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Bhdg 2, 2012 ISSN 2034-7189
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BULLETIN HEIDEGGRIEN (Bhdg)
- Secrtaires :
Sylvain CAMILLERI (Universit catholique de Louvain/Universit de
Montpellier III)
Christophe PERRIN (Universit Paris-Sorbonne)
- Comit scientifique :
Jeffrey Andrew BARASH (Universit de Picardie Jules Verne)
Rudolf BERNET (Katholieke Universiteit Leuven)
Steven CROWELL (Rice University)
Jean-Franois COURTINE (Universit Paris-Sorbonne)
Dan DAHLSTROM (Boston University)
Franoise DASTUR (Universit de Nice Sophia-Antipolis)
Gnter FIGAL (Albert-Ludwigs-Universitt Freiburg)
Jean GRONDIN (Universit de Montral)
Theodore KISIEL (Northern Illinois University)
Richard POLT (Xavier University)
Jean-Luc MARION (Acadmie franaise)
Claude ROMANO (Universit Paris-Sorbonne)
Hans RUIN (Sdertrn University)
Thomas SHEEHAN (Stanford University)
Peter TRAWNY (Bergische Universitt Wuppertal)
Jean-Marie VAYSSE (Universit de Toulouse-Le Mirail)
Helmut VETTER (Universitt Wien)
Holger ZABOROWSKI (Catholic University of America)
- Comit de rdaction :
Diana AURENQUE (Karl-Ruprechts-Universitt Tbingen)
Vincent BLOK (Radboud University Nijmegen)
Cristian CIOCAN (Universitatea din Bucureti)
Franois JARAN (Universitat de Valncia)
Julien PIRON (Universit de Lige)
Mark SINCLAIR (Manchester Metropolitan University)
Christian SOMMER (CNRS, Paris)
Sverin YAPO (Universit de Cocody)
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- Correspondants locaux :
Victoria BRIATOVA (- )
Wenjing CAI (University of Copenhagen)
Richard COLLEDGE (Australian Catholic University)
Tziovanis GEORGAKIS ( )
Takashi IKEDA (University of Tokyo)
Francesco PAOLO DE SANCTIS (Universit Ca Foscari Venezia)
Marcus SACRINI (Universidade de So Paulo)
Young-Hwa SEO (Seoul National University)
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SOMMAIRE DU BHDG 2
LIMINAIRES ............................................................................................................. 4
I. Le sacrifice de ltre. Note sur la pense du sacrifice chez Heidegger ,
par Joseph COHEN .................................................................................................. 4
II. "Natur Kunst Technick". Chronique des rencontres de Messkirch,
25-29 mai 2011 , par Sylvaine GOURDAIN et Claudia SERBAN ..................... 44
BIBLIOGRAPHIE POUR LANNE 2011 .................................................... 49
1. Textes de Heidegger .......................................................................................... 49
2. Traductions de textes de Heidegger ................................................................ 49
3. Collectifs et numros de revues ...................................................................... 51
4. tudes gnrales ................................................................................................ 57
5. tudes particulires ........................................................................................... 63
RECENSIONS ........................................................................................................ 85
INSTRUMENTUM ............................................................................................ 123
* Les secrtaires du Bhdg remercient le Centre dtudes phnomnologiques de
lUniversit catholique de Louvain (dir. Mme Danielle Lories) et le Centre
dhermneutique phnomnologique de lUniversit Paris-Sorbonne (dir. MM.
Claude Romano, Jean-Claude Gens et Michael Foessel) daccueillir cette publication sur leur
site respectif.
** Il est possible de se procurer des tirs--part du Bhdg en crivant ladresse :
bulletin.heideggerien@gmail.com. Nota bene : le numro ISSN de la version
imprime diffre de celui de la version lectronique.
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BULLETIN HEIDEGGRIEN II
Organe international de recension et de diffusion des recherches heideggriennes pour lanne
2011
LIMINAIRES
I. LE SACRIFICE DE LTRE Note sur la pense du sacrifice chez Heidegger
Depuis quelle Loi lhistoire de la philosophie se sera-t-elle constitue et
dploye en tant que vrit ? Cette question provoque un bouleversement de la
philosophie par la philosophie. Et ce parce quelle commande son histoire de
se soumettre lpreuve la plus radicale : mettre en question cela mme qui laura
conditionne. Comme si la philosophie devait, par cette question, se dtacher
delle-mme en pntrant en elle-mme afin dy rvler la conditionnalit
propre de son dveloppement. Ainsi, cette question ordonne lide directrice
de lhistoire de la philosophie de rexaminer, dvaluer, et donc de justifier la
prsupposition fondamentale de son orientation en rvlant le lieu foncier
depuis lequel se sera affermie son assise, sa base, sa stance. Elle exige donc de
lhistoire de la philosophie une confrontation avec elle-mme en examinant la
modalit propre de son discours et en requrrant de celui-ci lexplicitation de
son coup denvoi . Car lhistoire de la philosophie nen aura jamais fini de
dvoiler cela mme qui louvre ce quelle est et de rejouer ce qui la dfinit en
sexposant au questionnement du lieu originaire do sveille son vnement.
Cest dire quinterminablement la philosophie ne cessera de revenir sur elle-
mme. Mais que signifie ici revenir ? Ou encore, do peut sentendre la
propension propre la philosophie dexprimer ce quelle est en questionnant
do elle vient ?
Fond par Sylvain Camilleri & Christophe Perrin.
Ont collabor ce Bulletin : Mmes Diana Aurenque, Ccile Bonmariage, Victoria
Briatova, Wenjing Cai, Sylvaine Gourdain, Ariane Kiatibian, Virginie Palette et Claudia Serban ; MM. Sylvain Camilleri, Cristian Ciocan, Joseph Cohen, Richard Colledge, Tziovanis Georgakis, Francesco Paolo De Sanctis, Choong-Su Han, Takashi Ikeda, Franois Jaran, Paul Marinescu, Christophe Perrin, Quentin Person, Marcus Sacrini, Young-Hwa Seo, Mark Sinclair, Christian Sommer et Kazunori Watanabe. Que M. Joseph Cohen soit tout particulirement remerci pour la confiance inconditionnelle quil a place
en lui. Le symbole signale les publications recenses de lanne.
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Assurment, cette propension originaire constitue et dploie la
philosophie en tant que vrit. Depuis Platon, peut-tre mme depuis
Parmnide, la philosophie sest reconnue dans lexercice tendu vers la
comprhension de ltre en tant que vrit. Cest cependant Aristote 1 qui
donnera cette vise sa formulation la plus dcisive en la dterminant dans
lhorizon ultime dun questionnement dont la tche sera de penser lessence de
ce qui est. Cet horizon fera de la mtaphysique une science distincte et
diffrente de toutes les autres sciences. Car celles-ci ne conoivent toujours
quune rgion particulire au sein de la totalit de ltant. Elles rflchissent
toujours l objet en ce que celui-ci appartient dj lhorizon de ltantit
dterminable. Mais la science de ltre en tant qutre ouvre cela mme qui
ne saurait se rduire la dtermination. Elle ouvre donc ce qui transcende
toute dtermination et dpasse toute gnralit gnrique. Car ltre ne saurait
se rduire lhorizon capable de le comprendre en tant qu objet
pralablement dtermin. En ce sens, ltre est le transcendantal inobjectivable,
indtermin et indterminable. Or cest ici que slabore, proprement dit, le
problme de la mtaphysique : est-il possible de circonscrire ce transcendantal
en une science qui, par dfinition, doit et se doit de ntre concentre que sur
un genre dtermin 2 ?
En vrit, cette question ne peut que se rsoudre, se dlier et se relever
par une subrogation. La modalit propre de substitution, Aristote lengagera
dans la Mtaphysique o seront dabord dtermines les diffrentes acceptions
du sens de ltre et o, par consquent, stablira la quadruple dfinition de
ltre : ltre en tant quaccident ; ltre comme vrai ; ltre selon les catgories ;
ltre en tant que potentialit et activit. Or, et Aristote le prcise dans le Livre
de la Mtaphysique, de tous les sens fondamentaux de ltre, ltre au sens le
plus magistral revient ltre vrai ou faux 3. Cest dire et telle sera la thse
capitale de tout ldifice ontologique aristotlicien : le sens de ltre sexprime
en tant quil appartient vridiquement ltant lui-mme, alors que celui qui se
trouve dans le faux ne fait que contredire ltant en son tre. Ainsi, la question
visant le sens de ltre est restreinte, voire rduite, la possibilit de penser le
1 Sur le rapport entre ontologie et vrit chez Aristote, renvoyons aux textes suivants de Martin Heidegger : Die Grundbegriffe der antiken Philosophie, GA 22, pp. 149 sq., ainsi qu Aristoteles, Metaphysik 1-3. Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, GA 33, pp. 11 sq. Cf. aussi lexcellente et dsormais classique tude de Pierre Aubenque, Le problme de ltre chez Aristote, Paris, PUF, 1962. 2 Aristote, Mtaphysique, Livre , 2, 1003 b 19-20. 3 Aristote, Mtaphysique, Livre , 10. Cf. Martin Heidegger, Aristoteles, Metaphysik, 1-3. Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, GA 33.
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lieu o ltant est exprim en vrit. Ce qui signifie qu mme la question du
sens de ltre sopre un passage o linfinitif verse dans le participe et donc o
lentiret du projet dclaircir lessence de ce qui est sentend comme la tche
dexprimer le sens par lequel ltant se rvle en tant qutant, ou encore, en
lequel ltant dvoile par o il est tant, cest--dire, en et par lequel ltant
dcouvre le fond vrai de son dploiement propre. Do la question fondamentale
de la mtaphysique : quel est le sens de ltre de ltant et comment tablir le
lien vridique entre ltre de ltant et ltant ?
