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TOLÉRANCE ET CONDESCENDANCE DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XVI e SIÈCLE Author(s): François Rigolot Reviewed work(s): Source: Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, T. 62, No. 1 (2000), pp. 25-47 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20678641 . Accessed: 20/11/2012 06:07 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance. http://www.jstor.org This content downloaded by the authorized user from 192.168.52.71 on Tue, 20 Nov 2012 06:07:29 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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TOLÉRANCE ET CONDESCENDANCE DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XVI e SIÈCLEAuthor(s): François RigolotReviewed work(s):Source: Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, T. 62, No. 1 (2000), pp. 25-47Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/20678641 .

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Bibliotheque d'Humanisme et Renaissance - Tome LXII - 2000 - no 1, pp. 25-47

TOLERANCE ET CONDESCENDANCE DANS LA LITTERATURE FRAN AISE

DU XVIe SIECLE

Accedat illa condescendentia [ ], ut utraque pars alteri sese nonnihil accommodet, sine qua nulla constat concordia.

Erasme2

L'histoire de la toldrance au XVP siecle a fait l'objet d'6tudes impor tantes, depuis la grande these de Joseph Lecler qui date maintenant d'un

demi-siecle3, et il n'est pas question d'y revenir ici en d6tail. N'6tant pas his

torien, je laisserai e des collegues beaucoup mieux qualifids, le soin de

convoquer et d'interprdter les manifestations 6v6nementielles d'un pheno mene complexe, a une 6poque marquee a la fois par l'intransigeance et la recherche patiente de compromis. En philologue, linguiste et critique litt6

raire, je me contenterai plut6t d'6voquer quelques 6l6ments de simantique historique afin de preciser les rapports qui existent entre la notion de toli rance et la thdorie voisine de la condescendance qui occupe une place importante en thdologie mais me semble avoir 6t6 curieusement sous-esti

m6e par la critique dans la litt6rature frangaise de la Renaissance.

* * *

1 Une premi?re version de ce texte a fait l'objet d'une communication orale au colloque sur

la tol?rance organis? sous l'?gide de la Fondation Borchard au ch?teau de la Bretesche en ao?t 1998. Je remercie Jean-Claude Carr?n de son invitation, les divers participants de leurs suggestions, ainsi que Monsieur et Madame William Beling de leur aimable hospi talit?.

2 ? Faisons n?tre cette condescendance qui dispose chaque parti ? faire des concessions et sans laquelle il n'est pas de v?ritable concorde.? De sarcienda Ecclesiae concordia in

Erasmi Opera Omnia (Amsterdam, North-Holland Pubi. Co., 1986), tome V, 3, p. 304. Nous donnons la traduction litt?rale latine (condescendentia) et fran?aise (condescen dance) du grec sygkat?basis, au sens positif de ?vertu d'accueil?.

3 Joseph Lecler, Histoire de la tol?rance au si?cle de la R?forme (Paris, Aubier, 1955), 2 tomes. Pour une bibliographie r?cente ? ce sujet on consultera l'ouvrage collectif, Tole rance and Intolerance in the European Reformation, ed. by Ole Peter Grell & Bob Scrib ner (Cambridge UP, 1996).

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26 FRANIOIS RIGOLOT

TOLERANCE ET LIBERTE DE CONSCIENCE

Rappelons d'abord qu'au XVIe siecle le verbe tolirer possede des connotations essentiellement passives. Il est tout simplement synonyme d'endurer, de supporter et de souffrir. Toldrer c'est trouver les moyens

d'accepter un mal dont on aimerait bien pouvoir se d barrasser. Comme le

rappelle Janine Garrisson, meme dans l'Edit de Nantes (1598), ?le roi en sa

toldrance n'est point si large que de mettre les deux confessions sur un pied d' 6galit6 et regrette que ses sujets ne puissent adorer Dieu <<en une meme forme et religion 4>'. Le catholicisme est indirectement reconnu religion d'Etat (l'article III ordonne qu'il soit retabli la ohi son exercice a 6t6 entrav6) et le protestantisme est qualifid de ?religion pr6tendue rdformee >. L' ana

lyse des contextes linguistiques en Europe au XVI* siecle montre bien que le verbe tolirer appartient surtout au vocabulaire des extr6mistes catho

liques alors que les mode6rs des deux camps pr6ferent employer des termes

plus positifs comme ?permettre ou <<autoriser >6. Toldrer c'est toujours accepter de mauvais gr6 ce qu'on ne peut empecher: au mieux, c'est un pis aller pour mettre fin aux <<troubles et obtenir le calme et le repos. Une telle

signification hantera longtemps les esprits et inspirera encore la R6vocation de l'Edit de Nantes, en 1685, pres d'un siecle apres sa signature, les proches de Louis XIV restant convaincus du caractere provisioire et forcdment insa tisfaisant d'un 6dit sur la tolerance.

L'ddition du Dictionnaire de l'Acadimie frangaise de 1694 donne encore les definitions suivantes:

TOLERER. v.a. Souffrir, Avoir de l'indulgence par quelque consideration, pour des abus, pour des choses qui d'elles mesmes ne sont pas bien. On tolere toute sorte de religions en ce pays-Ld. il y a des Estats Chrestiens od l'on tolere les

Juifs, od 'on tolere I'exercice du Judaisme. Dieu tolere les impies pour un temps. il nefaut pas que les Princes tolerent les mauvaisjuges. tolerer un petit mal, pour en eviter un plus grand.

TOLERANCE. s.f. v. Souffrance, indulgence qu'on a pour ce qu'on ne peut empescher. Longue tolerance. ce n'est pas un droit mais une tolerance. il nejouit de cela que par tolerance.'

On y trouve, en outre, le participe passe (toliri) et les d6riv6s (tolerable et intolerable); mais ' absence de 1'adjectif <<tolerant> est significative car ce terme comporte un sens actif qui serait anachronique aux XVI* et XVII*

4 UEdit de Nantes, ?d. Janine Garrisson (Biarritz, Atlantica, 1997), p. 13.

5 Texte de l'Edit de Nantes, ibid., pp. 25-26.

6 Voir l'analyse des bin?mes synonymiques entreprise par William H. Huseman dans son

article, ?The Expression of the Idea of Toleration in French During the Sixteenth Cen

tury,? The Sixteenth Century Journal XV, 3 (1984), pp. 293-310. 7

Paris, Veuve de J. B. Coignard, 1694, tome II, p. 569.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 27

siecles puisqu'etre ?toldrant c'est accepter la diffirence en matiere de morale et de religion. Il faudra attendre les Lumieres pour que la notion de toldrance change d'acception et se charge de connotations nettement posi tives. Elle visera alors a laisser a chacun la facult6 de pratiquer librement la

religion qu'il professe. Nouvelle hygiene mentale qui peut se ddvelopper grace a un nouveau contexte politique: la toldrance sera vue comme la plus utile des vertus puisqu'elle regit les rapports entre les citoyens de la nou

velle societd liberale'. La notion voisine de liberti de conscience mdrite elle aussi un bref rap

pel9. Chez Luther, Mlanchthon et meme Calvin le sens de cette expression n'est pas non plus celui que nous lui attachons aujourd'hui. Pour les thdolo

giens protestants, la libert6 qu'ils reclament conserve un sens actif et meme

combatif: il s'agit de se libirer par la <foi vive des prescriptions que

l'Eglise romaine a imposees au cours de l'Histoire et que les Reform6s assi

milent a celles de la loi juive. On sait que Calvin reprend les critiques de

Marc (23, 4) et de Luc (11, 46) au sujet des pharisiens qui font passer leurs

superstitions pour les commandements de Dieul". La libert6 de conscience

est donc avant tout le desir de s'affranchir des ?superstitions et des

?erreurs papistes ; bien plus, c'est l'affirmation d'un droit au refus: refus

bien concret de participer aux diverses manifestations publiques (proces sions, pdlerinages, messes et autres cerdmonies liturgiques) qui gouvernent la vie de tous les jours dans l'Ancien R6gime. Il ne faut donc pas confondre

la liberti de conscience avec une quelconque souveraineti du for intirieur

qui trouverait sa 16gitimit6 dans l'existence meme de la subjectivit6. En

1570, Theodore de Beze est cat6gorique a ce sujet: Jactabimusne libertatem conscientiis permittendam esse? Minime, ut haec qui dem libertas intellegitur, id est, ut quo quisquemodo volet Deum colat. Est enim

diabolicum dogma.

