3. sallinger et roberto zucco de bernard-marie koltès
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MASARYKOVA UNIVERZITA V BRNĚFILOZOFICKÁ FAKULTA
Ústav románských jazyků a literatur
Bernard-Marie Koltès :
Sallinger et Roberto Zucco
Bakalářská diplomová práce
Vypracovala : Adéla Nesrstová
UČO : 217479
Vedoucí práce : prof. PhDr. Petr Kyloušek, CSc.
Brno duben 2010
Prohlašuji, že jsem tuto práci vypracovala samostatně s použitím informačních zdrojů
uvedených v přiloženém seznamu.
1
Děkuji panu prof. PhDr. Petru Kylouškovi, CSc. za velmi užitečnou metodickou
pomoc, kterou mi poskytl při zpracování mé bakalářské práce.
2
1. INTRODUCTION.......................................................................................................4
2. LE TEXTE DRAMATIQUE ET SON STATUT DANS LA LITTÉRATURE.....5
3. SALLINGER ET ROBERTO ZUCCO DE BERNARD-MARIE KOLTÈS............7
3.1. Sallinger...............................................................................................................8
3.2. Roberto Zucco......................................................................................................9
4. LES THÈMES COMMUNS DES PIÈCES SALLINGER ET ROBERTO ZUCCO.........................................................................................................................................11
4.1. La famille...........................................................................................................11
4.2. La cellule familiale............................................................................................11
4.3. Le père...............................................................................................................13
4.4. Le faux héroïsme..............................................................................................13
4.5. La mort..............................................................................................................15
4.6. Le mur, un obstacle principal.........................................................................16
4.7. Cabine téléphonique.........................................................................................17
5. DE TEXTE MODÈLE JUSQU’À LA PIÈCE DE THÉÂTRE.............................18
5. 1. La dramatisation et l’adaptation...................................................................18
5.2. La question narrative et le travail avec le texte modèle................................19
5.3. Les caractères...................................................................................................22
5.3.1. Leslie et Holden.............................................................................................22
5.3.2. Le Rouquin.....................................................................................................23
5.4. l’espace..............................................................................................................25
6. LE MEURTRIER COMME PERSONNAGE PRINCIPAL.................................26
7. LA LANGUE CHEZ BERNARD-MARIE KOLTÈS............................................29
7.1. La fonction de la langue chez Koltès..............................................................29
7.2. Le monologue....................................................................................................30
7.3. La langue étrangère dans Sallinger et Roberto Zucco...................................35
8. CONCLUSION..........................................................................................................37
9.BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................................41
3
1. Introduction
Bernard-Marie Koltès, dramaturge français, est aujourd’hui considéré comme un des
plus grands dramaturges de l’Hexagone du XXe siècle. D’une certaine manière il fait
renaître la littérature dramatique. En fait, il apparaît à une époque où l’improvisation et
le théâtre collectif prédominent sur les scènes et les intérêts des créateurs. Les textes de
théâtre ne sont plus aussi importants que l’action et le personnage de metteur en scène,
qui réunit le tout.
Malgré cela, Bernard-Marie Koltès écrit des textes achevés au niveau de la langue, de
la structure et de la thématique.
Même s’il a écrit son œuvre sur une période de dix ans, son travail est vraiment
remarquable.
Notre attention s’est concentrée sur deux pièces de théâtre de cet auteur. D’abord il
s’agit de Sallinger (1977), l’une des premières pièces de théâtre de Koltès dont le thème
est basé sur le roman L’Attrape-cœur de J.D. Salinger. La seconde pièce de théâtre
choisie s’appelle Roberto Zucco (1988) et elle est créée à partir d’une histoire vraie,
celle d’un meurtrier. Nous allons laisser de côté les autres pièces de théâtre de Koltès
bien qu’elles soient plus connues, parce qu’elle ont été déjà traitée plusieurs fois et
parce que la pièce de théâtre Sallinger est un peu négligée. Bien plus, ce n’est pas par
hasard que nous avons choisi ces deux textes. Il est intéressant d’observer les parallèles
entre la première et la dernière pièce du même auteur. Il est possible d’y remarquer un
développement progressif de l’écrivain mais en même temps il est évident que certaines
traits certains élementsse répètent dans ces œuvres et la manière, selon laquelle ces
éléments se répètent, est souvent très intéressante.
Vu qu’il s’agit d’œuvres liées aux références différentes, elles seront d’abord
analysées au niveau d’une thématique commune. Puis, sur la base des citations, nous
allons traiter la méthode de la dramatisation et de l’adaptation que Bernard-Marie
Koltès a choisies pour créer son propre texte. Ensuite nous allons considérer le thème du
meurtrier dans la pièce de théâtre. De plus, le développement de ce thème peut être pris
pour une façon de l’adaptation et en même temps nous allons comparer les liens entre le
film Roberto Succo et la pièce Roberto Zucco. Enfin, nous essaierons d’analyser la
4
langue et de traiter la fonction des monologues différentes et de la langue étrangère dans
ces deux textes de théâtre.
J’ai trouvé comme point de départ de ce travail le livre Alternatives théâtrales qui
regroupe un ensemble d’articles qui traitent de différents points de vue les textes de
Koltès. Puis, je me suis servi du travail de Daniela Jobert Znovuzrození dramatika, život
a tvorba Bernard-Marie Koltèse qui analyse l’œuvre entière de Koltès. Quant à la
problématique de la dramatisation, j’ai travaillé avec l’œuvre d‘Iva Šulajová. Enfin,
pour traiter du monologue, j’ai utilisé le livre de Miroslav Procházka. La bibliographie
complète se trouve à la fin de ce travail.
2. Le texte dramatique et son statut dans la littérature
Qu’est-ce qu’un texte dramatique? Est-ce un texte destiné à être lu ou uniquement à être
montré sur scène? Cette question a été posée plusieurs fois et les réponses varient.
D’après Jan Veltruský, le texte dramatique est une œuvre souveraine qui fait partie de la
littérature. Il s’agit d’un genre littéraire. 1
Mais l’accès au texte dramatique diffère selon les époques. A l’époque du
romantisme, le texte était très important mais souvent injouable sur scène, par contre à
l’époque des avant-gardes (la première réforme du théâtre par rapport à l’accès au texte
dramatique) le texte était pris surtout comme un appui pour le spectacle. Parallèlement,
lors de la deuxième réforme du drame, donc du concept qui est lié aux personnages de
Peter Brook, Jerzy Grotowski ou Living Theatre, l’importance du texte a été refusée.
C’était après la deuxième guerre mondiale et surtout dans les années 1950 et 1960. Il ne
faut pas oublier les désordres de 1968 qui ont provoqué une grande polémique sur
l’avenir du théâtre et de l’art en général.2 La nouvelle génération se met à contre-courant
de l’art existant. D’une part, les artistes se penchent vers le théâtre collectif et vers
l’improvisation des acteurs. D’autre part, l’attention se porte plutôt vers les personnages 1 CÍSAŘ, Jan, Základy dramaturgie II., Dramatická postava, Divadelní fakulta akademie muzických
umění v Praze, 2002, p7.
2 JOBERT, Daniela, Znovuzrození dramatika, život a tvorba Bernard-Marie Koltèse ( publié dans
Bernard-Marie Koltès, Hry), Praha, Divadelní ústav, 2006, p. 243-244.
5
des metteurs en scène, qui sont des individualités fortes, que vers les auteurs des textes
de théâtre.
Bernard-Marie Koltès a écrit sa première pièce de théâtre en 1970 ( Les
Amertumes), donc durant la période où le texte dramatique n’est pas apprécié comme
quelque chose de nécessaire pour jouer le théâtre. Et c’est aussi pourquoi d’un côté il est
original et de l’autre côté il rend au texte de théâtre son statut important de création
théâtrale.
La situation a changé vers les années 1980, sous la présidence de François
Mitterrand, alors que le ministre de la culture était Jack Lang. Sous l’initiative de J.
Lang, Michel Vinaver, un dramaturge français, a écrit une analyse de la situation de la
dramaturgie qui s’appelle Le Compte-rendu d’Avignon.3 Il y montre la décadence de
l’art dramatique et il propose des solutions pour améliorer la situation. Il s’agit donc
d’un appel aux écrivains de pièces de théâtre. Par conséquent, le prestige des auteurs de
textes dramatiques a augmenté.
Le texte dramatique se distingue des autres genres d’abord par sa forme. Il est possible
de s’imaginer les dialogues, les monologues et les didascalies, mais la manière par
laquelle le lecteur peut comprendre le sujet dépend toujours des personnages. Ce sont
eux qui construisent l’action, ce sont eux qui agissent et qui permettent de connaître la
problématique. Mais si le texte dramatique est pris pour une œuvre littéraire, il est
nécessaire de parler aussi du narrateur. C’est bien sûr l’auteur mais dans le texte
dramatique, l’auteur est toujours plus caché que dans les autres genres littéraires. Il ne
peut que s’exprimer à travers un personnage ou à travers le narrateur de l’action, mais il
ne peut jamais s’exprimer directement.
D’ailleurs, il est possible de constater que le texte dramatique, par sa structure
permet une lecture assez rapide ou facile, parce qu’il contient moins de texte et moins
de descriptions que le roman ou la nouvelle. La majorité du texte est prononcée par les
personnages. Et c’est le cas de l’écriture de Bernard-Marie Koltès. Les personnages sont
essentiels dans son théâtre et c’est surtout la langue et les paroles qui éclairent le sujet
de la pièce de théâtre même si ce n’est pas toujours évident au premier abord.
3 JOBERT, Daniela, Znovuzrození dramatika, život a tvorba Bernard-Marie Koltèse ( publié dans
Bernard-Marie Koltès, Hry), Praha, Divadelní ústav, 2006.
6
La qualité d’être « dramatique », d’après Jan Císař s’élabore au moment où les
personnages font face à une situation insoluble qui est insupportable pour eux et qu’ils
sont poussés à résoudre par leur action.4 La parole est un des moyens par lequel les
personnages peuvent résoudre les conflits.
Le personnage est fait selon certains codes et il s’exprime aussi à travers eux.
Ces codes sont familiers à la société car il s’agit d’une mimésis donc d’une
représentation de la réalité.
3. Sallinger et Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès
Sallinger et Roberto Zucco sont deux pièces de théâtre liées par certains thèmes
communs et même la structure est ressemblante. Mais il est nécessaire de rappeler que,
chez Koltès, il ne s’agit pas d’une organisation en actes ou en scènes qui se suivent,
organisation à laquelle on est habitué. Bien plus, il est impossible de parler des trois
unités dans son œuvre. Sallinger et Roberto Zucco sont mis en tableaux séparés qui
semblent être d’une certaine manière autonomes. Dans Sallinger, les tableaux ne sont
indiqués que par les nombres, mais dans Roberto Zucco, ils portent même des titres.
