soi-même comme nul autre
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UNIVERSITÉ DE PARIS IV
SORBONNE
MÉMOIRE DE MAÎTRISE
SOI-MÊME COMME NUL AUTRE
IDENTITÉ ET INDIVIDUALITÉ CHEZ LEIBNIZ
ANNÉE 2003-2004
Roch Giraud Roch.giraud (a) hypertemps.com
Sous la direction de Monsieur le Professeur Michel Fichant
« Ne me demandez pas qui je suis, et
ne me demandez pas de rester le même. »1
1 Foucault Michel, préface de l’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .................................................................................................................... 4
1. UNITÉ, UNICITÉ ET COMPLÉTUDE ............................................................. 17
2. Principe d’identité (ou de contradiction) ............................................................ 21
3. De la notion complète et accomplie .................................................................... 28
4. Le principe de raison suffisante .......................................................................... 31
5. Inhérence de tous les prédicats & liberté humaine ............................................. 34
6. Principe des indiscernables : Identité et différence ............................................ 42
I. IPSÉITÉ, MÊMETÉ ET HUMANITÉ ................................................................... 45
1. L’identité apparente, le moi et l’individu ........................................................... 48
2. L’identité morale ou personnelle ........................................................................ 52
3. Un animal raisonnable ........................................................................................ 57
4. Le même individu et le droit ............................................................................... 60
5. L’individualisme impossible ............................................................................... 62
II. CINQ SYNTHÈSES DES DÉTERMINATIONS ................................................... 68
1. L’invention de la « personne » ........................................................................... 70
2. La liberté retrouvée ............................................................................................. 72
3. Une philosophie de l’action leibnizienne ............................................................ 78
4. L’espèce dernière et la « clôture » de Soi ........................................................... 83
5. La prédication « assujétive » : ............................................................................ 86
CONCLUSION ....................................................................................................................... 91
BIBLIOGRAPHIE ET INDEX ............................................................................................. 95
1. Bibliographie ...................................................................................................... 96
2. Index des noms ................................................................................................. 102
INTRODUCTION
« Identité : n.f. est un emprunt au bas latin identitas « qualité
de ce qui est le même », dérivé du latin classique idem comme
identificare (identifier) et identicus (identique) pour traduire le grec
tautotes (tautologie).Identité signifie d’abord (début XIV) « caractère
de deux objets de pensée identiques ». Le mot est repris au XVIIème
siècle pour désigner le caractère de ce qui est permanent (1756 ; dans
la terminologie philosophique, identité personnelle) et en logique
(1797) le caractère de ce qui est un. »
Si l’on en croit le Dictionnaire Historique de la langue française,
il aura donc fallu deux siècles pour que la terminologie philosophique
intègre comme une notion stable du lexique des concepts comme celui de
l’identité personnelle ou encore celui de l’identité logique conçue comme
le caractère de ce qui est un.
Locke comme Leibniz avaient pourtant ouvert la voie à de telles
conceptions dés la fin du 17ième siècle mettant ainsi en lumière ce qui
peut apparaître comme une évidence, à savoir que les problématiques et
autres enjeux philosophiques liés au concept d’identité ne datent pas d’un
19 ou d’un 20ième obnubilés par le sujet mais sont bien antérieurs.
Pour autant, la définition donnée par le Dictionnaire, résume très
bien le « problème de l’identité » tel que nous le concevons encore
aujourd’hui, et met particulièrement en lumière les enjeux théoriques et
philosophiques qui y sont attachés.
En effet, les trois sens qui se dégagent de la notion d’identité, et
qui pour la personne répondent à un « qu’est-ce qu’être soi-même « sont
bien l’identité comme unité, l’identité comme mêmeté, et l’identité
comme ipséité ; les concepts et terminologies modernes venant réactiver
les enjeux classiques et faire surgir à nouveau des problématiques plus ou
moins effacées par la langue installée. Bien évidemment, chacun de ces
sens vient généralement avec son lot de paradoxes, son sac de
contradictions et sa dot d’apories.
Avant d’aller plus avant, à l’identité, ajoutons le terme
individualité sans avoir peur d’user et d’abuser de la double postulation
du génitif latin : « L’identité d’une individualité ».
Cette dernière est conçue comme l’« ensemble des caractères
propres à un être humain »2, et se distingue alors comme une formule
particulièrement tautologique dans laquelle la permanence et la
spécificité du un deviennent critères de définition.
Nous pouvons ainsi rappeler que Diderot employait le terme
individualité pour remplacer, au titre de synonyme, originalité, c'est-à-
dire très exactement « ce qui est à la source » ce « qui existe dès
2 Bonnet, date d’apparition du mot dans la langue, 1760.
l’origine, ce qui est primitif » (l’origo latin), « ce qui ne peut être copié »
« ce qui est caractère du un ».3
L’identité d’une individualité, un être humain par exemple, est
assez généralement conçue comme celle d’un sujet à prédicats, à
attributs : c'est-à-dire un substrat ontique auquel s’ajoutent des prédicats
accidentels qui sont strictement contingents.
Identité et individualité se rejoignent alors pour se définir dans
l’espace de ce substrat ontique, de ce substratum, « ce sans quoi une
réalité ne saurait subsister », une permanence de l’être qui a besoin des
deux termes de l’énonciation pour exister logiquement, une double
postulation à laquelle s’ajoutent des prédicats accidentels et contingents.
De plus, « être identique à » implique une identité à laquelle les
mathématiques ont donné un signe pour le traduire littéralement : le
fameux signe d’égalité — « = »4.
Ainsi, être identique à soi-même serait être égal à soi-même,
pouvoir être des deux côtés de l’égalité tout en étant le même, pouvoir
être deux tout en restant un, être semblable tout en étant distinct et cela,
si l’on peut dire, tout en restant insécable et indivisible.5
3 Nous pensons par exemple à sa parenté sémantique avec « singularité » que les emplois de l’un pour l’autre attestent. 4 En toute rigueur, nous devrions utiliser le signe « ≡ » 5 Nous pensons au latin individuum qui traduit le grec atomos (atome), littéralement « qu’on ne peut pas couper »
C’est Ricœur qui nous donne à la fois le titre de notre mémoire,
son plan, et la thèse qu’il nous semble nécessaire de remettre en
question :
« [...] la détermination de la notion de personne se fait par le
moyen de prédicats que nous lui attribuons. La théorie de la personne
tient ainsi dans le cadre général d’une théorie de la prédication des
sujets logiques. La personne est en situation de sujet logique par
rapport aux prédicats que nous lui attribuons. »6
Nous avons l’habitude d’entendre et d’affirmer qu’être soi-même
c’est justement avoir telle ou telle identité, littéralement la posséder
comme si elle était à considérer à l’extérieur de nous, comme si le
prédicat ne faisait pas partie de nous. Nous notons bien ici l’usage du
verbe avoir et cet usage fait question et apporte pour nous une réponse.
Nous avons une identité, en aucun cas nous ne la sommes, car
cette dernière est justement conçue sur le mode de la prédication : être
c‘est déjà avoir. L’être humain serait comme un réceptacle — un fond
aux prédicats essentiels — auquel s’ajouteraient des prédicats accidentels
tout au long de sa vie.
L’identité d’un homme, c’est à la fois ce qui le rend singulier,
c'est-à-dire bien unique parmi les autres êtres uniques, un parmi les
autres uns, tout en étant ce qui le lie aux autres hommes comme membre
6 Ricœur, Soi-même comme un autre, Éditions du Seuil, 1990, p. 49.
de l’espèce humaine, comme « semblable » nous dit Rousseau (mortalité,
conscience, liberté, etc.).7
Ainsi, dire « Socrate est un homme, tous les hommes sont
mortels, donc Socrate est mortel » c’est dire que le sujet Socrate est un
homme (prédicat essentiel), et que la mortalité est une propriété de la
classe des « hommes ».
« [...] la mortalité est essentielle, elle appartient comme
propriété à tous les hommes. »8
A contrario, par exemple, dire « Socrate est assis », c’est faire
référence à une propriété accidentelle, car Socrate est toujours Socrate
qu’il soit assis ou debout (vérité contingente), et qu’il est toujours mortel
(vérité nécessaire). Socrate, animal de sexe masculin, appartenant à
l’espèce humaine. Les prédicats essentiels sont inhérents au sujet, par
opposition aux prédicats accidentels qui sont — par définition—
accidentels i.e. contingents.
La question de l’identité en général comme la question de soi-
même en particulier est, donc, écartelée entre différents sens : l’identité
comme unité, l’identité comme mêmeté et l’identité comme ipséité,
écartèlement qui installe de fait une hiérarchie entre sujet et attribut,
hiérarchie qui n’est jamais remise en question tant l’enjeu se situe autour
de l’essentiel et de l’accidentel des prédicats.
7 Rousseau, incipit des Confessions, Gallimard, Folio Essais, 1997 8 Russel, Principles of Mathematic, §427, W. W. Norton & Company, 1996.
À cela s’ajoutent généralement différents facteurs plus ou moins
empiriques qui justifieraient l’usage d’une telle notion : le corps,
l’identité sociale, le caractère, la mémoire, la conscience, les habitus
sociaux, etc.
Or, si nous rajoutons à cela, l’idée selon laquelle la notion de
changement s’oppose de manière générale à l’identité, ou tout au moins à
sa compréhension, alors nous ne sommes pas loin d’abdiquer et d’écrire
qu’ « […] être identique c’est, en termes statiques, demeurer, ou bien, en
termes dynamiques, résister.» 9 Tout comme, par exemple, l’idée avancée
d’un Dieu formel chez Fichte10, nous ne voyons pas bien au fond ce que
tout cela dit, et veut dire.
C’est justement cette conception de l’identité qui nous semble
mener directement et pour ainsi dire logiquement à des séries aporétiques
et autres paradoxes.
Pourquoi Leibniz ? En quoi nous permet-il de résoudre ce danger
aporétique ? En quoi nous donne t-il les moyens et les méthodes pour
dépasser les clichés inhérents à la notion d’identité ?
9 Guénancia, « Par là se trouve donc confirmé, nous semble-t-il, l ‘idée initiale de cette exposé d’après laquelle être identique c’est, en termes statiques, demeurer, ou bien, en termes dynamiques, résister. », « L’identité » dans les Notions de Philosophie, Gallimard, Folio Essai, 1995. 10 Philonenko, L’œuvre de Fichte, Vrin 1984.
Comme l’écrit très justement Ricœur, la réflexion sur l’identité se
fait en deux temps. D’abord une « théorie de la prédication des sujets
logiques » où s’insère par la suite comme dans cadre général, une
« théorie de la personne ». Ce sont sur ces deux points que Leibniz ouvre
des perspectives insuffisamment explorées. Ce sont sur ces deux points
que nous avons construit notre démarche d’explicitation et de
réintroduction11 de la métaphysique leibnizienne.
En effet, Leibniz est pour nous le philosophe qui unifie le concept
d’identité en refusant l’inapplicabilité des grands principes logiques que
sont le Principe de non-contradiction ou le Principe des indiscernables.
Pour le philosophe de Hanovre, c’est même « La loi du
changement [qui] fait l’individualité de chaque substance particulière. »12
En effet, la théorisation leibnizienne de l’identité et de
l’individualité défend deux grandes idées qui nous semblent
fondamentales : l’idée de l’existence d’une identité non schizophrénique
et d’une individualité non morcelée. Cette théorisation bouleverse nos
rapports à ces concepts en inversant purement et simplement le rapport
de sujétion entre prédicats et sujet, et en refusant que ce dernier puisse
être défini indépendamment de son existence propre.
11 Réintroduire au sens de la réintroduction d’espèces animales dans leurs milieux d’origine. En l’occurrence, c’est la pensée de Leibniz qui mérite de reprendre sa place dans les réflexions sur « le problème de l’identité ». 12 Leibniz G.W., Lettre à Basnage. Cité par Harald Höffding, Histoire de la philosophie moderne, tome 1, Paris, Félix Alcan éditeur, 1906.
Leibniz est le philosophe qui a compris que l’identité n’est pas un
avoir, mais un être. Chez Leibniz, telle individualité n’a pas telle ou telle
identité, mais l’est. Le prédicat accidentel ou essentiel n’est pas un avoir,
un rajout, un supplément, une addition mais il constitue l’être dans sa
totalité, dans son unité et son unicité.
S’il est souvent question ici et là de la notion d’identité selon
Leibniz, elle est souvent confondue — sinon fondue — avec le principe
du même nom. Or, une grande partie de notre travail consiste justement à
démontrer que le Principe d’identité comme outil logique est bien loin de
satisfaire une complète définition de la notion d’identité — cette dernière
se déclinant sous bien des aspects (identité morale, identité réelle,
identité personnelle, identité physique, etc.) comme d’autres l’ont déjà
notée avant nous.
Nous constatons par ailleurs, qu’il en va de même pour la notion
d’individualité qui est bien souvent réduite — parfois même déduite — à
la perspective de celle de l’individu, comme si le concept dérivé ne
pouvait s’affranchir de cette lourde hérédité, comme si l’un par l’autre
réduisait leur propre champ sémantique.
Or, la notion d’individu s’inscrit dans la thématique du genre, et
de l’espèce ; largement autant que dans celle de la personne, et de
l’humanité et l’individualité doit être lue et analysée à l’aune de la
polysémie de la notion d’individu.
L’analyse du Discours de métaphysique a ainsi rarement été
considérée comme celle d’une philosophie de l’action, alors qu’à
l’évidence la question centrale pour Leibniz dans l’article XIII par
exemple est bien celle de l’ascription des actions individuelles.
La préoccupation Leibnizienne du chapitre XXVII des Nouveaux
Essais sur l’entendement humain n’est pas entièrement éloignée de
l’ambition Anscombienne dans Intention. Il s’agit bien notamment de
l’individu comme personne juridique. Leibniz n’a pas écrit
d’innombrables traités juridiques en latin pour que nous fassions
l’impasse sur les liens qu’ils entretiennent nécessairement avec ses autres
travaux, pour que nous évacuions la notion d’identité de la notion de
place juridique et d’action sur le droit et la loi.