[Dirons-nous qu'il faut permettre la libert6 de conscience? Pas le moins du

8 Voir, dans la s?rie des ?Etudes sur le XVIIIe si?cle? de l'Universit? Libre de Bruxelles, le volume intitul? La Tol?rance Civile o? Roland Crahay a publi? les Actes d'un Colloque

organis? ? M?ns ? l'occasion du deuxi?me centenaire de l'Edit de Joseph II (Editions de

l'U. de Bruxelles et de M?ns, 1982). A cet ?gard, Jean Delumeau a bien raison de parler de ?la difficile ?mergence de la tol?rance? au sens o? nous l'entendons aujourd'hui. La

R?vocation de l'Edit de Nantes et le protestantisme fran?ais en 1685, ?d. Roger Zuber et

Laurent Theis (Paris, 1986), pp. 359-64. Voir aussi Bernard Plongeron, ?De la R?forme aux Lumi?res, tol?rance et libert?,? Recherches de science religieuse, 78,1 (janvier-mars 1990), pp. 41-72.

9 Voir Joseph Lecler, ?Libert? de conscience. Origine et sens divers de l'expression,? Recherches de Science Religieuse 54 (1966), pp. 370-406; et, plus r?cemment sur ce th?me, les Actes du Colloque de Mulhouse et B?le de 1989. La Libert? de conscience (XVF-XVIF si?cles, ?d. Hans R. Guggisberg, Frank Lestringant et Jean-Claude Margolin (Gen?ve, Droz, 1991).

10 Alain Dufour, ? La Notion de libert? de conscience chez les R?formateurs.? in La Libert?

de conscience, op. cit., pp. 15-20.

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28 FRAN OIS RIGOLOT

monde, s'il s'agit de la libert6 d'adorer Dieu chacun a sa guise: c'est I' un

dogme diabolique.]"

Les humanistes considdr6s comme les plus ?lib6raux ont eux-memes

pris des positions ou tenu des propos qui passeraient pour ext6mistes aujour d'hui. Thomas More n'hesite pas a precher la pers6cution et Juste Lipse autorise la repression au nom de la Raison d'Etat". Luther, qui avait com

mence par se faire l'avocat de la toldrance, change d'avis en se voyant d passer sur sa gauche par MUnster et Karlstadt. Il appelle alors de ses vceux

le bras s6culier pour venir a bout de ces fauteurs de troubles et ramener

l'ordre public. La survie de l'6vang6lisme tient a cela. Seul Castellion

semble etre rest6 fidele a ce noble id6al contre vents et mares ". Il reste que le modele g6ndral est essentiellement ndgatif. En tout cas, personne dans la

France du XVIe siecle ne semble avoir estim6 que la tolirance ffit une bonne

chose en soi". Qu'en 6tait-il de la notion voisine de condescendance?

* * *

THEOLOGIE DE LA CONDESCENDANCE

Le concept de condescendance, tel qu'il s'exprime au d6but du XVI* siecle dans les milieux dvangdliques, appartient a une riche tradition patro

logique que peu de clercs devaient ignorer et qui faisait alors l'objet d'un renouveau d'interet grace a Erasme5. La forme grecque du terme se trouvait d'ailleurs dans un ouvrage de r6f6rence repandu a l'ipoque, le Lexique

11 Correspondance de Th?odore de B?ze, tome XI, p. 179. Cit?e par A. Dufour dans ?La

Notion de libert? de conscience,? cit., p. 15. 12 Voir Geoffrey R. Elton, ?Pers?cution and Toleration in the English Reformation,? dans

Persecution and Toleration, ?d. W. J. Sheils (Oxford, 1984), pp. 163-187; et R. Tuck, ? Scepticism and Toleration in the Seventeenth Century,? dans Justifying Tolerance:

Conceptual and Historical Perspectives, ?d. S. Mendus (Cambridge, 1988), pp. 21-35. 13 Voir Hans Rudolf Guggisberg, ?Ha?r ou instruire les h?r?tiques? La Notion d'h?r?tique

chez S?bastien Castellion et sa situation dans l'exil b?lois.? In : Im Libert? de conscience,

op. cit., pp. 65-81. 14

II est significatif ? cet ?gard que, lorsque Calvin traduit son Institution en fran?ais, il rend le latin classique tolerantia par patience, mot qui retient son sens ?tymologique de souf

france. Je remercie Max Engamarre de cette remarque pertinente. 15

Sur la place de la ?condescendance? dans la tradition patrologique, voir Henri Pinard, ?Les Infiltrations pa?ennes dans l'Ancienne Loi d'apr?s les P?res de l'Eglise. La th?se de la condescendance,? Recherches de science religieuse 9 (1919), pp. 197-221. Sur l'atti

tude d'Erasme ? l'?gard de cette m?me notion, voir Mario Turchetti, ?Une Question mal

pos?e: Erasme et la tol?rance. L'Id?e de sygkatabasis?, Biblioth?que d'Humanisme et

Renaissance LIII,2 (1991), 379-395.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 29

greco-latin de Suidas6. Sous la rubrique sygkatabasis (littdralement: <<condescendance, c'est-a-dire facult6 de se mettre au niveau d'un etre

inf6rieur) on lisait le texte suivant:

"OtaV gh Oc attV 6 EOC' 4axvlTyrat, dtX' Wc 0 SoVapEVOc ctutov OEopETv old16 tsattVOlt) oozc rao6V S&tVU, intgEtpidV Ti TaV OpoJVToV daoEVmig TilC OXVEoc T7iV inEtciv.

[On parle de condescendance lorsque Dieu apparait non pas tel qu'Il est mais se montre de fagon A ce que ceux qui ont des yeux puissent en supporter la vision. Dieu accommode alors l'aspect de sa pr6sence A l'infirmit6 de ceux qui le

voient.]17

Suidas ne cachait pas la source de ce passage puisqu'il ajoutait: <Haec sunt verba Chrysostomi.

18 Il s'agit, en effet, d'un des nombreux passages oi saint Jean Chrysostome a recours au concept de condescendance pour

expliquer comment Dieu r6ussit A se faire connaitre des etres humains mal

gr6 sa nature incomprdhensible'9. C'est ce qui lui avait m6rit6 le titre de

<<docteur de la condescendance 20. Le texte de la vision d'Isaie sert de point de ddpart a son commentaire:

L'ann6e de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur Yahv6 assis sur un trone 6lev6; sa traine remplissait le sanctuaire; des S6raphins se tenaient au-dessus de lui,

ayant chacun six ailes: deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les

pieds, deux pour voler. (Isaie, 6, 1-2)

L'6loquent commentateur se demande pourquoi les Sdraphins qui entou

rent le Dieu de Majest6 se voilent la face de leurs ailes: cur obvelantfacies suas? C'est, rdpond-il, parce qu'ils ne peuvent supporter la lumiere fulgu rante qui 6mane du trune de Dieu: Cur, inquam, nisi quia fulgur e throno

progrediens radiosque ferre non possunt? Si les Anges de Yahv6 eux

memes ne pouvaient supporter l'intensit6 du rayonnement c6leste, qu'en serait-il des tres humains? Quamquam non ipsum sine temperamento

16 Rabelais, par exemple, poss?dait un exemplaire du Lexicon de Suidas dans 1

' ?dition mila

naise de 1499. Il devait y trouver le nom de Panurge. Voir Ludwig Schr?der, Panurge und Hermes (Bonn, Romanisches Seminar der Universit?t Bonn, 1958), pp. 80-9; Jerome

Schwartz, ? Panurge's Impact on Pantagruel ?, Romanic Review, 67,1 (1976), p. 7 ; G?rard

Defaux, Le Curieux, le glorieux et la sagesse du monde dans la premi?re moiti? du XVIe

si?cle (Lexington, Kentucky, French Forum, 1982), p. 134. 17 Suidae Lexicon, ?d. Immanuel Bekker (Berlin, Georg Reimer, 1854), p. 935. 18

Ibid., p. 935, note. 19 ? De Incomprehensibili Dei Natura,? in Patrologiae cursus completus. Series graeca, ?d.

Jacques-Paul Migne (Paris, 1857-1889), tome 48, p. 720 sq. Nous citerons d?sormais la Patrologie grecque de Migne sous forme abr?g?e (PG).

20 ? Il [Jean Chrysostome] revient si fr?quemment sur cette id?e et il lui donne un tel relief, qu'on peut en quelque sorte le nommer 'le docteur de la condescendance.'? H. Pinard, ?Les Infiltrations pa?ennes...,? art. cit. 9 (1919), p. 209.

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30 FRANOIS RIGOLOT

lumen, neque ipsam puram substantiam videbant sed quae videbantur

attemperata erant. Il fallait bien que le Crdateur tempirat sa lumiere s'il

voulait meme n'etre qu'entr'apergu de ses creatures. Vient alors la question fondamentale: ?Ti Sc"& on a uy~xmpatc; Quid autem est condescen dentia? Comment ddfinir cette accommodation de la vue grace a laquelle Dieu peut se faire connaitre a nous? La reponse vient sans tarder: <La condescendance c'est, pour Dieu, le fait d'apparaitre et de se montrer non

pas tel qu'il est, mais tel qu'il peut 8tre vu par celui qui est capable d'une telle vision, en proportionnant l'aspect qu'il pr6sente de lui-meme a la fai blesse de ceux qui le regardent (PG 48, p. 720).

