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Bilinguisme : anglophones et francophones se démarquent Page 2 HISTOIRE IDENTITÉS ET BILINGUISME Le commissaire aux langues officielles est optimiste Page 3 Le projet social est devenu une simple question linguistique Page 5 CAHIER THÉMATIQUE I › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 1 2 E T D I M A N C H E 1 3 O C T O B R E 2 01 3 L’histoire, d’hier à aujourd’hui Son enseignement est un ajout récent dans le programme scolaire québécois RÉGINALD HARVEY D enis Vaugeois, historien et éditeur, est devenu le premier responsable de l’enseignement de l’histoire lors de la création du ministère de l’Éducation, en 1964. Il aborde au passé et au présent le cheminement de cette discipline au sein du réseau scolaire québécois. Le cas est réglé expéditivement si on remonte avant le rapport Parent : «L’enseignement de l’histoire, ce n’était pas grand-chose et, même dans plusieurs collèges classiques, sauf exception, ce n’était pas une matière importante ; dans le cours secondaire public, c’était la même chose. » Il consent tout de même à poser ce regard sur le sort qui lui fut réservé dans un passé lointain et dans un autre plus rapproché : «L’histoire s’enseigne de- puis la nuit des temps, mais elle fut longtemps une matière réservée, dit-on, aux futurs rois. Elle valorisait les grands événements, les monarques, les héros. Au Québec, elle mit du temps avant de prendre sa place à l’université. Les départements d’histoire ont été créés dans les années 1940, à Laval sous l’impulsion de l’abbé Arthur Ma- heux et à Montréal sous celle de l’abbé Lionel Groulx. Le premier se faisait l’apôtre de la bonne entente, tandis que Groulx adoptait une approche plus com- bative et plus revendicatrice. Avec les années, en simplifiant un peu, les obser- vateurs distinguèrent deux écoles, l’une fédéraliste, l’autre nationaliste, Laval et Montréal. Aujourd’hui, plusieurs pré- tendent que cette distinction n’a plus de fondements, d’autres en doutent. M gr [Alphonse-Marie] Parent était bien au fait de ce clivage et le rapport dont il porte la paternité souhaite un enseigne- ment de l’histoire dénué de préjugés et éloigné de toute propagande. » Et à compter de 1966… Denis Vaugeois se penche sur le grand vi- rage en éducation effectué il y a 50 ans et laisse savoir que les programmes d’histoire qui ont été mis en place à partir de 1966 respectaient les orientations du rapport Parent. Ils ont été mis au point par des historiens qui venaient de Laval et de Montréal ou encore des principales écoles normales : «L’influence de ces derniers est considérable et l’histoire est considérée comme une discipline ayant une grande valeur de forma- tion : il en découle notamment l’habitude de dé- cortiquer un texte, de le critiquer, de l’analyser, d’en tirer l’essentiel, etc. Les objectifs sont de met- tre l’étudiant en contact avec le passé de façon à le conduire à mieux comprendre l’évolution des sociétés. Elle doit aussi permettre d’éclairer le présent. L’enchaînement des faits est important, l’histoire événementielle et même la chronologie sont valorisées. » Il ajoute cette dimension à la démarche rete- nue : « Elle ne signifie pas un bourrage de crânes ou une mémorisation de noms et de dates. Les causes et les effets sont au cœur de la démarche et l’acquisition des connaissances se fait par des étapes de compréhension et d’analyse. Les tra- vaux pratiques sont au rendez-vous et la règle d’or des pédagogues consiste à rendre l’étudiant actif. Le cours magistral fait place à des classes- laboratoires chez les jeunes professeurs issus des écoles normales. » En 1995, un groupe de travail dirigé par Jacques Lacoursière est formé pour se pencher sur l’enseignement de l’histoire ; il préconise une plus grande ouverture sur le monde et sa principale recommandation concerne le temps à consacrer à l’histoire : « Il faudra 10 ans pour en arriver à des changements et obtenir que le nombre d’heures soit doublé. » Il passe à un autre moment charnière : « Entretemps, des expé- riences menées ailleurs à partir de 2006 incitent des responsables à réorienter en profondeur les cours d’histoire et de géographie et à en faire un cours de sensibilisation à la citoyenneté. Les op- positions furent fortes et se divisaient en deux camps : on a voulu y voir uniquement les protes- tations de nationalistes québécois, alors que les plus vraies et plus pertinentes critiques portaient sur la valeur même de l’histoire qui est niée. » L’approche didactique brouille les cartes Denis Vaugeois apporte cet éclairage : « Il faut savoir que, dans le même temps, la forma- tion du futur enseignant du secondaire nécessite quatre années d’études universitaires, dont trois en psychopédagogie. Les connaissances en his- toire sont forcément reléguées au second plan. Les didacticiens ont pris le contrôle des programmes et, en vertu de la nouvelle approche, “ les trois compé- tences à transmettre aux élèves sont de les amener à intégrer les réalités so- ciales actuelles dans une perspective historique, de leur permettre d’inter- préter ces réalités à l’aide de la mé- thode historique et de leur donner les moyens de construire, puis de consoli- der, leur conscience citoyenne à l’aide de l’histoire ”. » À la suite de quoi, Denis Vaugeois élabore sa pensée : «Pour y arriver, le professeur a deux fois plus de temps qu’auparavant, mais on lui impose une approche événementielle en troi- sième secondaire et une approche thé- matique en quatrième secondaire. Théoriquement valable, cette façon de faire ennuie élèves et professeurs. Et la grande majorité souhaite intégrer les deux approches et procéder plutôt à une coupure chronologique. Il faut dire que le nouveau contenu a provo- qué plusieurs critiques, qui ont amené les responsables à ouvrir la porte à un enrichissement des contenus. » Il se montre beaucoup plus mordant : « Il est vrai que le programme actuel permet de traiter de tout et de rien. Mais on met la charrue avant les bœufs. Depuis longtemps, des professeurs par- tent du présent pour obtenir l’attention des élèves. Les journaux fournissent chaque jour une ma- tière inépuisable, mais ce sont des déclencheurs. On est bien loin de “ l’intégration des réalités so- ciales dans une perspective historique ” ou de “ l’interprétation des réalités sociales à l’aide de la méthode historique ”, etc. » L’avenir Il en rajoute : « À vrai dire, je ne connais rien de plus prétentieux et illusoire. Par ailleurs, je veux bien que l’histoire aide les jeunes “à construire et à consolider leur conscience ci- toyenne”, mais pas en leur disant quoi penser, mais comment apprécier, juger, critiquer un pro- gramme politique. Il faut leur donner des outils et non des recettes. C’est le mérite d’un bon cours d’histoire. » Il signale, en se tournant vers le futur, que le ministère de l’Éducation vient de former un mi- nigroupe de travail présidé par Jacques Beau- chemin, un sociologue très tourné vers l’his- toire : « Pour l’instant, ce groupe est très discret. À mon avis, sa première recommandation sera de répartir la matière sur deux ans. Quant aux contenus, on peut toujours les revoir, mais je plaide pour la plus grande liberté possible laissée aux professeurs. Toutefois, la formation de ces derniers doit être davantage axée sur les conte- nus, comme c’était le cas autrefois. » Et il se montre très favorable à la volonté du gouvernement de Pauline Marois d’instaurer un cours d’histoire obligatoire au collégial, où les étudiants seraient mieux en mesure d’assi- miler certaines notions complexes qui sont moins accessibles à des jeunes du secondaire. Collaborateur Le Devoir Le Québec patientera jusqu’à la profonde réforme en éducation des années 1960 avant que l’histoire ne devienne une matière d’une plus grande rigueur intellectuelle qui s’intègre au pro- gramme scolaire ; à partir de 1966, les nouveaux programmes élaborés sont dispensés dans les établissements d’enseignement sur une base régulière. Denis Vaugeois raconte l’hier et dé- crit l’aujourd’hui en cette matière. Denis Vaugeois «Il faut leur donner des outils et non des recettes. C’est le mérite d’un bon cours d’histoire.» ÉMILIE PELLETIER AGENCE FRANCE-PRESSE Les cours d’histoire ont pour objectif notamment d’amener les élèves à comprendre le présent à la lumière du passé. GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE

