antoine de saint exupery - le petit prince - illustre

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Antoine de Saint-Exupéry LE PETIT PRINCE (1943) Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »

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  • Antoine de Saint-Exupry

    LE PETIT PRINCE

    (1943)

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  • Table des matires

    PREMIER CHAPITRE ..............................................................5

    CHAPITRE II ........................................................................... 8

    CHAPITRE III .........................................................................13

    CHAPITRE IV ......................................................................... 17

    CHAPITRE V...........................................................................21

    CHAPITRE VI ........................................................................ 25

    CHAPITRE VII ........................................................................27

    CHAPITRE VIII.......................................................................31

    CHAPITRE IX ........................................................................ 36

    CHAPITRE X.......................................................................... 39

    CHAPITRE XI ........................................................................ 45

    CHAPITRE XII....................................................................... 48

    CHAPITRE XIII ..................................................................... 50

    CHAPITRE XIV...................................................................... 53

    CHAPITRE XV ........................................................................57

    CHAPITRE XVI...................................................................... 62

    CHAPITRE XVII .................................................................... 63

    CHAPITRE XVIII ....................................................................67

    CHAPITRE XIX...................................................................... 68

    CHAPITRE XX ....................................................................... 70

    CHAPITRE XXI.......................................................................72

  • - 3 -

    CHAPITRE XXII .....................................................................79

    CHAPITRE XXIII....................................................................81

    CHAPITRE XXIV ................................................................... 82

    CHAPITRE XXV..................................................................... 85

    CHAPITRE XXVI ................................................................... 90

    CHAPITRE XXVII.................................................................. 99

    propos de cette dition lectronique ................................. 101

  • - 4 -

    LON WERTH

    Je demande pardon aux enfants davoir ddi ce livre une

    grande personne. Jai une excuse srieuse : cette grande personne est le meilleur ami que jai au monde. Jai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, mme les livres pour enfants. Jai une troisime excuse : cette grande personne habite la France o elle a faim et froid. Elle a bien besoin dtre console. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien ddier ce livre lenfant qua t autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont dabord t des enfants. (Mais peu dentre elles sen souviennent.) Je corrige donc ma ddicace :

    LON WERTH

    QUAND IL TAIT PETIT GARON

  • - 5 -

    PREMIER CHAPITRE

    Lorsque javais six ans jai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Fort Vierge qui sappelait Histoires Vcues . a reprsentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voil la copie du dessin.

    On disait dans le livre : Les serpents boas avalent leur proie

    tout entire, sans la mcher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion .

    Jai alors beaucoup rflchi sur les aventures de la jungle et,

    mon tour, jai russi, avec un crayon de couleur, tracer mon premier dessin. Mon dessin numro 1. Il tait comme a :

    Jai montr mon chef duvre aux grandes personnes et je

    leur ai demand si mon dessin leur faisait peur. Elles mont rpondu : Pourquoi un chapeau ferait-il peur ?

  • - 6 -

    Mon dessin ne reprsentait pas un chapeau. Il reprsentait un serpent boa qui digrait un lphant. Jai alors dessin lintrieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin dexplications. Mon dessin numro 2 tait comme a :

    Les grandes personnes mont conseill de laisser de ct les

    dessins de serpents boas ouverts ou ferms, et de mintresser plutt la gographie, lhistoire, au calcul et la grammaire. Cest ainsi que jai abandonn, lge de six ans, une magnifique carrire de peintre. Javais t dcourag par linsuccs de mon dessin numro 1 et de mon dessin numro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et cest fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications.

    Jai donc d choisir un autre mtier et jai appris piloter des

    avions. Jai vol un peu partout dans le monde. Et la gographie, cest exact, ma beaucoup servi. Je savais reconnatre, du premier coup dil, la Chine de lArizona. Cest trs utile, si lon est gar pendant la nuit.

    Jai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des

    tas de gens srieux. Jai beaucoup vcu chez les grandes personnes. Je les ai vues de trs prs. a na pas trop amlior mon opinion.

    Quand jen rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je

    faisais lexprience sur elle de mon dessin n 1 que jai toujours conserv. Je voulais savoir si elle tait vraiment comprhensive. Mais toujours elle me rpondait :

    Cest un chapeau.

  • - 7 -

    Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forts vierges,

    ni dtoiles. Je me mettais sa porte. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne tait bien contente de connatre un homme aussi raisonnable.

  • - 8 -

    CHAPITRE II

    Jai ainsi vcu seul, sans personne avec qui parler vritablement, jusqu une panne dans le dsert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose stait cass dans mon moteur. Et comme je navais avec moi ni mcanicien, ni passagers, je me prparai essayer de russir, tout seul, une rparation difficile. Ctait pour moi une question de vie ou de mort. Javais peine de leau boire pour huit jours.

    Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable mille

    milles de toute terre habite. Jtais bien plus isol quun naufrag sur un radeau au milieu de locan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drle de petite voix ma rveill. Elle disait :

    Sil vous plat dessine-moi un mouton ! Hein ! Dessine-moi un mouton Jai saut sur mes pieds comme si javais t frapp par la

    foudre. Jai bien frott mes yeux. Jai bien regard. Et jai vu un petit bonhomme tout fait extraordinaire qui me considrait gravement. Voil le meilleur portrait que, plus tard, jai russi faire de lui. Mais mon dessin, bien sr, est beaucoup moins ravissant que le modle. Ce nest pas ma faute. Javais t dcourag dans ma carrire de peintre par les grandes personnes, lge de six ans, et je navais rien appris dessiner, sauf les boas ferms et les boas ouverts.

    Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds

    dtonnement. Noubliez pas que je me trouvais mille milles de toute rgion habite. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni gar, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il navait en rien lapparence dun enfant perdu au milieu

  • - 9 -

    du dsert, mille milles de toute rgion habite. Quand je russis enfin parler, je lui dis :

    Mais quest-ce que tu fais l ? Et il me rpta alors, tout doucement, comme une chose trs

    srieuse : Sil vous plat dessine-moi un mouton Quand le mystre est trop impressionnant, on nose pas

    dsobir. Aussi absurde que cela me semblt mille milles de tous les endroits habits et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que javais surtout tudi la gographie, lhistoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me rpondit :

    a ne fait rien. Dessine-moi un mouton.

  • - 10 -

    Comme je navais jamais dessin un mouton je refis, pour lui, lun des deux seuls dessins dont jtais capable. Celui du boa ferm. Et je fus stupfait dentendre le petit bonhomme me rpondre :

    Non ! Non ! Je ne veux pas dun lphant dans un boa. Un

    boa cest trs dangereux, et un lphant cest trs encombrant. Chez moi cest tout petit. Jai besoin dun mouton. Dessine-moi un mouton.

    Alors jai dessin. Il regarda attentivement, puis : Non ! Celui-l est dj trs malade. Fais-en un autre.

    Je dessinai : Mon ami sourit gentiment, avec indulgence : Tu vois bien ce nest pas un mouton, cest un blier. Il a

    des cornes

    Je refis donc encore mon dessin :

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    Mais il fut refus, comme les prcdents : Celui-l est trop vieux. Je veux un mouton qui vive

    longtemps.

    Alors, faute de patience, comme javais hte de commencer le

    dmontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci. Et je lanai :

    a cest la caisse. Le mouton que tu veux est dedans. Mais je fus bien surpris de voir silluminer le visage de mon

    jeune juge : Cest tout fait comme a que je le voulais ! Crois-tu quil

    faille beaucoup dherbe ce mouton ? Pourquoi ? Parce que chez moi cest tout petit a suffira srement. Je tai donn un tout petit mouton.

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    Il pencha la tte vers le dessin : Pas si petit que a Tiens ! Il sest endormi Et cest ainsi que je fis la connaissance du petit prince.

  • - 13 -

    CHAPITRE III

    Il me fallut longtemps pour comprendre do il venait. Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononcs par hasard qui, peu peu, mont tout rvl. Ainsi, quand il aperut pour la premire fois mon avion (je ne dessinerai pas mon avion, cest un dessin beaucoup trop compliqu pour moi) il me demanda :

    Quest ce que cest que cette chose-l ? Ce nest pas une chose. a vole. Cest un avion. Cest mon

    avion. Et jtais fier de lui apprendre que je volais. Alors il scria : Comment ! tu es tomb du ciel ! Oui, fis-je modestement. Ah ! a cest drle Et le petit prince eut un trs joli clat de rire qui mirrita

    beaucoup. Je dsire que lon prenne mes malheurs au srieux. Puis il ajouta :

    Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle plante es-tu ? Jentrevis aussitt une lueur, dans le mystre de sa prsence,

    et jinterrogeai brusquement : Tu viens donc dune autre plante ? Mais il ne me rpondit pas. Il hochait la tte doucement tout

    en regardant mon avion :

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    Cest vrai que, l-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin Et il senfona dans une rverie qui dura longtemps. Puis,

    sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trsor.

    Vous imaginez combien javais pu tre intrigu par cette

    demi-confidence sur les autres plantes . Je mefforai donc den savoir plus long :

    Do viens-tu mon petit bonhomme ? O est-ce chez

    toi ? O veux-tu emporter mon mouton ? Il me rpondit aprs un silence mditatif : Ce qui est bien, avec la caisse que tu mas donne, cest que,

    la nuit, a lui servira de maison. Bien sr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde

    pour lattacher pendant le jour. Et un piquet.

  • - 15 -

    La proposition parut choquer le petit prince : Lattacher ? Quelle drle dide ! Mais si tu ne lattaches pas, il ira nimporte o, et il se

    perdra Et mon ami eut un nouvel clat de rire : Mais o veux-tu quil aille ! Nimporte o. Droit devant lui Alors le petit prince remarqua gravement : a ne fait rien, cest tellement petit, chez moi !

