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1 © Guy TONELLA L’ETAT LIMITE : UN PATTERN D’ATTACHEMENT « DESORGANISE-DESORIENTE » L’ABSENCE DE CONSTELLATIONS SENSORI-EMOTIONNELLES STABLES L’ABSENCE D’ENVELOPPE TONIQUE REGULATRICE Société d’Analyse Bioénergétique de Rio de Janeiro (SABERJ) 13 Mars 2008, Rio de Janeiro, Brésil Guy TONELLA, 2008 Docteur en psychologie clinique, Master en psychophysiologie, Chargé de cours et conférences honoraire en psychologie Université P. Sabatier, Toulouse / Université P. Valéry, Montpellier, Co-directeur du Collège Français d’Analyse Bioénergétique Formateur international, membre de l’Institut International d’Analyse Bioénergétique _________ Je voudrais d’abord vous présenter ma compréhension concernant la formation élémentaire du Soi, sa structure du Soi et son mode de fonctionnement, tel qu’il aura tendance à se répéter tout au long de la vie. LA FORMATION DU SOI Le bébé qui vient au monde a pour tâche de construire des ensembles sensori-émotionnels stables. Ces ensembles constituent la matrice du Soi , la matrice de l’identité de soi. Ils sont mémorisés dans le système limbique et sont stockés dans la mémoire implicite : une mémoire préverbale, non verbale. L’accès à cette mémoire implicite répond à certaines lois ; elle est réactivée par des situations non verbales et interactionnelles proches de la situation initiale (celle qui a présidé à la formation de la constellation sensori-émotionnelle). Ces constellations sensori-émotionnelles seront pour tout le monde les repères fondamentaux, stables et permanents bien que pour la plupart non conscients. Elles imprègnent donc le corps propre, première construction du Soi en formation : - Elles imprègnent sa structure anatomique et sa circulation énergétique ; - Elles conditionnent l es phénomènes d’expansion/contraction et d’étirement/ allongement, activant une fluctuation rythmique ininterrompue ; - Elles produisent des sensations que nous éprouvons comme sensations d’exister : sensations de vider/remplir, ralentir/accélérer, dilater/rétracter, absorber/rejeter, contenir/expulser, d’intérieur/extérieur, de profondeur/surface, d’interrelation et d’échange milieu interne/milieu extérieur ; - Elles régulent les flux biologiques d’excitation. Elles régulent en général nos capacités à s’activer, se reposer ou dormir, percevoir, s’émouvoir, aimer, agir, interagir, etc. Cette véritable danse est incessante et adaptative. Elle nous donne le sentiment d’être vivant, expressif et en relation au monde. Les sensations et les rythmes qui en émergent constituent la matrice corporelle de l’organisation psychique : elles sont mémoires rythmiques et sensorielles inscrivant l’histoire élémentaire du Soi. Ces constellations sensori-émotionnelles déterminent à l’âge adulte le choix des objets d’attachement, le mode d’attachement, la sensualité, la sexualité et une certaine manière de percevoir le monde. En fait, nous sommes déterminés par ces constellations émotionnelles de la toute petite enfance qui nous amènent à reproduire, pour le meilleur et pour le pire, ces états

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© Guy TONELLA

L’ETAT LIMITE :UN PATTERN D’ATTACHEMENT « DESORGANISE-DESORIENTE »

L’ABSENCE DE CONSTELLATIONS SENSORI-EMOTIONNELLES STABLESL’ABSENCE D’ENVELOPPE TONIQUE REGULATRICE

Société d’Analyse Bioénergétique de Rio de Janeiro (SABERJ)13 Mars 2008, Rio de Janeiro, Brésil

Guy TONELLA, 2008Docteur en psychologie clinique, Master en psychophysiologie,

Chargé de cours et conférences honoraire en psychologieUniversité P. Sabatier, Toulouse / Université P. Valéry, Montpellier,

Co-directeur du Collège Français d’Analyse BioénergétiqueFormateur international, membre de l’Institut International d’Analyse Bioénergétique

_________

Je voudrais d’abord vous présenter ma compréhension concernant la formation élémentaire du Soi, sa structure du Soi et son mode de fonctionnement, tel qu’il aura tendance à se répéter tout au long de la vie.

