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K. A. VAHOUA
n°42 Décembre 2017 129-147 130
Le ton grammatical du kpɔkʋgbʋ1, parler kru de Côte d’Ivoire
Kallet Abréam VAHOUA 2
Université Félix Houphouët-Boigny
Résumé: Cet article essaie de mettre en exergue les fonctions grammaticales des tons en
bété, langue kru de côte d’Ivoire. Quand on évoque la question des tons en bété, on
souligne généralement leur valeur lexicale et on ajoute simplement que les morphèmes aspectuels de l’accompli et de l’inaccompli sont des unités tonales. Pourtant, le ton a bien
d’autres valeurs grammaticales dans cette langue. Celles-ci sont d’ordre sémantique,
morphologique, syntaxique et utilisent cinq tonèmes sur les six que compte la langue. Ce sont les quatre tons ponctuels bas /B/, moyen /M/, mi haut /H-/, haut /H/ et le ton modulé
/BM/.
Mots-clés: Ton, aspect, pronom, interrogation, négation
Abstract: This paper is an attempt to highlight the grammatical functions of the tones of
bété, a kru language of Côte d’Ivoire. Each time one brings to light the issue of bété
tones, it’s their lexical value which is generally focused and aspectual morphemes of perfective and imperfective are simply postulated as tonal. However, tones have other
grammatical values in the language which are semantic, morphological and syntactic by
nature. The phonological tones which come into play in this respect are Low /L/, Mid
/M/, Mid-high /H-/ and the Rising tone /LM/.
Key-words: Tone, aspect, pronoun, interrogation, negation
Introduction
Le ton est une unité prosodique en rapport avec les variations de hauteur et de mélodie
qui affectent une syllabe d’un mot dans une langue. Mais une langue est dite tonale quand elle
présente des tons ayant une fonction distinctive. Creissels (1989 : 176) l’explicite justement
en ces termes : « Est une langue à tons, une langue où il est possible d’opérer sur la mélodie
ou la hauteur d’une syllabe des commutations en contexte phonique identique associées de
manière stable à une commutation d’unités significatives. » Mais très souvent, les linguistes et
autres spécialistes des Sciences du langage appréhendent cette « commutation des unités
significatives » essentiellement au plan lexical. Zakari Tchagbalé est au nombre de ces
linguistes. En effet, pour Tchagbalé (1998 : 441) : « Le ton est une entité suprasegmentale
dont l’objet est de distinguer les unités lexicales entre elles » Pourtant, dans de nombreuses
familles linguistiques, les tons présentent, en plus de leurs fonctions lexicales, des fonctions
grammaticales. On peut citer les familles kwa et kru. Dans le groupe kwa, singulièrement en
abidji, Tresbarat et Vick (1992 : 51) soutiennent que « le ton a deux fonctions : l’une
grammaticale, puisqu’il sert à déterminer les différentes dérivations aspecto-modales des
verbes, et l’autre lexicale, cette dernière ne s’appliquant qu’aux mots ayant un ton intrinsèque,
c’est-à-dire aux nominaux et adjectivaux. » Abondant dans le même sens, Marchèse (1983 :
63 ) souligne que « Les tons jouent un rôle principal dans les langues kru puisqu’ils sont
distinctifs au niveau lexical et au niveau grammatical. » Et elle étaye son propos avec des faits
de plusieurs langues. On peut citer le sɛmɛ, langue kru du Burkina Faso, où le morphème du
1 Le signifiant [kpɔkʋgbʋ] est un nom composé issu de l’association de deux noms: /kpɔkʋɾʋ/ et /gbʋ/. /kpɔkʋɾʋ/
(Paccolo, selon l’appellation et l’orthographe de l’administration ivoirienne) est le nom du canton de Gagnoa où
l’idiome [kpɔkʋgbʋ] est utilisé ; et /gbʋ/ veut dire, en Kpokogbo [kpɔkʋgbʋ], parler ou idiome. [kpɔkʋgbʋ]
signifie, littéralement, parler ou langue de /kpɔkʋɾʋ/. Le [kpɔkʋgbʋ], en tant que dialecte bété de Gagnoa, est
donc un parler kru oriental de Côte d’Ivoire d’après la classification des parlers kru proposée par Werle, Hook et
Zogbo en 1977. C’est, par ailleurs, ce même idiome que (Kaye J., Lowenstamm J. et Vergnaud J. R., 1985 et
1988) et (GOPROU, 2010) désignent sous l’appellation de kpokolo. 2 vahouakallet@yahoo.fr
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pluriel est tonal; et le bété, langue kru oriental de Côte d’ivoire, où des marques aspectuelles
sont essentiellement tonales. Effectivement, certains morphèmes aspectuels du bété sont
tonals. Cependant, en bété, les fonctions grammaticales du ton vont nettement au-delà du
système aspectuel. Aussi, cette étude vise-t-elle à décrire les éléments grammaticaux du bété
qui utilisent des marques exclusivement tonales. Cette réflexion, qui s’inscrit dans le cadre de
la linguistique fonctionnelle, examinera effectivement les tons grammaticaux du bété après un
aperçu phonétique et phonologique de ces unités prosodiques.
1. Considérations phonétiques et phonologiques
1.1 Considérations phonétiques
L’inventaire des tons phonétiques du bété permet d’identifier dix unités minimales.
Elles peuvent être observées dans le tableau suivant.
