres choses que lrsquoeacutecole [hellip] Mais non crsquoeacutetait non non non non non [hellip]
trois jours apregraves jrsquoavais pris un rendez-vous pour la journeacutee portes ouvertes delrsquoapprentissage en geacuteneacuteral il nrsquoeacutetait pas lagrave Je nrsquoai rien fait rien rien rien aveclui [hellip] crsquoest rarissime raquo
Patrick campe sur ses positions et tout se passe comme si plusieurs
adultes qursquoils soient de sa famille ou exteacuterieurs tentaient de le convaincre
de reprendre une scolariteacute alors qursquoaucune neacutecessiteacute eacuteconomique ou
autre ne le pousse agrave se mobiliser Sa megravere dit elle-mecircme qursquoelle est obli-
geacutee de le nourrir et qursquoelle est deacutepasseacutee par la situation Patrick semble
prendre exemple sur les violences exerceacutees par son pegravere et son fregravere aicircneacute
dans leur propre famille et agrave son eacutegard en les reportant aujourdrsquohui sur
sa megravere pour la faire ceacuteder Ce renversement de situation lrsquoadolescent
balayant lrsquoautoriteacute chancelante de sa megravere pour prendre le pouvoir est
renforceacutee par la logique de bande dans laquelle il est engageacute elle forme
sa reacutefeacuterence principale avant sa famille
Cette reacutefeacuterence primordiale est drsquoailleurs remarqueacutee par les membres
de la famille sa megravere en particulier qui srsquoinquiegravete de lrsquoinfluence des
copains sur son fils et de leurs trajectoires plusieurs drsquoentre eux sont
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150 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
incarceacutereacutes au quartier des mineurs agrave Fleury-Meacuterogis15 situation banaliseacutee
par Patrick qui dit souhaiter ecirctre avec eux plutocirct qursquoagrave Roubaix Quant au
parcours scolaire il en eacutetait deacutejagrave eacuteloigneacute lors de son deacutemeacutenagement
lrsquoanneacutee de sixiegraveme ayant drsquoailleurs eacuteteacute tregraves perturbeacutee au dire du principal
du collegravege de banlieue parisienne La fonction de lrsquoeacutecole est assez utilitaire
dans cette famille ougrave les eacutetudes longues ne sont pas une norme Le grand
fregravere de Patrick lui a drsquoailleurs conseilleacute de faire laquo profil bas raquo en attendant
la fin de la troisiegraveme et une formation en apprentissage Sa sœur aicircneacutee
acircgeacutee de 19 ans a arrecircteacute ses eacutetudes agrave 16 ans Elle est megravere drsquoun beacutebeacute drsquoun
an et a suivi sa megravere dans le Nord Elle se rend reacuteguliegraverement en reacutegion
parisienne pour rencontrer le pegravere de lrsquoenfant avec lequel elle a eu un
temps le projet de prendre un appartement Son jeune fregravere a alors
formuleacute le souhait de venir srsquoinstaller avec eux agrave deacutefaut de forcer sa megravere
agrave redeacutemeacutenager
La situation eacutetait bloqueacutee en juin 2001 Patrick refusant de rencon-
trer les intervenants sociaux qui se preacutesentent au domicile Lrsquoeacuteducatrice
prend alors la deacutecision drsquoun signalement au juge assorti drsquoune proposi-
tion de placement consideacuterant que les rocircles familiaux sont quasi inverseacutes
entre la megravere et son fils lesquels sont aussi laquo en danger raquo lrsquoun que lrsquoautre
Patrick quitte Roubaix dans le courant de lrsquoeacuteteacute et drsquoapregraves lrsquoeacuteducatrice
retourne chez son fregravere pour eacutechapper au placement avec lrsquoaccord de sa
megravere Au mois de septembre 2001 cette derniegravere fait parvenir au collegravege
de Roubaix une attestation indiquant que lrsquoadolescent est confieacute agrave sa sœur
et habite avec elle en reacutegion parisienne Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2002 la
sœur enceinte de son deuxiegraveme enfant est de retour agrave Roubaix dans
lrsquoappartement familial Patrick restant en reacutegion parisienne Il nrsquoa repris
agrave ce jour aucune scolariteacute
Se conjuguent ici une probleacutematique scolaire avec un niveau scolaire
tregraves bas et une non-perception des eacutetudes comme porteuses de projet
professionnel une logique deacutelinquante marqueacutee par une preacutedominance
du groupe des pairs et une sociabiliteacute juveacutenile deacutejagrave enclaveacutee une absence
de controcircle familial et parental lieacutee aux difficulteacutes de chaque membre de
la famille et agrave lrsquoeacutequilibre preacutecaire des relations agrave lrsquoimage de la preacutecariteacute
des ressources et des incertitudes qui jalonnent le quotidien Les injonc-
tions de lrsquoeacutetablissement scolaire nrsquoont aucune prise sur la famille qui le
tient en piegravetre estime (aucune aide veacuteritable ne lui est reconnue) et a
fortiori sur le jeune qui eacutevolue dans un autre systegraveme de reacutefeacuterences La
famille redoute en mecircme temps les deacutecisions comme un placement qui
enteacuterineraient lrsquoabsence de controcircle de sa part sur lrsquoadolescent
15 Maison drsquoarrecirct en banlieue Sud de Paris
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CONCLUSION
Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale autour des situations de deacutescolarisation on note
une pluraliteacute drsquointervenants qui se coordonnent peu voire ne se connaissent
pas et travaillent dans des optiques diffeacuterentes retour en classe travail
autour de la famille perspective drsquoun placement stage preacutequalifianthellip Les
uns et les autres attribuant agrave des sources diffeacuterentes les causes des difficul-
teacutes eacuteprouveacutees par le jeune ou causeacutees par lui sources consideacutereacutees en geacuteneacute-
ral comme exteacuterieures agrave leur propre action Chaque partie (famille jeunes
agents institutionnels) eacutevolue dans une logique qui lui est propre meacutecon-
nue de lrsquoautre partie La perspective drsquoeacutetudes geacuteneacuterales suivies sans succegraves
dans un contexte disciplinaire veacutecu comme conflictuel par les eacutelegraveves et
leurs professeurs incite agrave laquo chercher du travail raquo rapidement et agrave aban-
donner un cursus scolaire qui apparaicirct inutile et constamment frustrant
en tentant de passer immeacutediatement agrave un statut laquo adulte raquo (recherche
drsquoemploi ou prise de deacutecision autonome entre autres) dans un contexte
eacuteconomique marqueacute par la preacutecariteacute chez les cateacutegories sociales les moins
armeacutees sur le marcheacute de lrsquoemploi Mais lrsquoabsence de perspectives profes-
sionnelles et de possibiliteacutes de formation pour de tregraves jeunes garccedilons et
filles non qualifieacutes rend aleacuteatoires ces solutions alternatives fragilisent les
eacutequilibres familiaux et exposent les adolescents aux risques drsquoisolement
de repli sur soi ou de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes deacutelinquantes
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LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES
Lrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche
biographique
C
EacuteCILE
C
ARRA
CESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
La deacutelinquance juveacutenile apparaicirct en France comme un veacuteritable problegraveme
de socieacuteteacute preuve en serait lrsquoeacutevolution des statistiques officielles Ce
pheacutenomegravene suscite une profusion de discours de mises en garde de
recommandations Il occupe une place privileacutegieacutee dans le deacutebat politique
les meacutedias les colloques les discours ordinaires La deacutelinquance juveacutenile
est donc un sujet massivement traiteacute sur la scegravene publique Pour autant
sait-on qui sont ces laquo jeunes raquo au centre des deacutebats tout comme de lrsquoatten-
tion judiciaire Que connaicirct-on preacuteciseacutement de leur comportement et de
leurs motivations Qursquoen est-il de leurs familles qui tendent agrave ecirctre deacutesi-
gneacutees comme seules responsables de leurs actes (Mucchielli 2000) Quels
sont les effets du suivi judiciaire sur ces jeunes et sur leur famille Nom-
breux sont les travaux scientifiques franccedilais sur la deacutelinquance juveacutenile
mais ils portent davantage sur le systegraveme de prise en charge que sur les
populations suivies Selon Renouard (1995) la recherche franccedilaise a
mecircme deacutelaisseacute ce champ drsquoinvestigation
Cette orientation traditionnelle drsquoune partie de la recherche fran-
ccedilaise srsquoexplique notamment par des raisons de meacutethode ndash absence de
donneacutees disponibles difficulteacutes drsquoaccegraves au terrain Ceux qui srsquoy sont
essayeacutes savent combien il est difficile drsquoapprocher ces populations combien
lrsquoimmersion dans leur milieu de vie est longue et ardue Entrer en contact
se faire accepter connaicirctre leur milieu de vie sont pourtant des conditions
si ce nrsquoest suffisantes du moins incontournables pour tenter de comprendre
laquo de lrsquointeacuterieur raquo comment se constitue cette deacutelinquance qui apparaicirct
dans lrsquoactualiteacute sous la forme de laquo bandes de jeunes raquo et de laquo quartiers
sensibles raquo ces cateacutegories constituant le prisme agrave travers lequel la deacutelin-
quance juveacutenile est communeacutement appreacutehendeacutee Il ne srsquoagit donc pas ici
de traiter de la deacutelinquance en geacuteneacuteral mais de celle des mineurs issus
de milieux populaires dont les familles reacutesident dans des zones stigma-
tiseacutees Le questionnement poseacute les reacutesultats ne prendront sens qursquoen les
resituant dans ce cadre ce contexte speacutecifique
La citeacute des laquo 804 raquo quartier populaire drsquoune ville de moyenne impor-
tance de lrsquoEst de la France est qualifieacutee par les meacutedias de laquo zone de non-
droit raquo Parmi ses 1200 habitants nombreux sont ceux qui vivent ce lieu
comme inseacutecure et stigmatisant de nombreuses opeacuterations conduites
notamment dans le cadre de la Politique de la Ville tentent de changer
cette image Si les causes et les solutions proposeacutees par les diverses cateacute-
gories drsquoacteurs sont diffeacuterentes voire opposeacutees tous sont unanimes pour
deacutesigner les jeunes de la citeacute comme eacutetant les principaux responsables des
problegravemes locaux Ce sont certains de ces jeunes qui sont au centre de
cette recherche Ils ont comme point commun drsquoavoir appartenu agrave un
mecircme groupe de pairs ayant pris aux yeux des habitants et des acteurs
institutionnels la forme souterraine et dangereuse drsquoune bande Ces jeunes
DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES
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ont par ailleurs tous eacuteteacute condamneacutes par la justice des mineurs et suivis
dans le cadre du service eacuteducatif aupregraves du tribunal (SEAT)
1
Les carac-
teacuteristiques socioeacuteconomiques de ces enquecircteacutes correspondent agrave celles des
mineurs suivis au peacutenal par le SEAT fils drsquoouvriers ou de chocircmeurs dont
lrsquoacircge est compris entre 16 et 21 ans releacutegueacutes sur le plan socioscolaire
(enseignement et institutions speacutecialiseacutes) et professionnel (chocircmage dis-
positif drsquoinsertion)
Traiter de la deacutelinquance juveacutenile en prenant pour population des
jeunes habitant qui plus est dans des quartiers dits sensibles neacutecessite
quelques preacutecautions Toute deacutelinquance nrsquoest pas le fait de laquo jeunes raquo
tout jeune deacutelinquant nrsquohabite pas dans un quartier populaire tout quar-
tier populaire ne geacutenegravere pas de la deacutelinquance Rappelons avec Bachmann
(1994) que laquo Pas plus que les jeunes les ldquoquartiersrdquo ne sont un objet
scientifique construit raquo Dans ce domaine toute geacuteneacuteralisation est men-
songegravere Telle banlieue est calme et paisible telle autre est une chaudiegravere
sous pression Il est donc aberrant de chercher lagrave un principe unificateur
permettant de cerner agrave lui seul lrsquoensemble des conduites des jeunes
de banlieues
61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE
LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES
Parmi les principales perspectives theacuteoriques de la deacutelinquance juveacutenile
certaines utilisent questionnaires et entretiens preacuteconstruits et preacutecodeacutes
pour objectiver le deacutelinquant en tendant agrave lrsquoenfermer dans une seacuterie de
facteurs laquo biopsychosocioculturels raquo drsquoautres centrent leur attention sur
le fonctionnement des institutions consideacuterant le plus souvent le deacutelin-
quant comme une laquo cire molle faccedilonneacutee par le jeu des structures raquo (Dubet
1987) Comment alors appreacutehender lrsquoacteur ses pratiques et le sens qursquoil
leur donne Comment comprendre la constitution de son parcours
Lrsquoapproche biographique redeacutecouverte en France gracircce aux travaux
de Bertaux (1980) apparaicirct comme lrsquoune des deacutemarches les plus perti-
nentes pour pouvoir reacutepondre agrave ce type de questionnement Suivre la
transformation progressive des attitudes face aux eacuteveacutenements auxquels il
se confronte et acceacuteder agrave une expeacuterience sociale laquo vue de lrsquointeacuterieur raquo laquo agrave
la deacutefinition de la situation raquo par lrsquoacteur lui-mecircme tel est lrsquoobjectif de
cette recherche agrave lrsquoinstar de ce qui est devenu le souci central de la
1 Ce service a pour mission principale la mise en œuvre des deacutecisions de justice au titrede lrsquoenfance deacutelinquante il deacutepend de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
perspective interactionniste (de Queiroz 1994)
2
Il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexpeacute-
rience subjective de lrsquoindividu expeacuterience conccedilue ici comme la reacutesultante
drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions eacutetant agrave penser
comme un processus de neacutegociation Ce processus loin drsquoecirctre lineacuteaire
est au contraire ponctueacute de laquo passages statutaires raquo marqueacute par des
laquo accidents biographiques raquo qui creacuteent des ruptures (lrsquoexclusion scolaire
une condamnationhellip)
Le point de vue de lrsquoacteur bien qursquoimportant ne suffit pas pour
comprendre globalement une situation encore faut-il le replacer au sein
des rapports sociaux ce point de vue eacutetant dans une certaine mesure la
reacutesultante drsquoun reacuteseau interrelationnel lui-mecircme inseacutereacute dans une socieacuteteacute
ineacutegalitaire Autrement dit ce point de vue est ici consideacutereacute comme sinon
le reflet du moins la reacutesultante ou la maniegravere de reacuteagir agrave une histoire qui
srsquoest constitueacutee dans et agrave travers le social Pour rejoindre Balandier (1983)
lrsquolaquo objectif [ de la biographie ] est drsquoacceacuteder [ par lrsquointeacuterieur ] agrave une reacutealiteacute
qui deacutepasse le narrateur et le faccedilonne Il srsquoagit de saisir le veacutecu social le
sujet dans ses pratiques dans la maniegravere dont il neacutegocie les conditions
sociales qui lui sont particuliegraveres raquo
La dimension diachronique permet de comprendre comment lrsquoon
devient deacutelinquant laquo comment les habitudes les attitudes et la philoso-
phie de vie qui sous-tendent les actes deacutelinquants se sont construites pro-
gressivement agrave travers les expeacuteriences sociales successives du deacutelinquant
durant un certain nombre drsquoanneacutees raquo (Shaw 1931 p 13) Elle contribuera
agrave deacutemontrer que les actes deacutelinquants proviennent moins de processus
pathologiques que de processus normaux les individus se transforment
par eacutetapes successives agrave la suite des interrelations propres au milieu et
avec les autres et de laquo choix raquo successifs veacutecus par eux (Digneffe 1989)
Si cette deacutemarche deacutecoule plus drsquoun choix imposeacute par la speacutecificiteacute
du questionnement et de la probleacutematique de cette recherche que par des
preacutesupposeacutes ideacuteologiques et meacutethodologiques en faveur du laquo qualitatif raquo
et contre le laquo quantitatif raquo ces preacutesupposeacutes existent neacuteanmoins et doivent
ecirctre expliciteacutes Les deux principaux preacutesupposeacutes sur lesquels repose cette
approche consistent agrave reconnaicirctre lrsquoindividu comme un acteur ayant donc
une capaciteacute strateacutegique et son expeacuterience comme un savoir repreacutesentant
2 Notons avec ces auteurs que la notion de biographie est preacutesente dans le travail socio-logique degraves les deacutebuts de lrsquoEacutecole de Chicago sous la forme des laquo histoires de vie raquo Troisauteurs ont marqueacute la production de lrsquoEacutecole de Chicago par lrsquousage de documentsautobiographiques W Thomas et F Znaniecki (dans
The Polish Peasant in Europe andAmerica
Boston Bagder 1918) qui voient la biographie comme la meacutethode sociolo-gique par excellence pour connaicirctre la socieacuteteacute CR Shaw (dans
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
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de ce fait une valeur sociologique Si lrsquoindividu est un acteur dans le sens
ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passivement les effets
il est cependant conditionneacute par les structures sociales Produit des struc-
tures qursquoil contribue agrave produire voilagrave comment lrsquoindividu est conccedilu ici
La biographie permet de saisir cette double dimension de lrsquoindividu en
opeacuterant laquo la meacutediation de lrsquoacte agrave la structure de lrsquohistoire individuelle agrave
lrsquohistoire sociale en passant par un reacuteseau de meacutediations sociales qui sont
autant de lieux de tension entre individus et groupes sociaux placeacutes dans
des relations ineacutegalitaires et conflictuelles raquo (Ferrarotti 1990) Crsquoest lagrave que
reacuteside la valeur heuristique drsquoune telle approche
Srsquoappuyant sur la meacutethode biographique il srsquoagit de reconstituer le
processus de constitution de la deacutelinquance de chacun des six jeunes
individus qui ont accepteacute de participer agrave cette recherche Pour y parvenir
une soixantaine drsquoentretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec les jeunes leurs proches
(famille et pairs) et les professionnels qui ont eu agrave les suivre agrave un moment
donneacute (enseignants animateurs assistantes sociales eacuteducateurs magistrats)
drsquoautres donneacutees ont eacuteteacute extraites de documents institutionnels livrets et
bulletins scolaires dossiers de la mission locale ceux du centre drsquoorienta-
tion et drsquoaction eacuteducative (COAE) et du SEAT procegraves-verbaux dossiers
judiciaires
3
Lrsquoanalyse du mateacuteriau se rapportant agrave chacun des cas permet lrsquoiden-
tification de significations et de processus particuliers Leur comparaison
fait apparaicirctre des reacutecurrences des logiques drsquoaction semblables Leur
confrontation contribue agrave mettre au jour les configurations particuliegraveres
dans lesquelles ces logiques agissent Les donneacutees empiriques qui seront
restitueacutees mettent en eacutevidence de maniegravere archeacutetypique les meacutecanismes
agrave lrsquoœuvre dans le processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile Ils
renvoient de maniegravere transversale agrave deux dimensions ces deux dimen-
sions eacutetant eacutetroitement imbriqueacutees la construction identitaire de ces
mineurs les renvoyant agrave leur place au sein des rapports sociaux
3 Parvenir agrave associer les professionnels de la gestion de la deacuteviance a reacutesulteacute drsquoun pro-cessus long et complexe drsquointeractions entre des personnes qui avaient des inteacuterecirctsdivergents agrave la reacutealisation de ce travail agrave la connaissance qursquoil apporterait agrave la diffusionqui en serait faite Lrsquoaccegraves au terrain implique en effet le deacutevoilement de savoirs surdes populations savoirs qui sont sources de pouvoirs (voir plus loin la note 6 Quellesconseacutequences aurait cette divulgation de savoirs sur leurs pouvoirs pouvoirs de traite-ment de cateacutegories entiegraveres de la population Quelles conseacutequences aurait cette recher-che sur la repreacutesentation leacutegitime de la deacuteviance et de son traitement que chaqueinstitution tente drsquoimposer )
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute DE DEacuteLINQUANT
Agrave TRAVERS LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE
Lrsquoanalyse deacuteveloppeacutee ici ne rend pas compte de lrsquointeacutegraliteacute des meacutecanismes
de la deacutelinquance juveacutenile mais plutocirct drsquoun pheacutenomegravene preacutecis la cocons-
truction de lrsquoidentiteacute de deacutelinquant agrave travers la prise en charge institution-
nelle
4
Lrsquohistoire de vie de Slimane
5
et celle de Farid mettent en eacutevidence
le rocircle que peuvent jouer les reacutegulations institutionnelles dans le renfor-
cement du processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile et dans
la reproduction intrageacuteneacuterationnelle de ce pheacutenomegravene Ces effets srsquoils
ont pu ecirctre repeacutereacutes ici ne sont pas automatiques comme le montrent les
autres histoires de vie La probabiliteacute qursquoils se produisent est cependant
drsquoautant plus grande que le suivi judiciaire srsquoinscrit dans des configura-
tions particuliegraveres (spatiales familiales sociales eacuteconomiques et culturelles)
Lrsquohistoire de vie de Kamel montre ainsi le rocircle des reacutegulations sociales
geacuteneacuterales ndash par opposition aux reacutegulations speacutecialiseacutees dans la gestion de
la deacuteviance ndash dans la preacuteformation drsquoidentiteacutes neacutegatives et dans la
preacuteconstruction de parcours deacutelinquants
63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT
Agrave 16 ans Slimane est incarceacutereacute pour la premiegravere fois Quelques mois plus tard
il est condamneacute agrave sept ans drsquoemprisonnement Comment expliquer le ren-
forcement du processus de constitution de la deacutelinquance du mineur alors
que le suivi institutionnel sera drsquoanneacutee en anneacutee de plus en plus important
631 D
E
LA
CONSTRUCTION
D
rsquo
UN
PARCOURS
DE
DEacuteLINQUANT
hellip
Agrave 12 ans Slimane comparaicirct pour la premiegravere fois pour vol devant un
juge des enfants Il est reconnu coupable Le processus formel de consti-
tution de la deacutelinquance juveacutenile vient de srsquoenclencher
6
Non seulement
il ne srsquoarrecirctera plus mais il ne cessera de se renforcer Se succegravedent alors
4 Lrsquoeacutetude des autres dimensions qui interviennent dans la construction de parcours deacutelin-quants notamment le rocircle de la famille des pairs et des habitants est deacuteveloppeacuteeailleurs C Carra
Deacutelinquance juveacutenile et quartiers laquo sensibles raquo histoires de vie
ParisLrsquoHarmattan coll laquo Deacuteviance et Socieacuteteacute raquo 2001
