0541-amans de chavagneux-cain el primero y el ultimo maldito de la tierra

165
00 CAIN PREMIER ET DERNIER MAUDIT DE LA TERRE DRAME PHILOSOPHIQUE EN QUATRE PARTIES AVEC 1 PU0L0j6l|E ET EPILOGUE PA II AMANS DE CHAVAGNEUX PARIS LIBRAIRIE CENTRALE 34, BOULEVARD DES ITALIENS, 24 1860 Tousdroits réservés

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Cristianismo esoterico

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00

CAIN

PREMIER ET DERNIER MAUDIT DE LA TERRE

DRAMEPHILOSOPHIQUEEN QUATREPARTIES

AVEC

1 .»

PU0L0j6l|EET EPILOGUE

PAII

AMANS DE CHAVAGNEUX

PARIS

LIBRAIRIE CENTRALE

34,BOULEVARDDESITALIENS,24

1860

Tousdroitsréservés

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a

C'est peut-être sans illusion sur la portée et l'uti-

lité philosophiques de ce drame que l'auteur s'est

£décidé a le publier ; il ne pense pas qu'aucune des

*malédictions amoncelées sur cet être à la Ibis réel

et imaginaire appelé Caïn puisse changer ou arrêter

aucun de ceux que leur mauvais destin a livrés à

cet esprit d'envie qui, comme une marée montante,

envahit les cœurs, avec une activité si dévorante et

si terrible, qu'elle semble rendre tout effort vers le

bien impuissant, toute chute vers le mal inévitable.

L'auteur n'espère pas non plus que cette pièce

puisse être représentée sur nos théâtres telle qu'elle

est. Mais il voit desspectateurs, à l'esprit frivole

et positif tout Ú la fois, se porter en aussi grand

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VI

nombre vers le drame et la tragédie que vers le vau-

deville et la comédie, vers l'opéra sérieux que vers

l'opéra comique. Il pense dès lors que la féerie

pourrait également revêtir la forme sérieuse,

essayer d'inspirer la compassion et l'effroi, au

moyen de la magnificence et de l'étrangeté de ses

tableaux. Il croit qu'en écartant de cet ouvrage les

dissertations philosophiques, plus faitespour des

penseurs que pour des spectateurs, sauf à en con-

server quelques phrases à effet; en retranchant

des tableaux bibliques quelques scènes trop peu

animées pour le public blasé de notre époque; en

donnant enfin à l'amour, représenté tour à tour par

Hégina, llascmah, Thamar et Antigone, les déve-

loppements toujours si attachants, sacrifiés ici Ú

ceux de l'étrange et funeste caractère qui fait le

pivot de ce drame, 011pourrait en faire, pour divers

théâtres, une pièce féerique d'un genre moins fri-

vole que celui auquel 011 habitue le public.

La féerie alors ne parlant plus seulement aux

veux, mais s'adressant aussi à la pensée, rattache-

rait peut-être Ú ce genre de spectacle les gens sé-

rieux qui s'en éloignent, et peut-être aussi porterait

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vu

bonheur au directeur de théâtre qui penserait pou-

voir en faire l'essai.

Cette pensée, jointe au sentiment tout paternel

d'un auteur pour les enfants de sa rêverie; l'en-

vie d'éprouver sur les autres l'effet des étranges

allures de ces frères indisciplinés, fils de l'histoire

ou de la fantaisie, un peu dépourvus peut-être ici

des ornements qu'exige la mise en scène; le désir

aussi de diriger du côté des déshérités quelques-

unes des mains qui se tendent si facilement vers

les spoliateurs : tous ces motifs, plus que l'espoir

tant cherché pourtant d'être utile, font aventu-

rer au jour de la publicité ces pages tracées d'une

main paresseuse, dans l'ombre et les loisirs de la

vie à la campagne.

A. DE C.

Chavagncux, ce 18 mai 1866.

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1

DIVISION DE L'OUVRAGE

PROLOGUE

_LESESPRITSDU FEU.-

PREMIÈREPARTIELABIBLE.

PremièreÉPOQUE:LesEnfantsd'Adam.DEUXIÈMEÉPOQUE: LesFilsde Noé.TROISIÈMEÉPOOUE:LesEnfantsd'Isaac.

QUATRIÈMEÉPOQUE: LesFilsde David.

DEUXIÈMEPARTIELAGRÈCEET LA VILLE ETERNELLE.

PREMIÈREÉPOQUE:LesTemps héroïques.DEUXIÈMEÉPOQUE: Homepaïenne.Troisièmeiîpoqui:: Romechrétienne.

TROISIÈMEPARTIE

- LESFILS AÎNÉSDE L'ÉGLISE.

PREMIÈREÉPOQUE: Prémices,CharlesIX.DEUXIÈMEÉPOQUE: Grandeur,LouisXIV.TROISIÈMEÉPOQUE: Décadence,CharlesX.

QUATRIÈMEPARTIELES DEUXMORDES.

PREMIÈREÉPOQUE: LevieuxMondeen Amérique.DEUXIÈMEÉPOQUE: Le nouveauMondeeu Europe.

ÉPILOGUEANGESDETÉNÈBRESET ANGESDE LUMIÈRE.

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rKOLOGLE

LES ESPRITS DU FEU

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PROLOGUE

LES ESPRITS DU FEU

PERSONNAGES:

LADOMINATION.1r,SPI!lTSDIVEIIS,snusformptir.flammes.

L'AMOUlî. I AUTRES VOIX et riKKUlS.

Uncielpâlecouvertd'étoiles.Delégersnuagesflottentdansle fondet aulourde lu scène.UneFlammeopalinese balanceau milieu,presqueimmobile,dansun jour crépusculaire.

L'ESPHITDE DOMINATION.

Fatalité! je vois, je conçois tout cet univers, et ne peux

rien sur lui. Ma flamme, insensible, impuissante pour

tous, n'échauffe, ne brûle que moi. (Momentde silence et de

repos.) Astres de feu, qui parcourez l'étendue, animant,

réchauffant toutes choses, s'il m'était donné de mouvoir

un seul devous, (S'animantdavantage.)de pénétrer, d'animer

ce soleil, de suivre ou d'entraîner une de ces comètes

dans leur marche vagabonde, de précipiter encore leurs

courses désordonnées! (S'agitantencoreplus.) d'emporter, de

brûler à mon gré tous ces astres presque immobiles r

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6 CAïN. «

Mais non; le plus petit des êtres qui rampent à leur sur-

face, la plus chétive des plantes qui végètent sous leur

enveloppe, ou sous celle du plus humble, du plus infime

de leurs satellites, sont plus forts, plus puissants que

moi; j'embrasse et conçois l'innniment grand, et ne puis

mouvoir seulement l'infiniment petit. (Uneautre Flammes'avance

lentement.)

L'AMOUR.

0 nature merveilleuse et toujours nouvelle, reproduc-

tion incessante d'astres et d'êtres vivants, embrassement

éternel de toute chose et toute vie, snlutf Salut aussi à

toi, esprit frère du mien, urne sœur de mon intelligence,

qui, comme moi, es appelé à voir, aimer et comprendre

toutes choses I

LADOMINATION.

Voir et comprendre, oui; mais aimer!. peut-on aimer

ce qu'on ne peut sentir, ce qu'on ne peut animer, faire

seulement tressaillir sous une brûlante étreinte déplai-

sir ou de souffrance, l'être duquel on ne peut exprimer

seulement un éclat de rire, arracher un seul cri d'an-

goisse? (D'autresFlammess'avancentdu fonddes nuages.)

L'AMOUR.

Frère, (a souffrance est presque la mienne. Comme

toi, je voudrais pouvoir faire sourire, mais non faire souf-

frir, et cette dernière impuissance me console de toutes

les autres.

LA DomNATIOX.

Elle ne me console pas, moi; elle m'irrite encore da-

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PROLOGUE. 7

vantage. Oh! brûler, déchirer, anéantir toutes choses,

pour les relever, reconstruire à son gré1. 0 vous, en-

fants de l'espace, ne sentez-vous pas tous comme moi?

UNEFLAMME.

Oui, esprit, comme toi nous voudrions animer un

de ces êtres, fût-il le plus faible, le plus infime de

tous, et notre intelligence, qui entend, qui comprend la

tienne, le répond pour le suivre et chercher avec toi.

LA DOMINATION.

A pénétrer, n'est-ce pas, n'importe lequel de ces êtres?

Vous avez bien fait de compter sur moi. Oui, nous par-

viendrons à revêtir la forme d'un de ces corps. La volonté

doit nous y conduire, si vous sentez, si vous voulez tous

comme moi.

TOUS,exceptél'Amour.

Oui, nous voulons tous comme toi.

LADOMINATION.

Écoutez donc: ce n'est pas aujourd'hui la première fois

que je cherche à pénétrer ces astres, mais toujours en

vain; il semble que leur nature soit trop différente de la

nôtre, leur action trop dépourvue de volonté. J'ai donc

cherché dans les êtres qui les habitent; mais leur volonté,

presque toujours inintelligente, n'obéissant qu'à leurs

seuls besoins, est encore trop éloignée de la nôtre. Un

seul être intelligent s'est développé sur une toute petite

planète.

L'AMOUR.

La Terre, n'est-ce pas?

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cS CAIN.

LADOMINATION.

Oui, la Terre.

UNI;FLAMME.

L'Homme?

L.ADOMINATION.

Oui, l'Homme.

L'AMOUR.

Et la Femme aussi! Frère, je l'ai vue. Comme toi, je

voudrais l'animer ; comme toi, je voudrais l'aimer! et je

n'osey penser.

LADOMINATION.

Je l'oserai, moi! et je l'ai déjà tenté. Esprits, mes frères,

ne doutons plus, nous pouvons pénétrer, en esprit du

moins, dans les enfants des hommes; nous serons eux

mêmes, puisque nous ne pouvons être plus qu'eux. 9

L'AMOUR.

Et si vous alliez ne plus pouvoir les quitter; s'il vous

fallait souffrir, mourir désormais avec eux?

LADOMINATION.

Eh qu'importe! Qui vient avec moi? (UnepartiedesFlammes

se range tle son côté,l'autre du côté de l'Amour;les Flammes,dans un

désordreinexprimable,semblentformer deux camps;les nuagess'épais-

sissent,des éclairsilluminentde tempsen tempsla scène,qui s'obscurcit

de plusen plus, de sorteque les Flammesn'éclaircntplusrien.)

LADOMINATION.

Allons sans crainte, je vous soutiendrai.

L'AMOUR.

Frères, attendez; je vous blâme, mais je vais avec vous,

j'aurai peuI-être à vous consoler.

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PROLOGUE. U

TOUS.

Moncourage! l'Amour est avec nous!

UNEVOIX.

La Haine aussi, malheureux !

LE CHŒUR

LaHaineaussi voussuit, malheureuxinsensés!

Espritsenflés d'orgueil, allezà (lois pressés.C'pstla Fatalitédontla main vous entraine

Versun affreuxséjour;

.nyallt tous, pour calmer l'ardeurdes flots de haine.

Qu'une larme d'amour.

»

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PREMIÈRE PAR TI E

LA BIBLE

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PREMIÈRE PARTIE

LA BIBLE

PREMIÈRE ÉPOQUE

LES EINFANTSD'ADAM

PERSONNAGES:

CAïN.ABEIi.LAvoixDEDIEU.

L'ANGEDUSOMMEIL.JUITAL,joueurde liarpc.TUHALCAÏiN,forgeron.

PREMIER TABLEAU

Unsitesauvageentrecoupéde rochers;au fond,un chemincreuxpasseprèsd'unepierresur laquelleun restede feu fumeencore.

CAÏN,assissur le devantde la scènepondantqu'Abelarrivedans le fond-

Non, ce feu ne peut pas s'allumer, un vent de malé-

diction l'éteint constamment. Dieu ne veut pas de mon

sacrifice. Les fruits de la terre n'ont pas de charme pour

le cruel qui nous a chassés d'Éden. C'est la fumée du

sang des malheureux agneaux qui seule plaît à ce dieu

barbare; c'est du sang qu'il te faut, esprit superbe, plus

tentateur encore que le serpent, ton éternel ennemi. 0

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14 4,,&lN.

ma mère, ma mère! pourquoi m'avez-vous enfanté, si je

dois toujours être inférieur à mon frère !

AllEr" arrivant près de Caïn.

Toi, mon frère; toi, mon inférieur? toi, dont la main

courageuse, ouvrant le premier sillon, prit, ainsi que l'in-

dique ton nom, possession de la terre, et sut la forcer à

nous donner les fruits qu'elle nous eût peut-être refusés

sans toi, sans le mâle courage sur lequel notre père se

repose avec orgueil des travaux difficiles auxquels Dieu

nous a condamnés?

CAÏN

Eh! que me sert de forcer la terre à se couvrir de fruits,

si l'or des moissons, la verdure des prairies, ne servent

qu'à fournir la pâture des troupeaux dont un autre se

glorifie?

ABEL.

Un autre, as-tu dit? et quel autre peut se glorifier de

quelque chose, sinon celui qui, le premier, a fait con-

naître à notre mère les premières joies de la maternité,

et reçut, premier-né de la terre, le premier sourire, le

premier baiser d'une mère? (Continuantseul, pendantque Caïn

s'écartepour 1111eressayerde ranimer la flammede son sacrifice.)Baiser

si doux, qui ne m'est pas refusé même après l'holocauste

de sang qui fait fuir ma sœur épouvantée. 0 Caïn, tu

m'envies la flamme de mes sacrifices; tu ne sais pas à

quel prix j'obéis à mon père, quel pressentiment encore

j'ai ressenti en voyant se fixer sur moi le regard mou-

rant de mon agneau. Il me semblait que mon sang allait

couler avec le sien, que mes yeux aussi étaient prêts à

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PRMIÈRE PARTIE, PRISil 1ÈREÉPOQUE 15

s'éteindre, que la mort prédite à notre race allait com-

mencer par moi, que ma sœur chérie, ma douce fiancée,

m'avait vu aujourd'hui pour la dernière fois. (A Caïnqni

revientdécouragé.)Crois bien, mon frère, que je ne m'efforce

de plaire à Dieu que pour nous le rendre favorable..

CAïN.

Merci de tes soins! mais allons plus loin, j'ai besoin de

marcher pour me distraire. (Ils s'éloignenten passantprès de la

pierre encorefumante.)

1ABEL.

Vois, Caïn, ton feu est prêt à se rallumer, tu avais trop

écarté ces feuillages.

CAÏN.

Laisse ce feu que je n'ai pu rallumer, tu ne rallume-

rais que ma colère. (Saisissantune branche.)Laisse, te dis-je!

entends-tu?

ABEL,se relevant.

Mais vois donc la flamme qui s'élève déjà.

CAÏN.

Sous ta main encore! Eh bien, plie au moins sous la

mienne. (n le frappe,Abel tombeen poussant un cri.) Du sang!

oh! malheureux, du sang! Eh bien, Dieu cruel, sois con-

tent, tu as aussi de moi un sacrifice de sang !. Et pour-

lant c'est moi qui avais horreur du sang. (Soulevantle bras

d'Abel,qui retombe inunimé.)Mais c'est donc possible? Je l'ai

tué!. La mort, le fléau prédit, s'est abattu sur l'homme!

Oh! qu'on ignore toujours, puisqu'on ne m'a pas vu, que

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16 CAÏS.

c'est par les mains d'un frère ! On ne pourra jamais en

avoir la pensée, je ne l'avais pas eue moi-même.

VOIXD'ENHAUT.

Caïn, qu'as-tu fait de ton frère?

(:,%ïN

Que sais-je! suis-je donc le gardien de mon frère?

LAVOIX.

La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à

moi.

crie de la l.ei-i,ejusqtt' ,i

,CAIN.

Eh! vers qui monterait le sang, si ce n'est vers qui le

demande? Le sang du pasteur serait-il moins agréable que

celui des agneaux?

LA VOIX.

Tais-toi 1. tu seras maudit sur la lerre, qui seule a bu

le sang versé par ta main fratricide. Va, tu seras errant

sur la terre inféconde pour loi.

CAÏN.

Oui, mon crime est trop grand pour que j'en puisse

espérer le pardon; je vais fuir loin de la face du Très-

Haut, et quiconque me verra me tuera.

LAVOIX.

J1 n'en sera point- ainsi, car un signe de malédiction

avertira quiconque serait tenté de te tuer, queta mort

serait vengée septante fois sept fois, (lue imceausang,éclairée

purune vivelumière,serpenteen lmit tic fouillesur le Irontdu Caïu.qui

s'enfuit.)

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PREMIÈRE PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 17

2

DEUXIÈME TABLEAU

Siteplussauvageencore,couvertde rochersarides,restesdeconvulsionsvol-

caniquesnon encoreapaisées.Desmassesde rocssurplombentla scène.

CAÏN,sa marquede sangau front.

Eli quoi, n'ai-je pas encore subi un assez dur châti-

ment? Et toi, terre, n'es-tu pas encore lasse de me porter?

Rochers suspendus sur ces abîmes, n'osez-vous rouler

sur le maudit que les hommes repoussent et n'osent

frapper? Et toi, Dieu vengeur, n'ai-je pas encore fatigué

ta colère? Les larmes sont séchées sur mes joues brû-

lantes; mon cœur, mordu par un éternel serpent, bat

toujours sous son affreuse étreinte. 0 remords, torture

qui sais déchirer et ne sais pas détruire, fond des tor-

rents qui m'avez revomi, rochers qui m'avez meurtri sans

pouvoir me briser, ongles qui avez déchiré mon cœur

sans pouvoir l'arracher de ma poitrine; vous tous, affreux

instruments de la souffrance, ministres impuissants de

la mort, maux sans remèdes, douleurs sans espérances,

vous verrai-je, vous sentirai-je toujours? Et toi, sommeil,

moment d'oubli de tous les malheureux, ne te goûterai-je

jamais? et ne dois-je connaître que ce supplice qui ne

peut s'arrêter un seul instant? 0 sommeil, vois! je suis

fatigué comme jamais aucune créature ne le fut; mes

membres ne peuvent me porter, toi seul peux m'être se-

courable, à toi seul il semble être permis de m'atteindre,

car tu n'apportes pas la mort; et puisque la terre refuse

de me prendre au nombre de ses cadavres, reçois-moi au

moins quelque temps sous ton aile, vaine image de la

mort. Mais non, sommeil impuissant, tu n'oses m'appro-

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18 CAÏ.

cher, et la défense de tuer Caïn te fait trembler devant

l'apparence même d'une désobéissance, (n se laissetombersur

une roche.)

UNEYOIXou un ange à robe et ailesnoires.

Tu te trompes, Caïn! La lassitude que tu éprouves, le

calme relatif où tu es en ce moment, te prouvent que je

puis t'approcher. Écoule: je suis l'ange du sommeil; mi-

nistre du Très-Haut, je n'ai point a désobéir à sa volonté,

qui me permet de te répondre. Voici ce qu'il te dit par ma

bouche: Tu vas connaître le sommeil, le sommeil profond,

le sommeil sans rêves; tu le goûteras aussi long que tu le

voudras, le sort n'en pourra déterminer la durée que lors-

que lu auras négligé de la fixer toi-même. Mais tu ne con-

naîtras pas pour cela les secrets de la mort. Non, cadavre

sans cesse revomi par la terre qui te repousse, tu ne

pourras plus y vivre de la propre vie; mais, à chaque

réveil, tu seras obligé de revêtir l'enveloppe d'une autre

créature, et, frère toujours dévoré par l'envie, tu ne seras

jamais plus l'aîné. Le souvenir de toi-même ne t'appa-

raîtra que par courts et cruels intervalles, et cela jusqu'à

la consommation des siècles, où commencera pour toi le

supplice réserve aux fratricides; tourment qui te fera re-

gretter d'avoir fui des douleurs qui retarderont, du moins

pour toi, l'éternelle durée de l'éternel supplice. Dis main-

tenant le temps que tu veux dormir, et la terre va se

charger de protéger ton sommeil.

CAÏN.

Oh! cent années; s'il se peut, que je dorme cent années

entières! (Bruit de tonnerre, les rochers s'ébranlenl, roulent sur la

(scène,la recouvrenl,Caïndisparaîtsousleur amoncellement)

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PREMIÈRE PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 19

TROISIÈME TABLEAU

La décorationreprésenlol'intérieurdu sol forméde rocherset de tcn'ceamoncelées.Caïnestcouchédansle fondet sembleécrasésousleurmasse.Unrideau ouvoileen gazenoirele découvreen s'écartant.Onentendunbruitde tonnerre.

CAÏN.

Oli ! j'étouffe! Eh(quoi, Sommeil! lu m'avais promis le

repos, le repos profond et sans rêves; est-ce ainsi que tu

Liens ta promesse?

LAVOIX.ou l'ituyenoir.

Les cent ans sont écoulés, lu peux revoir la lumière.

CAÏN,se soulevantavecpeine.

Non, ce n'esl pas possible, et, après tout, que m'im-

portent les hommes! je veux dormir encore deux fois

élulant. (Il se laisse retomber,le voile le recouvre,tout disparaitdans

l'obscurité.Nouveaucoup de tonnerre, la lumièrereparaîtpeu à peu.)

CAïN.

Dérision! Deux nouveaux siècles sont-ils encore écou-

lés? 0 raillerie amère! Eh bien, que je dorme encore

quatre fois autant que j'ai dormi. (L'obscuritérecommence,puisla lumière revientégalement)

CAÏN,se soulevantau bruit du tonnerre.

Vain sommeil, sommeil menteur, qui reposes les forces

du corps sans amortir les douleurs du cœur, merci de

ton vain secours! je veux revoir la demeure des hommes,

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20 CAiN.

mes souffrances m'y tiendront lieu de rêves. (il s'avanceen

rampantà traversles rochers, grattant la terre de ses onglcs, cl moule

vers le liantde la scènc;puis, paraissantcéderà la fatiguc.)Que m'im-

portent des hommes que je ne dois plus connaître? Dor-

mons encore, une halte ici me donnera moins de peine

pour un autre réveil. (Il tâche de s'étendre; on entend mugir

comme-lebruit d'une tempête.)Quel bruit étrange! Non, plus

de sommeil; je saurai du moins comment est maintenant

la face de la terre, (il se lèveetatteint un endroit moinsencombré,

grimpe jusqu'au haut et arrache des pierres; les eaux mugissantesfont

irruptiondans l'espaceoù il se trouve. Le rideau tombe.)

