antoine de saint exupery - le petit prince - illustre
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Antoine de Saint-Exupry
LE PETIT PRINCE
(1943)
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Table des matires
PREMIER CHAPITRE ..............................................................5
CHAPITRE II ........................................................................... 8
CHAPITRE III .........................................................................13
CHAPITRE IV ......................................................................... 17
CHAPITRE V...........................................................................21
CHAPITRE VI ........................................................................ 25
CHAPITRE VII ........................................................................27
CHAPITRE VIII.......................................................................31
CHAPITRE IX ........................................................................ 36
CHAPITRE X.......................................................................... 39
CHAPITRE XI ........................................................................ 45
CHAPITRE XII....................................................................... 48
CHAPITRE XIII ..................................................................... 50
CHAPITRE XIV...................................................................... 53
CHAPITRE XV ........................................................................57
CHAPITRE XVI...................................................................... 62
CHAPITRE XVII .................................................................... 63
CHAPITRE XVIII ....................................................................67
CHAPITRE XIX...................................................................... 68
CHAPITRE XX ....................................................................... 70
CHAPITRE XXI.......................................................................72
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CHAPITRE XXII .....................................................................79
CHAPITRE XXIII....................................................................81
CHAPITRE XXIV ................................................................... 82
CHAPITRE XXV..................................................................... 85
CHAPITRE XXVI ................................................................... 90
CHAPITRE XXVII.................................................................. 99
propos de cette dition lectronique ................................. 101
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LON WERTH
Je demande pardon aux enfants davoir ddi ce livre une
grande personne. Jai une excuse srieuse : cette grande personne est le meilleur ami que jai au monde. Jai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, mme les livres pour enfants. Jai une troisime excuse : cette grande personne habite la France o elle a faim et froid. Elle a bien besoin dtre console. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien ddier ce livre lenfant qua t autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont dabord t des enfants. (Mais peu dentre elles sen souviennent.) Je corrige donc ma ddicace :
LON WERTH
QUAND IL TAIT PETIT GARON
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PREMIER CHAPITRE
Lorsque javais six ans jai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Fort Vierge qui sappelait Histoires Vcues . a reprsentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voil la copie du dessin.
On disait dans le livre : Les serpents boas avalent leur proie
tout entire, sans la mcher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion .
Jai alors beaucoup rflchi sur les aventures de la jungle et,
mon tour, jai russi, avec un crayon de couleur, tracer mon premier dessin. Mon dessin numro 1. Il tait comme a :
Jai montr mon chef duvre aux grandes personnes et je
leur ai demand si mon dessin leur faisait peur. Elles mont rpondu : Pourquoi un chapeau ferait-il peur ?
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Mon dessin ne reprsentait pas un chapeau. Il reprsentait un serpent boa qui digrait un lphant. Jai alors dessin lintrieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin dexplications. Mon dessin numro 2 tait comme a :
Les grandes personnes mont conseill de laisser de ct les
dessins de serpents boas ouverts ou ferms, et de mintresser plutt la gographie, lhistoire, au calcul et la grammaire. Cest ainsi que jai abandonn, lge de six ans, une magnifique carrire de peintre. Javais t dcourag par linsuccs de mon dessin numro 1 et de mon dessin numro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et cest fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications.
Jai donc d choisir un autre mtier et jai appris piloter des
avions. Jai vol un peu partout dans le monde. Et la gographie, cest exact, ma beaucoup servi. Je savais reconnatre, du premier coup dil, la Chine de lArizona. Cest trs utile, si lon est gar pendant la nuit.
Jai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des
tas de gens srieux. Jai beaucoup vcu chez les grandes personnes. Je les ai vues de trs prs. a na pas trop amlior mon opinion.
Quand jen rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je
faisais lexprience sur elle de mon dessin n 1 que jai toujours conserv. Je voulais savoir si elle tait vraiment comprhensive. Mais toujours elle me rpondait :
Cest un chapeau.
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Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forts vierges,
ni dtoiles. Je me mettais sa porte. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne tait bien contente de connatre un homme aussi raisonnable.
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CHAPITRE II
Jai ainsi vcu seul, sans personne avec qui parler vritablement, jusqu une panne dans le dsert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose stait cass dans mon moteur. Et comme je navais avec moi ni mcanicien, ni passagers, je me prparai essayer de russir, tout seul, une rparation difficile. Ctait pour moi une question de vie ou de mort. Javais peine de leau boire pour huit jours.
Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable mille
milles de toute terre habite. Jtais bien plus isol quun naufrag sur un radeau au milieu de locan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drle de petite voix ma rveill. Elle disait :
Sil vous plat dessine-moi un mouton ! Hein ! Dessine-moi un mouton Jai saut sur mes pieds comme si javais t frapp par la
foudre. Jai bien frott mes yeux. Jai bien regard. Et jai vu un petit bonhomme tout fait extraordinaire qui me considrait gravement. Voil le meilleur portrait que, plus tard, jai russi faire de lui. Mais mon dessin, bien sr, est beaucoup moins ravissant que le modle. Ce nest pas ma faute. Javais t dcourag dans ma carrire de peintre par les grandes personnes, lge de six ans, et je navais rien appris dessiner, sauf les boas ferms et les boas ouverts.
Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds
dtonnement. Noubliez pas que je me trouvais mille milles de toute rgion habite. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni gar, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il navait en rien lapparence dun enfant perdu au milieu
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du dsert, mille milles de toute rgion habite. Quand je russis enfin parler, je lui dis :
Mais quest-ce que tu fais l ? Et il me rpta alors, tout doucement, comme une chose trs
srieuse : Sil vous plat dessine-moi un mouton Quand le mystre est trop impressionnant, on nose pas
dsobir. Aussi absurde que cela me semblt mille milles de tous les endroits habits et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que javais surtout tudi la gographie, lhistoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me rpondit :
a ne fait rien. Dessine-moi un mouton.
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Comme je navais jamais dessin un mouton je refis, pour lui, lun des deux seuls dessins dont jtais capable. Celui du boa ferm. Et je fus stupfait dentendre le petit bonhomme me rpondre :
Non ! Non ! Je ne veux pas dun lphant dans un boa. Un
boa cest trs dangereux, et un lphant cest trs encombrant. Chez moi cest tout petit. Jai besoin dun mouton. Dessine-moi un mouton.
Alors jai dessin. Il regarda attentivement, puis : Non ! Celui-l est dj trs malade. Fais-en un autre.
Je dessinai : Mon ami sourit gentiment, avec indulgence : Tu vois bien ce nest pas un mouton, cest un blier. Il a
des cornes
Je refis donc encore mon dessin :
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Mais il fut refus, comme les prcdents : Celui-l est trop vieux. Je veux un mouton qui vive
longtemps.
Alors, faute de patience, comme javais hte de commencer le
dmontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci. Et je lanai :
a cest la caisse. Le mouton que tu veux est dedans. Mais je fus bien surpris de voir silluminer le visage de mon
jeune juge : Cest tout fait comme a que je le voulais ! Crois-tu quil
faille beaucoup dherbe ce mouton ? Pourquoi ? Parce que chez moi cest tout petit a suffira srement. Je tai donn un tout petit mouton.
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Il pencha la tte vers le dessin : Pas si petit que a Tiens ! Il sest endormi Et cest ainsi que je fis la connaissance du petit prince.
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CHAPITRE III
Il me fallut longtemps pour comprendre do il venait. Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononcs par hasard qui, peu peu, mont tout rvl. Ainsi, quand il aperut pour la premire fois mon avion (je ne dessinerai pas mon avion, cest un dessin beaucoup trop compliqu pour moi) il me demanda :
Quest ce que cest que cette chose-l ? Ce nest pas une chose. a vole. Cest un avion. Cest mon
avion. Et jtais fier de lui apprendre que je volais. Alors il scria : Comment ! tu es tomb du ciel ! Oui, fis-je modestement. Ah ! a cest drle Et le petit prince eut un trs joli clat de rire qui mirrita
beaucoup. Je dsire que lon prenne mes malheurs au srieux. Puis il ajouta :
Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle plante es-tu ? Jentrevis aussitt une lueur, dans le mystre de sa prsence,
et jinterrogeai brusquement : Tu viens donc dune autre plante ? Mais il ne me rpondit pas. Il hochait la tte doucement tout
en regardant mon avion :
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Cest vrai que, l-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin Et il senfona dans une rverie qui dura longtemps. Puis,
sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trsor.
Vous imaginez combien javais pu tre intrigu par cette
demi-confidence sur les autres plantes . Je mefforai donc den savoir plus long :
Do viens-tu mon petit bonhomme ? O est-ce chez
toi ? O veux-tu emporter mon mouton ? Il me rpondit aprs un silence mditatif : Ce qui est bien, avec la caisse que tu mas donne, cest que,
la nuit, a lui servira de maison. Bien sr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde
pour lattacher pendant le jour. Et un piquet.
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La proposition parut choquer le petit prince : Lattacher ? Quelle drle dide ! Mais si tu ne lattaches pas, il ira nimporte o, et il se
perdra Et mon ami eut un nouvel clat de rire : Mais o veux-tu quil aille ! Nimporte o. Droit devant lui Alors le petit prince remarqua gravement : a ne fait rien, cest tellement petit, chez moi !
