ernest renan - vie de jesus [1863] (04)
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AVERTISSEMENT
DE LA PREMIERE DITION POPULAIRE, FORMAT IN-32
Puisqu'il m'a t donn de tracer de Jsus une image qui a
obtenu quelque attention, j'ai cru devoir offrir cette image, sous une
forme convenabtement prpare, aux pauvres, aux attrists de ce
monde, ceux que Jsus a le plus aims. Beaucoup de personnes
ayant regrett que le tivre, par son prix et son volume, ne ft pas
accessible tous, j'ai sacrifi l'introduction, les notes et certains pas-
sages du texte qui supposaient le lecteur assez vers dans les recher-
ches spciales de la critique. Par ta suppression de ces diverses
parties, nous avons atteint un triple but.'D'abord, le livre est devenu
d'un format si modeste, que toute personne qui y trouvera du got
pourra le possder. En second tieu, je ne erois pas qu'il y reste un
mot ni une phrase qui exigent, pour tre entendus, des tudes prti-
minaires. Enfin, par ces retranchements, j'ai obtenu un rsultat qui
ne m'est pas moins prcieux. J'avais fait mon tivre avec la froideur
absolue de l'historien se proposant pour unique objet d'apecevoir la
nuance la plus fine et la plus juste du vrai. Cette franchise ne pou-f
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9 AVERTISSEMENT
vait manquer de causer quelques froissements h tant d'mes excel-
tentes que le christianisme tve et nourrit. Ptus d'une fois, j'ai
regrett de voir des personnes auxquelles j'aurais infiniment aim h
plaire, dtournes de la lecture d'un livre dont quelques pages n'au-
raient peut-tre pas t pour elles sans agrment. ni sans fruit. Je
crois que beaucoup de vrais chrtiens ne trouveront dans ce petit
volume rien qui les btesse. Sans changer quoi que ce soit h ma pen-
se, j'ai pu carter tous les passages qui taient de nature h produire
des malentendus, ou qui auraient demand de longues explications.
L'histoire est une science comme la chimie, comme la gologie.
Pour tre entirement comprise, elle demande des tudes approfon-
dies, dont le rSultat le plus lev est de savoir apprcier la diffrence
dei temps, des pays, des nations et des races. Aujourd'hui, un
homme qui croit aux fantmes, aux sorciers, n'est plus tenu chez nous
pour un homme srieux. Mais, autrefois, des hommes minents ont
cru h tout cela, et peut-tre, en certains pays, est-il encore possible,
de nos jours, d'allier une vraie supriorit h de pareilles erreurs. Les
personnes qui ne sont pas arrives, par des voyages, par de longues
lectures ou par une grande pntration d'esprit, h s'expliquer ces
diffrences, trouvent toujours quelque chose de choquant dans les
rcits du pass; car le pass, si hroque, si grand, si original,
n'avait pas, sur certains points fort importants, les mmes ides ( -pie
nous. L'histoire complte ne peut recuter devant cette difficult, mme
au risque de provoquer les plus graves mprises. La sincrit Scien-
tifique ne connat pas les mensonges prudents; Il n'est pas en ce
monde un motif assez fort pour qu'un savant se contraigne dans
l'exPression de ce qu'il croit la vrit. Mais, quand une fois on a dit,
sans une ombre d'arrire-pense, ce qu'on: croit certain, ou probable,
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AVERTISSEMENT 3
ou possible, n'est-il pas permis de laisser l les distinctions subtiles
pour s'attacher uniquement l'esprit gnral des grandes choses,
que tous peuvent et doivent comprendre? n'a-t-on pas le droit d'effa-
cer les dissonances pour ne plus songer qu' ta posie et l'difi-
cation, qui .surabondent en ces vieux rcits? Le chimiste sait que
te diamant n'est que du charbon ; il sait tes voies par lesquelles ta
nature opre ces profondes transformations. Est-il oblig pour ceta
de s'interdire de parler comme te monde et de ne voir dans le plus
beau joyau qu'un simple morceau de carbone ?
. Ce n'est donc pas ici un nouveau livre. C'est la Vie de Jsus
dgage de ses chafaudages et de ses obscurits. Pour tre histo-
rien, j'avais d chercher peindre un Christ qui et les traits, ta
couleur, la physionomie de sa race. Cette fois, c'est un Christ en
marbre blanc que je prsente au public, un Christ taill dans un bloc
sans tache, un Christ simple et pur comme le sentiment qui le cra.
Mon Dieu, peut-tre est-il ainsi plus vrai. Qui sait s'il n'y a pas des
moments o tout ce qui sort de l'homme est immacul? Ces moments
ne sont pas longs; mais il y en a. C'est ainsi du moins que Jsus
apparut au peuple; c'est ainsi que te peuple le vit et l'aima; c'est
ainsi qu'il est rest dans le coeur des hommes. Voit ce qui a vcu en
lui, ce qui a charm le monde et cr son immortatit.
Je ne rfuterai pas pour la vingtime fois le reproche qu'on
m'adresse de porte;atteinte. la religion. Je crois ta servir. Certaines
personnes s'imaginent que, par de timides rticences, on empchera
le peuple de perdre lafoi au surnaturel. Quand mme une telle pr-
caution serait honnte, elle serait fort inutile. Cette foi, le peuple l'a
perdue. Le peuple, en cela d'accord avec la science positive, n'admet
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G. AVERTISSEMENT
pits le surnaturel particulier, le miracte. Faut-il conclure de lit qu'it
est tranger aux hautes croyances qui font la noblesse de l'homme?
Ce serait une grave erreur: Le peuple est religieux sa manire. Quoi
de ptus touchant que son respect pour ta mort? Son courage, sa sr-
nit, son dsir de s'instruire, son indiffrence a ridicule, ses grands
instincts d'hrosme, son got pour tes ouvrages d'art ou de posie
qui procurent des motions srieuses en - s'adressant. aux sentiments
nobles, cette perptuelle jeunesse qui brilte en lui qUand'il s'agit de
gtoire et (le patrie, tout cela est de la retigion et de la meitteure. Le
peuple tn'est nullement matrialiste. On lui plat par l'idatisme. Son
dfaut, si c'en est un, est de faire bon march de tous les intits
quand il s'agit d'une ide. Il serait funeste de lui prcher l'irrligion;
il serait inutile d'essayer de le ramener aux vieilles croyances surna-
turelles. Reste un seul parti, qui est de tui tout dire. Le peupt saisit
trs-vite et par une sorte d'instinct profond les rsultats les ptus levs
(le la science. Il voit que, parmi tes formes religieuses (lui ont exist
jusqu'ici, aucune ne peut prtendre une valeur absolue; mais il
sent bien aussi que le fondement de la retigion ne croute pas pour
cela. LM inspirer le respect mme des formes qui passent, tui en
montrer la grandeur dans l'histoire, mettre en relief ce que ces
formes antiques ont eu de bon et de saint, n'est-ce pas faire acte
pieux? Pour moi, je pense que te peuple tournerait le dos la dli-
vrance, le jour o il tiendrait pour des chimres la foi, l'abngation,
le dvouement. La part d'iltusions qui autrefois se mtait Louis les
grands mouvements soit potitiques, soit religieux, n'est pas un motif
pour refuser ces mouvements ta sympathie et l'admiration. On peut
tre bon Franais sans croire la sainte ampoule. On peut aimer
Jeanne Darc salis admettre la ralit de ses visions.
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AVERTISSEMENT 5
Voil pourquoi j'ai pens que te tableau de ta ptus tonnante
rvolution populaire dont on ait gard te souvenir pouvait tre utile
au peuple. C'est ici vraiment la vie de son meilleur ami; toute cette
pope .des origines chrtiennes est l'histoire des plus grands pl-
biens qu'il y ait jamais eu. Jsus a aim les pauvres, ha les prtres
riches et mondains, reconnu le gouvernement existant comme une
ncessit; il a mis hardiment les intrts moraux.au-dessus des que-
relles des partis; il a prch, que ce monde n'est qu'un songe, que
tout est ici-bas image et figure, que te vrai royaume de Dieu, c'est
t'idat, que l'idat appartient tous. Cette lgende est une source
vive d'ternetleS consolations; elle inspire une suave gaiet; elte
encourage l'amtioration des moeurs sans vaine hypocrisie; elle
donne le got de la libert; etle porte enfin rflchir sur les pro-
blmes sociaux, qui sont tes premiers de notre temps. Jsus ouvre
sur ce point des vues d'une profondeur tonnante. Quand on sort de
son cole, on conoit trs-bien que la potitique ne saurait tre un jeu
friVOle, que l'essentiel un jour sera de travailter au bonheur, it l'in-
struction et la vertu des hommes, que tout effort pour carter de
telles questions est frapp de stritit.
Humbles 'serviteurs' et servantes de Dieu, qui portez le poids du
jbur et de ta chaleur; ouvriers fini travaitlez de vos bras btir le
temple que nous levons l'esprit ; prtres vraiment saints. qui g-
missez en silence de la domination d'orgueitleux sadducens; pauvres
femmes qui souffrez d'un tat social oit la part du bien est encore
faible; ouvrires pieuses et rsignes au fond de la froide cetlule oit
'le Seigneur est avec vous, venez la fte qu'un jour Dieu, en son
sourire, prpara pour les simptes de coeur. Vous tes les vrais dis-
ciples de Jsus. Si ce grand matre revenait, oit croyez-vous qu'it
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AVERTISSEMNT
reconnatrait la vraie postrit de la troupe aimable et fidle qui t'en-
tourait sur le bord du lac de Gnsareth? Serait-ce parmi les dfen-
senis de symboles qu'il ne connaissait pas, dans une glise officielle
qui favorise tout ce qu'it a combattu, parmi les partisans. d'ides
vieillies associant sa cause k leurs intrts et k leurs passions? Non;
ce serait parmi nous, qui aimons la vrit, le progrs, la tibert. Et,
si un jour il s'armait du fouet . pour chasser les hypocrites, en qui
pensez-yous qu'il reconnatrait le pharisien de sa parabole? En ceux
qui disent : 0 Dieu, je le rends grce de ce que je ne suis pas
comme ce grand coupable, ce malheureux, cet homme de nant,
ou ceux qui diSent 0 toi, que je mconnais peut-tre, mais que
j'aime et qui dois rechercher avant tout' l'hommage d'un coeur sincre,
rvle-toi, car ce que je veux, c'est te voir? Considrez l'horizon ;
on y sent poindre une aurore, ta dlivrance par la rsignation, le tra-
vail , la bont, te soutien rciproque; la dlivrance par la science,
qui, pntrant les lois de l'humanit et assujettissant de plus en plus
la matire ,fondera la dignit de tous les hommes et la vraie libert.
Prparons, en faisant chacun notre devoir, ce paradis de l'avenir.
Pour moi, je serai heureux si un moment, avec ces rcits du pass .,
je vous ai fait oublier le prsent, si j'ai renouvet pour vous la dou-
ceur de cette idylte sans pareille qui, it y a dix-huit cents ans, ravit
de joie quelques humbles comme vous.