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Page 1: HISTOIRE · 2013-10-11 · HISTOIRE I 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 12 ET DIMANCHE 13 OCTOBRE 2013 DU BILINGUISME AU MULTICULTURALISME Selon qu’on est anglophone ou francophone... Un

Bilinguisme :anglophones etfrancophonesse démarquentPage 2

HISTOIREIDENTITÉS ET B IL INGUISME

Le commissaireaux languesofficielles est optimistePage 3

Le projet social est devenu unesimple questionlinguistiquePage 5

C A H I E R T H É M A T I Q U E I › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 2 E T D I M A N C H E 1 3 O C T O B R E 2 0 1 3

L’histoire, d’hier à aujourd’huiSon enseignement est un ajout récent dans le programme scolaire québécois

R É G I N A L D H A R V E Y

D enis Vaugeois, historien et éditeur,est devenu le premier responsablede l’enseignement de l’histoirelors de la création du ministère del’Éducation, en 1964. Il aborde au

passé et au présent le cheminement de cettediscipline au sein du réseau scolaire québécois.Le cas est réglé expéditivement si on remonteavant le rapport Parent : « L’enseignement del’histoire, ce n’était pas grand-chose et, mêmedans plusieurs collèges classiques, sauf exception,ce n’était pas une matière importante ; dans lecours secondaire public, c’était la même chose. »

Il consent tout de même à poser ce regardsur le sort qui lui fut réservé dans unpassé lointain et dans un autre plusrapproché : « L’histoire s’enseigne de-puis la nuit des temps, mais elle futlongtemps une matière réservée, dit-on,aux futurs rois. Elle valorisait lesgrands événements, les monarques, leshéros. Au Québec, elle mit du tempsavant de prendre sa place à l’université.Les dépar tements d’histoire ont étécréés dans les années 1940, à Lavalsous l’impulsion de l’abbé Arthur Ma-heux et à Montréal sous celle de l’abbéLionel Groulx. Le premier se faisaitl’apôtre de la bonne entente, tandis queGroulx adoptait une approche plus com-bative et plus revendicatrice. Avec lesannées, en simplifiant un peu, les obser-vateurs distinguèrent deux écoles, l’unefédéraliste, l’autre nationaliste, Lavalet Montréal. Aujourd’hui, plusieurs pré-tendent que cette distinction n’a plus defondements, d’autres en doutent. Mgr

[Alphonse-Marie] Parent était bien aufait de ce clivage et le rapport dont ilporte la paternité souhaite un enseigne-ment de l’histoire dénué de préjugés etéloigné de toute propagande. »

Et à compter de 1966…Denis Vaugeois se penche sur le grand vi-

rage en éducation effectué il y a 50 ans et laissesavoir que les programmes d’histoire qui ontété mis en place à partir de 1966 respectaientles orientations du rapport Parent. Ils ont étémis au point par des historiens qui venaient deLaval et de Montréal ou encore des principalesécoles normales : «L’influence de ces derniers estconsidérable et l’histoire est considérée commeune discipline ayant une grande valeur de forma-tion : il en découle notamment l’habitude de dé-cortiquer un texte, de le critiquer, de l’analyser,d’en tirer l’essentiel, etc. Les objectifs sont de met-tre l’étudiant en contact avec le passé de façon àle conduire à mieux comprendre l’évolution dessociétés. Elle doit aussi permettre d’éclairer leprésent. L’enchaînement des faits est important,l’histoire événementielle et même la chronologiesont valorisées. »

Il ajoute cette dimension à la démarche rete-nue : «Elle ne signifie pas un bourrage de crânesou une mémorisation de noms et de dates. Lescauses et les ef fets sont au cœur de la démarcheet l’acquisition des connaissances se fait par desétapes de compréhension et d’analyse. Les tra-vaux pratiques sont au rendez-vous et la règled’or des pédagogues consiste à rendre l’étudiantactif. Le cours magistral fait place à des classes-laboratoires chez les jeunes professeurs issus desécoles normales. »

En 1995, un groupe de travail dirigé parJacques Lacoursière est formé pour se penchersur l’enseignement de l’histoire ; il préconiseune plus grande ouverture sur le monde et saprincipale recommandation concerne le tempsà consacrer à l’histoire : « Il faudra 10 ans pouren arriver à des changements et obtenir que lenombre d’heures soit doublé. » Il passe à un autremoment charnière : « Entretemps, des expé-riences menées ailleurs à partir de 2006 incitentdes responsables à réorienter en profondeur les

cours d’histoire et de géographie et à en faire uncours de sensibilisation à la citoyenneté. Les op-positions furent for tes et se divisaient en deuxcamps : on a voulu y voir uniquement les protes-tations de nationalistes québécois, alors que lesplus vraies et plus pertinentes critiques portaientsur la valeur même de l’histoire qui est niée. »

L’approche didactiquebrouille les cartes

Denis Vaugeois apporte cet éclairage : « Ilfaut savoir que, dans le même temps, la forma-tion du futur enseignant du secondaire nécessitequatre années d’études universitaires, dont troisen psychopédagogie. Les connaissances en his-toire sont forcément reléguées au second plan.

Les didacticiens ont pris le contrôledes programmes et, en ver tu de lanouvelle approche, “ les trois compé-tences à transmettre aux élèves sont deles amener à intégrer les réalités so-ciales actuelles dans une perspectivehistorique, de leur permettre d’inter-préter ces réalités à l’aide de la mé-thode historique et de leur donner lesmoyens de construire, puis de consoli-der, leur conscience citoyenne à l’aidede l’histoire ”. »

À la suite de quoi, Denis Vaugeoisélabore sa pensée : «Pour y arriver, leprofesseur a deux fois plus de tempsqu’auparavant, mais on lui imposeune approche événementielle en troi-sième secondaire et une approche thé-matique en quatrième secondaire.Théoriquement valable, cette façon defaire ennuie élèves et professeurs. Et lagrande majorité souhaite intégrer lesdeux approches et procéder plutôt àune coupure chronologique. Il fautdire que le nouveau contenu a provo-qué plusieurs critiques, qui ont amenéles responsables à ouvrir la porte à un

enrichissement des contenus. »Il se montre beaucoup plus mordant : « Il est

vrai que le programme actuel permet de traiterde tout et de rien. Mais on met la charrue avantles bœufs. Depuis longtemps, des professeurs par-tent du présent pour obtenir l’attention des élèves.Les journaux fournissent chaque jour une ma-tière inépuisable, mais ce sont des déclencheurs.On est bien loin de “ l’intégration des réalités so-ciales dans une perspective historique ” ou de“ l’interprétation des réalités sociales à l’aide dela méthode historique ”, etc. »

L’avenirIl en rajoute : «À vrai dire, je ne connais rien

de plus prétentieux et illusoire. Par ailleurs, jeveux bien que l’histoire aide les jeunes “ àconstruire et à consolider leur conscience ci-toyenne ”, mais pas en leur disant quoi penser,mais comment apprécier, juger, critiquer un pro-gramme politique. Il faut leur donner des outilset non des recettes. C’est le mérite d’un bon coursd’histoire. »

Il signale, en se tournant vers le futur, que leministère de l’Éducation vient de former un mi-nigroupe de travail présidé par Jacques Beau-chemin, un sociologue très tourné vers l’his-toire : « Pour l’instant, ce groupe est très discret.À mon avis, sa première recommandation serade répartir la matière sur deux ans. Quant auxcontenus, on peut toujours les revoir, mais jeplaide pour la plus grande liberté possible laisséeaux professeurs. Toutefois, la formation de cesderniers doit être davantage axée sur les conte-nus, comme c’était le cas autrefois. »

Et il se montre très favorable à la volonté dugouvernement de Pauline Marois d’instaurerun cours d’histoire obligatoire au collégial, oùles étudiants seraient mieux en mesure d’assi-miler cer taines notions complexes qui sontmoins accessibles à des jeunes du secondaire.

CollaborateurLe Devoir

Le Québec patientera jusqu’à la profonde réforme en éducation des années 1960 avant quel’histoire ne devienne une matière d’une plus grande rigueur intellectuelle qui s’intègre au pro-gramme scolaire ; à partir de 1966, les nouveaux programmes élaborés sont dispensés dansles établissements d’enseignement sur une base régulière. Denis Vaugeois raconte l’hier et dé-crit l’aujourd’hui en cette matière.