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l'RKMIÈRR PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 21

QUATRIÈME TABLIMU

Leseauxcouvrentlà terre. Un seul rocherest deboutau milieudes flots.

JUBAL,TUBALCAÏN,UNEENFANT.

.llTHAI"deboutsur le rocherà Tubalcaïnnageantencore.

Courage, mon frère! ce rocher est encore assez grand

pour nous deux. (11autre son frère sur le roc et l'embrasse.)Tu-

balcaïn, mon frère, que je suis heureux de te voir sauvé!

Si ces eaux niaudiles peuvent se retirer, je pourrai encore

m'appuyer sur ton bras fraternel si habile aux travaux

qui nourrissent l'homme, quandle mien sait à peine l'a-

muser. Vainartiste que je suis! que ferais-je sans toi sur

la terre dépouillée de tout fruit, privée de toute chair!

Vois! les eaux ont recouvert la face dela terre. Nous

sommes maintenant les seuls êtres vivants; une oreille

amie pourra entendre du moins les derniers accords de

ma lyre pleurant, avec la perte de la femme adorée, le

grand naufrage de l'humanité, (Préludesmélancoliques.)Mais

vois donc! une jeune enfant que l'eau fait tournoyer près

de nous; je suis moins fatigué que toi, je vais essayer de

la sauver aussi. Avec ta ceinture unie à la mienne, j'ar-

riverai peut-être jusqu'à elle, et par elle la femme pourra

peut-être reparaître aussi sur la terre, (il attacheles ceintures,

donne un bout à Tubaicaïnet se jette a l'eau avecl'autre bout. Pendant

qu'il tournoie,essayanten vain de rejoindre l'enfant dont les vaguesle

si'piirenl toujours, l'ombre de Caïn, reconnaissableau signe fatal, parait

sortir de derrièreTubaicaïnresté sur le rocher, et, pendant que le jour

s'obscurcit,s'absorberen Tubaicaïn,quipns?c la main sur son front.)

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22 CAÏN.

Jl'BAL.

Oh! tire à toi, mon frère, les forces me manquent! L'a-

bîme qui vient d'engloutir l'enfant m'attire aussi; tire

donc, si tu veux embrasser encore ton frère.

TUBALCAÏN,commeégaré.

Jubal. mon frère, à moi!. Mais les efforts qu'il fait

vont m'entrainer avec lui; en faire de mon côté, c'est

précipiter encore ma perte; non, nous ne pouvons tout

avoir ensemble; à lui les ceintures, à moi le rocher. (II

lâcheles ceintures.)

JUBAL,disparaissantsous les flots.

Mon frère !

TUBALCAÏN.

Frère barbare! j'ai laissé périr mon frère, et pourquoi?

Pour avoirà moi seul ce roc moins dur que mon cœur.

Ce roc, que je n'aurais même pas atteint sans lui, qu'en

ferai-je tout seul? Pourrai-je seulement le conserver. (Tré-

buchant.)Non, la vague va m'en dépouiller, elle me re-

pousse, comme j'ai repoussé mon frère. Réunis, nous

eussions été plus forts ! 0 affreuse pensée, comment as-tu

pu me venir? Comment s'est faite en moi celte affreuse

transformation? (L'éclairillumine son front, et l'on entend, mêlés

au bruit du tonnerre, retentir ces mots: )

Caïn! qu'as-tu fait de ton frère?

TUBALCAÏN,continuant.

Ah! maudit, maudit! Oui, c'est moi, je me reconnais!

(II tombe dans l'abîme,l'obscuritéenvahit la scî-ne.)

Page 29: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME ÉPOQUE

LESFILS DE NOIï

PERSONNAGES:

NOe.SliM.CIIAM.

JAPIIET.LAFEMMEDENOÉ,LESFEMMESDESESFILS.

Laterre encorehumide,couvertede flaquesd'eau et d'aridesrochers; l'archedansle fond,descadavresd'hommeset d'animauxgisentAdemientern'sdansla vase.

SCÈNE PREMIÈRE

CIIAM,RÉGINA,sonépouse.

RÉGINA.

Oui, Cham, mon enfant vient de tressaillir encore une

fois dans mon sein. Je n'en puis plus douter maintenant,

je suis mère. Oui, cher époux, je sens que je t'aime dou-

blement, et pbur toi et pour lui. Mais tu semblés préoc-

cupé, un léger nuage de tristesse voile encore ton visage

adoré; et loin de partager mes transports, tu sembles à

peine sensible à la voix de l'épouse qui t'aime.

CHAM.

Oh! toi seule peux me dislraire du bruit lugubre de ces

Page 30: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

24 GAÏN

eaux! Doux murmure1 voix enchanteresse de nos chastes

amours, pensée de leur heureuse fécondité, venez enfin

dissiper la tristesse qui me gagne encore malgré moi, à

l'aspect de cette terre désolée, de ces traces lugubres de

la malédiction. Oui, l'enfant qui vient de tressaillir en ton

sein, notre enfant, ô Régina, sera le premier né de la

terre régénérée; mais notre postérité sera-t-elle pour cela

assez heureuse pour ne jamais encourir la céleste malé-

diction? Que servirait à nos fils de couvrir un jour la face

de la terre, s'ils devaient la couvrir aussi de leurs ca-

davres amoncelés? 0 trop sévère châtimentI (II s'av.inccpour

considérerles cadavresà demi recouvertspar la vnseJ

SCÈNE II

LESMÊMES,JAPHET.

JAPHET,arrivant.

Trop juste punition, mon frère! Mais-est-ce à toi de

plaindre ou regretter le passé, quand l'avenir fait briller

à tes yeux ses plus séduisantescouleurs, quand Dieu

t'accorde le premier honneur de la paternité? (ARégina.)

Honneur surtout à vous, sœur bien aimée, qui apportez

cette première bénédiction aux enfants de notre père!

recevez les félicitations de Japhet.

CHAM.

Partout des morts, et puis encore des morts! de riches

parures souillées de fange ! .Soulevantle bras d'un cadavre.)En-

core un qui tient un sac plein d'or! Insensés! qu'en vou-

Page 31: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 25.-

liez-vous faire de cet or, et de quelle valeur vous serait-il

maintenant, lors même que la mort vous mit. épargnés?

JAPHKT,à Régi11.1.

Eloignez ces lugubres pensées, et recevez les félicita-

tions sincères de Japhet.

SCÈNE III

LESMÊMES,NOÉ.

NOÉ,arrivant.

Reçois aussi, ma fille, celles de Noé, et aussi sa béné-

diction. Oui, bénie sois-tu, cl. le fruit de les entrailles

béni, d'apporter à la terre cette première marque de

pardon! Ecoulez, mes enfants: un bonheur n'arrive ja-

mais seul. Vous savez le ccp dont j'ai planté les rameaux,

ainsi que la branche d'olivier trouvée par la colombe :

eli bien, ils ont tous pris racine. Ainsi l'homme en se

renouvelant sur la ferre y verra aussi reparaître la li-

queur qui l'éclairé et celle qui lui rend sa gaieté perdue.

Viens, Cham, viens voir mes ceps en fleurs. Je veux aussi

essayer avec toi un peu d'un flacon de vin que j'avais

gardé. Puisse-t-il te donner un peu de la gaieté que ton

bonheur nous donne à tous! (il l'emmène,R(Jg-inalessuit.)

SCÈNE IV

JAPIIET,seul.

Heureux Cham! ta naissance ne t'avait placé que le se-

Page 32: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

20 CAfN.

cond, ce dont tu te souciais fort peu, et voilà que tes

fils seront les premiers de la terre nouvelle; moi seul

je reste le troisième; qu'importe, pourvu que mon frère

soit heureux? Et pourtant. (L'ombrede Gainsort du milieudes

cadavresenfouisdansla vase,se glissederrièreJapliclet sembles'absorber

en lui.) Oui1 pourtant. Est-ce juste que je sois en tout et

toujours le dernier? Si c'était juste, sentirais-je cette soif

ardente d'être le premier, qui agit en moi comme un

désir de retour à une possession perdue? Perdue! com-

ment? Je ne sais, mais comme une déchéance, comme

un châtiment peut-être. Comme si l'avais été d'abord le

premier-né de la terre, comme je devrais en être le pre-

mier par la puissance de mes ambitions déchues. En

quoi vaut-il mieux que moi, ce rêveur sans prévoyance,

auquel une postérité arrive tout d'abord, et qui méprise

l'or qui pourrait la rendre puissante, l'or, qui dans le

monde nouveau, comme dans le monde ancien, doit don-

ner la supériorité véritable; l'or, dont je saurai assurer la

possession à la race qui naîtra de moi, et cette bénédic-

tion en vaudra bien une autre? (Il se penclicsur les cadavres

qu'il dépouillede leur or, qu'il l'ailsonner.)0 métal prédestiné ! tu

seras encore le roi de la terre. Insensé qui te méprise ;

trésor un instant méconnu par l'imprévoyance, je vais

t'enfouir loin de tout regard; et puisque l'homme se re-

produit de nouveau sur la terre, ô métal impérissable, je

puis t'enterrer sans crainte, l'heure de ta résurrection

est proche, (il sort.)

Page 33: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMlfiRli PARTIR, DHU\rRMf': ÉPOQUE. 27

SCÈNE V

NOÉet CIIAJI,rentrantensemble.

NOÉ,une coupeet un flacondans les mains.

Non, vois-lu, Cham, je suis encore trop vêtu comme

cela, (il joue son manleau.)je me sens plein d'ardeur et de

jeunesse. Si j'eusse bu plus tôt de cette généreuse liqueur,

ce n'eût peut-être pas été ta femme qui eût conçu la pre-

mière en ce monde nouveau. Aussi n'est-il pas certain

que je ne donne pas encore d'autres frères à mes enfants.

CIIAM.

Modérez-vous, mon père.

NOÉ.

Il vous sied bien de faire de la morale à votre père! (II

versedu vin clanssa coupe,et sort suivi de Cham,)

SCÈNE VI

SRMet JAPHET,

JAPHET.

Oui, Sem, cette conception menace d'être pour toi la

fin de toute supériorité, car si tu fus l'aîné du vieux

monde, les fils de Cham, les premiers-nés de la terre re-

nouvelée, seront les aînés du nouveau. Notre père les a

déjà bénis tels, dans le sein même de leur mère.

SEM.

Que m'importe!

Page 34: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

1

28 GAIN.

, JAPHET.

Ali! que t'importe, aîné, qu'on prenne ton rang? Puisque

tu en fais si peu de cas, qu'importe que tes enfants soient

un jour soumis à ceux de ton frère? qu'ils maudissent la

mémoire d'un père qui n'aura rien fait pour défendre

leurs droits? C'est bien! Prépare-toi donc à saluer l'en-

fant qui naîtra de ton frère, comme ton seigneur et

maître. Ce n'est pas à moi à y trouver à redire. Ce n'était

qu'une affectueuse déférence pour notre aîné, qui me

faisait ressentir pour lui cette inj ure. Mais je vois que je

n'ai la que des idées d'un monde bien passé; et puisque

tu consens à voir les cadets supplanter les aînés, ce n'est

pas à moi, votre cadet à tous les deux, à m'en plaindre;

mais, bien au contraire, à m'arranger en conséquence.

soi.

Tu pousses tout à l'extrême, Japhet. Mais, enfin, que

devrions-nous faire, selon toi? -

JAPHET.

Rien. Si ça te plaît ainsi. ou plutôt empêcher que

notre père ne renouvelle, à la naissance de l'enfant de

Cham, la bénédiction donnée d'avance.

SEM.

Mais comment?

JAPHET.

Je l'ignore encore. Unissons-nous d'abord; nous trou-

verons ensuite. Mais silence! voici Cham et son épouse.

Page 35: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 29

SCÈNE VII

LESMÊMES,GIIAMet RÉGINA.arrivant.

CHAM.

Mes frères, dans quel état notre père vient de se mettre !

J'ai dû ramener mon épouse; il s'est dépouillé de tout

vêtcmcnt. (Montrantle manteauresté à terre.) Voyez plutôt. Heu-

reusement le sommeil est venu mettre fin au déborde-

ment de ses paroles inconvenantes. (U sortavec Réginadu côté

opposéà celui un il a laissé sonpère.)

SCÈNE VIII

SEM,JAfIlIET.

JAPHET.

Tu vois, Sem, Dieu se prononce lui-même, voici le pre-

mier fruit de la préférence de notre père. (u ramassele man-

teau.)Allons d'abord couvrir sa nudité, et si tu ne me dé-'

mens pas, Dieu fera le reste. (Apart, en sortant avecle man-

teau.)Ou, si ce n'est Dieu, ce sera Japhet.

SCÈNE IX

SEM,seul.

Quel peut être son dessein? Mais que m'importe, s'il

me conserve ma supériorité? Voici notre mère et nos

épouses.

Page 36: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

30 CAÏN.

SCÈNE X

SEftl,JAPilET,leur MÈREet leurs ÉPOUSES.

SEM, revenantet allant au-devantdes femmes.

Vous venez à propos, ma mère; vous, chère épouse;

vous aussi, notre sœur bien-aimée; vous ne croiriez jamais

dans quel état Cham, et Régina son épouse, ont nus et

laissé notre père. Vraiment, il suffit qu'elle ait conçu

pour qu'ils se croient déjà tout permis dans la famille,

et osent faire leur jouet de son chef vénéré. Mais voyez, le

voici lui-même; voyez ce qu'ils ont osé en faire.

SCÈNE XI

LESMÊMES,NOÉ,entrant et cherchantà se revêtirde sonmanteau.

JAPHET,l'aidantà s'en couvrir.

- 0 mon père, vous voyez vos deux fils soumis, encore

tout émus du mépris que l'autre n'a pas craint de faire

de vos cheveux blanchis, en venant railler auprès de nous

votre nudité; nudité dans laquelle il vous avait laissé

exposé, et dont nous vous avons retiré en vous couvrant

de votre manteau, dont par pudeur nous avions voilé nos

regards de fils.

NOÉ.

Que dites-vous, enfants?

JAPHET.

La vérité, père. Sem est là pour en témoigner. Votre

Page 37: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, DEUXIEME ÉPOQUE. 31

fils Cham, celui dont vous venez de bénir la postérité,

encore en germe, est venu railler effrontément près de

nous l'état où il vous avait mis, lui et son ingrate épouse.Mais les voici; qu'ils osent me démentir si je n'ai pas dit

la vérilé-

SCÈNE XII

LESMÊMES,CIIAMet RÉGINAarrivant.

NOÉ.

Est-il vrai, Cham, que tu m'aies laissé dépouillé de tout

vêlement, et sois venu le dire effrontément à tes frères?

CHAM,avechésitation.

Mon père!.

JAPHET.

Voyez1 -

KOÉ.

Sois donc maudit! Puisses-tu être un jour le serviteur

de tes frères, et les fils à jamais les esclaves de ceux de

tes frères!

CHAM.

0 mon père!

NOÉ,le repolissant.

Fuis loin de ma présence! Va loin de nos demeures,vers les terres brûlées du soleil du midi. Puisse-t-il, brû-

lant aussi ton front maudit, le rendre aussi noir que ton

âme! (Il se retire suividessiens.)

Page 38: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

52 C'AÏJV.

CJIAM,allanlà ses frères.

Eli quoi, mes frèresf pas une parole en faveur de votre

frère? (JaplietentraîneSeni,les femmesrepoussentRégina.)

SCÈNE XIII

CilAUet RÉGIHA.

CHAM.

Allez donc, frères sans cœur, mère sans entrailles,

père aussi changeant en tes affections que l'eau qui vient

d'engloutir ce monde! ce monde, qui ne fut coupable que

par trop d'amour, quand le monde que vous faites pour

le remplacer s'annonce pour le monde de la haine. 0

villes englouties dans le fond de ces lacs profonds, vos

morts seront vengés, car la haine nouvelle, la haine

hypocrite vient d'éclore dans le monde renouvelé ! Mais,

peut-être, le monde n'est-il pas tout ici. Oui, mon père,

j'irai, aux pays brûlés par le soleil, voir s'il ne resterait

pas quelque coin de terre que le déluge n'ait point at-

teint; où quelques hommes des anciens jours, quelque

nation des anciennes races, aient survécu, puisque c'est

ainsi que débute la nouvelle. (Anég-ina,qui sejette danssesbras.)

Viens, ma Régina, ma douce et chère compagne, quittons

sans regret une famille qui, loin de gémir de son isole-

ment, peut repousser ainsi un de ses membres; viens,

pauvre brebis timide, avant que la nuit soit plus sombre,

trouver quelque antre que les tigres et les serpents

échappés de l'arche n'aient pas encore eu le temps de

Page 39: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 55

3

remplir de leur crucllc progéniture. (Ils sortent appuyésdansles bras l'un de l'autre.)

SCÈNE XIV

JAPHET,revenant.

Va donc!. Boni et surtout long voyage! En voici un de

parti; ce n'est pas encore l'aîné, mais Sem, seul mainte-

nant, sera plus facile a supplanter, et l'or m'asservira sarace. Triomphe, ô Japhet, tu seras bientôt l'aine! Lemonde doit appartenir à tes fils, héritiers de l'or de laterre. Mais quelle souffrance intérieure semble s'op-poser u mon bonheur? pourquoi me sens-je, aîné de

moins en moins, descendre de plus en plus, comme un

esquif désemparé entraîné à la dérive, au milieu des

ténèbres, sur un fleuve inconnu et sans rivages? Le re-

mords, se faisant une arche de notre cœur, aurait-il aussi

survécu au déluge? Est-ce son étrange voix qui crie ainsiau dedans de moi? (Éclair.)Ah!

LAVOIX.

Qu'as-tu fait de ton frère? (Unevivelumièreéclairéun instant

son frontau milieu de l'obscurité.)

Page 40: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME ÉPOQUE

LESENFANTSD'ISAAC

PERSONNAGESDU PREMIERTABLEAU:

ISAAC.ItSA(i,JACOB,

lilsd'isaac.

RÉBECCA,leur mère.HASEMAII,femmed'Ésaii.

PERSONNAGESDU DEUXIÈMETABLEAU:

HUIIEN,SIMÉON,LIÎVI,JUDA,ISSACIIAR,ZABULON,GAD,AZErI,DAN,NHPUTAU.JOSEPH,

enfantsdeJucllb.

ÉLIPHAS,

1ItAllUEL,I filsd'Ésaii.OLIBAMA,)RACBEL.)

Ht,t femmesîle Jacob.11 A, I

acoJ.

BAI.A, )SERVITEURSet PASTEURSdoJacob.GENSARMÉSdelasuitell'Ésaü.

PREMIER TABLEAU

Devantla tente ou demeured'isaac, au pnysde Bersabé.Une table et des

siègesen bois,un puits et un autel dansle fond.

SCÈNE PREMIÈRE

ÉSAU,JACOB.

JACOB.

Oui, mon frère Esaû, si ton cœur est comme le mien,

les premières luttes auxquelles notre mère dit que nous

Page 41: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE; PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 55

nous livrions dans son scm, seront aussi les dernières qui

nous auront divisés, et nous rendrons vaine la parole qui

a prédit que l'un de nous chercherait à assujettir la pos-

térité de son frère à la sienne,

ÉSAÜ.

Tu as raison, Jacob, rien ne doit pouvoir nous diviser,

nous n'avons pas d'autre frère, monadresse suffit à mes

besoins; je neveux ni assujettir ni être assujetti ; et si je

ressemble au glorieux Nemrod par le courage, je ne lui

ressemble pas par l'envie d'opprimer mes semblables.

JACOB.

Pour moi, je sens que je ne lui ressemble en rien, et

ce ne sera jamais par la force que je penserai a arracher

aux autres leur liberté, mais plutôt en achetant leur ser-

vice en échange de ce qui pourra leur être utile.

ÉSAC.

Ces détours ne me vont poinl, je ne saurais pas plus

faire acheter aux autres ce que je sais leur être utile, que

je n'hésite à le leur conquérir par mon adresse et mon

courage. Mais en ce moment j'en ai bien peu, et je me

sens accablé de fatigue et de faim. Aussi, mon bon Jacob,

IItHe-Ioi, je le prie, de me donner du mets que lu as pré-

paré, si lu ne veux me voir expirer à les yeux.

JACOB.

Alors vends-moi ton droit d'aînesse.

ÉSAU.

Et contre quoiV

JACOli.

Contre les mets que j'ai préparé.

Page 42: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

36 CAIN.

ÉSAÜ.

Tu veux rire, Jacob; t'ai-je vendu le gibier que je t'ai

apporté ?

JACOB.

Tu méprises les échanges; à l'exemple de Nemrod tu ne

sais conquérir que par la force: il n'en est pas ainsi de

moi, c'est de mon industrie qu'il me faut tout attendre.

Aussi ne t'apporterai-je à manger, que si tu me cèdes ton

droit d'aînesse, ou-tu auras à conquérir ta nourriture parton courage ou ton adresse. l'

ÉSAÜ.

Tu vois bien que je n'en ai pas la force. Va me cher-

cher à manger, je consens à tout ; car aussi bien si je

meurs aujourd'hui de faim, à quoi me servira demain

mon droit d'aînesse ?

JACOB.

Jure-le-moi.

ËSAÜ.

Oh ! tant que lu voudras, mais, pour Dieu, dépêche-toi.

(Jacobsort.)

SCÈNE II

ÉSAÜ,seul.

Ce n'est là qu'un enfantillage de sa part, qu'une plai-santerie sans importance, dont je me soucie fort peu, pourmon compte, mais qui fait entrevoir en lui une envie de

Page 43: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 57

supplanter, bien propreà justifier le nom trop significatif

qu'il a reçu en naissant.

