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R o u e n , C i m e t i è r e d e l ’ O u e s t , u n m a t i n …
Florina Orient
24 avril 2012
Une tombe parmi d’autres a a�ré mon a�en�on à cause d’une inscrip�on pour moi
encore mystérieuse :
«Mort pour la France à Florina Orient»
Florina Orient … un nom au doux parfum épicé qui évoque de lointains paysages, le
soleil et le ciel bleu.
Je m’approche un peu de la stèle et je soupçonne déjà que la réalité a une tout autre
couleur
Ici repose Louis Marie, mort pour la France à Florina
Orient, décoré de la croix de guerre et de la médaille
militaire anglaise.
A la mémoire de son frère Charles, disparu
Ville sur Tourbes – Marne – le 25 septembre 1915
Ainsi, le soldat qui gît sous ce�e dalle, puisqu’il s’agit de cela, est mort
en 1918 très loin de Rouen.
Annie MalletAnnie MalletAnnie MalletAnnie Mallet
Et, c’est ainsi qu’à par�r de ces quelques lignes gra-
vées dans le marbre, j’ai plongé dans un univers qui,
jusqu’ici, m’était un peu inconnu : la campagne
d’Orient de la « Grande Guerre » de 14-18.
Comme beaucoup de lycéens, j’ai écouté d’une
oreille distraite les cours d’histoire, réservant à la
guerre de 14-18 une a�en�on assez peu soutenue
limitée à la Marne et à la Somme.
Or la campagne d’Orient, commencée sous la pres-
sion des anglais en 1915 a jeté elle aussi dans des
bourbiers sanglants beaucoup de soldats qui, pour
certains, se reme�aient à peine de leurs blessures
sur le front de l’Est de la France.
J’ai alors tenté de suivre au travers des livres d’his-
toire, des sites militaires, des écrits et témoignages
de comba�ants, et des romans historiques, l’his-
toire de Louis et de ses camarades de guerre.
J’ai essayé de reconstruire les fron�ères, les
marches des armées, les enjeux poli�ques et géo-
graphiques de l’époque et peu à peu, je me suis
a�achée à cet inconnu, cet « enfant de la patrie »
comme l’aurait appelé l’historien Pierre Miquel.(1)
Le front d’Orient Le front d’Orient Le front d’Orient Le front d’Orient
F l o r i n a O r i e n t
Source : h�p://www.cheminsdememoire.gouv.fr/image/PagesAnnexes/Front_Orient_1915_1919/
Carte_FrontDorient.pdf
Annie MalletAnnie MalletAnnie MalletAnnie Mallet
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En ce début du siècle dernier, nous sommes encore à la veille d’un conflit qui secoua l’Europe et tua un
nombre d’hommes de plus en plus jeunes, décimant des familles en�ères.
Dans la période qui précède ce�e « grande guerre », les pièces vont pe�t à pe�t se me�re en place.
De 1908 à 1909, la zone des Balkans est déjà en pleine effervescence.
1912 : la guerre éclate entre l’empire o�oman et la « ligue balkanique » composée de la Bulgarie, de la Grèce,
du Monténégro et de la Serbie. Ce�e dernière l’emporte, mais la tension reste vive et les équilibres sont très
fragiles.
1913 : les Balkans sont le théâtre d’une nouvelle guerre entre la Bulgarie, soutenue par l’Autriche, et les autres
pays de l’ex -ligue Balkanique bientôt rejoints par la Roumanie.
En Août 1913, le traité de Bucarest réduit la façade mari�me de la Bulgarie, partage la Macédoine entre la
Grèce et la Serbie et agrandit le territoire de la Roumanie.
Le territoire de la Serbie est étendu sur le Nord de la Macédoine, la Grèce en occupant le Sud.
Les blocs et les alliances (Grande-Bretagne, France, Russie : les « puissances de l’entente » face à la Bulgarie
qui entrera en guerre en 1915 aux côtés l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, les « empires centraux »- ) se
forment, la course à l’armement commence ; le décor est planté ; la « guerre » peut commencer …
Florina est à ce�e époque une pe�te ville du territoire de la Macédoine qui appar�ent à la Grèce.
Sa voisine Monas�r est sur le territoire de la Macédoine qui appar�ent à la Serbie, de l’autre côté de la fron-
�ère.
