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INFORMATION JUIVE Mars 2016 3

17, rue Saint-Georges75009 Paris

Rédaction :01 48 74 34 17 Administration : 01 40 82 26 82Fax : 01 48 74 41 97 [email protected]

Fondateur : Jacques Lazarus (1916-2014)

Directeur de la publication : Victor Malka

Comité de rédaction : Evelyne Gougenheim,Michel Gurfinkiel, Sabine Roitman, Clément Weill-Raynal.

Administration : Jessica Toledano, Jessica SebbanMaquette : Mike CohenRégie publicitaire : Média 5 - Tél. : 06 60 43 08 14Photographies : Erez Lichtfeld, Alain Azria.

Edité par S.a.r.l. Information Juive le journal des communautésau capital de 304,90 €

Durée de la société : 99 ans

Commission paritaire des journaux et publications : 0708K83580

Dépôt légal n° 2270. N°ISSN : 1282-7363

Impression : SPEI Imprimeur - Tél. : 03 83 29 31 84

Les textes de publicité sont rédigés sous la responsabilité des annonceurs et n’engagent pas Information juive.

Abonnement annuel : 33 €Abonnement de soutien : 46 €Abonnement expédition avion : 41 €

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WWW.INFORMATIONJUIVE.FR

Les manuscrits non retenus ne sont pas renvoyés.

SOMMAIREN°359 - Mars / Avril 2016

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23 4031

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ÉDITO4- Le Ma’asser ou l’invention de la solidarité juivePar Joël Mergui

6/7- REPÈRES

POLITIQUE8- « Debout dans l’adversité » Par Frédéric Encel

CHRONIQUE10- Pénible retour d’un îlot de civilisation Par Guy Konopnicki

BONNES FEUILLES 13- Sionisme et judaïsme Par Shmuel Trigano

POLITIQUE15- Questions belges Par Nathan Weinstock

PESSAH17- La célébration du questionnement Par Jacky Milewski 19- De quoi la Hagada est-elle le nom ?

POLÉMIQUE20- Le véritable esprit du judaïsme Par Lionel Cohn

ACIP20- La vie du Consistoire

CULTURE27- Le dialogue des spiritualités Par Karima Berger

CHRONIQUES TALMUDIQUES29- Deux femmes sans nomPar Janine Elkouby

DOCUMENTS31- Etre juif à TéhéranPar Amy Gutman

CULTURE34- Traduire l’hébreu, une vocation ? Par Jean-Luc Allouche

COMMUNAUTÉS36 - Regard sur le judaïsme aixois Par Daniel Dahan

LIVRES38- Par Naïm Kattan et Albert Bensoussan

CINÉMA40 - Docteur Destouches et Mister CélinePar Elie Korchia

41- VERBATIM

42- POST-SCRIPTUMPar V.M

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Il existe une « institution » du judaïsme que l’on a troptendance à négliger ou même à ignorer, je veux parlerdu commandement du Ma’asser, la dîme, qui est aucœur du système social mis en place dans la Thora.

Qu’il soit destiné aux Lévites (1ère dime) ou aux pauvres,veuves, étrangers… (2ème dime), le Ma’asser était, à l’époquedu Temple, un impôt agricole lié à la terre d’Israël, dont leproduit était réservé à certaines catégories de la populationdans le besoin ou qui, comme les Lévites, vouaient leur vieau « service public ».

Personne n’était exempté de ce devoir : religieux ou laïcs,riches ou pauvres…, même ceux qui enétaient bénéficiaires devaient s’en acquitterà leur tour à proportion de leurs faibles revenus.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette bellemitsva du Ma’asser dans le monde urbanisé,mais aussi diasporique dans lequel nous vi-vons, où la mitsva (prescription religieuse)s’est transformée en minhag (coutume) et oùles prélèvements de moisson ou de bétail ontété remplacés par des dons d’argent ? Hélas,seule une minuscule frange de Juifs ferventsse soucie de calculer méticuleusement lafraction du 10ème de leurs revenus dévolus àcet impôt volontaire en vue de le reverseraux œuvres communautaires de leur choix.Ainsi, c’est grâce à l’attachement de leurs membres à la règledu Ma’asser que les communautés juives orthodoxes par-viennent à financer en grande partie leurs institutions (yé-chivoth, écoles, caisses d’entraide).

Mais où donc ces frères juifs, si minoritaires, vont-ils cher-cher ces ressources d’abnégation, de foi et de générosité pouraller jusqu’à s’amputer d’une part aussi importante de leursrevenus en faveur des œuvres chères à leur cœur ?! Ontrouve une réponse à cette question dans la sublime prophé-tie de Malachie que nous lisons le chabath hagadol qui pré-cède Pessah’ : « Apportez toute la dime dans les caisses (duSanctuaire) pour qu’il y ait de la subsistance dans Ma mai-son, et mettez Moi ainsi à l’épreuve, dit l’Eternel, pour vérifiersi Je ne vais pas ouvrir pour vous toutes les cataractes du ciel pour déverser sur vous Ma bénédiction sans aucune limite » (1).

La profusion de bénédictions divines est la récompense im-médiate et tangible accordée en retour du versement de ladime. C’est le seul cas dans toute la Bible où le Créateur nousdemande de L’éprouver… pour vérifier s’Il dit vrai.

Loin de chercher à s’enrichir en prenant cette annonce pro-phétique au pied de la lettre, les adeptes du Ma’asser necherchent aucun intérêt lucratif pour eux-mêmes. Il leur suf-fit de savoir, avec une foi pleine et entière, que leurs gestesde générosité ne les appauvriront jamais, car dans l’espritdes croyants, cette part de leurs revenus dévolue à la dimene leur appartient pas, et ils ne font, en la payant, que rendreaux œuvres communautaires ce qui leur appartient de droit.

Etant donné l’état des besoins du judaïsme organisé et lesdifficultés de financement de nos œuvres, il nous faut res-taurer et populariser cette pratique caritative « miraculeuse »en faveur de nos institutions.

Il nous faut tout entreprendre pour généraliser cette mé-thode de dons en faveur des causes religieuses, sociales etéducatives, ce qui requiert une entreprise pédagogique sub-tile et de grande ampleur pour sensibiliser les nouvelles gé-nérations à l’impératif de générosité et de confiance en D-ieuqui sous-tend le principe de la dîme ? Ainsi nous parvien-drons à hisser l’acte de donner au niveau des commande-

ments les plus consensuels comme lerespect de la cacherouth et du chabath.

L’esprit et la règle du Ma’asser, que l’ondevait acquitter avant de commencer àjouir soi-même du fruit de son propre la-beur, sont d’une réelle actualité dans nossociétés revendicatives et arc-boutées surles droits acquis ! On apprend ainsi qu’ondoit d’abord donner avant de réclamer, quenos devoirs priment sur nos droits. C’estcette morale de la solidarité induite duMa’asser qui a accompagné et soutenu lepeuple juif à travers les vicissitudes de sonhistoire. Bien que significatif, ce taux de10% des revenus ne met pas en péril la si-tuation matérielle du donateur tout en lui

permettant de participer à la réussite des projets collectifs.C’est pourquoi je tiens à m’inscrire dans cette longue tra-

dition du peuple juif pour postuler, avec autant de foi que deraison, que si une partie significative de notre communautéconsentait à adopter la mitsva du Ma’asser pour aider à laperpétuation et à l’épanouissement de la vie juive sous toutesses formes, une part importante des problèmes matériels denos institutions seraient ipso facto résolus.

Il ne faut pas se contenter de lever les yeux au Ciel pourespérer que le miracle de la manne nourricière se reproduisepar la seule force de notre imploration. Les moyens sont là,disponibles, à condition que l’on apprenne à voir grand, àvoir large, à voir collectif, afin de nous libérer de noségoïsmes primaires, nous émanciper des incrédulités del’époque « moderne ».

Et puisque le prophète a poussé l’audace jusqu’à nousexhorter à mettre la Providence à l’épreuve dans le but defaire éclater au grand jour les bienfaits miraculeux du Ma’as-ser et créer ainsi une société plus juste et plus solidaire, n’estce pas notre devoir aujourd’hui de relever le pari divin eninscrivant le réflexe de la dime au cœur de notre éthique devie, selon l’injonction biblique : « Tu ouvriras largement tamain » (2) ?

--*Président du Consistoire--(1)Malachie III, 4-24(2)Deutéronome XV, 8

INFORMATION JUIVE Mars 2016 5

EDITO

Le MaÊasser ou lÊinvention de la solidarité juive

par Joël Mergui*

“ On doit d’abord donneravant de réclamer...nos devoirs priment surnos droits. C’est cette mo-rale de la solidarité induite du Ma’asser qui a accompagné et soutenule peuple juif à travers les vicissitudes de son histoire. “

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6 INFORMATION JUIVE Mars 2016

Hommes et femmes en prière n Selon une étude internationale sur lerapport des hommes et des femmes à lareligion et publiée par le Pew Forum,organisme américain d’études d’opi-nion à intérêt public , les femmes sont

plus croyantes et plus pratiquantesdans toutes les religions sauf deux.Dans 43 pays, les femmes disent prierplus souvent que les hommes.

Les deux exceptions à cette tendancesont l’islam et le judaïsme orthodoxe. Leseul pays au monde où les hommesprient plus que les femmes est Israël.

Jeunes Polonais : le retour au judaïsmen Une quinzaine de jeunes Polonaisqui ont découvert dernièrement leursracines juives sont arrivés en Israëldans le but d’étudier le judaïsme. Ilsappartiennent tous à des familles quiont caché leur origine lors de la Shoah.Ils ont grandi comme des catholiques.Leur voyage a été organisé par l’asso-ciation « Chavé Israël ». Ils ont eu l’oc-

casion de célébrer, pour la première foisde leur vie, la fête de Pourim.Le responsable de cette association,Mickaël Freund a déclaré à cette occa-sion : « L’histoire de Pourim relate entreautres le courage de la reine Esther quia dû cacher son identité juive durantdes années avant de pouvoir la révéleravec fierté en public. Cela fait de Pou-rim une célébration importante pources jeunes Polonais ».On considère qu’il y a aujourd’hui en Pologne 4.000 personnes inscritescomme juives.

REPÈRES

Le musée du judaïsme marocain :Une mise au point

n Suite à l’écho que nous avons publiédans notre dernier numéro au sujet dumusée du Judaïsme marocain, un denos lecteurs qui a suivi de près la naissance et la réalisation de ce projet,nous apporte de nouvelles précisions.Monsieur Albert Weizman, directeur del’American Joint Commitee au Maroc futle premier à suggérer la fondation d’unmusée, dans les année l980, le bureaudu Joint détenant un certain nombred’objets d’art rituels à préserver et

mettre en valeur. Il s’en ouvrit à son ami Elias Harrus, le regretté délégué de l’A.I.U au Maroc et leur choix se porta sur le Home Bengiodont il fallait retrouver le propriétaire en titre. A l’occasion d’un voyage en Israel, Elias Harrus décida de rencontrer Madame Bengio qui lui fit l’historiquede cette villa qui appartenait à sa famille.De retour à Casablanca, toutes les données furent transmises à la Communauté.Le projet du musée se trouvait ainsi sur les rails ...

Elias Harrus

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 7

8 juifs en Irakn Huit juifs demeurent encore en Iraket ont peur de sortir de chez eux : «Nous vivons dans la peur « ont-ils dit àun journaliste. Selon certaines sources,sept de ces juifs sont des femmes. Ellessont toutes célibataires, elles vivent àBagdad et exercent des professions li-bérales.Une femme médecin juive, 60 ans, adéclaré au cours d’une conversationavec une personnalité étrangère : « Laguerre oppose Sunnites et Chiites etnous sommes au milieu. Notre situationn’est guère enviable. Mais il arrive quenos voisins soient bons à notre égard ».Le judaïsme irakien a été, par le passé,une des plus importantes communau-

tés juives du Moyen Orient. A la créa-tion de l’Etat d’Israël, le plus gros decette communauté a rejoint la terresainte. En 1969, 50 juifs irakiensavaient été exécutés. Lors de la guerredu Golfe, en 1991, les juifs restés dansle pays avaient décidé de rejoindre Is-raël.

REPÈRES

Les 100 mots de la Shoahn Voici la brève introduction que TalBruttmann et Christophe Tarricone ontdonnée à leur livre ( Editions PUF ) :

« La Shoah occupe une place centraledans nos sociétés, tant d’un point de vuemédiatique que politique ou mémoriel.Il existe pourtant un gouffre entre la ma-nière dont les historiens l’étudient et lamanière dont le grand public en parle.L’objectif de ce livre est donc de définiravec la plus grande rigueur scientifiquedes termes et des notions qui, à bien deségards, sont « piégés ». Par exemple,qui sait que, depuis cinquante ans, leshistoriens utilisent l’expression « centrede mise à mort » plutôt que « campd’extermination », contradiction dans lestermes puisqu’un camp est destiné à re-grouper une population alors que l’exter-mination est un processus immédiat ?Ces 100 mots de la Shoah ont donc pourbut non seulement d’éclairer certains as-pects historiques, de préciser des no-tions et de faire le point surl’historiographie, mais aussi de présen-ter des exemples concrets (pays, lieux)en abordant des personnes (bourreauxcomme victimes) et des œuvres (témoi-gnages comme fictions). »

PÉGUY POUR MÉMOIRE

n Arnaud Tessier a raison : « Il fautlire Péguy..Il faut lire Notre jeunesse.Cette pensée est une pensée prophé-tique dont nous éprouvons, chaquejour qui passe, l’incroyable vérité ».Bien des choses écrites par Péguy àl’heure de l’Affaire Drey-fus nous parlent commesi elles venaient d’êtreécrites. Les éditions Per-rin ont eu l’excellenteidée de rééditer ce texteavec une très belle pré-face de l’historien Ar-naud Tessier qui a signéla dernière grande bio-graphie de Péguy. Nousavons extrait de ce textequelques phrases écritesqui prennent aujourd’huiune tonalité différente . « Je connais bien ce peuple. Il n’a passur la peau un point qui ne soit pasdouloureux, où il n’y ait un ancienbleu, une ancienne contusion, unedouleur sourde, la mémoire d’une dou-leur sourde, une cicatrice, une bles-sure, une meurtrissure d’Orient oud’Occident. Ils ont les leurs et toutescelles des autres…Ce ne sont jamaiseux qui soulèvent les tumultes. Ils nedemandent, ils ne recherchent que lesilence. Ils ne demandent qu’à se faireoublier. Sauf quelques écervelés, ile ne

recherchent que l’ombre et le silence ».« Les Juifs sont plus malheureux queles autres. Loin que le monde moderneles favorise particulièrement, leur aitfait un siège de repos, une résidencede quiétude et de privilège, au

contraire le monde mo-derne sa ajouté sa disper-sion propre moderne, sadispersion intérieure, àleur dispersion séculaire,à leur antique dispersion.Il a ajouté son trouble àleur trouble…Ainsi ils cu-mulent. Ils sont à l’inter-section. Ils se regroupentsur eux-mêmes. Ils re-coupent l’inquiétudejuive, qui est leur, par l’inquiétude moderne ,qui est nôtre et leur. Ils

subissent… »« Depuis vingt ans je les ai éprouvés,nous nous sommes éprouvés mutuelle-ment. Je les ai toujours trouvés solidesau poste , autant que personne, affec-tueux, d’une tendresse propre, autantque personne, d’un attachement, d’undévouement, d’une piété inébranlable,d’une fidélité à toute épreuve, d’uneamitié réellement mystique… » (Notrejeunesse par Charles Péguy. Présenta-tion et notes d’Arnaud Teyssier. Edi-tions Perrin, 2016, Collection Tempus)

Charles Péguy

Juif irakien à l’entrée de la synagogue à Bagdad.

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Comment vous apparaît au-jourd’hui le déroulement de la prési-dentielle américaine ?

C’est une campagne relativementoriginale, tant chez les démocrates quechez les républicains. Le suspense de-meure longtemps après son commen-cement, il y avait profusion decandidats au départ, et au moins l’und’entre eux – Donald Trump – suscitele scandale y compris au sein de sonpropre camp !

A ce propos, je rappellerai que lesAméricains ne votent pratiquement ja-mais pour des extrémistes. Certainscandidats présentent certes des pro-grammes orignaux et iconoclastes –par exemple celui de Sanders actuel-lement chez les démocrates – mais ra-rement outranciers à la façon deTrump. Souvenez-vous d’un Goldwa-ter battu largement par Nixon en1960… Je pense qu’il faut garder àl’esprit, au-delà des péripéties de cettecampagne, ce qu’elle illustre commetoutes les précédentes : les Etats-Unissont et demeurent une grande démo-cratie à la tête de laquelle un présidentnoir a été élu puis réélu moins d’un

demi-siècle seulement après la fin dela ségrégation !

Et puis ce n’est pas aux Etats-Unisque sont nées les horreurs fasciste,nazie, et stalinienne…

Comment analysez-vous la situa-tion en Europe après les attentats deBruxelles, le 22 mars dernier ?

Celui qui, courageusement et préco-cement, a le mieux caractérisé ce quise passait est le Premier ministre Ma-nuel Valls. En nommant précisémentl’ennemi – le djihadisme et l’islamismeradical – a fortiori au cœur de nos ins-titutions républicaines et juste après lesmassacres de Charlie Hebdo et del’Hyper casher, mais aussi en évoquantclairement la notion de guerre, cettesale guerre imposée par ces barbares,il a incontestablement rendu un vraiservice à notre pays et, au-delà, à tousles démocrates. J’ajoute que le massa-cre de Bruxelles ôte l’argument falla-cieux selon lequel la France aurait étéfrappée en 2015 pour ce qu’elle fait –notamment au Proche-Orient – et nonpour ce qu’elle est.

Les Belges n’ont jamais colonisé desociétés arabes ni musulmanes, et ilsne bombardent pas l’Irak ! En tantqu’Européens, nous n’avons plus lechoix ; non seulement nous devons ac-corder nos violons pour renforcer nosdispositifs judiciaire, sécuritaire et mi-litaire respectifs (comme l’a fait le gou-vernement français), mais encore nousdevons ré-enchanter nos grand prin-cipes nationaux, laïcs et républicains.Car nous faisons face à des fanatiquesjouant d’un romantisme révolution-naire mortifère mais efficace ; plus quejamais nos propres valeurs humanistesdoivent donc leur être opposées avecforce et vigueur. Je constate du resteque nos alliés belges, britanniques,néerlandais ou allemands commen-

cent à prendre conscience que leurmulticulturalisme consistant à tolérerdes attitudes ou des propos islamistesest dangereux et contre-productif. Etpuis, il faut partout contrecarrer les« idiots utiles » de l’islamisme ; vieuxmaoïstes non repentis, imposteursfootballistiques, sociologues complai-sants de l’islamo-gauchisme et autresdémographes en mal de notoriété…

A quoi, selon vous, doivent se pré-parer les communautés juives en Eu-rope face aux divers mouvementspopulistes qui s’y développent ?

Les Juifs d’Europe se retrouvent,comme bien souvent, entre Charybdeet Sylla, contraints de se défendre surdeux fronts concomitants : d’une part,bien entendu, l’islamisme et/ou un mi-litantisme antisioniste radical violem-ment antisémites, et d’autre part, desextrêmes-droites qui progressent.Dans un Etat comme la France, où lerégime politique est solide et le gou-vernement volontariste, ils doiventtenir et faire confiance aux autorités,tout en restant vigilants. Une vague deviolences, ce n’est tout de même hélaspas nouveau dans l’histoire multisécu-laire du peuple juif ! Mais dans despays comme la Hongrie ou la Pologne,plus récemment démocratiques et oùl’extrême-droite est à la fois active ettrès antisémite, la situation me semblepérilleuse. En même temps, en Europeorientale, ne subsistent que des com-munautés résiduelles.

Nous publions ci-dessous un entretien dans lequel le politologue Frédéric Encel passe en revue des questionsd’actualité. Il répond aux questions de la rédaction d’Information juive.

8 INFORMATION JUIVE Mars 2016

POLITIQUE

ÿ Debout dans lÊadversité ŸUn entretien avec Frédéric Encel *

“ Nous faisons face à des fanatiquesjouant d’un romantisme révolutionnaire mortifère mais efficace . “

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Quelle lecture faites-vous de la si-tuation qui prévaut aujourd’hui auProche Orient ?

