2881 culturefb

of 108 /108

Author: tanitart

Post on 14-Dec-2014

69 views

Category:

Documents


0 download

Embed Size (px)

TRANSCRIPT

LEXIQUE

de la critique

COLLECTION JEAN-MARIE

DIRIGE

PAR

COTTERET

LEXIQUE

de la critiqueGRARD-DENIS FARCYMatre de confrences l'Universit de Limoges

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

// est possible, toutefois, que l'appareil de ces thories ne soit point familier d'aucuns. Voici donc, leur gard, en guise de viatique, certaines dfinitions sommaires. J. RICARDOU Une maladie chronique Je pense qu'il ne faut pas s'attarder ces querelles de mots quand il y a tant de choses faire. A.-J. GRElMAS Le Monde, 7 juin 1974

ISBN 2 13 0440290 Dpt lgal 1 m dition : 1991, dcembre Presses Universitaires de France, 1991 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

introduction

QUEL LEXIQUE?

Le critique littraire vient de vivre une priode d'intenses bouleversements sur tous les plans : pistmologique, conceptuel et terminologique , une priode contraste et contradictoire, crative et crispe. Comme toute poque rvolutionnaire, cela s'est fait dans l'effervescence, l'intolrance et la rsistance, dans un climat plus conflictuel que consensuel. Certains ont avanc grands pas avec une jubilation volontiers iconoclaste, d'autres plus nombreux ont rsist et stigmatis un chamboulement considr comme une mode et non comme un progrs. L'on a multipli les polmiques, les procs d'intention, les palinodies, ador ce qu'on venait de brler1. Il y a eu des dbats ports sur la place publique, des vulgarisations htives, des conversions tardives, des querelles d'coles, des abus de langage2 ; il y a eu des contrefaons et des surenchres. Le phnomne n'a rien pargn. Les objets ont t revisits ou actualiss, les mthodes se sont diversifies et affines, des concepts nouveaux se sont imposs, des mots nouveaux ont fait flors. Si l'on en juge aujourd'hui par les rsultats, il est vident que le bilan est nettement positif quelques rserves prs qu'il faut bien considrer comme la contrepartie quasi invitable de ladite effervescence. En effet, mme si la communaut scientifique en a pris son parti, la terminologie qu'elle a engendre et que l'usage a ratifie n'est pas toujours satisfai1. Ainsi de Lanson condamn pour lansonisme puis rhabilit comme fondateur de la critique textuelle et de l'histoire littraire. 2. Voir J - P Weber, No-Critique et Palo-Critique, Pauvert, 1966, et Ren Pommier, Assez dcod, Roblot, 1 978.

5

sant. Le plus grave tant que l'embarras grandisse mesure que l'on quitte les sphres spcialises pour des milieux plus vulnrables ou moins avertis, autrement dit le laboratoire pour l'agora universitaire. Dans la mesure o la critique contemporaine se voulait un savoir-faire plutt qu'une collection de chefs-d'uvre, on pouvait imaginer qu'elle engendrerait un langage conforme ses ambitions. Que ce langage serait cohrent, fiable, transparent en ce sens qu'il et laiss passer la difficult conceptuelle sans la doubler d'un problme terminologique. Peine perdue, et l'on ne peut que le regretter : si les mots sont fluc tuants, les choses qu'ils dsignent risquent d'en ptir ainsi que tout le processus scientifique (cration, communication, applications). Que les spcialistes s'en accommodent ou s'en tiennent quittes, rien que de trs normal (ce qui ne veut pas dire qu'il faille les approuver). Par contre, que les honntes gens et les nophytes soient embarrasss par le problme est plus grave pour eux videmment mais aussi pour la cri tique qui pourrait bien donner l du grain moudre ses dtracteurs. On l'aura compris, ce Lexique de la critique s'adresse moins ceux dont la responsabilit est pourtant engage qu'aux usagers qui ont droit une mise au point et une mise en garde. Il n'y a d'ailleurs pas lieu d'at tendre plus longtemps : une dcennie d'apaisement et de tassement nous donne le recul ncessaire ; l'inverse, un attentisme prolong sous prtexte que la science finit par dcanter son langage mesure qu'elle chappe au spcialiste1 serait d'autant plus risqu que rien en ce sens ne s'annonce. Evidemment, il est normal que des disciplines jeunes et impatientes aient voulu se donner une terminologie nouvelle, la mesure des concepts qu'elles laboraient ; les prcdents d'ailleurs ne manquant pas dans les sciences humaines les plus rcentes. On ne s'tonnera pas, non plus, qu'il y ait eu dans l'esprit de la nologie un malin plaisir ou un empressement qui tenait la fois du coup de force et de la ptition de principe : appeler la chose non point tant pour l'attester que pour la crer2. La vieille garde s'en effaroucha et s'en gaussa, en faisant sem blant de ne pas comprendre que l'irrsistible pousse valait bien quel ques excs, que tout nouvel us est par dfinition abus. Le discours jour nalistique en profita pour galvauder quelques mots magiques et jeter de l'huile sur le feu. Vue de l'extrieur, l'affaire tait controverse ; de l'in-

1. Selon J. Dubois, in Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1973, p. ix. 2. La discipline existant dans la mesure o elle est nomme et sa marque dpose.

6

trieur, elle tait assez mal engage. On sait que nombreux furent les emprunts directs la linguistique ou indirects (via d'autres sciences humaines), c'est--dire des disciplines dont le langage tait lui seul un problme. S. Moscovici en a fait tat pour la psychanalyse1, G. Mounin pour la linguistique o de fait n'ont jamais rgn l'unanimit et l'unit. Sans suivre entirement l'opinion du gardien de l'orthodoxie, on trouve cependant dans son Dictionnaire de linguistique (PUF, 1974) l'expression de ce dsaccord. L'inspiration des linguistes les plus sollicits par la critique littraire (Jakobson, Benveniste) ainsi que d'autres (Hjelmslev, L. Tesnire) s'y voit critique, au motif qu'elle n'engendrerait que confusions et lourdeurs inutiles. Pour ce qui nous concerne, le fait est que le transfert technologique, dj risqu en soi, l'tait plus encore s'il avait s'accompagner d'un contentieux terminologique. Et l'on aurait mauvaise grce renchrir ; qu'il suffise seulement de rappeler que la terminologie canonique de la linguistique saussurienne n'est mme pas employe par Saussure lui-mme. Mais si cela ne suffit pas, que l'on consulte l'ouvrage rcent d'U. Eco qui fait le point sur quelques notions achalandes (signe, code, mtaphore) et sur leurs vicissitudes lexicales et smantiques tout au long de l'histoire de la pense occidentale2. Toutefois, la diffrence de l'illustre transalpin dsireux d'intgrer les diffrences dans une archologie de concepts, l'usager moyen aurait bien voulu s'en tenir un lexique sans arrire-penses ni chausse-trapes. Mais pouvait-il en tre autrement dans cette vaste nbuleuse d'approches sophistiques, mtisses ou au contraire exclusives et jalouses de leur jeune identit ? Guettes qu'elles taient par ces deux risques : la transdisciplinarit qui fait que le langage est import et parfois en porte faux ; la balkanisation qui peut entraner des interfrences fcheuses. Un langage aussi spcialis que son objet court en effet le risque d'tre concurrenc par d'autres langages sur des terrains communs et plus grave de ne mme pas s'en apercevoir. Dans le premier cas, l'inconvnient c'est qu'un seul terme corresponde approximativement plusieurs concepts, dans le second que plusieurs termes dsignent le mme concept. Il va sans dire que ces inconvnients n'ont gure t vits et qu'ils ont t compliqus par l'internationalisation du phnomne et ses corollaires : d'une part les capacits nologiques qui peuvent varier d'une