Denis Vaugeois

«Il faut leurdonner desoutils et nondes recettes.C’est le mérited’un boncoursd’histoire.»

ÉMILIE PELLETIER AGENCE FRANCE-PRESSE

Les cours d’histoire ont pour objectif notamment d’amener les élèves à comprendre le présent à lalumière du passé.

GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE

Page 2: HISTOIRE · 2013-10-11 · HISTOIRE I 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 12 ET DIMANCHE 13 OCTOBRE 2013 DU BILINGUISME AU MULTICULTURALISME Selon qu’on est anglophone ou francophone... Un

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DU BILINGUISME AU MULTICULTURALISME

Selon qu’on est anglophone ou francophone...Un sondage évalue la perception qu’ont les Canadiens de leur identité

L’Association québécoise des enseignants en univers social (AQEUS) tiendra son congrès annueldu 16 au 18 octobre, au Domaine du Château-Bromont, sous le thème «Identités et engagement».Entrevue avec la présidente, Lise Proulx.

«IDENTITÉS ET ENGAGEMENT»

À propos d’histoire, de géographie et de sensibilisation à la citoyennetéIls sont 400 invités à se rendre à Bromont pour le congrès annuel de l’AQEUS

P I E R R E V A L L É E

A fin de trouver des élé-ments de réponse à cette

question: qu’en est-il du bilin-guisme et du biculturalisme?,l’Association d’études cana-diennes a commandé à lafirme Léger Marketing un son-dage portant sur la perceptionque les Canadiens ont de troisconcepts et d’une mesure ju-gés identitaires : le bilin-guisme, le biculturalisme, lemulticulturalisme et la poli-tique canadienne des languesofficielles. Le sondage a été ef-fectué au début du mois d’aoûtdernier auprès de 1500 répon-dants à travers le Canada.

Mais, avant de commenterce sondage, le directeur géné-ral de l’Association d’étudescanadiennes, Jack Jedwab,tient d’abord à faire deux dis-tinguos. « La Commission surle bilinguisme et le bicultura-lisme n’a jamais réussi à biencerner la notion de bicultura-lisme, ce qui a créé une cer-taine confusion dans l’esprit desgens. Est-ce que le bicultura-lisme voulait dire l’existence dedeux cultures canadiennes, cha-cune distincte, mais cohabitantl’une à côté de l’autre, ou est-ceque cela voulait dire que la cul-ture canadienne était plutôt un

mélange de ces deux cultures?»De plus, la définition des

deux cultures qu’adoptent lescommissaires pose aussi pro-blème. «Pour les commissaires,la culture anglaise est la cul-ture britannique dont le vecteurest la langue anglaise. Parcontre, la culture française estla culture canadienne-françaisedont le vecteur est la languefrançaise. À cette époque,c’était une perception large-ment répandue, mais qui a étévite dépassée avec l’arrivéed’une immigration encore plusimportante au Canada anglais,à la fin des années 1960 et audébut des années 1970. C’estainsi que le multiculturalismea pu faire son apparition dansle paysage canadien. »

Les résultats du sondageLa première question du

sondage por tait sur l’impor-tance accordée au multicultu-ralisme, au bilinguisme, au bi-culturalisme et à la politiquecanadienne sur les langues of-ficielles dans l’édification de lanation canadienne. Les répon-dants ont jugé impor tant lerôle de ces quatre élémentsdans les propor tions sui-vantes : 67% pour le multicultu-ralisme, 64 % pour le bilin-

guisme, 58 % pour le bicultura-lisme et 66 % pour la politiquecanadienne des langues of fi-cielles. « Ces résultats indi-quent clairement que la percep-tion de ces quatre éléments estplutôt favorable dans l’ensembledu pays. »

Par contre, certaines varia-t ions dans les résultats sepointent dans le sondage,lorsqu’on tient compte d’au-tres facteurs, comme lalangue, la région habitéeainsi que l ’âge des répon-dants. Par exemple, comptetenu de la langue, le sondagerévèle que les anglophones

sont plus favorables au multi-culturalisme (70 %) que ne lesont les francophones (56 %).En revanche, les francophonessont plus favorables au bilin-guisme (85 %) que ne le sontles anglophones (57 %). « Pourles francophones, le bilinguismeest surtout perçu comme la re-connaissance du français, ce quipeut expliquer la différence.»

L’âge exerce aussi une in-fluence sur la perception qu’ontles répondants. Par exemple, lemulticulturalisme obtient la fa-veur de 49 % des répondantsâgés de 18 à 24 ans, tandis qu’iln’obtient la faveur que de seule-

ment 21% des répondants âgésde plus de 65 ans. «La fracturese situe autour de 55 ans ; ceuxqui sont plus jeunes ont une per-ception plus favorable du multi-culturalisme que ceux qui sontplus vieux.»

La région aussi joue. Parexemple, 42 % des répondantshabitant la région atlantiqueont une perception favorabledu multiculturalisme, tandisqu’au Québec seulement 21 %des répondants en ont lamême perception. L’Ontario sesitue dans la moyenne, avec33 % de répondants qui y sontfavorables. Idem en ce qui atrait à l’évaluation des rela-tions entre les francophones etles anglophones. Si, dans l’en-semble, 45 % des répondantsestiment que les relations en-tre les francophones et les an-glophones se sont amélioréesdurant la dernière décennie,ce sont les résidants du Mani-toba et de la Saskatchewan quisont les plus optimistes (52 %)et les résidants de l’Alber taqui sont les plus pessimistes(39%).

En conclusionSelon Jack Jedwab, ce son-

dage permet aussi de faire desrecoupements fort révélateurs.«Par exemple, le sondage démon-tre que les répondants qui sontles plus favorables au multicul-turalisme sont aussi ceux quisont les plus favorables au bicul-turalisme. C’est que, dans leurperception, le multiculturalismen’est qu’une extension du bicul-

turalisme. À l’inverse, les répon-dants les moins favorables aumulticulturalisme sont aussiceux qui sont les moins favora-bles au biculturalisme, leur per-ception identitaire étant plutôtcelle de la singularisation. Il estdonc faux de prétendre que les te-nants du multiculturalisme sontopposés au biculturalisme et aubilinguisme. Ce sont plutôt lesopposants au multiculturalismequi s’opposent aussi au bicultu-ralisme et au bilinguisme.»

Jack Jedwab avance aussil’hypothèse que le multicultu-ralisme est perçu dif férem-ment selon qu’on est anglo-phone ou francophone, en par-ticulier si on est un franco-phone vivant au Québec.« Dans la perception anglo-phone du multiculturalisme, lesdif férentes cultures coexistent,mais elles sont toutes expriméespar le biais d’une même langue,soit l’anglais. Chez les franco-phones, et en par ticulier auQuébec, la langue française estperçue comme fondamentalepour l’expression de la culturecanadienne-française ou québé-coise. Le multiculturalisme adonc moins d’importance. Parcontre, les choses ont tendanceà changer car, au Québec,grâce à l’immigration et à laloi 101, on commence à voird’autres cultures que la culturecanadienne-française s’expri-mer par le biais de la languefrançaise. »

CollaborateurLe Devoir

Il y a 50 ans, la Commission royale d’enquête sur le bilin-guisme et le biculturalisme, aussi appelée commission Lau-rendeau-Dunton, du nom de ses deux coprésidents, posaitces deux concepts comme le socle sur lequel serait édifiéel’identité nationale canadienne. Qu’en est-il aujourd’hui ?

LA PRESSE CANADIENNE

La Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et lebiculturalisme était coprésidée par Davidson Dunton et AndréLaurendeau.

RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE

L’identité québécoise et canadienne sera au cœur du prochain congrès de l’AQEUS.

