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Dossier de presse - Joseph STEIB (1898-1965)
Joseph Steib, peintre amateur et fervent opposant à Hitler pendant l'occupation
Par Marie Pujolas @Culturebox
Joseph Steib (1898-1965) est un peintre inconnu. Pourtant, cet employé du service des eaux de Mulhouse fut,
pendant la seconde guerre mondiale, l'un des plus fervents opposants au régime nazi. Une haine qu'il peignit sur
de nombreuses toiles. Des œuvres violentes, retrouvées par un collectionneur. François Pétry vient de publier
un livre, "Le salon des rêves", sur cette histoire hors du commun.
"Le salon des rêves", c'est le nom donné à la série de 57 tableaux réalisée par Joseph Steib dans sa cuisine, à
Brunstatt, un faubourg populaire de Mulhouse entre 1942 et 1945. La personne d'Hitler y est représentée à
chaque fois comme l'incarnation du Mal, dans des toiles aux styles variés mais souvent inspirés par des scènes
religieuses.
Une vision naïve mais ultra féroce du régime nazi, du führer et de ses hauts dignitaires. Le fonctionnaire sans
histoires, qui avait fait des études d'art et s'était fait un petit nom avant-guerre, n'a pas supporté l'occupation de
sa région et bien sûr les idées du régime. Retranché dans sa cuisine, il a donc peint son désespoir et sa colère.
Tableaux cachés puis dispersés
Mais, en pleine occupation, se livrer à une telle activité n'était évidemment pas sans risques. Les tableaux du
"salon des rêves" étaient cachés derrière les murs de l'appartement du peintre. Ils ne furent exposés qu'une seule
fois au public, en 1945.
Un témoignage unique
Collectionneur et historien, François Pétry s'intéresse depuis une trentaine d'années au travail de Joseph Steib.
Il a notamment parcouru les brocantes de la région pour retrouver les toiles qui ont été dispersées par l'épouse
de Joseph Steib à sa mort en 1966. Un livre immortalise désormais cette histoire peu commune.
In : Les Saisons d’Alsace n° 5. Hiver 1999
L’art magique de Joseph Steib
http://www.philosophieetsurrealisme.fr/lart-magique-de-joseph-steib/
Salvador Dalí, dans son Journal d’un génie, relate un fait curieux survenu en 1938, à la veille du congrès de
Nuremberg. Un ami fort cher lui propose de signer un exemplaire de La Conquête de l’irrationnel destiné à
Adolf Hitler. Cela aurait d’abord plongé le peintre catalan dans un grand embarras, dont il serait vite sorti grâce
à une inspiration subite. Mais ce fait d’apparence anodine devient, après coup, dans la bouche de Dalí, épique
et apocalyptique ; car selon l’inventeur de la paranoïa-critique, la signature apposée sur cet exemplaire allait
avoir des effets incalculables ; elle allait décider de l’issue même de la Seconde Guerre mondiale : « Mon ami
Lord Berners me demanda de signer mon livre La Conquête de l’irrationnel pour l’offrir personnellement à
Hitler puisque celui-ci trouvait à ma peinture une atmosphère bolchevique et wagnérienne, en particulier dans
ma manière de représenter le cyprès. Au moment de signer l’exemplaire que me tendait Lord Berners, je fus la
proie d’une curieuse perplexité, et me souvenant des paysans analphabètes qui venaient dans l’étude de mon
père et signaient d’une croix les documents qu’on leur présentait, je me contentai à mon tour de tracer une croix.
J’eus conscience, ce faisant (comme d’ailleurs pour tout ce que je fais), que cela devait être très important, mais
jamais, je ne me doutais que c’était précisément ce signe-là qui provoquerait la sublime catastrophe hitlérienne.
En effet, Dalí, spécialiste en croix (le plus grand qui ait jamais existé), a réussi avec deux traits calmes à exprimer
graphiquement, magistralement, que dis-je ? magiquement et de façon concentrée, la cinquième essence du
contraire total de la svastika, la croix dynamique, nietzschéenne, gammée, hitlérienne. J’avais dessiné une croix
stoïque, la plus stoïque, la plus velasquézienne et la plus anti-svastikienne de toutes, la croix espagnole de la
sérénité dionysiaque[1]. » Dalí fabule-t-il ? Veut-il faire oublier qu’il a failli être exclu du groupe surréaliste
pour hitlérisme, qu’il était obsédé par le « dos dodu » d’Hitler, qu’il entendait rivaliser avec l’irrationalité du
national-socialisme ? En fait, il importe moins de savoir si le peintre surréaliste d’alors avait bien tracé une croix
sur un exemplaire de La Conquête de l’irrationnel destiné à Hitler ou s’il était dans son cœur un farouche
adversaire du même Hitler que de remarquer le contenu conjuratoire et magique que Salvador Dalí confère à
cette croix. Bien longtemps après, il est vrai.
