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Romain Gary est le seul à avoir reçu le prix
Goncourt à 2 reprises, le premier sous son nom
d'écrivain et le deuxième sous le nom d'Emile Ajar.
Les ouvrages de Romain Gary
disponibles au CDI :
Romain Gary est un romancier né en Lituanie et naturalisé français.
Double lauréat du prix Goncourt pour ses romans Les Racines du ciel en
1956 et La Vie devant soi en 1975 (sous le pseudonyme d’Émile Ajar). Son
œuvre vivante et ironique se rapproche du courant postmoderniste.
Résistant durant la guerre (dans les Forces aériennes françaises libres dès
1940), il embrasse ensuite une carrière diplomatique. L’écrivain s’invente
plusieurs biographies et constitue à lui seul une métaphore de la liberté :
Auteur insaisissable, il n’a jamais été autre chose que ce qu’il a choisi
d’être.
Romain Gary : Actualité :
20 décembre 2017
Sortie du film d’Eric Barbier :
« LA PROMESSE DE L’AUBE »
d’après le roman éponyme publié
en 1960.
« Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa
valeur et personne ne vous fera de cadeaux ». (La vie devant soi p.88, Folio n° 1362) »
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Pourquoi faut-il absolument (re)lire Romain Gary ?
Julien Bisson 17 mai 2019
Romain Gary, le seul écrivain qui a reçu à deux
reprises le prix Goncourt, fait enfin son entrée dans la
prestigieuse collection de la Pléiade cette semaine.
L'occasion de rappeler pourquoi il est absolument
nécessaire de lire ou relire Gary aujourd'hui.
Romain Gary, l'homme aux 1 000 vies
Gary l'aviateur, le héros de guerre, l'ambassadeur, le
chercheur de trésors, le séducteur impénitent. Gary
l'écrivain, surtout, deux fois prix Goncourt, suite à la
plus grande supercherie de l'histoire littéraire
française.
Romain Gary fait enfin son entrée dans la prestigieuse
collection de la Pléiade.
Romain Gary © Getty / Sophie Bassouls
https://www.franceinter.fr/personnes/julien-bissonhttp://www.la-pleiade.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/Romans-et-recits5http://www.la-pleiade.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/Romans-et-recits5
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Pourquoi faut-il absolument (re)lire Romain Gary ?
Parce qu'il a tout vu avant les autres sur notre époque.
Passé la comédie des apparences et des faux-semblants, la voix de Gary s'impose comme sacrément singulière. Puissante.
Nécessaire. Avec le temps pour allié qui lui confère sa véritable dimension. Une voix actuelle et universelle, des mots
d'hier pour dire quelque chose du monde d’aujourd’hui.
C'est lui qui nous alerte, dès 1974, sur les dangers de la virilité et le besoin de féminité, quand il écrit :
Tant qu'on ne verra pas à la tribune de l'Assemblée nationale une femme enceinte, chaque fois que vous parlerez à la
France, vous mentirez.
C'est lui qui célèbre l'Europe, cette Europe que nous n'arrivons plus à aimer et dont il rappelle ô combien elle a besoin
d'imaginaire, lui qui annonce avant l'heure la solitude urbaine, le règne des machines qui vient, le manque d'amour
qui nous étreint et qui nous fait adopter des pythons qu'on appellera "Gros câlin", lui qui dénonce le racisme commun
dans Chien blanc, c'est lui surtout qui joue les lanceurs d'alerte dès les années 1950 sur le péril qui pèse sur la biosphère
avec le formidable Les racines du ciel, premier roman écologique où la lutte d'un homme pour sauver les éléphants
d'Afrique sert aussi bien de plaidoyer pour la vie et la dignité de l'espèce humaine
Il écrit, bien avant les éditorialistes d'aujourd’hui :
Ce qui se passe dans nos mers est pire que la peste au Moyen-Âge.
"La mer est notre ancêtre. Il a fallu à la vie plus de cent millions d'années pour produire la tortue de mer géante, la
baleine et le phoque moine. Il nous a suffi de trois générations pour en arriver à un point où la disparition totale paraît
presqu'inévitable".
Romain Gary était un désespéré qui a eu raison avant les autres mais qui n'a jamais sombré pour autant dans le nihilisme
actuel, qui nous incite à l'action, nous invite à l'amour, nous pousse à l'attachement.
