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Les acteurs de la procédure pénale
L’infraction pénale oppose, en théorie, son auteur à la société, puisqu’elle constitue une
atteinte à l’ordre public ou social sanctionnée par la justice, émanation de l’État. Cependant,
l’infraction se commet fréquemment au détriment de victimes, personnes physiques ou
morales, privées ou publiques, et le droit français accorde une place assez importante aux
victimes d’infraction, notamment au travers du droit d’exercer l’action civile, et même de
déclencher l’action publique, si le ministère public ne le fait pas. C’est aux acteurs
institutionnels et judiciaires ou juridictionnels que l’on s’intéressera ici : la police judiciaire,
le ministère public ou parquet et les juridictions pénales.
Chapitre 1 : la police judiciaire
Il faut définir ce qu’est la police judiciaire et en voir, de manière générale, le rôle avant
d’analyser plus précisément sa composition.
Section 1 : La définition et le rôle de la police judiciaire
Il est important de bien distinguer les notions de police judiciaire et de police administrative,
même si, en pratique, ces fonctions de police sont exercées par les mêmes agents, qu’ils soient
membres de la police nationale ou de la gendarmerie.
Par police administrative, on entend toute action menée par des membres de la force publique
dans un but préventif, c’est-à-dire avant qu’une infraction à la loi pénale ait été commise. Il
s’agit donc des missions de maintien de l’ordre, de prévention et d’assistance des citoyens se
trouvant en difficulté. En revanche, à partir du moment où une infraction pénale a été
commise ou est supposée l’avoir été, les actes qui auront pour but de rechercher les preuves et
les auteurs des faits relèvent de la police judiciaire.
La distinction est extrêmement importante puisque seule la police judiciaire est exercée sous
la direction du procureur de la République, comme le prévoit l’article 12 CPP. Les missions
de police administrative relèvent de l’autorité publique à proprement parler, comme le préfet
ou le maire par exemple. En outre, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, il est
interdit au juge judiciaire d’interférer dans le domaine d’action de l’administration. Ainsi, si
un dommage est causé au cours d’une opération de police, l’enjeu de la détermination de la
nature de celle-ci est très grand, puisque si elle est qualifiée d’opération de police
administrative, c’est le juge administratif qui sera compétent pour réparer le préjudice subi par
la victime alors que, si elle reçoit la qualification de police judiciaire, ce sera la juridiction
judiciaire qui sera compétente pour réparer le dommage.
Cette distinction s’avère parfois difficile parce qu’en pratique le seul critère de l’antériorité ou
non d’une infraction n’est pas suffisant : par exemple, lorsque la police met fin à une
manifestation interdite, elle réalise une opération de police administrative qui intervient
pourtant après la commission d’une infraction et à l’inverse, des gendarmes embusqués
derrière un bosquet d’arbres guettant le long des routes le conducteur qui va trop vite, font une
opération de police judiciaire même si aucune infraction ne s’est encore produite. C’est
pourquoi, il faut rechercher quel est le but qui était celui des agents qui sont intervenus. Le
critère de distinction déterminant est la finalité, le but de l’opération apprécié de façon
subjective c’est-à-dire par rapport à la psychologie de l’agent. Une appréciation objective,
c'est-à-dire tenant à la nature de l'acte lui-même, n’aurait en effet pas grand sens, un même
acte pouvant avoir tantôt une nature administrative, tantôt une nature judiciaire (par exemple,
les contrôle et vérification d’identité). Ce qui compte, c’est donc la psychologie du policier :
si, lors d’une ronde de nuit, ce dernier est guidé par le soupçon qu’une infraction a été
commise ou si, sur la foi de certains indices ou renseignements il est convaincu qu’une
infraction va être commise, alors les opérations qu’il effectue sont de nature judiciaire. En
revanche, si de tels soupçons ne l’animent pas, la ronde de nuit est une ronde de routine à
caractère de police administrative.
S’agissant de la police judiciaire, son rôle est très important en pratique puisque les agents qui
la composent sont investis de pouvoirs importants dans le cadre des enquêtes de police ou des
contrôles et vérifications d’identité, prévus par le Code de procédure pénale. De manière
générale, ce rôle est défini par l’article 14 CPP qui énonce qu’elle doit constater les
infractions, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs ainsi qu’exécuter les
délégations des juridictions d’instruction, lorsqu’un juge d’instruction a été saisi. Cependant,
la loi du 15 juin 2000 précise que la police judiciaire doit aussi s'intéresser aux victimes.
L’article 15-3 CPP dispose en effet que « La police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes
déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale et de les transmettre, le cas échéant, au
service ou à l'unité de police judiciaire territorialement compétent ». La loi du 9 mars 2004 a
complété cet article en disposant que le dépôt de plainte doit faire l’objet d’un procès-verbal
dont un exemplaire est remis à la victime.
Ces fonctions de police judiciaire sont exercées par certaines personnes qui composent
l’organe qualifié de « police judiciaire ». C’est la composition de cet organe qu’il faut
maintenant étudier.
Section 2 : La composition de la police judiciaire
La police judiciaire comprend deux corps qui sont la police nationale et la gendarmerie et qui
sont composés de personnels qui sont les officiers de police judiciaire et agents de police
judiciaire.
§ 1 : Les corps de police judiciaire
Il existe aujourd’hui deux grands corps principaux chargés de la police judiciaire : la police
nationale et la gendarmerie.
A. La police nationale
A l’origine, la police n’était pas « nationale » mais municipale. Ce principe, repris par les
codes napoléoniens, signifiait que la police était assurée par les gardes champêtres assistés
d’agents communaux placés sous l’autorité du maire. A Paris, la règle était différente : la
police était confiée à un préfet de police et à un personnel dépendant directement du pouvoir
central. Progressivement, sont apparues une centralisation et une étatisation de la police.
Les villes de plus de 5000 habitants ont été dotées d’un commissaire de police d’Etat à la tête
de leur police municipale tandis que les villes de plus de 10.000 habitants voyaient leur police
étatisée. En outre, une centralisation a été opérée par une loi du 23 avril 1941 : l’ensemble des
services de police a été regroupé dans deux corps principaux : la Sûreté Nationale (pour la
province) et la Préfecture de police de Paris, cette autonomie étant justifiée par l’importance
de la criminalité dans la capitale. Parallèlement, cette loi de 1941 confie à l’Etat le soin de
recruter et de former son personnel, et de le doter d’un statut et d’une hiérarchie. La police,
depuis 1941, est donc une police d’Etat sauf dans les communes de moins de 10.000 habitants
où l’ancien régime municipal reste en vigueur (à moins qu’elles ne soient les banlieues
d’agglomérations importantes).
Une loi du 9 juillet 1966 réalise la fusion de la Sûreté nationale et de la préfecture de police,
les deux corps formant désormais la Police Nationale.
La Police Nationale est aujourd’hui placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et a à sa
tête un directeur appelé le Directeur général de la police nationale. Elle est divisée en 5
directions :
- la direction centrale de la police judiciaire (la PJ) qui concerne les infractions les plus
graves. Elle comprend plusieurs sous-directions (criminalité organisée et délinquance
financière, police technique et scientifique, sous-direction anti-terroriste etc. ) ainsi que des
offices centraux chargés de lutter contre certaines formes de criminalité (office central de lutte
contre le crime organisé ; office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants ;
office central pour la répression de la traite des êtres humains ; office central pour la
répression des violences aux personnes ; office central pour la répression de la grande
délinquance financière etc.). Elle comprend également 12 services territoriaux (anciens SRPJ)
appelés directions régionales ou interrégionales de police judiciaire (DI ou DRIPJ) (Lille,
Lyon, Marseille, etc).
- la direction centrale de la sécurité publique qui assure le maintien de l’ordre et est
chargée de la petite et moyenne délinquance. Sur le territoire national, pour chaque
département, un directeur départemental de la sécurité publique placé sous l’autorité du préfet
coordonne l’action du service dans l’ensemble du département et assure la liaison avec les
services centraux. Le département est lui-même divisé en un certain nombre de
circonscriptions de police (102 directions départementales), dirigées chacune par un
commissariat central et subdivisées en districts (424 circonscriptions de sécurité publique).
- la direction centrale de la police aux frontières comportant, notamment une sous-
direction de l'immigration irrégulière qui coordonne, sur le plan national, la lutte contre
toutes les formes organisées d'immigration illégale et met en œuvre l'éloignement effectif des
étrangers en situation irrégulière.
- la direction centrale du renseignement intérieur issue du rapprochement, au 1er juillet
2008, de la direction centrale des renseignements généraux, créée en 1907, et de la direction
de la surveillance du territoire (1944). Son objet est de lutter contre les activités susceptibles
de constituer une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, c’est-à-dire essentiellement
l’espionnage, le terrorisme et, depuis peu, la cybercriminalité. Son organisation précise n’est
pas connue car elle est couverte par le « secret défense ».
- il existe une direction centrale des Compagnies républicaines de sécurité, lesquelles servent
à renforcer la sécurité sur le territoire lorsque c’est nécessaire (grands évènements sportifs ou
autres, manifestations etc.)
- il faut également mettre à part un service qui est la Préfecture de police de Paris. Elle est
chargée du maintien de l’ordre public à Paris mais aussi dans les départements des Hauts-de-
Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Elle a des missions de sécurité publique et
de police judiciaire.
- enfin, on signalera l’existence de l’Inspection générale de la Police nationale, qui est chargée
du contrôle de l'ensemble des services actifs et des établissements de formation de la police
nationale. Elle peut, dans ce cadre, effectuer des enquêtes qui lui sont confiées par les
autorités administratives et judiciaires qui seules peuvent la saisir, l’objet de ces enquêtes
étant de contrôler le respect par les fonctionnaires de police, des lois et des règlements et du
code de déontologie de la police nationale.
Ceci permet de relever que la Police nationale est dotée d’un code de déontologie (Décret
du 18 mars 1986).
Les articles 1 et 2 de ce décret rappellent que la police nationale concourt, sur l’ensemble du
territoire, à la garantie des libertés et à la défense des institutions de la république, au maintien
de la paix et de l’ordre public et à la protection des personnes et des biens et qu’elle doit
s’acquitter de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois.
Selon l’article 7, « Le fonctionnaire de la police nationale est loyal envers les institutions
républicaines. Il est intègre et impartial ; il ne se départit pas de sa dignité en aucune
circonstance. Placé au service du public, le fonctionnaire de police se comporte envers celui-
ci d’une manière exemplaire. Il a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur
nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leur convictions politiques, religieuses ou
philosophiques ». L’article 9 ajoute que « Lorsqu’il est autorisé par la loi à utiliser la force
et, en particulier, à se servir de ses armes, le fonctionnaire de police ne peut en faire qu’un
usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre ». Enfin, l’article 10 énonce
que « toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la
police : elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence
ni aucun traitement inhumain ou dégradant. Le fonctionnaire de police qui serait témoin
d’agissements prohibés engage sa responsabilité disciplinaire s’il n’entreprend rien pour les
faire cesser ou néglige de les porter à la connaissance de l’autorité compétente (...) ».
B. La gendarmerie nationale
La maréchaussée (ancien nom de la gendarmerie crée au XIIème siècle ; nom actuel en 1791)
est une formation militaire qui était logiquement rattachée au ministère de la défense mais une
réforme est intervenue au 1er janvier 2009 pour qu’elle soit désormais placée sous l’autorité du
ministère de l’Intérieur. La loi du 3 août 2009 organise le transfert du rattachement organique
de la gendarmerie nationale du ministre de la Défense au ministre de l’Intérieur, tout en
préservant son statut militaire.
Elle connaît des formations spécialisées et deux cadres de base.
Formations spécialisées : Garde Républicaine, Gendarmerie de l’Air, Gendarmerie maritime,
Gendarmerie des transports aériens) et le Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale
(GIGN créé en 1974) chargé de la lutte antiterroriste (par exemple la libération des passagers
de l'Airbus pris en otage par le GIA, à Marignane, en 1994), de la neutralisation de forcenés et
de l'arrestation de personnes dangereuses.
Les deux cadres de base sont : la gendarmerie départementale et la gendarmerie mobile.
- La gendarmerie départementale
Elle est chargée de missions de police administrative (cas du gendarme au bord de la route qui
veille à la sécurité publique) et judiciaire (cas du gendarme au bord de la route qui constate
par PV une infraction au code de la route). La gendarmerie est répartie en 22 régions (=
régions administratives), elles-mêmes divisées en circonscriptions et arrondissements. Dans
chaque département, on trouve un groupement de gendarmerie placé sous les ordres d’un
officier supérieur, dans chaque arrondissement on trouve une compagnie de gendarmerie et
dans chaque canton une brigade de gendarmerie.
- La gendarmerie mobile
Elle est destinée à assurer le maintien de l’ordre public, ce qui ne l’empêche pas de constater,
à cette occasion, des infractions pénales et donc de faire accessoirement de la police
judiciaire. Elle constitue le pendant des CRS.
Elle est organisée en groupements, groupes, escadrons et pelotons (l’unité de base étant
l’escadron qui comprend 4 pelotons). Elle agit sur ordre militaire à la suite d’une réquisition
émanant d’une autorité civile.
Pour terminer avec la police nationale et la gendarmerie, on ajoutera que cette concurrence de
compétences, en matière de police judiciaire, conduit parfois à des rivalités entre corps qui
peuvent avoir des conséquences fâcheuses. La gendarmerie exerce principalement en zones
rurales où peut exister aussi une police nationale. Lorsqu’une infraction est commise et que le
procureur décide d’ouvrir une enquête préliminaire, c’est lui qui va décider de confier
l’affaire à la gendarmerie ou à la police nationale. Ce choix peut susciter des jalousies (cf.
Affaire Grégory où l’on a dit que l’enquête avait été sabotée par la rivalité de la gendarmerie
et de la police).
§ 2 : Les personnels de police judiciaire
Il faut d’abord noter que selon l’article 41 al. 4 CPP, le procureur de la république « a tous les
pouvoirs et prérogatives attachés à la qualité d’officier de police judiciaire ». Il peut donc
recevoir les plaintes et dénonciations et faire procéder à tous les actes nécessaires à la
recherche et à la poursuite des infractions. Il faut cependant bien comprendre que le procureur
n’a pas la qualité d’officier de police judiciaire mais simplement les pouvoirs attachés à cette
qualité.
Selon l’article 15 CPP, il faut donc distinguer les officiers de police judiciaire (OPJ), les
agents de police judiciaire (APJ) et les fonctionnaires chargés de certaines fonctions de police
judiciaire par la loi.
A. Les officiers de police judiciaire
L’article 16 CPP donne la liste des personnes qui ont la qualité d’officier de police judiciaire.
L’on y trouve :
les maires et leurs adjoints
les officiers et gradés de la gendarmerie et les gendarmes comptant au moins 3 ans de
service et nominativement désignés par arrêté interministériel
les inspecteurs généraux, sous-directeurs de police active, contrôleurs généraux,
commissaires de police et officiers de police
les fonctionnaires du corps d’encadrement et d’application de la police nationale comptant
au moins trois ans de services dans ce corps, nominativement désignés par arrêté
interministériel
les directeurs ou sous-directeurs de la police judiciaire relevant du ministre de l’intérieur
et les directeur ou sous-directeurs de la gendarmerie au ministère des armées.
A l’exception des maires et adjoints, les fonctionnaires ou militaires mentionnés par le texte
ne peuvent exercer les attributions d’officier de police judiciaire ou se prévaloir de cette
qualité que s’ils sont affectés à un emploi comportant cet exercice et en vertu d’une décision
du procureur général près la cour d’appel les y habilitant personnellement. Donc le
fonctionnaire de police ou le gendarme affecté aux archives ne peut se prévaloir de sa qualité
d’officier de police judiciaire.
Les officiers de police judiciaire ont un rôle particulièrement important qu’on aura l’occasion
de voir notamment au cours du second semestre. Notons, pour l’instant que l’article 17 du
Code de procédure pénale énonce qu’ils reçoivent les plaintes et dénonciations et procèdent
aux enquêtes préliminaires et de flagrance. Dans ce cadre, ils peuvent dresser des procès-
verbaux et placer quelqu’un en garde à vue.
Enfin, d’après l’article 19 du Code de procédure pénale, ils doivent informer sans délai le
procureur de la république des infractions dont ils ont connaissance et doivent lui faire
parvenir directement les procès-verbaux qu’ils ont dressés de même que les objets qu’ils ont
saisis (obligation de transmission contraire à la pratique des « indulgences »). Les PV doivent
énoncer la qualité d'OPJ de leur rédacteur.
Lorsqu’une information est ouverte, les OPJ mais pas les APJ peuvent exécuter des actes
d’instruction (par exemple entendre un témoin) sur commission rogatoire du juge
d’instruction.
La compétence territoriale des officiers de police judiciaire est fixée par l’article 18 du
Code de procédure pénale qui énonce qu’ils ont compétence « dans les limites territoriales où
ils exercent leurs fonctions habituelles » ce qui dépend donc de leur place dans la hiérarchie
et de leur fonction exacte. Les règles de compétence sont déterminées en détail par les articles
R. 15-18 à R. 15-27 du Code de procédure pénale. Par exemple, certains officiers de police
judiciaire ont une compétence sur l’ensemble du territoire national comme les fonctionnaires
de police des directions centrales ou de l’IGPN. D’autres ont une compétence au niveau
départemental, comme les gendarmes affectés dans les brigades de recherches ou les brigades
motorisées de la GD ou de la GM.
Il faut noter que l’article 18 prévoit des extensions de compétence territoriale. Ainsi, les
officiers de police judiciaire peuvent se transporter dans le ressort des tribunaux de grande
instance limitrophes du tribunal ou des tribunaux auxquels ils sont rattachés, à l'effet d'y
poursuivre leurs investigations et de procéder à des auditions, perquisitions et saisies. Le texte
ajoute que les ressorts des tribunaux de grande instance situés dans un même département
sont considérés comme un seul et même ressort. Les ressorts des tribunaux de grande instance
de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil sont considérés comme un seul et même ressort.
Le texte prévoit également que les officiers de police judiciaire peuvent, soit sur commission
rogatoire expresse du juge d'instruction si une instruction est ouverte, soit sur réquisitions du
procureur de la République au cours d'une enquête préliminaire ou d'une enquête de flagrance,
procéder aux opérations prescrites par ces magistrats sur toute l'étendue du territoire national.
Ils sont cependant tenus d'être assistés d'un officier de police judiciaire territorialement
compétent si le magistrat dont ils tiennent la commission ou la réquisition le décide. Le
procureur de la République territorialement compétent en est informé par le magistrat ayant
prescrit l'opération.
Enfin, ils peuvent même, sur commission rogatoire expresse du juge d'instruction ou sur
réquisitions du procureur de la République, procéder à des auditions sur le territoire d'un Etat
étranger avec l'accord des autorités compétentes de l'Etat concerné.
B. Les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints
1. Les agents de police judiciaire
L’article 20 CPP donne la liste des fonctionnaires ou militaires possédant la qualité d’APJ. Il
s’agit :
des gendarmes n’ayant pas la qualité d’officier de police judiciaire
des fonctionnaires des services actifs de la police nationale, titulaires et stagiaires, n'ayant
pas la qualité d'officier de police judiciaire
Ici encore, le législateur prévoit que les intéressés ne peuvent exercer effectivement les
attributions attachées à leur qualité d’agent de police judiciaire et se prévaloir de cette qualité
que s’ils sont affectés à un emploi comportant cet exercice.
On notera également que l’article 20-1 CPP, issu d’une loi du 18 mars 2003, dispose que les
fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale à la retraite
ayant eu durant leur activité la qualité d’officier ou d’agent de police judiciaire peuvent
bénéficier de la qualité d’agent de police judiciaire lorsqu’ils sont appelés au titre de la
réserve civile de la police nationale ou au titre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie
nationale. Cette réserve permet d’avoir recours, contractuellement, aux services de volontaires
qui s’engagent à effectuer un certain nombre d’activités permettant de renforcer les effectifs
des officiers de police judiciaire en activité.
L’article 20 CPP texte définit également le rôle des agents de police judiciaire. Ils sont
chargés de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire ; de
constater les crimes, délits ou contraventions et d’en dresser procès-verbal ; de recevoir par
procès-verbal les déclarations qui leur sont faites par toutes personnes susceptibles de leur
fournir des indices, preuves et renseignements sur les auteurs et complices de ces infractions
L’article 21-1 du Code de procédure pénale détermine la compétence territoriale des agents
de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints. Il énonce qu’ils ont compétence
dans les limites territoriales où ils exercent leurs fonctions habituelles ainsi que dans celles où
l'officier de police judiciaire responsable du service de la police nationale ou de l'unité de
gendarmerie auprès duquel ils ont été nominativement mis à disposition temporaire exerce ses
fonctions. Lorsqu'ils secondent un officier de police judiciaire, ils ont compétence dans les
limites territoriales où ce dernier exerce ses attributions en application des dispositions de
l'article 18. En d’autres termes, dans ce cas, ils bénéficient des mêmes extensions de
compétence.
2. Les APJA
L’article 21 CPP dresse la liste des personnes ayant la qualité d’agents de police judiciaire
adjoints :
les fonctionnaires des services actifs de police nationale ne remplissant pas les conditions
prévues par l’article 20
les volontaires servant en qualité de militaire dans la gendarmerie et les militaires servant
au titre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale ne remplissant pas les
conditions prévues par l'article 20-1
les adjoints de sécurité mentionnés à l’article 36 de la loi nº 95-73 du 21 janvier 1995
d’orientation et de programmation relative à la sécurité
les agents de surveillance de Paris
les membres de la réserve civile de la police nationale qui ne remplissent pas les
conditions prévues à l'article 20-1
les agents de police municipale
les gardes champêtres, lorsqu’ils agissent pour l’exercice des attributions fixées au dernier
alinéa de l’article L. 2213-18 du code général des collectivités territoriales, c’est-à-dire
pour constater certaines contraventions du Code pénal dont la liste figure à l’article R15-
33-29-3 du Code de procédure pénale (par exemple, la divagation d'animaux dangereux,
ou les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes)
Le texte détermine la mission de ces agents, qui est de seconder, dans l’exercice de leurs
fonctions, les officiers de police judiciaire ; de rendre compte à leurs chefs hiérarchiques de
tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance ; de constater, en se
conformant aux ordres de leurs chefs, les infractions à la loi pénale et de recueillir tous les
renseignements en vue de découvrir les auteurs de ces infractions ; enfin de constater par
procès-verbal certaines contraventions au code de la route.
Lorsqu’ils constatent une infraction par procès-verbal, les agents de police judiciaire adjoints
peuvent recueillir les éventuelles observations du contrevenant, selon le texte.
S’agissant plus particulièrement des policiers municipaux, l’article 21-2 CPP prévoit qu’ils
doivent non seulement rendre compte de leurs actes au maire, mais encore rendre compte
immédiatement à tout OPJ territorialement compétent, de tous crimes, délits ou
contraventions dont ils ont connaissance. Ils adressent sans délai leurs rapports et procès-
verbaux simultanément au maire et, par l’intermédiaire des OPJ, au procureur de la
République.
La création d’une police municipale relève d’une décision du conseil municipal sur
proposition du maire qui est le titulaire du pouvoir de police dans la commune (CGCT, art. L.
2212-1 s.) et la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la
salubrité publiques (CGCT, art. L. 2212-2). Pendant longtemps, le recrutement se faisait sans
aucune condition ni formation particulière, comme pour tout agent communal. Il existe
aujourd’hui un concours de gardien de police municipal (niveau CAP, brevet des collèges) et
une formation obligatoire cependant assez limitée et d’un niveau inférieur à celle dispensée
aux agents de la police nationale ou aux gendarmes. Les policiers municipaux sont donc des
fonctionnaires territoriaux.
De toute façon, les pouvoirs des agents de police municipale sont limités. Selon l’article L.
2212-5 CGCT, ces agents exécutent, dans la limite de leurs attributions et sous son autorité,
les tâches relevant de la compétence du maire que celui-ci leur confie en matière de
prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité
publiques. Ils sont chargés d'assurer l'exécution des arrêtés de police du maire et de constater
par procès-verbaux les contraventions auxdits arrêtés. Ils constatent également par procès-
verbaux, comme on l’a dit, certaines contraventions au Code de la route dès lors qu'elles ne
nécessitent pas de leur part d'actes d'enquêtes. Ces agents exercent leurs fonctions sur le
territoire communal.