SCÈNE III

ÉSAÙ,JACOB.

oUCOBsortà mangerà Èsaiiet serelire.Apart.

La force n'est pas tout en ce monde, la prévoyance doit

bien aussi remporter, car la force laisse facilement échap-

per ce qu'elle saisit facilement; mais la ruse conquiert

trop lentement pour laisser échapper les avantages qui

fondent dans la main des forts; vraie force des habiles dont

je sens la soif passionnée dans mon sang et que je trans-

mettrai d'âge en âge à mes descendants.

ÉSAÜ,se levantde table.

Je me sens mieux maintenant; c'est étonnant comme

la force m'est revenue avec la nourriture. Allons, Jacob,

prêt à recommencer, je t'apporterai du gibier et tu me

rendras mon droit d'aînesse; tu m'apprêteras à manger,

etje te le revendrai. Vraiment, c'est une belle chose que

le commerce, et tu sais trouver une monnaie qui ne charge

pas la sacoche.

JACon.

Plaisante, tu le peux maintenant.

ÉSAr, prenant le bras de Jacob.

Ecoute, mon frère, je plaisante et je n'en ai pas envie.

J'ai bien besoin de ton aide fraternelle, et tu peux acqué-

Page 44: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

38 CAfN.

rir sur moiun droit plus certain, un droit à ma reconais--

sance. Tu sais que je suis obligé délaisser chez son père

ma chère épouse llasemah, à cause de l'aversion que lui

témoigne notre mère Rébecca. Cette séparation est non-

seulement cruelle à mon cœur, mais me fait manquer

des soins affectueux que tu trouves dans la préférence

de notre mère, et dont le manque m'eut fait peut-être

expirer tout à l'heure de besoin, sans ton bienveillant

secours. Ma bonne Basemah consent à s'humilier devant

notre mère, à la servir avec le dévouement d'une fille, la

soumission d'une servante pourvu qu'elle la souffre près

de moi, dans un recoin du foyer de la famille, pour par-

tager avec moi les fatigues et les joies que je tiens de sa

présence adorée. C'est pourquoi, ô mon frère, j'ai espéré

que tu pourrais profiter de l'affection de notre mère pour

loi, pour la disposer à accueillir favorablement l'épouse

de ton frère.

VOIX.D'iSAAC,du dehors.

Esaù, mon fils, mon aîné!

JACOB,à part, pendantqu'Ésaùs'avancedu côtéd'où vient la voix.

Toujours son aîné !

ÉSAÜ,s'écartantdeJacob.

Me voici, mon père. (Revenantà Jacob.)Pense à ma prière,ô Jacob I

JACOB.

Sois tranquille, et compte sur moi.

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PREMIÈRE PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 39

SCÈNE IV

LESMÊMES,ISAAC,RÉBECCA.

ISAAC,quittant le bras de Rébeccapour s'appuyersur celuid'Ésaii.

Tu sais, mon fils, que je suis déjà bien âgé, nul ne sait

le jour de sa mort; prends donc ton arc, et va dans la

campagne, et dès que tu auras tué quelque gibier, viens

me l'apprêter, comme tu sais que je l'aime, afin qu'après

en avoir mangé, mon cœur reconnaissant te bénisse devant

le Seigneur avant que je meure, (Isaacet Ésaiidisparaissentdans

le fonddelatente.)

SCÈNE V

JACOB,RÉBECCA.

JACOB.

Tu as bien raison, ÉsaÜ, de railler l'achat que j'ai cru

te faire, car la bénédiction de mon père va t'assurer tous

les biens que je voudrais en vain t'enlever, et personne

ne pourra plus te les ôter.

RÉBECCA.

Comme toi, j'aientendu les paroles de ton père, et veux

le venir en aide, ô Jacob, mon fils bien-aimé.

JACOB.

Préférence impuissante, ma mère, vous ne pouvez rien

pour moi.

Page 46: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

40 CAfN.

RÉBECCA.

Ne désespère pas, Jacob, et écoute mon conseil: j'ai

pris dans le troupeau le meilleur chevreau que j'ai pu

trouver, et j'ai préparé à ton père son mels préféré. Tu le

lui présenteras et tu obtiendras sa bénédiction. Sa vue obs-

curcie nous servira à le tromper, et l'état de fatigue de

ton frère nous en laissera le temps.

JACOB.

Mais si mon père vient à me toucher et s'aperçoit que

je n'ai pas de barbe, il me maudira, au contraire, pour

avoir voulu le tromper.

RÉBECCA.

Je prends sur moi sa malédiction; apprête seulement la

table de ton père, je vais chercher ce qu'il faut pour réus-

sir. (Ellesort.)

SCÈNE VI

JACOB,seul.

Oh f puissions-nous réussir, et rien ne venir à la tra-

verse, en faveur de l'heureux ÉsaÜ, le préféré de son

père, l'époux adoré de la trop belle Basemah !

Page 47: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈREPARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 41

SCÈNE Vif

JACOB,RÉBECCA.

RÉBECCA,rapportantun paquetde vêtements.,

Tiens, Jacob, la tunique de fête, la robe parfumée

d'tësnii. (Elleaide Jacobà s'en revêtir.) Couvre ton menton de

cette peau de chevreau que j'ai arrangée. (Jacobs'ajustemie

finisse barbe.) Vamaintenant, chercher le plat que j'ai préparé,

et. présente-toi hardiment pour ton frère; hâte-toi, j'en-

tends ton père.

VOIXD'ISAAC,du fondde la lente.

Rébecca, je ne puis trouver mon bâton, j'ai la vue en-

core plus mauvaise que les jambes. (Rébecca va au-devant

d'Isaac,<|ii'elle amène.)

SCÈNE VIII

RÉBECCA,ISAAC.

RÉBECCA.

Venez vous asseoir, ô mon époux; aussi bien votre fils

a fait diligence. vEllefait asseoirIsanc.)

Page 48: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

42 fiAFN.

SCÈNE IX

LESMÊMES,JACOB.

JACOB,un plat à la main.

Mon père.

ISAAC.

J'entends, qui êtes-vous ?

JACOB.

Je suis voire fils ÉsaÜ, je vous apporte à manger de ma

chassc.

ISAAC.

Comment as-tu pu sitôt trouver?

JACOB.

Dieu l'a voulu ainsi, mon père.

ISAAC.

Approche, mon fils, que je m'assure que tu esbienréel-

ment Esau. (Luitâtant le visage.)La voix est celle de Jacob, la

figure est celle d'Ésau.(Après avoirmangé,tendantla coupea Jacob

qui lui verseà boire.)Es-tu bien mon fils Ésaü?

JACOB.

Je le suis.

ISAAC.

Viens donc embrasser ton père, (il l'embrasse.)Oui, c'est

bien l'odeur du vêtement de mon fils ÉsaÜ, parfumée

comme un champ plein de fleurs. (Se levant.)Que Dieu te

donne, ô mon fils, tous les biens de la terre! Sois béni

Page 49: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

P R F M! KR MPARTIK,TROIS!KMF Ercoun. 4"

entre tous ceux qui naîtront de moi! béni aussi celui qui

le bénira! (il s'assied.)

iii::m:r:c:.v,)>nsà Jarol>.

Sortons, j'cntpnds ton trèrc. (Ellesort avocJacob à l'arrivée

>ri'!siiii.)SOÈiNK X

ISAAC,ÉSAU

|;SAI, tenanl lin plat, du painet du vin, qu'il posesur lu lahlr.

Tenez, mon père, mangez de ma elinsse, cl bénissez

votre fils selon votre promesse.

ISAAC.

Oui donc es-tu ?

KSAL'.

Je suis Esaiï, votre fils aîné.

ISAAC.

Oh! oui, c'est bien la voix de mon lisait. Qui donc est

venu surprendre la bénédiction qui lui était due?

ÉSAU.

Jacob, le supplanteur' Oh! que c'est avec raison qu'on

lui a donne ce nom! car après m'avoir extorqué mon

droit d'aînesse, il vient me dérober la bénédiction de mon.

père. Mais, à mon père, ne me tenez-vous en réserve aucune

autre bénédiction?

ISUC.

Hélas! ii mon fils, quand Dieu s'est déclaré contre toi,

que puis- je encore en la laveur?

Page 50: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

44 CAlN.

ÉSAÙ,la voixpleinede lnrmcs.

0 mon père, bénissez-moi. aussi, je vous en conjure.

ISAAC.

Ta plainte, ô mon fils, a touché mon cœur. (Selevant.)

Sois aussi béni dans la rosée du ciel et la fécondité de la

terre! Tu seras grand par l'épée, et tu sauras secouer le

joug qui pourrait peser sur ta tête, et les fils à leur tour

asserviront l'Orient.

- ÉSAÜ,embrassantles mainsde son père et. raccompagnant.

0 mon père ! mon père! (Isnacrentre cliozIlIi.)

SCÈNE XI

ÉSAÜ,BASEMAH.

BASEMAH,entrant, à Ésuiiqui vient à elle en pleuranl.

ÉsaÜ, mon époux!. pourquoi ces larmes? quel mal-

heur vient donc de t'arriver?

ÉSAÜ.

Basemah ! Basemah! Oh, j'ai bien besoin de ton amour!

je n'ai plus quelui. Un infâme m'a ravi celui de mon père

en me volant jusqu'à mon nom pour me dérober sa béné-

diction. Mais vienne le temps où je ne craindrai plus

d'affliger mon père, et l'épée m'affranchira de ce misé-

rable, selon la promesse paternelle. (Rébeccaparaîtdansle fond

et se tient à l'écart.)

BASEMAH.

Tais-toi, ô mon bien-aimé! Laisse les méchants être de

Page 51: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 45

mauvais frères, tu seras assez grand par ton courage pour

laisser vivre ton coupable frère.

ÉSAÜ,apercevantsa mère.

Sortons! ma mère est ici, et quoiqu'elle ait oublié que

je suis son fils, je dois me souvenir qu'elle est ma mère.

(Il sort avecBasemah.)

SCÈNE XII

RÉBECCA,JACOB,qui entre.

RÉBECCA.

Crois-moi, ô mon fils, hâte-toi de fuir; ton frère te

tuerait, il l'a dit, et le ferait. Fuis chez mon frère Laban,

restes-y jusqu'à ce que j'aie pu apaiser la colère de ton

frère. Nous avons peut-être imprudemment agi, cette

action peut nous porter malheur. Embrasse ta mère, et

fuis. (Ellel'embrasse.)Je vais empêcher qu'ÉsaÜ ne te suive.

(Ellesort.)

SCÈNE XIII

JACOB,seul.

Oui, fuyons. Mais quoi' déjà vagabond? Voilà donc le

fruit d'une bénédiction dérobée! 0 ma mère, ma mère!

pourquoi m'avez-vous ainsi préféré? et quel démon est

donc en moi pour me pousser ainsi contre mon frère? (11se

passela main sur le front, un rayon éclaire le signe falal; tonnerre et

obscurité.)OhI fuyons! fuyonsI (Il s'enfuit.)

Page 52: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

46 CAÎN.

DEUXIÈME TABLEAU

Unevaste campagnecouvertede troupeauxsur le bordd'un fleuve,des cha-meauxcouchésavecdes bœufs, des tentesentourées de pasteursencorecouchés.

SCÈNE PREMIÈRE

JACOD,seul sur le devant de la scène,les cheveuxblanchis,boitant et

s'appuyantsur un bâton.

Tout dort, excepté moi, qu'assiège la terreur, moi Jacob

brisé par cette nuit sans sommeil, cette lutte étrange, avec

cet invincible lutteur, dont l'énergie, inspiration ou re-

mords, a épouvanté mon âme et séché les nerfs de ma

cuisse. OÉsau, mon frère, pourquoi faut-il qu'après vingt

ans d'exil, je tremble à ton approche, ne pouvant, n'osant

aller à la rencontre, soit ressentiment, soit effroi 1 Sont-

cela les émotions fraternelles que devraient ressentir les

enfants formés ensemble dans le sein de sa même mère I

(Seincitantà genoux.)0 Dieu d'Abraham et d'Isaac, qui m'avez

inspiré le désir de revenir aux lieux de ma naissance; qui

quoique indigne de vos miséricordes, me ramenez riche

en tentes et en troupeaux aux bords de ce Jourdain que

j'ai passé fugitif, n'ayant qu'un bâton pour tout bien, vous

qui venez de me sauver de la trop juste colère de Laban;

sauvez-moi de celle de mon frère Ésaü, faites qu'il épar-

gne mes femmes et mes enfants, qu'il permette à sa mère

et à son triste frère de s'embrasser enfin, si vingt ans de

séparation ont pu expier leurs torts envers lui. (Selevant.)

Page 53: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PAIITIË, TROISIÈME ÉPOQUK 47

Mais voici déjà les serviteurs que je lui ai envoyés. 0 mon

Dieu ! je tremble pour moi et tous les miens, je n'ose les

questionner.

SCÈNE II

JACOB,SERVITEURS;les femmeset enfantsde Jacob sortentlentementdes lentes.

UN DESSERVITEUHS.

Maître, nous avons été vers Ésaü votre frère, et, pro-

sternés à ses pieds, selon voire ordre, nous lui avons dit :

« Jacob, voire frère de retour de chez Laban où il a vécu

« vingt ans comme étranger et dont il revient avec des

« troupeaux, des serviteurs et des servantes, nous envoie

« auprès de vous son seigneur, afin de trouver grâce

« devant vous, et accès au foyer-et au tombeau de ta

famille.» Et voici qu'Esaù, votre frère, prenant avec lui

les princes ses fils et quatre cents hommes de ses gens,

vient lui-même au devant de vous.

JACOB.

llâtcz-vous maintenant et, s'il en est temps encore,

conjurons sa colère; que tous se lèvent en hâte.-(Réveil

du camp.) Conduisez au-devant de mon frère cinq cents

têtes de bétail choisies dans les diverses espèces de mes

troupeaux, menez-les par groupes à la suite les uns des

autres, et dès que vous rencontrerez Ésaü, dites-lui que ce

sont les présents que Jacob son serviteur envoie à ÉsaÜ son

seigneur; afin qu'apaisé par ces marques de soumission,

Page 54: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

48 CAiN.

il me regarde favorablement. (Les troupeaux se mettent en

route. Jacob rangeant en ordre ses femmeset ses enfants.) VOUSICI,

Zelpha, Bala et vos enfants. Puis, vous, Lia et les vôtres.

Toi, Rachel,et toi aussi Joseph. (Tousserangent,

Passanten têtede

tout sonmondeet se prosternant.)Voici mon frère qui approche.

(Apart.)Crainte ou respect, à genoux! j'aurai moins de peine

à me soutenir devant lui.

SCÈNE III

LESMÊMES,ÉSAÜ,lesTROISPRINCESsesfils,suivisd'un grand nombred'HOMMESARaIÉS.

Jacob,à genoux,frappeseptfois la terrede son front.

ÉSAÜ,arrivantà lui, le relevantcl l'embrassant.

Dites-moi, mon frère, quels sont ceux qui vous entou-

rent ? sont-ils à vous?

JACOB,faisant signed'approcheraux diversgroupesqui viennent se

prosternerles uns après les autres auxpiedsdEsaii.

0 prince d'Édon, ce sont les femmes et les enfants que

Dieu a donnés à votre serviteur.

ÉSAÜ.

Et quelles sont ces troupes que je viens de rencontrer

en route?

JACOB.

Ce sont les présents que je vous ai envoyés pour trouver

grâce devant vous.

ÉSAÜ.

J'ai aussi des biens en abondance, mon frère, conservez

donc ce qui est à vous.

Page 55: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

P11ËM1ÊIIEl'AIIT!E, TROISIÈME ÉPOQUE. 4U

4

JACOB.

Non, je vous en supplie; si j'ai pu trouver grâce devant

vous, recevez ce faible présent, et soyez-moi favorable,

puisque j'ai vu aujourd'hui votre visage qui m'est apparu

comme celui de Dieu lui-même. Recevez-le comme je l'ai

reçu de celui qui donne toute chose.

ÉSAU,montrantses filsqui sontranges en tête de leurs gens.

Je ne réfuserai pas plus longtemps, mais vous accep-

terez ma société et celle de mes fils. Nous ferons tous route

ensemble.

JACOB.

Je le souhaite autant que vous, mais la fatigue de

femmes près d'accoucher, d'enfants encore jeunes, exige

des ménagements et une marche lente qui impatienterait

votre ardeur et celle des princes vos fils. Allez donc devant

avec eux, je vous suivrai aussi vite que je pourrai le faire

sans danger pour la vie de tout ce qui m'entoure.

ÉSAÜ.

Qu'au moins, mon frère, quelques-uns de mes gens

vous accompagnent pour vous servir au besoin.

JACOB.

Une seule chose m'était nécessaire, ô mon seigneur;

c'était de trouver grâce devant vous.

ÉSAÜ.

Allons, qu'il soit fait selon votre désir. Adieu, mais a

bientôt! (11embntsseJacobet s'éloigneavec les siens.)

Page 56: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

50 CAÏN.

SCÈNE IV

JACOBet TOUSLESSIENS.

JACOB,à part, se relevant avec peine.

0 Esaü, tu as conservé la mâle tournure de ta jeunesse,

relevée encore par un air imposant d'autorité, quand moi,

vieux et courbé, j'ai peine à me relever de mon humi-

liante posture. Tu avais bien raison de préférer conquérir

par ton courage à acquérir par l'astuce. 0 ma mère, ma

mère! à quoi m'a servi votre préférence? (Allantà Ruchcl,qui

se laissetomber entre les bras desservantes.)Ne te tourmente plus,

ô Rachel; tu vois, tout s'est mieux passé que nous ne l'es-

périons. Une plus longue émotion pourrait t'être fatale;

songe que dans deux mois.

HACHEL.

Omon ami, dis deux heures; l'effroi dont m'a glacée

l'approche de ces hommes armés a hâté le moment. Je

vais être mère. Oh! qu'un enfant encore te remplace la

mère, si tu devais la perdre. (Jacobet les femmesentrent avec

elle sous la lente; Josephentre dansune autre tente.)

SCÈNE V

TOUSLESAUTRESFILSDE JACOB.

- SIMÉON.

Encore un prétéré que nous allons avoir, mes frères !

Encore un songeur qui nous insultera de ses pressenti-

Page 57: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

0

PREMIKItE PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 51

IIltmls, de ses rêves où le soleil et les étoiles l'adorent î

Sans ces injustices nous serions aussi unis, aussi heureux

que ces beaux princes que nous venons de voir. Ce n'est

pas Ésaü qui souffrirait ces préférences maternelles dont

il a tant à se plaindre, et dont il vient d'être si glorieuse-

ment vengé par notre humiliation.

liÉYI.

Ne souffrons pas qu'il en soit ainsi parmi nous, et déli-

vrons-nous de Joseph avant d'arriver en Canaan; son

père croira que les bêtes l'auront dévoré.

TOUS,mêmeRubeiiet Juda.

Lévi a raison.

lUjlifciN. v

Ne versons pas nous-mêmes le sang de notre frère. J'ai

vu près d'ici une citerne où nous pouvons le laisser

mourir.

JUDA.

Nous pourrions peut-être le vendre aux marchands

ismaélites qui traversent ces contrées pour conduire des

esclaves en Égyple.

SIMÉOiN.

Silence, voici notre père; il nous observe sans rien

dire. Allons dans les champs pour y mûrir notre projet.

(Ils sorlenl.)

Page 58: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

52 CAïN,

SCÈNE VI

JACOB,les regardantsortn.

Oui, fuyez ma présence, enfants ingrats. Toi surtout,

Iluben, qui n'as pas craint de souiller la couche de ton

père, mauvais fils, mauvais frère. Oh! quel mot ai-je dit!

Oh! c'est en cela qu'ils sont bien mes fils; s'ils étaient

unis comme ceux d'Ésaü, seraient-ils aussi bien mes en-

fants? Malheureux! toujours craindre, toujours envier!

Mon frère m'a pardonné, et cette offense qu'il pardonne,

offensé, c'est moi, l'offenseur, qui ne puis me la pardon-

ner. Il la laisse en vain tomber dans l'oubli, elle se dresse

toujours menaçante devant moi. 0 vanité du pardon, va-

nité de l'expiation! le châtiment ne se lasse pas de frap-

per le coupable; la préférence fatale le suit avec ses fruits

amers de génération en génération. Près d'embrasser

enfin ma mère, je tremble que son ancienne injustice

envers l'épouse de mon frère ne soit expiée parla mienne,

par ma Rachel, qui n'aura peut-être pu approcher de ma

mère que pour mourir plus près d'elle. vo»entendun ngissc-

lllelll.)Grand Dieu! je suis père; suisje encore époux?

scîvm: VU

JACOB,JOSEPH,MALA.

BALA,à Joseph,qui sort glerallirc lente.

N'entrez pas, Rachel vient d'expirer. (AJacob.) Dieuqui

vous prend une épouse vous donne un fils de plus.

Page 59: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 53

JACOB.

Oli! quand la femme que j'aime expire, c'est celle qui

a souillé ma couche qui se dresse devant moi! (AJoseph.N

Non, n'entre pas, mon fils; va chercher tes frères. Que

devant cette grande douleur qui t'arrive ils te pardonnent

les imprudentes prédictions! (Josephsort.)

SCÈNE VIIÏ

JACOB,BALA

JACOB.

Que ce jour de deuil, qui a été du moins un jour de

réconciliation pour les enfants de mon père, en soit un

aussi pour les miens; car toi aussi, mon fils, tu plies ton

Iront sous l'expiation. (A BahOQuant à vous, Rala, femme

incestueuse dont la vie est, comme la mort de Rachel, une

de mes expiations, tâchez, devant cette triste fin, de ra-

mener vos fils Dan et Nephtali a des sentiments meilleurs

envers l'enfant de celle qui fut votre tant bonne maî-

tresse, et vous associa presque avec elle à cet honneur

d'épouse dont vous n'avez pas su rester digne. (Baiasort.\

SCÈNE IX

JACOB,seui.