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DOS DE GRAVURE
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VIE
DE JSUS
CHAPITRE PREMIER
MNPANCE ET JEUNESSE DE JSUS. SES PREMIkRES
IMPRESSIONS
L'vnement capital de l'histoire du monde est la rvolution
par laquelle les plus nobles portions de l'humanit ont pass, des
anciennes religions comprises sous le nom vague de paganisme , -
une religion fonde sur l'unit divine, ta trinit, l'incarnation du
Fits de Dieu. Cette conversion a eu besoin de prs de mille ans pour
se faire. La religion nouvelte avait mis elleLmme au moins trois
cents ans se former. Mais l'origine de la rvotution dont it s'agit
est un fait qui eut lieu sous les rgnes d'Auguste et de Tibre. Alors
vcut une personne suprieure qui, par son initiative hardie et par
l'amour qu'elle sut inspirer, cra l'objet et posa te point de dpart
de la -foi future de l'humanit. .Jsus naquit Nazareth, petite ville de Galile; qui n'eut avant
lui aucune clbrit. Toute sa vie il fut dsign du nom de Naza-
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10 VIE DE JESLIS
ren , et ce n'est que par un dtour assez embarrass qu'on russit,
dans sa lgende, le faire natre Bethlhem. Nous verrons plustard le motif de cette supposition et comment ette tait la cons-
quence du rte prt Jsus. On ignore la date prcise de sa nais-sance. Etle eut lieu sous le rgne d'Auguste, probablement vers
l'an 750 de Rome, c'est--dire quelques annes avant l'an 1 de l're
que tous les peuples civiliss font dater du jour o il naquit.
La population de Gatile tait fort mle. Cette province comp-
tait parmi ses habitants, au temps de Jsus, beaucoup de non-Juifs
(Phniciens, Syriens, Arabes et mme Grecs). Les conversions au
judasme n'taient pas rares 'dans ces sortes de pays mixtes. Il est
donc impossible de soulever ici aucune question de race et de recher-
cher quet sang coulait dans les veines de celui qui a le ptus contri-bu effacer dans l'humanit les distinctions de sang.
Il sortit des rangs du peuple. Son pre Joseph et sa mre Marie
taient des gens de mdiocre condition, des artisans vivant de leur
travail, dans cet tat si commun en Orient, qui n'est ni l'aisance ni
la misre. L'extrme simplicit de la vie dans de tettes contres, en
cartant le besoin de ce qui constitue chez nous une existence
agrabl et commode, rend'le privilge du riche presque inutile, et
fait de tout le monde des pauvres votontaires. D'un autre ct, le
manque total de got pour les arts et pour ce qui contribue
l'lgance de la vie matrielle donne la maison de celui qui ne
manque de rien un aspect de dnment. La ville de Nazareth , autemps de Jsus, ne diffrait peut-tre pas beaucoup de ce qu'elle estaujmird'hui. LeS rues o il joua enfant, nous tes voyons dans ces
sentiers pierreux ou ces petits carrefours qui sparent tes cases. La
maison de Joseph ressembla beaucoup sans doute ces pauvres
boutiques, claires par la porte, servant la fois d'tabli , de cui-
sine, de chambre coucher, ayant pour ameublement une natte,
quelques coussins terre, un ou deux vases d'argite et un coffrepeint.
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'VIE DE JSUS li
La famille, qu'elle provnt d'un ou de ptusieurs mariages, tait
assez nombreuse. Jsus avait (les frres et des soeurs, dont il semble
avoir t l'an. Tous sont rests obscurs; car il parait que tes
quatre personnages qui sont donns comme ses frres, et parmi
tesquels un au moins, Jacques, est arriv une grande importance
dans les premires annes du dvetoppement du christianisme .
taient ses cousins germains. Marie, en effet, avait une sur nom-
me aussi Marie, qui pousa un certain Atphe ou Clophas (ces
deux noms paraissent dsigner une mme personne), et fut mre de
plusieurs fils qui jourent un rle considrable parmi les premiers
disciples de Jsus. Ces cousins germains, qui adhrrent au jeune
matre, pendant que ses vrais frres lui faisaient de l'opposition
prirent le titre de frres du Seigneur . Les vrais frres de Jsus
n'eurent de notorit, ainsi que teur mre, qu'aprs sa mort. Mme
ators, its ne paraissent pas avoir gat en considration leurs cou-
sins, dont la conversion avait t plus spontane et dont le caractresemble avoir eu ptus d'originatit.
Ses soeurs se marirent Nazareth , et il y passa les annes de
sa premire jeunesse. Nazareth tait une petite ville; situe dans
un pli de terrain largement ouvert au sommet du groupe de mon-tagnes qui ferme au nord la plaine d'Esdrelon. La population est
maintenant de trois quatre mille mes, et elle peut n'avoir pas
beaucoup vari. Le froid y est vif en hiver et le climat fort salubre.
Nazareth, comme cette poque toutes tes bourgades juives, tait 1111
amas de cases bties sans style, et devait prsenter cet aspect sec et
pauvre qu'offrent les vitlages dans les pays orientaux. Les maisons..
- ce qu'il semble , ne diffraient pas beaucoup de ces cubes de
pierre, sans lgance extrieure ni intrieure; qui couvrent aujour-
d'hui les parties les plus riches du Liban, et qui, mls aux vigneset aux figuiers, ne laissent pas d'tre fort agrables. Les environs.
d'ailleurs, sont charmants , et nul endroit du monde ne fut si bien
fait pour les rves de l'absolu bonheur. Mme aujourd'hui, Naza-
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12
VIE DE JSUS
reth est un dlicieux sjour, le seul endroit peut-tre de la Pales-
fine o l'me se sente um peu soulage du fardeau qui l'oppresse au
milieu de cette dsolation sans gale. La population est aimable et
souriante; les jardins sont frais et verts. Antonin Martyr, la fin du
vie sicle, fait un tableau enchanteur de la fertilit des environs,qu'il compare au paradis. Quelques valles du ct de l'ouest justi-
fient pleinement sa description. La fontaine, autour de laquelle se con-centraient autrefois la vie et la gaiet de ta petite ville, est dtruite;
ses canaux crevasss ne donnent plus qu'une eau trouble. Mais la
beaut ds femmes qui s'y rassemblent te soir, cette beaut qui tait
dj remarque au vie sicle et o l'on voyait un don de la Vierge
Marie, s'est conserve d'une manire frappante. C'est le type syrien
dans toute sa grce pleine de langueur. Nul doute que Marie n'aitt l presque tous les jours, et n'ait pris rang, l'urne sur l'paule,
dans la file de ses compatriotes restes obscures. Antonin Martyr
remarque - que les femmes juives , ailleurs ddaigneuses pour leschrtiens, sont ici - pleines d'affabilit. De nos jours encore, les haines
religieuses sont Nazareth moins vives qu'ailteurs.
l'horizon de la ville est troit ; mais, si l'on monte quelque peu
et que i'on atteigne le plateau fouett d'une brise perptuelle qui_
domine les plus hautes maisons, ta perspective est sptendide. Al'ouest, se dploient les belles tignes du Carmel , termines par une
pointe abrupte qui semble se plonger dans la mer. Puis se droulent
le double sommet qui est au-dessus de Mageddo, les montagnes dupays de Sichem avec leurs lieux saints de l'ge patriarcal, les montsGetbo, -le petit groupe pittoresque auquel se rattachent tes souve-nirs gracieux ou terribles de Sulem et d'Endor, , le Thabor avec saforme arrondie, que l'antiquit comparait un sein. Par une dpres-sion entre la montagne de Sulem et le Thabor, s'entrevoient la
vatle du Jourdain et les hautes plaines de la Pre , qui forment
du ct de l'est une ligne continue. Au nord, les montagnes de
Safed , en s'inclinant vers la mer, dissimutent Saint-Jean-d'Acre,
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PAGEBLANCHE
DOS DE GRAVURE
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VIE DE JSUS 15
mais taissent se dessiner aux yeux te golfe de Khafa. Tel fut l'hori-
zon de Jsus. Ce cercle enchant, berceau du royaume de Dieu,
tui reprsenta le monde durant des annes. Sa vie mme sortit peu
des limites familires son enfance. Car, au del, du ct du nord,
on entrevoit presque, sur les flancs de l'Hermon Csare de
Philippe, sa pointe ta plus avance dans le monde des gentils, et,
du ct du sud, on pressent, derrire ces montagnes dj moins
riantes de la Samarie, la triste Jude, dessche comme par un vent
brlant d'abstraction et de mort.
Si jamais le monde rest chrtien , mais arriv une notion
meilleure de ce qui cotistitue te respect des origines, veut remptacer
par d'authentiques lieux saints les sanctuaires apocryphes et mes-
quins o s'attachait la pit des ges grosiers , c'est sr cette hau-
teur de Nazareth qu'il btira son temple. L, au point d'apparition
du christianisme et au centre d'o rayonna l'activit de son fonda-
teur , devrait s'lever la grande glise o tous les chrtiens pour-
raient prier. Lit aussi, sur cette terre o donnent le charpentier
Joseph et des milliers de Nazarens oublis , qui n'ont pas franchi
l'horizon de leur valle, te philosophe serait mieux plac qu'en aucun
tieu du monde pour contempler te cours des choses humaines , se
consoter des dmentis qu'elles infligent nos instincts tes ptus chers,
se raffermir dans ta foi au but divin que le monde poursuit travers
d'innombrables dfaillances et nonobstant t'universelle vanit.
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CHAPITRE II
DUCA.TION DE JSUS
Cette nature la fois riante et grandiose fut toute l'dikation
de Jsus. Il apprit lire et l crire, sans doute selon ta mthode de
t'Orient, consistant mettre entre les mains de l'enfant un livre qu'itrpte en cadence avec ses petits camarades, jusqu' ce qu'il le
sache par coeur. Le matre d'cole , dans les petites villes juives,
tait le haz:ran, ou lecteur des synagogues. Jsus frquenta peu - lescoles plus releveS des scribes (Nazareth n'en avait peut-tre pas),
et il n'eut aucun de ces titres qui donnent aux yeux du vutgaire les
droits du savoir. Ce serait une grande erreur cependant de s'ima-
giner (lite Jsus fut ce que nous appelons un ignorant. L'ducation
scolaire trace chez nous une distinction profonde, sous te rapport dela valeur personnelte, entre ceux qui l'ont reue et ceux qui en sont
dpourviis. Il n'en tait pas de mme en Orient, ni en gnral dans
la bonne antiquit. L'tat de grossiret o reste, chez nous, par
suite de notre vie isole et tout. industrietle, elui qui n'a pas taux coles est inconnu dans ces socits ; la culture morale et sur-tout l'esprit gnral du temps s'y transmettent par le contact per-
ptuel des hommes. 'L'Arabe, qui n'a aucun matre, est souvent
nanmoins trs-distingu; car la tente est une sorte d'acadmie tou rjours ouverte, o , de la rencontre des gens bien tevs, nat ungrand mouvement intellectuel et mme littraire. La dlicatesse desmanires et ta finesse de t'esprit n'ont rien de commun en Orient avec
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DOS DE GRAVURE
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VIE DE JSUS 19
ce que nous appelons ducation. Ce sont tes hommes d'cote, au con-
traire, qui passent pour pdants et mal levs. Dans cet tat sociat,
l'ignorance, qui chez nous condamne l'homme un rang infrieur,
est ta condition des grandes choses et de la grande originatit.