Ces deux pièces se penchent plutôt vers une structure moderne donc plus
ouverte.
Les personnages dans les pièces de Koltès ne sont pas des caractères mais plutôt
des « sujets »5. Ce qui importe, c’est leur langue. Au moment où la tendance du théâtre
était plus ou moins d’omettre le sens des mots prononcés, Koltès met le sens de toute la
pièce dans les paroles des personnages. Ils parlent beaucoup et incessamment. C’est un
plaisir de parler, de raconter leur histoire, mais aussi de se confesser. Ils sont obligés de
dire leur problème, sinon, ils ne le supportent plus. Ils veulent changer leur situation et
ils cherchent la solution chez les autres. Malheureusement, ils ne la trouvent pas.
« Si les personnages koltèsiens parlent tant, en effet, ce n’est pas parce qu’ils
sont bavards, mais parce qu’ils tentent, en vain, de se fabriquer dans le langage une
4 CÍSAŘ, Jan, Základy dramaturgie II., Dramatická postava, Divadelní fakulta akademie muzických
umění v Praze, 2002.5 GAUTHIER, Roger- François, Théâtre ajourd’hui, Koltès, combat avec la scène, num.5, Coférence de
presse, Festival d’Avignon, 10juillet 1986, p. 34.
7
identité consciente, de masquer leur agitation, leur incertitude intérieure (...) »6. Ce n’est
pas par hasard, que les personnages mentent, comme Zucco quand il raconte qu’il est
étudiant à la Sorbonne. De cette manière, Zucco se cache derrière des paroles.
3.1. Sallinger
Sallinger (1977) est une pièce de théâtre qui traite de plusieurs thèmes et dont
l’interprétation peut varier.
Il faut dire que B. M. Koltès a été inspiré par le personnage de J.B. Salinger,
écrivain américain qui s’est fait connaître par son livre L’Attrape-cœur. Plusieurs
allusions à cet écrivain figureent dans la pièce. Il est intéressant de voir que Koltès a
changé le nom de l’écrivain en ajoutant un « l » pour le titre de la pièce. Or dans la
pièce il n’y a aucun personnage qui s’appelle Sallinger.
Par contre le roman de Salinger peut être considéré en quelque sorte comme une
autobiographie, dont le personnage principal et le narrateur en même temps qui
s’appelle Holden est Salinger lui-même. Dans la pièce de Koltès, c’est le caractère de
Leslie qui est le plus proche de celui de L’Attrape-cœur.
Puis, le thème principal de la pièce est le suicide. Il y a deux personnages qui se
suicident : Le Rouquin, qui est mort avant le commencement de la pièce et Henry, qui
est plus ou moins poussé au suicide par les paroles de Leslie. Leslie (le frère du
Rouquin) lui donne l’impression qu’il est laid et qu’il manque de séduction. En plus la
réquisition militaire inquiète Henry et Leslie lui pose la question de sa capacité à tuer
quelqu’un.
Il y a la question du motif qui pousse Henry au suicide.
C’est surtout l’impossibilité de vivre dans le monde extérieur. C’est la société
qui pousse au suicide. C’est aussi l’insatisfaction permanente, mais aussi la guerre et le
service militaire qui font souffrir les gens. Quant à la puissance de tuer quelqu’un,
Henry n’est capable de ne tuer que lui-même.
Seul le Rouquin était capable de partir de ce monde pour avoir la paix. Il a quitté
les gens qui l’embêtent et la famille qui l’a opprimé. Ce personnage est assez curieux. Il
6 GAUTHIER, Roger- François, Théâtre ajourd’hui, Koltès, combat avec la scène, num.5, Coférence de
presse, Festival d’Avignon, 10juillet 1986, p. 34.
8
est mort mais il apparaît quand même sur scène et c’est lui qui constitue le moteur de la
pièce car à cause de sa mort toute la famille souffre et cherche les solutions pour le
rejoindre ou pour surmonter la douleur.
Par ailleurs, comme on peut le lire, tout le monde appréciait, chacun adorait le
Rouquin. Cependant il en était fâché. C’est un personnage étrange mais il n’est pas un
héros. Sa manière de traiter les autres est impolie et vulgaire. Il déteste les gens et
surtout les femmes.
Le frère et la sœur du Rouquin désirent aussi fuir mais ils ne sont pas assez forts,
d’autant plus qu’Anne est une femme et elle n’a pas le droit de quitter la cellule
familiale comme elle le veut. C’est pourquoi elle a créé un ami imaginaire et elle croit
qu’il l’emportera une fois dans un autre monde.
La pièce se déroule à New York après la guerre du Viêt-nam. La guerre fait
souffrir à tout le monde mais elle produit surtout une certaine perversion. Elle influence
le comportement des gens. Leslie cherche l’endroit idéal (la scène avec le taxi) mais il
rentre toujours à New York, donc il ne peut pas quitter cet endroit qui lui fait mal.
3.2. Roberto Zucco
C’est une pièce de théâtre qui raconte l’histoire d’un meurtrier. Roberto Succo était un
assassin en Italie qui a tué sa mère, son père et même d’autres personnes, donc il s’agit
d’un thème délicat. Ce qui est scandaleux, c’est le fait que Koltès ne nous montre pas un
assassin d’une manière tout à fait négative. D’autant plus qu’il donne l’impression qu’il
sympathise avec Zucco. Il ne le condamne pas. Sans le défendre toutefois. La façon
dont il a créé le personnage de Roberto Zucco est d’une part objective et basée sur la
personne réelle. D’autre part il prononce à travers les paroles de Zucco ses propres
pensées.
L’histoire commence par la fuite de Roberto Zucco de la prison. Sur son chemin
il rencontre certaines personnes et parfois il les tue. Il est possible de dire qu’il se
cherche lui-même à travers les conversations, il ment et il est vulnérable. C’est un
personnage faible qui ne sait se défendre que par l’assassinat.
Ensuite, il rencontre une gamine qui veut fuir sa famille. Mais elle est surveillée
par son frère et sa sœur aînés. Quand elle rencontre Zucco, elle commence une relation
9
intime avec lui et perd son pucelage. Et c’est le moment où son frère arrête de la
surveiller et, de plus, il en profite pour la vendre comme prostituée.
Koltès met en parallèle de l’histoire de la gamine la légende de Dalila qui trahit
Samson. C’est parce qu’elle prononce le nom de Zucco à la police même si elle a
promis de ne pas le faire. Et pourtant il semble qu’elle ne comprend pas ce qu’elle a fait
car elle cherche Zucco partout. Faute d’avoir trouvé Zucco, elle arrive dans un quartier
sinistre, elle s’adapte et elle y reste.
Puis dans le métro, Zucco rencontre un vieil homme, il lui raconte qu’il est
étudiant à la Sorbonne et que la meilleure possibilité de vivre tranquillement est d’être
transparent. Il dit qu’il n’est pas un héros car il n’est pas un criminel. Cela donne
l’impression qu’il s’imagine ne pas être le meurtrier ou qu’il ne comprend pas ce qu’il a
fait.
Finalement, Zucco est arrêté par la police grâce à la gamine. Dans la dernière
scène, Zucco se retrouve sur le toit de la prison comme au début de la pièce. Il regarde
le soleil. Il est éclairé. Des voix anonymes commentent ce qu’il fait et ce qu’il a fait.
Zucco veut s’échapper mais il sait que : «(...) au- delà des murs, il y a d’autres murs, il
y a toujours la prison. Il faut s’échapper par les toits, vers le soleil. (...) »7.
Néanmoins, le personnage de Roberto Succo n’était pas la seule source d’inspiration
pour Koltès. Il est évident qu’il fait allusion aussi à Hamlet de Shakespeare. La
première scène de deux policiers correspond à celle des gardes sur la muraille dans
Hamlet. Celle où l’esprit du roi Hamlet est apparu. Au lieu de l’esprit, Zucco se montre
sur le toit.
En parallèle, il y a une scène qui s’appelle « Ophélie ». Il s’agit du moment où la
sœur de la gamine la cherche et où elle dit qu’elle déteste les hommes, qu’ils ne font
que du mal aux femmes. Il est possible de dire qu’elle est devenue folle comme
Ophélie, qu’elle est obsédée par l’idée de sauver sa sœur.
7 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990,p.92.
10
4. Les thèmes communs des pièces Sallinger et Roberto Zucco
4.1. La famille
Le thème de la famille figure dans plusieurs pièces de théâtre de Koltès. Comme
Sallinger est l’un de ses premiers textes de théâtre, le thème y est présent fortement et il
semble affaibli dans les autres pièces écrites après Sallinger. Cependant dans Roberto
Zucco, Koltès revient sur ce thème-là.
En ce qui concerne les inspirations, c’est d’abord la famille de Koltès qui l’a
influencé. Il est né dans une famille bourgeoise, son père était un vétéran qui avait
participé à la guerre d’Indochine et ensuite à la guerre d’Algérie. Sa mère s’occupait de
la maison.8 Évidement l’importance de la famille était tellement marquante dans la vie
de Koltès qu’il y revient souvent.
4.2. La cellule familiale
Dans Sallinger, le Rouquin a fuit la famille parce qu’il en avait marre. Il n’avait pas
besoin d’elle. En fait il semble que toute la société représentée par son milieu familial
l’embêtait. Il détestait tout le monde. C’est l’image d’une grande haine qu’il est difficile
de comprendre pour la famille car elle adorait son Rouquin.
Mais il est possible de le comprendre autrement : « On comprend alors que le Rouquin
s’est tué à son retour de la guerre de Corée tandis que l’imminence de la conscription
porte à l’incandescence le malaise des jeunes gens .»9 Cela veut dire que le Rouquin
s’est tué pour manifester le désespoir causé par la guerre.
En revanche, Roberto Zucco fait peur à sa famille. C’est un meurtrier, donc il est
dangereux, d’autant plus qu’il a tué son père. Zucco fuit alors la famille par le meurtre.
C’est une résolution irrévocable.
8 JOBERT, Daniela, Znovuzrození dramatika, život a tvorba Bernard-Marie Koltèse ( publié dans
Bernard-Marie Koltès, Hry), Praha, Divadelní ústav, 2006
9 GAUTHIER, Roger- François, Théâtre ajourd’hui, Koltès, combat avec la scène, num.5, Coférence de
presse, Festival d’Avignon, 10juillet 1986, p. 15.