LA FORMATION DU SOI

Le bébé qui vient au monde a pour tâche de construire des ensembles sensori-émotionnels stables. Ces ensembles constituent la matrice du Soi, la matrice de l’identité de soi. Ils sont mémorisés dans le système limbique et sont stockés dans la mémoire implicite : une mémoire préverbale, non verbale. L’accès à cette mémoire implicite répond à certaines lois ; elle est réactivée par des situations non verbales et interactionnelles proches de la situation initiale (celle qui a présidé à la formation de la constellation sensori-émotionnelle).

Ces constellations sensori-émotionnelles seront pour tout le monde les repères fondamentaux, stables et permanents bien que pour la plupart non conscients. Elles imprègnent donc le corps propre, première construction du Soi en formation :

- Elles imprègnent sa structure anatomique et sa circulation énergétique ;- Elles conditionnent les phénomènes d’expansion/contraction et d’étirement/ allongement,

activant une fluctuation rythmique ininterrompue ;- Elles produisent des sensations que nous éprouvons comme sensations d’exister :

sensations de vider/remplir, ralentir/accélérer, dilater/rétracter, absorber/rejeter, contenir/expulser, d’intérieur/extérieur, de profondeur/surface, d’interrelation et d’échange milieu interne/milieu extérieur ;

- Elles régulent les flux biologiques d’excitation. Elles régulent en général nos capacités à s’activer, se reposer ou dormir, percevoir, s’émouvoir, aimer, agir, interagir, etc.

Cette véritable danse est incessante et adaptative. Elle nous donne le sentiment d’être vivant, expressif et en relation au monde. Les sensations et les rythmes qui en émergent constituent la matrice corporelle de l’organisation psychique : elles sont mémoires rythmiques et sensorielles inscrivant l’histoire élémentaire du Soi.

Ces constellations sensori-émotionnelles déterminent à l’âge adulte le choix des objets d’attachement, le mode d’attachement, la sensualité, la sexualité et une certaine manière de percevoir le monde. En fait, nous sommes déterminés par ces constellations émotionnelles de la toute petite enfance qui nous amènent à reproduire, pour le meilleur et pour le pire, ces états

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sensoriels et émotionnels de base, constituant la mémoire implicite. Elles peuvent en effet être réactivés à tout moment, inconsciemment, parfois consciemment.

QUELLES CONDITIONS PRESIDENT A LA FORMATION DES CONSTELLATIONS SENSORI - EMOTIONNELLES ?

1 – Un environnement maternel qui offre au bébé des expériences sensorielles et émotionnelles suffisamment répétitives et ritualisées, par le regard, le contact, la tonalité de la voix, les gestes, la manière de prendre dans les bras, le style d’attachement et d’interaction, etc. Que faut-il pour que ces constellations sensori-émotionnelles laissent une trace, soient conservéesdans la mémoire, et soient réactivable ? L’activité électrique parcourant un ensemble de neurones sensoriels actifs à un instant donné perdure après l’arrêt de la stimulation sensorielle. C’est ce qu’on appelle le phénomène de potentialisation à long terme (PLT). L’expérience sensori-émotionnelle d’une intensité suffisante et suffisamment répétée laisse une trace facilement réactivable. Cette constellation sensori-émotionnelle se réactive par la suite plus facilement, des connexions synaptiques fonctionnelles entre les neurones de cet ensemble s’étant formées. Ce mécanisme synaptique est désigné comme « loi de plasticité synaptique » ;

2 – Un environnement maternel qui soit « une base de sécurité » (Bowlby) pour l’enfant, en répondant à ses besoins de manière empathique et en régulant l’intensité de ses expériences sensori-émotionnelles (parfois en activant l’enfant, parfois en le protégeant d’expériences trop intenses). Un enfant vivant dans un système d’attachement sécure construit des constellations sensori-émotionnelles pourvoyeuses de sécurité, constamment réactivable par la suite, la vie durant ;