Or et il sera revenu Heidegger de le relever snonce, mme
cette question fondamentale, un certain glissement o le sens de ltre revient
la possibilit de dicter les premiers principes et les premires causes de ltant.
la question du sens de ltre, Aristote lui subroge donc une mtaphysique
entendue comme science capable dinstituer la base, le soubassement, lassise
de ltant. Et cette subrogation, il nous faut la souligner mme le texte
dAristote. Il nous faut marquer en quoi elle est inscrite et ne cesse duvrer au
cur de la pense dAristote projetant ainsi cela mme que Heidegger aura
nomm la constitution onto-thologique de la mtaphysique . Et pour
souligner dabord et avant tout ceci : cette subrogation tmoigne dj de la
diffrence sournoise, cache, dissimule depuis laquelle lonto-thologie se
dploiera, se dveloppera et saccentuera entre la pense de ltre et la
question de ltre en tant que fondement de ltant . Car, et il nous faut le
rappeler, cette subrogation opre mme la smantique du mot tre qui, nous
lavons rappel plus haut, arbore plusieurs sens dfinitionnels. En effet,
plusieurs reprises, dans la Mtaphysique, Aristote signalera la polysmie de
ltre1. Et mme en privilgiant lousia, il ne cessera de rappeler et de cautionner
quil ne sagit l quun des sens possibles de ltre et non pas sa seule et unique,
fixe et unilatrale dfinition. Certes, et Heidegger naura pas manqu de le faire
remarquer, Aristote ne suivra pas la voie quil avait pourtant trace et fraye.
Aprs avoir affirm la polysmie de ltre, il sefforcera dattnuer cette
affirmation en marquant le lieu o sera concentre lhomonymie de ltre.
Ce lieu nous le savons cest lousia entendu la fois comme essence et
substance. Cest dire donc que lousia sera pense dans la conjonction de
1 Aristote dfinit la polysmie du verbe tre principalement dans le Livre , 7, 1017 a 23 sq. de la Mtaphysique. Notons cependant quil y revient dans le Livre , 2, 1003 a 33, puis galement, dans le Livre , 1, 1028 a 10. Cf. la trs judicieuse lecture de linterprtation que fera Heidegger de la polysmie de ltre propose par Werner Marx dans Heidegger und die Tradition. Eine problemgeschichtliche Einfhrung in die Grundbestimmungen des Seins, Hamburg, Meiner, 1980.
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lessence et de la substance et se signifiera ainsi en tant qu essence
substantielle . Do la signification ddouble de lousia avance par Aristote
dans le Livre , 2 : essence principielle de ltant et substrat des accidents, ou
encore, principe dintelligibilit de tout tant et conditionnalit de lexistence en
tant qutant. Lousia devient ainsi l essence-substance de lonto-thologie et,
en ce sens, le socle par lequel tous les autres sens de ltre peuvent se dire en
vrit. Et donc : lousia est ce quoi toutes les acceptions de ltre sont
suspendues tel quAristote sapplique le rappeler toujours dans le Livre
de la Mtaphysique. Ainsi, lhistoire de la mtaphysique sera entirement
structure par ce glissement subrogatoire premier et originaire dont nous
venons de retracer la pente. Plus encore, il appartiendra la mtaphysique de
parfaire cette substitution et, partant, daggraver subrepticement, en la
refoulant jusqu loubli, la diffrence do pourtant elle se sera dploye du
sens de ltre sa comprhension en ousia comme essentialit et substantialit
de ltant en totalit. Et ce, en prorogeant une distinction hirarchique entre la
mtaphysique gnrale , reine des sciences, premire en dignit et
importance et seule lgitime discourir sur ltre, puis les trois autres
domaines de savoirs thoriques, nommes mtaphysiques spciales , et o la
psychologie, la physique et la thologie se voient attribuer la responsabilit de
discourir sur lme, sur le cosmos et sur Dieu. Or, selon Aristote, celles-ci ne
sont pas toutes gales. Au sein des mtaphysiques spciales , il faut encore
hirarchiser. Cest--dire, reconnatre la supriorit de la thologie dans la
hirarchie des mtaphysiques spciales . Car, sil est vrai que nous pouvons,
selon Aristote, modifier lordre de cette hirarchie en interchangeant la
psychologie et la physique, il demeure interdit de destituer la thologie de sa
suprmatie dans lascendance des mtaphysiques spciales . La thologie est
science minente et premire en ce quelle discourt sur le genre le plus excellent
de ltre, cette nature immobile et spare quest Dieu. Cela ne saurait
vouloir dire cependant que la thologie serait antinomique aux autres sciences.
En vrit, son excellence est fondatrice et universelle. Elle fonde les autres
sciences en tant la seule science dont luniversalit est en elle-mme essentielle.
Ainsi, la primaut de la thologie la dfinit la fois comme cette science dont
le discours portera sur lessence de ltant suprme, mais aussi, comme
essentiellement universelle. Elle explicitera la fois lessence de ltant premier
et parfait, mais aussi, et par consquent, aura pour tche de rflchir lessence
universelle de la totalit de ses attributs, cest--dire de tout ce qui est, et donc
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ltant en totalit1. Elle sera donc tenue ce qui donnera lieu une onto-
thologie selon laquelle Dieu donnerait ltre aux tants par la vertu de sa
propre essence de signifier la synthse essentielle entre le discours sur ltant
suprme et lexpression de ltant en totalit.
Onto-thologie , telle sera lappellation que Heidegger attribuera non
seulement au mouvement de cette synthse entre thologie et ontologie, mais
aussi, et depuis celle-ci, toute la tradition qui aura repris, dvelopp, dploy,
labor la singulire tche de penser ltre comme raison dtre , cause ou
fondement et o une prima aut ultima ratio ncessairement simposait la
pense. Et ce mouvement dont Heidegger nhsitera pas souligner quil
stablira et saffermira par bonds discontinus, csures et interruptions se
profilera jusqu Hegel, sinon jusqu Nietzsche, dont la force aura t de lui
faire subir une ultime transformation en le renversant. Ce mouvement onto-
thologique signifiera lessence de ltre et ce sera encore Hegel que la
tradition aura laiss le soin de lexpliciter se constituant en et pour soi-
mme comme le Vrai quil faut concevoir non pas seulement comme
substance mais tout aussi bien comme sujet 2, et donc comme le Concept
mme de la philosophie en ce que ce Concept dsigne la comprhension
absolue de ltre en tant que fondement incontest et incontestable de ltant.
En ce sens, la thologie ne saurait reprsenter un versant de la mtaphysique
ct de lontologie. La thologie se dirait bien plutt comme une dimension
intimement lie, voire absolument constitutive, de lontologie. Autrement dit,
et en suivant ce dveloppement, il nous faudrait affirmer que lontologie est la
thologie tout comme la thologie est lontologie. Or de ce mouvement, il sera
revenu Heidegger non pas simplement de le relever en le nommant, mais
aussi en le dconstruisant , de lui faire exprimer une autre parole que celle qui
sy laissait depuis toujours entendre. Une autre parole o se dirait une
vrit qui ne serait plus essentiellement luvre dune activit reprsentative
o le fondement serait lunique lieu du vrai. Une autre parole donc qui, sans
nier ou dnier le dploiement de lonto-thologie, viendrait et proviendrait de
l envoi de ltre , parviendrait de la voix de ltre et surviendrait du don
de ltre comme accueil (Herkunft) originaire de la vrit. Plus quun simple
renversement du dploiement onto-thologique de la mtaphysique ce
dploiement o se dispense la vrit comme justification du fondement il
sagira, pour Heidegger, de penser lEreignis, l vnement appropriant et
1 Aristote, Mtaphysique, Livre , 1, 1026 a 31. 2 Hegel, Phnomnologie de lesprit, tr. fr. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Aubier, 1994, p. 37.
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dpropriant o la vrit se pense non plus comme adaequatio, justification,
jugement, laboration du fondement, mais bien plutt depuis le lieu o elle se
dit en un double mouvement de clement et dclement (A-ltheia), cest--dire
doccultation et de ds-ocultation comme mise en prsence ou venir en
prsence de la prsence. En ce sens, la prsence (Anwesen) se sera toujours
dj rtracte du prsent-subsistant et donc se sera ainsi prserve de son
puisement dans lAnwesende. Cest prcisment ce double mouvement de
clement et de dclement au cur mme de la prsence et ainsi retir du
prsent que Heidegger entendra en soulignant quil sagit dsormais de
penser partir du lieu o la vrit se dit en une lgende de ltre (die Sage des
Seyns) comme vrit de ltre (Wahrheit des Seyns) . Or, dans le chemin de
pense qui va de l ontologie fondamentale de Sein und Zeit la pense de
ltre , amorce dans les crits dits de la priode du tournant , et
notamment dans les Beitrge zr Philosophie (Vom Ereignis), avant dtre
amplement dploye dans le texte de 1956, Zur Seinsfrage et radicalement
engage dans celui de 1962, Zeit und Sein, Heidegger reprendra lentiret de la
mtaphysique qui se sera constitue en onto-thologie en vue dy veiller,
au-del delle, ce que cette tradition voile et dissimule et dont le voilement et la
dissimulation constituent prcisment ce quelle est. Et ce, afin de remonter
vers une donation autre et plus ancienne que celle du fondement de lonto-
thologie dont nous comprenons quil, ce fondement, se sera affermi et
prsentifi dans la dissimulation et loccultation de cette donation
immmoriale demeure ainsi impense et toujours venir . Il sagira,
par l mme, de penser dune faon encore plus grecque 1, do se dploie,
sans sy puiser ou sy rduire, ce qui est grec.
Do la complexit de cette autre pense : comment dire cette donation
autre ? Comment dire dans le langage cela mme qui ne saurait se traduire, sans
se rduire, par le langage ? Comment laisser se dire la vrit de ltre sans
irrmdiablement trahir dans ce qui est dit ce qui sy dit ?
Cette question, dont la vise commande tout le rapport qui stablira
entre la pense de ltre et la tradition onto-thologique de la mtaphysique,
Heidegger lui aura accord une importance incontournable en marquant en
quoi elle demeure linlassable tche de la pense 2. Elle exige de dtourner
1 Martin Heidegger, Aus einem Gesprch von der Sprache , in Unterwegs zur Sprache, GA 12, p. 127. Cf. la remarquable tude de Didier Franck, Heidegger et le christianisme. Lexplication silencieuse, Paris, PUF, 2004. 2 Cf. Martin Heidegger, Das Ende der Philosophie und die Aufgabe des Denkens , in Zur Sache des Denkens, GA 14.