  • - 16 -

    Et, avec un peu de mlancolie, peut-tre, il ajouta : Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin

  • - 17 -

    CHAPITRE IV

    Javais ainsi appris une seconde chose trs importante : Cest que sa plante dorigine tait peine plus grande quune maison !

    a ne pouvait pas mtonner beaucoup. Je savais bien quen

    dehors des grosses plantes comme la Terre, Jupiter, Mars, Vnus, auxquelles on a donn des noms, il y en a des centaines dautres qui sont quelquefois si petites quon a beaucoup de mal les apercevoir au tlescope. Quand un astronome dcouvre lune delles, il lui donne pour nom un numro. Il lappelle par exemple : lastrode 3251.

    Jai de srieuses raisons de croire que la plante do venait le

    petit prince est lastrode B 612. Cet astrode na t aperu quune fois au tlescope, en 1909, par un astronome turc.

    Il avait fait alors une grande dmonstration de sa dcouverte

    un Congrs International dAstronomie. Mais personne ne lavait cru cause de son costume. Les grandes personnes sont comme a.

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    Heureusement pour la rputation de lastrode B 612 un

    dictateur turc imposa son peuple, sous peine de mort, de shabiller lEuropenne. Lastronome refit sa dmonstration en 1920, dans un habit trs lgant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.

    Si je vous ai racont ces dtails sur lastrode B 612 et si je

    vous ai confi son numro, cest cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez dun nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur lessentiel. Elles ne vous disent jamais : Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux quil prfre ? Est-ce quil collectionne les papillons ? Elles vous demandent : Quel ge a-t-il ? Combien a-t-il de frres ? Combien pse-t-il ? Combien gagne son pre ? Alors seulement elles croient le connatre. Si vous dites aux grandes personnes : Jai vu une belle maison en briques roses, avec des graniums aux fentres et des colombes sur le toit elles ne parviennent pas simaginer cette maison. Il faut

  • - 19 -

    leur dire : Jai vu une maison de cent mille francs. Alors elles scrient : Comme cest joli !

    Ainsi, si vous leur dites : La preuve que le petit prince a

    exist cest quil tait ravissant, quil riait, et quil voulait un mouton. Quand on veut un mouton, cest la preuve quon existe elles hausseront les paules et vous traiteront denfant ! Mais si vous leur dites : La plante do il venait est lastrode B 612 alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme a. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent tre trs indulgents envers les grandes personnes.

    Mais, bien sr, nous qui comprenons la vie, nous nous

    moquons bien des numros ! Jaurais aim commencer cette histoire la faon des contes de fes. Jaurais aim dire :

    Il tait une fois un petit prince qui habitait une plante

    peine plus grande que lui, et qui avait besoin dun ami Pour ceux qui comprennent la vie, a aurait eu lair beaucoup plus vrai.

    Car je naime pas quon lise mon livre la lgre. Jprouve

    tant de chagrin raconter ces souvenirs. Il y a six ans dj que mon ami sen est all avec son mouton. Si jessaie ici de le dcrire, cest afin de ne pas loublier. Cest triste doublier un ami. Tout le monde na pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui ne sintressent plus quaux chiffres. Cest donc pour a encore que jai achet une bote de couleurs et des crayons. Cest dur de se remettre au dessin, mon ge, quand on na jamais fait dautres tentatives que celle dun boa ferm et celle dun boa ouvert, lge de six ans ! Jessaierai, bien sr, de faire des portraits le plus ressemblants possible. Mais je ne suis pas tout fait certain de russir. Un dessin va, et lautre ne ressemble plus. Je me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince est trop grand. L il est trop petit. Jhsite aussi sur la couleur de son costume. Alors je ttonne comme ci et comme a, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur certains dtails plus importants.

  • - 20 -

    Mais a, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais dexplications. Il me croyait peut-tre semblable lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons travers les caisses. Je suis peut-tre un peu comme les grandes personnes. Jai d vieillir.

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    CHAPITRE V

    Chaque jour japprenais quelque chose sur la plante, sur le dpart, sur le voyage. a venait tout doucement, au hasard des rflexions. Cest ainsi que, le troisime jour, je connus le drame des baobabs.

    Cette fois-ci encore ce fut grce au mouton, car brusquement

    le petit prince minterrogea, comme pris dun doute grave : Cest bien vrai, nest-ce pas, que les moutons mangent les

    arbustes ? Oui. Cest vrai. Ah ! Je suis content. Je ne compris pas pourquoi il tait si important que les

    moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta : Par consquent ils mangent aussi les baobabs ? Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas

    des arbustes, mais des arbres grands comme des glises et que, si mme il emportait avec lui tout un troupeau dlphants, ce troupeau ne viendrait pas bout dun seul baobab.

    Lide du troupeau dlphants fit rire le petit prince : Il faudrait les mettre les uns sur les autres

  • - 22 -

    Mais il remarqua avec sagesse : Les baobabs, avant de grandir, a commence par tre petit. Cest exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons

    mangent les petits baobabs ? Il me rpondit : Ben ! Voyons ! comme sil sagissait l

    dune vidence. Et il me fallut un grand effort dintelligence pour comprendre moi seul ce problme.

    Et en effet, sur la plante du petit prince, il y avait comme sur

    toutes les plantes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par consquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu ce quil prenne fantaisie lune delles de se rveiller. Alors elle stire, et pousse dabord timidement vers le soleil une ravissante petite brindille inoffensive. Sil sagit dune brindille de radis ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais sil sagit dune mauvaise plante, il faut arracher la plante aussitt, ds quon a su la reconnatre. Or il y avait des graines terribles sur la plante du petit prince ctaient les graines de baobabs. Le sol de la plante en tait infest. Or un baobab, si lon sy prend trop tard, on ne peut jamais plus sen dbarrasser. Il encombre toute la plante. Il

  • - 23 -

    la perfore de ses racines. Et si la plante est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font clater.

    Cest une question de discipline, me disait plus tard le petit

    prince. Quand on a termin sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la plante. Il faut sastreindre rgulirement arracher les baobabs ds quon les distingue davec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont trs jeunes. Cest un travail trs ennuyeux, mais trs facile.

    Et un jour il me conseilla de mappliquer russir un beau

    dessin, pour bien faire entrer a dans la tte des enfants de chez moi.

    Sils voyagent un jour, me disait-il, a pourra leur servir. Il

    est quelquefois sans inconvnient de remettre plus tard son travail. Mais, sil sagit des baobabs, cest toujours une catastrophe. Jai connu une plante, habite par un paresseux. Il avait nglig trois arbustes

    Et, sur les indications du petit prince, jai dessin cette

    plante-l. Je naime gure prendre le ton dun moraliste. Mais le

  • - 24 -

    danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui sgarerait dans un astrode sont si considrables, que, pour une fois, je fais exception ma rserve. Je dis : Enfants ! Faites attention aux baobabs ! Cest pour avertir mes amis dun danger quils frlaient depuis longtemps, comme moi-mme, sans le connatre, que jai tant travaill ce dessin-l. La leon que je donnais en valait la peine. Vous vous demanderez peut-tre : Pourquoi ny a-t-il pas, dans ce livre, dautres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs ? La rponse est bien simple : Jai essay mais je nai pas pu russir. Quand jai dessin les baobabs jai t anim par le sentiment de lurgence.

  • - 25 -

    CHAPITRE VI

    Ah ! petit prince, jai compris, peu peu, ainsi, ta petite vie mlancolique. Tu navais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. Jai appris ce dtail nouveau, le quatrime jour au matin, quand tu mas dit :

    Jaime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de

    soleil Mais il faut attendre Attendre quoi ? Attendre que le soleil se couche. Tu as eu lair trs surpris dabord, et puis tu as ri de toi-

    mme. Et tu mas dit : Je me crois toujours chez moi ! En effet. Quand il est midi aux tats-Unis, le soleil, tout le

    monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher de soleil. Malheureusement la France est bien trop loigne. Mais, sur ta si petite plante, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crpuscule chaque fois que tu le dsirais

    Un jour, jai vu le soleil se coucher quarante-trois fois ! Et un peu plus tard tu ajoutais : Tu sais quand on est tellement triste on aime les couchers

    de soleil

  • - 26 -

    Le jour des quarante-trois fois tu tais donc tellement triste ?

    Mais le petit prince ne rpondit pas.

  • - 27 -

    CHAPITRE VII

    Le cinquime jour, toujours grce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut rvl. Il me demanda avec brusquerie, sans prambule, comme le fruit dun problme longtemps mdit en silence :

    Un mouton, sil mange les arbustes, il mange aussi les

    fleurs ? Un mouton mange tout ce quil rencontre. Mme les fleurs qui ont des pines ? Oui. Mme les fleurs qui ont des pines. Alors les pines, quoi servent-elles ? Je ne le savais pas. Jtais alors trs occup essayer de

    dvisser un boulon trop serr de mon moteur. Jtais trs soucieux car ma panne commenait de mapparatre comme trs grave, et leau boire qui spuisait me faisait craindre le pire.

