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1- François Dagonnet, Le corps, Paris, PUF, collection “Quadrige”, 2008.

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Page 1: 1- François Dagonnet, Le corps, Paris, PUF, collection

1- François Dagonnet, Le corps, Paris, PUF, collection “Quadrige”, 2008.

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“Les autres me voient et je me vois un peu comme ils me voient.Finalement nous ne savons plus où le corps se trouve : il est nous-même, mais aussi ce que les autres en décident (1).”

François Dagonnet

Topographie de

l’image de la femme

dans la société

contemporaine

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1- Dictionnaire du corps, Michela Marzano (dir), article “Vieillesse”, Paris, PUF, 2007.2- INSEE, Femmes et Hommes - Regards sur la parité, Édition 2008.

Ne pas vieillir, tout un commerceCrèmes, pilules-miracles, chirurgie esthétique, injections de produits de comblement des rides, etc. : de plus en plus de moyens sont à la dispo-sition des femmes pour préserver leur “capital jeunesse”. Une véritable manne commerciale qui cible les femmes tout en les culpabilisant. Com-ment une femme peut-elle se laisser envahir par la cellulite et les capitons avec autant de moyens à sa disposition ? Pourquoi ne pourrait-elle pas avoir les cuisses minces et fuselées des images de magazine si elle a la volonté d'appliquer les produits-miracles vantés par les publicités ? Pour-quoi laisser les rides se creuser alors qu'il suffi t de faire des injections de comblement ? L'environnement médiatique et publicitaire est tel qu'il nous est présenté comme presque indécent de se laisser atteindre par les affres du temps alors que nous disposons de solutions issues de la modernité.

L'image de la femme régie par les hommesLe corps féminin doit correspondre aux normes du groupe masculin : jeune de préférence, et mince.Le corps vieux est particulièrement déprécié dans les sociétés qui ont le culte de la jeunesse et de la beauté physique : la Grèce antique, la Renais-sance ou l’Occident contemporain.“Objet de séduction et de désir, le corps des femmes, quand il vieillit, est objet de répugnance et de dégoût (1).”

Le contenu des magazines féminins est réalisé en majorité par des rédac-trices femmes. Néanmoins, les espaces consacrés aux pages de publicité s’effectuant au bénéfi ce des grands groupes industriels, où tous les patrons de branches sont des hommes dans les domaines-clés, comme l'alimenta-tion par exemple. En effet, il y a peu de place dans l’entreprise pour les femmes aux postes d'encadrement et de direction : dans le secteur privé, seul un poste d'encadrement sur quatre est occupé par une femme (2).Les canons publicitaires de la beauté sont donc en majorité élaborés par des hommes.À l'évidence, obéir à ces canons est présenté aux femmes comme une façon majeure d’exister.

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1- Jean-Pierre Teyssier, président du BVP, Le mot du Président, Forum Pub et Cité 5 juin 2008.2- Autoportrait chantant, 2006. WORLD SURVIVAL TOUR 1966-2006. Photographies, son & lumière © Julianne Rose.

C’est sous le titre “Publicité : une ou des images du corps ?” qu’a eu lieu en juin 2008 un débat organisé par le BVP (bureau de vérifi cation de la publicité), association des professionnels pour une publicité responsable. Ce forum proposait une réfl exion sur la représenta-tion sociale du corps, la publicité étant le “miroir tout à la fois déformant et magnifi ant des individus et de la société qui, au même titre que l’art ou les magazines, contribue inévitablement à façonner l’idée que l’on se fait à un moment donné, du beau et du laid, du normal et du pathologique, du moderne et du ringard, en matière d’image sociale (1).”

La “quarantaine”, première phase critique Il est diffi cile d'aborder la quarantaine dans une société qui privilégie les valeurs liées à la jeunesse, la beauté, la santé, la forme, la performance. La quarantaine est clairement présentée aux femmes comme une étape à ne pas rater, le moment où il faut commencer à masquer les premiers signes du vieillissement.Force est de constater que notre époque est marquée par le culte du corps. Pour les femmes particulièrement, et ce dès l'adolescence où le problème de la relation au corps est très présent.Des images d'un corps normé et stéréotypé nous sont renvoyées par la mode, les magazines, les défi lés, les vitrines, les fi lms ainsi que les publi-cités... Le corps est présenté comme souverain, libéré de toutes entraves. L'image de ce corps normé devient vite obsédante dès l'adolescence, période pendant laquelle beaucoup de jeunes fi lles en quête d’idéal s'iden-tifi ent aux modèles renvoyés par les médias.Il suffi t de voir comment les canons de maigreur imposés aux mannequins soulèvent régulièrement des polémiques sur le problème de l'anorexie mentale qui affecte les mannequins mais aussi des adolescentes lambda. Sans aller jusqu'à ces comportements extrêmes, rares sont les femmes qui ne sont pas tombées, à un moment ou un autre de leur vie, dans le diktat des “régimes amaigrissants” ou dans l'obsession de toujours faire “atten-tion à leur ligne”.Pour de nombreuses femmes devenues adultes, la tyrannie du poids conti-nue de s'exercer tout en étant également assortie d'autres normes dans les domaines de la santé, du sport, du sexe, de la mode ou de la beauté.Les images idéalisées sont celles de femmes célèbres ou de mannequins, jeunes, belles et minces.