5 Les preacutenoms sont fictifs mais ils tiennent compte de lrsquoorigine culturelle des enquecircteacutes
6 Comme dans Chamboredon (1971) est ici distingueacute le processus informel de constitu-tion de la deacutelinquance juveacutenile du processus formel Le processus deacutebute de maniegravereinformelle dans lrsquoentourage du jeune (voisinage eacutecolehellip) qui le met progressivementagrave lrsquoeacutecart et le deacutesigne au soupccedilon des institutions de reacutepression de la deacutelinquance puisil se poursuit de faccedilon formelle avec les diverses institutions chargeacutees de deacutetecter jugerpunir et amender les jeunes deacutelinquants La police joue un rocircle central dans le passagede lrsquoun agrave lrsquoautre en intervenant agrave la suite de lrsquoinfraction et en la qualifiant
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infractions arrestations comparutions jugements condamnations Les
mesures judiciaires se succegravedent des mesures drsquoaction eacuteducative en milieu
ouvert agrave des peines drsquoemprisonnement en passant par la simple admones-
tation des placements en foyer de lrsquoenfance et en centre eacuteducatif des
peines drsquoemprisonnement avec sursis assorties ou pas drsquoune mise agrave
lrsquoeacutepreuve des mesures de liberteacute surveilleacutee
Cet itineacuteraire est marqueacute agrave la fois par des faits judiciairement deacutefinis
(vols simples vols avec effraction vols avec effraction et deacutegradations
volontaires vols avec effraction et reacuteunionhellip) et par une peacuteriodisation des
reacuteponses institutionnelles ougrave trois phases peuvent se distinguer une
peacuteriode de simple admonestation et de mesures eacuteducatives en milieu
ouvert une peacuteriode de placements eacuteducatifs et une peacuteriode drsquoincarceacutera-
tions Une telle gradation dans les pratiques institutionnelles agrave partir du
moment ougrave la police intervient et institue le mineur en tant que deacutelin-
quant en le deacutefeacuterant agrave lrsquoinstance judiciaire constitue lrsquoune des principales
caracteacuteristiques des parcours des mineurs multireacutecidivistes (Leacuteomant et
Sotteau-Leacuteomant 1987)
Cette trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation des mesures et par la
prise en charge institutionnelle de plus en plus totale apparaicirct comme
une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances de passer drsquoun
degreacute agrave lrsquoautre sans cesse rappeleacutees par les mises en garde des diffeacuterents
professionnels laquo
Agrave force agrave force tu vas pas aller tregraves loin
raquo dit Slimane para-
phrasant le discours du juge des enfants Les placements dont il fait lrsquoobjet
sont cependant loin drsquoecirctre banaliseacutes par le mineur
ndash
Je suis resteacute
[au centre eacuteducatif]
enfin deux ans Mais sur deux ansje suis pas resteacute deux ans je fuguais beaucoup je partais beaucoup
ndash Pourquoi tu partais
ndash
Comme ccedila parce que jrsquoen avais marre Ccedila mrsquoarrivait drsquoavoir le cafardhellipCrsquoest lrsquoentourage crsquoest lrsquoentourage que jrsquoaime pas et puishellip Je savais quecrsquoeacutetait pas un lieu ougrave je devais me trouver
Pour autant le mineur semble avoir inteacuterioriseacute lrsquoavenir auquel il
paraicirct promis laquo
De toute maniegravere je sais que crsquoest sucircr que je vais tomber dans letrou
7
raquo dit-il Une telle trajectoire influe sur lrsquoimage que lrsquoindividu a de
lui-mecircme et de ses perspectives drsquoavenir
Agrave la diffeacuterence drsquoune seacuterie de places ou de statuts deacutepourvus delien les statuts ordonneacutes drsquoune carriegravere influencent profondeacutementla repreacutesentation qursquoun individu a de lui-mecircme et particuliegraverementpar lrsquoavenir objectiveacute que repreacutesentent les statuts auxquels il est
7 Il nrsquoa alors encore jamais eacuteteacute incarceacutereacute
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
ou laquo paraicirct raquo promis La carriegravere deacutelinquante existe comme uneseacuterie drsquoeacutetablissements et de situations juridiques qui marquent desdegreacutes de deacutelinquance nettement deacutefinis dont lrsquoobjectivation estdrsquoautant plus complegravete et inscrite dans des traitements et deseacutetablissements deacutetermineacutes que lrsquoon se situe plus loin de la pre-miegravere eacutetape celle qui ne comporte qursquoune instruction rapide etse termine par une simple admonestation avec remise agrave la famille(Chamberodon 1971 p 371)
Les chances de passer drsquoun degreacute agrave un autre augmentent au fur et
agrave mesure que lrsquoon avance dans cette carriegravere Avec les placements se
multiplient les occasions drsquoentraicircnement et drsquoapprentissage au contact de
deacutelinquants plus expeacuterimenteacutes
[hellip]
quand je suis rentreacute
[au centre eacuteducatif]
ils croyaient enfin mesparents que je sortirais peut-ecirctre pas bien bien mais peut-ecirctre que jrsquoauraisappris un peu quelque chosehellip mais en fait je suis sorti jrsquoeacutetais pire quelagrave-bas parce que crsquoest pareil ils nous mettent tous ensemble on se retrouvelagrave-bas ils sont tous dans le mecircme cas que moi et puis on est encoreensemble crsquoeacutetait comme qursquoon eacutetait crsquoest pareil on se fait des copains crsquoesttoujours pareil on volait lagrave-bas
(Slimane)
Srsquoaccroissent simultaneacutement la surveillance et la seacuteveacuteriteacute du systegraveme
de justice peacutenale Les incarceacuterations se preacutesentent comme une conseacute-
quence du parcours qui preacutecegravede le mineur tout en semblant sans cesse le
devancer Ce parcours prend la forme drsquoune veacuteritable carriegravere de deacutelin-
quant ndash au sens de Becker (1963) ndash et ce malgreacute un appareillage institu-
tionnel du mineur et de sa famille de plus en plus important dont lrsquoobjectif
annonceacute est de mettre fin agrave une telle carriegravere
Dire avec Foucault (1975) que laquo [le] deacutelinquant est un produit drsquoins-
titution Inutile par conseacutequent de srsquoeacutetonner que dans une proportion
consideacuterable la biographie des condamneacutes passe par tous ces meacutecanismes
et eacutetablissements dont on feint de croire qursquoils eacutetaient destineacutes agrave eacuteviter la
prison raquo crsquoest reconnaicirctre qursquoil existe des tendances lourdes La trajectoire
de Slimane est caracteacuteristique des trajectoires types qui conduisent les
individus depuis les niveaux drsquoinclusion repreacutesenteacutes par les groupes pri-
maires vers les agences speacutecialiseacutees eacutemanant du pouvoir drsquoEacutetat et cela agrave
travers un certain nombre drsquoordres intermeacutediaires qui balisent de faccedilon
systeacutematique ce type de trajet
Le parcours du mineur nrsquoest pas pour autant la reacutesultante drsquoune
volonteacute partageacutee entre les diffeacuterents intervenants institutionnels Multiples
sont leurs logiques drsquoaction Conflictuelles peuvent ecirctre les interactions
[hellip]
il a eacuteteacute mis en examen et crsquoest lagrave donc ougrave avec Mme L
[juge desenfants]
on a reacuteclameacute la mise en deacutetention Moi je ne parlais pas demise en deacutetention je parlais de coup de semonce parce qursquoil fallait qursquoil
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arrecircte de nous prendre pourhellip pour des rigolos
[hellip]
Le problegraveme crsquoestqursquoon srsquoest trouveacute devant un juge deacuteleacutegueacute qui a dit de toute faccedilon a priorije ne mets pas des mineurs de 16 ans en maison drsquoarrecirct mais de toutefaccedilon crsquoest un gosse Donc voyant ccedila Slimane de toute faccedilon ahellip a joueacuteson va-tout (eacuteducateur du SEAT)
Conflits de pratiques qui se justifient les unes par la connaissance
du laquo cas raquo les autres par le respect de la politique peacutenale conflits aussi de
pouvoir entre professionnels occupant une position hieacuterarchique diffeacuterente
au sein de lrsquoinstitution judiciaire mais aussi confrontation de temporaliteacutes
diffeacuterentes logique du court terme pour lrsquoeacuteducateur qui doit agir rapide-
ment lorsqursquoun problegraveme se preacutesente logique du moyen et du long terme
pour le juge qui entend faire respecter lrsquoorientation de la politique peacutenale
Ces temporaliteacutes diffeacuterentes rendent difficile une coordination des actions
drsquoautant plus difficile que ces actions impliquent non seulement des pra-
tiques diversifieacutees mais aussi une vision du monde diffeacuterente un systegraveme
de repreacutesentations divergent Crsquoest ce qui explique aussi que des reacuteponses
contradictoires sont proposeacutees par les professionnels de terrain contra-
dictions si souvent releveacutees par ces mecircmes professionnels
Cette difficulteacute de travailler ensemble paraicirct aussi attibuable au poids
des enjeux de pouvoir Comment comprendre autrement la reacuteticence agrave
eacutechanger les savoirs entre acteurs savoirs accumuleacutes sur les mecircmes
publics issus des mecircmes terrains Lrsquoexplication qursquoen donnent certains
est la parcellarisation des connaissances et leur destination agrave usage interne
Drsquoautres en appellent au devoir de reacuteserve au secret professionnel ou
deacuteontologique Le secret dit Enriquez (1983) est consubstantiel au savoir
et comme Foucault (1975) le montre le savoir est correacutelatif du pouvoir
dans notre type de socieacuteteacute
8
Derriegravere le secret professionnel ou deacuteontolo-
gique il peut srsquoagir moins de laquo proteacuteger raquo des publics en refusant de divul-
guer le savoir que lrsquoon a accumuleacute sur eux que de proteacuteger sa position
dans le champ protection qui passe par la reacutetention de savoirs speacutecifiques
et sur lesquels se fonde le pouvoir des acteurs
Certains invoqueront lrsquoatomisation des publics en fonctions colleacute-
giens jeunes en difficulteacute deacutelinquants juveacutenileshellip Cette atomisation des
publics en fonctions ou plutocirct cette cateacutegorisation constitue la base sur
laquelle repose la leacutegitimiteacute drsquointervention des institutions et associations
Elle permet le partage entre les diffeacuterentes organisations du mecircme public
consideacutereacute comme une clientegravele speacutecifique Crsquoest aussi ce qui permet agrave une
8 Foucault (1975 p 32) explique en effet laquo qursquoil nrsquoy a pas de relation de pouvoir sansconstitution correacutelative drsquoun champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et constitueen mecircme temps des relations de pouvoir raquo
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multitude drsquoinstitutions drsquointervenir aupregraves drsquoune mecircme famille Dans la
citeacute des laquo 804 raquo la concurrence pour controcircler le marcheacute est drsquoautant plus
vive entre les professionnels qursquoils sont de plus en plus nombreux agrave exercer
en ce lieu
Ces temporaliteacutes institutionnelles srsquoopposent aussi agrave la temporaliteacute
propre des mineurs pris en charge celle du moment qui refuse laquo la pro-
messe des plaisirs diffeacutereacutes et diffeacuterents en eacutechange du renoncement immeacute-
diat agrave des plaisirs directement ou immeacutediatement sensibles raquo (Bourdieu
1972 p 209) Opposition entre la logique institutionnelle de la continuiteacute
et la logique individuelle de la discontinuiteacute Cette logique du mineur
constitue pour les professionnels la principale cause de lrsquoeacutechec de la prise
en charge Le jeune est resteacute selon eux laquo
insaisissable
raquo toujours laquo
opposeacute
raquo
agrave leurs actions pour reprendre des termes qui traduisent le mieux
lrsquoimpression qui leur reste de Slimane Crsquoest drsquoailleurs parce que les pro-
fessionnels ne reacuteussissent pas agrave imposer la temporaliteacute qui caracteacuterise leur
institution que la prison leur apparaicirctra finalement comme la meilleure
solution pour parvenir agrave imposer un autre temps au mineur en lrsquooccurrence
le temps carceacuteral auquel il est difficile drsquoeacutechapper
Ces logiques individuelles professionnelles institutionnelles de
lrsquourgence du court moyen et long terme de la discontinuiteacute et de la
continuiteacute sous-tendues par des pratiques et des repreacutesentations speacuteci-
fiques recouvrant elles-mecircmes des enjeux divergents se croisent srsquoentre-
croisent se confrontent srsquoaffrontent pour creacuteer finalement la trajectoire
judiciaire de Slimane Cette trajectoire srsquoancre dans une repreacutesentation
partageacutee par les diffeacuterentes cateacutegories de professionnels de la personnaliteacute
du mineur une personnaliteacute deacutelinquantehellip
632 hellip
Agrave
CELLE
D
rsquo
UNE
PERSONNALITEacute
DEacuteLINQUANTE
Ce nrsquoest pas seulement un itineacuteraire de deacutelinquant qui se construit de
renvoi en renvoi crsquoest aussi une personnaliteacute de deacutelinquant qui srsquoeacutelabore
de discours en discours Les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de
la deacutelinquance (eacuteducateurs speacutecialiseacutes eacuteducateurs de justice psychiatres
juges des enfants) srsquoaccordent unanimement agrave reconnaicirctre agrave Slimane une
personnaliteacute deacutelinquante personnaliteacute que chacun drsquoentre eux contribue
agrave constituer Cette eacutelaboration srsquoeffectue selon une double logique drsquoune
part la reconstruction du passeacute du mineur en fonction de ses derniers
passages agrave lrsquoacte les faits seacutelectionneacutes en conseacutequence constituant des
indices reacuteveacutelateurs drsquoune deacutelinquance anteacuterieure voire originelle (Kitsuse
[1962] parle drsquointerpreacutetation reacutetrospective ce pheacutenomegravene correspondant
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agrave un meacutecanisme de renforcement de lrsquoeacutetiquetage des deacuteviants) drsquoautre
part la reacutealisation drsquoun portrait de deacutelinquant par reacutetreacutecissement des attri-
buts pour se reacuteduire finalement et uniquement agrave lrsquoattribut de deacutelinquant
Si tout passeacute semble se reconstruire agrave la lumiegravere du preacutesent et donc
des derniers faits lrsquoeacutelaboration drsquoun portrait est drsquoautant plus caricatural
que les faits consideacutereacutes repreacutesentent des transgressions aux normes domi-
nantes Certains attributs ont un poids deacuteterminant dans la deacutefinition drsquoun
individu Crsquoest le cas de laquo voleur raquo laquo ldquoVoleurrdquo eacutelimine ou reacutetreacutecit tous les
attributs de lrsquohomme Une eacutetiquette antisociale simplifie le portrait de
lrsquoindividu en traitant quelqursquoun de voleur vous reacuteduisez agrave lrsquoinsignifiance
les autres rocircles et attributs qursquoil pourrait avoir excepteacute celui drsquoecirctre voleur raquo
(Shoham 1968 p 385) Si la personne a eacuteteacute condamneacutee on preacutesume en
outre qursquoelle est susceptible de commettre drsquoautres infractions
Lrsquoeacutelaboration drsquoune personnaliteacute de deacutelinquant selon ce processus
de reconstruction drsquoune vie apporte une coheacuterence agrave un ensemble de
discours qui nrsquoest pas coheacuterent La comparaison des discours des profes-
sionnels sur lrsquointerpreacutetation du comportement deacuteviant de Slimane montre
des divergences voire des oppositions pathologie pour lrsquoassistante
sociale mode de vie deacutelinquant des parents pour lrsquoeacuteducateur speacutecialiseacute
pegravere violent et megravere surprotectrice pour lrsquoeacuteducateur du SEAT
9
Si crsquoest au niveau de lrsquoeacutetiologie de la deacutelinquance juveacutenile que les
oppositions semblent les plus eacutevidentes tous srsquoentendent cependant tout
en contribuant agrave sa construction sur le caractegravere deacutelinquant de Slimane
ce qui permet simultaneacutement de diminuer les oppositions entre les diffeacute-
rentes approches et drsquoobtenir un portrait apparemment coheacuterent du
mineur Cette coheacuterence reacutesulte donc moins des discours que du produit
qui en reacutesulte ndash un portrait de deacutelinquant Se constitue ainsi le steacutereacuteotype
du deacutelinquant steacutereacuteotype selon lequel Slimane est traiteacute et ce drsquoautant
plus leacutegitimement que ce steacutereacuteotype est la reacutesultante de discours drsquoauto-
riteacute autoriteacute baseacutee agrave la fois sur la leacutegitimiteacute des intervenants ndash des speacutecia-
listes de la deacutelinquance ndash et sur la leacutegitimiteacute de leur discours ndash discours
drsquoexperts agrave preacutetention scientifique (Bourdieu 1982)
633 Lrsquo
INTEacuteRIORISATION
D
rsquo
UN
DESTIN
DE
DEacuteLINQUANT
ET SON ACTUALISATION
Les effets de trajectoire se conjuguent avec les effets propres des discours
que tiennent les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelin-
quance sur Slimane Crsquoest en reprenant ces discours que le mineur parle
9 Notons que cette diffeacuterence drsquointerpreacutetation se traduit par des pratiques opposeacutees pourle laquo traiter raquo
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de lui ou plus exactement laquo est parleacute raquo Si ce meacutecanisme est reacuteveacutelateur
drsquoun rapport de domination il fait aussi apparaicirctre lrsquointeacuteriorisation de ce
rapport de domination comme eacutetant leacutegitime lrsquointeacuteriorisation de lrsquoimage
qui reacutesulte de ce rapport de domination donnant lrsquoimage de deacutelinquant
par laquelle le mineur se deacutefinit
ndash Et pourquoi tu as eacuteteacute placeacute
ndash
Pour la deacutelinquance Jrsquoeacutetais deacutelinquant Et agrave force agrave force ils mrsquoontplaceacute dans un centre
Lrsquoeffet drsquoimposition de cette deacutefinition est drsquoautant plus grand que
la classe sociale drsquoappartenance de Slimane (la classe ouvriegravere) doubleacutee
de son origine ethnique (arabe) et de son acircge (adolescence) le fait appar-
tenir agrave des cateacutegories marginaliseacutees et assisteacutees deacuteviantes et surveilleacutees
laquo En toute probabiliteacute la reacuteceptiviteacute du deacuteviant criminel primaire au rocircle
de criminel qursquoon lui impute est plus grande quand la conception de soi
qursquoa deacutejagrave lrsquoindividu est dicteacutee par une deacutefinition sociale plus large de son
statut et de sa classe comme sociopathique raquo (Lemert 1951 p 318) Neacutean-
moins Slimane ne constitue pas une cible passive du traitement institu-
tionnel et de la stigmatisation qui en deacutecoulehellip passiviteacute agrave quoi auraient
eu tendance agrave le reacuteduire les thegraveses du controcircle social Multiples sont ses
reacuteponses de la reacutebellion agrave la provocation en passant par lrsquoutilisation du
systegraveme que lrsquointelligence qursquoil srsquoen est forgeacutee anneacutee apregraves anneacutee lui
permet de faire
La repreacutesentation que les adolescents forment drsquoeux-mecircmes est
cependant affecteacutee par leur passage dans le systegraveme de justice peacutenale
lrsquoimage de deacutelinquant leur est renvoyeacutee tout au long du processus drsquoins-
truction de jugement et de traitement Les mineurs de justice ont une
image plus deacutevaloriseacutee drsquoeux-mecircmes que les autres mineurs drsquoautant plus
deacutevaloriseacutee qursquoils sont plus engageacutes dans la deacutelinquance (Malewska-Peyre
1988) La prison contribue agrave lrsquoinstallation du jeune dans une image neacutega-
tive du deacutelinquant qui a transgresseacute la loi et qui est jugeacute indeacutesirable dans
la vie normale drsquoune socieacuteteacute Lrsquointeacuteriorisation drsquoune telle image favorise
la continuation de la deacutelinquance (Camilleri Karstersztein Lipiansky
Malewska-Peyre Taboada-Leonetti et Vasquez 1990) Lrsquoeacutetiquette de deacutelin-
quant contribue finalement agrave produire ce qursquoapparemment elle deacutecrit ou
deacutesigne Peut-on dire avec Shoham (1968 p 375) que laquo nommer appeler
deacutefinir eacutetiqueter ne simule pas la reacutealiteacute crsquoest la reacutealiteacute mecircme raquo La
modification de la repreacutesentation de la reacutealiteacute semble en tout cas pouvoir
entraicircner la modification de cette derniegravere par le meacutecanisme de reacutealisation
par les individus des preacutevisions drsquoautrui (
self-fulfilling prophecy
)
DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES
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Le mineur finit non seulement par inteacuterioriser le stigmate de deacutelin-
quant (
self-labelling
10
) mais de surcroicirct en fait son identiteacute lrsquoactualisant
dans son mode de vie ce qui se traduit concregravetement par son inteacutegration
agrave un groupe organiseacute de
dealers
Tout se passe en fait comme si lrsquoidentiteacute
prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stigmatisant de celle-ci
eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassumer ces stigmates en
les renforccedilant
[hellip]
il y a des garages souterrains aux laquo 408 raquo lagrave dans les grandsgarages et il y avait eu 25 ou 30 voitures de fractureacutees ils eacutetaient agrave cemoment-lagrave 4 ou 5 dedans et puis sur le capot de la voiture Slimane avaitbaisseacute son pantalon et fait ses besoins et ccedila ccedila avait eacuteteacute tregraves choquant
[hellip]
ccedila faisait partie drsquoun jeu du gendarme et du voleur Donc lui agrave cemoment-lagrave eacutetait un voleur et que il pouvait crsquoest lui de toute faccedilon quieacutetablissait les regravegles (eacuteducateur du SEAT)
Laisser ses excreacutements sur laquo le lieu du crime raquo tient effectivement de
la provocation comme drsquoailleurs vandaliser et cambrioler la Maison pour
tous (MPT) de la citeacute en plein jour au vu et au su de tous comme encore
fumer du haschisch devant les travailleurs sociaux Crsquoest la mecircme volonteacute
de transgresser les codes sociaux et de lrsquoafficher ouvertement Crsquoest prou-
ver qursquoon est capable drsquoendosser le rocircle de deacutelinquant et non seulement
drsquoentrer dans le jeu mais de le mener de la place qui est la sienne Le
Moi est ainsi entiteacute reacutefleacutechie pour reprendre les propos de
Berger et
Luckman (1989 p 181)
[hellip] reacutefleacutechissant les attitudes adopteacutees drsquoabord par les autressignificatifs Lrsquoindividu devient lrsquoimage que les autres significatifsse font de lui il ne srsquoagit pas drsquoun processus unilateacuteral meacutecaniqueIl existe une dialectique entre lrsquoidentification et lrsquoauto-identificationentre lrsquoidentiteacute objectivement attribueacutee et subjectivement approprieacutee
64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE
DE LA DEacuteLINQUANCE
Slimane est aujourdrsquohui en prison Son jeune fregravere doit comparaicirctre en
justice Comment comprendre la reproduction de parcours deacutelinquants