Il écrivait dans La nuit sera calme :
Le drame des hommes et des femmes, en dehors des situations d'amour, en dehors des situations d'attachement profond,
est une sorte d'absence de fraternité.
Alors retrouvons cette fraternité, prenons le temps de l'attachement afin de redécouvrir la tendresse, cette tendresse dont
il estimait dans Gros-câlin qu'elle a "des secondes qui battent plus lentement que les autres".
https://www.franceinter.fr
Romain Gary, le roman total dans la Pléiade
Jean-Marc Proust — 16 mai 2019
La publication des romans et récits de Romain Gary dans la collection mythique marque
une réconciliation de l'écrivain avec lui-même et avec ses détours, entre pseudonymes et
écrits dissimulés.
Romain Gary derrière son bureau, rue du Bac à Paris, en 1971. | Jacques Robert / Éditions Gallimard.
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Chien-Blanchttps://www.senscritique.com/livre/Les_Racines_du_ciel/495209http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-nuit-sera-calmehttp://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Gros-Calin2http://www.slate.fr/source/28527/jean-marc-proust
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L'attente du public est forte, et il est probable que l'entrée de Romain Gary dans la Pléiade, manière de brevet
d'excellence littéraire, se fera sans trop de remous –bien qu'en France, le succès reste souvent suspect.
Romain Gary, auteur sans doute trop populaire, n'a pas été épargné par les critiques. Mireille Sacotte se souvient
de la surprise de ses collègues universitaires lorsqu'elle entreprit de l'étudier; il était alors considéré comme un
«mauvais écrivain».
Cette édition, assortie d'un important travail d'analyse et de contextualisation, lui rend justice en restituant une
quinzaine de romans et récits dans leur continuité et leur diversité, sans rien omettre des débats auxquels ils ont
donné lieu. L'œuvre et l'homme s'y avèrent indissociables, dans un jeu de piste permanent où les pseudonymes
occupent évidemment une place essentielle.
Un ancrage dans la littérature populaire Examinons d'abord la bonne fortune littéraire de Gary, romancier à succès. Au moment où le roman explore des
voies nouvelles, lui maintient l'ancrage narratif, à peine troublé par de rares descriptions et portraits, où il
«cherche la formule qui humanise un visage, non le lourd appareil descriptif qui détaillerait une apparence».
Il aime «raconter des histoires, y prendre plaisir et communiquer ce plaisir»; il conserve le récit au moment où
celui-ci est contesté. Pour Les Racines du Ciel, il assumera d'avoir opté pour «la force» au détriment parfois de
la forme.
Par-delà ses références les plus nobles (Hugo, Gogol...) se glissent probablement d'autres influences, que l'on
n'imaginait pas forcément. Ainsi d'Arsène Lupin, qui renvoie à son goût des pseudonymes: nul doute que le
gentleman cambrioleur eût apprécié à sa juste mesure la formidable effraction du deuxième Goncourt.
De même, est-ce un hasard si parfois Gary glisse le nom de Rouletabille? Lady L., dans lequel une vieille
aristocrate anglaise narre le sombre récit de sa jeunesse, entre père abusif, prostitution et attentats anarchistes,
est empreint d'une ironie permanente que n'aurait pas renié Gaston Leroux.
Du personnage de Gromoff, croisement possible de la Ficelle et de Chéri-Bibi, à l'usage malicieux des italiques
dont Leroux raffolait («Je suis le dernier anarchiste qu'il reste à l'Angleterre, on devrait tout de même me
ménager...»), en passant pour le goût ironique du macabre, ce roman pourrait avoir été écrit par le père de
Rouletabille.
Ajoutez Karl May, Alexandre Dumas, Jules Verne, Robert Stevenson: ces lectures de jeunesse hantent parfois
le style de Gary, en conférant à ses textes le meilleur de la littérature populaire –un rythme alerte et un récit
trépidant, sans rien ôter de la profondeur et du recul de la littérature dite «sérieuse». Et l'on n'oubliera pas le
langage de Momo dans La Vie devant soi, qui doit beaucoup à la série des Petit Nicolas, comme l'a montré
David Bellos. La politesse du désespoir L'humour s'impose comme une autre constante. Souvent grinçant, jouant puissamment avec l'autodérision
(«L'humour est une arme qu'on retourne contre soi»), il permet toutes les audaces et les relativise aussitôt.