0 ma Rachel! je vais donc te revoir froide, inanimée !

C'était donc moi qui devais te coucher dans le sépulcre

Page 60: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

M CAIN.

glaCÔ! fil va pour entrer dans la lento.)Je tremble, mes jambes

refusent de me porter, j'ai peur. Quel malheur puisse

craindre encore? pourquoi n'ai-je pas gardé ton fils au-

près de moi, pour venir, ô ma Rachel, te donner aussi le

dernier baiser?

SCÈNE X

JACOB,UNSERVITEUR,les vêtementsdéchirés,la rolie ensanglanter1de

Josephà la main.

LE SERVITEUR.

Voici une robe que nous venons de trouver; voyez si ce

ne serait pas celle de votre fils.

JACOB,la regardant.

C'est la robe de mon fils Joseph. Une bête féroce a dé-

voré mon fils! (il déchireses vêtementset se meurtrit la .faceCilpleu-

rant.)

SCÈNE XI

LESMÛMES,SIMÊON,tEVf, mmEN,

JACOB.

Des bêtes fauves ont dévoré mon fils. (Voyantses fils.) Des

hôtes féroces! 0 terreur! ô soupçon affreux! Sortez,

Ruben, fils incestueux; sortez, Lévi; sortez, Siméon; tons

frères dans le crime; ce n'est pas vous qui pouvez rien à

ma douleur. Sortez tous, vous dis-je. Laissez-moi seul, je

vous l'ordonne. Je veux pleurer sou!, pleurer toujours

Page 61: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, TROISIÈME gPOQUE. 55

jusqu'à ce que je descende avec mon fils au fond de la

terre, (ils sortant.)

SCÈNE XII

JACOB,sent.

Des bêtes féroces!. Ohr oh! Si c'étaient eux. oh! ce

serait trop horrible!. Et, pensée aussi affreuse, je te

perds, ô Rochel! et des deux enfants que tu m'as laissés,

je vais passer mes jours à pleurer l'un et trembler pour

l'autre. Comment, après le pardon de ce jour, ai-je pu

mériter un tel châtiment? (Obscurité,éclair,lumièresinistre.)

LAVOIX.

Caïn, qu'as-tu fait de ton frère?

Page 62: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

QUATRIÈME ÉPOQUE

LESFILSDE DAVID

PERSONNAGES:

DAVID,roideJiula.AMNON,ABSALON,ADONlAS,SALOMON,JETHRAM,SAPHATIA,

lils deDavid.

TllnIAR,fillcdenln'ifl.JOAB,généralde Dnvid.ABIATAR,grand pivtre.SADOC,prêtre.NATHAN,prophète.CHUSAÏ,ministre.

ABISAI,officierdeDavid.SEMEÏ,parentdeSaiil.BANAJAS,officierdeSalomon.ACHIMAAS,fils deSadoc.BETIISABÊE,mèredeSalomon.ABISAG.jeune fille.PEUPLE,SOLDATS,SERVITEURS.IIIIIAN,IIrehitecledutemple.AlliAS,prophète.LAHEINEDESABA.LESFEMMESDESALOMON.ALMÉESet BAYADÈRES.PRETRESeLSACtUFiCATEURSdestemples.

PREMIER TABLEAU

Unecampagneaumilieudes rochers.Letorrentde Cédrontraversela scène;un chêneest penchésur ses bords.

SCÈNE PREMIÈRE

ABSALON,THAMAR,HOMMESARMÉSdansle fond.

THAMAR.

Pourquoi, Absalon, mon frère, m'avoir détournée de de-

mander au roi David, notre père, une justice que, comme

roi, il pouvait me rendre? Il me l'eût sans doute accordée;

Page 63: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 57

notre frère Amnon n'eût pas osé refuser de réparer,

en m'épousant, l'injure qu'il m'a faite, et je ne serais pas

obligée de rougir devant tous nos frères.

ABSALON.

C'est aussi devant tous nos frères, que j'ai invités dans

cette campagne, que vous allez, ô Thamar, obtenir la

seule réparation qui convienne à vous, à moi et à David

notre père, qui n'a pas été choisi pour régner sur Israël

afin d'y légitimer le viol et l'inceste.

THAMAR.

Que vous êtes sévère, ô mon frère! Êtes-vous donc si

sûr que, quand un même sang coule dans nos veines, un

même amour n'y puisse aussi germer? Vos paroles

frappent aussi sur votre sœur, car Amnon n'eût peut-être

pas pu consommer son crime s'il n'eût trouvé un com-

plice dans mon cœur, qui lui pardonne plus sa violence

passée que son présent abandon.

ABSALON.

Qu'osez-vous dire?

THAMAR.

Je l'aime!

ABSALON.

Cachez-lui au moins ces sentiments coupables. Voici

nos frères et Amnon à leur tête comme l'ainé.

Page 64: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

M CAtN.

SCÈNE 1.1

LESMÊMES,AMNONet lesautresfilsde David,CHELEAR,ADONFAS,SAPHATIAet JETHRAM.

AMNON.

Ecoute, Thamar, ne t'écarte pas à ma vue; j'ai résolu

de réparer ma faute envers toi; le repentir me gagne

comme si j'étais proche du châtiment.

ABSALON.

Peut-être, Amnon, et plus proche encore que tu ne le

penses. (Leshommesarméss'approchentd'Amnonet le fiappcnlsur un*

signed'Absalon.)

THAMAR.

Grâce! ohr grâce pour lui, mon frère! il est notre aîné

à tous.

AIÎSALON.

C'est justement pour cela que son oliense ne peut èlre

pardonnée. (Lesfilsdu roi fuienlépouvantes,losmeurtriersjettent le

corpsd'Amnondans le torrent.)

THAMAR,suivantle torrent.

0 torrent, tu peux emporter le corps de mon frère, tu

ne peux emporter aussi ma douleur !

SCÈNE III

ABSALON,HOMMESD'ARMES,GENSDUPEUPLE.

ABSALON,prenantles mainsde ses officiers.

Vous voyez à quoi nous en sommes réduits: à nous faire

Page 65: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 59

justice nous-mêmes, nous les premiers de ce royaume.

Comment de plus petits pourraient-ils l'obtenir d'un roi

qui n'a pas craint de faire périr Urie, le plus dévoué de

ses officiers, pour lui ravir sa femme Bethsabée, l'infâme

adultère, dont l'exemple encourage tous les vices, même

l'inceste, dans la maison de David, et attire sur la nation

le fléau qui la désole? Oh! qui m'établira juge à mon

tour, afin que je puisse vous rendre à tous justice?

UNDESOFFICIERS.

Kl pourquoi ne régneriez-vous pas? Le juste châtiment-

de votre frère aîné vous livre sa place, et la conduite de

votre père le rend indigne de régner plus longtemps.*ABSAILON.

Je ne le ferai, mes amis, que pour vous, et si vous

l'exigez tous de moi.

TOUS.

Nous le voulons. Qu'Absalon soit notre roi!

AUSALON.

A Jérusalem donc! ne donnons pasle temps à de vils

courtisans de s'opposer il VOSdésirs. (Il sorl suivi de seshommes

SCÈNE IV

Homms DUPEUPLE.

UNHOMMEDUPEUPLE.

Quant à nous, restons; laissons-leur ajouter de nou-

veaux inorls à ceux dont la peste a couvert le sol de la

Judée. Je Ih" suis pas dupe de la justice d'Absalon. Il n'a

Page 66: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

60 CAÏN.

toujours eu qu'un but, régner, et c'est pour l'atteindre

qu'il a feint aujourd'hui de venger sa sœur. Mais aucun

de nous ne peut y gagner.

SCÈNE V

THAMAR,revenant.

OhI venez!la fille de votre roi vous en prie, venez m'ai-

der à retirer de l'eau mon frère Amnon et à lui donner

la sépulture. (Ils sortentavecellepour repêcherle corpsd'Amnon.)

SCÈNE VI

Leroi DAVID,les prêlrcs SADOCet ABIATAB,CIIUSAÏ,JOAB,AnISAI,quelquesSOLDATS.

DAVID.

0 révolution imprévue, rapide comme la foudre et

comme elle vengeresse! Juste punition du meurtre

d'Urie, comment avez-vous pu éclater si rapide?

Deshommes,portantle corpsd'Amnon,traversentla scène,suivisde Tliamnr

éplorée.

(Daviddéchirantsesvêtements.) Amnon, mon fils! C'est mon

crime, plus que le tien même, qui a fait que Dieu a per-

mis ta mort. Que ne puis-je donner ma vie pour la tienne!

(ASadocet à Abiatar.)Pour vous, prêtres du Dieu vivant, re-

tournez à Jérusalem avec le corps de mon fils, ramenez-y

l'arche du Seigneur. J'irai seul me cacher dans le désert

jusqu'à ce que vous me fassiez connaître une situation

plus favorable, si je puis trouver grâce devant Dieu.

Page 67: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PAHTIE, QUATRIÈMEÉPOQUE. 61

CHUSAÏ.

Nous ne pouvons vous abandonner.

DAVID.

Avec moi, vous me seriez à charge; retournez à Absa-

lon, offrez-lui de le servir comme votre roi, ainsi que

vous m'avez servi. Vous dissiperez ainsi les conseils de

ses amis, et vous me tiendrez au courant de tout ce qu'on

fera à sa cour.

SADOC.

0 roi, vous êtes la prudence même; nous ferons selon

Votre desil'. (II sort avec Ahiataret Cliusaï.)

SCÈNE VII

DAVID,JOAB,SOLDATS.

DAVID.

Faites comme eux, Joab! Vous me servirez mieux en

allant offrir votre bras à Absalon, car vous pourriez vous

servir de votre influence sur l'armée pour me la ramener

bientôt, sans qu'il en coûte une goutte de sang.

- JOAB,montrantlesprêtresqui s'éloignent.

Ces manières d'agir peuvent aller à ces prêtres, et leur

sont familières, mais, ô mon roi, connaissez mieux un

homme de guerre. Je puis mourir pour vous l'épée à la

main, et vais de ce pas rassembler les guerriers qui vous

sont encore fidèles; mais ne me chargez pas d'une nou-

velle perfidie, c'est bienassezde m'avoir chargé du meurtre

d'Urie, que je n'eusse jamais laissé commettre si j'eusse

Page 68: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

02 GAIN.

connu ce que vous aviez à lui reprocher. Pardonnez a ma

franchise, ô roi, en faveur du dévouement, dont je vais vous

donner des preuves à la tête de vos soldats, (il sort avec les

soldais.)

DAVID.

Allez donc, mais quoi qu'il arrive, conservez-moi mon

liJs Absalon.

SCÈNE VIII

DAVJD,AUISAÏ,SEMEÏ.

SEMEJ,du liiiuld'un rocher à David.

tuis, homme de sang, homme de Bélial! Le Seigneur

fait retomber sur toi le sang de SaÜl, dont tu as usurpé le

trône, que ton fils Absalon usurpe sur toi; parce que tu

es un homme de sang. (illui jette despierres.)

ABlsaï, à David.

Faut-il aller tuer ce chien qui ose maudire son roi?

DAVID,retenant Abisaïpendant que Semeïs'en va.

Quand mon propre fils cherche à me tuer, un parent de

SaÜl peut bien me maudire. Peut-être Dieu me comptera

en expiation cette malédiction que je reçois.

SCÈNE IX

DAVID,ABISAÏ,AGitUIAAS.

ACHIMAAS,nrrivajil.

Koi, votre cause est loin d'être perdue maintenant,

Page 69: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

1

NlliMIÈKE lAliill , QUATRIÈME ÉPOQUE. 65

quoique j'aie de tristes nouvelles à vous apprendre. Car

Absalon, votre fils, pour vous perdre dans l'estime du

peuple en vous déshonorant à ses yeux, a, lui qui se fait

le vengeur de l'inceste, osé éommettre un crime bien plus

grand à la face de tout Israël, en offensant lui-même

vos femmes devant le peuple assemblé.

DAVID.

0 fils de Sadoc, comment n'a-t-on pas détourné mon

lils de cette infamie ?

ACHIMAAS.

Ces choses ont été faites par les conseils d'Achitopel, votre

ennemi, qui voulait aussi qu'on se mît d'abord à votre

poursuite; mais Chusaïel le grand prêtre Sadoc mon père

sont arrivés iv temps, et, pour détourner ce danger de

dessus vous; ils ont conseillé d'attendre la réunion de

toutes les tribus. Pendant ce temps Joab, votre général,

averti par nous, a attaqué les troupes d'Absolon, cam-

pées en désordre ici près dansla forêt d'Éphraïm. Absalon

surpris a rejoint les siens en toute hâte; on peut déjà

entendre d'ici les cris des combattants.

DAVID.

Je dois être aussi avec ceux qui combattent pour moi.

ACHIlUAAS.

Faisons un détour pour ne point tomber parmi les gens

d'Absalon; mais, si vous m'en croyez, ô roi, vous éviterez

de vous présenter vous même au premier choc, afin de

vous conserver pour la réserve: la victoire sera plus cer-

taine.

Page 70: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

04 CAÏiW

DAVID.

Allons, je suivrai votre conseil, mais que tous veillent

à conserver la vie à Absalon. (Ussortent.)

SCÈNE X

SOLDATS,arrivantsuccessivement.

UNSOLDAT,à un autre.

Tout est perdu! Absalon est défait, Israël est en fuite.

(D'autressoldats arrivent égalementen sautantles rochers et mêmele

torrent.Ils fuienten jelant leursarmesde tout côté.)

SCÈNE XI

ABSALON,seul,apparaissantsur le chênede l'autrecôtédu torrent.

Tout est perdu! ne tombons pas entre les mains deJoab.

(Ilva pourfranchirle torrent,ses vêtementss'accrochentau chêneainsique

sescheveux; il restesuspendusurle torrent,et fait de vainseffortspourse

dégager.)0 malheureux ! on vient, je ne pourrai échapper.

Pourtant encore quelques efforts! (Ses cheveux semblentse

dégager.)

SCÈNE XII

ABSALON,JOAB,UNSOLDAT.

LESOLDAT,à Joab.

Ici, mon général, voyez Absalon pendu à cet arbre.

Page 71: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 65

h

JOAb.

Passe-lui ton épée au travers du corps.

LE SOLDAT.

Quand vous me donneriez mille deniers d'argent, je ne

toucherai pas au fils du roi malgré sa défense.

JOAB.

C'est donc moi qui vais, en ta présence, châtier ce fils,

Ce frère dénaturé. (Il prendun darddont il frappeAbsalon.)

ABSALON,se débattantviolemment.

Qui suis-je donc pour qu'un général de mon père ose

ainsi me traiter? (Un éclat de lumière perce l'obscurité, éclairant

Absalonqui se débat,et tombedansle torrent.)

UNEVOIX. ,

Qu'as-tu fait de ton frère?

Page 72: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

66 CAÏN.

DEUXIÈME TABLEAU

Portiquedu palaisde David.

SCÈNE PREMIÈRE

JOAB,ABIATAR,NATHAN,SADOC,GENSDUPEUPLE.

JOAB.

A quoi bon ces ménagements? On sait que je n'aime

guère ce Salomon, ce fils de Bethsabée. Le crime a présidé

à sa naissance, il est la constante transmission de l'adul-

tère dans la race des rois, le mariage impur de ce que nous

respectons avec ce que nous méprisons. Sa vue est pour

moi un vivant reproche de la mort de ce brave Urie,

que j'envoyai à la mort, sans me douter que je servais

l'impudente femme qui se baignait effrontément devant le

palais de David. En outre Salomon ressemble chaque jour

davantage à son frère Absalon, à ce fratricide dont il

semble avoir les instincts, quoique plus contenus sous un

masque d'hypocrite réserve.

ABIATAH.

Eh bien ! on veut profiter de l'état de faiblesse d'un roi

qui, glacé par l'âge, cherche en vain à réchauffer son corps

tremblant au contact d'une jeune vierge, pour proclamer

Salomon roi.

JOAB.

Et supplanter Adonias, celui qui, vrai successeur de son

malheureux frère Amnon, lui ressemble par la beauté et le

Page 73: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PAnTlE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 67

surpasse par les qualités du cœur; mais je suis d'avis que,sans attendre une surprise des ennemis d'Adonias, nous

le proclamions roi, conjointement avec son père David,

qui lui laisse déjà tout le poids du gouvernement. Aussi

bien le voici qui s'avance fort à propos avec ses frères.

SCÈNE il

LESMÈNES,ADONIASet sesfrères SAPHATJIIAet JETHitAM

ADIATAH.

Oui, qu'Adonias soit roi!

TOUS.

Vive le roi Adonias, fils de David!

ADONIAS.

Vous le voulez, peuple de Juda, vous mes frères, vous

aussi grand prêtre, général illustre; et puisque mon père

lui-même ne s'y oppose point, allons à l'hôtel de Zobeleth

faire les sacrifices à Dieu, de qui relèvent tous les trônes.

(Ilssortenten criant.)

TOUS.

Vive le roi Adonias, fils de David!

SADOC,à part.

Ainsi Abiatar sera le premier des prêtres, et je ne serai

qu'après lui ?

NATHAN.

Non, Sadoc, tout n'est pas désespéré pour Salomon;

allons prévenir Betlisabée; mais la voici.

Page 74: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

68-

CAÏN.

SCÈNE III

NATHAN,SADOC,BETHSABÉE,sortant du palais.

BETHSABÉE.

Quels sont ces cris ?

NATHAN.

C'est Adonias qui se fait proclamer roi. Prévenez de

suite le roi votre époux, dites-lui qu'il vous a promis le

trône pour votre fils Salomon. J'appbierai votre dire, et le

roi craignant de manquer à sa parole, nous ferons aussi

proclamer votre fils, forts de l'autorité de David. Mais le

voici lui-même, appuyé sur le bras d'Abisag.

SCÈNE IV

LESMÊMES,DAVID,ADISAG.

DAVID.

Quel estcebruit que j'ai entendu, et pourquoi me laissez-

vous, Bethsabée ?

BETHSABÉE,se prosternant.

Mon seigneur et mon roi !

DAVID.

j Que désirez-vous, ô mon épouse?

BETHSABÉE.* Vous aviez juré par le Seigneur à votre servante que

mon fils Salomon régnerait après vous, et voilà que son

Page 75: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 69

frère Adonias se fait roi à votre insu, ce qui fait qu'après

que notre roi sera endormi avec ses pères, mon fils et

moi serons traités en criminels.

SCÈNE V

LESMfiNGS,SALOMON,BA!*A1AS.

SADOC,le montrantà Nathan.

Salomon arrive à propos. C'est vrai qu'il ressemble de

plus en plus à Absalon.

NATHAN,prenantSalomonet se prosternantaveclui.

0 roi mon seigneur, Adonias se fait en ce moment pro-

clamer roi à votre place. Cet ordre ne peut venir de vous,

car je suis témoin que vous m'avez déclaré à moi, votre

serviteur, que Salomon votre fils, ici présent, régnerait

après vous. Mais si vous ne le faites proclamer aussi au-

jourd'hui même, votre parole n'aura témoigné que de

votre impuissance.

DAVID,détachantla couronne,qu'il remet à Nathan.

Si je l'ai juré, que ce soit donc lui qui règne. Faites-le

monter sur ma mule, et sonnez de la trompette, en le pro-

clamant roi; puis vous le ramènerez pour l'asseoir sur

mon trône. (RetenantNathanet Sadoc,qui vontemmenerSalomon.)Un

moment!. Mon fils, puisque tu vas régner, écoute ce que

je veux que tu fasses. Tu veilleras à ce que Semeï ne

meure que de mort violente, car il m'a insulté; mais cela

seulement après ma mort, parce que je lui ai juré que je

ne le ferais pas mourir, or, ce serment n'engage que moi.

Page 76: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

70 CAÏN.

Promets-moi d'en faire autant de Joab. Épargne les autres,

surtout, tes frères, car ils sont mes enfants. Va mainte-

nant; moi je rentre, car je sens le froid qui me reprend.

(il sort en tremblantappuyésur Abisag.Ousonnedela trompette.)

SCÈNE VI

LESMÊMES,le peupleaccourant,desserviteursapportantle trônede

David,sur lequelon faitasseoirSalomon.

NATHAN,couronnantSalomonet le sacrant.

Vive le roi Salomon, roi par ordre de David! (Lestrompettes

éclatenten fanfares.)

SALOMON,imposantsilence d'un signe.

Maintenant, si quelqu'un résiste, qu'il soit saisi; si

quelqu'un réclame ma justice, qu'il approche !

SCÈNE VII

LESMÊMES,UNSERVITEUR.

UN.SERVITEUR,s'avançant.Le bruit de votre avènement a glacé de crainte tous vos

ennemis, tous ont fui votre juste colère, et Adonias, votre

frère, craignant votre justice, a fui lui-même dans le ta-

bernacle où il se tient attaché à l'autel, qu'il ne veut plus

quitter que vous ne lui ayez juré de ne pas le faire mourir.

SALOMON.

S'il renonce à son projet, il ne tombera pas un seul

cheveu de sa tète, j'en donne ma parole de roi. Qu'il vienne

Page 77: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 71

sans crainte, allez. (Leserviteursort.) (Ai>îtrt) Je dois ménager

la volonté de mon père, c'est ma seule force en ce moment.

(Haut.)Qu'on aille savoir des nouvelles de David.

SCÈNE VIII

LESMÊMES,ADONIAS.

ADONIAS,se jetant auxpiedsde Salomon.

Soyez roi, ô mon frère! si telle est la volonté de mon

père de vous associer à son trône.

SALOMON.

Vous pouvez retourner sans crainte dans votre demeure.

SCÈNE IX

LESMÈNES,ABISAG.

ABISAG,sortantdu palais.

Le roi David se meurt.

SALOMON.

C'est à moi, son successeur, à recevoir son dernier sou-

pir. Que personne ne me suive. (II entre dans le palais.)