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Et, avec un peu de mlancolie, peut-tre, il ajouta : Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin
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CHAPITRE IV
Javais ainsi appris une seconde chose trs importante : Cest que sa plante dorigine tait peine plus grande quune maison !
a ne pouvait pas mtonner beaucoup. Je savais bien quen
dehors des grosses plantes comme la Terre, Jupiter, Mars, Vnus, auxquelles on a donn des noms, il y en a des centaines dautres qui sont quelquefois si petites quon a beaucoup de mal les apercevoir au tlescope. Quand un astronome dcouvre lune delles, il lui donne pour nom un numro. Il lappelle par exemple : lastrode 3251.
Jai de srieuses raisons de croire que la plante do venait le
petit prince est lastrode B 612. Cet astrode na t aperu quune fois au tlescope, en 1909, par un astronome turc.
Il avait fait alors une grande dmonstration de sa dcouverte
un Congrs International dAstronomie. Mais personne ne lavait cru cause de son costume. Les grandes personnes sont comme a.
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Heureusement pour la rputation de lastrode B 612 un
dictateur turc imposa son peuple, sous peine de mort, de shabiller lEuropenne. Lastronome refit sa dmonstration en 1920, dans un habit trs lgant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.
Si je vous ai racont ces dtails sur lastrode B 612 et si je
vous ai confi son numro, cest cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez dun nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur lessentiel. Elles ne vous disent jamais : Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux quil prfre ? Est-ce quil collectionne les papillons ? Elles vous demandent : Quel ge a-t-il ? Combien a-t-il de frres ? Combien pse-t-il ? Combien gagne son pre ? Alors seulement elles croient le connatre. Si vous dites aux grandes personnes : Jai vu une belle maison en briques roses, avec des graniums aux fentres et des colombes sur le toit elles ne parviennent pas simaginer cette maison. Il faut
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leur dire : Jai vu une maison de cent mille francs. Alors elles scrient : Comme cest joli !
Ainsi, si vous leur dites : La preuve que le petit prince a
exist cest quil tait ravissant, quil riait, et quil voulait un mouton. Quand on veut un mouton, cest la preuve quon existe elles hausseront les paules et vous traiteront denfant ! Mais si vous leur dites : La plante do il venait est lastrode B 612 alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme a. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent tre trs indulgents envers les grandes personnes.
Mais, bien sr, nous qui comprenons la vie, nous nous
moquons bien des numros ! Jaurais aim commencer cette histoire la faon des contes de fes. Jaurais aim dire :
Il tait une fois un petit prince qui habitait une plante
peine plus grande que lui, et qui avait besoin dun ami Pour ceux qui comprennent la vie, a aurait eu lair beaucoup plus vrai.
Car je naime pas quon lise mon livre la lgre. Jprouve
tant de chagrin raconter ces souvenirs. Il y a six ans dj que mon ami sen est all avec son mouton. Si jessaie ici de le dcrire, cest afin de ne pas loublier. Cest triste doublier un ami. Tout le monde na pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui ne sintressent plus quaux chiffres. Cest donc pour a encore que jai achet une bote de couleurs et des crayons. Cest dur de se remettre au dessin, mon ge, quand on na jamais fait dautres tentatives que celle dun boa ferm et celle dun boa ouvert, lge de six ans ! Jessaierai, bien sr, de faire des portraits le plus ressemblants possible. Mais je ne suis pas tout fait certain de russir. Un dessin va, et lautre ne ressemble plus. Je me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince est trop grand. L il est trop petit. Jhsite aussi sur la couleur de son costume. Alors je ttonne comme ci et comme a, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur certains dtails plus importants.
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Mais a, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais dexplications. Il me croyait peut-tre semblable lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons travers les caisses. Je suis peut-tre un peu comme les grandes personnes. Jai d vieillir.
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CHAPITRE V
Chaque jour japprenais quelque chose sur la plante, sur le dpart, sur le voyage. a venait tout doucement, au hasard des rflexions. Cest ainsi que, le troisime jour, je connus le drame des baobabs.
Cette fois-ci encore ce fut grce au mouton, car brusquement
le petit prince minterrogea, comme pris dun doute grave : Cest bien vrai, nest-ce pas, que les moutons mangent les
arbustes ? Oui. Cest vrai. Ah ! Je suis content. Je ne compris pas pourquoi il tait si important que les
moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta : Par consquent ils mangent aussi les baobabs ? Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas
des arbustes, mais des arbres grands comme des glises et que, si mme il emportait avec lui tout un troupeau dlphants, ce troupeau ne viendrait pas bout dun seul baobab.
Lide du troupeau dlphants fit rire le petit prince : Il faudrait les mettre les uns sur les autres
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Mais il remarqua avec sagesse : Les baobabs, avant de grandir, a commence par tre petit. Cest exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons
mangent les petits baobabs ? Il me rpondit : Ben ! Voyons ! comme sil sagissait l
dune vidence. Et il me fallut un grand effort dintelligence pour comprendre moi seul ce problme.
Et en effet, sur la plante du petit prince, il y avait comme sur
toutes les plantes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par consquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu ce quil prenne fantaisie lune delles de se rveiller. Alors elle stire, et pousse dabord timidement vers le soleil une ravissante petite brindille inoffensive. Sil sagit dune brindille de radis ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais sil sagit dune mauvaise plante, il faut arracher la plante aussitt, ds quon a su la reconnatre. Or il y avait des graines terribles sur la plante du petit prince ctaient les graines de baobabs. Le sol de la plante en tait infest. Or un baobab, si lon sy prend trop tard, on ne peut jamais plus sen dbarrasser. Il encombre toute la plante. Il
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la perfore de ses racines. Et si la plante est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font clater.
Cest une question de discipline, me disait plus tard le petit
prince. Quand on a termin sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la plante. Il faut sastreindre rgulirement arracher les baobabs ds quon les distingue davec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont trs jeunes. Cest un travail trs ennuyeux, mais trs facile.
Et un jour il me conseilla de mappliquer russir un beau
dessin, pour bien faire entrer a dans la tte des enfants de chez moi.
Sils voyagent un jour, me disait-il, a pourra leur servir. Il
est quelquefois sans inconvnient de remettre plus tard son travail. Mais, sil sagit des baobabs, cest toujours une catastrophe. Jai connu une plante, habite par un paresseux. Il avait nglig trois arbustes
Et, sur les indications du petit prince, jai dessin cette
plante-l. Je naime gure prendre le ton dun moraliste. Mais le
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danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui sgarerait dans un astrode sont si considrables, que, pour une fois, je fais exception ma rserve. Je dis : Enfants ! Faites attention aux baobabs ! Cest pour avertir mes amis dun danger quils frlaient depuis longtemps, comme moi-mme, sans le connatre, que jai tant travaill ce dessin-l. La leon que je donnais en valait la peine. Vous vous demanderez peut-tre : Pourquoi ny a-t-il pas, dans ce livre, dautres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs ? La rponse est bien simple : Jai essay mais je nai pas pu russir. Quand jai dessin les baobabs jai t anim par le sentiment de lurgence.
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CHAPITRE VI
Ah ! petit prince, jai compris, peu peu, ainsi, ta petite vie mlancolique. Tu navais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. Jai appris ce dtail nouveau, le quatrime jour au matin, quand tu mas dit :
Jaime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de
soleil Mais il faut attendre Attendre quoi ? Attendre que le soleil se couche. Tu as eu lair trs surpris dabord, et puis tu as ri de toi-
mme. Et tu mas dit : Je me crois toujours chez moi ! En effet. Quand il est midi aux tats-Unis, le soleil, tout le
monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher de soleil. Malheureusement la France est bien trop loigne. Mais, sur ta si petite plante, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crpuscule chaque fois que tu le dsirais
Un jour, jai vu le soleil se coucher quarante-trois fois ! Et un peu plus tard tu ajoutais : Tu sais quand on est tellement triste on aime les couchers
de soleil
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Le jour des quarante-trois fois tu tais donc tellement triste ?
Mais le petit prince ne rpondit pas.
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CHAPITRE VII
Le cinquime jour, toujours grce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut rvl. Il me demanda avec brusquerie, sans prambule, comme le fruit dun problme longtemps mdit en silence :
Un mouton, sil mange les arbustes, il mange aussi les
fleurs ? Un mouton mange tout ce quil rencontre. Mme les fleurs qui ont des pines ? Oui. Mme les fleurs qui ont des pines. Alors les pines, quoi servent-elles ? Je ne le savais pas. Jtais alors trs occup essayer de
dvisser un boulon trop serr de mon moteur. Jtais trs soucieux car ma panne commenait de mapparatre comme trs grave, et leau boire qui spuisait me faisait craindre le pire.