au sein drsquoune mecircme famille Comment expliquer que dans cette autre
famille celle de Farid par cinq fois de fregravere en fregravere se reproduit le
10 Les recherches sur le
labelling
qui ont eacuteteacute les plus importantes avec les travaux deBecker Lemert Goffman et Matza montrent que le
labelling
impose tout agrave la fois unrocircle de deacutelinquant agrave un individu et une conscience de lui-mecircme comme deacutelinquant
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile alors que chacun des
fregraveres sera laquo traiteacute raquo par un ensemble ndash de plus en plus important ndash de
professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelinquance Il ne srsquoagit
pas ici drsquoeacutetudier les strateacutegies eacuteducatives familiales face agrave la deacuteviance mais
drsquoanalyser ce que produit ici la confrontation des reacutegulations familiales et
institutionnelles sur les parcours des mineurs
641 DE LA DEacuteCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute FAMILIALEhellip
Les passages agrave lrsquoacte deacutelictueux leacutegitiment lrsquointervention de professionnels
au sein de la famille Leur travail doit permettre drsquoagir sur les causes des
comportements deacuteviants Ces causes sont rechercheacutees de maniegravere privileacute-
gieacutee dans le fonctionnement familial Y est souvent repeacutereacute un problegraveme
de limites que ces limites soient qualifieacutees de rigides ou de laxistes Les
reacutefeacuterents des mesures srsquoefforcent alors de donner des repegraveres de poser
des limites de laquo responsabiliser raquo les parents laquo de faire entendre raison raquo
aux mineurs La capaciteacute de poser les limites laquo adeacutequates raquo renvoie la
plupart du temps pour les travailleurs sociaux au rocircle et agrave la place de
chacun au sein de la famille ougrave ce travail de redeacutefinition induit un pro-
cessus de normalisation Il srsquoagit au mieux de faire adopter aux familles
les modegraveles dominants en matiegravere drsquoeacuteducation de rocircles parentaux de
place des enfants du moins de laquo faire prendre conscience raquo aux parents
que leur fonctionnement familial est dangereux pour le deacuteveloppement
de leurs enfants
Agrave travers la confrontation des reacutegulations institutionnelles et fami-
liales srsquoaffrontent ici deux modegraveles ndash modegravele reposant sur les normes
dominantes en matiegravere drsquoeacuteducation dans les classes moyennes franccedilaises
et modegravele srsquoancrant dans des valeurs et des principes traditionnels algeacuteriens
selon lesquels la famille de Farid apparaicirct drsquoabord fortement structureacutee ndash
et deux leacutegitimiteacutes ndash lrsquoautoriteacute de lrsquoacteur institutionnel repreacutesentant de
la socieacuteteacute drsquoinstallation et celle du pegravere sur sa famille qui est traditionnel-
lement sans partage
En reacutesulte une opposition du pegravere aux interventions institutionnelles
qursquoil vit comme une humiliation et une remise en cause de son autoriteacute
De fait et pour rejoindre Donzelot (1977 p 98) laquo [sa] fonction symbo-
lique drsquoautoriteacute crsquoest le juge qui lrsquoa accapareacutee sa fonction pratique
lrsquoeacuteducateur lrsquoen a deacutelesteacute raquo Lrsquoempreinte spatiotemporelle de lrsquoautoriteacute
judiciaire sur le fonctionnement familial est lagrave pour le rappeler Le temps
familial est devenu celui des convocations des comparutions des deacuteposi-
tions des jugements des mesures Lrsquoespace de la famille est investi par les
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assistantes sociales les eacuteducateurs speacutecialiseacutes les eacuteducateurs de justice
les policiers par tous ceux qui viennent enquecircter diagnostiquer eacutevaluer
traiterhellip normaliser
Lrsquoeacutevolution de la probleacutematique familiale semble devoir passer par
plusieurs eacutetapes il srsquoagit drsquoabord pour le travailleur social de nommer les
problegravemes cette opeacuteration devant contribuer agrave la laquo conscientisation raquo de
ses difficulteacutes par la famille lrsquoobjectif eacutetant qursquoelle parvienne agrave les verbaliser
la connaissance et la reconnaissance des problegravemes eacutetant pour le profes-
sionnel une condition neacutecessaire agrave leur reacutesolution (Carra et Faggianelli
1998) Cette logique a pour effet une polarisation sur les aspects neacutegatifs
qui contribuent agrave la constitution drsquoune image neacutegative chez les parents
Tout au long du suivi institutionnel crsquoest en effet lrsquoeacutechec de leur modegravele
eacuteducatif qui est pointeacute crsquoest lrsquoimage de parents deacutefaillants deacutemission-
naires ou violents qui leur est renvoyeacutee Crsquoest aussi leur modegravele culturel
qui est jugeacute tellement les relations avec les familles drsquoorigine maghreacutebine
et plus encore algeacuterienne comme celle de Farid restent marqueacutees par la
meacutemoire des rapports entre coloniseacutes et colonisateurs laquo Le passeacute colonial
avec son ineacutegaliteacute fondamentale entre le groupe colonisateur et le groupe
coloniseacute continue agrave deacutefinir lrsquohorizon des relations entre Algeacuteriens et
Franccedilais raquo (Schnapper 1986 p 150)
La confrontation entre reacutegulations familiales et reacutegulations institu-
tionnelles conduit alors agrave une crise de leacutegitimiteacute du modegravele familial tout
en provoquant des transformations de ce monde laquo leacutegitime raquo La peur du
placement des enfants va amener la megravere agrave coopeacuterer bien que ce faisant
elle se deacutesolidarise de son mari Cette coopeacuteration laquo obligeacutee raquo deviendra
adheacutesion au travail des intervenants tant et si bien que la megravere suivant
en cela les conseils qui lui sont donneacutes demandera la poursuite du suivi
judiciaire de Farid
La mesure de liberteacute surveilleacutee a pris fin le [date] Farid et sa famille nesemblent pas le comprendre Il me tient au courant reacuteguliegraverement de sesactiviteacutes et crsquoest tout naturellement que je suis solliciteacute degraves lrsquoeacuteteacute pour envi-sager la rentreacutee scolaire suivante Je demande alors agrave la megravere de formulerune demande de prise en charge (dossier SEAT)
Crsquoest aussi agrave la demande de Farid qursquoune mesure de protection
judiciaire pour jeune majeur est prise Ainsi les membres de la famille
contribuent-ils directement agrave construire le parcours judiciaire de Farid
Agrave la majoriteacute la recherche drsquoune nouvelle activiteacute se fait pressante Faridsollicite lrsquoeacuteducateur qui lrsquoincite agrave formuler une demande drsquoaide au juge desEnfants en tant que Jeune Majeur (dossier SEAT)
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168 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cette eacutevolution est reacuteveacutelatrice drsquoune conversion du monde familial
autour de ce monde speacutecialiseacute conversion qui srsquoeffectue avec la substitution
progressive des reacutegulations institutionnelles aux reacutegulations familiales
Le pegravere qualifieacute par les travailleurs sociaux de laquodistantraquo et de laquofuyantraquo
reacutesiste agrave ces changements Mais le comportement de sa femme (et de ses
enfants) interroge ce systegraveme si agrave lrsquointeacuterieur du modegravele patriarcal lrsquoindi-
vidu perccediloit habituellement la femme comme un ecirctre ayant et devant avoir
par rapport agrave lrsquohomme un statut subordonneacute les rocircles commencent ici agrave
srsquoinverser les intervenants faisant de la femme lrsquointerlocuteur privileacutegieacute
de la famille en matiegravere drsquoeacuteducation des enfants tout en contribuant agrave son
eacutemancipation Cette eacutemancipation se traduit par son investissement dans
lrsquoespace public espace public traditionnellement reacuteserveacute agrave lrsquohomme La
megravere se met en effet agrave participer agrave des reacuteunions agrave suivre des cours drsquoalpha-
beacutetisation des cours de conduite Au-delagrave de la transformation des rocircles
crsquoest tout un univers de sens qui est remis en question le sens de la
femme de lrsquohomme de la famille du temps de lrsquoespace
Avec le licenciement de lrsquohomme le rocircle traditionnel du pegravere srsquoeffondre
Lrsquohumiliation du pegravere parviendra agrave son apogeacutee lorsque arrivant en fin de
droits il devra se reacutesigner agrave faire appel aux travailleurs sociaux pour beacuteneacute-
ficier du revenu minimum drsquoinsertion (RMI) Srsquoensuivront une deacutegradation
morale et une stigmatisation lieacutees agrave lrsquoinfeacuterioriteacute de son statut caracteacuteris-
tiques de ce que Paugam (1991) appelle la laquo crise identitaire des fragiles raquo
La multiplication de reacutegulations institutionnelles contribue ainsi agrave
deacutereacuteguler lrsquoespace familial en srsquoopposant ou en ignorant la logique propre
de ces espaces La logique familiale se deacutesagregravege lrsquoidentiteacute familiale se
disloque Ce mecircme processus est deacutecrit avec grande preacutecision par Nicolas
(1984) dans son livre La pauvreteacute intoleacuterable
642 hellip Agrave LA RECONSTRUCTION DrsquoIDENTITEacuteS
INDIVIDUELLES NEacuteGATIVES
Avec le repeacuterage du comportement deacuteviant des fregraveres chacun drsquoeux va
faire lrsquoobjet drsquointerventions institutionnelles multiples ndash service social sco-
laire service social de secteur centre drsquoorientation et drsquoaction eacuteducative
foyer centre eacuteducatif police justice service eacuteducatif aupregraves du tribunal
prison Chacun sera ordonneacute selon les proceacutedures propres agrave ces institu-
tions tous seront au terme du processus de renvoi eacutetiqueteacutes objectiveacutes
et classifieacutes comme deacutelinquants Un agrave un les garccedilons vont donc ecirctre
appareilleacutes tutelliseacutes eacutechappant ainsi agrave leur famille
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Selon Beauchard (1981) lrsquoeacuteclatement de la famille et lrsquolaquo appareillage raquo
de ses membres constituent deux eacuteleacutements deacuteterminants dans la repro-
duction drsquolaquo itineacuteraires drsquoexclusion raquo
Dans le cas des itineacuteraires drsquoexclusion sociale [hellip] la neutralisa-tion de la dynamique (crisique) srsquoopegravere suivant les interventionsdrsquoun controcircle social speacutecialiseacute exteacuterieur au groupe perturbeacute lessituations probleacutematiques sont fragmenteacutees et donnent lieu agrave desreacuteponses articuleacutees sur des problegravemes speacutecifiques La deacutemarchesrsquoavegravere momentaneacutement efficace mais agrave terme il est observeacute queces interventions speacutecialiseacutees (tutelle placement reacuteeacuteducation trai-tement assistance surveillance) tissent un reacuteseau de relations dedeacutependance qui agrave leur tour engendrent des tensions et des conflits(Beauchard 1981 p 73)
Ces relations de deacutependance apparaissent dans la famille de Farid
Si au deacutebut les interventions sont veacutecues comme une violation de lrsquoespace
priveacute elles deviennent pour la megravere et les enfants neacutecessaires voire valo-
risantes En se montrant coopeacuterante la megravere acquiert en effet une cer-
taine reconnaissance sociale de la part des professionnels ce que ne
peuvent lui procurer ni le pegravere ni dans la situation preacutesente ses fils
Ces relations la situation de non-travail et de deacutelinquance structurent
leur identiteacute Chacun des membres en vient agrave se deacutefinir pour et par ces
eacuteleacutements Une identiteacute speacutecifique se constitue donc en rapport eacutetroit avec
les intervenants car laquo Tout au long de son eacutelaboration de soi le sujet [hellip]
est obligeacute de tenir compte de ce qui lrsquoentoure la fonction identitaire le
construisant indissolublement comme rapport agrave lui-mecircme et rapport agrave son
environnement raquo (Camilleri et Cohen-Emerique 1989 p 46)
On peut observer qursquoapregraves avoir favoriseacute la deacutestructuration de la
famille deacutestabiliseacutee par le comportement deacuteviant des fils les reacutegulations
institutionnelles seront progressivement inteacutegreacutees agrave son organisation
qursquoelles contribueront par ailleurs agrave changer Parallegravelement agrave ce processus
de deacutestructuration-restructuration de la famille srsquoopegravere une deacuteconstruction-
reconstruction de lrsquoidentiteacute des diffeacuterents membres agrave laquelle participent
directement ces reacutegulations Lrsquointervention institutionnelle de stigmati-
sante va finir par ecirctre perccedilue par le mineur et sa famille comme normale
puis neacutecessaire au fonctionnement familial et individuel
Ainsi si Farid srsquoest montreacute tregraves laquo fuyant raquo au deacutebut du suivi ainsi que
le souligne lrsquoeacuteducateur de justice les rapports ont eacutevolueacute structureacutes
notamment par une strateacutegie drsquoutilisation du systegraveme de prise en charge
Selon Goffman (1975) son laquo itineacuteraire moral raquo va progressivement lui per-
mettre drsquointeacutegrer ces relations dans son parcours comme eacutetant normales
et ce drsquoautant plus facilement que tous ses fregraveres et la plupart de ses pairs
sont suivis par un eacuteducateur
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170 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Srsquoil rejette drsquoabord lrsquoidentiteacute stigmatiseacutee qui lui est prescrite Farid
finit par revendiquer lrsquoidentiteacute sociale de laquo jeune agrave problegravemes raquo puis
celle de laquo chocircmeur raquo identiteacutes qui lui permettent agrave la fois drsquoobtenir une
reconnaissance sociale et drsquoacceacuteder agrave des aides Cette identiteacute ne ressort
cependant pas de lrsquoidentiteacute sociale virtuelle du stigmatiseacute qui procircne le
faux-semblant telle que lrsquoa preacutesenteacutee Goffman (1975) Au contraire elle
fonctionne comme un laquo point de vue raquo pour reprendre lrsquoexpression de ce
mecircme auteur neutralisant ainsi le normal et le stigmatiseacute En ce sens on
peut rejoindre Messu (1991 p 88) soulignant agrave propos des laquo assisteacutes raquo
[qursquoil] importe degraves maintenant drsquoaffirmer combien cette image[de lrsquoassisteacute] nrsquoest pas aussi preacuteconstruite qursquoon a bien voulu ledire Non qursquoon ait tort de voir dans les institutions de lrsquoAssistancesociale des instances de laquo marquage raquo social [hellip] Pour autant nousnous garderons de faire du marquage le seul principe drsquoattributiondrsquoidentiteacute et du sens laquo stigmatique raquo le pur produit de lrsquoinstitu-tion Dans cette production du sens nous ne pouvons faire abs-traction de ceux qui sont lrsquoobjet du stigmate et les porteurs delrsquoidentiteacute nous ne saurions exclure ceux sans qui lrsquoinstitution neserait pas Car crsquoest bien de la relation entre lrsquoinstitution et sesusagers que prend corps ce sens
Les individus participent ainsi eux aussi agrave la deacutefinition de leur statut
social deacutegradeacute en utilisant les marges drsquoautonomie et de reacutesistance qursquoils
possegravedent voire en manipulant les professionnels Les propos de Farid
sont reacuteveacutelateurs agrave cet eacutegard
[hellip] il [lrsquoeacuteducateur du SEAT] voulait pas me donner de lrsquoargent puisje lui fais drsquoaccord pour moi crsquoest pas un problegraveme ce que je vais faireje vais [hellip] voler
65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT Agrave UNE
PLACE DOMINEacuteE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX
Si nombre de tenants de la perspective de la reacuteaction sociale sans doute
par biais ideacuteologique et aussi parfois par faiblesse meacutethodologique ont
focaliseacute leur attention sur lrsquoaction stigmatisante des institutions officielles
de controcircle social le systegraveme de justice peacutenale ainsi que lrsquoindiquent
Robert et Lascoumes (1974) nrsquoest pas self-started laquo Il ne srsquoapprovisionne paslui-mecircme dans la plupart des cas [hellip] raquo
En analysant par diffeacuterentes meacutethodes le temps consacreacute par les
agences policiegraveres agrave telle ou telle activiteacute on srsquoaperccediloit que la recherche
du crime et du criminel drsquoinitiative sans processus preacutealable de renvoi
est assez limiteacutee
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Non seulement ces agences ne se mettent geacuteneacuteralement pas en
action par elles-mecircmes mais de plus elles nrsquointerviennent parfois qursquoapregraves
un long processus informel de constitution de la deacutelinquance juveacutenile
Crsquoest ainsi qursquoau bout de six ans de repeacuterage de Slimane par son environ-
nement (quartier et eacutecole) apregraves nombre de reacutecriminations adresseacutees aux
travailleurs sociaux du quartier de plaintes deacuteposeacutees aupregraves de la police
et de signalements agrave la justice ces institutions ont reacuteagi
Le suivi judiciaire peut par ailleurs finir par ne plus ecirctre veacutecu comme
stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir le
support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire (crsquoest aussi ce que sou-
lignent Bruneteau et Lanzarini 1997) monde avec lequel ces mineurs ont
des relations distantes et conflictuelles Crsquoest drsquoailleurs drsquoabord au contact
de ce monde ordinaire que se constituent ces identiteacutes neacutegatives dans un
laquo quartier de releacutegation raquo ougrave les jeunes occupent une place domineacutee et
stigmatiseacutee (Delarue 1991)
Meacutepris et meacutefiance du monde que Kamel appelle le monde des
laquo bourges raquo (bourgeois) caracteacuterisent les interactions avec son monde et
celui de ses pairs ces interactions eacutetant elles-mecircmes structureacutees par des
steacutereacuteotypes et en particulier le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo selon lequel
Arabe signifie deacutelinquant11 Crsquoest selon ce steacutereacuteotype que Kamel dit ecirctre
traiteacute En assimilant agrave son identiteacute le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo (laquo Crsquoestvrai il y en a 80 75 qui sont en prison en France raquo dit-il) Kamel inteacute-
riorise lrsquoidentiteacute laquo prescrite raquo de sa communauteacute drsquoappartenance La stig-
matisation associeacutee agrave ses actes deacutelinquants et lrsquoimage collective neacutegative
qui lui est renvoyeacutee de sa collectiviteacute contribuent chez le mineur agrave la
formation drsquoune identiteacute personnelle deacutevaloriseacutee Des eacutetudes (voir en par-
ticulier Camilleri et al 1990) ont montreacute lrsquoexistence de fortes correacutelations
entre lrsquoexpeacuterience du racisme la stigmatisation sociale associeacutee agrave la deacutelin-
quance et agrave la deacutevalorisation de lrsquoimage de soi les immigreacutes deacutelinquants
cumulant les facteurs qui peuvent contribuer agrave cette deacutevalorisation On
voit bien ici comment lrsquoidentiteacute conccedilue comme une repreacutesentation de soi ndash
en tant qursquoindividu mais aussi en tant que groupe ndash est faccedilonneacutee par
lrsquoideacuteologie dominante dans une socieacuteteacute donneacutee Crsquoest ce qursquoont montreacute
en particulier les eacutetudes du sociolinguiste Labov (1976)
11 Si les dominants ceux qui sont en situation de pouvoir eacuteconomique social ou culturelstigmatisent les pratiques des domineacutes ces derniers font de mecircme en leur attribuantdes caractegraveres deacutevalorisants tout en affirmant leur propre identiteacute crsquoest ainsi que Kameloppose laquo Nous raquo laquo les francs raquo agrave laquo Eux raquo laquo les hypocrites raquo
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172 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
651 DES PARCOURS PREacuteDEacuteTERMINEacuteS PAR LES INSTANCES
DE REacuteGULATIONS SOCIALES GEacuteNEacuteRALES
Eacutechecs scolaires puis difficulteacutes drsquoinsertion socioprofessionnelles accen-
tuent cette deacutevalorisation de lrsquoidentiteacute tout en contribuant au processus
de constitution de la deacutelinquance juveacutenile
La criminologie considegravere comme un fait eacutetabli qursquoune mauvaise
carriegravere scolaire est lieacutee agrave la deacutelinquance Les difficulteacutes scolaires dans un
contexte ougrave la diplomation est devenue la norme (avec la massification
du second cycle puis de lrsquouniversiteacute lrsquoinstitution scolaire est devenue le
premier lieu producteur drsquolaquo exclusion relative raquo [Dubet 1996]) consti-
tuent en effet un motif deacuteterminant agrave un suivi judiciaire lorsque des
comportements deacuteviants sont repeacutereacutes Elles ne suffisent cependant pas agrave
expliquer lrsquoancrage de certains eacutelegraveves dans la deacutelinquance Encore faut-il
que des meacutecanismes les y attirent activement Les relations entre lrsquoeacutecole
et les adolescents intervieweacutes le font sur tous les modes possibles du rap-
port de force de la notation aux sanctions en passant par les orientations
qui aboutiront agrave lrsquoexclusion deacutefinitive drsquoun cocircteacute des comportements
deacuteviants tels qursquoabsenteacuteisme insolence coups vols consommation drsquoalcool
et de cannabis de lrsquoautre La marginalisation agrave lrsquoeacutecole quand elle srsquoaccom-
pagne de rejets actifs par la stigmatisation favorise cet ancrage des ado-
lescents dans la deacutelinquance (Walgrave 1992) Si la deacutelinquance agrave lrsquoeacutecole
peut srsquoexpliquer par les opportuniteacutes qursquooffrent les eacutetablissements scolaires
et renvoie donc agrave une manifestation laquo banale raquo de deacutelinquance elle peut
aussi ecirctre engendreacutee par la situation scolaire elle-mecircme Elle constitue
alors une reacuteponse agrave la violence symbolique de lrsquoinstitutionhellip deacutefinie par
Bourdieu et Passeron (1970 p 18) comme laquo pouvoir qui parvient agrave impo-
ser des significations et agrave les imposer comme leacutegitimes en dissimulant les
rapports de force qui sont au fondement de sa forcehellip raquo
Les eacutechecs scolaires preacutedeacutetermineront dans un contexte marqueacute par
le chocircmage des moins de 25 ans lrsquoorientation de Kamel et de ses pairs
vers la mission locale ougrave leur seront proposeacutes des stages de remise agrave
niveau des preacuteapprentissages un CES (contrat emploi-solidariteacute) un
TUC (travail drsquoutiliteacute collective) et drsquoautres activiteacutes qui apparaissent
drsquoabord occupationnelles Lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave lrsquoemploi dans les
sphegraveres ordinaires du salariat traiteacutee ici selon le mode de gestion sociale
du chocircmage associeacutee ndash tout en y contribuant ndash agrave la poursuite des activiteacutes
deacutelictuelles augmentera la probabiliteacute drsquoune prise en charge judiciaire au
