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HISPANIA ET GALLIA: DOS PROVINCIAS DEL OCCIDENTE ROMANO Col·lecció INSTRUMENTA 38 Barcelona 2010

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R. González Villaescusa, Problématique archéologique sur la production de laine et d'étoffes en Gaule Belgique, Hispania et Gallia: dos provincias del occidente romano (Instrumenta: 38) L. Pons Pujol (ed.), Barcelone, 2010, 125-143.

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HISPANIA ET GALLIA: DOS PROVINCIAS DEL OCCIDENTE ROMANO

Col·lecció INSTRUMENTA 38

Barcelona 2010

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HISPANIA ET GALLIA: DOS PROVINCIAS DEL OCCIDENTE ROMANO

LLUÍS PONS PUJOL (ED.)

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© PUBLICACIONS I EDICIONS DE LA UNIVERSITAT DE BARCELONA, 2010Adolf Florensa, 2/n; 08028 Barcelona; Tel. 934 035 442; Fax 934 035 [email protected]

1ª edición: Barcelona, 2010

Director de la colección: JOSÉ REMESAL.

Secretario de la colección: ANTONIO AGUILERA.

Diseño de la cubierta: CESCA SIMÓN.

CEIPAChttp://ceipac.ub.edu

Generalitat de Catalunya. Grup de Recerca de Qualitat: SGR 95/200; SGR 99/00426; 2001 SGR 00010; 2005 SGR 01010; ACES 98-22/3; ACES 99/00006; 2002ACES 00092; 2006-EXCAV0006; 2006ACD 00069.

DGICYT: PB89-244; PB96-218; APC 1998-119; APC 1999-0033; APC 1999-034; BHA 2000-0731; PGC 2000-2409-E; BHA 2001-5046E; BHA2002-11006E; HUM2004-01662/HIST; HUM200421129E; HUM2005-23853E; HUM2006-27988E;HP2005-0016; HUM2007-30842-E/HIST; HAR2008-00210.

MAEX: AECI29/04/P/E; AECI.A/2589/05; AECI.A/4772/06; AECI.A/01437/07; AECI.A/017285/08.

Composición y maquetación: SERGI CALZADA.

Portada: Fragmento de la Tabula Rogeriana (MSO Arabe 2221), Biblioteca Nacional de Francia (París).

Impresión: Gráficas Rey, S.L.

Depósito legal: B-46.761-2010

ISBN: 978-84-475-3493-7

Impreso en España / Printed in Spain.

Queda rigurosamente prohibida la reproducción total o parcial de esta obra. Ninguna parte de esta publicación, incluido el diseño dela cubierta, puede ser reproducida, almacenada, transmitida o utilizada mediante ningún tipo de medio o sistema, sin la autorizaciónprevia por escrito del editor.

UNIVERSITAT DE BARCELONA. Dades catalogràfiques

Hispania et Gallia: dos provincias del occidente romano.- (Instrumenta ; 38)

Referències bibliogràfiques. ÍndexISBN: 978-84-475-3493-7

I. Pons, Lluís, ed. II. Col·lecció: Instrumenta (Universitat de Barcelona) ; 381. Imperi Romà, 27 aC-476 2. Història antiga 3. Hispània romana, 218 aC-414 4. Gàl·lia romana

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Índice

PrólogoJosé Remesal Rodríguez (CEIPAC, Univesitat de Barcelona)

1.- Romanos e itálicos en la Hispania republicana.Cristóbal González Román (Universidad de Granada)

2.- Regards augustéens sur les Gaules et la Péninsule Ibérique ou le récit d’une construction provinciale.Patrick Le Roux (Université de Paris XIII)

3.- Leges templorum, leges luci y espacios sagrados en la Hispania romana.Francisco Javier Fernández Nieto (Universidad de Valencia)

4.- Hommes et images: rapports entre la Gaule et la Tarraconensis entre le s. II avant J.C. et le s. IV après J.C.Francisco Marco Simón (Universidad de Zaragoza)

5.- Columela: una visión provincial de la pastio villatica.Lázaro Lagóstena Barrios (Universidad de Cádiz)

6.- Production et commerce des métaux dans l’Occident romain: l’Hispanie et la Gaule.Claude Domergue (Université de Toulousse II-Le Mirail)

7.- Problematique archéologique sur la production de laine et de étoffes en Gaule Belgique.Ricardo González Villaescusa (Université de Reims)

8.- Breves remarques sur les ports d’stockage.Jean Andreau (École Normale Supérieure, École des Hautes Études en Sciences Sociales)

9.- Proculus, legado de la Narbonensis y proconsul de la Baetica (CIL XI, 5173, 5172)Lluís Pons Pujol (CEIPAC, Universitat de Barcelona)

10.- Crise ou pas crise? La Lyonnaise du IIIe au Ve siècle: méthodologie de la crise.Yann Le Bohec (Université de Paris IV-La Sorbonne)

11.- Relaciones entre Hispania y Galia en la Tarda Antigüedad. Siglos IV y V.José María Blázquez Martínez (Real Academia de la Historia, Universidad Complutense de Madrid)

Índices analíticosÍndice de fuentes

fuentes clásicas

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13

33

49

79

93

109

125

145

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fuentes epigráficasÍndice topográficoÍndice de materias

197198203

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7.- Problématique archéologique sur la Production de laine et d’etoffes en gaule belgique

RicaRdo González Villaescusa*

Université de Reims – Champagne Ardenne

7.1.- RetouR suR une Vieille pRoblématique

Proposer une spécialisation de la Gaule Belgique dans la production de laine et d’étoffes n’est pas une nouveauté, depuis les travaux de J.-P. Wild1. L’auteur a démontré la spécificité d’une région (le nord-ouest de l’Empire romain), productrice de drap et de vêtements, à partir de deux types de sources principales: d’un côté les sources archéologiques directes concernant la production textile (échantillons de tissus ou, plus rare encore, vêtements) mais qui ne sont pas légion; de l’autre, les précieuses représentations figurées des monuments funéraires, ainsi que l’épigraphie où apparaissent des métiers en rapport direct avec le commerce du textile.

Les travaux de la fin des années 70 et des années 80 suivirent une ligne très proche. J.-F. Drinkwater utilisait le mausolée des Secundinii à Igel (dans la région de Trèves) comme argument central de son article sur l’industrie textile lainière de la Gaule Belgique2. Dans cet article, l’analyse

* Professeur d’Archéologie. Université de Reims – Champagne Ardenne. EA 3795-GEGENA2. Je tiens à remercier R. Neiss et J.-J. Valette, A. Ferdière et P. Leveau pour la correction de la première rédaction en français de ce texte, ainsi que pour leurs suggestions.1 J.-P. Wild, Clothing in the north-west provinces of the Roman Empire, Bonner Jahrbücher 168, 166-240; J.-P. Wild, Textile Manufacture in the Northern Roman Provinces, Cambridge 1970.2 J.-F. dRinkWateR, The Wool Textile Industry of Gallia Belgica and the Secundinii of Igel: Questions and Hypotheses,’ Textile History 13 (Spring 1982), 111-128. [Première publication en allemand en 1978].

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iconographique des représentations figurées de ce monument funéraire permettait à l’auteur de lancer un certain nombre d’hypothèses sur l’organisation de la production et la commercialisation des étoffes et de la laine autour de Trèves, et, par extension, dans la province de Gallia Belgica.

De son coté, L. Schwinden3, à la fin des années 80, insistait sur cette spécificité, à la lumière du même monument et de six représentations de scènes montrant «l’examen du tissu» (Tuchprobe) sur les monuments et reliefs funéraires romains de la zone (Trèves, Eauze, Paris, Hirzweiler, Buzenol, Neumagen), ainsi qu’une interprétation du contenu des scènes du monument des Secundinii, famille trévire fortement impliquée dans la production textile. L’apport du dossier épigraphique des marchands de textiles dans la Gaule du nord ainsi que les références des auteurs antiques sur les vêtements gaulois complètent cette contribution sur l’industrie textile trévire et de la Gaule du Nord.

Sur ce principe se fondaient aussi une partie des travaux archéologiques de R. Agache de la fin des années 70 et du début des années 80. Quand l’auteur s’interrogeait sur la production des villae picardes dans son ouvrage La Somme pré-romaine et romaine4, il proposait un complément de l’agriculture céréalière par l’apport de l’élevage des moutons et une production lainière dans les villae, pendant la «morte-saison», par l’abondante main-d’œuvre présente dans ces établissements ruraux. En raison de l’approche spécifique de R. Agache, l’archéologie aérienne, ses arguments étaient indirects. Pour interpréter la série de villae et les fermes indigènes qui se présentaient à ses yeux depuis le ciel de la Picardie, R. Agache a eu recours aux textes anciens en les mettant en rapport avec le passé récent. Ainsi, les passages de Strabon qui parlent de « l’exportation » de saies belges à Rome, du prix de la lana atrabatica de l’Edit de Dioclétien ou la liste des gynécées (ateliers de tissage de la laine) de la Notitia Dignitatum, étaient à l’origine d’une sorte de continuum historique jusqu’à nos jours. En fait, «du Moyen Age aux Temps Modernes, la Picardie centrale a surtout exporté du blé et des draps de laine ou de lin»5. Ou bien «le même problème se posait encore récemment pour les fermes picardes. Au XVIIIe siècle, cette industrie faisait vivre la moitié des journaliers du Vimeu (…). Jusque vers 1850, la totalités des ouvriers agricoles, et une partie des petits cultivateurs, s’y employaient aussi à la morte-saison»6.