Cependant, la question s’est posée de savoir s’ils devaient ou s’ils pouvaient être armés,
comme les policiers ou gendarmes. Le débat a été vif pour aboutir à ce qu’une loi du 15 avril
1999 (article 8) prévoie que le préfet puisse autoriser nominativement les agents de police
municipale à être armés lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le
justifient. Il faut remarquer que le débat est assez surprenant car la question est moins de
savoir si les agents peuvent être armés que de savoir dans quelles conditions ils peuvent
utiliser une arme. Or, sur ce point, il faut rappeler qu’un policier, national ou municipal, ne
peut se servir de son arme qu’en cas de légitime défense, donc s’il est agressé. Compte tenu
de la faible formation des policiers municipaux, c’est plutôt inquiétant de les voir armés car il
n’est pas certain qu’ils sachent dans quelles conditions juridiques ils sont habilités à se servir
de leur arme. A l’heure actuelle, il y a environ 18000 policiers municipaux, répartis dans 3500
communes et 5000 sont armés.
En complément, on notera que les gendarmes ont plus de liberté dans l’usage d’une arme
qu’ils peuvent notamment utiliser pour arrêter un véhicule qui n’obtempèrent pas à un ordre
d’arrêt, par exemple (V. Code de la défense, art. L. 2338-3).
C. Les fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire
Le législateur confère à certains fonctionnaires ou agents des pouvoirs qui sont ceux des
officiers ou agents de police judiciaire, tout en ne leur donnant pas la qualité correspondante.
Les articles 22 à 29-1 du Code de procédure pénale donnent une liste de ces personnes. On y
trouve des agents de l’administration des eaux et forêts ainsi que les gardes champêtres ; de
nombreux fonctionnaires simplement évoqués par l’article 28 CPP qui renvoie à des lois
spéciales. Il s’agit, notamment, des agents de l’administration fiscale, de l’inspection du
travail, de la police des chemins de fer (agents assermentés de la SNCF) ou encore des agents
de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(DGCCRF). Ces différents agents ne sont compétents et ne possèdent des pouvoirs de police
judiciaire, tels que celui de dresser un procès-verbal d’infraction ou de pénétrer dans certains
lieux, que dans leur domaine particulier d’intervention. Par exemple, les inspecteurs et
contrôleurs du travail sont chargés de relever les infractions au Code du travail (travail
dissimulé, entraves aux IRP, infractions en matière d’hygiène et de sécurité, notamment).
Il faut signaler aussi que l’article 28-1 CPP donne des pouvoirs importants, proches de ceux
d’un OPJ, à certains agents de l’administration des Douanes pour les infractions douanières
mais aussi celles en matière de contributions indirectes, d’escroquerie sur la taxe à la valeur
ajoutée, les vols de biens culturels, les infractions de blanchiment de capitaux ou encore les
infractions en matière de contrefaçon. Le domaine est considérable et les pouvoirs particuliers
des douaniers sont très importants (par ex. visiter les véhicules, les personnes et les lieux où
peuvent se trouver des marchandises de contrebande).
Section III : le contrôle de la police judiciaire
Dans le cadre de ses activités de police judiciaire, le fonctionnaire de police ou le gendarme
peut commettre des actes irréguliers ou illégaux, ce qui pose la question du contrôle desdites
activités. La police judiciaire est placée sous l’autorité du ministère public, comme on l’a vu.
Par conséquent, ses activités font l’objet d’un contrôle par l’autorité judiciaire qui s’ajoute au
contrôle hiérarchique. En outre, si quelqu’un subit un préjudice en raison d’un acte exercé par
un policier ou un gendarme, cette victime peut également agir pour demander réparation.
On peut donc distinguer le contrôle hiérarchique, le contrôle de l’autorité judicaire et
l’éventuelle action exercée par la victime. On ajoutera que l’acte irrégulier peut conduire à
une annulation partielle ou totale de la procédure dans le cadre de laquelle il est intervenu.
Les deux premiers contrôles sont prévus notamment par l’article 19 du décret du 18 mars
1986 (Code de déontologie de la PN) qui dispose que « Outre le contrôle de la chambre
d’accusation (aujourd’hui chambre de l’instruction), qui s’imposent à eux lorsqu’ils
accomplissent des actes de police judiciaire, les personnels de la police nationale sont soumis
au contrôle hiérarchique et au contrôle de l’inspection générale de la police nationale
(IGPN) ».
Ce texte met bien en évidence le statut un peu particulier des fonctionnaires de police qui sont
soumis finalement à deux autorités bien différentes : le ministère de l’Intérieur et le ministère
de la justice.
Quant aux gendarmes, le mécanisme est le même mais il s’agit de la hiérarchie militaire qui
intervient.
§ 1 : Le contrôle hiérarchique
Les fonctionnaires de la police judiciaire sont placés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur
lequel, à la suite d’une procédure spéciale, peut prononcer des sanctions disciplinaires allant
de l’avertissement à l’exclusion définitive. Une enquête peut être conduite, à la demande du
ministre sur plainte d’un particulier, par l’Inspection Générale de la Police Nationale. Pour se
défendre, le fonctionnaire de police ne peut pas invoquer le fait qu’il n’a fait qu’obéir puisque
le Code de déontologie de la police nationale énonce, dans son article 17, que « le subordonné
est tenu de se conformer aux instructions de l’autorité, sauf dans le cas où l’ordre donné est
manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Si le
subordonné croit se trouver en présence d’un tel ordre, il a le devoir de faire part de ses
objections à l’autorité qui l’a donné, en indiquant expressément la signification illégale qu’il
attache à l’ordre litigieux. Si l’ordre est maintenu et si, malgré les explications ou
l’interprétation qui lui en ont été données, le subordonné persiste dans sa contestation, il en
réfère à la première autorité supérieure qu’il a la possibilité de joindre (...) ». Il ne s’agit, en
réalité que de la déclinaison du principe prévu par l’article 122-4 du Code pénal selon lequel
le commandement de l’autorité légitime est une cause d’irresponsabilité seulement lorsque le
commandement reçu n’est pas manifestement illégal.
Le dispositif est identique pour les gendarmes mais les sanctions sont différentes et sont
prévues par l’article L. 4137-2 du Code de la défense, allant de l’avertissement à la radiation
des cadres. Une affaire récente illustre le problème s’agissant d’un chef d’escadron de la
gendarmerie nationale, faisant également partie d’un laboratoire de recherches du CNRS, et
qui avait publié un article dans une revue, dans lequel il critiquait le rapprochement entre
police nationale et gendarmerie. Il a été rayé des cadres pour avoir manqué à son devoir de
réserve et le Conseil d’Etat dans une décision du 11 janvier 2011 a jugé, sur le recours du
gendarme, que si la faute disciplinaire était établie, la sanction était disproportionnée. Le
Conseil d’Etat a donc annulé la sanction et enjoint au Ministre de la défense de réintégrer le
gendarme
Pour conclure sur le contrôle hiérarchique, on notera que l’article 15-2 du Code de procédure
pénale dispose que « les enquêtes administratives relatives au comportement d'un OPJ ou d'un
APJ dans l'exercice d'une mission de police judiciaire associent l'inspection générale des
services judiciaires au service d'enquête compétent. Elles peuvent être ordonnées par le
ministre de la justice et sont alors dirigées par un magistrat ». L’autorité judiciaire a donc déjà
un droit de regard sur les procédures purement hiérarchiques. Cependant, elle exerce aussi
d’autres formes de contrôles.
§ 2 : Le contrôle de l’autorité judiciaire
Il existe deux types de contrôles : un contrôle effectué par le Parquet et un contrôle effectué
par la chambre de l’instruction.
A. Le contrôle du Parquet
L’article 13 du Code de procédure pénale précise que « la police judiciaire est placée, dans
chaque ressort de cour d’appel, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle
de la chambre de l’instruction ». Et l’article 14 alinéa 2 précise que lorsqu’une information est
ouverte, la police judiciaire « exécute les délégations des juridictions d’instruction et défère à
leurs réquisitions ».
Le ministère public a donc un pouvoir de direction sur la police judiciaire. Ce pouvoir
s’exprime par exemple dans le fait que, aux termes de l’article 19-1 du Code de procédure
pénale « La notation par le procureur général de l’OPJ habilité est prise en compte pour toute
décision d’avancement ». Un décret du 28 décembre 1998 précise les modalités de la notation
des OPJ et le contrôle de l'activité judiciaire des officiers de police judiciaire (V. art. D. 44 s.
du Code de procédure pénale).
Il faut ajouter que pour avoir la qualité d’officier de police judiciaire, il faut être habilité, ce
qui relève du seul pouvoir du procureur général et ce dernier peut suspendre ou retirer
l’habilitation, en vertu de son pouvoir de surveillance, lorsque l’agent concerné a manqué à
ses obligations.
S’agissant maintenant du procureur de la République, l’article 12 du Code de procédure
pénale prévoit qu’il dirige la police judiciaire. Plus précisément, comme on le reverra, il
dispose de pouvoirs dans le cadre des enquêtes de police, comme celui de prolonger une garde
à vue ou celui d’autoriser certaines investigations comme les réquisitions adressées à toute
personne qui détient des documents intéressant l’enquête (art. 77-1-1 dans le cadre d’une
enquête préliminaire. Ex : les réquisitions adressées aux opérateurs téléphoniques pour
connaître le titulaire d’une ligne ou les numéros appelés).
En outre, il doit souvent être informé de ce que font les officiers de police judiciaire. Par
exemple, l’article 75-1 alinéa 2 prévoit que « lorsque l'enquête est menée d'office, les officiers
de police judiciaire rendent compte au procureur de la République de son état d'avancement
lorsqu'elle est commencée depuis plus de six mois ». De même, l’article 75-2 énonce que
« l'officier de police judiciaire qui mène une enquête préliminaire concernant un crime ou un
délit avise le procureur de la République dès qu'une personne à l'encontre de laquelle existent
des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction est
identifiée ».
Ces dispositions tendent à renforcer le contrôle du procureur sur la police judiciaire, contrôle
souvent plus théorique que réel et effectif.
B. Le contrôle de la chambre de l'instruction
La chambre de l'instruction constitue une juridiction d’instruction du second degré mais elle
possède aussi un rôle particulier qui est de contrôler l’activité des officiers et agents de police
judiciaire. Ce contrôle est prévu par les articles 224 à 230 du Code de procédure pénale.
La chambre de l'instruction est saisie soit par le procureur général, soit par son président à
moins qu’elle ne se saisisse d’office. Une fois saisie, elle fait procéder à une enquête et elle
entend le procureur général ainsi que le membre de la police judiciaire en cause. Ce dernier a
dû pouvoir prendre connaissance de son dossier et peut se faire assister par un avocat.
La chambre de l'instruction peut alors adresser des observations à l’intéressé ou décider qu’il
ne pourra, temporairement ou définitivement exercer ses fonctions, soit dans le ressort de la
cour d’appel, soit sur l’ensemble du territoire (art. 227). Par ailleurs, si elle estime que les
faits commis sont constitutifs d’une infraction, elle peut aussi ordonner la transmission du
dossier au procureur général à toutes fins utiles, c’est-à-dire que le procureur décidera de
poursuivre ou de classer.
L’article 229 dispose enfin que la décision prise par la chambre de l'instruction est notifiée, à
la diligence du procureur général, à l’autorité dont dépend le membre de la police judiciaire.
On notera que les décisions de la chambre de l'instruction suspendant l'exercice des
fonctions d'OPJ sont immédiatement exécutoires sans qu’il soit besoin d’attendre un acte
d’exécution du supérieur hiérarchique de l’agent (art. 227).
§ 3 : L’action de la victime
Si le manquement du policier ou du gendarme a créé un dommage ou un préjudice pour une
victime (ex : violences ou coup de feu tiré), cette dernière peut engager la responsabilité
pénale ou civile de l’agent
La responsabilité peut être pénale si le fait commis constitue une infraction pénale comme la
violation de domicile, les violences volontaires, l’homicide involontaire, la séquestration
arbitraire... L’auteur de l’acte peut donc être poursuivi devant une juridiction pénale (tribunal
de police, tribunal correctionnel ou cour d’assises selon le cas).
Il faut cependant observer que l’article 6-1 du Code de procédure pénale prévoit une règle
particulière. Il dispose en effet que
« Lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire
impliquerait la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être
exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été
constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie ». Ceci conduit
à restreindre les possibilités de poursuites pénales contre un agent ou un officier de police
judiciaire agissant dans le cadre d’une poursuite puisque si l’infraction dénoncée suppose le
non-respect d’une règle du Code de procédure pénale, il faudra d’abord établir cette violation
de la règle de procédure pénale. Par exemple, il n’est possible de se plaindre d’une
séquestration arbitraire dans le cadre d’une garde à vue tant que la nullité de la garde à vue
n’a pas été prononcée. La règle est logique puisqu’il s’agit d’être cohérent et de ne pas
permettre une poursuite pénale alors que l’acte serait dans le même temps jugé régulier.
Comme il faut donc d’abord contester la légalité de l’acte, l’article 6-1 prévoit que le délai de
prescription de l’action publique relatif à l’infraction supposée commise est suspendu et qu’il
ne court qu’à compter de la décision qui établit définitivement le caractère illégal de l’acte.
La victime du dommage résultant de cette infraction peut exercer son action civile devant la
juridiction pénale accessoirement à l’action publique exercée par le Parquet mais elle peut
aussi préférer agir sur le terrain de la responsabilité civile uniquement, pour obtenir une
indemnisation.
Chapitre 2 : le ministère public
Il faut cependant distinguer, au sein de la magistrature, deux types de magistrats :
- les magistrats qui prononcent des décisions, qui rendent des jugements. On les appelle
encore les juges du siège parce que dans le tribunal ils sont assis derrière un bureau lui-même
placé sur une estrade. On parle aussi, à leur propos de la « magistrature assise ».
- les magistrats qui requièrent des peines parce que leur fonction est de défendre
l’intérêt général et de protéger l’ordre public troublé par l’infraction. Ces magistrats ne
sont pas à proprement parler des « juges » (ils ne rendent pas de jugements) : ce sont les
membres du ministère public On les appelle encore magistrats du Parquet parce que sous
l’ancien Régime, les procureurs et avocats du Roi ne siégeaient pas sur la même estrade que
les juges mais sur le « parquet » de la salle d’audience. Parfois encore, on les appelle la
« magistrature debout » parce qu’ils se lèvent pour requérir une peine contre l’auteur de
l’infraction.
Les membres du Ministère Public exercent l’action publique laquelle, on le verra plus tard, a
pour objet de réparer le trouble porté par l’infraction à la société. Le CPP, dans son art. 1er
l’appelle encore « action pour l’application des peines ». Cette action appartient à la société,
donc à l’Etat et à lui seul. Aussi, les magistrats qui ont pour fonction d’exercer l’action
publique, autrement dit les membres du Ministère Public, sont des agents du pouvoir exécutif,
des représentants de l’Etat.
Le ministère public constitue une institution très particulière en procédure pénale, même s’il
joue également un rôle devant les juridictions civiles, parce qu’il est le représentant de la
société dont il est chargé de défendre les intérêts. On analysera successivement son
organisation puis son rôle.
Section 1 : l’organisation du ministère public
Les membres du Ministère Public sont soumis à un statut particulier en raison de leur rôle de
représentants de la société dans le procès. Ce statut diffère sensiblement de celui des
magistrats du siège car ces derniers bénéficient d’une indépendance contrairement aux
magistrats du parquet. Or, la question de la dépendance des membres du parquet, qui est une
question assez ancienne, a pris une importance considérable ces dernières années en raison,
une fois encore, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la
Cour de cassation.
Après avoir vu le statut du ministère public, on s’intéressera aux caractères que présente ce
corps de magistrats.
§ 1 : Le statut du ministère public
Selon l’article 64 de la Constitution de 1958, le Président de la République est garant de
l’indépendance de l’autorité judiciaire et il est assisté par le Conseil supérieur de la
magistrature (CSM) qui intervient dans la nomination des magistrats et exerce des fonctions
disciplinaires.
L’organisation et la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature ont fait l’objet de
plusieurs réformes dont la dernière résulte d’une loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et
d’une loi organique du 22 juillet 2010.
La constitution (art. 65) dispose, depuis cette réforme, que le Conseil supérieur de la
magistrature est présidé, dans sa formation plénière, par le premier président de la Cour de
cassation. Toujours selon ce texte, le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux
formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats
du parquet. C’est ici qu’apparaît la différence de statut des magistrats, qui se mesure, d’une
part, par le mode de nomination et, d’autre part, par le régime disciplinaire des magistrats.
La formation du CSM compétente à l'égard des magistrats du siège est présidée par le premier
président de la Cour de cassation et comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du
parquet, un conseiller d'État désigné par le Conseil d'État, et six personnalités n'appartenant ni
au Parlement ni à l'ordre judiciaire ni à l’ordre administratif. Le Président de la République, le
Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun deux
personnalités qualifiées.
La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet est présidée par le procureur
général près la Cour de cassation et comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du
siège, le conseiller d'État et les six personnalités appartenant à la première formation. On
constate donc que les magistrats, depuis 2008, ne sont plus majoritaires, dans chacune des
deux formations. Les personnalités extérieures sont, à l’heure actuelle, essentiellement des
professeurs de droit (3).
Le rôle de ces deux formations est le suivant :
- la formation compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les
nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation et pour celles de premier président
de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres
magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme. Par conséquent, pour les postes les
plus importants (environ 400), cette formation dispose d’un pouvoir d’initiative consistant à
recenser les candidatures, à les étudier et à faire les propositions au président de la
République. Pour toutes les autres nominations de magistrats du siège, la formation dispose
d’un pouvoir d’avis conforme. C’est le garde des Sceaux qui propose les nominations, la
formation étudie les dossiers puis elle donne un avis qui lie le garde de Sceaux c’est-à-dire
que si l’avis est favorable, le magistrat doit être nommé et inversement.
En outre, cette formation du CSM constitue une instance disciplinaire des magistrats du siège.
- la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis pour les
nominations concernant ces derniers. Elle dispose d’un pouvoir d’avis simple qui ne lie pas le
ministre pour toutes les nominations à des postes du parquet proposées par le garde des
Sceaux. Les procureurs généraux sont, quant à eux, nommés en Conseil des ministres tout
comme le procureur général près la Cour de cassation. Cependant le CSM rend également un
avis sur ces nominations et la question s’est posée très récemment puisque le procureur
général près la cour de cassation a changé à la suite du départ en retraite du précédent (Jean-
Louis Nadal). En l’occurrence, le garde des Sceaux a saisi en juillet 2011 le CSM d’une
proposition de nomination de M. Jean-Claude Marin et le CSM a rendu un avis favorable. M.
Marin a donc été nommé en Conseil des ministres le 27 juillet. Le ministre avait fait savoir au
préalable que, quoique non lié par cet avis, il le suivrait.
La formation du CSM-parquet a aussi un rôle disciplinaire et elle donne son avis sur les
sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet, qui sont prises par le garde des
Sceaux. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.
Les magistrats du parquet sont donc dépendants du pouvoir exécutif et du pouvoir politique.
En fait, cette dépendance a toujours existé et elle a été voulue par Napoléon qui souhaitait la
recomposition d’un ministère public fort (pour lutter contre l’impunité des crimes, comme on
disait à l’époque) sans pour autant que les magistrats qui le composent fussent puissants. Cette
conception du ministère public correspond aussi à une conception de la souveraineté de l’Etat
qui veut que la justice soit rendue en son nom.
Les textes se limitent donc à perpétuer une tradition inscrite dans le du Code de procédure
pénale. En effet, l’article 30, issu de la loi du 9 mars 2004 et modifié par une loi du 25 juillet
2013, énonce sans ambiguïté que « le ministre de la justice conduit la politique pénale
déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de
la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions
générales ».
Ce texte prévoit donc la possibilité pour le ministre de diriger la politique pénale des
poursuites en donnant des instructions pour, par exemple, poursuivre systématiquement telle
ou telle forme de délinquance (travail dissimulé, violences familiales etc.). Jusqu’à juillet
2013, le ministre avait également la possibilité de donner des instructions dans des dossiers
particuliers, par l’intermédiaire du procureur général qui devait transmettre l’ordre au
procureur de la République en vertu du principe de subordination hiérarchique (voir infra). Ce
pouvoir a disparu depuis la loi du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux
et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de
l'action publique qui a modifié l’article 30 CPP afin de prévoir expressément que le garde des
Sceaux ne peut adresser au ministère public aucune instruction dans des affaires individuelles.
L’objectif est donc de faire disparaître la suspicion d’une soumission des magistrats du
parquet au pouvoir politique par l’intermédiaire de la hiérarchie. Cependant, il ne faut sans
doute pas exagérer la portée du nouveau texte. D’une part, les cas d’instructions individuelles,
nécessairement écrites, étaient rares en pratique et tous les ministres de la justice depuis de
nombreuses années, se défendent d’avoir voulu exercer une pression sur le ministère public.
D’autre part, les instructions individuelles pourraient n’être pas écrites et donc ne laisser
aucune trace…
Même après la loi de juillet 2013, la question demeure de savoir s’il faut rendre le parquet
indépendant ou au moins plus indépendant qu’il ne l’est, ce qui est, d’abord, une question de
statut. La question est complexe car il est juridiquement légitime de considérer que c’est le
gouvernement qui doit diriger la politique pénale, cette dernière faisant finalement partie de la
politique d’un gouvernement, à l’instar de la politique économique, sociale ou culturelle.
Comment cet objectif pourrait-il être rempli si les procureurs étaient indépendants ?
En réalité, la voie moyenne qui est concevable est celle d’un alignement du statut des
magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, c’est-à-dire une nomination sur
initiative et avis conforme du CSM.
La question se pose de manière pressante car la Cour européenne des droits de l'homme et la
Cour de cassation ont rendu récemment des décisions qui pourraient créer des difficultés
importantes à l’avenir.
Ainsi, dans un arrêt Moulin contre France du 23 novembre 2010, la Cour européenne des
droits de l'homme a jugé que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en
France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui compte, au
même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de
« magistrat » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales. En l’occurrence, le problème, posé dans le cadre
d’une garde à vue, était de savoir si la présentation de la personne devant le procureur de la
République, qui est prévue par le Code de procédure pénale, respecte l’article 5 3° de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
qui exige que la personne placée en garde à vue soit présentée devant un juge ou un magistrat
habilitée à exercer des fonctions judiciaires. Or, la réponse est négative.
La Cour de cassation a pris position dans le même sens par des arrêts du 15 décembre 2010 et
du 18 janvier 2011 dans lesquels elle juge également que le procureur de la République ne
présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité et, étant partie poursuivante, n’est
pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, même si elle a trouvé un
moyen de ne pas en déduire la nullité de la garde à vue (voir TD).
La question est donc grave et le législateur fait semblant de l’ignorer puisqu’il a maintenu,
dans la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, le mécanisme antérieur consistant à faire
contrôler la garde à vue par le procureur de la République. Il y aura donc inévitablement
d’autres condamnations de la France et d’autres modifications des textes…
§ 2 : Les caractères du ministère Public
Le fait que le ministère public soit le représentant du pouvoir exécutif donne à ce dernier un
certain nombre de caractères : la subordination hiérarchique, l’indivisibilité et
l’irresponsabilité.
A. La subordination hiérarchique
Alors que les magistrats du siège ne reçoivent d’ordre de personne et jugent uniquement
d’après leur conscience, les magistrats du parquet reçoivent des ordres de leurs supérieurs
hiérarchiques. Au sommet de la hiérarchie, se trouve donc le garde des Sceaux qui est, sans en
avoir la qualité, le chef du ministère public. Il peut donner des ordres sous forme
d’instructions générales au procureur général près la Cour de cassation et aux procureurs
généraux près les cours d’appel (art. 30 CPP). En revanche, les instructions individuelles lui
sont désormais interdites, comme on l’a vu.