1 In La psychanalyse, son image et son public, PUF, 1 9 6 1 . 2. Smiotique et philosophie du langage, PUF, 1988.

7

langue une autre1 et d'autre part les alas de la traduction (diffre, indirecte2, approximative ou actualise). C'est ainsi que les dveloppements rcents de la potique et le regain d'intrt pour Aristote ont abouti retraduire muthos : non plus fable mais histoire a-t-on pu lire rcemment3, intrigue et mise en intrigue dit ensuite P. Ricoeur4. Si l'on excepte le degr zro (le contributeur insoucieux de nologie, genre Starobinski), l'activit terminologique est plutt un signe des temps. Elle s'explique pour diverses raisons et s'ordonne autour de trois indications de tendance : emprunt des savoirs contemporains ou des nomenclatures strictement codifies, souci de la cohrence, enfin invention et subversion. Ceci sans compter une originalit syntaxique ou stylistique diversement comprise, c'est le moins qu'on puisse dire dont on trouve l'exemple chez Lacan et Derrida. Les recours (jugs ncessaires) aux disciplines exognes ont t intgrs sans grosses difficults (la philosophie), ou bien ils ont t cantonns dans des secteurs pointus (la logique pour la smiotique, les mathmatiques pour la smanalyse). Mais le plus frquent a t d'emprunter la linguistique, soit en se basant sur la fameuse homologie : ce qui est vrai en de de la phrase l'est aussi de la grande phrase qu'est la littrature, soit en invoquant le cas de l'anthropologie et surtout de la smiologie fortement emprunteuse comme l'on sait5. Outre la linguistique, la rhtorique a t prteuse et sollicite au nom de la mme hypothse : les mcanismes des figures sont transposables une autre chelle. La seconde tendance est illustre et dfendue par le Genette de Figures III, ainsi que par une smiotique qu'il faut bien crditer d'une terminologie certes difficile mais toujours cohrente n'en dplaise certains. Quant Genette, il n'a jamais cach qu'il souhaitait donner la narratologie un lexique spcifique et homogne, aussi justifiable d'ailleurs que l'viction des termes traditionnels et approximatifs. Le profane pouvait rencler, mais il lui suffisait de reconnatre les rgles simples partir desquelles se constituent le rpertoire et la dclinaison6. La troisime solution mane

1 Et qui sont plus grandes en allemand et en anglais qu'en franais. 2 Propp a d'abord t connu en traduction anglaise, et certains continuent d'utiliser les termes anglais (donator, helper). 3. In la version de R. Dupont-Roc et J. Lallot, Le Seuil, 1980. 4. Voir Temps et rcit, I, Le Seuil, 1983. 5. Ainsi les crations en -me ont t innombrables plrme, kinme, vestme, philosophme (Derrida), biographme (Barthes). 6 Le plus souvent par prfixation partir de digtique (htro-jhomo-, extra-jintra-) ou de la racine grecque -lepse (ana-jpro-, meta-)

8

de quelques francs-tireurs qui ont fait des mules ou inspir quolibets et autres amabilits. L'on pense ici Barthes, convaincu que la nologie permet d'chapper aux cuistres et de se procurer un plaisir inconvenant en l'occurrence : Le nologisme est un acte erotique... 1 Or en dbauchant les tymons grecs ou les tropes, en pratiquant si lgamment le dvoiement de sens, Barthes s'exposait tre mal entendu ou mal suivi. Mais on sait que le rle de trouble-fte n'tait pas pour lui dplaire, et qu'il lui fallait pour cela rester sur la brche. Aussi dans S/Z prend-il nouveau les devants mais dans un autre genre, puisqu'il renonce au langage de la science (la smiologie) pour une criture inspire, affranchie des codes universitaires et mme structuralistes. Une autre contribution (dont Barthes se souvient dans Le plaisir du texte), plus systmatique et plus raisonne, marge au mme chapitre. Il s'agit de celle de Derrida, selon lequel l'criture critique doit aussi donner l'exemple et se dprendre de ses habitudes (univocit, linarit). Pour ce faire, il lui faut ractiver la catachrse, laisser flotter la polysmie jusqu' l'indcidable2, soumettre quelques termes prdisposs prlvement, greffe, extension 3, recourir l'impulsion homophonique voire au calembour. Bien entendu, nombreux furent ceux qui crirent haro sur le patagon, sans vouloir comprendre la vocation subversive d'une telle activit ni d'ailleurs sa valeur potique4. Enfin il y a le cas limite, c'est--dire la plus rcente inspiration de J. Ricardou qui nous prodigue une nologie extraordinaire et prolifrante l'envi, mais le plus souvent autarcique et noscolastique. La plupart des lecteurs s'agaceront sans nul doute du pige tendu par l'inventeur pince-sans-rire, srieux jusqu' la provocation. Le fait est que, spar de sa famille et dpourvu de glose, ergasticohyperanti reprsentance parat bien indigeste. C'est nanmoins un concept essentiel de la scriptique5. Suite cet tat des lieux, se prsente le problme du mode d'emploi, avec le rappel des solutions dont on dispose puis l'amorce de celles que l'on propose. Premire question ( rponse prvisible) : l'usager trouvera-t-il l'embarras que lui inflige la terminologie un soulagement

1 Sade, Fourier, Loyola, Le Seuil, 1 971, p 87 2. Voir Grammatologie. 3. Positions, Ed de Minuit, 1972, p. 96. 4. L'irradiation smantique de ces termes (cart, entame, espacement, perte) voque irrsistiblement J Gracq . des foyers de condensation , des creusets un peu effervescents dit en effet Derrida {Positions, p 55). Par ailleurs il prcise qu'il est impossible de les mettre au pas, de les entrer dans un Lexique Dont acte. 5. J. Ricardou, Une maladie chronique. Les Impressions nouvelles, 1989, p. 18.

9

dans les ouvrages didactiques ? Tout d'abord pour ce qui est des dictionnaires de linguistique (qu'il serait pourtant inconcevable d'viter), on peut faire observer deux choses : primo, qu'il n'tait pas dans leur nature d'intgrer les singularits critiques , secundo, qu'ils ont t vite dpasss par des recherches entreprenantes et extensibles1. Notamment la smiotique qui allait marcher sur les brises aussi bien de la linguistique que de la critique. Trouve-t-on dans les rcentes mises au point de la smiotique davantage de satisfactions ? On y trouve au moins des dfinitions attendues et ncessaires, ceci prs qu'elles ne sont pas toujours suffisantes ni irrprochables. Dans un cas elles sont trop laconiques et trop clectiques2, dans le second certes plus dcisif et plus reprsentatif de la discipline elles sont indissociables d'une pistmologie stricte et sans inclination particulire pour la littrature3. Ds lors que celle-ci est cantonne dans le figuratif et la manifestation et qu'elle est dcompose en niveaux pertinents et non pertinents, on doit craindre en effet que ses objets soient ingalement traits et apprcis. Reste la solution de l'ouvrage pluridisciplinaire, au sein duquel linguistes et consorts seraient assez attentifs la problmatique de la littrature et o les littraires seraient assez experts en sciences du langage pour qu'on ne leur reprocht point leurs incursions. Un ouvrage de ce genre existe, dont le seul inconvnient mais il est de taille en cette priode acclre est de ne pas offrir une dition plus rcente et mise jour4. A dfaut d'entrer dans le maquis terminologique via la linguistique, on peut tenter d'y accder via des dictionnaires plus littraires ou plus empiriques5. Or dans la mesure o ceux-ci couvrent de grands ensembles polymorphes (le thtre, les littratures) et qu'ils dissminent les termes critiques dans des notices plus ou moins concises et harmonises 6, a prudence s'impose. La ncessaire consultation terminologique reste donc dlicate et alatoire lorsqu'elle ne bnficie pas