    Les pines, quoi servent-elles ? Le petit prince ne renonait jamais une question, une fois

    quil lavait pose. Jtais irrit par mon boulon et je rpondis nimporte quoi :

    Les pines, a ne sert rien, cest de la pure mchancet de

    la part des fleurs ! Oh ! Mais aprs un silence il me lana, avec une sorte de rancune :

  • - 28 -

    Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs pines

    Je ne rpondis rien. cet instant-l je me disais : Si ce

    boulon rsiste encore, je le ferai sauter dun coup de marteau. Le petit prince drangea de nouveau mes rflexions :

    Et tu crois, toi, que les fleurs Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! Jai rpondu

    nimporte quoi. Je moccupe, moi, de choses srieuses ! Il me regarda stupfiait. De choses srieuses ! Il me voyait, mon marteau la main, et les doigts noirs de

    cambouis, pench sur un objet qui lui semblait trs laid. Tu parles comme les grandes personnes ! a me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta : Tu confonds tout tu mlanges tout ! Il tait vraiment trs irrit. Il secouait au vent des cheveux

    tout dors : Je connais une plante o il y a un Monsieur cramoisi. Il na

    jamais respir une fleur. Il na jamais regard une toile. Il na jamais aim personne. Il na jamais rien fait dautre que des additions. Et toute la journe il rpte comme toi : Je suis un homme srieux ! Je suis un homme srieux ! et a le fait gonfler dorgueil. Mais ce nest pas un homme, cest un champignon !

  • - 29 -

    Un quoi ? Un champignon ! Le petit prince tait maintenant tout ple de colre. Il y a des millions dannes que les fleurs fabriquent des

    pines. Il y a des millions dannes que les moutons mangent quand mme les fleurs. Et ce nest pas srieux de chercher comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des pines qui ne servent jamais rien ? Ce nest pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce nest pas plus srieux et plus important que les additions dun gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui nexiste nulle part, sauf dans ma plante, et quun petit mouton peut anantir dun seul coup, comme a, un matin, sans se rendre compte de ce quil fait, ce nest pas important a !

    Il rougit, puis reprit : Si quelquun aime une fleur qui nexiste qu un exemplaire

    dans les millions et les millions dtoiles, a suffit pour quil soit heureux quand il les regarde. Il se dit : Ma fleur est l quelque part Mais si le mouton mange la fleur, cest pour lui comme si, brusquement, toutes les toiles steignaient ! Et ce nest pas important a !

  • - 30 -

    Il ne put rien dire de plus. Il clata brusquement en sanglots. La nuit tait tombe. Javais lch mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait, sur une toile, une plante, la mienne, la Terre, un petit prince consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berai. Je lui disais :

    La fleur que tu aimes nest pas en danger Je lui dessinerai

    une muselire, ton mouton Je te dessinerai une armure pour ta fleur Je

    Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais trs maladroit.

    Je ne savais comment latteindre, o le rejoindre Cest tellement mystrieux, le pays des larmes.

  • - 31 -

    CHAPITRE VIII

    Jappris bien vite mieux connatre cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la plante du petit prince, des fleurs trs simples, ornes dun seul rang de ptales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne drangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans lherbe, et puis elles steignaient le soir. Mais celle-l avait germ un jour, dune graine apporte don ne sait o, et le petit prince avait surveill de trs prs cette brindille qui ne ressem-blait pas aux autres brindilles. a pouvait tre un nouveau genre de baobab. Mais larbuste cessa vite de crotre, et commena de prparer une fleur. Le petit prince, qui assistait linstallation dun bouton norme, sentait bien quil en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur nen finissait pas de se prparer tre belle, labri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle shabillait lentement, elle ajustait un un ses ptales. Elle ne voulait pas sortir toute fripe comme les coqueli-cots. Elle ne voulait apparatre que dans le plein rayonnement de sa beaut. Eh ! oui. Elle tait trs coquette ! Sa toilette mystrieu-se avait donc dur des jours et des jours. Et puis voici quun matin, justement lheure du lever du soleil, elle stait montre.

    Et elle, qui avait travaill avec tant de prcision, dit en

    billant : Ah ! Je me rveille peine Je vous demande pardon Je

    suis encore toute dcoiffe Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration : Que vous tes belle ! Nest-ce pas, rpondit doucement la fleur. Et je suis ne en

    mme temps que le soleil

  • - 32 -

    Le petit prince devina bien quelle ntait pas trop modeste,

    mais elle tait si mouvante ! Cest lheure, je crois, du petit djeuner, avait-elle bientt

    ajout, auriez-vous la bont de penser moi Et le petit prince, tout confus, ayant t chercher un arrosoir

    deau frache, avait servi la fleur.

    Ainsi lavait-elle bien vite tourment par sa vanit un peu

    ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre pines, elle avait dit au petit prince :

    Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !

  • - 33 -

    Il ny a pas de tigres sur ma plante, avait object le petit

    prince, et puis les tigres ne mangent pas lherbe. Je ne suis pas une herbe, avait doucement rpondu la fleur. Pardonnez-moi Je ne crains rien des tigres, mais jai horreur des courants

    dair. Vous nauriez pas un paravent ?

  • - 34 -

    Horreur des courants dair ce nest pas de chance, pour une plante, avait remarqu le petit prince. Cette fleur est bien complique

    Le soir vous me mettrez sous globe. Il fait trs froid chez

    vous. Cest mal install. L do je viens Mais elle stait interrompue. Elle tait venue sous forme de

    graine. Elle navait rien pu connatre des autres mondes. Humilie de stre laiss surprendre prparer un mensonge aussi naf, elle avait touss deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort :

    Ce paravent ? Jallais le chercher mais vous me parliez ! Alors elle avait forc sa toux pour lui infliger quand mme des

    remords. Ainsi le petit prince, malgr la bonne volont de son amour,

    avait vite dout delle. Il avait pris au srieux des mots sans importance, et tait devenu trs malheureux.

    Jaurais d ne pas lcouter, me confia-t-il un jour, il ne faut

    jamais couter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma plante, mais je ne savais pas men rjouir. Cette histoire de griffes, qui mavait tellement agac, et d mattendrir

    Il me confia encore : Je nai alors rien su comprendre ! Jaurais d la juger sur

    les actes et non sur les mots. Elle membaumait et mclairait. Je naurais jamais d menfuir ! Jaurais d deviner sa tendresse

  • - 35 -

    derrire ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais jtais trop jeune pour savoir laimer.

  • - 36 -

    CHAPITRE IX

    Je crois quil profita, pour son vasion, dune migration doiseaux sauvages. Au matin du dpart il mit sa plante bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activit. Il possdait deux volcans en activit. Et ctait bien commode pour faire chauffer le petit djeuner du matin. Il possdait aussi un volcan teint. Mais, comme il disait, On ne sait jamais ! Il ramona donc galement le volcan teint. Sils sont bien ramons, les volcans brlent doucement et rgulirement, sans ruptions. Les ruptions volcaniques sont comme des feux de chemine. videmment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. Cest pourquoi ils nous causent des tas dennuis.

    Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mlancolie, les

    dernires pousses de baobabs. Il croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui parurent, ce matin-l, extrmement doux. Et, quand il arrosa une dernire fois la fleur,

  • - 37 -

    et se prpara la mettre labri sous son globe, il se dcouvrit lenvie de pleurer.

    Adieu, dit-il la fleur. Mais elle ne lui rpondit pas. Adieu, rpta-t-il. La fleur toussa. Mais ce ntait pas cause de son rhume. Jai t sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon.

    Tche dtre heureux. Il fut surpris par labsence de reproches. Il restait l tout

    dconcert, le globe en lair. Il ne comprenait pas cette douceur calme.

    Mais oui, je taime, lui dit la fleur. Tu nen as rien su, par

    ma faute. Cela na aucune importance. Mais tu as t aussi sot que moi. Tche dtre heureux Laisse ce globe tranquille. Je nen veux plus.

    Mais le vent Je ne suis pas si enrhume que a Lair frais de la nuit me

    fera du bien. Je suis une fleur. Mais les btes Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux

    connatre les papillons. Il parat que cest tellement beau. Sinon qui me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses btes, je ne crains rien. Jai mes griffes.

  • - 38 -

    Et elle montrait navement ses quatre pines. Puis elle ajouta :

    Ne trane pas comme a, cest agaant. Tu as dcid de

    partir. Va-ten. Car elle ne voulait pas quil la vt pleurer. Ctait une fleur

    tellement orgueilleuse

  • - 39 -

    CHAPITRE X

    Il se trouvait dans la rgion des astrodes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commena donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour sinstruire.

    La premire tait habite par un roi. Le roi sigeait, habill de

    pourpre et dhermine, sur un trne trs simple et cependant majestueux.

    Ah ! Voil un sujet, scria le roi quand il aperut le petit

    prince. Et le petit prince se demanda : Comment peut-il me reconnatre puisquil ne ma encore

    jamais vu ! Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est trs simplifi.

    Tous les hommes sont des sujets. Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui tait tout

    fier dtre roi pour quelquun. Le petit prince chercha des yeux o sasseoir, mais la plante

    tait toute encombre par le magnifique manteau dhermine. Il resta donc debout, et, comme il tait fatigu, il billa.

    Il est contraire ltiquette de biller en prsence dun roi,

    lui dit le monarque. Je te linterdis. Je ne peux pas men empcher, rpondit le petit prince tout

    confus. Jai fait un long voyage et je nai pas dormi

  • - 40 -

    Alors, lui dit le roi, je tordonne de biller. Je nai vu personne biller depuis des annes. Les billements sont pour moi des curiosits. Allons ! bille encore. Cest un ordre.

    a mintimide je ne peux plus fit le petit prince tout

    rougissant. Hum ! Hum ! rpondit le roi. Alors je je tordonne tantt

    de biller et tantt de Il bredouillait un peu et paraissait vex. Car le roi tenait essentiellement ce que son autorit ft

    respecte. Il ne tolrait pas la dsobissance. Ctait un monarque absolu. Mais, comme il tait trs bon, il donnait des ordres raisonnables.

    Si jordonnais, disait-il couramment, si jordonnais un

    gnral de se changer en oiseau de mer, et si le gnral nobissait pas, ce ne serait pas la faute du gnral. Ce serait ma faute.