Donc le pur tracé graphique et serein de deux traits aurait pu produire des
effets terribles, comme porter malheur à Hitler. Or c’est sous cet éclairage
conjuratoire, magique et prophétique qu’il convient d’aborder l’activité
clandestine du peintre Joseph Steib à Mulhouse durant l’occupation de la
France et l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Comme les recherches
pointues et solides de François Petry nous l’apprennent, Joseph Steib,
employé municipal un peu marginal et de santé délicate, patriote français
et alsacien, ne restera pas les bras croisés devant la transformation brutale
de l’Alsace en nouvelle région allemande. Peintre modeste ayant acquis
un talent de miniaturiste, Joseph Steib hallucinera l’histoire en cours et
consignera dans ses tableaux ses angoisses et ses désirs. Auparavant, il
avait ressassé des thèmes ou des motifs convenus, même s’il avait touché
à la caricature et donné un tour étrange à certaines scènes réalistes. Mais
quand soudain, il se sent désespéré, révolté, révulsé par le spectacle de
l’Alsace ou de Mulhouse « sous la botte allemande », pour reprendre le
titre d’un de ses tableaux, Joseph Steib trouve dans la peinture un
formidable exutoire, un moyen inattendu d’halluciner un cauchemar et
d’apaiser ses tourments.
Des toiles, comme Sous la botte allemande (cat. 3, 1940), décrivant la présence des troupes allemandes, le
décrochage à l’intérieur d’un bâtiment des symboles religieux ou nationaux, leur remplacement par la croix
gammée et un immense portrait d’Adolf Hitler, le contrôle d’une population avec bagages qui semble en attente
de déplacement ou d’expulsion, et pour tout dire l’envahissement du décor par le vert des uniformes, ou comme
Réquisition dans le train (cat. 9, 1942), où un autre contrôle est opéré par l’uniforme vert, comme Nous sommes
venus vous libérer (cat. 23, 1944), titre ironique où l’on découvre lors d’une perquisition menée toujours par
des uniformes verts, une famille inquiétée, un logement mis sens dessus dessous laissant apparaître deux
drapeaux tricolores, ou encore comme L’Amour du prochain (cat. 12, 1942), autre titre acide ou ironique
montrant sur un quai de gare une foule de femmes, d’hommes et d’enfants, embarqués avec leur valises dans
des wagons à chevaux à destination non de Paris mais de Berlin, une description prise sur le vif de la déportation
des Juifs vers ce qu’il faut bien appeler les camps d’extermination, toutes ces toiles donc sont autant de
reportages quasi photographiques sur la réalité de l’occupation de l’Alsace et de la terreur nazie, mais une
photographie où sont privilégiés la contre-plongée et l’immobilité de la pose, le traitement naïf et les taches de
couleurs.
On mesure le danger que Joseph Steib courait et qu’il faisait courir à sa femme. Pourtant il est allé encore plus
loin. Il n’a pas seulement mis le doigt sur l’infamie, il a pris à partie l’occupant allemand et il s’en est pris en
particulier à son inspirateur en chef, à Hitler en personne. Et comme il a vu en Hitler une sorte d’Antéchrist de
la religion ou de « la religiosité nazie[2] », il en a fait surgir l’image à plusieurs reprises : apparition cosmique
(Les Sources parlent, cat. 1, 1939), image double à la manière de Dalí signalée par un panneau « Danger de
mort » (L’Homme des cavernes, cat. 5, 1941), pendaison spectaculaire de Hitler à un arbre et accrochage de ses
signes distinctifs (L’Espoir des peuples, cat. 6, 1941), Hitler embrasé par le diable et brûlant en enfer parmi les
damnés (La Damnation du Führer, cat. 8, 1941), jugement dernier de Hitler incliné devant le Christ, mort prévue
pour 1942 puis 1943 (Justice sera faite, 1941/1942), violent portrait-charge avec un visage grouillant d’animaux
à la manière d’Arcimboldo (Le Conquérant, cat. 13, 1943), Hitler muni d’une balayette et coiffé d’un pot de
chambre sur lequel est inscrit « 44 », année qui marquera « la fin de l’assassin » (À chacun son tour, 1943),
formidable mise en scène de la mort prochaine de l’Antéchrist Hitler dans une parodie de la Cène (La Dernière
Scène, cat. 16, 1943).