L'héroïsme du narrateur dans La Promesse de l'aube est balayé, succession de ratages ou de coups de chances.
Dans La Danse de Gengis Cohn, la noirceur de la Shoah se voit expédiée en traits cinglants. Ainsi de Schatz,
ancien SS qui a une peur bleue du savon: «Il y a vingt-deux ans que je ne touche plus au savon, on ne sait jamais
qui est dedans! [...] Qui c'est, hein?, hurle-t-il. Qui c'est, ce savon?» Avant d'être fusillé, Cohn fait un bras
d'honneur aux nazis et leur montre son cul, ce qui scandalise l'officier, outré d'une telle indignité face à la mort.
Aucun registre ne lui semble étranger, «du grotesque rabelaisien à l'humour anglais, de la commedia dell'arte
à l'ironie voltairienne, de la verve irrépressible à l'allusion souriante (sans oublier) le comique du langage»,
jusqu'à la verve féroce et jouissive de Vie et mort d'Émile Ajar, savoureux règlement de comptes avec le monde
littéraire parisien. Le rire s'avère d'autant plus nécessaire qu'il s'adresse à la condition humaine dans ce qu'elle
a de plus misérable, de plus tragique, pour lui rendre imparablement sa dignité.
«L'humour a été pour moi, tout au long du chemin, un
fraternel compagnonnage: je lui dois mes seuls instants
véritables de triomphe sur l'adversité. Personne n'est
jamais parvenu à m'arracher cette arme, et je la retourne
d'autant plus volontiers contre moi-même, qu'à travers le
“je” et le “moi”, c'est à notre condition profonde que j'en
ai. L'humour est une déclaration de dignité, une
affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui
arrive.»
Romain Gary écrivant à son bureau, rue du Bac à Paris, en 1971. |
Jacques Robert / Éditions Gallimard
http://www.lecippe.ch/fr/association-acel.4/anciens-membres-membres-dhonneur.90/mireille-sacotte.169.htmlhttps://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/romain-gary-la-vie-dapreshttps://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/romain-gary-la-vie-dapreshttps://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Racines_du_cielhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Lady_L._%28roman%29https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A9ri-Bibihttps://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Mayhttps://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vie_devant_soihttps://www.academia.edu/5776015/Petite_histoire_de_lincorrection_%C3%A0_lusage_des_Ajaristeshttps://www.academia.edu/5776015/Petite_histoire_de_lincorrection_%C3%A0_lusage_des_Ajaristeshttps://fr.wikipedia.org/wiki/La_Promesse_de_l%27aubehttps://fr.wikipedia.org/wiki/La_Danse_de_Gengis_Cohnhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Vie_et_mort_d%27%C3%89mile_Ajar
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Une lecture lucide de son temps D'autres éléments s'invitent dans son œuvre, à commencer –et sa carrière diplomatique n'y est pas étrangère–
par une attention lucide aux enjeux de son époque (Adieu Gary Cooper, Chien blanc) et même la prescience de
ceux à venir.
Décrivant l'Afrique postcoloniale, entre corruption, népotisme et pillage des ressources naturelles, Les Racines
du ciel (Prix Goncourt 1956) est «considéré comme le premier roman écologiste», puisqu'il relate le combat
obstiné de Morel en faveur des éléphants menacés de disparition. Chien blanc évoque quant à lui la pollution
automobile.
Dans La Vie devant soi, l'écrivain s'attache autant au sort misérable des enfants de prostituées qu'à la solitude
des personnes âgées et aux questions de la fin de vie. Momo y observe que «les vieux et les vieilles [l'écriture
inclusive, déjà, ndla] ne servent plus à rien et ne sont plus d'utilité publique».
Écrivant la biographie de son double, Émile Ajar, il en fait un Français réfugié au Brésil pour avoir pratiqué des
avortements. Le manuscrit sera d'ailleurs transmis par Gisèle Halimi, signataire du «Manifeste des 343» et
militante résolue de la dépénalisation.