Les pouvoirs hiérarchiques du procureur général sont énoncés aux articles 35 et 36 du Code
de procédure pénale. Le premier texte, modifié par la loi de 2013, énonce que le procureur
général veille à l’application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d’appel
et au bon fonctionnement des parquets de son ressort. Il anime et coordonne l'action des
procureurs de la République tant en matière de prévention que de répression des infractions à
la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la
justice au contexte propre au ressort. Il procède à l'évaluation de leur application par les
procureurs de la République.
L’article 36 renforce le pouvoir hiérarchique du procureur général sur le procureur de la
République en prévoyant que « le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la
République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de
faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites
que le procureur général juge opportunes ». Ce texte permet donc des instructions dans des
dossiers particuliers du procureur général au procureur de la République alors que le ministre
de la justice ne peut plus en donner (par écrit) à un procureur général.
Enfin, le procureur de la République a autorité sur les substituts et, en vertu de l’article 44
CPP, sur les officiers du ministère public, qui sont les représentants du ministère public
devant les tribunaux de police de son ressort, auxquels il peut leur enjoindre d’exercer des
poursuites. Selon l’article 39-1 du Code de procédure pénale (rédaction loi 2013), le
procureur, en tenant compte du contexte propre à son ressort, met en œuvre la politique pénale
définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant,
adaptées par le procureur général. Le texte rappelle donc la subordination au pouvoir exécutif.
A chaque échelon, les membres du parquet sont notés par leur chef et par le procureur
général.
Cette subordination entraîne, pour les subordonnés, l’obligation d’informer leur supérieur
direct. Ainsi, par exemple, le procureur général près la cour d’appel doit tenir le Garde des
Sceaux informé des affaires importantes de son ressort afin de solliciter ses instructions (art.
35). De même, le procureur de la République doit informer le procureur général et lui adresser
régulièrement un état des affaires de son ressort (art. 39-1).
Un manquement à l’obéissance expose le subordonné à des sanctions disciplinaires. Jusqu'à
présent, à la différence des juges du siège, les magistrats du parquet sont amovibles et
révocables. Le Garde des Sceaux qui entend prononcer une sanction contre un membre du
parquet désobéissant (rappel à l’ordre, déplacement, rétrogradation, révocation) doit prendre
l’avis du CSM statuant en matière disciplinaire. Mais cette formation ne donne qu’un avis qui
ne lie pas le ministre. En outre, si le magistrat intéressé estime la sanction non fondée et saisit
le conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir, ce dernier s’estimera incompétent au
nom de la séparation des pouvoirs (Arrêt Dorly du 26 juin 1953). En matière disciplinaire, le
magistrat du parquet est donc entièrement soumis au pouvoir discrétionnaire du ministre.
Cette subordination hiérarchique des membres du parquet connaît toutefois deux limites :
En premier lieu, selon l’article 31 CPP, le procureur de la République est investi d’un
pouvoir propre. Cette expression signifie que si, par exemple, un procureur de la République
décide de poursuivre contre l’avis du procureur général, la poursuite est valable. L’inverse est
aussi possible : le procureur de la République peut décider de ne pas poursuivre en dépit de
l’ordre du procureur général et celui-ci ne peut pas se substituer à lui car un acte relatif à la
poursuite ne peut être fait que par le membre du parquet auquel la loi donne compétence.
En second lieu, si les subordonnés doivent, dans leurs conclusions écrites, se conformer aux
ordres qu’ils ont reçus, ils peuvent à l’audience exposer leurs convictions personnelles et
formuler des réquisitions orales contraires à leurs conclusions écrites. C’est ce qu’exprime
l’adage selon lequel « la plume est serve mais la parole est libre » que reprend l’article 33
CPP qui énonce que le ministère public « est tenu de prendre des réquisitions écrites
conformes aux instructions qui lui sont données » mais « développe librement les
observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice ». En pratique, cela n’arrive
jamais…
B. L’indivisibilité
Les magistrats du ministère public sont considérés juridiquement comme ne formant qu’une
seule et même personne : la fonction absorbe la personnalité de chacun de ses membres. Celui
qui agit ou qui parle ne le fait pas en son nom, mais au nom du parquet tout entier, au nom du
ministère public parce qu’il représente l’intérêt général. Les membres du parquet sont donc
interchangeables : ils peuvent toujours se remplacer mutuellement dans une même affaire et
même durant le jugement. Au contraire, un juge du siège ne peut jamais se faire remplacer par
un autre juge sous peine de nullité de la procédure.
C. L’irresponsabilité
Les membres du ministère public ne peuvent voir leur responsabilité recherchée à raison de
l’exercice de leurs fonctions, par exemple, à la suite de réquisitions en vue d’une
condamnation, suivies d’une relaxe ou d’un acquittement. Le même principe s’applique aux
juges du siège pour une ordonnance de non-lieu ou d’un jugement de relaxe ou, au contraire
une condamnation injustifiée, ultérieurement révisée. Mais cette irresponsabilité n’est pas
absolue : si le magistrat, du parquet comme du siège, a commis une faute personnelle, sa
responsabilité civile peut être mise en jeu par la procédure dite de la prise à partie régie par
l’art. L. 141-3 du Code de l’organisation judiciaire : la victime peut assigner l’Etat devant une
juridiction de l’ordre judiciaire et l’Etat dispose d’une action récursoire contre le magistrat
fautif.
En outre, le magistrat du parquet, comme du siège d’ailleurs, peut commettre des fautes
disciplinaires entraînant des sanctions. L’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut
de la magistrature prévoit quelles sont les sanctions encourues. L’article 43 expose que « tout
manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la
dignité, constitue une faute disciplinaire ». Il précise que « constitue un des manquements aux
devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure
constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice
devenue définitive. La faute s'apprécie pour un membre du parquet (…) compte tenu des
obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique ».
Il faut noter une évolution récente et importante issu de la réforme constitutionnelle de 2008.
L’article 50-3 de l’ordonnance de 1958, issu d’une loi organique du 22 juillet 2010, prévoit
que « tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant le
comportement adopté par un magistrat du siège dans l'exercice de ses fonctions est
susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la
magistrature ». L’article 63 prévoit le même dispositif à l’encontre des magistrats du
parquet. Le texte précise qu’à peine d'irrecevabilité, la plainte ne peut être dirigée contre un
magistrat lorsque le parquet ou le parquet général auquel il appartient demeure chargé de la
procédure. Elle ne peut être présentée après l'expiration d'un délai d'un an suivant une
décision irrévocable mettant fin à la procédure. Le texte permet donc au justiciable de mettre
en cause la responsabilité du magistrat mais à condition que l’affaire ne soit pas en cours, afin
d’éviter des pressions évidentes.
En conclusion, les magistrats sont de moins en moins irresponsables. A titre d’exemple, le
CSM a considéré, dans un avis du 8 janvier 2010, que constituait une faute disciplinaire pour
un vice-procureur de la République, le fait de laisser en déshérence de nombreuses procédures
pénales et civiles, ce qui a entraîné, pour les premières des classements sans suite en raison de
la prescription. Le CSM a jugé que « la continuité des retards reprochés à M. X et la gravité
des carences relevées dans le règlement ou le traitement des procédures dont il était
responsable, manifestent, outre une incapacité d’organisation reconnue – dans le cadre d’un
service dont la charge n’était pas excessive –, un désengagement persistant dans l’exercice de
ses fonctions et une absence de sens des responsabilités qui lui étaient confiées ». « De tels
comportements, qui ont compromis le bon fonctionnement du parquet (…) révèlent une
absence du sens des responsabilités et constituent des manquements aux devoirs de l’état de
magistrat, portant atteinte à la dignité de sa charge et au crédit de l’institution judiciaire ». Le
CSM a donc rendu un avis de sanction consistant dans une rétrogradation assortie d’un
déplacement d’office. Dans un autre avis du 23 octobre 2009, les faits étaient très graves
puisqu’il s’agissait d’agressions sexuelles multiples commises avant que l’intéressé, substitut
du procureur, ne fasse partie de la magistrature (il était avocat à l’époque des faits). Le CSM a
émis un avis de révocation.
Section 2 : le rôle du ministère public
Le ministère public est une institution originale. Nous avons vu que le droit de poursuivre le
délinquant peut être reconnu soit à une personne privée victime de l’infraction (système
accusatoire), soit être réservé exclusivement à un agent de l’Etat (système inquisitoire).
Depuis le code d’instruction criminelle de 1808, le droit de poursuivre le délinquant est confié
prioritairement au ministère public à travers l’exercice de l’action publique. Le ministère
public est donc, en premier lieu, une autorité de poursuite (§ 1). En même temps, l’exercice de
l’action publique, à travers le procès pénal, a pour but la réparation du trouble causé par
l’infraction à la société. Le ministère public qui représente la société est donc aussi une
véritable partie à l’instance pénale (§ 2).
On notera, à titre liminaire que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance
a inséré un article 39-2 (depuis la loi de 2013) dans le Code de procédure pénale, conférant un
nouveau rôle au procureur de la République en matière de prévention. Le texte prévoit que,
dans le cadre de ses attributions en matière d’alternative aux poursuites, de mise en
mouvement et d’exercice de l’action publique, de direction de la police judiciaire, de contrôle
d’identité et d’exécution des peines, le procureur de la République veille à la prévention des
infractions à la loi pénale. A cette fin, il anime et coordonne dans le ressort du tribunal de
grande instance la politique de prévention de la délinquance dans sa composante judiciaire,
conformément aux orientations nationales de cette politique déterminées par l’Etat, telles que
précisées par le procureur général. Il est également consulté par le représentant de l’Etat dans
le département avant que ce dernier n’arrête le plan de prévention de la délinquance.
§ 1 : Le ministère Public, autorité de poursuite
En tant qu’autorité de poursuite, le ministère public, selon l’article 31 CPP, exerce l’action
publique et requiert l’application de la loi « dans le respect du principe d'impartialité auquel il
est tenu » si l’on en croit la loi du 25 juillet 2013. De ce point de vue, il faut bien distinguer
deux notions voisines : la mise en mouvement de l’action publique, d’une part, et l’exercice
de l’action publique, d’autre part.
L’article 1er CPP fait d’ailleurs cette distinction. Il affirme en effet que « l’action publique
pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les
fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. Cette action peut aussi être mise en
mouvement par la partie lésée dans les conditions déterminées par le présent code ».
Ainsi, l’action publique peut être mise en mouvement, c’est-à-dire « déclenchée » aussi bien
par le parquet que par la victime. Nous verrons plus tard que la victime met en mouvement
l’action publique en se constituant partie civile au procès pénal, c’est-à-dire en formant devant
le juge pénal une demande en réparation du préjudice que lui a causé l’infraction. La mise en
mouvement de l’action publique est l’acte initial de la poursuite, celui par lequel l’action
publique est déclenchée et qui saisit la juridiction d’instruction ou la juridiction de jugement.
Elle est le premier acte de l’exercice de l’action publique mais elle ne constitue pas à elle
seule l’exercice de l’action publique.
En effet, l’exercice proprement dit de l’action publique comprend l’ensemble des actes par
lesquels l’action, une fois mise en mouvement, se poursuit jusqu’à la décision définitive
rendue par une juridiction d’instruction ou de jugement. Cet exercice de l’action publique
consiste donc dans les réquisitions prises pendant l’instruction et au moment du jugement. On
comprend donc que seul le ministère public, et à titre exceptionnel, certaines administrations,
puissent exercer cette action publique. En revanche, concernant la mise en mouvement de
l’action publique, on conçoit aisément qu’au ministère public puisse venir s’ajouter la victime
de l’infraction.
Ainsi, le parquet poursuit le délinquant, met en mouvement et exerce l’action publique mais il
ne décide pas lui-même : ce sont les magistrats du siège qui prendront une décision. Le
ministère public est donc partie au procès et non juge (ce qui exclut donc qu’il soit impartial).
§ 2 : Le ministère public, partie au procès pénal
Le parquet est une partie au procès pénal mais une partie originale parce qu’il agit au nom de
la société aux intérêts de laquelle l’infraction a porté atteinte. Il s’en déduit qu’il bénéficie de
certaines prérogatives.
A la différence du processus applicable en matière civile, où il peut agir tantôt comme partie
principale, tantôt et le plus souvent comme partie jointe, le ministère public est toujours partie
principale au procès pénal car c’est toujours lui qui exerce l’action publique même lorsque
cette dernière a été mise en mouvement par la partie lésée. Il doit donc toujours être
représenté au sein de toutes les juridictions pénales.
A. Les prérogatives du ministère public
Le Ministère Public est demandeur au procès pénal en ce qu’il requiert l’application d’une
peine et, plus généralement, l’application de la loi pénale. Mais sa qualité de demandeur au
nom de la société lui confère des droits particuliers qui vont se manifester tant au cours de
l’instruction que pendant l’audience et après le jugement.
- Au cours de l’instruction : le ministère public bénéficie des garanties accordées à une partie
au procès. Mais il a en plus un véritable pouvoir de direction sur l’instruction et que n’a pas,
par exemple, la victime. Ainsi, d’après l’article 131 CPP, il doit donner son avis pour la
délivrance par le juge d’instruction d’un mandat d’arrêt ainsi que pour la main levée de la
mise sous contrôle judiciaire (art. 140 CPP) ou encore pour la mise en détention provisoire
(art. 145 et 146 CPP). D’après l’article 148 alinéa 2 CPP, il doit présenter ses réquisitions sur
toute demande de mise en liberté formée par le mis en examen. Bien plus, lorsque le JLD ou
le juge d’instruction ont décidé la mise en liberté, le procureur peut interjeter appel de
l’ordonnance en saisissant le premier président de la Cour d’appel d’un référé-détention (art.
148-1-1 CPP). Enfin, il a le droit de requérir du juge d’instruction, à toute époque de
l’information, tous les actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité (art. 82 alinéa 1
CPP), de même qu’il peut assister aux interrogatoires et confrontations de la personne
poursuivie, aux auditions de la partie civile et du témoin assisté (art. 119 CPP) et aux
transports sur les lieux et aux perquisitions (art. 92 CPP).
En tant que demandeur dans le procès, il a le droit d’interjeter appel de toutes ordonnances du
juge d’instruction (art. 185 CPP) et, à cet égard, son droit est nettement plus étendu que celui
de la personne mise en examen ou de la partie civile qui ne peuvent, elles, faire appel que de
certaines ordonnances (art. 186). Enfin, il est le seul à pouvoir, d’après l’art. 190 CPP,
demander la réouverture de l’instruction (après une ordonnance de non-lieu) pour charges
nouvelles (déclarations de témoins, photographies, éléments portant sur la responsabilité
mentale du mis en examen, éléments recueillis au cours d'une autre information).
- Pendant l’audience : sa qualité de demandeur lui confère aussi des droits particuliers au
cours du jugement. Il présente ses conclusions à l’audience et, dans un réquisitoire oral qui
contient l’exposé des faits, il expose les preuves et requiert l’application d’une peine (art.
346 et 458 CPP) ou bien la relaxe ou encore une dispense de peine. Il doit être présent à la
lecture de la décision du tribunal.
- Après le jugement : toujours en sa qualité de demandeur, le ministère public peut attaquer la
décision intervenue en usant des voies de recours. Il peut interjeter appel des jugements
que ceux-ci soient des jugements de relaxe ou de condamnation ; dans ce dernier cas, il a
même la possibilité de demander à la cour d’appel de prononcer une peine plus sévère que
celle qui a été prononcée en première instance. C’est ce que l’on appelle l’appel a minima.
Enfin, il peut former un pourvoi en cassation contre toutes décisions.
Enfin, le parquet est chargé de l’exécution des peines et de façon plus générale, de
l’exécution de toute décision de justice (art. 32 al. 3 CPP). A ce titre, il peut ordonner à la
force publique de rechercher et d’interpeller le condamné.
B. La représentation du ministère public
Étant partie principale au procès pénal, le ministère public doit être représenté au sein de
toutes les juridictions pénales. Parmi l’ensemble de ces juridictions pénales, il faut distinguer
les juridictions pénales de droit commun et les juridictions pénales spécialisées.
1. Les juridictions pénales de droit commun
- Devant le tribunal de police, il n’existe pas de parquet spécial. Les fonctions du ministère
public sont exercées par les personnes énumérées par les articles 45 et suivants du CPP, c’est-
à-dire soit le procureur de la République du TGI dont la présence est obligatoire pour les
contraventions de la 5ème classe et simplement facultative pour les autres contraventions, soit
par le commissaire de police du lieu où siège le tribunal de police. On l’appelle l’officier du
ministère public (OMP). Devant la juridiction de proximité, les règles de représentation du
ministère public sont les mêmes que pour le tribunal de police.
- Devant le tribunal correctionnel, les fonctions du ministère public sont assurées par le
procureur de la République qui peut être assisté, selon l’importance du tribunal, de procureurs
adjoints ou de substituts (art. 39 CPP).
- Devant la cour d’assises, le ministère public est représenté soit par le procureur général près
la cour d’appel ou un avocat général près la cour d’appel si la cour d’assises siège à la cour
d’appel (art. 34 : cas de la cour d’assises du Nord, siégeant à Douai), soit par le procureur de
la République si elle siège dans un tribunal de grande instance (art. 39 : cas de la cour
d’assises du Pas-de-Calais, siégeant à Saint-Omer).
- Devant la cour d’appel, dans ses formations de chambre de l’instruction et de chambre des
appels correctionnels, le ministère public est représenté par le parquet général qui comprend
le procureur général et des avocats généraux.
- Enfin, devant la Cour de cassation, le ministère public est représenté par le parquet général
qui comprend le procureur général près la cour de cassation, un premier avocat général et 18
avocats généraux dont 6 sont attachés à la chambre criminelle. Devant la Cour de cassation,
par exception à la règle générale, le ministère public est partie jointe au pourvoi formé par les
parties sauf dans le cas de pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi où il est demandeur (art.
620 et 621 CPP). En d’autres termes, le parquet de la Cour de cassation n’exerce pas l’action
publique. Il donne son avis sur le problème juridique posé mais ne réclame pas, à proprement
parler, l’application de la loi pénale ni la condamnation du prévenu (par exemple).
2. Les juridictions pénales spécialisées
- Il faut noter d’abord que la Haute Cour, compétente pour juger le Président de la
République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec
l’exercice de son mandat » (art. 68 de la Constitution) et qui peut prononcer sa destitution,
n’est pas une véritable juridiction car elle est composée uniquement des parlementaires réunis
et que les motifs du jugement sont d’ordre politique et non pas juridiques, contrairement à
l’ancienne institution de la Haute cour de Justice (avant la réforme du 23 février 2007) qui
pouvait juger le Président pour Haute trahison, ce qui correspondait à une accusation pénale.
Ne s’agissant pas d’une juridiction, la Haute Cour ne comprend aucun magistrat ni du siège ni
du parquet.
- Devant la Cour de justice de la République, compétente pour juger les membres du
gouvernement pour les crimes et délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions selon
l’article 68-1 et 68-2 de la Constitution, le ministère public est représenté par le procureur
général près la cour de cassation. Il s’agit ici d’une véritable juridiction pénale dont la
composition est particulière.
- Enfin, devant les juridictions pour mineurs, le ministère public est représenté soit par le
procureur de la République devant le juge des enfants et le tribunal pour enfants, soit par un
magistrat du parquet général devant la cour d’appel, soit par le procureur général près la cour
d’appel devant la cour d’assises des mineurs.
Chapitre 3 : Les juridictions répressives
Elles jouent naturellement un rôle fondamental puisque ce sont elles qui vont décider du sort
des personnes poursuivies par le ministère public. Elles interviennent donc nécessairement
après ce dernier car elles ne peuvent pas se saisir elles-mêmes mais uniquement sur décision
du parquet. En pratique, il est concevable que le procureur fasse juger directement un
délinquant mais il est aussi possible qu’il soit nécessaire de procéder à une instruction
préparatoire soit en raison de la nature des faits, c’est-à-dire s’il s’agit d’un crime puisque
l’instruction est obligatoire en matière criminelle, soit en raison de la complexité des faits qui
ne peuvent pas être immédiatement jugés. C’est la raison pour laquelle il faut distinguer deux
types de juridiction, celles d’instruction chargées de mettre les affaires en état d’être jugées et
celles de jugement, qui statuent sur la culpabilité et les sanctions applicables aux personnes
poursuivies. On observera d’ailleurs que d’autres juridictions peuvent encore intervenir
ultérieurement, à savoir les juridictions d’application des peines comme le juge de
l'application des peines ou le tribunal de l’application des peines.
On étudiera donc d’abord quelles sont les juridictions pénales puis quelles sont les règles de
compétence, d’attribution et territoriale, de ces juridictions.
Section 1 : La nature des juridictions répressives
Il faut ici distinguer les juridictions d’instruction des juridictions de jugement.
Sous-section 1 : Les juridictions d’instruction
Il s’agit d’abord du juge d'instruction, au centre du dispositif mais aussi des débats sur son
avenir. Il faut ajouter qu’un autre magistrat, le juge des libertés et de la détention, intervient
dans le cadre de l’instruction, depuis la loi du 15 juin 2000. Le juge d'instruction constitue,
avec le juge des libertés et de la détention, la juridiction d’instruction du premier degré alors
que la chambre de l’instruction intervient comme juridiction du second degré.
§ 1 : Les juridictions d’instruction du premier degré
On verra successivement le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention.
A. Le juge d'instruction
Comme on l’a déjà dit, en janvier 2009, le Président de la République avait annoncé que le
juge d'instruction tel qu’il existe actuellement, allait être supprimé, ce qui a provoqué un très
vif débat. En fait, ce n’est pas un débat nouveau et cette idée a déjà été avancée souvent mais
n’a jamais abouti. Un vaste projet de réforme de la procédure pénale a été lancé et n’a
débouché sur rien pour l’instant.
Le juge d'instruction a longtemps été un magistrat très puissant. Cependant, de nombreuses
réformes ont rogné, peu à peu, ses prérogatives et notamment une des plus importantes, à
savoir la faculté de placer un mis en examen en détention provisoire. C’est d’ailleurs à cette
occasion qu’a été créée une autre juridiction, le juge des libertés et de la détention, à qui a été
confiée cette tâche.
Par ailleurs, le législateur a accordé de plus en plus de droits aux parties à l’instruction,
procureur, mis en examen et partie civile, ce qui a pour conséquence que le juge d'instruction
ne fait plus, aujourd’hui, ce qu’il veut, agissant sous le contrôle des parties et de la chambre
de l’instruction.
Enfin, on notera que le nombre d’affaires qui sont déférées au juge d'instruction ne cesse de
décroitre et ne représente plus que moins de 5 % des affaires pénales, ce qui permet de
relativiser les débats autour de son éventuelle suppression, même si les affaires en question
restent les plus graves et les plus importantes. Ceci s’explique par le fait que le législateur,
sans supprimer le juge d'instruction, a contré son importance en renforçant les pouvoirs du
ministère public, notamment dans le cadre des enquêtes de police, comme on le verra au
second semestre. A titre d’exemple, le procureur peut, à certaines conditions, obtenir du juge
des libertés et de la détention, dans le cadre d’une enquête de police portant sur certaines
infractions, l’autorisation de procéder à des écoutes téléphoniques alors que c’était une
prérogative réservée au juge d'instruction depuis 1991 (art. 706-95).
On va voir d’abord quel est le statut et les modalités de nomination du juge d'instruction puis
le regroupement en pôles de l’instruction, depuis 2008, devant déboucher sur la collégialité.
On dira ensuite quelques mots sur le rôle du juge d'instruction.
1. Statut et nomination du juge d'instruction
Le juge d'instruction constitue donc la juridiction d’instruction de premier degré et il s’agit
d’un juge du TGI, statuant comme juge unique, du moins pour l’instant (voir infra). Il existe
au moins un juge d’instruction par TGI et il a la même compétence territoriale que ce tribunal.
Il est donc compétent pour instruire sur les faits commis dans ce ressort ou si l’un des suspects
réside ou a été arrêté ou encore est détenu dans un établissement pénitentiaire de ce ressort
(art. 52 CPP).