    Puis-je masseoir ? senquit timidement le petit prince.

  • - 41 -

    Je tordonne de tasseoir, lui rpondit le roi, qui ramena

    majestueusement un pan de son manteau dhermine. Mais le petit prince stonnait. La plante tait minuscule.

    Sur quoi le roi pouvait-il bien rgner ? Sire, lui dit-il je vous demande pardon de vous

    interroger Je tordonne de minterroger, se hta de dire le roi. Sire sur quoi rgnez-vous ? Sur tout, rpondit le roi, avec une grande simplicit. Sur tout ? Le roi dun geste discret dsigna sa plante, les autres

    plantes et les toiles. Sur tout a ? dit le petit prince. Sur tout a rpondit le roi. Car non seulement ctait un monarque absolu mais ctait un

    monarque universel. Et les toiles vous obissent ? Bien sr, lui dit le roi. Elles obissent aussitt. Je ne tolre

    pas lindiscipline. Un tel pouvoir merveilla le petit prince. Sil lavait dtenu

    lui-mme, il aurait pu assister, non pas quarante-quatre, mais

  • - 42 -

    soixante-douze, ou mme cent, ou mme deux cents couchers de soleil dans la mme journe, sans avoir jamais tirer sa chaise ! Et comme il se sentait un peu triste cause du souvenir de sa petite plante abandonne, il senhardit solliciter une grce du roi :

    Je voudrais voir un coucher de soleil Faites-moi plaisir

    Ordonnez au soleil de se coucher Si jordonnais un gnral de voler dune fleur lautre la

    faon dun papillon, ou dcrire une tragdie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le gnral nexcutait pas lordre reu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort ?

    Ce serait vous, dit fermement le petit prince. Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner,

    reprit le roi. Lautorit repose dabord sur la raison. Si tu ordonnes ton peuple daller se jeter la mer, il fera la rvolution. Jai le droit dexiger lobissance parce que mes ordres sont raisonnables.

    Alors mon coucher de soleil ? rappela le petit prince qui

    jamais noubliait une question une fois quil lavait pose. Ton coucher de soleil, tu lauras. Je lexigerai. Mais

    jattendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables.

    Quand a sera-t-il ? sinforma le petit prince. Hem ! Hem ! lui rpondit le roi, qui consulta dabord un

    gros calendrier, hem ! hem ! ce sera, vers vers ce sera ce soir vers sept heures quarante ! Et tu verras comme je suis bien obi.

  • - 43 -

    Le petit prince billa. Il regrettait son coucher de soleil manqu. Et puis il sennuyait dj un peu :

    Je nai plus rien faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir ! Ne pars pas, rpondit le roi qui tait si fier davoir un sujet.

    Ne pars pas, je te fais ministre ! Ministre de quoi ? De de la justice ! Mais il ny a personne juger ! On ne sait pas, lui dit le roi. Je nai pas fait encore le tour de

    mon royaume. Je suis trs vieux, je nai pas de place pour un carrosse, et a me fatigue de marcher.

    Oh ! Mais jai dj vu, dit le petit prince qui se pencha pour

    jeter encore un coup dil sur lautre ct de la plante. Il ny a personne l-bas non plus

    Tu te jugeras donc toi-mme, lui rpondit le roi. Cest le

    plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-mme que de juger autrui. Si tu russis bien te juger, cest que tu es un vritable sage.

    Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-mme

    nimporte o. Je nai pas besoin dhabiter ici. Hem ! Hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma plante il y

    a quelque part un vieux rat. Je lentends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras mort de temps en temps. Ainsi sa vie dpendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour lconomiser. Il ny en a quun.

  • - 44 -

    Moi, rpondit le petit prince, je naime pas condamner mort, et je crois bien que je men vais.

    Non, dit le roi. Mais le petit prince, ayant achev ses prparatifs, ne voulut

    point peiner le vieux monarque : Si Votre Majest dsirait tre obie ponctuellement, elle

    pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait mordon-ner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables

    Le roi nayant rien rpondu, le petit prince hsita dabord,

    puis, avec un soupir, prit le dpart. Je te fais mon ambassadeur, se hta alors de crier le roi. Il avait un grand air dautorit. Les grandes personnes sont bien tranges, se dit le petit

    prince, en lui-mme, durant son voyage.

  • - 45 -

    CHAPITRE XI

    La seconde plante tait habite par un vaniteux : Ah ! Ah ! Voil la visite dun admirateur ! scria de loin le

    vaniteux ds quil aperut le petit prince.

    Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des

    admirateurs. Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un drle de chapeau. Cest pour saluer, lui rpondit le vaniteux. Cest pour saluer

    quand on macclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici.

    Ah oui ? dit le petit prince qui ne comprit pas. Frappe tes mains lune contre lautre, conseilla donc le

    vaniteux.

  • - 46 -

    Le petit prince frappa ses mains lune contre lautre. Le

    vaniteux salua modestement en soulevant son chapeau. a cest plus amusant que la visite au roi , se dit en lui-

    mme le petit prince. Et il recommena de frapper ses mains lune contre lautre. Le vaniteux recommena de saluer en soulevant son chapeau.

    Aprs cinq minutes dexercice le petit prince se fatigua de la

    monotonie du jeu : Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il

    faire ? Mais le vaniteux ne lentendit pas. Les vaniteux nentendent

    jamais que les louanges. Est-ce que tu madmires vraiment beaucoup ? demanda-t-il

    au petit prince. Quest-ce que signifie admirer ? Admirer signifie reconnatre que je suis lhomme le plus

    beau, le mieux habill, le plus riche et le plus intelligent de la plante.

    Mais tu es seul sur ta plante ! Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand mme ! Je tadmire, dit le petit prince, en haussant un peu les

    paules, mais en quoi cela peut-il bien tintresser ? Et le petit prince sen fut.

  • - 47 -

    Les grandes personnes sont dcidment bien bizarres, se dit-il simplement en lui-mme durant son voyage.

  • - 48 -

    CHAPITRE XII

    La plante suivante tait habite par un buveur. Cette visite fut trs courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mlancolie :

    Que fais-tu l ? dit-il au buveur, quil trouva install en

    silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.

    Je bois, rpondit le buveur, dun air lugubre. Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince. Pour oublier, rpondit le buveur. Pour oublier quoi ? senquit le petit prince qui dj le

    plaignait. Pour oublier que jai honte, avoua le buveur en baissant la

    tte. Honte de quoi ? sinforma le petit prince qui dsirait le

    secourir.

  • - 49 -

    Honte de boire ! acheva le buveur qui senferma

    dfinitivement dans le silence. Et le petit prince sen fut, perplexe. Les grandes personnes sont dcidment trs trs bizarres, se

    disait-il en lui-mme durant le voyage.

  • - 50 -

    CHAPITRE XIII

    La quatrime plante tait celle du businessman. Cet homme tait si occup quil ne leva mme pas la tte larrive du petit prince.

    Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est teinte. Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois

    quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf ! a fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.

    Cinq cents millions de quoi ? Hein ? Tu es toujours l ? Cinq cent un millions de je ne

    sais plus Jai tellement de travail ! Je suis srieux, moi, je ne mamuse pas des balivernes ! Deux et cinq sept

    Cinq cent un millions de quoi, rpta le petit prince qui

    jamais de sa vie, navait renonc une question, une fois quil lavait pose.

  • - 51 -

    Le businessman leva la tte : Depuis cinquante-quatre ans que jhabite cette plante-ci,

    je nai t drang que trois fois. La premire fois a t, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui tait tomb Dieu sait do. Il rpandait un bruit pouvantable, et jai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois a t, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque dexercice. Je nai pas le temps de flner. Je suis srieux, moi. La troisime fois la voici ! Je disais donc cinq cent un millions

    Millions de quoi ? Le businessman comprit quil ntait point despoir de paix : Millions de ces petites choses que lon voit quelquefois dans

    le ciel. Des mouches ? Mais non, des petites choses qui brillent. Des abeilles ? Mais non. Des petites choses dores qui font rvasser les

    fainants. Mais je suis srieux, moi ! Je nai pas le temps de rvasser.

    Ah ! des toiles ? Cest bien a. Des toiles. Et que fais-tu de cinq cents millions dtoiles ? Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent

    trente et un. Je suis srieux, moi, je suis prcis.

  • - 52 -

    Et que fais-tu de ces toiles ? Ce que jen fais ? Oui. Rien. Je les possde. Tu possdes les toiles ? Oui.

  • - 53 -

    CHAPITRE XIV

    La cinquime plante tait trs curieuse. Ctait la plus petite de toutes. Il y avait l juste assez de place pour loger un rverbre et un allumeur de rverbres. Le petit prince ne parvenait pas sexpliquer quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une plante sans maison, ni population, un rverbre et un allumeur de rverbres. Cependant il se dit en lui-mme :

    Peut-tre bien que cet homme est absurde. Cependant il est

    moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son rverbre, cest comme sil faisait natre une toile de plus, ou une fleur. Quand il teint son rverbre a endort la fleur ou ltoile. Cest une occupation trs jolie. Cest vritablement utile puisque cest joli.

    Lorsquil aborda la plante il salua respectueusement

    lallumeur : Bonjour. Pourquoi viens-tu dteindre ton rverbre ? Cest la consigne, rpondit lallumeur. Bonjour.

  • - 54 -

    Quest-ce que la consigne ? Cest dteindre mon rverbre. Bonsoir. Et il le ralluma. Mais pourquoi viens-tu de le rallumer ? Cest la consigne, rpondit lallumeur. Je ne comprends pas, dit le petit prince. Il ny a rien comprendre, dit lallumeur. La consigne cest

    la consigne. Bonjour. Et il teignit son rverbre. Puis il spongea le front avec un mouchoir carreaux rouges. Je fais l un mtier terrible. Ctait raisonnable autrefois.