1. Ceci vaut davantage pour G. Mounin (op cit.), et J. Dubois {Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1973) que pour B Pottier (La linguistique, CAL, Les Dictionnaires du savoir contemporain , 1973,). 2 Voir J Rey-Debove, Lexique de la smiotique, PUF, 1979. 3 A.-J. Greimas et J. Courtes, Smiotique, Dictionnaire..., I, Hachette, 1979. 4. O. Ducrot et T Todorov, Dictionnaire encyclopdique des sciences du langage, Le Seuil, 1972. 5. Notamment P. Pavis, Dictionnaire du thtre, Ed. Sociales, 1980; J.-P. Beaumarchais, D Couty et A Rey, Dictionnaire des littratures de langue franaise, Bordas, 1984. 6 Sur ce, le dilemme reste entier : la pluralit des signatures garantit la qualit et restitue la complexit, mais elle n'exclut ni la divergence ni la redite

10

d'une attention part entire. A vrai dire, cette attention que l'on chercherait en vain dans les panoramas de la critique n'a engendr qu'un seul opuscule, un Glossaire de la critique littraire contemporaine"'. Son mrite essentiel est de s'tre proccup rellement du problme et d'avoir voulu faire uvre utile. A sa dcharge, il faut cependant noter : sa date de production (rtrospectivement) prmature, son format qui l'obligeait par souci d'exhaustivt une excessive conomie, son support ditorial peu favorable une large diffusion. Il faut enfin dire un mot sur les critres qui ont prsid l'laboration de ce Lexique ; commencer par ceux qui rsultent de son objet et des nouvelles pratiques critiques (depuis approximativement 1960). On ne trouvera donc pas ici l'historique de ces vieux concepts rcemment renouvels sauf en certains cas o le passif continue de peser sur l'usage moderne. A l'intrieur de ce champ aux limites indcises (comme on s'en explique plus loin), d'autres slections sont apparues ncessaires. En vertu tout d'abord de l'hypothque terminologique qui ne touche que certains concepts assurment majoritaires. Le Lexique n'est point une encyclopdie, ni un catalogue aussi complet que possible ; aussi ce titre carte-t-il les termes concepts dont l'emploi et l'acception ne souffrent aucun malentendu, ainsi que ceux usage phmre ou priv et ceux emprunts scrupuleusement des sciences o ils sont dj dfinis2. Et inversement, il insiste sur tous les autres qui ncessitent parfois des notices substantielles et raisonnes , voire des dossiers tels qu'on en rencontre dans des ouvrages caractre encyclopdique. Compte tenu du contentieux absorb mais non liquid pour autant et de la teneur en quiproquos de certains termes {smiologie, rcit entre autres), c'est bien une mise au point qui s'imposait plutt qu'une simple dfinition3. Qu'ils soient problmatiques et large rayon d'action, ou plus spcialiss, les termes retenus ressortissent en outre deux catgories et deux sries complmentaires de variables : l'objet et l'approche mthodologique. D'o parfois l'alternative offerte au Lexique, puisque l'on peut entrer dans un champ notionnel par l'objet ou par ses approches4. Enfin, mode de prsentation et mode d'emploi se sont inspirs de ce principe cher au gnie structuraliste , savoir le

1. Par M. Angenot, publi Montral aux ditions HMH en 1972. 2. La psychanalyse par exemple qui a son Vocabulaire 3. Comme le font J Rey-Debove et M. Angenot, op. cit 4 Gramme ou grammatologie ? avant-texte ou gntique ? Bien entendu, on n'entre pas indiffremment ou indistinctement d'un ct ou de l'autre.

11

couplage de concepts (symtrie, complmentarit, diffrentiel). D'o ces divers cas de figure : la symtrie qui ne requiert qu'une rubrique pour deux concepts (analepse/prolepse), la forte primaut de l'un (le code) qui vince l'autre (le message), des rapports si complexes qu'il faut plusieurs entres.

QUELLE

CRITIQUE?

Faute d'une synthse qui donnerait entirement satisfaction, et compte tenu de l'esprit et de la matire du Lexique, un essai de dfinitions s'avre indispensable ainsi qu'une mise en perspective. L'examen des critres dfinitionnels implique en premier lieu celui de la terminologie, dont on ne s'tonnera gure de l'lasticit et de la disparit. Il est ainsi vident que le terme consacr est devenu inadquat au regard de la spcialisation et de la cration. Les principaux acteurs ne s'y trompent pas : critique est la fois trop gnral, trop solidaire de la tradition et trop affect par ses connotations. Ils n'ont pas lieu de se montrer plus satisfaits d'un autre terme qu'ils n'emploient pas toujours et qui pourtant leur est administr massivement : structuralisme. On ne le sait que trop : il s'agit d'un fourre-tout charriant en plus un procs d'intention, savoir l'allergie au sens et l'Histoire. Quant nouvelle critique, si le terme a eu sa raison d'tre et son succs, il s'est progressivement banalis. Cependant, il permet de distinguer l'innovation de la gestion, et au demeurant il parat mieux s'associer dans l'esprit du public la priode observe que celui de critique contemporaine 1. En rsum, pour tenter de dlimiter son objet, la terminologie critique oscille entre les deux extrmes . l'archipel des termes spcialiss et les spcifications adjectivales ou bien le terme gnrique qui peut la rigueur se maintenir pour dsigner tout discours sur la littrature. Les critres chronologiques susceptibles d'identifier la priode mritent aussi rflexion et circonspection. Car s'il est vident qu'aux alentours de 1970 (en amont comme en aval) on observe une forte densit et une vritable dynamique, il n'est pas ais d'en dfinir les termes. Impossible mme, inopportun diront certains sauf exception (la date pertinente), ou bien condition de substituer la datation un balisage plus souple. Quoi qu'il en soit, la question vaut d'tre pose : quand commence l'en1. Contemporaine, c'est--dire d'aujourd'hui ou jusqu' aujourd'hui.

12

semble contemporain et quand il donne les premiers signes de ralentissement ? L'historien pris de stricte priodisation serait tent de rpondre 1960-1980, ce qui serait trop beau et qu'il convient de nuancer. 1 980 est, n'en pas douter, une date emblmatique pour tous ceux qui dplorent (ou enregistrent) la disparition de Barthes. Etant disparu celui qui avait fray les chemins, servi de levier (ou de levain) et dont la leon venait d'tre officialise, il tait probable que l'aventure et l'avance devaient s'en ressentir. Mais bien d'autres raisons que l'tat civil ou le deuil concourent retenir l'ore de la dcennie. D'une part l'volution de certains contributeurs devenus moins radicaux ou moins inspirs, renouant leur manire avec des objets classiques (le sujet, la mmoire, l'interprtation). Et d'autre part un changement global d'attitudes : la vrification et la fructification des hypothses ont remplac l'invention tous azimuts , et cela s'entend moins. Le dcibel n'est certainement pas un critre srieux, mais le fait est que les entreprises d'aprs 1980 sont moins bruyantes ; le cas chant, elles sont trop proches pour que l'on puisse dj tenter de les situer. Le problme est sensiblement le mme pour ce qui est de l'acte de naissance. Une date s'impose, lie d'ailleurs l'action de Barthes et aux ractions que dclenche Sur Racine: 1963. Mais d'un ct les prodromes ont t nombreux1, et de l'autre l'irruption des nouveaux venus a t chelonne et pas ncessairement spectaculaire. Aussi, plutt qu'une solution de continuit, c'est l'image d'un fondu enchan qui parat devoir s'imposer. Sauf qu'une observation approfondie et la prise en compte d'une plus longue dure rvlent un important changement pistmologique. Compares aux annes 50, les annes 60 voient en effet l'avnement de la linguistique comme modle de la critique2 avnement d'autant plus prometteur qu'il concide avec celui d'une gnration porteuse. D'autre part, toute une srie de critres topologiques conduit relativiser la situation de l'ensemble. Ainsi l'internationalisation n'est pas seulement le fait de l'poque, c'est aussi la marque d'une activit voue franchir parfois en diffr les frontires linguistiques, et qui en l'occurrence a bnfici du savoir extra-hexagonal de ses acteurs (J. Kristeva, Todorov). D'o l'embarras de l'historien partag entre l'objet qu'il construit et l'objet qu'il contemple, entre d'une part un souci de

1. Une bonne part de Sur Racine est connue ds 1960 , et ds 1957 (Le mythe aujourd'hui in Mythologies) le recours la linguistique est dcisif. 2. Laquelle ne fait que suivre l'exemple de l'anthropologie structurale et radicaliser les curiosits de Jakobson et de Benveniste.