Les pines, quoi servent-elles ? Le petit prince ne renonait jamais une question, une fois
quil lavait pose. Jtais irrit par mon boulon et je rpondis nimporte quoi :
Les pines, a ne sert rien, cest de la pure mchancet de
la part des fleurs ! Oh ! Mais aprs un silence il me lana, avec une sorte de rancune :
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Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs pines
Je ne rpondis rien. cet instant-l je me disais : Si ce
boulon rsiste encore, je le ferai sauter dun coup de marteau. Le petit prince drangea de nouveau mes rflexions :
Et tu crois, toi, que les fleurs Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! Jai rpondu
nimporte quoi. Je moccupe, moi, de choses srieuses ! Il me regarda stupfiait. De choses srieuses ! Il me voyait, mon marteau la main, et les doigts noirs de
cambouis, pench sur un objet qui lui semblait trs laid. Tu parles comme les grandes personnes ! a me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta : Tu confonds tout tu mlanges tout ! Il tait vraiment trs irrit. Il secouait au vent des cheveux
tout dors : Je connais une plante o il y a un Monsieur cramoisi. Il na
jamais respir une fleur. Il na jamais regard une toile. Il na jamais aim personne. Il na jamais rien fait dautre que des additions. Et toute la journe il rpte comme toi : Je suis un homme srieux ! Je suis un homme srieux ! et a le fait gonfler dorgueil. Mais ce nest pas un homme, cest un champignon !
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Un quoi ? Un champignon ! Le petit prince tait maintenant tout ple de colre. Il y a des millions dannes que les fleurs fabriquent des
pines. Il y a des millions dannes que les moutons mangent quand mme les fleurs. Et ce nest pas srieux de chercher comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des pines qui ne servent jamais rien ? Ce nest pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce nest pas plus srieux et plus important que les additions dun gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui nexiste nulle part, sauf dans ma plante, et quun petit mouton peut anantir dun seul coup, comme a, un matin, sans se rendre compte de ce quil fait, ce nest pas important a !
Il rougit, puis reprit : Si quelquun aime une fleur qui nexiste qu un exemplaire
dans les millions et les millions dtoiles, a suffit pour quil soit heureux quand il les regarde. Il se dit : Ma fleur est l quelque part Mais si le mouton mange la fleur, cest pour lui comme si, brusquement, toutes les toiles steignaient ! Et ce nest pas important a !
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Il ne put rien dire de plus. Il clata brusquement en sanglots. La nuit tait tombe. Javais lch mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait, sur une toile, une plante, la mienne, la Terre, un petit prince consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berai. Je lui disais :
La fleur que tu aimes nest pas en danger Je lui dessinerai
une muselire, ton mouton Je te dessinerai une armure pour ta fleur Je
Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais trs maladroit.
Je ne savais comment latteindre, o le rejoindre Cest tellement mystrieux, le pays des larmes.
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CHAPITRE VIII
Jappris bien vite mieux connatre cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la plante du petit prince, des fleurs trs simples, ornes dun seul rang de ptales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne drangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans lherbe, et puis elles steignaient le soir. Mais celle-l avait germ un jour, dune graine apporte don ne sait o, et le petit prince avait surveill de trs prs cette brindille qui ne ressem-blait pas aux autres brindilles. a pouvait tre un nouveau genre de baobab. Mais larbuste cessa vite de crotre, et commena de prparer une fleur. Le petit prince, qui assistait linstallation dun bouton norme, sentait bien quil en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur nen finissait pas de se prparer tre belle, labri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle shabillait lentement, elle ajustait un un ses ptales. Elle ne voulait pas sortir toute fripe comme les coqueli-cots. Elle ne voulait apparatre que dans le plein rayonnement de sa beaut. Eh ! oui. Elle tait trs coquette ! Sa toilette mystrieu-se avait donc dur des jours et des jours. Et puis voici quun matin, justement lheure du lever du soleil, elle stait montre.
Et elle, qui avait travaill avec tant de prcision, dit en
billant : Ah ! Je me rveille peine Je vous demande pardon Je
suis encore toute dcoiffe Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration : Que vous tes belle ! Nest-ce pas, rpondit doucement la fleur. Et je suis ne en
mme temps que le soleil
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Le petit prince devina bien quelle ntait pas trop modeste,
mais elle tait si mouvante ! Cest lheure, je crois, du petit djeuner, avait-elle bientt
ajout, auriez-vous la bont de penser moi Et le petit prince, tout confus, ayant t chercher un arrosoir
deau frache, avait servi la fleur.
Ainsi lavait-elle bien vite tourment par sa vanit un peu
ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre pines, elle avait dit au petit prince :
Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !
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Il ny a pas de tigres sur ma plante, avait object le petit
prince, et puis les tigres ne mangent pas lherbe. Je ne suis pas une herbe, avait doucement rpondu la fleur. Pardonnez-moi Je ne crains rien des tigres, mais jai horreur des courants
dair. Vous nauriez pas un paravent ?
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Horreur des courants dair ce nest pas de chance, pour une plante, avait remarqu le petit prince. Cette fleur est bien complique
Le soir vous me mettrez sous globe. Il fait trs froid chez
vous. Cest mal install. L do je viens Mais elle stait interrompue. Elle tait venue sous forme de
graine. Elle navait rien pu connatre des autres mondes. Humilie de stre laiss surprendre prparer un mensonge aussi naf, elle avait touss deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort :
Ce paravent ? Jallais le chercher mais vous me parliez ! Alors elle avait forc sa toux pour lui infliger quand mme des
remords. Ainsi le petit prince, malgr la bonne volont de son amour,
avait vite dout delle. Il avait pris au srieux des mots sans importance, et tait devenu trs malheureux.
Jaurais d ne pas lcouter, me confia-t-il un jour, il ne faut
jamais couter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma plante, mais je ne savais pas men rjouir. Cette histoire de griffes, qui mavait tellement agac, et d mattendrir
Il me confia encore : Je nai alors rien su comprendre ! Jaurais d la juger sur
les actes et non sur les mots. Elle membaumait et mclairait. Je naurais jamais d menfuir ! Jaurais d deviner sa tendresse
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derrire ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais jtais trop jeune pour savoir laimer.
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CHAPITRE IX
Je crois quil profita, pour son vasion, dune migration doiseaux sauvages. Au matin du dpart il mit sa plante bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activit. Il possdait deux volcans en activit. Et ctait bien commode pour faire chauffer le petit djeuner du matin. Il possdait aussi un volcan teint. Mais, comme il disait, On ne sait jamais ! Il ramona donc galement le volcan teint. Sils sont bien ramons, les volcans brlent doucement et rgulirement, sans ruptions. Les ruptions volcaniques sont comme des feux de chemine. videmment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. Cest pourquoi ils nous causent des tas dennuis.
Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mlancolie, les
dernires pousses de baobabs. Il croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui parurent, ce matin-l, extrmement doux. Et, quand il arrosa une dernire fois la fleur,
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et se prpara la mettre labri sous son globe, il se dcouvrit lenvie de pleurer.
Adieu, dit-il la fleur. Mais elle ne lui rpondit pas. Adieu, rpta-t-il. La fleur toussa. Mais ce ntait pas cause de son rhume. Jai t sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon.
Tche dtre heureux. Il fut surpris par labsence de reproches. Il restait l tout
dconcert, le globe en lair. Il ne comprenait pas cette douceur calme.
Mais oui, je taime, lui dit la fleur. Tu nen as rien su, par
ma faute. Cela na aucune importance. Mais tu as t aussi sot que moi. Tche dtre heureux Laisse ce globe tranquille. Je nen veux plus.
Mais le vent Je ne suis pas si enrhume que a Lair frais de la nuit me
fera du bien. Je suis une fleur. Mais les btes Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux
connatre les papillons. Il parat que cest tellement beau. Sinon qui me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses btes, je ne crains rien. Jai mes griffes.
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Et elle montrait navement ses quatre pines. Puis elle ajouta :
Ne trane pas comme a, cest agaant. Tu as dcid de
partir. Va-ten. Car elle ne voulait pas quil la vt pleurer. Ctait une fleur
tellement orgueilleuse
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CHAPITRE X
Il se trouvait dans la rgion des astrodes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commena donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour sinstruire.
La premire tait habite par un roi. Le roi sigeait, habill de
pourpre et dhermine, sur un trne trs simple et cependant majestueux.
Ah ! Voil un sujet, scria le roi quand il aperut le petit
prince. Et le petit prince se demanda : Comment peut-il me reconnatre puisquil ne ma encore
jamais vu ! Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est trs simplifi.
Tous les hommes sont des sujets. Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui tait tout
fier dtre roi pour quelquun. Le petit prince chercha des yeux o sasseoir, mais la plante
tait toute encombre par le magnifique manteau dhermine. Il resta donc debout, et, comme il tait fatigu, il billa.
Il est contraire ltiquette de biller en prsence dun roi,
lui dit le monarque. Je te linterdis. Je ne peux pas men empcher, rpondit le petit prince tout
confus. Jai fait un long voyage et je nai pas dormi
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Alors, lui dit le roi, je tordonne de biller. Je nai vu personne biller depuis des annes. Les billements sont pour moi des curiosits. Allons ! bille encore. Cest un ordre.
a mintimide je ne peux plus fit le petit prince tout
rougissant. Hum ! Hum ! rpondit le roi. Alors je je tordonne tantt
de biller et tantt de Il bredouillait un peu et paraissait vex. Car le roi tenait essentiellement ce que son autorit ft
respecte. Il ne tolrait pas la dsobissance. Ctait un monarque absolu. Mais, comme il tait trs bon, il donnait des ordres raisonnables.
Si jordonnais, disait-il couramment, si jordonnais un
gnral de se changer en oiseau de mer, et si le gnral nobissait pas, ce ne serait pas la faute du gnral. Ce serait ma faute.
Puis-je masseoir ? senquit timidement le petit prince.