Vaste question pour une vaste ré-gion en ébullition ! En vrac et enquelques mots, on assiste à une triba-lisation ethno-confessionnelle au dé-triment des Etats-nation, à uneinstrumentalisation du religieux auprofit du politique, au retour en forcede la Russie, à la montée en puissancedu pôle chiite pro iranien face à l’axesunnite ultra-conservateur pro saou-dien, à l’émergence géopolitique de lanation kurde, à la balkanisation dumonde arabe, ainsi qu’au renforce-ment du partenariat stratégique israélo-égyptien et israélo-jordanien.

Et, soit dit en passant, au retourcomme grande puissance de laFrance. Car sans tomber dans le chau-

vinisme, je vous dirai que seul notrepays poursuit une politique sahélienneet proche-orientale tout à la fois prag-matique, courageuse et humaniste.Après tout, c’est bien notre armée quia sauvé Bamako – c’est-à-dire le Mali,et donc potentiellement tout le Sahel,voilà trois ans de cela –, c’est bienFrançois Hollande qui, seul, demeuradebout face à Assad dans l’affaire desgaz neurotoxiques quelques mois plustard, c’est encore Paris qui devrait àmon sens gérer en douceur la transi-tion au Tchad, pays pivot et allié dontle président risque, avec un troisièmemandat contesté, de déstabiliser lepays…

Diriez-vous que la menace ira-nienne contre l’Etat d’Israël tend à di-minuer ?

Ce que vous appelez « menace » doitêtre pondéré. Sans nul doute la Répu-blique islamique au pouvoir est-ellehostile à Israël, et les propos scanda-leux proférés à l’encontre de l’Etat juifirritent et inquiètent, à juste titre, lesIsraéliens et leurs amis. Mais en géo-politique, les mots n’ont un sens pro-fond que s’ils sont suivis d’effets. Ordepuis 1979, jamais l’Iran n’a attaquéIsraël. Même la guerre Tsahal/Hezbol-lah de l’été 2006 ne fut pas nécessai-rement liée à Téhéran. En réalité, lesadversaires autant que concurrentsinstitutionnels, théologiques et éner-gétiques de l’Iran, ce sont bien évidemment les Etats sunnites reven-dicatifs, à commencer par le Pakistanet les pétromonarchies du Golfe, et enaucun cas l’Etat hébreu.

Incontestablement, une bombe

entre les mains du régime iranien,c’eut été en effet, malgré tout, une menace stratégique. Or le 14 juillet dernier a été signé un accord interna-tional impliquant en principe le renon-cement de Téhéran à la bombe, encontrepartie de conditions financièreslui permettant d’acquérir des matérielscivils et militaires conventionnels trèsperformants. Si cet accord n’est pasrespecté, les grandes puissances ainsiqu’Israël seront parfaitement fondéesà renforcer les sanctions, voire à frap-per militairement. Mais cela ne se pro-duira pas.

Et puis vous savez, à la fin des fins,les deux régimes islamistes qui ont lit-téralement pourri nos banlieues euro-péennes, soutenu le Hamas, etdéstabilisé une grande partie dumonde musulman, ne sont pas (ouplus) perses chiites mais bien arabessunnites : il s’agit de l’Arabie saouditeet du Qatar, Etats semi-esclavagistesdominés par le fanatisme wahhabite…

Comment peser aujourd’hui sur lemonde qui vient ?

En étant intelligent ! L’émotivité et levictimisme ne servent à rien dans lecadre d’un combat, quelle que soit sanature. Il faut penser l’Autre, l’adver-saire ou l’ennemi, comprendre ses représentations, ses objectifs, ses stra-tégies, ses forces et faiblesses, afin demieux le combattre. Comprendre, etagir. Dans cette époque de lutte contrele fléau islamiste radical, nous quiavons la chance de vivre au sein d’unegrande démocratie devons convaincrenos compatriotes et nos élus qui neconnaîtraient pas – ou pas encoreassez – la dangerosité de cette peste,de se mobiliser.

Agir, prendre son destin en main, nelaisser nul autre en disposer. Etre debout dans l’adversité. Etre unmensch...

--* Docteur HDR en géopolitique,

professeur à la Paris School of Busi-ness, maître de conférences àSciences Po Paris.

Vient de recevoir le Grand Prix dela Société de Géographie pour saGéopolitique du printemps arabe(PUF, 2015), et de publier Petites le-çons de diplomatie (Autrement,2016).

“ Il faut partout contrecarrer les « idiotsutiles » de l’islamisme ; vieux maoïstes non repentis, imposteursfootballistiques, sociologues complai-sants de l’islamo-gauchisme et autres démographes en mal de notoriété… “

Donald Trump Hillary Clinton

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10 INFORMATION JUIVE Mars 2016

Achaque voyage à Tel-Aviv, cet îlot de paix,certes toute relative,je mesure cette étran-geté insupportabled’Israël. Pour y parve-

nir, nous survolons une Méditerranéechargée d’embarcations de fortunesoù s’entassent les réfugiés de la ca-tastrophe arabe, et nous atterrissonssi près des terres ravagées par laguerre et la terreur islamique… Il suf-firait d’une petite erreur de naviga-tion pour plonger dans l’horreur. Surplace, la guerre n’existe pas. Aucontraire, j’ai le sentiment de m’êtreéloigné, pour quelques jours de cettetension ressentie dans les rues deParis depuis les attentats de 2015.Loin des patrouilles militaires dumétro parisien, loin des déploiementsde gendarmes et de policiers qui si-gnalent en France les bâtiments offi-ciels et les synagogues. C’est toutjuste s’il y a quelques chicanes et ungarde devant l’ambassade des Etats-Unis. Un trio de musiciens âgés s’estinstallé sur la promenade, devant la

mer. Ils jouent les rapsodies deBrahms et les valses de JohanStrauss, comme s’ils étaient au borddu Danube, à Budapest…

Bien sûr, ce sont des Russes, an-ciens artistes du peuple de l’URSS,qui jouaient, autrefois, dans l’orches-tre du Bolchoï. Je ne suis pas venupour parler de politique, mais pourparticiper à la journée de la culturejuive d’expression française de l’ins-titut Emmanuel Levinas. Il me sem-ble essentiel de ne pas réduire Israël,moins encore le judaïsme, à la guerreou même à la politique. En dépit dece qui nous menace chaque jour enFrance comme en Israël, nous nepouvons prendre le risque de ressem-bler à ces crétins, qui manifestaient àParis, sur la place de l’Opéra, contrela venue de la compagnie Batsheva,dont ils ignorent tout, mais dont ilsexigent le boycott parce qu’elle est is-raélienne. Personne ne songerait àboycotter, à Tel-Aviv, le festival du filmfrançais. Ni cette journée, sur le cam-pus universitaire francophone de Ne-tanya, où je suis venu parler d’unepassion juive, la chanson française,d’Offenbach à Serge Gainsbourg.

Résister

La guerre est là, quand je retrouvedes amis dont les enfants effectuentleur service militaire. Elle revient en-core, le lendemain de mon retour, parles attentats de Bruxelles.

Le Monde, quelques jours plustard, invite des écrivains et des intel-lectuels à plancher sur le mot « Résis-ter ». Il y a quelques excellents textes,de Didier Daeninckx et d’AnnetteWieviorka notamment, et fort heureu-sement l’écrivain algérien BoualemSansal complète la question en nom-mant l’ennemi, à savoir l’islamisme

radical, les prétendus modérés qui lesoutiennent, les dictatures arabes quile financent et le manipulent. Les in-tellectuels français n’ont pas ce cou-rage. Ils triturent et manipulent cemot, en prenant parfois pour modèleStephane Hessel, dont le rôle dans laRésistance est devenu considérablevers 2006-2008. Grâce à lui, pour être« résistant », il suffit de signer un ma-nifeste indigné volant au secours del’unique peuple martyr de la planètequi est, bien sûr, le peuple palesti-nien. Au moins Hessel avait-il parti-cipé pendant la guerre à l’activitéd’un bureau de renseignements deLondres, nos « résistants » d’au-jourd’hui ne se risquent même pasdans les quartiers dont ils prétendentdéfendre les populations victimes dediscriminations. Prenant le maquisentre l’école des Sciences politiquesde la rue Saint-Guillaume et les pla-teaux de télévision, ils résistent, nonau terrorisme, mais à chaque écart delangage de ceux qui le combattent.Ces grands combattants n’hésitentpas à mettre en danger un intellec-tuel algérien, Kamel Daoud, parcequ’il a osé questionner la traditionmachiste du Maghreb après les évé-nements de Cologne. Proprementinouï ! Une pétition d’universitairesfrançais, fonctionnaires de la Répu-blique, contre un intellectuel, KamelDaoud, désigné comme islamophobe,alors même qu’il vit en Algérie, paysensanglanté dès les années 1990 parla première offensive de l’islamismeradical. Cette mouvance intellec-tuelle qui ose se réclamer de la Résis-tance pratique donc la délation,dévoilant ainsi sa véritable filiation,en digne fille de Vichy. Mais le subs-tantif « résistance » ne s’entend plussans l’adjectif « palestinienne ». Nousarrivons au comble du détournement

CHRONIQUE

Pénible retour dÊun îlot de civilisationpar Guy Konopnicki

“ Ce nouveau socialisme des imbécilesconduit des élus Front de Gauche de Toulouse a refuser de participer à la commémoration des assassinats de 2012. “

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de sens : les tueurs de juifs, au cou-teau, à la voiture bélier et à la ceintureexplosive sont des Résistants »…

Une illusion

Nous pouvions croire, après les mas-sacres de janvier et novembre 2015,que les forces politiques françaises etle monde de la pensée se rassemble-raient contre l’agression que subitnotre pays. C’était une illusion. Le pré-sident François Hollande s’est, certes,empêtré dans un projet de réforme dela Constitution, focalisant le débat surune question plus psychologique quepénale, la déchéance de nationalité,appliquée à des criminels politiques.Mais ce ne sont pas tant les faux pasqui déchaînent les polémiques que lesvérités énoncées avec courage. AinsiManuel Valls est-il devenu une ciblequand, dans son rôle de Premier mi-nistre, s’adressant à ses concitoyensjuifs, il a clairement désigné l’antisio-nisme comme la forme moderne del’antisémitisme. De partout, l’on s’in-digne ! Comment ? On ne pourraitdonc pas condamner le terrorismequand il frappe en France et en Bel-gique et l’applaudir comme un actesublime de résistance, quand il frappedes sionistes en Israël ? Ce nouveausocialisme des imbéciles conduit desélus Front de Gauche de Toulouse a re-fuser de participer à la commémora-tion des assassinats de 2012, parce quela mairie y a associé le CRIF local, qui,est, bien sûr coupable de crime sio-niste.

On finira par nous dire que les juifsassassinés en France sont des colonsposthumes, des occupants sous la terrede Jérusalem. La compassion changed’objet. Affaibli sur le front social, legouvernement a perdu la gauche mi-litante, ce qui permet aux démagoguesd’extrême-gauche de relever la tête.Au soir d’une manifestation portant surle code du travail, un militant prend laparole devant les caméras de télévi-sions, kefié autour du cou. Quoi deplus naturel ? Oublié, le terrorisme.D’ailleurs les Besancenot et les Plenelont trouvé la solution : il suffit de cesserde bombarder Daesh et il n’y aura plusd’attentats en France. Qu’importe si laplus meurtrières des attaques terro-ristes a eu lieu le 11 septembre 2001,avant l’engagement militaire desEtats-Unis au Proche-Orient, dont elleest la cause, non la conséquence. Etqu’importe si les crimes de Montau-

ban et Toulouse précèdent l’action dela France en Syrie, et si le motif de latuerie de Charlie Hebdo a été claire-ment énoncé et revendiqué, à savoir la

“ Nous savons pourtant,nous, que les pires antisémites peuvent user d’un langage distingué ! Ils ne prononcent pas le motjuif, moins encore youpin, pour mieux détester les israélites,dans la vieille droite, et les sionistes, dans la nouvelle gauche… “ Imre Kertesz

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volonté d’éradiquer l’esprit français,fondé sur la liberté de critique et deraillerie.

Puisque le mal est fait, autant re-prendre ici, ce qui me vaut insultes etmenaces sur les réseaux asociaux, j’as-sume ce que j’ai lancé dans Marianneà ceux qui se prévalent de la Résis-tance : en fait d’armée des ombres,nous avons des bataillons d’ecto-plasmes de la pensée. Dès lors qu’il estquestion de combattre l’islamique ra-dical, de participer au rassemblementdes Français, ils deviennent ces résis-tants de l’après-guerre, ceux dontPierre Dac disait qu’ils avaient plus demérites que lui, car ils avaient passéles quatre années de l’Occupation àrésister au dur désir de résister. Non,ils ne peuvent pas combattre l’isla-misme ; ce serait trop terrible pour lespopulations qu’ils définissent victimesde persécutions à raison de leur reli-gion. A les lire, dans Le Monde et ail-leurs, on finirait par croire que ce nesont pas des juifs qui ont été assassi-nés, en raison de leur présence dansune école juive en 2012 et dans un ma-gasin casher en 2015… Les discrimi-nés seraient les musulmans, que l’oninsulte au passage en les confondanttous avec les islamistes radicaux etleurs prédicateurs à double langage,que nous ne devrions pas critiquer,sous peine d’être taxé d’islamophobie.Et il n’a pas fallu bien longtemps pourque ces gens oublient que cette accu-sation valait sentence de mort etqu’elle a déjà été appliquée commetelle en France, le 7 janvier 2015, àCharlie Hebdo…

Les fourriers du crime

Après s’être rués sur Manuel Valls,coupable de combattre l’antisionisme,

ils s’étranglent quandLaurence Rossignol af-firme que son rôle est desoutenir les femmes quirefusent d’être cachéessous les oripeaux de l’op-pression religieuse.Comme elle comparaitune femme revendiquantle droit au voile intégral àdes nègres américains quidéfendraient l’esclavage, on lui fait unprocès pour son vocabulaire « raciste ».Fallait-il emprunter le détour politi-quement correct, pour ne pas pronon-cer ce mot revendiqué par AiméCésaire, qui n’était pas le poète de la« gensdecouleuritude » mais bien celuide la négritude. Tout est bon pour, sij’ose dire, blanchir les fourriers ducrime ! On surveille notre langage, onnous oblige à utiliser d’épouvantablesnéologismes. Nous savons pourtant,nous, que les pires antisémites peu-vent user d’un langage distingué ! Ilsne prononcent pas le mot juif, moinsencore youpin, pour mieux détester lesisraélites, dans la vieille droite, et lessionistes, dans la nouvelle gauche…

L’œuvre d’Imre Kertesz

Au milieu des désastres de la pen-sée, disparaît le dernier juif de la mit-tleuropa, Imre Kertesz, Prix Nobel delittérature, distinction attribuée, il fautle reconnaître, à un nombre de juifssans rapport avec la démographie dece petit peuple… Kertesz n’avait pasquinze ans en 1944, quand les juifs deBudapest furent déportés vers Aus-chwitz. L’Allemagne nazie connaissaitdéjà la défaite sur tous les fronts, ellemanquait de trains et les Alliés bom-bardaient les voies ferrées. Les juifs deBudapest firent une partie du cheminà pied, encadrés par les nazis hon-grois. Ceux qui avaient survécu à cesmarches furent, pour la plupart, gazésà leur arrivée.

Imre Kertesz avait survécu à cesmarches, au camp, puis à de nouvellesmarches de la mort, à la fin de 1944,quand les nazis, à l’approche de l’Ar-mée rouge, organisèrent le transfertd’une partie des déportés vers Bu-chenwald. Revenu vivant dans uneville fantôme, dans Budapest vidée de

sa communauté juive, qui comptaitparmi les plus brillantes de l’Europe.Libéré des camps de la mort, Imre Ker-tesz voulait vivre en écrivain mais il seheurta au contrôle absolu du particommuniste sur tout ce qui s’impri-mait. Ne pouvant accepter d’être jour-naliste dans ces conditions, il se fitauteur de spectacles de divertissementet, surtout, traducteur de la littératureallemande en langue magyar. L’alle-mand était, pour lui, la langue desécrivains et des philosophes et noncelle des bourreaux. Imre Kertesz sa-vait que le plus bel allemand contem-porain était celui de Joseph Roth et deFranz Kafka. Ce qu’il avait vécu dé-passait tout ce que Kafka avait ima-giné, il lui fallait cependant écrire, cequ’il fit relativement tardivement.L’Etre sans destin connu en France en1975 bouleversa notre vision de ce quel’on commençait à peine à désigner dunom de Shoah. L’œuvre d’Imre Kerteszdonne la mesure du déni d’humanité,de l’anéantissement de toute création,qui se poursuit bien après la fin du sys-tème nazi. Car les juifs assassinés nesont pas seulement eux-mêmes, ilssont ce qu’ils n’engendreront jamais.Imre Kertesz prononce le Kaddishpour l’enfant qui ne naîtra pas, pour cevide insondable laissé au cœur del’Europe par la destruction des juifs.

A la fin de sa vie, l’écrivain s’inquié-tait de ce qui revenait en Hongrie et enEurope, ces nationalismes si prochesde ceux qui avaient conduit à la catas-trophe. Son œuvre a traversé le néantpour renouer le fil de la littérature en-fouie, évanouie avec les juifs de la mit-tleuropa. Elle est si précieuse, aumilieu de ce climat de haine, où denouveau, les juifs se trouvent menacés,parce qu’ils sont, comme hier, les pas-seurs de cette culture insupportableaux barbares.

GK

“ L’Etre sans destinconnu en France en 1975 bouleversanotre vision de ceque l’on commençaità peine à désigner du nom de Shoah. “

Manifestation antisioniste à Paris

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 13

Le sionisme politique, àses origines, fut à la foisune rupture et un ac-complissement du pointde vue du judaïsme. Unerupture, à l’évidence,

pour être né, s’être développé et avoirréussi dans un milieu en rupture deban avec la religion ou simplement as-similé.

Pour ce qui est de la rupture, c’est làun jugement qui peut être défendu,même si l’on prend en considérationquelques faits qui pourraient le contre-dire. Herzl eut quelques prédécesseursissus du monde rabbinique parmi les-quels le rabbin visionnaire de Sara-jevo, Yehuda Alkalay (1798 - 1879) quiprécède de 17 ans le Herzl de L’Etatjuif. Herzl lui même ne serait pas,selon certains auteurs, l’intellectuelassimilé que l’on croit couramment1.Enfin, si Herzl a conçu et rendu publicson message au sein du judaïsme as-similé et en Europe de l’Ouest, c’est enEurope centrale et de l’Est, dans lemonde méditerranéen et au MoyenOrient, donc loin des foyers de l’assi-

milation, que sa bonne nouvelle a étéentendue.

Pour ce qui est de l’accomplisse-ment, c’est la réussite du sionisme quiparle pour elle-même. Le sionisme adonné vie et consistance aux pro-messes de la prophétie au regard descritères fondamentaux qu’avait déve-loppés la doctrine messianique: le re-fleurissement de la Terre d’Israël, lerassemblement unique dans l’histoirede tous les exils du peuple d’Israël, etmême la révélation dans le Tiersmonde de Juifs inconnus auparavant,première occurrence de l’apparition dupeuple juif comme ensemble sur lascène internationale, depuis le premierexil à Babylone, l’édification d’unesouveraineté et d’un Etat qui tiennentla route face à une adversité planétaire,elle-même signe des temps prophé-tiques, la reviviscence de la langue hé-braïque et jusqu’au développementconsidérable de l’étude de la Tora.L’ironie veut qu’Israël est même de-venu le centre de l’ultra-orthodoxie quine le reconnait pas. Le sionisme est parailleurs la seule idéologie juive mo-derne qui a survécu au naufrage de laShoah, celle qui ne s’est pas trompéesans son analyse stratégique et sonévaluation du destin juif. Herzls’adressait aux Juifs d’Europe 40 ansavant la Shoah.