Et c’est là qu’il faut comprendre le ressort magique de la peinture de Steib. Dès 1941, Joseph Steib pend Hitler
ou l’envoie en enfer, en précisant dans Justice sera faite (cat. 7) que le Führer sera châtié en 1942 ; mais comme
Hitler n’est pas encore transporté en enfer en 1942, il diffère sa disparition d’un an en inscrivant « 1943 » sur
le tableau. En 1943 justement, tantôt Hitler est menacé par une mort imminente dans La Dernière Scène (cat.
16), tantôt sa mort est programmée pour 1944 dans À chacun son tour (cat. 14). Joseph Steib procède tel un
magicien ou un sorcier enfonçant ses aiguilles dans une poupée. Le peintre n’a d’autre désir que d’anéantir le
monstre Hitler pour sauver la France ou pour délivrer l’Alsace et Mulhouse. Et il se remet à l’ouvrage, année
après année. Cependant, la pratique magique de Steib ne se réduit pas au seul versant maléfique. Le magicien
conjugue simultanément deux visions. Dans une série de tableaux, comme nous venons de le voir, il hallucine
la chute de l’idole et, dans une autre série, il prophétise et idéalise la libération de l’Alsace aux couleurs de la
France.
Non content de tuer ou de terrasser Hitler et de l’expédier en enfer, ou
encore de représenter en 1943 le Reich en flammes (Le Juste Retour des
choses, cat. 17) ou la destruction de la flotte allemande (Chauvinisme
allemand, cat. 18), Steib peint aussi tout au long de la Seconde guerre
mondiale des tableaux idylliques où la paix est recouvrée et la patrie
retrouvée. La campagne, le vignoble ou la forêt, les sommets, la rivière ou la
vallée, le village, la voie ferrée ou Mulhouse, tout est pavoisé aux couleurs
de la France et de l’Alsace. Les drapeaux et les lampions, les insignes et les
vêtements, les feux d’artifice et les foules, tout dans le décor manifeste une
liesse populaire ou une communion patriotique. Ainsi se succèdent, dans des
titres qui parlent d’eux-mêmes, des images d’allégresse ou de félicité : liesse
villageoise enjambant un pont tricolore affichant comme date « 1943 » (Et le
rêve se réalisa, cat. 2, 1939), image pastorale (Et la paix règne sur les
sommets, cat. 4, 1940), ronde de trois grâces symbolisant la France et deux
pays alliés (Liberté, Égalité, Fraternité, cat. 10, 1942), village illuminé et en
fête (La Joie du retour dans les vallées, cat. 21, 1943), libération de
Mulhouse prophétisée pour 1944 (Mulhouse en liesse, cat. 20, 1943) enfin
quatre tableaux de 1944, éclatants eux aussi d’ardeur patriotique et de félicité collective, qui sont
probablement antérieurs à la libération de l’Alsace (Tout est consommé, La Libération du vignoble alsacien,
Les roues tourneront pour la victoire, Fête rurale, cat. 27, 25, 22 et 26).
Comme l’a remarqué François Pétry, il y a sans doute eu un malentendu en
septembre 1945 lors de l’exposition « Salon des rêves » de Joseph Steib à
Brunstatt. Les visiteurs accourus en nombre ont cru voir dans les cinquante-
sept tableaux célébrant la défaite du nazisme et la libération du pays un
reportage ou un portrait d’événements récents alors que ces peintures étaient
pour la plupart des anticipations subversives, des prophéties hallucinées ou
plus secrètement même des recettes magiques visant à précipiter la mort
d’Adolf Hitler et l’effondrement du IIIe Reich. Car l’originalité de Joseph Steib
est d’avoir peint, des années de guerre durant et dans une parfaite clandestinité,
aussi bien les cauchemars de l’annexion que les rêves de libération. De même
que Dalí a tracé une croix sur un exemplaire de La Conquête de l’irrationnel
destiné à Hitler, Joseph Steib a usé de ses pinceaux magiques pour foudroyer
cet Antéchrist. Et pour être à la hauteur de l’enjeu, Steib a sans doute eu
conscience qu’il lui fallait rivaliser avec la force d’expression d’un James
Ensor ou avec le pouvoir d’évocation d’un Douanier Rousseau.