13

cohrence qui l'incite circonscrire un tant soit peu et d'autre part une attention aussi ouverte que possible aux volutions parallles ou trangres. Ainsi, comment ne pas entrer le formalisme russe, au titre des prmices ou comme composante naturalise (ds traduction) ? Par contre, que faire de certains travaux de l'cole morphologique allemande qui sont antrieurs la narratologie franaise mais restent en leur temps confins1 ? En principe la critique est apatride et dcentre ; mais en fonction de son analyse, elle peut admettre des limites opratoires et modulables : la traduction, l'actualisation, l'acclimatisation, le cadrage. De surcrot, s'ajoute ces facteurs empiriques une localisation controverse (ou mal comprise). En effet, n'en dplaise certains qui ont dnonc une emprise parisienne2, il faut bien constater que les principaux foyers ont t logs la mme enseigne ou presque. L'Ecole pratique des hautes tudes, une maison d'dition drainant l'essentiel du flux3, puis assez rcemment une discipline de pointe qui afin de marquer son identit et sa pratique collective choisit le lieu de ses activits : l'Ecole de Paris4, ce sont l quelques lments spectaculaires de la domiciliation. Loin de toute prsomption culturelle, on peut y voir la reconnaissance d'un microcosme (certes circonstanciel) et d'une plaque tournante, ou tout simplement un reprage pratique5. Outre ces critres gomtrie variable, il faut tenir compte du problme de l'interdisciplinarit. En effet, sachant le rle dcisif de celle-ci l'poque moderne comme d'ailleurs dans tout dcoupage pistmologique , la question doit tre pose : existe-t-il ou non une ligne de dmarcation pertinente entre la spcificit de la critique littraire et les disciplines qui lui sont proches d'une manire ou d'une autre ? Abstraction faite de la coopration avec la linguistique, on voquera ici la position de la philosophie et de la smiotique. Ainsi, en tant que science pilote du sens, la smiotique ne considre la littrature que comme un sous-ensemble qu'elle traite avec des instruments polyvalents. Autrement dit, entre la critique littraire et la smiotique gnrale, et en dpit de finalits diffrentes, des interfrences sont envisager. Quant la philosophie, on sait qu'elle continue d'interroger la littrature avec des

1. Au dbut des annes 60, la rfrence franaise est J. Pouillon, mais outre-Rhin l'on est beaucoup plus avanc sur la question (W. Kayser, G Muller). 2. L'offensive est venue d'outre-Atlantique in Etudes franaises, n 20/2, 1984. 3 A la sixime section et au Seuil, on retrouve la plupart des protagonistes 4 Voir J.-C. Coquet in Smiotique, l'Ecole de Paris, Hachette, 1982, p 5-6 5. Les prcdents ne manquent pas, comme l'Ecole de Genve dans les annes 50.

14

concepts exigeants et ambitieux. La somme de P. Ricoeur (Temps et rcit) en apporte la preuve, tel point que son incorporation une conception globale de la critique ne peut tre exclue. Et puis, il y a ceux qui dlibrment brouillent les lignes plutt d'ailleurs qu'ils ne les franchissent ; exemple : Derrida qui opre aux lisrs de la philosophie, de la littrature, de la critique et de l'pistmologie. Autant dire que, quels que soient les types de critres invoqus, les difficults circonscrire l'objet persistent ; et que la solution parat bien relever du compromis, entre d'une part un resserrement double tranchant1 et un largissement dans le champ des sciences humaines et l'internationale critique dlicat grer. Sinon, l'on s'expose d'un ct au complexe de Procuste ou de l'autre aux effets pervers du rhizome2. Pntr de ces embarras topologiques, l'historien est alors conduit (re)constituer une certaine succession. En premire approximation, il peut distinguer trois priodes correspondant grosso modo des dcennies. La premire qui va s'absorber dans la seconde et qui est antrieure l'ensemble concern ici (1960-1980) doit tre reconnue comme telle, c'est--dire comme priode prparatoire. L'tiquette qu'on lui applique souvent est d'ailleurs insuffisante : la critique en ce temps-l est loin de n'tre que thmatique . Et si elle l'tait, il et fallu de toute faon en appeler d'autres labels pour restituer la pluralit des initiatives3. Et surtout, l'on ne s'est pas assez aperu que des acteurs trangers les uns aux autres (pour raisons idologiques, esthtiques, gographiques) avaient pour dnominateur commun l'ide de structure. Outre le plus connu d'entre eux cet gard (Goldmann), on retrouve l en particulier J. Scherer et G. Blin aucun des deux ne regardant du ct du thmatisme, ne s'intressant la Weltanschauung, n'accordant d'intrt l'histoire littraire. Seules retiennent leur attention les procdures spcifiques un genre et un corpus (la dramaturgie classique, la narration stendhalienne). C'est pourquoi on leur reconnatra d'avoir accompli, dans un environnement universitaire plutt conservateur4, une avance qualifiable de prstructuraliste . Terme qui au demeurant se substitue avantageusement d'autres pour indiquer ce qu'il y a de conducteur et

1. Circonscrire, c'est rduire mme si pour cela on a de bonnes raisons. 2. Dfini comme ensemble nomade et lastique. 3. Voir Thmatique 4 J. Pommier a la dent dure avec Mauron lequel est enrlable sous cette bannire essentiellement pour la procdure des superpositions (dgagement d'un paradigme ou des invariants)

15

de germinatif dans cette tendance. A ceux qui font cavalier seul, on ne peut en demander plus, l'poque tant dans l'incapacit de leur offrir les concepts structuralistes et constitutifs de l'poque suivante. En d'autres termes, le prstructuralisme a surtout t une aventure artisanale et intuitive (ce qui n'a rien de pjoratif), ncessaire mais dpourvue d'assise thorique et d'assistance scientifique. Sauf peut-tre chez Mauron, le thmatisme contemporain est passible des mmes observations. On l'a dj dit : il n'y a pas de rupture tranche et localise entre cette priode et celle qui s'amorce avec les annes 60. Barthes 1 a dj emprunt la linguistique ( Hjelmslev pour Mythologies ) et il ne renonce pas dans Sur Racine des conjectures psychanalytiques ou anthropologiques qui prvalaient quelque temps auparavant. La nouvelle gnration, plus homogne, moins disperse (et en marge de l'institution), va donc se faire connatre par des travaux publis dans la revue Communications, ainsi que par la polmique dont Racine est le prtexte et qui entrane un dbat gnral et une prise de conscience2. Principales caractristiques : une forte tendance mtacritique, un transfert des modles linguistiques, l'hypothse smiologique et de nouvelles options critiques. Les passes d'armes raciniennes auront eu en effet le mrite de clarifier une situation, quitte la radicaliser : d'un ct une critique universitaire rcuse en ce qu'elle travaille hors littrature, dans la pseudo-histoire et l'illusion du sens (les lieux communs et l'impressionisme) 3 ; de l'autre une rflexion soucieuse de dfinir loyalement son objet et ses postulats pistmologiques. Quant la linguistique, elle donne lieu de la part de Barthes un bel expos des motifs4 : phrase ou texte, quelle que soit son chelle, le discours est soumis des oprations structurantes (hirarchiques ou syntagmatiques). Mutatis mutandis, les outils sont disponibles ; parfois ils le sont directement tels le schma de la communication (Jakobson) et la thorie des nonciations (Benveniste) ; ou encore ils sont adapts par le linguiste lui-mme 5 . Un

1 Bien entendu, il ne s'agit pas ici de culte mais de considrer cet itinraire comme le rvlateur par excellence. 2. L'essentiel s'accomplissant entre 1964 et 1966 {Communications, n 4 et n 8, Essais critiques et Critique et vrit de R. Barthes). 3. Moins connues mais non moins symptomatiques, les distances prises avec Goidmann et Mauron dont les approches seraient par rapport la littrarit centrifuges et par rapport au rel analogiques. 4 In Introduction l'analyse structurale des rcits, Communications, n 8, 1966. 5 A -J Greimas, {Smantique structurale, Larousse, 1966) adapte les actants de L Tesnire et les propose l'analyse littraire.

