la soupe aux choux
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Chapitre I.
Au village, sans prétention, il n’y ava
plus rien. Le four du boulanger s’étarefroidi en même temps que le boulangerqui ne cuisait plus ses couronnes qu’acimetière. Car il y avait encore un gran
cimetière, au village, s’il n’y avait plus dpetit boulanger.Le village était un village d
Bourbonnais. Comme ce discret Bourbonnai
ne s’était pas taillé dans l’histoire un nom dguerre à la façon de l’Alsace ou de lLorraine, comme il ne connaissait pas, epour cause, les marées noires, les maréebasses de la Bretagne, comme il manquait d
cormorans englués, on le situait mal sur lcarte.
On le prenait, par exemple, pour lBourgogne, tout comme on prit jadis le Piré
pour un homme et les pendentifs de m
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ante pour ceux de mon oncle. D’ailleurshormis quelques contrées vedettes, il n’avait plus de provinces. Il n’y avait mêmplus de départements. Ces ancienneerreurs des candidats au certificat d’étude
n’avaient pas résisté au progrès éteignant lmonde. On leur avait distribué des dossardde coureurs cyclistes. Le Bourbonnais
devenu l’Allier en 1790 montre en main’appelait à présent 03. On ne naissait plu
angevin, mais 49, parisien, mais 75avoyard, mais 73, etc. On naissait en code
et puis on vivait en lanterne. Au village, donc, il n’y avait plus rien. Evertu de quoi il ressemblait à des tas et deas de villages pris au petit bonheur de toues numérotages.
Il n’y avait plus de lavoir sur la Besbre, lrivière qui l’arrosait. Les battoirs s’étaienus. En ville, les brocanteurs les exposaien
dans leur vitrine. Les laveuses s’étaient tue
de même, assises au coin de leur machine
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aver. Désormais farouches et solitaires, ellen’écoutaient plus le gazouillis de l’eau maicelui de Radio-Luxembourg, tournaient sepois et davantage une langue inutile dans un
bouche superfétatoire. Il n’y avait plus pouelles ni de brouettes, ni de boules de bleu, nd’ablettes au cœur des bulles de savon.
Il n’y avait plus, non plus, de curé. L
vieux n’avait pas été remplacé par un neuOn ne voyait plus de soutane au hasard dechemins, et le mécréant dépité n’avait plus loisir de gueuler « à bas la calotte ! »
puisque, aussi bien, il n’y avait plus dcalotte. Certes, il demeurait encore uecclésiastique affecté au chef-lieu de cantomais, appartenant à tous, il n’était en fait personne. Pour le coup, le saint homme avaiété aigrement surnommé par ses ouailleéparpillées « le prêtre-à-porter ». Mon Dieoui – et que Dieu lui pardonne – déguisé enotaire, il s’en allait porter à toute allure l
bonne parole de commune en commune
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main bénisseuse et pied sur l’accélérateurexpédiant messes, extrêmes-onctionsmariages, enterrements au grand galop dous ses cinq chevaux. Résultat, au village
on était absous avant même d’avoir eu lemps de pécher, ce qui retirait bien d’agrément à l’affaire. En somme, il n’y avai
plus de Bon Dieu. Ou guère. Ou si peu.
Il n’y avait plus de facteur à pied ou bicyclette, qu’un préposé pressé ecamionnette, plus anonyme qu’une lettre, equi n’avait jamais une minute pour boire u
canon. Au village, en outre, il n’y avait plud’idiot du village. Dès qu’ils manifestaieneurs talents, on les ramassait comme de
petits-gris pour les enfermer à l’asilpsychiatrique d’Yzeure. Ils y perdaient leuingularité, tout pittoresque, n’acquéraien
pas pour si peu un poil d’intelligencmoyenne, tombaient tout à fait fous, s
périssaient d’ennui avant de périr pour d
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et il y en avait, du monde, à l’usineDavantage que dans les champs, à cause deavantages sociaux.
C’était, à une quinzaine de kilomètres dà, une usine où les paysans qui avaien
quitté la terre fabriquaient des tracteurs ’usage des paysans qui étaient restés à lerre.
Ceux qui allaient encore aux champs nchantaient plus les chansons de chez euxS’ils se sentaient de belle humeur, ilemportaient le transistor pour entendre e
oute saison Petit Papa Noël interprété paTino Rossi ou Yesterday par les Beatles. In’était plus du tout besoin d’alouettes.
Les alouettes, d’abord, on les avaiusillées vu qu’il n’y avait plus ni perdrix nièvres, la faute aux engrais d’après leavants et les instituteurs, et qu’il fallai
quand même amortir le prix des cartoucheet du permis. Celui-là, on ne le reprendra
pas l’an prochain. A la place on participerai
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e cul sur la chaise, au Tournoi des CinNations. Penser, misère, que dans le tempon tuait tout ce qu’on voulait ! Il n’y aurabientôt plus de chasseurs au village, encormoins de ces gens pratiques qu’étaient lebraconniers.
Déjà, on ne comptait plus guère dpêcheurs, hormis, l’été, quelques innocent
de Parisiens bons, selon le parler local, « prendre à la main ». Harnachés eexplorateurs style Stanley et Livingstone, lepauvres vacanciers fourbus regagnaient à l
nuit leurs tentes, déchirés par les barbelésune ablette en sautoir. Car il y avait uerrain de camping, non loin d’une décharg
un brin sauvage. Une idée saugrenue dmaire, marchand de porcs, qui rêvait drelancer les activités du pays, de le remettrd’après lui dans les voies de l’expansioéconomique, voies dont il avait entendcauser sur les champs de foire bien informés
Mais le village n’était pas la Costa Brava et l
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camping ne rapportait pas l’herbage qu’on gâchait.
Il n’y avait plus de batteuses depuis deannées, dans les cours de fermes à jamaiilencieuses. La municipalité avait châtré lontaine publique, sur la place du bourg. I
était inutile de gaspiller une eau qui coulait plus soif de tous les robinets, depuis le
adductions. Plus de brocs, de seaux, ni de vieni de commères autour de la fontaine omême la mousse ne croissait plus. Tous lepuits étaient à l’abandon, tous les puisatier
au rancart.Le sabotier avait clos d’une croix dplanches la porte de son échoppe qu’avarendue caduque l’avènement des bottes dcaoutchouc. Il n’avait pas fallu des heureaux curieux pour comprendre, à la vue dailleur Zézé Burlot branché à un noyer, ques affaires frisaient le néant depuis que se
voisins se vêtaient sans mesure dans le
« Mammouth » tentaculaires des villes.
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Tous les petits commerces et modesteprofessions du village s’étaient évanouis leuns après les autres. On n’entendait plus lcorne du chiffonnier – le « pilleraud » battre le rappel des guenilles, des peaux dapin et des débarras de greniers. Le
rétameurs, qu’on appelait, eux, « bejijis »avaient plié boutique depuis qu’on jetait par
dessus bord à leur tout premier trou lecasseroles percées. C’était la même débâclau sein des « roulants », ces frères hirsutede Diloy le Chemineau. Sans doute pris e
charge par la Sécurité sociale, ils nhantaient plus un trimard de plus en pluictif. Si les poules respiraient, les êtreecourables à leur prochain soupiraient, qu
n’avaient plus de prochain sous la main. Au village, on ne feuilletait plus ave
amour le Catalogue de la Manu, le seuouvrage, avec le missel, des bibliothèques da France rurale. On avait des autos, a
village, des autos pour se rendre à Vichy,
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Moulins, voire à Paris. On s’y fournissaians avoir à remplir des commande
compliquées. Alors, on s’en fichait, de lManufacture des pères et des grands-pèresPouvait crever, la bonne vieille Manu devieux rêves sous la lampe. Avec elle, oenterrerait toute une civilisatioanachronique traquée en tout lieu à l’insta
des baleines.Dans les prés, il n’y avait plus d’ânes. Il
n’étaient plus que des bouches inutilesmême pour les chardons. Adieu, « bourris »
ls n’iraient plus, cahin-caha, porter le graides humbles au moulin. Il n’y avait plus dmoulin. Ses roues pourrissaient, tombaienen morceaux dans la Besbre. Il n’y avait plud’humbles. Ils travaillaient tous à l’usine, làbas, là-bas. Il n’y avait même plud’indigents. Depuis la dernière guerre, leultimes parias des bourgades étaient mortde faim sur leurs bons de pain et de bois e
n’avaient pas eu de successeurs, cett
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position sociale paraissant dénuée ddébouchés aux nouvelles générations.
Au village, s’il n’y avait plus de coiffeur, y avait encore un châtelain et qui portaencore, insoucieux du temps qui s’écoulaies chaussettes de laine par-dessus le bas da culotte de cheval. S’il avait troqué lilbury pour la Mercedes, on ne l’en appelai
pas moins toujours – même les rouges Monsieur Raymond comme devant et grocomme le bras. Vivant avec sa fin de siècle, ne faisait plus suer le burnous bourbonnais
qui en vaut bien d’autres, qu’avec undiscrétion ignorée de ses ancêtres. A la paget moderne, il battait de ses propres main’eau des douves de son château pour e
éloigner les grenouilles. Monsieur Raymonn’était pas fier.
Les moutons paissaient en nombrcroissant sur les terres. Les ouvriers-paysanen possédaient tous quelques-uns, le
comptaient avant de s’endormir. Les paysan
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en liberté provisoire prétendaient qu’’agissait là d’un élevage pour fainéants e
que le mouton s’accommodait au mieux derois-huit et des congés payés.
On eût volontiers discuté de ceproblèmes agrestes autour d’une chopine ed’une table de bistrot, mais il n’y avait plude bistrot, ce qui bouleversait la vi
quotidienne de la commune. Ainsi les jourd’enterrement, lorsque l’église ouvrait paexception ses portes, les hommes ne savaienplus que faire de leurs dix doigts e
attendant la sortie du corps, annoncée par lecloches. Jadis, ils patientaient au café avand’aller rejoindre le chœur des pleureusesbuvaient un coup en chantant les louangedu défunt qui, certes, n’était pas exempt dcritiques, mais n’en demeurait pas moins, lrépas aidant, le meilleur des hommesujourd’hui, ils gelaient ou cuisaient au
dehors, et la dépouille mortelle, qui n’e
pouvait mais, en prenait pour son grade
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victime de la mauvaise humeur générale.En cet endroit, il y avait pourtant eu
voilà peu, jusqu’à deux bistrots. Patrons epatronnes avaient coup sur coup pris leuretraite, les uns au cimetière, les autres danun recoin du bourg où ils cultivaient leuardinet. Personne n’avait pris leur suite, ce
affaires familiales n’étant pas de celles qu
permettent de narguer les émirs au baccaraQuoi qu’il en fût, un village sans débit dboissons n’était plus un village et ne pouvanconsommer sur leur territoire, les habitant
étaient contraints de se rendre au chef-lieu, cinq bons kilomètres, s’ils éprouvaien’envie bien naturelle de siffler une rafale d
mominettes pour s’ouvrir l’appétireconstruire le monde agricole autour d’uapis de belote, disparaître un instant de l
vue de la « mère », comme ils nommaieneur femme.