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le regard de l o celui-ci sappliquerait conformer ltre partir de ltant et
qui, par consquent, chercherait dterminer ltre en le traduisant en
fondement de ltant. Ainsi, penser le sens de ltre, souligne Heidegger,
demande que soit abandonn la rduction et la traduction de ltre en fond
tant que fondement de ltant et, par l, que soit libre une pense
authentique de la donation. En effet, Heidegger le souligne :
ltre, le penser en propre, demande de dtourner le regard de ltre, pour
autant quil est, comme dans toute mtaphysique, seulement pens partir
de ltant, et fond, en vue de ltant, comme fond de ltant. Penser ltre
en propre demande que soit abandonn ltre comme fond de ltant, en
faveur du donner ; ltre, se-dployer-en-prsence, devient tout autre. En
tant que laisser-se-dployer-dans-la-prsence, il a sa place dans la libration
hors du retrait ; mais en tant que don de cette libration, il reste retenu
dans le donner. Ltre nest pas. De ltre il y a, en tant que libration (hors
du retrait) dun dploiement en prsence1.
Quest-ce dire ? Rien de moins que ceci : le donner implique de
penser sa propre rtraction l o il se donne et, dans le double mouvement de
son retrait et de son don, linstant o se laisse se dployer en prsence ltre.
Ainsi Heidegger chemine-t-il vers une pense de la donation pure qui est
uniquement et exclusivement approche en tant que don qui ne donne que son don
et qui, la fois et simultanment, sy retire et sy soustrait, sy rtracte et sy
dissimule ouvrant donc au jeu o ne fait que se donner, ne fait que senvoyer
lenvoi de ce qui tre ce qui est. Et cette pense du don, Heidegger lui
attribuera le nom particulier en lequel sera gard et sauvegard toute la teneur
de sa dtermination propre : le Es gibt .
Zeit und Sein dploiera cette accentuation du geste heideggrien. Et ce
parce que ce texte marquera lexigence douvrir lhistoire de la mtaphysique
non pas simplement limpens de son dveloppement, mais aussi et surtout,
en la pliant au-del delle-mme, vers la possibilit de penser la donation se donnant
en prsence : la venue en prsence de la prsence. De ce fait, ce texte ne
commandera rien de moins que de penser la donation en son irrductibilit
propre. Il sagit donc de reprendre le tout de lhistoire de la mtaphysique non
seulement en soulignant en quoi et pourquoi ltre y aura t caractris
comme prsence (cest--dire, comme temporalit), mais en portant et
1 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 9-10.
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transportant la pense ailleurs que dans le socle de son histoire questionner la
prsence elle-mme en recherchant en elle le l do elle vient et, partant, en
la pensant depuis un tout autre vnement : le Es gibt , l il y a 1. Citons
encore Heidegger : De ltant, nous disons : il est. Pourtant le regard sur la
question "tre" et sur la question "temps", nous restons circonspects. Nous ne
disons pas ltre est, le temps est mais : il y a tre, et il y a temps 2. Prcisons
dj que Heidegger entend dans le Es gibt le donner . En pensant l il y a
du temps et l il y a de ltre , il pense du coup l il y a de cela mme qui
donne tre et temps. Ainsi, cest mme le Es gibt entendu comme
donation quil faudra penser tre et temps et, en ce sens, la provenance
dtre et temps. Le Es gibt est donc la matrice mme de la donation dtre et
temps.
Ce qui se pense au cur du Es gibt est donc double et ddoubl3.
Dabord, le Es gibt Sein exige de penser en quoi et pourquoi la prsence se
rtracte de la prsence en se donnant par l mme en prsence. Cest dire quil
commande de penser le retrait en ltre de ltre, et donc ltre dj soccultant en
lui-mme l o il se donne en prsence. Un double mouvement o, la fois,
ltre se retire de la prsence et o dj ltre se retirant de ce dont il se retire,
accentuant ainsi sa propre occultation en lui-mme, se donne en tant que
destinement do le laisser-se-dployer de la prsence soffre. Or il faut
ici remarquer car cela affectera et redfinira tout le rapport que Heidegger
entretiendra avec lhistoire de la mtaphysique que le Es gibt Sein constitue
le caractre poqual de ltre. Or poque ne saurait ici sentendre comme un
moment de lhistoire ou comme un instant dans une continuit chronologique.
Pour Heidegger, le Es gibt Sein , en tant quil signe lpoqualit de ltre, est le
trait originaire du don de ltre . Il est le se tenir chaque fois auprs de
soi de ltre se rtractant en lui-mme et offrant par l mme lclaircie
do se donne sa donation propre, cest--dire do souvre ltre en vue de (im
Hinblick auf) son historialit propre. Cest ce que Heidegger nomme le
destiner (Schicken). Citons le passage en entier :
1 Ibid., p. 9. 2 Ibid. 3 Renvoyons ici la trs importante tude de Marlne Zarader : Heidegger et les paroles de lorigine, Paris, Vrin, 1990. Et en particulier, la troisime partie : Au-del des Grecs eux-mmes , pp. 205-256.
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Le donner qui ne donne que sa donation, mais qui, se donnant ainsi,
pourtant se retient et se soustrait, un tel donner, nous le nommons :
destiner. Si nous pensons ainsi le donner, alors ltre quIl y a est bien le
destin. Destin de cette manire est chacun de ses changements.
Lhistorique dans lhistoire de ltre se dtermine partir du caractre
destinal dune destination, et non pas partir dun cours de lhistoire
entendu dans un sens indtermin1.
Et donc correspondre ltre, se maintenir au plus proche du don de ltre ,
ne saurait signifier sa saisie spculative absolue. Cest bien plutt laisser-
tre 2 le don se donner en prsence tout en ne saisissant que ce qui sy donne
cest dire en dlaissant le don toujours sa libert rtractive propre. Dans ces
conditions, ce qui est saisi dans le destiner nest que ce qui y est donn
sans jamais que le destiner lui-mme ne se rduise ni ne spuise en ce qui
est donn en son don. Ainsi le destiner , en ce quil se destine en
dploiement de prsence, garde et sauvegarde la source innommable et
inapparente de sa propre donation. Tel se dploie alors le destiner : la fois
et simultanment comme une rserve et un versement. Ce qui signifie ceci : le
destiner est linstant o ltre laisse tre le dploiement de ltre 3. Do
lexigence de penser le destiner comme ladresse lhistoire de son
dploiement et la rtraction de cette mme histoire histoire qui naura, ainsi,
conserv que les traces, les prsentifications, les apparitions reues dans et par
ce destinement .
Sensuit la question que Heidegger nhsite pas soulever dans Zeit und
Sein : do ltre se destine-t-il ? Depuis quelle source ou ressource se destine
ltre en son dploiement en prsence ? Et quest-ce qui accorde le
destinement de ltre en son laisser-se-dployer de la prsence ? Nous
pourrions ici multiplier les formulations de cette question. Celle-ci vise, en
vrit, cela mme qui se destine et donc commande de penser au cur de ce qui
donne ltre en prsence. Rappelons le passage de Zeit und Sein :
Mais comment penser le Il qui donne tre ? La remarque introductive,
propos du rapprochement de Temps et tre , faisait signe vers le fait que
ltre, en tant que ousia, en tant que prsence, tait marqu dans un sens
non encore dtermin par une caractristique temporelle, et donc par le
1 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 12-13. 2 Ibid., p. 9. 3 Ibid.
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temps. De l, il ny a quun pas prsumer que le Il, qui donne tre, qui
dtermine ltre comme approche-de-ltre et comme laisser-ltre-se-
dployer-en-prsence, pourrait bien se laisser trouver en ce qui, dans le titre
Temps et tre , se nomme Temps 1.
Il sagira ainsi de penser au plus prs du destiner de ltre et
dapprocher le Es de Es gibt Sein en louvrant au donner du temps . Or, il ne
faudrait point croire que Heidegger cherche ici dceler un quelconque
fondement au destiner de ltre. La citation souligne bien quil nous faut
penser le temps partir de ce qui se signifie dans Zeit und Sein. Et donc, il nous
faut penser le temps tout autrement que ce que nous y aurons entendu dans
lhistoire de lonto-thologie. Cest dire, tout autrement que comme un
fondement. En ce sens, le temps ne se signifiera nullement comme le
fondement du destiner de ltre. Bien plutt, mme le destiner de
ltre, il sagira de redoubler la question de la donation et de penser en direction
de ce qui donne le temps. Es gibt Zeit revient dire : penser vers cela mme qui
donne le temps en y rvlant la matrice propre de sa donation. Ainsi, si Es gibt
Sein marque le destiner de ltre et si ce destiner se retient en se laissant
dployer, Es gibt Zeit renvoie tout aussi bien le temps cela mme qui le donne.
Tout se passe comme si Heidegger asservissait temps et tre au mme procd :
penser temps et tre depuis cela mme qui les donne en propre. Cest pourquoi
Heidegger crit :
Le propre de ltre nest rien du genre de ltre. Si nous pensons
proprement aprs ltre, alors la question elle-mme nous mne dune
certaine manire loin de ltre, nous le faisant dlaisser, et nous pensons le
destinement qui donne ltre comme donation. Pour autant que nous
portions attention cela, nous nous attendons alors ce que le propre,
aussi, du temps ne se laisse plus dterminer laide de la caractristique
courante du temps tel quil est communment reprsent2.
Souvre ainsi la mditation vers ce qui donne le temps. Pour ce faire,
Heidegger, dans Zeit und Sein, revient la caractrisation principale et
principielle en laquelle se sera dtermine, tout au long de son histoire, la
question de la temporalit : le prsent comme maintenant 3. Or, le retour
1 Ibid., p. 14. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 14-15.
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ce fil tendu dAristote jusqu Hegel et en lequel la question de la temporalit
aura t pose et rsolue partir du maintenant-prsent nest effectue
quen vue dy dceler sa provenance. Cest--dire, dy dceler lautre do cette
position et cette rsolution se seront affermies et fixes en dterminant
lessence traditionnelle du temps en prsent-subsistant . Certes, cette
dtermination classique avait dj t amplement dmantele et dconstruite
dans les analyses tayes au chapitre VI de la seconde section de Sein und Zeit.