P I E R R E V A L L É E

L’ AQEUS regroupe principalement les ensei-gnants des niveaux primaire et secondaire

qui enseignent les matières liées à l’univers so-cial. «Au fond, ce qu’on appelle aujourd’hui dansnotre milieu l’univers social, c’est ce qu’on appe-lait autrefois dans notre milieu les sciences so-ciales, précise Lise Proulx. Nos membres sontdonc essentiellement des enseignants de géogra-phie ou d’histoire et de sensibilisation à la ci-toyenneté. Nous comptons aussi parmi nos mem-bres des conseillers pédagogiques ainsi que cer-tains universitaires, principalement des didacti-ciens, donc des spécialistes de la pédagogie. »

L’AQEUS compte présentement en-viron 400 membres et sa création re-monte à la fin des années 1960. «Lorsde sa création, l’association portait lenom de Société des professeurs de géo-graphie. Mais, en 2007, on a décidé dese moderniser et de s’ouvrir et le nom aété changé pour celui d’AQEUS, qui estplus représentatif de nos membres. »

Identités et engagementLa thématique retenue cette année

est « Identités et engagement ». « Çanous est apparu comme un thème inté-ressant et rassembleur. D’une par t,l’engagement, c’est au cœur de ce qu’estl’univers social. Quant à l’identité, ona pris soin de l’écrire au pluriel, car il ya plusieurs paliers d’identité, par exem-ple l’identité linguistique, culturelle,citoyenne, etc. Elle n’est pas si facile à définir queça, d’autant plus que les individus changent aulong de leur vie. On a pensé qu’en combinant lesdeux, identités et engagement, on avait là unthème auquel la majorité de nos membres pour-raient se rattacher. Nous essayons toujours dechoisir des thèmes assez vastes qui permettentd’inclure tous nos membres. »

La conférence d’ouverture, portant sur cethème, sera donnée par Michel C. Auger, jour-naliste chevronné aujourd’hui au micro de Ra-dio-Canada, et Graham Fraser, ancien journa-liste et actuel commissaire aux langues of fi-cielles du Canada. « Cela nous semble être unduo particulièrement intéressant. Nous avonshâte d’entendre ce que M. Fraser aura à dire duthème, car c’est un point de vue que nos membresn’ont pas souvent l’occasion d’entendre. »

De plus, une conférence pré-congrès seradonnée par Khalid Adnane, professeur et éco-nomiste associé à l’École de politique appli-quée de l’Université de Sherbrooke. « M. Ad-nane est un spécialiste de la mondialisation etla mondialisation a aussi un ef fet sur l’engage-ment et les identités. » Khalid Adnane est aussiresponsable du baccalauréat en enseigne-ment au secondaire pour le profil « Universsocial » à l’Université de Sherbrooke.

Et, comme il faut bien s’amuser un peu et queles congrès sont aussi une occasion de socialisa-tion et de réseautage, un souper-spectacle suivi

d’une soirée dansante est prévu à l’horaire. Il nefait aucun doute que les spectateurs riront, maisintelligemment, car le spectacle a été confié à l’hu-moriste et animateur Boucar Diouf. «Nous n’au-rions pas pu trouver quelqu’un de plus juste queBoucar Diouf pour aborder de façon humoristiquela thématique des identités et de l’engagement.»

Les ateliersQuant aux ateliers, on en compte une bonne cin-

quantaine. «On demande aux conférenciers et auxmembres des groupes de discussion de se coller le plusprès possible au thème retenu. Évidemment, ce n’estpas possible dans tous les ateliers. Par exemple, cer-tains ateliers portent sur des expériences particu-

lières vécues par des enseignants de l’uni-vers social. Les didacticiens vont plutôt seservir de leurs ateliers pour présenter denouveaux outils ou de nouvelles méthodespédagogiques pour l’enseignement des ma-tières de l’univers social. Nous avons mêmeorganisé un atelier portant sur le renouvel-lement du programme annoncé par la mi-nistre de l’Éducation et qui vise le renforce-ment de l’enseignement de l’histoire.Comme ce nouveau programme aura unimpact direct sur certains de nos ensei-gnants, aussi bien s’y préparer et peaufinernotre point de vue.»

En plus des ateliers, on a aussi prévu àl’horaire quelques sorties à l’extérieur,afin de permettre aux congressistes defaire connaissance avec le milieu. «Il fautcomprendre que nos congressistes sont des

professeurs d’histoire et de géographie, et connaîtreles lieux historiques comme géographiques d’une ré-gion non seulement représente pour eux un intérêtparticulier, mais cela peut aussi nourrir leur ensei-gnement.» De plus, on a aussi organisé une expo-sition où se trouveront, entre autres, des éditeursde matériel pédagogique.

Francophones hors QuébecCette année, l’Association des études cana-

diennes s’est associée à l’AQEUS pour l’organi-sation du congrès. «Chaque année, l’Associationd’études canadiennes choisit une associationdont le mandat se rapproche du sien et elle s’ycolle afin de participer à l’organisation de soncongrès. Cette année, c’est l’AQEUS qui a étéchoisie. » L’Association d’études canadiennes yorganisera même un atelier portant sur les 50ans de la Commission royale d’enquête sur lebilinguisme et le biculturalisme.

De plus, plusieurs de ses membres serontsur place et participeront aux ateliers. « C’estune occasion unique pour nous d’accueillir et derencontrer des enseignants francophones horsQuébec. Ces professeurs enseignent les mêmesdisciplines que nous et, même si les programmessont dif férents, ils enseignent tout de même,comme nous, à des enfants et à des jeunes qui, aufond, ne sont pas si différents des nôtres. »

CollaborateurLe Devoir

La thématiqueretenue cetteannée est «Identités etengagement »,un thèmeintéressant etrassembleuraux dires deLise Proulx

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H I S T O I R EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 2 E T D I M A N C H E 1 3 O C T O B R E 2 0 1 3 I 3

«Les jeunes savent sans connaître ». Tel est le thème de l’ex-posé que fera l’historien Jocelyn Létourneau au colloque del’AQEUS. Dans les faits, celui qui dirige la Chaire de re-cherche du Canada en histoire du Québec contemporain del’Université Laval fera état des résultats d’une vaste étudescientifique qu’il a conduite et qui portait sur la connaissanceque les jeunes Québécois ont de leur histoire et sur la percep-tion qu’ils en ont.

LES JEUNES ET L’HISTOIRE

Incultes, les jeunesQuébécois?Un corpus de réponses reçues de près de4500 récits et 3423 énoncés soutient l’étudede Jocelyn Létourneau

JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE

Le Commissariat aux langues of ficielles a été créé dans la foulée de la Loi sur les langues of ficielles adoptée en 1969 par le Parlement.

Un demi-siècle après la Com-mission royale d’enquête surle bilinguisme et le bicultura-lisme, Graham Fraser, com-missaire aux langues of fi-cielles, témoigne des progrèsréalisés au Canada, maisaussi du chemin qu’il reste àparcourir dans le domaine.

M A R T I N E L E T A R T E

L’ ordre du jour du Parle-ment et le menu de son

restaurant sont bilingues, lesfonctionnaires fédéraux fran-cophones ont progressé pourreprésenter maintenant prèsdu tiers de l’ef fectif, environ75 % des gens qui demandent àêtre servis en français par legouvernement fédéral le sont.

Aux yeux de Graham Fra-ser, on est loin de la per fec-tion, mais le biculturalisme etle bilinguisme ont progresséconsidérablement. « Il y a 50ans, même au Québec, onn’était pas assuré d’avoir desservices du gouvernement fédé-ral en français », raconte-t-il.

Graham Fraser se souvientégalement que, lorsqu’il est ar-rivé à Ottawa, en 1986, commejournaliste, les rapports et do-cuments du gouvernement fé-déral étaient souvent produitsen anglais avec la note« French to follow ». « Mainte-nant, ils sont rendus publics au-tomatiquement en français eten anglais », remarque-t-il.

Controverseset contestations

Des controverses éclatent àl’occasion, mais le commis-saire aux langues of ficiellesnote un changement dans lesréactions au pays. Il donnecomme exemple la nomina-tion, il y a deux ans, d’un vérifi-cateur général unilingue an-glophone. « La décision a étécritiquée par l’Edmonton Jour-nal, le Calgary Herald et l’Ot-tawa Citizen, qui ne sont pasnécessairement des chevaliersdans la guerre pour le bilin-guisme. Ils ont dit que, pourcertains postes, il est essentielque la personne soit capable decommuniquer avec tous les Ca-nadiens dans la langue of fi-cielle de leur choix. Le résultata été suf fisamment embarras-sant pour le gouvernementpour qu’il accepte le projet deloi privé qui a fait en sorte que,maintenant, tout agent du Par-lement doit être bilingue aumoment de sa nomination. »

Il remarque aussi que, main-tenant, il est presque inimagi-nable qu’un candidat à la di-rection d’un parti politique soitunilingue anglophone. « C’estdevenu incontournable dans laculture politique», affirme-t-il.