Le même auteur, s’échappant de la région picarde vers les cités voisines des Rèmes comme des Trévires, là où se trouvent les représentations de la moissonneuse gauloise, pensait, en cohérence avec la pensée de J. Kolendo, le uallus incompatible avec l’élevage car son utilisation impliquait la perte d’une partie de l’herbe qui aurait pu être utilisée par les troupeaux7. L’«impossibilité» de l’auteur à admettre une monoculture qui en effet ne serait rentable résolvait la contradiction, a condition d’accepter l’élevage comme un complément de la culture du blé.

Le seul argument direct apporté par R. Agache pour une activité pastorale était la représentation majoritaire du mouton par rapport à d’autres espèces dans les restes osseux de la faune trouvées à l’intérieur d’un puits de Vendeuil-Caply; si bien, aujourd’hui les études d’archéozoologie pour ces régions sont très abondants8. Les moutons pouvaient paître dans les jachères en fertilisant en même temps les terres à blé, sur le modèle des systèmes agricoles récents. D’autres exemples archéologiques

3 L. schWinden, Gallo-romisches Textilgewerbe nach den Denkmalern aus Trier und dem Trevererland, Trierer Zeitschrift 52, 1989, 279-318.4 R. aGache, La Somme pré-romaine et romaine, Amiens 1978.5 R. aGache, La Somme pré-romaine…, 354.6 R. aGache, La Somme pré-romaine…, 360.7 R. aGache, La Somme pré-romaine…, 357-368.8 s. lepetz, V. matteRne, Elevage et agriculture dans le Nord de la Gaule durant l’époque gallo-romaine : une confrontation des données archéozoologiques et carpologiques, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 23-35.

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étaient les ateliers de tissage de la villa de Chiragan près de Toulouse ou de Darenth en Grande Bretagne, suivant P. Petit.

Il en est de même pour E.-M. Wigthman quand elle parle de l’utilisation de la terre et les produits de base autour de Trèves9. Seuls quelques indices de la villa de Köln-Müngersdorf, interprétés comme porcheries ou étables, ou les écuries de celle de Wittlich, appuient les textes anciens qui parlent de produits laitiers, de salaisons ou des chevaux trévires. Les recherches récentes ont mis en évidence la viticulture à partir du milieu du IIIe siècle et la production textile à partir du chanvre10.

Ainsi donc, pour clore cette introduction, on peut affirmer que, pour cette problématique déjà ancienne, l’approche archéologique, pour des raisons variées, a difficilement pu caractériser cette région de l’Empire comme spécialisée dans la production textile, ne serait-ce qu’en raison du manque de donnés issues de l’archéologie préventive avant les années 80 ou le faible développement de l’archéozoologie alors, comme l’avait déjà dit R. Agache lui-même.

Les documents disponibles (les vestiges matériels des tissus et l’épigraphie) donnent des informations concernant les techniques de couture et confection mais ne sont pas comparables avec celles d’autres régions de l’Empire romain où la figuration n’est guère présente dans les monuments funéraires et où la conservation des tissus n’est pas non plus courante. D’autre part, les inscriptions apportent aussi des renseignements importants sur l’organisation marchande et les réseaux commerciaux, à partir de la dispersion géographique des métiers ou plutôt des negotiatores, des vêtements et des étoffes. Néanmoins, à des dates plus récentes, des auteurs comme J.-C. Béal11, J.-P. Wild12 et plus récemment A. Ferdière13 ont porté leur attention d’avantage sur cette production, plus difficile à mettre en évidence que d’autres productions agraires qui ont besoin, par exemple, d’un emballage céramique, pour le vin ou l’huile, ou de structures de transformation qui laissent des vestiges d’importance: contrepoids de pressoirs de vin et d’huile, bassins de décantation, ateliers et four à amphores…

L’iconographie dans l’architecture funéraire peut aussi nous renseigner sur l’organisation de la production si l’on accepte les hypothèses de J.-F. Drinkwater sur un putting-out system ou bien un domestic system avant la lettre, comme une réponse similaire à un problème semblable. Ainsi la scène de l’attique du côté est du monument d’Igel est interprétée comme le paiement des produits finis par un membre de la «compagnie» des Secundinii14. Même si l’on peut accepter volontiers cette hypothèse, il n’en est pas moins vrai qu’il ne s’agit que d’une analogie avec un système économique qui fonctionna treize siècles après l’érection du monument. En fait, des auteurs comme Agache

9 E.-M. WiGhtman, Roman Trier and the Treveri, Londres 1970, 183ss.10 h.-p. kuhnen, Les grandes entreprises agricoles de la Moselle dans l’Antiquité Tardive, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 195-202 ; m. köniG, Agriculture et viticulture dans les environs de la résidence impériale de Trèves (Allemagne) au Bas Empire, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 203-208.11 J.-C. béal, Instrumentum et production textile en Gaule romaine : l’exemple des pesons de terre cuite, in : Aspects de l’artisanat du textile dans le monde méditerranéen (Égypte, Grèce, Monde romain), Coll. Inst. d’Arch. et Hist. Ant., Univ. Lumière-Lyon 2 (vol. 2), Paris, 121-132.12 J.-P. Wild, Textile manufacture : a rural craft ? in : M. Polfer (dir.), Artisanat et productions artisanales en milieu rural dans les provinces du nord-ouest de l’Empire romain (Actes du colloque d’Erpeldange, 4-5 mars 1999) (Monogr. Instrumentum 9), Montagnac 1999, 29-37 ; J.-P. Wild, Textiles et activités relatives au textile sur le monument d’Igel, Annales de l’Est, 51-2, 2001, 83-92.13 A. FeRdièRe, La place du domaine foncier dans la production artisanale destinée au marché, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 271-272 ; A. FeRdièRe, La place de l’artisanat en Gaule romaine du Centre, Nord-Ouest et Centre-Ouest (province de Lyonnaise et cités d’Aquitaine septentrionale), Revue archéologique du Centre de la France, 45-46, 2006-2007. http://racf.revues.org//index758.html14 J.-F. dRinkWateR, The Wool Textile Industry…, 119.

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ou Drinkwater se situaient au cœur du débat entre «primitivistes» et «modernistes» concernant l’économie antique. Selon ces derniers, cette économie serait très proche de l’accumulation primitive du capital qui était à l’origine du capitalisme du XIXe siècle. Pour Drinkwater, la richesse des Secundinii ne dépendait pas de la production propre au sein de leur villa mais de leur capacité à assurer «un flux substantiel et constant de tissu commercialisable d’une qualité uniforme». Ils étaient plus des marchands drapiers que des producteurs15. Enfin, J.-C. Béal interprétait l’iconographie du monument dans le cadre d’un «investisseur multiple»16.

Le but de notre contribution consiste à apporter une nouvelle dimension aux travaux cités, tout d’abord sur la matérialité des choses à partir de l’archéologie, une archéologie qui tiendrait compte des vestiges et des outils qui mettent en évidence l’existence d’une production de laine et des produits textiles en Gaule Belgique. Si l’on accepte les prémisses d’auteurs comme Agache ou Drinkwater, il faudrait imaginer une organisation de la production spécialisée par régions, dirigée par des élites commerçantes des villes, comme Trèves, Reims ou Metz. Elle expliquerait l’existence des inscriptions comme celles qui nous parlent d’un sagarius rémois à Lyon, un negotiator sagarius messin à Milan, ou enfin d’un vestiarius trévire en Eauze (Aquitaine). Il faut donc interroger le registre archéologique des régions concernées pour produire des connaissances sur cette «réalité» économique et proposer des hypothèses qui faudra argumenter dans le futur.

Ensuite, il s’agit aussi d’un phénomène à caractère géographique, comme l’a bien compris Schwinden quand il a construit les figures 8a et 8b17 de son article, montrant la dispersion des références sur la production textile en Gaule. L’organisation de l’information doit être faite en fonction de la réalité spatiale des régions productrices et de la dispersion des vestiges qui parlent de cette production.

Finalement, il faut mettre en évidence des témoins de la production et des structures de transformation et non seulement des indices sur les échanges, comme on l’a fait jusqu’à présent. On peut citer ici l’affirmation de J. Andreau18 «sur la représentativité des produits sur lesquels nous avons une documentation: nous savons beaucoup de choses sur la céramique et très peu sur le textile». Ce type de vestiges restera toujours moins représenté: aussi faut-il définir d’une manière précise les questions à poser au registre archéologique.