Ces analyses soulignaient dabord en quoi la reprsentation traditionnelle du
temps comme maintenant-prsent morcelait, fractionnait et dpartageait la
temporalit elle-mme en trois moments distincts et irrductibles : prsent,
pass, avenir. Puis, elles engageaient repenser la temporalit elle-mme non
plus depuis sa reprsentation traditionnelle, mais bien plutt depuis de son
unit extatique propre unit extatique en laquelle se dploie le
mouvement diffrenciant des trois dimensions temporelles. Dans Zeit und Sein,
Heidegger assumera videmment ces analyses antrieures. Cependant, il les
reformulera. Car il semploiera souligner en quoi la temporalit doit tre
pense l o elle accorde porte et apporte les trois dimensions
temporelles dans un jeu de mutuelle tension oeuvrant mme son unit
propre. Prsent , pass , avenir sont ainsi recueillis au sein dun
incessant jeu de tension o se dploie un accord mutuel la prsence se
donnant en tant que tel comme le temps lui-mme. Et donc les trois modes du
temps prsent , pass , avenir sont runis en tant que donns
dune mme et unique donation : la prsence. Ce qui signifie que le temps est
donn dans le jeu de la prsence avec la prsence et en lequel les trois
dimensions temporelles du prsent , du pass et de lavenir sont
toujours engages en une modalit o chacune se voit rapporte lune en lautre
en tant toutes retenues en elles-mmes. Do la phrase de Heidegger, tire
dUnterwegs zur Sprache : die Zeit zeitigt , le temps donne temps 1. Le propre
du temps ne sera alors que le donner de sa propre procession comme
l Ouvert o se maintiennent et se retiennent dans le jeu incessant de leur
mutuelle tension les trois dimensions temporelles. Et Heidegger de nommer,
dans Zeit und Sein, lextension de cet Ouvert : l espace libre du temps. 2
1 Martin Heidegger, Das Wesen der Sprache , in Unterwegs zur Sprache, GA 12, p. 201. 2 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 18-19. Citons le passage en entier : Cette faon de procder nest manifestement pas fonde, si lon admet que lunit qui vient dtre dsigne, lunit de la porrection qui porte et apporte et prcisment elle , il nous faut la nommer : temps. Car le temps nest lui-mme rien de temporel, pas plus quil nest quelque chose dtant. Cest pourquoi il nous demeure interdit de dire que lavenir, lavoir-t et le prsent sont donns "en mme temps". Et cependant, le fait quils se
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Ainsi, cest afin de dcrire le temps dans luvre de son don propre don la
fois diffrentiant et unifiant que Heidegger propose de penser la temporalit
partir de ce qui nest nullement temporel, et donc depuis une spatialit ,
cest--dire depuis lespace-du-temps 1 (Zeit-Raum). Or cette espace-du-
temps , il ne faudra nullement le signifier spatialement ; lextension de
l espace-du-temps nest aucunement spatiale. Elle caractrise, mme le
temps, le jeu de sa temporalisation propre en tant que don de son Ouvert
au sein duquel le temps lui-mme se recouvre en son unit propre et
approprie cest dire se temporalise.
La question que Zeit und Sein sefforcera de faire advenir deviendra
cependant : do procde le temps se temporalisant, cest--dire, do vient la
temporalit en tant qu espace-du-temps unifiant les trois dimensions
temporelles et les accordant, les portant et les apportant par l mme, dans
lincessance de leur tension enjoue ? Ce qui se marque au sein mme de cette
question nest rien de moins quune radicalisation de la temporalit, car seront
cherchs et recherchs non seulement la mouvance propre du temps comme
accord de temporalisation en sa modalit propre, mais projetant ainsi la
temporalit vers le sans-fond de sa provenance le lieu do l espace-du-
temps se donne. Et Heidegger daccentuer la ncessit de cette question tout
juste aprs avoir rappel que la temporalisation du temps se dploie dans le
geste de sa propre donation comme jeu pluridimensonnel saccordant toujours
dans le port et dj comme lapport de ses trois dimensions temporelles :
Mais do, maintenant, se dtermine lunit des trois dimensions du temps
vritable, i.e. lunit des trois modes jouant les uns dans les autres de la
porrection qui porte et apporte, chaque fois, une manire propre davancer
dans ltre ? 2 . Cest dire : comment penser la provenance de la
temporalisation du temps ? Rponse : dans et par une quatrime
portent les uns aux autres leur propre porrection appartient un seul ensemble. Leur unifiante unit ne peut se dterminer qu partir de ce qui leur est propre ; partir de ce quils se portent les uns aux autres. Mais quoi donc se portent-ils les uns aux autres ? Rien dautre queux-mmes et cela veut dire : lavance du dploiement dtre en eux procure. Avec elle sclaircit ce que nous nommons lespace libre du temps [...] "Espace libre du temps" nomme maintenant lOuvert, qui sclaircit dans la porrection qui porte et apporte les uns aux autres lavenir, ltre-pass et le prsent. Seul cet Ouvert et lui seul accorde lespace tel que nous le connaissons habituellement tout son espacement possible. Lclaircissante porrection qui porte et apporte les uns aux autres lavenir, lavoir-t et le prsent est elle-mme pro-spatiale ; seulement ainsi elle peut accorder place lespace, i.e. le donner . 1 Ibid. 2 Ibid., p. 19.
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dimension 1 du temps dans le temps se temporalisant. Ce qui signifie que cette
quatrime dimension donne le temps se temporalisant. Plus prcisment, la
source donatrice du temps se temporalisant se pense depuis une quatrime
dimension . Car cette quatrime dimension donne le temps se
temporalisant en ce quelle donne l espace-du-temps o saccordent les trois
dimensions temporelles du temps. Cette quatrime dimension, Heidegger la
nomme la porrection 2 (Reichen). Porrection signifie ici : le donner de la
temporalisation du temps. Dire du temps donc quil se donne depuis une
porrection , cest marquer ceci : le donner du temps est toujours, la fois et
simultanment, accord de sa tridimensionnalit et, au-del de celle-ci,
accord avec soi-mme en soi-mme. Plus radicalement : le temps se
temporalisant vient de la porrection comme donation du jeu accordant sa
pluridimensionnalit propre. Ainsi, cest dire que le temps se temporalisant
vient depuis un autre que son accord. Do la possibilit de comprendre le
Es gibt Zeit dans la doublit qui le caractrise : le temps se temporalisant est
laccord de soi-mme avec soi-mme dans et par le jeu unifiant de sa
tridimensionnalit propre et accord de soi-mme avec soi-mme donn depuis
une autre et loigne, quoique toujours en soi-mme, provenance. Et il est
important de maintenir cette autre provenance du temps mme la
temporalisation du temps. Car en elle et par elle se logeront la fois ce qui
demeure empch dans lavoir-t et ce qui dans le survenir demeure rserv 3.
Cest pourquoi Heidegger crira de la quatrime dimension quelle est
proximit approchante dont la force est de librer et de dployer un
lointain . Soyons prcis :
Cest pourquoi cette premire, cette initiale et au sens propre du mot entre-
prenante porrection o repose lunit du temps vritable nous la
nommons : la proximit approchante (Nahheit). Mais elle approche lavenir,
lavoir-t, le prsent les uns des autres dans la mesure o elle libre et
dploie un lointain. Car elle tient ouvert lavoir-t tandis quelle empche
sa venue comme prsent. Cet approchement de la proximit tient ouvert le
survenir depuis lavenir en ce que, dans le venir, elle rserve la possibilit
du prsent. La proximit approchante a le caractre de lempchement et
1 Ibid., p. 20. 2 Ibid. 3 Ibid.
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de la rserve. lavance, elle tient les modes de la porrection davoir-t,
davenir et de prsent les uns pour les autres dans leur unit1.
Le destiner (Schicken) marque le Es gibt Sein et la porrection (Reichen)
souligne le Es gibt Zeit. Heidegger le rsume dailleurs au milieu de Zeit und Sein :
Le donner dans le Il y a tre sest manifest comme destiner et comme
unit dterminante de toutes les destinations (= comme destinement) de
parousia, en leurs changements lourds dpoques. Le donner dans le Il y a
temps sest manifest comme la porrection claircissante de la rgion
quadri-dimensionnelle2.
Ce faisant Heidegger souligne doublement et dans la doublit du Es
gibt que penser Es gibt Sein, cest inscrire le don de ltre l o ce qui y est
destin en tant quhistoire de ltre est command par une rtraction et une
occultation, puis que penser Es gibt Zeit, cest ouvrir le temps une spatialit
partir de laquelle se dploie une porrection claircissante comme accord
de ses trois dimensions pass, futur et prsent , accord lui-mme donn
comme proximit approchante o ce qui y est donn demeure rserv et
sauvegard en une autre et lointaine donation. Or cest au cur de cette
doublit, entre destiner et porrection que se pensera, pour Heidegger,
lIl y a d tre et temps et, partant, que se pensera le donner de ltre et
le donner du temps . Cest dire quau cur de cette diffrence, entre
destiner et porrection , se travaille toujours le mme : lIl y a de la donation
dtre et temps. Do lexigence de renouveler le questionnement en vue de lIl
y a et de ce qui, en lui, se donne. LIl y a est donation dtre et temps, donation
de leur co-appartenance3. Et Heidegger de marquer au sein mme de cette
donation quelle est aussi une avance dabsence : Nous gardons cependant
en vue : le "Il" nomme en tout cas dans linterprtation qui soffre en premier
une avance dabsence 4. Ce mot, une avance dabsence , tient souligner
que lIl y a dtre et temps ne se donne point dans le rgime de ltantit. Et ce
parce quil faut penser lIl y a uniquement dans le registre de sa propre donation.
Ce qui signifie : penser lIl y a comme une avance dans labsence de tout
fondement ou fondation, voire de toute structure propositionnelle o se
1 Ibid. 2 Ibid., p. 22. 3 Renvoyons ici lexcellente, et dsormais classique, tude de Franoise Dastur, Heidegger et la question du temps, Paris, PUF, 1990, pp. 108 sq. 4 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 23.
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forment des noncs sujet-prdicat. Ainsi la question de Heidegger :
Comment cependant porter autrement au regard le "Il" que nous prononons
en disant "Il y a tre", "Il y a temps" ? 1. Et la rponse :
Tout simplement de telle faon que nous pensions cet Il partir du
genre de donation qui lui appartient : donation comme rassemblement de
la destination, donation comme porrection claircissante. Toutes deux y
ont ensemble leur part, dans la mesure o le premier, le rassemblement de
la destination, repose en la seconde, la porrection claircissante2.
