a notre ange, yohan · 2015-01-02 · chienne, en compagnie de ta sœur, ... s’est rendu seul sur...

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A NOTRE ANGE, YOHAN Chrystel Mauries

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A NOTRE ANGE,

YOHAN

Chrystel Mauries

15.2 542709

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 246 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 15.53 ----------------------------------------------------------------------------

À notre ange, Yohan

Chrystel Mauries

Chr

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A mon Ange, Yohan.

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Je ne voulais pas que tu partes ce soir-là et pourtant j’ai toujours su, tu

as toujours su que ce moment viendrait, inéluctablement. Comme un crash d’avion…

Un après-midi radieux. Début des vacances de février. Tu m’as attendu, vous m’avez attendue pour aller chercher ta chienne, celle que tu espérais depuis des mois. Nous étions tous les quatre, toujours aussi unis. Ta sœur, ton père et moi, pour t’aider à choisir celle que tu as appelée TINA.

Retour à la maison après une course, tu as pris le temps de baigner ta chienne, en compagnie de ta sœur, et puis tu es sorti la présenter à tes cousins.

Juste le temps de me dire « Au revoir », non pas « A tt’à l’heure », comme d’habitude, mais « Au revoir »… Tu as pris TINA dans tes bras et tu es sorti radieux.

Quand le téléphone a sonné, quand ton père m’a dit, j’ai compris. Lui s’est rendu seul sur les lieux auprès de vous. Et quand je suis montée dans la voiture pour vous rejoindre accompagnée de Naïs je savais déjà. Je savais que l’inéluctable avait eu lieu !

Puisses-tu me pardonner pour n’avoir pas su l’empêcher. Aujourd’hui tu me dis que tout est écrit, que tu as eu le choix un instant.

Je sais, je t’ai aidé à quitter cette Terre trop petite pour toi. Je t’ai dit de ne pas lutter, et de te laisser guider dans la lumière.

Depuis cet instant ta présence est constante à nos côtés. Aujourd’hui je viens d’apprendre que je suis guérie du cancer qui m’a atteinte, mais je le savais déjà, comme j’ai su toutes les dates de cette épreuve que j’avais à vivre.

Aujourd’hui je te dois la vie, pour m’avoir prévenue, pour m’avoir guidée, pour m’avoir préparée.

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Aujourd’hui je soigne aussi tant de personnes, par ce que j’entends de ce que tu me donnes, de ce que tu me dis, de ce que tu me transmets.

Ta naissance m’avait prévenue aussi.

Je te dédie ce livre, mon Ange, mon fils. Je le dédie à ta sœur, qui cherche dans la douleur comment renaître de ton absence, je le dédie à ton père auquel tu as donné naissance, qui se prolonge en ta sœur, et se nourrit de votre odeur, toujours présente. Naïs est là sur ce chemin, et tu lui tiens la main à chaque pas. Je t’aime. Maman. Je voudrais tant avoir eu tort.

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10/02/2011

Mon Ange,

aujourd’hui tu es parti et nous savons que nous ne te reverrons plus. Je suis horriblement partagée entre la sensation de voir ta route

achevée après des années de tumultes, achevée pour un chemin de lumière ; cette sensation qui me dit que tu devais partir et que tu aurais pu trouver la mort dans des circonstances pires.

Partagée avec la sensation d’être dans le tort, de vouloir m’aveugler, de vouloir oublier que tu vivais heureux et que tu aurais pu l’être longtemps si un homme qui n’en est pas un n’avait pas brisé ta vie.

J’ai cette conviction depuis toujours que ta vie devait se terminer tragiquement, et je me dis encore que le pire a été évité : celui de te voir à vie hospitalisé ou handicapé dans les pires conditions.

Je veux bien entrevoir que tu aurais pu avoir une vie comme les autres, mais tu n’étais pas, tu n’es pas comme les autres.