Rendre raison à la compréhension leibnizienne de l’identité et de
l’individualité, c’est aussi rendre justice à sa théorie de prédication des
sujets logiques, puis à sa théorie de la personne, et enfin montrer
comment la synthèse de ces deux théories leibnizienne nous offre, en
dernière instance, une solution tout à fait originale au « problème de
l’identité ».
Ainsi, il s'agit moins de faire une étude génétique ou thématique
des notions d'identité et d'individualité, ou plus particulièrement des
concepts d'identité, de prédication et d’espèce dernière13 selon Leibniz,
que de proposer une lecture de ces notions en cherchant non seulement ce
que Leibniz écrit et nous dit, mais aussi ce que peuvent être la
signification et la portée conceptuelles de son analyse.
Dans notre traitement des notions d’identité et d’individualité,
nous avons deux grands soucis en forme d’écueil à éviter. Il faut d’une
part éviter de confondre la notion de substance individuelle du Discours
de métaphysique avec la monade de la Monadologie, et d’autre part ne
pas opposer l’identité personnelle à l’identité « réelle » puisque la
première n’est pour nous qu’un aspect de la seconde, puisqu’elles
peuvent s’englober sans pour autant s’annihiler, puisqu’elles peuvent
s’additionner et non pas se soustraire ou s’annuler.
En effet, il ne devrait venir à l’esprit de personne de parler de la
monade de Socrate comme on peut parler de la notion individuelle de
Socrate. Toute l’erreur, nous semble-t-il, consistant généralement à croire
que la notion de substance individuelle est un sujet logique auquel des
prédicats seraient attribués.
Nous ne traiterons pas du tout du concept de Monade. Les
monades sont, de notre point de vue, tout à fait « hors sujet » si l’on s’en
tient à ce qui nous intéresse.
13 Species infima
Ce qui nous importe ici, c’est bien « la complexité prédicative »14
de la notion de substance individuelle, et nous pouvons dire que de la
même manière dont « le vocabulaire de l’individuation disparaît de la
Monadologie »14, toute référence à la monade, ou au système des
monades n’a pas sa place dans notre mémoire.
Ainsi et pour autant, il ne s’agit pas de se livrer à un exercice de
style de réinvention de la métaphysique leibnizienne (ce serait d’ailleurs
bien prétentieux) , mais bien plutôt de montrer pourquoi et comment les
définitions leibniziennes de l’identité et de l’individualité telles que
données principalement dans les articles VIII, IX et XIII du Discours de
métaphysique et le chapitre XXVII des Nouveaux Essais sur
l’entendement humain sont des outils décisifs pour penser le « problème
de l’identité », pour construire, et jeter les bases, d’une nouvelle théorie
de l’identité et de l’individualité.
Ce que nous voulons démontrer en dernière instance c’est que de
l’identité humaine de Socrate ne demeure pour les hommes que le
« substrat nominal Socrate » aussi longtemps que Socrate vit. L’identité
d’une individualité n’est pas explicable par l’esprit humain.15
Ainsi, c'est seulement après la mort de Socrate, que nous (les
êtres humains finis) pouvons parler de Socrate qui est Socrate (Socrate
14 Fichant, L’invention métaphysique, dans Discours de Métaphysique, Monadologie et autres textes, Gallimard, Folio Essais, 2004. 15 Leibniz, « Notio individui non est explicabilis mente humana, et in eo differt a specie ». Grua 354
devenant, en un sens mais certainement pas selon l’exacte vérité des
choses, prédicable comme sujet).
Nous réalisons en cela le projet leibnizien d’inhérence des
prédicats essentiels et accidentels dans toute notion de substance
individuelle : l’identité en étant la simple et complète expression dans
l’individualité, et l’individualité étant la simple et complète actualisation
de l’identité.
Dans cette première partie, nous montrerons justement comment
et pourquoi il faut penser avec Leibniz une tout autre théorie. Une théorie
leibnizienne qui vise l’unité, l’unicité et la complétude.
Ensuite, nous montrerons, dans la seconde partie de ce mémoire,
comment nous pouvons avec Leibniz penser et définir l’individualité
sous la notion de « personne » et étudierons à ce titre le chapitre dédié
dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain.
Il s’agit de montrer comment nous pouvons passer de la
singularité de l’individualité à sa complétude. C’est le mouvement
inverse de notre première partie. Ces deux mouvements se complètent et
s’appellent pour parfaire à une seule définition de l’identité et de
l’individualité qui n’isole jamais le métaphysique du logique, et le
logique du métaphysique.
Enfin, nous essayerons de donner de l’amplitude à nos analyses
en proposant cinq esquisses d’étude en forme de synthèses prospectives.
1. UNITÉ, UNICITÉ ET COMPLÉTUDE
« Seuls les individus ont des notions
complètes, et si une notion est complète, elle est ipso
facto la notion d’un individu. »16
Pour autant, le caractère strictement singulier des
individus chez Leibniz doit tout autant à la notion complète
qu’à la conservation de la même âme, l’identité physique,
morale, et personnelle ou encore à l’esprit et au moi. Ainsi,
la « notion complète » ne peut prétendre à englober
singularité et individualité au détriment des enjeux
métaphysiques.
Ainsi, les identités numériques, personnelles,
juridiques, qualitatives, spécifiques, partielles17 forment un
tout concret, « tout » qui peut aussi bien se révéler dans
son aspect matériel, psychologique, logique ou
métaphysique.
Exit donc le fameux réductionnisme d’identité
« réelle », identité qui se définirait comme effective et
réaliste et qui s’opposerait ainsi, comme ce fut d’ailleurs le
16 Quillet J., Les Études philosophiques, Paris, 1979, p. 79-105. 17 Saint-Thomas avait ainsi dressé une liste de 27 type d’identité dans La Somme théologique.
cas pendant plusieurs siècles du point de vue
lexicologique, à « personnel ». C’est ainsi que l’identité
« réelle » peut s’affirmer comme « personnelle » sans
craindre la contradiction.
En effet, Leibniz n’oppose ni ne superpose
l’identité réelle et l’identité personnelle : la seconde est,
finalement, un aspect de la première pour les
« personnes » :
« L’unité substantielle demande un être
accompli indivisible, et naturellement indestructible,
puisque sa notion enveloppe tout ce qui lui doit
arriver, ce qu’on ne saurait trouver ni dans la figure
ni dans le mouvement [...], mais bien dans une âme ou
forme substantielle à l’exemple de ce qu’on appelle
moi. »18
Ainsi allons-nous tenter d’expliquer dans les
sections suivantes le versant logique de la notion complète
eu égard à l’identité et à l’individualité. Cette partie sera
consacrée à l’étude de la notion complète et des suites qui
en résultent en conjonction avec trois des grands principes
leibniziens que sont le Principe d’identité, le Principe des
indiscernables, et le Principe de substituabilité.
18 Leibniz, Lettre XVII à Arnauld, 28 nov. / 8 déc. 1686.
Du même coup, ces trois principes ne se contentent
pas en effet de postuler des égalités (ou des contradictions)
logiques ou mathématiques mais entrent de plein pied dans
le mouvement métaphysique qui tente d’appréhender le
sujet comme l’objet d’une connaissance s’inscrivant dans
un ordre spécial de réalités.
Ces derniers sont fortement impliqués dans la
formation du concept de singularité tel que l’élabore
Leibniz, et sont nécessaires pour conclure à l’unité,
l’unicité et la complétude de toute notion de substance
individuelle.
Singularité, individualité sont alors l’enjeu même
de la définition d’une notion de substance individuelle,
substance qui peut être définie comme ce qu’il y a de
permanent dans les choses qui changent, paradoxe d’un
sujet que résout la fameuse « notion complète ».
Il s’agit pour nous de montrer ce qui caractérise
l’unité, l’unicité, et la complétude d’une notion de
substance individuelle — sa stricte et singulière singularité.
Le « problème de l’identité » se heurte et se
renforce aux sources d’une mauvaise théorie de la
prédication des sujets logiques. Ainsi, il est généralement
considéré comme acquis que les prédicats sont de deux
sortes : soit contingents soit nécessaires (au sens
métaphysique i.e. certains, inévitables, prévisibles, etc.)
c’est-à-dire accidentels ou essentiels.
L’identité est ainsi (mal)-conçue sur le mode de la
prédication. Ainsi, nous parlerons d’un sujet et de
propriétés, qualités, prédicats, attributs — quel que soit le
mot exact que nous souhaitons utiliser aux fins de la
prédication.
Cette théorie en séparant le sujet logique et ses
attributs essentiels du reste qui est alors conçu comme
accidentel pose des problèmes insolubles : une telle théorie
mène directement à l’aporie et « prépare les esprits à
l’entêtement et aux paralogismes. »19
19 Leibniz, « Concevoir la pensée et l’étendue comme la substance pensante ou la substance étendue elles-mêmes, cela ne me paraît ni exact ni possible. Cet expédient est suspect et semblable à celui qui commandait de considérer les choses douteuses comme fausses. Par de telles déformations des choses, on prépare les esprits à l’entêtement et aux paralogismes. », Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, sur l’article 63, dans Opuscules philosophiques choisis, traduit par Paul Schreker, Vrin, 1978.
2. Principe d’identité (ou de contradiction)
« Le grand fondement des Mathématiques est
Le Principe de la contradiction, ou de l’Identité, c’est
à dire qu’une Enonciation ne saurait être vraye et
fausse en même temps, et ainsi qu’A est A et ne serait
être non A. Et ce seul principe suffit pour démontrer
toute l’Arithmétique et toute la géométrie, c’est-à-dire
tous les principes mathématiques. »20
Le principe d’identité se nomme aussi Principe de
contradiction puisqu’il n’est donné aucune priorité à « A
est A » sur « A ne serait être non A ». Ces deux principes
se complètent donc pour résoudre le conflit du un et du
deux, et s’additionnent pour n’en former qu’un seul.
Ainsi, il est même possible d’affirmer que ces deux
règles de la vérité se règlent l’une sur l’autre :
« L’identique ne se définit pas plus par la négation
de la différence que la différence par la négation de
l’identique ».21
Afin d’appliquer le Principe d’identité aux
individualités, il n’est pas ici seulement question de
20 Leibniz, Lettre à Clark, II, I ; E 748 a ; GP VII, 355 ; Cassirer 1, 124 ; Robinet 35. 21 Lalande, article sur l’identité, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.
comprendre que A=A, mais de prendre en compte l’idée
selon laquelle Socrate est égal à Socrate, et que cette
égalité possible conditionne un respect strict du Principe
d’identité.
Cette identité — ou cette non-contradiction — est
au cœur de la solution anti-aporétique de l’identité et de
l’individualité chez Leibniz. Elle est ce qui permet de poser
les bases d’une réflexion sur le sujet conçu à la fois comme
un objet d’interrogation logique et métaphysique.
Là où le Bateau de Thésée balançait entre identité
numérique, et identité qualitative, là où le Bateau de
Thésée devenait pour ainsi dire, indécidable, le Socrate de
Leibniz se trouve ainsi déjà (être) dans une situation
radicale : l’exigence d’une pleine et entière complétude
entre « l’individu Socrate » et « l’identité Socrate ».
C’est ainsi que l’identité peut être réalisée et
pensée, sans craindre l’insistance, la redondance, voire ce
qui s’apparente à un pléonasme, paraphrasant aussi
l’expression latine egomet ipse (moi-même en personne).
Socrate ne doit pas seulement être « lui-même » au
sens de l’identité comme ipséité c’est-à-dire « être soi-
même », mais aussi « le même » au sens de l’identité
comme mêmeté c’est-à-dire « être inchangé ».
En apparence, ces deux sens de l’identité ne
peuvent que se contredire puisque semblent s’opposer le
fixe et le changeant, puisque qui n’est pas l’un est
forcément l’autre.
Comment ne pas contredire l’identité de Socrate
avec l’individu Socrate ? Comment leur permettre de ne
faire qu’un ? Comment ne pas aux minima voir la
contradiction entre le changement et son absence, entre la
permanence et l’intermittence ?
Il ne suffira pas de dire pour Leibniz que Socrate
changeant est le même Socrate, puisque justement « selon
l’exacte vérité des choses », on ne peut pas dire que ce qui
change est le même.
Pour que « Socrate assis » ne contredise pas
« Socrate debout », il faut que la notion de Socrate inclut
ces deux états. Il faut que tous les prédicats, accidents,
événements, actions soient inhérents à cette notion de
Socrate.
En différenciant prédicats essentiels et prédicats
accidentels, nous rendons déjà la notion d’identité humaine
largement schizophrène, et nous brisons son adhérence au
Principe des identiques comme au Principe de
l’indiscernabilité des identiques. D’une part, en le
contredisant par une négation interne (A n’est pas A
équivaut à Socrate à 20 ans n’est pas Socrate à 40 ans) et
d’autre part en le limitant par une négation externe (A n’est
pas B équivalent à Socrate n’est pas un nombre premier).
« Toujours, dans toute proposition affirmative
véritable, nécessaire ou contingente, universelle ou
singulière, la notion du prédicat est comprise en
quelque façon dans celle du sujet : praedicatum inest
subjecto ; ou bien je ne sais pas ce qu’est la vérité ».22
Dans le cas qui nous occupe présentement, c’est à
l’évidence à l’article XIII du Discours de Métaphysique de
Leibniz que nous nous référons :
« Comment la notion individuelle de chaque
personne renferme une fois pour toute ce qui lui
arrivera à jamais on y voit les preuves à priori de la
vérité de chaque événement [...] mais ces vérités,
quoique assurées, ne laissent pas d’être contingentes,
étant fondées sur le libre arbitre de Dieu ou des
créatures, dont le choix a toujours ses raisons qui
inclinent sans nécessiter. »
22 Leibniz, Lettre à Arnauld, 14 juillet 1696, GP II, 56, Le Roy, 121.
En effet, cette inhérence des prédicats essentiels et
accidentels empêche toute contradiction de Socrate avec
lui-même, de la notion de Socrate avec elle-même.
On a, pour ainsi dire, pris l’habitude de penser que
le Principe d’identité est un principe logique au sens
principiel et principal, au sens où ce dernier serait
catégorisé comme « logique » par opposition — fausse
pour nous à l’évidence — à métaphysique, ou ontologique.