Il s’agit d’une réflexion qui part d’un petit projet de recherche sur une villa gallo-romaine, celle d’Andilly-en-Bassigny (Haute-Marne) à 15 km au nord-est de Langres, la ville antique d’Andemantunum, chef-lieu de la cité des Lingons. Lorsqu’on s’interroge sur «le» produit qui serait à l’origine du surplus de cette installation agricole, on peut trouver une ébauche de réponse dans les vers de Martial sur les cuculli des Lingons19. C’est de cette même manière qu’avec des bons résultats, la piste de recherche sur le lin a permis d’identifier la fonction des structures de transformation de cette fibre végétale dans la villa de Cornelius dans le territoire de Saetabis, l’actuelle ville de Xàtiva, à Valencia20.

15 J.-F. dRinkWateR, The Wool Textile Industry…, 117.16 J.-c. béal, Remarques sur l¹imagerie du pilier funéraire d¹Igel, in : n. blanc, a. buisson (dir.), Imago Antiquitatis. Religions et iconographie du monde romain, Mélanges à R. Turcan, Paris 1999, 95-104.17 L. schWinden, Gallo-romisches Textilgewerbe…, 310-311.18 J. andReau, Présentation : Vingt ans après L’Économie antique de Moses I. Finley, Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1995, 50-5, 953.19 Mart., Epigram. 1.53.5 : « (…) sic interpositus uillo contaminat uncto / urbica Lingonicus Tyrianthina bardocucullus ».20 R. González Villaescusa, El paisaje y la unidad de producción de Els Alters, in R. albiach, J.-L. de madaRia, La villa de Cornelius (L’Ènova, Valencia), Valencia 2006, 28-36.

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Enfin, il faut tenir en compte les travaux des grands décapages et des projets sur des sites ruraux du nord de la Gaule qui ont eu lieu les derniers vingt ans et qui on bouleversé les connaissances sur l’archéologie agraire et des systèmes agraires notamment pilotés par P. van Ossel. A titre d’exemple on s’attardera à la publication sur la villa de Champion (Hamois, Belgique)21. A partir des données de l’organisation spatiale des bâtiments, des diagrammes polliniques et des vestiges de consommation de la faune, les auteurs proposent un système agraire basé une céréaliculture peu développée, peut-être essentiellement orientée à la consommation locale. Mais une production préférentielle vers l’élevage bovin jusqu’au IIe siècle, et une augmentation du ovin et du porcin, à partir du IIIe siècle.

7.2.- une pRoduction depuis la pRotohistoiRe

Les témoignages écrits débutent avec les premiers contacts avec Rome et la vision que les auteurs anciens avaient des sociétés indigènes. Quand César évoque la migration des peuples germains, les «Usipètes» et les «Tencthères», de l’autre coté du Rhin, il les décrit comme suit: «ils consomment peu de blé, vivent en grande partie de laitage et de la chair de leurs troupeaux, et s’adonnent particulièrement à la chasse»22. On a pu en conclure que ces sociétés étaient purement pastorales. Néanmoins, C. Wickham insista sur le fait que ce texte répond à une idéologie qui mettrait en valeur l’importance du bétail pour les sociétés germaines. Les sociétés pastorales pures (dans le sens wébérien de l’idéal-type) ont besoin d’être intégrées dans une économie d’échange «the pure pastoralist in economic terms is quite as developed as the agriculturalist, and indeed, is usually more so: pastoralism requires a fairly complex economic system to exist at all (…) just to subsist, in other words, pastoralist are tied into a market economy»23. Et cette relation avec une économie de marché est d’autant plus grande quand il s’agit de produire de la laine pour l’industrie textile, beaucoup plus dépendante du marché que d’autres produits de l’élevage24.

Les témoignages de l’exploitation des animaux à cette époque sont nombreux. Plus que les outils comme les peignes pour la laine ou les forces à tondre, il est important d’observer les tendances dans les modes de gestion du cheptel et de leur évolution entre le Néolithique et l’Age du Fer. Pour les auteurs d’Une histoire de l’élevage25, la tendance est au retardement de l’âge d’abattage et au «détournement de cette seule production [la viande], au profit de celle de la laine et peut-être du lait». Le modèle serait donc celui d’une consommation qui repose sur la viande de porc mais aussi d’autres animaux abattus à la fin de leur phase de croissance. Pendant ce temps, on utilisait leurs produits «dérivés»: laine du mouton et lait de brebis, lait des chèvres, lait et force de travail des bovins.

P. Méniel observe en Picardie l’abattage des moutons adultes, de plus de trois ans à Epiais-Rhus, ce qui montre une exploitation de la viande et de la laine, tandis que les individus séniles, de plus de six ans, à Hornaing, mettent en évidence une exploitation de la laine et du lait26.

Plus proches de Reims, à 38 km au nord-est, sont les observations faites par le même auteur sur Acy-Romance27: «Le mode de gestion des caprinés se modifie à La Tène D2, avec un abattage

21 p. Van ossel, a. deFGnée (dir.), Champion, Hamois. Une villa romaine chez les Condruses. Archéologie, environnement et économie d’une exploitation agricole antique de la Moyenne Belgique, Namur 2001.22 César, De Bello Gallico, 4.4.1.23 C. Wickham, Land and Power in Early Medieval Europe, London 1994, 123.24 C. Wickham, Land and Power…, London 1994, 126.25 P. méniel, R.-M. aRboGast, J.-H., YVinec, Une histoire de l’élevage, Paris 1987, 56.26 P. méniel, Chasse et élevage chez les gaulois, Paris 1987, 62.27 P. méniel, Le site protohistorique d’Acy-Romance (Ardennes). III - Les animaux et l’histoire d’un village gaulois. Fouilles 1989-1997, Mémoire de la société archéologique champenoise 14, Reims 1989, 63.

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plus intense de sujets adultes, ce qui se traduit par des moyennes plus élevées, et qui révèle des modifications dans l’utilisation de ces animaux. La production de viande, qui justifie le sacrifice des sujets juvéniles ou immatures, laisse peu à peu la place à la production de laine, qui nécessite un grand nombre d’animaux sans accorder trop d’importance à leur âge. (…) la gestion des caprines se modifie de manière très sensible au cours de l’occupation. D’abord orientée vers la production d’agneaux, c’est ensuite le maintien de sujets adultes qui prévaut, avec ce que cela suppose dans l’état de croissance des sujets consommés, mais aussi dans la production lainière, qui connaît alors un accroissement. Notons que ce accroissement de l’âge moyen du cheptel accompagne un développement du pastoralisme. Ces deux faits témoignent d’une évolution assez sensible de l’élevage sur le site.»

D’autres indications des activités pastorales durant la Protohistoire sont apportées par des étables et les structures excavées comme annexes d’habitation propices à des activités de tissage. F. Audouze et O. Buchsenschutz, s’appuyant sur les travaux de H.-T. Waterbolk, exprimaient le constat d’une réduction de la taille des étables entre l’Age du Bronze et l’Age du Fer28. Ou l’existence de «formes d’élevage de grande ampleur» comme à Villeneuve-Saint-Germain, avec des bovins parqués dans de grandes étables de la fin de l’Âge du Fer29.

Mais plus important est de souligner la multiplication des structures excavées comme annexes d’habitation au second Age du Fer en Gaule et au moment de transition entre l’Âge du Fer et l’époque romaine en Scandinavie. Les découvertes de caves à tisser son diverses et souvent en corrélation entre elles: la concentration de fusaïoles trouvées le long d’un mur d’habitat, l’association de ces éléments à une paire de trous de poteau, écartés de moins d’un mètre (60-90 cm environ), l’alignement de pesons de métier à tisser entre les trous de poteau indiqués. Les auteurs montraient un très bon exemple à Wallwitz, Saxe ou à Dalem (à l’embouchure de l’Elba), où une fosse de 3x4 m et 50 cm de profondeur était couverte d’un toit à deux pentes et contenait deux rangées parallèles de poids à tisser permettant de suggérer aux fouilleurs une inclinaison oblique du métier. Il faut noter que Pline rappel qu’en Germanie le tissage se faisait à l’intérieur de caves creusées («en Germanie, c’est enfouis et dans des souterrains que les ouvriers fabriquent ces étoffes»)30. Traditionnellement c’est le cas dans les régions qui nous intéressent dès le Moyen Age31 jusqu’à un passé récent.

Dans la région qui nous occupe, ils existent quelques exemples de ces structures excavées creusées destinées au tissage de cette période. Sans vouloir être exhaustif, à Juvigny, au lieu-dit la Potence, les fouilles faites à l’occasion des travaux de l’autoroute A26 permirent de mettre en évidence une probable structure excavée de tissage de la Tène Ia. Parmi les fosses polylobées excavées, la dénommée Structure 1 a été interprétée comme cave-atelier, avec un foyer. La découverte de pesons taillés dans la craie, qui auraient servi pour lester les fils, ainsi que de lissoirs de tisserand en os pour serrer les fils sur le métier permirent proposer la fonction de cave à tissage32.