Je ne sais pas si je frôle la folie ou si la lucidité me guide. Je m’en veux terriblement de penser ainsi.

Je voudrais pouvoir lire sur la carte de ta destinée quelle aurait dû être ta route.

Je voudrais pouvoir penser comme chacun « une mort tragique face à une vie heureuse promise », et j’aperçois au contraire une porte de sortie face à une issue fatale. Echapper au pire en gardant juste le meilleur.

Tu aurais dû avoir le temps de grandir encore, de t’installer dans ta vie, si… si tu avais été un jeune homme comme les autres, si tu n’avais pas brûlé ta vie par les deux bouts.

Tu n’es responsable en rien de cet accident, et nous espérons de tout cœur que vous ne vous êtes ni vu mourir, ni senti souffrir.

J’aurais simplement voulu que tu puisses vivre encore et vivre comme tout le monde, sans te sentir confronté à la mort chaque jour.

Je n’ai pas eu le temps de t’imaginer homme. Peut-être aurais-tu pu le devenir et tu avais de tels talents que tu aurais réussi ta vie, mais j’ai toujours eu le sentiment que ta route n’irait pas jusque-là.

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J’ai mal de l’écrire et de le penser. Je voudrais juste que quelqu’un me dise « Oui, il était de passage, il le savait, puis il est reparti vers un autre voyage plus merveilleux, plus éclairé, plus paisible. »

Comment écrire le manque de toi ? C’est un arrachement de plus en plus violent, que rien ne vient apaiser.

Cet amour est si fort que chaque bruit, chaque silence, chaque parfum nous ramène à toi ; et tu n’es plus là.

Je voudrais croire encore pour apaiser cette douleur, mais tu t’es éloigné et le manque est si grand ! Le manque, la peine de savoir comment tu es parti.

Je veux me raisonner et penser que cela pourrait être pire, mais il y a les voitures qui roulent, les gens qui bougent, les enfants, l’air, le soleil, et il n’y a plus toi.

A peine 17 ans.

J’ai si mal que je ne sais comment je pourrai supporter cette douleur. Comment vivre ? Quoi vivre ?

Il me semble que mon cœur est toujours en attente de ton retour, et qu’il ne pourra se remettre à battre qu’à cet instant.

« A t’à l’heur ! Man ! » J’ai si peur d’oublier le son de ta voix, le rythme de ta vie et si peur à la fois qu’ils m’empêchent de vivre.

Car Naïs est près de nous et tout serait si simple si elle n’était pas là. Ton père et moi nous nous endormirions en silence pour te rejoindre

au plus vite, mais nous sommes condamnés à vivre et à vivre au mieux pour ta sœur.

Mais je ne sais plus vivre. Pas sans toi, pas sans ta présence, ta jeunesse, ta force de vie. Tu pensais mourir jeune peut-être mais toujours à regret et c’est ce que je regrette. Que la vie ne nous ait pas donné tort, que le choc ait été si violent que tu n’aies eu aucune chance d’en réchapper. C’est aussi ce qui nous aide à survivre : « Il n’a pas souffert. Il est mort sur le coup. Il n’aurait pas pu survivre, ni vivre handicapé. »

« T’es mort, t’es mort. »

Mais que de manque, que de colère enfouie contre celui qui t’a ôté la vie, toi qui t’étais tant battu pour la reconquérir.

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La faute au hasard ? À la destinée ? À un homme ? Est-ce un coup du destin, une chance pour t’éviter le pire ? Je ne sais plus que penser, si ce n’est que sans toi je brûle à petit feu.

Je t’aime fort Yohan. Si fort, si fort.

Puisses-tu m’entendre et m’envoyer un peu de réconfort, un signe encore, peut-être, une aide. Je suis même désolée d’accepter de l’aide.

J’ai honte de ne pas vouloir souffrir de la mort de mon enfant. Mais il y a Naïs. Il faut que je me relève. Je t’aime tant Yohan. Cette blessure est si profonde. Si profonde.