Le juge d’instruction est nommé à cette fonction pour une durée indéterminée, par décret du
Président de la République sur proposition du Garde des Sceaux et après avis conforme du
Conseil supérieur de la magistrature. Cependant, la loi du 25 juin 2001 limite, pour l’avenir, la
durée des fonctions du juge d'instruction à 10 ans dans le même tribunal. En cas de nécessité,
un autre juge du TGI peut être nommé temporairement à la fonction de juge d’instruction en
cas, par exemple, de surcharge de travail pour le juge déjà désigné (art. 50 CPP). Lorsque le
juge d’instruction, nommé à cette fonction, est empêché par une raison quelconque (absence,
maladie), le TGI désigne l’un de ses juges pour le remplacer dans cette fonction. On ne
confondra pas cette hypothèse avec celle prévue par l’article 84 CPP qui dispose qu’en cas
d’empêchement du juge d’instruction déjà chargé d’une information, le président du TGI
désigne le juge chargé de le remplacer. En effet, dans ce dernier cas, le président se contente
de remplacer un juge d’instruction par un autre, alors que dans le premier cas, il s’agira de
désigner un magistrat qui n’est pas nécessairement juge d’instruction, et c’est le TGI, en
assemblée générale, qui fera cette désignation, et non pas le président. On notera encore qu’en
cas d’urgence un juge d’instruction peut en suppléer un autre du même tribunal pour des actes
isolés (art. 84 al. 4 CPP).
Il faut encore noter que le juge d'instruction est inamovible comme tout juge du siège c'est-à-
dire qu’il ne peut être déplacé sans son accord. En théorie, comme il est nommé spécialement
en qualité de juge d'instruction, il pourrait être révoqué de cette fonction, tout en restant donc
juge du siège. Cependant, c’est une hypothèse d’école.
2. Regroupement en pôles de l’instruction et collégialité
La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, qui était destinée
à corriger les dysfonctionnements constatés à l’occasion de l’affaire d’Outreau, a modifié
sensiblement les modalités de désignation du juge d'instruction lorsqu’une instruction est
ouverte par le parquet.
Il est prévu que, dans un premier temps, les juges d’instruction sont regroupés dans des pôles
de l’instruction puis que l’instruction deviendra collégiale. A l’heure actuelle, les règles
relatives aux pôles de l’instruction sont entrées en vigueur depuis le 1er mars 2008 et la
collégialité a été reportée à plusieurs reprises et en dernier lieu au 1er janvier 2017, par une loi
de finances du 29 décembre 2014 (art. 98). Cependant, un projet de loi déposé le 24 juillet
2013 revient sur la question de la collégialité de l’instruction.
Concernant d’abord les pôles de l’instruction, l’article 52-1 CPP prévoit que dans certains
tribunaux de grande instance, les juges d’instruction sont regroupés au sein d’un pôle de
l’instruction. En pratique, il y a aujourd’hui 91 pôles de l’instruction (Décret du 16 janvier
2008, art. D. 15-4-4 du Code de procédure pénale). Dans le ressort de la CA de Douai, il y a
6 pôles et, par exemple, celui de Lille recouvre la compétence territoriale du seul TGI de Lille
mais celui de Béthune recouvre la compétence territoriale des TGI d’Arras et de Béthune.
Les juges d’instruction composant un pôle de l’instruction sont seuls compétents pour
connaître des informations en matière criminelle et des informations donnant lieu à une
cosaisine, c’est-à-dire des affaires graves ou complexes. On en déduit que les juges
d'instruction ne faisant pas partie d’un pôle ne sont plus compétents que pour les affaires
délictuelles simples.
L’article 80 CPP expose cette nouvelle répartition des compétences. Il prévoit, de manière
générale, que le juge d'instruction doit être saisi par le procureur de la République pour
pouvoir instruire. En matière criminelle ainsi que dans le cas où il requiert une cosaisine, le
procureur de la République près le tribunal de grande instance au sein duquel il n’y a pas de
pôle de l’instruction est compétent pour requérir l’ouverture d’une information devant les
magistrats du pôle territorialement compétents pour les infractions relevant de sa compétence.
Mais le réquisitoire introductif peut également être pris par le procureur de la République près
le tribunal de grande instance au sein duquel se trouve le pôle, qui est à cette fin
territorialement compétent sur l’ensemble du ressort de compétence de ce pôle, y compris
pour diriger et contrôler les enquêtes de police judiciaire. Par exemple, en cas de crime
commis dans le ressort du TGI d’Arras, où il n’y a pas de pôle, le procureur d’Arras va
requérir l’ouverture d’une instruction (obligatoirement ici puisqu’il s’agit d’un crime) qui sera
menée par l’un des juges d'instruction du pôle de Béthune. Mais le procureur de Béthune peut
lui-même requérir cette ouverture de l’instruction puisqu’il est compétent pour cela sur le
ressort de deux TGI (Arras et Béthune).
Une telle disposition tend donc à créer des « super procureurs » dans les juridictions où il y a
un pôle de l’instruction, dont la compétence territoriale est élargie. Cependant, à la fin de
l’instruction, si l’affaire est renvoyée pour être jugée, ce sont les juridictions de jugement
initialement compétentes qui traiteront de l’affaire. Dans notre exemple, cela n’a pas de portée
s’il s’agit bien d’un crime puisque, dans tous les cas, c’est la cour d’assises de Saint-Omer qui
est compétente.
En ce qui concerne la cosaisine, elle est prévue par l’article 83-1 lorsque la gravité ou la
complexité de l’affaire le justifie. Elle consiste pour le président du tribunal de grande
instance dans lequel il existe un pôle de l’instruction (ex : Béthune), à désigner, dès
l’ouverture de l’information, soit d’office soit si le procureur de la République le requiert dans
son réquisitoire introductif, un ou plusieurs juges d’instruction pour être adjoints au juge
d’instruction chargé de l’information. Il est prévu qu’à tout moment de la procédure, le
président du tribunal de grande instance peut désigner un ou plusieurs juges d’instruction
cosaisis soit à la demande du juge chargé de l’information, soit, si ce juge donne son accord,
d’office ou sur réquisition du ministère public ou encore sur requête des parties.
Lorsque l’information a été ouverte dans un tribunal où il n’y a pas de pôle de l’instruction
(ex : Arras), le président du tribunal de grande instance où se trouve le pôle territorialement
compétent (Béthune) désigne le juge d’instruction chargé de l’information ainsi que le ou les
juges d’instruction cosaisis, après que le juge d’instruction initialement saisi s’est dessaisi au
profit du pôle. La cosaisine peut également être ordonnée par le président de la chambre de
l’instruction agissant d’office, à la demande du président du tribunal, sur réquisition du
ministère public ou sur requête des parties.
L’article 83-2 CPP prévoit qu’en cas de cosaisine, le juge d’instruction chargé de
l’information coordonne le déroulement de celle-ci. Il a seul qualité pour saisir le juge des
libertés et de la détention, pour ordonner une mise en liberté d’office et pour rendre l’avis de
fin d’information prévu par l’article 175 et l’ordonnance de règlement. Toutefois, cet avis et
cette ordonnance peuvent être cosignés par le ou les juges d’instruction cosaisis.
On peut déduire de l’ensemble de ces dispositions que le système des pôles de l’instruction,
assez complexe à mettre en œuvre, n’instaure pas une collégialité de l’instruction, même
en cas de cosaisine. Il permet seulement de rompre la solitude du juge d'instruction, pointée
du doigt après l’affaire d’Outreau, au moins pour les affaires criminelles et les affaires
délictuelles graves. En outre, la cosaisine ne s’impose pas nécessairement en matière
criminelle puisqu’on peut concevoir des affaires criminelles simples (en cas d’aveu du
suspect par exemple).
La collégialité, quant à elle, selon le projet du 24 juillet 2013, ne serait pas généralisée à la
totalité de l’instruction. Il est prévu (nouvel article 52-2 CPP) que le collège de l’instruction
sera saisi soit à l’initiative du juge d’instruction en charge de la procédure, soit sur requête du
procureur de la République, soit sur demande des parties. Cette saisine ne vaudra pour toute
l’instruction mais seulement pour une décision donnée et il faudra, à chaque fois que l’on
souhaitera la collégialité, la réclamer (système lourd destiné à décourager le recours à la
collégialité).
Le collège de l’instruction sera composé de trois juges d’instruction, dont le juge saisi de
l’information, qui sera le président du collège (52-3). Si l’information a fait l’objet d’une
cosaisine, le ou les juges cosaisis feront partie du collège de l’instruction. Les décisions du
collège seront prises par ordonnance motivée (article 52-5) et les juges du collège de
l’instruction ne pourront, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales qu’ils
ont connues en cette qualité (article 56-6).
Le collège de l’instruction ne sera compétent que pour certaines décisions telles que
l’ordonnance statuant sur les demandes d’acte ou d’expertise ou celle statuant sur le règlement
de l’information.
Enfin, le projet que tous les juges d’instruction seront nécessairement regroupés dans un pôle
et qu’il sera possible de créer de nouveaux pôles.
Conclusion sur ce projet : la collégialité resterait exceptionnelle, le principe demeurant celui
de l’instruction par un seul juge.
Pour terminer sur la fonction de juge d’instruction, on notera que le juge des enfants, qui est
un magistrat du TGI nommé pour une durée de 3 ans renouvelable, est à la fois chargé de
l’instruction, qui est obligatoire pour les mineurs, et du jugement, selon l’article 8 de
l’Ordonnance du 2 février 1945. La décision du Conseil constitutionnel, déjà évoquée, du 8
juillet 2011, ne remet pas en cause cette double fonction puisque le Conseil a jugé que dès
lors que le juge des enfants ne prononce pas de sanctions pénales mais seulement de mesures
éducatives, le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce cumul de fonctions. C’est
seulement lorsqu’il devient président du tribunal pour enfants que se pose la question de
l’impartialité et c’est ici que le Conseil constitutionnel a censuré.
Pour en revenir à l’instruction concernant les mineurs, le juge d’instruction de droit commun
peut également être désigné pour mener une telle instruction, notamment lorsque des majeurs
sont également impliqués dans les faits (art. 7 de l’Ord.). Un juge d’instruction doit, de toute
façon, être désigné auprès de chaque tribunal pour enfants afin d’être chargé des instructions
relatives aux mineurs.
3. Rôle du juge d'instruction
Il sera étudié plus en détail au second semestre. Il faut néanmoins retenir, pour l’instant, que
le juge d'instruction possède deux fonctions différentes et, à vrai dire, difficilement
conciliables entre elles. D’une part, il est un enquêteur chargé de faire la lumière sur l’affaire
dont il est saisi, en découvrant les preuves et les auteurs des infractions. A ce titre, il peut,
comme le dit l’article 81 du Code de procédure pénale procéder à tous les actes utiles à la
manifestation de la vérité, comme des perquisitions, des écoutes téléphoniques, des auditions,
interrogatoires etc. D’autre part, il prend des décisions et a donc une fonction
juridictionnelle. Ces décisions sont des ordonnances et elles consistent par exemple à mettre
en examen un suspect, donc à lui imputer des infractions, puis à le renvoyer devant une
juridiction de jugement ou, au contraire, à rendre une décision de non-lieu.
C’est cette double fonction qui fait l’objet de la contestation du juge d'instruction depuis
longtemps car il semble évident que le juge d'instruction n’est pas impartial lorsqu’il décide
de renvoyer une personne devant une juridiction de jugement. Il a une opinion sur la
culpabilité de cette personne, liée aux investigations qu’il a menées auparavant.
C’est pourquoi le projet de réforme qui a avorté prévoyait une séparation entre les fonctions
d’enquêtes qui auraient été confiées au seul ministère public et les fonctions juridictionnelles
qui auraient été attribuées à une juridiction d’instruction.
B. Le juge des libertés et de la détention
Il s’agit d’une juridiction créée par la loi du 15 juin 2000 dans le but de restreindre les
pouvoirs du juge d'instruction en lui retirant celui de placer en détention provisoire.
1. Statut et désignation
Le juge des libertés et de la détention, selon l’article 137-1 du Code de procédure pénale, est
un juge du siège ayant rang de président, premier vice-président ou vice-président du
TGI, désigné dans cette fonction par le président du TGI. Il s’agit donc nécessairement d’un
magistrat qui n’est pas nouveau dans la carrière et qui est expérimenté et, de plus, placé
statutairement, au-dessus du juge d'instruction. Il faut cependant remarquer que le juge des
libertés et de la détention peut aussi être le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le
plus élevé dans deux cas : en cas d'empêchement du juge des libertés et de la détention
désigné ou d'empêchement du président ainsi que des premiers vice-présidents et des vice-
présidents (modification issue de la loi du 9 mars 2004).
Il y a au moins un juge des libertés et de la détention par TGI et il peut y en avoir plusieurs
puisque la loi ne l’interdit pas. Il faut relever que l’article 137-1 du Code de procédure pénale
précise que le juge des libertés et de la détention ne peut, à peine de nullité, participer au
jugement des affaires pénales dont il a connu. Il s’agit d’une règle expresse d’incompatibilité
comme celle prévue pour le juge d'instruction par l’article 49 alinéa 2. Une telle règle peut
poser des problèmes dans les petites juridictions, ce qui a pour conséquence que l’article 137-
1-1 du Code de procédure pénale créé par une loi du 8 juin 2006, dispose que « Pour
l'organisation du service de fin de semaine ou du service allégé pendant la période au cours de
laquelle les magistrats bénéficient de leurs congés annuels, un magistrat ayant rang de
président, de premier vice-président ou de vice-président exerçant les fonctions de juge des
libertés et de la détention dans un tribunal de grande instance peut être désigné afin d'exercer
concurremment ces fonctions dans, au plus, deux autres tribunaux de grande instance du
ressort de la cour d'appel ». Cette désignation est faite par ordonnance du premier président de
la cour d’appel et précise le motif et la durée, ainsi que les tribunaux pour lesquels elle
s'applique. Cette désignation ne peut durer plus de 40 jours au cours de l'année judiciaire.
2. Rôle du juge des libertés et de la détention
Cette juridiction possède un rôle qui dépasse la seule période de l’instruction préparatoire.
En effet, au cours de l’instruction, le pouvoir essentiel du juge des libertés et de la détention
consiste à décider du placement en détention provisoire des personnes mises en examen et
de la prolongation de celle-ci, pouvoirs auparavant détenus par le juge d'instruction. Dans ce
cadre, il statue après un débat contradictoire, public en principe, et par ordonnance motivée.
Normalement, il est saisi par le juge d'instruction d’une demande de placement en détention
provisoire, laquelle est généralement requise par le procureur. Cependant, l’article 137-4,
alinéa 2 du Code de procédure pénale prévoit qu’en matière criminelle ou pour les délits punis
de dix ans d'emprisonnement, si le juge d'instruction ne veut pas saisir le juge des libertés et
de la détention alors que le parquet demande la détention provisoire, le procureur de la
République peut à certaines conditions saisir directement le juge des libertés et de la
détention. Cette règle, issue de la loi du 9 mars 2004, est importante car elle rompt la
philosophie du système prévue par la loi du 15 juin 2000, qui voulait lutter contre le trop
grand nombre de détentions provisoires, cette philosophie consistant dans le fait que cette
détention ne pouvait être décidée que si deux juges du siège y étaient favorables. Désormais,
l’avis du juge des libertés et de la détention suffit, dans le cas décrit précédemment.
Le juge des libertés et de la détention peut aussi, inversement, décider la remise en liberté
d’une personne placée en détention, alors que le juge d'instruction aurait refusé cette remise
en liberté.
Cependant, le rôle du juge des libertés et de la détention ne s’arrête pas à l’instruction
proprement dite puisqu’il intervient fréquemment pour autoriser des mesures de coercition
dans le cadre des enquêtes de police notamment. On reverra ces questions au second
semestre mais, par exemple, le juge des libertés et de la détention peut autoriser une
perquisition dans le cadre d’une enquête préliminaire portant sur un crime ou un délit puni
d’au moins 5 ans d’emprisonnement, lorsque la personne chez qui elle doit avoir lieu ne
donne pas son accord, alors que celui-ci est requis dans le cadre de l’enquête préliminaire (art.
76, al. 4). Dans des domaines particuliers comme les enquêtes en matière de fraude fiscale, il
peut aussi autoriser des visites domiciliaires (art. L. 16 B LPF). Il possède encore d’autres
fonctions en dehors de toute procédure pénale (en matière d’internement psychiatrique par
exemple, art. L. 3211-12 CSP).
§ 2 : La juridiction d’instruction du second degré
La chambre de l’instruction était, jusqu’au 1er janvier 2001, dénommée chambre
d’accusation car elle avait un rôle particulier qui était de renvoyer la personne poursuivie pour
crime devant la cour d’assises en la mettant en accusation. Dès lors que la loi du 15 juin 2000
a institué un double degré de juridiction en matière criminelle, elle a corrélativement
supprimé le double degré de l’instruction obligatoire dans ce domaine, qui existait auparavant.
Il s’ensuit que le juge d'instruction renvoie lui-même directement devant la cour d’assises.
C’est la raison pour laquelle la chambre d’accusation est devenue « chambre de
l’instruction ».
Elle est une chambre spéciale de la cour d’appel et elle constitue principalement le second
degré de l’instruction. Elle est composée d’un président et deux assesseurs qui sont des
conseillers à la cour d’appel. Le président est désigné à cette fonction par décret du président
de la République après avis conforme du conseil supérieur de la magistrature alors que les
assesseurs sont désignés, chaque année, par l’assemblée générale de la cour d’appel.
La chambre de l’instruction est chargée, en premier lieu, d’examiner les recours formés
contre les décisions du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention,
appelées ordonnances. Elle peut donc être amenée à statuer sur l’appel formé contre les
ordonnances de mise en examen, de placement sous contrôle judiciaire ou en détention
provisoire notamment.
En matière criminelle, alors qu’avant la loi du 15 juin 2000, elle était obligatoirement saisie
pour procéder à une deuxième instruction après celle du juge d'instruction, elle n’a plus
qu’une compétence résiduelle. Par exemple, lorsqu’elle est saisie d’un recours contre une
décision du juge d'instruction, elle peut procéder à une évocation de l’affaire c’est-à-dire
statuer au-delà de l’objet de l’appel. Ainsi, l’article 202 du Code de procédure pénale énonce
qu’elle peut, d’office ou sur réquisitions du procureur général, ordonner qu’il soit informé à
l’égard des personnes mises en examen sur tous les chefs d’infractions résultant du dossier,
qui n’auraient pas été visés par l’ordonnance du juge d'instruction (frappée d’appel par
exemple). C’est un pouvoir important mais la chambre de l’instruction a perdu beaucoup de
son importance depuis la loi du 15 juin 2000.
En outre, elle a pour fonction de contrôler la régularité de l’instruction pendant son
déroulement (art. 206). En effet, elle peut être saisie des requêtes en nullité d’actes de
l’instruction ou de l’enquête de police du moins si une instruction a été ouverte car, sinon,
c’est la juridiction de jugement qui aura cette compétence. Elle peut donc statuer par exemple
sur la régularité d’une perquisition ou d’écoutes téléphoniques ou encore de la garde à vue.
Elle peut donc annuler des actes de l’instruction ou de l’enquête et, dans ce cas, soit elle
évoque, en statuant à la place du juge d'instruction, soit elle renvoie l’affaire devant ce
dernier.
Par ailleurs, la chambre de l’instruction possède d’autres compétences spéciales. Elle
constitue, comme on l’a vu, une juridiction disciplinaire pour les OPJ et APJ mais elle
possède aussi une compétence spéciale en matière d’extradition (art. 696-13 s. CPP) et de
mandat d’arrêt européen (art. 695-29 s.). S’agissant de l’extradition (qui est une procédure
d’Etat à Etat), c’est elle qui doit formuler un avis sur la demande et cet avis, s’il est
défavorable, empêche l’extradition. En matière de mandat d’arrêt européen, dispositif destiné
à éviter le recours à la procédure d’extradition (procédure d’autorité judiciaire à autorité
judiciaire), c’est elle qui autorise ou non la remise de la personne réclamée à une autorité
judiciaire qui en fait la demande, soit pour qu’elle soit jugée à l’étranger, soit pour qu’elle
purge une peine prononcée à l’étranger.
Enfin, le président de la chambre de l’instruction possède des pouvoirs propres (art. 219
s.). Par exemple, il doit veiller au bon fonctionnement des cabinets d’instruction de son ressort
en vérifiant spécialement que les procédures ne subissent aucun retard injustifié (art. 220). Il
peut également saisir la chambre de l’instruction pour qu’elle statue sur le maintien en
détention d’une personne mise en examen s’il estime que ce maintien n’est plus justifié (art.
223). Il possède encore un pouvoir contestable de filtrer les appels interjetés contre les
ordonnances du juge d'instruction qui refusent une mesure d’instruction ou une expertise.
L’article 186-1 prévoit, à ce titre, qu’il décide, par une ordonnance insusceptible de voie de
recours, s’il y a lieu ou non de saisir la chambre de l’instruction du recours.
Sous-section 2 : Les juridictions de jugement
Il faut distinguer ici les juridictions de droit commun des juridictions d’exception, au sens
juridique du terme, c’est-à-dire les juridictions spéciales ou spécialisées.
§ 1 : Les juridictions de jugement de droit commun
Il existe d’abord des juridictions de premier degré puis, en vertu du principe du double degré
de juridiction, les juridictions de second degré et, enfin, la Cour de cassation qui joue un rôle
particulier.
A. Les juridictions de première instance
Le tribunal de police et la juridiction de proximité jugent les contraventions (1), le tribunal
correctionnel juge les délits (2) et la cour d’assises juge les crimes (3).
1. Le tribunal de police (et la juridiction de proximité)
Selon l’article 521 CPP, applicable jusqu’au 31 décembre 2016, « le tribunal de police connaît
des contraventions de la 5ème classe. La juridiction de proximité connaît des contraventions des
4 premières classes. Un décret pris en Conseil d’Etat peut toutefois préciser les contraventions
des 4 premières classes qui sont de la compétence du Tribunal de police ». Ainsi, la plus
grande partie des contraventions ressortit à la compétence des juges de proximité, non
professionnels, institués par la loi du 9 septembre 2002 et le tribunal de police n’est
compétent que pour les contraventions les plus sévèrement réprimées et certaines
contraventions spécialement énumérées (V. art. R. 41-11 du Code de procédure pénale : par
ex. la diffamation et l’injure non publiques).
La loi du 13 décembre 2011 (modifiée à plusieurs reprises) supprime la juridiction de
proximité, à partir du 1er janvier 2017 mais pas les juges de proximité. Le nouvel article 521
(applicable à cette date) prévoit donc que le tribunal de police est compétent pour toutes les
contraventions mais l’article 523 précise que pour juger les contraventions des 4 premières
classes, à l'exception de celles déterminées par un décret en Conseil d'Etat, le tribunal de
police est constitué par un juge de proximité et, à défaut, par un juge du tribunal d'instance.
Il faut ajouter que le tribunal de police est incompétent pour les contraventions de 5ème classe
commises par un mineur (compétence du juge des enfants) ou pour les infractions portées
initialement devant le tribunal correctionnel sous une qualification délictuelle et requalifiées
en contraventions ou encore les contraventions qui sont connexes à un délit ou à un crime ou
qui forment avec eux un tout indivisible. L’article 382 CPP affirme en effet que la
compétence du tribunal correctionnel s’étend aux délits et contraventions qui forment avec
l’infraction déférée au tribunal un ensemble indivisible.
D’après l’article 523, alinéa 1 (actuel et futur), le tribunal de police est constitué d’un juge
unique, le juge du tribunal d’instance, assisté d’un greffier. Les fonctions du ministère public,
comme on l’a déjà vu, sont assurées par le procureur de la République obligatoirement pour
les contraventions de la 5ème classe ou par le commissaire de police du lieu où siège le
tribunal pour les autres contraventions (OMP).
Il existe au moins un tribunal de police par arrondissement; il peut tenir des audiences
foraines, dans des villes de son ressort autres que celles où il siège ordinairement.
2. Le tribunal correctionnel
Le tribunal correctionnel est compétent pour juger les délits et les contraventions connexes,
notamment celles commises dans le même temps ou la même action (ex : blessures
involontaires et excès de vitesse – art. 382, al. 3 – voir infra sur la connexité). L’article 381
CPP précise que sont des délits les infractions que la loi punit d’une peine d’emprisonnement
de 10 ans au plus ou d’une peine d’amende supérieure ou égale à 3750 €.