Cette servitude les déprimait, leu
emblait, et de loin, le plus grave de
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nconvénients que subissait l’évolutionparaît-il inéluctable, de leur miliechampêtre. Ils s’en fussent accommodés, dous ces changements, sans ce coup de pie
de l’âne dans leurs bouteilles. Au villagcomme au Sahel s’était installée la soiphénomène étranger aux plus solidemémoires du cru. Des transformations, de
chambardements qui s’étaient produits dane pays depuis vingt ou trente ans, les jeunee fichaient comme de leur premier blueean. Il leur aurait fallu une bonne guerre d
4, dont le palmarès flatteur à la EddMerckx s’étalait sur le monument surmontd’un poilu, d’un coq et d’une paire d’obusmais s’il n’y avait plus d’hiver, d’été, nmême de printemps, il y avait encore moinde guerre mondiale. C’était attristanmmoral, mais c’était ainsi. Les jeune
vivaient donc, abusaient de leurs carcassevierges de toute mitraille, les juchaient su
des motos pas même françaises qu’il
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’amusaient à faire pétarader sur les routesquand ce n’était pas dans les labours.
Par la grâce de ces petits bandits, on nouait plus jamais de valses ni de tangos ’intérieur des parquets-salons. Les bals de
petits voyous n’étaient plus que deapocalypses d’ultra-sons, des escalades d
décibels qui rendaient fin brelots
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touceux qui avaient l’infortune d’y passer cinminutes. On n’y demandait plus la main deilles que pour la fourrer dans la culotte de
zouaves de la légende, vu qu’il n’y avait plumême de zouaves depuis la déliquescencdes mœurs et la dégradation de la société.
Bref, le village en avait pris un sacré coudans la pipe. Il n’avait plus guère d’illusion
à nourrir. Il serait un jour rayé du cadastre edu globe. On le raserait, si nécessaire, pouédifier sur l’emplacement un hyperupermarché, sous condition que l’idée e
paraisse rentable à quelque promoteur. Pou
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e dire tout net et noir sur blanc, il n’y avaplus rien, au village, plus rien de rien. Oplutôt si…
Il subsistait encore, vaille que vaille, ahameau des Gourdifiots, deux « exotiques comme on les désignait, deux fossiles de lplus belle eau, deux pauvres cfititecréatures de ce pauvre vieux Bon Dieu d
Bon Dieu. Le premier de ces derniers deMohicans, de ces fruits secs, tannés, confitdans le vin rouge, de ces insolites d’un autremps rejetés par l’électronique et même pa
e moteur à explosion, le premier donc de cedeux druides de la chopine s’appelait FranciChérasse, dit « Cicisse », dit « Le Bombé vu qu’il était un tout petit chouilla bossu sues bords et aux entournures. Le second
c’était Claude Ratinier, « Le Glaude »comme on prononçait par chez-lui. Un chezui qui tombait d’après lui quelque peu e
couille, il voulait dire en quenouille.
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Chapitre 2.
Autrefois, les Gourdiflots étaient u
hameau d’une vingtaine de feux, à sept, hucents mètres du bourg. Aujourd’hui, c’étaun hameau de dix-huit installations d
chauffage central et de seulement deux feude vrai feu, celui du Bombé, un vieux poêlGodin, et celui du Glaude, lequel tisonnaioujours sa cuisinière de fonte noire.
Proches l’une de l’autre au fond d’uchemin creux où sautaient des crapaudseurs maisons à carcasse de bois étaient le
plus anciennes et les plus vétustés du villageOn assurait qu’elles s’écrouleraient un de ce
quatre matins sur la paillasse de leuroccupants, qui n’en avaient d’ailleurs guèrouci, ne songeaient qu’à boire et manger
boire surtout d’après les mauvaises langue
qui, en l’occurrence, avaient le rago
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ndulgent. Le Glaude et Cicisse auraienrépliqué, non sans raison, qu’il leur était pluimple de déboucher un litre que d
confectionner un vol-au-vent financière, quede toute façon, ils n’avaient cure du vol-auvent financière, que, de plus, le canon drouge étant l’ultime joie de leurs vieinissantes, il eût été absurde de se refuse
adite félicité avant de sauter le pas.Le Bombé avait été puisatier, le Glaud
abotier. Ces métiers à présent périmés nes avaient pas enrichis. A soixante-dix ans
Chérasse et Ratinier ne vivotaient que par lgrâce de la retraite des vieux travailleursaméliorant toutefois cette manne par lculture de leur jardin et l’élevage dquelques poules et lapins.
Le Glaude avait perdu sa femme, lFrancine, voilà déjà dix ans. Il en avait edeux garçons qu’il n’avait plus revus depuie trépas de leur mère. Ils habitaient l
banlieue parisienne, trimaient dans de
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usines de plastique ou de quelque denrée dmême acabit, possédaient chacun une auto.
Chérasse ne s’était pas marié. Dans seunesse, les filles n’épousaient pas le
bossus, même si leur bosse n’était pas trocriarde et pouvait tenir lieu de porte-bonheuau même titre qu’un trèfle à quatre feuillesChérasse était donc demeuré célibataire, u
de ces oubliés de l’amour qu’on surnommaidans la contrée « les vieux Gégène ». Il s’eétait consolé en apprenant à jouer d’accordéon, instrument dont il estimait le
ons plus mélodieux que ceux de la voix de lemme en furie. Pour améliorer ses revenude puisatier, il avait beaucoup trille dans lebals, aux temps lointains où la musiqun’était pas électrique comme les cuisinièresÇa oui, ç’avait été quelqu’un, le Bombé, pouchatouiller sous les pieds la Valse brune ecaresser dans le sens du poil Le Plus Beau dous les tangos du monde… Il n’avait pas ét
oldat et, en 39, la patrie, quoique en dange
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’avait laissé au fond de ses puits. On n’avaipas besoin de bosse pour égayer leossuaires.
Le Glaude, lui, avait été fait prisonnieravait vécu cinq ans derrière les barbelésexpérience dont il avait tiré quelques solidenotions de philosophie. Ainsi, dans sotalag, il s’était dit qu’avant la guerre
n’avait pas assez bu de vin à table. Libéré, avait réparé cette lacune et se passait mêmde table.
Malgré ou grâce à leur régime de bec salé
es deux voisins se portaient comme leveaux dans les prés et ne connaissaient qude vue le docteur de Jaligny, pour l’avoirencontré au marché de cet aimable chef-liede canton. S’ils ressentaient parfois unaigreur d’estomac, ils s’accordaient pour eaccuser la qualité du pain, qui n’était plucelle qu’ils avaient connue. Ils s’étaient dmême entendus pour serrer dans leur cav
voûtée un tonneau de vin différent, ce qu
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variait leur menu et leur permettait droncer malignement un sourcil pour qu’eiquât des deux le propriétaire du nanan. L
Glaude se fournissait auprès du marchand dvins de Vaumas, le Bombé honorait de spratique celui de Sorbier.
Comme ils ne tenaient pas à « vivrcomme des bêtes » et désiraient se tenir a
courant des moindres fluctuations du vastmonde qui les portait, ils lisaient le journaLe Glaude s’abonnait pour un an à L
ontagne. L’année suivante, le Bomb
’acquittait de l’opération. Lecture faite, l’uivrait le quotidien à l’autre, et ce ritmmuable autorisait l’arrivée de deux verreur la toile cirée, arrivée ponctuée par u
« ça peut pas faire de mal » tout aussopiniâtre.
Ce journal en commun constituant unéconomie, les deux vieux étendirent lystème au cochon. Ils l’achetèrent e
ociété et le nourrirent de même. Un dem
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cochon au saloir suffisait à leurs besoins. Leannées paires, le porc s’élevait chez Ratiniees impaires chez Cicisse. Tous deux savaien
qu’un jour l’une des parties serait mise dan’embarras par le décès de l’autre, qu’elle s
retrouverait avec un goret entier sur les brasmais ils ne s’attardaient pas autour d’undée si sombre qu’elle en eût voilé leur tein
d’églantine.Parfaitement, d’églantine. Le Glaude n
ressemblait-il pas, moustaches et porcompris, à un maréchal Pétain rose bonbon
Le Bombé à un nain de Blanche-Neige quaurait toutefois un peu profité ? Devétilleux auraient peut-être décelé sur leurvisages et leurs nez quelques résilles dcouperose, mais c’était là chercher une petitbête qui ne devait ses couleurs qu’au granair. Chérasse et Ratinier n’avaient respiré ndans les mines ni dans les métros. Leur porne consommait que du son, des betteraves
des pommes de terre, leurs poules et leur
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apins ignoraient tout des farines de têtes dardines, des granulés punais et autre
poudres de perlimpinpin industriel. Leégumes de leur jardin ne croissaient et ne s
multipliaient que sur le bon fumier de JobNos deux écologistes sans le savoir n’avaiend’ailleurs pas d’autre choix : les aliments ees engrais chimiques leur auraient coûté
auf le respect qu’on doit aux dames, « lpeau du cul ». Sans fortune, Ratinier eChérasse étaient bien obligés de mangecomme des riches.
Ils fumaient, sans soupçonner que decrabes cancérigènes étaient tapis au fond deur paquet de gris. Ils roulaient leur
cigarettes, les allumaient avec des briquetqu’ils emplissaient de mélange pouvélomoteur. Dès qu’ils actionnaient lmolette, ils s’empanachaient de flammècheet de papillons noirs qu’ils chassaient d’unmain dédaigneuse. Le tabac non plus, ça n
pouvait pas faire de mal. Les vieilles n
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urveiller. Faut pas jouer avec la santé !Chérasse crachait dans son mouchoir
carreaux, décidait qu’il n’y avait pas l’ombrd’un microbe pervers là-dedans, haussait leépaules, mouvement qui le déséquilibraioujours un brin :
— Et toi, joue pas avec mes cuissesvieille bricole ! Si on peut plus tousser, ç
ert à quoi d’avoir des poumons ?— La Francine aussi, elle a toussé. Mêm
qu’elle n’a toussé qu’un seul été.— T’y sais bien, pourquoi qu’elle a passé
cause des médicaments. Depuis que c’esremboursé, ça a tué autant de monde qu’e4. Ça nous a au moins appris qu’il faut pa’en coller des pleins sacs dans le cornet. Ell
est pas morte pour rien.— N’empêche que ça te ronfle dans le
ntérieurs, que je te dis. On dirait que t’aavalé une Mobylette.