C'est ici que se place la citation grecque que reprend Suidas pour illus trer le terme de sygkatabasis. Si le fameux lexique de la Renaissance ne

reproduit pas le contexte biblique d'Isaie, oi6 Dieu rayonne dans son aveu

glante gloire, il propose pourtant une paraphrase dont le vocabulaire est

important pour notre propos:

Haec dicitur, cum Deus non ut est apparet, sed talem se ostendit, qualem is qui eum videt ferre potest; praesentiae suae aspectum videntium imbecillitati accom

modatus22.

Les termes latins (apparet, ostendit, videt, aspectum, videntium) mettent

l'accent sur le drame visuel de la communication entre le divin et l'humain.

Ils servent ainsi a rappeler au lecteur le sens du texte fondateur d'IsaYe. Le

message est clair: Dieu, ne pouvant se montrer tel qu'il est rdellement a nos

pauvres yeux humains, devait condescendre (c'est la traduction littdrale du verbe grec sygkatabainein) pour s'accommoder (latin: accommodatus donn6 par Suidas) aux necessit s de la vision humaine.

Remarquons encore que dans la thdologie scolastique les termes condes censio et condescendentia sont interchangeables pour d6signer cette

<<concession extraordinaire par laquelle Dieu consent a altdrer sa forme>>

pour se rendre accessible aux tres humains malgr6 leur faiblesse cong6ni tale. Le Glossarium de Du Cange r6sume bien le sens de cette opdration:

condescensio: apud Theologos Scholasticos frequenter accipitur pro illa demis

sione, qua Deus infirmitati nostrae sese attemperat.

condescendentia: idem quod condescensio prima notione".

Le theme de la concession temporaire et de l'altiration stratigique se

trouve donc naturellement associd a celui de la r~v~lation divine, non seule

21 Dans sa paraphrase latine Migne donne l'?nonc? suivant: ?Quando Deus non sicut est

apparet, sed ad modum ejus, qui ipsum visuras est, sese attemperai, videntiumque infir

mitati sese accommod?t.? PG, tome 48, p. 722. 22

Suidae Lexicon, op. cit., p. 935. 23

Glossarium mediae et inflmae latinitatis (Niort, L. Favre, 1883), tome 2.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 31

ment dans la patrologie grecque et la scolastique latine mais dans les

ouvrages de rdf6rence du XVPe siecle.

* * *

CONDESCENDANCE ET CARITAS HUMANISTE

On sait que, tout au long de sa vie, Erasme a pr6conis6 une attitude dite de <<philanthropie chr6tienne>> a l'6gard de ces autres absolus que sont les

herdtiques. Or, pour caractdriser ce nouveau tropisme 6thique, l'humaniste de Rotterdam emploie ce meme mot grec cher aux Peres de l'Eglise et, en

particulier, a Jean Chrysostome: la sygkatabasis. Pour Erasme il ne s'agit plus d'une explication thdologique mais d'une attitude essentiellement morale: le chretien doit s'efforcer de descendre vers l'autre, le picheur, lin

fidele, pour 1'accueillir a son niveau, se defaisant de toute pr6vention id6o

logique ou morale4. La con-descendance prend donc un sens sinon nou

veau, du moins plus foncierement moral, avec l'humanisme chr6tien du XVP siecle. Elle oblige a renoncer A toutes les presomptions de sup6riorit6 de la th6ologie; elle exige du clerc, au contraire, de quitter son pi6destal, de sortir de sa chambre d'6tude, pour rencontrer a basse altitude l'6gard, le

devoyd, l'insens6, en consentant a partager temporairement ses errances. On reconnait la une forme tres particuliere de la caritas paulinienne. Si

le Christ a pu accueillir parmi les siens les mendiants, les truands et les pros titudes, pourquoi le catholique n'irait-il pas tendre la main a l'hdr6tique qui a quitti le droit chemin ? Au centre du Credo chrdtien se place le Mystere de la R6demption qui veut que Dieu descende sur terre pour assurer le salut du

genre humain: Qui propter nos homines et propter nostram salutem des cendit de celis. Mais cette intervention de Dieu dans l'Histoire est aussi, pour les etres humains, le parfait exemple d'un geste d'amour d6sintdressd

qui trouve son expression narrative dans la parabole du ?bon Samaritain

(Luc 10 29-37).

Gregoire de Nysse en avait donn6 un commentaire fameux o6 il insistait

precisement sur 1' image du Christ <<condescendant de son inexprimable grandeur vers la bassesse de notre nature .25. Lefevre d'Etaples en avait fait

24 Sur la sygkatabasis chez Erasme nous renvoyons ? l'article d?j? cit? de Mario Tarchetti, ? Une question mal pos?e : Erasme et la tol?rance,? pp. 379-395.

25 Gr?goire de Nysse ajoute le commentaire suivant sur le verbe ? descendit ?: ? Quo signi ficatur facta ex ineffabili majestate ad humilitatem naturae nostrae demissio.? In Canti cum Canticorum, Hom?lie XV (PG 44,1092C). Pour lui ?h?tellerie? de la parabole est le ?lieu de l'?conomie philanthropique? par excellence: l? o? tous les malades et les

afflig?s trouvent leur r?paration.

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32 FRAN ?OIS RIGOLOT

une traduction pour le treizieme dimanche apres la Pentec6te, y ajoutant une

<<Exhortation qui dramatisait ce sc6nario exemplaire de la condescen dance: ?Homo quidam descendebat ab Ierusalem in Iericho. Ung homme

descendoit de Hierusalem en Hiericho... 26 Dans le r6cit 6vang6lique, on

s'en souvient, un homme tombe aux mains de brigands qui, apres l'avoir

depouill6 et rou6 de coups, le laissent pour mort sur le chemin (incidit in latrones qui etiam despoliaverunt eum: et plagis impositis abierunt semi

vivo relicto). Contrairement au pretre et au l6vite qui ?descendent la meme route mais passent leur chemin, pr6fdrant ne pas regarder leur <<pro chain , le bon Samaritain s'approche, touch6 de compassion (et videns

eum, misericordia motus est). Il bande les plaies du malade et le conduit A

l'hotellerie, s'assurant que l'on prenne soin de lui (alligavit vulnera ejus, duxit in stabulum, et curam ejus egit).

On sait l'importance de cette parabole de la caritas dans les milieux

dvangdliques. L'attitude du chretien vis-a-vis de cet autre qu'est l'hdr6tique doit se modeler sur celle du bon Samaritain qui voit dans l'etranger - au

double sens du mot grec, xenos - a la fois un inconnu et un inviti'. C'est ce

qui donne toute sa valeur rdvolutionnaire a la compassion et au ddvouement

de la philosophia Christi. La descente vers le perigrin, comme celle du

Samaritain vers l'6tranger en peril, n'en est que plus exemplaire: elle parti cipe de la sygkatabasis divine, de ce prodigieux acte d'anthropomorphisme par lequel Dieu consent a descendre de son trone c6leste pour s'abaisserjus qu'a l'homme et lui manifester son d6sir d'amour dans la plus pure gra tuite.

* * *

CONDESCENDANCE ET AMITIE: RABELAIS

Il n'est pas etonnant que la littdrature frangaise du XVI* siecle qui, conserve a bien des 6gards un caractere profond~ment pdagogique, offre

d'6clatants exemples de cette <<descente vers le prochain,> meme et surtout

lorsque celui-ci ne semble pas m6riter qu'on s'intdresse a lui. C'est le cas de

la premiere rencontre entre Pantagruel et Panurge, ohi le bon prince se prend soudain d'amitid pour un vaurien en haillons (Pantagruel, chapitre IX)".

26 Lef?vre d'Etaples, ?Treizi?me Dimanche apr?s la Pentec?te,? in Epistres et Evangiles pour les cinquante et deux dimanches de l'an, ?d. Guy Bedouelle & Franco Giacone

(Leyde, E.J. Brill, 1976),p. 299. 27

Selon Athanase le Sina?te, le Myst?re de Incarnation serait le geste fondateur de la

?condescendance? de Dieu. Voir K. Duchatelez, ?La condescendance divine et l'his

toire du salut?, Nouvelle Revue Th?ologique 95 (1973), pp. 593-621. 28

Rabelais, uvres compl?tes, ?d. Pierre Jourda (Paris, Garnier, 1962), tome I, p. 269.

Toutes nos r?f?rences ? l' uvre de Rabelais se rapportent, sauf indication contraire, ?