Enfin, la sexualité irrigue fortement ses textes, parfois avec crudité, le plus souvent de manière allusive, avec
force symboles phalliques, bien souvent tournés en dérision, jusqu'à la disparition du désir (Au-delà de cette
limite, votre ticket n'est plus valable).
Par quel double me vois-je emporté loin de moi!(1) Mais c'est évidemment le thème du double –et parfois de son absence– qui constitue le principal fil conducteur,
jusqu'à définir, et peut-être constituer, l'œuvre elle-même. La plupart des romans portent la trace de tels
dédoublements, où les identités établies sont toujours incertaines.
Dans La Vie devant soi, «l'éducation religieuse de Momo et de Moïse est interchangeable lorsque la situation
commande faire passer un enfant juif pour un enfant arabe», note Kerwin Spire. Dans Clair de femme, une
femme atteinte d'un cancer demande à son mari de l'aimer après sa mort, à travers une autre.
Dans Lady L., les anarchistes sont aussi des aristocrates. Leur histoire est authentifiée par une bibliographie
fictive, qui renforce la coexistence permanente du réel et de la fiction, avec des références avérées et d'autres
inventées, qui déroutent autant qu'elles séduisent.
Comme dans La Promesse de l'aube, le romancier ne promet pas la vérité, mais un récit. Il n'est ni biographe,
ni historien. «Le jeu des sources devient ici un élément constitutif de l'esprit de l'écriture, à la fois érudite et
mystificatrice», observe Marie-Anne Arnaud-Toulouse.
Et c'est pourquoi il faut prendre la dite «affaire Ajar» très au sérieux. «Une telle imposture avait un nom: cela
s'appelait l'authenticité», affirmait Gary.
«Je me suis toujours été un autre» L'obsession du dédoublement va peu à peu aller très au-delà d'une supercherie à la Lupin. Elle devient un
élément-clé de la création littéraire chez Gary, qui rêve d'un «roman total».
Très tôt –vrai ou faux?–, le jeune Roman Kacew se cherche des pseudonymes, qu'il compose en usant de
références puisées chez Stendhal ou Alexandre Dumas fils. Comme sa
mère, il estime que Kacew («boucher», en yiddish lituanien) ne
prédestine pas à une grande carrière artistique. Pour l'apprenti écrivain,
la fabrication de pseudonymes semble aussi importante que l'écriture des
livres –et de fait, elle la précède.
Dans ce roman entièrement écrit à la première personne du singulier et
du pluriel, le «je» du narrateur est aussi celui de sa mère, un «nous»
fusionnel où Gary construit le destin (voulu par) de sa mère.
Mina et Roman Kacew à la terrasse de l'hôtel Mermonts de Nice, vers la
fin des années 1930. | Collection Sylvia Stave-Agid
«Il ne suffit pas de venir au monde pour être né», écrit-il. Changeant de
nom durant la Seconde Guerre mondiale, il s'affranchit de sa naissance
et s'offre, à la fois par son engagement dans la France libre et par son
écriture, une nouvelle naissance: «Le baptême de l'air et du feu est
indissociable du baptême de la plume», constate Maxime Decout.
Dès lors, il n'aura de cesse de se réinventer, de renaître, à la fois pour
lutter contre le vieillissement, pour explorer d'autres horizons
stylistiques, mais aussi dans une logique humaniste. Car le roman est
l'expérience de la «fraternité»: «On se met dans la peau des autres.»
https://fr.wikipedia.org/wiki/Adieu_Gary_Cooperhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Chien_blanchttps://fr.wikipedia.org/wiki/Gis%C3%A8le_Halimihttps://fr.wikipedia.org/wiki/Manifeste_des_343https://fr.wikipedia.org/wiki/Au-del%C3%A0_de_cette_limite_votre_ticket_n%27est_plus_valablehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Au-del%C3%A0_de_cette_limite_votre_ticket_n%27est_plus_valablehttp://www.slate.fr/story/177147/culture-litterature-romain-gary-romans-recits-pleiade#Bashttps://fr.wikipedia.org/wiki/Clair_de_femmehttp://www.leseditionsdeminuit.fr/auteur-Maxime_Decout-1850-1-1-0-1.html
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«Lorsque j'entreprends un roman, expliquait Gary, c'est pour courir là où je ne suis pas, pour aller voir ce qui
se passe chez les autres, pour me quitter, pour me réincarner.»