peacutenal (Meacutehaut Rose Monaco et de Chassey 1987) Si lrsquoabsence de situation
professionnelle drsquoindividus de milieu populaire favorise en cas de poursuites
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judiciaires lrsquoincarceacuteration12 elle contribue tout autant agrave donner une autre
nature aux activiteacutes deacutelinquantes qui drsquooccasionnelles tendent agrave devenir
professionnelles Slimane en fera une carriegravere
652 LA DEacuteLINQUANCE COMME STRATEacuteGIE IDENTITAIRE
Eacutechecs scolaires et chocircmage contribuent au repli de Kamel Farid et
Slimane sur leur quartier en en investissant le temps et lrsquoespace avec les
autres membres de leur bande Moyen drsquooccuper collectivement son
temps libre la bande permet aussi drsquoattendre une veacuteritable situation sur
le marcheacute du travail En cela le groupe change de substrat alors qursquoil
permettait aux jeunes des classes populaires de passer leur temps libre
apregraves lrsquoeacutecole ou le travail il est aujourdrsquohui agrave rapporter laquo aux meacutecanismes
et logiques de lrsquoinsertion sociale et eacuteconomique qui frappent en premier
lieu les jeunes originaires des milieux deacutefavoriseacutes et renforcent leurs dif-
ficulteacutes degraves lors que sous-instruits ils sont aussi drsquoorigine eacutetrangegravere raquo
(Lagreacutee et Lew-Fai 1985 p 520) On est ainsi passeacute drsquoune maniegravere de
passer sa jeunesse avant de laquo se caser raquo drsquoune marginaliteacute temporaire agrave
une marginaliteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee qui dans certains cas peut devenir
deacutefinitive
Occupation13 qui permet de procurer sensations et gains financiers
la deacutelinquance dans la bande constitue aussi une reacuteaction collective agrave
lrsquoexclusion et agrave la stigmatisation dont font lrsquoobjet ses diffeacuterents membres
(Carra 1999) Les activiteacutes de la bande peuvent se lire comme un double
mouvement drsquoaffirmation aux deacutepens de lrsquoenvironnement ndash reacuteduit agrave des
scheacutemas lointains et hostiles (et reacuteciproquement) promotion du groupe
et promotion personnelle dans ce groupe (Robert et Lascoumes 1974)
Se voir qualifier par ses pairs de laquo vrai cambrioleur un vrai de vrai raquo agrave
lrsquoinstar de Kamel est source de prestige Le savoir-faire deacutelinquant associeacute
12 Lrsquoanalyse du produit final du processus peacutenal montre que ce public constituera ensuitela clientegravele privileacutegieacutee de la justice peacutenale des majeurs les condamneacutes sans professionayant toujours la plus forte proportion drsquoemprisonnement ferme On peut srsquointerrogersur cette surcondamnation avec Aubusson de Cavarlay qui aboutit agrave la conclusionsuivante laquo finalement si la partialiteacute reacutesiste agrave sa justification juridique il faut concluresoit que les faits commis par les classes populaires sont les plus graves puisque touteschoses juridiques eacutegales par ailleurs elles sont plus lourdement sanctionneacutees soit etpour les mecircmes raisons que la justice peacutenale deacutefavorise les classes domineacutees raquo (Aubussonde Cavarley 1985 p 308)
13 laquo [hellip] qui apparaicirct endeacutemique dans la citeacute impliquant non seulement les jeunes maisaussi les adultes Elle srsquoapparente essentiellement agrave une ldquodeacutelinquance de survierdquo raquo(Bailleau 1997 p 29)
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174 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
agrave la prise de risque est source de reconnaissance au sein de la bande
reconnaissance que les propos de lrsquoadolescent reflegravetent laquo jrsquoeacutetais le roi desmalins raquo dit-il Crsquoest aussi un moyen de se positionner dans lrsquoespace
Les tentatives drsquoappropriation des eacutequipements socioculturels parti-
cipent des strateacutegies deacuteployeacutees par la bande pour y parvenir tout en eacutetant
constitutives de la formation drsquoune identiteacute spatiale de substitution Les
propos tenus par lrsquoun des permanents de la Maison pour tous informent
sur lrsquoactualisation de ces tentatives
Les animateurs constatent qursquoun puissant rapport de force a eacuteteacute eacutetabli parles jeunes agrave leur eacutegard De la part des jeunes le point drsquoancrage de leurforce est le chahut qursquoils peuvent faire les carreaux qursquoils peuvent casserles bagarres qursquoils peuvent deacuteclencher lrsquoalcool qursquoils peuvent boire Cetteforce est leur pouvoir de neacutegociation avec les animateurs pour obtenir ceqursquoils deacutesirent une machine agrave cafeacute une salle leur eacutetant reacuteserveacutee une sortieski [hellip]
Pour ces jeunes renvoyeacutes et enfermeacutes dans lrsquounivers des pairs le
quartier constitue le dernier lieu pour acqueacuterir une reconnaissance
sociale Aussi peut-on dire avec Lagreacutee (1996 p 334)
Srsquoagissant des jeunes deacutepourvus des capitaux neacutecessaires pourobtenir une place valorisante dans la socieacuteteacute at large pour ceux quine sont ni agrave lrsquoeacutecole ni dans lrsquoemploi lrsquoespace reacutesidentiel la collec-tiviteacute sociale que constitue le voisinage deviennent le dernier lieuougrave peut se gagner la reconnaissance sociale Pour ceux qui ne sontnulle part lrsquoespace reacutesidentiel animeacute par la vie des bandes estplus que le lieu ougrave lrsquoon vit ougrave lrsquoon attend ougrave lrsquoon galegravere crsquoestaussi le dernier endroit ougrave se reacutealise lrsquointeacutegration ou la marginali-sation agrave une microsocieacuteteacute
En eacutetablissant un rapport de force la bande parvient agrave se positionner
dans lrsquoespace local en obligeant les autres acteurs agrave prendre en compte
ce positionnement Mais en forccedilant la reconnaissance de leur place dans
les rapports sociaux locaux les membres de la bande participent directe-
ment non seulement agrave leur marginalisation mais aussi agrave leur stigmatisa-
tion tout en contribuant fortement agrave leur renvoi agrave des agences speacutecialiseacutees
de la reacuteaction sociale Dans leurs rapports avec les autres ils srsquoenferment
dans une logique qui les expose agrave la reacuteaction stigmatisante du corps social
et au renvoi vers le systegraveme de justice peacutenale
Ce renvoi a drsquoautant plus de chances de se reacutealiser et de srsquoamplifier
dans ce quartier que lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sociale de sa population rend difficile
la mise en œuvre de proceacutedures internes et coheacuterentes de reacutegulation de
la deacuteviance Ce contexte contribue par ailleurs agrave transformer le controcircle
social informel en rapport de classes placcedilant les jeunes issus des milieux
populaires en premiegravere ligne de lrsquoaffrontement (Chamboredon et Lemaire
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1970) Reacuteponse au sentiment drsquoinseacutecuriteacute qursquoeacuteprouvent certaines cateacutego-
ries de la population le renvoi et plus globalement lrsquoentreprise de deacutefini-
tion de la deacuteviance opeacutereacutee dans cette citeacute participent donc aussi aux
strateacutegies de diffeacuterenciation des groupes les uns par rapport aux autres
La bande apparaicirct finalement comme une tentative pour participer
au jeu social mecircme si ce jeu se reacuteduit agrave la scegravene locale cette scegravene
devenant le theacuteacirctre ougrave se joue la production identitaire de ces jeunes La
deacutelinquance dans le contexte de la bande srsquoexplique moins par un manque
de repegraveres par une meacuteconnaissance des normes qursquoelle ne reacutesulte drsquoun
rapport speacutecifique aux autres et agrave lrsquoenvironnement amenant les adoles-
cents agrave utiliser la transgression des normes comme moyen de reconnais-
sance ultime but de toute construction identitaire On peut ainsi dire avec
Digneffe (1989 p 174)
Crsquoest moins le contenu des regravegles qursquoun certain type de rapportaux autres qui lrsquoamegravene [le mineur deacutelinquant] agrave se constituer unerepreacutesentation de ce qui est laquo pour lui raquo agrave faire ou agrave ne pas faireMecircme srsquoil sait que laquo certaines choses sont mauvaises et drsquoautresbonnes raquo ces critegraveres ne deviendront pertinents que srsquoils srsquointegravegrentagrave son propre univers de sens agrave son cadre de reacutefeacuterence en tantqursquoil constitue ce qui lui permet de vivre
CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT
DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES
Lrsquoidentiteacute de lrsquoindividu se construit ainsi au cours drsquointeractions dont la
signification si elle se deacutefinit au sein de ces interactions deacutepend aussi de
la position de lrsquoindividu au sein des structures sociales laquo la dialectique
entre structures sociales meacutediatiseacutees par des interactions concregravetes et la
formation drsquoun ldquosoirdquo individuel est constante raquo (de Queiroz 1994 p 40)
La place que lrsquoindividu occupe au sein des rapports sociaux le rendra plus
ou moins vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de
vie agrave lrsquoeacutecole au travail ndash instances de socialisation geacuteneacuterale qui agissent
comme autant drsquoentrepreneurs de morale de pocircle de repeacuterage et de
stigmatisation ndash et face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-
lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance
juveacutenile
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176 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
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DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
Paroles et strateacutegies
de jeunes deacutelinquants
I
SABELLE
D
ELENS
-R
AVIER
Deacutepartement de criminologie et de droit peacutenal Universiteacute catholique de Louvain
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Notre propos srsquoappuie sur les reacutesultats drsquoune recherche qualitative portant
sur le point de vue de jeunes francophones belges laquo ayant commis des faits
qualifieacutes infraction raquo en drsquoautres termes des jeunes deacutelinquants agrave propos
de deux types de reacuteactions judiciaires particuliegraveres le placement en ins-
titution speacutecialiseacutee ou lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de laquo travail drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral raquo appeleacutee en Belgique laquo prestation eacuteducative ou philanthropique raquo
(Delens-Ravier et Thibaut 2001 et 2003) Lrsquoanalyse porte sur le sens sub-
jectif que ces jeunes donnent agrave leur expeacuterience de judiciarisation inscrite
dans une trajectoire sociofamiliale comprenant souvent un suivi social
individuel ou familial Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction au processus judi-
ciaire sont mises en lumiegravere agrave travers le veacutecu de leur environnement social
(scolaire et familial) de leur trajectoire deacutelinquante et judiciaire et des
mesures dont ils font lrsquoobjet
71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE
QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE
Ce travail srsquoinscrit reacutesolument dans une deacutemarche inductive et geacuteneacuterative
(Laperriegravere 1997 p 326) de lrsquoempirique au theacuteorique du concret agrave
lrsquoabstrait du particulier au geacuteneacuteral La posture ainsi adopteacutee se veut ana-
lytique (Demaziegravere et Dubar 1997 p 33) cherchant agrave produire meacutetho-
diquement du sens agrave partir de lrsquoexploitation des entretiens de recherche
Les donneacutees qualitatives portent donc sur lrsquoexpeacuterience les repreacutesenta-
tions les deacutefinitions de situation les opinions et les paroles (Deslauriers
et Keacuterisit 1997 p 105) qui deacutecrivent la reacutealiteacute sociale telle qursquoelle est
veacutecue et telle qursquoelle est perccedilue par des jeunes deacutelinquants judiciariseacutes
Nous ne recherchons pas la repreacutesentativiteacute statistique mais la repreacute-
sentativiteacute du discours qui tient agrave deux critegraveres particuliers la diversifica-
tion
1
et la saturation
2
crsquoest donc la diversiteacute des discours et des points de
vue sur la mesure judiciaire qui est au cœur de lrsquoinvestigation
1 La diversification signifie qursquoil srsquoagit de rencontrer les jeunes dont on peut attendredes discours tregraves diffeacuterents en fonction de laquo variables strateacutegiques raquo permettant desupputer ces diffeacuterences (type de mesure parcours protectionnel parcours scolaireorigine culturelle du jeunehellip)
2 La saturation signifie que le nombre de jeunes agrave interroger nrsquoest pas deacutetermineacute agravelrsquoavance mais deacutepend de lrsquoapparition de la redondance dans le discours laquo La satura-tion empirique deacutesigne le pheacutenomegravene par lequel le chercheur juge que les derniegraveresentrevues nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles ou diffeacuterentes pourjustifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo (Pires 1997 p 157)
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
La deacutemarche qualitative choisie a privileacutegieacute des entretiens semi-directifs
avec des jeunes faisant lrsquoobjet drsquoune deacutecision judiciaire Au cours de
lrsquoanneacutee 1999-2000 nous avons intervieweacute 45 adolescents garccedilons et filles
40 drsquoentre eux eacutetaient placeacutes en institution speacutecialiseacutee agrave reacutegime ouvert
ou fermeacute parfois apregraves avoir fait lrsquoobjet drsquoune mesure de reacuteparation et
cinq venaient drsquoexeacutecuter la mesure appeleacutee laquo prestation eacuteducative ou
philanthropique raquo Les deux critegraveres de diversification et de saturation ont
eacuteteacute remplis pour les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee nous permet-
tant donc une geacuteneacuteralisation de nos propos Il nrsquoen va pas de mecircme pour
les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation pour qui la difficulteacute de rencontre
ne nous a pas permis de preacutetendre diversifier suffisamment notre cible
et donc de reacutepondre au principe de saturation Les connaissances pro-
duites agrave partir du discours des jeunes ayant exeacutecuteacute exclusivement ce type
de mesure bien qursquoelles soient particuliegraverement contrasteacutees doivent ecirctre
consideacutereacutees comme des informations fournies agrave titre exploratoire
Les jeunes placeacutes intervieweacutes 39 garccedilons et 6 filles eacutetaient drsquoorigines
culturelles diverses Belgique autres pays drsquoEurope Maroc Turquie
Afrique Leur acircge moyen eacutetait de 16 ans et 1 mois Les jeunes scolariseacutes
freacutequentaient principalement lrsquoenseignement de type professionnel mais
ils sont nombreux agrave srsquoecirctre deacuteclareacutes en deacutecrochage scolaire Ils eacutevoquent
une multipliciteacute de deacutelits essentiellement des laquo deacutelits drsquoacquisition raquo
(vols) Des diffeacuterences apparaissent cependant selon le sexe ainsi pour
les filles la probleacutematique laquo drogue raquo est particuliegraverement preacutesente
Lrsquoarriveacutee en institution speacutecialiseacutee apparaicirct comme une eacutetape dans
un parcours deacutejagrave chargeacute de guidances surveillances ndash eacuteventuellement
associeacutees agrave une mesure de prestation eacuteducative ndash placements institution-
nels et souvent apregraves un seacutejour dans une autre institution du mecircme type
voire en prison Il nrsquoen va pas de mecircme pour les jeunes faisant lrsquoobjet
drsquoune mesure de reacuteparation telle lrsquoexeacutecution drsquoune prestation eacuteducative
ou philanthropique ce sont essentiellement des jeunes ameneacutes agrave compa-
raicirctre pour la premiegravere fois devant le tribunal de la jeunesse
Notre meacutethode drsquoanalyse qualitative srsquoapparente agrave une meacutethode eth-
nographique (Laperriegravere 1997 p 326) dans laquelle collecte et analyse
des donneacutees sont parallegraveles et ougrave les cateacutegories et theacutematiques sont eacuteta-
blies agrave lrsquoaide des donneacutees empiriques Lrsquoanalyse theacutematique nous a permis
drsquoarriver agrave une description analytique (Maroy 1995 p 85) de lrsquoexpeacuterience
de lrsquounivers des mineurs placeacutes Interpreacutetation et description sont ici deux
opeacuterations meneacutees de concert dans une deacutemarche de deacuteconstruction-
reconstruction du discours des jeunes en reacutefeacuterence agrave des travaux theacuteoriques
reconnus dans le champ de la deacutelinquance des mineurs Nous nous atta-
cherons ici essentiellement au veacutecu de la mesure judiciaire par les jeunes
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE
Sans qursquoil soit possible de faire de comparaison stricte les cateacutegories des-
criptives utiliseacutees nrsquoeacutetant pas rigoureusement identiques le profil des
familles des mineurs rencontreacutes alimente lrsquohypothegravese drsquoune surrepreacutesen-
tation de cateacutegories sociales preacutecariseacutees pour les mineurs soumis agrave une
mesure du juge de la jeunesse (Duliegravere-DrsquoUrsel et Delens-Ravier 1992
Born et Thys 1996 Vanneste 2001 p 148)
Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un
systegraveme complexe dans lequel les relations familiales sont agrave la fois le
baromegravetre du comportement du jeune et la reacutesultante de ce comporte-
ment Les interactions familiales sont cruciales dans le veacutecu et lrsquoeacutevolution
des jeunes rejeteacutes par les leurs ils srsquoenfoncent dans des comportements
qursquoils preacutesentent eux-mecircmes comme une forme drsquolaquo appel raquo mais qui
entretiennent ce rejet Alors que la possibiliteacute de renouer avec la famille
est un facteur de deacutesistance (Born 2001 p 178) dans la mesure ougrave laquo seul
le retour en famille ldquochoisi
3
rdquo offre de bonnes garanties de reacuteussite du
projet de reacuteinteacutegration du jeune apregraves un placement en institution speacute-
cialiseacutee que ce soit agrave court ou agrave long terme raquo (Born 2001 p 185) Ainsi
lorsqursquoil est question de conflit et de rupture le placement et lrsquoeacuteloigne-
ment physique qursquoil induit ne font qursquoentretenir le rejet familial drsquoautant
plus que le jeune est dans lrsquoincapaciteacute mateacuterielle de neacutegocier avec sa
famille son image deacuteteacuterioreacutee par le processus judiciaire La peacuteriode du
placement signe alors cette rupture agrave sa sortie le jeune devra srsquoinstaller
seul ou trouver une institution
Pour drsquoautres la crise provoqueacutee par la judiciarisation suivie du
placement peut ecirctre lrsquooccasion drsquoun changement tant dans le comporte-
ment du jeune que dans les relations avec sa famille
Le lien avec la famille se preacutesente eacutegalement comme un eacuteleacutement
fondamental dans la compreacutehension des diffeacuterentes faccedilons de vivre la
mesure de prestation eacuteducative
4
Ainsi en toutes circonstances quelle que
soit la mesure prise par le magistrat la judiciarisation agit comme un
catalyseur de lrsquoeacutevolution de la situation agrave partir de la reacuteaction familiale
au deacutelit judiciariseacute
3 On parle de laquo solution choisie raquo par lrsquoeacutequipe lorsqursquoil y a convergence entre le projetdu jeune les possibiliteacutes familiales le deacutesir de lrsquoun et de lrsquoautre de reacuteinvestir dans cesens de mecircme qursquoadeacutequation entre le projet envisageacute et les ressources
4 Voir plus bas
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
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Lrsquoinstitution scolaire se preacutesente eacutegalement comme une pierre angu-
laire dans le parcours des jeunes agrave la fois vecteur drsquoexclusion et vecteur
de reacuteinsertion Elle est en mecircme temps la premiegravere expeacuterience significa-
tive de releacutegation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient agrave leur
situation notamment en tant que projet de sortie de lrsquoinstitution valide
aux yeux de lrsquoensemble des intervenants
Les rapports agrave lrsquoeacutecole et agrave la famille se trouvent donc au cœur des
trajectoires deacutelinquantes des jeunes rencontreacutes La theacuteorie de la vulneacutera-
biliteacute socieacutetale
5
deacuteveloppeacutee par Walgrave comme explication de la deacutelin-
quance persistante de certains jeunes avait deacutejagrave montreacute combien la
famille et lrsquoeacutecole davantage encore jouaient un rocircle crucial dans le pro-
cessus drsquoaffiliation sociale (Vettenburg 2003 p 193)
La cristallisation des reacuteactions des jeunes et des familles autour du
processus de judiciarisation pourrait laisser agrave penser que la trajectoire
judiciaire vient imposer sa logique aux diffeacuterentes trajectoires familiales
scolaires des mineurs mais en fait comme le dit Carra laquo cette trajectoire
judiciaire ne se deacuteveloppe ni indeacutependamment ni parallegravelement aux
autres trajectoires Elle se construit avec ndash gracircce ndash aux autres trajectoires
et reacuteciproquement (Carra 2001 p 72) raquo Crsquoest que nous allons tenter
drsquoexpliciter
73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE
Les jeunes rencontreacutes nrsquoont pas une vision tregraves claire de la chronologie
de leur parcours Les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee ont le plus
souvent deacutejagrave connu un suivi individuel ou psychosocial avant drsquoecirctre lrsquoobjet
de mesures judiciaires pour des faits de deacutelinquance Ce qui nrsquoest pas le
cas pour les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation
Le parcours des jeunes placeacutes a donc souvent deacutebuteacute bien avant les
faits infractionnels repeacutereacutes il est jalonneacute de nombreux placements insti-
tutionnels dont lrsquoinstitution speacutecialiseacutee est lrsquoaboutissement souvent de
5 La notion de vulneacuterabiliteacute socieacutetale est deacutefinie ainsi laquo la potentialiteacute de la vulneacuterabiliteacutesuggegravere une certaine permanence qui pourrait deacutependre des caracteacuteristiques du sujetou de la situation Pour ce qui est de la vulneacuterabiliteacute socieacutetale elle deacutepend de la positiondes sujets dans la socieacuteteacute La position envisageacutee est proche de la position socioeacutecono-mique infeacuterieure raquo (Walgrave 1992 p 85) La personne socialement faible est unepersonne qui dans ses contacts avec les institutions sociales (lrsquoeacutecole le marcheacute dutravail la justice) se confronte principalement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee aux aspects neacutegatifset profite moins de lrsquooffre positive (Vettenburg 2003 p 194)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
faccedilon reacutepeacuteteacutee Les discours font eacutetat drsquoun parcours en forme de spirale
constitueacutee drsquoune longue suite de mesures et drsquoinstitutions dont les jeunes