    Jteignais le matin et jallumais le soir. Javais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir

    Et, depuis cette poque, la consigne a chang ? La consigne na pas chang, dit lallumeur. Cest bien l le

    drame ! La plante danne en anne a tourn de plus en plus vite, et la consigne na pas chang !

    Alors ? dit le petit prince. Alors maintenant quelle fait un tour par minute, je nai

    plus une seconde de repos. Jallume et jteins une fois par minute !

  • - 55 -

    a cest drle ! Les jours chez toi durent une minute ! Ce nest pas drle du tout, dit lallumeur. a fait dj un

    mois que nous parlons ensemble. Un mois ? Oui. Trente minutes. Trente jours ! Bonsoir. Et il ralluma son rverbre. Le petit prince le regarda et il aima cet allumeur qui tait

    tellement fidle la consigne. Il se souvint des couchers de soleil que lui-mme allait autrefois chercher, en tirant sa chaise. Il voulut aider son ami :

    Tu sais je connais un moyen de te reposer quand tu

    voudras Je veux toujours, dit lallumeur. Car on peut tre, la fois, fidle et paresseux. Le petit prince poursuivit : Ta plante est tellement petite que tu en fais le tour en trois

    enjambes. Tu nas qu marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras et le jour durera aussi longtemps que tu voudras.

    a ne mavance pas grandchose, dit lallumeur. Ce que

    jaime dans la vie, cest dormir. Ce nest pas de chance, dit le petit prince.

  • - 56 -

    Ce nest pas de chance, dit lallumeur. Bonjour. Et il teignit son rverbre. Celui-l, se dit le petit prince, tandis quil poursuivait plus

    loin son voyage, celui-l serait mpris par tous les autres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant cest le seul qui ne me paraisse pas ridicule. Cest peut-tre parce quil soccupe dautre chose que de soi-mme.

    Il eut un soupir de regret et se dit encore : Celui-l est le seul dont jeusse pu faire mon ami. Mais sa

    plante est vraiment trop petite. Il ny a pas de place pour deux

    Ce que le petit prince nosait pas savouer, cest quil regrettait

    cette plante bnie cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures !

  • - 57 -

    CHAPITRE XV

    La sixime plante tait une plante dix fois plus vaste. Elle tait habite par un vieux Monsieur qui crivait dnormes livres.

    Tiens ! voil un explorateur ! scria-t-il, quand il aperut le

    petit prince. Le petit prince sassit sur la table et souffla un peu. Il avait

    dj tant voyag ! Do viens-tu ? lui dit le vieux Monsieur. Quel est ce gros livre ? dit le petit prince. Que faites-vous

    ici ? Je suis gographe, dit le vieux Monsieur. Quest-ce quun gographe ? Cest un savant qui connat o se trouvent les mers, les

    fleuves, les villes, les montagnes et les dserts.

  • - 58 -

    a cest bien intressant, dit le petit prince. a cest enfin un vritable mtier ! Et il jeta un coup dil autour de lui sur la plante du gographe. Il navait jamais vu encore une plante aussi majestueuse.

    Elle est bien belle, votre plante. Est-ce quil y a des

    ocans ? Je ne puis pas le savoir, dit le gographe. Ah ! (Le petit prince tait du.) Et des montagnes ? Je ne puis pas le savoir, dit le gographe. Et des villes et des fleuves et des dserts ? Je ne puis pas le savoir non plus, dit le gographe. Mais vous tes gographe ! Cest exact, dit le gographe, mais je ne suis pas

    explorateur. Je manque absolument dexplorateurs. Ce nest pas le gographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des mers, des ocans et des dserts. Le gographe est trop important pour flner. Il ne quitte pas son bureau. Mais il y reoit les explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de lun dentre eux lui paraissent intressants, le gographe fait faire une enqute sur la moralit de lexplorateur.

    Pourquoi a ? Parce quun explorateur qui mentirait entranerait des

    catastrophes dans les livres de gographie. Et aussi un explorateur qui boirait trop.

  • - 59 -

    Pourquoi a ? fit le petit prince. Parce que les ivrognes voient double. Alors le gographe

    noterait deux montagnes, l o il ny en a quune seule. Je connais quelquun, dit le petit prince, qui serait mauvais

    explorateur. Cest possible. Donc, quand la moralit de lexplorateur

    parat bonne, on fait une enqute sur sa dcouverte. On va voir ? Non. Cest trop compliqu. Mais on exige de lexplorateur

    quil fournisse des preuves. Sil sagit par exemple de la dcouverte dune grosse montagne, on exige quil en rapporte de grosses pierres.

    Le gographe soudain smut. Mais toi, tu viens de loin ! Tu es explorateur ! Tu vas me

    dcrire ta plante ! Et le gographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon.

    On note dabord au crayon les rcits des explorateurs. On attend, pour noter lencre, que lexplorateur ait fourni des preuves.

    Alors ? interrogea le gographe. Oh ! chez moi, dit le petit prince, ce nest pas trs

    intressant, cest tout petit. Jai trois volcans. Deux volcans en activit, et un volcan teint. Mais on ne sait jamais.

    On ne sait jamais, dit le gographe. Jai aussi une fleur.

  • - 60 -

    Nous ne notons pas les fleurs, dit le gographe. Pourquoi a ! cest le plus joli ! Parce que les fleurs sont phmres. Quest ce que signifie : phmre ? Les gographies, dit le gographe, sont les livres les plus

    prcieux de tous les livres. Elles ne se dmodent jamais. Il est trs rare quune montagne change de place. Il est trs rare quun ocan se vide de son eau. Nous crivons des choses ternelles.

    Mais les volcans teints peuvent se rveiller, interrompit le

    petit prince. Quest-ce que signifie phmre ? Que les volcans soient teints ou soient veills, a revient

    au mme pour nous autres, dit le gographe. Ce qui compte pour nous, cest la montagne. Elle ne change pas.

    Mais quest-ce que signifie phmre ? rpta le petit

    prince qui, de sa vie, navait renonc une question, une fois quil lavait pose.

    a signifie qui est menac de disparition prochaine . Ma fleur est menace de disparition prochaine ? Bien sr. Ma fleur est phmre, se dit le petit prince, et elle na que

    quatre pines pour se dfendre contre le monde ! Et je lai laisse toute seule chez moi !

  • - 61 -

    Ce fut l son premier mouvement de regret. Mais il reprit courage :

    Que me conseillez-vous daller visiter ? demanda-t-il. La plante Terre, lui rpondit le gographe. Elle a une

    bonne rputation Et le petit prince sen fut, songeant sa fleur.

  • - 62 -

    CHAPITRE XVI

    La Terre nest pas une plante quelconque ! On y compte cent onze rois (en noubliant pas, bien sr, les rois ngres), sept mille gographes, neuf cent mille businessmen, sept millions et demi divrognes, trois cent onze millions de vaniteux, cest--dire environ deux milliards de grandes personnes.

    Pour vous donner une ide des dimensions de la Terre je vous

    dirai quavant linvention de llectricit on y devait entretenir, sur lensemble des six continents, une vritable arme de quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de rverbres.

    Vu dun peu loin a faisait un effet splendide. Les

    mouvements de cette arme taient rgls comme ceux dun ballet dopra. Dabord venait le tour des allumeurs de rverbres de Nouvelle-Zlande et dAustralie. Puis ceux-ci, ayant allum leurs lampions, sen allaient dormir. Alors entraient leur tour dans la danse les allumeurs de rverbres de Chine et de Sibrie. Puis eux aussi sescamotaient dans les coulisses. Alors venait le tour des allumeurs de rverbres de Russie et des Indes. Puis de ceux dAfrique et dEurope. Puis de ceux dAmrique du Sud. Puis de ceux dAmrique du Nord. Et jamais ils ne se trompaient dans leur ordre dentre en scne. Ctait grandiose.

    Seuls, lallumeur de lunique rverbre du ple Nord, et son

    confrre de lunique rverbre du ple Sud, menaient des vies doisivet et de nonchalance : ils travaillaient deux fois par an.

  • - 63 -

    CHAPITRE XVII

    Quand on veut faire de lesprit, il arrive que lon mente un peu. Je nai pas t trs honnte en vous parlant des allumeurs de rverbres. Je risque de donner une fausse ide de notre plante ceux qui ne la connaissent pas. Les hommes occupent trs peu de place sur la terre. Si les deux milliards dhabitants qui peuplent la terre se tenaient debout et un peu serrs, comme pour un meeting, ils logeraient aisment sur une place publique de vingt milles de long sur vingt milles de large. On pourrait entasser lhumanit sur le moindre petit lot du Pacifique.

    Les grandes personnes, bien sr, ne vous croiront pas. Elles

    simaginent tenir beaucoup de place. Elles se voient importantes comme des baobabs. Vous leur conseillerez donc de faire le calcul. Elles adorent les chiffres : a leur plaira. Mais ne perdez pas votre temps ce pensum. Cest inutile. Vous avez confiance en moi.

    Le petit prince, une fois sur terre, fut donc bien surpris de ne

    voir personne. Il avait dj peur de stre tromp de plante, quand un anneau couleur de lune remua dans le sable.

    Bonne nuit, fit le petit prince tout hasard. Bonne nuit, fit le serpent. Sur quelle plante suis-je tomb ? demanda le petit prince.

  • - 64 -

    Sur la Terre, en Afrique, rpondit le serpent. Ah ! Il ny a donc personne sur la Terre ? Ici cest le dsert. Il ny a personne dans les dserts. La

    Terre est grande, dit le serpent. Le petit prince sassit sur une pierre et leva les yeux vers le

    ciel : Je me demande, dit-il, si les toiles sont claires afin que

    chacun puisse un jour retrouver la sienne. Regarde ma plante. Elle est juste au-dessus de nous Mais comme elle est loin !