— T’occupe ! Je vais me faire un lait d
poule avec un bon verre de goutte dedans.
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— Moi, la vieille, y en a une, en tout casque je me pose pas. T’es bredin cent poucent, de A à Z, jusqu’au trognon, même quça fait des années que ça dure et que c’espas près de s’arrêter si tu continues de vivre
Puis, sans transition, il s’empourpraionnait :
— Et puis d’abord ! Même ! Même que j
boirais trop ! Qu’est-ce que tu fous, toi ? Tme regardes ?
— Moi, c’est mes oignons, si je mourreMais je veux pas que tu mourres, toi. Qu
que je deviendrais?— Ah bon ! C’est de l’égoïsme ! J’aimmieux ça. Alors, bois un peu moins toimême. Entre nous, moi non plus çm’intéresserait pas bien de me retrouver toueul avec cette pauvre vieille carne d
Bonnot.Bonnot était le chat du Glaude, u
ordide matou noir de campagne qui avait d
aire celle de Russie tant il était galeux
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déplumé, pouilleux, dépenaillé. Vu de dosc’était une arête de hareng ornée dpendeloques immodestes. De face, ’agissait d’une tout autre paire, celle de
oreilles, qu’il arborait déchiquetées mais ecornet de frites, en pavillon de gramophonpour mieux se garer des coups de piedd’auto, de griffé ou de fusil.
Il avait douze, treize ans, avait connu lFrancine, qui l’avait baptisé Bonnot dès qu’avait eu l’âge de chiper un fromage. Avillage, on avait tôt fait d’appeler Bonnot, pa
extension, tous les malhonnêtes, que l’oraitait aussi par euphémisme d’« habilepreneurs ». Bonnot le chat portait aveuperbe son nom d’anarcho-cambrioleur e
dormait sur les pieds de son maître, lequed’ailleurs n’aurait jamais osé avouer centimentalisme de citadin à quiconque
Devant le Bombé, Ratinier grommelait à lvue du chat :
— La mort a ben pas faim, ces temps
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Crèvera jamais, cette charogne. Va tous nouenterrer !
Dès que Chérasse avait tourné sa bossee Glaude se penchait pour flatter l’anima
Chez le Glaude, en toute boîte de sardinesommeillait un poisson pour son vieu
compagnon.Un triste jour, l’ancien sabotier repouss
d’une main qui ne tremblait pas le canon quui tendait l’ancien puisatier. Celui-ci, ôtan
celle qui pataugeait dans le verre, prit lmouche :
— C’est qu’une mouche ! Si t’as peuqu’elle te bouche le derrière, je vais tdonner un autre verre mais, vrai, ce que tdeviens chichiteux sur le tard ! Bientôt, tvas boire ta chopine avec une paille !
Le Glaude ne se dérida pas :— C’est pas pour la mouche. Le
mouches, ça serait même moins nuisible avaler que le pinard, pour ce que j’ai.
— Et qu’est-ce que t’as de nouveau depui
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aussi, au diabète. Il en avait autanqu’autant, même que ça te l’a balayé sandire ouf. Un et un, chez moi, ça fait deux.
Le Bombé ricana, stupidement selon sovis-à-vis, et s’exclama :
— Confidence pour confidence, j’ai edeux oncles qui sont morts en 14, et çm’étonnerait que ça m’arrive !
Ce fut leur première fâcherie. Le Glaud’accrochait à l’idée de son diabète et nouffrait aucune plaisanterie sur le sujet. Cléau inédit le tint agité une semaine duran
Le malade ne se nourrissait plus que dharicots verts, buvait son café sans sucre eortillait du cou pour avaler cette soupe à l
grimace. Sa main se tendait, machinale, vere litre de rouge, retombait de haut e
regagnait, vaincue, sa poche.— Faut plus que j’y touche, marmonnai
e Glaude, qui ne se résignait pourtant pas vider la bouteille dans la pierre d’évier. I
reprenait : C’est quand même drôle, que c’es
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plein de maladies, le douze degrés. Ça devradonner que le phylloxéra, qu’est loin d’êtrmortel. Mais qu’est-ce que j’ai fait au BoDieu, bordel de merde, pour hériter ddiabète, comme s’il y avait pas sur terrd’autres choléras où qu’on a au moins ldroit de boire un coup sans s’esquinter toue dedans !
Un matin, il prit sa bicyclette, un engidigne du musée du Cycle, bien décidé à alleconsulter le docteur de Jaligny. Il ralentit scourse folle dès qu’il fut sur la route. C
Gugusse allait lui refiler une pleine musettde pilules qui le feraient crever comme elleavaient occis la Francine. Il pédala un peplus vite, fouaillé par un vague espoir. Ldocteur lui permettrait peut-être un peu dvin…
— Vous avez droit à une chopinemonsieur Ratinier.
— Par repas?
— Ah non ! Par jour. Que buviez-vou
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quotidiennement ?— J’y ai jamais bien compté… Cinq, si
itres, comme le Bombé.— Vous êtes fou ! fulminerait le praticien
ous êtes qu’un alcoolique, qu’un invertébréqu’un sanguinaire ! Vous aurez qu’unchopine !
Une chopine ! Il pouvait se la mettr
quelque part, sa chopine. Le Glaude avamis pied à terre. A quoi bon rouler des dikilomètres aller et retour pour se fairprendre ses sous, s’entendre engueuler à so
âge comme un cfitit gars, le tout pour unmalheureuse chopine qu’on n’a même pas lemps d’y goûter qu’elle est basculée ? L
cœur gros, Ratinier rebroussa chemin, labot n’attaquant plus la pédale qu’ave
dégoût. Il n’aurait jamais dû lire Lontagne. On le savait, pourtant, que c’étai
que des menteries, dans les journaux, qudes âneries de députés pour embêter l
pauvre monde…
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Assis sur son banc, devant sa porteChérasse jouait de l’accordéon en braillan
a Chanson des blés d’or. L’animal, hilareavait un verre plein à portée de la main. Loie de vivre du Bombé crucifia l
valétudinaire qui l’apostropha sans aménité — C’est ça, fous-toi de moi, en plus
espèce de convexe ! Tu pourrais au moins m
aisser m’éteindre en paix, ivrogne ! C’esmême pas huit heures que t’es déjà chaucomme un marron, arsouille !
Comme on disait chez les savants qui s
ervent tout naturellement du mot convexee Bombé assumait depuis si longtemps sconvexité qu’il laissa l’insulte de côté, quittà la relever plus tard. Il jugea plus atroce dpoursuivre à tue-tête :
Mignonne, quand le soir descendra su
a plaine, Et que le rossignol viendra chante
encore,
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Nous irons écouter la chanson des bléd’or !
Désespéré, jaloux, le Glaude s’enferm
dans sa maison, se boucha les oreilles poune plus entendre l’effrayante voix de l’autrabominable qui devait en être, à vue de nez, on dixième canon. Au-dehors, le ciel éta
out bleu. Dans le pré, Bonnot s’amusait aveun mulot, plus sadique qu’une femme fatalonglant avec un prof de maths. Au-dedansout était sombre, et la nuit descendait sur l
Glaude.Le lendemain dimanche, Ratiniedemeura dans son lit, fermement résolu à lmort pour cause de diabète suraigu. I’attendrait tout le temps nécessaire, quinzours, un mois s’il le fallait. Le Bombé ne s
manifestait plus, qui devait cuver saloperie de vinasse, tout habillé sous so
édredon rouge. Personne au monde n
viendrait secourir Ratinier, l’arracher a
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répas. Une mouche bleue vrombissait dan’unique pièce de la masure, heurtant parfoi
en un bruit sec le cadre où, sous un doigt dpoussière, se devinait la photo de mariagdes époux Ratinier.
A cette époque-là, la Francine avait justvingt ans, riait, blonde et gracieuse dans srobe blanche, et le Glaude arborait de
moustaches frisées au fer aussi noires quon beau costume rangé aujourd’hui encor
dans l’armoire, quasiment neuf, n’espéranplus que l’heure de la toilette funèbre pou
quitter enfin ses boules de napfitaline.Cette lugubre évocation rafraîch’agonisant. « Si je continue comme çaongea-t-il, je vas passer pour de bon. » L
mouche accourrait se poser sur ses yeugrands ouverts, y pondrait des tas d’œufs qune seraient sûrement pas à la coque. Aprèsviendraient les vers, des gros pères d’ublanc sale comme on en découvre e
abourant sous les mottes. Le Glaude le
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entit creuser leurs terriers gluants dans senarines, dans sa bouche, et se leva d’ubond, épouvanté. Ce n’était pas si simple de laisser mourir. A la réflexion, il n
mourrait pas, du moins pas aujourd’hui, quétait d’ailleurs, il s’en souvint tout à coup, lour du seigneur, à savoir celui du Pernod. L
dimanche, le Glaude et le Bombé avaien
pour accoutumée de boire l’apéritif checelui qui détenait la bouteille, achetée seloeurs traditions à tour de rôle. Pour l’heure
elle se trouvait justement chez Chérasse, u
Chérasse qui n’était pas encore sorti de cheui, Ratinier s’en assura d’un regard acarreau. Il en fut impressionné car il n’étaipas loin de midi. Ce pantin-là était peut-êtrraide sous sa couette, victime de ses abusd’une « overdose » comme disent leétrangers. Le Glaude avait raté sa mort, lBombé l’aurait-il réussie ?
Inquiet ; Ratinier ouvrit sa porte, s’en all
rapper à l’huis de son voisin.
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— Qui que c’est ? fit la voix aigrelette dChérasse.
Ratinier respira mieux. Ce petit nuage, làbas, sur le chemin, n’était-ce pas lFaucheuse qui s’enfuyait, s’étant trompée dour, sinon d’année ? Non, ce n’était qu’u
gros lièvre importé de Tchécoslovaquie.— C’est moi, cria le Glaude, qui que t
veux que ça soye ?Les volets claquèrent, le Bombé e
chemise apparut à sa fenêtre, rigolard :— Mais c’est le diabétique ! Tu me cause
donc, aujourd’hui, le diabétique ? Remarquec’est vrai que t’as pas bonne mine. Huit jourde flotte, ça doit vous démolir un bonhommcomme s’il avait du paludisme.