Je t’embrasse et te caresse avec le même amour que lors de nos adieux. J’espère au moins que tu es en paix, même s’il te restait bien des

bonheurs à vivre dans notre vie.

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Les signes.

– Si Dieu veut, cherche pas à comprendre. – Oreille de Lapinou. – Les panpans – La casquette. – Goldman : « Il me restera… » – Le passage. – La photo – Ose (Le 13/2/2011) – No woman no cry (Le 14/2/2011) – Le restau de la St Valentin.

AVANT – Pas d’au revoir. – Choix du petit chien. – Couverture. – Bisou de ta sœur.

– Pas de projection future. – Ce soir la chanson que j’écoutais et qui renvoyait à son agression et qui me dit qu’il ne souffre plus : « Rue des étoiles. » – Comment vais-je survivre ? Je trouve le dernier ticket de ciné où nous sommes allés ensemble PUIS un ticket de Mc Do isolé : « Bd. Des Champs Elysées. » – Dans carrefour Châteauneuf. Une dame à son mari : « Il faut que j’aille à la jardinerie pour TINA, le chien. » – Le 23/2 au soir : « Si au moins tu pouvais me dire ce que tu as pensé, ressenti au moment de l’accident…. » « Sous le vent…. » + clip des deux avions. « Si tu crois que j’ai eu peur c’est faux Si tu crois que c’est fini Si tu crois que je t’oublie, écoute… »

– Le 24/2 au soir : à la télé Patrick entend (Et Patrick seulement) : « Les vainqueurs de l’an dernier étaient Yohan et E*.

– La canne trouvée par Patrick dans la colline. – Tous mes choix depuis l’accident.

A-t-il préparé son départ ? L’ai-je pressenti ? Pourquoi cette sensation ? – La chaîne (Choisie sans hésitation)

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Et pourtant tant de culpabilité de voir que personne ne réagit ainsi. Tant de culpabilité de ressentir depuis toujours cette mort imminente. Tant de culpabilité de n’avoir rien pu empêcher. Tant de bonheur à la fois de t’avoir laissé vivre.

Tant de culpabilité de n’avoir jamais envisagé vraiment ta vie d’adulte. Juste l’idée parfois de me dire : et si finalement on se trompait, si par chance il avait la vie devant lui ?

Avancer au jour le jour, telle est ma devise, mais je n’ai jamais senti peser cette échéance pour Naïs.

Pourtant je t’aimais et je t’aime plus que tout, et je ne peux me résoudre à ne plus te voir vivre. Vivre grand, fort, heureux. Jeux de boules, musique, moto, scooter, vélo… Tu aimais tant la vie !

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Mon Ange, je ne sais plus que penser ce soir tout se brouille. Je ne supporte pas l’image de ton décès. Ce choc fulgurant, cette

dernière vision que tu as dû avoir, ces pompiers, ces lumières… et toi qui partais vers La Lumière.

Je ne supporte pas de voir les lieux que tu fréquentais, les routes que tu empruntais. De penser aux jours heureux que tu ne vivras pas. De savoir que ta petite vie a toujours été empreinte de cette tragédie.

Je regarde tes photos, tes films, ce soleil, ce sourire, cette énergie que tu déployais à tout vouloir et à tout faire.

Je ressens cette énergie toujours présente et je sais que chacun des jours suivants je la laisserai partir. Que de culpabilité ! Laisser partir celui que l’on pourrait retenir, mais quel courage d’amour il me faut encore avoir.

« Je tourne en rond…. » C’est le message que tu m’adresses. « Dans la chambre, dans le salon, je tourne en rond… »

Il faut donc que je te laisse libre de partir, comme il le faut. On ne fait pas un enfant pour soi, ni pour le garder. Il faut savoir le laisser partir.

J’ai si peur que tu m’en veuilles, que tu considères comme un abandon la force qu’il me faudra pour avancer, et pour te rendre ta liberté.