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Je tordonne de tasseoir, lui rpondit le roi, qui ramena
majestueusement un pan de son manteau dhermine. Mais le petit prince stonnait. La plante tait minuscule.
Sur quoi le roi pouvait-il bien rgner ? Sire, lui dit-il je vous demande pardon de vous
interroger Je tordonne de minterroger, se hta de dire le roi. Sire sur quoi rgnez-vous ? Sur tout, rpondit le roi, avec une grande simplicit. Sur tout ? Le roi dun geste discret dsigna sa plante, les autres
plantes et les toiles. Sur tout a ? dit le petit prince. Sur tout a rpondit le roi. Car non seulement ctait un monarque absolu mais ctait un
monarque universel. Et les toiles vous obissent ? Bien sr, lui dit le roi. Elles obissent aussitt. Je ne tolre
pas lindiscipline. Un tel pouvoir merveilla le petit prince. Sil lavait dtenu
lui-mme, il aurait pu assister, non pas quarante-quatre, mais
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soixante-douze, ou mme cent, ou mme deux cents couchers de soleil dans la mme journe, sans avoir jamais tirer sa chaise ! Et comme il se sentait un peu triste cause du souvenir de sa petite plante abandonne, il senhardit solliciter une grce du roi :
Je voudrais voir un coucher de soleil Faites-moi plaisir
Ordonnez au soleil de se coucher Si jordonnais un gnral de voler dune fleur lautre la
faon dun papillon, ou dcrire une tragdie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le gnral nexcutait pas lordre reu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort ?
Ce serait vous, dit fermement le petit prince. Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner,
reprit le roi. Lautorit repose dabord sur la raison. Si tu ordonnes ton peuple daller se jeter la mer, il fera la rvolution. Jai le droit dexiger lobissance parce que mes ordres sont raisonnables.
Alors mon coucher de soleil ? rappela le petit prince qui
jamais noubliait une question une fois quil lavait pose. Ton coucher de soleil, tu lauras. Je lexigerai. Mais
jattendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables.
Quand a sera-t-il ? sinforma le petit prince. Hem ! Hem ! lui rpondit le roi, qui consulta dabord un
gros calendrier, hem ! hem ! ce sera, vers vers ce sera ce soir vers sept heures quarante ! Et tu verras comme je suis bien obi.
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Le petit prince billa. Il regrettait son coucher de soleil manqu. Et puis il sennuyait dj un peu :
Je nai plus rien faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir ! Ne pars pas, rpondit le roi qui tait si fier davoir un sujet.
Ne pars pas, je te fais ministre ! Ministre de quoi ? De de la justice ! Mais il ny a personne juger ! On ne sait pas, lui dit le roi. Je nai pas fait encore le tour de
mon royaume. Je suis trs vieux, je nai pas de place pour un carrosse, et a me fatigue de marcher.
Oh ! Mais jai dj vu, dit le petit prince qui se pencha pour
jeter encore un coup dil sur lautre ct de la plante. Il ny a personne l-bas non plus
Tu te jugeras donc toi-mme, lui rpondit le roi. Cest le
plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-mme que de juger autrui. Si tu russis bien te juger, cest que tu es un vritable sage.
Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-mme
nimporte o. Je nai pas besoin dhabiter ici. Hem ! Hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma plante il y
a quelque part un vieux rat. Je lentends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras mort de temps en temps. Ainsi sa vie dpendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour lconomiser. Il ny en a quun.
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Moi, rpondit le petit prince, je naime pas condamner mort, et je crois bien que je men vais.
Non, dit le roi. Mais le petit prince, ayant achev ses prparatifs, ne voulut
point peiner le vieux monarque : Si Votre Majest dsirait tre obie ponctuellement, elle
pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait mordon-ner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables
Le roi nayant rien rpondu, le petit prince hsita dabord,
puis, avec un soupir, prit le dpart. Je te fais mon ambassadeur, se hta alors de crier le roi. Il avait un grand air dautorit. Les grandes personnes sont bien tranges, se dit le petit
prince, en lui-mme, durant son voyage.
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CHAPITRE XI
La seconde plante tait habite par un vaniteux : Ah ! Ah ! Voil la visite dun admirateur ! scria de loin le
vaniteux ds quil aperut le petit prince.
Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des
admirateurs. Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un drle de chapeau. Cest pour saluer, lui rpondit le vaniteux. Cest pour saluer
quand on macclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici.
Ah oui ? dit le petit prince qui ne comprit pas. Frappe tes mains lune contre lautre, conseilla donc le
vaniteux.
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Le petit prince frappa ses mains lune contre lautre. Le
vaniteux salua modestement en soulevant son chapeau. a cest plus amusant que la visite au roi , se dit en lui-
mme le petit prince. Et il recommena de frapper ses mains lune contre lautre. Le vaniteux recommena de saluer en soulevant son chapeau.
Aprs cinq minutes dexercice le petit prince se fatigua de la
monotonie du jeu : Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il
faire ? Mais le vaniteux ne lentendit pas. Les vaniteux nentendent
jamais que les louanges. Est-ce que tu madmires vraiment beaucoup ? demanda-t-il
au petit prince. Quest-ce que signifie admirer ? Admirer signifie reconnatre que je suis lhomme le plus
beau, le mieux habill, le plus riche et le plus intelligent de la plante.
Mais tu es seul sur ta plante ! Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand mme ! Je tadmire, dit le petit prince, en haussant un peu les
paules, mais en quoi cela peut-il bien tintresser ? Et le petit prince sen fut.
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Les grandes personnes sont dcidment bien bizarres, se dit-il simplement en lui-mme durant son voyage.
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CHAPITRE XII
La plante suivante tait habite par un buveur. Cette visite fut trs courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mlancolie :
Que fais-tu l ? dit-il au buveur, quil trouva install en
silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.
Je bois, rpondit le buveur, dun air lugubre. Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince. Pour oublier, rpondit le buveur. Pour oublier quoi ? senquit le petit prince qui dj le
plaignait. Pour oublier que jai honte, avoua le buveur en baissant la
tte. Honte de quoi ? sinforma le petit prince qui dsirait le
secourir.
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Honte de boire ! acheva le buveur qui senferma
dfinitivement dans le silence. Et le petit prince sen fut, perplexe. Les grandes personnes sont dcidment trs trs bizarres, se
disait-il en lui-mme durant le voyage.
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CHAPITRE XIII
La quatrime plante tait celle du businessman. Cet homme tait si occup quil ne leva mme pas la tte larrive du petit prince.
Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est teinte. Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois
quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf ! a fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.
Cinq cents millions de quoi ? Hein ? Tu es toujours l ? Cinq cent un millions de je ne
sais plus Jai tellement de travail ! Je suis srieux, moi, je ne mamuse pas des balivernes ! Deux et cinq sept
Cinq cent un millions de quoi, rpta le petit prince qui
jamais de sa vie, navait renonc une question, une fois quil lavait pose.
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Le businessman leva la tte : Depuis cinquante-quatre ans que jhabite cette plante-ci,
je nai t drang que trois fois. La premire fois a t, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui tait tomb Dieu sait do. Il rpandait un bruit pouvantable, et jai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois a t, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque dexercice. Je nai pas le temps de flner. Je suis srieux, moi. La troisime fois la voici ! Je disais donc cinq cent un millions
Millions de quoi ? Le businessman comprit quil ntait point despoir de paix : Millions de ces petites choses que lon voit quelquefois dans
le ciel. Des mouches ? Mais non, des petites choses qui brillent. Des abeilles ? Mais non. Des petites choses dores qui font rvasser les
fainants. Mais je suis srieux, moi ! Je nai pas le temps de rvasser.
Ah ! des toiles ? Cest bien a. Des toiles. Et que fais-tu de cinq cents millions dtoiles ? Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent
trente et un. Je suis srieux, moi, je suis prcis.
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Et que fais-tu de ces toiles ? Ce que jen fais ? Oui. Rien. Je les possde. Tu possdes les toiles ? Oui.
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CHAPITRE XIV
La cinquime plante tait trs curieuse. Ctait la plus petite de toutes. Il y avait l juste assez de place pour loger un rverbre et un allumeur de rverbres. Le petit prince ne parvenait pas sexpliquer quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une plante sans maison, ni population, un rverbre et un allumeur de rverbres. Cependant il se dit en lui-mme :
Peut-tre bien que cet homme est absurde. Cependant il est
moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son rverbre, cest comme sil faisait natre une toile de plus, ou une fleur. Quand il teint son rverbre a endort la fleur ou ltoile. Cest une occupation trs jolie. Cest vritablement utile puisque cest joli.
Lorsquil aborda la plante il salua respectueusement
lallumeur : Bonjour. Pourquoi viens-tu dteindre ton rverbre ? Cest la consigne, rpondit lallumeur. Bonjour.
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Quest-ce que la consigne ? Cest dteindre mon rverbre. Bonsoir. Et il le ralluma. Mais pourquoi viens-tu de le rallumer ? Cest la consigne, rpondit lallumeur. Je ne comprends pas, dit le petit prince. Il ny a rien comprendre, dit lallumeur. La consigne cest
la consigne. Bonjour. Et il teignit son rverbre. Puis il spongea le front avec un mouchoir carreaux rouges. Je fais l un mtier terrible. Ctait raisonnable autrefois.