SCÈ:NE X

LESMÊMES,moinsSALOMON.

ADONIAS,à Bethsabéc.

Madame, j'aurai une grâce à vous demander.

Page 78: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

72 CAÏN.

BETHSABÉE.

Si vous êtes ici avec des pensées de paix, parlez.

ADOMAS. -

Toutes mes pensées respirent la paix.Vous savez qu'Israël

m'avait conféré une couronne, qui, depuis la mort de notre

frère Cheleab, semblait appartenir à ma naissance; je la

céde cependant à votre fils, mon frère, puisque le Seigneur

se prononce en sa faveur. Je ne demande en échange

qu'une seule grâce que vous ne me ferez pas la honte de

me refuser, ayant tout crédit auprès du roi votre fils.

Faites qu'il me donne, pour en faire mon épouse, Abisag,

cette jeune fille que j'aime, et qui, mon père mort, n'a

plus personne pour la protéger; et je me retirerai avec

elle où il plaira à votre fils, mon seigneur.

BETHSABÉE.

J'y consens volontiers, et je parlerai pour vous au roi

mon fils. (Adonias se retire.)

SCÈNE XI

LESMÊMES,SALOMON,précédéd'un serviteur.

LE SERVITEUR.

Le roi David est mort! vive le roi Salomon!

TOUS.

Vive le roi Salomon ! (Salomonva s'asseoirsur le trône,)

BETHSABÉE,à Salomon.

J'ai une prière à vous faire, mon fils; vous ne me ferez

pas la honte d'un refus.

N

Page 79: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈME ÉPOQUE. 73

SALOMON,faisantasseoirsa mèreprès de lui.

Dites hardiment ce que vous demandez, ma mère; je

n'ai rien à vous refuser.

BETHSABÉE,montrantAbisag.

Daignez accorder Abisag de Sunam à Adonias, qui la

demande en mariage.

SALOMON,se levant.

Que ne demandez-vous aussi pour lui le royaume? Il est

mon ainé, et a pour lui le grand prêtre Abiatar, et Joab,

fils de Sarvia. Mais puisque mon père n'est plus ici pour

la protéger,, je jure qu'Adonias a demandé aujourd'hui

sa propre mort. (S'adressantà Banaias.)Allez, fils de Joiada,

exécuter cet ordre; mais avant tuez Joab, son protecteur;

tuez-le, fût-ce auprès de l'autel; vous commanderez mes

armées à sa place. (ASadoc.)Vous, Sadoc, faites sortir le

- grand prêtre Abiatar de Jérusalem, vous serez souverain

pontife. (Smlocet Ranaiassortent.)

SCÈNE XII

LESMÊMES,moinsSADOCet DANAJAS.

ADISAG,à Bellisabéc.

0 madame, grâce pour Adonias! vous aviez promis de

le servir.

BKTHSABÉE,à Salomon.

0 mon fils, est-ce lit ce que vous aviez promis à votre

père, à votre frère et à moi-même votre mère? Révoquez

cet ordre, cruel pour vous, pour moi, pour cette jeune

Page 80: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

74 CAIN.

fille, dont les soins m'ont aidée à prolonger l'existence de

votre père.

SCÈNE XIII

LESMÊMES,BANAIAS,SADOC.

BANAIAS,entrant.

Roi, vos ordres sont exécutés. Joab est mort frappé au

pied de l'aulel, et Adonias est près d'expirer aussi.

SALOMON.

Le repos m'est assuré maintenant.

SCÈNE XIV

LESMÊMES,ADONIAS.

AOONIAS,sanglantet marchantavec peine.

Le repos! as-tu dit? Non pas le repos de la conscience,

lâche fratricide, digne image d'Absalon, mais plus perfide

encore, car lui n'avait rien promis. Puisses-tu vivre long-

temps pour sentir les tortures du remords; et sous une

vaine apparence de sagesse, comme dans les bras des

courtisanes, le sentir te mordre éternellement le cœur;

sans qu'aucun des dieux que tu adoreras tour à tour

puisse jamais l'endormir ou l'apaiser; et dans la vaine

grandeur d'un long règne, dont le néant t'apparaîtra, en-

vier ma mort cruelle et prématurée! (il meurtdanslesbrasdAhi-

snp.La ad'nes'obscurcit.)

Page 81: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

PREMIÈRE PARTIE, QUATRIÈMEÉPOQUE. 75

NATHAN,à Salomon,qui paraitatterré.

Dieu apaisera vos remords si vous lui bâtissez un tem-

ple digne de lui et de vous.

SALOMON.

Je l'essayerai, mais Dieu s'en contentera-t-il? (Roulement

de tonnerre, la clartésinistre éclairela figuredeSalomon.)

Page 82: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

76 faJN.76 CAÏN.

.,- TROISIÈME TABLEAU

Letemplede Salomonse déploieimmenseet splendideau fonddu théâtre.

Surle côté,des templesaux dieuxMolocliet Astartéavecleursautelsallu-

més,leurs sacrificeset lesagneauxégorgés.En face,sur un trône d'or et

d'ivçire,d'unegrandeuret d'unemagnificencepeucommunes,Salomon,ayantà sescôtesla reinenoire de Saba,à sespiedsl'architecteHiramet unesuitede toutessesfemmesen costumeséblouissantsd'or et de pierreries.Alentour,des esclaveschargésde riches présents. — Deshnyadèresetdesalméesde l'Indeet del'Égypteexécutentunballet.

SCÈNE PREMIÈRE

SALOMON,descendantdu trône et jetant de l'esprit-de-vinsur le feu desdeuxautels,

Dieu Moloch! déesse Astartée ! soyez-moi favorables et

éloignez de moi ces fantômes sanglants qui me pour-

suivent toujours quand tout semble en paix autour de

moi. Élève-toi donc, flamme des sacrifices! (Lesflammes

s'éteignent.)Dieux impuissants aussi!

SCÈNE II

LESMÊMES,LE PROPHÈTEAlliAS,

LE PROPHÈTE, AlliAS.

Voici ce qu'un Dieu plus puissant m'ordonne de vous

dire, puisque vous avez méprisé sa loi. Roi, votre royaume

sera divisé. Dix tribus obéiront à Jéroboam, fils de Nabath.

Juda seul obéira à votre fils, qui ne pourra empêcher le

pillage du temple et de toutes vos richesses par le roi de

Page 83: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

l'IlIHIIÈHE PAIITIE, QUATRIÈMEÉPOQUE, 77

l'Egypte; de ce temple qui est toute votre gloire, et qui

sera un jour détruit par les rois de Babylone, sans qu'il

en puisse rester debout une seule des pierres que vous

y avez entassées.

SALOMON.

Prophète imposteur, tu en as menti par ta gorge! et,

pour te le prouver, je veux qu'on aille me chercher la

tête de Jéroboam, nous verrons ensuite comment il pourra

régner sur les tribus d'Israël, et si tout le reste de tes

menaces ne vaut pas celle-là.

SCÈNE 111

LESMÊMES,UNSERVITEURarrivant.

LE SERVITEun.

Seigneur roi, j'arrive de Samarie. Les tribus sont en

pleine révolte, des émissaires envoyés d'Egypte par Jéro-

boam, qui s'y est réfugié, détournent le peuple de vous,

et l'on y dit ouvertement que votre fils ne régnera pas.

LE PROPHÈTEAUBS.

Eh bien, roi, ma prophétie commence-t-elle à être dé-

mentie OU à Se réaliser? (Lascènes'obscurcit,on entend des cla-

meurseffrayantes.)

SALOMON.

0 malédiction! près de descendre dans le tombeau,

voir déjà les ruines de la grandeur que j'ai amoncelée sur-

Jérusalem ! Oh! pourquoi n'ai-je donc bâti que sur le

Page 84: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

78 CAÎX

sable des déserts ! (L'obscuritéaugmente,un éclatde lumièreillumine

Salomon.)

LA VOIX.

Qu'as-tu Jait de ton frère?

Page 85: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE

LA GRÈCE ET LA VILLE ÉTERNELLE

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6

DEUXIÈME PARTIE

LA GRÈCE ET LA VILLE ÉTERNELLE

PREMIÈRE ÉPOQUE

LES TEMPSHÉROÏQUES

PERSONNAGES:

ÉTÉOCLE, .1'Œ1.IJOCASTE,leurincru.POLYNICE,15 U llpe. ANTIGONE,leursœul'.

PREMIER TABLEAU

LESENFANTSD'ŒDIPE

Onvoitau fondde la scène les murs de Thèbeset le campdesSeptchefs.

Quelquesgroupesde soldatsgrecs et thébainsapparaissentaussidans lefond.

SCÈNE PREMIÈRE

POLYNICE,ANTIGONE.

POLYNICE.

Il faut maintenant te retirer, Antigone. Personne, ma

sœur, ne peut assister à l'entretien que je dois avoir avec

Étéocle.

Page 88: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

82 CAÏN.

ANTIGONE.

Cher Polynice, promets-moi, du moins, de ne pas pro-

voquer la colère d'Étéocle, et de ne chercher à vaincre

son obstination que par la douceur. Jocaste, notre mère,

doit obtenir de lui la même promesse. (Prenantla mainde son

frcrc.)Écoute, Polynice: je mç sens triste, comme si j'étais

au moment de te perdre. 0 mon frère bien aimé, que de-

viendrait sans toi la triste Antigone? quelle autre main

que celle d'un frère voudrait offrir un appui à la fille

d'Œdipe?. Oh! rassure-moi par la promesse que je te

demande.

POLYNICE.

Je te promets, ma sœur, de n'être pas plus exigeant que

mon frère, mais je ne peux t'en promettre davantage.

Adieu, chère sœur, du courage1 (Il embrasseAnligonc,qui su

relireen pleurant.)

SCÈNE Il

POLYNICE,seul.

Étéocle, tu l'as voulu, viens donc; tu cours à ta perte.

Ce rendez-vous doit t'être fatal. Je pourrai enfin, selon le

vœu de mon père, m'asseoir, à mon tour, sur son trône,

puisque la fatalité veut que je ne puisse le faire qu'en

versant le sang de mon frère. Est-ce ma faute aussi si le

meurtre est dans notre famille? si Laïus, mon aïeul, vou-

lant tuer son fils Œdipe, a ainsi causé le parricide et l'in-

ceste de ce même Œdipe mon père?. 0 Jocaste, mamère!

tes fils vont enfin finir, sur ce sol épouvanté, le combat

Page 89: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈMEPARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 85

commencé avant leur naissance dans ton sein profané par

l'inceste.

SCÈNE III

POLYNICE,ÉTÉOCLE.

ÉTÉOCLE.

Allons, Polynice, puisque, malgré le sort qui s'est pro-

noncé contre toi, malgré le vœu d'un peuple entier qui te

repousse, malgré ton impuissance et celle des Sept chefs

que tu as entraînés dans ton injuste agression, tu espères

encore l'asseoir sur mon trône, les mains teintes du sang

de ton frère, viens donc essayer de le prendre, fils s'clan-

centl'un contrel'autre,l'épécà la main, et combattentun instant. Étéocle

tombe.)

POLYNICE.

Tu vois bien que j'ai pu le prendre! Je vais donc régner

aussi à mon tour et accomplir ainsi la volonté paternelle.(il s'approcheet se penche vers Étéocle,quise soulève,le frappe et

retombe.,)

se souIZ-ve,le Jrippe et

ÉTÉOCLE,mourant.v

Peut-être !

SCÈNEIV

LESMÊMES,JOCàSTE,ANTIGONE.

JOCASTE,se jetant sur le corpsd'Étéocle,

Monfils!

Page 90: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

84 CAÏN.

ANTIGONE,soutenantPolyniccqui chancelle.

Mon frère !

POLYNICE,se soutenantavecpeine.

0 ma mère 1 ô ma sœur! vous ne pouvez plus rien

maintenant, ni pour moi, ni pour lui, et moi je ne puis

rien pour vous, car c'est moi qui par mon aveugle ambi-

tion cause ainsi la fin de notre triste famille. Les dieux

n'ont pas été satisfaits du sang de Ménécée, et le nôtre, ici

répandu, n'empêchera pas Créon, mon oncle, de régner

sur nos cadavres et sur les vôtres aussi. 0 Béotie,

pays de haine stupide! Thèbes, qui m'as repoussé, sois

maudite et méprisée à jamais! qu'il ne reste un jour de

tes murs, bâtis par Amphion aux accords de l'harmonie,

que la seule demeure d'un poëte ! qu'Athènes seule, qui

pourtant n'a rien pu pour moi parce que je n'étais pas di-

gne de son secours, reine un jour par les arts, les sciences

et l'amour, brille éternellement par l'éclat de ses héros

et de ses sages, grands par le triomphe, plus grands par

le martyre, (il tombe.)

JOCASTE.

Tu maudis encore ta patrie; mais tu ne maudiras pas

ta mère vivante. (Ellese tue.)

ANTIGONE.

Moi aussi, mon frère, je ne veux pas te survivre, mais

j'attendrai de t'avoir donné la sépulture.

POLYNICE,se soulevantéclairépar la lueur sinistre.

Je meurs ici, moi; mais je suis bien forcé de me survi-

vre, je viens de me reconnaître. (Éclatde tonnerre.)

Page 91: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 85

DEUXIÈME TABLEAU

LESFILSDEPÉLOPS

PERSONNAGES:

ATRÉE,roid'Argos.I SERVITEURS

DUPALAIS.THYESTE,sonfrère. I

Unjour triste et sombreéclairele portiqued'un palaisde l'ancienneGrèce.Unetable, troiscouvertset troissièges.

SCÈNE PREMIÈRE

THYESTE,seul.

0 jour qui devrais être heureux ! jour de réconciliation,

pourquoi es-tu si sombre? 0 Atrée, monfrère, tu me par-

donnes mon offense, et, loin de me sentir pardonné, il

me semble que ta colère n'a jamais été plus menaçante.

Ce fatal amour qui m'a fait l'offenser, ô mon frère! a pour

toujours assombri ma vie, comme ce jour sans soleil, et

l'enfant chéri, né de cette passion malheureuse, me dé-

chire par sa présence comme un remords, ou me torture

toujours par son absence comme un danger. Mais voici

mon frère. Oh! fuyons, je n'ose supporter sa présence;

je reviendrai quand j'aurai retrouvé plus de calme dans

mon âme.

Page 92: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

86 CAÏN.

SCÈNE II

THYESTE,ATRÉE.

ATRÉE.

Fuis, malheureux Tliyeste! tu sens bien que tu es aussi

indigne de pardon que tu dois sentir que j'en suis inca-

pable. Te pardonner! est-ce qu'on peut pardonner à un

frère qui n'a pas craint de faire lui-même un enfant à la

femme de son frère? Va, je te rendrai cet enfant que j'ai

promis de te rendre aujourd'hui à cette table; mais Tan-

tale lui-même, notre aïeul, sera surpassé dans son horrible

festin, et ton fils, ô Thyeste! ne reviendra pas à la vie

comme Pélops notre père. 0 Jupiter, mon illustre ancêtre f

s'il est vrai que pour les dieux la vengeance soit le plaisir

suprême, reconnais en moi ton digne descendant, (il s'assied;

des serviteursapportentune amphoreet un plat chargé de viandes.)Tu

t'es en vain éloigné, Thyeste, je saurai bien t'amener à ce

funèbre banquet. (Il se lève,montreun secondsiégea Thyeste,quis'avancelentementet vient s'asseoir,commedominé par son geste et son

regardfascinatcurs.)

,

SCÈNE III

ATHÉE,TIIYESTE.

ATRÉEverse du vin et sert des viandesà Thyeste,qui sembleattendu'

pour mangerqu'Alréese soit lui-mêmeservi.

Tu ne manges pas, mon frère?

Page 93: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 87

THYESTE,après avoir approchéde ses lèvresun morceau qu'il repose

aussitôt.

Pardonne, mon frère, mais je ne sais quelle puissance

occulte m'empêche de manger, tant que je n'aurai pas vu

mon fils.

ATRÉE.

Bois donc.*

THYESTE.

Mais où donc est mon fils, et pourquoi sa place est-elle

encore vide?

-ATRÉE,montrantle plat.

Ton fils! le voilà.

THYESTE.

0 Athènes, mon refuge, pourquoi t'ai-je quittée?. Le

monstre a égorgé mon fils, et il ose ainsi l'offrir à ma

vue. Mais non, ce n'est pas vrai, car je serais mort en y

touchant de mes lèvres.

ATHÉE,montrant la coupe.

Tes lèvres ont pu toucher impunément les débris de

ton fils, il -n'en est pas de même de ce vin; ose. donc ytoucher.

THYESTE,prenantla coupe.

0 puissant Jupiter! pardonne à ton descendant, c'est

par erreur que je fus coupable. Dieux infernaux, acceptez

mon expiation ! (Il boit la coupeaprès en avoir répandu quelques

gouttessur la table.) Quant à toi, frère aussi implacable quela destinée, écoute la voix de celui qui va mourir : tu

n'auras pas impunément empoisonné ton frère et égorgéson fils. Un autre fils de moi, encore inconnu de toi, ven-

Page 94: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

88 CAÏN.

gera notre mort dans ton sang et celui des tiens, qui

seront trahis et laissés comme toi par leurs épouses,

et, à la suite d'une affreuse guerre causée par cet

abandon, un d'eux sera égorgé par son épouse, égorgée

elle-même à son tour par ses propres enfants. Adieu,

maintenant; sois maudit en toi-même et dans ta posté-

rité!. 0 mort! reçois-moi dans ta nuit. (il meurt, le jour

s'obscurcitencoreplus.)

ATRÉE.

Maudit! oh! ce n'est pas la première fois que j'entends

résonner ce mot fatal qui vient empoisonner ma ven-

geance. Je suis vengé pourtant, et je souffre encore plus.

0 Furies! divinités de l'Érèbe, enfants du Chaos et de la

Nuit, expliquez-moi ce que j'éprouve. (Roulementde tonnerre

et obscurité.)Suis-je ton petit-fils, ô Tantale! ou suis-je plus

ancien que toi, autant que Jupiter lui-même,.ton père?

(Éclair,lumière funèbre.)

VOIX.

Tu es le maudit, le premier né de la terre !

ATRÉE.

Oh ! toujours !.

Page 95: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME EPOQUE

ROMEPAïENNE

PERSONNAGES:

ROMULUS,premierroideRome.RÉMUS,frèredeIIolllulus.RIIliASYLVIA,leurmère.LAURENTIA.GARDES.

AUHNUS,,JUNIUSPROCULUS,NUMAPOMPILIUS,

sénateurs.

SÉNATEURS,CHEVALIERS,SOLDATS.LICTEURSet TROMPETTES.

PREMIER TABLEAU

Lesbordsdu Tibredébordé,lustatuedelaLouveestentouréed'eau,un fossé

partantdu borddu fleuvetraversela scène.

SCÈNE PREMIÈRE

nnÉA,LAURENTIA.

IlHÉA.

Non, Laurentia, je ne puis me défendre de tristes pres-

sentiments. Ce fleuve débordé remplit ces solitudes comme

au jour où Amulius, m'enlevant mes enfants, Romulus

et Rémus, les fit -exposer en ce lieu même, (Montrantla sta-

tue.) sur ces eaux mugissantes. Souvenir affreux que vingtans de captivité dans une étroite prison ont laissé aussi

présent à ma mémoire qu'au premier jour, et dont le

bonheur de serrer enfin mes enfants dans mes bras

Page 96: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

90 CAfN.

n'a pu encore me rendre à la certitude de les avoir re-

trouvés.

LAURENTIA.

Que vous faut-il pourtant? Amulius, votre oncle, tué,

vous êtes libre, et vos enfants ont fondé cette ville, à la-

quelle l'empire du monde est promis.

nHÉA.

Ilélas! c'est ce meurtre même de mon oncle Amulius

qui me fait craindre pour mes fils. Oui, sa mortétait juste,

il avait chassé son frère Numitor, mon père bien-aimé;

il avait tué mon frère, il m'avait jetée dans les fers et

avait exposé mes enfants a ces flots en courroux; mais

était-ce à son frère à le frapper? à mes fils, ses neveux,

à prêter leurs mains à cette fratricide exécution?

LAURMISTIA.

Pourquoi chercher ainsi les tristes souvenirs du passé?

ImÉA.

Je crains pour mes enfants les suites de ce premier

pas dans le meurtre. La haine fraternelle menace de de-

venir en eux héréditaire. Ils ne connaissent pas les senti-

ments d'amour qu'une mère eût su leur inspirer. C'est la

louve qui les a nourris : ils la tiennent pour leur vraie

mère (Lamontrant.)et lui élèvent des statues. C'est dans son

sein qu'ils ont puisé ces instincts de violence dont les

éclats me font trembler pour eux à chaque instant.*

I.AU!:M<TiA.

Ils s'aiment pourtant ; et vous voyez qu'ils ont su s'en-

tendre pour donner un nom à leur ville naissante, et pour

la gouverner.

Page 97: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 91

RHÉA.

S'entendre! Laurentia; le crois-tu? La fraude a bien pu

suspendre pour un temps la violence; mais ne sens-tu

pas le reproche dans chaque parole de Rémus1 Romulus

lui-même, forcé de rougir de l'imposture qui lui a obtenu

l'avantage dans la décision des augures, ne manque au-

cune occasion de se prévaloir d'une autorité que son frère

ne supporte qu'impatiemment.

LAURENTIA.

La jalousie est peut-être pour quelque chose dans leurs

querelles. On dit que Rémus franchit chaque nuit ce

fossé pour se rendre auprès d'une jeune fille, que Ro-

mulus aime aussi.

IIHÉA.

Raison de plus pour craindre. Mais voici mes fils; écar-

tons-nous, mais sans les perdre de vue; que je puisse

encore venir m'interposer entre eux si leurs querelles -

venaient à s'envenimer.

SCÈNE II

LESMÊMES,ROMULUS,RÉMUS,GARDES.

RÉMUS.