— Faut bien dire, avoua l’autre, que j’aun peu les jambes en manches de veste. Faupas vieillir…
Cicisse trancha, sévère :— On peut vieillir, mais pas comme u
dément. Faut savoir ménager sa monture
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Prends exemple sur moi !Il fleurait si fort la futaille que le Glaud
en fut tout chamboulé avant de balbutier :— Je te demande pardon pour l’offense
hier. J’aurais pas dû te traiter de convexe.Sur-le-champ, Chérasse redevin
’hypocrite que Ratinier connaissait pacœur, larmoya :
— On se moque des infirmes, mais opeut pas savoir ce qu’on deviendra un jourToi, avec ton diabète, tu vas peut-être perdrun œil, si c’est pas les deux. T’auras un
canne blanche, tu te foutras dans les fossécomme les cfitits gars qui tiennent pas lboisson, le soir de la fête patronale.
Il reprit, naturel cette fois :— C’est pas tout ça, le père. Tu m
retardes. L’heure, c’est l’heure, et c’es’heure du perniflard. Je vais m’en enfile
une larmichette, si l’odeur te dérange padans ton régime.
Le puisatier Chérasse, au point de vu
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puits, n’était pas le plus mal chaussé depuisatiers. Il s’était construit le plus beau ee plus profond des puits du pays, avec un
margelle en briques roses d’où jaillissaiendes plantes vertes qu’on eût mangées ealade tant elles étaient fraîches et drues
Cicisse commenta, tout en remontant soeau avec des gestes d’amoureux :
— Mon eau, le Glaude, c’est la meilleurde tout le coin pour la soupe et le Pernodans me vanter. Il y a là-dessous une napp
phréatique comme y en a pas deux dan
’Allier. Quand je pense que t’as supprimon puits pour avoir l’eau du robinet, ça mort de ma culotte à reculons !
— Tu sais bien que c’est la Francine qui lvoulait, l’eau sur l’évier. J’avais beau lui eparler, de ta nappe frénétique, elle s’ebattait l’œil, la mère. C’est canaille ecompagnie, les bonnes femmes. Leur fauout le confort moderne.
Tout en décrochant son seau, le Bomb
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gloussa, méprisant :— Leur faut même l’égalité, maintenan
aux fumelles, à ce qu’on raconte. Y vont êtrmignons, les gamins, si elles se leabriquent toutes seules à grands coups deringue quelque part. Elles vont plus nouortir que des rachitiques ou que de
diabétiques, des monstres, quoi ! De
hippocampes comme on en trouve que danes mares !
Ratinier accusa cette botte perfidegrimaça, s’enlaidit de plus belle à la vue d
Chérasse installant sur son banc la bouteilld’anis escortée d’un seul verre. Cicisse saisune casserole, puisa de l’eau dans le seau, ldésigna à son vieux camarade :
— Tu peux boire le reste ! C’est bon pouce que t’as.
Cette gentillesse débitée, il se servit uapéritif tassé ras bord, éleva jusqu’à ses yeue breuvage doré, nimbé de gouttes glacées :
— Tu vois, le Glaude. Cette flotte est
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une température de haute précision pour lPernod. Au degré près. Dans tous leurrigos, c’est trop froid, ça te tranche le ventre
Là, ça te coule dans les boyaux comme de lrosée du matin sur les feuilles. Regarde !
Le Glaude, vermillon de désir, regardon tortionnaire tremper ses lèvres dans l
boisson du diable, la devina humectant d
délices toute la langue, puis le palais, puis lgorge, puis tout le total. Le Bombé claqubruyamment du bec, s’exclama :
— Où que tu vas, le Glaude ? T’es encor
brouillé ?Ratinier était rentré en force dans lmaison de Chérasse, en ressortait armé d’uverre, l’emplissait à la va-vite de Pernod ed’eau, le buvait sans respirer. Émerveillé, ’assit pesamment sur le banc aux côtés d
Cicisse et annonça sans transition :— A mon avis, on va prendre un cfit
bout d’averse avant la nuit.
— Ça se pourrait bien. Ça fera pas de ma
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aux jardins. Mais l’en faudrait pas de trop.— Je crois pas que ça risque. Ça v
eulement mouiller la terre.— On se remet une giclée de lait de bouc
e Glaude ? C’est que c’est pas bon de resteur une jambe.
— Ma foi, Cicisse, je commençais à penser. De l’eau comme t’en as une, c’es
comme celle de Lourdes, c’est extra, pour lemaladies.
Cette fois, ils trinquèrent avec gravité. LBombé s’épata contre le dossier du banc :
— On n’est pas malheureux, le Glaude !— Y a pire que nous, Cicisse. Y en a quont tout tordus…
— Y en a qui voient plus clair… Qu’ont leartères qui se tiennent toutes droites commdes poils sur les bras, ou comme depaghetti.
— Tu veux que je te dise, Cicisse ?— Dis-y.
— Le diabète, sûr qu’on peut s’en passer
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C’est pas bien intéressant. Je serai pluamais diabétique. Plus jamais, t’entends ?
Les reins calés au banc, il glissa sepouces sous ses larges bretelles bleuesoupira d’aise à son tour, les yeux au faît
d’un pommier surmonté d’une pie :— T’avais raison, Cicisse, pour tout
’heure : on n’est pas malheureux.
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Chapitre 3.
Aux Gourdiflots, il n’y avait pas que deBourbonnais pure souche mi-rouges mblancs, qui prétendaient s’approprier la terrdes autres ou conserver la leur, commpartout. Il y avait aussi des Belges, deWallons qui répondaient au nom de VaSlembroucke, ce qui prouve qu’il existe de
croisements contre nature n’importe oùmême en Belgique.
Ces Nordiques avaient acquis une grangen ruine dans l’espoir insensé de la retaper
d’y passer un jour leurs vacances. Lepauvres n’y pendraient pas de sitôt lcrémaillère. Pâques, l’août et la Noël levoyaient débarquer, trimer après leurs murbranlants, leurs charpentes vérées comme o
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ne trimait qu’à Cayenne autrefois. Ilarrivaient gras, ne repartaient se reposedans leur pays que plus secs que decorbeaux d’hiver. Du crépuscule du matin celui du soir, on les entendait s’affaireautour de leur bétonnière, scier leurplanches, enfoncer leurs clous, claquer de laloche, pousser des cris de gueuze lambi
dès qu’ils s’écrasaient un doigt. Ils avaieneux-mêmes réparé leur puits, une de leurpetites filles s’y était noyée ou presqueDurant leurs saisons en enfer, les Va
Slembroucke vivaient sous la tente et ne snourrissaient que de racines. La grangeachetée une bouchée de frites, leur coûteraiune fois remise debout, le prix d’une maisoneuve avec piscine.
Ces forcenés de la résidence secondairntéressaient les habitants des Gourdiflots
Les soirs d’été, on se rendait en promenadusqu’à la grange pour saouler de conseil
contradictoires les malheureux propriétaires
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ravaux duraient depuis trois ans sanrésultat notable quand, un matin d’avril, lGlaude dit au Bombé :
— Les Belges doivent être là. En allant ait, j’ai entendu passer leur auto.
— C’est Pâques, ils viennent faire lebagnards. Moi, je dis qu’en voilà des, s’ilaiment la misère, y sont pas malheureux
C’est comme si je me mettais à réparer mooit ! A la place des tuiles qui manquaien’ai attaché avec du fil de fer un couvercle dessiveuse, ça tient solide.
— Le jour où t’auras que des couverclede lessiveuse sur ton pignon, ça fera quanmême pas bien joli…
La moue du Bombé signifia qu’il souciait de la joliesse de sa demeure comm
de la sienne propre. Le Glaude se coiffa de scasquette :
— Les Belges, je vais aller leur dirbonjour, qu’ils aillent pas raconter chez eu
que les Français c’est que des sauvages e
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compagnie. Faut être poli avec le monde.Demeuré seul, Chérasse sava
pertinemment qu’il lui faudrait vaquer aardin à des tâches qui pouvaient attendre. I
ramassa son chapeau :— Je t’accompagne, ça me dégourdira le
os.Ils s’engagèrent sur le chemin e
claquant des quatre sabots. Quand il avapris sa retraite, le Glaude avait transporton stock d’invendus aux Gourdiflots. Lui ee Bombé étaient de la sorte chaussés pour l
vie, se fût-elle avérée longuette. Il n’y avaplus qu’eux deux sur toute la commune porter des sabots de bois en toute saison. Oes entendait venir du plus loin sur le
routes. « Fermez la porte de la cave, rigolaiton, voilà les Polonais ! – Serrez vos fillesplaisantait-on, voilà les boucs ! – Attentioncriait-on d’un champ à l’autre, les Indienont sur le sentier de la guerre ! »
Ils passèrent devant le pré où le Jean
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Marie Rubiaux plantait des piquets dclôture, assisté par son fils Antoine.
— Salut bien, Jean-Marie, fit Chérassandis que le Glaude regarda
ostensiblement de l’autre côté.— Salut bien, Cicisse, répond
’interpellé. A quelques pas de là, le Bombé interroge
on compagnon :— Pourquoi déjà, le Glaude, que tu lu
parles plus, au Jean-Marie ?— J’y ai oublié, depuis le temps. Tout c
qu’on sait, c’est qu’on se cause pas, ça nouuffit bien à tous les deux. Ça te changeraiquelque chose, à toi, de lui causer ou pas ?
— Ma foi non, admit Chérasse, quréfléchit avant de reprendre : N’empêche qui on causait à personne… Tiens, si on s
causait pas, toi et moi…— Nous, c’est pas pareil. Ça nou
manquerait, vu qu’on est proches voisins.
Le Bombé réfléchit encore, murmura :
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— Y a de ça. C’est pas pareil. Et puis, y un cochon entre nous.
— Voilà ! approuva Ratinier.Dans leur dos, Jean-Marie et Antoin
’étaient accordé une minute de répit.— Ça fait quand même pitié, ces deu
pauvres misérables, fit le père en un soupir.— Pourquoi donc ? Y sont encore bie
vifs.— Jusqu’au jour où la vermine va leu
omber dessus ! Quand y a pas de femmdans une maison, ça fait rien de propre qu
des chemises sales. Y mangent quoi?De la soupe, du lard, jamais un bifteck, ey boivent jusqu’à rouler par terre, qu’unbonne fois y se relèveront pas. Sans compteque le Glaude, il est méchant comme la gale
— Au fait, pourquoi tu lui causes pas?Jean-Marie s’épongea longuement l
nuque, puis grommela :— C’est entre nous.