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 33

Revenons rapidement sur cet 6pisode. On se souvient de l'6tonnante virtuo site verbale avec laquelle Panurge, aventurier tiraill6 par la faim, rdussit a attirer l'attention du gdant. Il d6clare en treize langues diffdrentes, dont trois de sa fabrication, qu'il a <<necessit6 bien urgente de repaistre (I, 270). Et

Pantagruel de tomber sous le charme du plaisant linguiste et de lui declarer 1' ?affection qu'il 6prouve a son 6gard:

Par ma foy, je vous ay prins en amour si grand que, si vous condescendez h mon

vouloir, vous ne bougerez jamais de ma compaignie. (I, 269)

Le vocabulaire que choisit Rabelais est r6v6lateur car le verbe ?condes cendre n'est pas employ6 ici au hasard. Le giant qui avait jusqu'ici mani fest6 bruyamment sa force et sa brutalit6, oublie soudain sa taille hercu l6enne. Il renonce d'un coup a profiter des avantages naturels qui lui avaient assurd jusqu'ici la sup6riorit6 et la gloire. Celui qui avait bris6 son berceau a sa naissance (ch. 4), dress6 la <Pierre Levde,> bAti le Pont du Gard, 6difid les Arenes de Nimes (ch. 5), transport6 la cloche de Saint-Aignan et copieu sement assoiff6 tous les passants (ch. 7), s'abaisse a prendre maintenant

piti6 d'un vagabond, lui offre son aide et lui exprime son inddfectible dilec tion:

<Mon amy, je vous prie que un peu veuillez icy arrester et me respondre A ce que vous demanderay, et vous ne vous en repentirez point, car j'ay affection tres

grande de vous donner ayde A mon povoir en la calamit6 obi je vous voy: car vous me faites grand piti6. (I, 263-4)

Abaissement a la fois sdrieux et comique (serio ludere) puisqu'il corres

pond a un v6ritable rapetissement du tout-puissant. Le Prince se met au niveau de son moindre sujet, le laisse parler, accepte ses fantaisies, supporte sa jactance, tolere ses plaisanteries: il con-descend vers lui, tout en le priant - comble de condescendance - de ?condescendre a accepter son desir d'amitid (I, 269)29.

Dans le livre suivant, a la fin de la guerre picrocholine, on voit Gargan tua prononcer un discours d'apparat sur la fagon la plus humaine de traiter ses ennemis apres leur ddfaite: ?courtoisement , ?amiablement , avec

<debonnairet6 >>, <<humanit6 et meme <amytid>> (ch. 50; I, 183). Nous avons la un exemple merveilleux de cldmence et de mansudtude, propre a

produire de prodigieux resultats. C'est cependant un cas fictif et rocambo

Lesque - ceLui d'Alpharbal, roi de Canarre - qui sert paradoxaLement a d~montrer l'efficacit6 d'une theorie inspir6e de La Querela Pacis d'Erasme

cette ?dition en deux tomes. Nous mettrons d?sormais la r?f?rence au tome et ? la page entre parenth?ses dans le texte.

29 Nous avons analys? d'autres exemples de condescendance chez Rabelais dans notre article ? Quand le G?ant se fait homme : Rabelais et la th?orie de la condescendance ?, Etudes Rabelaisiennes XXIX (1993), pp. 7-23.

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34 FRANOI0S RIGOLOT

et qui pourrait se resumer ainsi: <<il n'y a rien de plus contagieux que la vertu.30 Lib6r6 par Grandgousier apres sa d6faite, Alpharbal retourne chez les siens et raconte avec quelle g6ndrosit6 il a 6td trait6 par le puissant vain

queur. Sa reconnaissance est immense et l'6mulation le gagne: il va reci

proquer en retournant aupres de Grandgousier pour lui faire don de ses

immenses tr6sors. Les deux rois rivalisent alors de courtoisie et de largesse. A la ?gracieusetd honeste de l'un repond l' honnestet6 gracieuse de l'autre (183). Scene qui serait sublime si elle ne devenait pas comique par le

paralldlisme rigide du renchdrissement. On a lai un exemple molidresque avant la lettre ?de m6canique plaqu6 sur du vivant .

L'exageration atteint son comble lorsque le vaincu pousse la soumission

jusqu'a vouloir, de son plein gr6, baiser les pieds du vainqueur. Ecoutons

Gargantua raconter la scene:

[A son arriv6e, Alpharbal] vouloit baiser les pieds de mondict pere; le faict feut estim6 indigne et ne feut toleri, ains feut ambrass6 socialement [= amicalement].

(I, 183-4)

Ainsi les marques de soumission et les effusions de tendresse ont des limites: l'accolade, oui; le baise-pied, non (il rappelle peut-etre trop la mule du pape). Le vaincu insiste pour se porter <<serf voluntaire (I, 184) mais le

vainqueur ne souffre pas que celui-ci s'abaisse a ce point. Gargantua se fait

l'interprete du lecteur, se demandant quand et comment cet assaut de gend rosit6 mutuelle va se terminer (? Quelle feut l'yssue? I, 184). Le m6ca nisme du ?franc vouloir est comme mis a nu. La prodigieuse ?nature de la

gratuit6 est telle qu'elle fait boule de neige: Car le temps, qui toutes choses ronge et diminue, augmente et accroist les bien

faictz, parce qu'un bon tour liberalement faict A l'homme de raison croist conti nuellement par noble pens6e et remembrance. (1,184)

La vertu des deux rois anticipe donc sur celle des Th6l6mites, eux aussi

dirig6s par <<leur vouloir et franc arbitre (ch. 57; I, 203) et motiv6s comi

quement par la ?louable emulation de faire tous ce que a un seul voyaient plaire (I, 204).

Cette condescendance extravagante qu'observe Gargantua chez les deux

anciens adversaires n'empechera pourtant pas celui-ci de chatier les v6ri tables responsables du conflit, a l'exemple de Moise et de C6sar qui n' avaient pas h6sit6 a punir <<mutins , seditieux et <<aucteurs de rebel lion (I, 185-6):

30 Cf. Gargantua, ?d. G?rard Defaux (Paris, Librairie G?n?rale Fran?aise, 1994), p. 428, note 7.

31 C'est la fameuse formule de Bergson dans son Essai sur le rire (Paris, Presses Universi

taires de France, 1948), p. 29.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 35

Je considere que facilit6 trop enervde et dissolue de pardonner es malfaisans leur est occasion de plus legierement derechef mal faire, par cette pernicieuse confiance de grace. (I, 185)

Autrement dit, l'assurance de l'impunit6 s'avere toujours nefaste. Ici Rabelais suit a nouveau les preceptes d'Erasme dans la Querela Pacis: osi la guerre ne peut etre dvitde, qu'elle soit au moins conduite de telle fagon que les plus grands maux tombent sur les t&es responsables du conflit.3" La tolerance a des limites tres strictes; elle ne saurait se confondre avec la per

missivit6 car, pour etre efficace, elle doit exhiber des signes 6loquents de fermet6.

* * *

CONDESCENDANCE ET <PARFAIT AMOUR : LOUISE LABE

On retrouve cette th6orie de l'abaissement volontaire devant la personne aim6e dans la litt6rature ndo-platonicienne de la m~me 6poque. Prenons

l'exemple du Dibat de Folie et d'Amour que publie Louise Lab6 en 1555. Nous apprenons, des la premiere page de ce conte mythologique, que tout le mal du monde vient du fait qu'une jeune insensde a refuse d'accepter sa

place attitr6e au festin des dieux. Son outrecuidance l'amene a bousculer

Cupidon, qui est le dieu d'amour, au moment ohi celui-ci entre dans la salle du banquet. <<Il faut que je le passe! lance-t-elle avec humeur. Interloqu6 par ce manque de courtoisie notoire, le ?fils de V6nus s'6crie:

<Qui est cette fole qui me pousse si rudement? quelle grande hdte la presse ? si je t'usse apergue, je t'usse bien gard6 de passer !> (49)"

Cupidon ne croit pas si bien dire puisque ?cette fole est la Folie per sonnifide. Non seulement l'impertinente le bouscule mais elle lui reproche sa jeunesse, sa faiblesse et son manque de jugement:

Tu montres bien ton indiscretion [...] et te mesconnois bien toymesmes [... Ne vois tu pas que tu n'es qu'un jeune garsonneau? de si foible taille que quand j'au rois un bras lid, si ne te creindrois je gueres. (49)

32 ? Quod si bellum vitari non potest ita geratur, ut summa malorum in eorum capita recidat,

qui belli dedere causas.? Opera omnia IV, 637a. Cf. Gargantua, ?d. G. Defaux, cit.,

p. 434, note 27. 33 uvres compl?tes de Louise Lab?, ?d. Fran?ois Rigolot (Paris, Flammarion, 1986). La

pagination figurera entre parenth?ses dans le texte.