L’enjeu est de taille pour la Bulgarie qui n’aura de cesse de pousser ses troupes contre le front des alliés
[jusqu’à sa défaite en 1918] pour reconquérir son territoire.
Voici comment les soldats français de l’armée d’Orient la découvrent en 1915 au travers des écrits du roman-
cier historien Pierre Miquel (1) (« La poudrière d’Orient, Le vent mauvais de Salonique » Tome II – pages 104 et
105 )
« Florina est une pe�te ville d’une dizaine de milliers d’habitants effrayés par l’arrivée des soldats. Les chasseurs
d’Afrique ne s’y arrêtent pas. Ils poursuivent leur marche sur une route empierrée qui se faufile dans les vallées
fluviales vers le Sud pour a%eindre Kastoria, dont les maisons de bois construites sur un éperon rocheux domi-
nent un vaste lac.
Les zouaves découvrent Florina qu’ils ont mission de défendre. Ville chré�enne assurément riche de ses soixante-
dix églises et chapelles honorant saint Anasthase, saint Stéphane et saint Nicolas, mais aussi la Vierge et saint
Jean le Précurseur. Pour les Africains patrouillant dans les ruelles, ce Précurseur est une énigme.
… Depuis des années, la popula�on macédonienne subit les rivalités sanglantes entre les Serbes et les Grecs. Les
missionnaires de l’idea megale de Venizélos ont ici hellénisé de force églises et écoles. Ils interdisent la langue
locale …. »
Florina est donc située sur une zone stratégique, entre la ville de Salonique où les alliés ont débarqué à la hâte
et installé leur gigantesque campement de Zeitenlik après la défaite des Dardanelles (1915) et Monas�r, située
en territoire Serbe occupé par les Bulgares qui poussent leurs troupes pour enfoncer le front Serbe.
Salonique est en terre grecque et en théorie neutre , mais le roi Constan�n Ier
(beau-frère de Guillaume II) est
germanophile et la popula�on locale est clairement hos�le aux alliés et ne s’en cache pas.
Les troupes françaises dirigées par le Général Sarrail tentent de rejoindre l’armée serbe qui sera contrainte de
reculer devant la poussée bulgare. Les soldats serbes seront finalement recueillis à Corfou par la marine fran-
çaise d’où ils rejoindront les alliés à Salonique.
Annie MalletAnnie MalletAnnie MalletAnnie Mallet
Après une phase défensive autour de Doiran, de la Strouma et du Vardar pendant laquelle ils connaissent un certain nombre de problèmes de coordina�on, les Alliés reprennent l'ini�a�ve. Le plus haut sommet de la Moglena, le Kaymakchalan, qui domine la plaine de Salonique, est conquis le 20 août par les Serbes. Ceux-ci empêchent les Bulgares de couper la route de Monas�r par la bataille d'Ostrovo (Vegori�da), le 28 août. La ville de Monas�r elle-même et son environnement immédiat, la boucle de la Tcher-na, sont inves�s le 19 novembre par les troupes françaises »
(source ar�cle : h�p://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9di�on_de_Salonique)
Clémenceau raillait les soldats d’orient en les appelant
« jardiniers de Salonique » mais la vérité est que ces soldats, par-
fois déjà blessés une première fois sur les fronts de l’Est et du
Nord de la France, ont vécu un véritable enfer pendant ce�e ex-
pédi�on. Le conflit avait éclaté en 1916 dans les Dardanelles et
beaucoup de soldats y ont laissé leur vie pour quelques mètres
de terres vite reprises par l’ennemi Turc armé par l’Allemagne.
Ces « poilus » plus méconnus que ceux de la Marne ou de la
Somme connurent aussi la boue des tranchées, les nuits glaciales,
les montages abruptes qu’il fallait franchir avec armes et bagages
sous les bombardements ennemis. Il s’agissait parfois, pour cer-
tains d’entre eux d’un deuxième front qu’ils découvraient, à
peine remis des blessures qu’ils avaient subies sur les fronts de
l’Est de la France.
Ils durent faire face à des ennemis encore plus redoutables que
les balles, comme les insectes, les rats qui apportent des mala-
dies exacerbées par la chaleur et le manque d’hygiène et de
moyens.
Le paludisme, la grippe, la dysenterie et autres maladies tropi-
cales sont venues à bout des hommes que les canons avaient
épargnés.