16

peu plus tt, la smiologie avait fait l'objet d'une tude substantielle du mme Barthes, la fois tat des lieux et programme de recherches1. Conformment aux enjeux de la discipline, la littrature n'tait pas concerne au premier chef par un tel programme. Mais l'historien doit nanmoins dater son closion, ne serait-ce que pour marquer son ant riorit par rapport la smiotique dont les dveloppements s'effectuent la dcennie suivante Chemin faisant, l'analyse littraire s'implique dans ce vaste chantier, s'ouvre tout ce qui peut l'inspirer (notamment les formalistes russes et Bakhtine). Toutefois, mme s'ils sont initis ds cette poque (sous forme d'articles ou de communications), ces tra vaux devront attendre la suivante pour s'panouir et se faire connatre2. Pour l'instant, un certain nombre d'entre eux s'orientent vers l'analyse du rcit (comme discours et surtout comme histoire), mais il leur manque encore les concepts opratoires que vont leur offrir les narratologies3. Au seuil des annes 70, paraissent s'installer la continuit et l'accli matation bon gr mal gr au structuralisme 4. De fait, les panouisse ments de la smiotique, de la potique narrative {Figures III de Genette) et de la thtrologie (Lire le thtre d'A. Ubersfeld) n'ont rien de vritablement surprenant. Le besoin s'en fait sentir, des jalons ont dj t poss (Smantique structurale) ; seul le retard de l'analyse thtrale utiliser les procdures structuralistes et produire des sp cialistes constitue un motif d'tonnement Ces trois axes de travail vont donc se dvelopper avec des fortunes diverses la palme revenant, si l'on en juge par l'ampleur de ses travaux et le nombre de ses contributeurs, la smiotique qui a du reste compltement dtrn la smiolo gie. Dans une moindre mesure et dans un secteur plus circonscrit, l'ana lyse narrative peut aussi tmoigner de sa fcondit. La meilleure preuve en est fournie par Genette dans la mise au point et la recension qu'il fait en 19835. Le bilan des recherches ou des connaissances est d'ailleurs un signe qui ne trompe pas : la smiotique (1979) et le thtre (1980) publient respectivement leur Dictionnaire 6. Mais la dcennie n'est pas

1. Elments de smiologie, Communications, n 4, 1964 2 Logique du rcit (Le Seuil, 1973) de C. Brmond approfondit et amplifie un article de Communications, n 4, 1964. 3. Voir Narratologie. 4. Terme qui fait alors recette. 5 Nouveau discours du rcit. Le Seuil. 6 A -J. Greimas et J. Courtes, Smiotique, Dictionnaire..., I, Hachette , P. Pavis, Dictionnaire du thtre, Ed. Sociales

17

seulement faite de cette gerbe de rsultats intgrables une dynamique dsormais connue. En effet, depuis dj un certain temps et d'abord dans une mouvance postsoixante-huitarde , des offensives beaucoup plus radicales avaient t tentes. Regroupes sous l'tiquette de poststructuralisme \ impulses par J. Kristeva et H. Meschonnic, elles avaient l'ambition d'en dcoudre avec la pense occidentale classique et de travailler sur une autre conception du texte et de l'criture. Or tout cela bouscule non seulement la ci-devant critique mais aussi des disciplines plus rcentes et plus entreprenantes, telle la smiotique dj dnonce au moment mme o elle commence de s'affirmer au motif qu'elle vivrait sur ses illusions. L'on trouve un cho de cette dissidence chez le Barthes des annes 70, lequel a bien chang depuis quelques annes. Ainsi, la discontinuit, l'activit structuraliste comme jubilation, la connotation, la sduction qui animent S/Z et Le plaisir du texte sont autant de faons de prendre le contre-pied d'un savoir trop puissant, trop systmatique et trop asctique... Les raisons de cette rupture se cristallisent par ailleurs sur l'immanence postule aussi bien par la smiotique que par la potique narrative. La smanalyse venait prcisment de ruiner ce postulat avec l'intertextualit et le rappel de l'Histoire ; bien d'autres travaux, venus d'horizons divers et sans aucune concertation, vont alors uvrer dans le mme sens d'une (r)ouverture. La linguistique n'est pas en reste (praxmatique2, pragmatique) ; mais, pour ce qui est de la critique, c'est plutt de l'tranger et moyennant certains retards, que surgissent les tentatives les plus convaincantes. On veut parler ici de l'esthtique de la rception connue en France seulement en 1978 3 et de la politique cooprative de la lecture qu'il. Eco reprend la fin des annes 704. A rencontre des opinions les plus en vue, l'uvre littraire ne peut plus tre considre comme un objet autonome, puisque les conditions du sens ou de la narrativit s'effectuent en liaison avec les horizons d'attente (H. R. Jauss) ou avec un lecteur mandat appliquer les instructions textuelles (U. Eco). Peu de temps aprs, c'est au tour de P. Ricur de donner sa version person-

1. Voir infra ce terme. 2. Thorise par R. Laffont {Le travail et la langue, Flammarion, 1978) et dveloppe depuis l'Universit Paul-Valry de Montpellier, la praxmatique fonde ses propositions sur la dialectique entre le langage et le rel ; voir infra ce terme 3 Voir H. R. Jauss, Pour une esthtique de la rception, Gallimard. 4. In Lector in fabula, Grasset, 1983 ; cet ouvrage rassemblant des tudes faites entre 1976 et 1978. En toute justice, rappelons pourtant de M Charles : Rhtorique de la lecture, Le Seuil, 1977, o il est dit d'entre que la lecture fait partie du texte .

18

nelle de l'hermneutique applique la littrature et de dsavouer encore une fois l'immanence structuraliste1. L'accueil que cet ouvrage considrable reoit ainsi que l'cho des travaux de H. R. Jauss confirment cette tendance certes moins virulente que ne l'tait en son temps le poststructuralisme. Enfin, si le texte dbout de ses prtentions l'autosuffisance est reconsidr en aval, il l'est aussi en amont. Comme en tmoigne la critique gntique soucieuse de se dvelopper partir du concept d'avant-texte (qui recoupe celui d'intertexte), et qui pour ce faire maintient le contact avec des disciplines chevronnes (potique, stylistique). Tout ceci se passe donc aux alentours de 1980 et se propage aprs , un moment o le jeu s'est calm et o de nouvelles aventures critiques tardent se manifester. Est-ce d'ailleurs un hasard si la terminologie est alors moins dvergonde qu'auparavant ? La smiotique continue inlassablement son dveloppement, mais son intrt pour la littrature semble avoir diminu ; la gntique se montre industrieuse, et l'on peut observer les premiers fruits de l'hermneutique2 ; pour le reste, la critique gre (et digre) ses acquis les plus rcents. De plus, elle n'hsite pas en faire profiter des secteurs discrdits vingt ans plus tt : par exemple la thmatique (redfinie comme syntaxe), l'histoire littraire (reformule comme histoire des formes ou des rceptions, ou seulement invite accueillir les progrs accomplis en dehors d'elle).