Toujours dans le nord de la Gaule, la résidence aristocratique de Montmartin (Oise) était dotée d’une structure artisanale semi-enterrée qui montrait des éléments liés à l’artisanat métallurgique

28 F. audouze, o. buchsenschutz, Villes, villages e campagnes de l’Europe celtique, Paris 1989, 170-173 ; o. buchsenschutz, Les Celtes de l’âge du Fer, Paris 2007, 129-135.29 A. FeRdièRe, F. malRain, V. matteRne, p. méniel, a.-n. JaubeRt, Histoire de l’agriculture en Gaule. 500 av. J.-C. – 1000 apr. J.-C., Paris 2006, 45.30 Pline, Nat. His., 19.2. 9 : « in Germania autem defossae atque sub terra id opus agunt »31 A. FeRdieRe, F. malRain, V. matteRne, P. méniel, A. nissen-JaubeRt, Histoire de l’agriculture en Gaule. 500 av. J.-C.-1000 apr. J.-C., Paris 2006, 194-195.32 n. béaGue-tahon, Document Final de Synthèse. Un habitat du Haut Moyen-Age à Juvigny « La Potence », Mars 1991.

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(scories, mâchefer, coulées de bronze) ainsi qu’un «poids de métier à tisser et deux fusaïoles». Ces éléments ont permis d’interpréter ceci33 comme un métier à tisser du début de la Tène C1, entre 250 et 150 av. J.-C. Dans la couche de destruction du dernier état de la Structure 56, une vingtaine de pesons (triangulaires et prismatiques) permettait aussi d’identifier une activité de tisserands.

En synthèse, on peut dire qu’il y avait une tradition indigène probablement due aux conditions pédoclimatiques qui s’est spécialisé à partir de la fin de l’Age du Fer et, lors de son intégration dans l’économie de l’Empire romain, a provoqué le développement d’une forte spécialisation. Il faut interpréter ainsi les mots du géographe Strabon quand il nous parle de «l’exportation» de saies et de salaisons déjà au temps d’Auguste vers l’Italie34: «Aussi bien les troupeaux de moutons que ceux de porcs sont (chez eux) si vastes qu’ils constituent un riche ravitaillement en sayons et en salaison non seulement pour Rome, mais encore pour la plupart des régions d’Italie»35. Et c’est ce que J.-P. Wild dit depuis fort longtemps, se fondant sur ses propres recherches sur la structure des tissus comme sur celles de L.-B. Jørgensen, l’élevage sélectif des brebis et le haut degré de standardisation des tissus depuis la fin de l’Âge du Fer. Un indice de l’apparition de cette standardisation et de son prolongement à l’époque romaine serait la présence des pesons triangulaires (isocèles à trois perforations) qui ont une répartition spatiale bien confinée aux provinces du nord-ouest de l’Empire36, expression d’une « (…) particularité culturelle, soit une technique particulière»37; ou bien d’une «faciès à part» qui disparaîtrait sous le règne de Tibère, remplacés par les pesons pyramidaux38. Pour O. Blin, F. Médard et M.-P. Puybaret39 sa disparition à partir de la Conquête, en Grande Bretagne et Allemagne, serait le signe d’une réorganisation des activités textiles d’une production locale différente des productions romaines pour satisfaire les besoins textiles de l’armée romaine, une technique indigène, «probablement plus grossière que la plupart des textiles romains mais aussi plus adaptée aux rigueurs du climat»40.

Reste à déterminer si cette production textile de la fin de la Protohistoire des futures provinces du nord-ouest était destinée à l’échange ou, plutôt, en ce qui concerne la Britannia41, restait une production destinée à l’auto-consommation.

7.3.- une classe émeRGente de citadins

On peut dire que la structure économique régionale avait atteint un certain niveau de maturité, qui connut son essor et un important développement dans les réseaux commerciaux de l’Empire. A partir de l’époque d’Auguste, on trouve une quantité de témoins épigraphiques et des textes qui parlent de la singularité de cette région du nord ouest de l’Empire concernant la production textile. Rappelons en rapidement les données principales.

33 J.-L. bRunaux, P. méniel, La résidence aristocratique de Montmartin (Oise) du IIIe au IIe s. av. J.-C., Documents d´Archéologie Française 64, Paris 1997, 50-63.34 stRabon, Geogr., IV, 4, 3.35 Je remercie D. Marcotte pour la traduction de ce texte. 36 o. blin, F. médaRd, m.-p. puYbaRet, Fils et pesons : éléments pour une approche des techniques de tissage en Gaule romaine du Nord, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 157-174 ; C. micouin-cheVal, Les textiles gallo-romains de Chartres (Eure-et-Loir). Analyse et expérimentation, in: C. alFaRo, J.-P. Wild, B. costa, Purpureae Vestes. Textiles y tintes del Mediterráneo en época romana, Valencia 2004, 115-120.37 o. buchsenschutz, Les Celtes…, Paris 2007, 131.38 o. blin, F. médaRd, m.-p. puYbaRet, Fils et pesons…, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 171.39 o. blin, F. médaRd, m.-p. puYbaRet, Fils et pesons…, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 172.40 Ibidem.41 J.-P. Wild, The Textile Industries of Roman Britain, Britannia 33, 2002, 29.

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L. Schwinden a analysé les inscriptions concernant les vestiarius, lintearius ou sagarius. Je vais synthétiser les exemples concernant la Gaule Belgique et les provinces voisines donnés par Schwinden, Drinkwater et Verboeven. Aux inscriptions, il faut ajouter les deux reliefs funéraires de Sens qui représentent des métiers en relation avec le textile: d’un coté, l’action de fouler la laine et d’autre, celle de couper les fibres plus longues après le foulage de la laine, aussi représentée sur une inscription funéraire trouvé à Sens. Il faut noter aussi le torcular fulonica représenté dans un relief exposée au Musée de Saint-Remi de Reims dans la vitrine dédiée au textile42 (fig. 1).

En conclusion, il s’agit d’une classe de marchands qui tiraient leurs revenus de la

CIL XIII, 542 Eauze Sextus Vervicius Eutyches vestiarius civ. Trev.

CIL XIII, 2008 Lyon C. Latinius Reginus sagarius Lugud. RemusCIL XIII, 2010 Lyon Littavius (?) sagarius CarnutenusCIL XIII, 3037 Paris Geminius vestiarius (Trev. ?)CIL XIII, 3168 Vieux vestiarius

CIL XIII, 3263 Reims Augusti vestiarius (?)

CIL XIII, 3705 Trier vestiarii

CIL XIII, 4564 Marsal (Marosallum) vestiarius ex Germ. sup. ( ?)

VeRboeVen Reims Victorius Regulus negotiator purpurarius

Noviomagus Nemetae (Speyer)

CIL XIII, 5705 Langres vestiarius

CIL XIII, 11597 Chanteroy (Dampierre) sagarius

CIL XIII, 8568 Stockum negot. vestiarius im-portator

CIL V, 5929 Milan M. Matutinius Maximus

negotiator sagarius

Mediomatricorum(Metz)

42 Je remercie A. Uscatescu pour l’identification de cette pièce, lors de son séjour à l’Université de Reims comme professeur invitée.

Table 1.-

Figure 1.- Torcular fulonica représenté en un relief exposée du Musée Saint Remi de Reims

(Photo : A. Uscatescu)

production de vêtements (vestiarius) ou de manteaux militaires (saga) d’origine indigène (les manteaux gaulois). Il faut remarquer que des trois negotiatores sagarius, deux sont précisément de Gaule Belgique

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et un de Lyonnaise (Rèmes, Carnutes et Médiomatriques), et le rémois C. Latinius Reginius, avait son centre d’opérations à Lyon, où le corpus sagariorum de Gaule avait son siège central43.

Le même auteur démontre que 32% des inscriptions comportant un negotiator proviennent des Gaules, des deux Germanies et de Britannia, et qu’à l’intérieur de cette zone, la Gaule Belgique (10,6%), la Gaule Lyonnaise (22,1%) et les deux Germanies, Inférieure (31,7%) et Supérieure (25%) représentent au total 89,4%. Pour l’auteur, c’est la demande de l’armée romaine qui a permis le développement de ce marché et de la classe sociale de marchands.

Les témoins épigraphiques de marchands liés à l’activité textile se concentrent dans un axe reliant Lyon et le limes en passant par Trèves, dans la partie orientale de la Gaule Belgique. Seul Reims, plus à l’ouest, reste un peu à l’écart de ce grand axe. Mais on y trouve, avec Trèves, la majorité des témoins en rapport avec le textile ou avec des activités liées: Trèves (4), Reims (4), Metz/Marsal (2), Langres et environs (2).

7.4.- un aRtisanat uRbain

Quels sont les vestiges urbains concernant le tissage qu’on peut retenir?

X. Deru44 avait identifié 33 fouilles urbaines à Reims où ont été découverts des vestiges d’activités artisanales, dont 13 étaient composés de pesons et/ou fusaïoles. Je remercie X. Deru et S. Lemaître45 qui ont bien voulu me transmettre toutes les trouvailles d’amphores à alun de Reims:

Rue Chanzy : 1 tesson ; fin Ier s.Rue Carnot : 23 tessons ; entre -30 et -5Rue Carnot : 1 fond ; entre -15 et -5Rue Equerre 00 : 2 tessons ; non datésRue Equerre 01 : 9 tessons ; non datésRue Maucroix : 1 tesson ; début IIe s.Rue Buirette : 1 tesson ; fin IIe s.Rue Pouilly : 4 tessons ; milieu Ier s.