Il n'est pas probable que Jsus ait su te grec. Cette langue tait
peu rpandue en Jude hors des classes qui participaient au gouver-nement et des vitles habites par tes paens, comme Csare. L'idiome
propre de Jsus tait le dialecte syriaque ml d'hbreu qu'on par-
lait alors en Palestine. A ptus forte raison , n'eut-il aucune connais-
sance de la culture grecque. Cette culture tait proscrite par les
docteurs palestiniens, qui enveloppaient dans une mme maldiction
celui qui tve des porcs et cetui qui apprend son fits ta science
grecque . En tout cas, elte n'avait pas pntr dans les petites
vitles comme Nazareth. Mme Jrusatem, te grec tait trs-peu
tudi; les tudes grecques taient considres comme dangereuses
et mme serviles; on les dctarait bonnes tout au plus pour les
femmes, en guise de parure. L'tude seule de ta Loi passait pour
tibrate et digue d'un homme srieux. Interrog sur le moment oit
it' convenait d'enseigner aux enfants la sagesse grecque , un
savant rabbin avait rpondu : A l'heure qui n'est ni le jour ni ta
nuit, puisqu'it est crit de ta Loi : Tu l'tudieras jour et nuit.
Ni directement ni indirectement , aucun lment de doctrine
profane ne parvint clone jusqu' Jsus. Il ne connut rien hors dujudasme; son esprit conserva cette franche navet qu'affaibtit tou-
jours une cutture tendue et varie. Dans le sein mme du judasme.
il resta tranger beaucoup d'efforts souvent parallles aux siens.
D'une part, la vie dvote des essniens ou thrapeutes ne parait pas
avoir eu sur lui d'influence directe; de l'autre , tes beaux essais de
philosophie religieuse tents par l'cote juive d'Alexandrie, et dont
Philon, son contemporain , tait l'ingnieux interprte, lui furent
inconnus. Les frquentes ressemblances qu'on trouve entre lui et
Philon, ces excellentes - maximes d'amour de Dieu , de charit, de
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20
VIE DE JESUS
repos en Dieu, qui font comme un cho entre l'vangile et les crits
de l'illustre penseur atexandrin, viennent des communes tendanes
que les besoins du sicte inspiraient tous les esprits tevs.Heureusement pour lui, il ne connut pas davantage la scolas-
tique bizarre qui s'enseignait Jrusalem et qui devait bientt con-
stituer le Talmud. Si quelques pharisiens l'avaient dj apporte en
Galile, il ne les frquenta pas, et, quand il toucha plus tard cette
casuistique niaise, elte ne lui inspira que du dgot. On peut suppo-
ser cependant que les principes de Hillel ne lui furent pas inconnus.
Hitlel, cinquante ans avant lui, avait prononc des aphorismes qui
ont avec les siens beaucoup d'analogie. Par sa pauvret humblemeUt
supporte, par la douceur de son caractre, par l'opposition qu'il
faisait aux hypocrites et aux prtres, Hillel fut le matre de Jsus,
s'il est permis de parler de maitre quand il s'agit d'une si haute
- personnalit.
La lecture des livres de l'Ancien Testament fit - sur lui beaucoupplus d'impression. Le canon des livres saints se composait de deux
parties principales, la Loi, c'est--dire le Pentateuque, et les Pro-
phtes tels que nous les possdons aujourd'hui. Une vaste mthode
d'interprtation allgorique s'apptiquait tous ces livres et cherchait
en tirer ce qui rpondait aux aspirations dit temps. Mais la vraie
posie de la Bible, qui chappait aux docteurs de Jrusatem, servlait pleinement au beau gnie de Jsus. La Loi ne parat pas
avoir eu pour lui beaucoup de charme ; il crut pouvoir mieux faire.
Mais la posie religieuse des psaumes se troua dans un merveilleux
accord avec son me lyrique; ces hymnes augustes restrent toute sa
Nie son aliment et son soutien. Les prophtes, Isae, en particulier,
et soi) continuateur du temps de la captivit, avec leurs brittants rves
d'avenir, leur imptueuse loquence, leurs invectives entremtes de
tableauk enchanteurs, furent ses vritables matres. Il tut aussi sans
dmit plusieurs des ouvrages apocryphes, c'est--dire de ces critsassez modernes, dont les auteurs, pour se donner une autorit qu'on
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VIE DE JSUS 21
n'accordait plus qu'aux crits trs-anciens, se couvraient du nom de
prophtes et de patriarches. Le livre de Daniel surtout le frappa. Ce
tivre, compos par un Juif exalt du temps d'Antiochus piphane,
et mis par lui sous le couvert d'un ancien sage, tait le rsum del'esprit des derniers temps. Son auteur, vrai crateur de ta phito-
sophie (le l'histoire, avait pour la premire fois os ne voir dans le
mouvement du monde et ta succession des empires qu'une srie de
faits subordonne aux destines du peuple juif. Jsus, ds sa jeu- .
nesse, fut pntr de ces hautes esprances. Peut-tre lut-il aussi les
livres d'Hnoch , alors rvrs l'gal des livres saints, et les autres
crits du mme genre, qui entretenaient un si grand mouvement dans
t'imagination populaire. L'avnement du Messie avec ses gloires et
ses terreurs, les nations s'croulant les unes sur les autres, le cata-
ctysme du ciel et de la terre furent l'aliment famitier de son imagi-
nation, et, comme ces rvotutions taient censes prochaines, qu'une
foule de personnes cherchaient en supputer tes dates, l'ordre sur-
naturel o nous transportent de telles visions lui parut tout d'abord
parfaitement naturel et simpte.
Qu'il n'et aucune connaissance de l'tat gnral du monde,
c'est ce qui rsutte de chaque trait de ses discours les plus authen-
tiques. La terre tui parat encore divise en royaumes qui se font la
guerre ; il semble ignorer ta ( ptflx romaine , et l'tat nouveau de.
socit qu'inaugurait son sicle. Il n'eut aucune ide prcise de la
puissance de l'empire; le nom de a Csar seul parvint jusqu' lui.
Il vit btir, en Galile ou aux environs, Tibriade, Juliade, Dioc-
sare, Csare, ouvrages pompeux des Hrodes, qui cherchaient, par
ces constructions magnifiques, prouver leur admiration pour la civili-
sation romaine et leur dvouement envers les membres de la famille
d'Auguste, dont les noms, par un caprice du sort, servent aujour-
d'hui, bizarrement altrs, dsigner de misrables hameaux de
Bdouins. Il vit aussi probablement Sbaste, oeuvre d'Hrocfe le
Grand, vitle de parade, dont les ruines feraient croire qu'elle a t
-
c)c) VIE DE JSUS
apporte l toute faite, comme une machine qu'it n'y avait plus qu'
monter sur place. Cette architecture d'ostentation , arrive en Jude
par chargements, ces centaines de colonnes, toutes du mme dia-
mtre, ornement de quelque insipide u rue de Rivoli , voil ce qu'it
appelait les royaumes du monde et toute leur gloire . Mais ce luxe
de commande, cet art administratif et officiel lui dplaisaient. Cc qu'it
aimait, c'taient ses villages galilens, mlange confus de cabanes,
d'aires et de pressoirs tailts dans le roc, de puits, de tombeaux, de
figuiers, d'otiviers. Il resta toujours prs de la nature. La cour des
rois lui apparat comme un lieu oit les gens ont de beaux habits. Les
charmantes impossibilits dont fourmillent ses paraboles, quand il
met en scne les rois et les puissants, prouvent qu'il ne conut
jamais la socit aristocratique que 'comme un jeune villageois qui
voit le monde travers le prisme de sa navet.
Encore moins connut-il l'ide nouvelte, cre par la science
grecque, base de toute philosophie et que la science moderne a hau-
tement confirme; l'exclusion des forces surnatureltes auxqueltes la
croyance des vieux ges attribuait le gouvernement de l'univers.
Sur ce point, Jsus ne diffrait nullement de ses compatriotes. Le
merveilleux n'tait pas pour lui l'exceptionnel : c'tait l'tat normal.
La notion desurnaturel , avec ses impossibilits, ne parat que l jouro nat la science exprimentale de la nature. L'homme tranger -
toute ide de physique, qui croit qu'en priant il change la marche
des nuages, arrte la maladie et la mort mme , ne trouve dans le
miracle rien d'extraordinaire, puisque le cours entier des choses est
pour lui le rsultat de votonts libres de la Divinit. Cet tat intetlec-
tuel fut toujours celui de Jsus. Mais, dans sa grande me, une
telte croyance produisait des effets tout opposs ceux o arrivait le
vulgaire. Chez le vulgaire, la foi l'action particulire de Dieu ame-
nait une crdulit niaise et des duperies de charlatans. Chez lui, cette
foi tenait une notion profonde des rapports familiers de l'homme
avec Dieu et une croyance exagre dans le pouvoir de l'homme ;
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VIE DE JSUS 23
belles erreurs qui furent le principe de sa force; car, si elles devaient
un jour le mettre en dfaut aux yeux du physicien et du chimiste,
elles lui donnaient sur son temps une autorit dont personne n'a dis-
pos avant tui ni depuis.
De bonne heure, son caractre part se rvla. La lgende se
ptat le montrer ds son enfance en rvolte contre l'autorit pater-
nelte et sortant des voies communes pour suivre sa vocation. Il est
sin., au moins, que les relations de parent furent peu de chose pour
lui. Sa famille ne parat pas l'avoir aim , et, par moments , on le
trouve dur pour elle. Jsus , comme tous les hommes uniquement
proccups d'une ide, arrivait tenir peu de compte des liens du
sang. Le lien de l'ide est le seul que ces sortes de natures recon-
naissent. Voil ma mre et mes frres, disait-il en tendant ta main
vers ses disciples ; celui qui fait la votont de mon Pre, voil mon
frre et ma sur. Les simples gens ne l'entendaient pas ainsi, et,
un jour, une femme, passant prs de lui, s'cria, dit-on : a Heureux
le ventre qui t'a port et les seins que tu as sucs! Heureux
plutt, rpondit-il, celui qui coute la parole de Dieu et qui la suit !
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CHAPITRE III
.ORDRE D'IDES AU SEIN DUQUEL SE DVELOPPA JSUS
Comme la terre refroidie ne permet plus de comprendre les
phnomnes de la cration primitive, parce que le feu qui la pn-
trait s'est teint, ainsi les explications historiques ont toujours quel-
que chose d'insuffisant quand il s'agit d'appliquer nos timides pro-
cds aux rvolutions des poques cratrices qui ont dcid du sort
de l'humanit. Le peuple juif a eu l'avantage, depuis la captivit de
Babylone jusqu'au moyen ge, d'tre toujours dans une situationtrs-tendue. Voil pourquoi les dpositaires de l'esprit de la nation,
durant ce long priode, semblent crire sous l'action d'une fivre
intense, qui les met tantt au-dessus, tantt au-dessous de la raison,
rarement dans sa moyenne voie. Jamais l'homme n'avait saisi le pro-
blme de l'avenir et de sa destine avec un courage plus dsespr,
plus dcid se porter aux extrmes. Ne sparant pas le sort de
l'humanit de celui de leur petite race, les penseurs juifs sont les
premiers qui aient eu souci d'une thorie gnrale de la marche de
notre espce. La Grce, toujours renferme en elle-mme , et uni-
quement attentive ses querelles de petites villes, a eu des historiens
excellents; le stoicisme a nonc les plus hautes maximes sur les
devoirs de l'homme considr comme citoyen du monde et comme
membre d'une grande fraternit ; niais, avant l'poque romaine, on
chercherait vainement dans les littratures classiques un systme
gnral de philosophie de l'histoire, embrassant toute l'humanit.