3 – Un environnement maternel qui investisse une relation d’attachement et d’interaction avec l’enfant d’une manière co-créative, c’est-à-dire intersubjective. La mère subjectivise son enfant et l’enfant subjectivise sa mère, c’est ainsi que l’un et l’autre se sentent sujets créatifs dans la relation. Nous parlons donc là d’un « désir » qui anime la mère : elle transmet ce désir à son enfant qui se sent aimé et reconnu de manière inconditionnelle. Il développe son propre « désir » d’interagir de manière vivante et humanisante.

QUELLES CONDITIONS CONTRARIENT LA FORMATION DES CONSTELLATIONS SENSORI –EMOTIONNELLES ET CONDUISENT A L’ETAT LIMITE ?

1 - Un environnement maternel qui n’offre pas au bébé la possibilité de former des constellations sensori-émotionnelles stables et permanentes, laissant ce bébé désorienté et désorganisé, sans références stables. Plus des trois quarts des mères d’enfants désorganisés présentent elles aussi des signes de désorganisation :

- Elles ont vécu des deuils ou des traumatismes non résolus ou ont été victimes d’abus (Eichberg, 1987)

- Elles souffrent de dépression (Crittenden, 1985, 1988)- Elles présentent parfois une névrose hystérique très grave qui les fait osciller entre des

comportements extrêmes et des manifestations émotionnelles intenses, incompréhensibles pour l’enfant et sources d’intenses frayeurs.

Généralement, ces mères ont avec leur enfant un comportement effrayant (lorsqu’elles ont été maltraitées) ou effrayé (lorsqu’elles sont angoissées). Mais leur comportement n’est pas dû à la relation avec l’enfant, il est dû à des souvenirs qui leur sont propres.Cette mère est alors incapable de remplir sa fonction parentale : elle n’est plus, pour l’enfant, source de réconfort et de protection, mais source de peur. L’angoisse qu’elle ressent est transmise à

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l’enfant lorsqu’il est à son contact. Pour lui, la relation est centrée sur le thème de la peur ressentie par le parent ou de la peur pour le parent.

2 – Un environnement maternel qui est donc « base d’insécurité pour l’enfant ». Cet enfant éprouve une très forte angoisse de séparation. Lors des retrouvailles, à la crèche par exemple, et malgré sa détresse évidente, il ne parvient pas à établir le contact (utiliser le parent comme base de sécurité) et de ce fait, à pouvoir gérer sa détresse. Ses comportements sont inconsistants, contradictoires, voire étranges. Par exemple, il peut s’agripper à sa mère en détournant le regard, pleurer à son départ sans s’en approcher, ou rester figé … Cet enfant est désorganisé et désorienté.La particularité de cet enfant est qu’il n’a réussi à développer aucune stratégie d’attachementcohérente, ni d’utilisation du parent comme base de sécurité (stratégie sécure), ni de désactivation du système d’attachement (stratégie schizoïde) , ni d’hyperactivation du système d’attachement (stratégie orale). Il reste désorienté et se sent menacé et terrorisé :

- Il est incapable d’identifier la cause de la peur de sa mère et va lui-même développer des peurs inexpliquées ;

- Il peut être amené à ressentir qu’il est lui-même à la source de la peur de sa mère, surtout lorsque cette mère est angoissée et fuyante ;

- N’étant pas en mesure de comprendre le comportement étrange de sa figure d’attachement, il ne trouve aucune réponse organisée à sa disposition qui lui permette de faire face à cette expérience qui l’effraye : ne pouvant développer ni stratégie évitante, ni stratégie résistante, il n’a nulle part où aller (Main et Hesse, 1990, 1992) ;

- La peur qu’il ressent le pousse alors à adopter une attitude soit contradictoire soit inhibée : les séquences de comportement qu’il aurait pu enclencher sont désordonnées ou sont inhibées. L’action qu’il engage est soit accompagnée, ce qui est source de contradiction,soit remplacée, ce qui est source d’inhibition, par des mouvements ou des expression d’appréhension. Ceci constitue un effondrement des stratégies comportementales d’attachement permettant de résorber l’angoisse ou la peur.