11
Dans les deux cas la famille est le signe d’une cellule impénétrable. Il est
presque impossible de quitter la famille, c’est un lien très fort. Leslie cherche la façon
d’en sortir et la seule solution qu’il trouve est d’aller à la guerre. Par conséquent, Anne
devient folle parce qu’elle est une femme, elle n’a pas beaucoup de possibilités d’action
car comme elle le dit : « Les femmes rêvent de fuir et les hommes le font. »10
Anne rêve d’un amant qui l’emmènerait ailleurs. Il est possible d’y voir une
certaine schizophrénie parce qu’elle parle à son amant quand elle est seule. La gamine,
son analogue, a trouvé la solution de dépasser la cellule familiale par l’acte sexuel.
Par contre, Roberto trouve la fuite dans la mort. Le meurtre est sa solution. Il ne quitte
pas les personnes, il les tue. Leslie «(...) se trouve confronté à des contradictions
analogiques à celles de Zucco. Il partage avec lui le besoin vital d’exister hors des liens
familiaux dans lesquelles ils asphyxient. »11
« Cependant ils se montrent incapables d’assumer une rupture, comme s’il n’y
avait aucun moyen terme entre l’abdication et le catastrophique passage à l’acte de
Zucco. »12 Mais la mort est-elle la seule possibilité de fuir, si le Rouquin revient et si la
famille ne le laisse pas tranquille ? Évidement pas dans le cas de Sallinger, mais peut-
être oui dans le cas de Roberto Zucco.
En définitive, la raison pour laquelle les personnes veulent tellement s’échapper,
c’est parce qu’elles détestent leur milieu, qu’elles n’aiment pas leur famille et leurs
conditions de vie. Elles cherchent un endroit où les choses sont différentes, où tout est
mieux, mais cette destination n’existe pas. Leslie insiste auprès du chauffeur de taxi
pour qu’il l’emmène quelque part, peu importe où. Mais le chauffeur le ramène chez
lui. Autrement dit, Leslie revient toujours au même endroit.
Roberto veut s’échapper mais il voit bien que par le crime il ne change rien donc il se
tue en espérant trouver le paradis. Tous les désirs se tournent vers le paradis perdu et
vers la recherche de l’idéal.
10 KOLTÈS Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 88.11 GAUTHIER, Roger- François, Théâtre ajourd’hui, Koltès, combat avec la scène, num.5, Coférence de presse, Festival d’Avignon, 10juillet 1986 , p. 36.12 ibidem.
12
4.3. Le père
« Le père humilié est un motif récurrent du théâtre de Koltès : Al l’alcoolique (...) »13
Dans Sallinger le père Al se prend pour un artiste mais il est plutôt un soldat et surtout
alcoolique. Il a fait la guerre au Viêt-nam et en Corée. C’est un Américain qui est
désespéré, qui perd ses illusions sur l’Amérique et même sur l’art. Il présente ses
opinions dans son monologue au VIe tableau. Il est confus à cause de l’alcool. Enfin, il
ne sait presque pas comment prendre le deuil alors c’est la mère Ma qui pleure pour le
Rouquin.
Dans son monologue il se confesse et il mélange toute sa vie : l’armée,
l’Amérique, les enfants et la famille. Pourtant il semble qu’il est un peu éloigné de la
famille.
En ce qui concerne Roberto Zucco, le père est tué par le fils. Il est alors pris pour
quelqu’un de non-aimé. En revanche il est aussi une victime. Ce qui est commun, c’est
un certain détachement du père. Il est en quelque sorte hors de la famille. Al ne parle
jamais directement du Rouquin, de son fils mort. Il sait qu’il faut tenir le deuil, mais il
semble qu’il n’en soit pas capable. Il est possible que la guerre l’ait rendu impitoyable.
Dans Roberto Zucco, il semble que Koltès a surmonté le problème avec son père
par la mort, il le supprime de la pièce et même de la famille. Il est possible de parler de
problème d’Œdipe chez Koltès.
Le conflit avec le père permet à Koltès de faire un lien avec la puberté des
garçons et leur passage à la virilité. Les fils ont un mauvais exemple dans un père
déchu. Alors la mère prend l’initiative. C’est elle, qui domine dans la famille. Elle
reprend d’une certaine manière les attributs de la virilité.
4.4. Le faux héroïsme
« Les héros de Koltès sont des monstres. (...) L’homme verse dans l’animalité, ou voit
au moins, égratignée, suspendue, sa propre nature humaine. » 14 écrit Jean-Marc Lanteri. 13 , GAUTHIER, Roger- François, Théâtre ajourd’hui, Koltès, combat avec la scène, num.5, Coférence de presse, Festival d’Avignon, 10juillet 1986, p. 36.14 LANTERI Jean- Marc, L’oiseau et le labyrinthe, Alternatives théâtrales, Odéon- Théâtre de l’Europe,
Koltès, 3e édition, février 1994, p. 42.
13
Quel est donc le héros chez Koltès ? Il est presque impossible de sympathiser avec le
personnage de Zucco ou bien du Rouquin. Ce ne sont pas des personnages positifs.
Zucco est un meurtrier froid et le Rouquin est un génie arrogant qui ne s’intéresse pas
aux autres.
Ces héros ne sont pas admirables pour leurs actes (l’assassinat et le suicide). Ils sont par
ailleurs agressifs et ils traitent mal les gens de leur milieu.
Cependant, le Rouquin, a d’abord été le seul capable de réagir dans la situation
insupportable de la guerre même s’il a été obligé de se suicider. Son acte a été en
quelque sorte édifiant pour Henry et puis pour Leslie. Ensuite, son héroïsme était un
phénomène construit par sa famille qui l’admirait et l’adorait. Ils ont été capables de ne
voir que les qualités positives du Rouquin. Il revient pour rappeler son caractère
horrible, son arrogance et son égoïsme. En fait, il réapparaît pour exprimer aussi la
vérité en quelque sorte. Son héroïsme est plutôt dans la capacité de changer les choses.
Le reste de la famille ne bouge pas, ils restent à la maison en pleurant le départ du
Rouquin. Leslie et Anne veulent faire aussi quelque chose de brave mais ils errent et ne
font rien. Finalement, c’est le Rouquin qui force Leslie au Xe tableau à«enfiler
l’uniforme militaire »15 Il est possible d’y voir la volonté du Rouquin de pousser Leslie
à faire la même chose que lui et de lui montrer la misère de la guerre. La même misère
que le Rouquin éprouvait à la guerre. Il est intéressant qu’il sorte le pistolet pour que
Leslie fasse ce qu’il veut. Zucco sort son arme toujours quand il exige quelque chose.
Quant à la pièce Sallinger, il est possible de dire que l’un des thèmes est la recherche de
l’héroïsme, mais de celui qui satisfait les personnages-mêmes, pas les lecteurs.
En revanche, Zucco dénie l’héroïsme. Comme il dit : « Je ne suis pas un héros.
Les héros sont des criminels. Il n’y a pas de héros dont les habits ne soient trempés de
sang, (...) »16. Et pourtant, il a des habits trempés par le sang. S’agit-il donc d’un acte où
il essaie de se défendre ? Il est impossible d’effacer ses crimes. Prend-il alors ses crimes
pour quelque chose de différent ou les oublie-t-il ?
Simultanément, il refuse justement d’être un héros. Il ne veut que vivre comme
les autres mais par ses actes, il ne le peut jamais. C’est comme une recherche à rebours
de celle de Leslie et Anna dans Sallinger.
15 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p.99.
16 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990, p. 37.
14
Il semble que Koltès se démet dans sa dernière pièce de théâtre quant à la recherche
d’une preuve héroïque. Zucco ne désire pas d’être un héros.
Pourtant, Peter Stein trouve que la fonction de Zucco est un rétablissement du
vieux rêve de devenir héros. « Mais même sans morale comme tous les héros, il a
besoin d’une apothéose : c’est la fin de la pièce. »17
Et il est vrai qu’à la fin de pièce, le rapport au soleil de Zucco le rend sacré en quelque
sorte.
Néanmoins, ce n’est pas par hasard que les héros chez Koltès ne soient pas de vrais
héros.
En ce qui concerne le théâtre de la deuxième moitié du XXe siècle, les caractères
ne sont plus ceux qu’il faut admirer. Ils ne sont ni positifs ni négatifs. Le théâtre absurde
montre des personnages qui ne sont pas du tout positifs et ils présentent plutôt un signe,
une capacité ou un type. Plus tard, le théâtre disons postmoderne efface presque les
identités des personnages, comme par exemple chez Nathalie Sarraute ou Peter Handke.
Pour eux, les personnages sont privés de leur rôle de faire des prouesses, de plus ils
perdent même leur valeur concrète. Ils sont plus ou moins abstraits. Et pourtant, le
Rouquin et Zucco sont très concrets. Mais les autres personnages portent des attributs
parfois généraux, surtout dans le cas de Roberto Zucco.
4.5. La mort
Dans les pièces que nous avons choisies, la mort est l’un des enjeux principaux. Le
Rouquin se suicide, donc c’est une mort volontaire et aussi un moyen de fuir et de sortir
de la misère pour toujours. La mort est toujours présente car le Rouquin revient. Il est
possédé par une tentation obscure de la mort. De plus son suicide n’est pas tout à fait
clair. En même temps il tente Leslie de partir aussi. Même sa femme Carole est
fascinée, mais elle est faible, d’autant plus qu’elle est une femme et dans le monde
koltèsien, elle n’a pas le droit de fuir.
17 GAUTHIER, Roger- François, Théâtre ajourd’hui, Koltès, combat avec la scène, num.5, Coférence de
presse, Festival d’Avignon, 10juillet 1986, p. 136.
15
Ensuite, la mort pour Zucco, ce n’est pas un obstacle. C’est une activité qu’il fait
machinalement. Il tue les gens, pas pour les sauver, mais pour se sauver, car il a peur.
Même s’il est dangereux, il craint la mort énormément. Il a aussi peur d’être tué. Et
pourtant il se suicide à la fin ! Il saute du toit. Pourquoi ? A-t-il eu des remords ?
Certainement pas. Mais pour fuir la situation, il n’y a pas d’autre possibilité.
Cependant, Jean-Marc Lanteri trouve que Zucco est mort comme être humain dès le
début de la pièce, mais qu’il est vraiment mort à la fin.18
En définitive, pour les deux pièces, la mort est un moyen de délivrence.
4.6. Le mur, un obstacle principal
Dans la grande majorité des textes de théâtre de Koltès, il y a un mur qui est un grand
obstacle impénétrable. Mais les personnages, surtout les jeunes qui désirent le
changement, veulent le dépasser. Derrière ce mur, il y a peut-être le paradis. Le mur est
aussi le symbole des conventions sociales ou des conventions familiales. Dans
Sallinger, c’est le barrage entre la vie et la mort (entre l’intérieur du mausolée et
l’extérieur). C’est un mur, qu’il faut dépasser. Mais, il y a aussi le mur du mausolée qui
reste énigmatique et impénétrable. Ce n’est que Leslie qui y entre et cela peut être un
présage à son enrôlement.