Un peu plus loin, le Glaude et le Bomb
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croisèrent l’Amélie Poulangeard qui, en tanque bredine patentée du hameau, ne touchaipas une bille et frisottait du plafonnierL’innocuité de ses divagations permettait es deux fils de la conserver à la maison
Bien qu’elle allumât chaque matin lchauffage central à l’aide d’une torchélectrique, elle parvenait tant bien que mal
éplucher les légumes et à tremper la soupeQuand elle s’efforçait d’écailler le chiencelui-ci s’y opposait et tout rentrait dan’ordre.
Amélie était vêtue de noir à la façon devieilles Bourbonnaises, costume régionaqu’elle égayait fâcheusement d’une capelinrose pêchée dans une malle. Elle leva lebras au ciel à la vue de ce qu’elle prenaipour deux jeunes conscrits plutôt gaillardde leur personne.
— Faut bien qu’on tombe sur l’autrextravagante, geignit le Glaude. Des engin
pareils, ça serait-y pas mieux harnaché d’un
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camisole?— Mon Glaude, couinait-elle déjà, mo
cfitit Glaude ! Viens là que je te bise !Le Glaude outré l’écartait des deux bras :— Ça, vieille, tu me biseras pas !Il ajoutait, se tapant inélégamment su
es fesses :— Si tu veux biser de la viande, t’as qu’
biser celle-là !L’innocente pouffa, deux doigts dans l
nez :— Tu seras bien toujours aussi canaille
mon cfitit Glaude ! Quand est-ce que tprendras un petit peu de raison ? Marche, ’armée, ils te dresseront !
— C’est ça, l’Amélie, c’est ça. J’y pars dandeux mois.
Confuse, elle piailla :— Mais je te demande pas de nouvelle
de la Francine ! Comment donc qu’elle va, lolie?
— Très bien, très bien.
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— Tant mieux, tant mieux ! Tu lui diraque j’irai la voir demain avec un bout de tartpour ses vingt ans.
— J’y manquerai pas.Ils pressèrent le pas, et la poussiv
mélie dut lâcher ses proies. Pour sconsoler de cette perte, elle retroussa secotillons et se prit à exécuter quelque
igures de polka qui mirent sur l’aile deucorbeaux éberlués.
Depuis l’aube, les Van Slembrouckgâchaient plâtre, ciment, mortier
’affairaient autour de leur grange ainsi qudes fourmis dans un pot de confituresPerché sur une échelle, Van Slembrouckpère alerta sa femme, ses deux garçons dquinze et quatorze ans, ses deux filles de diet douze :
— Voilà M. Ratinier et M. Chérasse quviennent nous voir ! Soyez aimables aveeux, qu’ils n’aillent pas dire que les Belges n
ont que des sauvages. Et ne leur parlez pa
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du Paris-Roubaix que nous gagnons chaquannée, les Français sont chauvins, et celeur ferait de la peine.
Après les bienvenues et les salutationd’usage, le Glaude et Cicisse s’assirenessoufflés, sur deux des pliants que leurhôtes offraient aux visiteurs, admirateurs ecritiques de leurs travaux. La plus jeune de
illettes leur apporta bientôt deux verres drouge. On connaissait l’aversion de ces vieupaysans du Centre pour la bière, fût-elle derappistes, qui n’était selon eux que d
« pissat de bourri ».— T’es bien gentille, ma petite filleremercia le Glaude qui s’enquit, par purpolitesse car il s’en fichait, de ce qu’elle feraquand elle serait grande.
Elle les considéra durement, tenant evrac tous les Français pour responsables don infortune :
— Je prendrai des vacances, depuis l
emps que j’en ai pas eu à cause de cett
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Le Glaude plongea un œil mélancoliqudans son verre vide :
— Tiens, ça me fatigue de les voir faireOn devient fainéants, en vieillissant.
— Mon gars, on en a fait notre part. Toi emoi, de dix à soixante-cinq, on s’est crevé lpaillasse comme des bœufs de labour, paous les temps. Encore, toi, t’étais abrité pou
ailler tes galoches. Moi, des jours, j’étaidans la flotte jusqu’aux enjoliveurs, à mpréparer les rhumatismes qui m’agacenmaintenant.
— Je dis pas non, mais ton boulot c’étapas un travail d’artiste. Les tarières, lalonnière et le reste, fallait s’en servi
comme d’une jeune mariée pour sortiquatre paires de sabots par jour sans aide dmachine. Toi, t’avais pas besoin de tête, ni ddoigts de pianiste, pour creuser tes trous.
Courroucé, le Bombé se dressarenversant son pliant :
— Qu’est-ce que tu me les brises avec te
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mettre un terme à cette ébauche de guerrcivile. Les coqs gaulois opéraient dmenaçants mouvements tournants, prêts e déchirer de leurs ergots. Un cri les calmout net, poussé par une des filles, au bou
du chemin :— Les Allemands ! Les Allemands !Une caravane gris métallisé passait ave
enteur, et tous purent voir sur son arrièreau-dessus d’une plaque d’immatriculatioqui n’était pas d’ici, la lettre D révélant snationalité.
Van Slembroucke morigéna son enfant :— Tu nous as fait peur, Marieke. On ncrie pas : « Les Allemands ! Le
llemands ! », ça rappelle de mauvaiouvenirs à tout le monde. On dit : dellemands. Comme on dit des Japonais, deméricains.
— N’empêche, fit le Bombé erechaussant posément ses sabots, que je m
demande ce qu’ils viennent trafiquer par là
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ces fridolins. Qui que t’en dis, mon vieuGlaude, toi qu’ils ont martyrisé pendant cinans?
— Y sont peut-être perdus.— Alors, conclut Chérasse, c’est pas un
grosse perte.Riquet, douze ans, le fils d’Antoin
Rubiaux, rentra chez lui en courant. Sa mèr
et sa grand-mère étaient au marché Jaligny. Il n’y avait dans la salle communmeublée en plastique bleu ciel que searrière-grands-parents, la Marguerite et l
Blaise. Le père Blaise, quatre-vingt-cinq anse bonnet de nuit à pompon sur la tête, gisaià du matin au soir sur une chaise longue
drapé dans des couvertures, fumant depipes et buvant des tisanes qu’on luaromatisait de goutte de prune puisqu’il npouvait soi-disant les digérer autrement. Iavait bien fallu céder aux caprices d’ancêtre. Quoique à demi paralysé, il étai
encore fort capable de se traîner sur l
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rouge de cheveux qui conduisait. Il y étadéjà venu pour les acheter devant le notairemais il les retrouvait plus. J’y ai montré lroute.
— Et alors ? bougonna le Blaise aprè’être enfourné dans la bouche le râtelier qu
dans un verre à portée de sa main, jouait lepoissons de celluloïd. Y a pas de quoi couri
pour attraper un chaud-refroidi.Ce fut là que le jeune Riquet triompha :— Ah ! y a pas de quoi ! Tu vas y voir, si
a pas de quoi ! Tu sais ce qu’il est, le gro
bonhomme rouge, et sa bonne femme, eeurs enfants ? C’est des Allemands ! C’esmarqué sur leur caravane et ils ont un drôld’accent comme s’ils avaient une patatentre les dents.
— Des Allemands ? Des boches bredouilla le Blaise en se dressant sur soéant, des pruscos ?
— Apaise-toi, mon Blaise, intervint l
Marguerite.
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Il avait rejeté ses couvertures et, ecaleçon long et en gilet de flanelle, sautaur le carreau, clopinait vers l’escalier qu
menait au sous-sol.— M’en fous, de ta tension ! Rubiaux fer
on devoir jusqu’au bout ! Y a pas d’âge poumourir en héros ! Pas d’heure pour lebraves ! C’est pour la France ! Le temps d
décrocher le 12, et on va te leur envoyer de lumée, à ces batraciens !
La Marguerite tenta de l’intercepterreçut une calotte qui l’envoya s’aplatir contr
a cloison.— Arrière, les civils ! Venez paencombrer la Voie Sacrée !
Enchanté par les catastrophes qu’il venade provoquer en chaîne ininterrompueRiquet suivit le vétéran, un peu estomaqumalgré tout par l’agilité qu’il déployait dana fureur, lui qui prétendait hier encore n
pas pouvoir couper tout seul son escalope.
— Tu vas y voir, mon garçon, fulminai
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’indomptable en se coiffant de son casqubleu horizon de la guerre de 14 qui pendait un clou et en ceignant la cartouchière de sopetit-fils Antoine à même son caleçon longu vas y voir, ce que c’est qu’un médaill
militaire avec palmes, qu’un ancien deEparges, qu’un rescapé de l’Homme-Mort Moi vivant, mort aux boches !
— T’as raison, mon pépé, jubila Riquequ’enthousiasmait la suite des opérationsaut en faire que de la viande de boucherie !
— Ça, z’auront du boudin ! L’auron
voulu ! Attrape-moi ce lebel !Empressé, le gamin lui tendit le fusil dchasse de son père. L’ancien combattan’ouvrit, y introduisit deux cartouches
referma d’un coup sec la culasse, partit eboitillant sur un chemin frère de celui deDames (Aisne).
Karl Schopenhauer, ingénieur à Stuttgarétendait les bras, englobant toutes le
ieilles Étables en un geste de conquérant :
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boire tous les jours pendant les vacances !Obéissante, Frida Schopenhauer ouvr
es portes de la caravane, déplia une table dcamping, sortit une bouteille de la glacièrpendant que son mari cherchait des coupeen criant :
— Bertha ! Frantz ! Venez ! Ça s’arrose On va boire à la France ! Pas à la France sou
a botte ! A la France sous l’espadrille !Blaise Rubiaux rampait dans un cham
de luzerne en direction du bivouac ennemi.— Ça, vieux, gronda-t-il en prêtan
’oreille, le gosse s’est pas trompé ! Cettvoix-là, c’est du boche pur porc, tel qu’on entendait causer dans les tranchées. Causemon lapin, cause, tu vas pas tarder à causeau Kaiser, vu que tu vas aller le retrouver, ee Kronprinz avec !
Il reprit haleine, car il rampait quanmême moins vite qu’en 1917. A cinquantmètres de lui, le bouchon de champagn
explosa.
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— Les fumiers, maugréa le patriarche, ilnous ont déjà repérés, les amis !