Bien que la dispersion des témoins soit assez large dans toute la ville, une zone présente une certaine concentration, à l’extérieur et au sud de l’ancien oppidum, entre les sites 22 et 30, donc entre les rues des Capucins et de l’Equerre. D’autre part, la chronologie des sites est bien étalée dans le temps: époque pré-augustéenne pour le site 16, Ier siècle av. J.-C. pour le site 12, et fin du Ier – début du IIe siècle apr. J.-C. pour le site 31. On ne retiendra que les sites de la rue Carnot (12), rue de Venise (25) et rue de l’Equerre (30).

43 K. VeRboeVen, Good for Business. The Roman Army and the Emergence of a ‘Business Class’ in the Western Provinces of the Roman Emire, in L. de blois, E. lo cascio, The Impact of the Roman Army (200 B.C. – A.D. 476): Economic, Social, Political, Religious and Cultural Aspects. Proceedings of the Sixth Workshop of the International Network Impact of Empire (Roman Empire, 200 B.C. – A.D. 476), Leiden-Boston 2007, 295-314.44 X. deRu, L’artisanat à Reims à l’époque gallo-romaine. Analyse topographique, in : J.-c. beal, J.-c. GoYon, Les Artisans dans la Ville antique, Collection Archéologie et Histoire de l’Antiquité, Université Lumière-Lyon 2, vol. 6, Lyon, 2002, 131-138. Je retiens les numéros désignant chaque site proposés par X. Deru : 3) Rue Léon Hourlier, 5) boulevard Joffre, 12) 12-14, rue Carnot, 16) rue d’Esteuque-Chambre de Commerce, 18) boulevard de la Paix-Bourse du travail, 21) rue Chanzy, 22) Capucins-Hincmar-Clovis, 23) Capucins-Boulard, 24) Parc des Capucins, 25) 10-20, rue de Venise, 28) Rue des Coutures, 30) Rue de l’Equerre, 31) 37 rue de Venise.45 S. lamaìtRe, «Les amphores», in La céramique de Reims entre César et Clovis, en préparation.

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Une des datations les plus hautes concerne la rue Carnot, qui se trouve à l’intérieur de l’ancien oppidum gaulois. Dans les structures des premières occupations, composées de fosses et trous de poteaux, ont été trouvées des amphores Richborough 527 (fosse 225, fosses 404, 405), pesons de métier à tisser en terre cuite (fosse 521) qui peuvent dater de La Tène D2 (80/70 à 40/30 av. J.-C.) et de la période augustéenne précoce (40/30 à 20/10 av. J.-C.) normalement associées aux amphores Dressel 1. Deux autres fragments d’amphores Richborough 527 ont été trouvés à l’intérieur d’un puisard (unité stratigraphique 165) qui comporte un ensemble céramique homogène, du dernier quart du Ier siècle de notre ère: amphores Dressel 20 et Gauloises, sigillés du sud de la Gaule et Terra Nigra46.

Dans ce même contexte archéologique urbain de la rue Carnot ont été réalisées des analyses de paléo-parasitologie dont un échantillon était positif (P43 US 298): le parasite se nomme Dicrocoelium sp.47. Il concerne les herbivores, dont le mouton, et est assez fréquent aux chantiers de Reims comme à Troyes.

Une autre intervention urbaine qui présente des témoins d’une activité artisanale en relation avec le tissage a été réalisée à la rue de Venise48. Dans la pièce A (incomplète mais d’environ 6,3 x 7 m) de la zone 3 de cette importante surface fouillée, il fut repéré: «Un sol (…) construit d’un façon inédite sur le site rémois [Note 45: Ce type de construction à uniquement été repéré sous des bases d’hypocauste ou de mosaïque, mais jamais pour la préparation de sol en terre battue]. Il s’agit d’une couche (épaisse de 20 cm) de gros blocs de craie mêlés à quelques fragments de tuiles (…). Sur cet aménagement de sol, sont régulièrement installés de gros blocs de pierres calcaires quadrangulaires qui présentent en leur centre un trou carré. Deux séries de trois pierres sont relevées (…). Le sommet de ces pierres apparaît en légère élévation du sol en terre battue. Il peut s’agir soit des bases de piliers ou de colonnes supportant la toiture, soit des vestiges d’un système de soubassement d’un plancher (poutres, lambourdes). L’absence de réelle couche d’occupation sur le sol tendrait à privilégier cette seconde hypothèse, toutefois la présence d’un plancher n’exclue pas que les crapaudines situées dans l’axe de la pièce soient les bases du support de la toiture [Note 46: Une étude de l’architecture du bâti propose une restitution des élévations déduites de l’ensemble des données recueillies sur la fouille. Ainsi d’une part, la présence de blocs de craie suppose que le sol était destiné à supporter une lourde charge. D’autre part, les pierres crapaudines permettent d’imaginer une structure à étage indépendante des murs et pouvant également supporter une certain poids. En effet elles ne sont pas solidaires des murs et les élévations en carreaux de terre ne sont pas pour soutenir un étage destiné au stockage de matériaux lourds]»49.

Ces éléments étaient interprétés quelques pages plus avant comme un «lieu de stockage de fibres»: «(…) il semblerait que ce bâtiment soit plutôt à vocation commerciale ou artisanale avec un important lieu de stockage, au détriment d’une seule unité d’habitation. Cette hypothèse, étayée à partir du plan et des données techniques, peut être renforcée par la quasi absence de mobilier archéologique

46 P. Rollet, A. balmelle, Reims (Marne), Rue Carnot. Opération archéologique dans le centre de la ville antique. Reims, 12-14 rue Carnot. DFS de Fouille Prevéntive, Reims 1995.47 Analyse de F. Bouchet (EA 3795 – GENENA2) et information de M. Le Bailly (EA 3795 – GENENA2) : « La petite douve du foie. C’est un parasite de la classe des Trématodes. Les adultes vivent dans le foie des herbivores, dont le mouton. L’homme ne peut que très difficilement être réellement parasité par la petite douve. En revanche, il peut présenter une pseudo-parasitose, c’est-à-dire que si l’homme consomme du foie de mouton parasité, on pourra retrouver des œufs de douve dans les excréments, mais qui proviennent directement des adultes dans le foie et ces œufs ne sont pas infestant ».48 P. Rollet, A. balmelle, F. beRthelot, R. neiss, Reims (Marne). Le quartier gallo-romain de la rue de Venise et sa réoccupation à l’époque moderne, Société Archéologique Champenoise, Archéologie Urbaine 4, Reims 2001.49 P. Rollet, A. balmelle, F. beRthelot, R. neiss, Reims (Marne). Le quartier gallo-romain…, Reims 2001, 41 et fig. 60.

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sur les sols (…). De même, l’absence d’installations ponctuelles liées aux activités domestiques (foyer, four, puits…) corrobore cette hypothèse. Le type des matériaux stockés reste indéterminé mais le poids et le volume peuvent être deux éléments qui le caractérisent. Les seuls éléments liés à une activité artisanale sont les pesons de métier à tisser trouvés généralement sur l’ensemble du site (ex.: fosse U.S. 508 dans la zone 2, remplissage du caniveau U.S. 599) et plus particulièrement ici sur le sol de la pièce E. Pourquoi ne pas supposer un lieu de stockage de fibres dans la pièce A?50

J’ai sollicité M. Poirier, auteur de la restitution publiée dans le même volume, pour revoir cette dernière en imaginant des ballots d’étoffes de laine qui, d’après les calculs de J.-P. Wild51, pourraient avoir 2 m2 de surface de contact, et peser entre 300 et 400 kg sur la représentation des ballots sur le monument d’Igel. La réinterprétation aboutit à l’existence d’un plancher surélevé (fig. 2): «Cette pièce mesure 6,3 m x 7,0 m, soit 44 m2, ce qui ne correspond pas à la taille moyenne des pièces d’habitation courantes. Bien qu’incomplète, car en limite de fouille, on peut restituer une structure inédite sur le site rémois. Le sol est composé d’une couche de 20 cm de gros blocs de craie mélangés avec du tout venant sur une mince couche de terre végétale. On peut restituer ensuite neuf blocs de pierres calcaires quadrangulaires quadrillant l’espace intérieur de la pièce. Comme l’indique P. Rollet, il peut s’agir

Figure 2.- Restitution de la pièce A de la rue Venise par M. Poirier

50 P. Rollet, A. balmelle, F. beRthelot, R. neiss, Reims (Marne). Le quartier gallo-romain…, Reims 2001, 49-50.51 J.-P. Wild, Textiles et activités…, 91.

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des bases de poteaux d’un système de faux plancher comprenant poutres et lambourdes. Un faisceau concordant d’observations laisse à penser qu’il pourrait s’agir d’une pièce réservée à un stockage dont la nature pourrait être liée à une activité de tissage étant donné les nombreux pesons retrouvés dans la zone 3. Outre les dimensions importantes de cette pièce, la position des blocs calcaires d’assise décollés des murs périphériques laissant supposer un faux plancher ne joignant pas les murs pour permettre une ventilation naturelle efficace, l’absence de mobilier, tout concoure à imaginer une pièce dédiée à un stockage conçu pour éviter que l’humidité n’altère la marchandise. Abordons maintenant la question de la nature du stockage par le biais de la portance du faux plancher. A partir d’une hypothèse de section de poteau en chêne de 0,25 m x 0,25 m, ce qui reste vraisemblable compte tenu des dimensions des blocs d’assise (0,40 m x 0,40 m), chaque poteau peut supporter entre 6 et 7 tonnes. Le poteau central le plus chargé reprend une surface de plancher de 7,5 m2 ce qui donne une surcharge admissible sur le plancher de 800 à 1000 kg au m2.