Ce fossé, Romulus, me paraît dangereux et inutile :

dangereux, en ce qu'il peut exposer nos citoyens à périr

pendant ces inondations ; inutile, parce qu'il est insuffi-

sant pour empêcherun ennemi de pénétrer.

V

Page 98: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

n GAIN.

ROMULUS.

Et moi je le tiens pour utile, ne serait-ce que pour ha-

bituer à l'obéissance des citoyens trop habitués à l'indis-

cipline.

nÉMus.

La discipline, mon frère, ce mot n'est souvent qu'un

masque sous lequel les hommes déguisent leurs petites

passions, et sous lequel les fils de Mars, les descendants

de Vénus et de Jupiter lui-même, comme vous vous plaisez

à nous désigner, devraient éviter de cacher leur envie d'u-

surper, par n'importe quels moyens, sur leurs égaux et

sur leurs frères, un pouvoir qu'ils devraient partager

avec eux.

ROMULUS.

Partager!. Et Saturne voulut-il partager le ciel avec

Titan, son frère? Jupiter lui-même, dont tu parles, par-

lagea-l-il l'Olympe avec son père, qu'il envoya proscrit se

cacher en cc, pays même du Latium? partagea-t-il davan-

tage avec Neptune et Pluton, ses frères, le ciel et la

terre? ne les força-t-il pas, au contraire, à aller cacher

leur immortalité, l'un dans le fond de la mer, l'autre dans

celui des enfers ? C'est donc, quoi que tu en puisses dire,

en prétendant régner sans partage, selon le droit que les

augures m'ont donné, que je montre bien réellement le

vrai descendant de Jupiter, le maître des dieux et des

hommes.

RÉMUS.

Le droit que tu as surpris aux augures par la fraude,

et dont lu ne veux user que pour empêcher des hommes

Page 99: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 95

de franchir un fossé que des enfants sautentimpunément

dans leurs jeux !

ROMULUS.

Les enfants peuvent le faire, l'ignorance de leur âge

est leur excuse; mais si un seul homme ose franchir ce

fossé, je jure par la louve, notre mère, (Montrantla louve.)

qu'il aura lui-même franchi la limite qui le sépare de la

mort.

RÉMUS.

Et moi je dis que le frère qui se laisserait traiter ainsi

par son frère ne serait pas un homme, mais un faible

enfant. (il s'approchedu fosséet le franchit.)

nmIULUS,le perçant d'un javelot.

Ainsi périsse quiconque sera tenté de l'imiter I

RÉMUS,tombant dans l'eau qui l'entraîne et sedébattantcontre le

courant.

Après m'avoir enlevé le pouvoir par la fraude, il te

manquait de m'arracher la vie par la violence! (Auxgardes.)

Citoyens, vous voyez le sort qu'il vous prépare; je vous

lègue ma vengeance. (Lecourantl'entraîne.)

SCÈNE III

LESMÊMES,RHÉA,accourant,suiviede LAURENTIA.

RIIÉA.

Mon fils! Rémus! mon fils !. 0 flots qui me l'avez rendu

une fois, ne pouvez-vous me le rendre encore?. Oh ! du

Page 100: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

94 CAïN.

moins je pourrai le rejoindre! (Elleveuts'élancerdans le lleuvc,

Laurcntiala retient.)

ROMULUS,aux gardes

Aidez à retenir ma mère.

HIIÉA.

Moi, la mère? (Montrantlalouve.)Ta mère, la voilà!

Page 101: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, DEUXIEME ÉPOQUE. 95

DEUXIÈME TABLEAU

Dansle fond,Rome;de l'autrecôtédu Tibre,l'arméeest rangéeenbabillesur lesbords.Romuluspassesuivide ses licteurs;les soldatsportentdesarmuresétincelantes;Romuluset les sénateurs,descouronnesde laurier.

SCÈNE PREMIÈRE

ROMULUS.

0 Jupiter Stator ! Jupiter Capitolin, père des dieux et

des hommes! moi, Romulus, fils de Mars, ton pelit-fils,

à qui tu viensde donner encore la victoire pour gage de ta

promesse de l'empire du monde, je te dédie ces dépouilles

opimes pour premier ornement du temple que je te con-

sacre, et dont j'ai posé aujourd'hui la première pierre.

Vous, soldats, portez-y ces dépouilles; vous, licteurs,

allez m'attendre en tête de mon armée; trompettes., sui-

vez ces glqrieux présents, et sonnez vos plus glorieuses

fanfares. (Leslicteurset les soldatsse retirent avecles trompettes,dont

les sonséclatantsd'abords'affaiblissentde plusen plus.)

SCÈNE II

ROMULUS,ALBINUS,PROCULUS,NUMAPOMPILIUSet les SÉNATEURSrestésaveclui.

ALBINUS,bas à Proculus.

Il renvoie lui-même ses licteurs, c'est le destin qui nous

Page 102: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

96 CAÎN.

le livre. Si nous ne profitons pas de ce moment, nous ne

pourrons jamais nous délivrer de sa tyrannie.

ROMULUS,aux sénateursqui l'entourentpeu à peu.

Vous tous qui m'entourez, pères conscrits, vous que

j'ai établis les premiers dans ce système si sagement équi-

libré, le sénat, les chevaliers et le peuple; système qui a

amené sur Rome une prospérité que les esprits les plus

inquiets voudraient en vain nier; après tant de victoires,

tant de peuples, Fidenates et Antemnates, Véiens, Sabins

et Laviniens, tous soumis OUralliés, (Leciel se couvred'épais

nuages.)je vais, avec l'aide de Jupiter, mon divin aïeul,

(Coupsde tonnerre.)qui m'approuve lui-même en ce moment,

vous découvrir les glorieux desseins que j'ai formés pour

l'agrandissement de cette monarchie naissante. (Nouveauxroulementsde tonnerresuivisd'éclairs.Lessénateursentourententièrement

Romulus.)

NUMAPOMPILIUS,venantà l'écart sur le devant de la scène.

0 nymphe entrevue au bord de la fontaine! Égérie !

Égérie! douce vision d'amour, préoccupation constante de

mes jours et de mes nuits! oh! dis Lsi je dois ceindre un

jour le bandeau des rois, je ne dois pas du moins teindre

mes mains de leur sang. Si je suis impuissant à te défen-

are moi-même, ô Romulus, je puis du moins appeler tes

licteurs à ton secours. (il sort.)

Un cri déchirantse fait entendreau milieud'une obscuritéde plus en plusprofonde.Unseul rayonde lumière semblepersisterau milieudu groupe,qui s'entr'ouvrepeu à peu, commedissipéparuncoupde tonnerre.Onvoitalors,aumilieudessénateurs,quiparaissentcacherdes membressousleursmanteauxet essuyerleurs glaives,une tète encoreà terre, éçlairéeparlusinistrelumière,et l'onentendla voix; Qu'as-tufait de ton frère?

Page 103: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈMEPARTIE, DEUXIÈAIE ÉPOQUE U7

7

PIIOCULUS,montrant la tête à Albillus.

Je n'ose approcher: vois comme son regard est encore

menaçant.

ALBJNUS.

Quand ce serait la tête de Mars lui-même, ou celle de

Jupiter Capitolin. ! (Il saisitla têtede Romuluset la cachesoussou

manlcau.Lalumièrefaiblitet se mêleau jour qui renaîtpeu à peu.)¥

SCÈNE III

LICTEURSet SOLDATSarrivantavecI'OMPILIUS.

UNLICTEun.

Où est Romulus, notre auguste souverain?

JUNIUSPROGULUS.

Romulus, notre divin fondateur, vient dedisparaître

au milieu des éclats de la foudre. Jupiter a sans doute

jugé que la terre n'était plus digne de le porter, et une

voix, que nous avong tous entendue, nous a prescrit de

l'adorer

désormais^fS^pïma

divin de Quirinus.~M~2\

Trop tard!

Page 104: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME ÉPOQUE

ROMECHRÉTIENNE

0PERSONNAGES:

CÉSARDOMU.SBIRES.UNMAJORDOME.

DELAROVÈRE,ADRIENCORNETO,PRINCEDECAI'OUE,DOMESTIQUES.

cardinaux.

PREMIER TABLEAU

LAROMEDUQUINZIÈMESIÈCLE.BORDSDUTIBRE

César,masqué,suivide deuxhommesportant un cadavrerecouvertd'un longmanteau,étendlebras vers le fleuve;lessbiresy jettent leurfardeau.

SCÈNE PREMIÈRE

CÉSARBORGIA,deux HOMMESARMÉS.

CÉSAU,se passantla main sur le front et regardantJe fleuve.

(Apart.)Pourquoi vois-je toujours ce manteau flotter ainsi

sbr l'eau? (Haut.)Ce n'est pas sur l'eau, mais au fond de

l'eau que je vous ai dit de jeter ce corps; je ne veux rien

voir à la surface. (Lessbiresjettent des pierressur le manteau.)

UN D'EUX.

Est-ce bien ainsi, maître?

CÉSAR,leur jetant une bourse.

Allez. (Ilsramassentla bourseet sortent en comptantdes piècesd'or.)

Page 105: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 99

SCÈNE II

CÉSAR,seul,ôtantson masque.

Ce n'était pas plus difficile que cela. 0 destruction,

que tu es facile !. L'homme, qui ne pourrait créer seule-

ment un insecte, est détruit par un autre homme, moins

encore, par un insecte plusieurs millions de fois plus pe- ,

tit que lui. L'insecte qui m'a piqué peut voltiger impuné-

ment sur les fleurs, et, pendant que je vais à l'eau du

fleuve laver en frémissant ma paupière tuméfiée, mon

frère entraine en riant la belle Lucrèce au fond des plus

ombreuses allées de la villa Adriana, sans se douter qu'il

se précipite lui-même dans les plus sombres profondeurs

de ce fleuve. (Sepenchantsurle bord.) 0 duc de Candia, mon

ainé, si tu penses encore dans ton lit de vase, crois-tu

pouvoir l'emporter désormais sur ton frère? (Onentend un

bruitde cloches.)Et toi, pape Alexandre VI, mononcle ou mon

père., toi, dont la main puissante commande aux touches

de cet immense clavier, toi, qui m'oses menacer, rends

grâce au destin, de l'orgueil qui, pour viser d'abord plus

haut, m'a fait rejeter pour un temps la pourpre dont tu

m'avais revêtu ! (te bruit de clochesaugmenteet paraît s'étendre

d'égliseeu église.' Sonnez, carillon de fêtes, sonnez encore

pour lui e~ pour moi ! Mais moi seul aujourd'hui, grâce à

cet acte imprévu pour tous, monterai richement vêtu les

superbes coursiers aux fers d'or destinés aux ambassa-

deurs du pape!

Page 106: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

100 CAÏN.

DEUXIÈME TABiAEAIJ

Lepalaisdes papesdans le fond; en avant, un jardin entouréde vignesoccupépar une vaste tablecouvertedes plus richescouverts,des plussplendidesornements.

SCÈNE PREMIÈRE

UNMAJORDOME,préposéà la gardedes tables,refermeun flacond'or, enretire l'étiquettequ'il va mettre à un flaconsemblableplacffdansl'angled'uneétagère.

Infâmes Borgia, lâches incestueux! prêtre sacrilège,

bâtard, fratricide, votre châtiment est proche, et pourtant

j'envie votre sort; j'envie jusqu'à vos vices, moi qui n'en

peux avoir. J'ai pourtant plusieurs emplois, je suis ma-

jordome, et ne suis pas même un homme, je chante les

hymnes de la fraternité, et des frères ont fait de moi un

maître de chapelle. Je mêle ma voix aux chants d'une

religion d'amour, et je ne sais pas même ce que c'est que

l'amour; mais je puis pénétrer les secrets de l'impéné-trable fatalité, je puis, ainsi que l'imperceptible ciron qui

renverse, en rongeant leur charpente, les plus imposantes

constructions, je puis être, invisible châtiment, un de ces

agents éternellement inconnus qui guident dans l'ombre

les humaines destinées.

Page 107: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈMEPARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 101

SCÈNE II

LE MÊME,CÉSARBORGIA.

CÉSAR.

Mon oncle n'est pas encore venu?

LE MAJORDOME.

Si, monseigneur; il vous a même attendu assez long-

temps; il paraissait être venu très-vite, car il avait très-

chaud, et est reparti vous chercher après s'être fait servir

de ce flacon de vin de Chypre, en me chargeant de vous

recommander de l'attendre, si vous arriviez avant son

retour.

CÉSAR;s'essuyantle front.

Il fait, en effet, une chaleur étouffante. (Montrantle flacon

d'or.)C'est de ce flacon qu'il a bu?

LE MAJORDOME.

Oui, monseigneur.

CÉSAR,tendant une coupeque le majordomeremplit et s'étendant dans

un fauteuil.

Allez, j'attendrai seul ici. (Lemajordomese retire.)

SCÈNE III

CESAR,seul,se levant et allant prendre dans l'anglede l'élagère le flaconsemblableà celuidont il s'est fait verser.

0 puissance merveilleuse! liqueur généreuse ou per-

Page 108: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

102 CAÏN,

fide! cordial ou venin, qui donnes tour il tour la force ou

la faiblesse, la vie ou la mort; arme de la haine, qui sais

l'emporter quand l'amour fait défaut; toi qui ressembles

tant à ce chypre généreux, ô canfarelle! lu vas me donner

les immenses richesses de ces princes orgueilleux de l'É-

glise. Tes riches palais et ton futur duché d'Urbin, Julien

de la Rovère, toi qui te, crois déjà pape; tes vasles do-

maines, François Piccolomini; tes somptueux équipages,cardinal de-Modène; l'or et les diamants entassés dans tes

caves et les femmes que tu en achètes, cardinal prince

de Capoue;les nombreux vaisseaux qui couvrent les mers

des deux côtés de l'Italie, Ascagne Sforce; enfin, ces im-

menses et splendides jardins, Adrien Corneto. C'est au

fond de vos sépulcres de marbre que vous irez chercher

ces richesses qui me serviront à attaquer enfin ouverte-

ment un fantôme d'empereur, car ce n'est plus dans l'Al-

lemagne que doit rester l'empire romain, mais dans Rome,

et j'y suis; ce n'est plus Maximilien que doit s'appeler

l'empereur, mais César, et je le suis. 0 nom prédestiné!

arrière tout autre nom! arriére aussi le tien, roi des Es-

pagnes! c'est en vain que Colomb, aidé de son excellent,

frère, (iiriu) vous a apporté l'or d'un nouveau monde, si

noblement payé par les fers dont vous avez chargé ses

mains, digne récompense de son génie. La récompense du

mien, c'est l'empire du monde, non plus la lutte des deux

puissances, pape et empereur, mais leur réunion en ma

personne. (Prenantla couperemplie.)A César! pape et empe-

reur futur. des deux mondes! (Il achèvede boire.)

Page 109: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 105

SCÈNE IV

LE MEME,(lesDOMESTIQUES,les cardinauxde LAnOVÈRE,CORNETOetde CAPOUE.

UN DOMESTIQUE,annonçant.r

Le cardinal de la Rovère! (Lecardinalentre.)

UNSECONDDOMESTIQUE,entrant.

Le cardinal Adrien Corneto ! (II entre.)

UNTROISIÈMEDOMESTIQUE.

Le cardinal prince de Capoue! (il entre.)

DOMESTIQUES,accourant.

Sa Sainteté le pape Alexandre VI se meurt 1(Césarsort.)

VOIXDUDEHORS.

Le pape-CSt mort! (César rentre pendant que les cardinaux se

retirent.)

SCÈNE V

CÉSAR,seul sur le devant; leMAJORDOME,cachédansle fond.

CÉSAR.

Fatalité! (Regardantles deux flaconstourà tour.) Comment s'est

faite cette fatale méprise? c'est la cantarelle qu'il a bue!.

Malheureux! et moi aussi, c'est elle. Mais alors cet autre

flacon, qui lui ressemble, c'est le contre-poison? (il le sentk

Page 110: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

404 CAIN.

et le boit.) Puissé-je en réchapper!. Mais je ne pourraicacher mes souffrances, et, avant mon rétablissement, on

aura le temps de déjouer tous mes projets. 0 fatale coïn-

cidence! qui aurait jamais cru qu'à la mort de mon oncle,

je serais moi-même dans cet état? Italie dégénérée, dois-tu

rester encore dans ton suaire? L'heure de ta résurrection

ne doit-elle pas encore sonner? (Il s'assied,puisse relève brus-

quementcommeentendantmarcher.)

LEMAJORDOME,à part.

Italie!. Machiavel aurait-il raison? la haine de ce

monstre serait-elle plus utile pour toi que tout l'amour

de tes poëtes? (il sort.)

CÉSAR.

0 souffrances intolérables ! vais-je me tordre à leurs

yeux commeun serpent blessé au fond d'un précipice?ô serpent immortel, Satan! ne suis-je donc pas formé

comme toi, engendré par toi d'une éternelle essence? ô

père, pourquoi m'abandonnes-tu? si je ne suis toi-même,

quel autre pourrait aussi bien que moi te représenter en

Ce monde? (Tonnerre,obscurité,éclair, lumièresinistre.)

LAVOIX.

Caïn, qu'as-tu fait de ton frère?

CÉSAR,se redressant.

Caïn! moi? je suis Caïn!. Je sentais bien que je n'étais

pas un homme comme les autres. 0 empire du monde, tu

peux m'échapper à cette heure; mais que je meure au-

jourd'hui, tordu par la souffrance, enveloppé de la pour-*

pre et de l'or des souverains de ce monde, ou demain,

Page 111: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME PARTIE, TROISIÈME trOQUE. 105

frappé d'une balle et dépouillé de tout comme le dernier

des soldats, la partie n'est que remise; impérissablecomme la haine, Caïn, je ne dois pas, je ne puis pasmourir ! .--"

Page 112: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra
Page 113: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE

FRANCE, LES FILS AIXKS DE li.'i.GLISE

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Page 115: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE-,

FRANCE, LES FILS AINES DE L'EGLISE

PREMIÈRE ÉPOQUE

PRÉMISSES,CHARLESIX

PERSONNAGES:

CHARLESIX.LEDUCDEGUISE.LECARDINALDELORRAINE,sonfrère.LECARDINALDEBOURBON,LEROIDENAVARRE.

HENRIDENAVARRE,sonlils.MARGUERITE,femmedeHenri.CATHERINEDEMÉDICIS.SOLDATS.HUGUENOTSetCATHOLIQUES.

PREMIER TABLEAU

Unsalondu vieuxLouvre.

SCÈNE PREMIÈRE

CHARLESIX, seul.

Oui, mon frère François Il est un homme, plus qu'un

homme, une Majesté. Moi je suis un enfant; oui, bien en-

tant, puisque ma belle-sœur Marie Stuart ne s'aperçoit

pas seulement du trouble que sa présence me cause. un

Page 116: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

;110 CAÏX

enfant qui ne doit rien savoir, qu'on envoie promener

pour parler d'affaires d'État. Et si je ne veux pas me

promener?. Voici justement mes oncles de Guise, qui

paraissent causer d'affaires d'État; je saurai peut-être ce

que c'est que des affaires d'État. (Use cachederrièreune tapis-

serie.)

-SCÈNK Il

LEDUCDEGUISE,LE CARDINALDELORRAINE.

LE DUC.

Je vous l'ai déjà dit, mon frère, nous ne sommes que

trop aidés dans notre œuvre sainte. La maladie de lan-

gueur du roi, grâce aux imprudentes caresses de Marie

Stuart, ne va que trop vite maintenant. Tâchons de mo-

dérer l'ardeur de cette chère nièce. Que François Il ne

meure pas avant que Dieu ait délivré la France de ces

parpaillots de Bourbons !

LE CARDINAL.

Mais s'il larde à le faire?

LE DUC.

Condé est condamné et sera exécuté demain. Son frère,

le roi de Navarre, va être tué lui-même tout à l'heure,

par ordre et sous les yeux du roi.

LE CARDINAL.

Je le sais, et c'est pour cela que j'ai demandé une en-

trevue au cardinal de Bourbon, car sa présence auprès

Page 117: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. Ili

du roi eût arrêté ce faible monarque, et sauvé le roi de

Navarre, et par suite Condé lui-même; et, eux vivants, il

serait bien difficile qu'un cloître ou un tombeau, pût nous

débarrasser du jeune Charles et de sa mère. Mais voici le

cardinal qui vient, croyant à quelque ouverture impor-

tante de notre part.

LE DUC.

Parlez donc, je vais agir. ,11sort.)

SCÈNE 111

LE CARDINALDELORRAINE,LE CARDINALDEBOURDON.

LE CARDINALDEBOURBON.

Votre Éminence ayant désiré me parler, je me rends

avec empressement à son invitation.

LECARDINALDELORRAINE.

Éminence, les temps d'épreuve, dans lesquels la sainte

Église se débat, doivent vous expliquer ma sollicitude. Je

voulais demander à Votre Éminence si, comme membre

du Saint-Office, elle ne saurait pas quelque moyen de

mettre un terme à de si dures épreuves.

LE CARDINALDE BOURBON.

Je ne pourrais, Éminence, que vous demander à vous

même les moyens que vous croiriez les meilleurs, pen-

sant que vous aviez plutôt à me demander mon concours

que des propositions, puisque c'est vous qui me faites

appeler, à un moment surtout où ma présence auprès du

Page 118: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

;HO CAÏ.X.

enfant qui ne doit rien savoir, qu'on envoie promener

ponr parler d'affaires d'État. Et si je ne veux pas me

promener?. Voici justement mes oncles de Guise, qui

paraissent causer d'affaires d'Etat; je saurai peut-être ce

que c'est que des affaires d'État. (IIse cachederrièreune tapis-

serie.)

SCÈNE Il

LEDUCDEGUISE,LE CARDINALDELORRAINE.

I.E DUC.

Je vous l'ai déjà dit, mon frère, nous ne sommes que

trop aidés dans notre œuvre sainte. La maladie de lan-

gueur du roi, grâce aux imprudentes caresses de Marie

Stuart, ne va que trop vite maintenant. Tachons de mo-

dérer l'ardeur de cette chère nièce. Que François Il ne

meure pas avant que Dieu ait délivré la France de ces

parpaillots de Bourbons !