Ragaillardi, guilleret, bavant d’aise suon bouc, le poilu serra la crosse du fus
contre son épaule, visa les ombres qu’agitaient autour de la caravane, appuya sua détente. La détonation l’emplit de c
bonheur monstrueux qu’il pensait à jamai
disparu dans la nuit de sa jeunesse. Alors qu’il la levait, la coupe de Kar
Schopenhauer éclata en poussière. Pabonheur, la famille était à peu près à l’abri d
on véhicule, que cingla avec bruit la rafalde plombs qui, par chance encore, n’étaienque du numéro 10, Antoine Rubiaux nchassant plus guère que le gai rossignol et lmerle moqueur.
— Mein Gott ! piaula Frida, on nous tirdessus !
— Sakrament ! fit Schopenhauer, c’est uchasseur qui ne nous a pas vus !
Il brailla en français :
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— Monsieur le chazeur ! Achtungttention ! Il y a tu monte ! On n’est bas de
pertrix !Il n’obtint pour toute réponse qu’u
econd coup de feu. Cette fois, les Allemand’égaillèrent, coururent se tapir dans le
décombres des Vieilles Étables.— Les cochons ! rouspéta le Blaise e
progressant sur les coudes, z’ont pachangé ! Toujours aussi lâches ! Ça viole lebonnes femmes, ça coupe les mains aucfitits gars, mais ça se carapate devant le
hommes !Mot qu’il prononçait « hoummes »comme tout Bourbonnais bourbonnant. Lorcené rechargea son calibre 12, fit encoreu par deux fois.
— Au zegours ! Au zegours ! hurlèrent lellemands à pleins poumons.
Tous les Van Slembroucke se tournèrennterdits, vers le Glaude et Cicisse :
— Vous avez entendu, balbutia le père, o
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appelle au secours et on tire des coups dusil ! Il est de notre devoir de nous rendrur les lieux du crime, car c’est sûrement u
crime.— J’y comprends ben rien, marmonna l
Glaude stupéfait, y a jamais eu d’assassinpar chez nous.
— Il suffit d’une fois, monsieur Ratinier
llons-y tous ensemble.Les autocfitones emboîtèrent le pas au
Belges, rejoignirent au bout du chemin ledeux Rubiaux et l’Amélie Poulangeard qui s
hâtaient comme eux vers les Vieilles Étables la course, Riquet venait à leur rencontrecriait :
— Papa ! Papa ! C’est le pépé ! Antoine Rubiaux pâlit :— Le pépé? Qu’est-ce qu’il fait, le pépé
l tire sur la mémée ?— Non. Il a pris son casque et ton fus
pour aller tuer les Allemands.
— Les Allemands ? fit Jean-Marie ahur
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quels Allemands ? Y a longtemps qu’y en plus.
— Quand y en a plus, y en a encore, faucroire, dit le Bombé pour dire quelque chose
Pendant que Riquet expliquait lituation en quelques mots, Améli
Poulangeard battait des mains eroucoulant, ravie :
Les boches, les boches, c’est des guignols Faut leur couper les roubignolles !— Ferme donc ça, pauvre idiote, gueul
Jean-Marie. Si le père en assaisonne un, çva faire des ennuis affreux. Deemmerdations pires qu’un plein tombereade fumier dans la salle à manger !
Pour l’embêter encore davantage, lGlaude proféra :
— L’a pas tous les torts, le Blaise Pourquoi aussi que les uhlans viennent lprovoquer sous ses fenêtres !
Jean-Marie se contint pour ne pas lu
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adresser la parole le premier. Comme ilapprochaient du pré d’où venaient d’éclatedeux nouveaux coups de fusil, l’Estafettbleue de la gendarmerie arriva à leuhauteur. Le brigadier Coussinet et troigendarmes en descendirent précipitammenLe gradé s’adressa à Jean-Marie :
— Votre mère nous a téléphoné. Il n’
ouché personne, au moins ?— Ça, j’en sais rien.— Il a que des cartouches de 10, précis
ntoine.
— C’est déjà moins sérieux que dechevrotines, mais quand même, quellhistoire ! Où est-il ?
— Je le vois ! piailla Riquet grimpé sur lcapot de l’Estafette. Il est à vingt mètres de lcaravane, juste à côté du pommier.
En se dressant sur la pointe des pieds, lpublic aperçut enfin, rampant dans l’herbees taches blanches du gilet de flanelle et d
caleçon long.
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— Monsieur Rubiaux ! tonna le brigadierendez-vous !
— Papa ! beugla Jean-Marie, arrête teconneries !
— Connerie toi-même! riposta, là-bas, lBlaise.
— Au zegours ! Au ze gours ! répliquèrenen écho les voix angoissées des invisible
Schopenhauer.— Blaise ! Mon Blaise ! couina l
Marguerite qui trottinait pour recoller apeloton.
« Ta gueule, la mère », fut la réponsointaine de son mari, suivie par undétonation. On entendit les plombs fouailleencore la caravane, ce qui mit un comble à lureur de Jean-Marie :
— Vieux bandit, c’est pas toi qui vas payer les dégâts que tu fais ! Cette fois, y pas, je vais aller te chercher par la peau dcul !
Il enjamba les barbelés de la clôture
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courut dans le pré. Blaise fit volte-faceépaula, lâcha son deuxième coup en hurlant
— Approche pas, collaborateur !Les projectiles sifflèrent sur la gauche d
Jean-Marie qui jugea plus prudent de battren retraite à toutes jambes. On en concludans l’assistance qu’il n’était pas mort. Mail était blême :
— Le criminel ! Tirer sur son fils ! Il a domber fou, à force de faire de la chaisongue !
Antoine défendit malgré tout son grand
père :— Il t’a pas visé. C’était pour te faire peur— M’en faudrait plus ! bougonna Jean
Marie, ce qui lui valut un regard ironique dGlaude, qu’il encaissa sans sourciller pour npas aggraver le cas dramatique posé par samille.
Un des gendarmes s’adressa à soupérieur :
— Qu’est-ce qu’on fait, chef ?
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— Quoi, qu’est-ce qu’on fait ?— On pourrait tirer, nous aussi.Le brigadier Coussinet s’étrangla :— Tirer ?— En l’air, pour l’effrayer.— En l’air ! En l’air ! Et lui coller u
pruneau en pleine tête, comme d’habitude lors là, Michalon, avec une bavure de cett
aille-là, on se retrouve tous mutés eGuyane, chez les nègres ! Si ça vous amusepas moi. Je vois ça d’ici : « Des gendarmeabattent comme un chien un ancie
combattant de quatre-vingt-cinq ans ! »Ses subordonnés frémirent l’un aprè’autre, selon leur vivacité d’esprit. Le Bomb
grommela :— Le Glaude a raison. On l’a chatouillé, l
Blaise. S’il descend un ou deux frisés, ça serde la faute aux autorités qui les laissent nouenvahir comme en 40. En 14, c’étairecommandé de tout y massacrer
aujourd’hui c’est défendu, comment voulez
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vous qu’il s’y retrouve, le père Rubiaux ?Coussinet l’interrompit sèchement :— On ne vous demande rien, monsieu
Chérasse.— Je vous ferai remarquer, brigadier…— Que vous sentez le vin, comme tous le
ours ? Je m’en étais rendu compte. Taisezvous.
Il lui tourna le dos, s’adressa à Antoine :— Si j’ai bien compris, votre grand-père
votre cartouchière. Il y avait combien dcartouches, dedans ?
Antoine réfléchit, puis lâcha :— Dix ou douze. Sûr pas plus. Il en a déjbrûlé huit, d’après ce qu’on a entendu.
— Alors, on va attendre qu’il tire le restel n’y a que ça à faire.
Auprès de Ratinier, Cicisse marmonnaie cœur gros :
— T’as vu comment qu’y m’a causé’autre ours ? M’a quasiment traité d
poivrot ! Je m’en vais te lui prouver l
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victimes de l’affaire Dominici.— C’était des Anglais, fit son mari pour l
rasséréner.Caché derrière une poutre, son fil
aperçut dans les herbes le fantôme du foqui les mitraillait. Il ramassa des cailloux, eenvoya une poignée à toute volée sur lpectre. Trois pierres crépitèrent à la file su
e casque de l’assaillant.— Les grenades ! rugit le Blaise en vidan
on fusil dans la direction du jeune Frantz.Celui-ci n’eut que le loisir de plonge
dans la poussière du fenil pour échapper à lgrenaille.— Douze, compta Antoine, ça doit êtr
bon.— Restez là, ordonna le brigadier, c’es
notre métier à nous, d’exposer notre vie. Pae vôtre.
Il pénétra dans le pré, suivi de ses troihommes déployés en tirailleurs. Le vieu
Blaise s’était levé, prêt à en découdre à l
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baïonnette s’il en avait possédé une, quand aperçut les gendarmes. Hilare, il retira socasque, l’agita gaiement au-dessus de sête :
— Cré bon Dieu, v’là les renforts ! Vouombez à pic, les gars ! Ici, le 42
d’infanterie ! Douaumont ! Vive Pétain ! VivClemenceau ! Sus aux Prussiens !
— Ne le touchez surtout pas, soufflCoussinet à ses subordonnés avant de lanceà voix haute : Bonjour, monsieur Rubiaux
ous allez attraper froid, à galoper dans l
rosée.— M’en fous, du froid, proféra aveuperbe le gros de l’armée des Gourdiflotsaut les déloger de là, les boches !
— Ils se sont repliés, monsieur RubiauxOn les a vus qui fuyaient en désordre sur lroute de Jaligny.
Décontenancé, le vieillard lâcha soarme :
— Les trouillards ! Z’étaient pourtan
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upérieurs en nombre, comme d’habitudeZ’ont vraiment pas changé du tout, lebourriques !
Tous les Rubiaux, tous les VaSlembroucke, le Glaude, Cicisse et l’AméliPoulangeard s’approchaient, cernaienbientôt le valeureux troupier. Jean-Marie ndécolérait pas :
— Je sais pas ce qui me retient de toutre des calottes, espèce de polichinelle
Et referme donc ta braguette, on voit ta croide guerre !
Le Blaise murmura, un peu las :— Ce n’est rien, Jean-Marie. C’était lmoindre des choses. J’ai fait que mon devoir
On comprit alors qu’il ne comprenait plurès bien ce qu’on pouvait lui raconterntoine et Marguerite le prirent chacun pa
un bras, le ramenèrent avec douceur à lmaison tout en lui promettant gentiment uverre de goutte pour prix de ses exploits.