(1)
Réalisations tonales Illustrations
Schématisations Notations
a Bas [B] lù chose
b Moyen [M] wo crier
c Mi haut [H-] gbʋ tas
d Haut [H] su pousser
e Bas Moyen [BM] gba fermer
f Bas Mi haut [BH-] kpacɪjà3 gnangnan4
g Bas H [BH] kʋkʋ taro (esp.)
h Bas Haut Bas [BHB] nokwɤ chrysalide (esp.)
i Moyen Bas [BM] ga désigner
j Haut Bas [HB] sɔdɛ escargot (esp.)
Les dix tons répertoriés peuvent être scindés en deux groupes. Le premier présente des
unités qui restent constantes du début jusqu’à la fin de leur réalisation. Ce sont des tons
ponctuels. Au nombre de quatre, les tons ponctuels du bété sont les tons bas [B], moyen [M],
mi haut [H-] et haut [H]. Dans le second groupe, il y a des unités qui connaissent une
modification au cours de leur réalisation. Ce sont des tons modulés. Les six tons modulés de
cette langue sont le ton bas moyen [BM], le ton bas mi haut [BH-], le ton bas haut [BH], le ton
bas haut bas [BHB], le ton moyen bas [MB] et le ton haut bas [HB].
1.2 Considérations phonologiques
Certaines réalisations tonales répertoriées ont une fonction distinctive et d’autres ne
l’ont pas. En effet, sur les dix tons recensés, seuls six sont des tonèmes. Les paires minimales
consignées dans le tableau ci-dessous le montrent fort bien.
3 La première syllabe de ce mot porte un ton modulé bas mi haut [BH-]. 4 En gastronomie, espèce de petites baies amères utilisées très souvent comme ingrédient d’une sauce.
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(2)
Le ton haut H
kwʌɾa tortue
kwʌɾa champ
tu pleurer
tu exposer
su pousser
sù être chaud
to traverser
to rester
Le ton mi haut H-
kwʌɾa champ
kwʌɾa tortue
pe se coucher
pe chanceler
bɪ empruntes
bɪ fleurs
Le ton moyen M
si sourire si se tendre
tʋ guerre
tʋ envie
gba totem gbà panier
ga faire cuire dans des feuilles
ga désigner
ga faire cuire dans des feuilles
ga éclater
Le ton bas B
sù être chaud su
pousser
gbà panier
gba bagarre
ɟùɟù oiseau (esp.)
ɟuɟù ombre
Le ton moyen bas MB
to rester
to traverser
ko attendre
ko clouer
dɔ uriner
dɔ pêcher
Le ton bas moyen BM
ga éclater
ga faire cuire dans des feuilles
ga éclater
ga désigner
Sur les dix tons répertoriés, six ont, d’après les paires minimales ci-dessous, une fonction
distinctive. Et parmi les six tonèmes du bété, il y a quatre ponctuels; à savoir les tonèmes: /H/,
/H-/, /M/, /B/ et deux modulés: les tonèmes /MB/ et /BM/. On peut donc proposer pour le
système tonologique du bété, le tableau ci-après.
(3)
Exemples Gloses
H ga peut-être
T Ponctuels H- ga canne à sucre
O M ga faire cuire dans des feuilles
N B gà rotin
S Modulés MB ga désigner
BM ga éclater
Si sa fonction distinctive est indéniable, force est de constater que, dans cette langue, le ton
véhicule également des valeurs grammaticales observables à plusieurs niveaux de l’analyse
linguistique. Ce sont les niveaux sémantique, morphosyntaxique et syntaxique.
2. Tons, morphèmes aspectuels
Le système aspectuel du bété est structuré autour de deux aspects: l’inaccompli et
l’accompli ; car, ces deux aspects entrent dans la formation d’autres aspects. Mais, dans cette
langue, l’accompli et l’inaccompli sont, également, les seuls aspects provoquant la variation
morphologique du verbe. Les exemples ci-dessous en donnent un aperçu.
(4a) [lià de na bɔtʋ]
/lià de na bɔtʋ/
/Lia/couper/Inacc/ma/ceinture/
Lia coupe ma ceinture.
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(4b) [lià de5 na bɔtʋ]
/lià de na bɔtʋ/
/Lia/couper/Acc)/ma/ceinture/
Lia a coupé ma ceinture.
(4c) [ɟàkʋ denɪ olje sɪka]
/ɟàkʋ de-nɪ olje sɪka/
/Djako/couper-Dérivatif/Inacc/Olié/riz/
Djako gave olié de riz.
(4a) [ɟàkʋ denɪ olje sɪka]
/ɟàkʋ de-nɪ olje sɪka/
/Djako/couper-Dérivatif/Acc/Olié/riz/
Djako a gavé Olié de riz.
A l’inaccompli, les verbes /de/ couper et /de-nɪ/ gaver ont respectivement les formes
[de] et [denɪ]. A l’accompli, ces formes deviennent, dans le même ordre, [de] et [denɪ].
L’emploi de ces deux verbes à l’inaccompli ou à l’accompli, n’a occasionné aucun
changement au niveau segmental. Dans le plan supra segmental, par contre, les schèmes
tonals [BM] et [BMM] ont donné, respectivement [H-] et [BMM], à l’inaccompli ; et [H-B] et
[BMB], à l’accompli. Mais tous les verbes du bété n’ont pas les structures segmentales et les
schèmes tonals de /de/ couper et de /de-nɪ/ gaver. Comment se présentent alors les
morphèmes de l’inaccompli et de l’accompli dans cette langue ? Pour répondre à cette
interrogation, il y a nécessité d’étudier sinon la morphologie des verbes du bété, du moins
celle des verbes incassables ou lexématiques ; sans toutefois omettre de préciser leurs formes
à l’accompli et à l’inaccompli.