LE CARDINAL.

Mais s'il larde à le faire?

LE DUC.

Condé est condamné et sera exécuté demain. Son frère,

le roi de Navarre, va être tué lui-même tout à l'heure,

par ordre et sous les yeux du roi.

LE CARDINAL.

Je le sais, et c'est pour cela que j'ai demandé une en-

trevue au cardinal de Bourbon, car sa présence auprès

Page 119: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 111

du roi eût arrêté ce faible monarque, el sauvé le roi de

Navarre, et par suite Condé lui-même; et,. eux vivants, il

serait bien difficile qu'un cloître ou un tombeau, pût nous

débarrasser du jeune Charles et de sa mère. Mais voici le

cardinal qui vient, croyant à quelque ouverture impor-

tante de notre part.

LE DUC.

Parlez donc, je vais agir, (II sort.)

SCÈNE III

LECARDINALDELORRAINE,LECARDINALDEBOURBON.

LE CARDINALDEBOURBON.

Votre Éminence ayant désiré me parler, je me rends

avec empressement à son invitation.

LECARDINALDELORRAINE.

Éminence, les temps d'épreuve, dans lesquels la sainte

Église se débat, doivent vous expliquer ma sollicitude. Je

voulais demander à Votre Éminence si, comme membre

du Saint-Office, elle ne saurait pas quelque moyen de

mettre un terme à de si dures épreuves.

LE CARDINALDE BOURBON.

Je ne pourrais, Éminence, que vous demander à vous

même les moyens que vous croiriez les meilleurs, pen-

sant que vous aviez plutôt à me demander mon concours

que des propositions, puisque c'est vous qui me faites

appeler* à un moment surtout où ma présence auprès du

Page 120: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

112 GAIN.

roi, en compagnie de mon frère, semblait, sinon indis-

pensable, du moins fort convenable.

SCÈNE IV

LESMÊMES,LE ROIDE NAVARRE,arméel cuirassé.

LE ROIDE NAVARRE.

Venez, mon frère, ne nous laissons pas endormir. Il yva de notre vie à tous!

LE CARDINALDE LORRAINE.--

Non, je vais vous laisser. (Avecraillerie.) imminence, nous

reprendrons plus tard celle importante conversation, (II

sort.)

SCÈNE V

LECARDINALDEBOURBON,LE ROIDENAVARRE.

LE ROI DE NAVARRE.

0 mon frère, que j'avais bien fait de m'armer! Sachez,

qu'arrivé auprès du roi François II, je n'ai vu, au lieu

d'hommes d'Église, que je devais y trouver, que des

hommes de guerre, qui, la main sur la poignée de leurs

épées, semblaient attendre un ordre que François II, in-

timidé sans doute par mon air décidé à vendre chèrement

ma vie, hésitait à donner! Comme l'audience semblait

languir, j'ai saisi le premier prétexte et je me suis retiré

Page 121: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME 1-ARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 115

8

ou plutôt enfui d'un lieu où un instant de plus m'eût

été fatal.

LE CARDINALDE BOURBON.

Malheureux François II! trouves-tu donc que la maladie

ne t'emporte pas assez vite? pourquoi forces-tu tes plus

fidèles sujets à désirer ta mort?

LEROIDE NAVARRE.

Ce n'est plus à la désirer que nous pouvons nous bor-

ner. Demain Condé, notre neveu, doit être conduit à

l'échafaud, et ce qu'on n'a pas osé faire aujourd'hui

contre moi, on saura bien le faire demain. Alors, si votre

robe vous sauve de la mort, mon frère, elle ne vous sau-

vera pas de l'exil. Catherine de Médicis conçoit elle-même

son danger, et comme le cloître a peu d'attraits pour elle,

elle comprend que, puisque François II ne peut tarder à

mourir, il vaut mieux que ce soit tout de suite, pendant .-

que nous pouvons la sauver elle-même.

LECARDINALDE BOURBON.

Mais alors?

• LE ROIDENAVARRE.

Tout est prêt. Demain, le jour ne retrouvera plus Fran-

çois II vivant. Charles IX proclamé roi, Condé, d'accord

avec la reiavec la reine mère, sort de prison pour rallier les enne-

mis de Guise, pendant que nous prenons avec Catherine

de Médicis la défense du nouveau trône. (ils sortenten parlantaveeanimation.)

Page 122: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

114 CAlN.

SCÈNE VI

CHARLESIX,seul,sortantde derrièrela tapisserie.

Mon frère François!. ils vont tuer mon frère cette

nuit. et ma mère ferme les yeux. Oh! cela ne sera pas.

cela ne peut pas être. Je vais prévenir mon frère.

Mais voudra-t-il seulement m'écouter, s'arracher un mo-

ment des bras de sa chère Marie?. Et puis un cloître ou

un tombeau sera ma récompense. Non! je ne peux pas.

D'ailleurs les affaires d'État ne me regardent pas, je ne

suis pas une Majesté, moi !. Charles IX, ont-ils dit, doit

succéder à François II. Une couronne ou un tombeau !

entre ces deux extrémités que peut un enfant? Mon frère

ou moi. Que Dieu nous ait tous deux en sa sainte garde!

Page 123: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 115

DEUXIÈME TABLEAU

Lesrives de la Seine.Unpavillonéclairéavecbalcon,surle bordde l'eau

occupeuncôtéde lascène;il fait nuit.

SCÈNE PREMIÈRE

CHARLESIX, dansle pavillon,auprèsd'une tablesurlaquelleest un chapeau

ornéd'unecroixblanche,aprèsavoirregardél'heured'unehorloge.

Heure fatale! que tu es à la fois lente et prompte a

venir! Aucune cloche encore n'a sonné; (Allantau balcon.)

pourtant quelques clartés de torches dans le fond.

L'heure va donc sonner. (Onentendquelquescoupsdefeuéloignés.)

Enfin1 demain ils seront tous anéantis, tous ces hugue-

nots, mes ennemis, Henri de Navarre, Coligny, Arnaud

de Chavagnes, tous, tous. Mais qui me sauvera de tous

ceux qui n'attendent que ma mort: ma mère, mes frères:

d'Anjou, dont les impures amours n'ont pas même respectér.

notre sœur; d'Alençon, qui nous confond tous dans une

même haine; ceux qui, aussi cruels que moi, m'ont

déjà -donné ce poison lent qui minait mon frère Fran-

çois II, quand. quand. Souvenir impérissable qui dé-

vore et flétrit en moi jusqu'à l'amour que je ressentais

pour les douces compagnes que la raison d'État et celle

du cœur m'ont données! 0 malheureux roi! pourquoi

m'a-t-on choisi pour cette fratricide exécution? Une exé-

cution catholique, et j'ai les mœurs d'un musulman ! C'est

que ce fratricide en grand voulait un chef fratricide. (Pre-

Page 124: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

m CAÏN.

nant sonchapeaudes deuxmains.) Et cette croix, signe de ré-

demptionun jour, signe de mort toujours, qu'on place

sur les tombeaux, qu'on fait baiser aux suppliciés. qu'on

a clouée sur nos bras, sur nos chapeaux. dont je ne

pourrai peut-être pas plus me détacher que le patient de

l'instrument de son supplice !

SCÈNE II

LEMÊME.

Minuitsonne,les coupsde clocheet lescoupsde feu s'entremêlentauxcrisde rageet d'angoisse;lascènese couvreau-dehorsde fuyardset de meur-triers courantsur la plageet se poursuivantsurdes bateaux.

UNEVOIXDUDEHORS.

Charles, notre roi, on égorge tes malheureux sujets !

CHARLESIX.

Mes malheureux sujets! et lequel de vous est aussi à

plaindre que votre roi? lequel de vous endure des tor-

tures semblables aux miennes? Vous demandez du se-

cours à votre roi! le secours qu'il peut vous donner est

celui qui lui serait bon à lui-même pour finir sa souf-

france. (Il prendune escopetteet la déchargesur les fuyards.)

Page 125: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 117

SCÈNE III

LE MÊME,CATHERINE,HENRI,MARGUERITE,SOLDATS.

Laportes ouvreavecfracas,Henride Navarreentrepoursuivipar dessoldatsqu'exciteCatherinede Médicis.

MARGUERITE,se jetant entre son mari et ses assassins.

Charles, mon frère, laisseras-tu égorger Henri, mon

époux, celui que tu appelles ton frère? (Ellefait entrer Henri

avecelle dans un cabinet.Catherinesort avecles soldatspar une autre

porte.)

SCÈNE IV

CHARLESIX, seul.

Celui que j'appelle mon frère !. J'ai bien déjà laisséfaire. 0 nuit fatale, digne.de celle-ci! quels souvenirs tu

évoques toujours! (Essuyantson front de sa main.) Une sueurfroide inonde mon front. (S'essuyantde nouveaude sa main,qu'ilregarde.)Du sang!. du sang!. une sueur de sang!.(Unelumièresinistreéclairesonfront et sa maintachésdesang.)

LA VOIX.

Qu'as-tu fait de ton frère ?

Page 126: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

DEUXIÈME ÉPOQUE

GRANDEUR.LOUISXIV

PERSONNAGES:

LOUISXIV.LOUVOIS.MADAMEDEMAINTENON.MONSEIGNEURLEDAUPHIN.

LEDUCDEBOURGOGNE.LECOMTEDETOULOUSE.LEDUCDUMAINEet SESFILS.PRINCES,DAMESet SEIGNEURS.

PREMIER TABLEAU

Lecabinetdu roi.

SCÈNE- PREMIÈRE

LOUISXIV,assisdansun fauteuil;LOUVOIS,devantunetable couvertede papiers.

LOUVOIS.

Sire, vous triomphez de tous vos ennemis; le doge de

Venise, lui-même, vient à votre cour comme un astre au-

près du soleil. Tous vos ordres sont partout exécutes,

vous triomphez de tous vos ennemis. La révocation de

l'édit de Nantes produit ses salutaires effets. Les protes-

tants et leurs familles, au nombre de plus de trois cent

mille, évacuent le sol de la France. Cependant.

Page 127: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 119

LOUISXIV.

Cependant?

LOUVOIS.

Quelques-uns des principaux d'entre eux, hommes

d'audace et de résolution, se sont fait un refuge for-

midable dans les Cévennes.

LOUISXIV.

Ah! la Narbonnaise de César! Il faut raser leurs tem-

ples, c'est l'avis de M. de Meaux; envoyez dans les Céven-

nes mes dragons et toute la cavalerie disponible; le sabre

finira ce que l'exil n'a pu terminer.

LOUVOIS.

Votre Majesté a raison. Les rebelles ne pourront résister

longtemps; il leur manque un chef important, un corps

ne peut subsister sans tête. Mais.

LOUISXIV.

Mais?

LOUVOIS.

Ils prétendent qu'un représentant de la liberté religieuse

proclamée par l'édit de Nantes, un autre petit -iîls de

Henri IV, fils de France comme vous, avant vous, dont

personne pourtant ne peut prouver l'existence, va bientôt

se mettre à leur tête. Je reçois aujourd'hui même une

lettre de M. de Saint-Mars, qui me dit qu'on a vu des na-

vires étrangers rôder autour des îles Sainte-Marguerite,

que chaque nuit il craint une attaque ayant pour but de

lui enlever son prisonnier.

LOUISXIV.

Écrivez à M. de Saint-Mars qu'à la première tentative,

Page 128: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

120 CAlN.

il fasse périr le prisonnier de Pignerol et ceux qui tente-

raient de l'approchcr, et qu'il ait soin de le faire après

défigurer.

LOrYOIS.

Vos ordres ont prévenu mes conseils; je m'offre même

à aller, au besoin, en personne les faire exécuter, (Il sort.)

SCÈNE II

LOUISXiV.seul.

0 fantômes de mes nuits! masque de fer infcrnal,

quand finira le long cauchemar de ta funeste fraternité?

SCÈNE III

LOUISXIV,MADAMEDEMAINTENON.

MADAMEDE MAINTENON.

Priez, sire, priez, fils aîné de 4 : la religion a des

consolations pour les grandes et augustes douleurs.

Page 129: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, DEUXIEME ÉPOQUE. 121

DEUXIÈME TABLEAU

Salonde réceptionà Versaillesavec un cabinet ouvert sur un des côtésdela scène.

SCÈNE PREMIÈRE

LOUISXIV,LEDAUPJIIN,LE DUCDE BOURGOGNE,LE COMTEDETOU-LOUSE,LE DUCDUMAINEet SES FILS, PRINCES,DAMESet SEI-GNEURSde la cour.

Finou continuationd'un balletà la cour.

UNSEIGNEUR,à une dame en la reconduisant.

La gaieté a bien de la peine à se faire jour dans une fête

si belle pourtant; il semble qu'un génie malfaisant se

plaise (Montrantle roi.) à troubler les fêtes de ce pacha

converti.

LADAME,montrantmadamede Maintenon, qui entrevêtuede noir.

Le génie cherché, le voilà.

SCÈNE II

LESMÊMES,MADAMEDEMAINTENON.

Elles'approchedu fauteuildu roi et lui parlebas uninstant. Silencegénéral.

LOUISXIV,se levantet s'appuyantà sonfauteuil.

Nous avons réseiu d'accorder, par grâce toute spéciale,

aux enfants de notre bien-aimé fils le duc du Maine, le

même rang et les mêmes honneurs qu'à leur père. (Même

silence.Le roi, passantprès de Monseigneuret du duc de Bourgognepour

Page 130: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

122 CAÏN.

entrer dans son cabinet.) Princes, j'aurai à vous entretenir un

instant. (Ils entrent aveclui dans le cabinet. Lesseigneurset dames

restent assis parlant à voix basse on se promenantsilencieusementau

dehors.)

SCÈNE III

LOUISXIV,LE DAUPHINet LEDUCDEBOURGOGNE.

LOUISXIV.

Écoutez, mes enfants, ce que depuis longtemps je pense

et j'hésite à vous dire. Tout règne, quelque grand qu'il

soit, doit avoir un terme, et celui du mien approche.

C'est à vous qu'échoit l'héritage de ma couronne, à vous

d'en porter successivemet le fardeau, et de maintenir ou-

verte sur la France la source des faveurs que la monar-

chie n'a cessé de répandre sur elle; aussi je ne doute

pas que vous ne confirmiez après moi les rangs et

distinctions que j'accorde au duc du Maine dans ses

enfants. (Silencedes princes,qui se regardentétonnés.)C'est votre

frère, mon fils, mon sang comme vous-même, et je puis

répondre de son affectueuse soumission. (Allantà la portedu

salonet uppelnnt.)Monsieur le duc du Maine! (Leduc du Maine

se lèveet se rend en toutehâtedansle cabinetdu roi.)

Page 131: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, DEUXIÈME ÉPOQUE. 123

SCÈNE IV

LESMÊMES,LE DUCDUMAINE.

LOUISXIV,faisantinclinerle duc devant les princes.

Prince, j'ai répondu de votre dévouement et réclamé

pour vous, après moi, une affection fraternelle que j'es-

père, que j'attends de la bienveillance d'un frère pour son

frère, issu comme lui de mon sang. (Silencedes princes; le duc

du Maines'inclinedavantageà leurs pieds.)

LOUISXIV, le relevant,et d'une voixattendrie.

Mais embrflssez-vous donc, mes enfants! ou si l'émotion

vous retient, une parole bienveillante pour votre frère.

LE DAUPHINLOUIS,au duc du Maine.

Monsieur le Duc, comptez que, si le sort me privait un

jour de mon père, j'aurais pour vous l'affection qu'il eût

eue lui-même pour un frère, si le sort lui en eût donné

'.:n'ccaffectation)un autre que Philippe de France.

LOUISXIV.

Princes, vous pouvez vous retirer. (Lesprincessortent.)

LOUISXIV,s'avançantà la porte du salon.

La position des enfants du duc du Maine étant réglée

définitivement, chacun peut en témoigner librement sa

Satisfaction. (Les princess'avancentau milieu des groupes, le duc du

Mainerejoint ses fils auprès de madamede Maintenon, qu'entourentd'au-

tresgroupes)

Page 132: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

124 CAÏN.

SCÈNE V

LOUISXIV,seuldansle cabinet,se laissanttomberdanssonfauteuil.

0 vieillesse! ton impuissance se dresse impitoyable de-

vant moi. Quel sort l'avenir prépare-t-il à mon fils, s'il

doit avoir celui que semble lui promettre son frère? dois-je

désirer de survivre à mes enfants et à mes petits-enfants?

0 Dieu! la raison d'État m'a-t-elle égaré? me serais-je

trompéen chassant les protestants? Pourquoi me frappez-vous ainsi dans ma postérité? (Éclair,lumière.)

LA VOIX.

Qu'as-tu fait de ton frère?

Page 133: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME ÉPOQUE

DÉCADENCE.CHARLESX

PERSONNAGES:

DEUXHOMMESINCONNUS.CHAULESX.LEPRINCEDEPOLIGNAC.

MINISTRESet DÉPUTÉS.UNIIUISSIER.

PREMIER TABLEAU

Uneaubergeà Varennes.

DEUXHOMMES,assisprès d'une table;bruitsau dehors.

LEPREMIER.

Voyons! c'est en vain que je voudrais cacher mon jeu,vous paraissez le connaître, vous cachez le vôtre, et je le

vois également; jouons, si vous voulez, cartes sur table.

LE SECOND.

Voyons.

LE PREMIER.

Nous nous trouvons ensemble à Châlons-sur-Marne au

moment où, la voiture de Louis XVI ayant cassé, on ne sait

comment, le roi est obligé de faire halte; vous en profitez

pour chercher à faire partir la reine et ses enfants dans

Page 134: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

126 CAÏN,

une première voiture; n'ayant pu y réussir, vous prenez

ainsi que moi les meilleurs chevaux et nous' arrivons à

Varennes avant le roi, et ici nous retenons encore les che-

vaux disponibles.

LE SECOND.

Eh bien, après?

LE PREMIER.

Après, je suis porteur d'un ordre pour faire partir les

troupes, et un ordre transmis par vous les a déjà fait

partir; je dis que j'ai cru reconnaître le roi, et l'auber-

giste, prévenu par vous, le sait déjà. Enfin, au moment

où le roi est arrêté, vous faites de nouveaux efforts pour

qu'il soit seul retenu, et qu'on laisse partir Marie Antoi-

nette et ses enfants. Évidemment, si nous voulons tous

deux l'arrestation du roi, -vous ne voulez pas celle de la

reine.

LE SECOND.

C'est qu'apparemment je ne travaille pas pour M. le

comte de Provence.

LE PREMIER.

Parce que vous travaillez pour M. le comte d'Artois,

qui, on le sait, a d'excellentes raisons pour revoir sa belle-

sœur à l'étranger, et pour que les enfants de France

échappent aux hasards des révolutions, hasards auxquels,

ainsi que le comte de Provence, il n'est pas fâché de

laisser exposé son auguste frère, Sa Majesté Louis, sei-

zième du nom. Avouons entre nous que Monsieur peut

bien avoir quelques raisons, car enfin ce sang royal com-

Page 135: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, TROISIÈME ÊPOQUK 127

mence à être un peu croisé: de Guise, de Stuart, de

Bourbon, d'un peu de Borgia, de beaucoup de Médicis,

et enfin de trop de Lorraine; oui, vraiment, le liapsbourg

domine un peu trop.

LE SECOND.

Aussi M. de Provence ne craindrait pas d'en voir sup-

primer les dernières doses.-LE l'ItEMIKIi,

Allons! voilà que nous commençons à nous entendre ;

nous nous connaissons et nous pouvons partir bons amis.

Allez rendre compte de votre entreprise, et ne m'en voulez

pas si j'ai mieux réussi que vous: c'est qu'aussi votre

mission était plus difficile que la mienne.

Page 136: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

128 CAÏiN.

DEUXIÈME TABLEAU

Unsalonà Rambouillet.

SCÈNE PREMIÈRE

CHARLESX, LEPRINCEDEPOLIGNAC.

CHARLESX.

Si, ainsi que vous me le dites, malgré la résistance

de Paris, la France entière acclame avec bonheur les or-

donnances que j'ai cru devoir rendre, et si vous répondez

du rétablissement de l'ordre, c'est moi, Charles X, qui

compléterai l'œuvre de CharlesIX; les fils de Voltaire sont

plus dangereux encore que ceux de Luther, mais les

cours prévôtalcs remplaceront pour la France le saint

tribunal de l'inquisition.

LE PlilNCEDE POLIGKAC.

Sire, des dépulations arrivent de toutes parts apportant

les hommages et les remerciments de la France. La der-

nière et prodigieuse conquête qui réunit l'Algérie à votre

couronne excite partout le plus vif et le plus légitime en-

thousiasme.

SCÈNE IIj

LESMÊMES,UNHUISSIER,entrant.

ISire, des députés, accompagnés des ministres de Votre

il.;.:.;,'

Ïl

Page 137: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

TROISIÈME PARTIE, TROISIÈME ÉPOQUE. 129

9

Majesté, laissés par vous it Paris, demandent a être intro-

duits sans délai.

SCÈNE III

LESMÊMES,DÉPUTÉSet MINISTRESentrant.

UNDÉPUTÉ.

Sire, le sang a coulé, la victoire a décidé, votre dé-

chéance est prononcée. Le duc d'Orléans, nommé lieute-

nant général du royaume, nous envoie pour protéger

votre départ; si Votre Majesté a quelques préparatifs à

faire, nous la laissons un instant pour les faire en liberté.

CHARLESX..

Messieurs, quelque incroyable que puisse me paraître

- fa-déchéance que vous m'annoncez, je pense du moins

que les droits de mon fils et ceux de mon petit-fils ne sont

pas en péril, et que je puis, en abdiquant, faire proclamer

l'avénement de l'un ou de l'autre.

LE DÉPUTÉ,sortant.

Sire, il est trop tard.