— Messieurs les Allemands, s’écri
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Coussinet, vous pouvez sortir, il n’y a plus ddanger !
Abasourdis, les Schopenhauer smontrèrent, les uns après les autres. Lbrigadier leur exposa l’affaire.
— Ach, gloussa l’ingénieur, che fois, chois ! Nous afons été attaqués par un fieu
prafe ! Ricolo ! Très ricolo !
— Votre caravane a subi quelques dégâtsSi vous voulez constater…
— Laichez cha, che fous en brie. Lcarafane, ch’est rien. Che fais bas me mettr
mal afec tes pons foisins bour chi beu.Jean-Marie respira mieux, promit auSchopenhauer un poulet qui leur feraoublier l’étrange bienvenue que leur avaiouhaitée son père.
— Che fous tis que c’était très ricolo ! Och’est pien amusés, bas vrai, les envants ?
Les enfants, un peu pincés, econvinrent, quoique interloqués par la vu
de l’Amélie Poulangeard qui exécutait
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donne des idées d’enterrement ? Tu veux qu’allume l’ampoule du dehors ?
— Non. Pas la peine de gaspiller lumière. Et puis, les papillons tomberon
dans les verres.Par cette douce soirée de printemps, il
étaient assis côte à côte sur le banc dChérasse, tout juste séparés par l’épaisseu
d’un litre. Le ciel était d’un beau bleu nuit, el y avait autant d’étoiles là-dedans que dettres dans un bouillon gras. Souvent, avan
d’aller au lit, ils prenaient le frais ainsi, e
bavardaient ou se taisaient une heure, le nebraqué vers la lune, sirotant avecomponction leur canon, insoucieux dezigzags des chauves-souris de feutreattentifs aux soupirs, aux feulementnocturnes d’une campagne qui ne parvenapas à trouver le sommeil et se retournait sua couche.
Une carne de chien, celui du domaine d
Grasses-Vaches, appelait à tue-tête cett
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carne de chienne du Pré-Rouge, qui luexpliquait sur le mode lugubre qu’elle serabien venue si elle n’avait pas été à l’attacheDeux phares d’auto, clignotant tout là-bascherchaient à la lampe électrique une routqu’ils avaient sans doute perdue.
Le Glaude qui se roulait une cigarettdepuis un bon moment battit enfin l
briquet, éclaboussant de lueur toute lcompagnie. Rentrés dans l’ombre, il’entendirent boire une gorgée de vinavourant leur plaisir en sybarites éprouvés.
Le Glaude reprit :— Faut pas qu’on se plaigne, le Bombé.— Mais je me plains pas !— Si le cimetière te dit rien, et là-dessu
e suis bien d’accord avec toi, pense qu’il y pire encore et qu’on pourrait se pourrir ’asile au lieu d’être dans nos maisons
nous, qui sont peut-être pas le château dJaligny, mais où qu’on peut dire merde
n’importe qui.
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— Cré bon Dieu de vieille charogne, t’aun pot de chambre de cassé dans le ventre !
Flatté, le Bombé commenta sa prouesse — J’ai mangé des pois à midi.— C’est donc ça…— Des Saint-Fiacre. J’en ai ramassé gros
gros, l’an passé.— Ça promet !
— Pas un charançon !— C’est vrai que ça sent pas l’insecte.Le Glaude mijotait sa revanche, puissan
et concentré, ne pensant plus même à tire
ur sa cigarette. L’air retrouvait peu à peu spureté virgilienne quand, des entraillesinon de la terre, du moins de celles d’ancien sabotier jaillit un ululement qu
n’avait rien d’humain. C’était si déchirant, spoignant aussi que le Bombé en sursauta sue banc. Ratinier triompha, hilare, après l
couac subtil de la dernière note :— Ho, l’ami ! Qu’est-ce que t’en dis, d
celui-là ? Y faisait bien un kilomètre, u
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kilomètre et demi de long, non ?— Pas loin, admit Cicisse beau joueur. O
e demande où que tu vas chercher tout ça.— Lard aux lentilles, expliqua le maestr
ur un ton professoral. Y a pas mieux pour lonorité. Ça fait cuivre.
Enfumé comme un blaireau dans soerrier, le Bombé se dressa sur ses pieds.
— C’est pas tenable, avoua-t-il, je vaprendre l’accordéon, ça fera un peu de briseavec les soufflets.
Il revint, l’objet en sautoir, vida son verr
avant d’attaquer La Valse brunechantonnant au refrain : C’est la valse brun des chevaliers de la lune / que la lumièrmportune… de sa voix aigre de vinaigre d
vin. Encore tout ballonné de rires, le Glaude calma, se laissa étreindre et chavirer pa
cette belle musique de ses belles années.— Ah ! celle-là, rêva-t-il, je l’ai tourné
des fois, avec la Francine ! Légère comm
une libellule, qu’elle était, la pauvre cfitit
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enfant, quand on dansait pour la SaintHippolyte, pour la Saint-Pierre, pour lBonne Dame, partout où qu’y avait de la fêtet du bal !… Maintenant, mon Cicisse, y plus de valse brune, y a plus que deux vieuchevaliers cons comme la lune sous la lune…
Chérasse grogna :— Tu vas pas te mettre à pleurer, espèc
de chimpanzé ! C’est le printemps qui trifouille ?
Ratinier renifla en rallumant sa cigarettece qui lui grilla quelques poils d
moustache :— Des fois, elle me manque, la FrancineQu’est-ce que tu veux, les femmes, c’est dechoses qu’arrivent qu’aux vivants…
— Ça, c’était une bonne voisine, reconnue Bombé. Mais ça la fera pas revenir qu
d’en parler. Si t’as le zibbour[2]
ce soir, c’esparce que tu bois rien. T’as à peine séch
deux canons. Tu rechignes, le père ?
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— T’as raison ! Remets un peu de bouletdans la chaudière !
Cette fois, ils finirent le litre sanménagement pour dissiper cette vague dneurasthénie qui leur tombait sur leépaules. C’était lors de soirées semblableque, très loin de la terre et sous les astres, ile grisaient le plus, n’ayant, le plein de l’âm
ait, que quelques pas incertains à titubepour regagner leur domicile. Ceux-là qui leugeaient durement ne savaient rien de l’âge
de la fin à l’affût comme un chasseur dan
es fourrés. Ceux-là ignoraient tout de cedeux solitudes qu’effarouchait le brucroissant d’un monde qui les quittait sans uregard. Ceux-là ronflaient auprès de leurconjoints et de leurs radiateurs.
Consolé, le Glaude fixa, là-haut, lbrouillon des planètes et autres ingrédients
— C’est pas mal, les étoiles.— Oui, c’est bien foutu.
— Paraît qu’y en a des cents et des mille.
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— Tais-toi voir !…Le Bombé avait sans crier gar
nterrompu cette digression astronomique eyrique par un atroce pet, les mains crispéeur les genoux pour l’expulser avec u
maximum de force. Non, ce n’était pas « LBal » de la Symphonie fantastique. Plutôt lrompette bouchée de Bubber Miley, l’un de
créateurs de la sourdine « ouah ouah », dane Creole Love Call de la version originale d927. Cette exécution magistrale arracha de
cris d’enthousiasme au Glaude :
— Joli ! Joli ! Ça mériterait d’être gardpour y passer sur un phono !Enchanté de ses effets, Chérasse couru
quérir un autre litre et, les accus rechargésnos deux mélomanes se surpassèrent ’intention des seuls astéroïdes, déchiffran
des partitions inconnues, égrenant des soonitruants égayés de duos moelleux
voltigeant du basson au tuba, du grave
’aigu, du plaisant au sévère. Jamais les deu
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artistes n’avaient connu semblable conditiophysique, n’avaient participé à un tel festivade Bayreuth, n’avaient improvisé dans unaussi brillante jam-session.
Angoissé pour des riens, Bonnot s’étairéfugié dans un arbre. Dans leurs confins, lechiens inquiets avaient réintégré leur nichea queue entre les pattes.
Ce ne fut qu’aux approches de vingt-deuheures que les éclats de ces paquebotentrechoqués déclinèrent, puis que cegrandes voix se turent.
— Ben mon frère, s’exclama le Bombdans la sérénité retrouvée du soir de mai, tveux que je t’y dise ? Ça, ça prouve qu’on’est pas morts !
— J’ai jamais tant rigolé ! l’approuva lGlaude.
Ils s’essuyaient les yeux, malades de rirels ne renoncèrent à leur sabbat que sur u
ultime essai décevant. Eux qui ne s
aissaient jamais aller à des manifestation
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Le vent s’enfla, et les chouettes quentraient et sortaient comme dans umoulin du grenier s’y terrèrent, la tête soues deux ailes. Le chat n’était pas dans l
maison, ayant refusé de la regagner ’instant du coucher, comme cela s
produisait parfois durant ses périodes dgalanterie débridée.
Le bonnet de coton enfoncé sur le crânee Glaude attendit, avant de se tirer le
couvertures jusqu’au cou, que la vieillhorloge se décidât à sonner une fois. A l
ongue, il s’énerva, alluma son briqueconsulta derechef son oignon. Incrédule, pressa pour le coup la poire qui pendouillacontre le mur à son chevet. A la faiblumière de la modeste ampoule préposée a
chiche éclairage de son logis, il vit que smontre indiquait une heure moins deux, toucomme il y avait au moins cinq bonneminutes. Il l’agita près de son oreille
constata avec stupéfaction qu’elle éta
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ainsi nommait-on en patois la souillarde oe tenaient la pierre d’évier, les étagères, le
casseroles et, jadis, le seau d’eau que lFrancine avait remplacé par un robinet. Iavait besoin de se payer un demi-canon drouge pour se réconforter. Il faillit échappea bouteille, la tint serrée contre son cœu
battant.
Par la lucarne grillagée de la bassi, venait d’apercevoir, posé au milieu de sochamp, un objet plus brillant que du chromeune sorte de disque de trois à quatre mètre
de circonférence.— Ça, vieux, bégaya-t-il, diabète ou padiabète, faudra bien y laisser tomber lboisson ! Voilà que tu rêves tout debout !
Il se souvint alors, en une illuminationd’une page d’un La Montagne de l’annédernière consacrée aux soucoupes volanteset fut paradoxalement assez satisfait dpouvoir se dire que les abus de vin n’étaien
du moins pour rien dans cette visio
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antastique. Il se força pour articuler trèort, afin de se rassurer :
— C’est qu’une soucoupe volante, moGlaude ! Paraît que ça a jamais fait de mal personne, les soucoupes, d’après les vieugars qu’en ont vu. Si c’était du mauvais, ça saurait. Ça va, ça vient comme dans une nu
de noces, et ça repart comme c’est venu.