L’examen de la structure tonale des verbes lexématiques permet d’identifier dix
patrons6 tonals. Ce sont les patrons /B/, /M/, /H-/, /H/, /BM/, /MB/, /H-M/, /H-B/, /HM/, et
/HB/. Ces dix patrons tonals présentent dix-huit (18) réalisations de surface ou schèmes
tonals; à savoir les schèmes [B], [M], [MM], [H-], [H-H-], [H], [HH], [BM], [BMM],
[BMMM], [MB], [MBB], [H-M], [H-B], [H-BB], [HM], [HMM], [HB]. Le tableau ci-après
permet de voir la compatibilité entre ces schèmes tonals et les structures segmentales
caractérisant les verbes incassables.
(5) Structures segmentales des verbes simples
CV CVV CVCV CVCVV CVCVCV
Pat
ron
s to
nal
s d
es
ver
bes
inca
ssab
les
B sʌ enlever
M lu vaincre sʋɛ souder sʌrʌ toucher
H- la appeler puo sauver ɓʌɾɪ porter
H ni épouser ɓʋʌ grandir cʌlɪ écrire
BM de couper dʌrʌ glisser jʋjʋa se lamenter pʉlɪtɛ pétrir
MB so envoyer bʋbɔ adorer fʌlɪà offenser
H-M gbɔtɔ taper
H-B ɟiɟo se cacher gbogbùo laisser passer
HM bɪa observer kʌtɪ casser titiri frotter
HB zio s’approcher jigbè s’arrêter
5 Le ton de cette voyelle est H- B et non BH-. 6 Selon Mel (1993), le patron tonal c’est le ou les tons phonologiques ressortissant de la couche tonale - compte
non tenu des modifications de surface - que l’on aura à associer aux positions nucléaires dans le strict respect des
conventions de bonne formation.
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Les verbes simples du bété présentent donc cinq structures segmentales. Ce sont les structures
CV, CVV, CVCV, CVCVV et CVCVCV. Les verbes incassables du bété sont donc des mots
dont la longueur est comprise entre une syllabe et trois syllabes. Et aucune conjugaison
n’entraîne une variation de ces structures segmentales. On peut tout de même relever, à la
suite de Vahoua (2011), les alternances vocaliques [ʌ]/[a] et [ʌ]/[ɛ] qui interviennent quand la
voyelles /ʌ/ est obligée de supporter certains phénomènes prosodiques complexes comme la
modulation tonale, par exemple. Les exemples suivants en donnent un aperçu.
(6a) [ɲɔpɔ pa wasɛ kʋ]
/ɲɔpɔ pʌ wasɛ kʋ/
/Gnôpô/lancer/Acc/Wasset/sur/
Gnôpô a porté main à Wasset.
(6b) [kalɛ ɲɛ zàkèi kotu]
/kalɛ ɲʌ zàkèi kotu]/
/Kallet/offrir/Acc/Zakéhi/vêtement/
Kallet a offert un vêtement à Zakéhi.
A l’accompli, les verbes /pʌ/ lancer et /ɲʌ/ offrir connaissent une variation segmentale et
tonale. Au niveau tonal, le schème [H] devient [H- B] pour les deux verbes. Dans le plan
segmental, Les séquences CV et NV sont restée CV et NV mais avec une alternance
vocalique. La voyelle [ʌ] est, en effet, devenue [a] dans le verbe /pʌ/ et [ɛ] dans le verbe /ɲʌ/.
Pour connaitre les raisons qui sous-tendent l’une des deux variantes de /ʌ/, on peut consulter
Vahoua (2011). Les morphèmes de l’accompli et de l’inaccompli sont donc des unités
exclusivement tonales. Quelles sont-elles ?
L’emploi des verbes incassables bété à l’inaccompli permet de relever les données
tonales consignées dans le tableau ci-dessous.
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(7)
Schème tonal du verbe
à l’infinitif
Schème tonal du verbe
à l’inaccompli
Verbes
monosyllabiques
B
M
M
MB
H-
H-
H
BM
Verbes
dissyllabiques
HB HM
HM
BMM BMM
MM
MM
MB
BB
H-B H-M
H-M
HH
H-H-
H-H-
BM
Verbes
trissyllabiques
MBB MMM
BMM BMM
BMMM BMMM
H-BB H-MM
HMM HMM
Les informations contenues dans ce tableau suscitent deux observations. Elles peuvent être
formulées comme suit:
- A l’inaccompli, les verbes incassables de schèmes tonals [H-], [H], [BM], [HH], [H-H-
] ou [BM] prennent le schème tonal [H-] quand il s’agit de monosyllabes et le schème tonal
[H-H-] quand ce sont des dissyllabes.
- Les verbes simples de schèmes tonals [B], [M], [MB], [HB], [HM], [BMM], [MM],
[MB], [BB], [H-B], [H-M], [MBB], [BMM], [BMM], [H-BB] ou [HMM] prennent un schème
tonal terminé par un ton moyen [M] quand ils sont employés à l’inaccompli.