CHARLESX,"à l'olignac.

C'est impossible; prince, allez savoir ce qu'il y a de

vrai en tout cela. (Leprincesort.)

Page 138: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

130 ci IN.

SCÈNE IV

CHARLESX,seul.

La royauté déchue! et pourtant d'Orléans lieutenant

général du royaume! Cet ingrat se sert de l'immense for-

tune que la loi d'indemnité lui a faite pour dépouiller les

parents qui la lui ont procurée. 0 France! tu veux donc

revoir un jour, avec unautre prince, une autre république?

Mais c'est encore la Terreur que tu veux, car la fraternité

que tu rêves, possible en Amérique, ne peut l'être en ce

vieux monde. (S'tlgcllouillantsur son fauteuil.)Mes enfants dés-

héritésI. 0 mon Dieu! n'ai-je donc pas encore expié

les erreurs de ma jeunesse, ou n'ai-je pas assez fait pour

votre Église pour que vous me laissiez ainsi jouer par ces

d'Orléans?. Faites au moins qu'ils aient, encore une

fois, le même sort que nous! Se levant.) 0 d'Orléans, d'Or-

léans! corrupteurs incorrigibles, que faites-vous de notre

famille? (Éclairset tonnerre.)

LAVOIX.

Qu'as-tu fait de ton frère?

Page 139: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

fil

QUATRIÈME PARTIE

LES DEUX MONDES

Page 140: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

430 CArN.

SCÈNE IV

CIIARLESX, seul.

La royauté déchue! et pourtant d'Orléans lieutenant

général du royaume! Cet ingrat se sert de l'immense for-

tune que la loi d'indemnité lui a faite pour dépouiller les

parents qui la lui ont procurée. 0 France! tu veux donc

revoir un jour, avec un autre prince, une autre république?

Mais c'est encore la Terreur que tu veux, car la fraternité

que tu rêves, possible en Amérique, ne peut l'être en ce

vieux monde. (S'agenouillantsur son fautcuil.)Mes enfants dés-

hérités I. 0 mon Dieu! n'ai-je donc pas encore expié

les erreurs de ma jeunesse, ou n'ai-je pas assez fait pour

votre Église pour que vous me laissiez ainsi jouer par ces

d'Orléans?. Faites au moins qu'ils aient, encore une

fois, le même sort que nous! (Se levant.) 0 d'Orléans, d'Or-

léans ! corrupteurs incorrigibles, que faites-vous de notre

famille? (Éclairset tonnerre.)

LA VOIX.

Qu'as-tu fait de ton frère?

Page 141: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

QUATRIÈME PARTIE

LES DEUX MONDES

Page 142: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra
Page 143: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

QUATRIÈME PARTIE

LES DEUX MONDES

PREMIÈRE ÉPOQUE

LE VIEUX MONDE EN AMÉRIQUE

PERSONNAGES:

SAÏB,mulâtre.NIMBO,noir.GIIANITO,planteur.

PIETRO,autreplanteur.PLANTEURS.NÈGRESet NÉGRESSES.

Uneéclairciedansune forêt, des rochesbrisées, des arbres déchiréspar la

foudre,penchéssurdesprécipices,aufonddesquelsonentendle bruit sourdd'un torrent; dansle fond,desmontagnesfaiblementéclairéespar la lune.

SCÈNE PREMIÈRE

SAÏB,NIMBO.

Desbandesde noirsdetout sexeet de tout âge traversentla scèneen

marchantavecprécaution.

sAIn.

Allons, frères; puisse le jour nous trouver assez loin de

ces odieuses plantations, où pourtant, moi, malheureux!

Page 144: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

134 CArN.

je laisse une famille, un être bien cher, une femme ado-

rée. et même un frère.

MMBO.

Un frère, as-tu dit? le monstre qui nous torture tous,

toi le premier. Quoi! tant de faiblesse unie à tant de réso-

lution! Toi, notre guide, notre chef chéri, tu t'intéresses

encore à ces blancs, tant il est vrai que le sang ne saurait

jamais se démentir !

SAÏB.

Pourquoi envelopperais-je tous les blancs dans le même

anathème, quand les Américains du Nord viennent pour

nous, pour notre émancipation, de combattre et triom-

pher, après tant de sang répandu dans leur immortelle

lutte?

UNEVOIX,du haut des roehers.

Les blancs !

Saïb, Nimboet le reste des noirss'enfuienten courant; les uns traversantlesarbrespenchéssur les torrents, d'autres se cachantdansdes touffes

épaissesde buissons.

SCÈNE II

GRANITO,PIETRO.

Suivisd'autresblancsarmésdecarabines,avecdeschiens,qui courentsur lascèneet découvrentpeuà peulesnoirscachéssousles buissons,tandisqued'autrescontinuentla poursuitedes nègresen fuite.

GRANITO.

Pendez-moi les plus vigoureux, et emmenez pour la tor-

Page 145: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

QUATRIÈME PARTIE, PREMIÈRE ÉPOQUE. 135

turc les autres chargés de chaînes. (Onentenddes coupsde feu

éloignés.)

UNnLANC,revenant.

0 Granito, notre chef, les fugitifs sont tous pris ou tués;

mais on ramène aussi Saib blessé; on n'a pas voulu l'a-

chever à cause de toi, quoiqu'il soit le plus dangereux

de fous, l'instigateur de la révolte de la plantation, celui

qui avait combiné la réunion de toutes les révoltes, et le

massacre de tous les planteurs; mais il est ton frère.

GRANITO.

Mon frère!. Est-ce que, si un gorille ou un ourang-

outang avait fait violence à ma mère, le monstre qui en se-

rait résulté serait mon frère? Pourquoi donc un moment

d'ivresse de mon père m'aurait-il donné un frère? Allons,

en me prenant pour votre chef, vous auriez du me croire

un cœur plus viril. Eh bien, puisque vous avez épargné

Saïb, qu'il soit pendu auprès et en tête des autres.

Desfilesde noirsavecfemmeset enfants,enchaînésles uns auxautres,tra-versentla scène,pousséspar des blancsle bâton levé.Dansle fond,lesarbressechargentdescadavresqu'ony suspend.

PIETRO,à Granito.

Vous avez bien fait, ô chef généreux! de donner cet

exemple, car, si nous laissons un seul homme valide de-

bout, c'est nous qui périssons. Ces chiens maudits de

noirs ont tout massacré dans les plantations voisines, où

ils sont les plus forts. (On entend une fusilladequi se rapprocheet

un bruit de tonnerreéloigne.)Voyez, leur nombre augmente tou-

jours, celui des nôtres diminue.

Page 146: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

136 CAÏN.

GRANITO.

En avant t il y va maintenant de la vie ou de la mort.

Lesblancsfontunevivefusilladeducôtéde la coulisse.Uneriposteterrible

répond,une partiedesblancstombe.

SCÈNE III

LESMÊMES.

Nègresarmés envahissantla scèneet massacrantle restedes blancs.Nimbo,le piedsur la poitrinedeGranito,blessé,semblele braver.

GRANITO.

Pourquoi ce misérable tarde-t-il tant à m'achever? (Le

tonnerreéclate,un éclairperce l'obscuritéetéclairele groupe.)

LA VOIX.y

Qu'as-tu fait de ton frère?

1-1 1.

Page 147: 0541-Amans de Chavagneux-Cain El Primero y El Ultimo Maldito de La Tierra

~M~X~E ÉPOQUE,., ,/~

"nL^•i|JNOÈL^eIUpy MONDEEN EUROPE

PERSONNAGES:

ÉROS,rêveur.AUOPIIOBE,sonfrère.

UNETOUTEJEUNEFILLE.HOMMES,FEMMESetENFANTS.

PREMIER TABLEAU

Lnplacede la Concordeà Paris,lesfontainessontdoréesainsiqueles co-lonnesdes monuments,lescandélabreset les balustrcsde la placeet du

pont.Desdômesétincelantsbrillentau loin, au delàdestempleséloignés,surmontésd'étoileséclatantes.L'étendarddesÉtats-Unis,jointà celuidela

France,llotlcsur les Tuileries,It Franceétantun desÉtalsde l'Unionuni-verselle.Desaérostatsde formesvariéess'aperçoiventau loin.Unefoule

inquiète,vêtue de richescostumes,aux diadèmesd'or, aux aigrettesde

diamants,circuledans la place.Lesunssontà pied,lesautresse dirigentnu se fontroulerdansde richesfauteuils.

SCÈNE PREMIERE

ÉROS,costumesimpleet élégant,appuyécontreunebalustrade.

0 secret éternel de la vie et de la mort, j'ai enfin réussi

à te surprendre ! Car, si l'homme ne peut rien sur le

monde des astres, il peut au moins quelque chose sur le

fluide qui lui donne l'existence. (Il tire un flaconde sa poche

pendantqu'unetoutejeune filles'approche,tantôtsautantà la corde,tantôt

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m CAÏN.

s'appuyantcontre les balustrades.)0 femme, sexe faible, toi qui

tombes le plus facilement sous l'action du mal, c'est toi

qui dois aussi renaître le plus tôt sous l'action du liquide

réparateur. Amour, c'est par toi que j'ai cherché, c'est

par toi que j'ai trouvé, flamme impérissable qui fus ma

vie entière, qui brûles mon cœur et le brûlerais encore

quand la dernière femme aurait succombé sous le der-

nier débris de la terre, (II refermele flaconsous ses vi'lemenls.^

SCÈNE II

TEMÊME,ALLOPHOBE.

ALWPllonE,en costumeriche et surcharge,descendantd'un fauteuilqu'un

laquaisemmènc.

Eh bien, rêveur, voici le moment de te montrer et de

retrouver ta fortune engloutie.

ÉROS.

Qu'importe maintenant un déshérité de plus ou de

moins! qu'importe, quand la terre et les astres sans

nombre qui nagent dans l'espace auront sombré dans

l'océan des âges, que j'aie été riche ou pauvre, qu'on ait

ou non parlé de moi f

ALLOPHOBE.

Éros, on dit que tu crois avoir trouvé le moyen de

combattre ce choléra universel qui, comme un déluge,

fait si rapidement le tour du globe. Les dépêches télégra-

phiques disent que déjà les trois quarts des populations

de l'Asie et de notre chère Amérique ont disparu, em-

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QUATRIÈME PARTIE, DEUXIÈMEÉPOQUE. 139

portées par le fléau. La comète, qui s'approche chaque

soir, semble faire un appel à la terre, des volcans s'ou-

vrent de tous côtés, engloutissant ou bouleversant des

villes entières. (Unmouvementse fait dansla foule,on entendle cri:

Dernièresdépêches!)

SCÈNE III

LESMÊMES,UNHOMME.

UNHOMME,tenantune dépêcheà la main.

L'Amérique, notre mère patrie, vient d'être engloutie

tout entière; les îles Britanniques sombrent en partie,

nos villes du littoral s'écroulent ou s'affaissent. La cha-

leur est étouffante, ceux qui ne sont pas écrasés ou en-

gloutis périssent asphyxiés.

UN AUTREHOMME,arrivant.

Dernière dépêche! la France entière est envahie; Paris

semble seul préservé du cataclysme universel.

Onentendun horriblecraquement,les édificessepenchent;unesombrepous-sièreet un épaisbrouillardenvahissentla scène,quidisparaitsousun nuagedenoirefumée.

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440 CAIN.

i

DEUXIÈME TABLEAU

Lenuagede fumée noirese lèvepeuà peu, la placereparaît,maistouslesédificessont renversés,la Seinecouleen cascadessur les débris du pontécroulé,lescadavresdes habitantsjonchentla placeou pendentaux débrisdesruinesamoncelées.Allophobeserelèvelentementsursonséant,prèsde

lajeunefilleappuyéesur la balustrade.

SCÈNE PREMIÈRE

ÉROS,ALLOPHOBE,UNEJEUNEFILLE.

tnos, debout,son flacondans la main.

Comme cet élixir agit plus vite sur l'enfant que sur mon

frèreI Elle en a pris bien moins et bien plus tard, et elle

revient plus vite que lui. (Soulevantle bras d'un autre corps.)Pour

tous ceux-ci, la mort a accompli sa tâche, la mienne est

finie. Mais pourquoi me sens-je découragé comme si

j'avais détruit d'une main ce que j'accomplissais de

l'autre? Arrière, pressentiment funèbre! quand l'huma-

nilé devrait encore périr, la flamme immortelle qui me

brûle ne peut s'éteindre. Si ce monde doit finir, c'est que

d'autres mondes m'attendent; ô nom prédestiné, Éros!

impérissable comme l'amour ! je ne dois pas, je ne puis

pas mourir. (Il renferme son flacon, tend la main à Allophobe,

qu'il aide à se lever,pendantqueta jeune fillese lèveseuleprèsde lui.)

ALLOPHOBE,regardantautour de lui.

Tous morts?

ÉROS.

Tous.

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QUATRIÈMEPARTIE, DEUXIÈMEÉPOQUE. 141

ALLOPHOBE.

El leurs richesses?

ÉROS.

A toi, si tu les veux. Va, il en reste plus qu'il n'en faut

pour orner un tombeau.

ALLOPHOBE.

Et cette enfant?

ÉROS.

A elle-même. (S'avançantvers le pont écroulé.)Je vais vers le ,fleuve prendre un peu d'eau, car il faut recroître le liquide

vivifiant pour que le mal ne nous prenne pas au dé-

pourvu.

ALLOPHOBE,le suivant,et s'approchantd'un corpsaccrochéà un candélabre

brisédu pont.

0 la magnifique aigrette de diamants! (II va pour saisir

l'aigrette, glisseet pousseun cri; Eross'élance et le retient sur l'abîme,

ils reviennenten scène.)Mais dis, Éros, tu vas être le maître

de ce monde qui te devra la vie?

ÉROS.

Nous partagerons tout.

ALLOPHOBE,à demivoix.

Et cette jeune fille, qui l'aura? Qui sera le père de l'hu-

manité renouvelée?

ÉROS.

Celui qu'elle aimera; celui qu'elle aura librement

choisi.

LAJEUNEFILLE.

Quel dommage que vous n'ayez pu prendre cette ai-

grette!. Comme elle brille au soleil t

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142 GAIN.

ALLOPHOBE.

Nous avons failli périr pour l'avoir.

ÉROS,prenant uneplanche d'un bateauéchouéet la plaçantsur la cascade.

0 jeune et dernière femme d'un monde écroulé, si tu

dois être la première d'un monde à venir, il ne sera pas

dit que ton premier désir n'y ait pas été satisfait! (Il s'avance

avecprécautionsurla planche,qu'il assujettitde nouveauaidé de l'enfant.)

ALLOPHOBE,à part.

Nous partagerons, dis-tu? Partager. et comment?

et pourquoi? Tu sais déjà te faire aimer. eh bien, je sau-

rai conquérir. A moi le monde à venir! à moi l'unique

femme, la mère à venir du genre humain! (Il s'approche

d'Éroset poussela planche.)

ÉROS,cherchanten vain à se retenir.v

Malheureux ! tu oublies la liqueur, (Il tombeet disparait,la

jeune fillese pencheen pleurant sur l'abîme. L'obscuritévient peu à peu;

le tonnerre s'entend au loin.)

*

SCÈNE III

LESMÊMES.

ALLOPHOBE.

Malheureux, en effet! Quelle affreuse fureur m'a aveu-

glé? J'aurais dû au moins apprendre le secret de la pré-cieuse composition. Comment aller la demander au fond

de ces ondes en furie?-

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QUATRIÈME PARTIE, DEUXIÈMEÉPOQUE. 143

LAJEUNEFILLE

Oh ! je meurs de soif.

ALLOPHOBE.

Moi aussi. (Il va prendre del'eau, qu'il porte à ses lèvres.) Non,

cette eau me brûle la bouche.

LAJEUNEFILLE.

Oh!. j'expire!

ALLOPIIODE.

Moi aussi, je vais mourir. 0 malédiction! ce que le

ciel et la terre n'avaient pu faire contre l'humanité, ma

rage aveugle l'accomplit. La mort sera mon expiation,

je 1ai méritée. (Éclairsinistre, lumièrefunèbre.)

VOIX.

Pas encore, mauditl. Qu'as-tu fait de ton frère?

ALLOPHOBE.

Caïn!. le premier maudit de la terre devait en être

le dernier !

Lesruinessunt de nouveaubouleversées;la Joudre,s'écliappantde la terre

entr'ouverte,frappetoutautourdeCaïn,dont le front seulbrilleau milieude J'obscurité<mLcfivahitla scène.

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tPItOGUE

A1M4.ESDE TÉKÈBRES ET ANGES DE LUMIÈRE

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ÉPILOGUE

ANGES DE TÉNÈBRES ET ANGES DE LUMIÈRE

PERSONNAGES:caLYLESA.N'GESDETÉNÈBRES.

LESANGESDELUMIÈREDKUXJEUNESHOMMES.

PREMIERS TABLEAUX

LESANGESDETÉNÈBRES,CAIN

D'affreusescavernessontéclairéosI)ar de sinistreslueurs; des élrcs liideuxentourentet pour$llivelltCiïn,quip~,ircotirtla se~>nei pAsdésespér~.s.

CAÏN.

Mais qui donc êtes-vous et que me voulez-vous, êtresabominables, vous tous produits liideux d'êtres peut-êtreplus hideux encore?

TOUS.Nous?

CAÏN.

Oui, vous.

UND'EUX.

Nous sommes tes enfants, tous sortis de toi-même, tous

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148 CAlN.

formés de ta chair, tous nés de ton cœur, de ton intelli-

gence, les enfants de la haine, les fils nés de l'envie, de

l'éternelle inimitié.

UNAUTRE.

Nous sommes les envieux, les cohéritiers avides, les

compétiteurs jaloux et acharnés de tous les climats et de

tous les siècles; c'est nous qui avons déterminé, hâté ou

désiré la mort de nos parents, de nos frères, de tous ceux

qui, amis ou ennemis, étaient ou paraissaient être un

obstacle à la rage effrénée de nos ardentes convoitises.

UNAUTRE.

, Nous sommes les maudits, nous sommes les meurtriers,

les égorgeurs de tous les temps..

UNAUTRE.

Oui, c'est nous qui nous sommes déchirés, égorgés, par

millions sur cent mille champs de bataille, nous qui avons

brûlé, saccagé des milliers de villes, ravagé des milliers

de provinces, égorgé les vieillards et les enfants, désho.

noré dans le sang de leurs proches les filles et les femmes

des hommes.

UNAUTRE.

Nous sommes les bourreaux, c'est nous qui avons donné

ou exécuté tous ces ordres fratricides. Caïn, ne nous re-

connais-tu pas?

CAÏN.

Assez! assez! écartez-vous, maudits' Oh! cent mil-

liards d'années de sommeil, et je ne serais pas encore as-

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ÉPILOGUE. 149

sez loin de ces êtres exécrables qui osent m'appeler leur

père.

Unenuitprofondes'étendsur la scène,qu'illuminentpeuàpeudevertesclartés.Lesmassesrocheusessemblentdéplacées,desbruits sinistresgrondentdansle lointain; les monstreshumains,en partie transformés,poursuiventde *nouveauGain,qui fuit encoreplusdésespéré.

CAÏN.

Vous encore?

UNEDESVOIX.

Toujours nous. Les enfants doivent-ils mourir avant

leur père? Notre race ne peut finir avant toi. 0 notre père,ne nous renie pas! Vois, nous ne rougissons pas de toi,

nous. (Ils l'entourentdans une ronde infernale.)

CAÏN.

Oh ! cent mille millions de milliards de siècles! pour

m'éloigner au moins de vous par delà, s'il se peut, d'au-

tant de milliards de lieues. -'

Nouvellenuit profonde.Derougesclartésfontresplendirlesrochers.Deplusenplushideux,des monstresnouveauxs'ajoutentaux premierset rampentau

- milieude massesinformesdont le désordreest encoreaugmenté.Desbruitsplusstridentsredoublentl'effroi.

CAÏN.

Eh quoi! encore? quoi! toujours!

UNEDESVOIX.

Ne serait-ce pas plutôt nous qui pourions nous plaindrede toi, toi la cause éternelle de nos souffrances? Oh! tu

nous renies depuis assez longtemps.

AUTREVOIX.

Depuis assez longtemps nous nous déchirons entre

nous; déchirons-le enlin lui-même, lui, notre père à tous,

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150 CAÏN.

notre éternel auteur, la cause impérissable de tous nos

maux.

CAÏN.

Ohl la fin de toutes choses, la fin de tout mal, comme

la fin de tout bien! (Leslueurs s'affaiblissent,des nuagesenveloppentla scène.)

UNEVOIX,dans la nuit.

Caïn, tu demandes un temps qui ne peut venir; toutes

choses ne peuvent finir, car toutes choses n'ont pas

commencé; les choses comme les idées commencent et

finissent successivement par d'autres éternellement rem-

placées.

CAÏN

Oh ! alors, le temps aussi éloigné qu'il puisse être, où

toutes ces choses seront disparues ou oubliées, l'époque

où je pourrai, détruit ou transformé, n'être plus ou être

comme n'ayant jamais été.

Lesnuagess'écartentet fontrevoirun cielpâlecouvertd'étoiles,peu diffé-rent de celuidu Prologue,maisplusriche et plus varié en étoilesqui sebalancentdansl'espace.

UNEFLAMME,à Caindisparu.

Tu n'es plus, Caïn, tu n'as jamais été. Dans ces mondes

reproduits et animés par l'amour, ni toi ni personne ne

pourrait croire à ton étrange existence. Impossible désor-

mais, on ne pourrait la concevoir, on ne pourrait pas

même la comprendre.

CHŒUR.

Non,Caïn, tu n'es pas, tu n'as jamais été;

Non, tu ne fus jamais une téalité.

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ÉPILOGUE. 151

Les mondes, inondés d'éternelle lumière,Ont pour flambeau le jour,

Et pour unique loi, loi première et dernière,L'universelamour.

(Lesétoilesse multiplientet s'épanouissentdansle ciel.)

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