Autoportrait chantant (2), œuvre de Julianne Rose, illustre bien la question de l’image de la femme à partir de 40 ans dans notre société occidentale contemporaine.Julianne Rose est une artiste australienne qui vit et travaille en France. Elle nous livre, à travers son expérience personnelle, une réfl exion sur le questionnement d’une femme dont le physique, notamment le visage, a constitué l’atout majeur.

Topographie de l’image de la femme dans la société contemporaine

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101- Dictionnaire du corps, Michela Marzano (dir), article “Vieillesse”, Paris, PUF, 2007.

Julianne Rose fut Miss Visage Australie 1985. Considérée comme une pou-pée Barbie ? Réduite à un visage ? C’est ce qu’elle semble nous dire en choisissant le corps de cette célèbre poupée pour représenter le sien.

Son visage actuel, toujours très beau, s'expose fi gé et fardé à l’ex-cès. Pour masquer les signes du temps ? Pour oser s’exhiber 20 ans après ?En pressant un bouton situé sur un sein, on déclenche la diffusion de la célèbre chanson I will survive, à travers le haut-parleur placé sur le torse, cette fois-ci très réaliste, de la fi gure centrale du triptyque.Elle déclare qu’elle continue à “vivre” et nous interroge sur le temps qui passe et sur cette étape que constitue l'âge de 40 ans pour une femme.

Visage : haro sur les rides“À une époque où l’image envahit le quotidien, la beauté renvoie à ce qui est lisse, uni, intègre, alors que la ride raye le visage (¹).”

Les publicités qui rythment les pages des magazines féminins voudraient nous convaincre que notre féminité se résume tout entière à notre visage, un visage “jeune”, c’est-à-dire sans rides.

Témoin, cette publicité pour une crème antirides qui propose de nous offrir “le luxe de ne pas faire son âge” (Liérac Premium Ex) et nous enjoint : “Déclarez votre féminité”.

Tous ces messages séduisants accompagnés de photos de visages lisses et intacts visent à ce que nous nous identifi ions au résultat promis.Lorsqu’on décrypte les mots employés et le choix des photographies, on est frappé par les codes défi nis et les jugements de valeur émis sur le physique des femmes, parfois jusqu’au diktat.

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111- Emmanuel Mounier, Traité du caractère cité dans le Dictionnaire Littré.

Les rides sont présentées comme un signe d’altération, non seulement de notre enveloppe physique, mais également de notre vie profonde : “Rides : réparer l’irréparable”, “Sous la ride, la vie renaît” (Dior Capture XP R60/80).

La promesse est forte puisque l’application régulière d’une crème peut nous “reconstruire intensément” (Lancôme Absolue Ultimate ßx), et bien au-delà de notre apparence physique, notre “peau et notre esprit sont ressourcés” (Kanebo Sensai).

Le visage ne doit pas affi cher les signes du temps. La publicité la plus extrême étant celle d’une marque fondant son succès sur l’utilisation des produits de la vigne dans la fabrication de ses crèmes et déclarant : “Grâce au resvératrol, une vigne peut vivre plusieurs siècles. Imaginez cette mer-veille sur votre visage” (Caudalie Vinexpert programme fermeté antirides).

Pour enfoncer le clou, les visuels qui illustrent ces promesses sont ceux de jeunes femmes sans rides ou bien de stars dont les photos sont retouchées par des logiciels spécialisés pour les faire paraître sans âge. Sharon Stone ne cache pas qu’elle a plus de 50 ans, mais son image représentée dans la presse est celle d’un mannequin de vitrine sans chair.

Le regard“L'homme est à chaque moment, et l'un dans l'autre, âme et chair, conscience et geste, acte et expression. Si le regard est la parole la plus aiguë de l'âme, tout le corps en est la voix confuse (1).”

Le regard, manifestation de l’attention que l'on prête à quelqu’un ou quelque chose ou bien “expression des yeux de celui qui regarde (2)”, est soumis lui aussi à la tyrannie de l’éternelle jeunesse.

Il est en effet présenté comme altéré, gâté, si quelques imperfections, “cernes, ridules, poches…”, se dessinent autour des yeux.

Là encore, certaines phrases sonnent comme des couperets : “Mais si on a dépassé la quarantaine et laissé passer le coche, que peut-on faire ?” (Elle

spécial Rajeunir, avril 2008).

La solution est proposée : laser, injections, crèmes antirides, anticernes, antipoches, chirurgie esthétique, etc. vont nous donner les recettes d’un “regard tout neuf”.

Topographie de l’image de la femme dans la société contemporaine