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VIE DE JSUS 25
Le Juif, au contraire, grce une espce de sens prophtique, a faitentrer l'histoire dans la religion. Peut-tre doit-il un peu de cet
esprit la Perse. La Perse, depuis une poque ancienne, conut
t'histoire du monde comme une srie d'volutions, chacune des-
quelles prside im prophte. Chaque prophte a son rgne de mitte
ans, et de ces ges successifs se compose ta trame des vnements
qui prparent le rgne d'Ormuzd. A la fin des temps, quand le cercte
des rvolutions sera . puis, viendra le paradis dfinitif. Les hommes
alors vivront heureux ; ta terre sera comme une plaine ; il n'y aura
qu'une langue, une loi et un gouvernement pour tous les hommes. Mais
cet avnement sera prcd de terribles catamits. Dahak (le Satan
de ta Perse) rompra tes fers qui t'enchanent et s'abattra sur le monde.
Deux prophtes viendront consoler les hommes et prparer te grand
avnement. Ces ides couraient de peupte en peuple et pntraient jus-
qu' Rome, o elles inspiraient un cycte de pomes prophtiques.
dont les ides fondamentales taient la division de l'histoire de l'hu-
manit en priodes, la succession des dieux rpondant ces priodes,
un complet renouvellement du monde, et l'avnement final d'un ge
d'or. Le livre de Daniel, certaines parties du livre d'Hnoch et deslivres sibyllins, sont l'expression juive de la mme thorie. Certes it
s'en faut que ces penses fussent celles de tous. Elles ne furent
d'abord embrasses que par quetques personnes l'imagination vive
et portes vers les doctrines trangres. L'auteur troit et sec du livre
d'Esther n'a jamais pens au reste du monde que pour le ddaigner
et lui vouloir du mal. L'picurien dsabus qui a crit l'Ecclsiaste
pense si peu l'avenir, qui it trouve mme qu'un pre est dupe en
travaillant pour ses enfants; aux yeux de ce clibatair goste, le
dernier mot de La sagesse est de placer son bien fonds perdu.Mais les grandes choses dans un peuple se font d'ordinaire par la
minorit. Avec ses normes dfauts, dur, goste, cruel. troit, subtit.
sophiste, le peuple juif est cependant l'auteur du plus beau Mouve-
ment d'enthousiasme dsintress dont parte l'histoire. L'opposition 4
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96 VIE DE JSUS
fait toujours la gtoire d'un pays. Les ptus grands hommes d'une
nation sont souvent ceux qu'elle met mort. Socrate a fait la gtoire
d'Athnes, qui n'a pas jug pouvoir vivre avec lui. Spinoza est te
plus grand des juifs modernes, et la synagogue l'a exclu avec igno-
minie. Jsus a t l'honneur du peuple d'Isral, qui l'a crucifi.
Un gigantesque rve poursuivait depuis des sicles le peuple
juif, et le rajeunissait sans cesse clans sa dcrpitude. trangre la
civilisation profane, la Jude avait concentr sur son avenir nationat
toute sa puissance d'amour et de dsir. Elte crut avoir les promesses
divines d'une destine sans bornes, et, comme l'amre ralit qui, partir du ix' sicle avant notre re, donnait de plus en plus le
royaume du monde la force, refoulait brutalement ces aspirations,
elle se rejeta sur les altiances d'ides les plus impossibles, essaya les
volte-face les plus tranges. Avant la captivit, quand tout l'avenir
terrestre de la nation se fut vanoui par la sparation des tribus du
Nord, on rva la restauration de la maison de David, la rconcilia-
tion des deux fractions du peuple, le triomphe de la thocratie etdu culte de Jhovah sur les cultes idoltres. A l'poque de la capti-vit, un pote plein d'harmonie vit la splendeur d'une Jrusalem
future, dont les peuples et les les lointaines seraient tributaires, sous
des couleurs si douces, qu'on et dit qu'un rayon des regards deJsus l'et pntr une distance de six sicles.
La victoire de Cyrus sembla quelque temps raliser tout ce
qu'on avait espr. Les graves disciples de l'Avesta et les adorateursde Jhovah se crurent frres La Perse tait arrive une sorte de
monothisme. Isral se reposa sous les Achmnides, et, sousXerxs (Assurus), se fit, dit-on, redouter des Iraniens eux-mmes.
Puis l'entre triomphante et souvent brutale de la civilisation grecque
et romaine en Asie te rejeta daris les rves. Phis que jamais,- il
invoqua le Messie comme juge et vengeur des peuples. Il lui fallut
un. renouvellement complet, une rvolution prenant le globe ses
racines et l'brantant de fond en comble, pour satisfaire l'norme
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DOS DE GRAVURE
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VIE DE JSUS 211
besoin de vengeance qu'excitaient chez tui le sentiment de sa sup-riorit et la vue de ses humitiations.
Jsus, ds qu'il eut une pense, entra dans la brlante atmo-
sphre que craient en Palestine les ides que nous venons d'expo-
ser. Ces ides ne s'enseignaient aucune cole; mais elles taient
dans l'air, et l'me du jeune rformateur en fut de bonne heure
pntre. Nos hsitations, nos doutes ne l'atteignirent jamais. Ce
sommet de la montagne de Nazareth, o nul homme moderne ne
peut s'asseoir sans un sentiment inquiet sur sa destine peut-tre
frivole, Jsus s'y est assis vingt fois sans un doute. Dlivr de
l'gosme, source de nos tristesses , it ne pensa qu' son oeuvre,
sa race, l'humanit. Ces montagnes, cette mer, ce ciel d'azur, ces
hautes plaines l'horizon, furent pour lui, non ta vision mlanco-
lique d'une me qui interroge la nature sur son sort, mais le sym-
bole certain, l'ombre transparente d'un monde invisibte et d'un ciel*
nouveau.Il n'attacha jamais beaucoup d'importance aux vnements poli-
tiqus de son temps, et il en tait probablement mal inform. La
dynastie des Hrodes vivait dans un monde si diffrent du sien,
qu'il ne la connut sans doute que de nom. Le grand Hrode mourut
vers l'anne mme oh it naquit, taissant des souvenirs imprissables.
des monuments qui devaient forcer la postrit la plus malveillante
d'associer son nom celui de Salomon, et nanmoins une oeuvre
inacheve, impossible continuer. Ambitieux profane , gar. dans
un ddale de tuttes retigieuses , cet astucieux Idumen eut l'vantage
que donnent le sang-froid et la raison, dnus de moralit, au milieu
de fanatiques passionns. Mais son ide d'un royaume profane d'Is-
rat, lors mme qu'elle n'et pas t un anachronisme dans l'tat
du monde o il la conut, aurait chou, comme le projet semblable
que forma Salomon, contre les difficults venant du caractre mme
de la nation. Ses trois fits ne furent que des lieutenants des Romains,
analogues aux radjas de l'Inde sous la domination anglaise. Anti-
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30 VIE DE JSUS
pater ou Antipas , ttrarque de la Galite et de la Pre, dont Jsus
fut le sujet durant toute sa vie , tait un prince paresseux et nul,
favori et adulateur de Tibre, trop .souvent gar par l'influence
mauvaise de sa seconde femme Hrodiade. Philippe , ttrarque de la
Gaulonitide et de la Batane, sur les terres duquel Jsus fit de fr-
quents voyages,. tait un beaucoup meilleur souverain. Quant k
Archlatis , ethnarque de . Jrusalem , Jsus ne put le connatre. It
avait environ dix ans quand cet homme faible et sans caractre, par-
fois violent, fut dpos par Auguste. La dernire trace d'un gouver-
nement indpendant fut de la sorte perdue pour Jrusalem. Runie it
la Samarie et ii l'Idume, la Jude forma une sorte d'annexe de la
province de Syrie, o le snateur Publius Sulpicius Quirinus, per-
sonnage consulaire fort connu , tait lgat imprial. Une srie de
procurateurs romains , subordonns pour les grandes questions au
lgat imprial de Syrie, Coponius,. Marcus Ambivius, Annius Rufus,
Valrius Gratus , et enfin (l'an 2G de notre re) Pondus Pilatus,
s'y succdrent, occups sans relche k teindre le volcan qui faisait
ruption sous leurs pieds.
De continuelles sditions excites par les ztateurs du mosasme
ne cessrent en effet, durant tout ce temps, d'agiter Jrusatem. La
mort des sditieux tait assure; mais la mort, quand il s'agissait
de l'intgrit de la Loi , tait recherche avec avidit. Renverser les
aigles, dtruire les ouvrages d'art levs par les Hrodes et o les
rglements mosaques n'taient pas toujours respects , s'insurgercontre les cussons votifs dresss par les procuratenrs et dont les
inscriptions paraissaient entaches d'idoltrie, taient de perptuelles
tentations pour des fanatiques parvenus . ce degr d'exaltation qui
te tout soin de la vie. Juda , fils de Sariphe , Matthias, fils de
Margaloth, deux docteurs de la Loi fort clbres, formrent ainsi
un parti d'agression hardie contre l'ordre tabli , qui se continua
aprs leur supplice; Les Samaritains taient agits de fiVres dumme genre. It semble que la Loi n'et jamais compt plus de sec-
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VIE DE JESUS
31
tateurs passionns qu'au moment o vivait dj celui qui, de la pteineautorit de son gnie et de sa grande me, attait l'abroger. Les
'zlotes ou sicaires , assassins pieux, qui s'imposaient pour
tche de tuer quiconque manquait devant eux la Loi, commenaient
paratre. Des reprsentants d'un tout autre esprit, des thauma-
turges, considrs comme des espces de personnes divines, trou-
vaient crance , par suite du besoin imprieux que le sicle prouvait
de surnaturel et de divin.
Un mouvement qui eut beaucoup plus d'influence sur Jsus fut
celui de Juda le Gaulonite ou te Galilen. De toutes les sujtions
auxquelles taient exposs les pays nouveltement conquis par Rome,
le cens tait la plus impoputaire. Cette mesure, qui tonne toujours
les peuples peu habitus aux charges des grandes administrations
centrales, tait particulirement odieuse aux Juifs. Dj, sous David,
nous voyons un recensement provoquer de viotentes rcriminations,
et les menaces des prophtes. Le cens, en effet, tait la base de
l'impt; or, l'impt, dans les ides de la pure thocratie, tait
presque une impit. L'argent des caisses publiques passait pour de
l'argent vol. Le recensement ordonn par Quirinus ( an G de t're
chrtienne) rveitla puissamment ces ides et causa une grande fer-
mentation. Un soulvement clata dans les provinces du Nord. Uncertain Juda, de la vitle de Gamala , sur la rive orientale du lac de
Tibriade, et un pharisien nomm Sadok se firent, en niant la lgi-
timit de l'impt ; une cole nombreuse, qui aboutit bientt la
rvolte ouverte. Les maximes fondamentales de l'cole taient que la
tibert vaut mieux que la vie et qu'on ne doit appeler personne
maitre , ce titre appartient Dieu .seul. Juda fut videmment lechef d'une secte galilenne proccupe des ides du Messie, et quiaboutit un complot politique. Le procurateur CopOnius crasa lasdition du Gaulonite; mais l'cole subsista et conserva ses chefs.Sous la conduite de Menahem, fils du fondateur, et d'un certainlazar, son parent, on la retrouve fort active dans les dernires
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32 VIE DE JSUS
luttes des Juifs contre tes Romains. Jsus vit peut-tre ce Juda, qui
eut une manire de concevoir la rvolution juive si diffrente de la
sienne; il connut en tout cas son cole, et ce fut probablement par.
raction contre' son erreur qu'il pronona l'axiome sur le denier de
Csar. Le sage Jsus, loign de toute sdition, profita de la faute
de son devancier, et rva un autre royaume et une autre dli-
vrance.