D’après ces faits et en considérant les travaux de Marchèse (1983), Vahoua (1998 et
2003) et Goprou (2010), on peut proposer, comme marque de l’inaccompli, en bété, un
morphème à deux variantes. Il s’agit du morpho tonème /M/ qui se réalise soit [M] soit [H-]
selon la règle d’allomorphie suivante :
(8) [H-]/ Dans les verbes simples de schèmes tonals [H-], [H], [BM],
[HH], [H-H-] ou [BM]
/M/
[M]/Dans les verbes simples ayant d’autres schèmes tonals
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Le morphème de l’aspect inaccompli est donc une unité exclusivement tonale. Celui
de l’accompli semble fonctionner également de la même façon comme l’indique le tableau ci-
après.
(9)
Schème tonal du verbe
à l’infinitif
Schème tonal du verbe à
l’accompli
Verbes
monosyllabiques
B
B
M
MB
H-
H- B
H
BM
Verbes
dissyllabiques
BMM BMB
HB
HB HM
MB
BB MM
HH
H-B
H-H-
H-M
H-B
BM
Verbes
trissyllabiques
MBB BBB
BMMM BMBB
H-BB H-BB
BMM BMB
HMM
HBB HBB
De ce qui précède, on peut noter que tous les verbes incassables du bété prennent un
schème tonal terminé par un ton bas [B] à l’accompli. On peut donc écrire, en considérant ces
faits, et à la suite de Vahoua (2013) et Goprou (2010) que le morphème de l’aspect accompli
en bété est un ton bas qui se suffixe au verbe. L’accompli et l’inaccompli qui sont deux
aspects essentiels du système aspectuel bété utilisent donc des marques exclusivement
tonales. A l’instar de ces deux morphèmes aspectuels, certains pronoms du bété ont une
forme uniquement tonale.
3. Ton, pronom
Dans cette langue, certains pronoms sujets, objets et résomptifs présentent une forme
tonale.
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3.1 Ton, pronom sujet (injonctif et hortatif)
Il existe, dans cette langue, une série de pronoms utilisée seulement à l’injonctif et à
l’hortatif. Les exemples ci-dessous en présentent quelques occurrences.
(10a) [ɔ nʌ ɪ ji]
/ɔ nʌ ɪ ji/
/3SG/vouloir/1SG/M(Pron. hortatif)/venir/
Il veut que je vienne!
(10b) [ɔ fɔ wʋʋ]
/ɔ fɔ wʋʋ/
/3SG/M(pron. hortatif)/récolter/champignon/
Qu’il récolte du champignon!
(10c) [àɟi sʋ]
/àɟi sʋ/
/Adji/M(Pron. hortatif/faire la moue/
Qu’Adji fasse la moue!
(10d) [wa poɾo]
/wa poɾo/
/3PL/M(Pron. hortatif)/se dépêcher/
Qu’ils se dépêchent!
(10e) [ŋwʉnɪ: ɓɤɾi]
/ŋwʉnɪ ɓɤɾi/
/femmes/M(Pron. hortatif)/chanter/
Que les femmes chantent!
Les exemples en (10) montrent la présence d’un pronom tonal utilisé à l’impératif et à
l’hortatif. Il s’agit d’un ton moyen /M/ qui se suffixe au pronom sujet de l’indicatif et
remplace son ton comme le présentent les exemples (10b) et (10d). Quand le sujet de la
phrase est un nom, le ton moyen cohabite avec le ton de sa dernière syllabe. Les phrases en
(10c) et en (10e) illustrent cette situation. Mais la présence d’une série de pronoms impératifs
ou hortatifs n’est pas spécifique au bété puisque Marchèse (1983) l’avait déjà signalé dans
d’autres langues kru en écrivant que « dans beaucoup de langues situées dans le sud du
groupe occidental, il existe une série spéciale de pronom pour l’injonctif. Les pronoms
consistent en une marque « b-» (provenant sans doute d’une conjonction « que. » Marchèse
(1983: 146), suivie d’un pronom indicatif. » Par ailleurs, en bété, les pronoms tonals
s’observent également dans la position objectale.
3.2 Tons, pronoms objets
La pronominalisation des arguments de la phrase donne trois séries de pronoms
observables dans le tableau ci-dessous, en (11). La première présente des signifiants appelés
‘pronoms sujets’ parce qu’ils n’apparaissent qu’en position sujet. Les unités de la seconde
série sont désignées par l’expression ‘pronoms disjoints’. On peut les observer en position
sujet ou en position objet. Mais quand les pronoms disjoints sont en position sujet, ils doivent
nécessairement précéder les pronoms de la première série car ils ne peuvent occuper tout seuls
cette position argumentale. Les pronoms de la troisième série sont appelés ‘pronoms objets
conjoints. Ils se suffixent tous aux verbes ou aux auxiliaires du verbe sauf [àɲɪ] nous et [aɲɪ]
vous. Ces deux pronoms du pluriel suivent tout simplement le verbe ou l’auxiliaire du verbe
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puisqu’il est même possible d’insérer un élément entre eux et le verbe ou l’auxiliaire du
verbe. La phrase ci-après en est une illustration.
(11) [ɪ ɓʌlɪ kugbè aɲɪ]
/ɪ ɓʌlɪ kugbè aɲɪ/
/je/saluer/Acc/hier/vous/
Je vous ai salués hier.
Dans la phrase ci-dessus, on peut observer, entre le verbe [ɓʌlɪ] a salué et son complément
[aɲɪ] vous, la présence de l’adverbe de temps [kugbè] hier.