Un paradoxe

Ce qui est certain de toutes façons,c’est que le sionisme politique n’estpas né dans le cadre du judaïsme rab-binique de son époque ni dans son mi-lieu qui, la plupart du temps, s’estopposé à lui (ce qui ne fut pas le cas dujudaïsme en monde sépharade) et dontune grande part aujourd’hui encore estrestée en dehors de son action histo-rique. Son projet impliquait à l’évi-dence une rupture avec la traditionjuive dans la mesure où il recherchaitla “normalisation” des Juifs, en droiteligne de la “régénération des Juifs”

que la Révolution française avait miseen œuvre avec l’émancipation. Le re-tour à Sion devait permettre aux Juifsde devenir “comme les autres”, c’est àdire de s’assimiler en masse et donc des’éloigner du judaïsme, défini commeune réalité de l’exil, pour ne pas direrompre avec lui. Le paradoxe veut que,ce faisant, le sionisme incarnait une fi-délité - jamais atteinte à travers l’his-toire - à l’antique rêve et promesseprophétiques du retour des exilés àSion: plus qu’un rêve, une injonctionde la Halakha, en leur assurant uneréussite incomparable au regard del’histoire.

La réalité est encore plus complexequand on considère son rapport auxJuifs assimilés. S’il faisait miroiter lapossibilité d’une assimilation collective(aux standards de l’Europe émancipa-trice), il n’en représentait pas moinsune rupture sur ce plan- là avec la ju-daïcité assimilée de son temps. Il prô-nait en effet une auto-émancipation etnon plus une émancipation, non plusl’accession des Juifs à la citoyennetéindividuelle de l’Etat-nation européen,mais la fondation d’une citoyennetéjuive destinée à une nation juive dansun Etat-nation juif. C’était suivre lesens de l’évolution de tous les Etats-nations européens au moment où lesJuifs s’y découvraient pourchassés

BONNES FEUILLES

Sionisme et judaïsme Par Shmuel Trigano

Le numéro 57 de la revue Pardès (fondée par Annie Kriegel et Shmuel Trigano) estconsacré au thème Sionismeet judaïsme. On y trouve d’importantes contributionsd’une vingtaine d’intellectuels,juifs pour la plupart.Nous publions ci-dessous le texte de l’introduction quenotre ami Shmuel Trigano adonné à ce dossier de Pardès.Les inter-titres sont de la rédaction d’Information juive(Editions In Press, 23 E)

“ Le sionisme est par ailleurs la seuleidéologie juive modernequi a survécu au naufrage de la Shoah,celle qui ne s'est pastrompée sans son analyse stratégique et son évaluation du destin juif. “

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comme un peuple maudit avec l’appa-rition de l’antisémitisme, une idéologiemoderne s’en prenant à la condition depeuple des Juifs désormais souter-raine. Herzl fut ainsi en butte aux Is-raélites français, allemands, anglais,etc.

Sur ce plan-là, cette infidélité à lacharte de l’émancipation des Juifs in-carnait une fidélité au judaïsme, dansson sens absolu et pas relatif au 19 eme

siècle, à savoir la conscience et la vo-lonté d’être un peuple, un peuple liépar l’alliance sinaïtique, ce à quoi le ju-daïsme émancipé avait dû renoncer. Sil’on voulait approfondir, on pourraitavancer que, paradoxalement, seul le

sionisme fut fidèle à l’émancipation caril eut la force d’ajouter à une citoyen-neté individuelle un Etat démocra-tique, ce qui fut la voie de toute lamodernité européenne. Lui seul sesouvînt qu’il existait un peuple juif2.

Un carrefour

C’est à ce carrefour de la rupture etde l’accomplissement que la divisiondes Juifs se produit dans une mécon-naissance réciproque de leurs tenants.Les uns, réputés “laïques”, restent -quoique dans des modalités diverses -dans la rupture avec le judaïsme, ré-puté exilique et archaïque; les autres,réputés “religieux”, restent - quoiquedans des versions différentes et à desdegrés différents - dans la rupture avecle sionisme, réputé irreligieux .

Ces derniers dénient l’accomplisse-ment objectif des attentes prophé-tiques, les premiers leur dette enverselles et donc le corpus qui les a portéeset faites vivre, sauf que celui-ci ne sevoit concéder qu’une valeur conserva-toire et identitaire.

La question se pose néanmoins avecplus de force pour le monde religieux,c’est à dire du point de vue du ju-daïsme. Comment a-t-il pu rater lecoche de la naissance de cette longuepérégrination vers un Etat juif, encoreloin d’être finie aujourd’hui? Cettequestion se pose effectivement dansune moindre mesure au monde juifnon religieux et laïque, sauf s’il se de-

mande si la longue histoire dont il estle rejeton n’avait eu pour seul but quede créer un petit Etat du MoyenOrient, à l’instar d’un Monténégroperdu dans les Balkans (pour recourirà une comparaison qui a une histoire).La question est d’autant plus pressenteque la modernité à laquelle ce projets’adossait est en pleine décompositionet que le nouvel antisémitisme s’at-taque à la normalisation des Juifs, c’està dire à la solution étatique.

C’est à la première question quecette livraison est consacrée. Elle esten général peu abordée, si ce n’estdans le milieu du sionisme religieux,mais ici aussi avec toute une gammed’opinions, de celle qui affirme la pré-cellence du judaïsme religieux sur la

politique d’Israël à celle qui prône unmodus vivendi défini comme le statuquo.

Un « peuple-église »

Comment pourrait-on renouveler laréflexion? Une réflexion qui verraitdans le fait que le judaïsme institué aitraté le coche (et le rate toujours) unsigne d’un effort à faire pour se hausserà hauteur d’une expérience inédite quia pour nom la souveraineté? Soit uneéconomie inédite de l’être juif, qui ver-rait la convergence de la Adat Bnei Is-rael et du Am Israel, du peuple et de sapersonne métaphysique, qui verrait laremise en scène de la condition collec-tive de peuple d’Israël, un “peuple-église” comme j’ai eu l’occasion de ledéfinir dans un livre3.

Si je tentais une image, qui fut l’objetd’un livre de jeunesse4, je dirais que lesionisme politique a conduit le peuplejuif au pied du Sinaï. Nous sommes,depuis, entrés dans la période des 40jours de l’absence de Moïse.

( Les textes rassemblés dans ce dos-sier ont été présentés le dimanche 22novembre 2015 à l’occasion du Col-loque international de l’Université po-pulaire du judaïsme ).

--1 Cf. Yoram Hazony, L’Etat juif, sio-

nisme, post-sionisme et destin d’Israël,L’Éclat 2007, Georges Weisz, ThéodoreHerzl, une nouvelle lecture. L’Harmat-tan, 2006.

2 Ce qui ne fut pas vraiment le cas duBund qui ne voyait la condition depeuple juif que limitée aux Juifs polo-nais et encore, uniquement les prolé-taires...

3 S. Trigano, Politique du peuple juif,François Bourin, 2013

4 S. Trigano, La Nouvelle QuestionJuive, l’avenir d’un espoir, 1979, FolioGallimard.

“ Le sionisme politique a conduit le peuple juifau pied du Sinaï. Noussommes, depuis, entrésdans la période des 40 jours de l'absence de Moïse. “

Le retour à Sion

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 15

J’ai vécu dans l’agglomé-ration bruxelloise pen-dant un demi-siècle.Voici quelques ré-flexions que m’inspirel’attentat de Bruxelles.

Ce qui paraît évident en premierlieu c’est l’absence totale de coordi-nation entre les forces policières eu-ropéennes : l’un des terroristes avaitété expulsé de Turquie aux Pays-Bas en tant que djihadiste mais LaHaye n’a pas jugé utile d’en infor-mer Bruxelles. On constate ensuiteque les peines infligées aux crimi-nels ne sont appliquées que très im-parfaitement : deux des terroristesde Bruxelles, condamnés à la suitede braquages, ont bénéficié d’unelibération anticipée qui n’a pas étérévoquée alors qu’ils s’étaient sous-traits aux obligations qui en décou-laient. Ajoutons que la répressionest entravée par l’extrême lourdeurde la structure administrative belge(interpénétration d’une complexitéinouïe des autorités fédérales, ré-gionales et locales…).

Un Bruxellois sur cinq environ estd’origine marocaine. La capitalebruxelloise a su intégrer sans pro-blèmes majeurs ses vagues d’immi-

gration précédentes (Juifs d’Europede l’est, Espagnols, Italiens, Grecs,etc.). Mais ces nouveaux-venus, quiétaient de culture européenne, par-tageaient les normes ambiantes etespéraient réussir leur vie en tra-vaillant dur : dans l’ensemble, ils ysont parvenus. Tous les enseignantsse souviennent de ces enfants d’im-migrés, stimulés par leurs parents,qui étaient premiers de la classe.

La haine du juif

Mais ce modèle d’intégration n’apas fonctionné correctement pourles nouveaux-venus du Maghreb.L’immigration a été trop subite, tropmassive et aucun programme adé-quat d’intégration n’avait été missur pied. En outre, une partie desimmigrés marocains ont été absor-bés par des réseaux de délinquants(trafic d’armes et de stupéfiants) etse sont mis à rejeter les valeurs oc-cidentales. Voici quelques annéesdéjà un ami marocain qui était com-merçant et se faisait appeler « Mon-sieur Albert » se plaignait déjàauprès de ma femme qu’il n’avaitplus aucune autorité sur son fils quitournait mal : « Au Maroc, je lui au-rais donné quelques coups de cein-turon, ici c’est lui qui me bat ».

Il faut éviter, bien entendu, les gé-néralisations abusives. Mais il estincontestable que terroristes et dé-linquants font figure de modèlespour une partie substantielle de lajeunesse maghrébine immigrée : lefait qu’Abdeslam ait pu bénéficierdurant des mois du soutien de sonquartier d’origine au point de pou-voir impunément se promener de-vant le commissariat de police de

Molenbeek alors qu’il était active-ment recherché en fournit la dé-monstration. Et lorsqu’il aété localisé, les policiers venus lecueillir ainsi que les journalistes ontdû affronter un caillassage en règlede la part des jeunes du quartier(images censurées par les chaînesde télévision belges : il y a deschoses qu’on refuse de voir). Maisajoutons – faible lueur d’espoir ? –que si aucun imam belge n’a jugéopportun de s’incliner devant lesvictimes de l’attentat perpétrécontre le Musée juif de Bruxelles,quelques jeunes filles en hijab s’ysont rendues spontanément.

POLITIQUE

Questions belgesPar Nathan Weinstock

« Images censurées par les chaînes de télévision belges : il y a des choses qu’on refuse de voir »

« Et puis il y a la haine du Juif. »

40.000 juifs en Belgique

Selon des informations de sourceeuropéenne, la population juive dela Belgique serait aujourd’hui de40.000 personnes, la moitié setrouvant à Bruxelles et l’autre moi-tié à Anvers.Au lendemain des attentats en Bel-gique, un des responsables du ju-daïsme belge aurait regretté qu’iln’y ait pas de bureau de l’Agencejuive dans la capitale du pays : «Les services israéliens de l’aliyaauraient déployé tous leurs effortsen faveur de l’aliya de France maisn’auraient rien fait en faveur del’aliya de Belgique ».Roubi Spiegel, un des dirigeantsdu judaïsme belge a par ailleursdéclaré : « La question n’est pas desavoir si les jeunes juifs quitterontle pays mais quand «

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16 INFORMATION JUIVE Mars 2016

Dans les quartiers immigrés deBruxelles – dont évidemment Mo-lenbeek – on trouve des épousesmarocaines que leur mari enchaîneau radiateur lorsqu’il quitte le foyerde crainte qu’il ne lui prenne enviede s’aventurer à l’extérieur. Ce queles autorités tolèrent, tout commeles mariages forcés d’adolescentes.A la station de métro « Gare del’Ouest » sévit une police desmœurs locale qui intimide toutes lesfemmes d’apparence marocainesans voile. Sans que les forces del’ordre ne jugent utile d’intervenir.

Et puis il y a la haine du Juif. Paschez les vieux : nombre d’épiciersmarocains repéraient les clientsjuifs désireux d’acheter despommes grenades pour Roch-Ha-chanah et les accueillaient avec unsourire : « Ah oui, c’est votre fête,n’est-ce pas ? ». Mais dans lesécoles des quartiers immigrés, lesenseignants juifs harcelés par leursélèves musulmans (notamment àMolenbeek et même ceux quiétaient notoirement des militantspro-palestiniens) ont été déplacés :la direction de l’enseignement n’ajamais voulu affronter cet antisémi-tisme. Quant aux élèves juifs, la vieleur a été rendue insupportabledans presque tous les établisse-ments d’enseignement publics.Par leurs condisciples arabes.

L’opinion dite de gauche en Bel-gique capitule devant le fanatismeet l’intolérance : les immigrés sontdes électeurs, aussi juge-t-on né-cessaire de les caresser dans le sensdu poil : ainsi Philippe Moureaux,le bourgmestre (maire) de Molen-beek, avait-il fermé les yeux devanttous les excès et abus et multiplié

les concessions les plus invraisem-blables : interdit aux policiers demanger en public durant le Rama-dan de crainte d’indisposer les ha-bitants musulmans ! Aucunemesure pour contrer les agressionsverbales et autres contre les jeunesfemmes, comportements choquantsque les Marocaines ont été les pre-mières à dénoncer. Elio Di Rupo, leprésident du Parti Socialiste, ne ratejamais l’occasion de déclarer qu’il« est Palestine » (mais ne pipe motlorsqu’un bourgmestre de son parti

d’origine turque nie la réalité du gé-nocide arménien). André Flahaut,longtemps ministre socialiste et en-suite président de la Chambre desReprésentants, a déclaré publique-ment accueillir une manifestationpro-palestinienne parce qu’il était« contre tous les nazismes». Onaperçoit ici que le supposé pro-pa-lestinisme recouvre en fait un anti-sémitisme sans fard…

La synagogue de Bruxelles

« On aperçoit ici que le supposé pro-palestinisme recouvre en fait un antisémitisme sans fard »

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 17

Le soir de Pessa’h, laTorah ordonne au pèrede faire le récit de lasortie d’Egypte à sonenfant. Ce récit neprend pas la forme d’un

cours magistral ou d’un monologue.En effet, il est censé intervenir dansun deuxième temps, en tant que se-conde parole, après que des ques-tions aient été posées. D’ailleurs, lesSages ont établi toute une infrastruc-ture rituelle afin de susciter l’étonne-ment et l’interrogation de l’enfant etéveiller son intérêt. De sorte que lepère raconte la sortie d’Egypte, noncomme une histoire qui s’impose ous’invite à l’improviste, mais commeune réponse souhaitée et attendue.C’est un dialogue vivant qui s’ouvre.

On perçoit clairement l’intérêt pé-dagogique de la démarche quiconsiste à susciter le questionnementchez l’enfant afin de lui transmettreun message, une leçon de vie. Toute-fois, il semble bien que la notion duquestionnement dépasse le souci pé-dagogique aussi légitime soit-il. LeTalmud dit bien que si un homme n’apas d’enfant, c’est son épouse qui luiposera les quatre questions et s’il estseul, il se posera les questions à lui-même. Et même deux érudits se po-seront les questions mutuellement(Choul’han Aroukh, Ora’h ‘Haïm 473,7). Par ailleurs, selon l’usage courant,le père reprend la lecture du Manichtana après que l’enfant l’ait lui-même récité (Hégueyoné halakha Ip. 42).

Treize questions

- Le séder est ponctué de questions : - les quatre du texte de Ma nichtana,- les questions du Sage et du simple(« Quels sont ces témoignages, ces

lois, ces préceptes («Ma ha’édot,ha’houkim vehamichpatim ? » et« Qu’est-ce cela (« Ma ha’avoda ha-zote ? »),- les introductions de leur interven-tion : « Ma hou omer ? Que dit-il ? »,- les introductions aux paragraphesrelatifs à la matsa et au maror : « Alchoum ma ? »,- les questions présentes naturelle-

ment dans les textes du hallel :« Qu’as-tu la mer pour fuir ? Malekha hayam ? », « Pourquoi les na-tions disent-elles : Où est-Il votreDieu ? Lama yomerou hagoyim ayéElohehem ? », « Que répondre àDieu, Ma achiv laChem ? »,- Le ma, quel, quoi, est aussi omni-présent non dans des formules inter-rogatives mais des formules qui

introduisent la citation de verset.L’expression : kema chénéémar re-vient comme un leitmotiv. Curieuseexpression car la formule consacréepour citer un verset est simplement« chénéémar, ainsi qu’il est dit ». Lahagada dit : « comme le Ma, ainsiqu’il est dit ». Au détour d’une cita-tion, pose-toi encore une question ?- « Minayin, d’où savons-nous queles Egyptiens ont reçu tant et tant deplaies… ? »- La fin du séder se conclut par unesérie de treize question : « E’had, miyodéa ? Chetayim, mi yodéa ?... »(E’had, mi yodéa ? s’oppose au « MiHachem acher echma bekolo, qui est

Dieu pour que j’écoute sa voix » pro-noncé par pharaon). Du Ma, on estpassé au Mi, du principe du ques-tionnement, on parvient à s’interro-ger sur le « Qui », l’identité. Tel estle cheminement du séder.

Une énigme

Il s’agit donc de poser des ques-tions, ou de manière plus précise, dese poser des questions puisque le juifqui est seul pose aussi ces questions.

Pourquoi est-il si nécessaire deposer des questions à Pessa’h ?Pessa’h célèbre l’accession del’homme à la dignité humaine. Or,qu’est-ce l’homme sinon la capacitéà revenir sur lui et à se poser desquestions sur lui-même. N’est-ce paslà la véritable humanité ? Adam abien pour valeur numérique 45, soitle terme « ma ». L’homme est uneénigme et son essence, un question-nement.

L’histoire de la relation entre lanourriture et le questionnement seréalise en trois temps : le péché ori-ginel où Adam mange du fruit dé-fendu, puis est sommé de répondreaux questions de Dieu : « Où es-tu ?Qui t’a appris que tu étais nu ? As-tumangé de l’arbre que j’avais inter-dit ? ». Eve aussi est interrogée :« Pourquoi as-tu fait cela ? » (Genèse3). La question suit la consommation.Elle arrive en retard.

Puis, concernant la mane, le paincéleste qui nourrissait le peuple d’Is-raël dans le désert, la Torah dit : « lesenfants d’Israël virent et ils direntl’un à l’autre : « c’est la mane (manehou)» car ils ne savaient pas ce quec’était (ma hou) ». Selon RabbénouBe’hayé, le terme mane provient dumot mana qui veut dire une portion,une ration. Comme le peuple igno-

PESSAH

La célébration du questionnement par Jacky Milewski

“ L’homme est une énigme et son essence, un questionnement. “

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rait la nature de ce pain céleste, il lenomma simplement « portion ».Selon la Mekhilta, mane hou (c’estla mane) est la contraction de mahou. Ils l’on appelé « qu’est-ce » carils ne savaient pas ce que c’était. Cetaliment tombé du ciel est donc dési-gné par le terme qui introduit géné-ralement une question. Cettenourriture porte en elle le question-nement. Se produit ici une réorien-tation de la nourriture : de lajouissance stérile au questionnementde l’être, sur l’être. La question estportée par la nourriture.

Quelle route ?

La troisième étape est celle où l’in-terrogation précède la consomma-tion. A Pessa’h, on pose d’abord les

questions, puis, on mange la matsaet le maror. La question est poséeavant pour que nous ne soyons pasassignés à y répondre après. Si Adams’était interrogé, il n’aurait pasmangé le fruit interdit.

Le sens de ce questionnement nese limite pas au « Pourquoi mange-ton ? ». Il porte également sur la vieque les aliments consommés vontnourrir. Nous puisons de l’énergiemais à quelle fin ? Pour nourrir quelprojet de vie ? Pour s’engager surquelle route ?

Il ressort de ce développement quele séder constitue comme une répa-ration du péché originel puisque laquestion est posée avant la consom-mation. Cette dimension de répara-tion relève aussi des alimentsmangés : pain azyme, herbes amèreset agneau pascal (à l’époque du Tem-ple de Jérusalem). En effet, le PeriTsadik (Pessa’h I) fait remarquer queseuls les fruits des arbres avaient étéautorisés à Adam. Les légumes et lepain relèvent de la malédiction quisuit la consommation du fruit dé-fendu : « tu mangeras l’herbe duchamp et le pain à la sueur de tonfront ». Quant à la viande, elle ne futautorisée qu’à l’époque de Noé. Cestrois éléments proviennent de l’inca-pacité de l’homme à s’assumer. APessa’h, le juif mange de ces trois ali-

ments en récitant des bénédictionsoù la nourriture prend le cachet de laconsécration. La bénédiction surgiten lieu et place de la malédiction. Lasortie d’Egypte vécue à chaque gé-nération est une tentative, chaqueannée renouvelée, de réintégrer lejardin d’Eden.