Cest donc bien le et dtre et temps dont il sera ici question. Soulignons
cependant que de penser le et dtre et temps, penser donc la donation de
cela mme donnant et tre et temps signifie aussi la citation tout juste
rapporte le signale que cette co-appartenance se voit elle-mme travaille
par une diffrence. En effet, lIl y a de ltre repose dans lIl y a du temps
marquant du mme coup que lIl y a du temps repose en un autre lieu. Do
lquivocit au cur de lIl y a : se penser la fois comme la donation de la
diffrence dtre et temps et comme la donation mme de leur co-appartenance.
Or cette donation de la diffrence co-appartenante porte un nom, cest celui de
lEreignis3.
Quest-ce que lEreignis ? 4. La question est pose simplement dans
Zeit und Sein avant que nintervienne une importante mise en garde. Car, en
exigeant que lEreignis se dise en ce quil est, en cherchant donc traduire en
termes essentialisant cela mme dont elle senquiert, la forme de cette question
trahit et rvoque lEreignis lui-mme. En effet, aprs avoir soigneusement
marqu qutre et temps nous sont toujours adresss en tant que questions5, et
donc qutre et temps demeurent toujours en question, Heidegger prvient :
toute pense de lEreignis devra et se devra de se dire autrement que dans lordre
de lnonciation. Ainsi, la question quest-ce que lEreignis ? requerra et
sollicitera une autre langue et commandera une tout autre formulation de la
question. Car, lEreignis nest pas de ltre, il donne ltre ; il nest pas du temps, il
donne le temps. Il donne le et dtre et temps, leur co-appartenance mme et, du
coup, prcde toute question senqurant de ce quil est ou peut tre. La
1 Ibid, p. 24. 2 Ibid. 3 Cf. ibid. sq. 4 Ibid., p. 25. 5 Cf. ibid.
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question senqurrant de ce quil est doit ainsi tre dtourne de sa vise, dlie
de lemprise de sa propre nonciation et de la rsolution que celle-ci engage
ncessairement. La question doit donc se faire mditante et renoncer
ntre que vise questionnante cherchant se combler en une rponse
dterminante. Cest dire quelle doit, cette question, se penser elle-mme
jusqu ne plus se traduire en question et par l dlaisser sa forme, dnier son
ordonnance, dmanteler sa position en se faisant coute qui garde et
sauvegarde la donation de la diffrence co-appartenante dtre et temps :
Les deux, ltre aussi bien que le temps, nous les avons nomms des
questions. Le et , entre les deux, laissait leur relation lun lautre dans
lindtermin. Maintenant se montre : ce qui se laisse appartenir et convenir
lune lautre les deux questions, ce qui non seulement apporte les deux
questions leur proprit, mais encore les sauvegarde dans leur co-
appartenance et les y maintient, le tenant des deux questions, cest lEreignis.
Le tenant de la question ne vient pas sajouter aprs coup comme un
rapport plaqu sur ltre et le temps. Le tenant de la question fait advenir
dabord ltre et le temps leur proprit partir de leur rapport, et la
vrit travers lappropriation qui shberge dans le rassemblement de la
destination et dans la porrection claircissante. En consquence de quoi le
Il qui donne dans le Il y a tre , Il y a temps cet Il satteste
comme lEreignis. Cet nonc est juste, et cependant manque du mme
coup la vrit, autrement dit il nous voile le tenant de la question ; car sans
y prendre garde, nous nous le sommes reprsent comme quelque chose de
prsent, alors que nous tentons de penser la prsence comme telle. 1
Nous lavons rappel : lEreignis ne saurait se dire en tre ou en temps. Il
nomme le Il du Il y a tre et du Il y a temps. Cest dire, et telle sera la premire
diction de lEreignis : il donne la donation en tant que telle de la co-
appartenance diffrenciante de tre et temps. Il donne la donation o
sapproprient tre et temps en leur diffrence. Cependant, prcise Heidegger,
cela ne saurait vouloir dire que lEreignis doive se comprendre comme un
concept suprme 2 au sein duquel le tout de la pense engage penser la
donation dtre et temps, leur co-appartenance diffrenciante en tant que telle,
serait compris. LEreignis ne peut se penser en tant que fondement o tre et
temps viendraient trouver lassise de leur propre ou le principe o chacun
1 Ibid., p. 24-25. 2 Ibid., p. 27.
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viendrait se reposer. Bien plutt, indique Heidegger, au cur de lEreignis
lappropriation dtre et temps est donne depuis ce qui ne saurait sy rduire.
Cest pourquoi Heidegger insiste dabord sur le fait quil nous faut penser
lEreignis non pas en son sens courant d vnement 1, mais bien plutt depuis
Eignen, autrement dit depuis cela qui fait advenir soi-mme en sa
proprit lclaircie sauvegardante de la porrection et destination 2 . Ainsi,
lEreignis donne l claircie sauvegardante o sapproprient en diffrence
porrection et destination . Car ce qui sy pense est ladvenir de
lappropriation dtre et temps en leur diffrence.
Mais de cet advenir , que peut-on en dire ? Heidegger, soucieux de
ne pas rduire lEreignis une autre formulation ou appellation parmi celles dj
survenues dans lhistoire de lonto-thologie, marque sans dtour quil est
penser partir du en tant que et donc comme don de la donation. Ce qui ne
saurait signifier autre chose que ceci : lEreignis est penser non pas comme
simple renversement en lequel ltre serait un mode de lEreignis, mais bien
plutt l o l tre svanouit dans lEreignis 3, l o tre en tant quEreignis
traduit le don de lappropriement advenant lui-mme dtre et temps. Ainsi,
tout se passe comme si lappropriement dtre et temps se voyait affect, non
pas dun affaiblissement de son propre, mais dun certain d-dire o ce qui se
donne se fait aussi et la fois retrait. En somme, Heidegger inscrit ici mme, l
o tre et temps adviennent dans leur appropriation diffrenciante, la rtraction
de cela mme qui la fait advenir. Citons ici le passage :
quau donner en tant que destiner appartient larrt dun suspendre ; en
propres termes ceci que dans la porrection davoir-t et dadvenir jouent
lempchement du prsent et la rserve du prsent. Ce qui vient dtre
nomm : suspension, empchement, rserve, manifeste quelque chose de
tel quun se-soustraire, bref : le retrait. Dans la mesure pourtant o les
modes dtermins par lui de la donation (destination et porrection)
reposent dans le mouvement de faire advenir soi dans sa proprit, il faut
que le retrait appartienne au propre de lappropriement4.
En rsulte la radicalit de la pense engage penser lEreignis : il laisse
advenir le propre comme appropriation dtre et temps en ncessairement sy
1 Heidegger le prcise, en effet, plusieurs reprises, par exemple ici : ce qui est nomm par ce mot das Ereignis est tout autre chose quun vnement ibid., p. 26. 2 Ibid., p. 25-26. 3 Ibid., p. 27. 4 Ibid.
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retirant. La consquence est en vrit abyssale. Car, au cur de lEreignis, se
dploie ainsi limpossibilit de fixer la pense engage le penser,
limpossibilit donc de saisir lEreignis. tre et temps ne sont pas appropris
comme sils reposaient en un sol premier. Bien plutt, tre et temps sont
donns en leur appropriation depuis cela mme qui demeure toujours libre et
abyssalement retir de toute saisie. Nul fondement ou Grund congnital ne
saurait ici sceller la libert de cette donation. Elle uvre en tant que telle, cest-
-dire en donnant l o elle se retire dans l Insondable (Das Unberechenbare) 1.
De ce fait, lEreignis ne se prsente jamais. Sa donation est indissociablement
rtraction. LEreignis donne donc lappropriation dtre et temps, du destiner et
de la porrection, mais la fois, senlve son don propre. Certes, Heidegger le
souligne la fois quant au destiner 2 et quant la porrection 3, mais il aura
aussi tenu le marquer mme lEreignis en tant que tel. LEreignis est lui-mme
retrait en lui-mme 4 . Cest prcisment en ce sens que lEreignis est
appropriement, avnement au propre et dpropriement, Enteignis, ce qui nest
jamais donn la prsence en se soustrayant de toute saisie possible comme se
rtractant de toute nomination en prservant et en sauvegardant en son
trfonds ce quil a de plus propre. Ereignis se donne en Enteignis,
lappropriement sadvient en dpropriement ; et donc, le don de
lappropriement dtre et temps se dproprie de lui-mme en vue de ce qui sy
donne :
Dans la mesure maintenant o le rassemblement de la destination repose
dans la porrection du temps, et o celle-ci repose avec celui-l dans
lEreignis, sannonce dans le faire advenir soi (dans lappropriation) cette
proprit singulire que lEreignis soustrait la dclosion sans limite ce quil
a de plus propre. Pes partir du faire advenir soi, cela veut dire : il se
dproprie, au sens quon a dit, de soi-mme. lEreignis comme tel
1 Cf. Martin Heidegger, Nachwort zu: "Was ist Metaphysik?", in Wegmarken, GA 9, p. 309. 2 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 27 : La destination dans le destinement de ltre a t caractrise comme donation, o ce qui destine sarrte et se contient soi-mme, et dans cette suspension se retire, se drobe la dclosion . 3 Ibid, p. 27 : Dans le temps vritable et son espace libre pour le temps sest manifeste la porrection de lavoir-t, donc de ce qui nest plus prsent : lempchement portant sur le prsent ; sest manifest dans la porrection du futur, donc du non-encore prsent : la rserve du prsent. Empchement et rserve montrent le mme trait que la suspension : savoir le se-soustraire . 4 Cf. Martin Heidegger, Protokoll zu einem Seminar ber den Vortrag "Zeit und Sein", in GA 14, p. 266 : LEreignis est le retrait, non seulement en tant que destiner, mais en tant quEreignis .
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appartient le dpropriement. Par ce dernier lEreignis ne se dlaisse ni ne
sabandonne lui-mme, mais au contraire sauvegarde ce qui lui est propre1.
Se marque ainsi, et au cur de la pense de lEreignis, la responsabilit la
plus aigu : celle de rpondre de cet irrductible cart entre appropriement et
dpropriement la source mme de tout ce qui advient. Et donc de rpondre
dun voilement irrductible et illimit mme ce qui se donne. Do lexigence :
penser que rien ne repose en soi-mme et que la pense demeure rsolument
expose lincessant mouvement dap-propriement (Ereignis) et de d-
propriement (Ent-eignis) dans la donation dtre et temps. Cest dire penser lA-
ltheia dans la doublit de son nom : clement et dclement. Souvre ainsi la
pense la vrit historiale de ltre , le mouvement perptuellement engag
dun clement et dun dclement en lequel ladvenance de ltre se dploie et
soffre nous.
