apprentissage précoce des langues - conseil de développement de nantes métropole
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Retour sur les travaux du groupe de travail mis en oeuvre au sein du Conseil de développement de nantes métropole sur l'apprentissage précoce des languesTRANSCRIPT
UN PARCOURS MULTILINGUEDE LA CRÈCHE À L'UNIVERSITÉ
Pour une politique métropolitained'excellence en matièred'apprentissage précoce des langues
mai 2015
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mai 2015
UN PARCOURS MULTILINGUEDE LA CRÈCHE À L'UNIVERSITÉ
Pour une politique métropolitained'excellence en matièred'apprentissage précoce des langues
Ce document retrace les travaux du groupe de travail mis en place au sein du Conseil de développement, à l'initiative d'Alain Grand Guillot.
Au fil de ses séances cet atelier a regroupé plus d'une centaine de participants différents et permis d'entendre une série d'intervenants qui sont venus nourrir la réflexion générale.
On en retrouvera ici l'essentiel à travers les principaux éléments des interventions et les apports et commentai-res issus des débats. C’est sur cette matière citoyenne que peuvent se fonder les propositions du groupe de tra-vail. Les documents, enregistrements, diaporamas peuvent être consultés sur le site du Conseil de développe-ment : http://www.nantes-citoyennete.com/Tx_Atelier_Besoins_linguistiques.html
Alain Grand Guillot
"La compétence linguistique est une forme d’expression propre à l’espèce humaine. Elle prend des formes vocales, textuelles ou de signes. Nous avons, ici, abordé un élément essentiel et le plus répandu, l'usage de pratiquer plu-sieurs langues. Notre propos est nécessairement limité face à la richesse scientifique qui est aujourd'hui disponible."
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PRÉFACE DEMARIANNA SAMSONOVA
Linguiste, Docteure en philologie de langue française et directrice du Département de français
à l'Institut des langues étrangères et des études régionales, à l'Université de la République de Sakha en Russie
Selon les estimations de l’UNESCO, la moitié des quelques 6 000 langues parlées aujourd'hui disparaîtront d'ici la fin du siècle. Quelles sont les causes principales de la disparition de langues, de cultures, de modes de pen-sée, d’expériences de plusieurs siècles accumulées par les peuples, à la fois uniques et porteuses de visions di-verses du monde ?
Souvent, nous cherchons des raisons politiques, économiques, religieuses, pour expliquer pourquoi les langues ne sont plus utilisées sur leurs territoires. Le constat est triste : dans le monde contemporain les locuteurs arrê-tent plus ou moins consciemment, voire refusent de parler leur langue maternelle, en préférant une autre langue qui constitue souvent pour eux « une langue de prestige » qui leur donne accès à une meilleure intégration dans la vie sociale et le monde professionnel.
Aujourd’hui, quand nous commençons à réaliser le danger uniformisant de la mondialisation, mais aussi les lar-ges possibilités qu’elle donne aux locuteurs plurilingues, nous comprenons qu’il faut faire quelque chose pour soutenir les langues et les cultures menacées, avant qu'il ne soit trop tard.
Je crois que les régions de France ont beaucoup avancé dans la préservation des cultures et des langues locales ; leur expérience pourrait servir de bon exemple aux pays où l’on trouve encore des langues et des cultures loca-les en danger.
L’histoire des langues de la Bretagne peut être comparée avec la situation des langues autochtones de la Répu-blique de Sakha (Yakoutie) dans la Fédération de Russie en Sibérie Orientale. Ici, sur un territoire de plus de 3 millions km², égal à six fois la France, il y a moins d’un million d’habitants, dont seulement la moitié est repré-sentée par les peuples autochtones. Les langues de ses 6 peuples courent un danger permanent. Si la langue de l’ethnie titulaire, la langue de Sakha (ou la langue yakoute) connaît depuis les années 90 une certaine résurrec-tion, l’état des langues de 5 peuples minoritaires autochtones, dont les Evènes, les Evenkis, les Dolganes, les Tchouktches et les Youkaguires, représentant tous ensemble seulement 4,16% de la population de Yakoutie, est plus que triste. L’assimilation, au début forcée et ensuite devenue consciente et volontaire des peuples du Nord à l’époque soviétique, a porté ses fruits. C’est seulement les locuteurs du milieu rural continuant à pratiquer les métiers ancestraux, tels que l’élevage de rennes, la chasse, la pêche, qui ont conservé leur langue comme outil de communication, en famille et dans le milieu professionnel. Les représentants de ces peuples qui ont grandi dans des internats où ils étaient obligés de parler russe, loin de leurs parents éleveurs de rennes semi-nomades, se sont éloignés des modes de vie ancestraux et ont préféré faire leurs études dans des villes pour y rester vivre et ainsi ne plus pratiquer, voire oublier leur langue maternelle.
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La meilleure transmission de la langue ancestrale doit avoir lieu tout d’abord en famille, ce qui est impossible dans ces cas. Alors ils cherchent des écoles, des cercles d’intérêt pour que leurs enfants apprennent la langue et la culture des ancêtres. Le problème essentiel c’est qu’on trouve très peu d’écoles où l’on apprend les langues des peuples autochto-nes du Nord. D’ailleurs, même dans le cas où l’enfant apprend les bases de la langue ancestrale à l’école, il faut en-suite qu’il la pratique aussi en dehors de l’école, qu’il l’entende, qu’il puisse communiquer dans des situations de vie. Et là, on se heurte à un grand problème, celui de l’absence de milieu linguistique. Il existe seulement une émission à la télévision locale, une émission radio et un journal publié en langues des peuples minoritaires du Nord. Ce n’est pas suffisant pour le prestige de ces langues presque inutilisées dans les villes, et pour construire un milieu linguistique pour les citadins qui ont perdu leur langue.
La situation de la langue yakoute est plus avancée. On observe, grâce à l’autonomie, que la République Sakha (Yakou-tie) a obtenu en 1991, comme l’une de 22 républiques dites « nationales » de la Russie, le droit d’avoir une constitu-tion, un parlement et un président. La constitution définit, comme langues officielles de la république, la langue de Sa-kha (la langue yakoute) et la langue russe. Les langues des peuples autochtones minoritaires du Nord sont officielles dans les régions d’habitation de ces peuples.
On n'abordera pas ici le problème de l’équilibre des langues dans l’usage quotidien, car la langue russe prédomine dans les domaines de la communication professionnelle, l’enseignement etc. Mais l’avantage d’avoir deux langues offi-cielles consiste en ce que le bilinguisme parmi les peuples autochtones est devenu la norme. Le bilinguisme précoce commence des l’âge du nourrisson et quand les enfants grandissent dans les familles yakoutophones ; pour eux c’est très naturel de grandir dans un milieu à la fois russophone (les livres, la télévision, les jouets, l’enseignement à la crè-che, à l’école...) et yakoutophone (la communication en famille, entre les amis, les livres, la télévision, les radios, le cours de yakoute à l’école et dans certains établissements les matières enseignées en yakoute, la musique contempo-raine et récemment des jouets qui parlent yakoute). Dans la vie adulte les bilingues continuent à utiliser le yakoute en famille, en dehors de la correspondance officielle qui est toujours en russe.
Le bilinguisme, dans la vie de la société contemporaine, est un atout ; les bilingues, les plurilingues trouvent facilement le contact avec les gens, s’adaptent mieux aux changements et trouvent plus vite du travail. Le bilinguisme est entré dans la société contemporaine du marché et c’est surtout visible dans le commerce et les services. A titre d'exemple, les grands magasins de la capitale de Yakoutie pratiquent maintenant le service en deux langues, et recrutent des ven-deuses bilingues.
Les avantages du bilinguisme sont démontrés par les études contemporaines menées en Russie : - Les bilingues ne maîtrisent pas seulement deux langues, mais aussi deux cultures. Ils sont plus attentifs à autrui,
comprennent mieux les autres cultures, ont une culture générale meilleure que les monolingues.- Leur perception métalinguistique est plus développée, ils repèrent mieux les fautes de langues, comprennent mieux
les règles de grammaire. Souvent, on observe dans les écoles de Yakoutie que les enfants yakoutes bilingues sont plus à l'aise avec l’orthographe russe que les enfants russes unilingues, car ils maitrisent le changement de systèmes lin-guistiques très différents
- En passant d’une langue à l’autre, les enfants bilingues s’habituent à accomplir plusieurs tâches en même temps.- Les bilingues sont plus aptes à utiliser la pensée divergente dans leurs processus de réflexion. Les bilingues adultes
ont une intelligence plus souple et sont plus résistants aux maladies mentales liées au vieillissement. Par ailleurs, l’his-toire démontre que beaucoup de grands créateurs ont été bilingues.
Le bilinguisme précoce doit être soutenu par l’Etat, les administrations, les parents et les professeurs. Un enfant qui connaît bien la langue de ses ancêtres et la « langue de prestige » qui est souvent pour eux l’une des langues maternel-les, maîtrisera deux cultures différentes et aura toutes les chances pour réussir dans la vie. Il pourra aussi apprendre parallèlement une ou des langues étrangères ; les études démontrent que les capacités neurocognitives sont très éle-vées. L’école doit donner la possibilité à l’enfant bilingue de se développer de manière harmonieuse en lui permettant d’apprendre ses langues maternelles et des langues étrangères dès le plus jeune âge, comme le démontrent tous les contributeurs de cet ouvrage. Le français est l’une des premières langues étrangères enseignées en république yakoute depuis le début du 20e siècle. Il est à noter que la phonétique du français a beaucoup de similitudes avec la phonéti-que yakoute : les sons nasaux, le "r" francais, les diphtongues existent dans les deux langues. Notre département de français existe depuis 1965 à l’université locale, qui est maintenant l’une des neuf universités fédérales de la Russie. Notre Université Fédérale du Nord-Est Maxime Ammosov développe la coopération avec les universités françaises, et 9 accords ont été signés depuis 2007. La langue française redevient actuellement la langue donnant la possibilité d’avoir accès à l’enseignement européen, aux diplômes français reconnus partout dans le monde.
Les réflexions présentées dans ce document méritent d’être connues et diffusées dans les pays où l’on se pose encore la question de savoir s’il faut éduquer les enfants dans le bilinguisme. Le bilinguisme et le plurilinguisme constituent à l’évidence des voies harmonieuses d’épanouissement de l’enfant.
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SOMMAIRE
Introduction / 5
Les débats du Conseil de développementMise en oeuvre de l'atelier "besoins linguistiques dans la métropole" / 9
La présence internationale à Nantes - Intervention de Cécile Michaut et Patrick Pailloux, directeurs d'études à l'AURAN / 11 - Réflexions, commentaires et débats / 30
Le plurilinguisme précoce : le point sur la question - Intervention d'Agnès Florin et Isabelle Nocus, chercheuses de l'Université de Nantes / 35 - Réflexions, commentaires et débats / 54
Une action concrète : EMULI (Ecole MULtilingue Innovante) - Intervention d'Hélène Ernoul, responsable du projet EMULI / 59 - Réflexions, commentaires et débats / 67
Les filières bilingues - Enseignement précoce bilingue et les langues régionales - Intervention de Visant Roué, directeur de l'office public de la langue bretonne / 71 - Réflexions, commentaires et débats / 93
Visite du lycée international, conduite par Chantal Levy, proviseure / 101
Le développement des capacités cognitives par l'apprentissage précoce des langues - Intervention de Gilbert Dalgalian, germaniste, docteur en linguistique et spécialiste en éducation multilingue - Réflexions, commentaires et débats / 103
Préconisations pour une politique linguistique de la métropole / 107
En guise de conclusion / 109
AnnexesAnnexe 1 : Langue(s), culture(s) et identité(s) : contribution d’André-Hubert Mesnard / 111
Annexe 2 : Les accueils linguistiques : témoignage de Katia Briand / 115
Annexe 3 : Le projet de la JCE de Nantes pour développer les "crèches multilingues" / 119
Ils agissent à Nantes... / 121
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INTRODUCTION
Pourquoi le Conseil de développement se saisit-il de cette question ?
À l'occasion du grand débat "Ma Ville demain, Nantes à l'horizon 2030", un constat est apparu. Bien que de
nombreux axes intéressants aient été dégagés pour bâtir une Métropole de niveau international, la question de
la capacité plurilingue du territoire métropolitain n'a pas été ouverte ni fait l’objet d’une alerte.
La question de l’apprentissage des langues pour les Nantais n'est pas apparue comme une question centrale de
l’attractivité de la Métropole et de son hinterland.