La Galile tait de ta sorte une vaste fournaise , s'agitaient
en bullition les lments les plus divers. Un Mpris extraordinaire
de la vie , ou, pour mieux dire, une sorte d'apptit de la mort, fut ta
consquence de ces agitations. L'expriene ne compte pour rien
dans les grandS mouvements fanatiques. aux premiers
temps d l'occupation franaise, voyait se lever chaque printemps.
des inspirs qui se dclaraient invutnrables et envoys de Dieupour chasser les infidles; l'anne suivante , leur mort tait oublie,
et leur successeur ne trouvait pas une moindre foi: Trs-dure par un
ct. la domination romaine,. 'peu tracassire encore, perMettait
beaucoup de libert. Ces grandes dominations brutates, terribles
daris la rpression , n'taient pas souponneuses comme le sont les
puissances qui ont un dogme h garder: Elles' laissaient tout faire jus-
qu'au jour o elles croyaient devoir svir. Dans sa carrire vaga-
bonde , on ne voit pas que Jsus ait t une seule fois gn par la
police. Une telle libert, et pa-dessus tout le bonher qu'avait la
Galile d'tre beaucoup moins resserre dans les lienedti pdantisme
pharisaque , donnaient it, cette contre nue vraie . supriorit. sin'
Jrusalem. La rvolution, ou, en d'autres termes, l'attente du Messie,
y faisait travailler toutes les ttes. On se croyait h la veilte de la
grande rnovation ; l'criture, torture en des sens divers, servait
d'aliment aux ptus cotossales esprances. A chaque ligne des simples
crits de l'Ancien Testament , on voyait l'assurance et en' quelque
sorte le programme du rgne futur qui devait apporter la paix aux
justes et sceller it jamais l'oeuvre de Dieu.
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DOS DE GRAVURE
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VIE DE JSUS :35
De tout temps , celte division en deux parties opposes d'intrt
et d'esprit avait t pour la nation hbraque un principe de vigueui.
dans l'ordre moral. Tout peuple appel de hautes destines doit
tre un petit monde complet, renfermant dans son sein tes ptes con-
traires. La Grce offrait, quetques tieues de distance, Sparte et
Athnes, les deux antipodes pour un' observateur superficiel , enralit soeurs rivales, ncessaires t'une l'autre. en fut de mmede la Jude. Moins briltant en un sens que te dvetoppement de Jru-
salem, celui du Nord fut en somme aussi fcond ; les oeuvres les
plus vivantes du peuple juif taient toujours venues de t. Une
absence totate du sentiment de la nature , aboutissant quetque
chose de sec, d'troit, de farouche , a frapp toutes tes oeuvres
purement hirosolymitaines d'un caractre grandiose, mais triste,
aride et repoussant. Avec ses docteurs solennels, ses insipides cano-
nistes , ses dvots hypocrites et atrabilaires, Jrusalem n'et pas
conquis l'humanit. Le Nord a donn au monde ta nave Sulamite.
l'humble Chananenne, la passionne Madeleine, le bon nourricierJoseph, la Vierge Marie: Le Nord seul a fait le christianisme; Jru-
salem, au contraire, est la vraie patrie du judasme obstin qui
fond par les pharisiens, fix par te Tatmud, a travers te moyen
ge et est venu jusqu' nous:Une nature ravissante contribuait former cet esprit beaucoup
moins austre, moins prement monothiste , si j'ose le dire , qui
imprimait tous les rves de la Gatile un tour idyllique et char-
mant. Le plus triste pays du monde est peut-tre la rgion voisinede Jrusalem. La Galile, au contraire, tait un pays trs-vert,
trs-ombrag, trs-souriant, le vrai pays du Cantique des cantiques
et des chansons du bien-aim. Pendant les deux mois de mars et
d'avril, la campagne est un tapis de fleurs, d'une franchise de cou-
leurs incomparable. Ls animaux y sont petits, mais d'une douceur
extrme. Des tourterelles sveltes et vives, des merles bleus si lgers
qu'ils posent sur une herbe sans la faire plier, des alouettes hup-
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36 VIE DE JSUS
pes, qui viennent presque se mettre sous les pieds du voyageur;
de petites tortues de ruisseau, dont l'oeil est vif et doux, des cigognes
l'air pudique et grave, dpouillant toute timidit, se laissent appro-
cher de trs-prs par l'homme et semblent l'appeler. En aucun pays
du monde les montagnes ne se dploient avec plus d'harmonie et
n'inspirent de plus hautes penses. Jsus semble les avoir particuli-
rement aimes. Les actes les plus importants de sa carrire divine
se passent sur les montagnes: c'est l qu'it tait le mieux inspir;
c'est l qu'il avait avec les anciens prophtes de secrets entretiens,
et qu'il se montrait aux yeux de ses disciples dj transfigur.
Ce joli pays, devenu aujourd'hui, par suite de l'norme appau-
vrissement que L'islamisme turc a opr dans la vie humaine, si
morne, si navrant, mais o tout ce que l'homme n'a pu dtruire
respire encore l'abandon, la douceur, ta tendresse, surabondait,
l'poque de Jsus, de bien-tre et de gaiet. Les Galilens passaient
pour nergiques, braves et laborieux. Si l'on excepte Tibriade,btie par Antipas en l'honneur de Tibre (vers l'an 15) dans le style
romain, la Galile n'avait pas- de grandes villes. Le pays tait nan-
moins fort peupl, couvert de petites villes et de gros villages, cul-tiv avec art dans toutes ses parties. Aux ruines qui restent de son
ancienne splendeur, onsent un peuple agricole, nullement dou pourl'art, peu soucieux de luxe, indiffrent aux beauts de la forme,
uniquement idaliste. La campagne abondait en eaux fraches et en
fruits; les grosses fermes taient ombrages de vignes et de figuiers;
les jardins semblaient des massifs de pommiers, de noyers, de gre-
nadiers. Le vin tait excellent, s'il faut en juger par celui qtie les
Juifs recueillent encore . Safed , et on en buvait beaucoup. Cette vie
contente et facilement satisfaite n'aboutissait pas l'pais matria-
lisme de notre paysan , la grosse joie d'une Normandie plantu-
reuse, la pesante gaiet des Flamands. Elle se spiritualisait en
rves thrs, en une sorte de mysticisme potique confondant le
ciel et la terre. Laissez l'austre Jean-Baptiste dans son dsert de
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VIE DE JSUS 37
Jude, prcher ta pnitence, tonner sans cesse, vivre de sautereltes
en compagnie des chacats. Pourquoi les compagnons de l'poux je-
neraient-ils pendant que l'poux est avec eux? La joie fera partie du
royaume de Dieu. N'est-elle pas la fille des humbles de coeur, deshommes de bonne volont?
Toute l'histoire du christianisme naissant est devenue de ta sorte
une dlicieuse pastorale. Un Messie aux repas de noces, la courti-
sane et le bon Zache appels ses festins, les fondateurs du royaume
du ciel comme un cortge de paranymphes voil ce que la Galile a
os, ce qu'elle a fait accepter. La Grce a trac de la vie humaine
par la sculpture et la posie des tableaux admirables, mais toujours
sans fonds fuyants ni horizons lointains. Ici manquent te marbre, les
ouvriers excellents, la langue exquise et raffine. Mais la Galile a
cr l'tat d'imagination populaire le plus sublime idal; car der-
rire son idylle s'agite le sort de l'humanit, et la lumire qui claire
son tableau est le soleit du royaume de Dieu.
Jsus vivait et grandissait clans ce milieu enivrant. Ds son
enfance, il lit presque annuellement le voyage de Jrusalem
l'poque des Ptes. Le plerinage tait pour les Juifs provinciaux une
solennit pleine de douceur. Des sries entires de psaumes taientconsacres chanter le bonheur de cheminer ainsi en famille, durant
plusieurs jours, au printemps, it travers les collines et les valles,tous ayant en perspective les splendeurs de Jrusalem, les terreurs
des parvis sacrs, la joie pour des frres de demeurer ensemble. Laroute que Jsus suivait d'ordinaire dans ces voyages tait celle que
l'on suit aujourd'hui, par Giuma et Sichem. De SicheM Jrusalem,
elle est fort svre. Mais le voisinage des vieux sanctuaires de Silo ,
de Bthel , prs desquels on passe , tient l'me en veil; 'en-el-Mua-
nbi, la dernire tape , est un lieu mlLcolique et charmant , et
peu d'impressions galent celle qu'on prouve en s'y tablissantpour le campement du soir. La valle est troite et sombre; une eau
noire sort des rochers percs de tombeaux, qui en forment les parois.
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38 VIE DE JSUS
C'est, je crois, la valle des Pleurs , ou des eaux suintantes,
chante comme une des stations du chemin dans le dlicieux
psaume Lxxxiv, et devenue, pour le mysticisme doux et triste du
moyen ge, l'emblme de la vie. Le lendemain, de bonne heure, on
sera Jrusalem; une telle attente , aujourd'hui encore, soutient ta
caravane, rend ta soire courte et le sommeil lger.
Ces voyages, o la nation runie se communiquait ses ides,
et qui craient annuellement dans la capitale des foyers de grande
agitation, mettaient Jsus en contact avec l'me de son peuple, et
sans .doute lui inspiraient dj, une vive antipathie pour les dfauts
des reprsentants officiels du judasme. On veut que de bonne heure
le dsert ait t pour lui une autre cole et qu'il y ait fait de longs
sjours. ais le Dieu qu'il trouvait l n'tait pas le sien. C'tait tout
au ptus le Dieu de Job, svre et terrible, qui ne rend raison it per-
sonne. Parfois, c'tait Satan qui venait le tenter. Il retournait alors
dans sa chre Galite, et retrouvait son Pre cleste, au milieu des
vertes coltines et des claires fontaines, parmi les troupes d'enfants
et de femmes qui, l'me joyeuse et le cantique des anges dans lecoeur, attendaient le salut d'Israt.