Voici un extrait du Livre de l’Associa�on Na�onale pour
le souvenir des Dardanelles et Fronts d’Orient. (3)
« Dardanelles Orient Levant 1915-1921 Ce que les com-
ba�ants ont écrit »
« de 1916 à 1918, un front décisif se stabilisa après de furieux combats sur des lieux mémorables ; les villes de Florina en Grèce, Monas�r (actuellement Bitola), la Ma-cédoine, prises et reprises, la rivière Cerna ou celle du Vardar, sont fréquemment citées dans les récits des comba%ants. L’armée d’orient avait en face d’elle non seulement des bulgares mais des troupes allemandes et autrichiennes. »
Les faits décrits dans les ouvrages de Pierre Miquel et
les mémoires des soldats de la campagne d’Orient, sont
repris dans l’ar�cle suivant qui illustre bien les offen-
sives déployées dans ce�e zone stratégique.
« À par�r de mars 1916, le général Sarrail s'aperçoit que les forces d'interposi�on grecques se dégarnissent, vraisemblablement à la suite d'accords entre les Grecs, les Allemands et les Bulgares. Le 4 mai, il fait envoyer un fort détachement sur Florina en direc�on de Monas�r pour prévenir tout débordement des troupes germano-bulgares vers l'ouest. Le 27 mai, les Bulgares pénètrent en territoire grec. Dans un premier temps, ils prennent, avec l'assen�ment des Grecs, le fort du Rupel, sur la route de Salonique à Serrès, qui commande donc toute la Macédoine orientale.
Dans un deuxième temps, à par�r du 18 août : à l'est, ils débouchent du Rupel et envahissent toute la Macédoine orientale ; à l'ouest, ils reprennent Florina et marchent sur Ostrovo et Verria, pour verrouiller l'accès à la Macé-doine occidentale.
(fiche militaire)
Louis Marie est il déjà soldat dans l’armée d’Orient ? je ne
puis l’affirmer avec cer�tude, mais son régiment a rejoint la
campagne d’Orient.
Le 176ème
Régiment d’Infanterie a été formé à Salon de Pro-
vence, à par�r du 21 mars 1915.
Notre homme, Louis Charles Léonce MARIE, né le 21 juin
1882 à Villers Bocage (14) est incorporé dans le 176ème
R.I.,
sous le matricule 0019808 - Classe 1902
Il est recruté à Rouen Nord ….
On retrouvera également son nom cité en page 39 dans
l’Historique du 176ème
R.I. (2) parmi tous ses compagnons
d’armes.
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L’extrait suivant d’un ar�cle publié sur Internet donne
une idée précise de l’état de santé des comba�ants de
l’armée d’Orient.
« Salonique devient, plus que jamais, un front secondaire
où les soldats doivent également lu%er contre un autre
ennemi : la maladie, qui touche près de 95 % des hommes
présents en Grèce et en Serbie entre 1915 et 1918, soit
près de 360 000 vic�mes. La dysenterie, le scorbut, les
maladies vénériennes touchent de nombreux soldats, soi-
gnés par un corps médical peu nombreux et mal équipé.
Le problème sanitaire majeur est le paludisme, présent de
manière endémique mais se développant de façon fou-
droyante dans ce%e Macédoine du début du siècle qui
cons�tue l'un des derniers foyers d'infec�on en Europe. La
région, ravagée par des années de guerre opposant
presque toutes les ethnies des Balkans, est en effet pro-
pice à la propaga�on rapide des épidémies de toutes na-
tures.
Il paraît bien difficile d'agir dans ces condi�ons alors
qu'une grande par�e des troupes est hospitalisée ou dans
un état de santé fragile. Des mesures excep�onnelles vont
donc être prises pour soigner les malades mais aussi pour
assainir les zones marécageuses, responsables de ce%e
contagion, et venir défini�vement à bout de la malaria en
Macédoine.
Ainsi Louis MARIE est-il « mort pour la France », décoré de la croix de guerre et de la médaille militaire anglaise à l’âge de
36 ans à l’Hôpital de Florina-Orient, le 3 Août 1918, des suites d’une maladie contractée en service.
Son corps repose depuis ce temps au cime�ère de l’Ouest à Rouen. Nous ne saurons rien de son rapatriement
Il ne connaîtra pas la défaite des Bulgares et la signature du premier armis�ce de la Grande Guerre, le 29 septembre
1918.