Parmi les membres du Conseil de développement et à titre de "pionnier", André-Hubert Mesnard avait proposé
une approche originale. Partant de l’absence de politique d’enseignement de la langue arabe dans le cadre de
l’Education Nationale, il avait mis en garde contre cette perte de richesse. Il avait étendu cette analyse pour une
connaissance approfondie des cultures méditerranéennes ayant eu comme vecteur linguistique l’arabe, présen-
tement intégrées à notre avenir européen. (Texte en annexe)
Les objectifs soulevés par cette contribution ont ouvert la voie d’un atelier propre au Conseil de développe-
ment, animé par Alain Grand Guillot, dont l’hypothèse de travail s'est fondée sur trois grands questionnements :
• Comment enseigne-t-on les langues à Nantes (dans le cadre académique ou associatif) pour devenir pluri-
lingue et pour appréhender et comprendre la culture que chacune d'elles porte ?
• Le dialogue entre cultures, entre peuples, n’est-il pas une abstraction dès lors qu’on ne valorise qu’une seule
langue de communication et de connaissance dans un secteur d’activité ? La généralisation de l’emploi de
l’anglais dans le domaine de la recherche n’aboutit-elle pas parfois à un regard unique ?
• Dès lors que l’on parle d’industrie de la connaissance comme d’une activité phare de tout territoire ouvert
au monde, ne faut-il pas refuser la hiérarchisation des langues à apprendre pour plutôt privilégier la capacité
humaine au multilinguisme en formant précocement les capacités neurocognitives de l’être humain ?
Sur cette base, le Conseil de développement a proposé au groupe de travail de vérifier l’opportunité d’un éclai-
rage citoyen sur la question. Il en est résulté plusieurs éléments :
• Les exercices de prospective territoriale négligent souvent la question des besoins linguistiques, autant pour
le territoire que pour les individus de plus en plus mobiles au sein de l’Europe. Il s'agit d'investissements
d'avenir que la Cité doit prendre en compte. Dans ses propositions pour Nantes à l'horizon 2030, le Conseil
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de développement avait fait sienne la formule de la chercheuse nantaise Agnès Florin, "L'investissement
dans la petite enfance est au moins aussi important que celui de l'enseignement supérieur".
• Le constat du faible niveau de plurilinguisme dans la population est fait régulièrement sans que l'approche
politique des origines de cet handicap se modifie au fil du temps alors que le métissage linguistique et cultu-
rel est de plus en plus évident dans toute entreprise ou collectivité sur le sol français.
• La question du plurilinguisme précoce est essentielle pour l'avenir professionnel de chaque individu et pour
un territoire capable d'accueillir les expatriés non francophones.
• L'important est d'apprendre plusieurs langues en dehors de celle qu'on peut qualifier de "langue du cœur"
ou de "langue affective". C'est la condition d'une ouverture culturelle de plus en plus nécessaire dans le ca-
dre de la mondialisation des échanges.
C'est ainsi qu'un premier travail a été réalisé par le Conseil sur le thème d'apprentissage précoce des langues.
Deux grands chapitres structurent ce travail :
• d'abord une synthèse des commentaires et débats après les interventions des experts qui ont bien voulu par-
ticiper aux ateliers thématiques
• ensuite des préconisations destinées aux élus en charge de la décision publique.
Pourraient être abordés dans un second temps la question des "communautés étrangères" présentes dans la mé-
tropole et dans un troisième temps les besoins conjoncturels d'apprentissage des adultes nantais dans le cadre
de leur mobilité professionnelle.
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LES DÉBATS DUCONSEIL DE
DÉVELOPPEMENTApports, échanges, débats : ce qu'on peut en retenir
L’intégralité des présentations, documents, enregistrements estdisponible sur le site du Conseil : www.nantes-citoyennete.com
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MISE EN OEUVRE DE L'ATELIER
"BESOINS LINGUISTIQUESDANS LA MÉTROPOLE"
Séance du 3 mars 2014
Apprendre des langues, c'est apprendre le monde
La sociologie et les parcours professionnels des parti-
cipants ont souligné, sans surprise, le contexte de la
nécessité de l'ouverture au monde. Il faut pouvoir
justifier d’une politique moderne de l’apprentissage
des langues, c’est à dire promouvoir l’impératif d’en
maîtriser plusieurs.
Les échanges ont mis en lumière plusieurs éléments :
• La mondialisation est fractionnée d’espaces conti-
nentaux où chacun devra s’adapter à l’établisse-
ment d’un échange globalisé, qu'il s'agisse de
l'entreprise, de la formation, du loisir…
• Tout acteur de la chaîne de la valorisation de la
production et de la commercialisation doit tenir
compte, au-delà de la compétence commerciale
ou technique, de la dimension culturelle de plus
en plus essentielle dans les échanges profession-
nels et de la création de réseaux de coopération et
de filières dont la plus value passe par la con-
fiance.
• Il existe une reterritorialisation culturelle, soit au
sein de l'entreprise, soit au sein des régions clien-
tes ou des zones géographiques de production,
qui oblige à une adaptation constante à maîtriser
la langue de ces différents pôles d’accueil ou
d’échanges ;
- Ainsi, de futurs expatriés sortant de l’université
ou de formation équivalente sont demandeurs
de cours d’allemand pour travailler au sein des
entreprises germaniques.
- Une étude déjà ancienne (20 ans) avait souligné
la demande des entreprises régionales pour
avoir des cadres avec une maîtrise sociale des
langues de leurs clients. Cela est confirmé en-
core aujourd’hui par les cadres qui soulignent
l’isolement des français dans les réunions inter-
nationales, ce qui n’est pas sans conséquences
en matière de réussite d'affaires.
- A titre d'exemple, Jean-Luc Domenach(1), invité
par la CCI de Nantes-St Nazaire, a alerté les
chefs d’entreprises sur le devenir de la coopéra-
tion économique avec la Chine, laquelle passe
(1) Sinologue, chercheur à la Fondation nationale des sciences politiques
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par les connaissances linguistiques et culturel-
les des communautés économiques partenaires.
• Il existe une accélération de la consolidation
d’une éducation européenne, basée sur le pluri-
linguisme, pour penser dans la langue pratiquée
dans chaque contexte de son usage. Il est désor-
mais fréquent que les familles soient mixtes ;
dans ce contexte, comment comprendre, pour
tous ces enfants, la notion de "langues étrangè-
res" ? Il y a la langue de la mère, celle du père,
celle de la résidence, celle du cœur… Il faut sans
doute en finir avec la seule idée de la langue
"maternelle"
• Il faut une réelle politique de diversification de
l’apprentissage des langues sans en hiérarchiser la
qualité par leur utilité. Les êtres humains ont une
forte capacité d’apprentissage, et particulièrement
les enfants. Le nœud du problème se situe à l'in-
térieur du système d’enseignement, lequel n’a pas
d’obligation de résultats en matière d'apprentis-
sage de langues.
!
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LA PRÉSENCEINTERNATIONALE
À NANTESSéance du 20 mai 2014
Intervention de Cécile Michaut et Patrick Pailloux, Directeurs d’études à l'AURAN
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Plusieurs éléments ressortent de cette intervention :
A Nantes Métropole, les immigrés sont au nombre de
32 500 sur 45 500 en Loire Atlantique (42 % des Pays
de la Loire), soit 5,5 % de la population de la Com-
munauté urbaine. Nantes se situe au 10e rang des
Métropoles régionales.
La moitié des immigrés(1) de Nantes Métropole sont
nés en Afrique et 23 % en Europe. Le classement des
10 premiers pays est le suivant : Algérie, Maroc, Tur-
quie, Portugal, Tunisie, Roumanie, Cameroun, Côte
d’ivoire, Russie, Vietnam… (On peut noter que seule,
Bordeaux, parmi les Métropoles, semble accueillir
des immigrés nés aux USA de façon significative).
Pendant les 5 dernières années, sur 100 000 person-
nes devenues résidents nantais, 10 890 sont des per-
sonnes nées à l’étranger. 66 % sont des actifs contre
58 % pour la France, 59 % pour la population non
immigrée. 62 % sont employés ou ouvriers, 10 %
sont étudiants, 38 % sont d’Afrique, 27 % d’Asie,
22 % d’Europe, 7 % d’Amérique latine, 6 % d’Amé-
rique du Nord.
Si 29 % n’ont aucune notion de français, ils sont
38 % à avoir un bon ou très bon niveau. Leurs en-
fants sont souvent plurilingues, français et autre lan-
gue pour 49 % et 10 % pour au moins 3 langues. Les
enfants ne réussissent pas toujours très bien sur le
plan scolaire, 24 % ont des difficultés contre 16 %
pour la population non immigrée.
Les enfants d’immigrés nés en France ne figurent pas
dans les statistiques.
En ce qui concerne les partenariats universitaires, ils
concernent essentiellement des universités d’Europe
(Erasmus), d’Asie et d’Amériques.
Les statistiques présentées se fondent uniquement sur
des individus déclarés. Elles ne prennent pas en
compte l'immigration dite "irrégulière".
Il n’y a pas un suivi sur une longue durée des étran-
gers qui ont été résidents à Nantes, en particulier
pour les étudiants. Il faudrait pouvoir vérifier ce que
deviennent les étrangers qui restent en France après
le passage par l'université (nantaise notamment).
On connaît mal l’ensemble des pays de naissance
d’immigrés, car les petits effectifs sont regroupés sta-
tistiquement dans une catégorie de type "autres pays".
Ces statistiques n’analysent pas toujours très finement
les origines régionales précises des immigrés de
grands pays.
De même, sauf commande spécifique pour un projet,
on ne peut avoir d’étude fine par quartier de la locali-
sation des immigrés ; il existe par contre des collèges
qui regroupent des nationalités de réfugiés, peut-être
l'éducation nationale a-t-elle des statistiques de ce
type ?
Affiner un travail de localisation des populations
immigrées et étrangères et de suivi des anciens rési-
dents nantais
Si l’immigration à Nantes ne montre pas de spécifici-
té particulière, que sait-on de la pratique du français
dans les familles de parents immigrés ? Comment
appréhende-t-on l'adaptation de ces familles et leur
participation à la vie sociale et éducative de leurs
enfants, à partir de témoignages d’accompagnateurs
de terrain ?
Pour les étrangers ayant résidé à Nantes et en particu-
lier les étudiants, aucune indication n’est possible sur
leur parcours après leur passage à Nantes. On ignore
(1) L'immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France,1 sur 4 devient français
Après l’intervention : réflexions, commentaires et débats
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leur localisation selon le pays d’origine. On ne sait
pas non plus ce qu’ils deviennent.
De la même manière, on ne connaît pas la mobilité
des expatriés professionnels au cours des différentes
étapes de leur vie et la nature de leurs choix après
leur carrière.
On connaît les dispositifs réglementaires vis-à-vis des
étudiants étrangers de certains pays comme l’Afrique
s’ils sont boursiers ou la Chine, qui leur procurent
une série d’avantages dont la reconnaissance de leur
diplôme acquis en France. On connaît pour la Chine
et certains pays, leur politique vis à vis de la diaspo-
ra. Mais que reste-t-il des liens noués ?
Consolider et renforcer les services d’apprentissage
du français auprès des familles immigrées
A partir des statistiques, il faut appréhender la réalité
vécue en ce qui concerne la pratique du français
dans les familles immigrées.
Si 29 % ne parlent pas le français, c'est donc une
minorité importante des immigrés qui reste en de-
hors de la vie sociale française et sans interaction
avec l'entourage.
Il faut, à partir des expériences mises en place dans
les quartiers, se fixer des objectifs de formation des
familles afin qu’elles puisent jouer pleinement leur
rôle éducatif dans le contexte français.
A titre d’exemple : la ville de St Herblain, où le dis-
positif des cours de français destinés aux familles
immigrées permet aussi un suivi de leur installation
et leur intégration dans la vie scolaire de leurs en-
fants.
Il faut aussi adapter la méthode au public concerné ;
On peut citer en exemple individuel le cas d’un chi-
nois, en France depuis 6 ans, qui a un niveau très
bas de pratique du français car on ne tient pas comp-
te de son éducation d’origine, la méthode d’appren-
tissage ne lui étant pas adaptée.
Mettre en œuvre une politique d’apprentissage des
langues dans le socle commun du primaire et du
collège, à partir des langues existantes pratiquées
par les collégiens
Un témoignage d'enseignante a attiré l’attention sur
le cas précis des enfants de familles immigrées :
• on oblige les enfants à s’adapter tout de suite au
cursus de l’école en français, avec la logique
propre de notre pays, sans aucune mesure d’ana-
lyse de leurs freins d’intégration,
• parallèlement, on ne valorise pas leurs langues
qui devraient pourtant constituer un atout éduca-
tif dans l’établissement, l’adaptation est trop
courte et 78 % des enfants perdent leur langue
d’origine, ce qui est un gâchis dans un monde
ouvert.
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Il y a un autre gâchis vis-à-vis des familles d’immigrés
qui attendent beaucoup de l’école, puissant vecteur
d’ascension sociale pour leurs enfants. L’importance
de l’école est un sentiment beaucoup plus fort que
pour les familles autochtones, la reconnaissance de
leur langue et de leur culture pourrait être un signe
fort pour l’apprentissage de plusieurs langues (on re-
joint ici les travaux d’Albert Rasch(2) et la contribution
d'André Hubert Mesnard citée plus haut).