3 – Un environnement maternel qui, par son mode de relation, « attaque » constamment l’enfant : par le regard, la voix, les gestes, le contact, l’angoisse, la menace, l’explosion, etc. Cette mère est imprévisible et l’enfant ne peut anticiper ses attitudes ou réactions. Cette maltraitance peut être psychologique, émotionnelle ou physique, elle peut inclure des abus sexuels. Dans tous ces cas, l’enfant reste désemparé face à la violence de la situation et ne dispose d’aucun schéma construit pour y réagir. Il développe très souvent un état de « choc céphalique » (R. Lewis) : il se fige, il cherche prématurément à s’auto-soutenir physiquement (notamment sa tête, lorsqu’il est nourrisson), il cherche prématurément à comprendre dans l’espoir de pouvoir anticiper et développe une préoccupation mentale qui ne le laisse pas en paix bien qu’elle n’apporte aucune solution.

4 – Un environnement maternel qui « disparaît » (décès, abandon) durant les premiers mois de la vie sans que l’enfant n’y soit préparé, ou sans que l’enfant ne puisse investir une figure maternelle substitutive stable, ou encore sans que l’enfant n’ait les moyens de faire le deuil de cette disparition soudaine et « violente ». L’enfant reste alors dans un désert de références pour la construction des constellations sensori-émotionnelles stables à l’origine de l’organisation de son Soi. Il est sans lien d’attachement stable (désorienté), et sans organisation sensori-émotionnelle stable (désorganisé).

Dans toutes ces conditions, le Soi de l’enfant ne peut se construire en l’absence de références structurantes internalisables : il demeure désorganisé et confus. Il ne peut construire un pattern relationnel (un pattern d’attachement et d’interaction) stable : il demeure désorienté et perdu.

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L’ADULTE « ETAT LIMITE »

Cet adulte a donc vécu dans la petite enfance (première année) :- soit une série d’évènements traumatisants (cf. le concept de « traumatisme cumulatif » de

Masud Khan, 1974) ;- soit un évènement traumatique significatif (décès, violence, abus …) ;- soit un évènement traumatique intense plus tardif produisant une dissolution des patterns

sensori-émotionnels référentiels construits (cela peut concerner des personnes qui, à l’origine, pouvaient être sécures, détachées ou préoccupées).

Dans tous ces cas, l’évènement traumatique n’est toujours pas assimilé et reste source de désorientation et de désorganisation..

Lorsque cet adulte raconte son expérience, on peut observer :- Une désorientation dans l’espace et dans le temps : par exemple la perte de la figure

d’attachement est décrite comme s’étant passée à deux moments différents ou dans deux lieux différents ;

- Des vécus sensori-émotionnels traumatiques devenus images sensorielles peuvent s’être cristallisées dans son esprit (image prégnante) ou des images du passé semblent envahir parfois son esprit (images récurrentes) ;

- Il peut parler de l’évènement au présent, comme s’il n’avait pas eu lieu (déni d’un abus, parent ou proche décédé présenté comme s’il était vivant).

- Il peut revivre l’évènement traumatique effrayant en en parlant (images précises et très détaillées, émotions extrêmes, mouvements ou postures évocatrices …), réabsorbé par le passé, perdant contact avec la réalité présente ;

- Il peut réactiver une violence interne à la mesure de la violence qu’il a subi, violence qui le submerge et qui lui est difficile de maîtriser, rendant son discours et son attitude incohérents.

Pour Fonagy (1994), ces troubles de la représentation et de la pensée seraient le signe d’une submersion des défenses psychiques. Il serait plus correct selon moi de parler de submersion desdéfenses « psychotoniques » car cet adulte n’a pu construire, enfant, un pattern organisateur et défensif tonique, impliquant la musculature dans son ensemble.