Il sagit de penser l o la pense est rsolument habite par un
insondable secret au cur mme de ce qui lui est donn penser. Or, quen
est-il du secret ? Et depuis quel lieu peut-on approcher, apprhender et
comprendre un secret ? La question ainsi formule est pernicieuse, voire
prjudiciable. Et ce parce quelle risque de perdre ce quelle se donne comme
tche de cerner. En posant cette question, quen est-il du secret ? , lon
prcipite la pense dans son propre embarras : connatre un secret en le fixant
en ce quil est, cest aussi et du mme coup, lanantir, le nier, le dtruire dans et
par le geste qui croit justement latteindre. Car le secret ne saurait se rsoudre
tre la simple dissimulation de quelque chose, dun mot, dun fait, dun don. Le
secret nest pas ce qui se dissimule au savoir. Portons ici le secret son
aportisation la plus radicale : plus un secret est prcautionneusement dissimul
au savoir, plus il a de chance de ntre pas ou plus du tout un secret, mais
simplement une chose connaissable et donc accessible. En somme, au moment
mme o le secret devient une exigence de pense, la question qui se tourne
vers lui semble interdite. Comment penser ds lors sans rduire le penser au
questionner ? En laissant le penser tre expos au secret en tant que secret, et
ainsi en laissant le secret socculter en lui-mme telle une occultation
soccultant elle-mme ? Mais condition de comprendre ceci : laisser le secret
au secret, ce nest pas dire jeter sur lui un silence impntrable. Cest, bien au
contraire, lapprocher du Dire, le porter une certaine manifestet un Dire o
se manifesterait la veille du secret en tant que secret et o se prserverait ce que
1 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 27-28.
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le secret garde et protge de sa perte ou de sa rduction dans la simple
lucidation prsentifiante du dit Heidegger, en effet, laura prcis, notamment
dans son commentaire de lhymne La Germanie de Hlderlin :
le retrait et le voilement savrent tre un mode particulier de manifestet.
Le secret nest pas une barrire situe au-del de la vrit, mais il est lui-
mme la plus haute forme de la vrit ; car pour laisser le secret tre
vritablement ce quil est sauvergarde de lEtre authentique dans le retrait
il faut que le secret soit comme tel manifeste. Un secret qui nest pas
connu dans sa puissance de voilement nest pas un secret. Plus la
connaissance du voilement se situe haut et plus le dire du voilement en tant
que tel est vridique plus sa puissance de retrait demeure intacte1.
Et, en interprtant le mot de Hlderlin, lInnigkeit ou la tendresse
mot o se concentre potiquement l unit originale quest linimiti des
puissances de ce qui a purement surgi 2 comme vrit de ltre :
Elle est le secret qui est partie prenante en ltre. Ce qui a purement surgi
nest jamais inexplicable sous une perspective, en une quelconque strate de
ltre ; il reste nigme de part en part. La tendresse na pas la structure dun
secret parce que dautres ne peuvent pas la pntrer ; cest en elle-mme
quelle dploie ltre comme secret. Il ny a de secret que l o rgne la
tendresse. Si toutefois ce secret est nomm et dit comme tel, le voil bien
de ce fait manifeste, mais le dvoilement de sa manifestet est prcisment
volont de ne pas expliquer, et plus encore : il est entente du secret comme
retrait se mettant soi-mme en retrait3.
Il sagit ainsi en pense de reconnatre 4 le secret en tant que secret en le
laissant tre ce quil a tre, en le laissant nous dire ce vers quoi il fait signe. Et
ce vers quoi il fait signe nest rien dautre que la remmoration 5 dun
immmorial toujours impens et dj -venir .
Voil ce quil faut faire : reconnatre la diffrence entre la pense
mditante et la pense calculante , puis, au sein de cette diffrence,
apercevoir lclosion la fois de la modalit mme depuis laquelle se dploie
1 Martin Heidegger, Hlderlins Hymnen. "Germanien" und "Der Rhein", GA 39, p. 119. 2 Ibid., p. 250. 3 Ibid. 4 Cf. Martin Heidegger, Was heit Denken?, GA 8, p. 117-118. 5 Cf. ibid. p. 145 sq.
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lhistoire de la mtaphysique et de cela mme que cette histoire aura occult en
son dploiement. Cest--dire, apercevoir lindissociabilit ambigu et quasi-
paradoxale de ces deux dploiements. Cest pourquoi Heidegger distingue,
dans Der Satz vom Grund par exemple, l appel (Anspruch) 1 du principe de
raison en lequel se constitue la pense calculante cette pense qui
approprie ltre pour le penser en tant que fond, fondement, principe, raison de
ltant du rappel (Zuspruch) 2 qui veille, par-del l appel du principe de
raison , l cho 3 dun immmorial impens, secret et retir o sexprime
sournoisement la pr-sance de l claircie pralable toute prsence,
linapparent inpuisable et irrductible depuis lequel se dploie la mise-en-
prsence de la prsence et de la manifestet de ltant. Et nous venons donc de
le marquer : souvre ainsi la modalit dune remmoration en laquelle la
pense accueille l advenance avant quelle ne soit prise, entreprise et saisie
dans les rets de la prsence. Une remmoration dont le geste consiste
dabord et avant tout veiller, par del la tradition onto-thologique de la
mtaphysique, une pense matinale o la prsence sannonce depuis une
provenance irrductible ce qui sy annonce. Ainsi, remmorer ne signifie
en rien se lier ou sattacher au pass ou au prsent qui nest plus disponible,
mais bien plutt exige de sexposer ladvenance indtermine qui, se
retirant toujours de la prsence dtermine, laisse venir en prsence la prsence.
Remmorer , cest alors se tenir dans lad-venir de la prsence sans laisser
son immmorial se rduire en prsent. Or, il se libre ici un tout autre
rapport lhistoire de la mtaphysique. Un rapport o la destruction de
la mtaphysique succde l exposition recueillante dune vrit devenue
garde et sauvegarde de ce qui appelle lhomme rpondre dun
immmorial toujours dj impens et pas encore pensable par la
mtaphysique. Mais ce rpondre nest ni un quitisme ni un gnosticisme.
Pas davantage ne ne cherche-t-il svader ou sortir de la mtaphysique par
une mystique trangre au logos. Car la mtaphysique constitue notre inalinable
destin4. Et ce parce que notre destin la mtaphysique nous aura toujours t
1 Martin Heidegger, Der Satz vom Grund, GA 10, p. 203. 2 Ibid., 3 Martin Heidegger, Nachwort zu: "Was ist Metaphysik?", in GA 9, p. 310 : La pense originelle est lcho de la faveur de ltre, dans laquelle sclaircit et se laisse advenir lunique ralit : ltant est. Cet cho est la rponse humaine la parole silencieuse de ltre . 4 Les phrases de Heidegger abondent pour dire linvitabilit de la mtaphysique, cest--dire linluctable mutation et rduction de ltre (prsence) en sa saisie en tant-prsent. Citons pour lexemple le passage qui ouvre Zeit und Sein : tre, depuis le matin de la
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donn comme le dploiement de lavnement de ltre. Reste que ce destin,
nous ne laurons reconnu que trop tard, en retard et dans le retard de la
pense europenne-occidentale et jusqu aujourdhui veut dire le mme que Anwesen approche de ltre. Dans ce mot dAnwesen, parousia, parle le prsent. Or le prsent, selon la reprsentation courante, forme avec le pass et le futur ce qui caractrise le temps. tre, en tant quavance-de-ltre, est dtermin par le temps. Quil en soit ainsi suffirait dj pour porter dans la pense un trouble ne plus cesser. Ce trouble crot ds que nous nous attachons penser et repenser dans quelle mesure et en quoi il y a cette dtermination de ltre par le temps Zeit und Sein , in GA 14, p. 6. Nous laurons compris, ltre, depuis le matin de la pense europenne-occidentale , aura t pens comme prsence (Anwesen, parousia) Cest dire aussi, qu mme cette aube de la pense, ltre se sera compris non pas comme subsistance ni comme permanence , mais comme venue en prsence , ce que Heidegger nomme dans Vom Wesen und Begriff der Phusis, irruption--la-prsence (Anwesung) cf. Martin Heidegger, Vom Wesen und Begriff der Phusis. Aristoteles, Physik B, 1, in GA 9, p. 296-297. Or, la naissance de lontologie, et donc le dploiement de la mtaphysique, pour Heidegger, signifiera une invitable mutation, un glissement ou un dvoiement de la prsence en prsent, de la parousia en ousia. Ainsi, cela mme qui aura t prouv en tant que prsence surgissement et irruption, venue et advenance de la prsence se sera signifie et donc fixe en prsent-subsistant, prsent-permanent, constance de ltant-prsent. Mais, et il nous faut le souligner, linterprtation que fera Heidegger de ce premier commencement nest pas simplement de marquer cette rduction de la prsence en prsent comme si lon passait dune pense sachante une pense perdue dans lignorance. En vrit, ce qui ici souvre pour Heidegger cest la possibilit dapercevoir mme la prsence la puissance de sa propre rtraction occultante. En ce sens, souvre la possibilit de penser lhistoire de la mtaphysique comme ce qui se sera constitue en comprenant, en saisissant et en interprtant ltre partir et depuis son retrait, son occultation, son clement : ltre est prsence et lhistoire de la mtaphysique est le retrait de la prsence. En somme, lhistoire de la mtaphysique pense ltre sur le mode de labsence en ayant pens la rtraction de la prsence elle-mme en prsent . Do la requte de Heidegger : affirmer ce qui demeure pleinement impens dans la mtaphysique, la prsence, en lui faisant reconnatre quelle naura t possible en tant que telle que depuis cet impens, quil sagit de remmorer en son sens originaire propre, et donc partir de ce qui le constitue en tant que prsence savoir le temps. Ainsi, lhistoire de cette invitabilit rductrice de ltre en tant que prsence en tant prsent ne saurait tre comprise comme simplement ngative. Elle doit surtout tre entendue en ce que ltre aura toujours t pens partir de son histoire et, en vrit, demeure indissociable de celle-ci, car cest prcisment partir de celle-ci que souvre pour la pense la vue sur ltre ne spuisant jamais entirement en son histoire la rendant bien plutt possible en sy retirant. Penser ce retrait de la prsence en elle-mme signifie par consquent penser la fois ltre en tant que prsence et le temps de cette prsence. Cest prcisment ce que Heidegger nommera l autre commencement de la pense . Car mme si les penseurs grecs demeurent au plus prs de ltre comme prsence en pensant ltre comme parousia ou comme phusis, Anwesung dans lAnwesen avant ousia ou Anwesende, ils ne pensent pas la prsence elle-mme en son appartenance une temporalit propre. Ainsi, ils y sont mais la manquent aussi comme telle. Ils manquent de la penser en ce qui la lie et lallie une temporalit propre. Telle sera la tche laquelle Heidegger sommera la pense : penser le et dtre et temps : lEreignis dun autre commencement de la pense. Renvoyons ici la trs pntrante tude de Franoise Dastur, Prsence, prsent et vnement chez Heidegger , in Grard Bensussan et Joseph Cohen (ds.), Heidegger. Le danger et la promesse, Paris, Kim, 2006, pp. 111-131.