ne gardent pas toujours un souvenir preacutecis Que ce soit la consommation
de stupeacutefiants le comportement adopteacute le deacutecrochage scolaire chacun
de ces eacuteleacutements constitue la cause drsquoun nouveau placement un nouveau
mouvement de va-et-vient entre retour en famille et institution Apregraves une
premiegravere mesure judiciaire de placement le poids du dossier joue en
deacutefaveur des jeunes Ainsi un placement en institution speacutecialiseacutee en
appelle drsquoautres mecircme si le jeune a lrsquoimpression de commettre des faits
moins graves ou drsquoavancer vers une prise de conscience Crsquoest agrave partir des
difficulteacutes scolaires que les jeunes commencent agrave eacutecrire leur histoire ins-
titutionnelle chaotique mecircme si souvent celle-ci a deacutemarreacute bien plus tocirct
dans un contexte familial perturbeacute
Les services ou institutions qui jalonnent leur parcours avant lrsquoarriveacutee
dans la laquo nasse raquo que repreacutesente le placement en institution speacutecialiseacutee sont
diversement appreacutecieacutes Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le rocircle et les missions speacuteci-
fiques du service drsquoaide agrave la jeunesse (SAJ) proposant une aide neacutegocieacutee
aux familles et aux mineurs qui eacuteprouvent des difficulteacutes dans le processus
eacuteducatif ne sont pas clairement perccedilus
6
ainsi les entretiens reacutealiseacutes dans
le cadre de ce type drsquointervention drsquoaide la plupart du temps en vue drsquoune
autonomie aux contours impreacutecis leur sont apparus laquo inutiles raquo reacuteduits agrave
du simple bavardage les articulations avec drsquoautres services nrsquoeacutetant pas
claires pour eux Lorsque ce type de service transmet le dossier au parquet
en vue drsquoimposer une aide contrainte le service de protection judiciaire
chargeacute de mettre en œuvre cette aide est perccedilu comme une surveillance
sur les mineurs et leurs familles plutocirct que comme un accompagnement
ou une aide On le juge aussi carreacutement laquo impuissant raquo devant les obstacles
agrave la reacuteinsertion scolaire familiale socialehellip des mineurs placeacutes en eacutetablis-
sement speacutecialiseacute Les seacutejours en institution reacutesidentielle priveacutee sont veacutecus
comme un temps durant lequel ils disent nrsquoavoir pas eacuteteacute reacuteellement pris
en charge ougrave le quotidien leur est apparu comme non structureacute offrant
trop de liberteacutehellip Ceux qui ont connu un passage en institution psychia-
trique sont fortement marqueacutes par des eacuteleacutements comme la camisole chi-
mique et le meacutelange entre adultes et adolescents Ils gardent en meacutemoire
essentiellement la stigmatisation qui en deacutecoule La prison est eacutegalement
6 Le rocircle et la mission du SAJ sont deacutefinis par le Deacutecret relatif agrave lrsquoaide agrave la jeunesse du4 mars 1991 Pour une preacutesentation deacutetailleacutee voir le site Internet httpwwwcfwbbeaide-jeunessehtmlproplatprohtm
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une expeacuterience traumatisante principalement agrave cause du reacutegime cellulaire
24 heures sur 24 qui est propre aux mineurs et ougrave la seule activiteacute est la
teacuteleacutevision Cependant une incarceacuteration de 15 jours nrsquoa guegravere de conseacute-
quences laquo eacuteducatives raquo agrave leurs yeux elle renforce plutocirct la laquo haine raquo agrave
lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute conforte le jeune dans son rocircle de caiumld dans son
quartier ou encore permet la rencontre de familiers ou de connaissances
et contribue alors agrave la contagion deacutelinquante
Les consideacuterations eacutemises agrave propos de ces diffeacuterentes interventions
qui ont eacutemailleacute leur parcours sociojudiciaire deacutenotent une absence de
compreacutehension et de maicirctrise de la coheacuterence de celui-ci Les jeunes
parlent de leur place dans cette trajectoire comme srsquoils eacutetaient laquo
une piegravecedans un jeu de dames
raquo
hellip
Ainsi drsquoune faccedilon geacuteneacuterale pour les jeunes que
nous avons rencontreacutes alors qursquoils eacutetaient en institution speacutecialiseacutee
lrsquoentreacutee dans le circuit institutionnel a signeacute le deacutebut drsquoun parcours
chaotique essoufflant drsquoinstitution en institution ponctueacute par quelques
tentatives de retour en famille dont ce type drsquoinstitution constitue lrsquoabou-
tissement La chronologie reste floue les seuls repegraveres temporels preacutecis
eacutetant directement en lien avec le processus de judiciarisation la date
drsquoarriveacutee agrave lrsquoinstitution la date du jugement ou de lrsquoordonnance la date
du prochain rendez-vous au tribunal de la jeunesse Nous sommes ici
devant ce que Carra appelle le processus formel de constitution de la
deacutelinquance au travers duquel laquo la trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation
des mesures et la prise en charge institutionnelle de plus en plus totale
apparaicirct comme une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances
de passer drsquoun degreacute agrave lrsquoautre Elle influence profondeacutement lrsquoimage et les
perspectives drsquoavenir du mineur raquo (Carra 2001 p 94) Si leur trajectoire
au sein de la sphegravere protectionnelle du suivi familial aux mesures de
placement se reacutevegravele floue et aux contours impreacutecis se preacutesentant donc
davantage comme une ligne briseacutee que comme un cheminement logique
connu par eux lrsquoeacutevolution graduelle et ineacuteluctable vers une prise en
charge de plus en plus resserreacutee est bien reacuteelle
Les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation avaient un parcours nette-
ment moins laquo lourd raquo dans la mesure ougrave ce type de mesure judiciaire est
deacutecideacute par les magistrats lors drsquoune premiegravere comparution au tribunal
de la jeunesse En effet comme lrsquoont montreacute drsquoautres recherches laquo la
cateacutegorie des mineurs faisant lrsquoobjet drsquoune mesure de prestation drsquointeacuterecirct
geacuteneacuteral preacutesente le profil le plus ldquoprimo-deacutelinquantrdquo et ldquoprimo-judiciairerdquo raquo
(Vanneste 2001 p 93)
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74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION
Lrsquoanalyse du discours sur lrsquoexpeacuterience veacutecue du placement ou de la pres-
tation
7
permet de deacutegager des veacutecus tregraves diffeacuterencieacutes que nous nous
proposons drsquoorganiser autour de diffeacuterentes laquo strateacutegies raquo de reacuteaction au
processus de judiciarisation Si geacuteneacuteralement lrsquoideacutee de strateacutegie fait reacutefeacute-
rence agrave une deacutemarche construite et consciente en vue drsquoatteindre un
objectif le terme de strateacutegie est compris ici comme la combinaison de
diffeacuterentes faccedilons de laquo dominer la tension qui existe entre lrsquounivers domes-
tique et lrsquounivers de lrsquoinstitution raquo (Goffman 1968 p 110) Plus large-
ment nous comprenons la strateacutegie comme les modes de reacuteaction agrave la
situation creacuteeacutes par la deacutecision judiciaire les modes drsquoadaptation aux
conseacutequences de la judiciarisation La notion de strateacutegie se situe agrave lrsquoarti-
culation du systegraveme social et de lrsquoindividu du social et du psychologique
Les strateacutegies de reacuteponse agrave une situation sociale deacutecrivent simple-ment les comportements individuels ou collectifs conscients ouinconscients adapteacutes ou inadapteacutes mis en œuvre pour atteindrecertaines finaliteacutes La notion de strateacutegie appliqueacutee au champsocial suggegravere que lrsquoindividu dispose drsquoune certaine liberteacute dechoix dans les limites des regravegles du jeu Elle exprime commentles comportements individuels sont le reacutesultat drsquoune interactionde facteurs sociaux et individuels Elle permet de lire les diffeacute-rentes maniegraveres dont les acteurs laquo font avec raquo les deacuteterminantssociaux en fonction de quels paramegravetres sociaux familiaux oupsychologiques La diversiteacute relative des comportements en reacuteponseagrave des situations sociales similaires met en eacutevidence le caractegravereinteractionnel dynamique et complexe du processus (De Gaulejacet Leonetti 1994 p 184)
Nous nous inteacuteressons ici agrave la reconstruction subjective des trajectoires
des jeunes (Delens-Ravier 2001 p 13) Il ne srsquoagit pas de retracer lrsquoeacutevo-
lution chronologique des eacuteveacutenements de leur parcours sociojudiciaire
mais de mettre en perspective leur expeacuterience agrave la suite drsquoune deacutecision
judiciaire en deacutegageant les eacuteleacutements cleacutes qui srsquoarticulent dans les diffeacuterentes
strateacutegies eacutevoqueacutees que nous cherchons agrave comprendre du point de vue
7 Lrsquoexpeacuterience de prestation eacuteducative ou philanthropique est relateacutee par deux types dejeunes des jeunes qui ont fait lrsquoobjet drsquoune prestation lrsquoont termineacutee et ont eacuteteacute eacutevalueacutespositivement par les intervenants et le milieu drsquoaccueil des jeunes placeacutes en institutionspeacutecialiseacutee ayant eacuteteacute confronteacutes drsquoune faccedilon ou drsquoune autre agrave ce type de mesurecertains ayant purement et simplement refuseacute drsquoexeacutecuter la mesure Malheureusementle nombre trop restreint drsquoentretiens ne nous permet pas de parler de saturation delrsquoinformation nous ne pouvons que lancer des pistes drsquointerpreacutetation exploratoire duveacutecu de cette mesure
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subjectif de lrsquoacteur Nous retenons comme eacuteleacutement le veacutecu de la deacutelin-
quance la perception de la deacutecision du magistrat et de la relation agrave celui-ci
la rencontre avec les acteurs institutionnels lrsquoappreacuteciation globale de la
mesure par la faccedilon dont est veacutecu le reacutegime institutionnel
741 V
EacuteCU
DE
LA
DEacuteLINQUANCE
La deacutelinquance est une attitude speacutecifique de la peacuteriode de lrsquoadolescence
La plupart des passages agrave lrsquoacte sont des vols simples et de la consomma-
tion de cannabis et constituent une activiteacute propre agrave un processus de
deacuteveloppement normal agrave la peacuteriode charniegravere de lrsquoadolescence Bien
qursquoeacutetiqueteacutes comme laquo mineurs deacutelinquants raquo par les instances peacutenales et
stigmatiseacutes par les multiples placements nombre drsquoentre eux refusent de
srsquoidentifier agrave une telle image Ils revendiquent au contraire un droit agrave
lrsquoerreur un droit agrave lrsquoexpeacuterimentation Ainsi srsquoils reconnaissent les faits
pour lesquels ils sont poursuivis leur interpreacutetation de ceux-ci ne corres-
pond certainement pas agrave la lecture reacuteductrice proposeacutee par le systegraveme
judiciaire faisant reacutefeacuterence aux cateacutegories du code peacutenal
La plupart des jeunes insistent sur une dimension fondamentale qui
les lie agrave lrsquoaction elle-mecircme laquo
lrsquoadreacutenaline
raquo Lrsquoanxieacuteteacute au moment de voler
est stimulante ils eacutevoquent aussi la prise de risque et la reacuteussite le plaisir
lieacute agrave la consommation de stupeacutefiantshellip Nombreux sont ceux qui confessent
avoir trouveacute dans la vente de stupeacutefiants ou le vol laquo quelque chose dans
lrsquoaction qui ne se passe pas ailleurs raquo (Brion et de Coninck 1999 p 939)
Associeacutee agrave la prise de risque laquo
lrsquoadreacutenaline
raquo est lrsquooccasion de vivre des
eacutemotions intenses qui deacutepassent largement leur quotidien habituel Le fait
de commettre les deacutelits en groupe augmente par ailleurs le plaisir ressenti
Crsquoest le stress aussi Crsquoest de vivrehellip Je crois comme dans les films vousvoyez Crsquoest bon simplement crsquoest de lrsquoadreacutenaline (Manu 17 ans)
Drsquoautres recherches ont drsquoailleurs mis en eacutevidence que laquo lrsquoentreacutee
dans le style de vie deacuteviant relegraveve presque toujours initialement drsquoune
motivation lieacutee agrave la recherche du plaisir raquo (Brunelle Cousineau et Brochu
2002 p 24)
La recherche drsquoargent est une autre motivation fondamentale pour
ces jeunes Elle prend pour eux des connotations particuliegraveres drsquolaquo argent
facile raquo ou drsquolaquo argent-compensation raquo Deacutepenser de lrsquoargent est synonyme
drsquoexister de vivre Durckheim avait deacutejagrave souligneacute le lien entre sentiment
drsquoexister et deacutepenses laquo Vivre crsquoest avant tout agir agir sans compter pour
le plaisir drsquoagir Et [hellip] srsquoil faut amasser pour pouvoir deacutepenser crsquoest
pourtant la deacutepense qui est le but et la deacutepense crsquoest lrsquoaction raquo (tel que
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citeacute dans
Grell 1999 p 207) La recherche drsquoargent se manifeste sous
deux formes particuliegraveres le plaisir de lrsquoargent facile ou la jouissance de
posseacuteder et la compensation drsquoune situation deacutefavorable Lrsquoargent facile
ou lrsquoargent plaisir correspond agrave des beacuteneacutefices rapidement acquis par la
vente de stupeacutefiants ou le vol de voitures qui poussent agrave la surconsomma-
tion Cet argent mateacuterialiseacute par lrsquoachat de produits ostensibles et luxueux
(motos vecirctementshellip) brucircle les doigts vite acquis il est vite deacutepenseacute
Lrsquoargent facile est ainsi une tentation agrave laquelle il est difficile de reacutesister
qui procure de plantureux beacuteneacutefices inaccessibles par des voies leacutegalement
reconnues au vu du niveau scolaire familial et social
Crsquoest fou lrsquoargent qursquoon peut se faire
[en vendant des pilules drsquoecstasy]
Crsquoest laquo deacutegueulasse raquo parce qursquoon vend de la mort Moi jrsquoaime bien lrsquoargentcomme tout le monde peut-ecirctre un peu plus Quand jrsquoai de lrsquoargent je ledeacutepense direct Et quand je vendais je pouvais me permettre tout je pou-vais mrsquoacheter tout je me faisais un meacutechant beacuteneacutefice Et quand je vaissortir je vais toujours y retourner pour aller en chercher Je vais recommen-cer agrave vendre crsquoest clair Je vendrai agrave gauche et agrave droite pour arrondir mesfins de mois Jrsquoaimerais bien arrecircter mais quand on sait combien ccedila rap-porte ccedila va ecirctre plus fort que moi Crsquoest la tentation de lrsquoargent facile Crsquoestpas si eacutevident Ici on peut faire un projet mais quand on est dehors crsquoestpas la mecircme vie
(Dominique 17 ans)
La recherche drsquoargent peut eacutegalement ecirctre en lien avec un contexte
de vie aux ressources financiegraveres limiteacutees Le vol est alors un mode
drsquoappropriation drsquoobjets consideacutereacutes comme inaccessibles La deacutelinquance
se preacutesente parfois comme une modaliteacute de survie neacutecessaire agrave lrsquointeacutegration
dans une socieacuteteacute de consommation lorsqursquoon ne beacuteneacuteficie pas des moyens
drsquoy participer pleinement (Delens-Ravier et Thibaut 2003 p 30)
Faut voir les circonstances pourquoi il a voleacute
[hellip]
Srsquoil a vu une belle pairede chaussures dans un magasin que ses parents ne savent pas payerhellipQursquoest-ce qursquoil va faire le jeune Il va aller voler pour se les payer crsquoesttouthellip Srsquoil y avait du travail srsquoil y avait quelque chose pour nous occuperce serait laquo agrave lrsquoaise raquo Mais en Belgique il nrsquoy a rien du tout pour les jeunes
(Rodovan 17
1
2
ans)
Les deacutelits peuvent eacutegalement avoir pour objet drsquoexprimer des diffi-
culteacutes drsquoordre familial permettant une visibiliteacute accrue agrave travers la reacuteaction
judiciaire Lrsquoexpression des difficulteacutes correspond agrave une quecircte drsquoidentiteacute
ou de reacuteponses parentales Cet appel agrave exister peut srsquoadresser non seule-
ment agrave la famille mais agrave lrsquoensemble de la socieacuteteacute comme reacuteponse aux
interpellations policiegraveres systeacutematiques aux
homes
ougrave lrsquoon est placeacute aux
eacutecoles dont on a eacuteteacute exclu au patron qui a refuseacute drsquoembaucherhellip Ce type
de laquo motivation raquo de la transgression fait reacutefeacuterence agrave une situation person-
nelle insatisfaisante laissant preacutesager des trajectoires discontinues marqueacutees
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par les ruptures notamment avec le milieu familial et risquant de conduire
agrave la deacutesaffiliation ou agrave une affiliation deacuteviante agrave la vengeance agrave lrsquoauto-
destructionhellip (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 14)
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutelinquance des jeunes rencontreacutes peut se
comprendre comme une eacutechappatoire agrave une socialisation contraignante
difficile voire impossible pour eux Dans ce sens la transgression est vue
comme un signe de bonne santeacute pour des jeunes que le monde nrsquoattend
pas ce dont ils ont pris conscience assez tocirct notamment agrave travers leur
veacutecu scolaire et la position sociale de leurs familles Comme le dit tregraves
justement Grell agrave propos de jeunes Canadiens
[hellip] leurs deacuteambulations existentielles indissociables de leurs pas-sions et leurs excegraves seraient agrave lire comme drsquoincessantes tentativesde deacutepassement de ce preacutesent tragique drsquoun monde qui au lieude leur offrir des prises fermes leur met plutocirct des sables mou-vants sous les pieds Leurs deacuteambulations existentielles excessiveset passionneacutees ne posent-elles pas degraves lors lrsquoinsoutenable questionde lrsquoinsignifiance drsquoun monde qui ne constitue plus ou insuffisam-ment lrsquoarmature de lrsquoexistence des mortels Les excegraves et les mul-tiples eacutecarts de ces jeunes ne sont-ils pas dans ce cas un signe desanteacute la fabrication drsquoanticorps ayant pour fonction de franchirles limites de la maladie mondaine (Grell 1999 p 210)
Les diffeacuterents sens de la transgression peuvent cohabiter chez un
mecircme jeune eacutevoluer au fil du tempshellip La faccedilon de vivre leur deacuteviance
ne paraicirct pas vraiment centrale dans la reacuteaction subjective agrave la mesure
judiciaire Ce nrsquoest donc pas le veacutecu de leur deacutelinquance qui srsquoarticule
avec drsquoautres eacuteleacutements comme le sentiment de justice ou drsquoinjustice de
la deacutecision ou le type de rapports aux acteurs sociaux et judiciaires mais
bien le fait que les acteurs judiciaires et sociaux vont prendre en consideacute-
ration laquo leur raquo interpreacutetation subjective de leur deacutelinquance le sens que
les jeunes eux-mecircmes lui donnent dans leur contexte particulier ce qui
neacutecessite eacutecoute et compreacutehension au-delagrave de lrsquoaffirmation de la norme
et de la leacutegitimation drsquoune sanction
742 L
A
DEacuteCISION
DU
MAGISTRAT
La deacutecision de placement en IPPJ se preacutesente clairement comme une
punition agrave leurs yeux justifieacutee ou non Elle apparaicirct comme une reacuteponse
logique essentiellement en comparaison avec le systegraveme peacutenal adulte dans
la mesure ougrave ils admettent avoir fait des laquo conneries raquo et qursquoil est normal
drsquoecirctre laquo puni raquo Il srsquoagit parfois drsquoune deacutecision par deacutefaut lorsque les
familles ne veulent plus rien entendre ou qursquoaucune autre institution
nrsquoaccepte le mineur La deacutecision est cependant veacutecue comme une injustice
si le jeune ne reconnaicirct pas les faits lorsque le deacutelai entre les faits et la
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sanction est trop long lorsqursquoune seacuterie de mesures srsquoaccumulent sans que
le jeune perccediloive quelle est la sanction veacuteritable lorsque les conditions
drsquoentreacutee et de sortie ne sont pas clairement eacutetablies lorsque la diffeacuterence
de traitement entre mineurs et majeurs ou drsquoun arrondissement judiciaire
agrave lrsquoautre est trop marqueacutee
La deacutecision qui consiste en lrsquoinjonction de reacutealisation drsquoune prestation
eacuteducative ou philanthropique est veacutecue comme une sanction laquo leacutegegravere raquo
comparativement au placement jugeacute trop seacutevegravere
Jrsquoavais peur de ce qursquoelle
[juge de la jeunesse]
allait me dire De ce quejrsquoallais avoir Si jrsquoallais ecirctre placeacute ou pas Je mrsquoattendais pas agrave ccedila jemrsquoattendaishellip Je sais pashellip Plus seacutevegravere Et ici ccedila allait
(Joseo 18 ans)
Elle est accepteacutee par certains dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice
jugeacutee alors moins laquo coucircteuse raquo qursquoun placement ou carreacutement refuseacutee par
drsquoautres car repreacutesentant une sorte de laquo travaux forceacutes
8
raquo
743 L
E
MAGISTRAT
DE
LA
JEUNESSE
Le juge de la jeunesse est une figure marquante associeacutee avant tout agrave
lrsquoinstance qui peut deacutecider drsquoun placement dont la crainte repreacutesente
vraiment le pivot autour duquel srsquoarticule lrsquoappreacuteciation que les jeunes
ont de lrsquointervention judiciaire comme si pour eux le juge nrsquoavait pas
drsquoautres mesures agrave sa disposition
Les diffeacuterentes images de juges qui eacutemergent du discours des jeunes
renvoient agrave des perceptions contrasteacutees Elles vont drsquoune appreacuteciation
franchement neacutegative (le juge qui place sans reacuteflexion) agrave une appreacuteciation
franchement positive (le juge protecteur et paternaliste) Le juge qui place
sans reacuteflexion
est celui qui mateacuterialise son action par une mesure de
placement comme reacuteponse unique malgreacute la diversiteacute des jeunes ou des
situations qursquoil rencontre La relation est ici hyperstandardiseacutee lrsquoespace
de parole accordeacute aux jeunes et agrave leur famille apparaissant extrecircmement
restreint Aux yeux des jeunes la systeacutematisation du placement est reacuteveacutela-
trice agrave la fois drsquoun manque drsquoindividualisation des mesures et donc drsquoeacutecoute
et drsquoun manque de connaissance des reacutealiteacutes institutionnelles Certains
jeunes reacutepondent alors par la fugue agrave ce manque drsquoeacutecoute ressenti au
moment de la deacutecision ou au cours de leur placement strateacutegie qui oblige
le juge de la jeunesse agrave rouvrir le deacutebat sur leur compte Agrave lrsquoopposeacute le
juge protecteur et paternaliste
constitue lrsquoimage inverseacutee du juge laquo qui
place sans reacuteflexion raquo Ici le rocircle du juge de la jeunesse deacuteborde celui de
8 Voir plus bas les diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction
DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE
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laquo dire la loi raquo et son intervention deacutepasse le cadre du fait commis Il nrsquoest
pas lagrave uniquement pour sanctionner il cherche agrave comprendre agrave aider Ce
nrsquoest cependant pas lrsquoideacutee drsquoassistance qui suffit en soi agrave eacutetayer cette image
du laquo bon raquo juge Lrsquoimage positive du juge est le reacutesultat de la conjugaison
de plusieurs eacuteleacutements notamment le respect du jeune (par exemple en
faisant respecter les droits du jeune par les policiers) la franchise et la
clarteacute des deacutecisions Neacuteanmoins la figure peut ecirctre double juge paternel
dans des situations de mineur en danger juge laquo placeur raquo lorsque le jeune
a commis un fait qualifieacute drsquoinfraction Les deux facettes sont fonction de
la motivation de la saisine mais sont eacutegalement conditionneacutees par le
conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance qursquoil
parvient agrave susciter ou non
Si les images du juge diffegraverent il existe une certaine constance dans
les relations Preacutevaut drsquoabord la crainte du placement Ainsi bien que les
jeunes qualifient geacuteneacuteralement de laquo
bonnes
raquo les relations avec leur juge
eacutevoquant mecircme une certaine proximiteacute affective en parlant de laquo
mon (ma)juge
raquo
ils perccediloivent les deacutecisions prises par le magistrat comme eacutetant en
quelque sorte exteacuterieures agrave cette relation comme si le juge ne maicirctrisait
pas reacuteellement sa deacutecision guideacutee par des facteurs exteacuterieurs
Dans leurs appreacuteciations les jeunes distinguent acteurs judiciaires et
systegraveme de justice des mineurs Si le juge est parfois consideacutereacute comme un
laquo bon raquo juge et appreacutecieacute le systegraveme de justice est globalement perccedilu
comme injuste pour ces jeunes marginaliseacutes
Moi la justice je trouve qursquoelle est pas juste crsquoest touthellip Je dis pas dujuge il est pas juste je dis la socieacuteteacute elle est pas juste
(Nick 16 ans)
744 L
ES
ACTEURS
INSTITUTIONNELS
9
La confrontation avec les acteurs institutionnels est la cleacute de voucircte du
systegraveme eacuteducatif de placement en institution speacutecialiseacutee Les acteurs cleacutes
aux yeux des jeunes sont drsquoabord les eacuteducateurs lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-
sociale (assistants sociaux psychologues meacutedecin psychiatre) et enfin
les autres jeunes
7441 Les eacuteducateurs
Les jeunes insistent sur la distance ineacuteluctable et neacutecessaire qui existe
entre jeunes et eacuteducateurs bien que les deux soient soumis aux regravegles et
agrave lrsquoinfrastructure institutionnelle et soient pris dans les mecircmes contraintes
9 Nous deacuteveloppons ici exclusivement le discours des jeunes placeacutes les donneacutees concer-nant les jeunes en prestation eacutetant trop restreintes
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Comme dans leurs rapports avec les magistrats les relations avec les eacutedu-
cateurs sont marqueacutees par les laquo
figures
raquo auxquelles ces derniers se rattachent
selon les jeunes Ainsi lrsquoeacuteducateur laquo
qui eacutecoute et qui rigole
raquo correspond agrave
une image positiveacutee du rocircle drsquoeacuteducateur Cette image renvoie agrave une fonc-
tion de compreacutehension drsquoeacutecoute attentive au-delagrave drsquoune simple eacutecoute
qui restitue en retour une image positive au jeune le valorisant et lui
permettant de croire en lui Ce type drsquoeacuteducateur parvient agrave une connais-
sance suffisante du jeune pour arriver agrave lui mettre des limites Il est eacutega-
lement engageacute dans son travail essentiellement par son inteacuterecirct profond
pour les jeunes eux-mecircmes avant toute recherche de reconnaissance
sociale ou peacutecuniaire Une autre figure est lrsquoeacuteducateur laquo
avec qui on rigolepas
raquo qui se cantonne dans le respect strict du regraveglement la discipline
nrsquoest pas neacutegocieacutee elle est appliqueacutee au pied de la lettre Il en reacutesulte un
manque de souplesse et de dialogue lrsquoapplication du regraveglement strict
apparaissant comme une fin en soi Une derniegravere figure est celle de lrsquoeacutedu-
cateur laquo
lasseacute
raquo
qui aux yeux des jeunes ne remplit son rocircle ni dans lrsquoani-
mation de groupe ni dans le maintien de la discipline
7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale
Les deux acteurs principaux de ces eacutequipes dans la vie des jeunes sont les
assistantes et assistants sociaux et les psychologues Selon eux lrsquoeacutequipe
remplit trois fonctions le laquo
gribouillage
raquo rocircle drsquoexpertise par la reacutealisation
de tests et la reacutedaction de rapports dont les jeunes ne perccediloivent pas la
finaliteacute lrsquoeacutecoute et le soutien et enfin lrsquoeacutelaboration du projet de sortie
Lorsque les professionnels sont perccedilus comme centreacutes essentiellement sur
leur mission drsquoobservation et drsquoexpertise les relations sont insatisfaisantes
pour les jeunes qui ne se sentent degraves lors pas laquo
eacutecouteacutes
raquo
Par contre lorsque les intervenants psychosociaux sont preacutesents dans
le quotidien des jeunes et qursquoils peuvent se rendre disponibles en cas de
difficulteacute ou de demande ils sont perccedilus comme un soutien reacuteel
Lrsquoeacutelaboration du projet de sortie est le reflet de tous les obstacles
que devront surmonter ces jeunes pour devenir les laquo entrepreneurs raquo de
leur existence (Blairon 2003 p 8) alors qursquoils sont marqueacutes par la releacute-
gation et la deacutesaffiliation Ainsi lorsque le projet qui tient agrave cœur au jeune
ne correspond pas vraiment agrave un projet de sortie mais srsquoapparente plutocirct
agrave une recherche sur soi-mecircme son eacutelaboration avec les membres de
lrsquoeacutequipe psychosociale si celle-ci ne se limite pas agrave son rocircle laquo drsquoeacutecriture
de rapports raquo peut ecirctre lrsquooccasion drsquoune rencontre et drsquoune eacutecoute Mais
lorsque le projet est discuteacute dans un cadre laquo moralisateur raquo ougrave les objectifs
sont deacutefinis par lrsquoensemble des intervenants plutocirct que par le jeune lui-
mecircme il apparaicirct comme le vecteur unique de communication et reste
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enfermeacute dans son caractegravere hyperformel Il ne permet pas alors une reacuteelle
eacutecoute ni un reacuteel travail sur laquo le sens veacutecu raquo des actes poseacutes il nrsquoest que
conformiteacute de surface aux attentes sociales
745 DIFFEacuteRENTES STRATEacuteGIES DE REacuteACTION
Les diffeacuterentes reacuteactions agrave la mesure de placement articulant les eacuteleacutements
cleacutes que nous venons drsquoexposer reacuteactions qui eacutemergent agrave lrsquoanalyse font
reacutefeacuterence soit agrave une eacutevolution en termes drsquoadaptation et de rationalisation
de la mesure alors veacutecue comme une possibiliteacute de laquo rachat raquo soit agrave une
eacutevolution en termes de repli et de refus Et dans ce cas la mesure est veacutecue
comme une punition insupportable Une derniegravere strateacutegie consiste agrave se
rendre en quelque sorte impermeacuteable agrave ne pas donner prise aux interve-
nants en adoptant une attitude minimale de conformisme de surface ou
drsquoindiffeacuterence
Les discours tregraves contrasteacutes des quelques jeunes rencontreacutes dans le
cadre de lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de prestation eacuteducative alimentent
lrsquohypothegravese drsquoune strateacutegie de reacuteaction srsquoarticulant autour des rapports
que le jeune entretient avec le corps social en termes drsquointeacutegration ou
drsquoexclusion La mesure peut ainsi se preacutesenter comme une sanction per-
mettant de tourner la page une humiliation suppleacutementaire insuppor-
table ou une sanction ineacuteluctable moins coucircteuse qursquoun placement trois
formes de reacuteaction apparenteacutees selon nous agrave celles que manifestent les
jeunes placeacutes
7451 Une strateacutegie drsquoadaptation et de rationalisation
Si le placement deacutebute toujours par des premiegraveres semaines difficiles
certains jeunes srsquoadaptent progressivement agrave lrsquoenvironnement institution-
nel en laissant place agrave une volonteacute de tirer un certain profit de leur seacutejour
Ils tentent de positiver la mesure par lrsquoappropriation des objectifs du
placement judiciaire en termes de victoire sur eux-mecircmes (en se maicirctri-
sant suffisamment pour parvenir agrave se conformer au carcan institutionnel)
drsquoinvestissement dans lrsquooffre scolaire et dans les divers apprentissages
sociaux Le temps du placement permet alors drsquoalimenter certains objec-
tifs personnels du jeune il est veacutecu comme lrsquooffre drsquoune chance de srsquoen
sortir Ces jeunes sont demandeurs drsquoun encadrement drsquoun accompagne-
ment drsquoun soutien speacutecifique par rapport agrave leur probleacutematique et sont
donc tregraves exigeants agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadulte
Que peut-on retenir comme eacuteleacutements srsquoarticulant autour de ce type
de reacuteaction au placement en institution speacutecialiseacutee Il ne semble pas que
lrsquoacircge des mineurs le reacutegime fermeacute ou ouvert le type de deacutelinquance ou
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194 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
son veacutecu soient des facteurs de compreacutehension particuliers Lrsquoorigine
sociale et culturelle de ces mineurs qui rationalisent leur expeacuterience est
diversifieacutee belge europeacuteenne et africaine Une prise de conscience au
terme drsquoun parcours chaotique jalonneacute de nombreuses prises en charge
srsquoamorce pour permettre cette rationalisation Un deacuteclic semble se faire
comme srsquoils eacutetaient arriveacutes laquo au bout du bout raquo mais drsquoautres se trouvant
dans le mecircme type de situation vont reacuteagir tout agrave fait diffeacuteremmenthellip
Un premier eacuteleacutement est le fait de consideacuterer la deacutecision judiciaire
comme une deacutecision logique et juste mecircme srsquoils auraient preacutefeacutereacute une
autre deacutecision10
Il semblerait que le veacutecu relationnel avec lrsquoun des acteurs judiciaires
principaux soit un eacuteleacutement de compreacutehension de cette position de ratio-
nalisation Ainsi pour ces jeunes la rencontre avec leur juge de la jeunesse
ou avec un eacuteducateur ou un membre de lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale
de lrsquoinstitution se preacutesente comme une offre reacuteelle la personne est vue
par le jeune comme cherchant agrave le comprendre agrave lui donner une chance
agrave lui offrir quelque chose dans un contexte geacuteneacuteral ougrave preacutevaut lrsquoimpres-
sion de rejet et de meacutepris On retrouvera ici les figures de juge laquo protecteur
et paternaliste raquo drsquoeacuteducateur laquo avec qui on peut rigoler raquo et drsquointervenants
psychosociaux donnant prioriteacute agrave leur mission drsquoeacutecoute et de soutien11 Si
le reacutegime fermeacute ou ouvert nrsquoest pas en lui-mecircme un eacuteleacutement de compreacute-
hension particulier la faccedilon dont ce reacutegime srsquoorganise soit en privileacutegiant
lrsquoaspect eacuteducatif agrave travers le relationnel soit en donnant la prioriteacute au
respect des regravegles et agrave la discipline est un facteur drsquointelligibiliteacute de la
reacuteaction des jeunes
La situation familiale de ces jeunes est pour la plupart drsquoentre eux
profondeacutement insatisfaisante le placement en institution speacutecialiseacutee sera
parfois lrsquooccasion de renouer un lien avec la famille de tenter une der-
niegravere fois de retrouver une confiance agrave partir du travail de lrsquoinstitution
Cependant pour certains lrsquoinstitution sera le dernier refuge avant de se
retrouver seul dans la vie en socieacuteteacute sachant qursquoil sera impossible de
compter sur lrsquoenvironnement familial Lrsquoinstitution est alors la derniegravere
eacutetape avant lrsquoautonomie
On retrouve le mecircme type de strateacutegie associeacutee agrave une reacuteaction de
rationalisation chez des jeunes ayant accompli une prestation eacuteducative
lorsque celle-ci est veacutecue comme lrsquooccasion drsquoune expeacuterience positive nou-
velle qui permet agrave la fois de deacutecouvrir de nouveaux horizons de chasser
10 Voir plus haut
11 Voir plus haut laquo Le magistrat de la jeunesse raquo
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lrsquoennui et de restaurer une image de soi mise agrave mal par les faits de deacutelin-
quance Mecircme srsquoil srsquoagit bien drsquoune sanction imposeacutee par le cadre judi-
ciaire celle-ci se reacutevegravele une expeacuterience positive satisfaisante tant sur le
plan personnel que relationnel et social La satisfaction personnelle est
lieacutee au fait que le travail imposeacute est le plus souvent consideacutereacute comme
inteacuteressant voire agreacuteable Il permet drsquoapprofondir ou drsquoacqueacuterir une
expeacuterience qui pourra se reacuteveacuteler utile ulteacuterieurement il est lrsquooccasion de
deacutevelopper certains savoir-ecirctre Sur le plan relationnel le contact avec le
responsable de lrsquoexeacutecution de la prestation est valorisant de mecircme que
la rencontre avec les eacuteventuels beacuteneacuteficiaires de la prestation (patients
jeunes enfantshellip) Plus largement la valorisation sociale vient du senti-
ment drsquoutiliteacute aupregraves de la communauteacute ressenti par ces jeunes ainsi que
de la possibiliteacute drsquoexister autrement qursquoagrave travers lrsquoacte de deacutelinquance
Vaillant parle de reacuteparation symbolique de restauration du lien lorsque
lrsquoexpeacuterience de travail agrave partir de la mesure de prestation avec tout ce
qursquoelle comporte comme reacutealisations concregravetes deacutemarches rencontres
permet une reacuteelle confrontation ou rencontre entre le mineur deacutelinquant
et les autres laquo La reacuteparation se pose sur le mode de la reacuteconciliation
sociale le jeune et la socieacuteteacute doivent tous les deux faire un pas pour aller
lrsquoun vers lrsquoautre raquo (Vaillant 2000 p 71)
Jrsquoai appris quelque chose et moi jrsquoai fait ce qursquoon me demande de faire pourreacuteparerhellip Alors moi je savais deacutejagrave que crsquoeacutetait possible drsquoapprendre un meacutetierAu lieu drsquoaller dans un internat ou dans une prison pour un mois oudeux mois on nous demande de travailler comme ccedila pour la socieacuteteacute commeccedila en mecircme temps on fait quelque chose de bien on travaille bien Oui onse fait punir mais drsquoune autre faccedilon (Joseo 18 ans)
Lrsquoeffet de reconstruction de lrsquoimage du jeune et par lagrave drsquoune forme
de lien social est ici indeacuteniable Au-delagrave de lrsquoimage neacutegative qursquoun jeune
laquo deacutelinquant raquo pensait donner de lui le veacutecu de la prestation lui permet
de ne pas ecirctre reacuteduit agrave lrsquoacte commis de tourner la page et de conserver
la consideacuteration des autres
Ce type de strateacutegie est deacuteveloppeacute par des jeunes que nous avons
situeacutes du cocircteacute du pocircle inteacutegration la judiciarisation du passage agrave lrsquoacte
rompt un eacutequilibre dans les rapports que le jeune entretient avec son
entourage social scolaire et familial et la mesure permet de restaurer
une nouvelle forme drsquoeacutequilibre Le jeune srsquoapproprie les objectifs eacuteduca-
tifs des intervenants qursquoil rencontre tant dans la proceacutedure judiciaire que
sur le terrain drsquoexeacutecution de la prestation
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196 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
7452 Une strateacutegie de repli-refus
Agrave lrsquoinverse certains jeunes pratiquent une strateacutegie de repli par rapport
agrave leur placement lequel est veacutecu essentiellement comme une limite neacutega-
tive une sanction sans offre positive Ils adoptent une attitude activement
neacutegative La mesure est veacutecue essentiellement comme une punition une
forme drsquoemprisonnement mecircme srsquoil srsquoagit drsquoun placement en milieu eacutedu-
catif ouvert crsquoest le laquocalvaireraquo Ce type de jeunes nrsquoaccroche agrave rien deacuteveloppe
une influence neacutegative sur le groupe et un travail constructif est tregraves
difficile agrave mettre en œuvre Souvent drsquoailleurs ces jeunes finissent par
fuguer de lrsquoinstitution marquant ainsi clairement leur refus
Il semblerait que les jeunes qui pratiquent cette strateacutegie soient plus
jeunes que ceux qui rationalisent sans doute la maturiteacute ou lrsquoaccumula-
tion des mesures jouent-elles un rocircle agrave cet eacutegard Si les origines de ces
jeunes sont diversifieacutees ndash belge europeacuteenne ndash on retrouve ici des jeunes
drsquoorigine maghreacutebine refusant drsquoailleurs le plus souvent de srsquoexprimer sur
leur veacutecu sur leur famille sur leur deacutelinquance niant mecircme les faits12hellip
Agrave partir drsquoune perception de la sanction comme injuste en raison
du deacutelai de la proceacutedure du flou entourant la dureacutee de la deacutecision judi-
ciaire des diffeacuterences de traitement selon les arrondissements ou lrsquoacircge ou
plus largement drsquoun sentiment drsquoecirctre constamment floueacute et rejeteacute la
mesure de placement est veacutecue exclusivement en termes de laquo perte detemps raquo drsquoennui de temps srsquoeacutetirant agrave lrsquoinfini Lrsquoaccent est mis sur le cadre
laquo merdique raquo de lrsquoinstitutionhellip Les rapports aux acteurs judiciaires au juge
notamment se caracteacuterisent par lrsquoincompreacutehension mutuelle et le senti-
ment drsquoinjustice subie on retrouve ici les figures de juges laquo qui placent sansreacuteflexion raquo
Le parcours est chaotique mais aucune intervention aucune ren-
contre nrsquoa encore pu lui donner un sens Les eacuteducateurs sont perccedilus
comme laquo lasseacutes raquo ou se cantonnant dans lrsquoapplication du regraveglement les
intervenants psychosociaux leur semblent se contenter drsquoeacutecrire des rap-
ports Tout se passe pour ces jeunes comme si les eacuteveacutenements se deacuterou-
laient en dehors drsquoeux ils subissent avec colegravere ce qui leur arrive Ce sont
des jeunes qui parlent peu de leur environnement familial ou refusent
mecircme carreacutement drsquoen parler Les rapports au monde sont veacutecus en termes
drsquoinjustice la sanction est une iniquiteacute suppleacutementaire Ils se trouvent
12 Il conviendrait de poursuivre les recherches pour comprendre cette meacutefiance et cettereacuteticence agrave se confier
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dans un eacutetat profond drsquoinsatisfaction agrave lrsquoeacutegard des conditions de vie et de
la reacuteaction judiciaire qui peut faire craindre lrsquoinstallation dans un style de
vie deacuteviant (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 25)
On retrouve le mecircme type de strateacutegie chez des jeunes agrave qui le
magistrat impose une mesure de prestation eacuteducative et qui refusent car-
reacutement drsquoentreprendre toute action reacuteparatrice comme ils refuseraient
toute proposition venant de la socieacuteteacute Vaillant dit de ces mineurs qursquoils
se sentent des laquo victimes eacutetrangegraveres agrave toute responsabiliteacute [hellip] Ce nrsquoest
qursquoun juste retour des choses ils manquent de tout on leur doit tout on
ne peut rien leur demander raquo (Vaillant 2000 p 84)
On peut raisonnablement faire lrsquohypothegravese que ces jeunes nrsquoont
jamais connu une quelconque forme de lien social et ne vivent leur rap-
port agrave la socieacuteteacute que comme exclusion et injustice Crsquoest effectivement le
discours de certains jeunes qui ont refuseacute une mesure de prestation et se
sont donc retrouveacutes placeacutes en institution speacutecialiseacutee La prestation devient
ici une laquo proposition injurieuse raquo
Il [le juge] sait bien que ccedila marche pas avec moi Je vais pas commenceragrave me taper la gecircne dans mon quartier agrave faire des travaux geacuteneacuteraux Fautpas commencer non plus Ccedila va aller 250 heures de travaux geacuteneacuterauxou deux semaines agrave la prison je cherche pas agrave comprendre (Yves 16 ans)
7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence
Pour les jeunes qui emploient ce type de strateacutegie le placement est minimiseacute
le jeune srsquoinstalle dans une sorte drsquohibernation pour ne pas donner prise
aux intervenants il laquo attend que le temps passe raquo Cette attitude passive est le
plus souvent perccedilue neacutegativement par les eacutequipes eacuteducatives les jeunes
ne se laissant pas approcher ne permettant aucune opportuniteacute de ren-
contre nrsquoaccrochant pas aux propositions institutionnelles La mesure est
une punition agrave laquelle on se reacutesigne Sachant qursquoils nrsquoont pas vraiment
le choix et nrsquoayant pas envie de tomber plus bas ce type de jeunes se tient
tranquille Leur veacutecu est souvent proche de celui des jeunes qui deacuteve-
loppent une strateacutegie de refus leur caracteacuteristique principale est leur
impermeacuteabiliteacute mais ils sont moins vindicatifs que les jeunes en repli Ils
minimisent lrsquoimpact de la deacutecision judiciaire souvent en reacutefeacuterence agrave la
prison qui est plus deacutesagreacuteable encore Les relations aux acteurs judi-
ciaires ne paraissent pas tregraves porteuses les juges sont perccedilus comme ne
comprenant rien les relations aux eacutequipes eacuteducatives sont veacutecues comme
distantes Ce sont des jeunes qui se reacutefugient derriegravere les faits sans
investissement eacutemotionnel personnel
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198 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
On retrouve en fait la mecircme toile de fond entre la strateacutegie de refus
et drsquoindiffeacuterence il srsquoagit de deux modes de reacuteaction de retrait qui
rendent le travail eacuteducatif tregraves difficile voire impossible On ne peut pas
vraiment consideacuterer qursquoil srsquoagit de strateacutegies diffeacuterentes On serait plutocirct
en preacutesence de deux faccedilons de deacutecliner un rapport de distanciation par
rapport agrave lrsquointervention eacuteducative
Dans le mecircme type de rapport de distanciation on retrouve des
jeunes qui ont accepteacute et reacutealiseacute une mesure de prestation en arguant
principalement sur le caractegravere moins contraignant de la mesure par le
fait qursquoelle permet de conserver sa liberteacute (McIvor 1992 p 94) Il srsquoagit
drsquoune solution agrave moindre coucirct
Vaillant parle de ces mineurs pour qui la mesure de reacuteparation a
glisseacute sur eux sans les mouiller comme des laquo canards qui laissent couler