Ce qui est caractéristique de l’état limite est la relative absence d’enveloppe tonique dans ses fonctions de :

- contenant (terreur d’être submergé par une vague sensorielle ou émotionnelle et de se dissoudre ou de se répandre) ;

- différenciation entre soi et le monde extérieur (angoisse de ne pas savoir si ce qui est ressenti vient de soi ou vient de l’autre, sentiment de confusion) ;

- régulation (difficulté à réguler l’intensité des expériences sensori-émotionnelles en faisant varier la tonicité musculaire de manière à ressentir davantage ou ressentir moins) ;

- défense (difficulté à organiser une structure protectrice et défensive corporelle globale permettant d’amortir les impacts en provenance tant du monde extérieur (menace réelle) que du monde intérieur (angoisse). Face au conflit, à la tension ou au stress, l’état limite s’effondre).

En résumé, il manque à l’état limite :- d’avoir construit une relation d’attachement suffisamment sécure, stable et permanente qui

lui permette aujourd’hui de s’orienter dans la relation ;- d’avoir construit des constellations sensori-émotionnels référentes, stables et permanentes

qui lui permettent d’organiser sa continuité psychocorporelle ;

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- d’avoir construit une enveloppe tonique (eutonie musculaire) répartie dans l'ensemble du corps, qui remplisse les fonctions de contenant, de différenciation Soi/non Soi, de régulation psychobiologique et de défense.

Cela détermine l’orientation du processus thérapeutique.

PROCESSUS THERAPEUTIQUE

1 – Une relation thérapeutique suffisamment sécure

Il s’agit de fonder une relation thérapeutique d’attachement dans laquelle le thérapeute soit perçu comme « base de sécurité » stable, permanente, prévisible, afin que le Soi puisse se construire d’une manière suffisamment sécure.Il est cependant utile de savoir que le processus thérapeutique avec les états limites peut être très long et parfois prendre l’allure d’une thérapie de soutien au long court. Le contexte personnel et professionnel du patient entre en ligne de compte de manière importante. Plus le patient est dans sa vie personnelle/professionnelle soutenu et stimulé, plus la thérapie a des chances d’être profitable. Plus le patient est seul et livré à lui-même, plus le patient se confrontera à son inertie, sa désorganisation-désorientation. La thérapie représentera alors son unique point de référence et de soutien, et la progression sera lente, parfois chaotique et désespérante, pour le patient comme pour le thérapeute.Mon expérience clinique, confrontée à celle d’autres collègues, montre à ce titre que l’adulte état limite ne doit pas systématiquement remettre en question les attachements ou liens qu’il a établit avec son environnement personnel ou professionnel contenant et structurant, même s’ils lui paraissent frustrants et sources de tensions. Car ils constituent des références, extérieures à lui, certes, mais lui permettant de s’inscrire dans un tissu affectif et social. Lorsque ce tissu est rompu, la chute dans la dépression, l’hospitalisation et/ou le vagabondage risquent d’être l’issue fatale.Les expériences d’attachement organisant un Soi suffisamment sécure sont :

- l’accordage au rythme du patient, à l’intensité optimale des expériences dont il a besoin ;- une empathie à l’égard des besoins du patient souvent exprimés par des signaux non

verbaux. C’’est la capacité du thérapeute à lire et décoder les messages non verbauxsouvent discrets qu’il reçoit de l’organisme du patient ;

- la capacité du thérapeute à contenir (parfois avec son propre corps) les expériences sensori-émotionnelles et fantasmatiques du patient et à les réguler : avec son propre corps (son regard, ses gestes, la tonalité de sa voix), par ses consignes et les limites claires qu’il met à l’expérience (pouvant l’activer ou au contraire la limiter) ;

- La capacité ludique et l’humour du thérapeute : le jeu et l’humour permettent l’investissement du plaisir et sortent le patient du registre dramatique inhibiteur.