1 In Temps et rcit, Le Seuil, 1983-1 985. 2. Notamment M. Collot, La posie moderne et la structure d'horizon, PUF, 1989.

19

Actant Concept opratoire que la smiotique a systmatis et affin sans qu'elle en ait pour autant l'exclusive et auquel l'analyse littraire a port le plus grand intrt. Mais ce succs s'est accompagn d'ajus tements dont il faut prendre la mesure en rappelant d'abord que les actants ont vari en nature, en nom, en nombre, et en fonction de leur micro-univers. Le terme mme vient du linguiste L. Tesnire qui s'en tient la syntaxe et distingue dans la phrase lmentaire trois actants subordonns au prdicat : prime, second et tiers actant. Mais la chose avait eu d'autres sources plus fcondes, commencer par Propp qui avait travaill sur un corpus narratif et dtermin sept sphres d'action 1. La sphre d'action, tiquete comme person nage type (l'agresseur, le mandateur), se dfinissant comme regrou pement circonstanciel de fonctions 2 et de personnages. En dpit d'une certaine ambigut terminologique (le personnage-sphre d'action et le personnage participant ne sont pas de mme nature) et surtout du rejet des objets et des valeurs, les fondements taient dj tablis. : la fonction fait le personnage mais ne se fixe pas en lui, les relations entre celui-ci et celle-l sont modulables comme le seront les relations entre actants et acteurs. Avec E. Souriau qui s'intresse au micro-univers du thtre, changent la terminologie (la fonction la place de la sphre d'action), la rpartition et la dfinition (les valeurs comme le Bien font leur entre). Mais le principe est le1. In Morphologie du conte russe 2. Voir plus loin ce terme, car il s'agit ici du sens proppien.

21

mme et l'ide fait son chemin : il y a moyen d'intgrer dans une simple configuration de fonctions un trs grand nombre de situations ou rciproquement de les concevoir partir d'elle1. Mais ces tentatives ponctuelles n'ont t au mieux que des prliminaires que Greimas a corrigs et complexifis. Aussi est-il prfrable de rserver son entreprise la terminologie canonique : strictement parler, il n'y a pas de modle actantiel pas plus chez Propp que chez E. Souriau, et encore moins chez Brmond2. La smiotique ayant considrablement progress en une vingtaine d'annes, il n'y a rien d'tonnant ce que les actants aient subi amliorations ou volutions. Premire tape : un systme extrapol de la structure phrastique de L. Tesnire, redistribuant les postes de Propp et E. Souriau et propos comme polyvalent. La terminologie est modifie, et elle entre vite dans l'usage en dpit de son caractre htrogne . Greimas emprunte Jakobson (destinateur-destinataire), Souriau (l'opposant) ; G. Michaud (l'adjuvant). L'amlioration a d'abord port sur l'extensibilit du systme qui dsormais peut intgrer praxis, discours de toutes sortes, idologies, et convenir n'importe quel micro-univers. Dans une large mesure, ses capacits nouvelles rsultent d'une conception la fois gnralisante et minimale de l'actant : unit syntaxique (et non smantique), entit fonctionnelle, anthropomorphe ou non, concrte ou abstraite, individuelle ou collective. Autre amlioration : le couplage des actants qui aboutit trois axes dont la dfinition ne fait pas toujours l'unanimit3. L'essentiel tant de consacrer des relations diffrentielles : l'objet n'existe que comme dsir du sujet (et inversement), l'adjuvant et l'opposant s'opposent par rapport l'axe du dsir et n'ont d'existence que dans ce rapport4. L'tape suivante a t rendue ncessaire la fois par les risques d'amalgame actant-personnage5, par une certaine impatience voir le personnage dfinitivement dmantel, et par le dsir lgitime d'oprer sur des units descriptibles et de plus en plus sophistiques. D'o l'entre en lice des concepts d'acteur et

1 Barthes parle de matrice actantielle . 2. Comme B Dupriez semble le penser (in Gradus, LIGE, 10-18 , 1984, p 25). 3. Voir Destinateur (Destinataire). 4. Qualifi selon les cas d'axe de la lutte ou d'axe pragmatique. 5. C'est ainsi que Barthes {in Analyse structurale des rcits, Commun/cations, n 8, 1966) crit imprudemment : ... Greimas a propos de dcrire et de classer les personnages du rcit (..) selon ce qu'ils font (d'o leur nom d'actants)... phrase non corrige en 1977 in Potique du rcit, Le Seuil).

22

de rle1 qui affinent l'objet et son analyse, et viennent propos lorsqu'on examine un micro-univers aussi complexe et figuratif que la littrature. Reste enfin l'hypothse de travail qui consiste projeter l'actant sur le carr smiotique de telle sorte qu'il devienne une structure quatre ples et six relations2. De son intgrit son atomisation en passant par son affinement, telle est donc sa premire volution ; la seconde est symtrique et conduit son absorption dans le cadre de la syntaxe narrative. Vu sous cet angle, on pourrait croire un juste retour des choses d'autant que Propp avait favoris la fonction aux dpens de la sphre d'action. En fait, la smiotique n'a jamais vraiment mancip ni privilgi le systme actantiel, alors que la critique et la vulgarisation ont t portes l'attitude inverse. Chez Greimas, et ds l'origine, l'actant n'est pas une fin en soi. Il sert par exemple dfinir contrat et preuve, comptence et performance , puis il est mis l'preuve des modalits (vouloir, pouvoir, savoir) et intgr du mme coup aux programmes narratifs. Ces oprations ont aussi pour consquences la disqualification de l'adjuvant (rduit figurer les attributs modaux du sujet) et de l'opposant (transform en anti-sujet) et la promotion du destinateur-destinataire. Il ne reste plus alors de systme autonome mais quatre actants distribus dans une autre organisation, syntagmatique cette fois. Une telle modification n'est pas innocente, et il faut la considrer comme la critique implicite du systme dont elle rectifie les carences. Le systme actantiel est en effet, comme l'a soulign P. Ricur3 plutt paradigmatique et il est modal : il se contente de programmer le dsir et n'intgre pas la sanction. D'o l'intrt de travailler sur une syntaxe narrative qui remdie ces lacunes. Pour faire le point sur un objet aussi sollicit et aussi galvaud, il faut se garder des solutions radicales : d'une part l'actant ne gagne rien passer pour une panace, d'autre part il mrite mieux que d'tre absorb dans les grandes manuvres de la smiotique. A cet gard, les contre-preuves de la littrature ainsi que la prise en compte d'autres paramtres (en particulier l'chelle) ont permis d'envisager quelques solutions, dont celle de la programmation actantielle. En effet, confronte aux chefs-d'uvre , l'analyse butait sur cette difficult . est-il possible, en conformit avec l'esprit1. Voir ces termes 2. Il s'agit alors du proto-actant 3. Temps et rcit II, Le Seuil, 1984, p. 71

23

de la discipline fondatrice, de concevoir une programmation unique sans appauvrir pour autant la complexit de l'histoire, du personnel et du sens ? La rponse tant plutt ngative, la solution a consist driver de cette programmation des sous-programmes essays jus qu' puisement des laisss-pour-compte. D'o en dfinitive et aprs moult exprimentations un bilan qui fait de l'actant un grand ensemble hirarchis et dcomposable. Du niveau microsco pique au niveau macroscopique, et selon une disposition arbores cente, on peut distinguer les units subordonnes au proto-actant (antactant, ngantactant, etc.), l'actant comme lment d'un ensemble duel (l'axe), triple (les triangles actantiels d'A. Ubersfeld), quadruple (le dernier carr), le sextuor comme partie d'un tout, et puis le macroprogramme qui subsume le tout. N'en dplaise ceux qui ont brl les tapes, l'actant possde un potentiel sous-ex ploit. A dfaut qu'on le reconnaisse, il peut enfin tre homologu comme concept opratoire. C'est ainsi que de nombreuses analyses du thtre y ont recours, soit pour mettre jour des structures latentes ou formaliser des structures prgnantes ; soit pour affiner et actualiser des dfinitions : la mise en scne par exemple consistant modifier les quilibres actantiels inscrits dans le texte.