Il faut souligner le cas de familles mixtes pour les-
quelles l’Education Nationale n’offre pas de solution
souple pour la poursuite de la connaissance de lan-
gues pratiquées dans le cadre familial, contrairement
aux Etats Unis où les écoles peuvent mettre en place
des offres didactiques multiples pour que les enfants
de familles étrangères ne soient pas coupés de leurs
racines.
Cette question est aussi posée pour les expatriés des
entreprises étrangères, car selon l’âge de l’enfant ses
capacités seront très différentes pour devenir plurilin-
gue, voire pour ne pas être handicapé dans sa langue
dite "maternelle" (ex des enfants japonais).
Faut-il, devant l’urgence de la situation, se replier sur
l’anglais comme langue commune au sein des éta-
blissements scolaires, passerelle universelle vers un
plurilinguisme post-collège ? Cette piste est plutôt
écartée par la recommandation constante des institu-
tions européennes : l’enseignement doit devenir plu-
rilingue dès le plus jeune âge pour que la diversité
linguistique soit un élément essentiel de la citoyenne-
té.
(2) Albert Rasch, Linguiste , Professeur à l’Université de Sarrebrück
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A l'issue des deux premières séances de travail, ce
qu'on a déjà pu retenir :
• La nécessaire adaptation des écoles et collèges
pour répondre à la mixité culturelle des résidents
à Nantes et en conserver la diversité linguistique.
Il s’agit de valoriser les langues et les cultures pour
en faire une aide pédagogique d’accès à la con-
naissance
• Le besoin de modifier le système d’enseignement
des langues au sein des établissements scolaires
pour fournir les moyens de commencer la prati-
que dès le plus jeune âge
• Le besoin d’une réforme du service public, ce
constat ne se limitant pas aux familles de l’immi-
gration puisqu'il concerne l'ensemble des familles
où se pratique une langue autre que le français
• Le souci d’acquérir une expertise et une réactivité
face aux demandes des familles d’expatriés, Nan-
tes gagnerait en attractivité et en qualité de vie
pour les familles mobiles métropolitaines soucieu-
ses de cette maîtrise des capacités linguistiques de
leurs enfants, qu’elles soient françaises ou de toute
autre nationalité
• La perte du potentiel d’apprentissage précoce par
les langues locales des familles qui illustre une
difficulté d’adaptation de la France aux nouvelles
mobilités des populations
• La doctrine de l’école française est devenue la
doctrine des français avec le développement de la
formation des élites (cf Bourdieu et la "reproduc-
tion des schémas", schémas dont l’apprentissage
des langues est le plus caractéristique). Jusqu’aux
années 50, l’élite se destinait à gérer un monde
fermé dans ses frontières nationales avec le mythe
de la langue universelle : le français. L’éducation
nationale s'est peu préoccupée de l’apprentissage
des autres langues parlées par les familles immi-
grées
• L’adaptation des écoles et collèges à la diversité
culturelle des scolaires se pose vraiment aujour-
d’hui ; il existe des solutions qui font leurs preuves
par la méthode de l’apprentissage précoce des
langues, par l’immersion et par la valorisation de
la langue maternelle qui peut devenir, par exem-
ple, dans la classe, une langue d’enseignement
• La question de l’apprentissage du français des fa-
milles de l’immigration afin que les parents soient
pleinement intégrés dans la vie sociale reste d’une
autre nature
• En France, on ne peut dissocier la question de
l’apprentissage des langues de la question de
l’emploi du français sur l’ensemble des territoires
(de Brest à Biarritz, de Strasbourg à Perpignan, de
la Savoie à Tahiti, aux Antilles...) et de celles des
langues régionales et minoritaires. Ces dernières
se sont inscrites dans un combat de reconnais-
sance par rapport à l'administration centrale. En
1973, dans son livre "Le Parler Croquant" (Ed
Stock), Claude Duneton, parlait de "colonialisme
linguistique par un usage clivant du français.
• La France, au sein de l’Union européenne, est
tenue de mettre en oeuvre les recommandations
communautaires en matière d’enseignement pré-
coce des langues, pour respecter leur diversité et
réduire l’écart de maitrise des langues autres que
le français.
À RETENIR...
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LE PLURILINGUISME PRÉCOCE :LE POINT SUR LA QUESTION
Séance du 12 juin 2014
Intervention d'Agnès Florin et Isabelle Nocus, chercheuses de l'Université de Nantes
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Cette rencontre, avec deux chercheuses de premier
plan, a permis aux membres du groupe de mieux ap-
préhender le rapport particulier de l’enfant avec les
langues. Il ne maîtrise pas une langue dès les pre-
miers mois, il a d’abord besoin de communiquer en
utilisant les outils à sa disposition. Le langage com-
mence avant qu’il puisse parler, d’où l’importance
des interactions avec son entourage et les affinités
qu’il tisse dès les premiers mois de son existence.
L’apprentissage des langues, les sons qui produisent
des actes, tout cela se fera par de multiples sollicita-
tions, sans effort spécifique. La situation de commu-
nication de l’homme est plurilingue.
Les travaux académiques conduisent à remettre en
cause les idées reçues sur l’apprentissage bilingue dès
l’entrée de l’école, tant dans l’administration que
dans les familles. Ces idées fausses associent la réus-
site scolaire et l'acquisition de connaissances à la
maîtrise exclusive d'une seule langue.
Il existe, en outre, un contexte réglementaire qui
handicape l'acceptation de l’usage pédagogique des
langues locales ou secondes, fondé sur des lois qui
définissent la langue française comme la seule légi-
time à être pratiquée en dehors des cercles familiaux
ou "folkloriques". À la fin du XIXe siècle, la Républi-
que a mis en place un enseignement obligatoire avec
le seul usage du français à l’école et dans l’adminis-
tration. Pourtant au début du XXe siècle, moins de
20 % des français parlent la langue de Ile de France
dans leur quotidien. Avant la Première Guerre, cer-
taines études ont recommandé l’usage de plusieurs
langues dans le parcours scolaire, dont les langues
locales. Mais l’Education Nationale reste globalement
fidèle aux principes qui affirment que leur pratique
handicaperait la maîtrise du français, langue des Lu-
mières et du progrès. Encore aujourd’hui, ces argu-
ments du monolinguisme sont repris pour refuser
l’apprentissage précoce d’autres langues supra-loca-
les, et mêmes européennes. Pourtant, la situation
change vite et dans les années 2000, 25 % des fran-
çais ont entendu leur parentèle parler une autre lan-
gue que le français.
La collecte des données et les évaluations sur les ac-
quis scolaires, faites sur le terrain par Isabelle Nocus
et Agnès Florin, confirment le rôle capital de l’ensei-
gnement bilingue. Elles apportent un éclairage sur les
moyens à mettre en œuvre pour une pleine réussite
au profit de l’enfant.
L’Education Nationale dispose, selon les territoires,
d’un choix de 30 langues locales et de près de 20
langues dites de l’immigration. À ce titre, l’impor-
tance de l’exposition à plusieurs langues dès la toute
petite enfance mériterait une adaptation de la forma-
tion du personnel dans les crèches et les maternelles,
comme d’autres pays le font, afin de profiter de cette
opportunité due souvent à l’immigration.
Depuis l’après guerre, plusieurs dispositifs ont été mis
en oeuvre qui valorisent les langues à travers le mode
d’apprentissage. Les critères suivants sont constants :
• l’introduction tardive de l’apprentissage (après 8
ans) condamne la majorité des enfants à ne pas
atteindre le stade de bilingue
• la méthode choisie ne souffre pas d’économie de
moyens : il faut au minimum 5 heures et un petit
groupe d’enfants pour que la communication
orale soit privilégiée
• la formation des enseignants doit être de bon ni-
veau car tout se joue dans ces premières exposi-
tions à la langue seconde.
Le système souffre aussi du contexte externe à l’école
du fait de la valorisation de la seconde langue choisie
par la famille et de la reconnaissance de la valeur de
langue, tant par le corps enseignant que par la popu-
lation.
Il est constaté que les écoles des langues régionales, à
l'exemple de Diwan en Bretagne, ont démontré l’ex-
cellence de la méthode dite d’immersion : elle con-
siste dans une pratique évolutive des langues suivant
l’âge des enfants. Les évaluations nationales de 2010
sur un échantillon significatif de collégiens et de ly-
céens en bilingue français/breton ont montré des ré-
sultats supérieurs à la moyenne nationale. Une autre
Après l’intervention : réflexions, commentaires et débats
/ 55 /
méthode est celle de la parité horaire où les matières
sont enseignées selon une répartition égale entre les
deux langues d’enseignement.
Les méthodes les plus courantes, comme l’introduc-
tion de l’anglais en primaire ou le programme ELCO
(Enseignements Langues et Cultures d'Origine) depuis
1977 pour enfants de l’immigration, consacrent de
1h30 à 3h par semaine à l’enseignement d’une lan-
gue seconde.
L’étude faite dans les DOM-TOM (Nouvelle Calédo-
nie, Polynésie et Guyane) par Isabelle Nocus(1) pré-
cise les conditions des performances scolaires pour
l’ensemble des jeunes écoliers :
• la valorisation de la culture propre sans soumis-
sion à la langue dominante comme seul vecteur
de progrès
• la connaissance par les enseignants de la culture
de la langue locale et de l’apprentissage social
spécifique des populations locales
• l’utilisation du patrimoine dans l’apprentissage
des matières académiques plus abstraites, à
l’exemple des mathématiques
• l’importance de la formation des enseignants.
Les évidences de l’apprentissage précoce des langues
• Être bi ou plurilingue est la norme dans le monde,
être monolingue est une exception.
• Il n'y a aucun risque cognitif, ni affectif à appren-
dre plusieurs langues.
• Il faut commencer les apprentissages à l’âge le
plus jeune.
• Le bilinguisme est un atout et non un handicap.
• Il n’existe pas de "petites" et de "grandes" langues,
elles sont toutes bonnes à apprendre dans le cadre
d’une stratégie d’apprentissage précoce.
• Toute langue est un vecteur pour appréhender
l’abstraction et la connaissance du monde et toute
langue est limitée dans son interprétation du
monde, d’où l’efficacité des locuteurs plurilin-
gues.
•
Hiérarchie des langues ?
La hiérarchie des langues est une convergence d’opi-
nions d’acteurs ne reposant sur aucune base scientifi-
que. Elle est plutôt le produit d'une résistance à la
reconnaissance du fait plurilinguistique de la part de
l’administration, parfois aussi des familles. Elle dé-
coule aussi d'une certaine intériorisation de l'utilité
de la langue apprise en fonction d’objectifs de car-
rière, traduite dans les formules "à quoi ça sert d'ap-
prendre une langue minoritaire ?, "il faut apprendre
une langue utile"… Cet état d'esprit bloque la prise
de conscience de la nécessité de l’usage d’une autre
langue dès la petite enfance.
Le contexte de l’emploi de la langue, en particulier
dans le cadre familial ou affectif et notamment pour
les langues locales, peut freiner la mise en place d’un
programme d’apprentissage précoce. Cela concerne
plusieurs facteurs :
• un parent convaincu d’appartenir à une catégorie
sociale "exclue"
• la langue locale vécue comme celle de l’interdic-
tion, les enseignants des DOM-TOM eux-mêmes
originaires de la région l’employant pour répri-
mander les enfants hors de la classe
• les langues locales ont parfois une histoire de con-
flits comme l’a exprimé Claude Duneton dans
plusieurs de ses ouvrages : depuis l’interdiction à
l’école jusqu’aux revendications culturelles des
années 70 et le démarrage d’expériences comme
Diwan, forme spécifique d’enseignement laïque
en Bretagne.
La logique administrative refuse souvent une adapta-
tion de l’école à son implantation géographique, et
repose sur une volonté d'unifier. Les innovations pé-
dagogiques ont besoin de temps pour se mettre en
place, mais les cadres de l’Académie changent tous
les 3 ans ; cette insécurité du suivi aboutit à percevoir
la méthode d’apprentissage précoce bilingue comme
un luxe. La langue locale à l’école ne sert souvent
qu’à une animation et pas à l’enseignement des ma-
tières académiques "nobles".
(1) "L’école plurilingue en outre-mer" Isabelle Nocus, Jacques Vernaudon et Mirose Paia, Presses Universitaires de Rennes, 2014
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L'égalité des familles devant l'offre pédagogique
L’administration a une méthode uniforme pour ré-
pondre aux demandes des familles en matière éduca-
tive ou sociale. L’Académie joue sur le temps : d’une
part, elle oblige à avoir le nombre minimum d'enfants
en âge d’entrée au primaire et, d’autre part, elle op-
pose des contraintes obligeant à des reports d’ouver-
ture ; pendant ce temps, l’enfant dépasse l’âge opti-
mum en matière de bilinguisme.