Cette idée se retrouve aussi dans lefait que la matsa constitue l’antino-mie parfaite du fruit défendu. « Lafemme a vu que [le fruit] était bon entant que nourriture, agréable pour lavue et précieux pour la compréhen-

sion (haskala) » (Genèse 3, 6). Lepain azyme n’est ni particulièrementbon pour le palais, ni beau pour le re-gard. De plus, le Zohar le désignecomme « l’aliment de la foi(émouna) » (cf. Bené Yissaskhar, Nis-san 8, 1). La croyance en Dieu et cequi en découle s’opposent au ratio-nalisme radical, à la rationalisationde l’existence. Quant aux quatrecoupes, elles réintègrent le vin dans

le cadre du service divin puisqueselon le Talmud (Berakhot 40a), l’ar-bre de la connaissance est identifié àla vigne.

On saisit alors qu’après lerepas, la porte de la maison s’ouvreafin d’accueillir le prophète Elie. Ilnous devancera, donnera quelquesindications aux chérubins placés surle chemin de l’arbre de la vie et nouspourrons enfin en goûter et nous re-poser à son ombre, pour l’éternité.

J.M

“ Nous puisons del’énergie mais à quelle fin ? Pour nourrir quel projet de vie ? Pour s’engager sur quelle route ? “

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 19

Dans le livre qu’ilconsacre à la Ha-gada, le rabbinAdin Steinsaltzécrit entre autres :« Enrichie peu à

peu de nouveaux textes, la Hagadaest par essence une œuvre qui de-mande à être complétée. A chaqueépoque, les parents et les élèves sontinvités à réfléchir sur la servitude etla libération d’Egypte , à en reparler,à trouver les points de rencontreentre la vie actuelle et les événe-ments racontés dans la Hagada.Chacun doit ajouter sa note person-nelle et raconter la sortie d’Egypte« pendant toute la nuit » au mini-mum. »

Le rabbi se demande comment ilfaut lire la Hagada et qui doit lefaire ? Voici la réponse qu’il propose :« Ces points sont laissés à la discré-tion des convives. Ils peuvent la liretous ensemble, avec ou sans mélo-dies, ou laisser cet honneur audoyen de l’assistance. Les adultes etles enfants ,le fils sage, méchant oustupide , sont invités à poser des

questions. Qui peut répondre et quiveut débattre du sujet est digned’éloges ».

De son côté, le rabbin Jacquot Gru-newald écrit dans son « Livre duSéder » à propos de la Hagada :« Elle est celle de nos grands parentset elle fut celle de leurs grands pa-rents. Pas un mot n’en est changé.Mais elle ne se lit plus seulementcomme on le faisait hier, Le retourde la souveraineté juive sur la terreancestrale , la shoa, l’émergence dela Kabbale, le féminisme, les orienta-tions de la chrétienté – née d’un loin-tain séder - et celles de l’islam – faceà ses extrémismes- le regard dumonde sur Israël et celui d’Israël surle monde impriment de nouveauxaccents aux mélodies du séder ».

« La Hagada de Pessah a prisforme aux années où sur leur terre,les Juifs faisaient la guerre à l’occu-pant romain avant de se mesurer àses décrets scélérats. Elle lit la libé-ration d’Egypte à la lumière de cescombats, des certitudes ou des inter-rogations des maîtres de cette

époque. Deux millénaires après,semblables interrogations et des cer-titudes similaires nous interpellentune nouvelle fois ».

Voici enfin ce qu’on peut lire à pro-pos de la Hagada dans le Diction-naire encyclopédique du judaïsme (Editions du Cerf) : « Son origine im-mémoriale, son contenu exaltant etson actualité sans cesse renaissantefont de la Hagada un rituel particu-lièrement apprécié . Depuis l’époqued’Amram ben Chechna Gaon et deRachi, elle a été l’objet de multiplescommentaires ainsi que de multiplestraductions. De plus, le fait quechaque participant au séder disposeen principe d’un exemplaire , adonné lieu au développement d’unart décoratif d’une ampleur excep-tionnelle souvent à destination desfemmes et des enfants. Au MoyenAge, des Juifs fortunés commandi-taient des Haggadot somptueuse-ment enluminées où se déploie uneingéniosité luxuriante tant dans lesillustrations que dans les textes…

« Les premières Haggadot impri-mées apparaissent en Espagne ( env.1482) et en Italie ( 1505 ) , mais l’édi-tion illustrée la plus ancienne qui aété conservée est celle imprimée àPrague paar Guerschom Cohen ((1526 ). Depuis cette date, plus dedeux mille éditions de la Haggadaont vu le jour et de nouvelles conti-nuent de paraître ».

PESSAH

De quoi la Hagada est-elle le nom ?

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20 INFORMATION JUIVE Mars 2016

Parler d’une religionathée, c’est un peucomme parler d’un « cer-cle carré », ou du « bour-geois gentilhomme ». Ils’agit d’une réelle

contradiction dans les termes. Le butde la religion est de relier la créatureau Créateur ; donc, par hypothèse,l’athéisme ne peut correspondre auconcept de religion. Du reste, si l’on seréfère à un « judaïsme athée » – à Dieune plaise ! –, cela ferait du judaïsmeune culture, et non une religion. Or,voilà à peu près la conclusion qui sedégage du dernier livre de BernardHenri Lévy, « L’esprit du judaïsme ». Ils’agit d’un auteur très connu – un phi-losophe, engagé dans diverses actionshumanitaires en Bosnie, en Ukraine, etdans d’autres actions politiques. Estainsi remise en question – nullementde façon négative, mais plutôt avecsympathie – l’essence même (et nonl’esprit) du judaïsme. Il devient dès lorsprimordial de réagir et de définir clai-rement, sans fard, sérieusement, l’es-prit du judaïsme depuis plus de troismillénaires.

Ce qui dérange, tout d’abord, c’estcette prétention à vouloir dégager, ex-pliciter l’esprit d’une religion, sans lavivre réellement. A-t-on le droit de pré-tendre connaître, comprendre le ju-daïsme, sans ressentir l’expériencequotidienne du fidèle qui s’identifie àcette religion ? C’est déjà une questionde fond, qui invite à la réserve, à uneréticence face à un « philosophe » quiassène des définitions aux allures ab-solues et indéniables. Cependant, au-delà de cette difficulté première, la

présentation de l’« esprit » du judaïsmereste évidemment faussée en touspoints de vue par des principes fonda-mentaux : le refus de la foi en un Créa-teur, l’occultation de la dimensionhistorique de l’existence juive et, deplus, la négation de l’importance del’observance.

Pour B. H. L., il n’y a que l’étude quidéfinisse et exprime le judaïsme. Au-delà, l’« esprit » demeure borné. L’au-teur trouve alors logique l’idée deconsidérer l’« ultra-orthodoxe » commeun danger pour le judaïsme. S’affir-mant clairement « irréligieux », il es-time que « le grand débat est entre Juifsqui pensent et ceux qui ne pensent pas». Dans cette perspective, l’étudecompte plus que la prière. Ainsi, parextension, savoir est plus essentiel quecroire. Selon ce penseur, l’esprit du ju-daïsme ne se trouve, en aucun cas,chez les orthodoxes « à pensée figée etparfois criminelle ». Il n’hésite pas àécrire que l’«esprit du judaïsme est […] dans la surabondance d’intelligencequi sort de la lecture de ce Talmud, dontcertains voudraient faire l’Eglise invi-sible de l’ultra-orthodoxie » ! Il noussemble crucial de démontrer le danger– réel cette fois – de cette approche quinie l’être réel de « l’esprit du judaïsme». Il paraîtrait loisible de traiter par lemépris et l’ignorance ostensible unetelle absence de compréhension del’histoire et du sens dudit « esprit » dujudaïsme mais, vu l’impact médiatiquede cet auteur, il n’est pas permis de setaire. Il est interdit, nous semble-t-il, dene pas opposer, non pas la réponse – àde telles inepties on ne répond pas ! –,mais d’exposer la base véritable du ju-

daïsme dans le passé, ce qui lui donneson assise aujourd’hui, et ce qui garan-tit, demain, l’avenir de l’existence dupeuple.

Triptyque

Voilà pourquoi il convient de ne paslaisser passer des affirmations igno-rantes de l’esprit de la Tora, sans es-sayer d’affirmer le triptyque qui assurel’existence juive : croire, observer etétudier. Tel est le message éternel d’Is-raël : dire Chema’ Israël, exprimer la foien une Providence tutélaire, qui s’oc-cupe de tous les détails de l’Histoireuniverselle ; ensuite observer, c’est-à-dire faire montre de fidélité à la Loi, etbien sûr, étudier. C’est le programmeéternel du devenir de l’être juif: na’assé venichma’.

Cette phrase prononcée au momentde la Révélation du Sinaï reste la for-mule fondamentale de l’esprit du ju-daïsme, malgré toutes les tentatives quiont, au cours de l’Histoire, refusé lemessage de la Tradition : Sadducéens,Karaïtes, Haskala, Réforme – autant dedéviations de l’esprit du judaïsme.Dans l’entre-deux-guerres, en France,un certain intellectualisme religieux,une doctrine vidée des valeurs tradi-tionnelles, avaient trouvé une placedans le judaïsme assimilé. Aujourd’hui,l’attitude est inverse : on revient à l’im-portance de l’étude de la Tora. Néan-

POLÉMIQUE

Réponse à Bernard-Henri Levy :

Le véritable espritdu judaïsmePar Lionel Cohn

“ La référence à Maïmonide, à Rachi, ou au Gaon de Vilna,

maîtres incontestés en Tora, est

particulièrement indécente. “

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 21

moins, si ce retour évacue la transcen-dance et l’observance, il ne traduit enaucune façon la continuité de l’espritdu judaïsme. A son fils qui lui demandes’il croit en Dieu, le philosophe répond: « Le problème n’est pas là ». L’absencede ce problème s’avère fort significa-tive. Dans une interview au journal Li-bération , B- H. L. affirme clairementque l’idée de Dieu n’est pas centraledans le judaïsme, et précise : « On peutêtre juif, profondément juif, sans croireen l’existence de Dieu ».

Quand le journaliste lui demande lanature de cette question centrale, il ré-pond : « L’étude, ou […] le savoir, l’in-telligence, le commentaire inlassable…». Bernard-Henri Lévy convoque àson secours « Maïmonide, le Gaon deVilna, qui, s’ils devaient choisir entreun étudiant mystique qui ne réfléchitpas et quelqu’un qui s’échine à inter-préter le verset sans effusion mystique,choisiraient le second, l’étudiant quidoute plutôt que l’homme de foi quin’étudie pas ». Il cite aussi Rachi, ce «talmudiste champenois du XIème siè-

cle, l’un des premiers érudits à utiliserle français comme langue écrite et sa-vante… ». La référence à Maïmonide,à Rachi, ou au Gaon de Vilna, maîtresincontestés en Tora, est particulière-ment indécente. De fait, quelquegrands talmudistes qu’ils aient été, ilsne séparaient certainement pas l’étudede l’observance, ni de la foi en Dieu.Maïmonide, par exemple, a rédigé leMichné Tora, ouvrage halakhique fon-

damental en 14 volumes, considérécomme l’un des codes pratiques lesplus importants du judaïsme. Par ail-leurs, il n’est pas inutile de rappelerque les philosophes juifs ont retrouvéla voie de l’observance, et cela, non paspar une autosatisfaction béate et stu-pide (des penseurs éloignés ont re-trouvé la voie de la Tora !), mais bienafin de prouver que le refus de la Loi nenaît pas nécessairement de la philoso-phie.

La condition humaine

A l’opposé, citons Franz Rosenzweig.Lors de sa maladie, à la fin de sa courtevie, il avait organisé un minian dansson domicile à Francfort. De même,Emmanuel Levinas, sans tomber dansle pathétique, découvre dans ce mondela « trace » du Créateur ; lui aussi avaitretrouvé la voie de l’observance, qu’ilfaisait pratiquer dans son Ecole de ca-dres à Auteuil. Il reste évidemment né-cessaire de citer Benny Lévy. Saphilosophie l’a conduit à la pratique laplus rigoureuse, et lui a fait refuser

l’athéisme, dont il dit qu’il n’estqu’ignorance. Le but, écrit Benny Lévy,est de « retrouver sans problème la foide nos pères », et Benny Lévy rapporteainsi Levinas, « retournant à rabbi‘Hayim de Volozhyn ». Il convient ainside rappeler l’importante préface d’Em-manuel Levinas à la traduction du Né-fech ha’Hayim, de rabbi ‘Hayim deVolozhyn, due au professeur BenjaminGross. La conclusion de cette préface

formerait, à nos yeux, la meilleure ré-ponse à Bernard-Henri Lévy, à sonrefus de la foi et de la pratique. De fait,elle traduit exactement le véritable « es-prit du judaïsme », tel qu’il traverse lessiècles: « L’être est à travers l’éthique del’homme. Le règne de Dieu dépend demoi », et il cite rabbi ‘Hayim : « Quepersonne en Israël ne dise : “Que suis-je et que puis-je accomplir par meshumbles actes dans le monde ?” Qu’ilcomprenne, au contraire, et qu’il le fixeen sa pensée : aucun détail de sesactes, de ses paroles, de ses pensées, detous les instants, n’est perdu. […] Quetremble le cœur du peuple saint: il en-

globe dans sa stature toutes les forces.».Levinas conclut justement : « Anthro-pologie de l’humanité à responsabilitéillimitée appelée Israël, révélée en Is-raël. Redoutable condition humaine. »Tel est, ne l’oublions pas, et répétons-le, le véritable Esprit du Judaïsme , ef-frayant peut-être, mais assurémentchargé d’espoir, car fondé sur la libertéresponsable de l’Homme.

L.C.

“ Le véritable Esprit du Judaïsme,

effrayant peut-être, mais assurément

chargé d'espoir, car fondé sur la liberté

responsable de l'Homme. “

Rachi Franz Rosenzweig Emmanuel Levinas

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Centre Européen du Judaïsme : c'est parti !

Le Président Joël Merguis’est rendu mercredi 9 marssur le chantier du futurCentre Européen du Ju-daïsme. Il a pu constater, enprésence des architectes,que ce projet de grande en-vergure, suivi pour leConsistoire par Daniel

Vaniche, a maintenant démarré : il a été procédé au foragedes pieux. Le bâtiment est prévu livré à la fin de l’année 2017et devient réalité, à la grande joie de nombreux membres dela communauté juive du 17ème arrondissement qui attendaient ce moment avec impatience.

Inaugurations de Sifré Tora à Paris et à Netanyaen mémoire des victimes de l'Hypercacher

Symbole de la solidaritédes Juifs d’Israël avec lesJuifs français, lundi 22 fé-vrier presque simultané-ment à Paris et à Netanya,trois sifré Torah ont été of-ferts à la communautéjuive française en mémoire des victimes de l'attentat de l’Hypercacher. C'est en présence du Grand Rabbin de ParisMichel Gugenheim, du Président du Consistoire Joël Mergui et des familles endeuillées que l'intronisation de deuxsifré Torah s'est déroulée au Beth Haya Mouchka. L’un desdeux est destiné à la synagogue Ohel Yossef de Pantin, dontle frère de Philippe Braham est le rabbin. A Netanya, c'est en présence de la famille Cohen, du ministre Uri Hacohen, duRabbin de Netanya le rav Nacash, du Rabbin Laurent Berroset de René Taieb représentant le député-maire de Sarcellesque s'est tenue l'inauguration du sepher Tora en mémoire deYohan Cohen et de toutes les victimes de l'attentat de l'Hypercacher.

Cérémonie en l’honneur des juifs et arméniensmorts pour la France le 21 février 1944 à la synagogue de Neuilly

Créée en 2011, la céré-monie annuelle en l’hon-neur des juifs et arméniensmorts pour la France le 21février 1944, s’est dérouléepour la première fois à lasynagogue de la rue An-celle à Neuilly le 22 février

dernier. Il y a 72 ans, les 23 membres du groupe Manou-chian, composé essentiellement d’arméniens et de juifs,étaient assassinés par les nazis quelques mois avant la Libé-ration de Paris. La cérémonie, organisée par l’Aumônerie

Israélite des Armées et par l’Association Nationale des An-ciens Combattants et Résistants Arméniens (ANACRA), s’estdéroulée en présence notamment du Grand Rabbin deFrance Haïm Korsia, du Rabbin de Neuilly, Michaël Azoulay,du Primat émérite de l’Eglise Apostolique, Mgr Norvan Za-karian, du représentant de l’Ambassadeur d’Arménie enFrance, du Président de l’ANACRA Antoine Bagdikian, del’Aumônier général israélite des Armées, le Rabbin JoëlJonas, et de nombreux aumôniers israélites des armées parmilesquels Moché Taïeb.

SIF : Séminaire d'étude " Laïcité " avec le Grand rabbin Alain Goldmann

A l'invitation du Grand rabbin Olivier Kaufmann Directeurde l'École Rabbinique de France, le Grand rabbin Goldmanna traité de la question de la laïcité et de la violence. La foipeut-elle susciter la violence ? Comment les futurs rabbinspeuvent-ils intégrer la règle de la laïcité dans leur manièred'appréhender le culte ? Comment gérer le malaise actuel ausujet du fait religieux ? Autant de questions auxquelles leGrand rabbin a répondu en exposant la richesse des sourcesbibliques et talmudiques. Ces enseignements s'inscriventdans la volonté de la direction de l'École de sensibiliser lesélèves rabbins aux questions sociétales à l'aune de la traditionjuive dans le cadre de leurs responsabilités rabbiniques.

Joël Mergui rencontre le nouveauChef du Bureau Central des Culte

Le Président du Consistoire, Joël Mergui,a reçu Arnaud Schaumasse, lequel vientd’être nommé à la tête du Bureau Centraldes Cultes, rattaché au Ministère de l’Inté-rieur. Ils ont abordé ensemble nombre desujets qui sont au cœur de l’action duConsistoire : abattage rituel, carrés confes-sionnels et avenir des sépultures juives dontles concessions ne sont pas renouvelées,concours et examens pour les étudiants respectant le chabbatet les jours de fête, entretien et sécurité des bâtiments, CentreEuropéen du Judaïsme, cimetières juifs d’Algérie.

Conférence de Haïm Korsia à Antibes

A l'invitation du Prési-dent de la communautéd'Antibes, Daniel Zakineet du Rabbin d'Antibes,Marcel Zemour, le GrandRabbin de France HaïmKorsia s’est rendu en visiteà Antibes le 2 mars pourune conférence sur les

50 ans de la déclaration conciliaire Nostra Astate, en pré-sence du député-maire Jean Léonetti, du Rabbin régionalFranck Teboul, et de nombreux responsables de cultes locaux.

La Vie du Consistoire

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 23

La Vie du Consistoire

Le Grand rabbin de Paris au Concert annuel de la 'Hazac

Dimanche 28 Février,la ‘Hazac a organisé sonconcert de soutien an-nuel donné par le talen-tueux chanteur YoelDayane et animé par leRav Mévora’h Zerbib,formateur principal de la‘Hazac. Cette année,plus d’une centaine depersonnes, jeunes, parents, amis se sont retrouvés dans lessalons de la mairie du 16ème arrondissement de Paris poursoutenir et remercier la ‘Hazac, dirigée par le Rav MenahemEngelberg. La ‘Hazac fut honorée par la présence de MichelGugenheim, Grand Rabbin de Paris, Sarah Tellouk, adminis-tratrice au Consistoire de Paris, David Amar, président del’A.C.I.P 16, ainsi qu’Emmanuel Messas et Jérémy Redler,adjoints au Maire du 16ème arrondissement, qui ont tous encouragé et félicité les jeunes pour leur implication dansl’activité communautaire.