La réalité était for t dif fé-rente au pays il y a un demi-siècle. Lors des élections fédé-

rales en 1962, les conser va-teurs ont perdu leur majoritéavec l’élection de 26 députéscréditistes au Québec. « Ilsétaient en contraste avec les dé-putés antérieurs libéraux etconservateurs, traditionnelle-ment notaires et avocats, ra-conte Graham Fraser. Ils ve-naient de petites villes et ils ap-partenaient principalement àla classe ouvrière. »

À leur arrivée, ils ont décou-vert et dénoncé sans relâcheune ville et un Parlement quifonctionnaient entièrement enanglais. La controverse a éclatéau Québec lorsqu’on a de-mandé à Donald Gordon, prési-dent de la Compagnie des che-mins de fer nationaux du Ca-nada (CN), pourquoi aucun des17 vice-présidents basés àMontréal n’était canadien-fran-çais. «Il a affirmé que, s’il y enavait un de compétent, il seraitnommé! Le Québec était en furieet des manifestations ont eu lieudans les universités québécoises.»

Puis, les bombes du Frontde libération du Québec(FLQ) ont commencé à explo-ser à l’hiver 1963.

Alors que le Canada était ànouveau plongé en campagneélectorale, Lester B. Pearson apromis que, s’il était élu pre-mier ministre, il créerait unecommission d’enquête sur lebilinguisme et le bicultura-lisme. Ce qu’il fit.

André Laurendeau, le pre-mier à avoir proposé l’idée enjanvier 1962 dans un éditorialdu Devoir, a accepté de copré-sider la Commission royaled’enquête sur le bilinguisme etle biculturalisme avec David-son Dunton, recteur de l’Uni-versité Carleton.

Les conclusions de leurs tra-vaux ont appor té plusieurschangements au pays, commel’adoption de la Loi sur leslangues officielles. «On a aussigaranti les droits linguistiquesdans la Charte canadienne desdroits et libertés et créé des écoleset des commissions scolairesfrancophones à travers le pays»,indique M. Fraser.

Un «nous» plus inclusifCes progrès au pays n’ont

pas éliminé les menaces contrela langue française ici et ail-leurs, d’après Graham Fraser.«L’anglais est devenu la languede prédominance internationaledu commerce, de la recherchescientifique, de la culture inter-nationale», précise-t-il.

Le commissaire croit que leQuébec et les communautésminoritaires francophones aupays doivent maintenant s’ou-vrir aux immigrants, même sic’est un réel défi lorsqu’on asenti la menace de l’assimila-tion. Il voit certaines initiativesprometteuses, comme l’orga-nisme Accueil francophone, auManitoba, qui facilite l’intégra-tion des immigrants franco-phones. «La volonté est là, dit-il. Lorsque je traverse le pays, jevois à quel point les écoles fran-cophones sont des lieux d’accueilpour les immigrants d’Afrique etd’Haïti notamment.»

Pour Graham Fraser, on doitcomme société relever le granddéfi d’«agrandir le sentiment denous . La génération de mes pa-rents voyait les catholiquescomme des autres. Ma généra-tion a vu des progrès énormesdans la compréhension mutuelleentre les catholiques et les protes-tants. La culture juive a été vue

comme une culture étrangèrejusqu’aux années 60 et elle estmaintenant un élément de laculture majoritaire. Je pense quec’est le début d’un plus grandcontexte de diversité.»

Réussites et défisEn poste depuis 2006, Gra-

ham Fraser se réjouit degrandes réussites, comme lacréation du Programme d’ap-pui aux droits linguistiques. Ilremarque des initiatives ausuccès mitigé, comme le fran-çais aux Jeux olympiques deVancouver en 2010. « Sur leterrain, la présence du fran-çais a été une grande réussite,mais elle a été un échec à lacérémonie d’ouver ture , af -firme-t-il. L’expérience a portéses fruits, puisque nous avonsdéveloppé un guide pour l’or-ganisation de grands événe-ments sportifs et on a vu le ré-sultat extraordinaire aux Jeuxd’été du Canada, à Sher-brooke, en août. »

Il n’hésite pas toutefois à dé-plorer son incapacité à persua-der le gouvernement fédéral del’importance du bilinguismechez les juges de la Cour su-prême. Il est frappé de voir quel’argument utilisé contre cetteexigence est le même que celuiutilisé en 1969 contre la Loi surles langues officielles, soit queles gens de l’Ouest seraientécar tés des candidatures.«Lorsqu’on a la volonté de chan-ger une culture, le changementse fait», affirme-t-il.

L’adoption de la Loi sur leslangues officielles n’avait toute-fois pas pour objectif d’obligerles Canadiens à être bilingues.«On voulait plutôt que les fran-cophones du Canada reçoiventdu gouvernement fédéral des ser-vices de même qualité que lesanglophones, explique-t-il. Onvoulait permettre aux deux so-ciétés linguistiques de vivre côteà côte et on a fait beaucoup deprogrès, même s’il y a des ratés,de l’incompréhension et encoredes défis à relever.»

Deux événements récentsont permis à Graham Fraserde se rendre compte de l’am-pleur des progrès : les funé-railles d’État du chef néodé-mocrate Jack Layton en août2011, à Toronto, et la soiréeayant célébré le 40e anniver-saire du Centre national desarts à Ottawa, en 2009.

« On entendait des interven-tions en français, d’autres enanglais, et les deux suscitaientautant de réactions du public.Je pense qu’on a dépassé lestade où on se choque d’enten-dre l’autre langue. Le granddéfi maintenant est que les Ca-nadiens développent un senti-ment d’appar tenance à cesdeux langues, et ce, même s’ilsparlent seulement le françaisou l’anglais. »

CollaboratriceLe Devoir

LANGUES OFFICIELLES

Le commissaire est optimiste« Je pense qu’on a dépassé le stade où on se choque d’entendre l’autrelangue », affirme Graham Fraser

T H I E R R Y H A R O U N

U ne recherche sans précé-dent a été faite auprès de

centaines d’étudiants âgés de16 à 25 ans à travers le Qué-bec, sur une dizaine d’années,soit de 2003 à 2013. Et donc,avant et après la réforme del’enseignement de l’histoire en2006-2007. Le tout est compiléau sein d’un ouvrage intitulé Jeme souviens? Le passé du Qué-bec dans la conscience de sajeunesse, qui sortira chez Fidesdans les prochains mois. « Ondit que les jeunes ne saventstrictement rien sur l’histoiredu Québec. On dit qu’ils sontune génération d’amnésiques.On leur demande, par exemple,de nommer le premier premierministre du Québec, et puis…De toute manière, seulement5 % de la population généralepeut le nommer», note JocelynLétourneau.

«Raconte-moi»Pour mieux illustrer son pro-

pos, il rappelle une caricaturede Garnotte dans nos pages.« Le caricaturiste du Devoiravait fait un dessin qui disait :

“Qui est Jean Talon? C’est unmarché ! Qui est JacquesCartier ? C’est un pont ! ” Voussavez, si on pose à brûle-pour-point ces questions aux jeunes,ils ne pourraient pas y répondre.Mais je me suis alors dit que, sion s’y prenait autrement, on se-rait peut-être capable de mobili-ser en eux toutes sor tes deconnaissances à caractère histo-rique, qu’ils gobent, qu’ils assi-milent, par fois de manièreconsciente ou encore de manièredétachée. Que ce soit en regar-dant le film de Pierre Falardeauportant sur les Patriotes [15 fé-vrier 1839] — il y a une visionde l’histoire là-dedans — ou en-core en écoutant des discours depoliticiens au temps de la Révo-lution tranquille.»

Dans cette perspective, l’his-torien s’est adressé d’une ma-nière assez familière aux étu-diants dans le cadre de sa re-cherche. « D’abord, je l’ai faitsous la forme du tutoiement enleur demandant ceci : “ Ra-conte-moi l’histoire du Québeccomme tu la connais. ” À cela,je leur proposais de produire unrécit. Les récits allaient de troislignes à plusieurs pages. » Àcela s’ajoutait une questioncomplémentaire demandantaux jeunes de résumer en unephrase ce qu’est pour euxl’aventure historique québé-coise. Résultats : le corpus deréponses qu’a reçu l’historienest notable, soit près de 4500récits et 3423 énoncés.