Acteur Le terme est bien choisi en raison de son acception thtrale et de sa parent lexicale avec celui d'actant. Tous deux remplacent avanta geusement le couple sphre d'action - personnage de Propp et dsi gnent les mmes combinaisons : correspondance simple (un actant et un acteur) ou syncrtisme (un actant et plusieurs acteurs ou vice versa). L'enjeu, c'est de restituer la complexit d'un objet qui ne concide qu'en partie avec l'actant et que menace par ailleurs le retour du personnage. D'o l'intercalation entre eux de l'acteur, ce qui permet au passage de redfinir l'un et de repousser l'autre hors champ. Tout le problme tant prcisment de faire admettre comme rdhibitoire des diffrences qui ne tombent pas toujours sous le sens commun. Entre l'actant et l'acteur, la diffrence la moins contestable est inscrite dans le parcours gnratif : celui-l ressortit au niveau smionarratif, celui-ci au niveau discursif. Par contre, plus subtile est la distinction selon laquelle le premier n'aurait que l'animation tandis que le second aurait en plus l'incarnation et l'individuation. Mais 24

tout s'est compliqu lorsqu'il a fallu ragir la contre-offensive du personnage. De crainte de le voir concider avec l'auteur, la thorie smiotique a donc pris le risque d'insister sur les homologies entre ce dernier et l'actant : l'acteur, lui aussi, pourrait tre collectif ou non figuratif (le destin). Les autres diffrences avec le personnage ne prsentent pas les mmes risques et elles sont videntes : l'acteur est une instance discursive mais ni textuelle ni rfrentielle comme son rival, il a de surcrot le privilge d'tre une structure d'accueil de rles1. Enfin et comme de juste, il n'y a que lui qui puisse tre qualifi de lexme2. Quant aux tentatives qui se recommandent du modle smiotique, elles restent pour la plupart partages entre la solution thorique (dichotomie acteur-personnage) dfendue par A. Ubersfeld3 et la solution pragmatique (plus en retrait et plus frquente) illustre par P. Pavis : ... l'acteur est le personnage individualis et caractris par un ensemble d'actions concrtes... 4. Il est vrai que dans ce second cas le terme d'acteur est prfr ; ou bien le personnage y est tenu pour un effet ou une fonction. Toutefois, l'amalgame fait perdre de vue que le personnage est un tout et non une partie (comme l'acteur), qu'il est un ensemble flou et non l'une de ces instances. Bien entendu, ces rserves ne s'adressent pas ceux qui se situent dlibrment hors smiotique. Ainsi de bons auteurs emploient acteur et ses drivs pour dsigner le personnage dans le cadre d'une opposition digtique/non digtique : actoriel/auctoriel (pour personnage/narrateur)5, actorial/auctorial (pour personnage/ auteur)6. L'opposition conceptuelle y gagne une lgance et une prcision terminologiques dont on ne peut que se rjouir.

Action Cette notion qui remonte aux origines de la rflexion sur le thtre n'a jamais t srieusement dfinie ni discute. Et elle ne l'est toujours pas, soit que l'on s'en tienne aux lieux communs et au cela va de1 2. 3. 4. 5 6. Voir ce terme. Qualification d'ailleurs non pertinente pour l'actant aussi. In Lire le thtre, Ed Sociales, 1978, p 108 sq. In Dictionnaire du thtre, Ed Sociales, 1980, p. 26. J. Lintvelt, Essai de typologie narrative, Jos Corti, 1 981. G. Genette, Seuils, Le Seuil, 1987.

25

soi , soit au contraire qu'on l'exclue jusque dans la terminologie1. Pourtant, il n'est pas rare que le terme resurgisse aujourd'hui hors thtre, sans que l'on soit toujours convaincu de sa ncessit. En premier lieu, il convient de revenir sur la dfinition thtrale et d'expliciter ses inconvnients. L'action, c'est d'abord la partie de l'histoire qui commence au lever du rideau et se termine au baisser ; le risque tant que sa partie antrieure soit sous-estime par l'analyse. Or, d'un point de vue fonctionnel (ou syntaxique), le lever du rideau n'a aucune incidence sur l'histoire laquelle ne fait que continuer selon des modalits diffrentes. D'autre part, action constitue une cote mal taille qui accrdite l'ide qu'au thtre l'histoire et sa prsentation seraient entirement fusionnes ; d'o le terme unique au contraire du roman qui en a deux (histoire et rcit). Mais l'exprience prouve que cette ide est une contre-vrit, qu'au thtre aussi il faut distinguer mme si cela est difficile un contenu vnementiel et sa dramaturgie, une histoire et un discours. De quelque manire que l'on retourne le problme, action est donc un terme inadquat, bancal et ambivalent : il ne prend pas en compte la totalit de l'histoire, il confond ce que l'analyse sait et doit distinguer2. Dans la mesure o elle disposait de termes-concepts appropris, la narratologie stricto sensu n'avait pas besoin d'importer du thtre un terme aussi ambigu. Pourtant, c'est ce que fait parfois Genette en lui donnant le sens d'histoire : ... l'action d'Eugnie Grandet commence en 1 789 et se termine en 1 833... 3. L aussi, semble-t-il, l'introduction n'a d'autre raison d'tre que la rticence employer histoire. Pour tre plus rare, la dfinition thtrale n'en existe pas moins : l'action romanesque commencerait au dbut du rcit, auparavant ce serait de l'histoire4. Au thtre, il est vrai, la distinction non reprsent/reprsent pouvait accrditer les deux termes. Mais c'est surtout dans le cadre de la smiotique ou en concertation avec

1. Comme le fait systmatiquement A. Ubersfeld dans Lire le thtre (Ed. Sociales, 1978) ; sans doute que le mot (dsuet) et la chose (confuse) lui paraissent incompatibles avec l'analyse structurale 2 J. Scherer dans La dramaturgie classique avait distingu la structure interne et la structure externe de l'action , malheureusement celle-ci tait rduite au dcoupage ; le problme reste entier . quel terme correspondant rcit pour dsigner un discours aussi composite et mixte (en partie narratif) ? 3 Nouveau discours du rcit, Le Seuil, 1983, p. 23. 4 Cf. N Mozet, La Cousine Bette (Lecto-guide, Ed Pdagogie moderne), 1980, p. 13.

26

elle que la dfinition de l'action a t repense ; le problme res tant toutefois le mme : dans quelle mesure le terme est-il perti nent ? Le Dictionnaire du thtre ne pouvait pas ne pas parler de l'action ; parmi ses dfinitions, retenons celle qui implique prcis ment les actants . l'action consiste en la modification de la configu ration actantielle, de surcrot elle est le niveau des actants, tandis que l'intrigue est celui des acteurs1. On voit donc poindre l une tentative plus intressante que les prcdentes : l'action n'est plus partie (ou tout) de l'histoire, ni sa forme, mais sa rduction logico-narrative. Bien entendu, cette hypothse de travail va dans le sens des efforts de la pure smiotique. Laquelle voit dans toute action un jeu de pro grammes narratifs (et non plus un processus actantiel), articulant une transformation hirarchique entre un tat initial et un tat final 2. Autant dire que, au gr de ses diverses exprimentations, elle rapproche l'action successivement des actants, de la syntaxe narra tive, de la narrativit, sinon du carr smiotique. Or, sans avoir le clamer sur tous les toits, elle en vient ou en revient l conce voir l'action non plus sous l'angle fictif ou littraire mais comme par tie ou tout de la praxis3. La smiotique de l'action, lorsqu'elle recourt J. Piaget, n'a en effet plus rien voir avec la littrature ; ce qui est une faon de renouer avec la conception aristotlicienne selon laquelle la fable est l'imitation de l'action (praxes) .