Visite du Grand Rabbin de France à Montpellier

Le 6 mars, le GrandRabbin de France, HaïmKorsia, s’est rendu àMontpellier à l'invitationd'Alain Zylberman, Pré-sident du Consistoire ré-gional. Après avoir étéreçu par le nouveau Pré-fet de l'Hérault, Pierre

Pouessel, et répondu aux questions de la radio locale Aviva,plus de 350 personnes ont assisté au déjeuner-débat organisépour l’occasion.En fin d'après-midi, la conférence intitulée « Les Juifs et la République » organisée par l'Institut Maïmo-nide à la Maison des Relations Internationales, a clôturé cettejournée, en présence des représentants de la mairie, de la ré-gion et du département.

Haïm Korsia, invité par la communauté de Toulon

Le 8 mars, la commu-nauté de Toulon a reçuHaïm Korsia, à l’invitationdu Président Marcel Djianet du Rabbin Chalom Bitton. Cela faisait vingt-et-un ans qu’un GrandRabbin de France ne s’étaitpas rendu dans la ville. Accueilli par Geneviève Lévy, députée du Var et première ad-jointe au maire de Toulon, les administrateurs du consistoireet de la Communauté, les représentants d’associations com-munautaires, et plus de deux cents personnes, le Grand Rab-

bin de France avait choisi en ce 8 mars, journée des droits dela femme, de dédier sa conférence au thème « judaïsme etféminisme ».

Rencontre avec le Ministre de l'Intérieur

Bernard Cazeneuve a reçu lePrésident du Consistoire, JoëlMergui, le Grand Rabbin deFrance, Haïm Korsia, le Prési-dent du FSJU, Ariel Goldmann,et la Directrice générale duSPCJ, en présence du Préfet dePolice, Michel Cadot, du Préfeten charge de la protection deslieux de culte, Thierry Coudert,et de Gilles Clavreul, délégué interministériel à la luttecontre le racisme et l'antisémitisme. L’évaluation de l’en-semble des dispositifs sécuritaires en France ainsi quel’évaluation de la menace terroriste étaient au centre desdiscussions.Le Ministre a réaffirmé le principe du main-tien de la protection des lieux sensibles et a recherché avecses invités les voies pour optimiser et adapter le dispositifsécuritaire, afin d’améliorer la sécurité de la communautéjuive et de l’ensemble des Français. Les représentants dela communauté ont renouvelé leurs remerciements au Ministre pour l’engagement exemplaire des militaires etdes policiers dans la protection de nos lieux de vie.

BHL à la synagogue Nazareth

Samedi 12 mars2016, à la sortie dechabbat, ce sont plusde 600 personnes quiont assisté à la pas-sionnante rencontreavec le philosopheBernard-Henri Lévydans la synagoguehistorique de Naza-reth, à l’occasion de lasortie de son dernier livre : « l’Esprit du Judaïsme ». LePrésident du Consistoire, Joël Mergui, organisateur decette soirée avec l’aide du Président de la synagogue,Jack- Yves Bohbot, du Rabbin Tordjman, et de l’équiped’administrateurs, a échangé avec BHL sur son parcourset sur son rapprochement avec le Judaïsme De très nom-breux sujets ont ainsi été abordés comme la laïcité, "laalyah intérieure", la lutte contre le terrorisme djihadiste,Israël, la alyah, l’éducation… et au centre de tout cela larichesse de nos textes qui sont étudiés, de jour commede nuit, avec toujours de nouvelles questions et de nou-velles réponses qui nous éclairent sur le monde et la société qui nous entourent. Alors que les travaux du Cen-tre Européen viennent de commencer, cette soirée entraitdans le droit fil de ce qu’entend y développer le Consis-toire.

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24 INFORMATION JUIVE Mars 2016

La Vie du Consistoire

Joël Mergui à la réunion du consistoire régional du Nord

A l’invitation du Président de laCommunauté de Valenciennes,Serge Berrebi, et à l’initiative duPrésident régional, Charles Sul-man, le consistoire régional duNord, Pas-de-Calais, Somme,Aisne s’est réuni dimanche 13mars à la Synagogue, en pré-sence de Xavier Bertrand, Prési-dent du Conseil Régional desHauts de France, de Laurent De-gallaix, Maire de Valenciennes,et de Thierry Devimeux, sous-Préfet de Valenciennes,lesquels ont rejoint les participants après la séance de tra-vail.Toutes les communautés étaient représentées : Lille(Guy Bensoussan et le Rabbin Régional Elie Dahan),Amiens (Guy Zarka), Saint Quentin (Paul Elkaim), Bou-logne sur Mer (Jean-Jacques Berr) et Lens (Serge Tajch-ner).De nombreux sujets ont été abordés : la possibilitéde l’enseignement du Talmud Torah avec le E-learningpour les enfants éloignés, les échanges d’informationssur les activités communautaires, la recherche d’aumô-niers bénévoles des prisons, l’organisation d’une forma-tion pour la Hevra Kadicha, les questions de sécurité,l’avenir et les besoins des plus petites communautés, lerecensement des enfants et des jeunes afin de les inciterà participer. Joël Mergui a fait un point sur la situationau niveau national et nous a donné des pistes de réflexionet d’action sur le plan local.

Un nouveau Sépher Torah à Valenciennes

Joël Mergui a profité de son voyage dans le Nord pouremmener avec lui un Sépher Torah, prêté par la commu-nauté de La Roquette. C’est un signe de vie et d’espoirpour cette communauté de Valenciennes qui cherchaitdepuis longtemps à acquérir un second Sépher Torah.

Le Consistoire rencontre le Ministre de l'intégration israélien

Le Président Joël Mergui, le Grand Rabbin de Paris Mi-chel Gugenheim et le Directeur du Séminaire Israélite,leGrand Rabbin Olivier Kaufmann, ont rencontré le mi-nistre de la alyah et de l'intégration, Monsieur ZeevElkin, dimanche 13 mars, en présence de présidents decommunautés et de rabbins. Ils ont pu évoquer avec luiles spécificités d'intégration des Juifs en provenance deFrance - dont le nombre a fortement augmenté ces der-nières années -notamment l'équivalence des diplômes etl'éducation des enfants.

Conférence de Haïm Korsia à Rouen

Le Grand Rabbin de France s’est rendu à Rouen le 14 mars pour une conférence au centre communautaire

sur le thème de la transmission et de l’exemplarité, enprésence notamment du Président de la communautéMarc Benhaim, du Rabbin Michaël Bitton, du Présidentdu Consistoire régional, Nassim Lévy, du Rabbin régionalMeyer Malka, des représentants des cultes catholique,protestant, et musulman, ainsi que des personnalités civiles et militaires de Rouen et de la région.

Devant plus d’une centaine de personnes, le GrandRabbin a évoqué l’importance de l’enseignement et de latransmission dans le judaïsme, fondement de la péren-nité du peuple juif, de ses traditions et de ses coutumes.Rappelant que l’enseignement consiste à développer lesfacultés de jugement et de questionnement, le GrandRabbin de France a mis en avant les liens inter-généra-tionnels, essentiels dans la transmission du savoir et dusavoir-faire, citant ainsi un verset du Deutéronome: « In-terroge ton père et il te racontera, interroge tes ancienset ils te diront ».

Joël Mergui à Strasbourg pour le 5ème Siyoum Hashass

Lundi 14 mars, la Commu-nauté Juive de Strasbourg s'estréunie en la synagogue de l'Esplanade pour célébrer son5ème Siyoumhashass annuel.Initié par Jo Sellam, membre duConsistoire du Bas-Rhin, cetévénement fut dédié à la mémoire du Rabbin RaphaëlPerez (zal) et des professeurs Benno Gross et RaphaëlDraï (zal).

Ce temps fort pour la communauté fut présidé par JoëlMergui, Président du Consistoire. Ce dernier exprimacombien il était essentiel pour lui d'être présent car au-delà de toute activité, l'étude constitue l'essence mêmedu Peuple Juif.

Au cours de l'année précédent ce siyoum, plusieurs vo-lontaires s'étaient engagés à étudier et terminer un ouplusieurs traités de Guemara. Ainsi le Talmud a étéachevé collectivement en 1 année !

Le Grand Rabbin Gutman, Grand Rabbin du Bas-Rhin,fit un brillant exposé sur les liens entre étude et Matéria-lité. Le Dayan Michael Szmerla souligna dans son ser-mon la grande importance de l'étude de la loi orale, grâceà l'interprétation du texte de la Meguila.

De nombreuses personnalités étaient présentes : le Pré-sident du Consistoire du Bas-Rhin, Jean Paul Kling , etles membres de son Consistoire Thierry Roos et RolandBlum, ainsi que plusieurs Rabbins de Strasbourg, lesRabbins Heyman, Coriat et Samama, ainsi que les Rab-banim El Grabli de la Yeshivat Eshel. Le Consistoire duHaut-Rhin était représenté par le Grand Rabbin YaacovFhima et Ivan Geismar. Le Grand Rabbin Bruno Fiszonreprésentait le Consistoire de la Moselle.

Cette soirée, dont le mérite revient à Jo Sellam, fut trèsintense et appelle à continuer notre progression dansl'étude et la pratique des Mitzvot.

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INFORMATION JUIVE Mars 2016 25

La Vie du Consistoire

Le Consistoire présent à la manifestation de solidarité avec le peuple belge

Le Grand Rabbin de France Haïm Korsia et le Présidentdu Consistoire Joël Mergui étaient présents le 22 marslors de la manifestation de solidarité avec le peupleBelge, organisée par la Mairie de Paris

Soirée de Gala de soutien à la communauté de Sarcelles

Mardi 15 mars 2016, lasynagogue consistorialede Sarcelles ville de réfé-rence en France a réaliséson Gala pour son demi-siècle d'existence dansune ambiance des pluschaleureuse et conviviale

en présence de nombreuses personnalités dont le députémaire François Pupponi, le grand rabbin René Guedj,René Taïeb et plusieurs administrateurs du Consistoire.C'est aux Salons Hoche et dans une salle remplie et gé-néreuse de bienfaiteurs que le Président de la commu-nauté Sylvain Lumbroso a ouvert cette soirée avec undiscours éloquent. Joël Mergui, Président du Consistoire,a encouragé toutes les personnes présentes à donnerpour cette belle communauté. L'intervention du rabbinLaurent Chalom Berros a su motiver également les par-ticipants dans un élan de solidarité. Enfin, l'alchimie desanciens de Sarcelles ainsi que les résidents actuels ontfait de ce gala un moment mémorable longtemps gravédans l'esprit de notre communauté. Nos remerciementsvont aussi à la communauté juive de Neuilly pour sonaide précieuse dans l’organisation de cette soirée.

Inauguration Sefer Torah à Neuilly

Dimanche 6 Mars 2016 a eu lieu à la synagogue deNeuilly l’inauguration d’un nouveau Séfer Torah dédié àla mémoire de Stéphane Atlani zatsal prématurémentdisparu l’an passé, en présence de sa famille, de ses amiset de très nombreux fidèles de la Communauté.

Le Sefer Torah a été conclu dans une ambiance joyeuseet chaleureuse. Cette intronisation a eu lieu en présencede Joël Mergui, Président du Consistoire, du Grand Rab-bin Alexis Blum, du Rabbin Mickaël Azoulay ainsi quedu Rav David Benichou, qui, tour à tour, ont rappelé l’im-portance de l’écriture d’un Sefer Torah, du devoir de mé-moire et du rôle important qu’a joué Stéphane Atlanizatsal au sein de la Communauté de Neuilly pendant denombreuses années.

Installation officielle du Rabbin Yaïr Ziri à Nice

Dimanche 20 mars, le Grand Rabbin de France HaïmKorsia, le Président du Consistoire Joël Mergui ainsi quele Grand Rabbin Olivier Kaufmann, Directeur du Sémi-

naire Israélite de France, étaient àNice pour l’installation du RabbinYaïr Ziri.

L’installation a commencé dans lasynagogue Blacas dont Yaïr Ziri est leRabbin.

Le Rav Itshak Martiano et DanielMartiano, le président de Blacas, aexprimé sa joie de pouvoir accueillircomme rabbin Yaïr Ziri, lequel est un

enfant de cette communauté.Le Grand Rabbin de France a rappelé qu'il n'existait pas

de petites ou de grandes communautés : dès lors qu'il ya 10 juifs il y a une communauté.

Puis tous les présents se sont dirigés en cortège vers laGrande synagogue de la rue Deloye, où tous ont pu ad-mirer cette magnifique synagogue entièrement rénovée.

Ont pris successivement la parole Maurice Niddam,Président du Consistoire de Nice, Joël Mergui, HaïmKorsia, Olivier Kaufmann, Franck Teboul, Rabbin de Niceet de la Région, tous ont souligné les qualités formidablesde Yaïr Ziri, sa piété exemplaire et sa pédagogie.

Yaïr Ziri a conclu cette cérémonie en soulignant qu'ilétait une passerelle entre nos anciens et la génération àlaquelle il dispense son enseignement.

Réunion du Consistoire Régional de la Côte d’Azur

Avant la cérémonie d’installation, le Président duConsistoire Joël Mergui et le Grand Rabbin de FranceHaïm Korsia avaient participé à une réunion du consis-toire régional organisée par son président Lucien Samak,avec l'ensemble des présidents et rabbins de la région etdu responsable du SPCJ local. Parmi les différentsthèmes abordés : le talmud thora et le nouveau projete.learning lancé par le Consistoire, les problématiquesliées à la sécurisation des lieux communautaires, le défique représente la alya pour les communautés, les col-lectes de fonds.

Lancement du bus de Pessah

Dans le cadre desa campagne decollecte pour aiderles familles en diffi-culté, le Secours juifdu Consistoire a or-ganisé une grandetournée du bus despaniers de Pessah’ :

En présence de Joël Mergui, président du Consistoirede Paris et de Michel Emsallem, des établissements dumême nom, le lancement a eu lieu dans le 19 arrondis-sement. Le consistoire a voulu aller à la rencontre de lacommunauté, des fidèles et des partenaires de la cache-rout Beth Din de Paris, afin de répondre efficacement auxnombreuses demandes des familles défavorisées ; pourque personne ne manque.

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Vous présidez le jury du Prix Ecritureset spiritualités qui sera décerné le 10mai prochain. Ce prix a longtemps étécelui des Ecrivains croyants. Pourquoice changement de nom ?

D’abord un constat, il est arrivéque ce prix a été attribué à des écri-vains qui ne se déclaraient ou ne sevivaient pas comme « croyants » ausens religieux du terme, FrançoisCheng par exemple qui a eu le prixen 2014. Ces écrivains étaientmême - heureusement -surprisd’être les heureux lauréats. Pourtantleur écriture, le thème abordé lais-

saient place à un espace lié à un in-connu, une transcendance quiconférait à leur texte une dimensionspirituelle. Par ailleurs, la questionde ce nom qui ne semblait plusadapté à la réalité d’aujourd’hui re-venait de façon incessante dans lesdébats. Des auteurs ont hésité ourefusé de nous rejoindre en raisonmême du « marquage » du nomEcrivains croyants, pour certains,c’était même une sorte de malaise

grandissant en raison du contextesocial et culturel en France, touteidentité marquée et/ou revendiquéeétait une identité de plus, notam-ment pour des auteurs de confes-sion musulmane, qui pouvait allerà l’encontre de la liberté de l’écri-vain, de l’auteur, de sa création etde sa pensée. Et enfin, l’associationne concernait au départ que lestrois monothéismes et non pascomme avec son nouveau nom, lesautres traditions. Aussi, le nomd’Ecritures & Spiritualités a été dé-battu au sein de l’association etchoisi parmi cinq autres noms. Va-lidé en Assemblée Générale biensûr, il a été considéré comme le plusconsensuel.

Votre jury est composé de personna-lités représentant les divers courantsspirituels du pays. Quelle est la vocationde ce prix ? A quels objectifs répond-il ?

Mettre en valeur, faire connaitre,donner le goût de lire des auteursqui ont une démarche « habitée »par la dimension de l’altérité, de latranscendance, des écrivains quicherchent soit par le moyen del’écriture et de la poésie soit par lapensée ou l’analyse de phénomènesliés à la vie ou l’histoire des tradi-tions religieuses et spirituelles.Nous avons aussi le souci de fairedécouvrir la tradition religieuse del’autre, découvrir les autres spiritua-lités et réaliser combien au fond,toutes se rejoignent pour donner àl’humain Vérité et Dignité.

Quelles images des religions et desspiritualités cherchez-vous à donner ?

Je ne crois pas que l’on veuille« donner » une image particulièredes religions sinon dans ce qu’ellesont de « bon » pour l’homme et ence qu’elles lui permettent d’accéderà un univers spirituel. Inviter às’extraire de la matière pure quinous enferme de plus en plus pouraller vers un univers qui donneaccès à l’être en nous et nous per-met d’échapper au seul règne de lamarchandisation et de « l’avoir » .L’esprit de notre association estd’envisager le religieux sous sonangle spirituel, non pas sous sonangle légaliste ou celui de sesdogmes, mais dans le souffle pre-mier qui anime chacune de ces re-ligions et dans ce qui les unit, lanotion d’écritures en premierpuisque les Livres sont ceux quivont nous parler, à nous hommes.

Enfin, le dialogue inter-religieuxau travers des écrits littéraires estpour nous aujourd’hui un devoir desalut public.

Comment fonctionnez-vous ?E&S se veut un espace de ren-

contre et de dialogue, l’associationréunit des écrivains des religionsmonothéistes de l’espace franco-phone ainsi que ceux issus des au-tres traditions. A l’occasion deconférences, colloques et rencon-tres avec les auteurs, elle veut faireconnaître les écrivains qui, par leurécriture et leur pensée, participentà la réflexion et aux débats quipréoccupent l’homme contempo-rain. En plus du prix littéraire, nousorganisons un salon annuel où lesauteurs viennent présenter au pu-

CULTURE

ÿ Le dialogue des spiritualités :un devoir de salut public ŸUn entretien avec Karima Berger*

« C’est en réalité la question que nous avons tousconnue ou que nous connaîtrons tous un jour »

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blic leurs livres et animons un sitewww.ecrituresetspiritualités qui in-forme sur les activités de l’associa-tion et présente les ouvrages desauteurs adhérents. Une page Face-book accompagne cette communi-cation.

Vous avez vous-même publié « LesAttentives, un dialogue avec Etty Hille-sum » ( Editions Albin Michel ) un livrequi a été remarqué par la critique. Votrenouveau livre a pour titre « Mektouba »dont le thème est universel. De quois’agit-il ?

Il s’agit d’un roman dont leshéros sont une maison (Mektouba)en Algérie, un père et ses trois en-fants exilés à l’étranger. Le pèrevieillit, alors va commencer sour-dement autour de lui la ronde des« futurs héritiers », impatients de

« toucher » aux biens du père. C’estl’occasion de rencontres entre en-fants et père (la mère est décédéedepuis longtemps), de discussions,

souvent violentes sur la transmis-sion. Le père, lui, aurait voulu fairehériter ses enfants non pas seule-ment d’une maison mais de valeursspirituelles. D’autant que le paysvit un échec social, politique ; lacorruption, l’abandon par l’Etat deses enfants qui sont en quelquesorte orphelins d’un horizon, d’unevision, d’un désir de vivre ensem-ble, dans un pays prospère. Mek-touba c’est aussi le portrait d’unpays traversé de convulsions, dontles « enfants » souffrent de l’héri-tage que celui-ci leur laisse. Lepère cherche une issue au destinconventionnel qui convoquechaque père, il décidera grâce à untravail fécond d’écriture (mektouben arabe) de faire hériter d’autresenfants. Mais cet acte a la vertu dedonner sens à l’existence des siens,autre façon d’hériter. C’est en réa-lité la question que nous avons tousconnue ou que nous connaitronstous un jour : qu’est-ce que veutdire Hériter ? que veut dire Faire hé-riter ses enfants ? quel sens moral,spirituel contient cet acte, ô com-bien humain ?

--*Karima Berger est écrivain, pré-

sidente de l’Association Ecritures etSpiritualités ; elle vient de publier« Mektouba » ( Editions Albin Mi-chel

« Mettre en valeur,faire connaitre,

donner le goût de liredes auteurs qui

ont une démarche « habitée » par la

dimension de l’altérité,de la transcendance »

Karima Berger

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CHRONIQUES TALMUDIQUES

Deux femmes sans nom Par Janine Elkouby

Vous voici, femmesdu Talmud, vousqui, innombrables etinvisibles, hantezles marges et lesblancs de ce texte

qu’étudient inlassablement leshommes juifs à travers les âges.