Le tribunal correctionnel est une formation particulière du TGI. Dans les tribunaux
importants, il existe une ou plusieurs chambres spécialisées du TGI, dites chambres
correctionnelles.
En principe, il existe un tribunal correctionnel par département et il a son siège au chef-lieu de
celui-ci. Mais, dans les départements plus peuplés, il peut y avoir plusieurs tribunaux
correctionnels. Ainsi, par exemple, dans le département du Nord, il existe un tribunal
correctionnel à Lille, Dunkerque, Avesnes-sur-Helpe, Douai, Valenciennes, Cambrai. Celui
d’Hazebrouck a été supprimé récemment. Il y a 4 TGI dans le Pas-de-Calais : Béthune, Arras,
Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer.
En principe, le tribunal correctionnel se compose de 3 magistrats du TGI : un président et
deux juges. C’est là une application du principe de la collégialité. D’après l’article 398-3 CPP,
les fonctions du ministère public devant le tribunal correctionnel sont assurées par le
procureur de la république ou l’un de ses substituts.
Cependant, comme nous l’avons déjà vu, une loi du 8 février 1995, continuant un mouvement
amorcé en 1972, a multiplié les cas dans lesquels le tribunal peut statuer à juge unique.
L’article 398-1 du Code de procédure pénale énumère la longue liste des délits concernés par
cette disposition (par ex., les violences volontaires, appels téléphoniques malveillants, les
menaces, l’exhibition sexuelle, l’abandon de famille, la non-représentation d’enfant, le vol
simple et certains vols aggravés, la filouterie le recel, la destruction volontaire du bien
d’autrui, les délits punis seulement d’amende etc.). Le retour à la formation collégiale est
néanmoins obligatoire dans 3 hypothèses :
- lorsque le prévenu est en état de détention provisoire lors de sa comparution à l’audience
- quand le prévenu est poursuivi selon la procédure de comparution immédiate
- enfin, lorsque le délit est connexe à un autre délit non visé par l’article 398-1.
En outre, selon l’article 398-2, le tribunal statuant à juge unique peut renvoyer, d’office ou à
la demande des parties, devant une formation collégiale si ce renvoi est justifié, selon lui, par
la complexité des faits ou par l’importance de la peine susceptible d’être prononcée. Enfin, le
tribunal correctionnel à juge unique ne peut pas prononcer une peine d’emprisonnement ferme
d’une durée supérieure à 5 ans. Par conséquent, notamment pour les récidivistes qui encourent
des peines aggravées, la formation devrait être collégiale.
Par ailleurs, la loi du 10 août 2011 avait pour objectif de renforcer la collégialité du
tribunal correctionnel (ainsi que de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de
l’application des peines), pour le jugement de certaines infractions, en adjoignant aux juges
professionnels des citoyens, comme en cour d’assises. Cette loi « sur la participation des
citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » a créé un sous-
titre II dans le Titre préliminaire du Code de procédure pénale intitulé « De la participation
des citoyens au jugement des affaires pénales » qui comprend les articles 10-1 à 10-14
nouveaux du Code de procédure pénale. Il a créé également les articles 399-1 et s. du Code de
procédure pénale concernant spécialement le tribunal correctionnel « dans sa formation
citoyenne. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces textes, qui existent toujours, parce que
le dispositif était expérimental (dans les tribunaux du ressort de deux cours d’appel) et que le
ministre de la justice du gouvernement issu des élections de 2012 a décidé de mettre fin à
l’expérimentation en avril 2013 (arrêté du 18 mars 2013 applicable au 1er avril 2013). Il suffit
de noter que les citoyens étaient deux et les magistrats trois, donc les magistrats restaient
maîtres des décisions du tribunal. En outre, la même loi a diminué le nombre de jurés en cour
d’assises (voir infra), ce qui, paradoxalement, a renforcé aussi le poids des magistrats de cette
juridiction, en contradiction avec l’objectif de la loi. Or, si cette diminution du nombre des
jurés n’était pas expérimentale et le législateur actuel ne semble pas avoir l’intention de
rétablir le système antérieur. Enfin, le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne
n’était compétent que pour certaines infractions et les règles de répartition des compétences
avec le tribunal correctionnel dans sa formation à juge unique et à trois juges étaient très
complexes.
3. La cour d’assises
La cour d’assises est compétente pour juger les crimes. C’est une juridiction originale à
plusieurs titres et qui trouve son origine dans les idées révolutionnaires (loi des 16 et 26 sept.
1791). C’est tout d’abord une juridiction départementale qui siège en principe au chef-lieu
du département. Contrairement aux autres juridictions, ce n’est pas une juridiction
permanente en raison de la présence des jurés, juges non professionnels. Elle tient des
sessions autant de fois qu’il est nécessaire selon l’article 236 du Code de procédure pénale
(avant la loi du 10 août 2011 : tous les trimestres). Enfin, pendant très longtemps, les arrêts de
la cour d’assises ont échappé au principe du double degré de juridiction en raison toujours de
la présence d’un jury populaire. La décision, considérée comme l’expression de la
souveraineté populaire, ne pouvait être remise en cause par des magistrats professionnels. En
outre, on faisait valoir aussi le fait qu’en réalité, les faits avaient été déjà examinés deux fois,
une première fois par le juge d’instruction et une seconde par la chambre de l’instruction
(anciennement chambre d’accusation) qui seule pouvait décider du renvoi devant la cour
d’assises.
La loi du 15 juin 2000 a mis fin à cette originalité puisqu'elle introduit le principe du double
degré de juridiction : en 1ère instance, les faits sont jugés par une cour d'assises composée de 3
magistrats et de 6 jurés et, en appel, par une cour d'assises composée de 3 magistrats et de 9
jurés (voir infra sur la cour d’assises d’appel).
La cour d’assises est compétente pour connaître des crimes à l’exception de ceux commis
par des mineurs de 16 ans, qui ressortissent en principe à la compétence du tribunal
pour enfants. De même, les crimes commis par les ministres dans l’exercice de leurs
fonctions relèvent de la Cour de justice de la République (voir infra). Par ailleurs, il existe des
cours d’assises spéciales dont la composition est particulière en raison de l’absence de jurés,
compétentes pour juger certaines infractions comme les crimes terroristes ou en matière de
trafic de stupéfiants notamment (art. 706-25 et 706-27). Dans ces cas, la cour est composée de
7 magistrats professionnels en 1ère instance ou 9 en appel (art. 698-6).
Il faut ajouter que l’article 231 du Code de procédure pénale affirme que la cour d’assises a
plénitude de juridiction pour juger les individus renvoyés devant elle. Cette expression
signifie que la cour d’assises a compétence pour juger toutes les infractions connexes au
crime principal, quelle que soit la gravité de ces infractions. Elle peut même juger les
infractions qui sont de simples délits dont elle a été saisie à tort à la suite d’une erreur de
qualification.
La cour d’assises peut également statuer sur l’action civile, comme les autres juridictions
pénales, et accorder des dommages-intérêts à la partie civile, même en cas d’acquittement de
l’accusé, selon les principes du droit de la responsabilité civile, ce que ne peut pas faire, en
principe, le tribunal correctionnel, sauf dans des cas particuliers. Lorsqu’elle statue sur
l’action civile, la cour d’assises statue sans jurés.
Nous allons voir maintenant plus en détail, d’une part la composition de la cour d’assises,
d’autre part les pouvoirs respectifs de la cour et du jury (b) et enfin la question de la
motivation des décisions (c).
a) La composition de la cour d’assises
La cour d’assises comprend, à côté de 3 magistrats qui constituent la cour au sens strict, des
jurés, simples citoyens qui forment le jury.
Les 3 magistrats sont un président et 2 assesseurs. Le président de la cour d’assises est un
président de chambre ou un conseiller de la cour d’appel (art. 244) désigné par le premier
président de la cour d’appel. Les assesseurs sont tantôt des conseillers de la cour d’appel,
tantôt des magistrats du TGI du lieu où siège la cour d’assises.
Le jury est constitué de 6 citoyens en première instance ou 9 en appel (art. 296 CPP)
depuis la loi du 10 août 2011, applicable au 1er janvier 2012 (3 en moins). Ils doivent
remplir certaines conditions d’aptitude et qui sont désignés par voie de tirage au sort d’après
une liste établie selon certaines règles.
La loi pose 3 conditions pour être juré :
- être citoyen français, âgé de plus de 23 ans, sachant lire et écrire français (art. 255) ;
- ne pas être frappé de l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, ou de l’une des
incapacités visées par l’article 256 (condamnation pour crime ou délit, fonctionnaires
révoqués de leurs fonctions, personnes déclarées en état de faillite, majeurs incapables …) ;
- ne pas exercer une fonction incompatible avec celle de juré. La loi distingue des
incompatibilités absolues (par exemple, membre du gouvernement, du parlement, du conseil
constitutionnel... etc. voir art. 257) et des incompatibilités relatives (par exemple, être le
conjoint, le parent ou l’allié d’un membre de la cour ou de l’un des autres jurés - art. 289 -
conjoint, parent ou allié de l’accusé, d’un témoin, d’un interprète, expert, de la partie civile...-
voir art. 291).
Enfin, les personnes remplissant les conditions pour être juré peuvent être dispensées, à leur
demande, des fonctions de juré si elles sont âgées de plus de 70 ans, si elles n’ont pas leur
domicile dans le département où siège la cour d’assises, ou si, enfin, elles invoquent un motif
grave. En pratique, le seul motif grave qui permet l’exemption semble être un motif d’ordre
médical; invoquer qu’être juré est contraire à ses convictions (morales ou religieuses) ne suffit
pas.
Formation du jury
Elle est très complexe et on exposera la procédure de manière schématique.
En premier lieu, est établie, au niveau départemental, une liste annuelle de jurés par tirage au
sort sur les listes électorales, effectué par les maires des communes. Cette liste comprend
1800 noms à Paris, 200 au minimum ailleurs avec un ratio de 1 juré pour 1300 habitants (art.
260, al. 1). Cependant, le ministre de la justice peut, par arrêté, augmenter le nombre de jurés
de la liste annuelle de chaque cour d’assises, en fonction des besoins (art. 260, al. 2).
Ensuite est constituée une liste de session (art. 266), 30 jours au moins avant l'ouverture des
assises. Le premier président de la cour d'appel ou son délégué, ou le président du tribunal de
grande instance, siège de la cour d'assises ou son délégué, tire au sort, en audience publique,
sur la liste annuelle, les noms de 35 jurés qui forment la liste de session ainsi que les noms de
10 jurés suppléants. Ces personnes sont convoquées 15 jours avant l’ouverture de la session
des assises (art. 267) et ils doivent être présents ce jour-là pour la formation du jury de
jugement. En cas d’absence injustifiée, le juré encourt une peine de 3750 euros.
Le jury de jugement est formé pour chaque affaire, en audience publique après avoir fait
entrer l’accusé (art. 293) par un dernier tirage au sort sur la liste de session. On tire 6 noms
s’il s’agit de la cour d’assises de 1ère ressort et 9 s’il s’agit de la cour d’assises d’appel.
Pendant le tirage au sort, le ministère public peut récuser 3 personnes (4 en appel) et l’avocat
de la défense, 4 (5 en appel) (art. 298). Les jurés prennent place aux côtés de la cour et le
président leur indique leurs devoirs définis par l’article 304 du Code de procédure pénale :
« Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui
seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui
l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre
déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous
rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider
d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime
conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de
conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ». Chaque juré,
appelé individuellement par le président, lève la main et dit « je le jure ».
b) Les pouvoirs respectifs de la cour et du jury
Au moment de sa création, en 1791, le jury était un organe indépendant des magistrats. Le
jury et la Cour proprement dite avaient deux rôles bien distincts :
- le jury était juge du fait : il décidait seul de la culpabilité de l’accusé
- les magistrats étaient juges du droit : si les jurés avaient retenu la culpabilité, les magistrats
fixaient alors une peine. Ils appliquaient la loi, d’après la déclaration du jury, et, par
conséquent, si le jury avait déclaré l’accusé non coupable, les magistrats devaient prononcer
l’acquittement.
Ce système a beaucoup évolué en raison de sa conséquence qui était un fort taux
d’acquittement lié au fait que les jurés se méfiaient de la sévérité des magistrats et préféraient
donc déclarer l’accusé non coupable. Diverses réformes ont abouti au système actuel qui
consiste à associer totalement le jury à la cour proprement dite tant sur la culpabilité
que sur la peine. Plus précisément, l’article 356 du Code de procédure pénale énonce que
« la cour et le jury délibèrent, puis votent, par bulletins écrits et par scrutins distincts et
successifs, sur le fait principal d'abord, et s'il y a lieu, sur les causes d'irresponsabilité pénale,
sur chacune des circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires et sur chacun des
faits constituant une cause légale d'exemption ou de diminution de la peine ».
Selon l’article 359, « toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de six
voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et à la majorité de huit
voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel ». Il faut donc, pour déclarer
l’accusé coupable, une majorité qualifiée des deux tiers. On peut remarquer qu’avec la loi du
10 août 2011, l’influence relative des jurés a diminué puisqu’il y en a moins dans le jury, ce
qui est curieux pour une loi qui a pour objectif de renforcer la participation des citoyens à la
justice.
En revanche, selon l’article 362, la décision sur la peine se forme à la majorité absolue
mais le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu'à la
majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et qu'à
la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel (majorité
qualifiée des deux tiers). Si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu cette majorité,
il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente ans de réclusion criminelle lorsque la
peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité et une peine supérieure à vingt ans de
réclusion criminelle lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Par
exemple, si l’accusé est reconnu coupable d’assassinat, crime encourant la perpétuité, la peine
peut être la perpétuité s’il y a une majorité qualifiée ou, sinon, de 30 ans ou de 29, 28 ans… Si
l’accusé est reconnu coupable de meurtre, crime encourant 30 ans, la peine peut être de 30 ans
s’il y a une majorité qualifiée ou, sinon, de 20 ans ou 19 ans…mais pas de 29 ans ou 25 ans. Il
s’agit d’une règle favorable au condamné qui oblige à descendre d’un degré dans l’échelle des
peines en l’absence de majorité qualifiée.
En revanche, la décision sur l’action civile et les décisions sur les incidents contentieux,
notamment tout ce qui concerne les questions procédurales sont prises par la cour sans les
jurés.
c) La motivation des décisions
La cour d’assises se singularisait encore, jusqu’à la loi du 10 août 2011, par le fait
qu’elle rendait des décisions non motivées, ce qui s’explique par la présence des jurés non
professionnels et aussi, d’un point de vue théorique, par le fait qu’elle est l’expression d’une
décision de la Nation, laquelle n’a pas, sans sa souveraineté, à s’expliquer sur ses
décisions. On a aussi avancé le fait que l’on ne peut pas motiver l’intime conviction alors que
la cour d’assises statue précisément en se fondant sur celle-ci, c’est-à-dire le sentiment qu’ont
les juges et jurés que l’accusé est coupable ou non (voir l’article 304 précité). Cet argument
est contestable car toutes les juridictions pénales se fondent sur l’intime conviction des juges,
qui ne signifie pas que l’on peut condamner sans preuves, contrairement à ce que l’on pense
parfois, mais seulement que les juridictions pénales peuvent se fonder sur n’importe quel
élément de preuve puisque c’est elles qui en apprécient la valeur probante (sauf exceptions).
Par conséquent, la condamnation devant reposer sur des preuves, il est normal que celles-ci
soient énoncées dans la décision. Si l’on ne parvient pas à les énoncer, c’est parce qu’il n’y en
a pas !
De surcroît, cette absence de motivation est paradoxale s’agissant des décisions les plus
graves que puissent rendre des juridictions pénales. En outre, la motivation des décisions de
justice est un principe général exposé notamment par l’article 485 du Code de procédure
pénale nécessaire notamment pour permettre l’exercice des voies de recours. C’est d’ailleurs
un des problèmes qui a été posé lors de l’instauration du double degré de juridiction par la loi
du 15 juin 2000 (voir infra). La cour de cassation a été confrontée à la question de l’absence
de motivation des arrêts d’assises et y a répondu d’une manière assez surprenante et, selon
nous, très peu convaincante (V. not. Cass. crim., 15 juin 2011, n° 09-87135 P : « sont reprises
dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, les magistrats
composant la cour d'assises d'appel spécialement composée, statuant dans la continuité des
débats, à vote secret et à la majorité, ont données aux questions sur la culpabilité posées
conformément aux dispositifs des décisions de renvoi et soumises à la discussion des parties ;
en cet état, et dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise
en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et
contradictoire des débats, il a été satisfait aux exigences conventionnelles et légales
invoquées »). C’est surtout, une fois de plus, la CEDH qui a rendu des arrêts qui ont conduit
le législateur a modifié les textes. Notamment, la Belgique a été condamnée par un arrêt du 16
novembre 2010 (Taxquet c/ Belgique) en raison de l’absence de motivation des arrêts de cour
d’assises. La France a aussi été condamnée mais après l’entrée en vigueur de la loi de 2011
imposant la motivation (CEDH, 10 janv. 2013, Agnelet c/ France).
C’est donc la loi du 10 août 2011 qui vient imposer la motivation des arrêts d’assises, à
compter du 1er janvier 2012. Selon l’article 365-1 du Code de procédure pénale, « le
président ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l’arrêt.
En cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à
charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces
éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury
en application de l’article 356, préalablement aux votes sur les questions.
La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de
motivation, qui est signée conformément à l’article 364.
Lorsqu’en raison de la particulière complexité de l’affaire, liée au nombre des accusés ou des
crimes qui leur sont reprochés, il n’est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de
motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour
d’assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision ».
C’est donc une innovation considérable qui doit être approuvée car elle met fin à la
suspicion qui pèse sur les cours d’assises de rendre des décisions de condamnation sans
preuves. Il convient d’observer que la motivation sera exigée pour les acquittements
également même si le texte n’apporte des précisions que sur la motivation des
condamnations. Cependant, la motivation pose un sérieux problème lié au fait que les votes de
la cour d’assises se font à bulletins secrets. C’est incompatible avec la rédaction d’une
motivation.
La question qui se pose est cependant de savoir comment, en pratique, sera rédigée la
motivation. On relèvera que le texte n’impose pas une motivation précise et exhaustive
(« énoncé des principaux éléments à charge »). Il est évident que les magistrats professionnels
vont tenir un rôle prépondérant et il est possible que la tâche ne soit pas aisée parce que tous
les membres de la cour d’assises ne seront pas forcément d’accord, d’une part sur la
culpabilité, et, d’autre part, sur les éléments à charge qui devront être mentionnés dans la
motivation. Cependant, il faut relativiser en ce sens que le problème existe déjà dans les
juridictions collégiales où les juges ne fondent pas toujours leur opinion sur les mêmes
éléments pour chacun d’eux. On peut encore noter que le législateur a modifié un texte
important, l’article 353 du Code de procédure pénale, relatif à l’instruction donnée par le
président de la cour d’assises aux jurés avant la délibération. Le texte dit, à compter du 1er
janvier 2012 « sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas
compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises (formule ancienne : « la loi ne
demande pas compte aux juges ») des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur
prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la
suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le
recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite,
sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne
leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous
une intime conviction ? ». Le texte souligne bien que l’intime conviction ne signifie pas
condamner sans preuve mais avoir la liberté totale de choisir les preuves de culpabilité.
B. Les juridictions de second degré
Il faut distinguer la chambre des appels correctionnels de la cour d’assises de second degré.
1. La cour d’appel
Les appels formés contre les décisions des tribunaux de police ou juridictions de proximité et
des tribunaux correctionnels sont portés devant la chambre des appels correctionnels de la
cour d’appel. Ce double degré de juridiction est inscrit à l’article 496 pour les jugements en
matière correctionnelle et à l’article 546 pour les jugements en matière contraventionnelle.
La chambre des appels correctionnels est donc une chambre particulière de la cour d’appel et
elle est composée, en principe de 3 magistrats, un président et deux assesseurs. Mais, en
matière de contraventions, l’article 547, al. 3, du Code de procédure pénale dispose que
la chambre est composée du seul président statuant à juge unique.
Les fonctions du ministère public sont assurées par le procureur général, un avocat général ou
encore un substitut du procureur général. On rappellera que la cour d’appel correctionnelle est
saisie des appels mais aussi des renvois après cassation.
2. La cour d’assises de second degré
Elle a été instituée par la loi du 15 juin 2000 et l’on a déjà vu comment elle était composée.
Cette cour d’assises de second degré est désignée par la chambre criminelle de la Cour de
cassation (art. 380-1 et 380-14). La seule différence avec la cour d’assises de 1er degré
consiste dans un nombre plus important de jurés, à savoir 9 depuis le 1 er janvier 2012 en
vertu de la réforme du 10 août 2011 (art. 296). Le Code de procédure pénale utilise la
notion d’appel mais elle n’est pas réellement appropriée. En effet, la seule présence de
jurés supplémentaires ne donne pas à la cour d’assises d’appel une supériorité par rapport à la
première alors que les magistrats qui siègent dans les cours d’appel ont une expérience plus
grande et sont donc censés être plus compétents que ceux des tribunaux. De toute façon, d’un
point de vue théorique, l’absence d’appel des verdicts de cour d’assises était justifiée par le
fait que celle-ci exprimait l’opinion de la nation souveraine. Comment expliquer aujourd’hui
que cette opinion puisse être remise en cause par une autre cour d’assises ?
En réalité, il faut plutôt considérer que la loi donne une « deuxième chance » à l’accusé qui a
été jugé une première fois mais, dans ce cas, il était inutile d’ajouter des jurés
supplémentaires, ce qui ne change absolument rien à la portée de la décision. Cette idée était
bien celle du législateur puisque, à l’origine, dans la loi du 15 juin 2000, il était prévu que seul
l’accusé pouvait faire appel de la décision de condamnation alors que le parquet ne pouvait
pas faire appel d’un acquittement. Les textes ont été modifiés et l’article 380-2, dernier alinéa,
autorise le seul procureur général à faire appel des acquittements.
En outre, il ne s’agit pas d’un véritable appel parce que la seconde cour d’assises rejuge
l’affaire entièrement, comme s’il n’y avait pas eu de première décision (art. 380-1 qui
parle du réexamen de l’affaire). Par conséquent, la deuxième cour d’assises ne confirme ni
n’infirme la première décision qui est anéantie par l’appel. Par conséquent, ce recours est plus
proche de l’opposition que de l’appel, ce qui est curieux car l’opposition est la voie de recours
exercée lorsque la personne jugée est absente à son procès et qu’elle n’a pas pu se défendre
(jugements rendus par défaut). Or, tel n’est pas le cas ici.
On notera enfin que la création de ce recours n’a pas eu pour effet de supprimer le pourvoi en
cassation qui reste possible contre l’arrêt rendu par la cour d’assises de second degré. Cela
peut donc conduire, en cas de cassation, à un troisième procès en assises.
C. La Cour de cassation (révision et réexamen)
Les juridictions pénales sont placées, comme toutes les autres juridictions judiciaires, sous le
contrôle de la Cour de cassation et, plus précisément sous le contrôle de sa chambre
criminelle.
Comme les autres chambres, la chambre criminelle comprend un président, des conseillers
ayant voix délibérative, des conseillers référendaires qui ont voix délibérative dans les affaires
sur lesquelles ils rapportent et des avocats généraux.
On peut noter que l’article 567-1-1 du Code de procédure pénale énonce que « lorsque la
solution d'une affaire soumise à la chambre criminelle lui paraît s'imposer, le premier
président ou le président de la chambre criminelle peut décider de faire juger l'affaire par une
formation de trois magistrats ». Ainsi, les affaires simples sont jugées par 3 magistrats
seulement.