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question1. Au cur du rapport entre le retard de notre question et notre destin,
il nous aura t donn la fois la mmoire de toute lhistoire onto-thologique
de la mtaphysique et la possibilit au cur mme de cette mmoire et donc
mme la mmoire de son oubli de se remmorer une altrit encore
impense en cette histoire. Ainsi, notre rapport lhistoire doit se penser en
louvrant la fois elle-mme et lautre delle-mme, disons, elle-mme
depuis lautre delle-mme. Cest dire : en louvrant cela mme do elle sera
provenue provenance nous commandant de repenser lentiret de la
mtaphysique depuis une donation autre, laissant advenir 2 le possible comme
possible en le gardant de son puisement dans leffectivit du prsent et en y
apercevant la fois son immmorial et son toujours -venir .
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mme cette remmoration , o se fait jour la possibilit de revenir
depuis ce qui ne saurait se rduire lhistoire onto-thologique de la
mtaphysique en se rappelant ladvenance inapparente de sa vrit historiale,
se trace une exigence radicale : celle de penser le sacrifice la fois comme
lessence de la mtaphysique et comme ce qui demeure encore impens par elle.
Avant de pntrer dans le mouvement de cette exigence, il nous faut ds
prsent marquer que la thmatique du sacrifice uvre sournoisement dans
lcriture de Heidegger. En effet, Heidegger na que trs peu recours au terme
de sacrifice (Opfer) . Et au moins pour cette raison vidente : le terme de
sacrifice , quil faut entendre avant tout en un sens verbal, faire un
sacrifice (sacrum facere), est charg dun sens thologique massif et porte, voire
engage, une logique que lon peut videmment qualifier, aprs Hegel, de
spculative en laquelle slabore dj la relve (Aufhebung) du fini dans
linfini, du profane dans le sacr 3 . Une logique spculative que Heidegger
1 Martin Heidegger, Zeit und Sein , in GA 14, p. 10-11 : Do prenons nous le droit de caractriser ltre comme prsence, comme Anwesen ? La question vient trop tard. Parce que cette faon de se donner de ltre sest dj dcide depuis trs longtemps, sans notre contribution et, plus encore, sans notre mrite. En consquence de quoi nous sommes lis la caractrisation de ltre comme prsence. Celle-ci tient sa force contraignante du dbut du dvoilement de ltre comme dicible, cest--dire comme pensable. Depuis le dbut de la pense occidentale chez les Grecs, tout dire de l"tre" et du "est" se tient dans la mmoire (Andenken) de la dfinition contraignante pour la pense de ltre comme prsence . 2 Ibid., p. 29-30 : Penser ltre sans ltant, cela veut dire : penser ltre sans gard pour la mtaphysique. Un tel gard rgne encore dans lintention de surmonter la mtaphysique. Cest pourquoi il vaut la peine de renoncer au surmontement et de laisser la mtaphysique elle-mme . 3 Il est vident que les comprhensions du sacrifice chez, dune part, Hegel et, dautre part, Heidegger diffrent radicalement. Or, comme nous le montrerons, cest avec Heidegger
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sappliquera tout particulirement vider en cherchant par l mme
dployer une toute autre pense de la ngation 1. Et ce afin dentraner la
thmatique du sacrifice dans une redfinition radicale marque par une
dconstruction intgrale visant dmanteler toutes les modalits onto-
thologiques des discours traditionnels quant au sacrifice, et en particulier le
discours signifi par la logique de lAufhebung hglienne o le sacrifice est
compris et saisi en tant quessence rconciliante du Savoir Absolu. Cest ainsi,
et mme ce projet de la redfinir entirement, que la thmatique du sacrifice
accompagnera de faon dcisive llaboration de l ontologie fondamentale ,
en particulier dans lanalytique de l tre-pour-la-mort labore dans les
chapitres I et II ( 54-60) de la seconde section de Sein und Zeit, puis, quelle
ne cessera dhabiter diffremment et autrement la pense de ltre . Et
ce parce que Heidegger naura jamais sacrifi la possibilit du sacrifice2. Bien au
contraire, il aura toujours tenu librer une pense du sacrifice au-del de sa
comprhension onto-thologique. En vrit, cest au fond sans fond de la
pense de ltre et au cur mme de la vrit historiale de ltre se
rtractant en dployant la venue en prsence de la prsence lieu depuis lequel
la manifestet de ce qui est peut avoir lieu que Heidegger aura inscrit
lessence ultime du sacrifice. Cest dire quil aura pens lessence ultime du
que se sera dgage, au-del et en-de de lhistoire onto-thologique de la mtaphysique, une autre signification du sacrifice en philosophie. Marquons galement, et ce ds prsent, que Levinas et Derrida sinscriront mme si cette inscription saccompagnera dune re-lecture de la pense heideggrienne dans le sillage ici trac par Heidegger quant la thmatique du sacrifice et son lien inalinable avec la vrit historiale de ltre . Il nous appartiendra de le montrer dans une autre tude. Quil nous soit permis cependant de renvoyer, quant la modalit et la signification du sacrifice dans la pense de Hegel, notre ouvrage Le sacrifice de Hegel, Paris, Galile, 2007. 1 Il nous faut ici renvoyer aux notes rdiges entre 1938 et 1941 sur la ngativit , dans lesquelles Heidegger prsente et dploie lidalisme spculatif de Hegel en ouvrant, au cur de lAufhebung et de sa systmaticit, une perce au-del de la dialectique de ltre et du nant, et donc rsolument porte non pas vers son accomplissement et sa dtermination dans le Savoir Absolu mais vers le sans-fond (Ab-grund) de la vrit historiale de ltre cf. Martin Heidegger, Hegel. 1. Die Negativitt (1938/39). 2. Erluterung der "Einleitung" zu Hegels "Phnomenologie des Geistes" (1942), GA 68. 2 Nous souhaitons renvoyer quelques travaux dj publis qui cherchent approcher cette difficile thmatique du sacrifice dans la pense de Heidegger : Emilio Brito, Heidegger et lhymne du sacr, Louvain, Peeters, 1999 ; Franoise Dastur, Phnomnologie de ltre-mortel , in La mort, Paris, PUF, 2007, pp. 103-152 ; Jacques Derrida, Donner la mort, Paris, Galile, 1999 ; Michel Haar, Les limites de ltre-rsolu et le primat dabord latent puis explicite de la temporalit originaire sur la temporalit authentique , in Heidegger et lessence de lhomme, Grenoble, Millon, 1993, pp. 55-92 ; Jan Patoka, La technique selon Husserl et selon Heidegger , tr. fr. dErika Abrams, in Libert et sacrifice. crits politiques, Grenoble, Millon, 1990, et Joseph Cohen, Lappel de Heidegger , in Grard Bensussan et Joseph Cohen (ds.), Heidegger. Le danger et la promesse, Paris, Kim, 2006, pp. 61-77.
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sacrifice mme la vrit historiale de ltre en la situant au cur de
lEreignis donnant et adonnant le et dtre et temps. Et ainsi comme la modalit
propre de la responsabilit de l homme envers la vrit historiale de
ltre .