Vous voici qui étincelez parfois,dans un éclair soudain et fugace, audétour d’un mot, d’une phrase,d’une anecdote, d’une interroga-tion. Vous voici qui témoignez pourtoutes celles qui ont sombré dansl’oubli des siècles et qui sont pour-tant, comme Rachel et Léa, « lespoutres maîtresses de la maisond’Israël »1.

Te voici, femme de Rabbi ‘Ha-nina2.

Tu n’apparais qu’au fil d’unebrève anecdote.

La fille de Rabbi ‘Hanina, dit letexte, - la tienne aussi par consé-

quent ! – est morte. Et Rabbi ‘Ha-nina ne la pleura pas. Tu lui dis :« Est-ce donc une poule qui a quittéta maison ? » Et ton mari eut cette ré-ponse : « Faut-il qu’affligé de perdreune fille, je le sois aussi de perdre lavue ? »

Que puis-je apprendre sur toi, detoi, dans ces quelques lignes laco-niques ? Si peu de choses en vérité :quel âge avait ta fille ? Etait-elle en-core petite ou déjà adolescente ?Est-elle morte brutalement ou auterme d’une maladie ? Avais-tud’autres enfants ? Nul ne saurait ledire…

Mais si avare de détails que soitle texte, s’y lisent pourtant, criantsd’une vérité quasiment charnelle, tasensibilité, ton amour, ta révolte de-vant l’indifférence de ce père. Quetu stigmatises dans la phrase cin-glante, empreinte d’une ironieacerbe, que tu jettes au visage deRabbi ‘Hanina : Est-ce donc unepoule qui a quitté ta maison ? Tamaison, pas seulement la mienne !Tu es concerné par la mort de notrefille, comme moi, sa mère, au mêmetitre que moi. Comment peux-tu,toi, son père, être indifférent à notremalheur commun ?

La réponse de ton époux est am-biguë : il est affligé, certes – peut-ilfaire moins que l’affirmer, face à tadouloureuse interpellation ? – maispas au point d’y risquer quelquechose de lui-même ! Il tient, avanttout, à se préserver. Il revendiqueune affliction « raisonnable »,conventionnelle, qui ne l’affecte pasréellement. Sa fille, comme tu l’astrès bien senti, ne pèse pas d’un

poids bien lourd dans sa vie. Ego-centrisme et souci têtu de sa proprepersonne ? Ou, à tout le moins, in-déniable défaut de sensibilité ? Ouencore, incapacité foncière à éprou-ver de l’empathie, fût-ce pour safille ou sa femme ? Refus et mêmeimpossibilité de sortir de lui-même ?

Les Sages du Talmud ont vouluraconter, même brièvement, cettetriste histoire. La sauver de l’oubli.La soumettre à la réflexion de leursdisciples présents et à venir. Est-cepour abonder dans ton sens et stig-matiser l’insensibilité et l’inhuma-nité de Rabbi ‘Hanina ? Et pourévoquer implicitement, en contre-point, la figure poignante de RabbiMéir, qui éclate en sanglots déchi-rants quand Brouria, sa femme, luiannonce doucement, à la sortie dushabbat, que ses deux fils sontmorts ?

Presque comique

Te voici à ton tour, femme de RavHouna3.

Tu n’apparais guère, toi non plus,que dans un court passage. Maisdans un contexte moins tragique,heureusement, que celui où évoluela femme de Rabbi ‘Hanina. C’estun texte souriant. Et même, presquecomique…

La femme de Rav Houna avait unprocès devant Rav Na’hman. Celui-ci se demandait que faire : « si je melève devant elle, l’adversaire n’auraplus confiance [car il pensera que jela favorise]. Si je ne me lève pas, [jecontreviendrai au principe] : « Lafemme d’un collègue est comme un

« Les Sages du Talmudont voulu raconter,même brièvement,cette triste histoire. La sauver de l’oubli. La soumettre à la ré-flexion de leurs disciples présents et à venir. »

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collègue ». Il dit alors à son appari-teur : « Va dehors et lâche sur moiune oie, [ainsi l’adversaire penseraque c’est à cause de l’oie que je mesuis levé] ».

Nous voici donc au tribunal. Tuvas comparaître devant RabbiNa’hman, qui officie comme prési-dent du tribunal rabbinique. Dequoi s’agit-il ? Apparemment d’undifférend qui t’oppose à un adver-saire. On ne sait rien de plus, ni ausujet du litige, ni au sujet de la par-tie adverse. On ne sait rien de toinon plus. Mais on distingue,comme dessiné au scalpel, le por-trait du juge, un portrait peint auxcouleurs de l’ironie et de la ten-dresse, plein d’indulgence pour lafaiblesse des hommes, ces hommessi préoccupés de leur image et sisoucieux de l’opinion d’autrui…

Rabbi Na’hman est donc appelé àtrancher dans une affaire sansdoute banale. Mais le voici prisdans un étrange dilemme : d’unepart, il sait qu’il aura en face de luila femme de Rav Houna, un de sespairs à la maison d’étude. Et,comme chacun sait, « la femmed’un pair est comme un pair »4.Rabbi Na’hman devrait donc, enbonne logique, se lever devant toi,comme il l’aurait fait devant tonépoux. Mais il aura aussi en face delui ton adversaire : s’il respecte larègle et se lève devant toi, l’autrepartie en conclura immanquable-ment que le juge est partial ! Voilàdonc notre brave magistrat empêtrédans une situation inextricable,coincé comme dans un piège dia-bolique entre les deux termes d’unealternative dont aucun ne résoutrien ! Que faire ?

Un brouhaha

Peut-être, sans doute, le connais-sant, as-tu imaginé par avancel’embarras de ce juge à l’idée de lasituation compliquée qui l’atten-dait ! Sans doute as-tu imaginé sesangoisses, sa panique, ses efforts etses contorsions intellectuelles etmême physiques pour éviter l’em-bûche !

Rabbi Na’hman, en proie à dessueurs froides, cherche désespéré-ment une porte de sortie. Il réfléchitintensément, échafaude des solu-tions, les abandonne, cherche en-core fiévreusement…Et il trouve !Juste avant l’audience, il chuchotequelque chose à l’oreille de son as-sistant. Qui s’empresse de sortir…

Nous voici donc dans la salle dutribunal. Ton adversaire est déjà là.Au moment où, à ton tour, tu vasfranchir la porte, il te semble voirprès de toi quelqu’un lever le bras,

lancer quelque chose ; tu entendsun brouhaha étrange, comme unbruit d’ailes froissées accompagnéd’un cri strident et disgracieux et tuvois, stupéfaite et incrédule, une oiede basse-cour qui vole lourdementau milieu des plaignants et desjuges ! Tu vois encore, au milieu dudésordre et de la cacophonie géné-rale, Rabbi Na’hman qui s’est pré-cipitamment levé, un imperceptiblesourire aux lèvres, à l’instant précisoù tu fais ton entrée ! Comme il adû être fier de sa trouvaille ! Et sou-lagé de son subterfuge !

Je ne crois guère me tromper,femme de Rabbi Houna, en pensantque tu n’as pas été dupe… Je voismême, par-delà les siècles, le petitsourire ironique que tu tentes deretenir, et peut-être même le fou-rire qui s’empare de toi…

Et je me mets à rire, moi aussi…

J. E.--1 Genèse Rabba2 Chabbat 151b3 Chevouot 30b

« on distingue,comme dessiné auscalpel, le portrait

du juge, un portraitpeint aux couleursde l’ironie et de la

tendresse »

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DOCUMENT

¯tre juif à TéhéranPar Amy Gutman

C’est juste après l’aube,ce 2 octobre 2014 –deux jours avant ledébut de Yom Kippour– et la mauvaise circu-lation célèbre de Téhé-

ran, encombre et enfume les rues. Il n’ya que 12 heures que je suis en Iran, etje suis maintenant dans le cœur de lecommunauté juive de Téhéran ; la sy-nagogue Abrishami, dans le centreville. On m’a demandé d’arriver tôt,pour la prière du jeudi. Les prières de«selih’ot » dites durant les jours qui pré-cèdent les fêtes, seront récitées cematin, et les 500 places de l’Abrishamisont presque toutes occupées. La têtecouverte d’un foulard et habillée d’unmanteau léger qui me couvre du coujusqu’aux genoux, que toute femmedoit porter en public, je suis bien aisequ’il ne fasse ni trop chaud ni trop froid.L’Abrishami est une des 60 synagogues,parmi les plus réputées en Iran – et laplus vaste de la vingtaine que compteTéhéran. Ce pays, qui est en Occidentle plus souvent associé à un gouverne-ment oppresseur, ne respectant pas lesdroits de l’homme, en plein débat sur lenucléaire et le terrorisme, ce payscompte 15000 juifs.

L’Iran abrite la plus ancienne et laplus importante communauté juive duMoyen-Orient, hors Israël ; bien que lapopulation ait diminué de 80% , depuis

la révolution de 1979, et la fondation dela République Islamique. Selon laConstitution Islamique, les Juifs sont of-ficiellement reconnus comme une mi-norité religieuse. Ils élisent leur propredéputé au parlement, et bénéficientd’une relative autonomie.

Les Juifs iraniens sont orthodoxes,mais une version « allégée », avec dif-férents degrés d’observance. C’est éga-lement une population qui exprime ungrand sens de fierté nationale. « Nousnous considérons plutôt comme desIraniens juifs que des Juifs iraniens » ditFarah Akbari, 41 ans, membre de l’Abri-shami.

Les deux tiers de la communautéjuive vivent à Téhéran, principalementdans le quartier sud-ouest de la ville ;en plus de la synagogue, elle gère unhôpital, des écoles privées et des restau-rants. Je suis venue ici par curiosité. Jevoulais connaître la réalité de la com-munauté juive, et vivre un peu l’expé-rience de la vie juive dans ce pays isolédepuis des décennies.

La communauté est très unie, et oc-cupe un district séparé dans la vaste so-ciété musulmane. Par exemple, ceuxqui sont extérieurs à la congrégation,sont difficilement admis à l’Abrishami.Mais, le chef de la congrégation, M.Shalom, fit une exception pour moi.

Je grimpe les deux étages et entredans le sanctuaire, une pièce basse deplafond, des fenêtres sur les côtés lais-sant entrer la lumière du jour. Une cen-taine de fidèles sont en train de prier.Les hommes d’un côté, les femmes del’autre, séparés par une cloison basse, àmi hauteur. Les femmes sourient en mevoyant chercher une place disponible,avec vue sur l’arche. Les femmes por-tent toutes des pantalons, ce qui estadmis en Iran. Je vois bien que je mefais remarquer, d’autant plus que je grif-fonne sur mon carnet. On m’avait pré-venue que ceci est le seul service où je

serais autorisée à prendre des photos etdes notes.

Le service de deux heures prend fin,les femmes posent leur livre de prières,et dressent deux tables l’une pour leshommes, l’autre pour les femmes, pourun petit déjeuner Iranien typique. Il y a,au fond, une cuisine ouverte, d’où ellesapportent des plateaux d’oeufs durs, to-mates, concombres, pastèque, et dattes.Des assiettes de tranches épaisses depain au sésame ; du fromage crémeuxde feta ; du miel ; et de fines galettes depommes de terre, le « kugel » appelé ici« koukou ». Tout ce monde affamé serassemble. Les enfants s’éparpillentavec leurs épaisses tartines.

Une petite défaite

Après le repas, je reste pour aider ànettoyer, et j’engage la conversationavec les femmes, à propos de leur pré-paration pour Yom Kippour. C’est ainsique j’apprends que la cuisine tradition-nelle iranienne – agneau et poulet enragout, purée de grenade et riz par-fumé au safran – est consommée pourles fêtes, avec quelques exceptions :pois chiches et petites boulettes de pou-let, accompagnées de boules de matza,sont servis avec la soupe tous les ven-dredis soirs. Le matin du Shabbat, avantd’aller à la synagogue, on mange en fa-mille des oeufs durs cuits la veille, avecdes aubergines et des courgettes frites.

J’avais espéré une invitation pour lerepas de rupture du jeûne de Yom Kip-pour, et je demandais nerveusement sije pouvais aider à la préparation durepas, avant le début de la fête. Mêmecette proposition n’a pas entamé leurprudence . Elles sont amicales, polies etchaleureuses, mais leur message non-dit est clair : personne ne veut une jour-naliste à la maison. Je ressentais celacomme une petite défaite.

Durant mon séjour en Iran, ni lesJuifs, ni les Musulmans que j’ai abor-dés, ne souhaitent qu’on révèle leuridentité . Les noms ont été changés

« Rouhani a autoriséla fermeture des

écoles juives le samedi ;

il a également alloué des fonds à l’hôpital juif. »

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dans mon récit. Certains paraissentmême nerveux quand je prends desnotes. Les relations de la communautéjuive avec le gouvernement sont com-plexes. En général, avec l’actuelle pré-sidence de Hassan Rouhani, lacommunauté est acceptée ; à la diffé-rence de la situation qui prévalait àl’époque de Mahmoud Ahmadinejad,qui était ouvertement antisémite et anti-israélien.

Rouhani a autorisé la fermeture desécoles juives le samedi (les écoles ira-niennes fonctionnent du samedi aujeudi) ; il a également alloué des fondsà l’hôpital juif. Bien sûr, les relationsentre Israël et l’Iran sont tendues et celase traduit par de multiples difficultéspour les Juifs d’Iran.

Les négociations entre les Etats-Uniset leurs alliés et l’Iran, à propos desarmes nucléaires, sont une sourced’agitation en Israël. Le Premier Minis-tre Netanyahou a déclaré que « cettenégociation met en danger notre sécu-rité, et celle du monde entier ». Israël alongtemps considéré l’Iran comme sonprincipal ennemi, et le plus actif dessoutiens au terrorisme. Aux NationsUnies, en 2008, Ahmadinejad parlad’Israël comme d’un cancer.

Les Juifs d’Iran font la distinctionentre Judaisme et Sionisme. Le Prési-dent du Comité Juif de Téhéran, Ha-roun Yashayaei, qualifia Netanyahoude narcissique dans un récent articledans le quotidien iranien « Shargh ». Ilcritiqua « ce régime qui occupe la terrepalestinienne depuis 1967, et n’a jamaisrespecté les résolutions votées par lesNations Unies. » Un expert des affairesiraniennes, à l’Université de Jérusalem,a précisé que « les Juifs d’Iran devraientse montrer prudents. Ce discours anti-sémite va même au-delà de ce qui a étévécu au temps…d’Ahmadinejad. »

Les Musulmans voient les Juifs lo-caux comme un groupe enrobé de mys-tère. « Nous ne savons rien d’eux », medit Mohammed Razvan , un boutiquier.« Je suis allé à l’école avec un garçonjuif, mais nos familles ne se sont jamaisrapprochées. . »

« Cela n’a pas toujours été commeça » dit Maryam Kosar, une dentiste de39 ans. La communauté se mêlait avecles Musulmans, mais après la révolu-tion, lorsque l’Iran est devenu un Etatislamique, nous nous sommes repliéssur nous-mêmes. Les Juifs laïques sontdevenus religieux. Nos synagogues

sont devenues le centre de notre vie so-ciale. »

Les droits des femmes

Comme beaucoup de femmes ira-niennes, Kosar est heureuse de la fin del’interdiction pour les femmes de porterdes vêtements de couleur. Une lumi-neuse tunique couvre son corps menu ;et un foulard bleu est drapé sur ses che-veux longs et noirs. Les droits desfemmes constituent un autre problèmecompliqué. Les femmes conduisent,gèrent des commerces, et sont admisesdans les universités. Cependant, la li-berté féminine est étroitement contrô-lée. Par exemple, les femmes sontgénéralement interdites d’assister à desévénements sportifs masculins.

Les Juifs ont vécu, depuis les tempsbibliques dans ce pays qui fut autrefoisla Perse. Durant des siècles, les Juifs sesont développés, vécu confortablement,ont fait partie de la classe moyenne,voire supérieure. Puis vint la Révolu-tion. De violentes oppositions au Shah,Mohammed Reza Pahlavi, qui avaitd’excellentes relations avec les Etats-Unis et Israël, ont été à l’origine de

Prière en Iran

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l’éclosion d’une atmosphère antisémite,entre 1977 et 1979. Lorsque le Shah futrenversé par l’Ayatollah Khomeini, lacommunauté forte de 80000 personnesfut réduite à 20000. De nombreuxcomptes bancaires furent confisqués,quand les Juifs partirent pour les Etats-Unis ou Israël. La révolution détruisitégalement l’économie iranienne.

Quelques Musulmans m’ont rap-porté que les instituteurs prévenaientque les enfants juifs étaient sales et ma-lodorants. Mais, on m’a précisé quececi était dû à la rhétorique révolution-naire, et que tel n’était plus le cas. Tou-tefois, les Juifs sont tenus à l’écart de lafonction publique. Ils ne peuvent pasaccéder à la fonction de juge, ou à unrang élevé dans l’armée.

On m’a dit que la discrimination an-tijuive existait, mais à un niveau subtil.« Si vous possédez votre propre affaire,ou si vous travaillez dans une petite en-treprise privée, pas de problème. Cen’est pas explicite, mais les Juifs em-ployés à des postes de responsabilitédans de grandes entreprises n’aurontjamais de promotion, et auront moinsde congés. » A cause de cette discrimi-nation, la plupart des Juifs ont leur pro-pre petite affaire dans l’import-export,ou dans le commerce de détail.

Kol NidréLe vendredi matin, Kol Nidré s’an-

nonçant, je suis invitée à la synagogueYussef Abad, une des plus belles syna-gogues de la ville. Arash Yavari, un sep-tuagénaire chauve, portant le « talit »m’attend devant la porte. Yavari, fouilledans sa poche, et en tire des chocolats,enveloppés de papier argent, et en metquelques uns dans ma paume. « Bien-venue ! » dit-il.

Vendredi soir, j’assiste au service deKol Nidré à l’Abrishami. Je suis ici enobservatrice, j’essaie de noter tout ceque je vois et entends. Je trouve unsiège. Jai abandonné l’idée d’assister àun repas de rupture de jeûne dans unefamille. Mais, il y a une surprise. Pourles dames assises autour de moi, je suisle point de mire, plutôt que le rabbin. Etmoi, je suis fascinée par ces belles etélégantes femmes… Une chirurgie lé-

gère est assez courante chez les ira-niennes, juives ou non. On voit souventles femmes portant un petir bandagesur leur nez. Autour de moi, des cri-nières de longs et noirs cheveux sontdissimulées sous des foulards colorés.Elles portent des robes bleues cobalt,jaune safran, rose vif et vert. Il est diffi-cile d’entendre le rabbin, qui sert ausside « hazan », à cause de l’acoustiquedéfectueuse. Soudain, une dame d’unesoixantaine d’années me demanded’où je viens. Nous commençons à ba-varder. Elle me fait part de son opti-misme depuis la prise de pouvoir deRouhani, et de la distance prise depuisAhmadinejad qui niait l’existence de laShoah. Nous parlons des Juifs qui quit-tent l’Iran, et de ceux qui refusentd’émigrer. Elle dit qu’il difficile d’aban-donner sa famille, sa maison, sa langue,pour commencer une nouvelle vie.Beaucoup d’iraniens ont de belles mai-sons, et de belles voitures. « Si on part,dit-elle, jamais on ne pourra avoir lemême niveau de vie. *

Ceux qui restent admettent que, bienque l’environnement ne soit pas parfait,avec leurs synagogues, la liberté deculte, la vie est acceptable. Une damedans la quarantaine, Golshan Pirani,accompagnée de ses deux adoles-centes, écoute attentivement notreconversation. Soudain, sans que je l’aiesollicitée, elle m’invite à rompre lejeûne avec sa famille, dans sa maisonau nord de Téhéran.