La chambre criminelle est saisie de 2 sortes de pourvois : le pourvoi en cassation et le
pourvoi en révision. Le pourvoi en cassation en matière pénale ne présente pas d’originalité
mise à part l’application d’une théorie qui est celle de « la peine justifiée » et qui consiste
pour le chambre criminelle à constater que les juges du fond ont commis une erreur de droit
qui devrait donc motiver une cassation mais à rejeter néanmoins le pourvoi au prétexte que la
solution au fond serait identique si les juges n’avaient pas commis l’erreur. Cette théorie est
exprimée à l’article 598 qui énonce que « lorsque la peine prononcée est la même que celle
portée par la loi qui s'applique à l'infraction, nul ne peut demander l'annulation de l'arrêt sous
le prétexte qu'il y aurait erreur dans la citation du texte de la loi ». L’objectif est d’éviter de
renvoyer inutilement devant une juridiction de fond. Le problème vient du fait que la chambre
criminelle fait une interprétation très large de ce texte, ce qui est contestable. Par exemple,
elle refuse de casser lorsque les juges ont commis une erreur de qualification des faits au
motif que la peine prononcée aurait pu l’être s’ils avaient retenu la bonne qualification. C’est
critiquable parce qu’il s’agit d’un raisonnement purement abstrait qui présume l’attitude des
juges du fond.
Plus originaux sont le recours en révision et le recours institué en cas de condamnation
par la CEDH. Ces deux recours étaient distincts jusqu’à une loi du 20 juin 2014 (applicable
depuis le 1er octobre 2014) qui a simplifié les textes en unifiant très largement les procédures.
Cependant, les conditions de ces recours demeurent différentes. Elles seront analysées avant
d’étudier la procédure.
1. Les conditions des demandes en révision et en réexamen
Les deux recours ont en commun de permettre de contester la chose définitivement jugée ce
qui est exceptionnel. Le recours existe depuis très longtemps alors que le réexamen d’une
condamnation après condamnation par la CEDH est relativement récent (loi du 15 juin 2000).
S’agissant de la révision, il faut noter que les demandes aboutissent rarement surtout en
matière criminelle. Il existe cependant quelques cas récents comme celui de M. Loïc Sécher,
condamné en 2004 pour viol sur mineure à 16 ans de réclusion criminelle alors qu’il avait
toujours nié les faits et que les examens médicaux n’avaient pas établi l’existence d’une
agression sexuelle. Ici, c’est la victime qui a informé le procureur général, 4 ans plus tard,
qu’elle avait menti et qu’elle avait dénoncé mensongèrement l’accusé. La Cour de cassation
siégeant comme cour de révision a estimé qu’étaient des faits nouveaux de nature à faire
naître un doute sur la culpabilité de ce dernier et elle a annulé la condamnation (Cass. crim.,
13 avril 2010, Bull. crim. n° 71). L’accusé a été renvoyé devant une nouvelle cour d’assises
mais a été remis en liberté. Il a été acquitté le 24 juin 2011 après que le ministère public ait
lui-même requis l’acquittement, ce qui est très rare.
Le recours en révision sert à réparer les erreurs judiciaires consistant à avoir condamné, à tort,
un innocent. La procédure de réexamen, créée plus récemment, vise à faire produire des effets
aux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme ayant condamné la France, en
permettant que l’affaire ayant donné lieu à cette condamnation puisse être réexaminée au
regard de la décision de la CEDH. Dans les deux cas, ces recours sont très particuliers car il
contrarie le principe de l’autorité de la chose jugée, ce qui est exceptionnel.
Les conditions de fond de ces recours sont fixées par les articles 622 et 622-1 CPP.
Selon le premier de ces textes la révision d'une décision pénale définitive peut être demandée
au bénéfice de toute personne reconnue coupable d'un crime ou d'un délit lorsque, après une
condamnation, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la
juridiction au jour du procès de nature à établir l'innocence du condamné ou à faire naître un
doute sur sa culpabilité.
La réforme a donc simplifié les conditions de fond puisqu’auparavant, il existait quatre cas
d’ouverture à révision. Il était apparu, en pratique, que seul le cas de la révélation d’un fait
nouveau ou inconnu de la juridiction de jugement était invoqué, ce qui a conduit à le
conserver seul, les autres cas n’étant que des illustrations de celui-ci.
Il faut observer que la révision n’est possible qu’en cas de condamnation pour un crime ou un
délit, ce qui exclut, d’une part, l’hypothèse d’une personne condamnée pour une
contravention et, d’autre part, le cas où il serait révélé qu’une personne a été relaxée ou
acquittée à tort alors qu’on pourrait prouver qu’elle est coupable.
En outre, le fait nouveau peut être de nature à établir l’innocence ou, plus simplement, faire
naître un doute sur la culpabilité.
Selon l’article 622-1 CPP, le réexamen d'une décision pénale définitive peut être demandé au
bénéfice de toute personne reconnue coupable d'une infraction lorsqu'il résulte d'un arrêt
rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la condamnation a été prononcée en
violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la
violation constatée entraîne, pour le condamné, des conséquences dommageables auxquelles
la satisfaction équitable accordée en application de l'article 41 de la convention précitée ne
pourrait mettre un terme.
On remarquera qu’ici, le texte n’interdit pas d’exercer le recours après une condamnation
pour une simple contravention puisqu’il évoque une « infraction », même si c’est peu
probable en pratique.
Le texte ajoute que le réexamen peut être demandé dans un délai d'un an à compter de la
décision de la CEDH et que le réexamen d'un pourvoi en cassation peut être demandé dans les
mêmes conditions. Il existe donc ici un délai à respecter alors qu’aucun délai n’est prévu pour
la révision.
2. La procédure
Le législateur détermine les personnes qui peuvent exercer les recours puis la procédure qui
doit être suivie et la loi de 2014 a très largement unifié celle-ci.
A. Demandeurs
Selon l’article 622-2 CPP, la révision et le réexamen peuvent être demandés par les mêmes
personnes, à savoir :
1° le ministre de la justice ;
2° le procureur général près la Cour de cassation ;
3° le condamné ou, en cas d'incapacité, son représentant légal ;
4° après la mort ou l'absence déclarée du condamné, son conjoint, le partenaire lié par un
pacte civil de solidarité, le concubin, les enfants, les parents, les petits-enfants ou arrière-
petits-enfants ou les légataires universels ou à titre universel.
S’agissant de la révision, les procureurs généraux près les cours d'appel peuvent également la
demander.
B. Procédure
La loi de 2014 prévoit que c’est la même juridiction, dénommée, cour de révision et de
réexamen, qui examine les deux recours. Selon l’article 623 CPP, elle est composée de dix-
huit magistrats de la Cour de cassation, dont le président de la chambre criminelle, qui préside
la cour de révision et de réexamen. Chacune des chambres de la Cour de cassation est
représentée par trois de ses membres.
La cour de révision et de réexamen désigne en son sein, pour une durée de trois ans,
renouvelable une fois, cinq magistrats composant la commission d'instruction des demandes
en révision et en réexamen, ces magistrats ne pouvant siéger au sein de la formation de
jugement de la cour de révision et de réexamen. Les treize autres magistrats composent cette
formation de jugement qui statue en révision ou en réexamen (art. 623-1 CPP).
La commission d’instruction se prononce sur la recevabilité de la demande et peut ordonner
un supplément d’information confié à l’un de ses membres (art. 624 CPP). S’il s’agit d’une
demande de réexamen, le président de cette commission renvoie devant la formation de
jugement de la cour dès lors qu’il constate l’existence d’un arrêt de la CEDH établissant une
« violation de la convention applicable au condamné » (art. 624-1 CPP). S’il s’agit d’une
demande de révision, la commission dispose d’un pouvoir d’appréciation de l’existence du
fait nouveau permettant de saisir la formation de jugement (art. 624-2 CPP).
La formation de jugement peut également ordonner l’exécution d’un supplément
d’information et, lorsque l’affaire est en état, elle l’examine au fond et statue, par un arrêt
motivé non susceptible de recours, à l’issue d’une audience publique au cours de laquelle sont
recueillies les observations du requérant ou de son avocat, celles du ministère public ainsi
que, le cas échéant, celles de la partie civile constituée au procès dont la révision ou le
réexamen est demandé ou de son avocat (art. 624-3 CPP).
L’article 624-7 énonce que la formation de jugement, si elle l’estime la demande bien fondée,
annule la condamnation prononcée sauf lorsqu’il est fait droit à une demande en réexamen du
pourvoi du condamné. Les conséquences de l’annulation varient selon les situations.
Si un nouveau jugement est possible, la formation de jugement renvoie le requérant devant
une juridiction de même ordre et de même degré, mais autre que celle dont émane la décision
annulée. En cas de demande en réexamen et si le réexamen du pourvoi du condamné, dans des
conditions conformes à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, est de nature à remédier à la violation constatée par la CEDH, elle
renvoie le requérant devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.
En revanche, si un nouveau jugement est impossible notamment en cas d'amnistie ou de décès
du condamné notamment, la formation de jugement statue elle-même au fond.
Si l'annulation de la décision à l'égard d'un condamné vivant ne laisse rien subsister à sa
charge, aucun renvoi n'est prononcé.
Une suspension de l’exécution de la condamnation peut être demandée au cours de la
procédure de révision ou de réexamen et c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation
qui est compétente pour se prononcer. Elle peut accorder cette suspension en soumettant la
personne à des obligations et interdictions. Si elles ne sont pas respectées, la suspension de la
peine peut être supprimée (art. 625 CPP).
Il faut encore relever que le législateur, à l’article 626, énonce que la personne qui envisage
un recours en révision peut saisir le procureur de la République d’une demande écrite et
motivée tendant à ce qu’il soit procédé à tous actes nécessaires à la production d’un fait
nouveau ou à la révélation d’un élément inconnu au jour du procès. Cette demande doit porter
sur des actes déterminés et le procureur statue dans un délai de deux mois, sa décision
pouvant faire l’objet d’un recours devant le procureur général, qui se prononce dans un délai
d’un mois. De même, afin de préserver les possibilités d’une révision, un nouvel article 41-6
du Code de procédure pénale permet à une personne condamnée par une cour d’assises de
s’opposer à la destruction, à l’initiative du parquet, des objets saisis au cours de la procédure,
le ministère public pouvant, en cas de désaccord, saisir la chambre de l’instruction afin qu’elle
tranche. Enfin, l’article 308 du Code de procédure pénale est modifié afin de généraliser
l’enregistrement sonore des débats devant la cour d’assises.
Si un recours en révision ou en réexamen aboutit à une annulation de la condamnation et que
le demandeur est reconnu innocent, ce dernier ou toute personne ayant subi un préjudice
découlant de la condamnation infondée peut obtenir une indemnisation de ce préjudice, cette
réparation étant à la charge de l’Etat (art. 626-1 CPP).
§ 2 : Les juridictions de jugement d’exception
Si l’expression « juridictions d’exception » a une connotation péjorative par ce qu’elle évoque
une justice ne respectant pas les principes fondamentaux notamment d’impartialité, il ne faut
pas oublier qu’elle a un sens juridique précis. Il s’agit d’exprimer le fait que dans certains cas,
il est nécessaire d’avoir recours à des juridictions ayant une composition particulière, soit
pour juger certaines personnes, comme les mineurs, soit pour juger des infractions
particulières. On préfère aujourd’hui parler de juridictions spécialisées.
On verra donc d’abord les juridictions spécialisées en raison de la personne poursuivie puis en
raison de l’infraction.
A. Les juridictions spécialisées en raison de la personne poursuivie
Il s’agit des juridictions destinées au jugement des mineurs et de celle destinée au jugement des
membres du gouvernement.
1. Les juridictions pour mineurs
L’ordonnance du 2 février 1945, qui a été réformée très souvent et, en dernier par la loi du 10
août 2011, prévoyait initialement un régime particulier pour le jugement des mineurs auteurs
d’infractions pénales, essentiellement orienté vers la socialisation et d’éducation du mineur.
L’idée fondamentale est que le mineur commet des infractions parce qu’il souffre d’un déficit
éducatif et que si l’on comble ce dernier, il pourra sortir de la délinquance et mener une vie
honnête. Les dispositions de fond et de forme sont étroitement liées dans les textes et le
Conseil constitutionnel en a déduit que « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs
en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des
enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par
une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment
reconnues par les lois de la République » et qu’il s’agit donc d’un principe fondamental
reconnu par les lois de la République (Déc. 4 août 2011) que le législateur ne peut pas
méconnaître. Cependant, les modifications récentes de l’ordonnance tendent clairement à
atténuer cette spécificité pour traiter les mineurs, auteurs de certaines infractions ou
particulièrement ancrés dans la délinquance, comme les majeurs et le Conseil
constitutionnel admet, au moins en partie, cette évolution.
Il existe traditionnellement 3 juridictions spécialisées pour les mineurs mais la loi du 10 août
2011 en crée une nouvelle, à compter du 1er janvier 2012. Il s’agit donc du juge des enfants,
du tribunal pour enfants, du tribunal correctionnel pour mineurs et de la cour d’assises des
mineurs. On évoquera également la chambre spéciale de la cour d’appel.
a) Le juge des enfants
C’est un magistrat du TGI nommé par décret du président de la République sur avis conforme
du CSM et il ne peut rester dans cette fonction plus de 10 ans (art. 28 et 28-3 de l’ordonnance
du 22 déc. 1958 sur le statut de la magistrature).
Il faut rappeler qu’il possède des compétences à la fois civiles et pénales. En effet, selon
l’article 375 du Code civil, il peut prendre des mesures d’assistance éducative « si la santé, la
sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son
éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement
compromises ». En matière pénale, l’ordonnance de 1945 lui donne un rôle central dans le
traitement de la criminalité et de la délinquance des mineurs même si l’article 1 er de
l’ordonnance ne le cite pas parmi les juridictions pour mineurs.
Le juge des enfants est compétent pour juger les mineurs auteurs de contraventions de
5ème classe et, en principe, de délits. Pour les contraventions des 4 premières classes, le
mineur est jugé par la juridiction de proximité ou le tribunal de police, qui peuvent prononcer
l’amende contraventionnelle ou certaines mesures éducatives (Ord., art. 21).
Le juge des enfants présente la particularité, comme on l’a déjà vu, de cumuler les fonctions
d’instruction et de jugement. Cependant, le procureur peut saisir le juge des enfants ou un
juge d’instruction (Ord., art. 5).
La compétence du juge des enfants dépend, en principe, des mesures qu’il va prononcer à
l’égard du mineur. S’il entend relaxer, dispenser de peine ou prononcer des mesures
d’éducation non répressives (admonestation, remise aux parents, placement dans un
établissement), il peut le faire seul et en chambre du conseil, c’est-à-dire en audience non
publique (Ord. art. 8). Cependant, l’article 8, dernier alinéa, issu de la loi du 10 août 2011,
énonce que « lorsque le délit est puni d’une peine égale ou supérieure à trois ans
d’emprisonnement et qu’il a été commis en état de récidive légale par un mineur âgé de plus
de seize ans, (le juge des enfants) ne pourra rendre de jugement en chambre du conseil et sera
tenu de renvoyer le mineur devant le tribunal correctionnel pour mineurs ». Le législateur
veut donc clairement soustraire une partie du contentieux qui relevait jusqu’à présent
du juge des enfants, considéré comme trop laxiste, pour la confier à une juridiction plus
traditionnelle dont il pense qu’elle se montrera plus sévère même si elle peut prononcer
aussi des mesures éducatives.
En dehors de ce cas des mineurs récidivistes, si le juge des enfants envisage de prononcer des
sanctions pénales à l’égard du mineur, il ne peut le faire lui-même et doit saisir, à cette fin le
tribunal pour enfants.
b) Le tribunal pour enfants
Ce tribunal est, selon l’article L. 251-3 COJ, présidé par un juge des enfants et il comprend
deux assesseurs (art. R. 251-5 COJ), qui ne sont pas des juges professionnels, nommés pour 4
ans par le ministre de la justice et choisis parmi les personnes, âgées de plus de 30 ans, qui se
sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions relatives à l’enfance et par leurs
compétences dans ce domaine. Rappel : le juge des enfants qui préside le tribunal ne peut pas
être celui qui a renvoyé devant le tribunal le mineur (article L. 251-3 COJ issu de la loi du 26
déc 2011).
Le tribunal pour enfants possède une compétence d’attribution en partie commune avec le
juge des enfants puisqu’il peut aussi juger les contraventions de 5ème classe et les délits
commis par les mineurs sur renvoi du juge des enfants ou du juge d’instruction. La différence
tient au fait qu’il est saisi pour prononcer des mesures répressives (peines ou sanctions
éducatives) sans pour autant être obligé de les prononcer puisqu’il peut aussi prendre des
mesures éducatives (Ord., art. 2). Cependant, comme on va le voir, il perd, avec la création du
tribunal correctionnel pour mineurs, une partie de sa compétence pour certains délits.
En outre, il est aussi chargé de juger les crimes commis par les mineurs de 16 ans qui ne
relèvent donc pas, normalement, d’une cour d’assises des mineurs (voir infra).
En principe, le tribunal pour enfants est saisi après une instruction. Celle-ci est toujours
nécessaire en matière criminelle, comme pour les majeurs. En revanche, alors qu’initialement,
l’instruction était aussi toujours imposée pour les délits, les réformes récentes de l’ordonnance
permettent désormais de saisir directement le tribunal pour enfants. Ainsi, le législateur a créé
la procédure de présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs, applicable aux
mineurs de 16 à 18 ans à certaines conditions, qui s’inspire largement de la comparution
immédiate applicable aux majeurs (Ord., art. 14-2). On l’étudiera au second semestre. La loi
de 2011 va encore dans ce sens en permettant au procureur de poursuivre devant le tribunal
pour enfants, selon la procédure de convocation par OPJ (qui sera vue au second semestre),
soit un mineur âgé d’au moins treize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit
puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement, soit un mineur d’au moins seize ans lorsqu’il lui
est reproché d’avoir commis un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement. Il faut
cependant que le mineur ait déjà été poursuivi selon une procédure ordinaire de l’ordonnance
de 1945, sans être nécessairement récidiviste et il faut également qu’il n’y ait pas
d’investigations à réaliser sur les faits ni sur la personnalité du mineur (Ord., art. 8-3).
Dans sa décision du 4 août 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que cette nouvelle
procédure n’était pas contraire au principe de spécificité de la justice des mineurs, ce qui
montre qu’il fait une interprétation large de ce principe.
c) Le tribunal correctionnel pour mineurs
C’est une innovation importante de la loi du 10 août 2011 qui érode un peu plus la
spécificité de la procédure pénale des mineurs.
Cette juridiction fait l’objet d’un nouveau chapitre de l’ordonnance de 1945, contenant les
articles 24-1 à 24-4, qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2012.
Le tribunal correctionnel pour mineurs constitue, aux termes de l’article L. 251-7 du Code de
l’organisation judiciaire, une formation spécialisée du tribunal correctionnel. Il est donc
composé de trois magistrats professionnels dont un juge des enfants qui le préside mais qui ne
doit pas être celui qui a renvoyé le mineur en jugement.
L’article 24-1 dispose que « les mineurs âgés de plus de seize ans (au moment des faits) sont
jugés par le tribunal correctionnel pour mineurs lorsqu’ils sont poursuivis pour un ou
plusieurs délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans et
commis en état de récidive légale ». Il est également compétent pour le jugement des délits et
contraventions connexes aux délits reprochés aux mineurs, notamment pour le jugement des
coauteurs ou complices majeurs de ceux-ci. On peut donc en déduire que ce tribunal se voit
attribuer une partie de la compétence du juge des enfants et du tribunal pour enfants
mais qu’il ne statuera qu’à l’égard des mineurs récidivistes ayant plus de 16 ans.
L’article 24-2 de l’ordonnance énonce que le tribunal correctionnel pour mineurs peut être
saisi exclusivement par ordonnance de renvoi du juge des enfants ou du juge
d’instruction en application des articles 8 et 9. La loi prévoyait qu’il pourrait être saisi
directement, donc sans instruction, au moyen des procédures évoquées précédemment
(présentation immédiate et convocation par OPJ) mais le Conseil constitutionnel a censuré ces
dispositions. Cela réduit l’intérêt de la création de cette juridiction mais il faut rappeler (voir
supra) que le juge des enfants lorsqu’il est saisi d’affaires relevant de la compétence du
tribunal correctionnel pour mineurs sera tenu de renvoyer le mineur devant cette juridiction et
ne pourra plus juger lui-même le mineur (Ord., art. 8, dernier alinéa). Il en va de même du
juge d’instruction saisi des mêmes affaires (Ord., art. 9). Autrement dit, la compétence
d’attribution de ce tribunal correctionnel pour mineurs est limitée mais elle est
exclusive.
L’article 24-3 de l’ordonnance énonce que si la prévention est établie à l’égard d’un mineur
âgé de plus de seize ans, le tribunal correctionnel pour mineurs peut prononcer des mesures
éducatives, des sanctions éducatives ainsi que des peines.
d) La cour d’assises des mineurs
Elle est composée d’un conseiller à la cour d’appel qui la préside et de deux assesseurs
choisis, en principe, parmi les juges des enfants du ressort de la cour d’appel. Elle comprend
également un jury comme la cour d’assises des majeurs, sans aucune spécificité.
Elle est compétente pour juger les crimes commis par les mineurs âgés, au moment des
faits, de 16 à 18 ans. Elle peut également juger les crimes et délits commis par le mineur
avant qu’il ait atteint l’âge de seize ans révolus lorsqu’ils forment avec le crime
principalement poursuivi un ensemble connexe ou indivisible (art. 20, modifié par la loi du 10
août 2011). Cela suppose donc que le mineur ait commis un crime ou un délit avant 16 ans et
qu’il ait commis un crime après 16 ans. Il pourra être renvoyé pour le tout devant la cour
d’assises des mineurs.
Enfin, la cour d’assises des mineurs peut juger des faits commis par des majeurs si ces
derniers étaient coauteurs ou complices du mineur mais le juge d’instruction peut aussi
renvoyer séparément les majeurs devant la cour d’assises classique (Ord., art. 9).
La spécificité essentielle de la cour d’assises des mineurs est l’absence de publicité des
débats, principe applicable devant toutes les juridictions pour mineurs.
e) La chambre spéciale de la cour d’appel
Il existe une chambre spéciale pour traiter les affaires concernant les mineurs. Elle comprend
trois conseillers à la cour d’appel dont l’un, qui exerce les fonctions de président et de
rapporteur, est un conseiller « délégué à la protection de l’enfance » spécialement désigné au
sein de la cour d’appel (art. L. 312-6 COJ).
Cette chambre juge les appels formés contre les décisions de toutes les juridictions pour
m mineurs du premier degré. Elle a aussi une compétence civile en matière d’assistance
éducative.
2. La juridiction pour les membres du gouvernement : la Cour de justice de la
République
L’article 67 de la Constitution prévoit que le président de la République n’est pas responsable
des actes accomplis en cette qualité. Cependant, l’article 68 institue une procédure politique
de destitution et non pas une procédure judiciaire lorsque le président commet un
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Cette
destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour, qui n’apparaît pas comme
une juridiction à proprement parler puisqu’elle peut être saisie pour des faits ne constituant
pas des infractions pénales.
La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est
aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours et que la Haute Cour est
présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à
bulletins secrets, sur la destitution et sa décision est d’effet immédiat. Il semble, de toute
façon, peu probable que la Haute Cour soit un jour constituée.
La Constitution prévoit, en revanche, une véritable juridiction pénale qui est la Cour de justice
de la République (art. 68-1). Cette juridiction a été créée par une loi constitutionnelle du
27 juillet 1993 et se compose de 12 parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par
l’Assemblée nationale et le Sénat, après chaque renouvellement général ou partiel de ces
assemblées, ainsi que de 3 magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un est
président de la Cour. Le ministère public est exercé par le procureur général près la Cour
de cassation, assisté d'un premier avocat général et de deux avocats généraux qu'il désigne
(art. 8 de la loi organique du 23 nov. 1993 relative à la CJR).
La CJR est compétente, en vertu de l’article 68-1 de la Constitution, pour juger les
membres du gouvernement pour les infractions commises dans l’exercice de leurs
fonctions.
L’article 68-2 de la Constitution énonce que toute personne qui se prétend lésée par un crime
ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut
porter plainte auprès d’une commission des requêtes. Mais la constitution de partie civile
n’est pas recevable (art. 13 de la loi de 1993). Les actions en dommages-intérêts résultant des
faits poursuivis devant la CJR ne peuvent être portées que devant les juridictions de droit
commun.