Cette rigidité devient une forme d’inégalité en ma-
tière d’acquis scolaires, et ce sont les enfants des fa-
milles les moins aisées qui sont handicapés pour la
pratique effective de langues étrangères souvent exi-
gée lors des sélections des formations post-bac.
L’apprentissage précoce du plurilinguisme nécessite
des processus souples d’ouverture de classes ; les
exemples ne manquent pas en Europe, dont pourrait
s’inspirer la France :
• ouverture de filière plurilingue dès qu’il existe un
seuil minimum de locuteurs sur le secteur de
l’école (800 personnes), ce qui concerne aussi les
langues de l’immigration
• reconnaissance d’un secteur spécifique "langue
locale" pour un enseignement bilingue, selon la
demande des familles
• reconnaissance de la nécessité d’un enseignement
bilingue dès la petite enfance au niveau des terri-
toires de culture minoritaire et sensibilisation des
populations résidentes pour inscrire leurs enfants.
La performance pédagogique
Aux apports universitaires, les débats du groupe de
travail ont ajouté plusieurs éléments :
• le manque de savoir-faire des enseignants, à cause
de lacunes évidentes de formation
• l’inadaptation des enseignants à une pratique mo-
derne et sociale de la langue : monotonie des sé-
quences d’apprentissage, langue datée...
La priorité n’est-elle pas d’améliorer la formation au-
delà de l’augmentation des heures de langues. La
qualité avant la quantité ?
Des efforts sont faits, surtout pour la génération ac-
tuelle à l’Université, mais il est vrai que les ensei-
gnants ne sont pas toujours bilingues. Toutes les expé-
riences qui ont échoué se rapportent au manque de
personnes-ressources suffisamment formées.
La qualité du corps enseignant a un coût, il faut un
pilotage politique, à l'exemple de la Polynésie (voir
ouvrage d’Isabelle Nocus déjà cité) où une cellule a
été mise en place au sein de l’administration territo-
riale. Ce qui n’empêche pas les enseignants de con-
cevoir eux-mêmes leurs propres outils en plus de leur
travail en classe.
Cette chaîne de qualité pédagogique s’étend aussi à
un travail avec les familles car des parents peuvent se
sentir mal à l’aise faute de savoir-faire extra-scolaire
linguistique.
/ 57 /
Plusieurs questions ont été posées dans le débat :
• la question du plurilinguisme précoce est-elle un
sujet de recherche ?
• bilinguisme certes mais la performance augmente-
t-elle avec 3, 4 langues ou plus ?
La recherche apporte un élément de réponse en ce
qui concerne la "plasticité cérébrale", et dans ce do-
maine le potentiel du nourrisson est énorme. On sait
que des millions de neurones vont disparaître dès lors
qu’ils ne servent à rien. Le cerveau n’est pas terminé
à la naissance, il se construit sous les impacts des
sollicitations dès la naissance ; une étude japonaise a
montré que, dès l'âge de 9 mois, le nourrisson perdait
la faculté d'acquérir les sons de certaines langues,
faute de les entendre.
C’est davantage le contexte de la pratique des lan-
gues et de leur emploi qui permet la qualité de l’ap-
prentissage. Le maintien postérieur des capacités neu-
rophysiologiques pour apprendre des langues, même
en dehors d’une fonction académique, est le fait de
l’apprentissage précoce. Pour autant, cet ancrage est
indissociable de la fonction culturelle, d’où la valori-
sation de la culture transmise par la langue.
Les observations de terrain montrent que l’enfant peut
"jouer" avec 4, 5 ou 6 langues.
• Au lycée français de Munich, dès la maternelle
(particularité de ce lycée international), l’ensei-
gnement du matin est en français et celui de
l’après-midi en allemand. Les enfants de familles
mixtes grandissent avec les deux langues, celle de
l’enseignement et la langue nationale, sans souci
de mélange de mots : ils adaptent la langue en
fonction des interlocuteurs
• Au Cameroun, se pratiquent plus de 250 langues ;
les enfants grandissent en 5/6 langues dans leur
vie quotidienne.
L’apprentissage bilingue précoce avec une langue
locale ne s’arrête pas pédagogiquement à la seule
pratique de plusieurs langues, il permet d’appréhen-
der des matières abstraites ou académiques ; quand
des élèves sont en échec, on peut utiliser les formes
géométriques de leur culture locale ou des produc-
tions patrimoniales pour en expliquer le sens et en-
suite retourner à un transfert traditionnel des connais-
sances. De même, la question d’empathie est facilitée
avec l’apprentissage de plusieurs langues amenant à
une vraie connaissance interculturelle. La pédagogie
et la pratique musicales ont la même fonction éduca-
tive des individus.
L’apprentissage des langues, et en particulier de la
langue locale pour les minorités culturelles, contribue
aussi à développer une estime de soi.
Il faut rappeler que l’apprentissage précoce des lan-
gues a plusieurs objectifs :
• en fin du cursus scolaire, maîtriser plusieurs lan-
gues nécessaires à une intégration sociale et pro-
fessionnelle dans le pays de résidence
• avoir la capacité à en apprendre de nouvelles
• s’adapter au monde contemporain dans lequel la
mobilité des individus est constitutive de la mo-
dernité des pays.
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La performance pédagogique mesurée à l’échelle
d’une génération d’écoliers dépend d’une volonté
politique vis-à-vis du bilinguisme
Les moyens ?
Les moyens donnés aux enseignants, comme aux élè-
ves, diffèrent en fonction de la domiciliation de leur
établissement, avec des écarts importants constatés
dans les résultats.
Il en va de même pour l'affectation des moyens en
fonction des langues enseignées (langue arabe no-
tamment pour les familles de l’immigration) et le con-
texte de cet apprentissage quand il s’agit de langues
locales (patois du français...).
Pour justifier l’absence d’enseignement de la langue,
l’administration l’enferme souvent dans un statut
d’option, d’animation ou de découverte : la langue
n’est pas valorisée et la culture qu’elle porte n’est pas
une matière académique.
Au-delà des polémiques, il faut cesser de s’en tenir à
des idées fausses pour décider d’une politique d’ap-
prentissage précoce des langues et reconnaitre des
faits :
• le bilinguisme favorise le français
• on ne devient pas enseignant d’une langue parce
qu’on la parle, il faut une formation, des person-
nes ressources et des outils pédagogiques
• par une formation appropriée, il faut valoriser les
compétences du personnel auxiliaire pour les crè-
ches ou les maternelles. Aujourd’hui encore, on
peut empêcher l’emploi de toute autre langue que
le français, même avec une auxiliaire parlant la
langue maternelle de l’enfant
• les bébés et les jeunes enfants n’apprennent pas
une langue, ils apprennent d’abord à communi-
quer avec leur entourage
• apprendre une langue à partir du collège est insuf-
fisant ; non seulement le moment est trop tardif
pour utiliser le potentiel neurophysiologique don-
né à la naissance, mais cela intervient après des
années d’absence de pratique. Après l’âge de
douze ans, il devient beaucoup plus difficile de
devenir bilingue.
Parmi les méthodes, il ne faut pas avoir peur de l’im-
mersion, les enfants n’ont pas de crainte des autres
langues ; cette méthode a fait ses preuves sous toutes
les latitudes. Elle ne sanctionne pas la peur de mal
parler.
On formate souvent l’élève à ne répondre que s’il
apporte la bonne réponse ; or pour l’apprentissage, il
est important de donner la priorité à l’oral, donc de
pratiquer encore et encore...
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UNE ACTION CONCRÈTE :EMULI
(Ecole MULtilingue Innovante)Séance du 10 septembre 2014
Intervention d'Hélène Ernoul, responsable du projet
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Après l’intervention : réflexions, commentaires et débats
L’association EMULI a pour objet de promouvoir
l’apprentissage précoce des langues qui participe de
la réussite scolaire et de la cohésion sociale.
Elle s’appuie sur des analyses déjà présentées par d'au-
tres intervenants en y apportant une expérience de
terrain et en constatant que les engagements du gou-
vernement en matière d'apprentissage précoce des
langues souffrent de freins qui amènent une inégalité
de l’application des programmes scolaires.
L’objectif d’EMULI : exposer l’enfant le plus tôt possi-
ble à plusieurs langues et dans des situations scolaires
ou extra-scolaires.
S’appuyant sur les recherches les plus récentes, Hé-
lène Ernoul, elle-même enseignante, fixe des objectifs
pour sensibiliser et offrir une voie face à l’absence de
méthode vivante pour les enfants :
• Exposer les enfants aux langues le plus tôt possi-
ble, à la maison, à la crèche, ou dès 3 ans à
l’école
• Plonger les enfants dans une langue au moins
10h/semaine
• S’adapter aux représentations du public français
monolingue, pour évoluer en douceur vers un
environnement scolaire plurilingue
• S’approcher le plus possible de l’apprentissage
naturel des langues (comme on apprend sa langue
maternelle)
• Développer et renforcer l’implication des parents
ou des locuteurs/animateurs non francophones
dans le processus d’apprentissage des langues des
enfants.
L’opportunité d’une mise en pratique s’est offerte avec
la crèche d’Airbus Saint Nazaire :
• une intervenante anglophone native
• des interrogations de certains parents au départ
• une méthode : l’intervenante passe toutes les ma-
tinées à la crèche, en interagissant avec les en-
fants, toujours en anglais
• un double enjeu : être apprivoisée par les enfants
et par les professionnelles de la crèche
• après un an de fonctionnement : les parents sont
conquis, les enfants "adorent" et même les profes-
sionnelles de la crèche se mettent à chanter des
comptines en anglais...
Pour les jeunes enfants scolarisés, EMULI met au
point un programme pour les activités périscolaires
ou extrascolaires adaptables aux demandes de l’école
en reprenant la méthode d’immersion pour les activi-
tés et loisirs offerts.
Dans la mesure du possible, les activités en périsco-
laire reprennent des thèmes abordés en classe. Pen-
dant les vacances, lors des accueils en immersion en
journée complète, le rythme journalier des enfants,
repos ou détente en cours des activités, est pris en
compte.
Les jeunes enfants assimilent rapidement que l’on
peut exprimer la même chose en plusieurs langues.
Des enfants qui n’ont eu aucun contact avec une lan-
gue étrangère vont rapidement s’intégrer dans les ac-
tivités proposées.
La grande différence avec l’école : il n’y a pas d’éva-
luation sommative, mais les parents peuvent se ren-
dre compte des progrès de leur enfant lors de petites
représentations théâtrales en fin de semaine d’accueil
de loisirs, par exemple.
Les animateurs, eux, sentent l’évolution des enfants
tout au long de la semaine : en quelques jours, cer-
tains mécanismes linguistiques sont pris, et permet-
tent d’évoluer de façon beaucoup plus efficace en fin
de semaine qu’en début de semaine.
La meilleure récompense, pour EMULI, arrive quand
les parents envoient des mails spontanés disant à quel
point leur enfant s’est amusé, et ils espèrent pouvoir
renouveler l’expérience.
Les animateurs ont une double qualification d’anima-
tion (50 % BAFA acquis) et souvent, pour la maîtrise
de la langue, ceux-ci sont des natifs des pays de la
langue étrangère.
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2013-2014 :
- 2 sites d’intervention dans 2 villes (1 crèche et 1
école)
- 40-50 enfants en charge
- 1 salarié à mi-temps + 3 temps partiels + anima-
teurs saisonniers
2014-2015
- 4 écoles en Loire Atlantique
- 1 crèche
- 8 écoles à Agen
- Diversification des langues : anglais, espagnol,
russe ...
- 3-4 salariés à mi-temps + 8 temps partiels
- + de 350 enfants en charge
LES QUESTIONS AU PROJET
Le fonctionnement
L'association ne bénéficie pas de subventions des
administrations, chaque intervention doit trouver ses
partenaires financeurs, dont la CAF.
C’est un système de contrat avec des élus qui ont des
contraintes budgétaires et des écoles qui ont leurs
programmes pédagogiques. La coopération avec les
enseignants est aussi importante que la satisfaction
des enfants.
L’association souhaite augmenter les heures d’inter-
ventions afin de pérenniser les emplois des anima-
teurs et renforcer l’effet "immersion".
La qualité des ressources humaines, dans le cadre
d’EMULI, est primordiale, et il n’est pas facile de
trouver des animateurs ayant une double compé-
tence et dont les qualifications sont reconnues par la
DDCS (BAFA, BAFD, ou professeur qualifié). EMULI
accompagne ses animateurs dans la mise en place
pédagogique des activités, et dans la mesure du pos-
sible, paie la formation du BAFA à ceux qui souhai-
tent s’investir pour l’association. Il ne suffit pas de
parler une langue pour être un bon animateur et in-
versement, il faut parler la langue aussi bien qu’un
natif si l’on veut que cela paraisse naturel aux en-
fants.