Un selfie » ?Samedi, après avoir jeûné et prié

toute la journée, les Piranis me condui-sent chez eux. Nous traversons des por-tiques de sécurité, puis une petite cour,nous montons vers leur appartement.Une fois à l’intérieur, Golshan, son mariet ses deux filles changent de vête-ments. Golshan paraît comme une mé-nagère occidentale, en jeans etchemisier rose. Les deux filles portentl’uniforme des adolescentes, T shirts etleggings, le I Phone à l ’oreille. Le sé-jour est vaste et lumineux. D’un côté,une grande télévision, un canapé, etdeux fauteuils. En face, une longuetable fait la séparation avec la cuisine.Je m’attendais à des tapis persans, maisle décor est résolument moderne etconfortable. La table est dressée avec

un repas simple : des oeufs durs, desomelettes saupoudrées de sucre, des to-mates, du thon, des dattes ; du vin faitmaison, du lait, des pâtisseries, et desgalettes de pain iranien.

Il y a un autre invité à table, AkbaShakiba, un Musulman, âgé et silen-cieux, un vieil ami du couple. Il remplitsoigneusement la théière d’eauchaude, puis verse le thé dans de pe-tites tasses, veillant à ce que le breu-vage soit toujours à bonne température.Le mari, Adel, est dans le vêtement etGolshan ne travaille pas. Adel expliquequ’il ne trouverait pas ailleurs un meil-leur travail que sa petite affaire d’impor-tation. Comme souvent en Iran, leurmariage a été arrangé. Mais ils accep-tent volontiers que leurs filles choisis-sent leur futur mari, pour autant qu’ilsoit Juif, et de préférence Iranien. Nousrions beaucoup, nous prenonsquelques photos de groupe, et j’éclatede rire lorsque la petite me demande :« Tu veux prendre un « selfie ? »

Je suis venue ici, poussée par la cu-riosité au sujet de l’Iran et de sa com-munauté juive. J’ai voulu me rendrecompte par moi-même de leur hospita-lité et de leur chaleur. De mon séjour àTéhéran j’ai eu l’expérience du bon etdu moins bon. Mais ma plus grandesurprise fut de constater que nos vies,en définitive, ne sont pas si différentes

(Hadassh Magazine, septembre 2015. Traduit et adapté

par Victor Kuperminc)

« Lorsque l’Iran est devenu un Etat

islamique, nousnous sommes

repliés sur nous-mêmes. LesJuifs laïques sont

devenus religieux.Nos synagoguessont devenues le

centre de notre viesociale. »

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Vous venez de traduire pour les EditionsGallimard « Jours de miel », le livre du ro-mancier israélien Eshkol Nevo. Cela fait desannées que vous avez troqué votre métierde journaliste (vous avez été notammentcorrespondant à Jérusalem du quotidien Li-bération) contre celui de traducteur. D’unecertaine manière, vous participez à l’intro-duction en France de ce qu’il y a de meilleurdans la littérature israélienne. Est-ce ainsique vous vous percevez ? Considérez-vouscela comme une sorte de mission ?

D’emblée, il convient de noter quel’introduction de la littérature israé-lienne en France ne date pas d’hier.Selon l’Institut de la traduction de lalittérature hébraïque, qui promeut lesécrivains israéliens et aide les éditeursà les publier en français, 460 titres, tousgenres confondus, ont été publiés enFrance entre 1931 et 2008. Le Salon dulivre de 2008 qui a fait d’Israël son in-vité d’honneur a accéléré ce proces-sus : 40 livres traduits de l’hébreu ontété publiés cette année-là, et la mani-festation a connu un succès éclatant,malgré les appels au boycottage et au-tres alertes à la bombe. Ainsi la librairiequi commercialisait la littérature israé-lienne aura-t-elle réalisé en un jour sonchiffre d’affaires habituellement étalé

sur une semaine…Trêve de gloriole, mais nul doute que

la littérature israélienne tient sa place,grâces en soient rendues à quelqueséditeurs courageux, compte tenu de lafaible diffusion des traductions enFrance – hormis les poids lourds amé-ricains ou désormais scandinaves.

Du coup, le mot de « mission » meparaît exorbitant. Néanmoins, au-delàde la satisfaction personnelle de maî-triser une langue qui m’a donné jadisdu fil à retordre, et m’en donne tou-jours, je suis heureux de m’inscriredans cette continuité et ce rayonne-ment. Ce serait la mitsva spécifiqueque m’a attribuée la Providence…

Durant des années, les seuls auteurs is-raéliens traduits en France étaient tous desécrivains de gauche : Amos Oz, DavidGrossman et A.B Yehoshua. Diriez-vous queles choses sont en train de changer peu ouprou ?

Pour l’heure, on n’en voit que de ti-mides prémices. La « sainte trinité »Oz-Grossman-Yehoshua continue à ré-gner dans un milieu – l’édition, les mé-dias – qui adore l’Israël des bonssentiments et non l’Israël de plus enplus sociologiquement et politique-ment réel : nationaliste, religieux, dedroite.

Cependant, une littérature de droitecommence à émerger en Israël, danscertains milieux religieux, en poésie,par exemple : l’hégémonie culturellede gauche connaît un véritable déclin.Dans ces conditions, nulle raisonqu’un éditeur français moins confor-miste ne s’intéresse pas à des œuvresnouvelles qui ont l’avantage de mon-trer une société moins… idéale.

Ajoutons qu’à côté de la littératurede gauche un rien bien-pensante,d’autres écrivains comme Sami Mi-khaël, Haïm Sabato, Dan Bénaya-Seri,

Shimon Bouzaglo, Sami Shalom Chi-trit, Moshe Sakal, Ytshak Gormezano-Goren, et j’en oublie, incarnent desvoix longtemps étouffées : celle de laTradition et celle des séfarades.

On connaît un grand nombre d’écrivainsisraéliens dont le rêve est d’être traduit enfrançais. A quoi cela est-il dû ?

Tout simplement à quelque choseque la France elle-même a oublié : sonprestige culturel. Nombre d’écrivainsisraéliens que je connais croient en-core à la magie des Deux-Magots !Malgré les aléas politiques entre laFrance et Israël, l’intelligentsia israé-lienne reste attachée au rêve de voirson nom sur la couverture blanche deGallimard ou d’autres maisons d’édi-tion. En outre, nombre d’écrivains is-raéliens sont des francophones et desfrancophiles sincères. Le meilleurexemple en est Yehoshua Kenaz, tra-ducteur de Simenon en hébreu.

De surcroît, la France passe toujourspour le pays de « l’art pour l’art » etnon, comme les États-Unis, de l’artpour les dollars. Et que le public fran-çais sait encore lire – mais pour com-bien de temps encore ?

Quelles observations faites-vous sur la lit-térature israélienne traduite en France ?

La cohorte des traducteurs est assezréduite : une dizaine d’artisans enchambre à se partager ce maigre gâ-teau. Il est des auteurs systématique-ment traduits (voir plus haut : la« sainte-trinité »). Des femmes « méri-tantes » (au sens de progressistes, fé-ministes, et on attend les championnesde la « théorie du genre »). Une nou-velle donne : le thriller fait florès : LiamShoat, Dror Mishani, Nadav Lapid,après feue Batya Gour.

Pour ma part, j’aimerais voir traduitsen français davantage de « classiques »

CULTURE

Traduire lÊhébreu, une vocation ? Un entretien avec Jean-Luc Allouche

“ Je suis heureux dem’inscrire dans cette continuité et ce rayonnement. Ce serait la mitsva spécifique que m’a attribuée la Providence… “

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comme Brenner, Agnon, S. Yzhar ettant d’autres.

Quels sont les critères qui font que tellivre est retenu pour une traduction ?

Hormis les écrivains consacrés delongue date et des découvertes ré-centes (Aharon Appelfeld, Etgar Keret,Zeruya Shalev, etc.), les critères de-meurent parfois mystérieux. Malgréles fiches de lecture demandées auxhébréophones, souvent le choix finald’acceptation de l’un ou de rejet del’autre est frustrant. Passons aussi surla frivolité de certaines exigences : il yfaut un auteur jeune, photogénique,une histoire d’amour, au mieux, uneimage positive des Palestiniens, etc.

Enfin, le critère principal demeureéconomique : cette littérature se vendà peine, et il faut beaucoup de foi auxéditeurs pour s’obstiner à suivre desauteurs.

Quel type de difficultés rencontre le tra-ducteur de l’hébreu ?

Celles que, je suppose, rencontretout traducteur. À ceci près que l’hé-breu n’est pas n’importe quelle langue.Pour ma part, quand je traduis de l’hé-breu, j’ai en tête et au-dessus de moiles millénaires que cette langue a tra-versés. J’ai donc tendance à l’envisa-ger avec une yrat kodéch, une« révérence sacrée », même quandc’est de l’argot. Quand un caïd dequartier traite une fille de zona, jen’oublie pas que la Torah et les pro-phètes ont utilisé le même mot…

S’ajoutent le lexique et la structuregrammaticale si différents du français :plus économes, plus abstraits, plus

rêches. En même temps, il me sembleque le français, avec sa ductilité,convient au mieux pour transcrire l’hé-breu. Après tout, Rachi en savaitquelque chose…

Vous-même, avez-vous une théorie de latraduction ?

Surtout pas ! Tout juste je feraismienne cette définition de la traduc-tion par Umberto Eco : « Dire presquela même chose. » C’est dans cepresque, cette adéquation prudente,réticente, disons même pudique, queréside mon approche de la traduction.Car le pire serait ce que Cioran fus-tige : « Une traduction est mauvaisequand elle est plus claire, plus intelli-gible que l’original. Cela prouvequ’elle n’a pas su en conserver les am-biguïtés, et que le traducteur a tran-ché : ce qui est un crime. »

Cette remarque est si juste : le péchéqui guette le traducteur est de vouloiren remontrer à l’auteur. De rivaliseravec lui. (Quoique, parfois, une tra-duction puisse être supérieure à l’ori-ginal – mais taisons les noms…) Oucomme dit le Talmud : « Celui qui (en)rajoute ne provoque que la défi-cience. » Et donc, soyons modestes. Enrespectant tout juste la musique del’original, quitte à en varier l’orchestra-tion. Comme dit Jean-François Billeter,traducteur émérite du chinois : « Laplupart des défauts laissés [dans unetraduction] apparaissent immédiate-ment, en particulier les entorses à l’eu-phonie. » (Trois Essais sur latraduction). Eh bien, vive le souci de lamélodie.

Avant de vous tourner vers cette activité,vous aviez publié un certain nombre de li-vres remarqués par la critique. Pourquoiavoir préféré ce parcours de traducteur ?

Dès ma retraite, j’ai envisagé demettre à profit mon temps libre pourme colleter à l’hébreu. Pour autant, latraduction a accompagné mon activitéjournalistique (articles, documents del’hébreu), mais il est vrai que j’éprouve

toujours du plaisir à m’affronter à cettelangue apprise dès mon jeune âge auTalmud Thora. En somme, je suistombé dedans comme Obélix et je necesse de m’ébrouer là-dedans. Tra-duire (ou éditer des livres, ce que j’aiaussi pratiqué), c’est le plaisir un peupervers d’accoucher des auteurs, fautede l’être soi-même. Du coup, ce travailincessant sur les langues anesthésieles velléités de création personnelle.

Il n’empêche : j’ai sur le feu un ou-vrage qui mitonne, dont la sauceprend chaque jour consistance, et je nedésespère pas de lui donner bientôt lejour…

“ Qu’à côté de la littérature de gauche un rien bien-pensante,d’autres écrivains incarnent des voix longtemps étouffées :celle de la Tradition et celle des séfarades. “

“ L’intelligentsia israélienne reste attachée au rêve de voir son nom sur la couverture blanche de Gallimard ou d’autres maisons d’édition. “

Jean-Luc Allouche avec l’écrivain A.B Yehochoua

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C’est avec un titrebien modeste queRobert Milhaud dé-crit dans un petitopuscule (40 pages)les curiosités ou les

noms de lieux attribués à des juifs.Aix-en-Provence a ceci de particu-lier qu’elle a le lourd privilèged’avoir eu trois maires juifs durantle XIXème et le XXème siècle. Quoide plus étonnant pour le siège del’ancien Parlement de Provence et,aujourd’hui, lieu de résidence de laplus importante cour d’Appel deprovince.

L’auteur, lui-même descendantd’une ancienne famille juive comta-dine, est ainsi un des derniers “juifsdu Pape” comme son cousin, le cé-lèbre compositeur de musique Da-rius Milhaud (dont le centrecommunautaire porte aujourd’hui lenom) ou bien l’écrivain ArmandLunel, premier écrivain à recevoir leprix Renaudot.

L’ouvrage, réussit l’exploit de cou-vrir six siècles d’histoire provençaleet surtout d’histoire juive avec sensde la nuance et indications de pistesintellectuelles nouvelles pour quidésirerait s’intéresser de près àl’histoire d’une communauté pré-sente depuis l’empire romain surcette terre ensoleillée mais à la-quelle les guerres, les exodes et lesdéportations n’ont, hélas, rien épar-gné. On commence par le roi René,dernier souverain d’une Provenceindépendante avant qu’elle netombe dans l’escarcelle duRoyaume de France. On poursuitpar Mirabeau et tous les hommescélèbres ayant marqué la cité.

Il va de soi que ce tour d’horizon

à destination juive n’est pas exclu-sif, loin s’en faut. Il permet de syn-thétiser un plan de ville assezoriginal. En effet, Aix-en-Provenceest bâtie en forme d’escargot, il y ades avenues périphériques qui tour-nent autour de la ville alors que levieil Aix est un labyrinthe que Dé-dale n’aurait pas dédaigné, ce qui

n’enlève rien, bien au contraire, aucharme de la cité. Mais cet ouvragetraite également des drames qui ontfrappé la région durant la SecondeGuerre mondiale et notamment duCamp des Milles qui vit plus dedeux milles juifs internés dans desconditions insoutenables avantd’être déportés vers la « Nuit et leBrouillard » dont la plupart ne re-vinrent pas.

Grace à la ténacité de quelqueuns, ce camp est devenu un lieu demémoire et de pédagogie, visité parles élèves des écoles et par les

adultes, un lieu unique en Francepour ce qui touche à l’internementet à la déportation des juifs. Aprèsla guerre, la communauté comta-dine exsangue, dut se résoudre àvendre la synagogue aux protes-tants qui la transformèrent en unlieu dédié à leur culte. Qui aurait puimaginer la transformation du pay-

sage juif français ; l’arrivée massivedes juifs d’Afrique du Nord qui vi-vifia les communautés et permit larésurrection d’une communautéplusieurs fois centenaire ? La fu-sion des Comtadins et des séfaradesne se fit pas toujours sans difficulté,mais Robert Milhaud, fidèle de lasynagogue d’Aix, souligne avec jus-tesse et bienveillance qu’il faut« laisser du temps au temps ». (Iti-néraire pratique du judaïsme aixois,par Robert Milhaud, Editions ACJP,40p, 10 )

—*Grand Rabbin d’Aix en Provence

COMMUNAUTÉS

Regard sur le judaïsme aixoisPar Daniel Dahan*

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La lettrede mon père

A soixante ans, Fréderic Gasquetressent fortement le besoin de revenirà son enfance, d’en relater la tragédie.Son père, Frédéric Scemla, juif fran-çais de Tunisie se marie en 1939 avecLila une juive russe rencontrée à Paris.En 1940 il se bat pour la France avantd’être interdit d’accès à tout corpsd’Etat par les lois de Vichy. Il rentre àTunis ; son fils Frédéric a deux ans. Encompagnie de son père et de son frèreplus jeune que lui, il tente de rejoindreles forces françaises libres en Algérie.L’Arabe qui leur sert de passeur leslivre aux forces allemandes qui occu-pent la Tunisie. Ils sont incarcérés, tor-turés au camp de Dachau avant d’être

condamnés de trahisonet exécutés à la hache.Au seuil de la mort, Fré-déric écrit une lettreémouvante , reproduitedans ce récit, lui enjoi-gnant de se remarierpour elle et pour leur fils.Lila épouse Louis Gas-quet un Français qui estagnostique. Quelquesannées plus tard, Frédé-ric insiste à porter sonnom : il a trouvé en luiun père. Le jeune gar-çon est pénétré par lechristianisme. Il semarie, a des enfants etdivorce deux fois. Sa troisième femmeest une juive tunisienne. Tout en étant

proche à son pèreadoptif et au christia-nisme, il ne renie nison père ni le ju-daïsme. Il renoue avecsa grand mère Scemlaet, en évoquant la tra-gédie qui l’habite, iltente de rendre hom-mage à son père, sononcle et son grandpère, victimes desnazis.

Récit émouvant quinous fait vivre l’unedes multiples tragédiesvécues par les juifs. (La

lettre de mon père, récit par FrédéricGasquet, Editions Félin poche, 2015)

Religions monothéistes :dissidences et schismes

Jean Hirsch entreprend des étudesdes religions au terme d’une carrièrede médecin. Il est l’auteur de deux ou-vrages consacrés au Talmud. Dans cetessai : Schismes et religions, il fait étatdes situations actuelles du judaïsme,du christianisme et de l’islam et desdébats qu’ils ont suscités dès leur nais-sance et qui ont, parfois, abouti à desdéchirements, des surgissements desectes, des conflits, des luttes et desviolences.

Le judaïsme s’appuie sur un texte, laTorah pour combattre le paganisme.L’auteur décrit les anciens mouve-ments de dissidence. Aprésent, le débat sepoursuit au sein descommunautés juivesaussi bien dans diverspays qu’en Israël. Ilconclut : « L’unicité sé-pharade/ashkénaze atoujours existé : toute lalittérature rabbiniqueest un mélange desdeux malgré les dis-tances et les moyens decommunication des siè-cles derniers »

Le christianisme atraversé des siècles deconflits, de luttes ar-

mées et de séparations. Depuisquelques décennies, de part et d’autre,les catholiques, les protestants et lesorthodoxes déploient des tentatives derapprochement, de dialogues sanss’amalgamer ou se dissoudre.

Jean Hirsch décrit les divers mouve-ments historiques du christianisme, néà partir du judaïsme rejeté fortementau départ donnant naissance à un an-tisémitisme meurtrier. « Jésus est évo-qué à plusieurs reprises dans lalittérature juive rabbinique mais lanaissance du christianisme en tant quenouvelle religion y est pratiquementignorée » conclut l’auteur.

Les pages consacrées à l’islam dé-bouchent sur les divergences qui se

poursuivent aujourd’huiet suscitent des guerresentre groupes et paysmusulmans. La partiehistorique indique ladissidence sur la succes-sion du prophète Moha-med. Les sunnitesprônent le choix parmiles sages tandis que leschiites insistent sur l’ap-partenance familiale.Les héritiers sont Ali,gendre et cousin du pro-phète qui fut assassinéainsi que plus tard sesdeux fils Hassan et Hus-sein, figures essentielles

célébrées encore aujourd’hui. Leschiites représentent à présent une mi-norité de vingt pour cent des musul-mans. L’Iran est le seul pays où ils sontla majorité qui détient le pouvoir.

Les sunnites s’en tiennent au textecoranique et aux hadiths, les parolesdu prophète tandis que les chiites ac-cordent un pouvoir de décision poli-tique et théologique aux imams. Ilsattendent le retour du dernier imam, lemahdi ce qui les apparente d’une ma-nière lointaine au messianisme juif.L’Iran est l’unique pays musulman oùl’imam en chef possède un pouvoir re-ligieux et politique. Pour les sun-nites, « c’est la thèse la plusconservatrice de l’islam qui a triomphéet s’est maintenue depuis plus d’unmillénaire » L’auteur est pessimistequant à l’avenir Il dit : « L’espoir desintellectuels musulmans occidentauxde revenir à une lecture moins fonda-mentaliste risque de ne pas se concré-tiser rapidement »

Ce livre fournit des renseignementspuisés dans des encyclopédies et desouvrages d’éminents commentateurset théologiens. Il permet au lecteur desaisir les complexités des religions mo-nothéistes et du rôle qu’elles jouentdans les affrontements et les luttesmeurtrières à travers le monde.(Schismes et religions, par JeanHirsch, Editions de l’Harmattan)

Naïm Kattan

LIVRES

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Un nouvel ouvragesur la guerre d’Al-gérie vient de pa-raître : Uneenfance dans laguerre – Algérie

1954-1962 (Éditions Bleu Autour,2016, 296 p.,26 ). En quarante-qua-tre témoignages d’écrivains nés enAlgérie entre 1940 et 1950, LeïlaSebbar dont on connaît les talentsd’anthologiste de l’Algérie et de laMéditerranée (Une enfance algé-rienne, Une enfance juive en Médi-terranée musulmane, L’enfance desFrançais d’Algérie…) recense, dans« ce livre douloureux », les émo-tions premières et les traumatismesqui ont marqué toute une généra-tion d’enfants ou d’adolescentsconfrontés à une guerre qui ne di-sait pas son nom ; tous l’attestent :on parlait seulement d’ « événe-ments » ou de « maintien de l’ordre».