    Elle est belle, dit le serpent. Que viens-tu faire ici ? Jai des difficults avec une fleur, dit le petit prince. Ah ! fit le serpent. Et ils se turent. O sont les hommes ? reprit enfin le petit prince. On est un

    peu seul dans le dsert On est seul aussi chez les hommes, dit le serpent. Le petit prince le regarda longtemps : Tu es une drle de bte, lui dit-il enfin, mince comme un

    doigt Mais je suis plus puissant que le doigt dun roi, dit le

    serpent.

  • - 65 -

    Le petit prince eut un sourire : Tu nes pas bien puissant tu nas mme pas de pattes tu

    ne peux mme pas voyager Je puis temporter plus loin quun navire, dit le serpent. Il senroula autour de la cheville du petit prince, comme un

    bracelet dor : Celui que je touche, je le rends la terre dont il est sorti,

    dit-il encore. Mais tu es pur et tu viens dune toile Le petit prince ne rpondit rien. Tu me fais piti, toi si faible, sur cette Terre de granit. Je

    puis taider un jour si tu regrettes trop ta plante. Je puis Oh ! Jai trs bien compris, fit le petit prince, mais pourquoi

    parles-tu toujours par nigmes ?

  • - 66 -

    Je les rsous toutes, dit le serpent. Et ils se turent.

  • - 67 -

    CHAPITRE XVIII

    Le petit prince traversa le dsert et ne rencontra quune fleur. Une fleur trois ptales, une fleur de rien du tout

    Bonjour, dit le petit prince. Bonjour, dit la fleur. O sont les hommes ? demanda poliment le petit prince. La fleur, un jour, avait vu passer une caravane : Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai

    aperus il y a des annes. Mais on ne sait jamais o les trouver. Le vent les promne. Ils manquent de racines, a les gne beaucoup.

    Adieu, fit le petit prince. Adieu, dit la fleur.

  • - 68 -

    CHAPITRE XIX

    Le petit prince fit lascension dune haute montagne. Les seules montagnes quil et jamais connues taient les trois volcans qui lui arrivaient au genou. Et il se servait du volcan teint comme dun tabouret. Dune montagne haute comme celle-ci, se dit-il donc, japercevrai dun coup toute la plante et tous les hommes Mais il naperut rien que des aiguilles de roc bien aiguises.

    Bonjour, dit-il tout hasard. Bonjour Bonjour Bonjour rpondit lcho. Qui tes-vous ? dit le petit prince. Qui tes-vous qui tes-vous qui tes-vous rpondit

    lcho. Soyez mes amis, je suis seul, dit-il.

  • - 69 -

    Je suis seul je suis seul je suis seul rpondit lcho. Quelle drle de plante ! pensa-t-il alors. Elle est toute

    sche, et toute pointue et toute sale. Et les hommes manquent dimagination. Ils rptent ce quon leur dit Chez moi javais une fleur : elle parlait toujours la premire

  • - 70 -

    CHAPITRE XX

    Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps march travers les sables, les rocs et les neiges, dcouvrit enfin une route. Et les routes vont toutes chez les hommes.

    Bonjour, dit-il. Ctait un jardin fleuri de roses. Bonjour, dirent les roses.

    Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes sa

    fleur. Qui tes-vous ? leur demanda-t-il, stupfait. Nous sommes des roses, dirent les roses. Ah ! fit le petit prince Et il se sentit trs malheureux. Sa fleur lui avait racont

    quelle tait seule de son espce dans lunivers. Et voici quil en tait cinq mille, toutes semblables, dans un seul jardin !

  • - 71 -

    Elle serait bien vexe, se dit-il, si elle voyait a elle

    tousserait normment et ferait semblant de mourir pour chapper au ridicule. Et je serais bien oblig de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour mhumilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir

    Puis il se dit encore : Je me croyais riche dune fleur unique,

    et je ne possde quune rose ordinaire. a et mes trois volcans qui marrivent au genou, et dont lun, peut-tre, est teint pour toujours, a ne fait pas de moi un bien grand prince Et, couch dans lherbe, il pleura.

  • - 72 -

    CHAPITRE XXI

    Cest alors quapparut le renard :

    Bonjour, dit le renard. Bonjour, rpondit poliment le petit prince, qui se retourna

    mais ne vit rien. Je suis l, dit la voix, sous le pommier. Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli Je suis un renard, dit le renard. Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis

    tellement triste Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas

    apprivois. Ah ! pardon, fit le petit prince.

  • - 73 -

    Mais, aprs rflexion, il ajouta : Quest-ce que signifie apprivoiser ? Tu nes pas dici, dit le renard, que cherches-tu ? Je cherche les hommes, dit le petit prince. Quest-ce que

    signifie apprivoiser ? Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent.

    Cest bien gnant ! Ils lvent aussi des poules. Cest leur seul intrt. Tu cherches des poules ?

    Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Quest-ce que

    signifie apprivoiser ? Cest une chose trop oublie, dit le renard. a signifie

    crer des liens Crer des liens ? Bien sr, dit le renard. Tu nes encore pour moi quun petit

    garon tout semblable cent mille petits garons. Et je nai pas besoin de toi. Et tu nas pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi quun renard semblable cent mille renards. Mais, si tu mapprivoises, nous aurons besoin lun de lautre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde

    Je commence comprendre, dit le petit prince. Il y a une

    fleur je crois quelle ma apprivois Cest possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes

    sortes de choses Oh ! ce nest pas sur la Terre, dit le petit prince.

  • - 74 -

    Le renard parut trs intrigu : Sur une autre plante ? Oui.

    Il y a des chasseurs, sur cette plante-l ? Non. a, cest intressant ! Et des poules ? Non. Rien nest parfait, soupira le renard. Mais le renard revint son ide : Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me

    chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je mennuie donc un peu. Mais, si tu mapprivoises, ma vie sera comme ensoleille. Je connatrai un bruit de pas qui sera diffrent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien mappellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, l-bas, les champs de bl ? Je ne mange pas de pain. Le bl pour moi est inutile. Les champs de bl ne me rappellent rien. Et a, cest triste ! Mais tu as des cheveux couleur dor. Alors ce sera merveilleux quand tu mauras

  • - 75 -

    apprivois ! Le bl, qui est dor, me fera souvenir de toi. Et jaimerai le bruit du vent dans le bl

    Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince : Sil te plat apprivoise-moi ! dit-il. Je veux bien, rpondit le petit prince, mais je nai pas

    beaucoup de temps. Jai des amis dcouvrir et beaucoup de choses connatre.

    On ne connat que les choses que lon apprivoise, dit le

    renard. Les hommes nont plus le temps de rien connatre. Ils achtent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il nexiste point de marchands damis, les hommes nont plus damis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !

    Que faut-il faire ? dit le petit prince. Il faut tre trs patient, rpondit le renard. Tu tassoiras

    dabord un peu loin de moi, comme a, dans lherbe. Je te regarderai du coin de lil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras tasseoir un peu plus prs

    Le lendemain revint le petit prince. Il et mieux valu revenir la mme heure, dit le renard. Si

    tu viens, par exemple, quatre heures de laprs-midi, ds trois heures je commencerai dtre heureux. Plus lheure avancera, plus je me sentirai heureux. quatre heures, dj, je magiterai et minquiterai ; je dcouvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens nimporte quand, je ne saurai jamais quelle heure mhabiller le cur Il faut des rites.

    Quest-ce quun rite ? dit le petit prince.

  • - 76 -

    Cest aussi quelque chose de trop oubli, dit le renard. Cest

    ce qui fait quun jour est diffrent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu la vigne. Si les chasseurs dansaient nimporte quand, les jours se ressemble-raient tous, et je naurais point de vacances.

    Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand lheure du

    dpart fut proche : Ah ! dit le renard Je pleurerai. Cest ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de

    mal, mais tu as voulu que je tapprivoise Bien sr, dit le renard. Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince. Bien sr, dit le renard. Alors tu ny gagnes rien !

  • - 77 -

    Jy gagne, dit le renard, cause de la couleur du bl. Puis il ajouta : Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est

    unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau dun secret.

    Le petit prince sen fut revoir les roses : Vous ntes pas du tout semblables ma rose, vous ntes

    rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoises et vous navez apprivois personne. Vous tes comme tait mon renard. Ce ntait quun renard semblable cent mille autres. Mais jen ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.

    Et les roses taient bien gnes. Vous tes belles, mais vous tes vides, leur dit-il encore. On

    ne peut pas mourir pour vous. Bien sr, ma rose moi, un passant ordinaire croirait quelle vous ressemble. Mais elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque cest elle que jai arrose. Puisque cest elle que jai mise sous globe. Puisque cest elle que jai abrite par le paravent. Puisque cest elle dont jai tu les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque cest elle que jai coute se plaindre, ou se vanter, ou mme quelquefois se taire. Puisque cest ma rose.

    Et il revint vers le renard : Adieu, dit-il Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est trs simple : on

    ne voit bien quavec le cur. Lessentiel est invisible pour les yeux.

  • - 78 -

    Lessentiel est invisible pour les yeux, rpta le petit prince,

    afin de se souvenir. Cest le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si

    importante. Cest le temps que jai perdu pour ma rose fit le petit

    prince, afin de se souvenir. Les hommes ont oubli cette vrit, dit le renard. Mais tu

    ne dois pas loublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivois. Tu es responsable de ta rose

    Je suis responsable de ma rose rpta le petit prince, afin

    de se souvenir.