Je ne t’abandonne pas. Il faut simplement couper le cordon comme le jour de ta naissance.

Me détacher de toi et de ta présence pour mieux te laisser vivre ce que tu as à vivre ailleurs, dans la plénitude que tu mérites.

Parce que si ta route a été difficile, tu as toujours gardé le cœur pur et l’âme droite, et je sais combien ta force était hors normes.

Tu étais hors normes, tu as vécu ainsi, et tu es mort tel que tu as été. Je dois accepter que ce lien si fort qui nous unissait me disait beaucoup

de toi, et que les sensations par lesquelles tu avançais étaient les mêmes que les miennes.

Ce que je ressens, je le sais, n’est pas une illusion. Ce que je lis dans les autres non plus. Ce que je transmets si je le veux, non plus.

Tu étais ainsi « extra-sensoriel ». Si mes sens sont limités, celui-ci est présent et ce que je ressentais de toi n’a rien d’irréel.

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Qui peut comprendre, percevoir cette ambiguïté qui est mienne ? Entre le déchirement qui me brise, qui me torture chaque jour, et ce que je ressens de toi aujourd’hui je suis écartelée.

Je sais que tu nous aimais et tu nous l’avais dit. Pars, sans regret, sans crainte pour nous. Nous avons eu le temps de nous dire notre amour, de nous dire notre bonheur d’avoir vécu ensemble, de nous dire nos absences de regrets.

Tu es mort tel que tu le souhaitais. Il faudra que nous soyons forts pour supporter ton absence matérielle

et admettre que peut-être cet accident t’a évité le pire, car oui, il y a pire que la mort.

Il faudra effacer quelque peu cette culpabilité que nous avons de te survivre et de regagner un peu de bonheur sans toi.

Des parents ne sont pas préparés à cette douleur, ni à cet effort à faire qui est le plus injuste et le plus difficile, mais, comme nous t’avons accompagné dans la vie au mieux de nos forces, nous devons t’accompagner dans la mort en gardant le sourire.

Tu ne pourrais vivre en paix si nous n’avions pas ce courage-là.

Je pense si fort que tu n’aurais pas voulu vivre handicapé, mais je pense aussi que si la vie l’avait voulu autrement, à quelques secondes près, tu serais encore vivant.

Et puis je me console avec l’échéance du printemps ces sorties en scooter, et de cette échéance de mars sur la route de Carry.

Je ne sais pas s’il fera beau en mars, mais un soir de cet hiver, par grand froid, je me suis mise à languir que le printemps arrive, puis j’ai pensé à ce jour de mars où tu te rendrais à Carry en scooter, mars ou mai, peut-être, et je l’ai ressenti comme un accident aux conséquences dramatiques.

Ce que j’écris, personne ne peut le comprendre. Les psychologues diraient que mon cerveau me protège contre la douleur. Mais moi, je sais tous ces ressentis, et c’est même aujourd’hui ce qui me perturbe, cette ambiguïté permanente.

Je saurai dans 8 jours ce qu’il en sera. Si ton âme est libérée, peut-être serais-je apaisée.

Je t’aime, Yohan.

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Personne ne peut m’aider à comprendre ces sensations, alors comme tu nous l’as dit, je ne « cherche pas à comprendre ».

Mon Ange, il nous faut avancer pour ta sœur qui est présente aussi. Tu n’aurais pas voulu qu’on la laisse tomber, qu’on ne lui consacre que 10% d’amour. On l’aime tant ! Nos échanges se feront ainsi à des moments précieux et sereins où nous pourrons nous consacrer qu’à toi et à toi seulement. Nous parlons beaucoup de toi, de ta vie si courte mais si vivante ! Il nous faut pourtant déjà, déjà nous relever et lutter aussi fort que nous t’avons dit de lutter. Lutter au nom de toi, du courage que tu as eu à te relever, à avancer dans les pires moments.