Zucco se trouve devant le mur de la prison qui est en même temps l’obstacle qui
l’empêche d’échapper à la vie. Dépasser les murs de la prison, cela veut dire surmonter
la situation douloureuse et y mettre fin.
Par contre ce mur symbolise aussi une barrière de communication entre les
personnages. Il n’est jamais nécessaire de construire un mur sur scène en montant les
pièces de Koltès. C’est un objet abstrait et il est impossible de vraiment le voir.
Cependant le mur définit en quelque sorte l’espace. Il est toujours présent, mais il est
invisible.
4.7. Cabine téléphonique
18 LANTERI, Jean-Marc, L’Oiseau et le labyrinthe, Alternatives théâtrales, Odéon-Théâtre de l’Europe,
Koltès, 3e édition, février 1994, p.45.
16
Ce motif, la cabine téléphonique, se répète dans les deux textes. Zucco et le Rouquin
l’utilisent pour parler avec les autres. Il semble que, pour eux deux, il n’est pas facile de
communiquer avec les autres personnages. Ils sont très éloignés du monde ordinaire.
D’un côté c’est un appareil public donc n’importe qui peut écouter de quoi l’on parle.
Mais de l’autre côté cela représente aussi une certaine distance avec la personne avec
qui l’on parle. Le Rouquin parle par téléphone avec sa femme Carole. Cela donne
l’illusion d’un appareil qui permet de parler avec les morts. Et pourtant les personnages
ne se relient pas vraiment, car Carole s’endort, elle ne l’écoute plus. Elle est résignée et
elle désire recommencer à vivre et passer à d’autres choses. C’est un acte de séparation
du Rouquin. Cela le rend nerveux, car il n’est plus au centre, il n’est plus celui qui est
admiré.
D’une manière semblable, Zucco parle au téléphone. Mais personne ne répond.
Les autres personnages (une prostituée, un balèze) le regardent et constatent que
l’appareil ne marche pas.
Il est possible alors de voir cet appareil, le téléphone, comme le symbole de
l’impossibilité de communiquer avec les autres. C’est un paradoxe. Téléphoner à
quelqu’un, c’est rechercher quelqu’un qui écoute. Mais évidement dans ce cas-là, il est
impossible de le trouver.
Le Rouquin désire être écouté, même s’il s’est échappé du monde, mais Zucco
désire partir ou devenir transparent, car il est encore vivant. Ces deux personnages sont
habités par le motif du désir de la fuite. Mais si Zucco était déjà mort, voudrait-il être
aussi écouté par les autres ? Peut-être que oui, car même le Rouquin était admiré quand
il était vivant et Zucco est aussi au centre de l’attention des gens. De ce fait, ils ont
paradoxalement toujours besoin d’une liaison avec la société.
5. De texte modèle jusqu’à la pièce de théâtre
5. 1. La dramatisation et l’adaptation
17
Avant d’observer la pièce de théâtre Sallinger, il est d’abord nécessaire de préciser
deux termes : la dramatisation et l’adaptation.
Au sujet de la dramatisation, il est possible de parler du « métatexte »19autrement
dit, d’une création basée sur un autre texte (le texte original). Il est possible de l’inclure
dans la littérature mais également dans le théâtre. Ensuite c’est un processus de
transformation du texte d’un genre dans un texte de genre différent. Ce texte modifié
est destiné à être représenté sur scène. Il est plus fonctionnel et il exige une certaine
réduction et une concision par rapport au sujet. Puis, ce qui est le plus important c’est
la valeur dramatique du texte. Une dramatisation mal faite, d’après Pavel Kohout, ce
sont des dialogues recopiés et « des ponts des situations »20qui relient justement les
situations choisies dans l’œuvre original. Il est donc important pour la dramatisation de
savoir élaborer des situations dramatiques et de savoir construire le texte de théâtre.
C’est aussi pourquoi Pavel Kohout dit que celui qui fait de la dramatisation doit être en
même temps un bon dramaturge. 21
Au moment où il a écrit Sallinger, Bernard-Marie Koltès était un dramaturge
débutant. De plus, il n’a pas recopié L’Attrape-cœur, il a juste travaillé avec certains
motifs et certaines situations de cette oeuvre.
Passons maintenant au terme d’adaptation qui est d’un côté lié avec celui de
dramatisation et d’un autre côté un travail différent avec le texte original. L’adaptation
était d’abord connue dans le contexte du cinéma. Il est possible de la caractériser
comme une certaine assimilation d’une œuvre à d’autres conditions. C’est-à-dire à un
autre but artistique.22 En tout cas, il s’agit d’une intervention plus vaste dans l’œuvre
originale. En d’autres termes, c’est souvent la transcription de l’idée et de la thématique
du texte. Le résultat est un texte qui est fonctionnel. Cette notion est égale à la notion
fonctionnelle de la dramatisation. Mais d’après Iva Šulajová, l’adaptation porte encore
plus cette valeur.
Si le texte de Bernard-Marie Koltès est une adaptation, il ne garde pourtant pas tout à
fait cette caractéristique. D’abord les textes de Koltès sont des œuvres littéraires
19 ŠULAJOVÁ, Iva, Příspěvky k teoretické problematice dramatizací, Sborník prací filozofické fakulty
Brněnské univerzity, 2004, p. 161.
20 ŠULAJOVÁ, Iva, Příspěvky k teoretické problematice dramatizací, Sborník prací filozofické fakulty Brněnské univerzity, 2004, p. 169-170.21 ibidem.22 ibidem, p. 163.
18
souveraines. La méthode de l’adaptation se caractérise par les emprunts des thèmes et
des motifs des textes originaux. Koltès les adapte pour son œuvre et grâce à la valeur
sommaire du texte, il confirme la qualité fonctionnelle.
En définitive, il est difficile de dire si Sallinger est la dramatisation ou
l’adaptation de l’Attrape-coeur ou si aucun de ces termes ne convient au caractère de
cette pièce.
Nous allons essayer de définir cette œuvre par certains éléments dans la structure
comme les dialogues et les monologues, puis par la conception des caractères, de
l’espace et du temps.
5.2. La question narrative et le travail avec le texte modèle
Le roman L’Attrape-cœur est écrit comme la narration de l’histoire d’un garçon qui
s’appelle Holden. Le narrateur et le personnage principal se confondent, donc il est
possible de parler de narrateur extradiégetique et homodiégetique.23 Autrement dit, le
narrateur parle à la première personne. Ainsi, l’œuvre donne l’impression d’un journal.
Mais il est aussi possible de dire qu’il s’agit d’un grand monologue du personnage de
Holden. Car Salinger ne nous présente pas d’autres perspectives, ni les points de vue
des autres personnes. Holden commente les situations qu’il a vécues et l’importance
qu’elles ont pour lui, mais parfois ce ne sont que des associations. En effet, il s’agit
parfois d’histoires peu intéressantes, basées sur des dialogues banals. En revanche, ce
qui rend cette œuvre intéressante c’est cet air ennuyant et l’impression de passer le
temps à ne rien faire.
Prenons l’exemple de la situation de la poignée de main. Holden réveille Ackley, juste
pour demander s’il faut être catholique pour pouvoir entrer au couvent. Ackley est
d’accord mais Holden le provoque encore en disant qu’il veut entrer là où les moines
sont les pires des hommes. Ackley déteste quand on s’amuse de sa religion, donc
23 GENETTE, Gérard, Figures III, Éditions de Seuil, Paris, 1972.
19
Holden saute et lui serre la main pour montrer que cela n’était qu’une blague. En même
temps, il s’agit d’une certaine provocation permanente de la part de Holden.
« I stopped on the way, though, and picked up Ackley’s hand, and gave him a
big phony handshake. He pulled it away from me. «What’s this idea ? » he said. »24
En effet, il semble que Holden ait serré la main d’Ackley d’une manière assez
superficielle.
Par contre, dans Sallinger, Leslie demande à Henry de lui serrer la main pour se dire au
revoir comme entre amis. Mais Henry refuse en disant : «Je ne serre jamais la main des
gens. » Puis il explique : « Je trouve cela répugnant. »25
Koltès a donc transformé la poignée de main, l’action ordinaire, en quelque
chose qui semble dégoûtant. En fait, le problème est de toucher quelqu’un et de passer à
une proximité intime. Leslie en parle plus tôt à la page 26 : «toucher, être touché, toutes
ces toucheries vulgaires ». Il y explique la tentation humaine qui est d’une part naturelle
mais d’autre part répugnante. En tous cas c’est fascinant, d’après lui. Et voilà une
référence à l’idée du roman L’Attrape-cœur : «If a body catch a body comming through
the rye. »26 En d’autres termes, toucher quelqu’un peut être sauver quelqu’un.
De plus, ce motif est élargi et renforcé dans la pièce de théâtre tandis que dans le
roman, il reste secondaire.
Leslie veut d’abord serrer la main d’Henry et puis, il veut toucher sa tête :
« Je pourrais toucher ta tignasse ? Tu ne me laisses jamais toucher, hein ? Juste
l’effleurer, de la paume de la main (...) »27
Ensuite, le Rouquin dit : « Tout le monde voudrait mettre sa main sur ma tête, et
leur saloperie de main s’enfoncerait dans la cervelle. »28
Henry et le Rouquin ont peur d’être touchés car ils craignent de perdre quelque chose
d’eux- même.
En revanche, par rapport à la narration, Sallinger n’est pas raconté par un seul
personnage. Étant donné la pièce de théâtre, il s’agit d’abord d’un dialogue réalisé par
24 SALINGER, J.D., The Catcher in the Rye, Penguin books, 1958, p. 45.25 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 30- 31.
26 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 29.
27 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 39.
28 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 41.
20
les personnages et puis par le contact avec le public au moment de la représentation.
Mais dans certains monologues, il est possible d’observer un dialogue direct avec le
public. Autrement dit, les personnages s’adressent directement au lecteur ou au
spectateur. C’est le moment où la pièce montre qu’elle peut être lue et produire un effet
pareil à celui du roman, car la méthode de la narration est la même.
Prenons l’exemple de l’acte VII.
Al.- « S’il vous plaît, je demande...( Brouhaha). Écoutez- moi, je vous prie, ce que j’ai à
vous dire est extrêmement important.(...) »29
C’est une appellation directe, tellement caractéristique du roman de Salinger depuis le
début.