Cette commission des requêtes, composée de 3 magistrats du siège de la Cour de cassation,
de 2 conseillers d’Etat et de 2 conseillers maîtres à la Cour des comptes, désignés pour 5 ans,
ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la
Cour de cassation aux fins de saisine de la cour de justice (art. 14 de la loi). Elle fonctionne
finalement comme une instance de filtrage en appréciant en droit et en opportunité la suite à
donner à la procédure.
En cas de poursuite de la procédure, une commission d’instruction est saisie. Elle se
compose de 3 magistrats du siège de la Cour de cassation. Cette commission peut procéder à
tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le
CPP et spécialement celles relatives aux droits de la défense. Cette commission instruit en
vertu d’un réquisitoire du procureur général près la Cour de cassation, contre personne
dénommée (art. 19 de la loi de 1993), soit à la suite de la décision de la commission des
requêtes, soit, quand il agit d’office comme il en a le pouvoir (art. 17 de la loi de 1993), avec
l’avis conforme de cette commission. Dans ce domaine, elle a les pouvoirs du juge
d'instruction : elle peut procéder à des auditions, des interrogatoires et des confrontations. Elle
peut également requalifier les faits qui lui sont soumis.
Quand l’instruction lui paraît terminée, la commission d’instruction communique le dossier au
procureur général pour qu’il prenne ses réquisitions (art. 23 de la loi du 23 nov. 1993). Les
membres du gouvernement mis en examen et leurs avocats en sont avisés.
La commission peut décider qu’il n’y a pas lieu à poursuivre (elle prononce alors un non-lieu)
ou au contraire ordonner le renvoi de l’affaire devant la Cour de justice de la République (art.
23). Les arrêts de la commission d’instruction peuvent faire l’objet de pourvois en cassation
qui sont portés devant l’assemblée plénière de la cour de cassation (art. 24).
Les règles du CPP concernant les débats et le jugement sont applicables devant la cour de
justice de la République (art. 26 de la loi de 1993). Celle-ci statue sur la culpabilité puis sur la
peine à bulletins secrets (art. 32). Ses arrêts peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation qui
est porté devant l’assemblée plénière (art. 33 de la loi de 1993).
La CJR a été saisie de plusieurs affaires importantes dont celle du sang contaminé. Trois
anciens ministres ont été poursuivis pour homicides et blessures involontaires (Fabius, Hervé
et Dufoix). Un seul a été reconnu coupable (Hervé) mais dispensé de peine, ce qui est
ahurissant. A l’heure actuelle, c’est l’ancienne ministre de l’économie, devenue dirigeante du
FMI, qui est visée par une plainte pour avoir décidé de recourir à l’arbitrage dans l’affaire
Tapie.
B. Les juridictions spécialisées en raison de l’infraction poursuivie
Il existe encore aujourd’hui des spécificités concernant les infractions militaires ou commises
par des militaires. Mais, en outre, certaines infractions de droit commun ressortissent à la
compétence de tribunaux correctionnels et de cours d’assises spéciales.
1. Les juridictions spécialisées pour les infractions militaires
Elles diffèrent selon que les infractions concernées sont commises en temps de paix ou en
temps de guerre. Les infractions sont soit des infractions militaires par nature, définies par le
Code de justice militaire), comme la désertion ou l’insoumission, soit des infractions de droit
commun commises dans l’exercice du service.
En temps de paix, les infractions militaires ou les infractions de droit commun commises
par des militaires dans le cadre de leur fonction et sur le territoire français, sont jugées
par des juridictions de droit commun, un TGI et une cour d’assises sans jurés, donc
composée seulement de magistrats professionnels (7), étant spécialement désignés dans le
ressort de chaque cour d’appel (CPP, art. 697 et 698-6). S’agissant des infractions commises à
l’étranger, c’est le tribunal aux armées de Paris qui est compétent. Le Code de justice militaire
prévoit que des chambres détachées de ce tribunal peuvent éventuellement être créées à titre
temporaire en dehors du territoire français.
En cas d’état de siège ou d’état d’urgence déclaré, des tribunaux territoriaux des forces
armées peuvent être institués (art. 700 CPP).
En temps de guerre, des juridictions spéciales sont créées : les tribunaux territoriaux des
forces armées (art. L. 112-1 s. du Code de justice militaire) lorsque les armées se trouvent sur
le territoire français et, le cas échéant, des tribunaux militaires aux armées (art. L. 112-27 s.
du Code de justice militaire) lorsque ces dernières se trouvent à l’étranger.
2. Les autres juridictions spécialisées
Une des tendances contemporaines de la procédure pénale est de spécialiser des juridictions
pour le jugement de certaines infractions tout en centralisant le contentieux correspondant.
Il existe dans certains cas un tribunal correctionnel spécialisé ou une cour d’assises
spécialisée. On se contentera de décrire sommairement le dispositif qui est, en réalité, d’une
grande complexité en raison de l’empilement des lois au fil du temps.
a) Le tribunal correctionnel spécialisé
En matière de pollution des eaux maritimes par rejets des navires, l’article 706-107 du Code
de procédure pénale prévoit que pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des
infractions qui sont commises dans les eaux territoriales, les eaux intérieures et les voies
navigables, la compétence d'un tribunal de grande instance peut être étendue au ressort d'une
ou plusieurs cours d'appel. Le texte énonce même que pour les affaires d’une grande
complexité, le tribunal correctionnel de Paris peut être saisi.
Dans le domaine des infractions en matière économique et financière, l’article 704 du Code de
procédure pénale, modifié par une loi du 6 décembre 2013, énonce que dans les affaires
« d'une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou
de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent », la compétence territoriale
d'un tribunal de grande instance peut être étendue au ressort de plusieurs cours d'appel pour
l'enquête, la poursuite, l'instruction et, s'il s'agit de délits, le jugement de certaines infractions
suivantes comme l’escroquerie, l’abus de confiance, le blanchiment, la fraude fiscale etc.
La même loi (art. 705) a donné des compétences particulières au tribunal de grande instance
de Paris et au « procureur de la République financier » (qui est un parquet spécialisé, rattaché
au TGI de Paris, compétent uniquement pour certaines infractions), qui exercent une
compétence concurrente des juridictions ordinaires, pour certaines infractions, telles que la
corruption ou certaines formes d’escroquerie, dans les affaires d’une grande complexité.
L’article 705-1 prévoit enfin que le procureur de la République financier et les juridictions de
Paris ont seuls compétence pour la poursuite, l'instruction et le jugement des délits d’initié.
On trouve encore des juridictions spécialisées pour juger les infractions en matière sanitaire
(art. 706-2 ) et pour juger les infractions de criminalité et de délinquance organisée,
énumérées par les articles 706-73 et 706-74 (art. 706-75).
b) La cour d’assises spécialisée
Sa particularité tient ici au fait qu’elle ne comporte pas de jury mais seulement des magistrats
professionnels. Elle existe pour le jugement des crimes terroristes (art. 706-25), des crimes en
matière de stupéfiants (art. 706-27) ainsi qu’en matière militaire.
On notera aussi qu’en matière de criminalité organisée, il existe des cours d’assises avec jury
qui ont une compétence territoriale spéciale, étendue au ressort d’une ou de plusieurs cours
d’appel (art. 706-75). Enfin, les juridictions parisiennes (TGI et cour d’assises) ont une
compétence concurrente de toutes les autres juridictions nationales pour juger de nombreuses
infractions telles que celles en matière de terrorisme (706-17) ou celles en matière
d’infractions relatives à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs
(voir la liste de l’article 706-167).
Section 2 : La compétence des juridictions pénales
Lorsqu’une infraction a été commise, il faut déterminer quelle est, parmi toutes les
juridictions pénales, celle qui sera appelée à statuer sur les faits et à juger leur auteur,
autrement dit celle qui a compétence pour le faire. Ce problème de compétence se pose aussi
bien pour les juridictions d’instruction que pour les juridictions de jugement. Le CPP édicte
sur cette question un certain nombre de règles qui sont d’ordre public ce qui signifie que les
parties au procès pénal ne peuvent donc pas, en principe, déroger par un accord, aux règles de
compétence. En outre, parce que ces règles sont d’ordre public, l’exception d’incompétence
peut être soulevée même pour la première fois devant la Cour de cassation. Nous allons donc
examiner ces règles de compétence (Sous-section 1) puis voir que des conflits de compétence
peuvent survenir, qu’il faut régler (Sous-section 2).
Sous-section 1 : Les règles de compétence
Déterminer la compétence d’une juridiction, c’est se poser plusieurs questions différentes. La
première est celle de savoir quelle est la juridiction qui est territorialement compétente,
autrement dit est-ce le tribunal de Lille ou celui de Valenciennes qui peut statuer ? Cette
question est celle de la compétence territoriale ou compétence rationne loci. Cependant, une
autre question va alors se poser qui est celle de savoir quelle juridiction de ce siège faut-il
saisir, par exemple le tribunal correctionnel ou le tribunal de police. Il s’agit de la compétence
matérielle ou rationne materiae. Enfin, une troisième question peut se poser, mais pas de
manière systématique, à savoir celle de savoir si le prévenu ne doit pas être jugé par une
juridiction spéciale en raison de sa qualité personnelle. C’est la compétence personnelle ou
rationne personnae. On va donc voir successivement ces questions mais le problème de la
compétence personnelle a, en fait, déjà été étudié au travers de la présentation des juridictions
elles-mêmes. On sait donc que les mineurs, comme les membres du gouvernement, pour les
infractions relevant de leurs fonctions ainsi que les militaires sont jugés par des juridictions
particulières en raison de leur qualité. Il n’y a donc pas lieu d’y revenir.
On verra ainsi la compétence territoriale et la compétence matérielle.
§ 1 : La compétence territoriale
Comme on le sait, sauf exceptions telle la Cour de cassation, les juridictions possèdent une
compétence sur une partie du territoire français seulement. C’est le ressort de la juridiction,
qui est déterminé de manière administrative et sur lequel il n’y a rien à dire de particulier
même si, en pratique, la question des limites de ce ressort est évidemment très importante. Ce
qui nous intéresse ici, c’est le problème de savoir qu’est-ce qui justifie qu’une juridiction soit
territorialement compétente plutôt qu’une autre, autrement dit quel est le critère de
rattachement de l’infraction à la juridiction.
Cette question est étroitement liée à celle, qui relève du droit pénal général, de savoir quand la
loi pénale française est applicable à une infraction. Ce problème de droit pénal précède
cependant la question de la compétence territoriale parce qu’il faut d’abord savoir si le droit
français est applicable avant de savoir si c’est le tribunal de Lille ou de Valenciennes qui sera
saisi.
On va voir qu’il existe des règles de compétence de principe et des exceptions.
A. Les principes
Selon le Code pénal, la loi pénale française s’applique aux infractions commises sur le
territoire français mais aussi, à certaines conditions, à celles commises à l’étranger.
1. Les infractions commises en France
Le principe affirmé par le Code pénal est celui de la territorialité à savoir que la loi pénale
française s’applique à toute infraction commise sur le territoire de la République (art. 113-2)
ou réputée commise sur ce territoire, à savoir les infractions dont un des faits constitutifs a été
réalisé sur le territoire national, les infractions commises à bord de navires battant pavillon
français ou d’aéronefs immatriculés en France quel que soit le lieu où ils se trouvent ainsi que
les infractions commises à bord de navires de la marine nationale ou d’avions militaires où
qu’ils se trouvent (113-3 et art. 113-4). On rappellera encore que le Code pénal prévoit que la
complicité en France d’une infraction commise à l’étranger relève de la loi pénale française à
condition qu’il s’agisse de la complicité d’un crime ou délit puni à la fois en France et à
l’étranger et si cette infraction a été constatée par une décision définitive d’une juridiction
étrangère (art. 113-5).
Dès lors que cette première question de droit pénal est résolue se pose la seconde, de
procédure pénale, qui est de savoir quel tribunal doit être saisi. Ici, c’est le CPP qui pose
les critères de rattachement, dans plusieurs textes. Ces critères sont variables selon que la
personne soupçonnée de l’infraction est une personne physique ou une personne morale.
Personne impliquée personne physique
Lorsque l’auteur ou du moins la personne soupçonnée est un être humain, le premier critère,
qui est évidemment celui du Code pénal, est le lieu de commission des faits (art. 43 pour la
compétence du procureur de la République, art. 52 pour celle du juge d’instruction, art. 382
pour celle du tribunal correctionnel). Le deuxième critère est celui du lieu d’arrestation de la
personne mais il est inapplicable en matière contraventionnelle. Le troisième critère est celui
du lieu de résidence de la personne impliquée et le quatrième, ajouté par la loi du 9 mars
2004, est le lieu de détention de la personne même lorsqu’elle est détenue pour une autre
cause, c’est-à-dire dans une autre affaire. Ces critères sont valables en matière criminelle et
délictuelle et il faut donc, pour que le tribunal correctionnel soit compétent, par exemple, que
les faits sont commis dans son ressort territorial, que le suspect soit arrêté dans celui-ci, qu’il
y réside ou qu’il y soit détenu.
En matière de contraventions, il n’existe que deux critères (522 et 522-1 pour le tribunal de
police et la juridiction de proximité) : le lieu de commission de l’infraction et le lieu de
constatation de la contravention. Cela s’explique simplement par le fait que, dans ce domaine,
il ne peut y avoir d’arrestation ni de détention (cependant, le critère du lieu de détention
s’applique, dans les autres matières, en ce de détention pour une autre cause mais le
législateur n’a pas voulu d’étendre aux contraventions).
Il faut préciser qu’il s’agit des règles ordinaires de compétence et qu’il y a donc des
exceptions. Par exemple, l’article 382, relatif à la compétence du tribunal correctionnel,
prévoit une règle spéciale pour le délit d’abandon de famille de l’article 227-3 du code pénal,
selon laquelle « est également compétent le tribunal du domicile ou de la résidence de la
personne qui doit recevoir la pension, la contribution, les subsides ou l'une des autres
prestations visées par cet article ».
Personne impliquée personne morale
Il existe ici un texte spécial, rendu nécessaire par le fait que les critères de l’arrestation, de la
résidence ou de la détention soit évidemment inapplicables. L’article 706-42 CPP prévoit
deux critères de compétence : le lieu de commission de l’infraction et le lieu du siège social
de la personne morale. Ce dernier critère pose des questions, non résolues par la
jurisprudence. Si la personne morale comporte plusieurs établissements, faut-il prendre en
compte le siège social proprement dit seulement ou peut-on prendre en considération le lieu
de l’un des établissements ? L’intérêt peut-être pour la victime d’une infraction qui, au lieu de
poursuivre la société devant la juridiction dans le ressort de laquelle elle a son siège social,
pourrait le faire devant la juridiction dans le ressort de laquelle elle a un établissement, plus
proche de son domicile. Une autre question se pose si le siège social est à l’étranger mais que
la personne morale a un établissement en France. Il n’y a aucune jurisprudence connue.
2. Les infractions commises à l’étranger
Le législateur admet que la loi pénale et donc les juridictions pénales françaises soient
compétentes lorsque l’infraction est commise à l’étranger, mais seulement de manière
exceptionnelle parce qu’une telle extension de compétence est naturellement source de
difficultés multiples. Ainsi, il est compliqué de mener une instruction sur des faits commis à
l’étranger, par exemple, parce qu’il faut obtenir la collaboration des autorités judiciaires
locales pour effectuer des investigations telles que des perquisitions ou des saisies notamment.
Néanmoins, le Code pénal prévoit un double système dit de personnalité active et de
personnalité passive. Dans le premier cas, on va prendre en compte le fait que l’auteur des
faits est de nationalité française et, dans le second, le fait que la victime est de nationalité
française.
Ainsi, l’article 113-6 prévoit que la loi pénale française est applicable à tout crime commis
par un Français hors du territoire de la République et aux délits commis par des Français hors
du territoire de la République si les faits sont punis dans le pays où ils ont été commis
(condition de double incrimination – personnalité active).
L’article 113-7 prévoit que la loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu'à tout
délit puni d'emprisonnement, commis à l’étranger lorsque la victime est de nationalité
française au moment de l'infraction (personnalité passive).
Dans ces deux cas, la poursuite des délits (et non des crimes) ne peut être exercée qu'à la
requête du ministère public et elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses
ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis (art.
113-8). Par ailleurs, toute poursuite est exclue, dans ces cas, lorsque la personne concernée
établit qu’elle a déjà été jugée définitivement à l’étranger et, si elle a été condamnée, que la
peine a été exécutée ou est prescrite, c’est-à-dire ne peut plus l’être (art. 113-9). Cette règle
rappelle le principe fondamental non bis in idem.
Il faut encore ajouter le cas de certaines infractions commises à l’étranger, visées par l’article
113-10 et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et de l’Etat ou des
crimes ou délits contre les agents ou les locaux diplomatiques ou consulaires français,
commis, par hypothèse, à l’étranger. Il s’agit encore ici de la personnalité passive parce que
c’est l’Etat français qui est victime.
Pour toutes ces infractions commises à l’étranger, les critères de rattachement au ressort d’une
juridiction, qui ont été vus précédemment, posent problème. Aussi, l’article 693 énonce que la
juridiction compétente est celle du lieu où réside le prévenu, celle de sa dernière
résidence connue, celle du lieu où il est trouvé, celle de la résidence de la victime ou, si
l'infraction a été commise à bord ou à l'encontre d'un aéronef, ou que les victimes de
l'infraction ont été les personnes se trouvant à bord d'un aéronef, celle du lieu de décollage,
de destination ou d'atterrissage de celui-ci. Le texte prévoit même que lorsque ces critères
sont inapplicables, la juridiction compétente est celle de Paris, à moins que la
connaissance de l'affaire ne soit renvoyée à une juridiction plus voisine du lieu de l'infraction
par la Cour de cassation statuant sur la requête du ministère public ou à la demande des
parties. En d’autres termes, il sera toujours possible de trouver une juridiction compétente.
En dehors des deux mécanismes de personnalité active et passive, existe celui de la
compétence universelle qui consiste à rendre les juridictions pénales françaises compétentes,
en vertu d’une convention internationale, en raison de la nature de l’infraction, quel que soit le
lieu de sa commission (mais ce ne peut être qu’à l’étranger) et quel que soit la nationalité de
l’auteur comme de la victime. L’idée est ici de permettre de faire juger les auteurs de ces actes
partout où ils viendront à se trouver. L’article 689-1 du Code de procédure pénale prévoit
donc qu’en application de certaines conventions internationales qui sont énumérées, peut être
poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne
qui s'est rendue coupable à l’étranger de l'une des infractions énumérées par ces articles. Il
s’agit, par exemple, de la torture ou autres traitements cruels, des actes de terrorisme, des
détournements d’aéronefs etc. (voir les art. 689-2 à -12). On remarquera seulement qu’il ne
s’agit pas seulement d’infractions très graves mais aussi des infractions à la réglementation du
temps de conduite et de repos dans les transports routiers (art. 689-12). En tout cas, le critère
de rattachement à la juridiction pénale est celui de la présence de l’auteur des faits sur le
territoire français.
B. Les dérogations
En principe, en appliquant l’un ou l’autre des critères légaux, il est possible de savoir quelle
juridiction pénale est compétente. Cependant, dans certains cas, il peut apparaître justifier de
déroger à ces règles, essentiellement pour des raisons pratiques, que l’on qualifie d’ « intérêt
d’une bonne administration de la justice ». Il existe deux hypothèses principales de dérogation
qui sont la connexité et l’indivisibilité. De plus, on a vu que certaines juridictions spécialisées
avaient une compétence territoriale étendue voir nationale pour les juridictions parisiennes
(voir supra). On n’y reviendra pas. En revanche, le Code de procédure pénale prévoit aussi
des cas de renvoi d’une juridiction à une autre.
On verra donc successivement la connexité, l’indivisibilité puis le renvoi.
1. La connexité
La connexité est une notion utilisée par le législateur dans plusieurs textes mais elle est décrite
par l’article 203 du Code de procédure pénale. Selon ce texte « les infractions sont connexes
soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit
lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers
lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont
commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour
en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées,
détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées ».
On déduit de cette formule descriptive plutôt qu’analytique qu’il y a connexité entre plusieurs
infractions dans plusieurs situations.
Il peut y avoir :
- unité de temps ou de lieu entre les différentes infractions ;
- unité du but criminel (concert formé à l’avance) même si la commission ne se fait pas au
même endroit ou en même temps ;
- rapport de causalité entre les infractions, l’une étant commise afin de réaliser l’autre (vol
d’une voiture pour commettre un cambriolage ou une attaque à main armée) ;
- cas particulier du recel des choses provenant de l’infraction.
Cependant, pour la Cour de cassation, le texte n’est pas limitatif et elle considère que ses
dispositions s’étendent au cas où il existe entre les faits des rapports étroits, analogues à ceux
que la loi a spécialement prévus. On remarquera, au passage, que c’est un cas d’interprétation
par analogie d’un texte de procédure pénale. La notion de connexité est donc très large et
relève de l’appréciation des juges (voir TD).
La notion de connexité a donc pour conséquence une extension de compétence
territoriale au profit de la juridiction saisie. Par exemple, si un tribunal correctionnel est
saisi de faits d’escroquerie commis par une personne dans son ressort mais qu’il s’avère que
l’escroc avait des complices qui ont commis leurs actes de complicité dans le ressort d’autres
juridictions, le tribunal saisi pourra juger l’ensemble des faits. De même, si le tribunal est saisi
de faits d’association de malfaiteurs commis dans son ressort, il pourra juger les infractions
réalisées dans le cadre de cette association, commises hors de son ressort.
En pratique, si les différentes infractions ont donné lieu à la saisine de plusieurs juridictions
différentes, il pourra y avoir jonction des procédures au profit d’une seule d’entre elles,
laquelle est facultative et décidée par les juridictions concernées (mesure d’administration
judiciaire insusceptible de recours). En revanche, si, dès le départ, une seule juridiction est
saisie de l’ensemble des faits connexes, elle doit respecter cette saisine.
Il faut encore noter que la connexité produit un effet très important, qui ne relève pas de
la question traitée ici. Elle a en effet des conséquences sur la prescription de l’action
publique : un acte interruptif de prescription pour l’une des infractions produit son effet
interruptif à l’égard de toutes les infractions connexes.
2. L’indivisibilité
C’est une notion encore plus large que la connexité car elle est évoquée par des textes sans
aucune définition. Le problème est de savoir comment la distinguer de la connexité et, en
réalité, on ne parvient pas réellement à le faire. On admet cependant qu’il y a indivisibilité
lorsque la même personne commet plusieurs infractions dans des ressorts différents ou
lorsque la même infraction est commise par des personnes différentes, qui agiraient dans
des ressorts différents.
En tout cas, l’indivisibilité, qui dépend totalement de l’appréciation des juges, produit les
mêmes effets que la connexité.
3. Le renvoi
Le législateur admet encore que certaines situations justifient qu’une juridiction, valablement
saisie selon les critères de compétence légaux, soit dessaisie de l’affaire au profit d’une autre,
qui n’est normalement pas territorialement compétente. Les cas sont prévus de manière
limitative par le CPP.
On trouve d’abord le renvoi pour cause de suspicion légitime (art. 662). Il suppose une
requête du procureur général près la Cour de cassation, du ministère public de la juridiction
saisie ou des parties privées, adressée à la chambre criminelle qui peut dessaisir « toute
juridiction d'instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l'affaire à une autre
juridiction du même ordre pour cause de suspicion légitime ». Cette dernière notion
correspond au fait qu’il existe, selon le requérant, un soupçon de partialité pesant sur la
juridiction saisie. Il ne faut pas confondre la suspicion légitime et la récusation, prévue par
l’article 669 du Code de procédure pénale, qui vise un juge et non une juridiction, pour des
motifs précis énumérés par le texte (ex : lien de parenté entre le juge et l’une des parties), et
qui a pour effet de remplacer le juge par un autre et non pas de dessaisir la juridiction.
Le deuxième cas de renvoi est celui prévu par l’article 665 : le renvoi pour cause de sûreté
publique. Seul le procureur général près la Cour de cassation peut le demander à la chambre
criminelle et il doit être motivé par la crainte de troubles à l’ordre public que pourrait créer
l’instruction ou le jugement de l’affaire par la juridiction qui est saisie.