«Maintenant, si vous me de-mandez si ce corpus est parfai-

tement représentatif de la jeu-nesse québécoise, je répondsnon. Par contre, je peux vousdire que, avec 4500 récits etprès de 3500 énoncés ouphrases, on commence à attein-dre quelque chose de dur,compte tenu des ef fets de satu-ration et de redondance qu’onvoit naître dans les récits. End’autres mots, si j’avais reçu100 000 récits, je ne crois pasque les conclusions auxquellesje suis parvenu auraient été dif-férentes », estime le professeur-chercheur.

Une société qui se cherche

La masse de travail n’est passans intérêt, dit-il, d’autantque, en croisant les résultats,« on s’aperçoit qu’il y en a quiont une vision de l’histoire pluscharpentée que d’autres, etd’autres, une vision trèsnaïve ». Vous avez sûremententendu des énormités, non ?« Non, pas nécessairement. Enfait, j’ai noté une phrase qui afailli être le titre de mon ou-vrage et qui va comme suit :“ J’ai pas le temps de finir, I’msorry ?.” Et avec le point d’in-

terrogation. Je noteaussi une autrephrase qui disait :“ C’est le commence-ment d’une société quise cherche. ” Écoutez,on est ici dans la mé-

taphore complète ! », fait remar-quer M. Létourneau, visible-ment encore ému par le résul-tat de ses travaux.

« C’est un peu ça, le titre dema présentation. Je serai ledernier à dire que les jeunesont une culture historique dé-veloppée. J’ai été confronté àl’évidence. C’est clair qu’ilsn’en ont pas, au même titrequ’ils n’ont pas une culturescientifique très développée.Écoutez, ajoute le professeur,on parle ici de jeunes. D’ail-leurs, ce n’est pas, à mon avis,le rôle de l ’éducation histo-rique de leur of frir une culturehistorique ample, considérableet abondante. L’éducation his-torique vise d’abord et avanttout à permettre à des jeunesd’avancer dans la vie en leurtransmettant un esprit cri-tique et des compétences quivont leur permettre justementde faire face aux complexitésde la vie. »

Chose certaine, dit-il, « l’idéede cette recherche, c’est l’idée laplus simple que j’ai conduitesur le plan de la recherche,mais c’est l’idée la plus fécondeet la plus inspirante que j’aiconnue».

Une idée qui fait du che-min, puisqu’il se rendra enEurope dans quelques mois.« C’est une idée qui a été em-pruntée par des collègues fran-çais », lance fièrement JocelynLétourneau.

CollaborateurLe Devoir

« On dit que les jeunes ne saventstrictement rien sur l’histoire du Québec »

RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR

L’éducation historique vise d’abord et avant tout à permettre à desjeunes d’avancer dans la vie en leur transmettant un esprit critiqueet des compétences, dit Jocelyn Létourneau.

Le grand défi maintenant est que les Canadiens développent un sentimentd’appartenance à ces deux langues, et ce, même s’ils parlent seulement le français ou l’anglaisGraham Fraser

«»

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H I S T O I R EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 2 E T D I M A N C H E 1 3 O C T O B R E 2 0 1 3I 4

MUSÉOLOGIE

L’histoire au service de la pensée critiquedes jeunesLe Musée McCord voudrait accueillirdavantage d’élèves du secondaire

IDENTITÉ OU CITOYENNETÉ?

Transmettre le sentiment d’appartenanceLe sentiment d’unicité des francophones à l’extérieur du Québec est de moins en moins prononcé

B E N O I T R O S E

C’ est en passant sous ungrand totem autochtone

que nous allons à la rencontrede Dominique Trudeau et Méla-nie Deveault, respectivementchef et coordonnatrice à l’actionéducative du Musée McCord, àMontréal. Situé rue Sherbrooke,à deux pas de l’UniversitéMcGill, ce musée reçoit parfoisla visite d’élèves du secondaire,mais beaucoup moins souventque des élèves du primaire.«C’est principalement pour desraisons logistiques. Au secon-daire, les classes se font et se dé-font à chaque période, donc c’estdifficile de pouvoir sortir avec lesélèves pendant plus qu’une pé-riode de 45 ou 60 minutes, re-grette Mme Trudeau. Si onajoute le temps de transport à ce-lui de nos activités, qui durentsouvent 90 minutes, ça rend la

tâche de planification ardue pourles professeurs.»

Les deux collègues sont d’avisque le musée peut constituer uneintéressante ressource complé-mentaire pour l’enseignement del’histoire en classe. «Tout en te-nant compte du programme deformation de l’école québécoise,on est là plus largement pour ser-vir l’histoire et favoriser le déve-loppement de la pensée critiquedes jeunes », avance Mme Tru-deau. Sa collègue poursuit en af-firmant que c’est à toute la dé-marche historique que les ado-lescents sont initiés sur place, enapprenant comment s’appro-prier cette ressource qu’est lemusée d’histoire pour aller cher-cher l’information dont ils ont

besoin. En plus de leur offrir uncontenu spécifique, l’établisse-ment veut donc développer descompétences transversales.

Des visites décloisonnéesLes élèves du secondaire qui

sont reçus au Musée McCordpour une activité éducative com-mencent généralement par visi-ter d’abord les expositions, pourensuite être invités à participerà des ateliers. Ces derniers sontl’occasion de discussions et deproduction d’objets. La culturematérielle de Montréal, du Qué-bec et du Canada se retrouve aucœur des réflexions. «On metde l’avant tout le média d’exposi-tion et la collection du musée,parce que c’est là qu’on retrouvedes témoins du temps passé, etc’est important de faire compren-dre aux jeunes que, dans leurmonde d’aujourd’hui, il y a desobjets-clés qui un jour seront

aussi des témoins deleur temps », de direMme Trudeau.

L’é tab l i ssementmise sur l’interactivitéau cours de visites plu-tôt « décloisonnées »,comme en témoigne

« Passé recomposé : une visitedont vous êtes le guide », uneactivité où l’élève et son rap-port personnel à un objet surplace constituent le point de dé-part d’une démarche pédago-gique menant à des faits histo-riques établis. «C’est de faire ap-pel au côté émotif qu’un objetpeut susciter chez le jeune visi-teur, parce qu’on sait que, avecles adolescents, ça fonctionnebeaucoup comme ça», de dire lachef. «Ça nous donne une prise,et on peut ensuite enrichir la lec-ture de l’objet de différents angles:historique, social, etc.», d’ajouterMme Deveault.

L’activité «Le Golden SquareMile, hier et aujourd’hui » en-traîne les adolescents à l’air li-

bre, dans le quartier qui bordele musée, afin d’y découvrir, àtravers l’architecture, les tracesdu passé dans le monde contem-porain. Ils sont amenés à répon-dre à des questions et à repérerdes motifs architecturaux, maisaussi à vivre un certain «chocdes images»: en utilisant l’appli-cation «Musée urbain montréa-lais» sur un iPod Touch prêtépour l’occasion, les élèves peu-vent juxtaposer la réalité mo-derne concrète et les photogra-phies d’époque prises par le pho-tographe William Notman etson équipe, entre 1840 et 1935.

«Il y a des chercheurs universi-taires au Québec qui tentent devoir comment les élèves intègrentun outil technologique comme leiPod Touch et comment ça contri-bue à leur pensée historique. Ontravaille avec certains d’entre euxà l’évaluation de ça », révèleMme Deveault.

Envisager une visiteDans cet esprit, des observa-

tions scientifiques sur les fa-çons idéales d’envisager unevisite au musée sont aussiprises en compte. SelonMme Deveault, beaucoupd’études révèlent que la prépa-ration à la visite, dans un pre-mier temps, et la poursuite del’activité en classe, dans un

troisième, sont des phases quiont leur impor tance quandvient le temps de fréquenterun établissement comme celuide la rue Sherbrooke.

C’est donc avec cette perspec-tive en tête que le MuséeMcCord conçoit son pro-gramme d’activités éducatives,mais aussi ses projets spéciauxmis au point en collaborationavec des commissions scolairesou d’autres types d’organismes.Ces projets taillés sur mesure

ont une portée plus longue etfonctionnent bien avec lesclasses du secondaire, se réjouitMme Deveault. C’est souvent unensemble de classes ou d’écolesmontréalaises qui y participe, cequi rend la sortie plus accessiblepour les enseignants. «Il y a, aucours de ces projets, des ponts quise créent entre dif férentes disci-plines et compétences», ajoute lacoordonnatrice. Les ressourcesdisponibles en ligne en sortentaussi parfois mieux valorisées.