lrsquoeau sur leurs plumes et ne laissent rien deviner de leurs sentiments raquo
(Vaillant 2000 p 83) Ces jeunes se conforment agrave ce qursquoon leur impose
la prestation se passe bien lrsquoeacutevaluation est globalement positive mais ils
nrsquoinvestissent pas dans la dimension symbolique de la reacuteparation
Ainsi si la prestation est veacutecue uniquement comme une faccedilon drsquoeacutechap-
per agrave une punition plus seacutevegravere dans lrsquoennui et dans lrsquoattente que le temps
srsquoeacutecoule sans reacutealiser lrsquoutiliteacute du travail agrave effectuer sans rencontre inter-
personnelle elle correspond effectivement agrave une reacuteparation mais sans la
dimension de restauration drsquoun lien social Ce type de strateacutegie est deacuteve-
loppeacute par des jeunes que nous avons situeacutes du cocircteacute du pocircle marginalisation
La judiciarisation est alors une sorte de rateacute dans un parcours drsquointeacute-
gration parallegravele la mesure de prestation eacutetant consideacutereacutee comme un
moindre mal dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice elle est accepteacutee par
le jeune qui lrsquoinscrit dans son projet de sortir le plus vite possible du circuit
judiciaire
CONCLUSION
La judiciarisation drsquoune transgression et la deacutecision qui lrsquoaccompagne sont
un eacuteveacutenement marquant qui repreacutesentent le point de deacutepart drsquoune relec-
ture de lrsquoensemble de la trajectoire des mineurs rencontreacutes La date de la
deacutecision judiciaire est drsquoailleurs souvent le seul repegravere temporel La signi-
fication que le jeune va accorder agrave cette deacutecision sanction logique ou
injustice en drsquoautres termes sa perception de la deacutecision est extrecircmement
importante pour comprendre la strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure et ainsi
le sens que celle-ci va prendre dans le parcours du jeune Mais comme le
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dit Carra si laquo lrsquointervention judiciaire par son action stigmatisante contri-
bue agrave lrsquoamplification secondaire de la deacutelinquance cet effet nrsquoest ni absolu
ni ineacutevitable Elle peut dans un contexte speacutecifique contribuer agrave lrsquoarrecirct
des activiteacutes deacutelictuelles Le suivi judiciaire peut finir par ne plus ecirctre veacutecu
comme stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir
le support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire avec lequel ces mineurs
nrsquoont plus de liens positifs raquo (Carra 2001 p 164) crsquoest effectivement ce
que nous disent les mineurs qui deacuteveloppent une strateacutegie de rationalisation
La mesure de placement ou de prestation constitue alors une laquo veacuteritable
promesse de socialiteacute pour des jeunes priveacutes drsquoeacutechanges humains non
commerciaux livreacutes aux trafics magouilles deacutebrouilles et autres eacutecono-
mies de survie raquo (Vaillant 2000 p 67) agrave partir drsquoune rencontre drsquoacteurs
sociaux et judiciaires privileacutegiant lrsquoeacutecoute et le dialogue
La strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure judiciaire se preacutesente comme
une combinaison complexe de diffeacuterents eacuteleacutements de lrsquohistoire person-
nelle du jeune de sa position sociale de son parcours sociojudiciairehellip
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la perception de la mesure et par lagrave son impact
est en lien avec la faccedilon dont srsquoest construit le rapport du jeune agrave la
socieacuteteacute Ainsi un jeune eacutetablissant certaines affiliations qui a des points
drsquointeacutegration et drsquoaccrochage avec lrsquoensemble de la socieacuteteacute percevra la
sanction comme une reacuteaction justifieacutee agrave un acte reconnu comme une
transgression
Si moi je fais une connerie le juge nrsquoaccepte pas donc je dois ecirctre puni etcrsquoest ccedila la punition crsquoest juste (Kevin 17 ans)
Admettant la sanction le jeune pourra la vivre comme une reacuteconci-
liation avec la socieacuteteacute et une reconstruction de lrsquoimage de soi
Agrave lrsquoopposeacute le jeune qui occupe une position drsquoexclusion ou simple-
ment marginale qui nrsquoeacutetablit pas drsquoaffiliation avec les circuits socialement
reconnus vivra la sanction comme un signe suppleacutementaire de rapports
deacutejagrave ressentis comme eacutetant profondeacutement ineacutegalitaires La laquo deacutelinquance raquo
peut ecirctre veacutecue comme une source de revenu une base de statut social
dans un environnement parallegravele le jeune cherche alors comment eacuteviter
(strateacutegie de refus) ou annuler (strateacutegie drsquoindiffeacuterence) ce qursquoimplique
la mesure au lieu de tenter drsquointeacutegrer les valeurs que le juge et les inter-
venants lui proposent agrave travers celle-ci
La reacuteaction des jeunes agrave la mesure judiciaire nrsquoest cependant pas le
seul effet de lrsquointervention du systegraveme de justice des mineurs Celui-ci ne
fait souvent que renforcer certains aspects qui preacuteexistent agrave son action
action qui apparaicirct en fait preacutedeacutetermineacutee par la place de lrsquoindividu au
sein des rapports sociaux (Carra 2001 p 164) Lrsquointervention judiciaire
relative aux mineurs srsquoinscrit dans un processus complexe ougrave interviennent
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200 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
de multiples acteurs et agents de socialisation et au cours duquel laquo la place
que lrsquoindividu occupe dans les rapports sociaux le rendra plus ou moins
vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de vie agrave
lrsquoeacutecole au travail face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-
lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance
juveacutenile raquo (Carra 2001 p 166)
Il semble que la strateacutegie de rationalisation deacutegageacutee du discours de
certains jeunes ne serait accessible qursquoagrave ceux qui ont drsquoune maniegravere ou
drsquoune autre rencontreacute une possibiliteacute de sortir de la domination totale qui
ont eu lrsquooccasion de faire lrsquoexpeacuterience de la reconnaissance et de lrsquoeacutechange
Ainsi par exemple lrsquoimage du juge laquo protecteur et paternaliste raquo image
valoriseacutee par les jeunes qui cherchent agrave laquo profiter raquo de lrsquooffre judiciaire
est perccedilue par des jeunes qui possegravedent suffisamment de maicirctrise des
rouages du systegraveme pour se conformer minimalement aux exigences de
ce systegraveme en parvenant agrave srsquoattirer la bienveillance de ses acteurs13
Lrsquoacceptation de la neacutegociation drsquoun projet de sortie socialement acceptable
est lrsquoun des eacuteleacutements de cette strateacutegie de rationalisation
Tous ces jeunes laquo deacutelinquants raquo parlent drsquoune souffrance sociale ou
familiale leur comportement probleacutematique est finalement une forme de
reacuteponse agrave un besoin de reconnaissance agrave travers la possession de biens
mateacuteriels ou de consommation lrsquoexpression de leur rage ou de leur
malaisehellip Pour comprendre lrsquoarticulation des eacuteveacutenements de leurs trajec-
toires vers la sortie des pratiques deacuteviantes ou au contraire lrsquoinstallation
dans lrsquoescalade il faudrait approfondir la dialectique identiteacute personnelle
reacutegulations sociales dans la production de la deacuteviance (Carra 2001 p 161)
agrave partir de la perception qursquoont les jeunes eux-mecircmes de leur parcours et
des eacuteveacutenements qui le jalonnent Agrave travers notre analyse la perception
subjective des individus est apparue fondamentale dans la compreacutehension
des strateacutegies de reacuteaction aux interventions de reacutegulation sociale Cette
perception est neacuteanmoins le produit drsquoune combinaison drsquoeacuteleacutements qui
tiennent tant aux caracteacuteristiques personnelles du jeune et agrave son histoire
socioculturelle et individuelle qursquoagrave son laquo destin social raquo (De Gaulejac
1994) ougrave la confrontation aux acteurs sociaux et judiciaires et la recon-
naissance qursquoils permettent drsquoobtenir est lrsquoun des eacuteleacutements cleacutes de la
combinaison La quecircte de reconnaissance est au cœur de leur strateacutegie
drsquoadaptation agrave la judiciarisation Crsquoest par la mise en confiance dans une
relation entre le jeune et lrsquoadulte que le jeune va pouvoir se construire
13 Comme nous lrsquoavons deacuteja releveacute la perception du juge est eacutegalement conditionneacutee parle conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance que celui-ciparvient ou non agrave susciter
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ou se reconstruire deacutecouvrir une certaine estime de soi par lrsquoinvestisse-
ment dans une activiteacute valorisante qui lui permettra alors de deacutevelopper
une envie minimale de srsquoinscrire dans un projet de sortie reacuteellement per-
sonnel et investi laquo Lrsquoaccegraves agrave un rapport agrave soi reacuteussi deacutepend de la recon-
naissance intersubjective de ses capaciteacutes et de ses reacutealisations raquo (Honneth
traduit par Pourtois 1998 p 9) Lrsquoexpeacuterience de judiciarisation et ce
qursquoelle implique peut permettre cette reconnaissance intersubjectivehellip
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Cette conclusion aurait pu faire lrsquoeacuteloge de chacun des chapitres qui consti-
tuent ce collectif drsquoauteurs En adoptant une approche reacutesolument qualitative
tous contribuent en effet drsquoune maniegravere significative agrave lrsquoenrichissement
des connaissances concernant la reacutealiteacute complexe des
trajectoires de viedeacuteviantes
des adolescents Nous avons plutocirct choisi de mettre en relation
les eacuteleacutements de savoir qui se deacutegagent de lrsquoensemble des chapitres car il
est apparu qursquoau-delagrave des contributions singuliegraveres se deacutetachent des lignes
drsquointelligence qui transcendent lrsquoensemble des productions preacutesenteacutees par
les diffeacuterents auteurs Pris individuellement chaque regard poseacute sur un
aspect de la probleacutematique favorise une meilleure compreacutehension de
lrsquointeacuterieur de lrsquounivers de cette jeunesse qui se reacutealise de diverses faccedilons
Certaines sont mieux admises socialement et par conseacutequent jamais remises
en question alors que drsquoautres sont jugeacutees deacuteviantes et attirent lrsquoattention
des chercheurs comme du public en geacuteneacuteral
Agrave la lecture des contributions regroupeacutees dans ce collectif drsquoauteurs
qui tous adoptent une approche qualitative visant la compreacutehension des
trajectoires de vie deacuteviantes
il apparaicirct rapidement que bien qursquoelles
abordent des manifestations diffeacuterentes de la deacuteviance des jeunes bien
qursquoelles mettent lrsquoaccent sur des moments diffeacuterents de la trajectoire et
bien qursquoelles reposent sur des meacutethodologies diffeacuterentes ces contribu-
tions eacutetonnent par le fait qursquoon y retrouve des eacuteleacutements communs qursquoil
importe de souligner et drsquoautres compleacutementaires qursquoil importe de mettre
en relation
Mais avant drsquoentrer dans le vif du sujet qui nous conduira agrave appreacutecier
agrave sa juste valeur lrsquoapport drsquoune approche qualitative prenant diverses
formes agrave la compreacutehension des
trajectoires de vie deacuteviantes
des jeunes il faut
rappeler et insister sur le fait que mecircme si durant la peacuteriode de lrsquoadoles-
cence plusieurs jeunes srsquoadonnent agrave des comportements deacuteviants de
nature de graviteacute et drsquointensiteacute variables seule une minoriteacute drsquoentre eux
srsquoengagent vraiment dans une trajectoire deacuteviante En effet peu de jeunes
deviennent des toxicomanes ou des deacutelinquants laquo structureacutes raquo mecircme si
plusieurs font un certain usage de drogues ou commettent des deacutelits de
faccedilon occasionnelle Et encore tous les jeunes ne le feront pas Mais pour
ceux qui srsquoengagent dans une
trajectoire de vie deacuteviante
ceux auxquels les
auteurs qui participent au preacutesent collectif se sont inteacuteresseacutes certains
constats communs se deacutegagent dont nous ferons eacutetat ici
Drsquoabord tous les auteurs reconnaissent lrsquoimportance de srsquoadresser
directement aux jeunes pour faire la lumiegravere sur leur reacutealiteacute telle qursquoils
la perccediloivent telle qursquoils la vivent Il srsquoagit de comprendre les motivations
les aspirations les projets de ces jeunes consideacutereacutes comme des acteurs de
leur histoire selon lrsquoexpression de Michel Kokoreff Agrave cette fin il est
neacutecessaire drsquoappreacutehender les significations que les jeunes donnent aux
CONCLUSION
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eacuteveacutenements survenant dans leur vie aux sentiments qui srsquoy rattachent et
aux actions qui en deacutecoulent insistent Natacha Brunelle et ses collabora-
teurs Il srsquoagit en effet de reconnaicirctre que les jeunes ne sont pas que des
reacutecepteurs qui subissent passivement les eacuteveacutenements qui jalonnent leur
vie mais qursquoils contribuent dans la mesure des possibiliteacutes qui srsquooffrent agrave
eux agrave forger leur itineacuteraire Les jeunes usent de strateacutegies qursquoils sont les
seuls agrave pouvoir nous faire deacutecouvrir soutiennent tous les auteurs Il convient
donc de faire de la recherche
avec
et non
sur
les jeunes
Il faut toutefois reconnaicirctre comme le font drsquoun bel accord lrsquoensemble
des auteurs que la liberteacute drsquoaction dont jouissent les jeunes est condition-
neacutee par les structures sociales qui lrsquoencadrent Si lrsquoindividu est un acteur
dans le sens ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passive-
ment les effets eacutecrit Ceacutecile Carra il est cependant contraint par son
environnement Il est aussi jugeacute par son entourage et il arrive qursquoil fasse
sien ce jugement Ainsi signale Michel Kokoreff lrsquoindividu deacutesigneacute socia-
lement comme laquo toxicomane raquo se consideacuterera comme tel deacutefini comme
laquo multireacutecidiviste raquo agrave la suite de confrontations multiples avec les autoriteacutes
il ira jusqursquoagrave reprendre cette deacutesignation institutionnelle comme il a inteacute-
rioriseacute son identiteacute de laquo toxicomane raquo Tout se passe preacutecise Ceacutecile Carra
laquo comme si lrsquoidentiteacute prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stig-
matisant de celle-ci eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassu-
mer ces stigmates en les renforccedilant raquo Mais cet effet comme tout autre
effet nrsquoest pas automatique signale lrsquoauteure Il nrsquoy a qursquoagrave rappeler
lrsquoexemple apporteacute par Kokoreff de cet homme qui se preacutesente aux siens
comme un
dealer
pas comme un consommateur mais qui adopte la posi-
tion inverse lorsque mis agrave lrsquoarrecirct par les policiers il vise agrave voir sa sanction
peacutenale alleacutegeacutee
Cela eacutetant il apparaicirct que la compreacutehension de la trajectoire de vie
deacuteviante des jeunes doit passer par lrsquoappreacutehension des interactions qui
contribuent agrave la faccedilonner Selon Michel Kokoreff il faut resituer les eacuteveacute-
nements et les actions dans des parcours et des contextes sociaux ougrave
jouent les relations aussi bien avec les familles et les groupes de pairs
qursquoavec les institutions reacutepressives sanitaires sociales ou scolaires
Crsquoest aussi dans cette perspective que Ceacutecile Carra souligne lrsquoimpor-
tance de consideacuterer lrsquoexpeacuterience subjective de lrsquoindividu comme la reacutesultante
drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions prenant la forme de
neacutegociations ou de meacutediations qui constituent des lieux de tension entre
individus et groupes sociaux placeacutes dans des relations ineacutegalitaires et
conflictuelles Lrsquoauteure tout comme Michel Kokoreff Ceacuteline Bellot et
Maryse Esterle-Hedibel nous ramegravene ainsi agrave la perspective interaction-
niste envisageacutee il y a deacutejagrave plus de quarante ans par Becker les auteurs
tenant compte des avanceacutees theacuteoriques reacutealiseacutees agrave sa suite
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Dans la mecircme ligne de penseacutee chacun des auteurs signale lrsquoimpor-
tance de prendre en compte tout autant les logiques des acteurs que le
rocircle des institutions des familles de lrsquoenvironnement et des groupes de
pairs dans lrsquoanalyse des processus en œuvre dans la constitution de trajec-
toires de vie deacuteviantes Surgit ici la notion de processus qui rapidement
eacutevoqueacutee pourrait laisser penser agrave une forme drsquoengrenage induisant une
certaine lineacuteariteacute ou du moins agrave une certaine seacutequence dans les parcours
des jeunes Ces parcours les conduiraient drsquoune eacutetape agrave lrsquoautre jusqursquoagrave
ce qursquoils srsquoinstallent deacutefinitivement dans un parcours de vie deacutevianthellip ou
qursquoils en sortent Mais lrsquoideacutee forte qui se deacutegage de lrsquoensemble des textes
est celle de la non-lineacuteariteacute des parcours lesquels se dessinent plutocirct
comme une suite de meacuteandres drsquoallers-retours de peacuteriodes drsquointensifica-
tion et de diminution drsquoescalade et de deacutegringolade drsquoabstinence et de
rechutes reacuteversibles Srsquoimposent alors la complexiteacute des parcours et la
difficulteacute de les suivre et de les preacutevoir puisque comme le signale fort
justement Ceacuteline Bellot ceux-ci srsquoinscrivent toujours dans laquo un univers de
possibles qui se construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les
eacuteveacutenements srsquoenchacircssent et que les rencontres avec les autres se reacutealisent
ou non que les rapports sociaux structurent ou non la dialectique deacuteviance
conformiteacute raquo Prendre une photo de la vie du jeune agrave un moment donneacute
de sa vie ou mecircme une seacuterie de photos agrave diffeacuterents moments de sa vie
ne peut que cacher la sinuositeacute de son itineacuteraire et masquer la complexiteacute
qui se trouve derriegravere la construction des trajectoires de vie qui apparaissent
loin drsquoecirctre traceacutees deacutetermineacutees drsquoavance Les motivations peuvent chan-
ger en cours de route En teacutemoigne le passage drsquoune consommation pour
le plaisir agrave une consommation pour lrsquooubli souligneacute par Natacha Brunelle
et ses collegravegues Les perceptions aussi peuvent changer comme crsquoest le
cas lorsque la laquo lune de miel raquo deacutecrite par Marie-Marthe Cousineau et ses
collaboratrices qui marque lrsquoentreacutee dans les gangs pour plusieurs jeunes
garccedilons et filles prend fin et que la peur srsquoinstalle Les situations srsquointer-
influencent neacutecessairement Crsquoest ainsi que les relations familiales repreacute-
sentent agrave la fois laquo le baromegravetre du comportement et la reacutesultante de ce
comportement raquo note Isabelle Delens-Ravier Rejeteacute par les siens le jeune
srsquoenfoncera dans des comportements deacuterangeants qursquoil preacutesente lui-mecircme
comme une forme drsquoappel mais qui entretiennent le rejet Crsquoest eacutegale-
ment ainsi qursquoune bande de jeunes parvient agrave se positionner dans lrsquoespace
local en obligeant les acteurs environnants agrave tenir compte de sa preacutesence
mais que du mecircme coup ce positionnement participe directement non
seulement agrave la marginalisation de ses membres mais aussi agrave leur stigma-
tisation contribuant agrave leur prise en charge par les autoriteacutes chargeacutees de
faire reacutegner lrsquoordre soutient Ceacutecile Carra
CONCLUSION
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13
Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
De fait chaque situation est singuliegravere souligne Maryse Esterle-Hedibel
mais on trouve des points communs entre les unes et les autres Lrsquoanalyse
des donneacutees qualitatives fournies par chaque reacutecit de jeune ou par lrsquoobser-
vation de situations au cœur desquelles les jeunes se trouvent mecircleacutes per-
met de deacutefinir des laquo profils de situation raquo La compreacutehension de ces profils
fait apparaicirctre des reacutecurrences qui dessinent des logiques drsquoaction compa-
rables alors que leur confrontation contribue agrave mettre au jour des confi-
gurations particuliegraveres dans lesquelles ces logiques agissent observe Ceacutecile
Carra Agrave cet eacutegard on se rappellera les trajectoires de rue identifieacutees par
Ceacuteline Bellot qui met en lumiegravere la rue comme eacutepisode initiatique dans
la vie du jeune la rue comme tremplin vers le monde conventionnel ou
criminel et la rue deacuterive Qursquoon pense aussi aux trajectoires continues et
discontinues de consommation de drogues et drsquoengagement dans la deacutelin-
quance qursquoeacutevoquent Natacha Brunelle et ses collegravegues pour en avoir fait
une description plus fine ailleurs
Il ne faut donc pas nier ou occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des situations
qui megravenent agrave lrsquoadoption drsquoune
trajectoire de vie deacuteviante
non plus que la
diversiteacute des trajectoires deacuteviantes qui ne saurait drsquoaucune faccedilon se reacutesu-
mer agrave lrsquoadoption drsquoune ligne de conduite toute traceacutee Les eacutetudes montrent
en effet que la trajectoire naicirct drsquointeractions complexes entre lrsquoindividu
son environnement et le contexte qui offre plus ou moins drsquooccasions
licites ou deacuteviantes Par ailleurs srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la
trajectoire il faut retenir quelles sont les expeacuteriences qui contribuent au
renforcement ou au contraire agrave lrsquoeffritement ou agrave la cassure
drsquoune trajec-toire de vie deacuteviante
Il srsquoagit en somme comme le reacutesume fort bien Ceacuteline
Bellot laquo de saisir la mise en mots du parcours biographique [dans le reacutecit
qursquoen fait le jeune lui-mecircme] mise en mots qui donne accegraves agrave la logique
des neacutegociations identitaires de lrsquoindividu raquo et aux expeacuteriences qui mar-
quent la vie du jeune Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindi-
vidu aux rencontres que celui-ci fait ou non ndash et aux expeacuteriences qursquoil vit
ou non ndash en tenant compte des significations et des sentiments qui srsquoy
rattachent pour mettre en lumiegravere les tenants et les aboutissants qui
srsquoentremecirclent dans la constitution de la
trajectoire de vie deacuteviante
Au regard de ces connaissances qursquoaura permis drsquoacqueacuterir une
approche qualitative diversifieacutee dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie
deacuteviantes des jeunes se dessinent des lignes drsquoaction pour lrsquointervention