Comment aurions-nous pu t’en demander autant, être aussi fiers de toi, et renoncer à être à ton image ?

Grand, fort ; tu as lutté de toutes tes forces et grâce à ce courage tu as pu vivre des moments heureux malgré la douleur. Et nous, nous devons faire pareil : lutter contre la douleur pour accepter de vivre des moments heureux.

Il y aura des « hauts » et des « bas », comme tu en as eu, mais il faut que tu puisses être fier de nous. Ne pas te dire : « Tu vois, ils m’en ont tant demandé, fait si souvent la leçon ; je leur ai obéi pour qu’ils soient fiers de moi et ils ne sont pas capables de donner le quart, de relever la tête, de se battre. »

Je sais, Yohan que nous devons regarder le pire pour avancer. Et le pire n’est pas de t’avoir vu partir, mais de t’infliger la lourde peine de rester auprès de nous une vie durant, handicapé, sans jambes, parce que tu aurais dû être amputé si tu avais survécu.

Alors, comme je t’ai toujours dit : « Regarde devant toi, tu ne peux rien contre le passé ; regarde le pire et avance vers le meilleur… », il nous faut avancer ainsi pour ta sœur et par respect pour ce que nous t’avons demandé.

Et pourtant nul ne sait combien tu nous manques, combien la blessure est vive, combien ta mort est injuste.

Tu commençais à peine à être heureux. Une lueur d’espoir s’était allumée en toi comme en moi, comme à la croisée des chemins.

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Ce n’est pas toi qui as choisi ta voie, ni moi, ni ton père, ni personne de ceux qui t’entouraient. C’est le destin, et contre ça personne ne peut lutter.

Je veux t’imaginer en paix, n’ayant plus à lutter pour sortir vainqueur de combats toujours difficiles. Je veux oublier que tu aurais pu vivre heureux. Oublier que le soleil ne brunira plus ta peau, que l’air ne caressera plus tes cheveux, que tu n’auras plus le plaisir de plonger, de nager, de rire, d’écouter de la musique, de jouer à Call off… Je veux oublier ces idées et penser que peut-être la mort a bien fait les choses.

Que peut-être elle t’a épargné le pire. Je savais qu’en mettant des enfants au monde je faisais preuve d’un

grand égoïsme. Je ne savais pas à quel point !

J’ai tant aimé te rencontrer, te nourrir, te bercer, te raconter des histoires, te donner toujours force et courage face aux difficultés.

Mais j’ai tant souffert aussi de te voir tant souffrir.

Tu étais plein de vie, plein de joie et d’envie de vivre, mais rien n’a jamais été facile tant tu plaçais la barre haut.

Tu as bien grandi et nous sommes fiers de toi. Rien, personne ne prendra jamais ta place, ni ne viendra combler le vide de ton absence. Tu seras toujours présent en nous jusqu’à notre mort. Tes rires, tes caresses furtives, tes taquineries, chacun de tes mots est gravé là dans notre cœur et notre mémoire, mais il nous faut lutter pour être à la hauteur de ce que nous t’avons demandé tout au long de ta petite vie.

Je t’aime, mon Ange, dors, dors tranquillement, sans te poser de questions. Nous veillons toujours sur toi. Je t’aime, Yohan.

J’ai l’impression que tout ce qui nous est arrivé depuis le 4 n’est pas arrivé, n’a pas pu arriver !

Depuis, je vis entre parenthèses sans toucher la réalité, mais cette image me hante, celle de cette voiture qui te fait face, de ces phares que tu ne peux éviter, celle des ambulances, des pompiers, de cet univers irréel de télévision auquel j’ai assisté, que nous avons vécu sans le savoir vraiment.

Et puis, toi, allongé, couché là, ta peau toute douce, ce cercueil blanc qu’il a fallu choisir ; E*, ce tombeau pour vous deux. Ce monde… que de monde !