Jteignais le matin et jallumais le soir. Javais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir
Et, depuis cette poque, la consigne a chang ? La consigne na pas chang, dit lallumeur. Cest bien l le
drame ! La plante danne en anne a tourn de plus en plus vite, et la consigne na pas chang !
Alors ? dit le petit prince. Alors maintenant quelle fait un tour par minute, je nai
plus une seconde de repos. Jallume et jteins une fois par minute !
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a cest drle ! Les jours chez toi durent une minute ! Ce nest pas drle du tout, dit lallumeur. a fait dj un
mois que nous parlons ensemble. Un mois ? Oui. Trente minutes. Trente jours ! Bonsoir. Et il ralluma son rverbre. Le petit prince le regarda et il aima cet allumeur qui tait
tellement fidle la consigne. Il se souvint des couchers de soleil que lui-mme allait autrefois chercher, en tirant sa chaise. Il voulut aider son ami :
Tu sais je connais un moyen de te reposer quand tu
voudras Je veux toujours, dit lallumeur. Car on peut tre, la fois, fidle et paresseux. Le petit prince poursuivit : Ta plante est tellement petite que tu en fais le tour en trois
enjambes. Tu nas qu marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras et le jour durera aussi longtemps que tu voudras.
a ne mavance pas grandchose, dit lallumeur. Ce que
jaime dans la vie, cest dormir. Ce nest pas de chance, dit le petit prince.
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Ce nest pas de chance, dit lallumeur. Bonjour. Et il teignit son rverbre. Celui-l, se dit le petit prince, tandis quil poursuivait plus
loin son voyage, celui-l serait mpris par tous les autres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant cest le seul qui ne me paraisse pas ridicule. Cest peut-tre parce quil soccupe dautre chose que de soi-mme.
Il eut un soupir de regret et se dit encore : Celui-l est le seul dont jeusse pu faire mon ami. Mais sa
plante est vraiment trop petite. Il ny a pas de place pour deux
Ce que le petit prince nosait pas savouer, cest quil regrettait
cette plante bnie cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures !
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CHAPITRE XV
La sixime plante tait une plante dix fois plus vaste. Elle tait habite par un vieux Monsieur qui crivait dnormes livres.
Tiens ! voil un explorateur ! scria-t-il, quand il aperut le
petit prince. Le petit prince sassit sur la table et souffla un peu. Il avait
dj tant voyag ! Do viens-tu ? lui dit le vieux Monsieur. Quel est ce gros livre ? dit le petit prince. Que faites-vous
ici ? Je suis gographe, dit le vieux Monsieur. Quest-ce quun gographe ? Cest un savant qui connat o se trouvent les mers, les
fleuves, les villes, les montagnes et les dserts.
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a cest bien intressant, dit le petit prince. a cest enfin un vritable mtier ! Et il jeta un coup dil autour de lui sur la plante du gographe. Il navait jamais vu encore une plante aussi majestueuse.
Elle est bien belle, votre plante. Est-ce quil y a des
ocans ? Je ne puis pas le savoir, dit le gographe. Ah ! (Le petit prince tait du.) Et des montagnes ? Je ne puis pas le savoir, dit le gographe. Et des villes et des fleuves et des dserts ? Je ne puis pas le savoir non plus, dit le gographe. Mais vous tes gographe ! Cest exact, dit le gographe, mais je ne suis pas
explorateur. Je manque absolument dexplorateurs. Ce nest pas le gographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des mers, des ocans et des dserts. Le gographe est trop important pour flner. Il ne quitte pas son bureau. Mais il y reoit les explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de lun dentre eux lui paraissent intressants, le gographe fait faire une enqute sur la moralit de lexplorateur.
Pourquoi a ? Parce quun explorateur qui mentirait entranerait des
catastrophes dans les livres de gographie. Et aussi un explorateur qui boirait trop.
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Pourquoi a ? fit le petit prince. Parce que les ivrognes voient double. Alors le gographe
noterait deux montagnes, l o il ny en a quune seule. Je connais quelquun, dit le petit prince, qui serait mauvais
explorateur. Cest possible. Donc, quand la moralit de lexplorateur
parat bonne, on fait une enqute sur sa dcouverte. On va voir ? Non. Cest trop compliqu. Mais on exige de lexplorateur
quil fournisse des preuves. Sil sagit par exemple de la dcouverte dune grosse montagne, on exige quil en rapporte de grosses pierres.
Le gographe soudain smut. Mais toi, tu viens de loin ! Tu es explorateur ! Tu vas me
dcrire ta plante ! Et le gographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon.
On note dabord au crayon les rcits des explorateurs. On attend, pour noter lencre, que lexplorateur ait fourni des preuves.
Alors ? interrogea le gographe. Oh ! chez moi, dit le petit prince, ce nest pas trs
intressant, cest tout petit. Jai trois volcans. Deux volcans en activit, et un volcan teint. Mais on ne sait jamais.
On ne sait jamais, dit le gographe. Jai aussi une fleur.
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Nous ne notons pas les fleurs, dit le gographe. Pourquoi a ! cest le plus joli ! Parce que les fleurs sont phmres. Quest ce que signifie : phmre ? Les gographies, dit le gographe, sont les livres les plus
prcieux de tous les livres. Elles ne se dmodent jamais. Il est trs rare quune montagne change de place. Il est trs rare quun ocan se vide de son eau. Nous crivons des choses ternelles.
Mais les volcans teints peuvent se rveiller, interrompit le
petit prince. Quest-ce que signifie phmre ? Que les volcans soient teints ou soient veills, a revient
au mme pour nous autres, dit le gographe. Ce qui compte pour nous, cest la montagne. Elle ne change pas.
Mais quest-ce que signifie phmre ? rpta le petit
prince qui, de sa vie, navait renonc une question, une fois quil lavait pose.
a signifie qui est menac de disparition prochaine . Ma fleur est menace de disparition prochaine ? Bien sr. Ma fleur est phmre, se dit le petit prince, et elle na que
quatre pines pour se dfendre contre le monde ! Et je lai laisse toute seule chez moi !
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Ce fut l son premier mouvement de regret. Mais il reprit courage :
Que me conseillez-vous daller visiter ? demanda-t-il. La plante Terre, lui rpondit le gographe. Elle a une
bonne rputation Et le petit prince sen fut, songeant sa fleur.
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CHAPITRE XVI
La Terre nest pas une plante quelconque ! On y compte cent onze rois (en noubliant pas, bien sr, les rois ngres), sept mille gographes, neuf cent mille businessmen, sept millions et demi divrognes, trois cent onze millions de vaniteux, cest--dire environ deux milliards de grandes personnes.
Pour vous donner une ide des dimensions de la Terre je vous
dirai quavant linvention de llectricit on y devait entretenir, sur lensemble des six continents, une vritable arme de quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de rverbres.
Vu dun peu loin a faisait un effet splendide. Les
mouvements de cette arme taient rgls comme ceux dun ballet dopra. Dabord venait le tour des allumeurs de rverbres de Nouvelle-Zlande et dAustralie. Puis ceux-ci, ayant allum leurs lampions, sen allaient dormir. Alors entraient leur tour dans la danse les allumeurs de rverbres de Chine et de Sibrie. Puis eux aussi sescamotaient dans les coulisses. Alors venait le tour des allumeurs de rverbres de Russie et des Indes. Puis de ceux dAfrique et dEurope. Puis de ceux dAmrique du Sud. Puis de ceux dAmrique du Nord. Et jamais ils ne se trompaient dans leur ordre dentre en scne. Ctait grandiose.
Seuls, lallumeur de lunique rverbre du ple Nord, et son
confrre de lunique rverbre du ple Sud, menaient des vies doisivet et de nonchalance : ils travaillaient deux fois par an.
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CHAPITRE XVII
Quand on veut faire de lesprit, il arrive que lon mente un peu. Je nai pas t trs honnte en vous parlant des allumeurs de rverbres. Je risque de donner une fausse ide de notre plante ceux qui ne la connaissent pas. Les hommes occupent trs peu de place sur la terre. Si les deux milliards dhabitants qui peuplent la terre se tenaient debout et un peu serrs, comme pour un meeting, ils logeraient aisment sur une place publique de vingt milles de long sur vingt milles de large. On pourrait entasser lhumanit sur le moindre petit lot du Pacifique.
Les grandes personnes, bien sr, ne vous croiront pas. Elles
simaginent tenir beaucoup de place. Elles se voient importantes comme des baobabs. Vous leur conseillerez donc de faire le calcul. Elles adorent les chiffres : a leur plaira. Mais ne perdez pas votre temps ce pensum. Cest inutile. Vous avez confiance en moi.
Le petit prince, une fois sur terre, fut donc bien surpris de ne
voir personne. Il avait dj peur de stre tromp de plante, quand un anneau couleur de lune remua dans le sable.
Bonne nuit, fit le petit prince tout hasard. Bonne nuit, fit le serpent. Sur quelle plante suis-je tomb ? demanda le petit prince.
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Sur la Terre, en Afrique, rpondit le serpent. Ah ! Il ny a donc personne sur la Terre ? Ici cest le dsert. Il ny a personne dans les dserts. La
Terre est grande, dit le serpent. Le petit prince sassit sur une pierre et leva les yeux vers le
ciel : Je me demande, dit-il, si les toiles sont claires afin que
chacun puisse un jour retrouver la sienne. Regarde ma plante. Elle est juste au-dessus de nous Mais comme elle est loin !