Nous pouvons donc en déduire que la marchandise stockée était vraisemblablement volumineuse (taille de la pièce), pondérale (surcharge admissible) et qu’elle craignait l’humidité (plancher ventilé).»52

Il s’agit donc d’une structure qui pourrait supporter un maximum de 40.000 kg, ce qui est bien inférieur au poids de deux rangées superposées de 20 ballots (= 16.000 kg). Plus intéressante est la conception de la pièce pour éviter l’humidité, étant connues les caractéristiques biologiques de la laine et des textiles en général, car l’humidité peut provoquer l’apparition des champignons, ainsi que les caractéristiques hygroscopiques, car la fibre de laine peut absorber jusqu’au 50% de son poids.

A titre de comparaison, il est tout à fait intéressant de rappeler la description du site de l’«Ile de Sables» à Arles: «Ce site, implanté sur la rive droite du Rhône (...) une série de bâtiments constitués pour partie -sur leur périphérie- de murs soigneusement isolés des remontées d’eau, et pour partie de poteaux porteurs appuyés sur des dés de pierre. La présence de nombreux bassins à proximité immédiate de ces hangars suggère que ces derniers (voués au rôle d’entrepôts ?) avoisinaient des ateliers artisanaux»53.

L’un de ces bassins devenu dépotoir, une fois le site abandonné, contenait des fragments qui appartenaient à 200 amphores de Lipari et 50 amphores de Milo, destinées à transporter l’alun.

Mais revenons à la zone 3 de la fouille de la rue de Venise: à dix mètres de la pièce A se trouvait l’espace E où: «(…) apparaît un premier sol (U.S. 1067), aménagé de nombreux trous de piquets et de petits trous de poteau dont les calages sont réalisés principalement à l’aide de pesons (entiers) de métier à tisser. (…) une fosse recoupe [les] derniers niveaux de sol et son remplissage (U.S. 1015) est constitué de craie qui contient des fragments de tuiles et beaucoup de fragments de pesons en terre cuite de métier à tisser»54.

En face, de l’autre côté de la rue romaine, dans la zone 2 de la fouille, la presque totalité des pièces présentaient des fosses quadrangulaires, interprétées comme des «fosses-celliers», «sortes de petites caves (ou celliers, greniers, abris)», toujours à l’intérieur des pièces, le long des fondations

52 Communication de M. Poirier, que je tiens à remercier de sa collaboration pour la figure de sa nouvelle interprétation.53 P. boRGaRd, Les amphores à alun : Ier siècle avant J.-C. - IVe siècle après J.-C., in: P. boRGaRd, J.-P. bRun, M. picon, L’alun de Méditerranée, Naples/Aix-en-Provence 2005, 165-166 et fig. 3.54 P. Rollet, A. balmelle, F. beRthelot, R. neiss, Reims (Marne). Le quartier gallo-romain…, Reims 2001, 41.

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des murs. Je m’attarde aux descriptions de deux d’entre elles en raison de la présence de pesons de terre cuite, dont la fosse-cellier U.S. 508, avec 14,4 kg de fragments de pesons55; ou encore, en raison de sa forme, la fosse-cellier U.S. 604, (1,5 x 1,7 m et 0,5 m de profondeur), avec deux trous de poteaux circulaires de 35 et 25 cm, et 20 cm de profondeur, ce qui montre que ces structures pourraient être boisés. Ces structures, ainsi que celles de la zone 3, sont assez proches de ce qu’on peut voir en milieu rural et qui peuvent être interprétées comme des caves à tissage.

Finalement, en milieu urbain, reste la fouille de la rue de l’Equerre. Dans la même rue antique que celle où se trouvaient les vestiges de la rue de Venise, et à quelques 120 m de distance en ligne droite, dans une insulae limitrophe, une intervention préventive a mis au jour, sur 6.500 m2 de surface, un quartier artisanale à vocation commerciale, un lieu de redistribution de vaisselles et produits provenant du centre de la Gaule et du pourtour méditerranéen56. Un four de potier produisant de la terra rubra et du verre fondu attestent en évidence une vocation artisanale qui irai de pair avec la production textile57.

Le chantier montre une nouvelle fois le tandem formé par les pesons de métier à tisser (en quantité importante) et les amphores Richborough 527 contenant de l’alun de l’île de Lipari. Mais à ces deux marqueurs il faut en ajouter deux autres, moins directs mais non moins intéressants. Il s’agit de blocs de craie qui présentent une usure sur un des côtés. Cette face concave porte les empreintes de ce qu’on pourrait interpréter comme des fils qui en auraient frotté la surface. Il faudrait un essai d’archéologie expérimentale pour démontrer le lien entre l’activité textile et ce bloc de craie marqué de ces traces. Cependant, je pense, à titre d’hypothèse, étant donné le contexte, au «nettoyage à la craie importé de Sardaigne (sarda), au moins pour les tissus blancs, afin de dégraisser l’étoffe; (…) [le] traitement à la craie cimolienne (cimolia), pour les étoffes bon teint, car elle adoucit les couleurs authentiques et de bonne qualité, tout en leur conférant une sorte d’éclat qui les égaie, alors que le soufre les avait assombries», recommandé par Pline58.

Enfin, dans ce même chantier de la rue de l’Equerre, ainsi que rue Maucroix, furent trouvées des argiles dans un contexte également artisanal. Selon G. Fronteau, «l’argile verte trouvée à Reims est une argile fibreuse très particulière (de la Palygorskite), parfois désignée sous le nom d’Attapulgite. Cette argile peut être utilisée pour ses propriétés gonflantes en médecine. Historiquement, le terme «terre à foulon»59 désignait toutes les argiles absorbant les huiles, les graisses ou les matières colorantes et qui pouvaient être utilisées pour nettoyer (ou fouler) la laine. Donc, la palygorskite serait une excellente argile à fouler la laine».

Ainsi, le secteur du cadran sud de la ville, entre l’enceinte de l’oppidum gaulois et la Vesle, présente des indices d’une spécialisation plus abondants encore que ceux relevés par X. Deru60. Il est probable que les vestiges trouvés un peu partout dans la ville témoignent d’un artisanat domestique mais les fouilles de la rue Carnot (près du forum), des rues de Venise et l’Equerre pourraient indiquer

55 P. Rollet, A. balmelle, F. beRthelot, R. neiss, Reims (Marne). Le quartier gallo-romain…, Reims 2001, note 37.56 A. deloR ahü, G FloRent, S. lemaîtRe, P. Rollet, Le dépôt de céramiques de la rue de l’Équerre à Reims (Marne), SFECAG, Actes du Congrès de Blois, 2005, 572-592.57 Je tiens à remercier, pour les informations de l’étude qui n’a pas encore été achevée au moment de la rédaction de ces lignes, P. Rollet (INRAP), responsable du chantier, ainsi que G. Fronteau (EA 3795 – GEGENA2), auteur des analyses des argiles vertes découvertes au cours de la fouille.58 Pline, Nat. Hist., 35.198 ; G. Roche-beRnaRd, A. FeRdièRe, Costumes et textiles en Gaule romaine, Paris 1993, 122.59 Ou la « creta fulonia » de Pline : Nat. Hist., 17.4. 60 X. deRu, L’artisanat à Reims…, 134.

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un quartier plus spécialisé (magasins, caves de tissage, produits pour le traitement de la laine, craie, teinture et foulage…) dans différentes phases de traitement du produit final61.

Dans le reste des villes de la Gaule Belgique, les témoins sont épars et réduits. A Troyes, de nombreux poids de tisserand furent trouvées rue Jacquin62, s’ajoutant aux témoins de la place de la Liberté évoqués précédemment. A Amiens, quelques pesons, fusaïoles et aiguilles à chas témoignent de la même production63. Tandis qu’à Trèves, qui serait censée fournir des données abondantes en raison de la présence du mausolée d’Igel dans la campagne proche de la ville antique, il semble que ce ne soit point le cas. M. Luik a du mal à trouver des vestiges de ce type d’artisanat en ville et s’interroge sur la possibilité d’en trouver dans la périphérie urbaine64. Néanmoins, il faut reconnaître avec lui qu’il s’agit de vestiges difficiles à mettre en évidence du point de vue archéologique.

En Gaule Lyonnaise, Autun (Augustodunum), l’une des villes mentionnées par la Notitia Dignitatum ayant eu un gynécée, compte parmi ses trouvailles des aiguilles à chas, des fuseaux, des lames de tisserand, des fusaïoles, une probable bobine à fil, des pesons de métier à tisser et des peignes pour démêler la laine et des forces65. La ville de Langres, bien représentée par deux marchands, un vestiarius en ville et un sagarius dans le territoire, et chef-lieu du territoire des Lingons, éponyme des cuculli cités par Martial (cf. supra), ne paraît pas non plus offrir une grande richesse en matériel lié à la production et à l’élaboration de textiles, à l’exception d’un fuseau de tisserand (sic) provenant de la rue de Nevers, dans un contexte de trouvailles d’objets de tabletterie66.