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Et le vide qui nous dit chaque jour que c’est bien arrivé, mais qui nous laisse t’attendre, attendre ton retour, ton sourire.

Penser que tu vas bientôt téléphoner, franchir la porte. Et devoir reprendre une vie quotidienne. Faire les courses sans penser à

ce que tu aimes, en pensant qu’il ne faut pas y penser, parce que tu n’es plus là.

Etendre le linge sans étendre tes affaires parce qu’il n’y a plus de linge de toi à laver.

Me garer sans te laisser la place, parce qu’il n’y a plus de place à laisser.

Aider ta sœur qui nous inquiète. Pas de pleurs ou si peu… une telle colère, je ne sais plus… Et me dire que mes sensations étaient peut-être fausses, que peut-être

cet accident ne t’a rien évité de pire.

Quelle douleur indescriptible ! On atténue la douleur physique, mais qu’en est-il de celle du cœur ?

Je ne t’entendrai plus prendre ta douche le matin, je n’entendrai plus ta musique ni ton remue-ménage. Tu ne te mettras plus à table avec nous.

Tu avais une si jolie vie ces temps-ci…. Je t’aime, mon Ange.

Chaque jour nous rapprochera de toi et que ta sœur soit préservée, mais ce sommeil enfin me délivrera de la souffrance.

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On est le 25/2

20 jours ont passé après ta mort mais c’est un mot que je n’aime pas.

Pour nous tu n’es pas mort, ou bien oui, tu es mort, mais la mort n’est que le commencement d’autre chose.

Me dire que tu vis enfin en paix, ou au pire que tu dors, me culpabilise énormément.

Je suis tiraillée entre ces deux images que tu portais : celle de ton idéal de vie et celle de ton ressenti.

Peut-être aurais-je pu changer les choses en te protégeant davantage ? Tu n’aurais pas pu vivre alors.

J’ai le sentiment que les 17 ans de vie que tu as eus sont 17 ans arrachés à ta mort.

Mort-né, tu aurais pu l’être. A quelques jours de ta naissance aussi. Après tes accidents et l’agression que tu as subis. Et tu t’es sorti de tout par la force de la volonté.

Et puis, ta vie semblait se stabiliser, mais était-ce ta vie ou la nôtre que tu vivais ?

A la croisée des chemins cet accident t’a sans doute évité celui de mars, de mai, en scooter que je vois tous les jours et qui ne me quitte pas.

Toi, sur la route de Carry.

Je vais m’y rendre avec ton père, je veux dire où. Je sais où, mais je ne le vois pas.

Je pourrai le dire quand je le verrai. Tu aurais été seul, en scooter. Voiture ou pas ? Mais en sortie solo. Et puis je te vois là, par terre, puis à l’hôpital, handicapé, seul ton regard se tourne vers moi et peut me dire….

J’ai cette image à l’esprit depuis le début de l’année 2011.

Je vais m’occuper de TINA avec papa, aller lui acheter une plante, la mettre à son endroit, celui où repose ton hamster.

Elle n’est pas seule, elle est avec nous, et j’y pense chaque jour. Nous allons lui rendre hommage aussi, la faire vivre avec nous et la

laisser partir en paix.

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Nous l’aimons comme tu l’aimes. Tu sais, elle te ressemblait. Un électron libre qui n’aimait pas la réalité de la vie dans ce qu’elle nous contraint. Tu étais empreint de liberté et j’entends la chanson que tu m’as adressée : « Vivere de Libertà »

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Le 7/3.

Mon Ange. Aujourd’hui j’ai dû reprendre les cours et c’est une épreuve difficile

encore. A se demander ce que je fais là, et à penser à toi à chaque instant ou presque.

Languir de rentrer comme pour effacer cet espace-temps qui t’a arraché à nous, et te retrouver avec tes colères, avec ton sourire, tes joies, ton rire merveilleux. Je ne t’ai jamais dit combien ton rire était merveilleux.