Tout au long de l’année, lesfuturs enseignants peuventaussi se rendre au musée pourparticiper à l’activité «Dans lescoulisses de l’éducation », quipermet d’explorer les dif fé-rentes avenues pédagogiquesof fertes. Lancée l’an derniertelle une bouteille à la mer, deconfier la chef de l’action édu-cative, elle a suscité un vif inté-rêt. «Dans le programme de for-mation de l’école québécoise, onrecommande d’utiliser le musée,rappelle Mme Deveault. Mais sil’enseignant lui-même ne le fré-quente pas et ne sait pas com-ment utiliser la ressource, jecomprends très bien qu’il ne vapas avoir tendance à y emmenerses classes et voir à quel point çapeut compléter son enseigne-ment et être un déclencheurpour ses situations d’apprentis-sage. Alors, on s’est dit qu’on al-lait travailler en amont.»

L’atelier de l’AQEUS intitulé« Le musée d’histoire du Ca-nada et les musées comme ou-tils d’enseignement » donneraaussi la parole à Lisa Leblanc,du Musée canadien des civilisa-tions, et Jaqueline Celemenki,du Centre commémoratif del’Holocause à Montréal.

CollaborateurLe Devoir

«On est là plus largementpour servir l’histoire et favoriser le développement de la penséecritique des jeunes»

S A R A H P O U L I N - C H A R T R A N D

C omment le sentiment iden-titaire d’un peuple se trans-

met-il ? Comment se construit-il ? Qu’en est-il de la transmis-sion de l’identité chez les mino-rités linguistiques d’un pays ?Ce sont là quelques-uns des su-jets auxquels s’intéresse Fran-çois Charbonneau, de l’Univer-sité d’Ottawa.

Cette question de la trans-mission du sentiment identi-taire était également au cœurd’un ouvrage qu’il a cosignéavec Martin Nadeau en 2008,L’histoire à l’épreuve de la di-versité culturelle.

« L’objectif de ce livre étaitd’essayer de réfléchir à la ques-tion de la transmission, dans lecontexte très précis du nouveauprogramme d’histoire au Qué-bec, rappelle François Char-

bonneau. Qu’est-ce que ça peutvouloir dire, dans le contexte del’école, de transmettre un senti-ment d’appartenance? C’est unpeu problématique, parce que,d’un côté, on veut développerchez l’étudiant un esprit cri-tique, une capacité d’exercer saraison, d’acquérir une autono-mie, mais, paradoxalement,c’est la fonction d’une collecti-vité de garantir l’autonomie in-dividuelle. Il y a donc toujourseu un besoin pour les collectivi-tés de transmettre soit un senti-ment identitaire, soit un cer-tain nombre de valeurs. »

Rappelons que le coursd’histoire au secondaire estégalement un cours de sensibi-lisation à la citoyenneté. Lesobjectifs de ce cours sont défi-nis ainsi : « amener les élèves àcomprendre le présent à la lu-mière du passé» et les préparerà «participer de façon responsa-

ble, en tant que citoyens, à ladélibération, aux choix de so-ciété et au vivre-ensemble dansune société démocratique, plu-raliste et ouverte sur un mondecomplexe».

La version Walt Disney del’histoire

Le danger, croit FrançoisCharbonneau, est que, en es-sayant de transmettre une cer-taine vision de ce que devraitêtre la citoyenneté (l’ouver-ture à l’autre et la diversité,par exemple), on utilise l’his-toire comme matériau de cetteconstruction de citoyens. «Ondénonçait dans ce livre laconfusion des genres : connaîtrel’histoire, c’est une chose, maisla sensibilisation à la citoyen-neté en est une autre. »

En voulant transmettre unevaleur comme l’égalitéhomme-femme, par exemple,est-on tenté de critiquer cer-tains pans de l’histoire où

cette égalité n’était clairementpas respectée ? «Le cours d’his-toire ser t au fond à formulerune critique sur la manièredont ce peuple-là était aupara-vant. En d’autres mots, on n’ar-rive pas à transmettre un senti-ment d’appartenance », ajoutele professeur.

Trop verser dans l’histoire« glorifiée », afin qu’elle forgece sentiment identitaire, estaussi risqué. « Il y a aussi undanger de tomber dans une vi-sion nationaliste et de fairedire à l ’histoire cer taineschoses. On peut intéresser lesjeunes à l’histoire, et elle auratoujours une part de politique,mais on devrait laisser auxhistoriens le soin de transmet-tre l ’histoire. Au final, jetrouve que c’est aussi graved’avoir une visée politique qued’avoir une visée cachée dansl’enseignement de l’histoire,qui est celle d’inculquer l’ou-ver ture à l’autre. Pas parce

que c’est une mauvaise chose,mais parce que ça peut êtrefait ailleurs et que l’histoire del’humanité, c’est l’histoire dubien ET du mal. »

Selon François Charbon-neau, ce détournement descours d’histoire se traduit, parexemple, dans l’enseignementde l’histoire autochtone, com-plètement édulcorée au profitde l’ouver ture aux autres.«C’est l’histoire de Pocahontas…Tout allait bien, jusqu’à ce queles méchants blancs arrivent.C’est aussi ridicule que la vi-sion qu’on avait des sauvagesassoif fés de sang, il y a 60 ans,contre lesquels s’étaient battusnos glorieux missionnaires. Onverse dans la niaiserie la plustotale, parce que l’objectif duprogramme n’est pas de trans-mettre ce qui s’est passé commeinformation, mais de faire debons citoyens ouverts à d’autrescultures. Au lieu de présenter lavraie réalité autochtone, danstoute sa complexité, on nousprésente la version Walt Disneyet je trouve cela aberrant. »

Les défis hors QuébecLa transmission identitaire

chez les minorités franco-phones du Canada fait face àun tout autre problème. Dansles programmes d’histoire, onapprend celle du Canada an-

glais, mais la plupart des pro-vinces sont sensibles aux ques-tions minoritaires, expliqueFrançois Charbonneau. « Il y aune grande marge de manœu-vre dans ces communautés fran-cophones et, si on enseigne unematière un peu empruntée à cequi se fait en anglais, on ré-serve aussi une grande place àl’histoire francophone. » Le défi,donc, réside plutôt dans le faitque serait de moins en moinsprononcé le sentiment d’uni-cité des francophones à l’exté-rieur du Québec (hormis lesAcadiens).

En Ontario, par exemple,les gens ont de plus en plusune identité canadienne. « Ontente donc de transmettre uneidentité franco-ontarienne àdes étudiants dont la vaste ma-jorité est issue d’un couple fran-cophone-anglophone. Pour eux,l’identité francophone, alorsqu’ils n’apprennent souvent pasle français à la maison, mais àl’école, c’est complètement dif fé-rent. Ils n’adhèrent pas du toutà l ’opposition entre franco-phones et anglophones, et l’idéemême de transmettre un senti-ment identitaire ou de se défi-nir comme un Franco-Onta-rien est contestée. »

CollaboratriceLe Devoir

Professeur à l’École d’études publiques, François Charbon-neau s’intéresse de près aux questions touchant la francopho-nie, les identités minoritaires et majoritaires, les identités po-litiques et le nationalisme au Canada. Il sera d’ailleurs pré-sent au colloque sur l’enseignement de l’histoire qu’organisel’Association d’études canadiennes, les 17 et 18 octobre pro-chains, afin de parler de l’enseignement et de la transmissiond’un sentiment d’appartenance dans les collectivités franco-phones à l’extérieur du Québec.

Connaître l’histoire, c’est unechose, mais la sensibilisation à lacitoyenneté en est une autreFrançois Charbonneau

«»

Le prochain congrès de l’Association québécoise pour l’ensei-gnement en univers social (AQEUS) sera l’occasion, pour Do-minique Trudeau et Mélanie Deveault, du Musée McCord,d’échanger sur le rôle du musée comme outil d’enseignementde l’histoire. L’atelier du 18 octobre portant sur le sujet s’an-nonce pour elles comme une « plateforme extraordinaire »pour mesurer les besoins des enseignants et l’impact des res-sources of fertes. Car elles aimeraient bien rejoindre davan-tage les élèves de niveau secondaire.