Le troisième cas prévu est le renvoi pour cause d’interruption du cours de la justice ou
d’impossibilité de constituer la juridiction normalement compétente (art. 665-1). La
demande peut émaner soit du procureur général près la Cour de cassation, soit du ministère
public de la juridiction saisie et elle est adressée à la chambre criminelle. Il peut s’agir, par
exemple, du cas où il est impossible de composer un tribunal parce que le président est
malade et que les deux juges composant normalement la juridiction ont accompli des actes
d’instruction dans l’affaire (Cass. crim., 16 mars 1959).
Le quatrième cas est le renvoi dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (art.
665, al. 2). Ce renvoi peut être demandé par le procureur général près la Cour de cassation ou
par le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie a
son siège, agissant d'initiative ou sur demande des parties. La notion de « bonne
administration de la justice » est particulièrement vague. Par exemple, il a été jugé que ne
constitue pas une cause de dessaisissement pour cette raison le fait que le mis en cause réside
en métropole alors que l’information est suivie dans un territoire d’outre-mer où les faits ont
été commis et où est situé le domicile de la partie civile, le juge d'instruction pouvant agir par
commission rogatoire (Cass. crim., 6 oct. 1993, Bull. crim. n° 279).
Le dernier cas de renvoi est celui prévu par l’article 664 selon lequel « lorsqu'une personne
mise en examen ou un prévenu est détenu provisoirement en vertu d'une décision prescrivant
la détention ou en exécution d'une condamnation, le ministère public peut, dans l'intérêt d'une
bonne administration de la justice (encore !), notamment pour éviter le transfèrement du
détenu, requérir le renvoi de la procédure de la juridiction d'instruction ou de jugement saisie
à celle du lieu de détention ». Ici, la justification est donc d’ordre strictement pratique.
§ 2 : La compétence matérielle
De nouveau, il faut exposer les principes puis les extensions de compétence.
A. Les principes
Comme on l’a vu en étudiants les juridictions, la compétence d’attribution découle
directement de la classification tripartite des infractions pénales : les crimes relèvent des
juridictions d’instruction et de la cour d’assises, les délits du tribunal correctionnel et les
contraventions du tribunal de police (5éme classe) et de la juridiction de proximité (4
premières classes).
Il résulte de cette distinction que les faits doivent être qualifiés par les juridictions et, d’abord,
par le ministère public. Il faut d’ailleurs noter que les juridictions, d’instruction ou de
jugement, sont saisies d’abord de faits et non d’infractions, même s’il est évident que les
faits doivent pouvoir recevoir une qualification infractionnelle. Ceci signifie, d’une part, que
les juridictions ne peuvent jamais statuer sur d’autres faits que ceux dont ils sont saisis ou,
autrement dit, qu’elles ne peuvent pas s’autosaisir de faits dont elles pourraient venir à avoir
connaissance, même s’ils sont en rapport étroit avec ceux dont elles sont saisies. Il n’existe
qu’une seule exception, lorsqu’une infraction est commise à l’audience d’une juridiction
(outrages envers un magistrat par exemple), l’article 675 permettant ici à la juridiction de
jugement de juger d’office les faits, c’est-à-dire même en l’absence de réquisitions du
procureur de la République.
D’autre part, la juridiction étant saisie de faits, elle dispose du pouvoir d’en modifier la
qualification afin d’appliquer celle qui sera la mieux adaptée. Si le tribunal correctionnel est
saisi de faits qualifiés d’escroquerie, il peut décider d’appliquer la qualification d’abus de
confiance par exemple. Selon la Cour de cassation, il existe même un devoir des juges de
procéder à une requalification des faits et, notamment, le tribunal correctionnel ne peut pas
relaxer au motif que les faits ne constituent pas l’infraction retenue dans l’acte de poursuite. Il
ne peut relaxer que s’il a vérifié que les faits ne pouvaient recevoir aucune qualification
pénale (V. art. 470 ; Cass. crim., 22 janv 1997, Bull. crim. n° 31). Ce devoir de requalifier les
faits est cependant écarté pour certaines infractions, comme celles à la loi sur la liberté de la
presse de 1881, celle-ci interdisant la requalification. On ajoutera que la requalification est
soumise au respect du principe du contradictoire, ce qui signifie que si le tribunal
correctionnel envisage une requalification, il doit impérativement en informer le prévenu afin
que celui-ci puisse se défendre sur la nouvelle qualification (Cass. crim., 13 févr. 2008, Bull.
crim. n° 38). Il s’agit de respecter les droits de la défense.
B. Les dérogations
Ici encore, il peut y avoir des dérogations aux règles de compétence ayant pour conséquence
qu’une juridiction pourra connaître de faits qui, en principe, relèvent de la compétence
matérielle d’une autre juridiction. Il existe différentes hypothèses prévues par le Code de
procédure pénale ainsi qu’un cas prétorien.
1. Cas légaux
En premier lieu, lorsque la juridiction procède à une requalification des faits, elle peut
retenir une qualification qui ne relève pas, normalement de sa compétence. Il y a ici deux
situations : soit la qualification retenue est plus grave, soit elle est moins grave.
Le premier cas est celui du tribunal correctionnel qui requalifie le délit en contravention ou de
la cour d’assises qui requalifie le crime en délit. Dans cette situation, la règle légale est que la
juridiction saisie reste compétente pour juger les faits alors même qu’ils ne relèvent pas
normalement de sa compétence (art. 466 pour le tribunal correctionnel ; art. 231 pour la cour
d’assises : principe de plénitude de juridiction).
Le second cas est celui où le tribunal de police qualifie les faits de délit ou le tribunal
correctionnel retient qu’il s’agit d’un crime. Dans cette hypothèse, la juridiction ne peut pas
juger les faits et elle doit se déclarer incompétente, à charge pour le ministère public de saisir
la juridiction compétente (art. 469 pour le tribunal correctionnel et 540 pour le tribunal de
police ou la juridiction de proximité).
En deuxième lieu, on retrouve ici le problème de la connexité et de l’indivisibilité puisque
ces situations peuvent conduire à ce qu’une contravention soit connexe à un délit. C’est même
très fréquent, en pratique, comme dans le cas des accidents de la circulation donnant lieu à
poursuites pénales, lorsqu’on poursuite un conducteur pour délit de blessures involontaires et
contraventions au Code de la route. La solution légale consiste évidemment à donner
compétence à la juridiction saisie pour l’infraction la plus grave afin de juger les moins
graves. Ainsi, l’article 382 dispose que la compétence du tribunal correctionnel s’étend aux
contraventions connexes ou indivisibles. La solution est la même pour la cour d’assises, en
vertu du principe de la plénitude de juridiction. Enfin, l’article 521 prévoit aussi que le
tribunal de police est compétent pour juger les contraventions des 4 premières classes
connexes, relevant de la compétence de la juridiction de proximité.
En troisième lieu, il existe un principe procédural selon lequel « le juge de l’action est juge
de l’exception », qui autorise le juge pénal à statuer sur des questions qui ne relèvent pas, en
principe de sa compétence, en raison de leur nature même, administrative ou civile au sens
large. Le cas que vous connaissez déjà est celui des exceptions d’illégalité d’actes
administratifs puisque l’article 111-5 du Code pénal donne au juge répressif le pouvoir
d’apprécier la légalité et d’interpréter les actes administratifs à la seule condition que la
solution du procès dépende de cette appréciation. Par conséquent, le juge pénal n’a pas à se
déclarer incompétent et il peut trancher ce type de difficulté relevant, par nature, du droit
administratif. Le problème peut aussi se poser pour des questions relevant du droit civil, du
droit du travail, du droit commercial etc. L’article 384 du Code de procédure pénale prévoit
ici que la juridiction correctionnelle peut statuer sur toutes les exceptions, c’est-à-dire les
moyens de défense de toute nature à l’exception, toutefois, des exceptions dites préjudicielles
qui doivent être tranchées par une autre juridiction mais qui sont limitativement prévues (voir
infra les conflits de compétence).
2. Cas prétorien
En dehors des prorogations de compétence prévues par le législateur, la jurisprudence admet
qu’une juridiction puisse s’affranchir des règles de compétence matérielle légalement prévues
pour juger de faits qui, en réalité, relèvent de la compétence d’attribution d’une autre
juridiction. C’est la pratique qualifiée de « correctionnalisation judiciaire », à distinguer de
la correctionnalisation légale qui consiste, pour le législateur, à transformer un crime en délit.
Ici, ce sont les juges qui, afin de conserver leur compétence, vont qualifier de délit des faits
qui sont criminels et devraient donc être jugés par une cour d’assises. Cette pratique judiciaire
est d’abord celle des parquets puisque ce sont les procureurs qui décident d’abord de la
qualification des faits. Cependant, elle est très largement relayée par les juridictions
correctionnelles et elle a même reçu une forme de consécration légale.
L’objectif de cette pratique est de soustraire des faits aux cours d’assises soit pour les juger
plus rapidement ou ne pas encombrer ces juridictions, soit pour prendre en compte la gravité
réelle des faits (du moins celle appréciée par les magistrats) en retenant une qualification
moins sévère que celle qui résulterait de l’application des textes. En général, cette
correctionnalisation est évidemment favorable aux auteurs d’infraction mais ce n’est pas
toujours le cas. Par exemple, retenir la qualification d’homicide involontaire au lieu de celle
de meurtre ou de coups mortels empêche de plaider la légitime défense. Plus généralement,
certaines affaires pourraient conduire à des acquittements devant une cour d’assises alors
qu’elles donneront lieu à une condamnation devant un tribunal correctionnel.
En pratique, cette correctionnalisation consiste, par exemple, à omettre des circonstances
aggravantes qui auraient pour conséquence de criminaliser le délit. Ainsi, le vol avec usage
d’une arme est un crime (art. 311-8) et le ministère public préfère parfois qualifier les faits de
vol avec violences, délictuel (art. 311-6), lorsqu’il s’agit d’une arme blanche et non d’une
arme à feu. Dans d’autres cas, très fréquents, les juges travestissent délibérément la réalité.
C’est le cas en matière d’infractions sexuelles puisque le Code pénal distingue entre le viol,
impliquant un acte de pénétration sexuelle et les agressions sexuelles qui excluent cet acte.
Or, en pratique, dans de très nombreux cas, des viols sont qualifiés d’agressions sexuelles
alors que les tribunaux devraient se déclarer incompétents.
Cette correctionnalisation est critiquée par la doctrine parce qu’elle méconnaît des règles de
compétence qui sont d’ordre public. Cependant, il faut noter qu’elle ne peut avoir lieu que si
toutes les parties au procès l’acceptent car il est toujours possible de demander au juge de se
déclarer incompétent en raison de la nature des faits et la Cour de cassation casse des arrêts
lorsqu’elle constate que des cours d’appel ont méconnu les règles de compétence d’attribution
(Cass. crim., 10 janvier 2007 : « En matière répressive, la compétence des juridictions est
d'ordre public. Il appartient aux juges correctionnels, saisis de la cause entière par l'appel du
ministère public, de se déclarer incompétents, même d'office, lorsque les faits poursuivis
ressortissent à la juridiction criminelle »).
De surcroît, le législateur a partiellement consacré cette pratique par la loi du 9 mars 2004
qui a ajouté un alinéa à l’article 469 du Code de procédure pénale. Le premier alinéa dispose
que lorsque le tribunal correctionnel constate que les faits sont criminels, il se déclare
incompétent et renvoie le ministère public à se pourvoir. Le dernier alinéa ajoute que lorsqu'il
est saisi par renvoi du juge d'instruction ou de la chambre de l'instruction, le tribunal
correctionnel ne peut pas se déclarer incompétent pour cette raison si la victime était
constituée partie civile et était assistée d'un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné. Il s’agit
donc de dire que dans cette situation où il y a eu instruction, la partie civile assistée d’un
avocat devait contester la qualification délictuelle des faits devant la juridiction d’instruction
et qu’il est trop tard pour le faire devant le tribunal. Cependant, le même texte prévoit une
exception en énonçant que le tribunal correctionnel saisi de poursuites exercées pour un délit
non intentionnel conserve la possibilité de renvoyer le ministère public à se pourvoir s'il
résulte des débats que les faits sont de nature à entraîner une peine criminelle parce qu'ils ont
été commis de façon intentionnelle. On réserve donc essentiellement le cas de l’homicide
involontaire qui peut encore être requalifié en homicide volontaire par le tribunal.
Sous-section 2 : les conflits de compétence
L’ensemble des règles qui ont été exposées peut susciter des conflits, c’est-à-dire que
plusieurs juridictions sont susceptibles de se voir attribuer, en même temps, l’examen d’une
même affaire. En principe, la résolution de tels conflits va se faire au profit de l’une des
juridictions et au détriment d’une autre qui sera donc dessaisi. Cependant, dans certains cas,
on règle le problème différemment en faisant traiter une question pour une autre juridiction
sans pour autant dessaisir totalement la juridiction pénale saisie.
Il faut donc examiner les conflits de compétence territoriale puis les conflits de compétence
d’attribution.
§ 1 : Les conflits de compétence territoriale
Il faut imaginer ici que deux juridictions pénales sont saisies des mêmes faits, en application
des critères légaux. Le législateur a mis en place des mécanismes afin de régler ces conflits de
sorte qu’une seule juridiction reste saisie. Le premier s’applique uniquement devant les
juridictions d’instruction et il s’agit du dessaisissement volontaire. Le second mécanisme est
qualifié de « règlement de juges ».
A. Le dessaisissement volontaire
Ce mécanisme peut s’appliquer lorsque deux juges d’instruction se trouvent saisis
simultanément des mêmes faits ou de faits connexes (le texte dit la même infraction mais il
faut prendre en considération les faits plutôt que leur qualification), l’article 657 du Code de
procédure pénale énonce que le ministère public peut, dans l'intérêt d'une bonne
administration de la justice, requérir l'un des juges de se dessaisir au profit de l'autre. Le
dessaisissement n'a lieu que si les deux juges en sont d'accord et il suppose donc bien une
volonté de se dessaisir pour l’un d’eux. Si tel n’est pas le cas et que le conflit de compétence
subsiste, le texte dit qu’il est procédé par la voie du règlement de juges.
B. Le règlement de juges
Cette procédure est destinée à régler soit un conflit positif de compétence, lorsque deux
juridictions s’estiment compétentes pour traiter d’une même affaire, soit un conflit négatif,
lorsque les différentes juridictions se sont déclarées incompétentes ou ont rendu des décisions
inconciliables qui empêche le justiciable de trouver un juge acceptant de traiter le dossier. Ce
serait le cas, par exemple, si le juge d’instruction, s’estimant territorialement compétent,
renvoie un mis en examen devant le tribunal correctionnel qui, lui, se déclare incompétent.
Une solution simple au conflit positif, quoique non prévue en dehors du juge d’instruction,
est celle du dessaisissement volontaire d’une juridiction au profit d’une autre. A défaut, il faut
faire régler ce conflit par une juridiction supérieure qui est la chambre de l’instruction ou la
Cour de cassation.
Selon l’article 658, lorsque deux tribunaux correctionnels, deux juges d'instruction, deux
tribunaux de police ou deux juridictions de proximité appartenant au même ressort de cour
d'appel se trouvent saisis simultanément de la même infraction, il est réglé de juges par la
chambre de l'instruction qui statue sur requête présentée par le ministère public ou les parties.
Le texte suppose ici un conflit entre deux juridictions de même nature et qui
appartiennent au même ressort de cour d’appel. La décision de la chambre de
l’instruction, qui désignera donc la seule juridiction qui restera saisie, est susceptible d'un
pourvoi en cassation.
Pour tous les autres conflits, soit positifs entre des juridictions de nature différente ou de
même nature mais appartenant à des ressorts de cour d’appel différents, soit négatifs, c’est la
chambre criminelle de la Cour de cassation qui est seule compétente. L’article 659 prévoit
qu’elle est saisie par requête du ministère public ou des parties et qu’elle peut aussi, à
l'occasion d'un pourvoi dont elle est saisie, régler de juges d'office et même par avance. L'arrêt
portant règlement de juges va donc désigner la juridiction qui sera saisie et il, est signifié aux
parties intéressées.
§ 2 : Les conflits de compétence matérielle
Le problème est évidemment différent car il suppose que plusieurs juridictions se considèrent
compétentes en même temps en raison de la matière même qui est jugée. Il ne s’agit donc pas
de conflits entre plusieurs juridictions pénales mais entre une juridiction pénale et une
juridiction civile ou administrative, compétente pour juger un aspect de la question. En
d’autres termes, le juge pénal est saisi de faits au sujet desquels se pose une question qui est
étrangère au droit pénal. Parfois, le juge pénal peut rester saisi mais doit renvoyer la question
au juge compétent mais dans d’autres cas il ne peut statuer et doit se dessaisir. Dans le
premier cas, on parle question préjudicielle alors que, dans le second, il s’agit d’un conflit
entre deux ordres juridictionnels, judiciaire et administratif.
A. Les questions préjudicielles
Comme on l’a vu, en principe, le juge répressif est compétent pour statuer sur toutes les
questions posées à l’occasion des faits même si elles relèvent d’autres matières. C’est
notamment le cas des exceptions d’illégalité d’un acte administratif. Cependant, ce n’est pas
vrai de manière systématique, le législateur prévoyant que certaines questions précises, trop
techniques, doivent être examinées par le juge normalement compétent. Il existe des
hypothèses où la question relève de la matière civile et d’autres où elle relève du droit public
ou du droit communautaire. En outre, le régime juridique de cette question est particulier.
1. La nature des questions préjudicielles
a. Questions de nature civile
En matière civile, il existe trois cas dans lesquels le juge pénal doit se déclarer incompétent
et surseoir à statuer en renvoyant la question au juge civil. Le premier est prévu par l’article
384 du Code de procédure pénale et il s’agit du droit réel immobilier invoqué par le prévenu.
Par exemple, si ce dernier est poursuivi pour avoir chassé sur la propriété d’autrui et qu’il
invoque en défense le fait qu’il est en réalité le propriétaire du terrain, le tribunal répressif
devra surseoir à statuer et renvoyer la question devant le TGI.
Le deuxième cas est celui de la nationalité, l’article 29 du Code civil disposant qu’une telle
question ne peut être tranchée que par une juridiction civile ou une cour d’assises.
Le troisième cas concerne les délits portant atteinte à la filiation. L’article 319 du Code civil
énonce qu’en cas de délit portant atteinte à la filiation d'un individu, il ne peut être statué sur
l'action pénale qu'après le jugement passé en force de chose jugée sur la question de filiation.
Le problème peut se poser, par exemple, dans le cas d’une poursuite pour faux en écriture
authentique si l’existence du faux devait donner à un enfant une filiation autre que celle qui
lui appartient (Cass. crim., 22 avr. 1969 : Bull. crim. 1969, n° 141).
En pratique, ces hypothèses sont extrêmement rares.
b. Questions de droit public
Dès lors que le juge est saisi d’une question de droit administratif autre que l’illégalité d’un
acte administratif, il est incompétent pour la trancher lui-même et doit surseoir à statuer en
attendant la réponse du juge administratif. C’est le cas, par exemple, de la question de savoir
si un bien fait partie du domaine public ou si un contrat administratif est valable (Cass. crim.,
25 sept. 1995, Bull. crim. 1995, n° 279).
Il faut aussi rappeler que le juge pénal ne peut apprécier lui-même la constitutionnalité des
lois. Pendant très longtemps, il s’est contenté de rejeter toutes les exceptions
d’inconstitutionnalité mais, désormais, le mécanisme de la question prioritaire de
constitutionnalité, déjà évoqué, permet au justiciable de soumettre au juge (chambre de
l’instruction ou juridiction de jugement) la question de la contrariété d’une disposition légale
avec les droits et libertés garantis par la Constitution. Si le juge estime que la question est
sérieuse, c’est-à-dire s’il considère que la norme légale pourrait être inconstitutionnelle, il doit
la transmettre à la Cour de cassation qui, après un nouvel examen, pourra la renvoyer au
Conseil constitutionnel. Il sursoit à statuer dans l’attente soit de la décision de la Cour de
cassation, soit de celle du Conseil constitutionnel.
c. Questions de droit communautaire
On notera ici que l’interprétation des normes de droit communautaire, traités ou règlements,
ne peut être faite par les juges judiciaires mais seulement par la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE - art. 267 du Traité sur le fonctionnement de l’UE). Il peut donc y avoir
question préjudicielle dans ces domaines mais encore faut-il qu’il y ait un réel problème
d’interprétation, ce que rejette souvent le juge répressif.
2. Le régime des questions préjudicielles
La question préjudicielle répond à un régime particulier puisqu’elle doit être soulevée avant
toute défense au fond, devant la juridiction de jugement (sauf la QPC qui peut être
soulevée devant une juridiction d’instruction) et elle n’est recevable que si elle est de nature
à retirer au fait poursuivi le caractère d’une infraction (art. 386). Il faut donc qu’elle est
un rapport très étroit avec l’infraction, ce qui permet au juge d’écarter les exceptions
dilatoires, posées uniquement pour entraver le cours des débats et retarder la décision.
Si elle est recevable et admise, le tribunal impartit un délai dans lequel le prévenu doit saisir
la juridiction compétente, civile ou administrative. Dans le cas de la QPC, c’est la juridiction
elle-même qui transmet à la Cour de cassation. Si le prévenu ne saisit pas la juridiction
compétente, il est passé outre à l'exception et les débats reprennent. Il en va de même,
évidemment si l'exception n'est pas admise (art. 386).
Il faut mettre à part le cas des exceptions préjudicielles relatives à l’interprétation du Traité de
l’Union européenne qui peuvent être présentées à tout stade de la procédure et le juge
répressif peut même saisir d’office la CJUE de cette question (article 267 du TFUE).
B. Les conflits d’ordre juridictionnel
Il s’agit de rappeler ici que le droit français se caractérise par une division entre juridictions
judiciaires et administratives, conséquence de la séparation entre autorités judiciaire et
administrative. L’administration a le pouvoir de faire respecter cette séparation en réclamant
qu’une question relevant de sa compétence soit soustraite à l’appréciation des juges
judiciaires et éventuellement répressifs.
Le conflit peut être positif dans le cas qui vient d’être évoqué mais il peut aussi être négatif si
aucun des deux ordres de juridiction ne se reconnaît compétent. Dans tous les cas, c’est au
Tribunal des conflits de trancher afin de savoir quelle est du juge pénal ou administratif celui
qui sera compétente pour statuer.
En pratique, s’agissant de l’action publique, c’est le conflit positif qui peut se présenter, par
exemple lorsque le tribunal correctionnel est saisi d’une question préjudicielle de nature
administrative mais qu’il refuse de surseoir à statuer. Ce sont les deux seuls cas où la
compétence du juge pénal sur l’action publique peut être contestée. Dans ce cas, le préfet
adresse à la juridiction un déclinatoire de compétence dans lequel il revendique la compétence
de la juridiction administrative en demandant au juge judiciaire de se déclarer in compétent.
S’il refuse, le préfet peut prendre un arrêté de conflit qui, cette fois, oblige le juge judiciaire à
surseoir à statuer, le Tribunal des conflits étant saisi par l’autorité administrative. Il rend sa
décision dans un délai de deux mois, en disant quelle est l’ordre juridictionnel compétent.
S’agissant de l’action civile, le problème peut se poser lorsque le juge pénal est saisi d’une
d’infraction commise par un agent public ayant entraîné des dommages (ex : violences
volontaires commises par un policier sur un suspect en garde à vue), le principe étant que
c’est l’Etat qui est responsable, ce qui interdit donc au juge judiciaire de condamner lui-même
civilement l’auteur du dommage sauf en cas de faute détachable du service, toute la difficulté
étant d’apprécier à partir de quand la faute est détachable du service.
Pour l’action civile, le conflit peut toujours être élevé sauf dans les cas où la loi donne
compétence au juge judiciaire. Ainsi, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour
réparer les dommages causés par un véhicule appartenant à une personne morale de droit
public (Loi du 31 déc. 1957) et ils sont seuls compétents en matière d’atteinte à la liberté
individuelle (art. 136 CPP).