Par ailleurs, on note que parmi les pronoms contenus dans le tableau ci-dessous en (12), ceux
de la troisième personne (singulier ou pluriel) prennent toujours les traits +ATR ou –ATR du
verbe ou de l’auxiliaire du verbe de la phrase. Et ils varient également en fonction des classes
nominales7 auxquelles appartiennent les noms qu’ils remplacent.
(12)
Pronoms sujets
conjoints
Pronoms disjoints Pronoms objets
conjoints 1eSG ɪ je àmɪ moi me 2eSG ɪ tu mɔmɪ toi vmɪ8 te 3eSG ɔ/o il ɔmʌ lui ɔ/o le 1ePL à nous àɲɪ nous àɲɪ nous 2ePL a vous aɲɪ vous aɲɪ vous 3ePL wa ils wamʌ eux ua/ʋa les
De tous les pronoms répertoriés dans le tableau ci-dessus, un se distingue par sa forme
singulière. Il s’agit du pronom objet conjoint de la première personne du singulier. Ce pronom
a, en effet, une forme exclusivement tonale alors que tous les autres pronoms ont une forme à
la fois segmentale et tonale. Les exemples ci-dessous permettent de l’observer dans des
phrases.
(13a) [wa ji àɲɪ]
/wa ji àɲɪ/
/3PL/connaitre/1ePL/
Ils nous connaissent.
7 D’après Vahoua 2003, le bété présente trente (30) classes nominales regroupées au sein de douze (12) genres
nominaux. 8 V est la voyelle copie de la dernière voyelle du constituant syntaxique qui reçoit le pronom de la deuxième
personne du singulier.
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(13b) [wa ji]
/wa ji /
/3PL/connaitre/BM(1eSG)/
Ils me connaissent.
(13c) [wa nɪ pʋ ji]
/wa nɪ pʋ ji/
/3PL/Nég./BM(1eSG)/Nég./connaitre/
Ils ne me connaissent pas.
(13d) [wasɛ dʌpɪ ɲɔpɔ]
/wasɛ dʌpɪ ɲɔpɔ/
/Wasset/calmer/M(Inacc)/Gnôpô/
Wasset calme Gnôpô.
(13e) [wasɛ dʌpɪ]
/wasɛ dʌpɪ /
/Wasset/calmer/M(Inacc.)/BM(1eSG)/
Wasset me calme.
(13f) [olje nɪ pʋ ɲɔkpɔ ɓʌlɪ]
/olje nɪ pʋ Homme ɓʌlɪ /
/Olié/Nég./Nég./Homme/saluer/B(Acc)/
Olié n’a salué personne.
(13g) [olje nɪ pʋ ɓʌlɪ]
/olje nɪ pʋ ɓʌlɪ /
/Olié/Nég./BM(1eSG)/Nég./saluer/B(Acc)/
Olié ne m’a pas salué.
(13h) [olje nɪ jʌra pʋ]
/olje nɪ jʌrʌ pʋ/
/Olié/Nég./demander/Inacc/1eSG/Nég./
Olié ne me demande pas.
(13i) [gawà ji kapuo la]
/gawà ji kapuo la/
/Gawa/futur/Kapouho/appeler/
Gawa appellera Kapouho.
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(13j) [kapuo ji la]
/kapuo ji la/
/Kapouho/futur/BM(1eSG)/appeler/
Kapouho m’appellera.
(13k) [kɾʌsʋ nɪ ji pʋ woɾo]
/kɾʌsʋ nɪ ji pʋ woɾo/
/Krasso/Nég./futur/1eSG/Nég./regarder/
Krasso ne me regardera pas.
(13l) [lià kʌ ɟàkʋ so]
/lià kʌ ɟàkʋ so/
/Lia/futur proche/Djako/convoquer/
Lia va convoquer Djako.
(13m) [lià ka so]
/lià kʌ so/
/Lia/futur proche/1eSG/convoquer/
Lia va me convoquer.
(13n) [lià nɪ ɟa pʋ so]
/lià nɪ ɟʌ pʋ so/
/Lia/Nég./futur proche/BM(1eSG)/Nég./convoquer/
Lia ne va pas me convoquer.
Le pronom conjoint de la première personne du singulier apparaît dans les phrases
(13b), (13c), (3e), (13g), (13h), (13j), (13k), (13m), et (13n). L’observation de ces phrases
montre que ce pronom est une unité prosodique. Il s’agit précisément du ton modulé moyen
bas BM. L’examen des structures où il apparaît montre que ce pronom ne se suffixe pas
toujours aux mêmes constituants de la phrase. En effet, la voyelle ou la dernière voyelle des
constituants susceptibles de recevoir le pronom conjoint de la première personne du singulier
sont le verbe d’état (cf. 13b), le verbe processus (cf. 13e et 13h), l’auxiliaire de la négation
(cf. 13c et 13g), l’auxiliaire du futur (cf. 13j et 3k) et l’auxiliaire du futur proche (cf. 13m et
13n). Par ailleurs, dans la suffixation du pronom BM à l’auxiliaire de la négation, c’est le
premier formant nɪ du morphème discontinu [nɪ…pʋ] ne pas, [nɪ...pʋ pɔ] ne plus, [nɪ...kɪɔ pɔ]
ne plus jamais, etc. qui reçois le pronom conjoint de la première personne du singulier. Mais
quand le pronom BM utilise-t-il le dernier noyau syllabique de ces constituants syntaxiques?