Il ne pouvait malgré tout en détacher seyeux écarquillés, conscient d’assister à unchose qui n’était pas sous le sabot d’ucheval et courait encore moins les rues. Pui
l respira mieux à la pensée que c’était cruc-là qui avait dû détraquer son horloge ea montre et qu’il n’y avait plus, du coup
rien de mécanique là-dessous.Calmé, il se rappela pourquoi il était dan
a bassi et se servit un canon entier au liedu demi promis. Il l’avala d’un trait, revint a soucoupe. Elle était toujours là. Le cano
ne l’avait ni effacée ni dédoublée.
« Je devrais aller chercher le Bombé pou
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qu’il en profite lui aussi, songea-t-il, sans çy va jamais me croire. »
Il entendit alors miauler et gratteurieusement à sa porte. Il alla ouvrir
Bonnot, ne le reconnut pas. Le chat hérissavait triplé de volume, arborait une queue damanoir. Il s’engouffra dans la pièce, s
précipita sous le lit. « Qu’est-ce qui lui fait s
peur à cet ours-là ? », se demanda le Glaudqui avait recouvré tous ses esprits.
Le vent était soudain tombé. Ratinier srisqua au-dehors d’un pas prudent. Il v
alors sur le chemin un bonhomme qui smouvait en se dandinant vers lui. Ubonhomme qui n’était pas du pays. Qu’n’avait en tout cas jamais rencontré, mêmpas au marché. Qui n’était ni petit ni grandQui ressemblait à tout le monde, sauf qu’était habillé en polichinelle dans uncombinaison de couleurs très vives, en jaunet en rouge, était coiffé d’une espèce d
erre-tête d’aviateur de 14, pas présentabl
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en somme pour aller à Vichy ou à Moulinans se faire remarquer.
Le bonhomme tenait dans une main umince tube métallique. De l’autre, il fit uigne à Ratinier, lui présentant sa paume. C
devait être un geste amical. Polimen’ancien sabotier le salua, quoique ce n’éta
guère une heure pour rendre visite aux gens
l comprit alors, étant donné ce manquemenaux bons usages terrestres, que lbonhomme ne pouvait être qu’un Martiequelconque, et que c’était lui le conducteu
de la soucoupe. « Après les Belges et lellemands, se dit le Glaude, y nous manquaiplus que ça ! »
Il ne pouvait quand même padécemment lui claquer la porte au nez. Eoutre, le zigoto l’aurait peut-être mal prismalgré son attitude débonnaire. Ratinier, qun’avait pas été élevé dans une écurie, fit avecourtoisie :
— Bonjour bien, l’ami ! Quoi donc qu
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c’est qui vous amène ?Le Martien était à présent tout près d
Bourbonnais. Mais le côté exceptionnel dcette rencontre historique n’émouvait pas lGlaude, qui en avait vu d’autres pendant lguerre. Il s’impatienta, il commençait prendre froid, en chemise dehors dans lnuit :
— Eh ben, alors, mon vieux ? C’est-y quvous savez pas causer ?
L’autre saisit qu’on l’interrogeait, ouvra bouche. Il en sortit des bruits qu
n’évoquèrent pour Ratinier que le glouglodes dindons dans les cours de fermes. Jamaion n’avait entendu pareil baragoui’échapper du gosier d’un homme ou d’u
humanoïde. D’abord interloqué, le Glaudprit le parti d’en rire, ce qui suspendit leons sur les lèvres de son vis-à-vis :
— De mieux en mieux ! Voilà qu’y parlpas français, c’t’indien-là ! Je me demande c
qu’on vous apprend à l’école, dans le secteu
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ystème pileux, n’avait ni cils ni sourcilsétait sans doute chauve sous sa coiffe. Poue mettre à l’aise, le Glaude rigola.
— Ce te fait une drôle de bobine, mocfitit gars, d’être poilu comme un œuf dpoule. Assis-toi quand même, t’as l’air plubête que méchant, sauf que t’as guère dconversation. Si tu m’y racontes pas, j
aurais ben jamais d’où que tu réchappesvieille denrée, vu qu’y paraît qu’y a pas upèlerin sur la Lune.
L’autre glouglouta encore une rafale d
on charabia. Ratinier écarta les bras pour lumontrer qu’il n’entendait rien à son langagde chapeau chinois. Le Martien comprit, sut, s’intéressa alors à ce qui l’entourait, s
promena dans la pièce en examinant tous leobjets. Tant d’attention toucha le Glauddans son orgueil de propriétaire :
— Eh oui, mon lapin, tout ça, c’est à moiT’as beau venir de plus loin que la Russie, ç
’en bouche un coin de voir toutes ces belle
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choses, pas vrai ? Ça, c’est mon blaireau emon rasoir. Ça, c’est le calendrier des P.T.TCe bateau en plâtre, c’est un souvenir qu’ucousin nous a envoyé dans le temps. Youche pas, malheureux, ça vaut des sous
Et va pas foutre ton pied dans le pot dchambre, que ça ferait du joli boulot !
Le Martien tomba en arrêt devant une d
ces douilles d’obus que les soldats de 14-1ciselaient et transformaient en vases à fleursCaptivé, il la prit dans ses mains, la gratta d’ongle sans prendre garde évidemment au
commentaires du Glaude qui ne pouva’empêcher de bavarder, fût-ce dans le vide :— Ça vient de mon oncle Baptiste qu’es
mort depuis. Pas à la guerre mais d’un salrhume qu’il avait pas soigné.
Le Martien reposa enfin la douille noans l’avoir considérée sous tous ses aspects
Rien, dans son tour d’horizon, ne le fascinautant que ce vase, pas même la paire d
abots que le Glaude lui agita sous le ne
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pour qu’il en admirât de plus près le galbe ea finition. Leur créateur en fut un brin vexé
— T’as beau rien y connaître, espèce ddenrée, tu pourrais y reluquer un peu mieuau lieu de soupeser une heure une douilld’obus. Le travail du bois et cecouillonnades-là, c’est le jour et la nuit !
Il sursauta, ce qui fit sursauter l’étrange
Le Bombé braillait au-dehors, encore loin da maison :
— Le Glaude ! Le Glaude ! Lève-toi iens voir ! Y a une soucoupe dans to
champ !Le Martien lut l’embarras dans le regarde son hôte, comprit qu’il allait être victimd’une rencontre imprévue. Il se jeta sur lporte, l’ouvrit, brandit son petit tube dans ldirection des cris, et ceux-ci cessèrent tounet.
— Qui que t’as fait, la denrée, glapRatinier, qui que t’as fait comme malheur !
Il alluma la lampe extérieure, bouscul
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« la denrée », coula un œil craintif sur lchemin. A une portée de fusil de là, ecaleçon long et en chemise à carreauravaudée de partout, le Bombé était figé upied en l’air à la façon du génie de la Bastillea bouche arrondie sur un coup de gueul
congelé au ras des lèvres. Ratinier horrifié smit à trembloter, se retourna d’un bloc ver
’inconnu :— Tu me l’as tué, vieux bon Die
d’assassin ! T’as massacré mon meilleuami !
La colère, le chagrin du vieux, étaient sexplicites que le Martien s’empressa ddissiper sa méprise. Il porta sa main à soue, inclina la tête pour mimer le sommei
Pour encore mieux illustrer son propos, il smit à ronfler bruyamment. Le Glaudcomprit, se détendit, aspira, soupira, respira
— Ah ! tu me l’as endormi, le Bombé Fallait le dire ! J’aime mieux ça ! Il a un
drôle de dégaine, le pauvre Cicisse, quand
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gestes, il s’efforça de s’enquérir auprès de lDenrée des raisons de sa venue ici, ldésignant, désignant l’endroit où se tenait loucoupe, se désignant lui-même e
répétant :— Pourquoi ? Pourquoi que t’es là et pa
ailleurs ? Pourquoi chez moi ? Pourquomoi ?
Attentif, la Denrée suivait toute cettdémonstration et, comprenant qu’il avaquelque chose à comprendre, la comprienfin. Après avoir égrené quelques-uns d
es borborygmes, il plaqua sur la table uobjet que le Glaude n’avait pas encoraperçu, un petit boîtier carré muni dboutons et de cadrans sans aiguilles nchiffres, où seules palpitaient des lueurvertes qui troublèrent Ratinier parce qu’oaurait pu les croire comme vivantes.
— Qui que c’est encore que cet outqu’on dirait qu’il y a du monde dedans
maugréa-t-il. Qui que tu vas encore m
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Ratinier.Satisfait, la Denrée lui montra le boîtie
qui venait encore de lancer un pemonstrueux, porta les mains à ses oreillesingea la surprise.
— Ah ! tu nous a écoutés péter de làhaut ! s’exclama le Glaude en l’imitant dgeste. Ben, vous êtes pas sourds, le
Martiens ! Et qui que t’as cru ? Qu’o’appelait ? C’est ça ?
Enchanté qu’on l’eût aussi visiblemenaisi, la Denrée pressa une autre touche d
on instrument, ce qui coupa la parole ’une des fréquentes détonations de cettmémorable séance. Les étranges lueurchangèrent de couleur, virèrent du vert aviolet. Le boîtier demeura silencieux, mais parut au Glaude que le bidule respirait, odu moins que cela y ressemblait.
— On a beau dire, fit Ratinier pour le seuplaisir de parler, mais tout ça c’est plus for
que du roquefort. Si on peut plus péter sou
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Il poussait le verre plein vers la DenréeCelui-ci le prit avec précautions, en renifla lcontenu. Sans qu’on pût lire en lui uentiment quelconque, l’être de l’espac
reposa le verre sur la toile cirée, ce qui tirune grimace amère au Glaude :
— L’aime pas le pinard. C’est bien mveine. On va pas être bien copains, tous le
deux, si tu bois que du coco ou que du jus dchaussettes. Tant pis pour toi, je vas toujourpas y remettre dans la bouteille !
Il siffla la part de son compagnon, se tap
ur le ventre, émit un léger rot qui eut lvertu d’intéresser la Denrée.— Excuse-moi, camarade, encore que ç
paraît t’amuser. Si y a que quand on rote oqu’on pète que ça te dit quelque chose, on vpas causer souvent ! D’abord, le Bombé emoi on pète que dehors, quand on esensemble. A la maison, c’est pas poli. On
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