Puisque le jeune est lrsquoacteur principal de sa trajectoire il faut le laisser tracer
le portrait de cette trajectoire en insistant pour qursquoil fasse eacutetat du sens qursquoil
donne et des sentiments qursquoil associe aux eacuteveacutenements qursquoil vit Il faut du
mecircme coup tenter de faire la lumiegravere sur les interactions agrave lrsquoœuvre agrave
chaque occasion Reconnaissant le rocircle des interactions dans la constitu-
tion des trajectoires deacuteviantes des jeunes ainsi que celui des structures
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
sociales il apparaicirct incontournable drsquoadopter une approche drsquointervention
systeacutemique qui non seulement srsquoadresse agrave lrsquoindividu mais tient eacutegalement
compte de lrsquoenvironnement dans lequel celui-ci eacutevolue et sur lequel il agit
Une telle approche exige des diffeacuterents intervenants qursquoils travaillent de
maniegravere concerteacutee
Agrave la suite de Ceacuteline Bellot nous soutenons qursquoune approche quali-
tative dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie des jeunes se reacutevegravele un outil
majeur tant en intervention qursquoen recherche Le recours agrave un tel outil
vient soutenir le regard porteacute sur la complexiteacute des situations sur la
nature de lrsquoexpeacuterience biographique de mecircme que sur les capaciteacutes de
structuration qursquoengendrent les interventions notamment reacutepressives en
renforccedilant les meacutecanismes de stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent
les jeunes Il peut tout aussi bien permettre de mieux cerner les sorties
de la deacuteviance et les aleacuteas que celles-ci comportent
Enfin srsquoil est important pour les intervenants drsquoagir de concert il
en va de mecircme des chercheurs qui devraient collaborer en vue de parve-
nir agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun savoir multidisciplinaire articuleacute autour du jeune
lui-mecircme au cœur des preacuteoccupations et des devis de recherche Ce livre
aura donc montreacute au-delagrave des singulariteacutes propres agrave chaque cas que
chaque cheminement deacutevoile diverses geacuteneacuteraliteacutes sur lesquelles on devrait
tabler afin drsquoen tirer un savoir inteacutegreacute au service des jeunes
PO
ST
FA
CE
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C
ANDIDO
DA
A
GRA
Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de PortoDirecteur de lrsquoEacutecole de Criminologie
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
Si on me demandait
a posteriori
de titrer ce livre jrsquoutiliserais un eacutenonceacute
constitueacute par trois mots
vie
temps
et
reacutecit
Crsquoest cela qui caracteacuterise il
me semble cet excellent ouvrage sur la deacuteviance juveacutenile En lisant ce
livre je suis presque obseacutedeacute par la mecircme question mais quel est lrsquoesprit
(scientifique bien entendu) qui traverse lrsquoensemble des textes Y a-t-il des
structures de penseacutee communes parmi les diffeacuterences dans les objets les
concepts les points de vue les meacutethodes les scheacutemas Y a-t-il un cadre
de reacutefeacuterence assez large et coheacuterent dont le pouvoir et la valeur eacutepisteacute-
miques puissent rendre compte du laquo mecircme raquo agrave lrsquointeacuterieur de la diffeacuterence
Si la reacuteponse est oui quelle est la nature du
mecircme
persistant souterrain
occulteacute sous la surface des discours Quel est le dessous des notions des
concepts des points de vue des meacutethodes
Un ouvrage mecircme srsquoil est collectif deacutefinit son objet son cadre theacuteo-
rique et sa meacutethode en toute coheacuterence avec une viseacutee Celle de ce livre
est de contribuer agrave lrsquoeacuteclaircissement drsquoun problegraveme social la deacuteviance
juveacutenile en vue drsquoune intervention qui tienne compte de la connaissance
Mais nrsquoa-t-on pas assez de connaissance sur cet objet eacutetudieacute depuis bientocirct
un siegravecle Non Tout drsquoabord le pheacutenomegravene a subi des transformations
et ses nouvelles manifestations sont loin drsquoecirctre deacutecrites expliqueacutees et
comprises Puis les approches traditionnelles de par leur simpliciteacute reacuteduc-
tionniste ne rendent pas compte de la complexiteacute des nouvelles manifes-
tations du pheacutenomegravene Ces approches le traitent du dehors Dans cet
ouvrage le point laquo drsquoattaque raquo crsquoest plutocirct lrsquoenvers du pheacutenomegravene Con-
naicirctre le dedans de la deacuteviance juveacutenile voilagrave son propos Pour le faire
les auteurs srsquoadressent agrave la
vie
des jeunes au
temps
qui caracteacuterise son
deacuteroulement agrave travers le langage narratif le
reacutecit
LA VIE
Lrsquoobjet de cet ouvrage crsquoest la vie des jeunes La vie dans son deacutebat avec
le soi avec les autres avec la famille lrsquoeacutecole le quartier la ville La vie
dans ses rapports avec la consommation le plaisir la souffrance et lrsquoargent
La vie dont le temps est celui des meacutetamorphoses physiologiques psycho-
logiques et sociales La vie dont lrsquoespace srsquoeacutetend entre lrsquoouverture des rues
et la fermeture des prisons
On a eu beau tenter drsquoexpliquer le comportement des jeunes pour
intervenir aupregraves drsquoeux chercher des laquo causes raquo aupregraves des systegravemes exteacute-
rieurs (lrsquoheacutereacutediteacute les valeurs la socieacuteteacute) se deacuteplacer de la surface du
comportement vers ses structures profondes (le systegraveme nerveux la per-
sonnaliteacute le caractegravere) demander des comptes aux processus de deacutevelop-
pement (classe drsquoacircge geacuteneacuteration troubles de deacuteveloppement) pourtant
POSTFACE
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malgreacute les acquis non neacutegligeables de ces approches la
vie
des jeunes
nrsquoeacutetait pas eacutetudieacutee La vie au sens propre systegraveme constitueacute par un ensemble
drsquoeacuteleacutements vivants articuleacutes entre eux selon une logique preacutesentant deux
milieux en interaction le milieu interne et le milieu externe les
systegravemesde vie
voilagrave le vrai objet drsquoeacutetude
LE TEMPS
La jeunesse est par excellence un systegraveme agrave eacutetats qui se deacuteploient dans
le temps Les notions de laquo trajectoire raquo laquo carriegravere raquo laquo cheminement raquo tra-
duisent cette volonteacute drsquoimpliquer la temporaliteacute dans la compreacutehension
de la deacuteviance juveacutenile Lrsquoapproche deacuteveloppementale le fait depuis long-
temps dira-t-on Crsquoest vrai du point de vue du
temps codifieacute
(le temps
chronologique du monde externe) Ce nrsquoest pas vrai lorsqursquoon se deacuteplace
vers ce qursquoon pourrait appeler une hermeacuteneutique du
temps veacutecu
Le temps
du monde veacutecu amegravene du sens le sens eacutemergeant de faccedilon continue agrave
lrsquointeacuterieur drsquoune configuration existentielle dont la profonde singulariteacute
consiste dans le fait de se sentir exister et drsquoexprimer ce sentiment De ce
point de vue le
processus
du systegraveme agrave eacutetats est loin de coiumlncider avec la
logique des processus deacuteterministes par exemple des systegravemes agrave eacutetats
physiques ou biologiques Le simple transfert des sciences de la nature
parfois agrave la mode dans les sciences sociales et du comportement consti-
tuerait un tregraves grave obstacle eacutepisteacutemologique agrave ces domaines du savoir
La recherche actuelle ne peut pas ne doit pas se passer de lrsquoanalyse
des processus Je dirais que les regravegles de
lrsquoeacutepisteacutemologie
contemporaine y
obligent Mais en ce qui concerne le laquo drame raquo (au sens de lrsquoaction) en
tant que vrai objet des sciences du comportement humain comme le
voulait Politzer ou le laquo tragique de lrsquoaction raquo selon la belle formule de
P Ricœur tout processus est marqueacute par le jeu dialectique entre le milieu
interne et le milieu externe la contingence et la neacutecessiteacute la conservation
et lrsquoinnovation lrsquoacteur et le systegraveme la normativiteacute et la deacuteviance le
subjectif et lrsquoobjectif Jrsquoemprunterais le concept drsquolaquo accident controcircleacute raquo ou
de laquo hasard controcircleacute raquo utiliseacute par certains critiques de lrsquoart pour caracteacute-
riser lrsquoeacutetat le plus eacutevolueacute drsquoun artiste donneacute pour deacutefinir le concept de
processus propre agrave la recherche dans le domaine de la deacuteviance Peu
importe les mots ou les notions trajectoire carriegraverehellip les discussions lagrave-
dessus sont inutiles Ce qursquoil nous faut srsquoagissant drsquoanalyse des processus
et de la temporaliteacute crsquoest une
accidentologie de lrsquoexistence
et des systegravemes
de vie En fait exister crsquoest la tacircche la plus complexe agrave exeacutecuter que nous
ayons reccedilue le jour de notre naissance Toutes les autres sont secondaires
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
et beaucoup plus simples Elles devraient ecirctre au service de la tacircche prin-
cipale et fondatrice Assurer lrsquoeacutequifinaliteacute des multiples segments drsquoexis-
tence est le seul destin reccedilu auquel il faut donner un nouveau destin agrave
travers la deacutefinition drsquoune position de signification existentielle Mais com-
ment y parvenir sinon par le truchement de
lrsquoart drsquoexister
appris dans
lrsquointercommunicabiliteacute de lrsquoexpeacuterience constitueacutee par le savoir le savoir-
faire le pouvoir (le politique) et la subjectiviteacute (eacutethique)
LE REacuteCIT
La vie ne srsquoeacutetudie plus dans les laboratoires dit F Jacob Si cela est vrai
deacutejagrave au niveau biologique que faut-il penser sur la meacutethode de recherche
quand on parle du comportement du langage des eacutemotions de la cognition
et de la signification humaine Si lrsquohumaniteacute de lrsquohomme (jrsquoemprunte le
concept drsquoHeidegger) la vie humaine en tant que monde veacutecu nrsquoest pas
abordable en dehors du temps elle ne lrsquoest pas non plus en dehors du
langage et du sens Le temps humain est toujours un temps doubleacute plieacute
deacuteplieacute deacutecoupeacute et cousu par le reacutecit Le reacutecit est un systegraveme langagier
dont la structure la fonction et la finaliteacute sont la capture des deacuteplacements
de sens opeacutereacutee par lrsquoexistant dans lrsquoexercice de sa tacircche drsquoexister dans la
flegraveche du temps
La vie humaine telle qursquoelle se manifeste dans son
essence probleacute-matique
et dont la normativiteacute et la deacuteviance sont les analyseurs demande
drsquoecirctre eacutetudieacutee par un mode de connaissance speacutecifique qui est obligeacute de
plonger lrsquoobjet dans le laquo temps raconteacute raquo Le travail de lrsquoeacutevidenciation de
cet objet risque alors de tomber dans les piegraveges du sentiment et des laquo
apriori
raquo psychologistes et socio-ideacuteologiques Or il faut concevoir lrsquoeacutevidence
de lrsquoobjet comme laquo preacutesence-en-personne raquo le fondement et la connais-
sance de lrsquoessence des origines selon la pheacutenomeacutenologie de Husserl Ce
qui est ici la cause ce nrsquoest pas lrsquoexistence de lrsquoexistant mais
lrsquoessence delrsquoexistant
lrsquoapparaicirctre
de lrsquohomme agrave lui-mecircme Ceci eacutetant la meacutethode doit
srsquoeacutecarter de la laquo reacuteduction transcendantale raquo de la mise entre parenthegravese
de lrsquoobjet
Lrsquoessence
historique de l
rsquo
existant-Homme bloque le chemin
(meacutethode) de la connaissance de l
rsquo
essence geacuteneacuterique de la vie La vie qui
se deacuteroule dans les rapports individu-socieacuteteacute fait-norme nature-culture
constitue une laquo preacutesence-en-personne raquo typique Elle demande un autre
chemin le reacutecit
laquo Reacutecit de vie raquo laquo Histoire de vie raquo laquo Biographie raquo Voici la bonne
meacutethode Pourquoi Parce que la vie des hommes est reacutecit elle-mecircme est
histoire elle-mecircme est eacutecriture elle-mecircme
NO
TIC
ES B
IOG
RA
PHIQ
UES
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Ceacuteline Bellot
PhD en criminologie est professeure adjointe
agrave lrsquoEacutecole de service social de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal depuis
2003 Elle est eacutegalement chercheure au Collectif de recherche
sur lrsquoitineacuterance (CRI) et au Centre international de crimi-
nologie compareacutee (CICC) Ses inteacuterecircts de recherche portent
sur les jeunes en situation de rue (leurs trajectoires et leurs
expeacuteriences) sur les enjeux de la judiciarisation des pro-
blegravemes sociaux notamment de lrsquoitineacuterance et sur les pro-
cessus drsquoinsertion sociale et professionnelle des jeunes en
difficulteacute agrave partir de leurs trajectoires ou de lrsquoeacutevaluation
drsquointerventions dans ce champ
Serge Brochu
PhD en psychologie est professeur titu-
laire agrave lrsquoEacutecole de criminologie et chercheur au Centre
international de criminologie compareacutee (CICC) de lrsquoUniver-
siteacute de Montreacuteal Il est eacutegalement codirecteur du Groupe de
recherche et drsquointervention sur les substances psychoactives-
Queacutebec (RISQ) et du Collectif drsquointervention et de recherche
sur les aspects sociosanitaires de la toxicomanie (CIRASST)
Ses inteacuterecircts de recherche portent sur les relations drogues-
crimes et lrsquoimpact des interventions aupregraves des toxico-
manes judiciariseacutes
Natacha Brunelle
PhD en criminologie est professeure
agreacutegeacutee au Deacutepartement de psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute
du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres (UQTR) depuis deacutecembre
1998 Elle est chercheure au Groupe de recherche et drsquointer-
vention sur les substances psychoactives-Queacutebec (RISQ)
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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
au Collectif drsquointervention et de recherche sur les aspects socio-sanitaires
de la toxicomanie (CIRASST) au Centre international de criminologie
compareacutee (CICC) et au Groupe de recherche et drsquointervention sur lrsquoadap-
tation psychosociale et scolaire (GRIAPS) Elle dirige le Regroupement
CICC-UQTR Ses travaux de recherche portent principalement sur les
trajectoires drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence et sur
les liens drogue-crime
Ceacutecile Carra
PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences agrave lrsquoInstitut
universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-Calais et
chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les institutions
peacutenales (CESDIPCNRS) Elle travaille sur les questions de deacutelinquance
juveacutenile dans les quartiers populaires Elle eacutetudie les processus de cons-
truction et de deacuteconstruction de la deacutelinquance et le rocircle des acteurs
concerneacutes dans ces processus en particulier les professionnels du travail
social et de la justice Ses recherches srsquoorientent depuis quelques anneacutees
sur la violence agrave lrsquoeacutecole les pratiques professionnelles des enseignants et
le fonctionnement des eacutetablissements scolaires
Marie-Marthe Cousineau
PhD en sociologie est professeure agreacutegeacutee agrave
lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal et chercheure associeacutee
au Centre international de criminologie compareacutee (CICC) agrave lrsquoInstitut de
recherche pour le deacuteveloppement social des jeunes (IRDS) et au Centre
de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite
aux femmes (CRI-VIFF) Ses inteacuterecircts de recherche portent pour une part
sur diffeacuterentes formes de marginaliteacute et de marginalisation veacutecus par
les jeunes (gangs de rue prostitution deacutelinquance toxicomanie) et sur les
faccedilons drsquoy reacuteagir et pour une autre part sur les violences touchant les
femmes et les reacuteponses sociales agrave ces violences
Isabelle Delens-Ravier
PhD en criminologie est
sociologue et titulaire
drsquoun doctorat en criminologie Elle est actuellement chargeacutee de cours
inviteacutee et chargeacutee de recherche au Deacutepartement de criminologie et de
droit peacutenal de lrsquoUniversiteacute catholique de louvain dans le cadre drsquoun Pocircle
drsquoattraction interuniversitaire sur les droits de lrsquoenfant en collaboration
avec trois universiteacutes neacuteerlandophones Ses recherches et ses publications
portent principalement sur lrsquoaide et la protection de la jeunesse sur les
probleacutematiques lieacutees agrave la deacutelinquance juveacutenile et agrave la suppleacuteance familiale
notamment en milieu carceacuteral Elle srsquointeacuteresse particuliegraverement agrave lrsquoexpeacute-
rience veacutecue des laquo acteurs raquo familles jeunes et intervenants professionnels
dans leur rencontre avec les institutions sociales judiciaires et peacutenitentiaires
Maryse Esterle-Hedibel
PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences
agrave lrsquoInstitut universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-
Calais et chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les
NOTICES BIOGRAPHIQUES
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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
institutions peacutenales (CESDIPCNRS) Ses travaux ont porteacute sur les bandes
de jeunes les processus deacutelinquants et les prises de risque Ses derniegraveres
recherches concernent les processus de deacutescolarisation (arrecircts de scolariteacute
avant 16 ans) et les expeacuteriences de remeacutediation peacutedagogique et eacuteducative
Elle srsquointeacuteresse eacutegalement aux relations eacutecole-police-justice
Michegravele Fournier
MSc en criminologie est candidate au doctorat agrave
lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal Elle a reacutealiseacute un
meacutemoire de maicirctrise portant sur lrsquoexpeacuterience et le cheminement des
jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue de la reacutegion meacutetropolitaine de
Montreacuteal Ses recherches portent essentiellement sur la marginaliteacute la
deacuteviance et utilisent une meacutethodologie qualitative
Michel Kokoreff
PhD en sociologie a obtenu son doctorat de sociologie
agrave lrsquoUniversiteacute Paris VII Jussieu apregraves voir suivi un double cursus de socio-
logie et de philosophie agrave lrsquoUniversiteacute Paris X ndash Nanterre Maicirctre de confeacute-
rences pendant dix ans agrave lrsquoUniversiteacute de Lille I il a obtenu sa mutation agrave
lrsquoUniversiteacute Paris V en 2004 Il est membre du CESAMES (CNRS-INSERM-
Paris V) Ses travaux de recherches ont porteacute sur lrsquoinscription urbaine des
sociabiliteacutes juveacuteniles les carriegraveres deacuteviantes dans le monde des quartiers
populaires et le traitement peacutenal des usages et trafics de drogues les
politiques publiques en matiegravere de seacutecuriteacute et de preacutevention
Sylvie Hamel
PhD en psychologie est professeure au Deacutepartement de
psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres Elle est eacutega-
lement chercheure reacuteguliegravere agrave lrsquoInstitut de recherche pour le deacuteveloppement
social des jeunes (IRDS) et chercheure associeacutee au Centre international
de criminologie compareacutee (CICC) Ses champs drsquointeacuterecirct touchent les ado-
lescents notamment membres de gang les processus drsquoaffiliation de
deacutesaffiliation drsquoexclusion de marginalisation les trajectoires et les deacuteter-
minants psychosociaux srsquoattachant agrave la violence et agrave la deacutelinquance de
mecircme qursquoagrave lrsquointervention pouvant srsquoy adresser lrsquointervention familiale et
communautaire
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes
Revenu minimum garantiLionel-Henri Groulx2005 ISBN 2-7605-1365-3 380 pages
Amour violence et adolescenceMylegravene Fernet2005 ISBN 2-7605-1347-5 268 pages
Reacuteclusion et InternetJean-Franccedilois Pelletier2005 ISBN 2-7605-1259-2 172 pages
Au-delagrave du systegraveme peacutenalLrsquointeacutegration sociale et professionnelle des groupes judiciariseacutes et marginaliseacutesSous la direction de Jean Poupart2004 ISBN 2-7605-1307-6 294 pages
Lrsquoimaginaire urbain et les jeunesLa ville comme espace drsquoexpeacuteriences identitaires et creacuteatricesSous la direction de Pierre-W Boudreault et Michel Parazelli2004 ISBN 2-7605-1293-2 388 pages
Parents drsquoailleurs enfants drsquoiciDynamique drsquoadaptation du rocircle parental chez les immigrantsLouise Beacuterubeacute2004 ISBN 2-7605-1263-0 276 pages
Citoyenneteacute et pauvreteacutePolitiques pratiques et strateacutegies drsquoinsertion en emploi et de luttecontre la pauvreteacutePierre Joseph Ulysse et Freacutedeacuteric Lesemann 2004 ISBN 2-7605-1261-4 330 pages
Eacutethique travail social et action communautaireHenri Lamoureux2003 ISBN 2-7605-1245-2 266 pages
Travailler dans le communautaireJean-Pierre Deslauriers avec la collaboration de Renaud Paquet2003 ISBN 2-7605-1230-4 158 pages
Sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer
Violence parentale et violence conjugaleDes reacutealiteacutes plurielles multidimensionnelles et interrelieacuteesClaire Chamberland2003 ISBN 2-7605-1216-9 410 pages
Le virage ambulatoire deacutefi s et enjeuxSous la direction de Guilhegraveme Peacuterodeau et Denyse Cocircteacute2002 ISBN 2-7605-1195-2 216 pages
Priver ou privatiser la vieillesse Entre le domicile agrave tout prix et le placement agrave aucun prixMichegravele Charpentier2002 ISBN 2-7605-1171-5 226 pages
Huit cleacutes pour la preacutevention du suicide chez les jeunesMarlegravene Falardeau2002 ISBN 2-7605-1177-4 202 pages
La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002 ISBN 2-7605-1158-8 378 pages
Le jardin drsquoombres La poeacutetique et la politique de la reacuteeacuteducation socialeMichel Desjardins2002 ISBN 2-7605-1157-X 260 pages
Problegravemes sociaux bull Tome 1 ndash Theacuteories et meacutethodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1126-X 622 pages
Problegravemes sociaux bull Tome 2 ndash Eacutetudes de cas et interventions socialesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1127-8 700 pages
- TRAJECTOIRE DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
- Preacuteface
- Table des matiegraveres
- Introduction
- Chapitre 1_Trajectoires deacuteviantes de garccedilons et de filles
- Chapitre 2_Toxicomanie et trafics de drogues
- Chapitre 3_La diversiteacute des trajectoires de rue des jeunes agrave Montreacuteal
- Chapitre 4_Les gangs du point de vue des jeunes
- Chapitre 5_Arrecircts de scolariteacute et deacutelinquance
- Chapitre 6_Le deacutelinquant comme produit de la dialectique identiteacute personnelle reacutegulations sociales
- Chapitre 7_Du tribunal de la jeunesse au placement en institution speacutecialiseacutee
- Conclusion
- Postface
- Notices biographiques
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