La position du pronom BM dans la phrase est régie par les conditions suivantes.
- Le pronom BM se suffixe à un verbe d’état dans une phrase affirmative contenant un
verbe d’état.
- Le pronom BM se suffixe à un verbe processus dans une phrase affirmative ou
négative avec un verbe à l’inaccompli.
- Le pronom BM se suffixe à l’auxiliaire de la négation dans une phrase négative avec
un verbe d’état ou un verbe processus à l’accompli.
- Le pronom BM se suffixe à l’auxiliaire du futur ou du futur proche dans toute phrase
contenant un verbe processus au futur ou au futur proche.
Ces faits montrent qu’en bété, une phrase peut être analysée soit comme le domaine d’un
verbe, soit comme le domaine de la négation soit encore comme le domaine l’aspect.
Le ton grammatical du kpɔkʋgbʋ, parler kru de Côte d’Ivoire
Revue de l’ILACahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (C.I.R.L.) 141
3.3 Tons, pronoms résomptifs
En bété, la focalisation d’un constituant syntaxique se matérialise par son déplacement
en début de phrase et l’apparition d’une catégorie vide dans sa position originelle. Mais la
focalisation du constituant sujet n’occasionne pas de vide dans la position abandonnée
puisque cette langue n’admet pas de sujet sans contenu matériel et cela en respect au principe
du thêta-critère qui stipule que toute phrase doit avoir un sujet. Lorsqu’un sujet est déplacé
pendant l’opération de focalisation, sa position est aussitôt remplie par un pronom résomptif
exclusivement tonal. Les exemples ci-dessous montrent des phrases issues de la focalisation
d’un argument sujet. Et c’est justement la dernière syllabe de ce constituant sujet qui reçoit le
pronom tonal.
(14a) [na wʌlɪ kʌɾʌ lʌ]
/na wʌlɪ kʌɾʌ lʌ/
/ta/voix/Pron résomptif/esquinter/B(Acc)/Dém./
C’est ta voix qui est esquintée.
(14b) [ɓowi kʋ lʌ drʌ]
/ɓowi kʋ lʌ drʌ/
/Bohui/Pron résomptif/être/Dém/là/
C’est Bohui qui est là.
(14c) [ɲʌkpɪ kʌdɪ: lè lʌ]
/ɲʌkpɪ kʌdɪ lè lʌ/
/hommes/grands/Pron résomptif/exister/Dém/
Ce sont des grands hommes qui existent.
(14d) [ju: mɪ lʌ]
/ju mɪ lʌ/
/enfant/Pron résomptif/noyau/Dém./
C’est l’enfant.
(14e) [sʌnɩ mɪ lʌ]
/sʌnɩ mɪ lʌ/
/comme-ci/Pron résomptif/noyau/Dém/
C’est comme-ci.
Dans les trois premières phrases (14a à 14c), le pronom résomptif est un ton bas; dans
les deux dernières, c’est un ton mi haut qui le symbolise. La phrase en (14a) est une phrase
verbale. Les quatre autres sont des phrases non verbales. L’énoncé en (14b) est un énoncé
copulatif, celui en (14c) est un énoncé existentiel et les deux derniers sont des énoncés
d’identification. La règle d’allomorphie ci-après résume le fonctionnement du pronom
résomptif tonal dans cette langue kru.
(15) [H-]/Enoncé d’identification
/Pronom résomptif tonal/
[B]/Enoncé verbal, énoncé copulatif
ou existentiel
En bété, le pronom résomptif tonal est donc un ton mi haut dans les énoncés d’identification
et un ton bas dans les autres types d’énoncés.
4. Ton, morphème de l’interrogation
D’après Vahoua (2003), le morphème de l’interrogation est un morphème discontinu à
deux variantes. Elles peuvent être observées dans les schématisations suivantes.
K. A. VAHOUA
n°42 Décembre 2017 129-147 142
(16a) ‚ […] H
(16b) ‚ […]
La variante en (16a) est utilisée pour formuler une interrogation partielle et la forme en
(16b) est employée pour construire une interrogation totale. Les deux phrases suivantes
l’illustrent fort bien.
(17a) [ɪ nʌmɪ ɓʌ ɟɪkànɪ ]
/ɪ nʌmɪ ɓʌ ɟɪkànɪ /
/2eSG/apporter/Inacc/Inter/aujourd’hui/Inter/
Qu’apportes-tu aujourd’hui?
(17b) [wa la ɓʌ àɟi à]
/wa la ɓʌ àɟi à/
/3ePL/appeler/Inacc/Inter/Adji/Inter/
Appellent-ils Adji?
Dans la phrase, la première particule interrogative ɓʌ se place avant ou après le verbe,
selon la position des morphèmes aspectuels, et la seconde particule interrogative se met en
position finale. En (17), ɓʌ suit le verbe. Dans les phrases ci-dessous le morphème ɓʌ précède
le verbe à l’instar du morphème du futur proche ou du futur.
(18a) [ɔ kʌ ɓʌ ju ɓɯda]
/ ɔ kʌ ɓʌ ju ɓɯdà /
/3eSG/futur proche/Inter/enfant/laver/Inter/
Qui est-ce qui va laver l’enfant?
(18b) [vawʌ jɪ ɓʌ ŋunu à]
/vawʌ jɪ ɓʌ ŋunu à/
/Vahoua/futur/Inter/répondre/Inter/
Vahoua répondra-t-il?