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36 FRANOIS RIGOLOT

Ainsi le Dibat s'ouvre sur la <<scene primitive de la mdsentente entre les sexes. C'est tout le contraire de l'iddal d'entente, de coop6ration et de

comprdhension qui avait fait 1'objet de la lettre dedicatoire a Cl6mence de

Bourges (p. 42) et que ddveloppera Apollon dans sa plaidoirie en faveur de l'Amour (pp. 65-80).

La querelle entre Folie et Amour - avec tous les malheurs qui vont s'en suivre -

provient d'un refus de concession. Chacun veut <avoir du meilleur (p. 49), c'est-a-dire l'emporter sur l'autre. Et Amour, qui aurait du se souvenir de son origine divine, tombe dans le piege que lui tend sa

folle adversaire. Au lieu de transiger, il adopte le ton arrogant de cette der

niere, s'acharnant a prouver sa supdriorit6 (? le grand degri que je tiens

p. 50). Il y perdra la vue puisque, pour se venger, la Folie lui arrachera fina lement les yeux. Or, devenu aveugle, 'Amour se mettra paradoxalement a

voir: il comprendra enfin qu'iL existe une verit6 d'un ordre plus ilevd qui est

justement celle de la condescendance. Dans le quatrieme discours du Dibat

Cupidon vivra une vdritable conversion: et selon son nouveau credo, l'Amour ne se definit pas par la volonti de puissance mais par l'esprit de soumission a la personne aimde.

Etonnante scene de reconnaissance qui se d6roule sur l'Olympe en pr6 sence du roi des dieux. A Jupiter, en effet, Cupidon d6montre que <<la gran deur d'Amour ne vient ni de la <<force ni de la ?finesse (c'est-a-dire de la ruse, de L'astuce ou du savoir-faire) mais d'un sentiment sans rapport avec le << degr6 de puissance de la personne qui aime (p. 63). Cupidon reproche a Jupiter d'avoir eu recours a des mitamorphoses pour mieux jouir de ses victimes a leur insu. Comment 'Olympien a-t-il pu s'abaisser aussi folle ment pour assouvir sa libido dominandi? Seule la Folie peut revendiquer des machinations aussi 6goistes:

Je I'ay fait transmuser en Cigne [pour sduire L6da], en Taureau [pour enlever

Europe], en Or [pour f6conder Dana6], en Aigle [pour s'emparer d'Astdria]. (p. 53)"

Et Cupidon de lancer a Jupiter:

Quell'Amour penses tu qu'elles [les femmes que tu as ainsi s6duites] t'ayent port6, te voyant en foudre, en Satire, en diverses sortes d'Animaus, et converti en

choses insensibles ? (p. 63)

Vient alors la rev6lation qui devrait d6siller les yeux de tous Les puissants de ce monde: ?La richesse te fera jouir des Dames qui sont avares, mais

aymer, non (p. 63). Se rendre maitre du corps de l'autre est une chose, mais atteindre son cxur en est une autre. Toute conquete du premier sans Le second reste incomplete: ?Car cette affection de gaigner ce qui est au cueur d'une personne chasse La vraye et entiere Amour (p. 63).

34 Cf. Ovide, M?tamorphoses, VI, 103-114.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 37

Marguerite de Navarre ne parlait pas autrement dans les debats qui jalon nent son Heptamiron. Elle opposait au desir de conquee (incarn6 par Hir can et ses compagnons d'armes) le sentiment des <<parfaits amants com muniant iddalement dans la pl6nitude d'un amour partag6". Converti a cette doctrine ndo-platonicienne, le Cupidon de Louise Lab6 sort de son aveugle ment. Saint Augustin se demandait en paraphrasant les Psaumes: <<Quis oculus, nisi fidei ? 36 Dans l'Heptamiron Parlamente, qui organise le jeu des devisants, reprend la meme image: en v6rit6 l'amant ne peut atteindre

<<perfection ne felicit6 [...] si Dieu ne luy ouvre l'wil defoy 37. Ainsi la these de <<la vraye et entiere Amour que defend Cupidon devant Jupiter rejoint celle de la condescendance:

[Le v6ritable amant] ne cherche [pas] son proufit, mais celui de la personne qu'il ayme. (p. 63)31

Ce sentiment partag6 est fond6 sur l'6galit6 <car Amour se plait de choses

egales (p. 64)39. Il faut donc que Jupiter descende de son piddestal, qu'il abandonne sa <<Magest6 Royale (p. 64) et renonce A une sup6riorit6 illu soire. La legon de Cupidon est claire:

Donq, quand tu voudras estre aym6, [Jupiter,] descens en bas, laisse ici ta cou ronne et ton sceptre, et ne dis qui tu es. (p. 64)

Bient6t les scenes de theatre se rempliront de beaux princes qui, pour se

faire aimer, n'hesiteront pas a se d6guiser en paysans ou domestiques. Nous n'en sommes pas encore l chez Louise Lab6; mais l'appel de Cupidon a

Jupiter fait d6jA pressentir une sorte de marivaudage: <<Souventesfois

j'abaisse si bien les grans que je les fais a tous, exemple de mon pouvoir (p. 64). Le veritable amour ne peut provenir que d'un abaissement vers

35 Voir, par exemple, la discussion qui suit la nouvelle IV o? le mot ?honneur? prend un sens tout diff?rent pour Hircan et pour les femmes qui lui r?pondent. Pour la d?finition des ?parfaits amants? voir le discours de Parlamente ? la fin de la nouvelle XIX, dans

Heptam?ron, ?dition M. Fran?ois (Paris, Garnier, 1967), pp. 151-2. 36

Enarrationes in Psalmos 36.1.9. Voir le CD-ROM Cedetoc (Library of Christian Latin

Texts). 37

Heptam?ron, ?d. cit., p. 151. 38 Cette th?orie sera d'ailleurs reprise par Apollon dans la premi?re partie du cinqui?me

? Discours,? puis, ? diverses reprises, dans les sonnets et les ?l?gies de Louise Lab?. 39

?Ce n'est qu'un joug, lequel faut qu'il soit port? par deus Taureaus semblables: autre ment le harnois n'ira pas droit? (p. 64). Voir, dans le m?me sens, la pri?re de l'amante ? l'Amour ? la fin de la troisi?me El?gie:

Fay que celui que j'estime mon tout [...] Sente en ses os, en son sang, en son ame, Ou plus ardente, ou bien egale flame Alors ton faix plus ais? me sera,

Quand avec moy queicun le portera, (p. 118)

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38 FRAN OIS RIGOLOT

l'autre. Le texte de la Premiere Epitre aux Corinthiens en fournit la charte

po6tique: La charit6 est serviable; elle ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas [...]; elle ne cherche pas son int6ret. Elle excuse tout, croit tout, espere tout, supporte tout".

Son pouvoir se mesure, comme le dit encore Cupidon, a la capacit6 de souffrir la ?sugeccion (p. 64)

- cet assujetissement librement consenti

auquel Platon avait donn6 le nom de servitude volontaire.

* * *

CONDESCENDANCE ET SERVITUDE VOLONTAIRE: MONTAIGNE

Dans le Banquet de Platon Pausanias attribue a la gemelliti fondamen tale de l'amour les deux sortes de passions antithdtiques qui partagent le eceur humain. L'une, 6gocentrique, entraine une d6mission morale et conduit a la tyrannie; l'autre, fondde sur la vertu, releve de l'amitid c'est-a dire du d6sir altruiste par excellence. Dans sa traduction latine du Banquet,

Marsile Ficin, th6oricien du n6o-platonisme, avait rendu les expressions de

l'original grec (douleia ekousios et ethelodouleia) par voluntaria servitus, au sens positif de <soumission vertueuse>> a l'etre aim6. Dans la <Pausa niae collaudatio du Convivium on lisait en effet:

Sic et alia quaedam secundum legem voluntaria servitus restat, quae infamiam nullam subit. Haec autem est: quae circa virtutem versatur. Nam nostris legibus est institutum, siquis velit aliquem colere, putans per illum vel sapientia quadam, vel in alia quavis parte virtutis proficere, hanc rursus voluntariam servitutem

neque de decori servienti fore, neque adulationem vocari debere".

Quand Louis Le Roy traduit le meme texte en frangais en 1559, il choisit de rendre l'expression ficinienne par un 6quivalent qui devait connaitre par la suite un 6tonnant succes:

Aussi demeure il une autre servitude voluntaire, non subjette A aucune infamie:

Asgavoir celle qui concerne la vertu. Car il est receu par noz loix, que si quel qu'un veult hanter & honorer l'autre, esperant estre rendu meilleur par luy en sga voir, ou quelque autre partie de vertu, telle servitude voluntaire ne luy estre repu t6e a deshonneur ou flaterie"3.

40 I Corinthiens 13,4-7.

41 Le Sympose de Platon, ou De l'Amour, traduit du grec par Loys le Roy, dit Regius (Paris : Vincent Sertenas, 1559), pp. a iii et e iii.