Dans le même ordre d’idée, le principe d’identité
est pensé comme occupant la première place, comme
désignant le commencement, l’origine dans le temps
(princeps) ce qui lui confère une légitimité par opposition
au métaphysique ou à l’ontologique.
Ces catégories ne nous semblent pas pertinentes
pour l’étude de la pensée leibnizienne ; il nous paraît
inconsidéré de mettre le Leibniz métaphysicien à côté du
Leibniz Logicien, de juxtaposer le jeune Leibniz au vieux
Leibniz, ou de séparer encore le théologique du
philosophique comme si une pensée ne devait sa continuité
qu’à un découpage discontinu et facile à repérer et à isoler.
Pour résumer notre pensée, nous pourrions dire
qu’une juste application — et compréhension — du
principe d’identité ou de non-contradiction à la question de
savoir ce qu’identité et individualité peuvent signifier à
partir de Leibniz exige une pleine et entière reconnaissance
de la nécessité de ne rien retirer à ce principe et de le
penser dans une totalité qui le rend applicable en tout et à
tout.
En effet, si nous pensons le principe d’identité
comme applicable aux êtres humains alors Socrate est égal
à Socrate.
Or si je dis d’une part « Socrate est mort » et
d’autre part « Socrate est vivant » ; comment déterminer
laquelle des deux propositions est vraie sans me référer au
Socrate « historique » ou « chronologique »?
Force est de constater que je dois penser Socrate
hic & nunc23 pour énoncer la vérité :
« [...] dans toutes les propositions où
interviennent l’existence et le temps, entre par là
même la série entière des choses, car le ici ou
23 Ici et maintenant
maintenant ne peuvent être compris sans une relation
à tout le reste.24 »
Ainsi, la proposition « Socrate est vivant » était
vraie de telle date à telle date, et la proposition « Socrate
est mort » est vraie de telle date à l’infini.
Comment concilier ces deux Socrate(s) pour un
seul Socrate réel ?
Socrate doit être égal à Socrate pour être Socrate, et
Socrate ne doit pas être égal à son contraire pour être lui-
même. Nous cherchons une formulation de la notion
d’identité qui ne soit pas contradictoire avec le Principe qui
porte son nom. Une formulation qui ne contredise pas la
non-contradiction elle-même. Ce sera la clé du problème
de l’identité personnelle25.
24 Leibniz, C. 19 ? 25 Ricœur, « Le problème de l’identité personnelle constitue à mes yeux le lieu privilégié de la confrontation entre les deux usages majeurs du concept d’identité [...]. Je rappelle les termes de la confrontation : d’un côté l’identité comme mêmeté [...], de l’autre l’identité comme ipséité [...]. », Soi-même comme un autre, Points, Seuil 1990, p.140.
3. De la notion complète et accomplie
« [...] nous pouvons dire que la nature d’une
substance individuelle ou d’un être complet est d’avoir
une notion si accomplie qu’elle soit suffisante à
comprendre et à en faire déduire tous les prédicats du
sujet à qui on attribue cette notion. »26
Avec le souci de nous expliquer comment
« distinguer les actions de Dieu de celles des créatures »,
[Leibniz] explique en quoi consiste la notion de substance
individuelle »4, et la définit dans l’article VIII du Discours
de métaphysique par rapport à sa complétude.
En effet, la « substance individuelle » se définit
d’abord comme ce qui ne peut pas être attribué, ce qui
comme « sujet logique » n’est pas un prédicat.
Pour autant, cette première réflexion n’est, selon les
termes de Leibniz, que nominale. Il faut en outre, que la
connaissance des prédicats soit déductible du sujet logique
lui-même. Il faut par exemple que le prédicat « empereur »
puisse être déduit, sans aucun apport extérieur, de la notion
26 Leibniz, Extrait de l’article VIII du Discours de Métaphysique, Paris, Vrin, 1993.
de César, ou de celle de tous ceux qui ont été empereurs :
Praedicatum inest subjecto27.
L’inhérence des prédicats dans le sujet est, pour
ainsi dire, la condition de possibilité de la complétude de
toute notion de substance individuelle.
Ce terme de « complétude » se révèle
particulièrement intéressant parce qu’il est extrêmement
récent (1928) et qu’il s’est paradoxalement construit après
« incomplétude »28 : quand on sait que le verbe latin
complere signifiait littéralement « remplir complètement »
et que le terme « complet » (rare avant le XVIIème siècle)
désignait en premier lieu « ce à quoi il ne manque aucune
des parties nécessaires », on comprend que la notion
d’incomplétude a longtemps prévalu et que le lexique n’a
accepté son antonyme qu’au moment où le prédicat
« complet » a pu s’appliquer à un organisme ou une
personne sans que cela apparaisse comme un non-sens.
Ainsi, un être est complet si et seulement si rien de
ce qui le constitue ne manque et on peut donc dire qu’il en
est de même pour sa notion. On peut même avancer que
27 « Le prédicat est dans le sujet » 28 1907
c’est sa complétude qui le définit en dernière instance
comme une substance individuelle.
Du même coup, « Être complet » et « substance
individuelle » signifient la même chose comme l’écrit
expressément Leibniz dans cet article VIII.
Ces deux premières caractéristiques de la substance
individuelle attestent déjà d’un caractère unique de la
définition Leibnizienne de l’identité.
Ainsi, la substance individuelle doit être réelle (par
opposition à nominale, n’ayant pas d’existence uniquement
dans le nom dont il est le signe), et une proposition, pour
être identique, doit expressément, ou tout au moins
virtuellement, enfermer le prédicat dans le sujet.
Les prédicats sont dépendants du sujet logique, et
sont en ce sens strictement nominaux, sans aucune
existence réelle, s’ils ne sont pas, à un titre ou à un autre,
dans le sujet lui-même. « Aussi, quand on considère bien la
connexion des choses, on peut dire qu’il y a de tout temps
dans l’âme d’Alexandre des restes de tout ce qui lui est
arrivé et les marques de tout ce qui lui arrivera [...]. »33
4. Le principe de raison suffisante
« [...] rien n’est sans raison, ou que toute
vérité a sa preuve a priori, tirée de la notion des
termes, quoyqu’il ne soit pas toujours en nostre
pouvoir de parvenir à cette analyse. »29
Le principe de raison présente un double intérêt
pour notre mémoire : il est à considérer d’une part dans sa
signification logique et d’autre part dans sa signification
« pratique ».
Dans le premier cas, il explique pourquoi toute
proposition vraie doit avoir une raison en fonction de
laquelle elle est vraie. Dans le second cas, ce principe, dans
sa formulation « nihil est sine rationne» explicite en quels
sens on peut dire que toute action a sa raison. Kant n’a pas
tout à fait tort quand il assimile pratiquement le Principe de
raison suffisante au Principe de causalité30.
Le principe de raison a bien un double usage : un
usage pour la physique dans sa version « principe de
causalité », et un usage logique quand il s’agit de
démontrer ce qu’est une proposition vraie.
29 Leibniz, NE I, 1, 23. E 212 a ; GP V, 71 ; ak VI, 6, 85. 30 Kant, Critique de la raison pure, 1 217. B 264.
« Nihil est sine rationne seu nullus effectus
sine cause. »31
Sans rentrer dans le débat de savoir si le Principe de
raison est le premier principe32 avant le Principe de
contradiction dont il serait lui-même le rejeton, notons
simplement qu’avec Leibniz ce principe est élevé au rang
de « loi de la vérité » et qu’il sera le principe déterminant
de notre réflexion.
Nous retrouvons ici une application du principe de
raison à la notion de « liberté d’indifférence » qui est
souvent expliquée à travers l’exemple maintes fois
commenté de « l’âne de Buridan ».
Soit un âne qui se trouve être à équidistance de
deux bottes de foin qui sont semblables et qu’il reconnaît
comme tels. Selon la conception ancienne, l’animal doit
mourir de faim puisqu’il n’a aucune raison d’aller d’un
côté plutôt que de l’autre.
Néanmoins pour Leibniz, le cas ne peut pas se
présenter puisque cette liberté d’indifférence n‘existe pas
en l’espèce car un tel cas de figure exigerait une parfaite
31 Leibniz cité par Heiddegger : « Rien n’est sans raison ou aucun effet n’est sans cause », Le Principe de raison, Tel-Gallimard, 1962, p. 77. 32 Heidegger avance notamment cette thèse dans Le Principe de raison, Tel-Gallimard, 1962.
symétrie qui devrait elle-même « exister » en conformité
avec le Principe de raison.
5. Inhérence de tous les prédicats & liberté humaine
« Comme la notion individuelle de chaque
personne renferme une fois pour toutes ce qui lui
arrivera à jamais, on y voit les preuves a priori de la
vérité de chaque événement, ou pourquoi l’un est
arrivé plutôt que l’autre, mais ces vérités quoique
assurées, ne laissent pas d’être contingentes, étant
fondées sur le libre arbitre de Dieu ou des créatures,
dont le choix a toujours ses raisons qui inclinent sans
nécessité. »33
L’article XIII du Discours de métaphysique est un
point précieux de la doctrine leibnizienne. C’est d’ailleurs
sur celui-ci que portera la plus grande partie des
correspondances entre Arnauld et Leibniz34.
A l’opposition entre « essence » et « accident » de
l’article VIII dont nous venons de parler dans notre
introduction à la « notion complète » s’ajoute désormais
l’opposition entre « nécessité » et « contingence », entre
ce qui est inévitable, inéluctable, impérieux, obligatoire et
ce qui est hasardeux, ce qui peut arriver ou ne pas arriver,
ce qui peut être ou ne pas être, ce qui n’est pas essentiel.
33 Leibniz, Discours de métaphysique, article XIII. 34 Robinet A., « [...] Arnauld ne se fera pas faute de fondre sur le sommaire de l’article XIII, qui va entraîner le plus bel échange philosophique que deux philosophes aux forces égales aient pu soutenir [...]. », introduction du Discours de métaphysique de Leibniz, Vrin, 1977.
La distinction entre « vérité de fait » et « vérité
contingente » est un point absolument essentiel à toute la
doctrine leibnizienne puisque c’est cette dernière qui
autorise Leibniz à faire rentrer la contingence dans une
proposition catégorique ; à admettre par exemple que le
prédicat « franchir le Rubicon », bien que strictement
contingent, soit pourtant contenu dans le sujet César.
Associée au « Principe de raison », la distinction
entre vérités nécessaires et vérités contingentes édifie une
majeure partie de la théorie de la substance leibnizienne du
Discours de métaphysique.
« Les vérités nécessaires sont celles qui
peuvent être démontrées par l’analyse des termes, de
sortes qu’elles aboutissent enfin à des propositions
identiques [...]. En d’autres termes, les vérités
nécessaires dépendent du principe de contradiction.
Les vérités contingentes ne peuvent être ramenées au
principe de contradiction ; autrement tout serait
nécessaire, et il n’y aurait pas d’autres possibles qui
ceux que parviennent à l’existence en acte. »35
« Toute proposition vraie universelle
affirmative, qu’elle soit nécessaire ou contingente,
comporte une certaine connexion du sujet et du
prédicat. Mais s’agissant de celles qui sont identiques,
35 Leibniz, Grua 303.
la connexion y est évidente par soi. Quand aux autres,
elle doit y apparaître par l’analyse des termes. »36
En effet, c’est le principe de raison qui permet le
progrès de l’analyse des termes : il suffit de remonter de
raison en raison jusqu’à satisfaire pleinement et
complètement « la connexion », le lien ,l’enchaînement de
telles ou telles propositions contingentes.
Si la notion individuelle de chaque personne
renferme a priori tout ce qui arrivera à cette dite notion
alors la distinction entre essence et accident (en faisant
résonner le sens de « modification de l’être » ) perd une
grande partie de sa raison d’être. Elle est remplacée par la
distinction entre « nécessaire » et « contingent ».
En effet, la raison de la raison d’être d’une telle
distinction est de mettre à part ce qui est essentiel (ce qui
ne peut pas être retiré d’une notion) de ce qui est accidentel
( le bas latin accidentalis qui s’oppose à substantialis).
Or, chez Leibniz, les prédicats essentiels et les
prédicats accidentels sont, sans distinction notable,
inhérents à la notion de chaque substance individuelle : en
évinçant l’opposition aristotélicienne entre essence et
36 Leibniz, Grua 303.
accident, il évacue du même coup l’opposition entre
accident et substance pour définir le second comme partie
du premier.
L’effet pour la liberté humaine semble, de prime
abord, assez désastreux. Arnauld a été profondément
choqué par une telle approche qui semble en effet mener
tout droit au fatalisme et au déterminisme le plus
implacable, et écrit ainsi au Landgrave Ernest de Hesse-
Rheinfels :
« [...] je trouve dans ces pensées tant que
choses qui m’effraient, et que presque tous les
hommes, si je ne me trompe, trouveront si choquantes
[...]. »
« [...] tout ce qui est [...] arrivé au genre
humain, et qui lui arrivera à jamais, a dû et doit
arriver par une nécessité plus que fatale. »37
Cependant, pour Leibniz, le choix de Dieu ou des
créatures a ses raisons « qui inclinent sans nécessiter ».
Il a une définition bien particulière de la
contingence et de la nécessité ainsi un événement peut être
assuré (c’est-à-dire certain), tout en demeurant en lui-
même strictement contingent puisque son contraire (que
37 Arnauld, Lettre au Landgrave, 13 mars 1686.
cet événement n’advienne pas) n’implique pas
contradiction.
Cette manière de raisonner est pour nous l’exemple
même de la force définitionnelle de Leibniz.
Cette différence entre ce qui est assuré (c’est-à-dire
certain) et ce qui nécessaire dans l’ordre des coexistants
peut s’expliquer au moyen d’un exemple très trivial.
Admettons que Socrate soit en quête d’un banquet
auquel participer, et qu’il ait reçu deux invitations. La
première pour le banquet d’Aristophane qui est à la fois
réputé pour la qualité des convives et de la restauration. La
seconde invitation concernant un banquet chez Xénophon
où la nourriture est déplorable, et les discussions assez
inintéressantes.