Mais quand le verbe de la phrase est au mode inactuel, les morphèmes en (16) doivent
être remplacés par ceux qui suivent.
Le ton grammatical du kpɔkʋgbʋ, parler kru de Côte d’Ivoire
Revue de l’ILACahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (C.I.R.L.) 143
(19a) ɓɛ […] nɛ
(19b) ɓɛ […] B
Ces variantes peuvent être observées dans les phrases ci-après.
(20a) [sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ nɛ]
/sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ nɛ/
/sakalou/saluer/Inacc/Mode inac/Inter/
Qui Sakalou saluait-il?
(20b) [sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ kudu]
/sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ kudu /
/Sakalou/saluer/Mode inac/Koukou/Inter/
Sakalou saluait-il Koudou?
La traduction juxtalinéaire de ces deux phrases ne montre pas le premier formant du
morphème interrogatif. Est-ce à-dire qu’ici, l’interrogation elle marquée par le seul
constituant final de la phrase ; à savoir /nɛ/ ou / /? Non. Les phrases en (20) contiennent bien
les deux formants du morphème interrogatif. Mais, dans cette langue, comme l’a montré
Vahoua (2003) et comme on peut le voir dans les phrases suivantes, la marque du mode
inactuel et le premier formant du morphème interrogatif sont morphologiquement et
syntaxiquement pareils. Ainsi, dans une phrase interrogative au mode inactuel, seul le
signifiant /ɓɛ/ apparaît aux lieux et places des deux /ɓʌ/. Le signifiant traduit dans les phrases
(20) comme marque du mode inactuel représente, en réalité, ce morphème mais également le
premier formant du morphème interrogatif.
(21a) [sàkàlu ɓʌlɪ ɓʌ kudu]
/sàkàlu ɓʌlɪ ɓʌ kudu/
/Sakalou/saluer/Inacc/Mode inac./Koudou/
Sakalou saluait Koudou.
(21b) [sàkàlù ɓʌlɪ ɓʌ kudu à]
/sàkàlu ɓʌlɪ ɓʌ ɟadu kudù à/
/Sakalou/saluer/Inacc/Inter/Koudou/Inter/
Sakalou salue-t-il Koudou?
(21c) [sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ]
/sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ/
/Sakalou/Fut/Mode inac./Koudou/saluer/
Sakalou allait saluer Koudou.
(21d) [sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ à]
/sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ à/
/Sakalou/Fut/Inter/Koudou/Inter/
Sakalou saluera-t-il Koudou ?
K. A. VAHOUA
n°42 Décembre 2017 129-147 144
Deux tons interviennent donc dans la formation des phrases interrogatives. Il s’agit du
ton haut H et du ton bas B. Le premier contribue à former les interrogations partielles dans les
phrases au mode actuel et le second concourt au marquage des interrogations totales dans les
phrases au mode inactuel.
5. Ton, morphème de négation
La négation s’exprime, dans ce parler kru, par un auxiliaire discontinu [tɪ…ø/pɔ/kɪ/kɪ
pɔ] à l’impératif ou à l’hortatif et [nɪ…pʋ/pʋ pɔ/kɪɔ pɔ/] aux autres aspects. Les phrases ci-
dessous présentent quelques-unes de ses occurrences.
(22a) [tɪ tu]
/Nég/Pleurer/
Ne pleure pas!
(22b) [ɟodi tɪ pɔ ɲɔkpɔ guɾunɪ]
/ɟodi tɪ pɔ ɲɔkpɔ guɾunɪ/
/Djodi/pron. Hortatif/Nég/Nég/homme/insulter/
Que Djodi n’insulte plus personne!
(22c) [wasɛ nɪ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ]
/Wasset/Nég/chanter+Inacc/Nég/aujourd’hui/
Wasset ne chante pas aujourd’hui.
(22d) [olje nɪ kɪɔ pɔ kalɛ woɾo]
/olje nɪ kɪɔ pɔ kalɛ woɾo /
/Olié/Nég/Nég Nég/Kallet/regarder/acc/
Olié n’a plus jamais regardé Kallet.
Mais, dans cette langue, le formant [ni] du morphème discontinu [nɪ…pʋ/pʋ pɔ/kɪɔ
pɔ/] peut disparaitre au profit d’un ton haut; peut-être le ton de son noyau vocalique. Cela
peut être observé dans les exemples suivants.
(23a) [wasɛ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ]
/wasɛ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ/
/Wasset/Nég/chanter/Inacc/Nég/aujourd’hui/
Wasset ne chante pas aujourd’hui.
(23b) [olje kɪɔ pɔ kalɛ woɾo]
/olje kɪɔ pɔ kalɛ woɾo /
/Olié/Nég/Nég Nég/Kallet/regarder/acc/
Olié n’a plus jamais regardé Kallet.
Et lorsque le sujet de la phrase est un pronom, la substitution entre [nɪ] et [H] est
toujours possible comme le montrent les phrases ci-dessous.
Le ton grammatical du kpɔkʋgbʋ, parler kru de Côte d’Ivoire
Revue de l’ILACahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (C.I.R.L.) 145
(24a) [ɔ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ]
/ɔ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ/
/il/Nég/chanter/Nég/aujourd’hui/
Il ne chante pas aujourd’hui.
(24b) [a kɪɔ pɔ kalɛ woɾo]
/à kɪɔ pɔ kalɛ woɾo /
/nous/Nég/Nég Nég/Kallet/regarder/acc/
Nous n’avons plus jamais regardé Kallet.