EMULI est novateur dans sa démarche et bouscule
les situations établies. Sa compétence se fonde sur
son expérience, laquelle lui permet une reconnais-
sance par les services de l’Administration. Il faudrait
cependant une mobilisation plus large d’acteurs pour
installer le projet d’une façon pérenne : élus, famille,
professeurs…
Il existe des résistances dans le corps enseignants,
mais l’orthodoxie sur laquelle elles se fondent n’est
plus aussi prégnante auprès des décideurs. Ainsi, un
inspecteur de l'Education Nationale suit avec intérêt
le projet, même si celui-ci est encore dans une phase
de conviction et bénévolat.
La méthode
L’anglais reste dominant dans les projets EMULI,
mais une attention est portée à l'élargissement du
/ 69 /
panel des langues proposées. Au-delà de la seule sen-
sibilisation à l’apprentissage des langues par des fran-
çais monolingues, ce projet s’adresse aussi aux fa-
milles étrangères qui craignent que leurs enfants per-
dent le contact avec leur langue et culture maternel-
les. Il faut vaincre les réticences de l’Education Na-
tionale mais aussi innover sur l’ensemble du dispositif
au service des enfants : à l’exemple de nombreux
pays de l’Europe du Nord, il faut créer des chaînes de
diffusion de dessins animés, des animations sur l’es-
pace public pour les jeunes enfants en langues étran-
gères pratiquées sur la zone de diffusion.
EMULI permet aussi, par son intervention, d'offrir une
solution au blocage de la pratique d’autres langues
que le français en classe. On peut jouer avec la lan-
gue, notamment pour les plus âgés en primaire, et
sensibiliser à la découverte d’autres cultures présen-
tes localement.
À titre d’exemple dans un collège de Rezé, l’équipe
pédagogique a décidé de mettre en valeur les 9 lan-
gues et cultures présentes. Cela passe par le "bonjour"
du matin en 9 langues pour découvrir les pays d’ori-
gine de chacun. Par différentes actions de terrain,
dans ou autour des classes, les élèves apprennent
autre chose grâce aux langues étrangères. Il y a ainsi
valorisation de l’autre, du voisin.
La méthode a un objectif de "démonstration". Tous les
enseignants ne sont pas convaincus de la nécessité de
commencer si tôt le plurilinguisme. Pourtant il ne faut
pas cantonner l’apprentissage des langues aux seules
familles. Ce serait le début d’une inégalité pour des
enfants dont les familles modestes n’ont pas les
moyens de les soutenir dans l’apprentissage de lan-
gues étrangères.
Les personnes ressources
Trouver des enseignants est une des difficultés de
l’association.
A l’exemple des écoles de langues régionales ou des
territoires d’outre-mer, plus la politique de l’appren-
tissage précoce des langues est retardée, plus le rat-
trapage se fait dans des conditions de pénurie de
formation des enseignants.
Même des pays qui ont décidé de mettre en œuvre
un programme ambitieux, comme la Nouvelle Zé-
lande depuis la fin des années 1970 pour le maori, il
est difficile d’avoir des enseignants formés pour dis-
penser des cours depuis le primaire jusqu’au lycée ;
tous les enfants passés par les écoles bilingues n’ont
pas vocation à devenir instituteur ou professeur…
Un potentiel d’enseignants existe à partir de certaines
individualités, notamment les parents, quitte à assurer
des formations afin que l’Administration accepte des
intervenants extérieurs :
• L'Ecole japonaise de Rennes fonctionne le mer-
credi avec des mamans afin que leurs enfants ne
soient pas handicapés à leur retour au Japon
• Il y a un besoin de partenariats entre différents
acteurs afin d’accompagner des initiatives prises
pas des mamans donnant des cours d’arabe ou de
russe à Nantes.
EMULI, par son travail de communication, a rencon-
tré beaucoup d'enseignants compétents en langues
étrangères. Certains, isolés, prennent des initiatives
pour l’apprentissage précoce bilingue mais beaucoup
ne sont pas valorisés ou n’osent pas se mobiliser.
Histoire d’une association qui pense que l’apprentissage précoce des langues peut être
source de réussite scolaire et de cohésion sociale
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Le retard pris par rapport aux évaluations normées
des acquisitions : nombre de mots à la sortie de la
maternelle
On a souvent évoqué les évaluations auprès des éco-
liers de Diwan qui ont de meilleurs résultats en an-
glais que les collégiens de filière classique. Ren-
voyant à l’intervention d’Isabelle Nocus et Agnès
Florin, l’importance de la méthode de l’immersion a
été confirmée dans l’obtention de ce résultat.
On peut arriver à un résultat similaire avec l’arabe, le
chinois, etc…
Aucune langue n’est supérieure à une autre pour met-
tre en place un projet d'apprentissage :
• l’enjeu essentiel est celui de l’apprentissage pré-
coce
• il faut un environnement affectif de la langue
pour sa valorisation
• l’importance du choix de la méthode, avec un
nombre d’heures minimum de pratique quoti-
dienne : la méthode immersive étant la plus effi-
cace en l'adaptant au programme et à l’âge des
enfants.
D’autre part, en privilégiant l’oral, on est dans l’ordre
naturel des acquisitions langagières de l’enfant ; les
plus jeunes commencent à jouer oralement avec les
langues. Puis vient la période des contes, histoires et
comptines qui préparent à l’écrit, l'enfant passant
naturellement d’une langue à l’autre. Une inquiétude
est souvent soulevée en matière de bilinguisme pré-
coce : le stock des mots est-il réduit de moitié, par
comparaison avec les jeunes enfants de même âge ?
La réponse est clairement négative. Ponctuellement,
la quantité de vocabulaire d’un enfant du système
monolingue peut varier par rapport à celui d’un en-
fant bilingue, mais, aux âges clef des tests officiels,
les bilingues sont plus aptes à s’exprimer.
Les travaux de neurophysiologie démontrent l'avan-
tage des enfants bilingues, lesquels sollicitent davan-
tage le fonctionnement de leur cerveau. La maîtrise
des capacités élargie du cerveau se démontrera par
le nombre de langues parlées.
A titre d'exemple, Diwan est l’une des deux filières
complètes depuis les années 1980 en France et les
acquisitions des élèves sont évaluées périodique-
ment pour s’assurer qu’il n'existe aucun retard par
rapport aux élèves "classiques" de l’Education Natio-
nale : dans toutes les matières et selon les critères de
performances, les élèves Diwan obtiennent les
meilleurs résultats.
Les travaux universitaires, notamment ceux de Mme
Nocus, le soulignent aussi pour les résultats des éco-
liers Polynésiens. Le tahitien profite au français selon
les critères exposés précédemment, à savoir des heu-
res minimum de pratiques, une valorisation de la
langue et un environnement affectif et familial.
Cette rencontre avec Emuli a conforté les précéden-
tes séances sur l’urgence pour l’Education nationale
de se saisir de l’apprentissage précoce des langues.
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LES FILIÈRES BILINGUESENSEIGNEMENT PRÉCOCE BILINGUE
ET LES LANGUES RÉGIONALES Séance du 15 octobre 2014
Intervention de Visant Roué, Directeur de l'Office public de la langue bretonne
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Après l’intervention : réflexions, commentaires et débats
HISTOIRE, LANGUES ET CULTURES
Pour comprendre la situation de l’enseignement bi-
lingue en France, il faut se saisir de l’histoire de la
reconnaissance des langues et des cultures régiona-
les. Une logique a été mise en œuvre en France de-
puis la loi de scolarisation de Ferry (1881-1882), celle
de l’unilinguisme scolaire. La pratique d'une seule
langue n'a pourtant pas de réel fondement, scientifi-
que ou social, et peut même constituer un obstacle à
la cohésion sociale. Les élites intellectuelles ont
d'ailleurs toujours eu le souci du libre accès aux tex-
tes originaux fondateurs de la culture européenne.
Cette position autoritaire de l'Etat, sous la IIIe Répu-
blique, s'appuyait sur des positions et des déclara-
tions qu’on juge aujourd’hui contraires aux droits
démocratiques et discriminantes. Anatole de Monzie,
Ministre de l’Instruction Publique déclarait ainsi en
1925 : "Pour l'unité linguistique de la France, la lan-
gue bretonne doit disparaître". Sous la Ve Républi-
que, Georges Pompidou, Président de la République,
poursuivait sur le même registre en 1972 : "Il n’y a
pas de places pour les langues et cultures régionales
dans une France qui doit marquer l’Europe de son
Sceau". Contre toute efficacité pédagogique mo-
derne, ces positions ont longtemps servi aux adversai-
res de l’enseignement précoce multilingue fondé sur
les langues régionales. La contestation de la politique
de la IIIe République fut très tôt source de mobilisa-
tions locales et s'est appuyée sur des mouvements
existants de mise en valeur des littératures régionales
à l'exemple du Félibrige(1) et des bals deis trouvers
(auquel participa Tristan Tzara, initiateur du mouve-
ment dadaiste) pour les pays de langue d'oc. Pour la
Bretagne, on peut citer la publication par Théodore
Hersart de La Villemarqué en 1839 du Barzaz Breiz
ou histoire poétique de la Bretagne, suivi de l’Appel
aux celtes de Charles de Gaulle (oncle du Général) en
1864, qui ont contribué à la renaissance littéraire et
linguistique de la Bretagne.
La mobilisation pour des écoles bilingues avec lan-
gues régionales s'est construite dès l’Entre-deux-guer-
res avec le soutien d’élus et d’instituteurs. Dès 1934,
357 communes ont voté un vœu en faveur du breton
à l’école. En 1937, 5 000 enseignants de l’école laï-
que signèrent la charte d’Ar Falz. Après 1968, l’émer-
gence de nouveaux droits a créé les conditions d’une
action dans les régions métropolitaines, marquée par
le slogan "Vivre et travailler au Pays". En 1977, furent
créées des écoles associatives bilingues par immer-
sion "Diwan", qui passèrent en contrat d’association
en 1984.
Une action similaire fut conduite en Alsace, au Pays
basque et dans les "païs d’oc" où le théâtre en langue
d’oc est alors diffusé sur les radios d’onde moyennes
de l'ORTF comme Radio Limoges.
Peu à peu, l’administration a reconnu la pertinence
de l’enseignement plurilingue dans l’école en s’inspi-
rant du laboratoire qu’a constitué l’enseignement des
langues régionales dans le primaire :
• 1951, la loi Dexonne autorise l'enseignement fa-
cultatif de 4 langues : breton, basque, catalan, occi-
tan
• 1982, la circulaire Savary organise l’enseignement
bilingue spécifique
• 2001-2003, une circulaire définit les modalités de
mise en œuvre de l’enseignement bilingue à parité
horaire de la maternelle au lycée
• 2008, l'article 75-1 de la Réforme constitutionnelle
stipule que "les langues régionales appartiennent au
patrimoine de la France".
ENSEIGNEMENT BILINGUE EN FRANCE, LES
FILIÈRES "LANGUES RÉGIONALES"
Contexte législatif et réglementaire
Les langues régionales, quant à leur transmission par
l’école, ne sont pas toujours égales en droit. La loi de
refondation de l’école de 2013 donne désormais le
droit aux familles d’être informées. Auparavant, l’ad-
(1) Félibrige (ou Felibritge) : association de promotion et de sauvegarde de la culture et de tout ce qui constitue l'identité des pays de langue d'oc
/ 94 /
ministration pouvait disposer d'un pouvoir de blo-
cage vis-à-vis des familles demandeuses d'ensei-
gnement bilingue. La loi reste cependant floue en
matière de formation des enseignants ; on parle
d’encouragement sans nommer les responsables de
la mise en œuvre des formations. Sans objectif de
formation des enseignants bilingues, il est difficile de
prévoir un développement. Chaque Académie pro-
pose des postes au concours et les repartit en postes
"monolingue" ou "plurilingue" (1 poste en 44 en
2015). 10 % sur l'Académie de Rennes concernent
les postes bilingues. Le pouvoir des Académies reste
important. Les conditions opérationnelles sont varia-
bles selon la langue. En Bretagne, à statut équivalent,
les contraintes sont supérieures pour Diwan et sa
méthode d’immersion. Il faut autofinancer l’école
pendant 5 ans, dont les salaires des enseignants, et
sans aide du forfait scolaire. Au Pays basque, l’école
associative créée est tout de suite prise en charge par
l’administration selon son statut associatif, sans pé-
nalisation financière sur 5 ans. L’application de la loi
connaît ces variations dans la mesure où le choix
d'origine de l’école publique, laïque et monolingue
reste prégnant dans les esprits. Depuis plusieurs gé-
nérations, l'absence d'enseignement des langues
régionales peut éteindre la pratique sociale et mettre
en danger leur survie. Pourtant, dans la société euro-
péenne contemporaine, le multilinguisme est la con-
dition d'une nouvelle citoyenneté.