Elle est belle, dit le serpent. Que viens-tu faire ici ? Jai des difficults avec une fleur, dit le petit prince. Ah ! fit le serpent. Et ils se turent. O sont les hommes ? reprit enfin le petit prince. On est un
peu seul dans le dsert On est seul aussi chez les hommes, dit le serpent. Le petit prince le regarda longtemps : Tu es une drle de bte, lui dit-il enfin, mince comme un
doigt Mais je suis plus puissant que le doigt dun roi, dit le
serpent.
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Le petit prince eut un sourire : Tu nes pas bien puissant tu nas mme pas de pattes tu
ne peux mme pas voyager Je puis temporter plus loin quun navire, dit le serpent. Il senroula autour de la cheville du petit prince, comme un
bracelet dor : Celui que je touche, je le rends la terre dont il est sorti,
dit-il encore. Mais tu es pur et tu viens dune toile Le petit prince ne rpondit rien. Tu me fais piti, toi si faible, sur cette Terre de granit. Je
puis taider un jour si tu regrettes trop ta plante. Je puis Oh ! Jai trs bien compris, fit le petit prince, mais pourquoi
parles-tu toujours par nigmes ?
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Je les rsous toutes, dit le serpent. Et ils se turent.
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CHAPITRE XVIII
Le petit prince traversa le dsert et ne rencontra quune fleur. Une fleur trois ptales, une fleur de rien du tout
Bonjour, dit le petit prince. Bonjour, dit la fleur. O sont les hommes ? demanda poliment le petit prince. La fleur, un jour, avait vu passer une caravane : Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai
aperus il y a des annes. Mais on ne sait jamais o les trouver. Le vent les promne. Ils manquent de racines, a les gne beaucoup.
Adieu, fit le petit prince. Adieu, dit la fleur.
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CHAPITRE XIX
Le petit prince fit lascension dune haute montagne. Les seules montagnes quil et jamais connues taient les trois volcans qui lui arrivaient au genou. Et il se servait du volcan teint comme dun tabouret. Dune montagne haute comme celle-ci, se dit-il donc, japercevrai dun coup toute la plante et tous les hommes Mais il naperut rien que des aiguilles de roc bien aiguises.
Bonjour, dit-il tout hasard. Bonjour Bonjour Bonjour rpondit lcho. Qui tes-vous ? dit le petit prince. Qui tes-vous qui tes-vous qui tes-vous rpondit
lcho. Soyez mes amis, je suis seul, dit-il.
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Je suis seul je suis seul je suis seul rpondit lcho. Quelle drle de plante ! pensa-t-il alors. Elle est toute
sche, et toute pointue et toute sale. Et les hommes manquent dimagination. Ils rptent ce quon leur dit Chez moi javais une fleur : elle parlait toujours la premire
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CHAPITRE XX
Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps march travers les sables, les rocs et les neiges, dcouvrit enfin une route. Et les routes vont toutes chez les hommes.
Bonjour, dit-il. Ctait un jardin fleuri de roses. Bonjour, dirent les roses.
Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes sa
fleur. Qui tes-vous ? leur demanda-t-il, stupfait. Nous sommes des roses, dirent les roses. Ah ! fit le petit prince Et il se sentit trs malheureux. Sa fleur lui avait racont
quelle tait seule de son espce dans lunivers. Et voici quil en tait cinq mille, toutes semblables, dans un seul jardin !
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Elle serait bien vexe, se dit-il, si elle voyait a elle
tousserait normment et ferait semblant de mourir pour chapper au ridicule. Et je serais bien oblig de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour mhumilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir
Puis il se dit encore : Je me croyais riche dune fleur unique,
et je ne possde quune rose ordinaire. a et mes trois volcans qui marrivent au genou, et dont lun, peut-tre, est teint pour toujours, a ne fait pas de moi un bien grand prince Et, couch dans lherbe, il pleura.
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CHAPITRE XXI
Cest alors quapparut le renard :
Bonjour, dit le renard. Bonjour, rpondit poliment le petit prince, qui se retourna
mais ne vit rien. Je suis l, dit la voix, sous le pommier. Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli Je suis un renard, dit le renard. Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis
tellement triste Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas
apprivois. Ah ! pardon, fit le petit prince.
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Mais, aprs rflexion, il ajouta : Quest-ce que signifie apprivoiser ? Tu nes pas dici, dit le renard, que cherches-tu ? Je cherche les hommes, dit le petit prince. Quest-ce que
signifie apprivoiser ? Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent.
Cest bien gnant ! Ils lvent aussi des poules. Cest leur seul intrt. Tu cherches des poules ?
Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Quest-ce que
signifie apprivoiser ? Cest une chose trop oublie, dit le renard. a signifie
crer des liens Crer des liens ? Bien sr, dit le renard. Tu nes encore pour moi quun petit
garon tout semblable cent mille petits garons. Et je nai pas besoin de toi. Et tu nas pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi quun renard semblable cent mille renards. Mais, si tu mapprivoises, nous aurons besoin lun de lautre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde
Je commence comprendre, dit le petit prince. Il y a une
fleur je crois quelle ma apprivois Cest possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes
sortes de choses Oh ! ce nest pas sur la Terre, dit le petit prince.
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Le renard parut trs intrigu : Sur une autre plante ? Oui.
Il y a des chasseurs, sur cette plante-l ? Non. a, cest intressant ! Et des poules ? Non. Rien nest parfait, soupira le renard. Mais le renard revint son ide : Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me
chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je mennuie donc un peu. Mais, si tu mapprivoises, ma vie sera comme ensoleille. Je connatrai un bruit de pas qui sera diffrent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien mappellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, l-bas, les champs de bl ? Je ne mange pas de pain. Le bl pour moi est inutile. Les champs de bl ne me rappellent rien. Et a, cest triste ! Mais tu as des cheveux couleur dor. Alors ce sera merveilleux quand tu mauras
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apprivois ! Le bl, qui est dor, me fera souvenir de toi. Et jaimerai le bruit du vent dans le bl
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince : Sil te plat apprivoise-moi ! dit-il. Je veux bien, rpondit le petit prince, mais je nai pas
beaucoup de temps. Jai des amis dcouvrir et beaucoup de choses connatre.
On ne connat que les choses que lon apprivoise, dit le
renard. Les hommes nont plus le temps de rien connatre. Ils achtent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il nexiste point de marchands damis, les hommes nont plus damis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
Que faut-il faire ? dit le petit prince. Il faut tre trs patient, rpondit le renard. Tu tassoiras
dabord un peu loin de moi, comme a, dans lherbe. Je te regarderai du coin de lil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras tasseoir un peu plus prs
Le lendemain revint le petit prince. Il et mieux valu revenir la mme heure, dit le renard. Si
tu viens, par exemple, quatre heures de laprs-midi, ds trois heures je commencerai dtre heureux. Plus lheure avancera, plus je me sentirai heureux. quatre heures, dj, je magiterai et minquiterai ; je dcouvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens nimporte quand, je ne saurai jamais quelle heure mhabiller le cur Il faut des rites.
Quest-ce quun rite ? dit le petit prince.
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Cest aussi quelque chose de trop oubli, dit le renard. Cest
ce qui fait quun jour est diffrent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu la vigne. Si les chasseurs dansaient nimporte quand, les jours se ressemble-raient tous, et je naurais point de vacances.
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand lheure du
dpart fut proche : Ah ! dit le renard Je pleurerai. Cest ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de
mal, mais tu as voulu que je tapprivoise Bien sr, dit le renard. Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince. Bien sr, dit le renard. Alors tu ny gagnes rien !
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Jy gagne, dit le renard, cause de la couleur du bl. Puis il ajouta : Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est
unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau dun secret.
Le petit prince sen fut revoir les roses : Vous ntes pas du tout semblables ma rose, vous ntes
rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoises et vous navez apprivois personne. Vous tes comme tait mon renard. Ce ntait quun renard semblable cent mille autres. Mais jen ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses taient bien gnes. Vous tes belles, mais vous tes vides, leur dit-il encore. On
ne peut pas mourir pour vous. Bien sr, ma rose moi, un passant ordinaire croirait quelle vous ressemble. Mais elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque cest elle que jai arrose. Puisque cest elle que jai mise sous globe. Puisque cest elle que jai abrite par le paravent. Puisque cest elle dont jai tu les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque cest elle que jai coute se plaindre, ou se vanter, ou mme quelquefois se taire. Puisque cest ma rose.
Et il revint vers le renard : Adieu, dit-il Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est trs simple : on
ne voit bien quavec le cur. Lessentiel est invisible pour les yeux.
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Lessentiel est invisible pour les yeux, rpta le petit prince,
afin de se souvenir. Cest le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si
importante. Cest le temps que jai perdu pour ma rose fit le petit
prince, afin de se souvenir. Les hommes ont oubli cette vrit, dit le renard. Mais tu
ne dois pas loublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivois. Tu es responsable de ta rose
Je suis responsable de ma rose rpta le petit prince, afin
de se souvenir.
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CHAPITRE XXII
Bonjour, dit le petit prince. Bonjour, dit laiguilleur. Que fais-tu ici ? dit le petit prince. Je trie les voyageurs, par paquets de mille, dit laiguilleur.