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CHAPITRE IV
PREMIERS APHORISMES DE JSUS
SES IDES D ' UN DIEU PRE ET D'UNE RELIGION PURE
PREMIERS DISCIPLES
Joseph mourut avant que son fils ft arriv aucun rte
public. Marie resta de la sorte le chef de la famitle , et c'est ce qui
explique pourquoi Jsus, quand on voutait le distinguer de ses nom-
breux homonymes, tait le plus souvent appel a fils de Marie . Itsemble que, devenue par la mort de son mari trangre Nazareth ,
elle se retira Cana, dont elle pouvait tre originaire. Cana tait une
petite vilte deux heures ou deux heures et demie de Nazareth , au.
pied des montagnes qui bornent au nord ta plaine d'Asochis. La vue,
moins grandiose qu' Nazareth, s'tend sur toute la plaine et est
borne de la manire la plus pittoresque par les montagnes de Naza-
reth et les collines de Sphoris. Jsus parait avoir fait quelque temps
sa rsidence .en ce lieu. L se passa probablement une partie de sa
jeunesse et eurent lieu ses premiers clats.
Il exerait le mtier de son pre, qui tait celui de charpen-
tier. Ce n'tait pas l une circonstance humitiante ou fcheuse. La
coutume juive exigeait que l'homme vou aux travaux intellectuels
apprit un tat. Les docteurs les plus clbres avaient des mtiers;
c'est ainsi que saint Paul, dont l'ducation avait t si soigne, tait
fabricant de tentes ou tapissier. Jsus ne se maria point. Tolite sa
-
- fa) VIE DE JSUS
puissance d'aimer se porta sur ce qu'il considrait coMme.sa vocation
cleste. Le sentiment extrmement dlicat qu'on remarque en tui pour
les femmes ne se spara point du dvouement sans bornes qu'il avait
pour son ide. Il traita en soeurs, comme Franois d'Assise et Fran-
ois de Sates, les femmes qui s'prenaient de la mme oeuvre que
lui; il eut ;es sainte Ctaire, ses Franoise de Chantal. Seulement, il
est probable que celles-ci aimaient plus lui que l'oeuvre; il fut sans
doute plus aim qu'il n'aima. Ainsi qu'il arrive souvent dans les
natures trs-leves, la tendresse du coeur se transforma chez lui en
douceur infinie , en vague posie, en charme universet.
Quelle fut la marche de ta pense de Jsus durant cette priode
obscure de sa vie? Par quetles mditations dbMa-t-il dans la car-
rire prophtique ? On l'ignore, son histoire nous tant parvenue h
l'tat de rcits pars et sans chronologie exacte. Mais le dveloppe-
ment des produits vivants est partout le mme , et il n'est pas dou-
teux que la croissance d'une personnalit aussi puissante que cette de -
Jsus n'ait obi h des lois trs-rigoureuses. Une haute notion de la
Divinit; qu'il ne dut pas au judasme, et qui semble avoir t la
cration de sa grande me, fut. en quelque sorte le germe de son tre.tout entier. C'est l'ide d'un Dieu pre, dont on entend la voix dans
le calme de la conscience et te silence du coeur. Jsus n'a pas de
visions; Dieu ne lui parle pas comme h quelqu'un hors de lui; Dieu est
en lui; il se sent avec Dieu, et il tire de son cur ce qu'il dit de son
Pre. Il vit au sein de Dieu par une communication de tous lesinstants ; il ne le voit pas, mais it l'entend , sans qu'il ait besoin de
tonnerre et de buisson ardent comme Mose, de tempte rvlatrice
comme Job, d'oracle comme les vieux sages grecs, de gnie familier
comme Socrate, d'ange Gabriel comme Mahomet. L'imagination et
l'hallucination d'une sainte Thrse, par exemple, ne sont ici Our
rien. L'ivresse du soufi se proclamant identique h Dieu est aussi
tout autre chose. Jsus n'nonce pas un moment l'ide sacrilge
qu'il soit Dieu. Il se croit en rapport direct avec Dieu, il se croit
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VIE DE J SUS Dt
fils de Dieu. La plus haute conscience de Dieu qui ait exist au sein
'de l'humanit a t celle de Jsus.
On comprend, d'un autre ct, que Jsus, partant d'une telte
disposition d'me , ne fut nullement un phitosophe spculatif. Il ne
faisait ses disciples aucun raisonnement ; it n'exigeait d'eux aucun
effort d'attention. Rien n'est ptus loin de ta thologie scolastique que
l'vangile. Les spculations des docteurs grecs sur l'essence divine
viennent d'un tout autre esprit. Dieu conu immdiatement comme
Pre , voil toute la thologie de Jsus.
Jsus n'arriva pas sans doute du premier coup cette haute
affirmation de lui-mme. Mais il est probable que, ds ses premiers
pas, il s'envisagea avec Dieu dans la relation d'un fils avec son
pre. L est son grand acte d'originalit; en cela, il n'est nullement
de sa race. Ni le juif ni le musulman n'ont compris cette dticieuse
thologie d'amou. Le Dieu de Jsus n'est pas le matre fatal qui
nous tue quand il lui ptat, nous damne quand it lui ptat, nous sauve
quand il lui plat. Le Dieu de Jsus est Notre Pre. On l'entend en
coutant un souille lger qui crie en nous Pre. Le Dieu de
Jsus n'est pas le despote partial qui a choisi Isral pour son peupte
et le protge envers et contre tous. C'est le Dieu de l'humanit.
Jsus ne sera pas un patriote comme tes Macchabes, un tho-crate comme Juda le Gautonite. S'levaut hardiment au-dessus des pr-
jugs de sa nation, il tablira l'universelte paternit de Dieu. Le Gau-
lonite soutenait qu'il faut mourir plutt que de donner un autre que
Dieu le nom de matre ; Jsus laisse ce nom qui veut le prendre,
et rserve pour Dieu un titre plus doux. Accordant aux puissants de
la terre, pour lui reprsentants de la force , un respect plein d'ironie,
il fonde la consolation suprme, le recours au Pre que chacun a
dans le ciel, te vrzii royaume de Dieu que chacun porte en son coeur.
Ce nom de royaume de Dieu o ou de royaume du ciel
fut le terme favori de Jsus pour exprimer la rvolution qu'il inau-gurait dans le monde. Comme presque tous les termes relatifs au
G
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/02 VIE DE JSUS
Messie, le mot en question venait du livre- de Daniel. Selon l'auteur
de ce livre extraordinaire, aux quatre empires profanes, destins
crouler, succdera un cinquime empire, qui sera cetui des saints et qui durera ternelleMent. Ce rgne (le Dieu sur la terre prtait
naturellement aux interprtations les plus diverses. Dans les derniers
temps de sa vie, Jsus crut, ce qu'il semble, que ce rgne allait
se raliser matriellement par un brusque renouvellement du monde.Mais sans doute ce ne fut pas l sa premire pense. La morale
admirable qu'il tire de la notion du Dieu pre n'est pas celle d'en-
thousiastes qui croient le monde prs de finir et qui se prparent par
l'asctisme une catastrophe chimrique ; c'est celte d'un monde qui
veut vivre et qui a vcu. cc Le royaume de Dieu est parmi vous,
disait-il ceux qui cherchaient avec subtilit des signes extrieurs de
sa venue future. La conception raliste de l'avnement divin n'a t
qu'un nuage, une .erreur passagre que la mort a fait oublier. Le
Jsus qui a fond le vrai royaume de Dieu, le royaume des doux et
des humbles, voil le Jsus des premiers jours, jours chastes et sans
mlange oit la voix de son Pre retentissait en son sein avec un
timbre plus pur. Il y eut alors quelques mois, une anne peut-tre, -o Dieu habita vraiment sur la terre. La voix du jeune charpentier
prit tout coup une douceur extraordinaire. Un charme infini s'exha-
lait de sa personne, et ceux qui l'avaient vu jusque-l ne le recon-
naissaient plus. Il n'avait pas encore de disciples, et te groupe qui
se pressait autour de lui n'tait ni une secte ni une cole ; mais on y
sentait dj un esprit commun, quelque chose de pntrant' et de
doux. Son caractre aimable, et sans doute une de ces ravissantes
figures qui apparaissent quelquefois dans la race juive, faisaient
autour de lui comme un cercle de fascination auquel presque per-
sonne, au milieu de ces populations bienveillantes et naves, nesavait chapper.
Le paradis et t, en effet, transport sur la terre, si les ides
du jeune maitre n'eussent dpass de beaucoup ce niveau de ni-
-
VIE DE JSUS
diocre bont au del duquel on n'a pu jusqu'ici lever l'espcehumaine. La fraternit des hommes, fits de Dieu, et les cons-
quences morales qui en rsultent taient dduites avec un sentiment
exquis. Comme tous les rabbis du temps, Jsus, peu port vers tes
raisonnements suivis, renfermait sa doctrine dans des aphorismes
concis et d'une forme expressive, parfois nigmatique et bizarre.
Quelques-unes de ces maximes venaient des livres de l'Ancien Testa--ment. D'autres taient des penses de sages plus modernes, surtout
d'Antigone de Soco, de Jsus, fils de Sirach, et de Hittet, qui taient
arrives jusqu'. lui, non par suite d'tudes savantes, mais comme
des proverbes souvent rpts. La synagogue tait riche en maximes
trs-heureusement exprimes, qui formaient une sorte de littrature
proverbiale courante. Jsus adopta presque tout cet enseignement
orat, mais en te pntrant. d'un esprit suprieur. Enchrissant d'or-
dinaire sur les devoirs tracs,par la Loi et tes aneiens, il voulait la
perfection. Toutes les vertus d'humilit, de pardon. de charit,
d'abngation, de duret pour soi-mme, vertus qu'on a nommes
bon droit chrtiennes, si l'on veut dire par l qu'etles ont t . vrai-
ment prches par le Christ, taient en germe dans ce premier
enseignement. Pour la justice, it se contentait de rpter l'axiome
rpandu : Ne fais pas autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te
fit h toi-mme. Mais cette vieitle sagesse, encore assez goste, ne
lui suffisait pas. It allait aux excs :
Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, prsente-lui l'autre.
Si quelqu'un te fait un procs pour ta tunique, abandonne-lui Ion
manteau.
Si ton oeit droit te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi.
Aimez vos ennemis, faites du bien ceux qui vous hassent ;
priez pour ceux qui vous perscutent.
Ne jugez pas, et vous ne serez point jug. Pardonnez, et ouvous pardonnera. Soyez misricordieux comme votre Pre cleste est
misricordieux. Donner est plus doux que recevoir.
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la VIE DE JSUS
Celui qui s'humilie sera lev ; celui qui s'lve sera hu-
mili.
Sur l'aumne, l piti, les bonnes oeuvres, la douceur, le got
de la paix, le complet dsintressement du coeur, il avait peu de
chose ajouter la doctrine de la synagogue. Mais il y mettait un
accent plein d'onction, qui rendait nouveaux des aphorismes trouvs
depuis longtemps. -La morale ne se compose pas de principes plusou moins bien exprims. La posie du prcepte, qui le fait aimer,
est plus que le prcepte lui-mme, pris comme une vrit abstraite.
Peu originale en elle-mme, si l'on veut dire par l qu'on pourrait
avec des maximes plus anciennes la recomposer presque. tout entire,
la morale vanglique n'en reste pas moins la plus haute cration
qui soit sortie de la conscience humaine, le plus beau code de la vie
parfaite qu'aucun moraliste ait trac.