7.4.- un aRtisanat RuRal?

Dans les premiers pages de cette contribution, on a bien insisté sur la nécessité de trouver d’éventuelles traces de structures de production qui pourraient être à l’origine d’un réseau marchand tel qu’on l’identifie à partir des inscriptions ou des textes. On a vu que les villes, surtout les chefs-lieux de cités, ont quelques éléments qui permettent de repérer quelques phases de la transformation de la laine en étoffes. En milieu rural, A. Ferdière à récemment posé la question sur ces «propriétaires fonciers qui se tournent vers des activités manufacturières et des productions de masse destinées à une économie de marché largement ouverte vers les exportations [qui] doit être dissociée de l’évocation, certes obsolète, de l’‘autarcie’ domaniale»67. D’autres productions (céramique notamment) sont plus perceptibles en archéologie que le textile. Cependant, le même auteur, dans une région autre que celle qui nous intéresse, mais limitrophe tout de même (Centre, Nord-Ouest, Centre-Ouest), a pu démontrer que l’artisanat du textile, le tissage, la foulonnerie, la teinturerie, la draperie (à l’exception du filage, activité considérée par l’auteur comme «non artisanale mais relevant plutôt du cadre domestique rural») est une activité qui se partage entre les agglomérations secondaires (1/3) et les sites ruraux (2/3)68. Ceci est en contradiction avec ce qu’on

61 J.-P. Wild, Textile manufacture…, 30.62 G. deboRde, Augustobona (Troyes), chef-lieu des Tricasses, in : R. hanoune (dir.), Les villes romaines du Nord de la Gaule. Vingt ans de recherches nouvelles, 2007, 347.63 collectiF, La marque de Rome. Samarobriva et les villes du nord de la Gaule, Amiens 2004, 110.64 M. luik, Kunsthandwerkliche Produktion im römischen Trier, in : J.-c. beal, J.-c. GoYon, Les Artisans dans la Ville antique, Collection Archéologie et Histoire de l’Antiquité, Université Lumière-Lyon 2, vol. 6, Lyon, 2002, 147-148.65 collectiF, Autun Augustodunum, Capital des Éduens, Autun 1987, 219-224.66 M. JolY, Langres. Pré-inventaire archéologique, (coll. CAG, 52/2), Paris 2001, 160.67 A. FeRdièRe, Des maîtres de domaines investissent dans la manufacture : fundus et production artisanale en Gaule romaine, Ager. Bulletin de liason 17, 2007, 9.68 A. FeRdièRe, La place de l’artisanat…, 20.

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connaît pour les cités des Carnutes, des Bituriges et des Turons69, où ces activités sont concentrées surtout dans les villes et des autres agglomérations. En revanche, la pondération des vestiges à partir de la quantité des pesons recensés par site font conclure à A. Ferdière que «les sites ruraux restent simplement évidemment plus nombreux par nature, comme déjà noté, et peut-être plus concernés alors par une production quasi domestique que par celle de masse destinée au marché, celle mentionnée dans les textes et l’épigraphie» 70.

Un site rural qui a fourni une quantité assez importante de pesons est le site laténien et gallo-romain des « Trois Mares » à Palaiseau (Essonne)71. Le poids total s’élève à 31 kg dont les pesons conservés sur plus de la moitié représentent 16,3 kg. Les contextes chronologiques de la découverte sont distribués entre la Tène C2 et D1 et l’époque augustéenne et la première moitié du Ier siècle ap. J.-C., période à laquelle appartient 57,7% des trouvailles.

A l’heure actuelle, en Champagne-Ardenne, il n’est pas possible fournir suffisamment de données, concernant les activités artisanales en relation avec le textile, pour abonder dans le sens de ces conclusions ou pour les infirmer. On dispose néanmoins des données qualitatives sur la villa d’Andilly-en-Bassigny qui pour l’instant à fourni une quantité non négligeable de forces (bien que la tonte suffirait à expliquer leur présence) et un peigne pour démêler la laine, tous instruments servant à préparer la fibre avant le filage.

Un autre type de vestiges ruraux, qui ne concernent pas la transformation artisanale mais le pastoralisme, est représenté par les hameaux pastoraux qui démontrent une forte spécialisation dans la phase de production dans les Vosges septentrionales. Il s’agit de chemins à bestiaux, des Viehwege, associés à des résidences «habitats, nécropoles et sanctuaires rattachés à des couloirs artificiellement encaissés entre deux murs de pierre sèche (…) enfermant un passage de 3 à 6 m de large et présentant un plan en entonnoir». L’architecture «de ces couloirs-corrals implique soit l’action de grands propriétaires disposant d’une forte main-d’œuvre, soit l’association de moyens ou petits éleveurs»72. Ces hameaux se trouvent entre Metz-Divodurum et Strasbourg-Argentorate mais très proche de Marsal, le Marosallensis vicus, à 55 km de Metz, sur le grand axe qui se dirige vers le limes.

Dans un contexte rural non loin de Reims, dans la vallée de la Vesle et aux environs d’un ancien oppidum abandonné, celui de la Cheppe, a été trouvé une structure excavée de tissage du Haut-Empire (figs. 3, 4). Il est fort probable qu’il a existé ici une activité de tissage pendant la phase protohistorique qui aurait précédé le métier à tisser de l’habitat gallo-romain daté entre la fin du Ier siècle et du IIIe siècle ap. J.-C. Par ailleurs, la vallée de la Vesle est riche en productions artisanales céramiques, liées souvent à d’autres activités artisanales (métallurgie du fer et du bronze et tabletterie)73.

«Entre 1978 et 1986, à l’intérieur du Camp Militaire de Mourmelon, furent explorées partiellement deux sites archéologiques, l’un de la Tène Finale et l’autre de l’époque gallo-romaine appelés «La Cheppe – Camp de Mourmelon».

69 A. FeRdièRe, Le travail du textile en Région Centre de l’Âge du Fer au Haut Moyen-Âge, RAC, 23, 3, 209-275, cité par A. FeRdièRe, La place de l’artisanat…, 20.70 A. FeRdièRe, La place de l’artisanat…, 21.71 o. blin, F. médaRd, m.-p. puYbaRet, Fils et pesons…, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 161.72 J. haRmand, Les groupes des Viehwege vosgiens: une zone d’élevage gallo-romaine en basse montagne, in: L’élevage et la vie pastorale dans les montagnes de l’Europe au moyen âge et à l’époque moderne, Clermont-Ferrand 1984, 203-215 ; p. Flotté, m. Fuchs, Le Bas-Rhin, (coll. CAG, 67/1), Paris 2000.73 m. chossenot, La production de céramique gallo-romaine en Champagne : une activité essentiellement rurale (?), Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 104.

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Ce dernier situé à environ 600 mètres de la voie romaine, Reims-Metz par Bar-le-Duc, fouillé sur 150 m2 environ, a livré une partie des vestiges d’un habitat gallo-romain sur poteaux de bois comportant les restes très dégradés de murs. A l’extérieur se trouvaient deux caves dont l’une incluait les restes de ce qui pourrait être un atelier de tissage. Il s’agit d’une structure enterrée de 3 x 2,5 x 1,2 m, creusée dans la craie possédant à l’angle ouest une «annexe» sous forme de fosse de 2,1 x 1,8 x 1,4 m. La base des murs était faite de blocs de silex et craie, de morceaux de tuiles, surmontés par des carreaux de terre. Deux trous peu profonds (0,11-0,18 m ; entraxe de 1,3) étaient creusés en plein milieu.

Ces deux trous de poteau peuvent avoir servi à soutenir une protection, sorte de toiture, mais leur position au milieu de la structure paraît curieuse. La présence de quatre pesons de tissage de forme triangulaire en argile cuite et de fragments d’autres exemplaires dans le remplissage, permet de proposer un atelier de tissage: les deux poteaux pouvant être aussi destinés à loger les montants verticaux du métier. D’autres pesons ont été trouvés dans la partie d’habitat du site montrant que le tissage a été pratiqué sur le site si non dans cette structure.

Les relations entre la grande cave et l’annexe, une couche de terre noire contenant du mobilier, permet d’attester la continuité du niveau d’utilisation; en revanche, rien n’empêche que la grande cave soit postérieure à l’annexe dont le mur est aurait été détruit lors du creusement de la grande structure. Le mobilier du remplissage s’étage de la 2e moitié du Ier s. de notre ère au IIIe s. (je verrai assez bien la petite cave – atelier de la 2e moitié du Ier s. et la grande structure du IIe siècle, en continuité chronologique et en usage jusqu’à la fin du IIIe siècle)»74.