2 – Construire des constellations sensori-émotionnelles et une enveloppe tonique stables

Il s’agit de proposer des expériences corporelles élémentaires permettant de stabiliser des constellations sensori-émotionnelles référentes. L’objectif est d’organiser les expériences du Soi en une continuité psychocorporelle et de permettre au Soi de s’orienter dans le choix de ses attachements et de ses interactions.La répétition des expériences sensori-émotionnelles est primordiales : elle mobilise la potentialisation nerveuse à long terme (PLT) et favorise leur mémorisation dans la mémoire procédurale, une modalité de la mémoire implicite. De nouveaux patterns somato-sensori-émotionnels sont ainsi formés, source de références intériorisées, constamment ré-actualisables. Les expériences sensori-émotionnelles organisant les expériences du Soi sont :

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- la respiration et la motilité organique (d’abord avec des micro-charges énergétiques favorisant l’expérience de contenir) ;

- les expériences de contraction/expansion et d’étirement/allongement provoquant une fluctuation rythmique ininterrompue ;

- le mouvement (d’abord des micro-mouvements permettant l’intégration des variations toniques et la formation de « l’enveloppe tonique ») ;

- l’expression émotionnelle des états du Soi limite, telles que la peur, les sentiments dépressifs, la rage, mais aussi les besoins de contact, d’être compris et soutenus, de recevoir des explications donnant un sens aux évènements (la micro-expression favorisantl’expérience de contenir) ;

- le grounding sachant que le premier enracinement qui a manqué fut dans le corps de la mère (le thérapeute est ainsi amené à utiliser son propre corps comme première terre d’enracinement pour le patient).

3 – Développer une relation thérapeutique intersubjective

Il s’agit de travailler avec/dans la relation intersubjective et non avec/ dans l’interprétation. L’interprétation, au sens psychanalytique, met le patient de manière récurrente face à son « non savoir » et à sa confusion : elle répète le traumatisme d’origine en blessant son narcissisme déficitaire. De la même manière, demander constamment à l’état limite ce qu’il ressent répète le traumatisme d’origine : c’est le confronter violemment à sa confusion, à l’indifférenciation de ses sensations et de ses émotions qu’il ne sait pas élaborer. Lui rappeler cela en le contraignant à répondre « Je ne sais pas » blesse également son narcissisme déficitaire.

Fonagy (2000, 2003) a opérationnalisé cette dimension intersubjective dans le champ thérapeutique. C’est le Soi du thérapeute, contenant, ressentant, pensant et s’exprimant subjectivement, qui est thérapeutique et que le patient intériorise. Le thérapeute empathique ressent et imagine les états intérieurs de son patient et il le lui transmet dans ses réponses non verbales et verbales. En « se rencontrant dans l’autre » le patient développe ses capacités à ressentir, contenir et élaborer ses propres états subjectifs. Chacun se sentant éprouvé et pensé par l’autre, éprouve et pense par lui-même.

4 – Accepter les variations transférentielles

Le transfert est souvent complexe et intense. Il apparaît sous diverses formes au cours de l’évolution du processus thérapeutique : 1) transfert négatif actualisant l’insécurité, la méfiance, l’irritabilité, l’hypersensibilité et la blessure narcissique accompagnée de sentiment de confusion et de honte, 2) découverte d’un sentiment d’attachement tant attendu et souvent idéalisé, accompagné d’espoir, de confiance, de sentiments d’amour, d’un sursaut d’investissement, 3) développement d’un transfert symbiotique (« J’attends tout de toi ») ou en miroir pour les états limites narcissiques selon l’appellation de Kenberg (« Il faut que tu me reflète en étant/faisant comme moi »), 4) alternance de transferts négatifs et positifs selon les vécus d’espoir/désespoir face aux avancées/rechutes émaillant le processus thérapeutique.

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5 – Accepter les variations contre-transférentielles

Le contre-transfert est complexe et souvent intense, à l’image du transfert précédemment décrit : sentiments de compassion et de tendresse, de désespoir, d’irritation ou d’impatience, parfois de joie narcissique face à l’idéalisation et à la gratitude touchante du patient, à certains moments de blessure narcissique lorsqu’il est déçu et exprime des reproches au thérapeute ou pointe ses limites, etc.