Socrate est libre de choisir le banquet de son choix.
Aucune extériorité d’aucune sorte ne le pousse à aller à
l’un plutôt qu’à l’autre et on suppose qu’il ne va pas se
laisser mourir de faim comme l’âne de Buridan.
Quelle est alors la probabilité que Socrate choisisse
le banquet de Xénophon ?
Socrate n’a pour ainsi dire aucune raison de ne pas
choisir le banquet d’Aristophane. Son choix d’homme libre
a ses raisons qui l’inclinent sans le nécessiter. Bien que le
choix du banquet d’Aristophane soit assuré (c’est-à-dire
certain), il n’en demeure pas moins strictement contingent
puisque son contraire (en l’occurrence choisir de se rendre
chez Xénophon) n’implique absolument aucune
contradiction.
Socrate ne contredirait aucune règle de l’univers en
décidant de passer une mauvaise soirée.
Au titre de la pure possibilité, il est possible pour
Socrate de choisir le banquet de Xénophon. Pour autant, le
choix du banquet d’Aristophane est à l’évidence assuré.
L’inhérence des prédicats essentiels et accidentels
dans la notion individuelle de chaque personne ne nous
paraît pas vraiment menacer la liberté humaine : Leibniz
insiste simplement sur deux points, d’une part l’inexistence
de la liberté d’indifférence et d’autre part sur le côté
délibératif de la raison humaine.
Nous retrouvons ici sous une autre forme les
premières lignes de l’Éthique à Nicomaque38 :
« [...] toute action et toute délibération,
tendent, semble-t-il, vers quelque bien. Aussi a-t-on eu
parfaitement raison de définir le bien : ce à quoi on
tend en toutes circonstances. »
Cette question de la contingence et de l’accidentel
n’est même pas nécessairement d’ordre théologique : elle
est cœur d’une antinomie non surmontée entre le principe
de la liberté et le principe de la causalité39
« Si l’esprit ne se détourne pas de sa
délibération alors on peut savoir avec certitude ce
qu’il choisira : il est en effet certain qu’il choisira ce
qui lui apparaîtra comme le meilleur, car il n’existe
aucun exemple du contraire. Mais qu’est ce qui nous
permet d’affirmer qu’il ne s’en détournera pas ? »40
Notons bien que Socrate choisira ce qui « lui
apparaîtra comme meilleur » et pas « ce qui est meilleur ».
Il demeure aussi libre de se tromper sur ce qui est
effectivement pour lui le meilleur. Ce sont ses raisons qui
38 Aristote, Éthique à Nicomaque, traduction de Jean Voilquin, GF-Flammarion, Paris, 1992. 39 Kant, Thèse : «La causalité suivant les lois de la nature n’est pas la seule d’où puissent être dérivés les phénomènes du monde dans leur ensemble. Il est encore nécessaire d’admettre pour les expliquer, une causalité par liberté. » Antithèse : « Il n’y a pas de liberté, mais tout dans le monde arrive suivant les lois de la nature. », 3ième antinomie dans « La dialectique transcendantale » dans Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1980. 40 Leibniz, Grua 385.
le poussent à agir dans tel ou tel sens, et donc pas
nécessairement de « bonnes raisons ».
Nous reviendrons sur cette « analyse des termes »
qui permet selon Leibniz de remonter de raison en raison
dans notre troisième partie sur la philosophie de l’action
leibnizienne, et nous verrons alors comment Leibniz
invente, ce que nous pourrions appeler une « sémantique
de l’action avec sujet »41 d’une espèce particulière.
41 Les reproches philosophiques adressés par Ricœur à Anscombe dans la troisième étude de Soi-même comme un autre sont centrés autour de l’idée selon laquelle Anscombe ne tient pas pleinement compte du « temps phénoménologique » et encore moins du « sujet de l’action ». Anscombe pense, selon Ricœur, une « sémantique de l’action sans agent ».
6. Principe des indiscernables : Identité et différence
« [...] la vérité est que tout corps est altérable, et même altéré
toujours actuellement. Je me souviens qu’une grande princesse, qui
est d’un esprit sublime, dit -un jour en se promenant dans son jardin
qu’elle ne croyait pas qu’il y avait deux feuilles parfaitement
semblables. Un gentilhomme d’esprit, qui était de la promenade,, crut
qu’il serait facile d’en trouver ; mais quoiqu’il en cherchât beaucoup,
il fut convaincu par ses yeux qu’on pouvait toujours y remarquer de la
différence. »42
Le principe des indiscernables, autrement nommé principe
de l’identité des indiscernables, pose le problème de l’identité
absolue qui ne convient pour Leibniz qu’à l’unicité.
Leibniz insiste très précisément sur ce point dés le début du
chapitre XXVII sur « ce que c’est qu’identité ou diversité » dans les
Nouveaux Essais42 :
« Il faut toujours qu’outre la différence du temps et du lieu, il
y ait un principe interne de distinction. »
Et ajoute :
« Le principe d’individuation revient dans les individus au
principe de distinction dont je viens de parler. »
Dans ce célèbre dialogue opposant Philalèthe43, le
représentant de Locke, à Théophile44, celui de Leibniz, le premier
42 Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Chap. XXVII, GF-Flammarion, 1990.
défend l’idée selon laquelle deux choses ne sont pas les mêmes au
sens de l’identité si elles ne sont pas dans le même temps et le même
lieu.
C’est pour Philalèthe un critère tout à fait suffisant pour
attester de la non-identité de deux choses entre elles et du même
coup de leur non-égalité puisqu’elles ne peuvent être placées sur le
même niveau.
Théophile — Leibniz — récuse d’abord l’idée selon laquelle
la pénétration n’est point conforme à la nature. Selon son exemple,
nous distinguons bien un rayon de soleil d’un autre même si ces
derniers se croisent. Mais le cœur de son argumentation demeure au
niveau logique, le refus d’une absence de « distinction interne des
individus, ces derniers devant différer en eux-mêmes
indépendamment de tout élément extérieur.
« Si deux individus étaient parfaitement semblables et égaux
et (en un mot) indistinguables par eux-mêmes, il n’y aurait point de
principe d’individuation ; et même j’ose dire qu’il n’y aurait point de
distinction individuelle ou de différents individus [...]. »42
En effet, en quoi consisterait la notion d’identité si les différents
individus ne possédaient pas en eux-mêmes la capacité de différer de tout
autre ? En l’absence de différence, que reste-il du principe
d’individuation ? Que reste t-il de la notion même d’individu ?
43 Etymologiquement : « celui qui aime la vérité ». 44 Etymologiquement : « celui qui aime Dieu».
« Il n'est pas vrai que deux substances se ressemblent
entièrement solo numero, [...] pourvu qu'on prenne la différence
spécifique comme la prennent les géomètres à l'égard de leurs
figures. »45
La différence numérique, la position relative ou le nombre, ne
suffisent pas pour attester de la différence ou de l’identité de deux
substances. Chacune d’elle a bien son propre principe interne de
distinction.
C’est ce principe interne de distinction qui atteste et garantit son
unicité. Or pour Leibniz, un individu existe, notamment, à partir du
moment où il est unique. L’unicité est, avec la complétude, la plus
importante caractéristique logique et métaphysique de la notion de
substance individuelle.
45 Leibniz, Discours de métaphysique, Article IX, Gallimard, Folio Essais, 2004.
I. IPSÉITÉ, MÊMETÉ ET HUMANITÉ
Cette seconde partie de notre mémoire est consacrée à
dresser un panorama d’ensemble des points saillants,
conceptuellement parlant, du chapitre XXVII (ce que c’est
qu’identité ou diversité) des Nouveaux essais sur l’entendement
humain, afin de compléter l’ossature logique et métaphysique de la
notion de substance individuelle telle que nous l’avons résumée
précédemment.
Ce squelette théorique va trouver en quelque sorte sa chair
dans cette notion d’identité personnelle qui va compléter la notion
de substance individuelle.
Ainsi, ce commentaire est pour nous un passage obligé afin
de cerner le problème de l’identité et de l’individualité tel que
Leibniz le pose. De plus, plutôt que de nous disperser dans l’œuvre
en cherchant une synthèse extrêmement complexe à réaliser et qui
n’apparaît pas constructive pour notre réflexion, il nous semble
souhaitable de faire exactement l’inverse, c’est-à-dire de nous
« focaliser » sur un point précis de l’argumentation leibnizienne : le
seul qui soit , expressément et explicitement, entièrement consacré à
l’identité personnelle. Les synthèses, que nous assumerons nôtres,
seront précisément l’objet de notre troisième partie.
En effet, l’identité personnelle dont parle Leibniz dans ce
chapitre des Nouveaux Essais suppose bien toujours d’abord
l’identité réelle ou substantielle telle que nous l’avons définie dans
la première partie de notre mémoire, mais se distingue précisément
de cette dernière puisqu’elle est propre à l’homme, ou bien plutôt à
la « personne ».
On sait que la notion même de « personne » est féconde :
issue du latin persona qui désigne d’abord un masque de théâtre, le
terme évoque un individu, homme ou femme, qui oscille toujours
entre identité « réelle » et identité usurpée, identité première et
identité « ajoutée »…
Pour prolonger cette réflexion sémantique, on peut ajouter
que le pronom indéfini « personne » (issu par spécialisation
d’emploi du substantif) exprime en corrélation avec ne la valeur
négative de « nul, aucune personne » réalisant ainsi le paradoxe de
désigner par son signe l’absence même de l’objet, du sujet , et
mettant ainsi métaphoriquement en jeu et en enjeu le principe de
contradiction même !
Ce chapitre répond, en termes leibniziens, aux questions de
savoir qu’est ce qui fait qu’un homme est le « même » homme,
qu’est ce qui fait qu’un homme est « lui-même » et enfin qu’est ce
qui fait qu’un homme est un « homme ».
Ce triptyque « Mêmeté, Ipséité, Humanité » montre le détail
et la précision de l’analyse leibnizienne de l’identité de la
« personne » et ne doit pas être considéré comme une simple
redondance ou profusion de termes mais bien comme révélateur
d’une identité qui multiplie les ipse, les idem pour n’en faire qu’un.
En effet, l’identité personnelle fonde la notion même de
« personne juridique » et de « responsabilité morale », et ainsi nous
pouvons le lire en partie comme une « philosophie de l’action », une
philosophie de « l’acte » au sens du latin classique actio « façon
d’agir ».
Le problème de l’ascription des actions au sujet est bien posé une
nouvelle fois. Cette fois la question n’est plus de savoir et de démontrer,
comme dans le Discours de métaphysique, que « les actions et les
passions appartiennent proprement aux substances individuelles46, mais
de montrer que les trois sens de l’identité dont nous venons de parler ci-
dessus font et fondent une seule et même personne : responsable
juridiquement et moralement devant les autres hommes.
46 Leibniz, Discours de Métaphysique, Article VIII, Paris, Vrin, 1993.
1. L’identité apparente, le moi et l’individu
Locke écrivait que « ce qui constitue l’unité (identité) d’une
même plante est d’avoir une telle organisation de parties dans un
seul corps qui participe à une commune vie, ce qui dure pendant que
la plante subsiste, quoiqu’elle change de parties. »47
Or Leibniz pense justement que « la figure est un accident »
et que les « corps organisés [...] ne demeurent les mêmes qu’en
apparence »48
En effet, Leibniz fait la distinction entre les substances qui
« ont une véritable et réelle unité substantielle »48 et les corps
organisés qui ne sont pas « un par soi » comme les substances, mais
bien toujours « un par accident ».
Dans les §4, §5 et §6 du chapitre XXVII des Nouveaux
Essais sur l’entendement humain, Leibniz opère ainsi une distinction
fondamentale entre identité réelle et identité apparente, cette
dernière se définissant comme l’identité qui se manifeste
soudainement (sens étymologique) et qui se caractérise par sa
visibilité.
47 Locke, cité par Leibniz, chapitre XXVII, §4, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-Flammarion, 1990.
Le paradoxe apparent de la question de savoir si le bateau de
Thésée que les athéniens réparaient toujours est bien le même bateau
est balayé par la distinction entre ce qui est un par soi et ce qui un
par accident.
Avec son souci constant de respecter le principe de non-
contradiction, Leibniz refuse qu’on puisse affecter une identité
propre à une entité qui n’a pas de « Principe de vie subsistant »48.
La question tant redoutée sur la conciliation entre identité et
changement n’a pas grand sens quand il s’agit de juger de l’identité
à lui-même, de l’égalité à lui-même du bateau de Thésée puisque ce
dernier ne demeure lui-même qu’en apparence, c'est-à-dire bien avec
une identité soudainement apparue et qui se manifeste par sa
visibilité.
Nous pouvons dire « en apparence », car le bateau de Thésée
change, au sens où les pièces qui le composent sont changées en
permanence, et que rien en lui-même ne garantit son unité, et surtout
que ces changements dont il est ici question ne font pas partie de sa
notion.
Ces changements ne sont pas sa loi, ils ne sont pas prévus
par sa définition, c'est-à-dire qu’ils ne sont ni ne peuvent être
déterminés (definitio « action » de déterminer » )
48 Leibniz G. W., chapitre XXVII, §4, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-Flammarion, 1990.
Le bateau de Thésée ne demeure pas le même individu car il
n’est pas un être, ce qui le prive d’être un être. Le bateau de Thésée
est un simple « être par agrégation » sans « principe de vie
subsistant »48 qu’on peut très bien nommer et renommer à l’infini :
tas de bois, bateau spartiate, matériel à brûler…
Que le bateau de Thésée soit détruit, pris par l’ennemi ou
bien brûlé dans une cheminée, cela ne change pas grand-chose au vu
de son individualité et de son identité qui ne sont qu’apparentes : sa
dénomination est toute entière dans sa figure, or cette dernière est
strictement accidentelle ; rien ne lui appartient en propre, et à
proprement parler, le bateau de Thésée n’a pas d’identité.