« If you really want to hear about it, the first thing you’ll probably want to know is
where I was born (...) »30
Cette manière de narrer est directe et en quelque sorte très intime. C’est comme un
secret que le narrateur va partager avec le lecteur. Et il est évident, que Koltès, inspiré
pas Salinger, a travaillé avec cette façon de narrer dans la pièce de théâtre Sallinger.
5.3. Les caractères
5.3.1. Leslie et Holden
Comme nous l’avons mentionné, le roman de Salinger nous présente un personnage
principal, le narrateur de l’histoire, qui s’appelle Holden. Vu que la narration est à la
29 KOLTÈS Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 69.
30 SALINGER, J.D., The Catcher in the Rye, Penguin books, 1958, p.1.
21
première personne, il est possible de s’imaginer que c’est directement l’auteur qui nous
parle, même s’il a un autre nom. Disons qu’il s’agit d’une confession en quelque sorte.
De cette manière, l’œuvre semble être intime. En comparaison avec la pièce Sallinger,
disons qu’il y a aussi une certaine intimité, mais elle est destinée à être montrée sur
scène donc à être dévoilée.
Holden est un garçon qui ne sait pas quoi faire, il n’aime rien, il se plaint de
tout ! Il n’aime pas l’école, il en est exclu et pourtant ce n’est pas grave pour lui. Il
critique les autres, leurs comportements et il cite les petits détails de la conduite et des
habitudes des autres qu’il déteste.
« Ackley! For Chrissake. Willya please cut your crumby nails over the table?
I’ve asked you fifty times. He started cutting his nails over the table, for a change. The
only way he ever did anything was if you yelled at him. »31
Puis il commence à dire à Ackley qu’il doit se brosser les dents.
Il s’agit d’activités ordinaires mais Holden en a marre, ce sont les petits détails
qui l’énervent. Cela peut être aussi parce qu’il n’a rien à faire en effet. Mais son attitude
peut aussi exprimer la haine du monde qui l’entoure. De plus, il parle de choses privées.
Et il prend l’activité de couper les ongles pour dégoûtante. Ce sentiment fait référence
aux émotions personnelles de Holden. Il veut donc produire le même sentiment chez le
lecteur mais par un autre moyen que par la description.
«You don’t like anything that’s happening. »32 dit sa petite sœur Phoebe. Elle est
dégoûtée de ses haines permanentes.
Au contraire dans Sallinger, Anne, la sœur de Leslie ne lui reproche rien. Elle désire
faire les mêmes choses que lui et avoir la même liberté.
Par ailleurs, Leslie partage avec Holden un certain sentiment de vanité de la vie.
Il cherche aussi quelque chose de vrai, mais il ne trouve rien.
Toutefois il y a une liaison aussi entre le Rouquin et Holden. A la fin du roman,
Holden se trouve à l’hôpital psychiatrique. Il est pris pour un fou. Parallèlement, le
Rouquin nous demande à la fin de la pièce : « (...) Pensez- vous qu’aujourd’hui là,
maintenant, je suis un être normal ? (Silence) S’il vous plaît, répondez, je n’entends
31 SALINGER, J.D., The Catcher in the Rye, Penguin books, 1958, p. 21.
32 ibidem, 152.
22
rien. Pardon ? ( Silence) Normal, oui, j’ai dit : normal. Psychologically normal,
equilibrated, able to do something.(...) »33.
D’abord le passage à l’anglais fait référence à L’Attrape-cœur, et ensuite, à la
dernière page du roman Holden dit :« A lot of people, especially this one psychoanalyst
guy they have here, keeps asking me if I’m going to apply myself when I go back to
school next Septembre. It’s such a stupid question, in my opinion. (...) »34 Holden est
donc à la clinique psychiatrique. . Par contre le Rouquin n’y est jamais allé, car il s’est
suicidé. Sa fin a été fatale, mais Holden est encore vivant et il a encore une chance.
5.3.2. Le Rouquin
Le personnage le plus mystérieux de Sallinger est le Rouquin. Il est mort, mais il revient
et il se montre à Leslie et à Carole. C’est toujours une énigme de savoir s’il est vraiment
arrivé comme un esprit ou s’il est juste issu de l’imagination des membres de sa famille.
D’une part il est certain que l’apparition de quelqu’un qui est mort est quelque
chose d’imaginaire, d’autre part la littérature permet presque tout.
De plus, il est évident que Koltès s’est inspiré d’Allie, le frère de Holden qui est
mort à cause d’une leucémie. Holden pense à lui très souvent. Il n’a pas tout à fait
surmonté sa mort. Et il mentionne qu’Allie était un petit génie.
« ...he was the most intelligent membre in the familly. He was also the nicest, in
lots of ways. He never got mad at anybody. People with red hair are supposed to get
mad very easily, but Allie never did, and he had very red hair. »35 D’ici vient l’idée du
Rouquin.
A l’opposé d’Allie, le Rouquin est très souvent en colère.
«June.- Les rouquins ont toujours des colères, et tapent facilement.
Carole.- Pas lui, c’était un rouquin exceptionnel.
June.- Je ne te crois pas, il n’y a pas de rouquin exceptionnel (...) »36
33 KOLTÈS, Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 124.
34 SALINGER, J.D., The Catcher in the Rye, Penguin books, 1958, p. 192.
35 SALINGER, J.D., The Catcher in the Rye, Penguin books, 1958, p. 33.
36 KOLTÈS, Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 115.
23
Koltès a tellement intensifié le motif du frère mort qu’il devient le thème
principal de la pièce.
Holden raconte qu’Allie riait beaucoup. Cela veut dire qu’il était quelqu’un de
joyeux. Parallèlement, le Rouquin rit aussi très souvent mais autrement. Il se moque
plutôt. Il rigole de tout le monde. C’est un rire malicieux, mais aussi désespéré. A la fin
de la pièce, tout le monde quitte le Rouquin et il reste tout seul. Il n’a personne à qui
parler et personne à embêter. Il est abandonné. Ensuite le Rouquin fait quelque chose de
bizarre, il se tue avec son arme, malgré le fait qu’il soit mort.
Cela peut changer complètement l’interprétation de la pièce. Si le Rouquin se tue
à la fin, est- il vivant avant et les personnages le prennent-ils pour mort ? Sinon, il est
mort et il se tue encore une fois. Cette fois-ci pour toujours. Autrement dit, il ne va plus
se montrer aux personnes vivantes.
Également, cet acte final manifeste la façon dont le Rouquin s’est tué, c’est donc
d’une certaine manière une rétrospective.
Le rôle du Rouquin dans la pièce n’est pas tout à fait clair. Par rapport au thème
de L’Attrape-cœur, il est possible de dire qu’il « catch in the rye » d’une certaine
manière. Holden avait l’idée d’attraper les enfants dans les champs de blé au moment où
ils se trouvent au rebord d’un escarpement. En d’autres termes, il veut empêcher les
enfants de son âge de se perdre dans leur vie. Il veut qu’ils évitent la situation qu’il a
vécue. Son désir est très sain et juste. Dans le cas du Rouquin, son désir de sauver les
jeunes n’est pas aussi noble que celui de Holden. Au contraire, Le Rouquin les persuade
de le suivre. Il est certain que son chemin était le meilleur et le plus brave.
5.4. L’espace
En ce qui concerne l’espace par rapport à l’adaptation et la dramatisation, nous allons
observer la méthode d’abstraction de l’espace que Koltès applique dans sa pièce de
théâtre.
Comme nous l’avons déjà mentionné, la pièce est située à New York, d’après le roman.
Pourtant, l’espace est différent de celui du roman.
24
Dans le roman, Holden cite les noms des lieux donc il est très possible que ces
endroits aient vraiment existé à l’époque. Il est logé à Edmont Hotel, puis il passe dans
le Lavender Room dans un night club ou il boit un verre chez Ernie dans le quartier
Greenwich Village. Il s’agit donc de lieux concrets. Bien plus, la dimension du roman
offre plus d’espace à la description.
Néanmoins Salinger présuppose que le lecteur connaît New York et les endroits
dont il parle. Il les décrit tous brièvement, et pourtant cela ne perd pas en authenticité.
« In case you don’t live in New York, the Wicker Bar is in this sort of swanky hotel, the
Seton Hotel. »37
Quant à la pièce, les espaces sont très vagues : le mausolée, le grand salon, le
pont sur une route ou la cabine téléphonique, sauf un champ de bataille en Corée et
l’intérieur du mausolée qui sont plus concrets. Ces endroits sont particuliers en quelque
sorte. Quant au champ de bataille, dans la didascalie, Koltès écrit :
« Au milieu d’un champ de bataille exotique où traînent des cadavres et qui fume
encore de la poussière soulevée par les bombes, le Rouquin en sous-vêtement, est assis
en tailleur, un poste de radio collé à son oreille. (...) A côté de lui, une montagne de
boîtes vides. (...) »38
Il s’agit de la scène où se rencontrent Leslie et le Rouquin. Le Rouquin menace
Leslie au pistolet et il veut que Leslie aille à la guerre pour qu’il la connaisse. Il est donc
possible de comprendre cet endroit, le champ de bataille, comme un espace imaginaire
qui « illustre » la guerre. Puis, le champ se trouve en Corée. D’une part cela concrétise
cet endroit, d’autre part il reste toujours abstrait car il manque une description plus
précise. En fait, dans le cas de la pièce de théâtre, la description des détails n’est pas
tout à fait nécessaire. Cela donne de la liberté pour le travail de la mise en scène. C’est
au scénographe, aux acteurs et au metteur en scène de proposer une telle vision de
l’espace.
En revanche au moment de la représentation les possibilités d’imagination du
spectateur sont limitées par la mise en scène.
Parallèlement, le mausolée est un espace où Leslie et le Rouquin se rencontrent
pour parler. Personne d’autre ne peut y entrer, c’est un secret en quelque sorte et c’est
37 SALINGER, J.D., The Catcher in the Rye, Penguin books, 1958 p. 128.
38 KOLTÈS, Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 99.
25
surtout le centre d’intérêt des autres personnages. Par contre, Holden, dans le roman de
Salinger, n’avait aucun endroit pour rencontrer son frère mort.
En fait, il est possible qu’il s’agisse des lieux rêvés par Leslie car il veut
tellement parler avec son frère mort qu’il s’imagine des situations.
Par ailleurs, par exemple le salon dans la maison de la famille est décrit de
manière très vague : « Le grand salon, aux rideaux tirés, est éclairé par petites zones
bien délimitées – un fauteuil de cuir avec un lampadaire, une commode avec une lampe
colorée, la fenêtre avec une applique-, tout le reste étant dans la pénombre. »39
Les didascalies dans Roberto Zucco et Sallinger sont très économiques. La forme de
l’espace est moins importante que les paroles et les actions pour Koltès. C’est pourquoi
il a choisi pour son œuvre l’abstraction de l’espace.