7.5.- thématiques de RecheRche

Il sera nécessaire de déterminer le bien fondé des intuitions exprimées dans cet article. Trois grands groupes de questionnements peuvent se dégager. Le premier porte sur les aspects méthodologiques. À présent, on peut utiliser d’autres marqueurs paléo-environnementaux, comme des matières premières, telles la craie et la terre à fouler (également l’alun dont la présence est attesté par des amphores), ou des fossiles des parasites tel que le Dicrocoelium sp., identifié en fouille75. Dans les recherches à venir il faudra aussi définir si les différentes combinaisons observées de révélateurs matériels répondent à des fonctionnalités bien déterminées, comme l’ont tenté, pour divers ensembles de la Gaule, F. Berthault et P. Borgard dans le cadre du PCR «Alun et artisans en Aquitaine à l’époque romaine»76:

• Les vestiges de la rue Carnot (pesons + amphores liparotes + Dicrocoelium sp.) sont-ils plutôt révélateurs de la présence d’une tannerie que d’un atelier de tissage, car les pesons semblent avoir un caractère plutôt résiduel?

• Ceux de la zone 2 de la rue de Venise dont l’association de pesons avec des caves, pourraient-ils révéler l’existence d’un gynécée ? Les indices de la zone 3 (pesons et structures de stockage) se rapporteraient-ils à des hangars?

74 Texte de M. Chossenot, que je remercie pour la rédaction de cette notice et pour l’autorisation de publier la figure de la cave ; pour la notice du site, voir : R. chossenot, J.-J. chaRpY, Marne. Pré-inventaire archéologique, (coll. CAG, 51/1), Paris 2004, 337-338, fig. 223.75 Il ne faut pas oublier un nouveau marqueur récemment mis en évidence pour le pastoralisme ou bien pour les concentrations importantes des moutons, à partir des acariens oribatides : A. chepstoW-lustY, A. Gioda, M. FRoGleY, B. baueR, Evaluating socio-economic changes in the Andes using oribatid mites abundances as indicators of domestic animal densities, Journal of Archaeological Science, 34-7, 2007, 1178-1186.76 F. beRthault, Alun et artisanat en Gaule romaine, in: P. boRGaRd, J.-P. bRun, M. picon, L’alun de Méditerranée, Naples/Aix-en-Provence 2005, 323-334.

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• Ou, enfin, les restes de la rue de l’Equerre (pesons, amphores liparotes et terre à fouler), peuvent-ils se rapporter à foulerie et/ou à une teinturerie?

Les structures de stockage de la rue Venise, bien difficiles à discerner, mais révélées par la bonne pratique des archéologues rémois, mettent en évidence le compromis nécessaire entre l’humidité dont on a besoin pour le travail du tissage et l’aération indispensable au stockage du produit fini, le drap avant son cheminement vers le consommateur final.

En deuxième lieu, la question de l’origine protohistorique et le moment où cette «production régionale indigène» devient un artisanat, plus ou moins spécialisé, destiné à produire des biens d’échange, ainsi que l’intégration à l’échelle de l’économie de l’Empire romain. Les données de l’archéozoologie d’Acy-Romance montrent que l’évolution propre des sociétés protohistoriques (à La Tène D2) avait tendance à s’orienter vers la production de laine et vers la standardisation des tissus, qui ne se justifie que dans un contexte de division du travail, ainsi que dans une économie intégrée, au moins, à l’échelle régionale. Les fouilles de la rue Carnot montrent, probablement, les premiers vestiges d’un artisanat urbain, contemporain d’Acy-Romance avec, déjà, des importations d’amphores d’alun en relation avec des pesons de métier à tisser triangulaires à trois perforations77. En tous cas, il s’agit d’un témoin indirect du caractère «urbain» du premier oppidum, avant la ville augustéenne, et de l’intégration de cette économie régionale à un niveau d’échanges assez larges, avant la Conquête78, dont le texte de Strabon, cité plus haut, n’est qu’une preuve de l’essor des produits belges à l’extérieur.

Enfin, une dernière série de questions qui se posent concerne les relations ville-campagne, la production en ville ou dans les villae et la destination des productions. Tous les indices montrent l’existence d’une production et désignent des espaces assez spécialisés au cœur de la ville. En revanche, à l’heure actuelle, les preuves archéologiques vont plutôt dans le sens d’une faible activité artisanale de ce type dans les campagnes: deux tessons d’amphore d’alun dans une seule villa de la Gaule79, manque de gynécées au sein des villae en monde rural –à l’exception près de la Cheppe-Mourmelon et, probablement, du site des Trois Mares (Essonne)? –, en tenant compte du fait qu’on peut considérer que la seule trouvaille de peignes à démêler la laine s’inscrit dans le cadre domestique rural avant le filage80. Pourtant, d’après l’impression des archéologues de la zone qui nous intéresse, les structures excavées à tisser sont presque systématiques dans les campagnes médiévales de la région81. S’il existait une production telle que celle considéré par J.-P. Wild comme «une activité agricole sur les terres des villas en Gaule», et une production de quatre capes par an pendant la basse saison de chaque famille paysanne82 il faudrait trouver des structures productives conséquentes. Des recherches à venir, focalisées sur cette problématique autour des chefs-lieux des cités renommées comme productrices de tissus (les Lingons ou les Rèmes entre autres), pourraient permettre d’établir le cadre productif environnemental plus apte à l’élevage, ainsi que les terroirs vouées à cette production.

77 Il faudrait résoudre la question de la substance qui était utilisée, avant de l’arrivée de l’alun de Lipari, comme mordant pour la teinture de la laine.78 P. leVeau, Inégalités régionales et développement économique dans l’Occident romain : Gaules, Afrique et Hispanie, in : J.-P. bost, J.-M. Roddaz, F. tassaux, Itinéraire de Saintes à Dougga : mélanges offerts à Louis Maurin, Bordeaux 2003, 327-353.79 F. beRthault, Alun et artisanat…, 328, note 8.80 Cf. a contrario J.-P. Wild, Textile manufacture…, 33 : “Finds from small towns suggest that these were the woolcombers’ base –but there are also finds from villa sites”.81 Il serait nécessaire de vérifier cette question par une recherche exhaustive, mais c’est, pour le moment, la conclusion qu’on peut en tirer des conversations avec des archéologues comme A. Koehler ou F. Le Roux.82 J.-P. Wild, Textiles et activités…, 91.

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En tout cas, les vestiges urbains de Reims et leur chronologie sont en contradiction avec l’idée proposée par Wild sur «However, the state weaving factories, planted by Diocletian in strategic cities like Trier and Reims, represent the introduction of urban industrial practices from the eastern Roman world. the introduction of urban industrial practices from the eastern Roman world», à partir de la dénomination par peuple des produits dans l’Edit de Dioclétien83. La production textile ne serait pas étrangère à la ville, chef-lieu des Rèmes, de la fin de la Protohistoire et le Haut-Empire, comme on le pu voir.

Il est plus difficile de savoir si c’est la demande des militaires cantonnés sur le limes qui engendre cette situation. Les calculs de la demande des légions du limes de Wild84, ainsi que de la dispersion spatiale et l’origo des inscriptions de marchands de textile faite par Verboeven85, vont dans le sens des deux propositions des deux auteurs: le limes serait à l’origine de la demande qui aurait permis le développement de l’artisanat urbain ou rural. De la même manière, lorsqu’on regarde toutes les cartes de dispersion des témoins concernant les marchands et les plus importants documents concernant les classes qui auraient un rapport avec le textile, il se dessine un axe qui, de Lyon, mène au limes germanique: Langres, Metz, Trèves… Reims reste à la charnière entre cette région et celle de l’ouest de la Gaule Belgique. C’est peut-être pour cela que M.-E. Wightman voyait, dans son article posthume, un clivage entre l’est et l’ouest de la province, un développement urbain et une circulation monétaire plus vive, peut-être le «reflet d’un échange plus vif de biens et de services contre espèces» 86.

Mais une demande purement régionale et une demande urbaine propre à une ville de 500 ha, comme Reims, pourrait également expliquer ce développement du textile, illustré tant dans le ballot de laine figurant sur un bloc architectural en cours d’étude trouvé rue Belin, que dans la figuration du torcular fulonica du relief exposée au musée de Saint-Remi, ou encore dans le relief des pâturages correspondant au mois de novembre87 du calendrier agricole de la Porte de Mars.

83 J.-P. Wild, Textile manufacture…, 34 ; J.-P. Wild, Textiles et activités…, 92 ; cf. a contrario A. FeRdièRe, La place du domaine foncier…, Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2003, 272 : « … car c’est aussi à cette période que l’on prend l’habitude de dénommer les villes, chefs-lieux de cité, sous le nom des peuples occupant leur territoire ».84 J.-P. Wild, Textile manufacture…, 3485 K. VeRboeVen, Good for Business…86 M.-E. WiGthman, Les villes de la Gaule Belgique : quelques considérations socioéconomiques, in : Les villes de la Gaule Belgique au Haut-Empire. Actes du Colloque tenu à Saint-Riquier (Somme), Amiens 1984, 70-71.87 Y. buRnand, La prémière identification de la moissoneuse gallo-romaine sur la “Porte de Mars” à Reims, 95e Congrès national des sociétés savantes, Reims 1970, 85-92.

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Figure 3.- Structure excavée de « La Cheppe – Camp de Mourmelon » et peson trouvé en fouille.

Figure 4.- Restitution de la structure excavée de « La Cheppe – Camp de Mourmelon » par M. Poirier.