Or ce qui différencie notamment cette unité par accident
qu’est le bateau de Thésée des substances véritables, c’est que ces
dernières sont animées d’ « un certain esprit indivisible »48et
« qu’elles demeurent parfaitement le même individu par cette âme
ou cet esprit qui fait le moi dans celles qui pensent. »48
Un individu ne demeure parfaitement le même individu que
par cette âme ou esprit qui fait son moi, et sans ce rapport, l’identité
de tout individu ne serait qu’apparente et ne pourrait justifier d’une
permanence.
L’identité réelle est le privilège des individus réels, c’est-à-
dire de ceux qui ont une âme ou un esprit. La question de savoir si
les végétaux et les brutes sont des individus réels est pour ainsi dire
suspendue à la question de savoir s’ils ont ou n’ont pas une âme.
Leibniz ne tranche ni dans un sens ni dans l’autre.
Cette distinction leibnizienne est capitale pour la suite de
notre exposé : c’est le principe de vie subsistant qui fait le « moi »
dans les substances pensantes : le participe présent adjectivé
subsistant venant ici renforcer l’idée de permanence (subsistens :
« qui existe de manière durable ») mais aussi l’idée d’indivision « ce
qui existe encore après la disparition des autres éléments ».
Or, c’est cette distinction qui justifie et autorise qu’on puisse
parler en rigueur de l’identité d’une individualité.
2. L’identité morale ou personnelle
« il y a ici question de nom, et question de chose. Quand à la
chose, l’identité d’une même substance individuelle ne peut être
maintenue que par la conservation de la même âme [...]. »49
La conservation (à la fois « action de conserver » et « état de
ce qui est conservé ») de la même âme n’est pas pour Leibniz une
condition suffisante pour assurer et garantir l’identité d’une même
substance individuelle.
Ainsi, considérant l’hypothèse de la transmigration des âmes,
Leibniz explique que dans ce cas précis, nous pouvons fort bien
admettre que « L’identité de substance y serait, mais en cas qu’il n’y
eût point de connexion de souvenance entre les différents
personnages que la même âme ferait, il n’y aurait pas assez
d’identité morale pour dire que ce serait une même personne. »50
Or en quoi consiste cette identité morale ? Il s’agit de la
consciosité ou du sentiment du moi. Ce « moi ou ce lui » est sans
parties.
« [...] on ne peut point dire, à parler selon l’exacte vérité des
choses, que le même tout se conserve dont une partie se perd ; et ce
49 Leibniz G. W., chapitre XXVII, §6, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-Flammarion, 1990.
qui a des parties corporelles ne peut point manquer d’en perdre à tout
moment. »50
À la différence de Locke, là encore, Leibniz se refuse à
penser, et à admettre, que « les membres du corps de chaque homme
sont une partie de lui-même. »51 Il y a plusieurs raisons à cela.
D’une part, comme nous l’avons déjà étudié dans la
première partie de ce mémoire, toute substance individuelle est
notamment définie par son unité. D’autre part, le corps, autant
organisme vivant que corps inanimé, cadavre, n’est pas une
substance.
Or, comme l’écrit Leibniz, admettre des parties, c’est
admettre la possibilité de la perte de ces dites parties ; perte qui est
comprise au moins virtuellement dans la notion de partie.
Pour autant, il ne faut pas commettre l’erreur de croire ou de
penser que l’esprit est strictement indépendant de la matière, ou
complètement indifférent à toutes sortes de matières. Leibniz insiste
sur l’idée que c’est bien le moi qui est sans partie, pas le corps qui
peut être dit comme étant constitué de parties.
50 Leibniz, chapitre XXVII, §11, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1990. 51 Locke, cité par Leibniz, chapitre XXVII, §11, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1990.
En effet, chez Leibniz, les âmes « expriment originairement
[les portions de matière] à qui elles sont et doivent être unies, par
ordre. »52.
Ainsi, si la même âme pourrait, ex hypothesi, demeurer la
même en cas de transmigration de l’âme, elle n’en constituerait pas
pour autant en elle-même la même personne. Il y a dans l’idée de
personne bien plus que la conservation de l’âme puisque l’on y
trouve aussi l’idée du corps et que sans le corps (vivant, cadavre ou
poussière), elle perd déjà une part fondamentale de son unité.
« Il suffit pour trouver l’identité morale par soi-même qu’il y
ait une moyenne liaison de consciosité d’un état voisin ou même un
peu éloigné à l’autre [...]. »53
Leibniz donne un exemple très intéressant en écrivant que « le
témoignage des autres pourraient, [en cas d’absence de souvenirs],
remplir le vide de ma réminiscence ». Dans le cas d’une amnésie, même
totale, le témoignage des autres est alors ce qui reconstitue l’identité du
malade. Leibniz insiste sur ce point, non sans humour :
« Je pourrais garder mes droits, sans qu’il soit nécessaire de
me partager en deux personnes, et de me faire héritier de moi-
même. »53
52 Leibniz, chapitre XXVII, §14, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1990. 53 Leibniz G. W., chapitre XXVII, §9, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1990.
La conscience de soi , ou dirons nous la seule conscience de
soi, la conscience seule de soi, est bien un moyen de constitution de
l’identité personnelle, mais elle n’est pas la seule justement.
Une fois encore, Leibniz nous offre une caractéristique
supplémentaire de l’identité de la personne. Elle n’est jamais
seulement ceci ou cela. « Le rapport d’autrui ou même d’autres
marques [...] peuvent suppléer [à la conscience pour constituer
l’identité personnelle]. »53
C’est ainsi qu’il est particulièrement pertinent de rappeler
que la conscience de soi est donc, aussi et avant tout, un « savoir en
commun » (conscire) de cum et scire et qu’il faut du même coup la
penser comme « une connaissance partagée avec quelqu’un »,
connaissance qui oscille entre les valeurs de « confidence » et
« connivence » sans pour autant échapper au sens moral de
« connaissance intuitive du bien et du mal » et en réactivant le sens
« malebranchien » de « faculté qu’a l’homme d’appréhender sa
propre réalité ».
Là où Locke cherche à donner une définition d’équivalence
entre conscience de soi et identité personnelle, Leibniz affine ses
arguments et renforce le caractère multiple de la notion d’identité
personnelle.
« Pour ce qui est du soi, il sera bon de le distinguer de
l’apparence de soi et de la consciosité. Le soi fait l’identité réelle et
physique, et l’apparence du soi, accompagné de la vérité, y joint
l’identité personnelle. »53
3. Un animal raisonnable
« Il semble qu’il faut ajouter quelque chose de la figure et
constitution du corps à la définition de l’homme, lorsqu’on dit qu’il
est un animal raisonnable [...]. »54
Pour Leibniz, la définition de l’homme comme animal
raisonnable est insuffisante puisque rien n’empêche qu’il n’y ait des
animaux raisonnables d’une espèce différente de la nôtre. Leibniz
utilise ici le même type d’argument que dans le cas d’une, par
hypothèse, possible transmigration de l’âme.
En effet, si l’âme d’un être humain était, par exemple,
transférée dans un âne, alors bien qu’on puisse dire qu’il s’agit du
même individu « à cause du même esprit immatériel »54, on ne
pourrait pas autant dire qu’il s’agit encore d’un homme.
Il y a ici une forme de paradoxe dans lequel Leibniz semble
essayer de nous enfermer.
Certes, l’âme peut faire le même individu, mais elle ne fait
pas la même personne au sens où l’âme d’un homme dans un âne ne
transforme pas pour autant ce dernier en homme.
54 Leibniz G. W., chapitre XXVII, §8, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-Flammarion, 1990.
Or chez Leibniz, l’identité de substance va de pair, pour les
êtres humains, avec l’identité morale ou personnelle. Plus encore, il
faut joindre à la définition de l’homme ses caractéristiques afin de
savoir si tel ou tel individu appartient à cette dite espèce. Il y a un
double gain pour l’identité dans cette définition leibnizienne.
En effet, d’une part, l’identité d’une individualité est
asservie aux caractéristiques de la « classe d’objets » à laquelle il
appartient. D’autre part, aucune identité n’est jugée a priori
impossible ou contradictoire, telle ou telle individualité serait alors
mal « classée ».
Cela est très important, car Leibniz sait bien que « d’une
définition, on ne peut rien inférer de certain au sujet de la chose
définie, tant qu’il n’est pas établi que cette définition exprime une
chose possible. »55
Ces caractéristiques permettent bien le classement, à ce titre
les génies ne sont pas des hommes pour Leibniz. Ainsi, c’est un
classement dans un « type » particulier, une classe d’objets dont il
est ici question.
Or en disant cela, Leibniz ouvre la porte à des choix
possibles sur la définition des caractéristiques de l’espèce humaine.
55 Leibniz G. W., Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, sur l’article 14, dans Opuscules philosophiques choisis, traduit par Paul Schreker, Vrin, 1978.
4. Le même individu et le droit
« Les lois menacent de châtier et promettent de récompenser,
pour empêcher les mauvaises actions et avancer les bonnes. Or un fou
peut-être tel que les menaces et les promesses n’opèrent point assez
sur lui [...]. De l’autre coté, on veut que le criminel sente l’effet du
mal qu’il a fait, afin qu’on craigne davantage de commettre des
crimes, mais le fou n’y étant pas assez sensible, on est bien aise
d’attendre un bon intervalle pour exécuter la sentence [...]. Ainsi ce
que font les lois ou les juges dans ces rencontres ne vient point de ce
qu’on y conçoit deux personnes. »56
Là où Locke pensait que « les lois humaines ne punissent pas
l’homme fou pour les actions que fait l’homme de sens rassis, ni
l’homme de sens rassis pour ce qu’a fait l’homme fou. »56 et
concevait ainsi comment « elles font deux personnes. »56, Leibniz
insiste sur la nécessaire unité de la personne.
L’unité de la personne est constituée a priori . Ce n’est pas
sa mêmeté qui le constitue, mais bien la forme de son individualité :
son identité.
En effet, le même homme peut tour à tour être raisonnable et
fou, mais ces caractéristiques n’ont pas lieu d’être conçues
contradictoirement dans son identité. Ces sont des formes que prend
la même personne.
56 Leibniz, Chapitre XXVII, §20, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1990.
L’idée selon laquelle dans un tel cas de figure, la loi devrait
concevoir deux personnes repose, en première instance, sur l’idée
que l’unité de la personne ne tolère pas d’écart à l’intérieur de soi-
même.
Ainsi, l’identité de la personne a besoin pour être identifiable
de reposer sur un paramètre unique et premier : l’identité de la
personne est ainsi fondée pour Locke sur la consciosité.
Or, ce qui est frappant chez Leibniz, c’est justement que la
diversité de la personne est la forme voire les formes que prennent
son unité, et non pas l’inverse.
Les formes diverses de la personne telles qu’elles se
manifestent dans les actions, comme dans les pensées sont la
meilleure expression de l’unité de la personne, là où c’est au
contraire pour Locke, la manifestation singulière de la consciosité
qui est l’expression de l’unité de la personne.
La théorie leibnizienne de l’unité inclut et autorise la
réunification, et la conciliation du soi comme diversité, pas le
dialogue entre des soi multiples, mais bien l’idée de la diversité
comme unité.
5. L’individualisme impossible
Nous avons lu au hasard de nos errements d’apprenti
chercheur que Leibniz inaugurerait « philosophiquement,
l’ébranlement de la figure de la subjectivité ; [et] culturellement, la
promotion des valeurs de l’individualisme. »57
Au risque de nous « méprendre gravement, et [de] manquer ce qui
constitue[rait] pourtant l’une des significations les plus nettes de cette
[supposée] inauguration leibnizienne de l’ère des monadologies »57, nous
pensons que l’idée selon laquelle Leibniz se ferait l’apôtre d’un
individualiste moderne qui verrait dans le seul individu la suprême valeur
dans le domaine politique, économique ou moral apparaît tendancieuse et
pour le moins excessive.
Nous pouvons même dire qu’il s’agit d’une idée curieuse, autant
au sens où elle pique la curiosité qu’au sens où elle apparaît vaine.
57 Renaut, L’ère de l’individu, P. 134 : « [...] lire dans le devenir-monadologique de l’ontologie moderne un simple moment dans le triomphe des valeurs de la subjectivité ou de l’humanisme, c’est se méprendre gravement, et manquer ce qui constitue pourtant l’une des significations les plus nettes de cette inauguration leibnizienne de l’ère des monadologies : philosophiquement, l’ébranlement de la figure de la subjectivité ; culturellement, la promotion des valeurs de l’individualisme. »
La critique d’une telle théorisation a déjà été faite58, et nous nous
contenterons, pour notre part, de traiter les points d’une contre
argumentation qui ont un rapport direct avec l’objet de notre mémoire.
Au-delà de la théorie de l’expression59, une idée leibnizienne liée
à l’identité et à l’individualité fait barrage à cette étrange idée. C’est,
paradoxalement, l’application du « Principe de non-substituabilité » à
l’idée même de la notion d’individualisme.
L’individualisme dont parle ici Alain Renaut doit se comprendre
dans sa variante axiologique, puisqu’il écrit que Leibniz promeut les
« valeurs de l’individualisme ». Voilà ce que Le Grand Dictionnaire de
la philosophie nous dit de cette notion :
« Au sens moral, sentiment de soi qui précède et conditionne
tout engagement collectif. Au sens politique, doctrine selon laquelle
l’individu précède la société, aussi bien chronologiquement
qu’axiologiquement. »
Renaut constitue et pense l’individualisme moral à partir de la
singularité de l’individu sans jamais voir qu’aucun de ces individus
n’existent effectivement sans le monde qu’ils constituent, et qu’un seul
« retrait » de n’importe lequel de ces individus fait la fin du monde et
ruine la notion de société.
58 Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, De l’individuation à l’individualité universelle, PUF, Epiméthée. Juillet 1998. 59 « Que chaque substance singulière exprime tout l'univers à sa manière et que dans sa notion tous ses événements sont compris avec toutes leurs circonstances et toute la suite des choses extérieures. »
Aucun monde existant ou possible n’est pensable sans la totalité
des individus qui le composent. C’est un non-sens leibnizien que de
concevoir le contraire.
Bien sûr, comme nous l’avons montré dans la première partie de
notre réflexion, les individus sont pour Leibniz irréductiblement
singuliers ; chacun « diffère en lui-même de tout autre. »60
Mais cette singularité compose un monde qui est un agrégat de
singularités.