6. Le meurtrier comme personnage principal
«(...) au début de 1988, dans le métro parisien. Un avis de recherche comportant quatre
photos de Roberto Succo. Chacune montrait un visage tellement différent qu’il fallait y
regarder à plusieurs fois pour s’apercevoir qu’il s’agissait du même garçon. Koltès a
été frappé par ces portraits (...) »40
Comme nous l’avons déjà signalé, Roberto Zucco est en quelque sorte une adaptation
de l’histoire vraie du meurtrier italien qui a vécu longtemps en France. Koltès s’est
inspiré d’abord du personnage réel et puis de Pascale Froment, la journaliste qui a écrit
le livre Je te tue. Histoire vraie de Roberto Succo assassin sans raison publié aux
Éditions Gallimard, Collection au vif sujet, en 1991. Koltès a longtemps parlé avec
Pascale Froment de la passion qu’ils ont partagée pour ce meurtrier. Toutefois chacun
d’entre eux a poursuit une démarche différente pour traiter de ce sujet. Cédric Kahn a
tourné le film Roberto Succo en 2010 d’après le livre de Froment et grâce à ce film
nous allons voir les différents points de vue sur ce personnage. 39 KOLTÈS Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p. 21.
40 FROMENT, Pascale, Koltès et Zucco, Alternatives théâtrales, Odéon-Théâtre de l’Europe, Koltès, 3e
édition, février 1994, p. 41.
26
En premier lieu nous observerons le processus de création d’un personnage
littéraire basée sur une personne réelle, puis nous nous pencherons sur la comparaison
du film et de la pièce de théâtre et finalement nous décrirons le personnage de Zucco.
Roberto Succo, le tueur en série, s’est rendu aussi fameux par plusieurs
changements d’identité. Il s’est présenté sous mille noms et mille apparences. Et cette
notion de changement d’identité est devenue le thème majeur de la pièce de Koltès.
Tout d’abord il a remplacé la lettre « S » par le « Z » dans son vrai nom pour
s’éloigner en quelque sorte du vrai personnage de Succo. Il a utilisé cette méthode déjà
dans Sallinger où il a ajouté un « l ». Par la modification de ce détail, il obtient un
nouveau personnage qu’il peut créer au gré de ses intentions littéraires. Cette démarche
est très efficace pour pouvoir distinguer le tueur du personnage littéraire. Pourtant la
différence n’est pas aussi marquante que dans le cas de Sallinger. Roberto Zucco reste
beaucoup plus fidèle au modèle.
Koltès garde son caractère de criminel sans aucune morale mais il le montre d’une façon
plus intime et il se penche vers sa personnalité interne aussi. On peut se demander
pourquoi écrire sur un criminel.
Dans le film de Kahn, Succo est considéré comme un fou, il n’a aucune raison
de tuer les gens, il n’y a pas de sens. Il est donc présenté comme un détraqué qui réagit
très impulsivement. De plus il raconte n’importe quoi et il ment tout le temps. Et il
semble qu’il est vraiment persuadé de ce qu’il dit.
Roberto Succo est un monstre très emporté et dangereux en même temps. Il vole
des voitures, il menace les gens et parfois il les tue. Il a commencé ses crimes par le
parricide. Mais, dans la pièce de théâtre, la mère est vivante et elle est tuée à l’acte II.
Dans le film, Roberto est présenté d’abord comme un criminel, mais dans la
pièce de théâtre, il s’agit plutôt de quelqu’un de perdu qui est en quête de son identité.
Par exemple, au IIIème acte, il hésite à prononcer son nom quand la gamine lui demande.
« La Gamine – Comment tu t’appelles? Dis- moi ton nom ?
Zucco. – Jamais je ne dirai mon nom.
La Gamine. – Pourquoi ? Je veux savoir ton nom.
Zucco. – C’est un secret. »
Ensuite, au XIIème acte il se rappelle son nom sans cesse.
« Zucco. – Roberto Zucco.
La Dame. – Pourquoi répétez-vous tout le temps ce nom ?
Zucco. – Parce que j’ai peur de l’oublier.
27
La Dame. – On oublie pas son nom. Ce doit être la dernière chose que l’on oublie.
Zucco. – Non, non, moi, je l’oublie. Je le vois écrit dans mon cerveau, et de moins en
moins bien écrit, de moins en moins clairement, comme s’il s’effaçait, il faut que je
regarde de plus en plus près pour arriver à le lire. J’ai peur de me retrouver sans savoir
mon nom. »41
Cela donne l’impression qu’il s’agit d’un schizophrène pour lequel le nom est
quelque chose de séparé de sa personnalité. Il est possible de citer une hypothèse de
Baudrillard : : « Peut-être y a-t-il dans tout système, dans tout individu, la pulsion
secrète de se débarrasser de sa propre idée, de sa propre essence pour pouvoir proliférer
dans les sens, s’extrapoler dans toutes les directions ? Toute chose qui perd son idée est
comme un homme qui perd son ombre - elle tombe dans un délire où elle se perd. »42
Ainsi Zucco a l’air d’être tout confus qu’il doive se rappeler son nom. Et
pourtant il lutte contre sa personnalité. D’après Jean-Marc Lanteri, Zucco se bat contre
son origine. Puis, par le parricide, il devient « un nouveau-né » d’une certaine manière.
Ensuite, Lanteri explique le meurtre de l’Inspecteur comme « un acte d’auto-
destruction » 43 au niveau social. Et finalement, le meurtre de l’enfant, c’est le suicide de
Zucco lui-même. Il se considère peut-être comme l’enfant de ses parents et comme ils
sont morts, il n’appartient à personne, donc il est possible qu’il se tue par cette
métaphore.
Dans Roberto Zucco nous est donc présentée l’ image d’un homme perdu dans la
société. Zucco manque de sens moral et le meurtre lui semble normal, car quand il a
peur, il tue, comme un sauvage dans la nature. Les codes moraux restent inconnus à
Zucco. De la même manière il manque de compassion. Il n’est intéressé que par lui-
même et par sa personne. C’est pourquoi il est aussi dangereux pour la société. Et en
même temps, c’est l’aspect qui est important pour le personnage théâtral. Il est possible
de se poser la question de sa culpabilité par rapport à ses crimes, s’il est vraiment
tellement hors de la société.
41 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990, p. 76.
42 LAURENT, Anne, Pièce au dossier, Alternatives théâtrales, Odéon-Théâtre de l’Europe, Koltès, 3e édition, février 1994, p. 48.
43 LANTERI, Jean- Marc, L’Oiseau et lelabyrinthe, Alternatives théâtrales, Odéon- Théâtre de l’Europe, Koltès, 3e édition, février 1994, p. 42.
28
7. La langue chez Bernard-Marie Koltès
7.1. La fonction de la langue chez Koltès
L’écriture de Bernard-Marie Koltès est connue pour ses longs monologues et pour
l’utilisation de la langue soutenue. Koltès lui-même commente sa méthode d’écriture : «
Mes premières pièces n’avaient aucun dialogue, exclusivement des monologues.
Ensuite j’ai écrit des monologues qui se coupaient. Un dialogue ne vient jamais
naturellement. »44
L’idée de Koltès, que le dialogue est basé sur le monologue, les deux se reliant,
est très intéressante. Cela donne l’impression que d’abord les personnages parlent pour
eux-mêmes et puis aux autres. De ce point de vue, ils sont très séparés les uns des
autres.
Il est possible de voir les sources de ce type d’écriture dans le théâtre absurde.
« Le langage est devenue objet de théâtre et action (...) il se suffit à soi-même et crée
son propre monde. »45
Un certain héritage du théâtre absurde peut être considéré comme source
d’inspiration pour Koltès. Mais la langue du théâtre absurde portait aussi la valeur du
malentendu et de l’impossibilité de communiquer. En revanche, chez Koltès, la
communication se réalise. Ce qui est commun, c’est une séparation quant aux dialogues,
mais la langue porte aussi une fonction de communication entre les personnages.
Comme le mentionne Heiner Müller : « Les personnages sont construits et développés
entièrement à partir du langage. En même temps on trouve dans ses textes une structure
moliéresque. (...) cette structure d’aria (...) Cela veut dire que l’auteur est plus ou moins
directement présent dans ses textes, dans ses personnages. »46
Dans le théâtre absurde, la langue possède une certaine fonction formelle,
autrement dit elle est débarrassée du sens pour pouvoir ponctuer le vrai thème du texte.
Il semble que les personnages parlent parfois justement pour parler et pourtant le
dialogue est plus fréquent que dans le théâtre de Koltès. Chez lui, les paroles
fonctionnent souvent comme si c’était un raisonnement des personnages qui parlent, car 44 ibidem, p. 18.45 CORVIN, Michel, Que sais-je ?: Le théâtre nouveau en France, Paris, 1966, p.8.
46 Alternatives théâtrales, Odéon-Théâtre de l’Europe, Koltès, 3e édition, février 1994, p. 12.
29
les personnages se profilent par leurs paroles. En fait, il semble parfois que les
personnages se rendent compte des choses après qu’ils les aient prononcées. Autrement
dit, ils parlent pour comprendre la situation où ils se trouvent. Ils philosophent souvent.
De cette manière, l’auteur peut être très présent dans son œuvre.
Heiner Müller constate que la plupart des auteurs travaillent uniquement avec l’intrigue
dans les pièces de théâtre et que c’est insuffisant. Et il apprécie Koltès pour cette
présence de sa personnalité dans ses textes. Admettons que dans le monologue Koltès
obtienne assez de place pour s’exprimer.
7.2. Le monologue
Si le monologue est caractéristique dans les textes koltèsiens, il faut bien préciser les
fonctions du monologue et nous allons les observer dans les pièces de théâtre Sallinger
et Roberto Zucco.
En général, le monologue est le discours d’une personne qui ne laisse pas parler
ses interlocuteurs.47 Autrement dit, il est à l’opposé du dialogue. D’après Miroslav
Procházka, si on le compare au dialogue, le monologue n’est pas naturel ou bien il est
affecté. En d’autres termes, il n’exige pas la réaction d’un autre personnage comme le
présuppose le dialogue et sa fonction est surtout expressive, donc basée sur les
émotions. Miroslav Procházka distingue certaines valeurs du monologue. D’un côté, il a
la fonction de commentaire et de développement d’une idée morale ou philosophique.
Mais cette deuxième idée fonctionne aussi dans les dialogues.48 Il s’agit souvent du
raisonnement d’un personnage qui décrit la situation avec une distance temporelle ou
bien d’un personnage qui parle de son état émotif.49
47 ROBER, Paul, Le nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française/ de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette REY-DEBOVE et Alain RAY, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2009.