  • - 79 -

    CHAPITRE XXII

    Bonjour, dit le petit prince. Bonjour, dit laiguilleur. Que fais-tu ici ? dit le petit prince. Je trie les voyageurs, par paquets de mille, dit laiguilleur.

    Jexpdie les trains qui les emportent, tantt vers la droite, tantt vers la gauche.

    Et un rapide illumin, grondant comme le tonnerre, fit

    trembler la cabine daiguillage. Ils sont bien presss, dit le petit prince. Que cherchent-ils ? Lhomme de la locomotive lignore lui-mme, dit

    laiguilleur. Et gronda, en sens inverse, un second rapide illumin. Ils reviennent dj ? demanda le petit prince Ce ne sont pas les mmes, dit laiguilleur. Cest un change. Ils ntaient pas contents, l o ils taient ? On nest jamais content l o lon est, dit laiguilleur. Et gronda le tonnerre dun troisime rapide illumin. Ils poursuivent les premiers voyageurs ? demanda le petit

    prince.

  • - 80 -

    Ils ne poursuivent rien du tout, dit laiguilleur. Ils dorment l-dedans, ou bien ils billent. Les enfants seuls crasent leur nez contre les vitres.

    Les enfants seuls savent ce quils cherchent, fit le petit

    prince. Ils perdent du temps pour une poupe de chiffons, et elle devient trs importante, et si on la leur enlve, ils pleurent

    Ils ont de la chance, dit laiguilleur.

  • - 81 -

    CHAPITRE XXIII

    Bonjour, dit le petit prince. Bonjour, dit le marchand. Ctait un marchand de pilules perfectionnes qui apaisent la

    soif. On en avale une par semaine et lon nprouve plus le besoin de boire.

    Pourquoi vends-tu a ? dit le petit prince. Cest une grosse conomie de temps, dit le marchand. Les

    experts ont fait des calculs. On pargne cinquante-trois minutes par semaine.

    Et que fait-on des cinquante-trois minutes ? On en fait ce que lon veut Moi, se dit le petit prince, si javais cinquante-trois minutes

    dpenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine

  • - 82 -

    CHAPITRE XXIV

    Nous en tions au huitime jour de ma panne dans le dsert, et javais cout lhistoire du marchand en buvant la dernire goutte de ma provision deau :

    Ah ! dis-je au petit prince, ils sont bien jolis, tes souvenirs,

    mais je nai pas encore rpar mon avion, je nai plus rien boire, et je serais heureux, moi aussi, si je pouvais marcher tout doucement vers une fontaine !

    Mon ami le renard, me dit-il Mon petit bonhomme, il ne sagit plus du renard ! Pourquoi ? Parce quon va mourir de soif Il ne comprit pas mon raisonnement, il me rpondit : Cest bien davoir eu un ami, mme si lon va mourir. Moi,

    je suis bien content davoir eu un ami renard Il ne mesure pas le danger, me dis-je. Il na jamais ni faim ni

    soif. Un peu de soleil lui suffit Mais il me regarda et rpondit ma pense : Jai soif aussi cherchons un puits Jeus un geste de lassitude : il est absurde de chercher un

    puits, au hasard, dans limmensit du dsert. Cependant nous nous mmes en marche.

  • - 83 -

    Quand nous emes march des heures, en silence, la nuit tomba, et les toiles commencrent de sclairer. Je les apercevais comme en rve, ayant un peu de fivre, cause de ma soif. Les mots du petit prince dansaient dans ma mmoire :

    Tu as donc soif, toi aussi ? lui demandai-je. Mais il ne rpondit pas ma question. Il me dit simplement : Leau peut aussi tre bonne pour le cur Je ne compris pas sa rponse mais je me tus Je savais bien

    quil ne fallait pas linterroger. Il tait fatigu. Il sassit. Je massis auprs de lui. Et, aprs un

    silence, il dit encore : Les toiles sont belles, cause dune fleur que lon ne voit

    pas Je rpondis bien sr et je regardai, sans parler, les plis du

    sable sous la lune. Le dsert est beau, ajouta-t-il Et ctait vrai. Jai toujours aim le dsert. On sassoit sur une

    dune de sable. On ne voit rien. On nentend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence

    Ce qui embellit le dsert, dit le petit prince, cest quil cache

    un puits quelque part Je fus surpris de comprendre soudain ce mystrieux

    rayonnement du sable. Lorsque jtais petit garon jhabitais une maison ancienne, et la lgende racontait quun trsor y tait enfoui. Bien sr, jamais personne na su le dcouvrir, ni peut-tre

  • - 84 -

    mme ne la cherch. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son cur

    Oui, dis-je au petit prince, quil sagisse de la maison, des

    toiles ou du dsert, ce qui fait leur beaut est invisible ! Je suis content, dit-il, que tu sois daccord avec mon renard. Comme le petit prince sendormait, je le pris dans mes bras,

    et me remis en route. Jtais mu. Il me semblait porter un trsor fragile. Il me semblait mme quil ny et rien de plus fragile sur la Terre. Je regardais, la lumire de la lune, ce front ple, ces yeux clos, ces mches de cheveux qui tremblaient au vent, et je me disais : ce que je vois l nest quune corce. Le plus important est invisible

    Comme ses lvres entrouvertes bauchaient un demi-sourire

    je me dis encore : Ce qui mmeut si fort de ce petit prince endormi, cest sa fidlit pour une fleur, cest limage dune rose qui rayonne en lui comme la flamme dune lampe, mme quand il dort Et je le devinai plus fragile encore. Il faut bien protger les lampes : un coup de vent peut les teindre

    Et, marchant ainsi, je dcouvris le puits au lever du jour.

  • - 85 -

    CHAPITRE XXV

    Les hommes, dit le petit prince, ils senfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce quils cherchent. Alors ils sagitent et tournent en rond

    Et il ajouta : Ce nest pas la peine Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux puits

    sahariens. Les puits sahariens sont de simples trous creuss dans le sable. Celui-l ressemblait un puits de village. Mais il ny avait l aucun village, et je croyais rver.

    Cest trange, dis-je au petit prince, tout est prt : la poulie,

    le seau et la corde Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gmit

    comme gmit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi.

    Tu entends, dit le petit prince, nous rveillons ce puits et il

    chante Je ne voulais pas quil ft un effort : Laisse-moi faire, lui dis-je, cest trop lourd pour toi. Lentement je hissai le seau jusqu la margelle. Je ly installai

    bien daplomb. Dans mes oreilles durait le chant de la poulie et, dans leau qui tremblait encore, je voyais trembler le soleil.

  • - 86 -

    Jai soif de cette eau-l, dit le petit prince, donne-moi

    boire Et je compris ce quil avait cherch ! Je soulevai le seau jusqu ses lvres. Il but, les yeux ferms.

    Ctait doux comme une fte. Cette eau tait bien autre chose quun aliment. Elle tait ne de la marche sous les toiles, du chant de la poulie, de leffort de mes bras. Elle tait bonne pour le cur, comme un cadeau. Lorsque jtais petit garon, la lumire de larbre de Nol, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient ainsi tout le rayonnement du cadeau de Nol que je recevais.

    Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq

    mille roses dans un mme jardin et ils ny trouvent pas ce quils cherchent.

  • - 87 -

    Ils ne le trouvent pas, rpondis-je Et cependant ce quils cherchent pourrait tre trouv dans

    une seule rose ou un peu deau Bien sr, rpondis-je. Et le petit prince ajouta : Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cur. Javais bu. Je respirais bien. Le sable, au lever du jour, est

    couleur de miel. Jtais heureux aussi de cette couleur de miel. Pourquoi fallait-il que jeusse de la peine

    Il faut que tu tiennes ta promesse, me dit doucement le

    petit prince, qui, de nouveau, stait assis auprs de moi. Quelle promesse ? Tu sais une muselire pour mon mouton je suis

    responsable de cette fleur ! Je sortis de ma poche mes bauches de dessin. Le petit prince

    les aperut et dit en riant : Tes baobabs, ils ressemblent un peu des choux Oh ! Moi qui tait si fier des baobabs ! Ton renard ses oreilles elles ressemblent un peu des

    cornes et elles sont trop longues !

  • - 88 -

    Et il rit encore. Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner

    que les boas ferms et les boas ouverts. Oh ! a ira, dit-il, les enfants savent. Je crayonnai donc une muselire. Et jeus le cur serr en la

    lui donnant : Tu as des projets que jignore Mais il ne me rpondit pas. Il me dit : Tu sais, ma chute sur la Terre cen sera demain

    lanniversaire Puis, aprs un silence il dit encore : Jtais tomb tout prs dici Et il rougit. Et de nouveau, sans comprendre pourquoi, jprouvai un

    chagrin bizarre. Cependant une question me vint : Alors ce nest pas par hasard que, le matin o je tai connu,

    il y a huit jours, tu te promenais comme a, tout seul, mille milles de toutes les rgions habites ! Tu retournais vers le point de ta chute ?

    Le petit prince rougit encore. Et jajoutai, en hsitant :

  • - 89 -

    cause, peut-tre, de lanniversaire ? Le petit prince rougit de nouveau. Il ne rpondait jamais aux

    questions, mais, quand on rougit, a signifie oui , nest-ce pas ?

    Ah ! lui dis-je, jai peur Mais il me rpondit : Tu dois maintenant travailler. Tu dois repartir vers ta

    machine. Je tattends ici. Reviens demain soir Mais je ntais pas rassur. Je me souvenais du renard. On

    risque de pleurer un peu si lon sest laiss apprivoiser

  • - 90 -

    CHAPITRE XXVI

    Il y avait, ct du puits, une ruine de vieux mur de pierre. Lorsque je revins de mon travail, le lendemain soir, japerus de loin mon petit prince assis l-haut, les jambes pendantes. Et je lentendis qui parlait :

    Tu ne ten souviens donc pas ? disait-il. Ce nest pas tout

    fait ici ! Une autre voix lui rpondit sans doute, puisquil rpliqua : Si ! Si ! cest bien le jour, mais ce nest pas ici lendroit Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni

    nentendais toujours personne. Pourtant le petit prince rpliqua de nouveau :

    Bien sr. Tu verras o commence ma trace dans le sable.