« Quoique qu’il y ait plusieurs choses de même espèce [...] les
choses ne cessent pas d’être distinguables en soi. »
Distinguables en soi, et non-substituables l’une à l’autre. C’est La
Loi de Leibniz : Eadem sunt qorum unum potest substitui alta salva
veritate.61
Dans le contexte leibnizien, et comme le note Michel Fichant62,
substituer veut dire remplacer. L’identité dont il est question pour
Leibniz n’est ni formelle ni nominale, son contenu est directement
compris dans ce qu’elle est l’identité.
60 Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, p. 180, GF-Flammarion, 1990. 61 Fichant, « Deux choses sont les mêmes lorsque l’une peut être substituée à l’autre, la vérité étant respectée », Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, p. 293. 62 Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, p. 293.
Sans discuter ce que ce type de définition peut impliquer en
termes de formalisme ou a contrario de logicisme, notre propos est ici de
montrer ce en quoi La Loi de Leibniz contredit la notion
d’individualisme dans ses fondations même.
Nous posons que l’individualisme suppose, paradoxalement, que
chaque personne soit justement substituable l’une à l’autre. Pourquoi ?
Un individualisme où chaque personne serait irréductiblement
unique et défendant sa place n’aurait pas de sens à proprement parler
puisque l’individualisme est justement une théorie de l’agent rationnel
neutre. C'est-à-dire n’importe quel agent. C’est de la nature de l’individu
dont il est question dans l’individualisme, c’est l’individu comme alter
ego, et jamais l’individu comme species infima.
Sinon, l’individualisme serait une forme particulière de
l’individuation, et perdrait l’universalité de son concept qui est censé le
définir. Si l’individualisme ne vaut pas pour tout individu quel qu’il soit,
alors il ne vaut rien, et ne veut rien dire de plus qu’une individuation
généralisée. Or, c’est justement ce que La « Loi de Leibniz » contredit
strictement.
Quels que soient les cas de figure, qu’ils soient métaphysiques,
pratiques ou logiques, aucun individu ne peut remplacer un autre
individu. C’est là que se situe la force de la définition Leibnizienne. C’est
une définition universelle qui ne vaut jamais seulement pour tous, mais
aussi toujours pour chacun, c'est-à-dire pour chaque un et « un à un »
(cata unum).
Formelle et nominale sont deux des conditions posées, par contre,
par toute définition de l’individualisme.
L’individualisme comme théorie générale de l’individu n’est pas
compatible avec « La Loi de Leibniz » comme loi particulière de chaque
individu. Les individus ne sont pas remplaçables chez Leibniz. Cette
« dignité » n’est pas réservée aux esprits : aucun individu d’aucune sorte
n’est remplaçable dans le monde donné, comme dans les mondes
possibles.
Toute théorie dans ses visées axiologiques se fonde elle-même
sur une métaphysique de l’individu ou de l’humanité. Les « valeurs de
l’individualisme » sont les héritières d’un monde déshumanisé ou tout au
moins « déshumanisable ». Un monde dans lequel l’humanité n’a même
pas une identité nominale. Il n’est pas dans notre propos de réagir à cela,
mais nous pensons simplement que cela est incompatible avec la vision
métaphysique de Leibniz.
Les hommes ne sont pas substituables, leurs places et leurs rôles
ne sont pas échangeables. L’individualisme perd tout son sens. Ce
dernier n’est déjà possible que dans un cadre bien précis : celui de l’ego
comme alter ego. Celui du soi-même comme un autre.
II. CINQ SYNTHÈSES DES DÉTERMINATIONS
Au terme de notre cheminement, nous avons, espérons-le, une
vision plus franche (donc aussi plus libre) et plus nette de la philosophie
leibnizienne de l’identité et de l’individualité, et nous sommes ainsi à
même, sur la base de ce travail, de proposer ce qui nous semble découler
de la synthèse de nos deux études.
Ainsi, nous avons jusqu’à présent juxtaposé les thèses logiques et
métaphysiques des articles consacrés aux « créatures » du Discours de
Métaphysique au chapitre spécifiquement dédié à l’identité et à la
diversité dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain. Le choix
de ce corpus de texte restreint très évidemment notre analyse au prisme
que nous avons choisi d’appliquer dès l’introduction de ce mémoire.
En effet, il nous semble pertinent de traiter ensemble les
problèmes de l’identité réelle et personnelle, et ne pas y mêler, quand
cela s’avère possible, d’autres considérations. Nous avons du en
conséquence faire l’impasse sur un certain nombre de thèmes pourtant
très importants comme le temps, les petites perceptions, ou encore une
théorisation complète de la notion d’expression.
Notre prisme de travail résulte de la rencontre improbable de
Leibniz avec les thèses et thèmes du débat qui opposent Ricœur à
Anscombe, et plus généralement qui opposent le mouvement
phénoménologique et les partisans de la philosophie analytique.
Néanmoins, cette troisième partie doit pourtant tout à Leibniz et à
sa théorisation de l’identité et de l’individualité.
La première de nos synthèses explique en quoi la définition
leibnizienne de la « personne » est une véritable invention.
La seconde pourquoi avec Leibniz l’individu recouvre sa liberté,
en cherchant et en accomplissant son identité dans les suites du temps.
La troisième reconnaît une spécificité à une philosophie de
l’action leibnizienne fondée sur la complétude nécessaire de l’identité.
La quatrième consiste à penser que la conception selon laquelle
toute individualité est une espèce dernière — ce qu’atteste son unicité —
devrait changer radicalement notre rapport « aux identités ».
Enfin, celle de comprendre le bouleversement complet de nos
catégories de pensées logiques si nous admettons l’inversion du rapport
de sujétion, et l’unité de l’individualité.
1. L’invention de la « personne »
« Le lent acheminement de la pensée philosophique vers la
notion de personne correspond à un resserrement progressif de son
champ de significations autour de deux idées fondamentales : l'unicité
et l'humanité. »63
En réconciliant entre eux les sens de l’identité, c’est l’identité
elle-même que réconcilie Leibniz pour donner un sens tout à fait original
à la notion de « personne ».
Nous avons étudié dans la première partie de notre analyse la
théorie leibnizienne de la prédication logique, et dans la seconde la
théorie de la personne qui pouvait s’y insérer. Ainsi, comme nous le
disions en introduction :
« [...] la détermination de la notion de personne se fait par le
moyen de prédicats que nous lui attribuons. La théorie de la personne
tient ainsi dans le cadre général d’une théorie de la prédication des
sujets logiques. La personne est en situation de sujet logique par
rapport aux prédicats que nous lui attribuons. »64
Ce qui est intéressant au terme de ces deux premières parties,
c’est que nous avons avec Leibniz considérablement fait évoluer cette
problématique de la « personne » comme « sujet logique », mais
63 Guénancia, « L’identité » dans les Notions de Philosophie, p. 627, Gallimard, Folio Essais, 1995. 64 Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil, 1990, p.49.
également plus simplement de la « personne » comme « sujet
métaphysique ».
En effet, indépendamment de tout débat sur la nature et la forme
de la prédication, la notion de personne se conforme déjà pour Leibniz
aux trois sens de l’identité que nous avons définis pour notre seconde
partie.
Et par touches successives, Leibniz caractérise la personne
comme ipséité puisque c’est « la consciosité ou le sentiment du moi » qui
fait la même personne.
Il la définit également comme mêmeté puisqu’il conçoit la
diversité comme unité, et refuse que deux « comportements » fassent
deux personnes.
Enfin, Leibniz caractérise l’identité comme humanité puisqu’il
admet quelque chose de la figure et de la constitution pour l’animal
raisonnable sans parties que nous sommes.
Là où Locke différenciait clairement « homme », « substance » et
« personne »65, Leibniz nous permet de penser un sujet réconcilié avec
ses caractéristiques.
65 Locke, Essai sur l’entendement humain, Livre II, Chapitre XXVII dans identité et différence, Traduction Étienne Balibar, Éditions du Seuil, 1998.
2. La liberté retrouvée
« Souffrez maintenant, Monsieur, que je transfère à ce moi ce
que vous dites d’Adam, et jugez vous-même si cela serait soutenable.
Entre les êtres possibles, Dieu a trouvé dans ses idées plusieurs moi,
dont l’un a pour prédicat d’avoir plusieurs enfants et d’être médecin,
et un autre, de vivre dans le célibat et d’être théologien. Et s’étant
résolu de créer le dernier, le moi qui est maintenant enfermé dans sa
notion individuelle de vivre dans le célibat et d’être théologien, au
lieu que le premier aurait enfermé dans sa notion individuelle d’être
marié et d’être médecin. N’est-il pas clair qu’il y aurait point de sens
dans ce discours, parce que mon moi étant nécessairement une telle
nature individuelle, ce qui est la même chose que d’avoir une telle
notion individuelle, il est aussi impossible de concevoir des prédicats
contradictoires dans la notion individuelle de moi, que de concevoir
un moi différent de moi. D’où il faut conclure, ce me semble, qu’étant
impossible que je ne fusse pas toujours demeuré moi, soit que je me
fusse marié ou que j’eusse vécu dans le célibat, la notion individuelle
de mon moi n’a enfermé ni l’un ni l’autre de ces deux états [...].»66
Arnauld résume de manière tout à fait claire et admirable ce qui
l’oppose à Leibniz. Ce dernier nous donne une définition « complète et
accomplie » de l'identité de toute individualité en y incluant non
seulement les prédicats classiques, mais aussi les actions comme les
événements.
Arnauld est choqué de ne pas être un moi « une fois pour toutes ».
De son point de vue, son identité précède son individualité. Son moi est
constitué avant d’être, pour ainsi dire, « rempli de prédicats ». Arnauld
66 Arnauld, GP, II, 30.
est clair sur ce point : il est lui-même, indépendamment de son célibat et
de sa profession, puisque marié et médecin, il n’aurait pas été à
proprement parler « le même » Arnauld, mais quand même toujours « la
même nature individuelle » i.e. le même moi : la même individualité.
Or, la notion de chaque individu, sa définition complète — ce qui
épuise et sature tout ce qu’il a été, est et sera — est pensé par rapport à
l’entendement divin pour lequel la flèche du temps n’a aucune emprise.
Arnauld retient le caractère théologique du débat, alors que la force
définitionnelle de Leibniz étend son empire jusqu’au niveau humain.
Certes, dire que l’identité d’une individualité doit être complète
pour que l’individualité soit parfaitement définie, et que l’individualité se
conçoivent toujours comme unité et unicité demeure au niveau logique
parfaitement valide. Sa validité peut être même attestée si la proposition
qu’elle caractérise existe effectivement. Est-il si déraisonnable de refuser
l’identité complète et accomplie à ce qui est en devenir ?
Chacun est libre de faire ce que bon lui semble et notamment de
ne pas être définitivement lui-même avant que tous les accidents,
prédicats et autres événements ne (se) soient « produits » dans « les
suites des temps » ; le même individu ne demeure que virtuellement lui-
même tant que son identité ne s’est pas accomplie.
En effet, le lien entre « notion » et « substance individuelle » est
fondé, dans l’entendement divin, sur la nécessaire correspondance entre
identité et individualité. Or, nous pouvons néanmoins essayer de penser
par nous-même cette fameuse « notion ». Bien sûr, nos capacités limitées
nous empêchent de connaître pleinement telle ou telle notion, mais cet
empêchement est bien strictement contingent.
Notre finitude, pour autant que nous le sachions, ne change rien à
la possible correspondance entre identité et individualité. Qu’il y ait un
Dieu, ou un malin génie, pour la penser ou ne pas la penser ne change
pas grand-chose quant à la réponse donnée consistant à penser l’identité
d’une individualité comme nécessitant tous les prédicats existants, et à
venir.
Il est faux de dire que pour Leibniz « l’essence précède
l’existence ». La correspondance logique et métaphysique entre identité
et individualité n’est pas à proprement parler fondée sur l’existence de
Dieu, mais bien plutôt sur le respect des Principes de contradiction et de
raison suffisante. Un accord sur ces deux derniers points peut suffire pour
penser ce « leibnizianisme » de la pensée.
Ainsi, nous pensons qu’un « leibnizianisme moderne » peut être
un existentialisme. Pour Sartre, « L’existentialisme n’est pas tellement un
athéisme au sens où il s’épuiserait à démontrer que Dieu n’existe pas ». Il
déclare plutôt : « même si Dieu existait, ça ne changerait rien [...]. En ce
sens, l’existentialisme est un optimisme, une doctrine d’action.»67 »
Par exemple, Jaspers et Gabriel Marcel, de confession catholique
se classent bien eux-mêmes dans ce courant. Dans le cas qui nous occupe
présentement, la question est bien de savoir en quel sens un
leibnizianisme et un existentialisme s’accorderaient à dire « qu’un
homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme,
l’organisation, l’ensemble des relations qui constituent ces
entreprises »67.
Or, cela consiste bien à dire qu’essence et existence ne font qu’un
au présent d’éternité, et que l’existence précède l’essence dans le « temps
humain ».
Quand l’Électre de Sartre demande à son frère où doivent-ils aller
pour faire usage de leur liberté conquise et retrouvée, Oreste répond :
« Je ne sais pas. Vers nous-mêmes. De l’autre côté des fleuves
et des montagnes, il y a un Oreste et une Electre qui nous attendent. Il
faudra les chercher patiemment »68
Jean-Paul Sartre ne dit pas autre chose que Leibniz quand il fait
dire à Oreste qu’aller vers soi-même, c’est se chercher dans les suites du
temps et se produire comme identité dans l’action. Nous pratiquons
67 Sartre, J.-P., L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, Folio Essais, 1996. 68 Sartre, J.-P, , Acte 3, Scène III, Les Mouches.
simplement une suspension de notre jugement identitaire. La personne ne
cesse pas d’être un sujet, mais elle demeure un « sujet en devenir » ; un
sujet dont l’identité elle-même est en devenir.
Ainsi, il n’y a ni individualité « Oreste » ni identité « Oreste »
avant que ce dernier se soit patiemment cherché, et finalement trouvé de
l’autre côté des fleuves et des montagnes.