D’ailleurs, en appelant son exposition de Brunstatt « Salon des rêves », Joseph Steib invoquait le patronage du
Douanier Rousseau ou plus précisément il se réclamait de son tableau Le Rêve, représentant, en pleine forêt
vierge, une femme nue étendue sur un sofa. Joseph Steib n’a pas été le premier à associer le mot « salon » et la
toile Le Rêve. En octobre 1927, Emmanuel Berl, en accord avec André Breton, projetait d’éditer la collection
« Le Salon particulier », avec en couverture une reproduction du Rêve du Douanier Rousseau[3]. Pour André
Breton, Le Rêve du Douanier Rousseau était un « Salon particulier » et pour Joseph Steib un « Salon des rêves ».
Laissons-nous encore guider par les surréalistes. En juin 1929, dans un numéro spécial de la revue Variétés, ils
consacraient au rêve tout un dossier iconographique. C’est ainsi que sur le même page ils superposaient Le Rêve
du Douanier Rousseau de 1910 et Le Rêve d’Édouard Detaille de 1888, l’immense toile de Detaille montrant
des conscrits endormis rêvant d’une victoire prochaine. Rêve de forêt vierge et rêve du triomphe de l’Armée
française, ce sont là deux des grandes sources d’inspiration de la peinture de Steib.
En 1943, quand Wifredo Lam, qui est de retour à Cuba, peint son chef-d’œuvre La Jungle, il fait alors écho,
dans sa fresque supernaturaliste hallucinant des divinités orichas et des créatures en transe, aux enquêtes
ethnographiques de Lydia Cabrera sur les religions afro-cubaines et la médecine sacrée dans l’île. Mais il
reprend aussi à nouveaux frais Le Rêve du Douanier Rousseau en entremêlant les parties du corps et en
entrecroisant le végétal et l’animal, les esprits et les vivants. Il se demande en fait si l’acte de peindre des rites
magiques dans une jungle hantée par les esprits est lui-même un acte magique. En Alsace, la même année,
Joseph Steib n’a aucun doute à ce sujet. En secret et complètement isolé, il peint ses tableaux de petit format
comme autant d’offrandes propitiatoires. Et la peinture des horreurs de la guerre lui apparaît alors comme la
condition d’un art divinatoire portant sur l’annonce prochaine ou imminente d’une inversion des signes.
De l’été 1940 au 25 juillet 1944, jour de leur arrestation par la Gestapo, deux amies d’André Breton, la
photographe et écrivain Claude Cahun et sa compagne la dessinatrice Suzanne Malherbe, ont répandu
clandestinement dans l’île de Jersey, occupée par l’armée allemande, des milliers de messages subversifs en
plusieurs langues signés du « Soldat sans nom ». Elles ont parfois mené des opérations imaginatives et
audacieuses. Par exemple, après avoir confectionné un photomontage de bottes crottées, démoralisantes pour
un combattant, et l’avoir joliment encadré, elles s’ingénièrent à installer le « tableau » dans une maison qui allait
bientôt être investie par des soldats allemands. Comment qualifier cette pratique obstinée de deux dames isolées
et d’apparence tranquille, condamnées à mort mais sauvées in extremis au printemps 1945 ? Résistance
politique ? Poésie de propagande ? Pas seulement. Comme Joseph Steib, qui lui aussi risquait sa vie, elles ont
agi dans la solitude, en voulant, tout à la fois, infléchir le cours de la guerre, s’exprimer et rêver.
Fait prisonnier à Saint-Dié en juin 1940, le peintre Alfred Gaspart a passé cinq ans de captivité en Allemagne,
pour l’essentiel au stalag VII A, à Moosburg, en Bavière. Il a dessiné et peint sur papier des centaines de portraits
de prisonniers. Il a été attentif aux effets de groupe dans les baraquements ou encore aux corps décharnés de
Russes sous la douche. Il a aussi pris des notes sur la vie quotidienne dans le stalag et a rapporté les péripéties
de ses deux tentatives d’évasion. Mais alors que les dessins et les aquarelles témoignent de l’intériorité, la
beauté, la personnalité du modèle et restituent souvent des gestes simples ainsi que l’accablement propre au
vase clos, les notes de Gaspart relatent avec sobriété la souffrance, la cruauté et la mort en captivité. Le samedi
1er mai 1943, Alfred Gaspart écrivait : « Quand donc retrouverai-je la forme, tant de choses sont à dessiner dans
cette ambiance séparée du monde[4]. » Car telle est la question, urgente et permanente, que se pose un peintre
confronté à la mort et au désespoir et pratiquement coupé du monde. L’artiste va-t-il oui ou non rassembler ses
forces pour survivre et renouer avec l’inspiration ? Et en retrouvant la forme, dans tous les sens du mot, le
dessinateur ne sauvera-t-il pas une petite part de l’âme de ses compagnons et ne se préservera-t-il pas lui-même
en s’accomplissant dans son art ?