Jexpdie les trains qui les emportent, tantt vers la droite, tantt vers la gauche.
Et un rapide illumin, grondant comme le tonnerre, fit
trembler la cabine daiguillage. Ils sont bien presss, dit le petit prince. Que cherchent-ils ? Lhomme de la locomotive lignore lui-mme, dit
laiguilleur. Et gronda, en sens inverse, un second rapide illumin. Ils reviennent dj ? demanda le petit prince Ce ne sont pas les mmes, dit laiguilleur. Cest un change. Ils ntaient pas contents, l o ils taient ? On nest jamais content l o lon est, dit laiguilleur. Et gronda le tonnerre dun troisime rapide illumin. Ils poursuivent les premiers voyageurs ? demanda le petit
prince.
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Ils ne poursuivent rien du tout, dit laiguilleur. Ils dorment l-dedans, ou bien ils billent. Les enfants seuls crasent leur nez contre les vitres.
Les enfants seuls savent ce quils cherchent, fit le petit
prince. Ils perdent du temps pour une poupe de chiffons, et elle devient trs importante, et si on la leur enlve, ils pleurent
Ils ont de la chance, dit laiguilleur.
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CHAPITRE XXIII
Bonjour, dit le petit prince. Bonjour, dit le marchand. Ctait un marchand de pilules perfectionnes qui apaisent la
soif. On en avale une par semaine et lon nprouve plus le besoin de boire.
Pourquoi vends-tu a ? dit le petit prince. Cest une grosse conomie de temps, dit le marchand. Les
experts ont fait des calculs. On pargne cinquante-trois minutes par semaine.
Et que fait-on des cinquante-trois minutes ? On en fait ce que lon veut Moi, se dit le petit prince, si javais cinquante-trois minutes
dpenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine
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CHAPITRE XXIV
Nous en tions au huitime jour de ma panne dans le dsert, et javais cout lhistoire du marchand en buvant la dernire goutte de ma provision deau :
Ah ! dis-je au petit prince, ils sont bien jolis, tes souvenirs,
mais je nai pas encore rpar mon avion, je nai plus rien boire, et je serais heureux, moi aussi, si je pouvais marcher tout doucement vers une fontaine !
Mon ami le renard, me dit-il Mon petit bonhomme, il ne sagit plus du renard ! Pourquoi ? Parce quon va mourir de soif Il ne comprit pas mon raisonnement, il me rpondit : Cest bien davoir eu un ami, mme si lon va mourir. Moi,
je suis bien content davoir eu un ami renard Il ne mesure pas le danger, me dis-je. Il na jamais ni faim ni
soif. Un peu de soleil lui suffit Mais il me regarda et rpondit ma pense : Jai soif aussi cherchons un puits Jeus un geste de lassitude : il est absurde de chercher un
puits, au hasard, dans limmensit du dsert. Cependant nous nous mmes en marche.
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Quand nous emes march des heures, en silence, la nuit tomba, et les toiles commencrent de sclairer. Je les apercevais comme en rve, ayant un peu de fivre, cause de ma soif. Les mots du petit prince dansaient dans ma mmoire :
Tu as donc soif, toi aussi ? lui demandai-je. Mais il ne rpondit pas ma question. Il me dit simplement : Leau peut aussi tre bonne pour le cur Je ne compris pas sa rponse mais je me tus Je savais bien
quil ne fallait pas linterroger. Il tait fatigu. Il sassit. Je massis auprs de lui. Et, aprs un
silence, il dit encore : Les toiles sont belles, cause dune fleur que lon ne voit
pas Je rpondis bien sr et je regardai, sans parler, les plis du
sable sous la lune. Le dsert est beau, ajouta-t-il Et ctait vrai. Jai toujours aim le dsert. On sassoit sur une
dune de sable. On ne voit rien. On nentend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence
Ce qui embellit le dsert, dit le petit prince, cest quil cache
un puits quelque part Je fus surpris de comprendre soudain ce mystrieux
rayonnement du sable. Lorsque jtais petit garon jhabitais une maison ancienne, et la lgende racontait quun trsor y tait enfoui. Bien sr, jamais personne na su le dcouvrir, ni peut-tre
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mme ne la cherch. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son cur
Oui, dis-je au petit prince, quil sagisse de la maison, des
toiles ou du dsert, ce qui fait leur beaut est invisible ! Je suis content, dit-il, que tu sois daccord avec mon renard. Comme le petit prince sendormait, je le pris dans mes bras,
et me remis en route. Jtais mu. Il me semblait porter un trsor fragile. Il me semblait mme quil ny et rien de plus fragile sur la Terre. Je regardais, la lumire de la lune, ce front ple, ces yeux clos, ces mches de cheveux qui tremblaient au vent, et je me disais : ce que je vois l nest quune corce. Le plus important est invisible
Comme ses lvres entrouvertes bauchaient un demi-sourire
je me dis encore : Ce qui mmeut si fort de ce petit prince endormi, cest sa fidlit pour une fleur, cest limage dune rose qui rayonne en lui comme la flamme dune lampe, mme quand il dort Et je le devinai plus fragile encore. Il faut bien protger les lampes : un coup de vent peut les teindre
Et, marchant ainsi, je dcouvris le puits au lever du jour.
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CHAPITRE XXV
Les hommes, dit le petit prince, ils senfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce quils cherchent. Alors ils sagitent et tournent en rond
Et il ajouta : Ce nest pas la peine Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux puits
sahariens. Les puits sahariens sont de simples trous creuss dans le sable. Celui-l ressemblait un puits de village. Mais il ny avait l aucun village, et je croyais rver.
Cest trange, dis-je au petit prince, tout est prt : la poulie,
le seau et la corde Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gmit
comme gmit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi.
Tu entends, dit le petit prince, nous rveillons ce puits et il
chante Je ne voulais pas quil ft un effort : Laisse-moi faire, lui dis-je, cest trop lourd pour toi. Lentement je hissai le seau jusqu la margelle. Je ly installai
bien daplomb. Dans mes oreilles durait le chant de la poulie et, dans leau qui tremblait encore, je voyais trembler le soleil.
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Jai soif de cette eau-l, dit le petit prince, donne-moi
boire Et je compris ce quil avait cherch ! Je soulevai le seau jusqu ses lvres. Il but, les yeux ferms.
Ctait doux comme une fte. Cette eau tait bien autre chose quun aliment. Elle tait ne de la marche sous les toiles, du chant de la poulie, de leffort de mes bras. Elle tait bonne pour le cur, comme un cadeau. Lorsque jtais petit garon, la lumire de larbre de Nol, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient ainsi tout le rayonnement du cadeau de Nol que je recevais.
Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq
mille roses dans un mme jardin et ils ny trouvent pas ce quils cherchent.
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Ils ne le trouvent pas, rpondis-je Et cependant ce quils cherchent pourrait tre trouv dans
une seule rose ou un peu deau Bien sr, rpondis-je. Et le petit prince ajouta : Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cur. Javais bu. Je respirais bien. Le sable, au lever du jour, est
couleur de miel. Jtais heureux aussi de cette couleur de miel. Pourquoi fallait-il que jeusse de la peine
Il faut que tu tiennes ta promesse, me dit doucement le
petit prince, qui, de nouveau, stait assis auprs de moi. Quelle promesse ? Tu sais une muselire pour mon mouton je suis
responsable de cette fleur ! Je sortis de ma poche mes bauches de dessin. Le petit prince
les aperut et dit en riant : Tes baobabs, ils ressemblent un peu des choux Oh ! Moi qui tait si fier des baobabs ! Ton renard ses oreilles elles ressemblent un peu des
cornes et elles sont trop longues !
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Et il rit encore. Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner
que les boas ferms et les boas ouverts. Oh ! a ira, dit-il, les enfants savent. Je crayonnai donc une muselire. Et jeus le cur serr en la
lui donnant : Tu as des projets que jignore Mais il ne me rpondit pas. Il me dit : Tu sais, ma chute sur la Terre cen sera demain
lanniversaire Puis, aprs un silence il dit encore : Jtais tomb tout prs dici Et il rougit. Et de nouveau, sans comprendre pourquoi, jprouvai un
chagrin bizarre. Cependant une question me vint : Alors ce nest pas par hasard que, le matin o je tai connu,
il y a huit jours, tu te promenais comme a, tout seul, mille milles de toutes les rgions habites ! Tu retournais vers le point de ta chute ?
Le petit prince rougit encore. Et jajoutai, en hsitant :
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cause, peut-tre, de lanniversaire ? Le petit prince rougit de nouveau. Il ne rpondait jamais aux
questions, mais, quand on rougit, a signifie oui , nest-ce pas ?
Ah ! lui dis-je, jai peur Mais il me rpondit : Tu dois maintenant travailler. Tu dois repartir vers ta
machine. Je tattends ici. Reviens demain soir Mais je ntais pas rassur. Je me souvenais du renard. On
risque de pleurer un peu si lon sest laiss apprivoiser
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CHAPITRE XXVI
Il y avait, ct du puits, une ruine de vieux mur de pierre. Lorsque je revins de mon travail, le lendemain soir, japerus de loin mon petit prince assis l-haut, les jambes pendantes. Et je lentendis qui parlait :
Tu ne ten souviens donc pas ? disait-il. Ce nest pas tout
fait ici ! Une autre voix lui rpondit sans doute, puisquil rpliqua : Si ! Si ! cest bien le jour, mais ce nest pas ici lendroit Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni
nentendais toujours personne. Pourtant le petit prince rpliqua de nouveau :
Bien sr. Tu verras o commence ma trace dans le sable.