42 Omnia Piatonis Opera (B?ie: Frohen, 1551), ?Piatonis Convivium vei de amore,?

p. 422. 43

Le Sympose, ?d. cit., p. 21v? (184c).

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 39

Dans son Discours de la Servitude volontaire, Etienne de La Boitie ne devait retenir que le sens negatif de l'expression: en consentant a abandon ner leurs libertes politiques au souverain, les sujets ne renoncent pas seule ment a leurs droits fondamentaux; ils perdent sans le savoir toute possibilit6 de sociabilit6 future et pervertissent les rapports humains qui sont naturelle ment fondes sur une ofraternelle affection , c'est-a-dire sur le d sir mutuel de vouloir du bien a autrui, de lui porter secours, <<ayans les uns puissance de donner aide, les autres besoin d'en recevoir 44. Lorsque Montaigne choi sit de placer, au milieu du chapitre central du premier livre de ses Essais, le trait6 de son ami disparu, il entend redonner a l'expression servitude volon taire le sens positif que celle-ci avait eu primitivement chez Platon et Ficin, et qui se justifiait fort bien dans un essai consacr6 a l'amiti45.

Comme le d6montre clairement le discours de La Boetie, la tyrannie se trouve aux antipodes memes de la condescendance. On ne saurait attendre aucun sentiment d'accommodation de la part d'un tyran et de ceux qui lui sont asservis, meme dans ses rapports les plus intimes: <Quelle amiti6 peut on esperer de celui qui a bien le cour si dur que d'hair son roiaume ? (71). Ne nous mdprenons pas sur les ?amours dont les tyrans sont capables. L'histoire nous apprend que ceux-ci meurent souvent de la main de leurs amants. Ne confondons pas leurs conquetes amoureuses, motivees par l'in tdet et le lucre, et la veritable affection desint6ressie. Voyez l'exemple de

Neron avec Poppde, ou de Claude avec Messaline (72). Chez eux l'amour n'est qu'un autre nom pour la pulsion de mort. La Bodtie recourt a un

exemple frappant: celui de Caligula dont la libido amandi se confond avec

la volonti de puissance. Thanatos ne se cache m8me plus derriere le masque d'Eros:

Voiant la gorge de sa femme descouverte, laquelle il aimoit le plus et sans

laquelle il sembloit qu'il n'eust sceu vivre, il la caressa de ceste belle parole, <Ce beau col sera tantost coupe, si je le commande. (72-73)

Ainsi la ?servitude volontaire, au sens platonicien, ficinien et montai

gnien du terme, repr6sente le contraire meme de ce qu'elle signifie, au sens

politique, chez La Bo6tie. L'amitid iddale serait justement le seul cas envi

sageable ohi un etre humain consentirait par noblesse de cceur a limiter sa

libert6 pour accepter celle d'un autre, sans que le r6sultat lui en soit dom

mageable. Loin de s'obtenir par intimidation, cette nouvelle servitude pro vient d'un acquiecement du coeur, du for intdrieur, de ce pectus dans lequel

44 Discours de la Servitude Volontaire, ?d. Malcolm Smith (Gen?ve, Droz, 1987), p. 41.

Nous donnerons d?sormais le num?ro de la page entre parenth?ses dans le texte. 45

Nous avons d?velopp? cette th?se dans ?Montaigne et la servitude volontaire: pour une

interpr?tation platonicienne,? in Le Lecteur, l'Auteur et l'Ecrivain: Montaigne 1592

1992, ?d. llana Zinguer (Paris, Champion, 1993), pp. 85-103.

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40 FRAN OIS RIGOLOT

Erasme, avant Montaigne, plagait la vdritable source du jugement humain. Il s'agit de ?servir>> au sens augustinien du terme, en se faisant servus Dei

servorum, le serviteur des serviteurs de Dieu. Dans ses Essais Montaigne se fera le commentateur sceptique de cette

condescendance drasmienne. Des le premier chapitre du premier livre, <Par divers moyens on arrive a pareille fin, il r6unit des exemples qui portent des enseignements contraires. Les premiers cas alldguds relatent le compor tement de conqu6rants qui se laissent gagner par la noble attitude de leurs adversaires et se montrent magnanimes envers les vaincus. Voyez cet empe reur germanique qui, ayant assi6g6 une place-forte en Baviere, consent a

offrir un sauf-conduit aux femmes de la ville et finit par abandonner sa ven

geance vis-a-vis de tous les assi6ges.

L'Empereur Conrad troisiesme, ayant assieg6 Guelphe, duc de Bavieres, ne vou

lut condescendre h plus douces conditions, quelques viles et laches satisfactions

qu'on luy offrit, que de permettre seulement aux gentils-femmes qui estoyent

assieg6es avec le Duc, de sortir, leur honneur sauve, A pied, avec ce qu'elles pour royent emporter sur elles. (1,1,8a)46

L'emploi du verbe <<condescendre est r6velateur. L'empereur accepte de d roger partiellement a son projet de r6pression impitoyable. La phrase tor

tueuse de Montaigne (il <<ne voulut condescendre a plus douces conditions

[...] que de permettre... ) met bien l'accent sur le caractere restrictif de la

concession. Cependant cette premiere exception va en entrainer une autre bien plus importante, comme si, une fois mise en marche, la condescensio ne pouvait plus s' arreter. Effet de ?boule de neige, provoqu6 par 1'inter

prdtation astucieuse et g6ndreuse que font les femmes du sauf-conduit qui leur a 6td octroyd. En effet, ayant regu la permission de sortir de la ville ?avec ce qu'elles pourroyent emporter sur elles :

elles, d'un ceur magnanime, s'aviserent de charger sur leurs espaules leurs

maris, leurs enfans et le Duc mesme.

La scene plait a l'empereur qui en renonce a son courroux:

L'Empereur prit si grand plaisir A voir la gentillesse de leur courage [c'est-h-dire leur noblesse de cceur], qu'il en pleura d'aise, et amortit toute cette aigreur d'ini

mitid mortelle et capitale, qu'il avoit port6 contre ce Duc, et d6s lors en avant le traita humainement luy et les siens. (Ibid.)

Dans ce cas-ci le mecanisme de la condescendance a produit un effet

entierement positif. Cependant, comme le montre la suite du chapitre, ce

genre d'action n'entrainent pas toujours des r6sultats aussi heureux. Qu'on

46 Toutes nos r?f?rences aux Essais se rapportent ? l'?dition de P. Villey (Paris, P.U.F.,

1978). Selon les conventions habituelles les lettres a, b, et c indiquent respectivement les

?ditions de 1580,1588 et l'exemplaire de Bordeaux sur lequel Montaigne avait port? ses derni?res additions.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 41

pense a Alexandre, d'habitude ?si gratieux aux vaincus, qui tourne un jour <<sa cholere en rage (on ne sait trop pourquoi) devant l'admirable d6fen seur de Gaza (1,1,9b); ou encore a Denys l'Ancien qui met un adversaire a

mort malgr6 les vertus de ce <<grand homme de bien et l'hdrofsme dont il avait manifestement fait preuve (9c). Montaigne en conclura que la condes cendance n'est pas toujours un moyen efficace et qu'il est impossible de

prevoir comment reagiront les parties en presence a cause de l'insoluble

complexit6 de l'ame humaine:

Certes, c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que

l'homme. Il est malais6 d'y fonder jugement constant et uniforme. (9a)

Ainsi, devant le d6fil6 des cas contradictoires le statut de l'exemple devient probl6matique41. Avec l'avenement des temps modernes on s'aper goit que l'Histoire a perdu le role prescriptif qu'elle avait depuis Cic6ron: elle n'est plus fiable en tant que magistra vitae". Cela entraine, sur le plan de la pragmmatique et de l'6thique, une absence de directives pr6cises qui greve toute possibilit6 d'action: le doute s'intalle devant l'impr6visibilit6 du

comportement humain. Est-ce e dire que toute pedagogie est devenue impossible? Non, repond

Montaigne qui 6crit un long chapitre sur <<l'institution des enfans . Car le succes d'une bonne education depend de la qualit6 du rapport qui s'instaure entre le pr6cepteur et son 6elve. Ici le vocabulaire de Montaigne est a nou

veau r6v6lateur. Ce qui compte avant tout, nous dit-il, c'est que le peda gogue a la ?teste bien faicte sache ?condescendre aux rdactions de l'en

fant dont il a la charge. Le passage merite d'etre cite en entier:

Il est bon qu'il le fasse trotter devant luy pour juger de son train, et juger jusques A quel point il se doibt ravaler pour s'accommoder A sa force. A faute de cette

proportion nous gastons tout: et de la sgavoir choisir, et s'y conduire bien mesu

reement, c'est l'une des plus ardues besongnes que je sache: et est l'effaict d'une haute ame et bien forte de sgavoir condescendre A ses allures pueriles et les gui der. (I,26,150c)

N'est-ce pas tout le processus 6rasmien de la sygkatabasis qui se trouve d6ecrit ici? Les trois verbes <ravaler, ?s'accommoder, et <<condescendre resument bien 1'attitude philanthropique du sage qui doit descendre de ses

hauteurs sereines pour accueillir l'enfant ou l'dtranger dans la vallde hostile de ce monde imparfait

- in hac lacrimarum valle. Cependant, si Montaigne

47 Voir l'analyse remarquable qu'a faite Karlheinz Stierle de ce chapitre dans son ?tude clas sique, ?Geschichte als Exemplum

- Exemplum als Geschichte,? in Geschichte-Ereignis

und Erz?hlung, [Poetik und Hermeneutik Bd. 5], ?d. Reinhart Koselleck & Wolf-Dieter Stempel (Munich, W. Fink, 1973), pp. 437-75. Nous employons ici la traduction fran ?aise: ?L'Histoire comme exemple, l'exemple comme Histoire? Po?tique 10 (1972), pp. 176-198.