Ce refus de « l’identité de l’individualité en devenir » ne
concerne que les propositions où intervient le temps. Ne sommes-nous
pas justement en train de créer notre identité à travers nos délibérations,
nos accidents, nos rencontres, nos renoncements, ou nos erreurs ? Ce qui
semblait si inacceptable à Arnauld n’est-il à pas proprement parler la
liberté retrouvée pour toute individualité ?
Ce qui effrayait Arnauld, c’est justement que son essence puisse
ne pas précéder son existence. Sourde et classique angoisse.
Avoir fait le choix de la médecine ou celui de la théologie n’est-il
pas justement ce qui constitue a posteriori l’identité d’Arnauld . ? N’est-
ce pas insulter la mémoire de « notre » Arnauld que de reléguer en
dehors de ce qui le définit, et en dehors de ce qu’il est, les choix qu’il a
faits en conscience ?
Dire aujourd’hui qu’Arnauld était marié, c’est bien dire quelque
chose de faux. C’est faux car Arnauld est resté célibataire. C’est faux car
Arnauld n’a pas une telle identité : ce n’est pas lui. C’est faux car cela ne
rentre pas dans sa notion, cela ne le définit pas tel qu’il a effectivement
été. Vérité, essence et existence doivent se correspondre et même
« s’entre-exprimer » pour définir l’identité de l’individualité Arnauld.
C’est bien là quelque chose qui peut sembler paradoxal pour tous
lecteurs de Leibniz tant habitués à voir ce dernier attaqué de toute part
pour le fatalisme qu’il introduirait dans la liberté humaine mais ce
dernier demeure un farouche ennemi du quiétisme, un partisan de
l’action, et un théoricien optimiste.
3. Une philosophie de l’action leibnizienne
« En effet dans l’Odyssée, le sujet n’est pas long. Un homme
erre loin de son pays pendant de nombreuses années, étroitement
surveillé par Poséidon et isolé. De plus les choses se passent dans sa
maison de telle sorte que sa fortune est dilapidée par des prétendants
et son fils livré à leurs embûches. Il arrive lui, en proie à la détresse,
et s’étant fait lui-même reconnaître de quelques-uns, il attaque et est
sauvé tandis que ses amis périssent. Voilà ce qui appartient en propre
au sujet ; le reste est épisodes. »69
Lors d’une conférence70 au Collège de France de Vincent
Descombes, ce dernier expliquait en quoi toute sa recherche personnelle
sur la structure des phrases narratives se résumait bien à la question de
savoir qu’est-ce qui était « sujet » et qu’est-ce qui était « épisodes ». Sans
entrer dans de longs débats narratologiques, il est bien évident que la
prééminence accordée à telles ou telles parties oriente de manière
sensible toute réflexion sur les enjeux narratifs et la place du sujet
(prenons le terme dans sa polysémie) et installe une hiérarchisation qui se
mue de manière presque obligatoire en système de valeurs.
Dans le même ordre d’idées, Vincent Descombes proposait par
exemple de résumer À la recherche du temps perdu par « Marcel devient
un grand écrivain ». Cette dernière phrase étant supposée être le logos du
texte.
69 Aristote, Poétique, §17, Tel Gallimard, 1996. 70 Conférence du 12 novembre 2003. Basés sur mes notes personnelles prises à cette occasion.
Ce raisonnement s’applique en l’espèce à ce qui nous occupe. La
question est justement de savoir comment définir pleinement et
complètement l’identité d’une individualité, comment faire pour que le
logos soit complet et un ?
Soit nous respectons la procédure prédicative classique de type
aristotélicienne (avec prééminence du sujet, assujettissement du
prédicat), et le débat reste ouvert, et pour ainsi dire, « inclôturable », soit
nous tentons notre l’assimilation leibnizienne de l’identité et de
l’individualité.
C’est sur cette base, sur ce choix de départ que vont par la suite se
cristalliser toutes les apories imaginables. Toute la philosophie
analytique repose justement sur la possibilité d’ôter au « sujet de
l’action » une partie de ses prédicats. Le parallèle peut se faire : il s’agit
d’enlever autant de prédicats qu’on pourrait enlever d’épisodes à
l’Odyssée d’Homère de manière à en isoler le sujet, et à permettre ainsi
de le circonscrire. Cela suppose bien évidemment qu’aucun des épisodes
ne soient « essentiels ».
Il y a ainsi dans l’Intention d’Anscombe une sémantique de
l’action où le sujet est réduit à sa plus simple expression. Ce dernier est
« nommé ». Rien de plus. L’action constatée est convertie en description,
et à partir de cette dernière qui est, par définition, narrative, Anscombe
reconstruit l’intention du sujet.
Le « sujet de l’action » se transforme alors en « sujet logique » de
la proposition et perd au passage sa complétude et son unicité. Il devient
même remplaçable puisque selon Anscombe, nous pourrions très bien
remplacer le sujet de telle ou telle action par un autre sujet de la même
manière que nous pourrions donc remplacer tel épisode par tel autre
épisode dans l’Odyssée d’Homère.
Or, dans ce dernier cas, si nous pouvons remplacer un sujet par un
autre sujet, il faut bien se rendre compte que c’est la forme narrative elle-
même qui est « prédiquée » et plus le sujet de l’action. Paradoxalement,
les actions et passions ne sont plus vraiment celles des sujets, mais des
épisodes ?
Bien entendu, il faut bien un « sujet de l’action », ce dernier reste
pour une très large partie tout à fait nommable. Pourtant le débat
analytique ne se limite jamais au « sujet logique » et tend toujours, d’une
manière plus ou moins volontaire, et plus moins cachée, à étendre son
analyse de la phrase au « sujet de l’action » lui-même.
Ainsi, dans le cas de l’Intention d’Anscombe, le « sujet de
l’action » est pensé et définit à partir de l’analyse de la description
strictement narrative d’un tiers « neutre » d’une action justement
attribuée non pas au « sujet de l’action » mais bien au « sujet logique »
de la phrase. Dans la plupart des cas, cela s’avère relativement
opérationnel puisque « en gros » l’action d’un homme, c’est son
intention. Mais il faut comprendre que de cela, on ne peut pas déduire le
mouvement inverse sauf à savoir justement ce qu’est l’intention du
« sujet de l’action ».
La théorie Anscombienne propose de découvrir l’intention d’un
homme à travers ce qu’on ne sait justement pas et ce qu’on cherche à
découvrir i.e. son intention. Dans ce débat, nous pourrions déduire des
théories leibniziennes que l’étude de l’action d’un homme nous en
apprendrait certainement beaucoup sur son action, mais pas plus puisque
nous ne sommes pas en mesure de faire rentrer « la série entière des
choses » dans notre analyse.
Nous pourrions ensuite avancer qu’altérer la « complétude » et
« l’unité » de la notion du sujet pervertit de manière définitive notre
étude sur le sujet lui-même, sur son action et son intention.
Certes, nous pouvons dans un tel cas « approcher » ce qu’a été
l’intention d’un homme puisque cette dernière est souvent mise en
pratique ; par contre prétendre pouvoir remonter la suite des raisons en
choisissant soi-même les termes de la proposition consiste
nécessairement à exclure du sujet ce qui le constitue : l’action elle-même
voire l’événement.
« La poursuite du signe au détriment de la chose signifiée ; le
langage considérait comme une fin en soi, comme un concurrent de la
réalité ; la manie verbale, chez les philosophes mêmes ; le besoin de
se renouveler au niveau des apparences ; — Caractéristique où la
syntaxe prime l'absolu, et le grammairien le sage. »71
71 Cioran, Syllogismes de l’amertume, Folio Essais, paris, 1993.
4. L’espèce dernière et la « clôture » de Soi
« Dire d’une chose qu’elle serait identique à elle-même, c’est
ne rien dire du tout. »72
C’est la notion de « species infima » qui fait la synthèse « réelle
et conceptuelle » de nos déterminations. C’est cette notion qui nous
semble attester de la clôture du Moi, et de sa totale et sévère
indépendance : soi-même comme nul autre. Que nous soyons un humain,
une brute, ou une plante, nous restons donc autre et unique .
En effet, Leibniz étend la théorie thomiste selon laquelle les
anges et les intelligences forment chacun en tant que tels et surtout en
tant qu’eux-mêmes une « espèce dernière » à toutes les substances. Non
seulement les « individus » sont absolument uniques, mais en plus leur
unicité précède en droit et en logique toute catégorie à laquelle ils sont
censés appartenir.
« Quod ibi omne individuum sit species infima »73
Ainsi chaque individu est unique, mais surtout dernier : c’est-à-
dire que chaque substance est l’exemplaire absolument unique de son
espèce.
72 Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5-5303, traduction de P. Klossowski, Gallimard. 73 Leibniz, « Que là tout individu est une espèce infime », Discours de métaphysique, Article IX, Vrin 1993
Cette analyse ouvre la voie à des perspectives tout à fait
intéressantes pour l’étude et la compréhension d’une notion très
contemporaine comme par exemple « la différence sexuelle ». Ce débat
oppose de manière assez générale les essentialistes aux différentialistes,
les premiers pensant que l’espèce humaine prime sur le genre, les
seconds que le genre prime sur l’espèce puisque les différences entre
males et femelles l’emporteraient sur l’identité de l’espèce.
Avec Leibniz, l’individu étant le seul de son espèce, le premier
comme le dernier, le débat est en deçà de ce qui oppose essentialistes et
différentialistes puisque Leibniz a une interprétation non biologique de
l’espèce humaine qui donne à chacun sa place propre indépendamment
des genres, et plus généralement de toute les « classes logiques »
d’appartenance.
Ainsi, la notion d’ « espèce dernière » garantit non seulement la
singularité de l’individu, mais aussi sa « clôture » c'est-à-dire la
possibilité pour une individualité d’être en pleine possession de ce
qu’elle est, car ce qu’ « elle est » la constitue en retour. La clôture
consistant à être légitimement animée d’identités contrariées, voire
contradictoires voire contraires.
C’est au sein de cette « clôture » que se jouent les identités de
toute individualité, c’est en son sein que se retrouvent les prédicats et en
elle que se fait la synthèse. Il n’y a jamais de dialogue avec soi-même,
mais bien plutôt toujours un soliloque, un monologue permanent où
s’organise et se désorganise l’unité de l’identité d’une individualité.
5. La prédication « assujétive » :
"Je ne sais donc pas s'il y a un accident prédicamental
réellement distinct du sujet qui ne soit pas un accident prédicable ; ni
s'il y a un accident prédicable qui ne soit pas une modification ; de
même que j'ai déjà mis en doute s'il y a un accident prédicable distinct
du sujet qui ne soit pas une modification."74
Les prédicats accidentels faisant partie de la notion de toute
substance individuelle sont pour, ainsi dire et sans que ce soit
contradictoire, essentiels. Leibniz doute que ces accidents soient
réellement distincts du sujet logique auquel ils appartiennent, doute que
ces accidents ne soient pas des modifications.
Ce doute affiché de Leibniz est bien plutôt une réelle réticence à
admettre et à concevoir qu’autre chose que les substances puissent être
admises et élevées au rang d’entités réelles. En un sens, ces prédicats
accidentels sont essentiellement phénoménaux.
Nous pouvons considérer cela comme le contrecoup de sa théorie
de la prédication des sujets logiques : la règle qu’énonce le praedicatum
inest subjecto modifie en profondeur le sens et la signification du concept
de prédication.
74 Leibniz, Lettre à Des Bosses du 19 août 1715. E 728 b ; GP II, 504. Cité p. 195 dans Logique et métaphysique de Martin Gottfried, Paris, Beauchesne et fils, 1966.
Alors que nous nous étions bornés à comprendre le pourquoi de
cette théorie dans la première partie de notre travail, nous cherchons
maintenant à comprendre quel effet cette théorie provoque et implique.
Ainsi, cette inhérence des prédicats essentiels et accidentels dans
toute notion de substance individuelle ruine, pour les hommes, la
distinction entre les types de prédicats, et change le rapport
qu’entretiennent ces derniers avec le sujet logique dont ils sont
censément les attributs. Il s’agit donc d’une inversion des rapports.
D’une part, tous les prédicats sont désormais essentiels. D’autre
part, les prédicats constituent, pour une bonne partie, le sujet logique et
n’en sont plus, justement, les prédicats.
L’essentialisation des prédicats donne à chaque notion de
substance individuelle, à chaque identité d’une individualité, un rapport
au soi, et au soi-même qui est profondément bouleversé. Si Socrate perd
une jambe75, avec Leibniz, nous pouvons dire deux choses. D’une part,
comme le « moi et le lui sont sans parties », aucun n’a perdu une partie
de lui-même, et d’autre part, cette perte est une modification prévue et
intégrée à son identité. L’individu Socrate est resté le même homme.
Cela bouleverse notre manière de voir, de penser et de concevoir
les rapports entre les choses et leurs caractéristiques ; c’est une totale
75 Leibniz, « [...] ce qui a des parties corporelles ne peut point manquer d’en perdre à tout moment. », chapitre XXVII, §9, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1990.
inversion de la sujétion, de l’assujettissement, du rapport de soumission
qui renverse l’ordre établi.
Nous ne sommes plus des personnes de tels ou tels groupes,
catégories, origines, classes,catégories, genres, types, et autres.
Bien que généralement en désaccord avec la vision deleuzienne
de Leibniz, nous pouvons écrire avec lui : "ce n'est pas le sujet qui
explique le point de vue mais le point de vue qui explique le sujet".
Ce sont les propriétés qui nous appartiennent ; et non pas
l'inverse. Nous ne sommes pas prisonniers de ce à quoi nous appartenons,
car c’est à ce à quoi nous croyons appartenir qui est justement assujetti
strictement à notre individualité, et qui en définit strictement l’identité.
Chaque être de conscience, les êtres humains comme les habitants
du royaume poétique des oiseaux76, se trouvent bien face à la question
redoutable de savoir ce que signifie « être soi-même ». À cette question,
et pour ne pas sombrer ni dans le paralogisme ni dans la dualisation de
soi-même, cette essentialisation des prédicats permet de penser un soi-
même conciliant les contraires, ou bien plutôt leurs apparences.