Comprendre que chaque jour de notre vie sera désormais ainsi, sans toi. Comprendre que l’attente est vaine, et que tu ne rentreras pas ce soir.

Faire semblant de te laisser dormir le matin pour oublier que je n’ai plus à te réveiller, que je ne peux plus te réveiller, là où tu es.

Chasser les images de cet accident de mon esprit, la violence de l’impact, vos corps projetés, ta petite chienne TINA, morte aussi.

Tout ce carnage pour un peu d’adrénaline. Et tu méritais tant de vivre, tout comme ton cousin. Et tu avais déjà tant souffert que tu avais droit à un peu de bonheur.

Et si je pouvais avoir la certitude que cet accident t’a évité le pire, alors je signerais pour souffrir toute ma vie et te laisser la chance de reposer en paix.

Mais rien ne peut être certain, et ce qui l’est aujourd’hui, c’était ta joie de vivre ces derniers temps, tes projets pesés, posés, mesurés ; tes élans de tendresse, le temps que tu nous consacrais.

On a eu ce temps-là pour nous quatre : un havre de bonheur si vite arraché pour plonger dans l’horreur et dans l’inacceptable.

Si au moins en t’écrivant je pouvais recevoir un signe de toi. Les signes, il faut savoir les lire et les entendre. Cette musique, ta musique ce matin à mon arrivée au collège.

Cette ALEGRIA que j’avais jamais lue. Le passage, dimanche. Peut-être s’agit-il de signes ? Mais ta présence nous manque si fort !

Je veux te rejoindre, je sais que je te rejoindrai un jour. Il faut, en attendant, que je prenne soin de ta sœur et de ton papa, qui ont besoin de moi, mais j’écrivais à Patrick, ton ami, que lorsque je te rejoindrai je ne veux pas que tu me dises : « Eh, M’an, t’as fait quoi de ta vie ?! »

2 20

Alors je vais avancer. Quelque 30 ans peut-être. Naïs a besoin de nous comme de vrais parents, le plus longtemps possible, et je ne veux pas l’abandonner.

30 ans, j’imagine que ça peut vite passer si l’on remplit bien sa vie. Alors c’est ce qu’il faudra faire : brûler notre vie par les deux bouts,

pour que les minutes s’égrainent comme des secondes, jusqu’à te rejoindre en paix. Etre là, présents, auprès de ta sœur, doit être un bonheur pour elle et pour nous. Trop de souffrance gâcherait sa vie sans rattrapage possible.

Alors nous allons essayer de vivre, penser à toi comme une lumière qui guide notre chemin, et qui nous attend au loin comme la meilleure des récompenses.

Je sais que tu existes encore, autrement et partout. Je sais que tu m’aides, car, sinon, d’où me viendrait cette force ?

Je m’appuie sur toi un peu avant l’âge. Tu ne me donnes pas ma soupe comme tu souhaitais le faire, tu me donnes ta lumière pour avancer dans ma nuit, et dans ce brouillard.

Je t’aime, Yohan.

Comme tu étais un pilote, je n’ai qu’à fermer les yeux et à me laisser guider par toi.

Je sais que la route sera ainsi plus sereine et me conduira vers ta flamme.

Je t’aime, mon Ange. Je ne pense pas que tu dormes. Je pense que tu es là comme une

présence bénéfique, sinon comment aurions-nous fait pour te survivre ? Je t’embrasse, te caresse, et t’aime comme dans mes plus beaux rêves.

Maman. A tout à l’heure, mon cœur.

Ce qui m’est difficile c’est d’admettre que les moments que nous vivons appartiennent bien à notre réalité.

Comme si nous étions passés dans une autre dimension ! Tu es parti rayonnant, avec TINA, plein de projets pour toi, pour elle,

plein d’envie de bien faire, et en un instant plus rien ! Les lumières, les lumières, les draps blancs, les allées-venues des uns et des autres, et déjà je savais que tu n’étais plus vivant parmi nous.