48 De Oratore, 11,9,36.

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42 FRANOIS RIGOLOT

fait sienne cette vertu d'accueil, c'est aussi pour en souligner les difficult6s reelles. Reprenant la parole a la premiere personne, il choisit une formule

metaphorique qui resume bien l'idee selon laquelle il est plus ais6 de mon

ter vers les puissants que de descendre vers les faibles: <<Je marche plus seur

et plus ferme a mont qu'A val (150c). Pour revenir au fameux Discours politique de La Boetie contre la tyran

nie, on voit que le sens positif de son titre platonicien s'accorde parfaite ment avec le concept de condescendance. L'accueil d'autrui correspond a une servitude volontaire dans la mesure obi il est le r6sultat d'un renonce

ment personnel. On est aux antipodes de l'abus de pouvoir et du d6tourne ment d'autorit6. L'engagement part d'une confiance appuyde sur une exp6 rience affective. L'amitie que chante Montaigne n'est finalement que la forme extreme d'une condescendance idiale riciproque. Car l'ami ne peut se maintenir entierement au service de 1'autre que s'il prevoit et gere la r6ci

procit6 consentante de celui-ci. Paradoxalement, le contrat et la sujetion sont appel6s a coexister. Tels sont les termes du pactum subjectionis de l'amitid.

* * *

LA CONDESCENDANCE EN ECHEC: RONSARD ET D'AUBIGNE

Cependant jusqu'o6 peut aller une telle abnegation, une telle defdrence vis-a-vis d'autrui? Nous avons vu que l'anthropomorphisme de Dieu, brillamment explique par l'eloquence de Jean Chrysostome et reformule par Erasme en termes de morale chretienne, fournissait un modele aux huma nistes de la Renaissance form6s dans la tradition patristique la plus ortho doxe. Il s'agit pourtant de savoir si une doctrine aussi liberale pouvait trou ver une transposition politique concrete dans une Europe secouee par les ?troubles de la R6forme. Car 1'imitatio Dei partait d'un constat d'extrava

gance qui tenait a <<l'exces de l'amour divin pour ses creatures9. Mais,

pour les contemporains de Luther et de Calvin il n'etait pas question de se

modeler sur une telle attitude. Paradoxalement la surabondance qui caracte rise la philanthropie divine pouvait passer pour demission et degendres cence. Supreme exces et supreme folie en verit6: summa socordia, nous avait pourtant dit saint Jean Chrysostome0.

49 Origene ?crivait: ?Dieu dans l'exc?s de son amour condescend ? venir en aide aux hommes ignorants, aux pauvres femmes, aux esclaves, bref ? tous ceux qui n'ont de secours de personne.? Contra Celsum VII, 41 (PG 11,1480 CD).

50 In Epistolam ad Colossenses, cap. I, homil. IV (PG 62, p. 328). Dans son commentaire sur l'Ep?tre ? Tite celui-ci ?crivait encore :

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 43

On sent particulierement l'impossibilit6 d'une condescendance veritable dans l'attitude de Ronsard vis-a-vis des Rdform6s. Face aux <<troubles

politiques et religieux de son temps, le chef de la Pi6iade ?entre dans la melde >5 pour se prononcer ouvertement, rdaffirmant son loyalisme envers le Prince et condamnant les d6sordres consdcutifs aux <<nouvellet6s calvi niennes. Pour lui, l'ordre politique est indissolublement lid aux valeurs de l'ordre catholique, et il est impensable qu'il en soit autrement - a moins de condamner la socidt6 frangaise a l'anarchie et ses valeurs ancestrales a une

inevitable destruction2. Ronsard constate a regret l'existence d'une crise profonde dans la

societ6 de son temps. Les signes de desagregation sont trop dvidents pour

qu'un ecrivain aussi petri d'humanisme ne mette pas en garde ses lecteurs contre un malaise croissant qui risque de conduire a la <<ruine universelle de la chose publique . Mais il voit essentiellement en termes rh6toriques la crise d'autorit6 que represente la rebellion des R6formes. Qu'il s'agisse de son Premier Discours a la Reine (mai 1562), de la Continuation (aoflt 1562), de la Remonstrance (ddcembre 1562) ou de la Responce aux injures et calomnies (1563), son objectif principal reste d'emprunter a l'Antiquit6 classique les moyens d'expression qui lui assureront la rdussite littdraire et

la c6l6brit6. Devant les <<troubles de son temps, s'il doit s'essayer a la verve satirique, il devra prendre pour modeles les exemplaires latins et choi sir entre Horace et Juvenal. Il lui faudra mimer l'indignation a l'ancienne.

Que celle-ci soit sincere ou non, peu importe a vrai dire, pourvu qu'elle lui dicte des vers qui restent a jamais dans les memoires frangaises. Les <<troubles seront l'occasion rev6e de faire entendre la Voix de la Reproba tion et de mettre en ceuvre les proc6dds classiques d'une rh6torique qui cherche a plaire (delectare), enseigner (docere) et surtout 6mouvoir

(movere). Ecoutons-le s'adresser a Th6odore de Beze, le futur successeur de Calvin a Geneve:

De Besze, je te prie, escoute ma parolle Que tu estimeras d'une personne folle: S'il te plaist toutesfoys de juger sainement,

Apres m'avoir o0y, tu diras autrement53.

?Dieu ne consid?re jamais sa dignit? mais notre utilit?. Un P?re oublie volontiers sa dignit? pour balbutier avec ses bambins ; il n'appelle pas la nourriture, les couverts ou les

gobelets de leur noms grecs mais de quelque langage pu?ril et barbare. Dieu fait beaucoup plus: paroles et faits, c'est condescendance partout.? In Epistolam ad Titum, cap. I, homil.111,2 (PG, 62,678).

51 L'expression ? un po?te dans la m?l?e ? est de Michel Dassonville. Ronsard. Etude histo

rique et litt?raire. IV Grandeurs et servitudes (Gen?ve, Droz, 1985), chapitre 4, p. 109. 52

Voir, ? ce sujet, l'?tude de Frieda S. Brown, ? Interrelations between the Political Ideas of Ronsard and Montaigne?, Romanic Review, 56,4, (d?e. 1965), pp. 241-247.

53 ?Continuation? (1562) in Discours des Miseres de ce temps, ?d. Malcolm Smith

(Gen?ve, Droz, 1979), pp. 82-3, vv.95-99.

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44 FRANI01S RIGOLOT

La sant6 et le bon sens sont du c t6 du pouvoir et du statu quo. Il n'y a

que les fous qui ne se rendront pas a la raison invoqude par la Voix apolli nienne de l'Ordre et de l'Harmonie. Non tolerantia sed prudentia. Telle est

la regle de conduite que dicte la pratique prudente du conservatisme poli

tique. On sait qu'Agrippa d'Aubigni, h raut des R6formes et donc tout natu

rellement situd dans le camp adverse, nourrissait pour Ronsard, son pr6di cesseur, ce que Claude-Gilbert Dubois a appeld une ?ddf6rence hyperboli sde >. Paradoxalement on le voit convier ses lecteurs <<a lire et relire ce

Poete sur tous :

c'est luy qui a coupe le filet que la France avoit soubs la langue, peut estre d'un

stile moins delicat que celuy d'aujour d'hui, mais avec des advandages ausquels

je voy ceder tout ce qui escrit de ce temps... "

Mais c'est a ces considerations d'ordre esthetique que se limite l'admi

ration du militant protestant. Aubign6 entraine ses lecteurs a la conversion

par la force de son verbe. Ceux-ci ne sauraient rester <<spectateurs devant

le tableau des horreurs qui sont plac6es sous ses yeux. C'est a eux qu'il s'adresse au dela des <<financiers et ?justiciers des Miseres:

Voyez la tragedie, abbaissez vos courages, Vous n'estes spectateurs, vous estes personnages. [vv. 169-170]

Dans les Princes, le nouveau forgeron de Dieu s'ecrie encore:

Vous qui avez donn6 ce subject A ma plume, Vous-mesmes qui avez port6 sur mon enclume

Ce foudre rougissant acer6 de fureur, Lisez-le: vous aurez horreur de vostre horreur.