Du régional à l'international
Il existe des sections internationales dans 15 lycées
en Métropole (aucune dans les DOM-TOM pourtant
souvent au contact d’Etats non-francophones) et dans
13 lycées français de l’étranger. Pour y entrer, il faut
réussir des tests, souvent difficiles pour des collé-
giens ayant un cursus normal. Ce sont les filières des
langues régionales qui permettent en France un
diagnostic pédagogique de l’apprentissage précoce
des langues en milieu scolaire, depuis la primaire
jusqu’au lycée, et qui sont ouvertes à l’ensemble des
catégories sociales d’une population résidente dans
un secteur académique. En s’appuyant sur leur pa-
trimoine historique et culturel, certaines régions ont
pu entamer des actions pour démontrer la pertinence
de leur revendication d’enseignement de langues
locales dans le cadre des grands objectifs académi-
ques de l’école de la République. Ces passerelles
entre les langues dites "régionales" et langues "inter-
nationales" sont un élément majeur, trop souvent
négligé, de la réussite scolaire.
L'ÉTAT DES LIEUX DANS LES RÉGIONS
Pour les DOM-TOM, on se référera aux études es-
sentielles présentées par Isabelle Nocus et Agnès
Florin et mentionnées précédemment. Les associa-
tions de promotion des langues d’oïl n’ont pas tou-
jours pu organiser un rapport de force politique local
ou régional leur permettant de mettre en place une
filière similaire aux langues d’oc ou non latines.
Souvent, elles sont renvoyées à la pratique dite de
patois ou à un français déformé, mises en scène
d’une façon festive ou touristique (caricature de l’ac-
cent).
/ 95 /
Il n'y a pas d'égalité réglementaire selon les régions :
• la Corse met en place un bilinguisme dans chaque
école
• le Pays Basque ne finance pas les premières années
de fonctionnement des écoles
• les parents de Bretagne autofinancent entièrement
les 5 premières années du coût de fonctionnement
de l’école sans obtenir aucune aide au titre de la
pédagogie
• les "païs d’oc" sont confrontés à la diminution dé-
mographique pour l’ouverture de nouvelles écoles
par l’Académie
En 2015, on dénombre 3 filières en France :
- la filière publique, 53 000 élèves (dont 8 000 en
Corse)
- la filière associative, 11 000 élèves
- la filière confessionnelle, 10 000 élèves
Depuis plusieurs années, les filières bilingues du 1er
et Second degré en France sont présentes sur les ré-
gions "historiques" de la Bretagne, l’Alsace, la Lor-
raine, la Catalogne et certains "païs" de langue d’oc.
Le Corse :
Le Corse est mis en place par l’Académie en fonction
des demandes des familles. C'est une langue de re-
cherche à l’Université. La Corse a une seule filière :
publique.
Le Francique :
C'est la langue que parle les Luxembourgeois. La
France met en place des options de classe bilingue
pour éviter que les transfrontaliers mettent leurs en-
fants dans le cursus scolaire du Luxembourg. La
France met aussi en place une politique de "zone
dialectale germanophone" sans lutter contre la baisse
de son usage dans les jeunes générations ni en pro-
mouvoir son usage culturel.
L'Alsacien :
Le standard de l’écriture de l’alsacien est la graphie
allemande, sa pratique orale est forte dans les fa-
milles et dans les cantons. L’alsacien est une forme
dialectale de l’allemand. Il existe une vie culturelle
intense orale (chansons et théâtre) qui crée une pra-
tique sociale réelle dans les métropoles alsaciennes.
Dans les années 1970/1980, le Rectorat a laissé l’Al-
lemagne participer intensivement, par le biais des
fonds Interreg de l’Union Européenne, à la création
des écoles bilingues français-allemand, répondant
ainsi à la demande sociale des transfrontaliers fran-
çais et résidents expatriés allemands en Alsace.
La filière bilingue repose aujourd'hui davantage sur
une organisation communale et familiale que sur
une politique académique.
LANGUE RÉGIONALE ET APPRENTISSAGE
PRÉCOCE DES LANGUES
Il n’existe pas en France de filière complète d’ensei-
gnement bilingue à l’école sauf pour les langues ré-
gionales ; C'est le cas de la pédagogie du mouve-
ment DIWAN dont on peut tirer aujourd’hui des en-
seignements statistiques. On peut oser une compa-
raison entre Etats européens ayant une langue à pré-
tention universelle et ayant eu un rôle d’empire
(Grande Bretagne, France, Espagne) et les Etats ayant
eu une langue de culture (Pays-Bas, Allemagne, Ita-
lie, Suède…). Ces derniers, ayant sans doute con-
science de la richesse culturelle portée par la langue
de chacun de leurs voisins et de la fragilité tempo-
relle de la souveraineté des empires universels, ont
très tôt reconnu la diversité linguistique de leur Na-
tion. Ils ont donc généralisé l’apprentissage de lan-
gues étrangères dans le primaire, suivant en cela les
recommandations de l’Europe.
Continuité scolaire et mobilité familiale
L’essaimage des autorisations administratives et l’ab-
sence de volonté politique en matière d'apprentis-
sage précoce des langues impacte l’efficacité du sys-
tème. La mobilité des familles en France est une réa-
lité, or il est très important de commencer tôt l'ap-
prentissage des langues, dès le primaire, et de conti-
nuer jusqu’au lycée. L’enseignement bilingue en ma-
ternelle est ouvert à tous, mais on n’accepte plus
ensuite les élèves extérieurs à la filière, l’écart d’une
pratique multilingue étant trop important. Actuelle-
ment, le modèle est structurellement à la baisse au
fur et à mesure des mobilités de la famille, de la ma-
ternelle à la Terminale. Il y a une perte des familles
sans toujours en intégrer suffisamment de nouvelles.
Ce manque de visibilité sur l'avenir est un handicap
pour les familles. En Bretagne, les élèves de Douar-
nenez doivent obligatoirement aller à Quimper au
collège de pôle Diwan. Les filières en Bretagne tra-
vaillent aujourd'hui à une concentration d’écoles
autour de collèges de secteur, ainsi l’action menée à
Nantes sur le secteur du collège Rutigliano.
/ 96 /
ENSEIGNEMENT BILINGUE DES LANGUES
RÉGIONALES EN EUROPE
L’ensemble des pays de l’Europe du Nord ont mis la
maîtrise plurilingue au programme de leur ensei-
gnement primaire et secondaire. Les jeunes de ces
pays maîtrisent souvent 3 langues et aucun pays ne
crée d’ostracisme vis à vis de leurs langues régiona-
les pour qu’elles participent ainsi à un apprentissage
précoce multilingue. Il existe différentes formes de
protection et de développement de l’usage social des
langues régionales en Europe qui n’ont de succès
que lorsque ces langues deviennent des vecteurs de
connaissances académiques au sein des établisse-
ments scolaires (voir l’étude de Mmes Nocus et Flo-
rin). Constitutionnellement, sont mises en œuvre des
solutions au sein des écoles locales, à l'exemple du
Schleswig-Holstein en matière d’apprentissage du
danois pour les familles de culture scandinave, ré-
gion annexée en 1866 par la Prusse ; chaque famille
a une garantie, par la loi organique du Land, de dis-
poser pour ses enfants d’un enseignement en danois
au sein de l’école de secteur. La Communauté auto-
nome basque (Espagne) a mis en place une politique
rigoureuse basée sur des objectifs pour sauver la lan-
gue ; 65 % des basques suivent aujourd'hui leur sco-
larité en basque (80 % uniquement en espagnol en
1983). Le Pays de Galles, depuis 1988, met en place
une généralisation de l’enseignement du gallois,
proposé à plus de 200 000 écoliers en 2015. Des
langues dites régionales sont souvent aussi des lan-
gues nationales pour d’autres pays : la Belgique avec
le flamand ou le wallon, le Luxembourg avec le
francique, la Suisse avec le tyrolien ou l’italien, le
frison (Pays-Bas et Allemagne)… En Italie, ce sont
souvent les pratiques d’usages locaux qui sont re-
connues dans leurs variantes dialectales ; à l’italien
parlé s’ajoute une protection des langues non dialec-
tales(2). Deux pays ont un modèle identique à celui
mis en place en France, ancré sur un usage universel
et prioritaire d’une seule langue pour l’enseignement
primaire : la Grèce et la Turquie.
L'ENSEIGNEMENT PRÉCOCE BILINGUE
FRANÇAIS-BRETON
UN OFFICE PUBLIC SUR LES TERRITOIRES
"HISTORIQUES" DE LA BRETAGNE
L’office public de la langue bretonne est un établis-
sement public créé en 2010, dont les administrateurs
sont les 5 départements bretons, les deux régions
Bretagne et Pays de Loire, l’académie de Rennes et le
Ministère de l’Education Nationale.
Il comporte 2 pôles :
• la langue et son actualisation
• l’étude et le développement de l’enseignement
bilingue et de sa pratique publique.
Il dispose de 25 agents de droit public. Il joue aussi
le rôle de conseil pour la mise en œuvre des politi-
ques publiques. L'Office propose, avec le soutien
des associations, une simplification administrative de
la filière d'enseignement précoce des langues. Une
réforme réglementaire alignant Diwan sur les critères
des écoles basque est en cours de discussion au ni-
veau gouvernemental : réduction de 5 ans à 18 mois
du temps d’ouverture assumée à 100 % par le finan-
cement des parents et baisse du nombre d’enfants à
15 lors de l’ouverture.
L'ÉTAT DES LIEUX DU BILINGUISME FRANÇAIS-
BRETON
La Bretagne est une région qui offre une filière dans
trois réseaux :
• 1977, 1ère école Diwan, enseignement bilingue
immersif, gratuit, laïc
• 1982, 1ère école bilingue dans l’Education Natio-
nale, enseignement bilingue dans un cadre de parité
horaire
• 1990, 1ère classe bilingue dans l’Enseignement
catholique avec la même méthode que dans la filière
publique.
A la rentrée 2014, 15 840 élèves sont concernés
dans ces réseaux, soit de 2004 à 2014 une crois-
(2) Site de la Commission Européenne : apprentissage et diversité linguistique http://ec.europa.eu/languages/policy/linguistic-diversity/regional-minority-languages_fr.htm
/ 97 /
sance de 70 %. L’ancienneté de la filière Diwan
permet des études et des tests auprès de la popula-
tion scolaire concernée de la maternelle au Bac à un
enseignement précoce des langues en immersion.
Les contraintes d'une filière en l'absence de choix
politiques clairs
Il subsiste un problème après le collège, puisque
ceux-ci ne suivent pas la progression des écoliers
dans les classes bilingues du primaire. Structurelle-
ment, il y a une baisse des effectifs du fait de la mo-
bilité de plus en plus fréquente des familles avec un
abandon entre le CM2 et l’entrée au collège. De
même, on refuse des élèves au CP car l’apprentis-
sage bilingue commence dès la maternelle. Seules
les filières bilingues subissent cette inégalité en
France avec impossibilité d’avoir un parcours sco-
laire complet. Enfin, l’absence de postes aux con-
cours crée une discordance entre la demande des
familles et les ouvertures des classes. Le Conseil Ré-
gional crée cependant des bourses et des aides fi-
nancières pour que les enseignants se forment à la
filière bilingue. Il faut aussi admettre que les élèves
ne sont pas destinés à devenir tous enseignants ; la
filière bilingue peut être considérée comme un sec-
teur jeune au sein de l’Education nationale depuis
les années 2000. On retrouve les mêmes probléma-
tiques que celles soulignées dans l’étude de Mmes
Nocus et Florin dans les territoires ultra-marins, il
faut aussi une politique de formation des enseignants
bilingues et non se contenter d'une logique d’expé-
rimentations successives.
Le suivi administratif de la croissance de la de-
mande des familles
Comment répondre à la demande sociale des fa-
milles ? Face à la progression forte des effectifs,
la courbe des enseignants augmente aussi grâce aux
dispositifs de formation mis en place par les Collec-
tivités Territoriales de Bretagne. C’est une action vo-
lontariste de la Région Bretagne qui met en place des
bourses pour master bilingue, en échange d’un en-
gagement de 10 ans dans l’enseignement, ou bien
une aide pour passer de la filière monolingue à bi-
lingue en formation intensive de 9 mois. La respon-
sabilité de l'Etat en termes d’objectifs est réelle face à
la pression sociale des étudiants à s’inscrire au con-
cours (300 inscrits cette année pour 40 postes, con-
tre 100 inscrits auparavant). Sur ce faible nombre
d’enseignants, le problème des remplacements est
cause de frictions vu la faiblesse des effectifs des
enseignants pleinement formés. Au moment où le
débat de l’éducation scolaire pose la question des
objectifs du socle commun de connaissances, de
compétences et de culture, cette formation en breton
concerne aussi des enseignants de matières acadé-
miques diverses comme les mathématiques, l’EPS,
les arts, l’histoire… Il y a une réponse à apporter à
cet intérêt évident pour une approche nouvelle du
rôle de l’enseignant.