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Grâce à ses expositions temporaires ou permanentes, le Musée McCord, à Montréal, peut constituer une intéressante ressourcecomplémentaire pour l’enseignement de l’histoire en classe.

MUSÉE MCCORD

Dans la poursuite de sa mission éducative, le Musée McCord offredes camps de jour en été.

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Institut des langues officielleset du bilinguisme (ILOB)

Official Languages andBilingualism Institute (OLBI)www.ilob.uOttawa.ca

Université d’Ottawa | University of Ottawa

Au cœur de la plus grande université bilingue (français-anglais) du monde, on trouve :

Études du bilinguisme au deuxième cycleL’ILOB o!rira à compter de l’automne 2014 un programme unique en son genre, la maîtrise ès arts en études du bilinguisme.

Enseignement des langues secondesL’ILOB o!re une variété de cours et de programmes spécialisés dont :

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Mesure et évaluationL’ILOB est à l’avant-garde de la création, de l’application et de l’administration d’instruments de mesure et d’évaluation des compétences linguistiques.

Centre de rechercheLe Centre canadien d’études et de recherche en bilinguisme et aménagement linguistique (CCERBAL) regroupe des chercheurs d’envergure internationale qui œuvrent dans les domaines de spécialisation de l’ILOB.

LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES

Le projet social est devenu une simple question linguistique«Si notre volonté de culture bilingue est réelle, alors il faut se doter de moyens »

É M I L I E C O R R I V E A U

E n 1969, après les travauxde la Commission royale

d’enquête sur le bilinguisme etle biculturalisme, le Canada aadopté sa première loi propre-ment linguistique, la Loi surles langues of ficielles, insti-tuant ainsi le français et l’an-glais comme langues of fi-cielles du pays. Modifiée en1988, celle-ci est toujours en vi-gueur et consacre l’égalité dustatut du français et de l’an-glais non seulement au Parle-ment et devant les tribunaux,mais également dans toutel’administration fédérale.Parmi ses stipulations les plusimportantes, elle prévoit quetous les organismes fédérauxdoivent fournir des ser vicesen anglais ou en français auchoix du client.

D’après Richard Clément, si,à l’époque de la Commissionroyale d’enquête, tous les tra-vaux menés sur la langue etl’identité dénotaient un réel dé-sir du gouvernement fédéralde faire du bilinguisme cana-dien un projet social, au-jourd’hui, celui-ci se cantonnepresque entièrement à unequestion linguistique.

« Lorsqu’on regarde les écritsde la Commission sur le bilin-guisme et le biculturalisme, onconstate que, de toute évidence,

il y avait là une recherche so-ciale extrêmement approfondiesur ce que voulaient dire le bi-linguisme et le biculturalisme.Le débat, à ce moment-là, étaitsocial. Ce n’était pas du tout undébat linguistique. Or, au-jourd’hui, on semble avoirperdu une grande part de cetteperspective sociale », note le di-recteur de l’ILOB.

Aussi, M. Clément indiqueque, si le bilinguisme est au-jourd’hui bien ancré dans lesstructures juridiques et les ser-vices, et ce, à tous les niveauxde fonctionnement canadiens,il l’est beaucoup moins dans lasphère sociale.

« Je pense qu’on voudraitcroire que l’identité canadienneest fondée sur le bilinguisme,mais, finalement, ce n’est pas lecas, signale le chercheur. Ilfaut comprendre que les genss’identifient à ce qui les entoure.Pour beaucoup de Canadiens,le quotidien n’est vécu que dansune des deux langues officielles.Dans la mesure où, pour la ma-jorité, la question du bilin-guisme n’est jamais soulevée etne fait aucunement partie duquotidien, la culture cana-dienne n’est pas une réelle cul-ture du bilinguisme.»

Enseigner une cultureD’après M. Clément, pour

que le bilinguisme canadien

redevienne un projet social, ilfaudrait d’abord qu’une dis-tinction claire soit faite entrel’acquisition du langage et lebilinguisme. Alors que l’ac-quisition fait référence à lapédagogie, à la linguistiqueet au rendement éventuel, lebilinguisme, lui, se veut uneaf faire d’État, peu impor te

qu’il concerne une personne,une instance ou une ville.

M. Clément estime égale-ment qu’il faudrait que la po-pulation canadienne et ses di-rigeants soient mieux sensi-bilisés à l ’ impact social del’apprentissage des langues :« Aujourd’hui, selon l’endroitoù on se trouve, le français et

l ’anglais sont enseignéscomme des langues secondes ;c’est devenu uniquement unequestion de pédagogie et delinguistique. Si, par exemple,on se trouve dans un endroitau Canada où le françaisn’est que très peu parlé ou en-core où une autre langue se-conde domine, comme le can-tonais à Vancouver par exem-ple, il y a de for tes chancesqu’à l’école on of fre plus decours de cantonais que defrançais. Ça, c’est concevoir laquestion du bilinguismecomme une simple questionlinguistique, alors que c’estaussi une question sociale liéeau Canada. Je pense qu’on de-vrait être beaucoup plusconscient de l’impact social del’apprentissage des langues etrenforcer cela. »

Interventionsuniversitaires ?

Mais comment faire pourque la question du bilinguismeoutrepasse celle de l’acquisi-tion ? D’abord, en faisant ensorte que l’enseignement deslangues complète celui del’histoire ; ensuite, en veillant àce que le bilinguisme trans-cende l’école, dit le directeurde l’ILOB.

« Même si les systèmes d’im-mersion fonctionnent bien àtravers le Canada, le bilin-guisme reste un phénomènedes niveaux primaire et secon-daire. Qu’est-ce qui arriveaprès cela ? Tous ces élèvesqu’on a formés et à qui on aenseigné à utiliser une langueseconde dans la mesure du pos-sible, qu’est-ce qui arrive aumoment où ils arrivent à l’uni-versité ? Ensuite, dans le mi-lieu de travail, comment fait-

on pour continuer à mainteniret à appuyer le bilinguisme ? Sinotre volonté de culture bi-lingue est réelle, alors il faut sedoter de moyens… »

S’étant penché sur la ques-tion, M. Clément estime queplusieurs avenues sont envisa-geables. À son avis, les univer-sités canadiennes et le gouver-nement fédéral seraient bienplacés pour assurer un certainmaintien du bilinguisme chezles adultes.

« Si on pouvait créer des ré-gimes d’immersion au niveauuniversitaire, ce serait trèsbien, affirme M. Clément. Plu-sieurs universités seraient capa-bles de le faire. Une autre possi-bilité, ce serait que le gouverne-ment mette sur pied un systèmequi appuierait le développe-ment et le maintien des acquis,gratuitement, auprès de mon-sieur et madame Tout-le-monde. Bien évidemment, ilfaudrait toujours qu’il y ait lacomposante sociale liée à cela. »

D’après l’homme, la popula-tion canadienne gagnerait lar-gement à miser davantage surle bilinguisme comme fonde-ment d’un projet social. Celalui permettrait de favoriser l’in-tégration et de mieux négocierles conflits interculturels.

«Le bilinguisme est un impor-tant facteur d’harmonie sociale.Pourquoi ? Parce que la com-munication verbale est au cœurde la vie sociale. Lorsqu’on a lacapacité de communiquer dansplus d’une langue, on a la possi-bilité d’avoir de meilleures rela-tions avec les autres… En fin decompte, n’est-ce pas ce qu’onsouhaite?»

CollaboratriceLe Devoir

FRED CHARTRAND LA PRESSE CANADIENNE

Le bilinguisme est aujourd’hui bien ancré dans les structuresjuridiques et les services. Il l’est beaucoup moins dans la sphèresociale, nous dit Richard Clément.

Directeur de l’Institut des langues of ficielles et du bilin-guisme (ILOB) et doyen associé de la Faculté des ar ts del’Université d’Ottawa, Richard Clément s’intéresse à la psy-chologie sociale des rapports interethniques et de l’apprentis-sage des langues secondes depuis près d’une quarantained’années. Ayant mené nombre de travaux sur l’identité, lemultilinguisme et l’acquisition du langage, il pose sur le bilin-guisme canadien un regard éclairant. Entretien.

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