    Tu nas qu my attendre. Jy serai cette nuit. Jtais vingt mtres du mur et je ne voyais toujours rien. Le petit prince dit encore, aprs un silence : Tu as du bon venin ? Tu es sr de ne pas me faire souffrir

    longtemps ? Je fis halte, le cur serr, mais je ne comprenais toujours

    pas. Maintenant va-ten, dit-il je veux redescendre ! Alors jabaissai moi-mme les yeux vers le pied du mur, et je

    fis un bond ! Il tait l, dress vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous excutent en trente secondes. Tout en

  • - 91 -

    fouillant ma poche pour en tirer mon revolver, je pris le pas de course, mais, au bruit que je fis, le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet deau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufila entre les pierres avec un lger bruit de mtal.

    Je parvins au mur juste temps pour y recevoir dans les bras

    mon petit bonhomme de prince, ple comme la neige. Quelle est cette histoire-l ! Tu parles maintenant avec les

    serpents ! Javais dfait son ternel cache-nez dor. Je lui avais mouill

    les tempes et lavais fait boire. Et maintenant je nosais plus rien lui demander. Il me regarda gravement et mentoura le cou de ses bras. Je sentais battre son cur comme celui dun oiseau qui meurt, quand on la tir la carabine. Il me dit :

    Je suis content que tu aies trouv ce qui manquait ta

    machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi Comment sais-tu !

  • - 92 -

    Je venais justement lui annoncer que, contre toute esprance, javais russi mon travail !

    Il ne rpondit rien ma question, mais il ajouta : Moi aussi, aujourdhui, je rentre chez moi Puis, mlancolique : Cest bien plus loin cest bien plus difficile Je sentais bien quil se passait quelque chose dextraordinai-

    re. Je le serrais dans les bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait quil coulait verticalement dans un abme sans que je pusse rien pour le retenir

    Il avait le regard srieux, perdu trs loin : Jai ton mouton. Et jai la caisse pour le mouton. Et jai la

    muselire Et il sourit avec mlancolie. Jattendis longtemps. Je sentais quil se rchauffait peu

    peu : Petit bonhomme, tu as eu peur Il avait eu peur, bien sr ! Mais il rit doucement : Jaurai bien plus peur ce soir De nouveau je me sentis glac par le sentiment de

    lirrparable. Et je compris que je ne supportais pas lide de ne

  • - 93 -

    plus jamais entendre ce rire. Ctait pour moi comme une fontaine dans le dsert.

    Petit bonhomme, je veux encore tentendre rire Mais il me dit : Cette nuit, a fera un an. Mon toile se trouvera juste au-

    dessus de lendroit o je suis tomb lanne dernire Petit bonhomme, nest-ce pas que cest un mauvais rve

    cette histoire de serpent et de rendez-vous et dtoile Mais il ne rpondit pas ma question. Il me dit : Ce qui est important, a ne se voit pas Bien sr Cest comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se

    trouve dans une toile, cest doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les toiles sont fleuries.

    Bien sr Cest comme pour leau. Celle que tu mas donne boire

    tait comme une musique, cause de la poulie et de la corde tu te rappelles elle tait bonne.

    Bien sr Tu regarderas, la nuit, les toiles. Cest trop petit chez moi

    pour que je te montre o se trouve la mienne. Cest mieux comme a. Mon toile, a sera pour toi une des toiles. Alors, toutes les toiles, tu aimeras les regarder Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau

  • - 94 -

    Il rit encore. Ah ! petit bonhomme, petit bonhomme jaime entendre ce

    rire ! Justement ce sera mon cadeau ce sera comme pour

    leau Que veux-tu dire ? Les gens ont des toiles qui ne sont pas les mmes. Pour les

    uns, qui voyagent, les toiles sont des guides. Pour dautres elles ne sont rien que de petites lumires. Pour dautres qui sont savants elles sont des problmes. Pour mon businessman elles taient de lor. Mais toutes ces toiles-l se taisent. Toi, tu auras des toiles comme personne nen a

    Que veux-tu dire ? Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque jhabiterai dans

    lune delles, puisque je rirai dans lune delles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les toiles. Tu auras, toi, des toiles qui savent rire !

    Et il rit encore. Et quand tu seras consol (on se console toujours) tu seras

    content de mavoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fentre, comme a, pour le plaisir Et tes amis seront bien tonns de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : Oui, les toiles, a me fait toujours rire ! Et ils te croiront fou. Je taurai jou un bien vilain tour

    Et il rit encore.

  • - 95 -

    Ce sera comme si je tavais donn, au lieu dtoiles, des tas

    de petits grelots qui savent rire Et il rit encore. Puis il redevint srieux : Cette nuit tu sais ne viens pas. Je ne te quitterai pas. Jaurai lair davoir mal jaurai un peu lair de mourir.

    Cest comme a. Ne viens pas voir a, ce nest pas la peine Je ne te quitterai pas. Mais il tait soucieux. Je te dis a cest cause aussi du serpent. Il ne faut pas

    quil te morde Les serpents, cest mchant. a peut mordre pour le plaisir

    Je ne te quitterai pas. Mais quelque chose le rassura : Cest vrai quils nont plus de venin pour la seconde

    morsure Cette nuit-l je ne le vis pas se mettre en route. Il stait vad

    sans bruit. Quand je russis le rejoindre il marchait dcid, dun pas rapide. Il me dit seulement :

    Ah ! tu es l Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :

  • - 96 -

    Tu as eu tort. Tu auras de la peine. Jaurai lair dtre mort

    et ce ne sera pas vrai Moi je me taisais.

    Tu comprends. Cest trop loin. Je ne peux pas emporter ce

    corps-l. Cest trop lourd. Moi je me taisais. Mais ce sera comme une vieille corce abandonne. Ce nest

    pas triste les vieilles corces Moi je me taisais. Il se dcouragea un peu. Mais il fit encore un effort : Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les toiles.

    Toutes les toiles seront des puits avec une poulie rouille. Toutes les toiles me verseront boire

    Moi je me taisais.

  • - 97 -

    Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq cents millions de grelots, jaurai cinq cents millions de fontaines

    Et il se tut aussi, parce quil pleurait Cest l. Laisse-moi faire un pas tout seul. Et il sassit parce quil avait peur.

    Il dit encore : Tu sais ma fleur jen suis responsable ! Et elle est

    tellement faible ! Et elle est tellement nave. Elle a quatre pines de rien du tout pour la protger contre le monde

    Moi je massis parce que je ne pouvais plus me tenir debout.

    Il dit : Voil Cest tout Il hsita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je

    ne pouvais pas bouger. Il ny eut rien quun clair jaune prs de sa cheville. Il

    demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement

  • - 98 -

    comme tombe un arbre. a ne fit mme pas de bruit, cause du sable.

  • - 99 -

    CHAPITRE XXVII

    Et maintenant, bien sr, a fait six ans dj Je nai jamais encore racont cette histoire. Les camarades qui mont revu ont t bien contents de me revoir vivant. Jtais triste mais je leur disais : Cest la fatigue

    Maintenant je me suis un peu consol. Cest dire pas tout

    fait. Mais je sais bien quil est revenu sa plante, car, au lever du jour, je nai pas retrouv son corps. Ce ntait pas un corps tellement lourd Et jaime la nuit couter les toiles. Cest comme cinq cent millions de grelots

    Mais voil quil se passe quelque chose dextraordinaire. La

    muselire que jai dessine pour le petit prince, jai oubli dy ajouter la courroie de cuir ! Il naura jamais pu lattacher au mouton. Alors je me demande : Que sest-il pass sur sa plante ? Peut-tre bien que le mouton a mang la fleur

    Tantt je me dis : Srement non ! Le petit prince enferme

    sa fleur toutes les nuits sous son globe de verre, et il surveille bien son mouton Alors je suis heureux. Et toutes les toiles rient doucement.

    Tantt je me dis : On est distrait une fois ou lautre, et a

    suffit ! Il a oubli, un soir, le globe de verre, ou bien le mouton est sorti sans bruit pendant la nuit Alors les grelots se changent tous en larmes !

    Cest l un bien grand mystre. Pour vous qui aimez aussi le

    petit prince, comme pour moi, rien de lunivers nest semblable si quelque part, on ne sait o, un mouton que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mang une rose

    Regardez le ciel. Demandez-vous : le mouton oui ou non a-t-il

    mang la fleur ? Et vous verrez comme tout change

  • - 100 -

    Et aucune grande personne ne comprendra jamais que a a tellement dimportance !

    a cest, pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du

    monde. Cest le mme paysage que celui de la page prcdente, mais je lai dessin une fois encore pour bien vous le montrer. Cest ici que le petit prince a apparu sur terre, puis disparu.

    Regardez attentivement ce paysage afin dtre srs de le

    reconnatre, si vous voyagez un jour en Afrique, dans le dsert. Et, sil vous arrive de passer par l, je vous en supplie, ne vous pressez pas, attendez un peu juste sous ltoile ! Si alors un enfant vient vous, sil rit, sil a des cheveux dor, sil ne rpond pas quand on linterroge, vous devinerez bien qui il est. Alors soyez gentils ! Ne me laissez pas tellement triste : crivez-moi vite quil est revenu

  • - 101 -

    propos de cette dition lectronique

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    Mai 2004

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