Le romancier écrit plusieurs de ses textes en anglais, les traduit, s'offrant ainsi un autre langage (sans oublier
évidemment de donner des pseudonymes à ses traducteurs ou traductrices). Au-delà du cache-cache avec lui-
même et son lectorat, «l'auto-traduction est une transmutation qui le conduit à créer de toutes pièces ce
traducteur fictif et à relancer le bal des pseudonymes là où personne ne s'y attendrait. Car écrire dans une
langue étrangère, c'est se déprendre de ses habitudes de parole et de pensée».
L'aventure Ajar Évidemment, le pseudonyme –ou plutôt hétéronyme– Émile Ajar pousse au paroxysme ce dédoublement.
Pseudo s'avère un implacable exercice de schizophrénie littéraire. Écrit à la première personne, avec des phrases
mal construites, parfois conclues de manière abrupte, dans lesquelles surgissent maladresses et se fait entendre
un accent («proxynète», «manicure», «travestite»), La Vie devant soi est en quelque sorte écrit à six mains:
Gary, Ajar, Momo.
Certains critiques se sont acharnés contre lui, disant: «C'est un étranger, il parle mal le français.»
«Il ne faut surtout pas réduire ce projet à une simple supercherie littéraire destinée à tromper la critique, par
désir de vengeance contre les milieux littéraires parisiens. Renaître sous le nom et sous le masque d'Ajar, c'est
pour Gary obéir plus profondément à une nécessité qui est d'ordre à la fois existentiel et esthétique», pour se
protéger «d'une peur d'être Gary, de n'être que Gary, de radoter, de se singer», analyse Denis Labouret.
L'auteur a souffert d'une image figée que lui a collée la critique, mais il entend surtout renaître, écrire un autre
premier livre: «Recommencer revivre, être un autre fut la grande tentation de mon existence.» Symboliquement,
dans Gros-Câlin, Ajar mue, mettant en scène un python, un animal qui se débarrasse souvent de sa «vieille
peau».
Le casse littéraire du siècle L'année 1974 marque l'apogée de ces dédoublements: «L'aventure du devenir autre semble ne plus connaître
de limites.» Il publie Les Têtes de Stéphanie sous le nom de Shatan Bogat, qu'il munit d'une biographie toute
romanesque: cet Américain vit en Inde, a été journaliste et a reçu le prix Dakkan (qu'aucun autre écrivain n'a
jamais décroché, puisqu'il n'existe pas –ce dont personne ne s'avise), pour un roman lui-même fantôme, Seven
years in fire.
Le manuscrit est rédigé en anglais, à charge pour Gallimard de le traduire. La traduction ne convient pas à
Shatan, aussi Romain Gary traduit-il lui-même son propre texte, en inventant la traductrice Françoise Lovat.
L'année suivante, il fait traduire sa traduction en anglais, pour le publier en Angleterre sous le nom de René
Deville. Merveilleuses «contorsions identitaires», fabuleux «carrousel des impostures»: Borgès n'aurait pas fait
mieux.
En mai 1974, Gary publie La Nuit sera calme, un entretien avec son ami François Bondy, qu'il rédige lui-même
avec son accord: «Le texte est l'occasion d'un dédoublement radical jusque dans sa forme, une conversation où
Gary se met à distance de lui-même en soufflant à Bondy des questions parfois mordantes et offensives, qui le
mettent en difficulté et à l'épreuve.» En septembre de la même année, il publie Gros-Câlin, le premier des quatre
romans signés Émile Ajar.
De cette renaissance, ce recommencement du premier roman, cette réincarnation, surgissent à la fois un écrivain
entièrement fabriqué et son œuvre, un «roman total» d'une modernité résolue.
Dans ce que signe Ajar, «l'invention verbale, les dispositifs narratifs et les statuts des personnages n'ont rien à
envier aux innovations des nouveaux romanciers», observent Mireille Sacotte et Denis Labouret. Ajar s'est
affranchi de Gary, et malgré quelques ressemblances ou citations, personne ou presque ne fait le rapprochement.
La suite est connue, qui mène à un second Goncourt –
refusé, mais décerné.
En décembre 1980, Romain Gary se suicide, d'une balle
dans la tête.