Jsus ne parlait pas contre la loi mosaque ; mais on sent bien
qu'il en voyait. l'insuffisance, et il le laissait entendre. Il rptait sanscesse qu'il faut faire plus que les anciens sages n'avaient dit. Il
dfendait la moindre parole dure, il interdisait le divorce et tout
serment, il blmait le tation, il condamnait l'usure, il trouvait le
dsir voluptueux aussi criminel que l'adultre. Il voulait un pardonuniversel des injures. Le motif dont il appuyait ces maximes de
haute charit tait toujours le mme : ... Pour que vous soyez les
fils de votre Pre cleste, qui fait lever son soleil sur les bons et
sur les mchants. Si Vous n'aimez, ajoutait-il, que ceux qui vous
aiment, quel mrite avez-vous? Les publicains le font bien. Si vous
ne saluez que vos frres, qu'est-ce que cela? Les paens le font
bien. Soyez parfaits, comme votre Pre cleste est parfait.
Un culte pur, une religion sans prtres et sans pratiques ext-rieures, reposant toute sur les sentiments du coeur, sur l'imitation
de Dieu, sur le rapport immdiat de la conscience avec le Precleste, taient la suite de ces principes. Jsus ne recula jamais
devant cette hardie consquence, qui faisait de lui, dans le sein 'du
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VIE DE JSUS
45
judasme, un rvolutionnaire au premier chef. Pourquoi des inter-
mdiaires entre l'homme et son Pre? Dieu ne voyant vue le coeur,
quoi bon ces purifications, ces pratiques qui n'atteignent que le
corps? La tradition mme, chose si sainte pour le juif, n'est rien,
compare au sentiment pur. L'hypocrisie des pharisiens, qui en
priant tournaient la tte pour voir si on les regardait, qui faisaient
leurs aumnes avec fracas, t mettaient sur leurs habits des signet
qui les faisaient reconnatre pour personnes pieuses, toutes ces
simagres de la fausse dvotion le rvoltaient. Ils ont reu leur
.rcompense, disait-il; pour toi, quand tu fais l'aumne, que ta
main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumne
reste dans le secret, et ators ton Pre, qui voit dans te secret, te la
rendra. Et, quand tu pries, n'imite pas les hypocrites, qui aiment
faire leur oraison debout dans tes synagogues et au coin des places,
afin d'tre vus des hommes. Je dis en vrit qu'its reoivent leur
rcompense. Pour toi, si tu veux prier, entre dans ton cabinet, et,
ayant ferm la porte, prie ton Pre, qui est dans le secret ; et ton
Pre, qui voit dans le secret, t'exaucera. Et, quand tu pries, ne fais
pas de longs discours comme les paens, qui s'imaginent devoir tre
exaucs force de paroles. Dieu ton Pre sait de quoi tu as besoin,
avant que tu le lui demandes.
Il n'affectait nul signe extrieur d'asctisme, se contentant de
prier ou plutt de mditer sur les montagnes et dans les lieux soli-
taires, o toujours l'homme a cherch Dieu. Cette haute notion des
rapports de l'homme avec Dieu, dont si peu d'mes, mme aprs
devaient tre capables, se rsumait en une prire, qu'il compo-
sait de phrases pieuses dj en usage chez tes Juifs, et qu'il ensei-
gnait ds lors ses disciples ;
Notre Pre qui es au ciel, que ton nom soit sanctifi; que
ton rgne arrive; que ta volont soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. Pardonne-nous
nos offenses, comme nous pardonnons ceux qui nous ont offenss.
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kie VIE DE JSUS
pargne-nous tes preuves; dtivre-nous du Mchant', It insistait
particulirement sur cette pense que le Pre cleste sait mieux quenous ce qu'il nous faut, et qu'on lui fait presque injure en tui deman-
dant telle ou tette chose dtermine.
Jsus me faisait en ceci que' tirer les consquences des grandsprificipes que le judasme avait poss, mais que les ctasses officielles
de la nation tendaient de ptus en ptus mconnatre. Jamais prtre
paen n'avait dit ait fidle : (c Si, en apportant ton offrande t'autel,
tu te souviens que ton frre a quetque chose contre toi, taisse l ton
offrande 'devant. l'autel, et va premirement te rconcilier avec tonfrre; aprs ceta, viens et fais ton offrande. Seuls dans l'antiqUit,
tes prophtes juifs. Isae surtout, dans leur antipathie contre te
sacerdoce, avaient entrevu la vraie nature du culte que l'hommedoit Dieu. u Que m'importe la multitude de vos victimes? J'en suis -
rassasi ; la graisse de vos bliers me soulve, le coeur ; votre encens
m'importune ; car vos mains sont pleines de sang..Purifiez vos pen-
ses; cessez de mal faire, apprenez le bien; cherchez la justice, et
venez alors. Dans les derniers temps, quelques docteurs, Simon
le Juste, Jsus, fils de Sirach, Hiltel, touchrent presque te but, et
dctarrent que l'abrg de la Loi tait la justice. Philon, dans le
monde juif d:Egypte, arrivait en mme temps que Jsus des ides
d'une haute saintet morale, dont ta consquence tait le peu de
souci des pratiques lgates. Schemaia et Ablation, plus d'une fois,
se montrrent aussi des casuistes fort libraux. Rabbi Iohanan allaitbientt mettre tes coutres de misricorde au-dessus de l'tude mmede la Loi! Jsus seul, nanmoins, dit la chose d'une manire di-
ca.ce. Jamais on n'a t moins prtre que ne le. fut Jsus, jamais plus
ennemi des formes qui touffent la religion sous prtexte 'de la pro-
tger. Par 1, nous sommes tous ses disciples et ses continuateurs;
par l, il a pos une pierre ternelle, fondement de la Vraie retigion;
1. C'est--dire du dmon, conu comme le gnie du mal, selon les ides du temps.
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DOS DE GRAVURE
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VIE DE JSUS 49
et, si ta religion est la chose essentiette de t'humanit, par l it a -
mrit le rang divin qu'on lui a dcern. Une ide absolument neuve.
l'ide d'un culte fond sur la puret du coeur et sur la fraternithumaine, faisait par lui son entre dans le monde ; ide tellement .leve, que l'glise chrtienne devait sur ce point trahir complte-
ment les intentions de son chef, et que, mme de nos jours, quelquesmes seulement sont capables de s'y prter.
Un sentiment exquis de ta nature lui fournissait chaque instant
des images expressives. Quelquefois, une finesse remarquable, ce quenous appelons de l'esprit, relevait ses aphorismes ; d'autres fois,
teur forme vive tenait l'heureux emploi de proverbes populaires.
Comment peux-tu dire ton frre : Permets que j'te cette pailte
de ton oeil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite ! te
d'abord la poutre de ton oeit, et alors tu penseras h ter la paille de
l'oeil de ton frre.
Ces leons, longtemps - renfermes dans le coeur du jeune maitre,
groupaient dj quelques initis. L'esprit du sicle tait aux petites
glises; c'tait le moment des essniens ou thrapeutes. Des rabbis
ayant chacun leur enseignement, Schemaia, Abtalion, Hillel, Scham-
mai, Juda le Gaulonite, Gamaliel , tant d'autres dont les maximes
remplissent le Talmud, s'tevaient de toutes . parts. On crivait trs-
peu ; les docteurs juifs de ce temps ne faisaient pas de livres : tout
se passait en conversations et en leons publiques, auxquelles on
cherchait donner un tour facile retenir. Le jour o le jeune char-pentier de Nazareth commena produire au dehors ces maximes ,
pour la plupart dj rpandues, mais qui, grce lui, devaient
rgnrer le monde, ce ne fut donc pas un vnement. C'tait un
rabbi de plus (il est vrai, le plus charmant de tous), et autour de lui
quelques jeunes gens avides de l'entendre et cherchant l'inconnu.L'inattention des hommes veut du temps pour tre force. Il n'y
avait pas encore de chrtiens; le vrai christianisme cependant tait
fond, et jamais sans doute il ne fut plus parfait qu' ce premier7
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50 VIE DE JSUS
moment.. Jsus n'y ajoutera ptus rien de durable: Que dis-je? Enun sens, ille compromettra, car toute ide, pour russir, a besoin
de faire des sacrifices; on ne sort jamais immacul de la lutte de
la vie.
Concevoir. le bien, en effet, ne suffit pas; il faut le faire
russir parmi les hommes. Pour cela, des voies moins pures sont
ncessaires. Certes, si l'vangile se bornait quelques chapitres de
Matthieu et de Luc, it serait plus parfait et ne prterait pas mainte-
nant tant d'objections; mais sans miracles et-il converti le inonde?
Si Jsus ft mort au moment o nous sommes arrivs de sa carrire,
il n'y aurait pas dans sa vie telte page qui nous btesse; mais, irr-
prochable aux yeux de Dieu, it ft rest ignor des hommes; it seraitperdu dans la foule des grandes mes inconnues, les meitleures de
toutes; la vrit n'et pas t promulgue, et le Inonde n'et pas
profit de l'immense supriorit morale que son Pre lui avait
dpartie. Jsus, fils de Sirach , et Hiltel avaient mis des aphorismes
presque aussi tevs que ceux de Jsus. Biltet cependant ne passera
jamais pour le vrai fondateur du christianisme. Dans la morate,comme dans l'art, dire n'est rien, faire est tout. L'ide qui se cache
sous un tableau de Raphal est peu de chose; c'est le tableau seul
'qui compte. De mme, en morale, la vrit ne prend quelque valeur
que si elle passe l'tat de sentiment, et elle n'atteint tout son prix
que quand elle se ratise dans le monde l'tat de fait. Des hommes
d'une mdiocre . moralit ont crit de fort bonnes maximes. 'Des
hommes trs-vertueux, d'un autre ct, n'ont rien fait pour continuer
dans le monde la tradition de la vertu. La palme est celui qui a
t puissant en paroles et en oeuvres, qui a senti te bien, et au prix
de son sang l'a fait triompher. Jsus, ce doubte point de vue,est sans gat ; sa gtoire reste entire et sera toujours renouvele.
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CHAPITRE V
JEAN-BAPTISTE
VOYAGE DE JSUS VERS JEAN ET SON SJOUR AU DSERT
DE JUDE. - IL ADOPTE LE BAPTEME DE JEAN
Un homme extraordinaire, dont le rle, faute de documents,
reste pour nous en partie nigmatique, apparut vers ce temps et eut
certainement des relations avec Jsus. Ces relations firent quelques
gards dvier de sa voie le jeune prophte de Nazareth; mais eltes
lui suggrrent ptusieurs accessoires importants de son institution
retigieuse, et, en tout cas, eltes fournirent ses disciples une trs-
- forte autorit pour recommander leur maitre aux yeux d'une certaine
classe de Juifs.
Vers l'an 28 de notre re (quinzime anne du rgne de
Tibre), se rpandit dans toute la Patestine la rputation d'un cer-
tain Iohanan ou Jean, jeune ascte plein de fougue et de passion.