NANTES ET SON AGGLOMÉRATION
L’Académie de Nantes est dotée d’un conseil des
langues régionales depuis 2002. La Mairie de Nantes
a manifesté à plusieurs occasions son soutien au dé-
veloppement de l’enseignement bilingue français-
breton, suite à son efficacité pédagogique. Les fa-
milles répondent à l’offre des filières bilingues à
Nantes et toutes refusent des inscriptions. En 2014,
500 jeunes nantais sont dans les filières nantaises
(écoles et collèges) bilingues français-breton, dont
206 à Diwan. Les découpages scolaires selon les
périmètres de l’administration démontrent un attrait
des familles pour cette formule d’apprentissage pré-
coce bilingue, dès lors que l’accès à l’école n’est pas
pénalisant et que l'établissement s’inscrit dans le
paysage académique du quartier. Une option langue
bretonne au bac est assurée au lycée de la Colinière
pour Nantes, avec un déplacement des lycéens des
autres établissements pour suivre les cours de l’op-
tion breton.
La présence de la langue bretonne dans le cursus
élémentaire est ponctuée de dates importantes :
• 1978 : ouverture de la 1ère école Diwan
• 1999 : ouverture de la 1ère filière bilingue publi-
que et catholique
• 2007 : continuité de la filière publique au collège
• 2008 : collège Diwan à Saint Herblain
• 2010 : ouverture de la seconde filière bilingue pu-
blique
• 2012 : ouverture de la seconde école Diwan.
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A RETENIR :
DÉPASSER LES LACUNES FRANÇAISES PAR UNE
POLITIQUE PUBLIQUE LINGUISTIQUE QUI SOIT
L'INDICE DU BIEN ÊTRE D’UN TERRITOIRE EU-
ROPÉEN MODERNE
Répondre à une demande d'international
Sans remonter à la Grèce socratique ni aux miracles
des apôtres pouvant s’adresser du jour au lendemain
aux païens et barbares dans leur langue native pour
les convertir, on sait, depuis au moins Venise et Mar-
co Polo en ce qui concerne l’époque moderne, l’im-
portance de la maîtrise des langues pour développer
sa Cité et créer une synergie des cultures. Le danger
aujourd’hui n’est pas la domination d’une élite sur
les "terres émergées" mais la perte d’un projet suffi-
samment fort en matière éducative pour nos conci-
toyens immergés dans la mondialisation et les
échanges multiculturels au sein de toute entreprise
collaborative. La politique linguistique est de définir
des objectifs sans ambiguïté capables de répondre en
profondeur à des demandes sociales précises en ma-
tière d’apprentissage précoce multilingue. Il faut des
moyens mais force est de constater qu’il faut aussi
une réforme réelle pour définir le socle commun des
connaissances au niveau de chaque niveau d’évalua-
tion des acquis scolaires et cela dès le primaire. Le
retard constaté des élèves monolingues en comparai-
son avec ceux qui ont l’opportunité de suivre un cur-
sus bilingue ou multilingue, oblige à définir des ob-
jectifs et à laisser libre cours à l’énergie et l’initiative
des personnes compétentes pour offrir à la fois des
solutions intermédiaires et préparer des réformes de
fond. Le Conseil de développement, par ce travail
collectif, souhaite, à son niveau, y participer.
Analyser les retombées du bilinguisme : l'exemple
français-breton
En 2013, la proportion de jeunes maîtrisant 2 autres
langues que le français et le breton est de 60 % pour
les britophones et 32 % pour les non britophones. En
2012, une étude sur la mobilité des étudiants (à
l’étranger) a révélé que les anciens lycéens de Diwan
partent à plus de 12 % dans des universités étrangè-
res, chiffre à comparer avec la même tranche d’âge
de la population française de référence, qui est de
4 %. Les tests qui concernent le succès des lycéens
au Bac et les chances des élèves de Seconde pour
obtenir leur bac, placent le lycée de Diwan de
Carhaix dans le top 2 des lycées de France depuis
son ouverture. Les emplois demandant une maîtrise
du breton sont en 2012 de 1300 postes, ils progres-
sent en vue de l’augmentation des apprenants (en 5
ans + 30 %). Pour les britophones, ils concernent
surtout l’enseignement (le Finistère 70 %, la Loire
Atlantique 82 %). Mais les emplois concernent aussi
aujourd’hui l’ensemble des qualifications et des sec-
teurs économiques, tant publics que privés.
L'apport du bilinguisme précoce aux territoires : un
socle commun de connaissances, de compétences et
de culture de niveau européen
Ce socle est celui attendu par toute entreprise,
qu’elle soit publique ou privée, pour être compéti-
tive, réactive et efficace. C'est celui de tout territoire
européen s’inscrivant dans l’industrie de la connais-
sance et en particulier pour des Métropoles qui se
veulent modernes et en phase avec leurs futurs par-
tenaires dans le monde. Ce socle est celui qui per-
met d’avoir un seuil de compétence en matière
d’apprentissage de langues pour les publics des gé-
nérations d’étudiants en qualifications professionnel-
les des années 2020. Les filières bretonnes et brito-
phones de l’apprentissage précoce des langues sont
à la fois jeunes et matures, comme le constate cha-
que nouvelle étude scientifique en matière de didac-
tique des langues ; elles sont aussi porteuses de solu-
tions efficaces et parfaitement maîtrisées sociale-
ment. Elles sont aussi porteuses d’un seuil important
d’étudiants mobilisables à court terme et répondant à
un objectif de politique linguistique globale à moyen
terme ; à Rennes, 800 étudiants sont en filière bre-
tonne. Depuis 3 ans les effectifs progressent forte-
ment dans la filière par immersion Diwan, le seul
lycée Diwan héberge 380 élèves. La montée des ef-
fectifs est à venir.
Le risque du retard français
Après les Grandes Ecoles, ce sont les formations de
BTS qui mettent en place une sélection fondée sur la
maîtrise de l’anglais, voire sur la pratique d’une se-
/ 99 /
conde langue pour l’entrée dans leur cursus. L'ob-
jectif est évidemment d'avoir des étudiants capables
de suivre des cours en anglais. Or, on sait pertinem-
ment que l’apprentissage des langues au sein du se-
condaire ne permet pas d’atteindre un niveau suffi-
sant. De plus en plus, l’apprentissage des langues
pour les post-bacs ou le pré-emploi devient un mar-
ché caractéristique propre à la France.
Regarder loin vers le monde
Les langues régionales en Europe contiennent la
mémoire de notre histoire, c’est l’expression du
"parler croquant", du "parler populaire" qui est sou-
vent refusé par une certaines élites. Les codes lin-
guistiques sont aussi ceux du pouvoir, et cela s'ex-
prime en France par la tradition centralisatrice.
Cette domination du code linguistique dans les mi-
lieux "dirigeants" explique que les langues transfron-
talières ont une vitalité plus forte que celles qui
n’ont pas le recours de la comparaison "de l’outre-
rive" : le flamand, le basque ou le catalan. Les lan-
gues régionales, comme élément-clef d’une didacti-
que des langues pour les jeunes enfants sont une
réponse alternative à un projet de formation mon-
dialisée qui repose aujourd'hui sur l’anglais mais
demain peut-être sur le chinois ou une autre langue.
La langue régionale est un élément de la formation
de la vie civile de tout territoire. Pour certains Pays,
le français est une langue minoritaire comme le sou-
lignent les Québécois ou les acadiens de Louisiane.
Il y a 2 % de francophones sur le continent améri-
cain. Dans quelques années, 20 000 ou 25 000 sco-
laires pourraient fréquenter la filière plurilingue par
immersion français-breton en Bretagne, la métro-
pole Nantaise saura-t-elle enrichir ses indices de
qualité de vie avec cette opportunité patrimoniale ?
Les élus sauront-ils à terme transformer cette res-
source pour développer une politique linguistique
ambitieuse répondant aux critères des Métropoles
européennes les plus attractives et dynamiques ?
L’offre éducative fait partie des critères attractifs
essentiels d’un territoire à vocation moderne et du-
rable ; la politique d’apprentissage précoce multi-
lingue sera sans doute à terme un indice de qualité
de vie intellectuelle de la Métropole et de son ar-
rière-pays. La renaissance d’une langue régionale à
travers un projet pédagogique fort pour la popula-
tion jeune est aussi une marque démocratique d’un
territoire pleinement inscrit dans le XXIe siècle : le
langage est une expression culturelle propre aux
humains, toute langue qui disparaît est une perte
d’une partie de la mémoire de l’humanité.
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VISITE DULYCÉE INTERNATIONAL
Séance du 19 novembre 2014
Visite conduite par Chantal Levy, Proviseure
Les participants au groupe de travail "langues" aux-
quels se sont ajoutés de nombreux autres membres
du Conseil de développement ont effectué une visite-
découverte du nouveau Lycée Nelson Mandela, qua-
lifié aussi de "Lycée international".
Cette visite conduite par Mme Chantal Levy, Provi-
seure du Lycée, a permis de découvrir l'ensemble des
équipements de ce nouvel établissement
Ouvert depuis la rentrée 2014, l’établissement dis-
pose d’un internat et accueille 900 élèves venus des
lycées Vial et Leloup-Bouhier ainsi que 200 élèves de
seconde, en provenance des collèges du secteur. Il
comptera à terme, 1 600 élèves et souhaite garder
une dimension de "lycée de secteur".
Etablissement à forte dimension internationale, le
lycée propose déjà une section américaine et deux
bacs binationaux français-allemand (Abibac) et fran-
çais-espagnol (Bachibac). L’Abibac permet d’obtenir
le baccalauréat français et l’Abitur, son équivalent
allemand.
Pour la section espagnole, le BachiBac permet l’ob-
tention du baccalauréat français et du Bachillerato,
son équivalent espagnol.
L'établissement a vocation à accueillir aussi des élè-
ves étrangers, dont les parents viennent travailler pour
une durée plus ou moins longue à Nantes et dans la
région des Pays de la Loire. C’est l'occasion pour ces
élèves de profiter d’une scolarisation dans un établis-
sement français tout en gardant un lien avec leur lan-
gue et leur culture d’origine.
Des sections artistiques pour les musiciens et les dan-
seurs existent également dans cet établissement situé
à deux pas du conservatoire de musique.
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LE DÉVELOPPEMENTDES CAPACITÉS COGNITIVES
PAR L'APPRENTISSAGE PRÉCOCEDES LANGUES
Séance du 3 décembre 2014
Intervention de Gilbert Dalgalian, germaniste, docteur en linguistique et spécialiste en éducation multilingue
Après l’intervention : réflexions, commentaires et débats
D'abord pourquoi un apprentissage précoce ?
De toutes les situations d'apprentissage des langues,
c'est l'apprentissage précoce qui est à la fois le plus
formateur et le plus efficace : formateur dans toutes
les dimensions au bénéfice et non pas au détriment
de la langue première, ce qui veut dire au bénéfice
du français par exemple. C'est la base linguistique
qui permet à l'enfant les transferts les plus faciles et
les plus rapides ; il n'est pas forcément nécessaire de
mettre toujours l'anglais en apprentissage précoce, si
l'on est assuré que le bilingue français-breton ou
français-allemand apprendra aisément, et avec de
nombreux transferts, l'anglais en 3e langue, mieux
que son camarade monolingue apprenant l'anglais en
seconde langue. Il faut insister particulièrement sur le
fait qu'une seconde langue précoce favorise la maî-
trise de la langue première ou "maternelle". On peut
évoquer un fait vécu qui a valeur de constat sociolo-
gique. A l'occasion de ses conférences dans toutes les
régions françaises, Gilbert Dalgalian a constaté que
les auditoires sont presque toujours des parents d'élè-
ves qui viennent là pour se conforter dans l'idée
qu'ils ont bien fait de choisir une filière bilingue pour
leur enfant, ou qui veulent se renseigner avant de
prendre cette décision. Quel est le profil de ces pères
et de ces mères ? Il s'agit de 70 % de parents mono-
lingues francophones qui ont, soit perdu leur langue
d'origine, soit ne l'ont jamais reçue en transmission
familiale. Ce constat est indépendant de la région.
Ces parents ne se sont pas concertés entre eux. Ils ont
pourtant fait le même choix d'un bilinguisme précoce
pour leurs enfants. Il y a plusieurs leçons à tirer de ce
constat. D'abord, tous ont ressenti la perte de la lan-
gue régionale comme une perte inutile. Ensuite, ce
sentiment les a conduits à déléguer à la génération
suivante le devoir de réappropriation linguistique, ne
se sentant pas à même de réussir cela pour eux-mê-
mes. Enfin, en choisissant ici le breton ou ailleurs le
basque, l'occitan ou l'alsacien, ils n'ont pas fait le
choix d'éradiquer le français, mais au contraire de
permettre aux enfants de jongler avec les deux codes
et de les maîtriser d'autant mieux.