Analepse

(prolepse)

Formant avec la prolepse un couple de procdures temporelles bien dfinies et partiellement symtriques, l'analepse mrite quelques pr cisions supplmentaires. D'abord, les termes n'ont pas manqu et ne manquent pas : anamnse, rtrospection (Todorov, H. Weinrich), flashback (et sa traduction franaise), dchronologie (B. Du priez). Et puis, il y a la proposition de Genette qui n'avait pas pour ambition de faire l'unanimit mais d'tre cohrente et consquente. Cohrente : analepse se construit sur le modle de prolepse (dj employ en rh torique avec ide d'anticipation) et sur la base d'un prfixe d'antrio1. Op cit., p. 26. Actions et actants taient dj associs chez Barthes (in Introduction l'analyse structurale des rcits). 2. A -J. Greimas et J Courtes, Smiotique, dictionnaire.. , II, Hachette, 1 986, p. 10. 3. Ibid., p. 10.

27

rite1 ; consquente : en s'en tenant une terminologie formelle, la narratologie vacue tout psychologisme l o prcisment il tait son affaire (dure, mmoire). Comme on le sait, il y a analepse (ou prolepse) ds lors que le rcit transgresse l'ordre chronologique de l'his toire, revient dans le pass de celle-ci (ou anticipe sur son futur rel). Autrement dit, il s'agit d'une manuvre effectue par le narrateur ou le personnage (analepse) ou par le seul narrateur (prolepse) et de la squence discursive qui en rsulte. La symtrie entre les deux mouve ments ne rsiste donc gure un examen attentif : non seulement la pratique de la prolepse est plus rare (le traditionnel contrat de lecture recommande de ne pas tout dire d'emble), mais sa disponibilit est moindre : le narrateur peut anticiper, tandis que le personnage est contraint de conjecturer ; or une conjecture n'est pas une prolepse. Si le personnage est interdit de prolepse, cela veut dire aussi que le th tre (avant le xxe sicle) devait s'en dispenser et se contenter d'analepses : tel le rcit classique. Il conviendrait d'entriner cette distinc tion et de qualifier par exemple la prolepse d'auctoriale et l'analepse d'auctor/a/e ou d'actoriale2. Aussi, la terminologie n'ayant d'autres limites que celles de l'analyse, suffit-il de pousser celle-ci pour que surgissent quelques questions de dfinitions ou de dnomination. Entre autres celle-ci : l'analepse est-elle l'vocation de tout pass ou seulement du pass digtique ? Dans la seconde hypothse, il fau drait alors un autre terme pour dsigner ce qui est en amont de l'his toire et qui peut remonter jusqu'au dluge sous une forme non anthropomorphise3. L'vocation du temps figuratif de l'histoire est de l'analepse ; l'vocation de la longue dure et du temps monumental de l'Histoire pourrait tre de l'analepse prdigtique .

Anaphore Les diverses dfinitions (rhtorique, stylistique et linguistique) ont servi de point de dpart et de modle aux extrapolations de la critique. Bien entendu, cette diversit d'origine et la dperdition qui guette ce1. Prfixe pourtant polyvalent c o m m e le dplore Genette ; il se peut aussi qu'ait jou la contamination avec panalepse (une varit d'anaphore) Quant analeptique, il nous importe peu ici d'en connatre le sens nosographique 2. Ces deux adjectifs remplaant les substantifs narrateur et personnage. 3. Sylvie de Nerval mentionne ainsi un trs vieux fonds historique bien antrieur l'histoire des protagonistes.

28

genre de transfert ont empch que l'anaphore ne devienne un concept univoque et unanimement performant. A la stylistique, cer tains ont emprunt l'ide de rptition : Genette par exemple qualifie 'anaphorique rcit ou vnement plusieurs occurrences1. Mais c'est le plus souvent la linguistique que Ton a eu recours (sans faire le dtail) : est anaphorique un terme de l'nonc qui ne peut tre compris qu'en fonction d'un autre terme antrieur ou postrieur. Fort de cette dfinition sommaire, P. Hamon baptise personnages-anaphores ceux qui tissent dans l'nonc un rseau d'appels et de rap pels des segments d'noncs disjoints... 2. Considrant qu'tymologiquement l'anaphore est ce qui reporte en arrire, L. Lonzi dclare anaphoriques les incipits de chapitre lorsqu'ils pallient un manque de conscution digtique3. Des emplois singuliers se rencontrent chez J. Kristeva et Barthes, mais cette fois dans un cadre extralittraire. L'anaphore (dans Le systme de la mode) relie deux lments situs dans des discours de nature ou de substance diffrente (vtement crit et vtement reprsent) ; ce faisant, elle se voit dpouille de son habituelle fonction syntagmatique. La dmonstration de J. Kristeva est plus complexe et beaucoup plus ambitieuse. Le point de dpart en est le geste primitif court-circuitant les schmes classiques de la communication et de la signification . Avant et derrire la voix et la graphie il y a l'anaphore . le geste qui indique, instaure des relations...))* Par rfrence, l'anaphore devient l'un de ces processus qui disqualifie la pense logocentrique et instaure une autre smiotique. A l'anaphore adapte mais encore fidle sa vocation classique, il convient donc d'ajouter l'anaphore transgressive de la smanalyse.

Carr

(smiotique)

Il n'est pas exagr d'y voir la quintessence, l'alpha et l'omga de la smiotique. En effet, jusqu' preuve du contraire, il semble difficile1. Figures III, Le Seuil, 1 972, p 146-147. 2 Pour un statut smiologique du personnage, in Potique du rcit. Le Seuil ( Points), 1977, p 123. 3. In Anaphore et rcit, Communications, n 1 6, 1 970. 4. Semeiotik, Le Seuil, 1969, p. 95.

29

d'aller plus loin et de faire mieux dans la recherche d'une struc ture la fois lmentaire et universelle de la signification. La place du carr dans le parcours gnratif1 le confirme : il s'agit de l'articulation matricielle du sens antrieure des manifestations plus tangibles ou plus videntes (mise en orbite syntagmatique, anthropomorphisation, figurativit). D'o la perplexit d'une partie de la critique littraire s'aventurer dans une problmatique aussi abstraite et aussi loigne de son objet. A l'origine, cette simple figure permettait de reprsenter les relations logiques et les oprations gnratrices de sens : contra rit, contradiction et complmentarit entre les deux termes (ou smes) d'une catgorie smantique minimale2. Puis la discipline s'est efforce d'extrapoler et de gnraliser le carr de telle sorte qu'il soit exploitable comme modle, concept opratoire ou test projectif. Dsormais il est applicable des univers smantiques et des prati ques socioculturelles, ou une moindre chelle des notions smiotiques (actant, vrdiction, manipulation). Les modalits de cette exp rimentation tant en gros les suivantes : chercher et dgager le carr comme structure prgnante, projeter sur le carr lesdits objets, inscrire dans le carr un ensemble smantique. Ds lors que ia littrature est aussi dcomposable en objets et formes du contenu, elle est donc apprhensible en ces termes du moins selon la smiotique.

Clture Mme si elle n'est plus aujourd'hui considre comme indice ou condition sine qua non de la littrarit, elle peut encore se maintenir dans le champ de l'analyse. Mais cette fois en tant que ressource infiniment modulable et concept plus large incluant l'ouverture (cette clture inverse) et le degr zro. Comme la littrature moderne en1. Voir ce terme. 2. Ex. riche s'oppose son contraire pauvre et son contradictoire non riche ; pauvre et non riche tant par ailleurs impliqus rciproquement. Il suffit de partir de pauvre pour engendrer ses termes (contraire, contradictoire et impliqu). D'o la fameuse figure riche pauvre

4-