Au-del donc de lanalyse accomplie dans Sein und Zeit, l o souvrait la
possibilit du sacrifice pour lautre partir de limpossibilit de se substituer
ltre pour la mort de lautre1, Heidegger aura repens lessence ultime du
1 Poursuivons notre interrogation par cette inflexion sur le rapport entre le Dasein, le Mit-sein, l tre-pour-la-mort , la possibilit du sacrifice et ce que Heidegger nommera la communaut . Se tracera au centre de ce rapport la possibilit dune thique originaire qui, comme nous le savons, est voque dans la Brief ber den "Humanismus" : Si donc conformment au sens fondamental du mot ethos, le terme dthique doit indiquer que cette discipline pense le sjour de lhomme, on peut dire que cette pense qui pense la vrit de ltre comme llment originel de lhomme en tant quek-sistant est dj en elle-mme lthique originaire Martin Heidegger, Brief ber den "Humanismus", in GA 9, p. 356. Mais cette thique originaire doit toujours, marque Heidegger quelques lignes plus loin dans le texte, demeurer lcoute de la pense de ltre , et donc nest jamais penser ni comme pratique ni comme thorique . En effet, pour le Heidegger de 1946, si l thique originaire devait pouvoir se dployer ce ne saurait tre partir ou depuis une loi pose et propose dans et par la raison dun sujet autonome. Elle doit se donner lhomme depuis une pense qui pose la question de la vrit de ltre, et par l-mme dtermine le sjour essentiel de lhomme partir de ltre et vers lui ibid., p. 357. Or cette pense nest ni thique ni ontologie ibid. Elle uvre avant toute distinction en ce quelle garde et sauvegarde la parole inexprime de ltre ibid., p. 361 , do se dploie une Loi et un faire qui dpasse et dborde toute praxis et dont la puissance est celle dun Dire qui dsormais sera toujours -penser ibid., p. 362. Nous expliciterons en quoi cette Loi et ce faire sont lis et allis, pour Heidegger, ce que nous avons nomm la possibilit ultime du sacrifice. Mais, en ce moment mme, il nous appartient de faire remarquer quavant dvoquer l thique originaire dans le Brief ber den "Humanismus", Heidegger en aura dj ouvert la possibilit ds Sein und Zeit. Marquons le sans dtour : la possibilit de cette thique originaire se serait dabord dploye dans la possibilit propre au Dasein du sacrifice pour lautre possibilit donne partir de linsubstituabilit de son tre pour la mort . Nous le savons, Heidegger ne cesse, dans tre et temps, de le souligner : l tre-pour-la-mort est radicalement insubstituable. Ds lors, il est impossible et impensable de dlivrer ou dpargner lautre du rapport sa mort. Rappelons ici la lettre de Heidegger : Nul ne peut prendre son mourir autrui. Lon peut certes "aller la mort pour un autre", mais cela ne signifie jamais que ceci : se sacrifier pour lautre "dans une affaire dtermine". En revanche, un tel mourir ne peut jamais signifier que sa mort serait alors le moins du monde te lautre. Son mourir, tout Dasein doit ncessairement chaque fois le prendre lui-mme sur soi. La mort, pour autant quelle "soit", est toujours essentiellement mienne, et certes elle signifie une possibilit spcifique dtre o il y va purement et simplement de ltre du Dasein chaque fois propre. Dans le mourir, il apparat que la mort est ontologiquement constitue par la miennet et lexistence Martin Heidegger, Sein und Zeit, GA 2, p. 319. Il faut ici remarquer limportance que Heidegger accorde linsubstituabilit de l tre-pour-la-mort . En soulignant limpossibilit de soustraire lautre sa mort et ce mme au moment o lon se sacrifierait pour lautre Heidegger exige de repenser, laune de cette insubstituabilit, l tre-avec lautre. Et par l-mme de repenser le sacrifice pour lautre,
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en donnant celui-ci sa possibilit proprement authentique et indpassable. Ainsi, loin de dterminer un rapport de simple solipsisme existential o lautre serait ni ou oubli , Heidegger maintiendra, en vrit, tout le contraire : linsubstituabilit de l tre pour la mort ouvre au cur de la Jemeinigkeit du Dasein la possibilit de son tre-avec lautre dont Heidegger aura toujours tenu souligner quil tait indissociable de lexistentialit mme du Dasein. Heidegger le souligne sans cesse : le mitsein est co-existential au Dasein. Or cest bien dans linsubstituabilit de l tre pour la mort du Dasein et par la rsolution qui sy possibilise signifiant ainsi la miennet propre de chaque Dasein engag dans son pouvoir-tre le plus propre, absolu et indpassable en tant que possibilit extrme de son existence ibid., p. 338 que se trace, la fois et simultanment, un tre-ensemble o, loin de se perdre dans la quotidiennet du On , est privilgie lauthenticit du rapport que chaque Dasein entretient et maintient lenseigne de sa propre mort. Ainsi, pour Heidegger, cest parce que la mort est chaque fois et insubstituablement mienne que l tre-avec authentique est possible et demeure possibilis. Plus en avant, cest au cur de cette insubstituabilit que le Dasein peut entretenir un rapport authentique avec lautre, cest--dire un rapport o il ne msinterprte pas la possibilit indpassable de lautre et o donc il ne travestit point lexistentialit propre de lautre. Heidegger lcrira quelques pages plus loin dans tre et temps : Libre pour les possibilits les plus propres, dtermines partir de la fin, cest--dire comprises comme finies, le Dasein expulse le danger de mconnatre partir de sa comprhension finie de lexistence les possibilits dexistence dautrui qui le dpassent, ou bien en les msinterprtant, de les rabattre sur les siennes propres afin de se dlivrer ainsi lui-mme de son existence factice la plus propre. Mais la mort, en tant que possibilit absolue, nisole que pour rendre, indpassable quelle est, le Dasein comme tre-avec comprhensif pour le pouvoir-tre des autres ibid., p. 350-351. Ainsi, la libert du Dasein, en ce quelle souvre dans linsubstituabilit de sa propre mort, rserve lautre sa libert. Il lui rserve et lui donne le lieu do peut sexprimer sa libert propre en ne simmisant pas dans le rapport que lautre est appel entretenir et maintenir avec sa mort. Autrement dit, le Dasein laisse tre lautre dans son insubstituable tre-pour-la-mort . Cest ainsi quil faut comprendre la phrase de Heidegger, plus loin dans Sein und Zeit, au 60 : partir du en-vue-de-quoi du pouvoir-tre choisi par lui-mme, le Dasein rsolu se rend libre pour son monde. La rsolution soi-mme place pour la premire fois le Dasein dans la possibilit de laisser "tre" les autres dans leur pouvoir-tre le plus propre et douvrir conjointement celui-ci dans la sollicitude qui devance et libre. Le Dasein rsolu peut devenir "conscience" dautrui. Cest de ltre-Soi-mme authentique de la rsolution que jaillit pour la premire fois ltre-lun-avec-lautre authentique et non pas des ententes quivoques et jalouses ou des fraternisations verbeuses dans le On et dans ce que lon veut entreprendre ibid., p. 395. LEntschlossenheit du Dasein lui fait donc accder la conscience dautrui, cest--dire lui fait devenir non pas lautre, mais comprhension de lexistentialit o se rvle par l-mme la possibilit existentiale de lautre et o celle-ci est laisse lautre en son unicit et en sa singularit dtre riv la mort qui est toujours la sienne propre. Ainsi, le Dasein ne saurait se comprendre comme cet tant ferm et repli sur soi-mme, mais bien plutt comme cet tant pour lequel linsubstituabilit du rapport sa mort ouvre aussi ce que la possibilit ultime de lautre se dploie en son propre. Insubstituablement sienne, la mort ouvre donc le Dasein au rapport authentique lautre, cest--dire, la possibilit laisse lautre de se projeter dans son pouvoir-tre le plus propre. Ds lors, pour Heidegger, ce nest quen tant toujours dj engag dans la miennet de son propre tre pour la mort que souvre aussi lauthenticit de l tre-avec-autrui . Or en quoi consiste cet tre-avec-autrui ? Nous lavons dit : en la possibilit de laisser lautre son tre-pour-la-mort . Mais aussi et du coup en la possibilit pour le Dasein de se
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sacrifier pour lautre. En somme, et la limite radicale de cette logique : ce nest que dans limpossibilit de mourir pour lautre, de mourir la place de lautre en se substituant son tre-pour-la-mort que le sacrifice pour lautre devient authentiquement possible. Ce qui signifie quau cur de la Jemeinigkeit et de linsubstituabilit de l tre pour la mort se libre aussi un tre-avec o souvre, par l-mme, la possibilit du sacrifice pour lautre. Ou encore, l tre-avec en ce quil est ancr dans limpossibilit de se substituer l tre pour la mort de lautre et inalinablement fix dans le rapport que chaque Dasein entretient avec sa mort marque aussi la possibilit de se sacrifier pour lautre sans se substituer son rapport la mort. Cest ainsi que peut se constituer une communaut. Or, le mot communaut doit sentendre, selon Heidegger, dans la constitution de lhistorialit propre du Dasein comprise comme destin, et donc comme comme co-destinalit dans l tre-avec . Et Heidegger le souligne : cette communaut, cette co-destinalit de ltre-lun-avec-lautre ne saurait se rduire la composition de parcours individuels ou lassemblement de sujets autonomes. Dans la communaut , l tre-avec est toujours inscrit et dj engag dans le mme monde et dans la rsolution pour des possibilits dtermines et donc les destins sont dentre de jeu dj guids ibid., p. 507. Mais vers quoi les destins sont-ils guids ? Vers louverture une co-destinalit ibid., p. 508 comme libert pour le sacrifice . Citons ici Heidegger : La rsolution comme destin est la libert pour le sacrifice, tel quil peut tre exig par la situation, dune dcision dtermine ibid., 516-517. Cest dire que la communaut est penser dans la possibilit revendique et assume, engage et dploye du libre sacrifice pour lautre. Or, et nous lavons dploy, ce libre sacrifice pour lautre nest possible que dans lexistentialit indpassable de chaque Dasein engag dans linsubstituabilit inaltrable de sa propre mort. Ainsi, cest uniquement depuis la miennet insubstituable de l tre-pour-la-mort que peut se constituer une co-destinalit de singularits rsolument engages dans la possibilit du libre sacrifice pour lautre. En-de de la communaut fonde sur un principe de reconnaissance entre sujets sidentifiant en une comprhension dialogique commune, Heidegger pense le lieu originel dun tre-ensemble se dployant dans et par la diffrence radicale des existants et en laquelle se profile, avant toute communication, une appartenance linsubstituabilit de la mort singulire de chaque existant. Ainsi, chaque existant est li et alli lautre par limpossibilit de mourir pour lui mais o, la fois et simultanment, cette impossibilit ouvre la seule et unique, singulire et exceptionnelle possibilit de se sacrifier pour lui. La communaut est ainsi ancre dans limpossibilit de sidentifier ou de se substituer lun lautre l o se noue une possibilit extrme surgissant de cette radicale diffrence entre existants, possibilit de se sacrifier lun pour lautre. Possibilit aussi de survivre lautre et dtre le tmoin de lautre non pas donc doublier lautre sa mort dans et par le travail intriorisant dun deuil, mais au contraire, de porter en soi lirremplaable, irrapropriable et secrte altrit de lautre. Cest cette communaut manant de limpossibilit de mourir pour lautre au sens de mourir la place de lautre et o se dploie par-l mme la possibilit singulire de se sacrifier pour lautre que Heidegger fera entendre plusieurs annes aprs Sein und Zeit, et notamment dans le sminaire de 1934-1935 quil consacrera La Germanie de Hlderlin : Cette communaut originelle ne nat pas dune entre en relations rciproques seule la socit nat ainsi ; mais au contraire la communaut est grce la liaison primordiale de chaque individu avec ce qui, un niveau suprieur, lie et dtermine chaque individu. Quelque chose doit tre manifeste, qui nest ni lindividu lui seul, ni la communaut en tant que telle. Chez les soldats, la camaraderie du front ne provient pas dun besoin de rassembler parce que dautres personnes dont on est loign ont fait dfaut, ni dun accord pralable pour senthousiasmer en commun ; sa plus profonde, son unique raison est que
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sacrifice l o se dploie la responsabilit de la pense fie la vrit
historiale de ltre . Cest pourquoi le sacrifice est pens, dans les dernires
pages du Nachwort Was ist Metaphysik? 1, comme le don prodigue, soustrait
la proximit de la mort en tant q
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