« Liberté et fatalité sont deux contraires : vues de prés et de
loin, c'est une seule volonté. L'inspiration est décidemment la sœur du
76 Leibniz, « [...] rien n’empêche qu’il y ait des animaux raisonnables d’une espèce différente de la notre, comme ces habitants du royaume poétique ds oiseaux dans le soleil [...]. », chapitre XXVII, §8, Nouveaux essais sur l’entendement humain, GF-Flammarion, 1990.
travail journalier. Ces deux contraires ne s'excluent pas plus que tous
les contraires qui constituent la nature. »77
Les contraires ne se contredisent pas s'ils sont assujettis dans une
individualité (c’est même le principe de l’oxymore : proposer l’alliance
de deux « sujets » ou « prédicats » apparemment contradictoires), et c’est
là que s’offre à nous le second moment critique de la théorie
leibnizienne. Cette dernière inverse le rapport de sujétion entre les
prédicats et le sujet logique : les prédicats sont constitutifs du sujet
logique ; et cela modifie l’ensemble de la notion d’identité.
Leibniz a pensé, contre le sujet à prédicats, ce que nous pourrions
nommer la prédication assujettie ou plutôt, osons le néologisme, la
« prédication assujétive . Ainsi, cette prédication ne se définit pas
comme une soumission « appendice » au sujet mais bien comme une
partie capable d’installer un rapport de dépendance qui oblige l’un à
exister avec l’autre, qui oblige le premier à s’unir au second pour former
un tout « libre » et complet.
Quand les prédicats sont dans le sujet, ce n’est pas le sujet qui est
asservi aux prédicats, mais exactement l’inverse. Une telle inversion de
la sujétion modifie les rapports du « soi » avec ce qu’il croyait, à tort,
être des prédicats extérieurs à lui-même en les rendant co-essentiels.
77 Baudelaire, Conseils aux jeunes littérateurs, 15 avril 1846.
Celui qui ne se reconnaît pas dans telle ou telle action qu’il a
commise, ou pensée ou encore émise aurait ainsi tort de croire qu’un
autre lui-même a agi.
Son absence de reconnaissance de soi, est une simple absence de
connaissance de soi. En gros, l’intention d’un homme ce n’est pas son
action78 ; c’est son intention. On ne peut pas toujours, entre le soi et
l’action du soi, insérer des tiers non exclus pour justifier un écart supposé
entre action et intention.
78 Anscombe, « nous pouvons résumer nos remarques en disant en gros l’intention d’un homme, c’est son action. », Intention, Gallimard, 2002.
CONCLUSION
Autour de la « notion complète », Leibniz a mis en mots, et en
forme, le concept d’unicité que la notion d’espèce dernière vient cloturer
et parachever. De plus à travers la notion d’identité personnelle, il a
donné une nouvelle manière d’être, pour ainsi dire, à la personne en
proposant une totalité sujet-prédicats qui redéfinit son unité.
Etonnamment peut-être, « notre » Leibniz semble contredire pour
une large part l’image qu’il a laissé dans les manuels de philosophie de
classes terminales ou préparatoires. Bien que nous devions reconnaître
notre choix de l’extension du domaine de la lutte leibnizienne à quelque
chose qui serait un « leibnizianisme » contemporain, Leibniz demeure
non seulement au cœur de cette réflexion mais aussi à sa marge79.
Avec Leibniz, il s'agit de sortir des apories générées par une
générale obsession de la dualité et par le régime tout puissant de la
dialectique. Ainsi, il faut libérer la pensée de sa tendance systématique à
concevoir les contraires, contradictions et contrariétés d'une identité
comme la fragmentation schizophrénique d'une individualité qui se
perdrait entre des parties qui seraient véritablement elle-mêmes et
d’autres qui ne le seraient pas.
79 La déconstruction derridienne, comme nous, d’intéresse particulièrement à l’études des marges ; à ce qui fait sens à la périphérie du « système » et nonplus à son logos — imaginaire.
Nous lisons d’ailleurs en ce sens la pensée de psychiatres
contemporains qui « souhait[ent] dépasser la thèse clinique courante qui
considère le trouble schizophrénique comme une désorganisation de la
personnalité pour y voir plutôt une mise à nu douloureuse de la
constitution du Soi et de la genèse identitaire dans ses excès même »80.
La définition leibnizienne sort très largement du cadre de la
philosophie et étend ainsi son empire à toutes théorisations de la notion
d’identité, que celle-ci soit applicable à l’identité nationale ou à
l’identité au sens psychanalytique81 par exemple.
Dans tous ces cas, Leibniz a quelque chose à nous apprendre qui
dépasse bien largement le cadre même des travaux de recherche qui lui
sont généralement consacrés et ouvre ainsi des perspectives utiles et
fécondes à des champs et disciplines non strictement philosophiques.
Car en effet, il y a généralement deux sortes de commentaires sur
Leibniz : celle des historiens de Leibniz qui en professionnels de la
philosophie expliquent et explicitent une œuvre et les enjeux qui en
80 Pringuey D. & Kolh F. S., Préface de Phénoménologie de l’identité humaine et schizophrénie, Paris, Collection Phéno, Association le Cercle herméneutique, 2001. 81 Ainsi, on retrouve également ces enjeux et problématiques dans la réflexion de la psychanalyse qui comme théorie de la personne cherche moins à réconcilier les prédicats du sujet, qu'à unifier le sujet a priori. La psychanalyse est presque entièrement construite comme une théorie de la causalité puisqu'elle vise toujours à reconstituer a posteriori ce qui a constitué les raisons, les motifs ou les causes de telle ou telle chose. Dans un double mouvement, elle dualise l'identité au maximum. Unification a priori de constats a posteriori : nous sommes bien loin de la saisie en acte d'une quelconque liberté humaine, et cela résulte bien d’une théorie générale de la prédication malformée ou tout du moins d’une théorie formée à une pensée dialectiquement hiérarchisée.
découlent, et les « fabricants » d’un autre Leibniz qui perdent Leibniz
dans Frankenstein.
Pour notre part, nous avons essayé et essayons de nous glisser à
l’intérieur de la première sorte de commentateur, à la fois comme
analyste et comme lecteur candide de Leibniz pour qui lire c’est
découper, et écrire, donner à voir et à comprendre le découpage82.
En dernière instance, il nous semble qu’en dehors et en deçà du
plan théologique, l’état « statique » et saturé de l’identité d’une
individualité est la mort.
C’est en effet, « notre limite » que de devoir tout concevoir
comme se déroulant dans un lieu et dans un temps, celui que nous
connaissons — celui que nous vivons — va de la naissance à la mort.
C’est notre réalité et nous n’en connaissons pas d’autre.
La question n’est pas ici de savoir ce qu’il y a ou n’y a pas, avant
comme après, mais de savoir ce qui pour chacun de nous constitue
l’identité d’une individualité telle que nous pouvons l’appréhender, la
comprendre, la connaître, et la juger.
82 Formule empruntée à Charles Ramond dans son Derrida, Paris, Éditions Ellipses, 2001.
Dans ce cadre là, les définitions leibniziennes de l’identité et de
l’individualité offrent non seulement la complétude, mais également
l’unicité et le « dernier » pour se penser soi-même comme nul autre.
BIBLIOGRAPHIE ET INDEX
L’index des noms inventorie tous les auteurs cités à
l’exception de Leibniz puisque son nom apparaît quasiment sur
chacun des pages de ce mémoire.
1. Bibliographie
Cette bibliographie ne comprend que les ouvrages utilisés dans le
corps du mémoire ou ceux dont la consultation a été nécessaire pour le
mener à bien. Elle ne peut donc pas être considérée comme une
bibliographie exhaustive sur le sujet.
A – Dictionnaires
1 - Dictionnaires contemporains
o Grand Larousse de la langue française (GLLF ou GLF), Paris,
Larousse, 1971-1987, sept vol.
o ROBERT (P.) Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, Paris, le Robert, 1989 (9 vol.)
o Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue du XIXe et du
XXe siècles; sous la direction de P. LOMB, CNRS (TLF)
o Grand dictionnaire de la philosophie, sous la direction de Michel Blay,
Larousse, 2003
o Vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande,
Presse Universitaires de France, 1999 (2 vol.)
2 - Dictionnaires des siècles précédents
XIXème siècle :
o LITTRE, Dictionnaire de la langue française, rééd. en sept vol. chez
Gallimard Hachette, 1959
o LAROUSSE (P.) Grand dictionnaire universel du XIXe siècle (dix-sept
vol.)
XVIIIème siècle :
o Dictionnaire de Trévoux, éditions successives de 1704 à 1771
o Académie, 1740 (3e éd.) 1762 (4e éd.)
o FERAUD, Dictionnaire grammatical, 1761
Dictionnaire critique, 1787
XVIIème siècle :
o Académie 1694, Genève, Slatkine reprint
o Richeler 1680, Genève, Slatkine reprint
o Furetière 1690, reprint en trois vol. (Société du Nouveau Robert)
XVIème siècle :
o GREIMAS (A.J.) KEANE (T.M.), Dictionnaire du Moyen Français.
Larousse.
o HUGUET (E.) Dictionnaire de la langue française au seizième siècle,
Paris, Champion - Didier, sept vol.
3 - Dictionnaires étymologiques et historiques
o BLOCH (O.), von WARTBURG (W.) Dictionnaire étymologique de la
langue française, Paris, PUF, 1968.
o DAUZAT (A.), DUBOIS (J.), MITTERAND (H.), Dictionnaire
étymologique et historique du Français, Paris, Larousse, collection
"Trésors du Français", 1994, 822 p.
o Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’A.
REY, Paris, Le Robert, 1992, deux vol.
B – Ouvrages critiques
Belaval,Yvon
Leibniz, critique de Descartes, Tel Gallimard, 1960
Couturat, Louis
La logique de Leibniz, Éditions Félix Alcan, 1901
Frémont, Christiane
L’être et la relation. Lettres de Leibniz à Des Bosses, vrin, 1999.
Fichant, Michel
Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, Presses universitaires
de France, 1998
Martin, Gottfried
Logique et Métaphysique
Beauchesne et ses fils, 1966.
Robinet, André
Architectonique disjonctive, automates systémiques et idéalités
transcendantales dans l’œuvre de G. W. Leibniz, Vrin, 1986.
Serres, Michel
Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Presses
Universitaires de France, 1999.
B – Ouvrages généraux
Anscombe, G. E. M.
L’intention, Gallimard, NRF, 2002
Intention, Harvard University Press, 1963
Aristote
Poétique, Gallimard, tel, 1990
Éthique à Nicomaque, GF-Flammarion, 1992
Guénancia, Pierre
L’Identité, dans Notions de philosophie sous la direction de Denis
Kambouchne, Gallimard, Folio Essais, 1995
Heidegger, martin
Le principe de raison, paris, Gallimard, 1962.
Husserl, Edmund
Logique formelle et logique transcendantale, paris, PUF, 1957.
Locke, John
An essay concerning Human Understanding, II, xxvii, Of Identity and
Diversity dans Identité et différence, l’invention de la conscience,
Présenté, traduit et commenté par Étienne Balibar, Éditions du Seuil,
1998
Philonenko, Alexis
L’œuvre de Fichte, paris, Vrin, 1984.
Ricœur, Paul
Soi-même comme un autre, Éditions du Seuil, 1990
Tarde, Gabriel
Monadologie et Sociologie, Université du Québec, 1893
C – Œuvres de Leibniz G. W.
Discours de métaphysique et correspondances avec Arnauld
Paris, Vrin, 1993.
Discours de métaphysique, Monadologie et autres textes
Paris, Gallimard, Folio Essais, 2004.
Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités
Paris, Presses universitaires de France, 1998.
Opuscules philosophiques choisis
Paris, Vrin, 1978.
Principes de la nature et de la grâce, Monadologie et autres textes
Paris, GF-Flammarion, 1996.
Essais de théodicée
Paris, GF-Flammarion, 1969.
Nouveaux essais sur l’entendement humain
Paris, GF-Flammarion, 1990.
Abréviations utilisées :
- GP : Die philosophischen Schriften, herausgegeben von C. Geerhardt,
Halle, 1875-1890, reprint Georg Olms Verlag, 1978, suivi du numéro
du volume et de la page.
- Grua : Textes inédits, d’après les manuscrits de la bibliothèque
provinciale de Hanovre, publiés et annotés par Gaston Grua, PUF,
1943.
- A : Sämtliche Schriften une Briefe, herausgegeben von der deutschen
Akademie des Wissenschaften zu Berlin, suivi du numéro de la série,
de la tomaison et du numéro de page.
- C : Opuscules et fragments inédits, extraits des manuscrits de la
bibliothèque de Hanovre, édités par Louis Couturat, Alcan 1903,
reprint Georg Olmss Verlag, 1988.
2. Index des noms
A
Anscombe .......................... 12, 41, 70, 80, 81, 82, 91, 100
Aristote ............................................................ 40, 79, 100
Arnauld ........................ 18, 24, 34, 37, 73, 74, 77, 78, 101
B
Baudelaire ...................................................................... 90
D
Derrida ........................................................................... 94
Descombes ..................................................................... 79
F
Fichant ................................................. 1, 2, 14, 64, 65, 99
Foucault ........................................................................... 2
G
Guénancia .......................................................... 9, 71, 100
GuÈnancia ......................................................... 9, 71, 100
H
Husserl ......................................................................... 100
K
Kant ......................................................................... 31, 40
L
Lalande .................................................................... 21, 97
Locke ............................. 4, 43, 48, 53, 56, 60, 61, 72, 100
P
Philonenko ............................................................... 9, 101
Q
Quillet ............................................................................ 17
R
Renaut ...................................................................... 63, 64
Ricœur ........................................ 7, 10, 27, 41, 69, 71, 101
Ricúur ........................................ 7, 10, 27, 41, 69, 71, 101
Robinet ............................................................. 21, 34, 100
Russel ............................................................................... 8
S
Sartre ........................................................................ 75, 76
Satre ......................................................................... 75, 76
W
Wittgenstein ................................................................... 84
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