Mais l’utilisation du ton haut H avec un sujet pronominal relève d’un registre de
langue quelque peu relâché, dans cette langue. Dans un registre soutenu, les locuteurs du bété
emploient plutôt le ton modulé bas moyen BM. Cependant, contrairement au ton haut H, le
ton bas moyen BM ne se suffixe pas à tous les pronoms sujets ainsi que l’indique le tableau
ci-dessous.
(25) Tableau montrant la suffixation des morphèmes de négation H et BM au pronom sujet
Pronom
sujet
Pronom sujet +
Négation H
Pronom sujet +
Négation BM
1eSG ɪ ɪ ɪ
2eSG ɪ ɪ
3eSG ɔ ɔ ɔ
1ePL à a
2ePL a a a
3ePL wa wa wa
En effet, si le ton haut se suffixe à tous les pronoms sujets, le ton bas moyen, lui ne se suffixe
qu’aux pronoms sujet portant un ton mi haut H- (1eSG, 3eSG, 2ePL et 3ePL). De plus,
contrairement au ton haut H, le ton bas moyen BM ne cohabite jamais avec le ton originel du
pronom sujet. Il le déloge tout simplement et prend sa place.
Conclusion
Dans cette étude, nous avons voulu mettre en lumière l’utilisation grammaticale du ton
en bété. Au terme de notre réflexion, nous pouvons affirmer que des éléments grammaticaux
utilisent bien des marques exclusivement tonales dans cette langue kru de Côte d’Ivoire. En
effet, sur les six tonèmes que compte ce parler, cinq sont effectivement employés comme
morphèmes grammaticaux. Ce sont :
- Le ton bas B, utilisé comme marque aspectuelle, comme morphème de
l’interrogation et comme pronom,
- Les tons moyen M et mi haut H-, employés comme morphèmes aspectuels et
comme pronoms,
- Le ton haut H, utilisé comme marque de la négation et comme morphème de
l’interrogation,
- Le ton bas moyen BM, employé comme pronom et comme morphème de la
négation,
Ainsi, le ton bas est l’unité prosodique la plus productive, en tant que morphème
grammatical. Et les éléments grammaticaux utilisant des marques tonales sont : l’aspect avec
trois tons: B, M et H-, le pronom avec quatre tons: B, M, H- et BM, l’interrogation avec deux
tons: B et H, et la négation avec deux tons: H et BM. L’aspect et le pronom sont donc les
éléments grammaticaux avec le plus grand taux d’utilisation de marques tonales. Avec ces
faits, on ne peut qu’abonder dans le sens de Lynell Marchèse (1983 : 63) pour qui «Les tons
K. A. VAHOUA
n°42 Décembre 2017 129-147 146
jouent un rôle principal dans les langues kru puisqu’ils sont distinctifs au niveau lexical et au
niveau grammatical.»
En outre, on note que cette langue utilise grammaticalement aussi bien les tons
ponctuels que les tons modulés. Cela peut être un argument pour reconnaitre désormais les
tons modulés comme des unités phonologiques. Car, pour beaucoup de linguistes, les tons
modulés ne sont que des associations de tons ponctuels sur une syllabe. Annie Rialland fait
partie de ces africanistes. Pour elle (1998 : 408), « Les langues africaines, si elles sont tonales,
ne paraissent comporter que des tons ponctuels, c’est-à-dire caractérisés par une hauteur et
non par un mouvement mélodique. Ceci ne signifie pas qu’il n’y ait pas de modulations
mélodiques dans les langues africaines mais quelles ne correspondent pas à unités
phonologiques. »
Références bibliographiques
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africaines, Ellug, 286 p.
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charme et du gouvernement », Recherches linguistiques-17
KAYE Jonathan, LOWENSTAMM Jean VERGNAUD Jean-Roger, 1985, “The internal
structure of phonological element: a theory of charm and government”, Ewen C. end
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327 p.
RIALLAND Annie, 1998, « Systèmes prosodiques africains: une source d’inspiration majeure
pour les théories phonologiques multilinéaires, Faits de langues », revue de Linguistique,
numéro 11-12, Ophrys, pp. 407-428
TCHAGBALE Zakari, 1998, « Le ton bas de la consonne sonore forte dans quelques langues
africaines », Faits de langues, revue de Linguistique, numéro 11-12, Ophrys, pp. 441-454
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Revue de l’ILACahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (C.I.R.L.) 147
TRESBARATS Chantal et VICK Renée, 1992, « Esquisse linguistique de l’abidji », Esquisse
linguistique ivoirienne 2, Agence de coopération culturelle technique (ACCT) - Institut de
Linguistiques Appliquée d’Abidjan (ILA), 246 p.
VAHOUA Kallet Abréam, 2011, « L’instabilité de la voyelle / ʌ/ dans un parler bété (langue
kru de Côte d’Ivoire)», Nordic journal of africain étudies, Université de Helsinki, Finlande,
VAHOUA Kallet Abréam, 2003, La syntaxe du kpɔkʋgbʋ, parler bété de la sous-préfecture
de Gagnoa, Thèse pour le doctorat unique, Université de Cocody, Abidjan, 2003.
VAHOUA Kallet Abréam 1998, 352 p. La morphologie du verbe en kpɔkʋgbʋ, parler bété de
la sous-préfecture de Gagnoa, Mémoire de DEA, Université de Cocody, Abidjan, 104 p.
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