Et pourtant que de centaines demilliers de morts ! La mort est laseule chose – l’obsession − com-mune qui apparaît dans chacun deces récits : l’un – Alain Amato, l’au-teur constantinois de Le Derniermatin (Séguier, 2011) – voit de sesyeux son petit voisin Gérard La-loum tué par une grenade etconclut : « la réalité vient de pulvé-riser mes rêveries » ; et il perçoit,dans le hurlement de la mère quivient de perdre son fils, « le glas deson enfance ». Tandis que de l’autrecôté du pays, à Alger, Simone Mo-lina revit cette explosion qui l’ense-velit sous les gravats : « Que fairede la poussière dans la bouche, del’espoir qui s’amenuise… ? ». PourMonique Ayoun, qui nous avaitdonné un beau livre d’entretiens :

Mon Algérie (Acropole, 1989), c’estla mort de son oncle Charles − toutcomme l’oncle de Joëlle Bahloul,l’ethnologue auteur du Culte de latable dressée (Métailié, 1983), pourqui « ilibre du jour » (selon laphrase d’Albert Camus) et abolit lebonheur.

Ce même bonheur vécu dans leSud, à Djelfa, par Danièle Iancu-Agou[1], vole en éclats le jour oùson oncle aussi est assassiné :c’était le grand-rabbin de la com-munauté de Médéa, et elle rap-porte, à partir de ce drame familial,les nombreuses exac-tions commises, déjà,contre les Juifs : lessept morts de Ne-droma, la bombecontre la synagogue deBoghari, la grenadedans la synagogue deBou-Saada… À l’autrebout, bien sûr, l’assas-sinat en 1961 àConstantine de la ve-dette de la musiqueorientale, Cheikh Ray-mond Leyris, le beau-père d’Enrico Macias,meurtre qui précipital’exode des Juifs de cette ville dontils étaient probablement les plusanciens habitants. Ce à quoi répondle témoignage de Patrick Chemla, àqui les copains du FLN de son frèreavaient fait comprendre « qu’il n’yaurait pas d’avenir pour les Juifs enAlgérie ».

Déchirements

En vérité, dans ce pays où laFrance livrait une guerre meurtrièreavec pour victimes des dizaines de

milliers de jeunes Français et descentaines de milliers d’Algériens,où le FLN venait d’exterminer dansle sang son rival, le MNA (le partide Messali Hadj), sur cette terre oùbientôt l‘OAS allait livrer un combatsans merci contre ceux qu’on appe-lait « les rebelles », puis à l’Indé-pendance la persécution des harkis,ces soldats perdus de la RépubliqueAlgérienne Démocratique et Popu-laire, en attendant la très meurtrièreguerre civile de 1992, la place, lamarge, était des plus étroites. Algé-rie : histoires à ne pas dire (2007),l’excellent film de Jean-Pierre

Lledó, qui vit désor-mais en Israël à Jaffa,apportera d’utiles lu-mières et d’émouvantstémoignages sur cettedéchirure et ces déchi-rements.

Maïssa Bey (nom deplume de Samia Bena-meur), dont la familleest atteinte dans sachair, découvre aumatin dans une rue deBelcourt, enfant terri-fiée, « les corps ensan-glantés qu’on évacue

en toute hâte ». Jacqueline Brenotconstate, dans son désespoir et sahaine nouvelle pour « l’engeancehumaine » : « Le paradis bleu et ora vacillé dans une immense flaquerouge ». De même Jean-Pierre Cas-tellani a « le sentiment d’un im-mense gâchis ». Quant à DanielMesguich, qui revit la tragédie desa voisine dont les deux enfants ontété égorgés par cette jeune femmede ménage, que l’OAS ensuite re-trouvera pour la pendre, lui, l’acteurqui nous ravit dans Le tango des Ra-

LIVRES

La guerre dÊAlgérie : quel gâchis ! Par Albert Bensoussan

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shevski, en reste sans voix et ne saitque dire : « L’Algérie en moi n’estqu’un grand trou ». Mehdi Charefest horrifié par le crime contre satante pendue aux poutres de son «gourbi », et plus encore horrifié parles hurlements de sa « folle de mère» ; lui aussi s’exilera en 1962, à l’In-dépendance, et ce sera pour pro-duire ce beau film mélancolique LeThé au harem d’Archimède (1985).

Entre frères

Français, Arabes, chrétiens etJuifs, pas de partage : chacuncomptera ses morts. Il arrive aussique la victime se retrouve au milieudes clans : Nora Aceval, dont lepère était fermier espagnol et lamère musulmane, vit la fracture etla haine en elle-même : « Nos deuxmoitiés étaient en guerre », écrit-elle, pathétique, ce qui nous faitpenser au roman emblématique deClaude Kayat, Mohammed Cohen(Le Seuil, 1981) qui relate l’ « im-possible histoire d’amour entre unJuif et une Arabe ». Quant à JeanLenzini, son visage brun et ses che-veux frisés le font prendre pour unArabe, mais c’est quand même unattentat du FLN qui fait couler lesang sur sa cuisse, et lui fait direque cette « odeur de la mort » il laportera sur lui sa vie durant. Alorsque la mémoire de MohamedKacimi est hantée par « les ca-davres de l’Indépendance »,Karima Berger, dans un textetrès fort, Entre frères, évoque latragédie des m’tourni, les har-kis, et cette « cabale arabepour Arabes » en concluant : «Exit les Français ! Ils étaientdéjà sortis de nos têtes, plusque nous pour nous haïr ». Nulbarrage, jamais, contre lahaine.

On ne peut parler de tous,car tous ces écrits sont conver-gents et d’une rare efficacitéd’écriture ; ils portent témoi-gnage sur ce que Leïla Sebbarappelle « l’inconnu de laguerre » et que, dans sa pré-face, Jean-Marie Borzeix résume ainsi : « Libérer d’an-

ciennes confidences, confier des se-crets conservés dans l’épaisseur dutemps et déjà presque oubliés, ré-veiller des perspicacités, des lucidi-tés qui sont propres à l’enfance ».Par-delà l’Indépendance, il y a enAlgérie cette guerre civile des an-nées 90 qui va jeter à la mer nombred’Algériens, rejoignant ainsi dansun même bannissement le millionde Pieds-noirs. « Pourquoi cheznous une telle aberration », inter-roge Mourad Yellès, « à quel mo-

ment de notre histoire avons-nousbien pu dérailler ? » Laissons àAlain Vircondelet, l’auteur de AlbertCamus, fils d’Alger (Fayard, 2010),le soin de conclure, penché sur lebateau de son exil, sur cette« guerre interminable avec pourchamp de bataille la mémoire in-tacte de la terre natale, sa perte etl’impossible retour ». Et pourtant,confie Anne-Marie Langlois, « lebonheur semblait infini »… Fallait-il vraiment « fuir le bonheur de peur

qu’il ne se sauve », comme l’écrit sibien Serge Gainsbourg ?

L’Algérie sous la guerre, dans untel livre, apparaît comme le sauve-qui-peut général et l’infini désastrepour ceux qui croyaient au ciel etceux qui n’y croyaient pas, pourceux qui étaient ici et ceux quiétaient là-bas.

--[1] Son frère, qui fréquentait assi-

dûment le centre de l’UEJF à Alger,fit son alya en 1958 et prit le nom deShimon Agour ; il fut diplomate etambassadeur d’Israël en Amériquelatine et en Afrique noire (Djelfa1933 – Jérusalem 1996).

“ L’Algérie sous laguerre, dans un tel livre,

apparaît comme lesauve-qui-peut généralet l’infini désastre pour

ceux qui croyaient auciel et ceux qui n’y

croyaient pas, pour ceuxqui étaient ici et ceux

qui étaient là-bas. “

Sylvain Ghrénassia au violon

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Homme de cinéma et de télévisionpassionné par l’Histoire, JacquesKirsner avait produit il y a 5 ans untéléfilm réalisé par EmmanuelBourdieu, « Drumont, histoire d’unantisémite français », dans lequel Denis

Podalydès incarnait avec le talent qu’on lui connaît cesinistre journaliste qui s'est imposé comme le « Pape del’antisémitisme », après avoir notamment publié en 1886son brûlot intitulé La France juive.

Réalisateur et producteur se retrouvent aujourd’hui à latête d’un projet encore plus audacieux et ambitieuxpuisque c’est la première fois que le cinéma françaisaborde la personnalité sulfureuse de Céline, lequelreprésente selon Kirsner, « l’impossible coexistence entrel’abjection absolue et le génie total ».

Le premier mérite de ce film est de s'être consacré à unépisode inouï et véridique de la vie de l’écrivain, à savoirsa rencontre en 1948, au fin fond du Danemark où il étaitreclus, avec un jeune et prometteur universitaire juifaméricain, Milton Hindus, qui était l’un de ses plusfervents admirateurs et avait fait signer outre-Atlantiqueune pétition en sa faveur à de grands noms de la littératureaméricaine, dont le célèbre dramaturge Henry Miller.

L'auteur du Voyage au bout de la nuit est en effet à cetteépoque un véritable paria de la littérature, accusé decollaboration et poursuivi pour haute trahison en France.

Tout le monde crache alors sur le docteur Destouches,alias Céline, dont les romans autrefois encensés ont étédéfinitivement entachés par des pamphlets nauséabondsqui suintent la haine de l’autre, tel que le funeste« Bagatelles pour un massacre » publié en 1937.

Il convient aussi de se rappeler qu’entre 1941 et 1944,Céline a fait publier bénévolement 29 lettres furieusementantisémites et racistes dans de nombreux journauxcollaborationnistes.

C’est dire combien la venue au Danemark d’ununiversitaire juif américain, qui lui voue une admirationsans borne et avec lequel il entretient une correspondanceépistolaire depuis plus d’un an, semble être une

opportunité inespérée pour Céline et son épouse Lucette,laquelle rêve de pouvoir enfin rentrer en France.

Le film nous relate ainsi les trois semaines d'unecohabitation iconoclaste entre le maître en littérature et sondisciple, le premier espérant gagner un « avocat » quipuisse l’aider à sortir de son indignité, et le second espéranttirer la substantifique moelle d’un écrivain hors normes.

Il y a dès lors une jubilation certaine à voir cetteconfrontation entre un écrivain « monstrueux » et ununiversitaire ambitieux, arbitrée au fil des jours par lasensible et intelligente Lucette (campée par uneimpeccable Géraldine Pailhas), qui essaie d’empêchertoute provocation de la part de son impossible mari, maisne parvient tout de même pas à lui extirper sonantisémitisme odieux.

Et si ce touche-à-tout brillant qu’est Emmanuel Bourdieu(à la fois scénariste, dramaturge et philosophe) n’est sansdoute pas l’un de nos plus grands metteurs en scène, à ladifférence de son camarade de longue date ArnaudDesplechin dont il a coscénarisé plusieurs films excellents,il n’en demeure pas moins que son nouvel opus se révèlepassionnant à plus d’un titre, porté littéralement parl'épatant Denis Lavant.

Nul autre que Lavant ne pouvait en effet faire ainsicoexister le côté paterneliste du Docteur Destouches (quise montre souvent affectueux avec son visiteur juif) et cetinquiétant Mister Céline, qui se trouve parfois débordé parun antisémitisme délirant, comme lorsqu’il se met à singerune danse yiddish ou qu'il n’hésite pas à proposer à Hindusla création d’un « Comité de réconciliation entre aryens etjuifs ».

On se croirait soudain transporté dans une scène d’OSS117, signée Hazanavicius, mais c'est bel et bien la réalitéqui nous est ici contée.

Notons enfin la belle scène, qui voit Milton Hindusprendre finalement conscience de son identité lorsque,dans le bus du retour, répondant à la question « Etes-vousaméricain ? », le jeune homme répond d’une façonspontanée et sans détour : « Je suis Juif ».

En trois mots, tout est dit.

CINÉMA

Docteur Destoucheset Mister Céline Par Elie Korchia

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VERBATIM

Michel Onfray. Philosophe : «Traiter d’antisémite quelqu’un qui nel’est pas, c’est l’assimiler à ceux quil’ont été véritablement, Pétain ou Hit-ler, par exemple»

Franz-Olivier Giesbert. Journaliste :« Observez les regards des réfugiéssyriens qui fuient les égorgeurs deDaech : d’une certaine manière, vousy retrouverez la même terreur quedans les yeux des juifs qui, pendant laSeconde Guerre mondiale, tentaientd’échapper à la folie nazie »

Marcel Gauchet. Philosophe :«Nous avons eu jadis une école re-marquable . Qu’est-ce qui nous em-pêche de retrouver cette qualité ? Que pouvons-nous faire vivre denotre grand passé ? Cette questiondevrait porter l’ambition d’un grandpolitique, mais nous n’avons, hélas,que de petits ambitieux »

Thibault de Montbrial. Avocat, spécialiste des questions de terrorisme :«La pénétration de l’islamismen’épargne pas la police ou l’armée»

Natacha Polony. Chroniqueuse :«Les débats qui agitent les intellec-tuels aujourd’hui, sont, comme en sontemps l’Affaire Dreyfus, le miroir deces fractures profondes qui peuventresurgir un jour sous forme violente »

Louis Sapulveda. Ecrivain chilien :

«Quand on comprend le passé, on

peut mieux comprendre le présent.

Quand on comprend le présent, on

peut avoir une vision du futur»

Denis Tillinac. Ecrivain :

« Les images ça s’use vite, comme

tout ce qui est bricolé par la com »

Thierry Wolton. Ecrivain :

«Au fond, les islamistes d’aujourd’hui

sont les marxistes-léninistes du début

du XXème siècle »

Jeannette Bougrab.Directrice de l’Institut français de Finlande :« L’âme d’un pays se niche dans sesécoles . Elles sont le miroir dans le-quel se projette une nation « .

Régis Debray. Philosophe :« Qu’est-ce que le retour du religieuxsinon une insurrection de la mémoire ? »

Gilles-William Goldnadel. Avocat, essayiste :“La dame des 35 heures et des pis-cines séparées n’incarnera jamaisl’idée de modernité”

GILLES CLAVREUL. Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme :

« Quand on choisit Tariq Ramadan comme parte-naire et Bernard Cazeneuve comme cible, ou quel’on affirme, comme Edwy Plenel, que Manuel Vallsc’est pire que Marine Le Pen, il y a clairement unproblème d’inversion des valeurs»

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L’étude selon Jankélévitch

n Après la remarquableémission que Joelle Hansel aconsacrée sur France Cultureà Vladimir Jankélévitch, ona pensé à la superbe for-mule que le philosophe utilisa pour décrire le modede fonctionnement qui doit, selon lui,être celui de l’étude. Voici comment,dans son livre Quelque part dansl’inachevé, Jankélévitch définitl’étude : Cela « consiste à penser toutce qui dans une question est pensa-ble, quoi qu’il en coûte…Les motsqui servent de support à la pensée

doivent être employés danstoutes les positions possi-bles…Il faut les tourner et lesretourner dans toutes leursfaces , dans l’espoir qu’unelueur en jaillira, les palper etausculter leurs sonoritéspour percevoir les secrets deleur sens.. »A la lecture de ces lignes, onse demande si le philosophepensait en les écrivant à la

formule du Traité des Pères (Pirké Avot ) qui donne pour instruc-tion au fidèle dans son étude de laTorah : « hafokh bah va-hafokh bah », tourne-la et retourne- la. A moins que le génie et l’intuition du philosophe aient visé juste.

Vladimir Jankélévitch

« Talmudiste ? »n Mais qu’ont-ils donc tous à évoquerle Talmud comme s’ils avaient passéquelques années à l’étudier dans telleou telle yéchiva à travers le monde ?Dans son dernier opus (Penser l’islam,2016 Editions Grasset) Michel Onfrayécrit dès les premières lignes qu’il a « lu le Talmud ». Lire le Talmud ?Comme on lirait du Bernard-HenriLévy ? Il faut n’avoir aucune idée dece dont on parle pour utiliser cette formule. Le Talmud, on l’étudieet de préférence pas dans la so-litude qui est celle de la lecture.Et on ne l’étudie qu’après avoirappris son mode de fonctionne-ment , ses règles, ses mots depasse et ses dialectiques, Tel autre écrivain à succès, Fré-déric Lenoir n’hésite pas à évo-quer, sur le ton de l’homme quiest allé voir ce dont il parle, « lesversets du Talmud ». Il n’ajoutepas’ sataniques’ mais il y pensesans doute. Sans quoi pourquoi parle-rait-il de versets ? On se souvient que, dans les annéesSoixante-dix du siècle dernier, Em-manuel d’Astier de La Vigerie (quel’on appelait alors, en raison de sesprises de position d’extrême gauche,le baron rouge ) avait écrit dans larevue qu’il venait de créer que – oncite ici de mémoire – « l’extrémismedu général Moshe Dayan ne s’expli-

quait que par le conservatisme réac-tionnaire des rabbins du Talmud ».Nul ne songea alors à renvoyer à seschères études cet héritier défroquéde la noblesse.Aujourd’hui encore, certains, au seinmême de la communauté juive, n’hé-sitent pas à inscrire en tête de leur CV: « talmudiste ». Comme s’il s’agissaitlà d’on ne sait quelle profession,d’une fonction ou encore d’un titreuniversitaire. Un tel titre n’a jamaisexisté dans toute l’histoire du judaïsme. Et on a beau chercher, il n’a

d’ailleurs pas d’équivalent dans l’hébreu. Les plus grands maîtresd’hier et d’aujourd’hui, se déclarentheureux quand on daigne les consi-dérer seulement comme « disciple des sages » (talmid hakham).Au train où vont les choses, il y a fort à parier qu’un jour on verra un quel-conque plumitif publier « Le Talmuden dix leçons » ou encore « Le Talmud pour les nuls et par un nul »

Bensimon et Haaretzn Avant de devenir, pour quatre ans,membre de la Knesset , Daniel Bensimonétait connu en Israël comme le seul jour-naliste d’origine marocaine travaillantpour le journal le plus ashkénaze (et leplus intellectuel ) du pays : Haaretz. Celaétonnait beaucoup de monde. On ne com-prenait pas qu’un homme qui revendi-quait ses origines pût joindre sa signatureà des journalistes qui avaient, durant des décennies, stigmatisé les juifs venusdu Maroc en les traitant de « Maroko sakine » ( les Marocains au couteau).David Lévy, l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères – qui est né dans le Mellah de Rabat – disait à l’occasion aujournaliste Bensimon : « En écrivant dansles colonnes de Haaretz, tu te livres à ceque j’appelle avoda zara , tu te prosternesdevant des idoles ».

Lévy n’était pas le seul à s’étonner ainsi.Jusqu’au jour où le journaliste parvint à sefaire élire à la Knesset sur la liste du partitravailliste. Il quitta alors le journal où iln’avait pas que des amis. Mais il fut battulors des élections qui suivirent, DanielBensimon trouva le temps de revisiterson parcours humain et professionnel depuis qu’il fit son aliya, à l’âge de 15 ansen compagnie d’une de ses sœurs, âgée,elle, de dix ans.Dans le livre qu’il vient de publier en Israël sous le titre « Hamorakaïm « (les Marocains), l’ancien journaliste raconte la honte qui fut la sienne quand ildevait évoquer les origines de sa famille :« La société israélienne est malade, écrit-il. Elle a du mal à accepter l’autre dans sadifférence. Avec l’aliya, ma famille s’estdésintégrée »Bensimon se désole de ce que les juifsmarocains aient perdu la modération quiles caractérisait. « Ils votent aujourd’hui –ajoute-t-il - pour des formations d’ex-trême droite ».Son témoignage est émouvant. Mais d’aucuns le trouveront bien tardif.

V.M.

POST-SCRIPTUM

Daniel Bensimon

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