[vv. 9-12]

Au d6but des Tragiques l'image biblique des freres ennemis, reprise a la

Genese, a de quoi emporter l'adh6sion. Le frere ain6, Esau, qui repr6sente le

parti catholique, ?orgueilleux et violent, ne laisse pas son cadet, Jacob, autrement dit le parti protestant, se nourrir aux <<tetins de la France, cette <<mere afflige :

Ce volleur acharn6, cet Esau malheureux Faict degast du doux laict qui doit nourrir les deux, Si que, pour arracher 4 son frere la vie, Il mesprise la sienne et n'en a plus envie.

Mais son Jacob, press6 d'avoirjeusn6 neshuy, Ayant domptd longtemps en son cour son ennui,

54 ?Imitation diff?rentielle et po?tique mani?riste?, Revue de Litt?rature compar?e, 2

(1977), pp. 147-48. 55

Lettres touchant quelques poincts de diverses sciences in uvres d'Agrippa d'Aubign?, ?d. H. Weber, J. Bailb? & M. Souli? (Paris, Gallimard, 1969), p. 860.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 45

A la fin se defend, et sa juste colere Rend A I'autre un combat dont le champ est la mere.56

D'Aubign6 preconise ici une sorte de partage 6quitable de la nourriture

maternelle, mais cet appel A la tol6rance est illusoire dans la mesure obi il reste fortement connote par le souvenir du texte biblique: nul n'ignore, en

effet, que Jacob deviendra, sous le nom d'Isral, le fondateur de la nouvelle alliance avec Dieu.

* * *

CONDESCENDANCE ET TOLERANCE MODItREE

Ainsi pour 1'immense majorit6 des chr6tiens du XVI* siecle, l'exigence d'humilit6 que pr6supposait la doctrine thdologique de la sygkatabasis allait

trop loin pour se transposer dans le cadre d'une vie politique et sociale que dominaient les int6r8ts priv6s de factions avides de pouvoir et sores de d6te nir la v6rit6. Certes l'humaniste de Rotterdam avait pr8ch6 une moderation

admirable, pleine de mansuetudo et de lenitas, vis-a-vis de tous ceux qu'il estimait dans l'erreur". Mais il savait aussi qu'on ne pactise pas avec le mal.

Soyons rdaliste: le chr6tien ne peut jamais faire qu'un bout de chemin avec

l'her6tique; il s'abaisse temporairement jusqu'a lui mais en ayant toujours pour visde de le ramener a la vritd". Il faut donc faire une distinction essen

tielle entre consensus (ou concorde pour le bien) et conspiratio (ou collu sion pour le mal):

Primum definiet quae sit vera concordia, consensus bonorum in re bona. Malo rum enim in malis consensus non est concordia, sed conspiratio9.

Le souvenir du fameux compelle intrare de la parabole (Luc, XIV, 23) hante aussi la pensde d'Erasme comme celle de Castellion. Deux arguments

56 ?Mis?res,? in uvres, ?d. cit., vv. 103-110.

57 Au sujet de attitude ?rasmienne vis-?-vis de la ? tol?rance ? on consultera Hans Rudolph Guggisberg, ?The Defense of Religious Toleration and Religious Liberty in Early Modern Europe: Arguments, Pressures, and Some Cons?quences,? History of European Ideas, vol.4,1 (1983), pp. 35-50 ainsi que les pages qu'a consacr?es Mario TYirchetti ? ?l'idea erasmiana di syncatabasis,? dans Concordia o Tolleranza? Fran?ois Bauduin

(1520-1573) e i ?Moyenneurs? (Milan-Gen?ve, Franco Angeli-Droz, 1984), pp. 319 sq. 58

?Erasme demande la patience,? ?crit L?on-E. Halkin. C'est bien le mot, en effet car la

?patience,? on s'en souvient, traduit cette tolerantia latine qui oblige ? souffrir un mal

jusqu'? ce qu'on ait trouv? le moyen de le gu?rir. ?Erasme et la troisi?me voie,? Revue d'Histoire Eccl?siastique LXXXVI,2 (1992), p. 409.

59 Opera omnia, ?d. J. Leclercq (Leyde, 1703-1706; r?impression Hidelsheim: Georg Olms, 1962), tome V, col. 1097.

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46 FRAN OIS RIGOLOT

principaux sont g6ndralement all6gu6s pour justifier la suspension de la tolirance. L'un est de nature juridique: l'hdr6sie est un crime contre Dieu et

qui mdrite donc d'etre puni avec sdvdritd. L'autre est une consdquence para doxale du devoir de chariti. Tout chr6tien doit s'efforcer d'6viter 1'enfer i son prochain, au besoin malgr6 lui. Il doit d'abord user de persuasion; mais si celle-ci reste inopdrante, il n'est pas exclu de recourir i la contrainte

morale en espdrant qu'une ?force spirituelle invisible provoque la conver

sion". Le probleme se pose donc de savoir jusqu'oii l'on peut pousser les limites de cette tolirance modirie. La question avait deja 6t6 posde par les Peres de l'Eglise, de Gr6goire de Nazianze a Jean Chrysostome. Dans le desir trop indulgent de vouloir s'accommoder aux vues d'autrui il peut se

glisser une tentation diabolique. Erasme, rest6 asservi a la dichotomie du

bien et du mal, est aux antipodes de Machiavel. En France, la diplomatie des

<<Politiques>> voudra allier la morale drasmienne de l'Institutio principi a la

pragmatique machiav6lienne du Principe. Et c'est un chemin tortueux

qu'on tentera de n6gocier entre des imp ratifs qui s'excluent. Mission ou

compromission ? la r6ponse n'est jamais facile a donner.

Car la mise en application du principe de toldrance implique deux

notions quasi contradictoires: d'une part, celle de l'6change, du dialogue, de

la r6ciprocit6 et du partage d'id6es (dans le cas de la tolirance liberale); mais aussi, d'autre part, celle de la persuasion, dans la mesure obi l'intention

profonde et cach6e d'une des parties est toujours de ramener l'autre dans le droit chemin (c'est le cas de la tolirance restreinte ou modiri~e). La ren

contre des parties divergentes et la mise en commun des points de vue n'ex

clut pas forc6ment une volont6 de possession et de maitrise. Un certain

degr6 de libido dominandi se glisse n6cessairement sous le masque de l'id6alisme libdral. Des positions en presence, il y en a toujours une mieux

6tablie, plus respectde que l'autre, un pouvoir pr6cedent cautionn6 par la coutume ou la tradition et dont l'autorit6 est mise en question par le nouveau

parti ou la nouvelle secte. Dans la cas de la France du XVP siecle, c'est

l'Eglise catholique qui occupe cette position de domination alors que les

Reform6s s'opposent a ses prdtentions universalistes rdpressives. Jean Delumeau ecrit non sans regret a ce propos:

Parce que le christianisme a 6t6 au pouvoir et s'est confondu avec l'Etat, il est

devenu totalitaire et a persdcut6 tous ceux qui s'6cartaient de la doctrine offi cielle. [... Dans une telle conception, la tolsrance ne pouvait atre qu 'un pis-aller

pricaire et toujours rivocables

60 Cf. Joseph Lecler, Histoire de la tol?rance, cit., tome II, p. 224. Voir aussi Robert Joly, ?Saint Augustin et l'intol?rance religieuse,? Revue belge de Philologie et d'Histoire 33

(1955), pp. 263-4 et La Tol?rance civile [Actes de M?ns], cit., pp. 15-20. 61

Jean Delumeau, Le Christianisme va-t-il mourir? (Paris, Hachette, 1977), p. 53. C'est

nous qui soulignons.

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TOLERANCE ET CONDESCENDANCE 47

Ainsi, a l'iddal d'une condescendance extravagante, amplement interro

gee, comme on 1'a vu, par la littdrature de l'6poque, on tentera de substituer, dans le hic et nunc de la vie politique, un programme, jug6 plus realiste, de tolirance limitie; car, pour citer un apologiste de l'6dit d'Amboise (1563), il y aura toujours lieu de garder en m6moire que concession n'est pas d6mis

62 sion et que ?permission n'est pas approbation

2

Princeton University. Frangois RIGOLOT

62 Cit? par Joseph Lecler dans son Histoire de la tol?rance, cit., tome I, p. 10.

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