Jean tait de race sacerdotate et n, ce semble, Jutta, prs d'H-
bron, ou Hbron mme. Hbron , la vilte patriarcale par excel-
lence, situe deux pas du dsert de Jude et quelques heures du
grand dsert d'Arabie, tait ds cette poque ce qu'ette est encore
aujourd'hui, un des boulevards du monothisme dans sa forme la
plus austre. Ds son enfance, Jean fut nazi,., c'est--dire assujetti
par voeu certaines abstinences. Le dsert, dont il tait pour ainsi
dire environn, l'attira tout d'abord. Il y menait la vie d'un yogui
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5/1 VIE DE JSUS
de l'Inde, vtu do peaux ou d'toffes de poil de chamiiu n'ayant
pour atiments que des sauterelles et du miel sauvage. Un certain
nombre de disciples s'taient runis autour de lui, 1)1;rtageant sa vie
et mditant sasvre parole. On se serait cru transport aux bords
du Gange, si des traits particuliers n'eussent rvt en ce sotitaire le
dernier descndant des grands prophtes d'Isral.
Depuis que la nation juive s'tait prise avec une sorte de dses-
poir rflchir sur sa vocation mystrieuse, l'imagination du peupte
s'tait reporte avec beaucoup de complaisance vers les anciens pro-phtes. Or, de tous les personpages du pass, dont le souvenir
venait, comme les songes d'une nuit trouble, rveitler et agiter le
peuple, le plus grand tait lie. Ce gant des prophtes, en.son -
zipre solitude du Carmel , partageant la vie des btes sauvages,demeurant dans le creux des rochers , d'oit il sortait comme un
foudre pour faire et dfaire les rois, tait devenu, par des transfor-
mations successives, une espce d'tre surhumain, tantt visible,
tantt invisible , et qui navait pas got la mort. On croyait gnra-
lement. qu'lie allait revenir et restaurer Israt. La vie austre qu'il
avait mene , les souvenirs terribtes qu'il avait laisss, et sous l'im-
pression desquels l'Orient vit encore, cette sombre image qui,
jusqu' nos jours , fait trembler et tue, toute cette mythologie
pteine de vengeance et de terreurs, frappaient vivement les espritset marquaient, en quelque sorte, d'un signe de naissance tous les
enfantements populaires. Quiconque aspirait une grande action sur
le peuple devait imiter lie ,et, comme la vie solitaire avait t le
trait essentiel de ce prophte, on se reprsenta l'homme de Dieu
sous les traits d'un ermite. On se figura que tous les saints person-
nages avaient eu leurs jours de pnitence, de vie agreste, d'aust-
rits. La retraite au dsert devint ainsi la condition et le prlude des
hautes destines.Nul doute que cette pense d'imitation n'ait beaucoup proccup
Jean. La vie anachortique, si oppose l'esprit de Cancin peuple
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VIE DE JESUS 55
juif, faisait de toutes parts invasion en Jude. Les essniens avaient
leurs demeures prs du pays de Jean, sur les bords orientaux de lamer Morte. L'abstinence de chair, de vin, des plaisirs, tait regarde
comme le noviciat des rvlateurs. On s'imaginait que les chefs de
secte devaient tre des solitaires , ayant leurs rgles et leurs instituts
propres, comme des fondateurs d'ordres religieux. Les matres des
jeunes gens taient aussi parfois des espces d'anachotes assez
ressemblants aux gourons du brahmanisme.La pratique fondamentale qui donnait la secte de Jean son
caractre, et qui lui a valu son nom, tait le baptme ou la totate
immersion. Les ablutions taient dj familires aux Juifs, comme
toutes les religions de l'Orient. Les essniens leur avaient donn une
extension particutire. Le baptme tait devenu une crmonie ordi-
naire.de l'introduction des proslytes dans le sein de la religion juive,
une sorte d'initiation. Jamais pourtant, avant notre baptiste, on
n'avait prt, l'immersion cette importance ni cette forme. Jean
'avait fix le thtre de son activit dans la partie du dsert de Jude
qui avoisine la mer Morte. Aux poques oit it administrait le bap-
tme, il se transportait aux bords du Jourdain, soit Bthanie ou
Bthabara, sur la rive orientale, probablement vis--vis de Jricho,
soit l'endroit nomm ,Enon, ou les Fontaines , prs de Salim,
oit it y avait beaucoup d'eau. Lit, des foules considrables, surtout
de la tribu de Juda, accouraient vers lui et se faiSaient baptiser. En
quelques mois, it devint ainsi un des hommes les plus influents de
ta Jude, et tout le monde dut compter avec lui.Le peuple le tenait pour un prophte, et plusieurs s'imaginaient
que c'tait lie essuseit. La croyance de pareiltes rsurrections
tait fort rpandue; on pensait que Dieu allait ressusciter de lems
tombeaux quelques-uns des anciens prophtes pour servir de guides
, Isral vers sa destine finale. D'autres tenaient Jean pour le Messie
lui-mme, quoiqu'il n'levt pas une telle prtention. Les prtres et
les scribes, opposs cette renaissance du prophtisme, et toujours
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56 VIE DE JSUS
ennemis des enthousiastes, le mprisaient. Mais la poputarit dubaptiste s'imposait eux, et its n'osaient parler contre lui. C'tait
une victoire que le sentiment de la foule remportait sur l'aristocratie
sacerdotale. Quand on obtigeait les chefs des prtres s'expliquer
nettement sur ce point, on les embarrassait fort.
Le baptme n'tait; du reste, pour Jean qu'un signe destin
faire impression et prparer les esprits quelque grand mouve-
ment. Nul doute qu'il ne ft pcissd au plus haut degr de l'esp-
rance du -Messie'. .Faites pnitence, disait-il car le royaume de
Dieu approche. Il annonait une grande colre , c'est--dire deterribles catastrophes qui altaient venir -, et dclarait que la cogne
tait dj la racine de l'arbre, que l'arbre serait bientt jet au
feu. Il l'eprsentait son Messie Mt van la main; recueillant le bon
grain; et r `brlarit la paille. La pnitence, dont le baptme tait
la figure >, faiimne, l'amendement des moeurs, taient pour Jean
les grands moyens , de prparation aux vnements prochains. On ne
sait pas 'exactement sous qUel jour il concevait ces vnements. Ce
qu'il y a de sr; c'est qu'il prchait avec beaucoup de force contre
tes adVersaires mmes que Jsits attaqua plus tard, contre les prtres
riches, les pharisiens, les docteurs, te "judasme officiel en un mot,
et que, comme Jsus, il tait surtout accueilti par les classes mpri-
ses: Il rduisait rien le titre de fils d'Abraham , et disait.que Dieu
pourrait faire desfils d'Abraham avec les pierres du chemin. Il nesemble pas qu'ilpossdili mrne en germe la grande ide qui a fait
le triomphe de Jsus, l'ide d'une religion pure; mais il servait puis-
samment cette ide en substituant un rite priv aux crmonies
lgales, pour lesquelles il fatlait des prtres, peu prs comme les
flagellants du moyen ge ont t les prcurseurs de la Rforme, en
enlevant le monopole des sacrements et de l'absolution au clerg offi-
ciel. Le ton gnral de ses sermons tait svre et dur. Les expres-
sions dont il se servait contre ses adversaires paraissent avoir t
des plus violentes. C'tait une rude et continuelle invective. Il est pro-
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PAGEBLANCHE
DOS DE GRAVURE
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VIE DE JSUS .59
table qu'il ne resta pas tranger la politique. Josphe, qui le
toucha presque par son matre Banou , le laisse entendre mots
couverts, et la catastrophe qui mit fin ses jours semble le supposer.
Ses disciples menaient une vie fort austre jenaient frquemment,affectaient un air triste et soucieux. On voit poindre par moments dans
l'cole la communaut des biens et cette pense que le riche est
oblig de partager ce qu'il e. Le pauvre apparait dj comme celui
qui doit bnficier en premire lighe du royaume de Dieu.
Quoique le champ d'action du baptiste ft ta Jude, sa renomme
pntra vite en Galite et arriva jusqu' Jsus , qui avait dj form
autour de lui par ses premiers discours un petit cercle d'auditeurs.
Jouissant encore de peu d'autorit, et sans doute aussi pouss par te
dsir de voir un matre dont les enseignements avaient beaucoup de
rapports avec ses propres ides, Jsus quitta la Galile et se rendit
avec sa petite cole auprs de Jean. Les nouveaux venus se firent
baptiser comme tout le monde. Jean accueillit trs-bien cet essaimde disciples galilens et ne trouva pas mauvais qu'ils restassent
distincts des siens. Les deux matres avaient beaucoup d'ides com-munes; ils s'aimrent et luttrent devant le public de prvenances
rciproques. La jeunesse est capable de toutes les abngations , et il
est permis d'admettre que les deux jeunes enthousiastes, pteins des
mmes esprances et des mmes haines, aient fait cause commune
et se soient appuys rciproquement. Ces bonnes relations devinrent
ensuite le point de dpart de tout un systme dvelopp par les
vanglistes, et dont le but tait de donner pour premire base la
mission divine de Jsus l'attestation de Jean. Tel tait le degr d'au-
torit conquis par le baptiste, qu'on ne croyait pouvoir trouver au
monde un meilleur garant. Mais, loin que le baptiste ait abdiqu devant
Jsus, Jsus, pendant tout le temps qu'il passa prs de lui, le reconnut
pour suprieur et ne dveloppa son propre gnie que timidement.
Il semble en effet que, malgr sa profonde originalit, Jsus,
durant quelques semaines au moins, fut l'imitateur de Jean. Sa voie
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60 VIE D JSUS
tait encore obscure devant lui. Le baptme avait t mis par Jean
en trs-grande faveur; Jsus se crut oblig de faire comme lui : il
baptisa, .et ses disciples baptisrent aussi. Sans doute, ils accom-
pagnaient cette crmonie de prdicationi analogues celles de Jean.
Le Jourdain se couvrit ainsi de tous les cts de baptistes, dont les
discours. avaient plus ou moins de succs. L'lve gala bientt le
maitre, et son baptme fut fort recherch. Il y eut ce sujet quelqite
jalousie entre les disciples; les sectateurs de Jean vinrent se plaindre lui des succs croissants du jeune Galilen , dont le baptmeallait bientt, selon eux, supplanter le sien. Mais les deux chefs res-
trent suprieurs ces petitesses. Selon une tradition , c'est dans
l'cole de Jean que Jsus aurait form le groupe de ses disciples les
plus clbres. La supriorit de Jean tait trop inconteste pour que
Jsus, encore peu connu, songet la Combattre. Il voulait seulement
grandir son .ombre , et se croyait oblig ; pour gagner la foule ;
d'employer les moyens extrieurs qui avaient valu Jean de si ton
nants succs.: Quand il commena prcher, aprs l'arrestation de
Jean , les premiers mots .qu'on lui met la bouche ne sont que la
rptition d'une des phrases familires au baptiste. Plusieurs autres
expressions de Jean se retrouvent textuellement dans ses discours.
Les deux cotes paraissent avoir vcu ,longtemps en bonne intelli-
gence , et, aprs l mort de Jean, Jsus, .comme confrre affid, fut
un des premiers averti de cet vnement.
Jean fut bientt arrt dans sa carrire prophtique. Comme lesanciens prophtes juifs, il tait, au - plus haut degr, frondeur despuissances tablies. La vivacit extrme avec laquelle il s'exprimait
sur leur. compte ne pouvait manquer de lui susciter des embarras.
En Jude, Jean ne parat pas avoir t inquit par' Pilate ; mais ,
dans la Pre, au del du Jourdain, il tombait sur les terres d'Anti-
pas. Ce tyran s'inquita du levain potitique mal dissimul
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