48 PROCHÁZKA, Miroslav, Znaky dramatu a divadla ( studie k teorii a metateorii dramatu divadla), Panorama 1988.
49 VALLACE, Clare, Monologues, theatre, performance subjektivity, Litteraria Pragensia, Pratur 2006, p. 71. MUKAŘOVSKÝ, Jan, O jevištním dialogu,Program D37, 31 March 1937, published in English in The world and Verbal Art ( New Haven and London Yale University Press, 1977), 133. « Monologue can either express the speaker’s subjective mental state (in literature, the lyrics) or narrate events severed from the actual situation by temporal distance ( in literature, the narative). »
30
De l’autre côté, le monologue soit prévoit un auditeur soit il n’en prévoit pas. Dans les
textes de Koltès, il présuppose un auditeur. De sorte que ce type de monologue est aussi
plus convenable au théâtre et à la destination d’être représentée sur la scène donc devant
des spectateurs.
Passons aux exemples. Au Ve tableau dans Sallinger, il est possible d’observer ces
qualités dans un monologue de Leslie « Ce soir-là, je suis sorti, j’ai appelé un taxi, je
lui ai dit : « Emmenez-moi, monsieur. – Où, monsieur ? – Au meilleur endroit possible,
monsieur. –« Bien, monsieur » m’a-t-il dit, et il m’y a emmené. Et depuis, j’y stationne.
De moi-même, je ne sais pas où me mettre, je sais que je n’ai rien à attendre en
stationnant ici, mais je ne sais réellement pas où je dois me poser. (...)»50
Partant de ce fragment, nous observons la narration d’une historie passée et
même l’expression de l’attitude de Leslie, d’autant plus qu’il y a aussi un dialogue
intégré dans le monologue. L’interlocuteur est un « monsieur ». Il répond à Leslie mais
ce n’est pas un personnage réel. C’ est plutôt Leslie qui prononce les paroles du
« monsieur ».
Parallèlement Anne parle à « un monsieur » au tableau XI.
« Anna. – Mon nom est Anna, je suis prête, emmenez-moi. Vous pouvez noter mon
nom, monsieur, mais je vous en prie : oubliez-le tout de suite après l’avoir noté.51
Elle parle à quelqu’un qui n’est pas sur scène.
Comme nous l’avons signalé, nous allons analyser différents monologues dans les
textes de Sallinger et Roberto Zucco car dans ces pièces de théâtre se trouvent certaines
ressemblances.
Hypothétiquement, nous pouvons distinguer cinq types de monologue dans
lesdites textes.
Tout d’abord, c’est un monologue qui est destiné à un personnage de la pièce. Souvent,
il s’agit de frères et de sœurs qui se donnent des conseils. Dans Roberto Zucco, c’est la
sœur aînée qui parle à la gamine au tableau III appelé « Sous la table ». Elle rassure la
gamine sur le fait que toute la famille cherche quelqu’un de bien pour elle. Ensuite la
50 KOLTÈS, Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995,p. 57-58.
51 KOLTÈS, Bernard- Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p.109.
31
gamine perd sa virginité dans le même tableau. De la même manière, au tableau V « Le
Frangin », le frère de la gamine lui explique les conséquences qu’elle doit accepter
après avoir perdu son pucelage. Donc, il semble que l’acte de la gamine est encadré par
les monologues de sa sœur et de son frère. Il est intéressant de voir que la gamine ne
proteste pas par la parole pendant les monologues mais qu’elle proteste par les actes. La
gamine, dont le rôle est plus important que celui de la sœur ou du frère, ne fait aucun
monologue. Les autres sont là pour la juger.
En parallèle, le Rouquin veut guider son frère cadet, mais d’une façon plus
brutale. Au tableau X il le menace avec une arme pour lui imposer d’enfiler l’uniforme
militaire.
« (...) Où il se croit, celui-là ? Remue-toi, nom de Dieux. (Il lance une boîte vide à la
tête de Leslie qui finit par enfiler l’uniforme.) Plus vite, pas de travers, la veste, et les
décorations, bordel : droits, ou je te descends.(...) »52
Le Rouquin se conduit envers Leslie comme un général en guerre. Tout cela pour lui
faire sentir ce qu’est la guerre. Et Leslie, à l’opposition de la gamine, suit son frère.
Puis, un autre type de monologue, que nous nommerons « un raisonnement personnel »,
apparaît dans Sallinger, tandis que dans Roberto Zucco cette sorte de monologue n’est
presque pas présent. Mais dans Sallinger quasiment chaque personnage en fait. Par
exemple, Leslie se présente deux fois, aux tableaux II et V. Il semble que son discours
soit destiné à n’importe qui. Il parle à quelqu’un d’imaginaire. Comme Holden parle au
lecteur même s’il n’est pas sûr qu’il y en ait un. Ces deux monologues sont très
semblables au style d’écriture de L’Attrape-cœur. Leslie y raconte quelques histoires, il
parle aussi du Rouquin.
« (...) Prenez votre frère préféré, enfin le préféré de tous parce qu’il est supérieur à tous,
pas supérieur parce qu’il est mort – ne nous croyez pas si naïfs –, supérieur dès son
vivant, le Rouquin, supérieur comme il sera difficile de vous le faire comprendre. (...)»53
Comme dans le roman, il interpelle son auditoire par « vous ». Au deuxième
monologue il parle à un chauffeur de taxi et il désire trouver une place où vivre.
52 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p100.
53 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p.24.
32
De la même manière, Al, le père, se présente au tableau VII. où il raconte son histoire.
Ensuite Anne se confesse. Elle révèle qu’elle a un ami imaginaire et qu’elle désire partir
et elle explique son incapacité à le faire.
« (...) Les femmes rêvent de fuir et les hommes le font. Vive la guerre, Leslie. (...)
Tandis que moi, plus voilée que jamais, je poserai mon front tout contre la fenêtre, et je
regarderai l’impasse déserte comme un cimetière. (...) »
Ensuite, ce sont des monologues disons cachés dans les dialogues ou « les monologues-
dialogues ». Par leur forme ils ressemblent aux dialogues car il y a toujours un autre
personnage qui réagit. En revanche, par la structure du discours, il s’agit de
monologues. Nous pouvons trouver ce type de monologue dans le tableau VI qui
s’appelle « Métro » et dans le tableau XII qui s’appelle « La gare » dans Roberto Zucco.
Dans Sallinger, ils sont plutôt absents.
Dans le tableau « Métro », Roberto Zucco rencontre un monsieur âgé à la station
de métro qui est fermée; ils y sont emprisonnés en quelque sorte. Ce monsieur
commence son discours par cette proposition : « Je suis un vieil homme et je suis
attardé au-delà de ce qui est raisonnable. »54 Il continue par la confession de ses
inquiétudes : « Mais je suis fort inquiet car je ne sais pas comment je reverrai la
lumière du jour après une aventure aussi farfelue, cette station ne m’apparaîtra jamais
plus pareille, je ne pourrai plus ignorer la présence de ces petites lanternes qui
n’existaient pas jadis, et puis, une nuit blanche, je ne sais pas comment cela transforme
la vie, je ne l’ai jamais fait (...). »55
Roberto Zucco est assis à côté de ce vieil homme. Il commence son discours de
la même manière que le monsieur : « Je suis un garçon normal et raisonnable, monsieur.
(...) Moi, je fais des études, j’ai été un bon élève. (...) Je suis inscrit à l’université.»
Cette scène donc présente deux hommes l’un à côté de l’autre qui se rencontrent par
hasard et ils se parlent pour passer le temps. La seule différence entre leurs discours est
que Zucco invente toute son histoire alors que l’homme âgé raconte sa véritable
histoire.
Dans ce « monologue-dialogue », Zucco exprime son idée d’être transparent.
Cette idée-là, il va en reparler aussi au tableau numéro XII à une dame à la gare. C’est le
54 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990, p.34.
55 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990, p. 35-36.
33
moment où Zucco répète toujours son nom pour ne pas l’oublier. Puis, il répète qu’il
vaut mieux être transparent pour rester tranquille. Car Zucco est déjà recherché par la
police et il a peur d’être emprisonné.
Dans ces deux « monologues-dialogues », Roberto Zucco se confesse à des
personnages inconnus en quelque sorte. Ils n’ont pas de nom ni d’autre identification. Il
semble qu’ils soient là pour que Zucco ait quelqu’un à qui parler. Mais cela montre
aussi que Zucco est abandonné d’une certaine manière, qu’il n’a pas de famille, ni
personne de proche. C’est aussi pourquoi il cherche incessamment son identité et
pourquoi il ne la trouve pas.
En outre, il est possible d’observer encore quelques types de monologues qui sont d’une
certaine manière particuliers. Dans Roberto Zucco, il y a le court monologue d’une
prostituée. Ce discours fait une allusion au théâtre antique. Cette prostituée arrive pour
témoigner du meurtre d’un inspecteur. Elle raconte ce qu’on ne montre pas sur scène.
Dans le théâtre antique, c’était un messager qui arrivait pour annoncer les événements
qui se sont passés hors la scène.
« L’inspecteur s’arrête. Il ne se retourne pas. Il balance doucement la tête, comme si la
réflexion profonde dans laquelle il était plongé venait de trouver sa solution. Puis tout
son corps balance, et il s’effondre sur le sol. Ni le meurtrier ni sa victime ne se sont à
aucun moment regardés. »56
Le dernier type de monologue que nous allons mentionner, se trouve dans Sallinger et il
s’agit de la narration d’une histoire avec une moralité. Il n’y a pas de monologue pareil
dans Roberto Zucco. C’est le seul monologue de la mère dans Sallinger. Elle ne parle
pas d’elle-même comme les autres personnages. L’histoire racontée semble un peu
bizarre. Une famille est sur la route. Un homme les avertit de ne pas continuer dans la
forêt car il y a un bandit dangereux. Le père décide d’y aller quand même. Ils
rencontrent le bandit, qui crie horriblement. Le père lui donne tout, même sa famille. A
la fin, il ne possède rien. Il questionne donc le bandit sur ce qu’il demande alors, mais le
bandit ne dit rien et il rit terriblement. En fait, la moralité n’est pas tout à fait
compréhensible. Ma l’explique par le fait que la famille doit juste rester unie pour
toujours.
56 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990, p.31.
34
Ce type de monologue est très rare dans les textes de théâtre et il semble plus
convenable au roman. Il coupe en quelque sorte la suite de la pièce de théâtre et il la
ralentit.
En général, le monologue freine la suite de la pièce de théâtre. Mais ce
ralentissement permet un raisonnement et il offre plus d’espace pour les personnages et
leurs idées. Ils peuvent y exprimer leurs pensées et leurs sentiments comme ils peuvent
juste commenter une situation.