L’armis�ce général est signé le 11 novembre 1918. Louis ne le verra pas davantage ….
Ses compagnons d’armes du 176ème R.I. ne connurent pas immédiatement les joies de l’armis�ce et de la paix tant
a�endue, puisqu’ils con�nuèrent leur campagne en Russie dans le but de s’opposer aux Bolcheviks.
L’alliance des puissances de l’entente avec la Russie Tsariste avait vacillé dès 1917 sous la pression de la révolu�on.
Une drôle de « guerre » qui n’était plus vraiment la leur, conduisit alors les hommes du 176ème
R.I. jusqu’à Odessa où
leur rapatriement fut enfin ordonné.
En 1917, deux éléments importants interviennent : l'épidémie
de paludisme de 1916 est endiguée, mais surtout l'entrée en
guerre de la Grèce aux côtés des Alliés, le 3 juillet 1917, trans-
forme à nouveau la situa�on stratégique. Désormais le camp
de Salonique peut devenir une base de départ pour des opéra-
�ons plus ambi�euses. »
Source :h�p://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichepage.php?
idLang=fr&idPage=12546
D’autres sources le confirment :
« outre l’importance des pertes par le feu, 98% des effec�fs
furent a%eints des maladies spécifiques à l’environnement,
comme aux Dardanelles »
[Dardanelles Orient Levant 1915-1921 Ce que les com-
ba�ants ont écrit – Page 90]
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Charles, le frère cadet, est mort trois ans avant, sans doute à des milliers de kilomètres de Louis.
Il a disparu dans l’énorme bourbier qu’est devenu l’Est de la France dès l’année 1915, à l’âge de trente deux ans.
Il ne reste de lui qu’une plaque sur la sépulture où repose son frère Louis et une tombe vide dans une nécropole
militaire.
Mes recherches m’ont permis de retrouver sa trace (4) :
Nom : MARIE
Prénoms : Charles Gaston Ferdinand Louis
Conflit : 1914-1918
Grade, unité : Soldat - 403e Régiment d'Infanterie
Complément :
Matricule, recrutement : 1671 - Rouen Nord
Date de naissance : 06/07/1883
Département ou pays : 14 - Calvados
Commune de naissance : Villers-Bocage
Genre de mort : Disparu
Date du décès : 25/09/1915
Département ou pays : 51 – Marne
Commune du décès : Ville-sur-Tourbes (5)
Lieu, complément :
Date de transcrip"on : 24/10/1921
Département ou pays : 14 – Calvados
Ici s’arrête l’histoire de ces deux enfants du Calvados morts pour la France dont j’ai tenté de suivre les dernières années de
la vie.
Florina est aujourd’hui une pe�te ville du nord de la Grèce. Elle est distante d’environ 13 kilomètres de la fron�ère de l’ac-
tuelle Macédoine.
Monas�r a changé de nom et s’appelle aujourd’hui Bitola.
Ville-sur-Tourbe se trouve dans le département de la Marne à 13 km Nord-Ouest de Sainte-Menehould.
In memoriam In memoriam In memoriam In memoriam Annie MalletAnnie MalletAnnie MalletAnnie Mallet
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Bibliographie et
sources :
(1) Pierre Miquel (né le 30 juin 1930 à Montluçon, mort le 26 novembre 2007 à Boulogne-Billancourt)
- Les Enfants de la Patrie, suite romanesque, Fayard, 2002.
• Les pantalons rouges
• La tranchée
• Le serment de Verdun
• Sur le Chemin des Dames
- La Poudrière d'Orient, suite romanesque, Fayard, 2004
• L'enfer des Dardanelles
• Le vent mauvais de Salonique
• Le guêpier macédonien
• Le beau Danube bleu
.
(2) h�p://www.ancestramil.fr/uploads/01_doc/terre/infanterie/1914-1918/176_ri_historique_1914-1918.pdf
(3) « Dardanelles Orient Levant 1915-1921 -Ce que les comba�ants ont écrit » - Livre de l’Associa�on Na�o-
nale pour le souvenir des Dardanelles et Fronts d’Orient – Histoire de la Défense – Edi�ons L’Harma�an.
(4) h�p://www.memorial-genweb.org/~memorial2/html/fr/complemen�er.php?id=949084
(5) Ville-sur-Tourbes - 13 km Nord-Ouest de Sainte-Menehould – Département de la Marne
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