Joseph Steib en Alsace, Claude Cahun et Suzanne Malherbe dans l’île de Jersey, Alfred Gaspart dans un stalag,
et même Wifredo Lam à Cuba, se sont repliés sur eux-mêmes ou ont mené une activité dans le plus grand secret.
Ils étaient persuadés, et cela contre toute vraisemblance, d’une certaine efficience de leurs visions, de leurs
messages ou de leurs portraits. Que peut faire l’art dans la clandestinité ou dans la captivité ? En principe rien.
Et pourtant, bien longtemps après, la magie de Joseph Steib nous atteint.
Revenons sur un point capital, qui est celui du temps que les civils ou les soldats en captivité endurent pendant
la guerre. Joseph Steib a beau prophétiser la victoire des Alliés et la déroute de l’Antéchrist, il lui faut tromper
l’attente. C’est pourquoi il peint tableau sur tableau et peuple son salon de rêves. Il en est de même d’Alfred
Gaspart qui multiplie les portraits et tient un journal. Claude Cahun et Suzanne Malherbe élaborent et distillent
en permanence leur contre-propagande. En fait, ce qui est en jeu chez Steib, Gaspart, Cahun ou Malherbe, c’est
moins la guerre que l’état d’isolement et l’attente d’une échéance. Dès 1940, Joseph Steib rêve d’une défaite de
l’Allemagne à brève échéance. Comme si le sort de l’Alsace était entre ses mains, il peint dans la clandestinité
des toiles de tristesse ou de liesse, de terreur ou de liberté. Il use d’un art brut de la magie.
La peinture de Joseph Steib est inséparable de l’histoire en cours. Les conditions de sa réclusion volontaire, à
l’écart de la dénonciation comme de l’autocensure, mettent le peintre sur la voie de la magie et de la création.
Dès lors, Joseph Steib peut s’approprier des proverbes qu’il met au goût du jour et de sa peinture : Qui dort,
dîne. Après le dîner, le dessert. À chacun son tour. Après chaque décembre, suivra le mois de mai. Justice sera
faite. Qui vivra verra. À chacun son métier.
Georges Sebbag
Notes
[1] Salvador Dalí, Journal d’un génie, Gallimard, Paris, 1956, p. 159-160.
[2] Deux tableaux exposés par Joseph Steib dans son « Salon des rêves » de septembre 1945 ont pour titre La
Religiosité nazie.
[3] Voir Georges Sebbag, André Breton l’amour-folie, éd. Jean-Michel Place, Paris, 2004, p. 108-109.
[4] Voir Rafaèle Antoniucci et Michel Blay, Alfred Gaspart, Peindre en captivité, 1940-1945, Stalag VII A, éd.
Somogy, Direction de la mémoire de patrimoine et des archives, Paris, 2005, p. 153.
Références
Publié dans catalogue Le salon des rêves Joseph Steib, sous la direction d’Emmanuel Guigon, Musées de
Strasbourg, 2006.
Quelques œuvres
(D’après https://steib-concoursresistance.webnode.fr)
La Dernière Scène
La Dernière Scène est
une huile sur bois peinte
par Joseph Steib. C'est
une réinterprétation
parodique de "La
Cène" de Léonard de
Vinci.
(Salvador Dali étant le
plus connu).
La Cène - Leonard de Vinci (1494) La Dernière Cène - Salvador Dali (1955)
La damnation du Führer
La damnation du Führer est un petit tableau peint sur carton
d'une dimension totale de 40 x 47cm encadré de gris et de
rouge. Il est daté de 1941. Il s'agit d'une composition aux
couleurs franches, brunes, rouges, jaune et vert clair peint à
grandes touches. Elle représente un groupe de 13
personnages.
Ici Steib semble avoir été inspiré
par Jérôme Bosch.
Le juste retour des choses
Le juste retour des choses est un tableau qui a été
retrouvé abîmé puis a été restauré. Il date de 1943 et
son titre est incertain.
Le conquérant
Le conquérant est une œuvre centrale de J. Steib. C'est
une huile sur faux cuir collé sur carton de 89,5x59,5
cm, peinte en 1942.
La tête d'Hitler est composée de plusieurs animaux : sa
mâchoire inférieure est un cochon sur le dos, son oreille
et son front sont des chats. Ses cheveux forment un bec
de corbeau et ses dents sont celles d'un rat. Cette tête
composée d'animaux
peut rappeler d'autres
peintures comme La
terre d'Arcimboldo où
un personnage a la tête
entièrement composé
d'animaux.
La Terre - Arcimboldo
(non datée)
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