Tu nas qu my attendre. Jy serai cette nuit. Jtais vingt mtres du mur et je ne voyais toujours rien. Le petit prince dit encore, aprs un silence : Tu as du bon venin ? Tu es sr de ne pas me faire souffrir
longtemps ? Je fis halte, le cur serr, mais je ne comprenais toujours
pas. Maintenant va-ten, dit-il je veux redescendre ! Alors jabaissai moi-mme les yeux vers le pied du mur, et je
fis un bond ! Il tait l, dress vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous excutent en trente secondes. Tout en
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fouillant ma poche pour en tirer mon revolver, je pris le pas de course, mais, au bruit que je fis, le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet deau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufila entre les pierres avec un lger bruit de mtal.
Je parvins au mur juste temps pour y recevoir dans les bras
mon petit bonhomme de prince, ple comme la neige. Quelle est cette histoire-l ! Tu parles maintenant avec les
serpents ! Javais dfait son ternel cache-nez dor. Je lui avais mouill
les tempes et lavais fait boire. Et maintenant je nosais plus rien lui demander. Il me regarda gravement et mentoura le cou de ses bras. Je sentais battre son cur comme celui dun oiseau qui meurt, quand on la tir la carabine. Il me dit :
Je suis content que tu aies trouv ce qui manquait ta
machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi Comment sais-tu !
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Je venais justement lui annoncer que, contre toute esprance, javais russi mon travail !
Il ne rpondit rien ma question, mais il ajouta : Moi aussi, aujourdhui, je rentre chez moi Puis, mlancolique : Cest bien plus loin cest bien plus difficile Je sentais bien quil se passait quelque chose dextraordinai-
re. Je le serrais dans les bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait quil coulait verticalement dans un abme sans que je pusse rien pour le retenir
Il avait le regard srieux, perdu trs loin : Jai ton mouton. Et jai la caisse pour le mouton. Et jai la
muselire Et il sourit avec mlancolie. Jattendis longtemps. Je sentais quil se rchauffait peu
peu : Petit bonhomme, tu as eu peur Il avait eu peur, bien sr ! Mais il rit doucement : Jaurai bien plus peur ce soir De nouveau je me sentis glac par le sentiment de
lirrparable. Et je compris que je ne supportais pas lide de ne
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plus jamais entendre ce rire. Ctait pour moi comme une fontaine dans le dsert.
Petit bonhomme, je veux encore tentendre rire Mais il me dit : Cette nuit, a fera un an. Mon toile se trouvera juste au-
dessus de lendroit o je suis tomb lanne dernire Petit bonhomme, nest-ce pas que cest un mauvais rve
cette histoire de serpent et de rendez-vous et dtoile Mais il ne rpondit pas ma question. Il me dit : Ce qui est important, a ne se voit pas Bien sr Cest comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se
trouve dans une toile, cest doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les toiles sont fleuries.
Bien sr Cest comme pour leau. Celle que tu mas donne boire
tait comme une musique, cause de la poulie et de la corde tu te rappelles elle tait bonne.
Bien sr Tu regarderas, la nuit, les toiles. Cest trop petit chez moi
pour que je te montre o se trouve la mienne. Cest mieux comme a. Mon toile, a sera pour toi une des toiles. Alors, toutes les toiles, tu aimeras les regarder Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau
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Il rit encore. Ah ! petit bonhomme, petit bonhomme jaime entendre ce
rire ! Justement ce sera mon cadeau ce sera comme pour
leau Que veux-tu dire ? Les gens ont des toiles qui ne sont pas les mmes. Pour les
uns, qui voyagent, les toiles sont des guides. Pour dautres elles ne sont rien que de petites lumires. Pour dautres qui sont savants elles sont des problmes. Pour mon businessman elles taient de lor. Mais toutes ces toiles-l se taisent. Toi, tu auras des toiles comme personne nen a
Que veux-tu dire ? Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque jhabiterai dans
lune delles, puisque je rirai dans lune delles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les toiles. Tu auras, toi, des toiles qui savent rire !
Et il rit encore. Et quand tu seras consol (on se console toujours) tu seras
content de mavoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fentre, comme a, pour le plaisir Et tes amis seront bien tonns de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : Oui, les toiles, a me fait toujours rire ! Et ils te croiront fou. Je taurai jou un bien vilain tour
Et il rit encore.
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Ce sera comme si je tavais donn, au lieu dtoiles, des tas
de petits grelots qui savent rire Et il rit encore. Puis il redevint srieux : Cette nuit tu sais ne viens pas. Je ne te quitterai pas. Jaurai lair davoir mal jaurai un peu lair de mourir.
Cest comme a. Ne viens pas voir a, ce nest pas la peine Je ne te quitterai pas. Mais il tait soucieux. Je te dis a cest cause aussi du serpent. Il ne faut pas
quil te morde Les serpents, cest mchant. a peut mordre pour le plaisir
Je ne te quitterai pas. Mais quelque chose le rassura : Cest vrai quils nont plus de venin pour la seconde
morsure Cette nuit-l je ne le vis pas se mettre en route. Il stait vad
sans bruit. Quand je russis le rejoindre il marchait dcid, dun pas rapide. Il me dit seulement :
Ah ! tu es l Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :
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Tu as eu tort. Tu auras de la peine. Jaurai lair dtre mort
et ce ne sera pas vrai Moi je me taisais.
Tu comprends. Cest trop loin. Je ne peux pas emporter ce
corps-l. Cest trop lourd. Moi je me taisais. Mais ce sera comme une vieille corce abandonne. Ce nest
pas triste les vieilles corces Moi je me taisais. Il se dcouragea un peu. Mais il fit encore un effort : Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les toiles.
Toutes les toiles seront des puits avec une poulie rouille. Toutes les toiles me verseront boire
Moi je me taisais.
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Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq cents millions de grelots, jaurai cinq cents millions de fontaines
Et il se tut aussi, parce quil pleurait Cest l. Laisse-moi faire un pas tout seul. Et il sassit parce quil avait peur.
Il dit encore : Tu sais ma fleur jen suis responsable ! Et elle est
tellement faible ! Et elle est tellement nave. Elle a quatre pines de rien du tout pour la protger contre le monde
Moi je massis parce que je ne pouvais plus me tenir debout.
Il dit : Voil Cest tout Il hsita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je
ne pouvais pas bouger. Il ny eut rien quun clair jaune prs de sa cheville. Il
demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement
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comme tombe un arbre. a ne fit mme pas de bruit, cause du sable.
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CHAPITRE XXVII
Et maintenant, bien sr, a fait six ans dj Je nai jamais encore racont cette histoire. Les camarades qui mont revu ont t bien contents de me revoir vivant. Jtais triste mais je leur disais : Cest la fatigue
Maintenant je me suis un peu consol. Cest dire pas tout
fait. Mais je sais bien quil est revenu sa plante, car, au lever du jour, je nai pas retrouv son corps. Ce ntait pas un corps tellement lourd Et jaime la nuit couter les toiles. Cest comme cinq cent millions de grelots
Mais voil quil se passe quelque chose dextraordinaire. La
muselire que jai dessine pour le petit prince, jai oubli dy ajouter la courroie de cuir ! Il naura jamais pu lattacher au mouton. Alors je me demande : Que sest-il pass sur sa plante ? Peut-tre bien que le mouton a mang la fleur
Tantt je me dis : Srement non ! Le petit prince enferme
sa fleur toutes les nuits sous son globe de verre, et il surveille bien son mouton Alors je suis heureux. Et toutes les toiles rient doucement.
Tantt je me dis : On est distrait une fois ou lautre, et a
suffit ! Il a oubli, un soir, le globe de verre, ou bien le mouton est sorti sans bruit pendant la nuit Alors les grelots se changent tous en larmes !
Cest l un bien grand mystre. Pour vous qui aimez aussi le
petit prince, comme pour moi, rien de lunivers nest semblable si quelque part, on ne sait o, un mouton que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mang une rose
Regardez le ciel. Demandez-vous : le mouton oui ou non a-t-il
mang la fleur ? Et vous verrez comme tout change
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Et aucune grande personne ne comprendra jamais que a a tellement dimportance !
a cest, pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du
monde. Cest le mme paysage que celui de la page prcdente, mais je lai dessin une fois encore pour bien vous le montrer. Cest ici que le petit prince a apparu sur terre, puis disparu.
Regardez attentivement ce paysage afin dtre srs de le
reconnatre, si vous voyagez un jour en Afrique, dans le dsert. Et, sil vous arrive de passer par l, je vous en supplie, ne vous pressez pas, attendez un peu juste sous ltoile ! Si alors un enfant vient vous, sil rit, sil a des cheveux dor, sil ne rpond pas quand on linterroge, vous devinerez bien qui il est. Alors soyez gentils ! Ne me laissez pas tellement triste : crivez-moi vite quil est revenu
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Mai 2004
Source : http://www.microtop.com.ar/lepetitprince/chapitre01.html
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