«Moi ce qui m'a toujours paru bizarre, c'est que les larmes ont été
prévues au programme. Ça veut dire qu'on a été prévu pour
pleurer. Fallait y penser.» | Mu via Wikimedia Commons
Suivront les aveux du prête-nom Paul Pavlowitch en
1981, puis le testament littéraire de Gary, Vie et mort
d'Émile Ajar, publié peu après, dans une course folle à
la vérité.
https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9t%C3%A9ronymehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Pseudo_%28roman%29http://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/romain-gary-la-vie-dapreshttp://lettres.sorbonne-universite.fr/article/labouret-denis?lettre=lhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Gros-C%C3%A2linhttp://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Les-tetes-de-Stephanie2https://fr.wikipedia.org/wiki/La_nuit_sera_calmehttps://www.lexpress.fr/culture/livre/1975-la-vie-devant-soi-par-emile-ajar_810648.htmlhttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plaque_Romain_Gary,_108_rue_du_Bac,_Paris_7.jpghttps://m.ina.fr/video/I05040687/paul-pavlovitch-a-propos-de-romain-gary-alias-emile-ajar-video.htmlhttps://m.ina.fr/video/I05040687/paul-pavlovitch-a-propos-de-romain-gary-alias-emile-ajar-video.html
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«Et les échos qui me parvenaient des dîners dans le monde où l'on plaignait ce pauvre Romain Gary qui devait
se sentir un peu triste, un peu jaloux de la montée météorique de son cousin Émile Ajar au firmament littéraire
alors que lui-même avait avoué son déclin dans Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable... Je me
suis bien amusé. Au revoir et merci.»
Le roman total au Panthéon
La réconciliation post mortem des pseudonymes, par-delà l'étonnement qu'elle suscita, invite à regarder l'œuvre
dans son ensemble, pour s'étonner de sa diversité et de son altérité: «De la mise en abyme d'Éducation
européenne à la polyphonie labyrinthique des Racines du ciel, de la voix narrative fantastique de La Danse de
Gengis Cohn à la temporalité extensive des Enchanteurs, des jeux de miroir vertigineux d'Europa à ces
autofictions avant la lettre que sont La Promesse de l'aube et Chien Blanc, l'œuvre de Gary est riche de romans
et de récits qui sont bien loin de se soumettre aux modèles hérités.» Gary l'ancien préfigurait Ajar le moderne.
Notons enfin le paradoxe résultant de ces multiples identités. Certes, Romain Gary fustigea la critique littéraire
française, paresseuse et corrompue («renvois d'ascenseurs»), mais par sa vie formidablement romanesque, il lui
a fourni la trame d'une paresse supplémentaire: inutile de lire les livres lorsque le processus créateur leur apparaît
supérieur.
«La critique en France, je vais vous dire, ne juge jamais un livre, mais une personnalité. Et il se trouve que la
mienne les agace depuis longtemps. On m'a toujours fait la gueule à Paris. Qu'ils insinuent donc ce qu'ils
veulent. Je suis un vieux chien de soixante-et-un ans et je les emmerde.»
Peu importe: en écrivant sa propre légende, il a rejoint la cohorte des grands écrivains dont on peut révérer la
stature sans les avoir vraiment lus. Comme Hugo, il se décline en spin-off. Désormais édité dans la bibliothèque
de la Pléiade, il voisine avec le grand Victor et tient ainsi pour l'éternité sa Promesse de l'Aube.
«Elle ne m'écoutait pas. Son regard se perdit dans l'espace et un sourire heureux vint à ses lèvres, naïf et
confiant à la fois, comme si ses yeux, perçant les brimes de l'avenir, avaient soudain vu son fils, à l'âge d'homme,
monter lentement les marches du Panthéon*, en grande tenue, couvert de gloire, de succès et d'honneurs.»
«*Oui, je sais.»
1 — La citation exacte de Racine dans Phèdre est: «Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi!»
http://www.slate.fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ducation_europ%C3%A9ennehttps://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ducation_europ%C3%A9ennehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Enchanteurshttps://fr.wikipedia.org/wiki/Europa_%28roman_de_Gary%29https://www.babelio.com/livres/Deserable-Un-certain-M-Piekielny/956725/critiqueshttp://www.slate.fr/