7.3. La langue étrangère dans Sallinger et Roberto Zucco
Dans les textes de Koltès il est presque toujours possible de trouver d’autres langues
que la langue française. Dans les deux pièces que nous traitons, l’usage des autres
langues fait référence aux sources que Koltès a utilisées pour ses textes.
D’abord, dans Sallinger, la langue anglaise apparaît. De cette manière, Koltès
montre clairement d’où vient le thème de son texte.
« Anna ( à la fenêtre, soulevant le rideau). – Je vois un petit garçon, sur le rebord du
trottoir, les cheveux tout bouclés. (...) Il chante. Je peux lire ce qu’il chante, sur ses
lèvres ( déchiffrant :) « If a body catch a body comming through the rye ».57
En fait, c’est une phrase essentielle dans l’œuvre L’Attrape-cœur. Il existe un poème qui
s’appelle « Commin’ Through the Rye » de Robert Burns qui est chanté par les enfants.
Salinger a utilisé ce poème pour le titre de son œuvre. Et c’est pourquoi le garçon,
qu’Anne voit, chante cette phrase.
Puis, Al dit au VIIe tableau : « (...) il résonne près de vous quelques mots dits
tout bas, un juron de chez nous, quelque chose comme « What a mess ! », ou « Where
are my boots ? », n’importe quoi, mais soudain cet accent familier, le goût de notre
Amérique (...) »58
Al utilise la langue anglaise juste pour mentionner qu’il est Américain. On dit
probablement ces phrases à la guerre ou entre soldats.
57 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p.29.
58 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995, p.72.
35
Ensuite, le Rouquin parle anglais à la fin de la pièce. Il passe sans souci du
français à l’anglais. « (...) Normal, oui, j’ai dit : Normal. Psychologically normal,
equilibrated, able to do something, well... You understand, don’t you ? (...) »59
Il est possible d’y voir une référence à la fin du roman de Salinger. Car Holden finit
dans un hôpital psychiatrique.
Pour conclure, il est possible de constater que l’usage de la langue anglaise dans
Sallinger sert comme un certain moyen d’adaptation du roman. D’un côté Koltès fait
référence à la langue du roman et de l’autre côté cela rend l’œuvre plus intéressante.
De la même manière, Koltès utilise la langue italienne dans la pièce de théâtre Roberto
Zucco. Il fait référence à l’origine de Zucco.
« Morte villana, di pietà nemica,
di dolor madre antica,
giudicio incontastabile gravoso,
di te blasmar la lingua s’affatica.»60
Cependant, Pascale Froment trouve un sens un peu différent dans ce discours en italien.
Elle trouve qu’il s’agit d’une chanson de la mort que Zucco chante dans une langue qui
n’est pas compréhensible aux autres. 61
8. Conclusion
Les pièces de théâtre Sallinger et Roberto Zucco sont des œuvres un peu particulières
parmi les autres œuvres de Bernard-Marie Koltès. Ces deux textes de théâtre sont unis
par certains thèmes communs et par l’aspect de l’adaptation.
Si dans Sallinger Koltès aborde certains thèmes et questions, il les développe et
résout dans Roberto Zucco. Quant au motif de la famille montrée, dans Sallinger,
comme une cellule fermée de laquelle il est très difficile de se libérer ce problème est
résolu dans Roberto Zucco parce que Zucco tue sa famille. A l’opposé, le motif de la
59 KOLTÈS, Bernard-Marie, Sallinger, Paris, Ed. de Minuit, 1995 p.124.
60 KOLTÈS, Bernard-Marie, Roberto Zucco, Ed. de Minuit, 1990, p.50.
61 LANTERI, Jean-Marc, L’Oiseau et le labyrinthe, Alternatives théâtrales, Odéon-Théâtre de l’Europe, Koltès, 3e édition, février 1994, p.46.
36
mort, comme fuite, se varie dans les deux textes. Dans Sallinger, le Rouquin se suicide
et de cette manière il échappe à la guerre et au monde familial qui l’énerve et qu’il
déteste. Par contre dans Roberto Zucco, la mort est représentée par le meurtre et Zucco
la domine en quelque sorte car d’abord il gagne par le crime et la mort lui sert aussi
d’échappatoire quand il saute du toit. Alors la mort disons forcée est la solution fatale
donc c’est une fuite et en même temps il s’agit de la façon de dépasser le mur
métaphorique. Ce mur signifie dans les deux pièces le problème essentiel. Autrement
dit, franchir le mur c’est devenir libre. Et tous les personnages chez Koltès cherchent la
liberté ou bien ils demandent un endroit plus convenable pour vivre.
Vu que les personnages sont en quête d’un lieu et d’un état idéal, il est possible
de déduire que les personnages sont les éléments les plus importants dans les pièces de
théâtre. Et comme nous l’avons justifié, les textes de Koltès sont basés sur l’importance
de la parole des personnages. Leurs discours est le moteur de l’action. Ils se profilent
par les paroles et ils raisonnent par le discours même s’il est monologique et isolé d’une
certaine manière, ils s’adressent toujours à quelqu’un.
En comparant les termes de dramatisation et de adaptation, nous avons découvert que
dans le cas de Sallinger, il s’agit plutôt d’une adaptation, car les motifs que Koltès a pris
du roman l’Attrape-cœur sont modifiés assez librement. Sa méthode d’adaptation
consiste en reprise de certains thèmes, soit principaux soit mineurs, qu’il intensifie et
qu’il transpose souvent dans un autre contexte. Comme dans le cas du frère mort. Dans
le roman, il est important mais ce n’est quand même pas le motif majeur. Dans la pièce,
il devient le thème principal. Allie et le Rouquin sont unis par certains traits
caractéristiques : des cheveux roux et une haute intelligence. Allie est mort de leucémie
par contre le Rouquin s’est suicidé. Allie est présent juste dans les souvenirs de Holden
mais le Rouquin apparaît sur scène et communique avec Leslie et Carole. Si Allie sert
de modèle du Rouquin, Koltès a développé ce motif à tel point qu’il a créé un autre
personnage souverain et le Rouquin est d’une certaine manière l’épicentre de la pièce.
Vu que la dramatisation garde beaucoup plus les motifs de l’œuvre modèle, cela prouve
que la pièce de théâtre Sallinger est une adaptation.
De plus, on peut trouver dans le titre une autre méthode de faire l’adaptation..
Koltès ajoute un « l » dans le nom de l’écrivain J.D. Salinger. Par ce détail, Koltès
avoue qu’il s’est inspiré de son œuvre mais qu’il a aussi modifié les motifs et qu’il
s’agit d’une œuvre différente. Koltès reprend aussi cette méthode pour Zucco. Par la
37
modification de « Succo » en « Zucco », Koltès obtient un nouveau personnage qui fait
référence au premier.
Une autre méthode de l’adaptation de Koltès consiste dans la manière de narrer.
Dans le roman, Holden adresse son discours au lecteur bien qu’il ne soit pas sûr qu’il y
en ait un. De la même manière, les personnages dans Sallinger adressent leurs discours
à quelqu’un d’inconnu ou bien au public. Il est intéressant de voir à quel point la
narration romaneque est transmissible au genre dramatique. En conséquence, s’il y a la
question de la lisibilité du texte dramatique, il est possible de dire que les pièces de
théâtre de Koltès sont aussi lisibles que faites pour être présentées sur scène.
Puis, c’est un procédé d’abstraction qu’il est possible d’apercevoir dans
Sallinger par rapport à l’Attrape-cœur. Car Holden décrit des endroits à New York qui
ont probablement existés, mais dans la pièce de théâtre les endroits sont très vagues. En
fait, ce sont les paroles des personnages qui importent, pas le lieu où ils se trouvent,
même si Koltès précise dans le texte qu’il s’agit de New York. Pour Holden le concret
des endroits est beaucoup plus important.
Au VIe chapitre, nous avons traité du personnage de criminel dans la pièce de théâtre
Roberto Zucco. Il est possible de constater qu’il s’agit aussi d’une cetaine adaptation,
mais de l’adaptation ou bien du changement d’une personne réelle en personnage d’une
œuvre. La comparaison avec le film de Cédric Kahn permet de voir ces différences car
le film essaie de montrer un meurtrier sans vrai motif pour ses crimes qui est considéré
par la société comme un fou. Tandis que Koltès montre un personnage qui cherche son
identité, qui est plutôt perdu dans la société et qui n’a pas trouvé d’autre façon de
trouver sa place que l’assassinat.
Au dernier chapitre nous avons observé la fonction de la langue koltèsienne qui est
assez cultivée et qui fonctionne comme un moteur de ses textes car les personnages se
profilent grâce à leurs paroles. Il est important de parler des monologues que Koltès
préfère aux dialogues car ils lui semblent plus naturels. Ses monologues divers et même
leurs fonctions varient. Le monologue a aussi la fonction de ralentir de l’action, ce qui
produit un espace pour la présentation des idées des personnages.
Dans les deux pièces traitées, c’est d’abord le monologue où un personnage, souvent un
membre de la famille, donne des conseils à un autre personnage. Puis c’est un certain
raisonnement personnel destiné à n’importe qui. Cette deuxième sorte de monologue
38
ressemble beaucoup à l’écriture du roman de Salinger. Ensuite, il s’agit du
« monologue-dialogue » où les personnages parlent beaucoup et à la fin il y a quelqu’un
qui réagit. Mais leurs discours ne sont pas reliés comme dans le cas d’un dialogue. Il
s’agit plutôt d’une certaine confession racontée à quelqu’un qui est à côté. Le qatrième
type de monoloque trouvé est celui qui fait référence au théâtre antique car il nous
informe des événements passés hors de la scène. Enfin, nous avons trouvé un
monologue qui est une histoire avec moralité. C’est un type de monologue très rare au
théâtre et il convient beaucoup plus au roman.
Puisque Koltès travaille avec l’adaptation aux plusieurs niveaux, il est possible de parler
aussi de l’usage de la langue étrangère qui apparaît dans les pièces traitées. Ce motif
présente une certaine référence à l’inspiration d’origine et aux sources des œuvres de
Koltès.
En définitive, le but de ce travail était de traiter les textes Sallinger et Roberto Zucco au
niveau de thèmes qui les unisent et au niveau de l’adaptation. Nous avons prouvé que
lesdites pièces ont beaucoup de motifs identiques qui peuvent aussi être considérés
comme des thèmes koltésiens car ils se répètent dans ses œuvres.
Quant à l’adaptation, ces deux pièces font preuve d’une élaboration bien faite
qui attribue à Bernard-Marie Koltès une place de dramaturge qui est capable de
travailler avec des motifs empruntés d’une manière très raffinée et originale et de créer.
39
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