Les apports des apprentissages précoces de langues
Une langue précoce s'apprend à l'oral et seulement à
l'oral pour quelques années, à l'école maternelle. Ce
trait distinctif n'est pas anodin : il signifie que, grâce à
cette particularité d'un cerveau plus plastique et très
actif, l'enfant acquiert et construit à l'oral tous les
automatismes qui vont constituer les fondements des
deux langues, mais aussi du langage. Il apprend les
langues à l'âge du langage. Il faut insister sur les au-
tomatismes : comme dans beaucoup d'apprentissages
– le vélo, la natation, le sport, la musique instrumen-
tale, la conduite automobile – il y a une grande part
de gestes qu'il a fallu automatiser, car s'il fallait réflé-
chir avant de les performer, ce serait l'échec assuré.
Ces automatismes sont à tous les niveaux de la lan-
gue. D'abord au niveau des sons, car pour parler et
échanger il faut percevoir les phonèmes de la langue
et pouvoir les reproduire. Ce sont des automatismes
perceptifs et articulatoires/phonatoires (dans les ap-
/ 104 /
prentissages tardifs, c'est la principale et la première
difficulté parce que l'oreille n'est plus la même ;
pensons aussi à la difficulté pour une oreille euro-
péenne d'aborder une langue à tons comme le man-
darin ou le thaï). En outre, le très jeune enfant com-
mence très tôt à mettre en place le schéma moteur
de reproduction des sons et des mots, avec des er-
reurs et approximations au début, mais avec une
grande capacité à rectifier et à imiter les modèles de
son entourage.
"Tétine électronique" qui met en évidence que nous arrivons au monde avec une oreille universelle que nous perdons en sept ou huit ans.
Ensuite arrivent les automatismes les plus décisifs :
ceux qui concernent la morphosyntaxe, c'est-à-dire
la grammaire intériorisée par chacun de nous tout-
petits déjà. La preuve qu'il s'agit bien d'automatis-
mes c'est que lors d'un exposé, l'orateur est, comme
l'auditeur, concentré sur le message ; les conjugai-
sons, les prépositions, les temps des verbes, les fémi-
nins et les pluriels viennent se mettre automatique-
ment au service du message sans qu'il soit besoin de
contrôler les formes des phrases. Chez l'auditeur, le
décodage des verbes, des pluriels… se fait aussi de
façon automatique, car il est focalisé sur le message
et non sur les formes qui sont traduites automati-
quement. Ce qui signifie qu'ayant tous en commun
la grammaire du français, chacun dispose et cons-
truit les mêmes automatismes.
Le plus intéressant dans un apprentissage précoce,
c'est que la morphosyntaxe n'est pas la même dans
les deux langues : par exemple, le français et l'an-
glais ont un ordre des mots assez figé (sujet, verbe,
compléments) alors que le breton ou l'allemand
peuvent commencer la phrase par n'importe quel
complément. En allemand, parce que la fonction du
mot est indiquée par sa forme comme en latin.
Un autre avantage d'un bilinguisme français-breton
par exemple, c'est la présence d'un accent tonique
de mot (Trégonnec, Plogonnec), ce qui va faciliter la
maîtrise de l'accent tonique présent dans presque
toutes les langues : l'italien, l'espagnol, l'allemand,
l'anglais, le russe. Le français est une des rares lan-
gues sans accent tonique de mot. Cette maîtrise est
transférable lorsqu'on l'a automatisée tout-petit.
Des linguistes, notamment canadiens, ont introduit
le terme de "mémoire procédurale" pour désigner
Un exemple de POTENTIALITE: l�oreille
AIRES DU LANGAGE Coupe schématique du cerveau avec les aires de Broca et de Wernicke dont les fonctions sont très différentes : Wer-nicke est l'aire de la compréhension/production de sens – le "laboratoire du sens" – et Broca gère la mise en œuvre automatique des formes
/ 105 /
cette maîtrise des formes linguistiques. Certes, il s'agit
bien de procédures, mais s'agit-il de mémoire au sens
habituel de mémoire consciente ? Il s'agit plutôt d'au-
tomatismes de langage. Ce qui a l'avantage de souli-
gner une forme de maîtrise qui ne fait pas appel à
une réflexion préalable. Ou alors il s'agit d'une forme
de mémoire très réflexe. La sémantisation des mots
est doublement favorisée quand il y a deux entrées
lexicales pour un même concept. Ce qui va être à
l'œuvre en permanence dans les filières bilingues où
les matières sont enseignées alternativement dans les
deux langues et où les mots sont formés différemment
selon la langue pour désigner un même objet ou
concept. Par exemple, géographie se dit en allemand
Erdkunde, ce qui est plus simple et plus explicite au
premier coup d'œil : Kunde = le savoir, Erd = la terre.
La science de la terre. Quadrilatère se dit Viereck : le
4 angles … Encore plus savant et sophistiqué est le
mot "sphincter" qui se dit en allemand Schliess-
muskel, c'est-à-dire un muscle de fermeture, ce qui
permet de comprendre immédiatement la fonction et
de l'élargir à la bouche et aux yeux qui ont aussi leurs
sphincters. Là où l'anglais et le français ont des mots
synthétiques, l'allemand recourt à des mots construits
à partir d'autres mots. C'est un double bénéfice
quand il s'agit de construire en classe les significa-
tions, les concepts des différentes disciplines à l'aide
des deux langues d'enseignement. Un autre avantage
capital réside dans les doubles compétences textuel-
les des bilingues. Certes, les structures du récit, de la
description et de l'argumentation ont beaucoup de
points communs, voire identiques, d'une langue à
l'autre. Mais les rhétoriques peuvent différer, parce
que cela est déjà culturel : qu'on pense à la structure
des Mille et une nuits qui a des points communs avec
nos contes et légendes, mais aussi tant de différences
liées aux cultures de l'Orient. Ainsi le bilingue a ac-
cès à deux mondes culturels, des modes d'interaction
plus riches, et l'expérience d'environnements plus
variés. Enfin et ce n'est pas le moindre avantage : le
bilingue ayant déjà fait deux fois l'expérience de
l'acquisition linguistique, celui permet d'avoir des
stratégies plus diverses dans sa panoplie lorsqu'il va
aborder d'autres langues. C'est le phénomène des
transferts multiples et rapides. La langue, c'est la vie,
c'est la culture. Mais deux langues ou trois, c'est une
plus grande richesse de vie, une plus grande richesse
de cultures.
A RETENIR
L’avenir de l’enfant est très dépendant de son éduca-
tion pendant la petite enfance et la maîtrise des lan-
gues en est la clef universelle et indispensable. Celle-
ci commence par une exposition aux sons des cultu-
res du monde. Le petit homo sapiens fait alors un
raccourci en quelques mois de ce que l’horloge hu-
maine a mis des centaines de milliers d’années à maî-
triser. L’immersion précoce est donc la clef du pluri-
linguisme pour vivre au cœur de la connaissance
humaine en fonction des langues nécessaires au dé-
veloppement personnel et collectif.
/ 106 /
L'ADAPTATION DU CERVEAU
A la naissance, le cerveau humain est ouvert à tous
les sons audibles. Si cette ouverture n'est pas sollici-
tée avant 3 à 4 ans, les choses sont irréversibles. Le
problème est d’autant plus important pour les fran-
çais que leur langue est pauvre en hauteur et mélo-
die par rapport à d’autres langues européennes.
L’aire de Broca, explicitée par Gilbert Dalgalian, se
constitue en fonction de chaque langue, d’où la dif-
ficulté, en cas d'apprentissage tardif, de développer
une pratique similaire aux natifs des langues étu-
diées. La masse de cette aire de Broca est plus im-
portante en fonction du nombre de langues apprises
et pratiquées. D'où l'intérêt de l'apprentissage pré-
coce.
L’aire de Wernicke est le siège de l’interprétation.
Quel que soit le nombre des langues, le même Wer-
nicke est activé.
La relation entre les deux canaux est ce qu'on ap-
pelle "le faisceau arqué".
Si les aires Broca (expression et automatisme) ou
Wernicke (compréhension) sont touchées par des
lésions, leur fonction peut être récupérée sous forme
de rééducation, celle qui consiste à construire une
zone de substitution.
LES MÊMES AIRES POUR TOUTES LES FORMES DE
COMMUNICATION PAR CODE LINGUISTIQUE ?
La langue morte ?
C’est une langue et son apprentissage doit répondre
aux mêmes critères que toute autre langue, si celle-
ci est considérée comme l’une des langues d’ap-
prentissage précoce. Elle est dans ce cas une langue
de communication et d’enseignement de disciplines
autres que littéraires. Même en absence d’oralité
sociale, c’est bien l’aire de Broca qui va être sollici-
tée.
La langue des signes ?
C’est une aire spécifique du cerveau qui se construit
après la naissance, l’aire de l’écrit : le gyrus angu-
laire. Elle est située entre le centre visuel et l’aire de
Wernicke. Elle est fortement sollicitée dès l’âge de 5
ans ; c’est l’aire de l’articulation entre l’écrit graphe
et la production du son. Là encore, l’apprentissage
précoce est un avantage pour la maîtriser pleine-
ment. On constate aussi que la zone du cerveau
pour la perception auditive est annexée par la per-
ception visuelle.
La musique ?
L’aire de Broca gère aussi les calculs exacts et les
sons mélodiques d’où le succès des bilingues en
mathématiques observé dans les tests d’évaluation
scolaire. La défaillance en mathématiques selon des
objectifs académiques est une question de facteurs
complexes et n’est pas liée à la seule aire de Broca.
L'ORALITÉ : LA CLEF UNIVERSELLE DE L'APPREN-
TISSAGE PRÉCOCE
L’écrit, dans l’horloge de l’humanité, arrive tout juste
hier. L’oral est la structure fondamentale de l’éduca-
tion de l’homo sapiens depuis des centaines de mil-
liers d’années. Chaque enfant fait en raccourci ce
parcours et l’oral est fondateur dans l’acquisition de
la culture de l’homo sapiens. Ceci explique le plai-
doyer de l’immersion précoce dès les premiers jeux
linguistiques du jeune homo sapiens.
Cette immersion précoce est aussi indispensable
pour les français qui ont une difficulté supplémen-
taire pour les langues à tons qui affichent une autre
dimension du son (ex du mandarin).
QUE VEUT DIRE PRÉCOCE ?
La notion de précocité s'établit au plus tard dès la
maternelle et avant 6 ans. C’est l’âge de la fonction
du langage chez l’enfant, de la manipulation des
symboles, du jeu avec les codes de communication.
Au-delà de cet âge commence le… tardif .
Quelques ouvrages de Gilbert Dalgalian :
- Enfances plurilingues, Ed l'Harmattan, 2000
- Reconstruire l'éducation : ou le désir d'apprendre, Insti-tut de recherches FSU/éditions du temps
- Apprentissage et enseignement des langues dans le con-texte des villes jumelées, La documentation française, 2004 (Avec Jacqueline Feuillet et Héléna Kalve)
/ 107 /
PRÉCONISATIONS POUR UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE DE LA MÉTROPOLE :
UN SERVICE PUBLIC LOCAL
Ces préconisations s'appuient sur plusieurs fondamentaux recensés au fil des débats du Con-seil de développement. Elles sont énoncées sous forme de principes généraux qui sont de na-ture à constituer l’ossature d’une ambitieuse politique linguistique de la métropole nantaise.
Exposer l’enfant le plus tôt possible au plurilinguisme
Construire un projet pédagogique pour tous les enfants de la crèche jusqu’au lycée
Hausser le niveau, hausser les moyens pour une politique publique ambitieuse
Valoriser toutes les langues et leurs cultures dans ce projet pédagogique
Poser l’apprentissage précoce des langues comme principe éducatif de base pour les ci-toyens de ce siècle et un point de passage obligé pour garantir une carrière réussie
Encourager la mobilité-agilité physique, linguistique et culturelle pour en faire un atout personnel collectif prioritaire
/ 108 /
Favoriser la reconnaissance des langues et cultures minoritaires des territoires et régions de la République
Conforter la spécificité du développement des filières bilingues bretonnes sur la métro-pole nantaise
S’appuyer sur des personnes ressources pour établir un programme de pratique de bilin-guisme sur une durée de séquences longues avec le concours de l’offre associative ex-perte (Emuli, Diwan...)
Élargir la formation pédagogique à l’ensemble du personnel au contact des enfants en sensibilisant ces acteurs du quotidien à l’utilisation de leurs langues natives
Mettre au point des outils d’évaluation des modalités d’attribution de postes des ensei-gnants
Répondre rapidement et efficacement aux demandes des familles non francophones (ou pas) pour obtenir la mise en oeuvre d’une offre d’apprentissage précoce plurilingue sur leur secteur académique
Relancer les jumelages sur la base de projets de bilinguisme dans chacun des territoires concernés et permettant des échanges multiples et à diverses échelles : rural-urbain, mé-tropoles-villes moyennes...
Valoriser l’expertise universitaire et académique sur la didactique de l’apprentissage pré-coce des langues.
/ 109 /
EN GUISE DECONCLUSION
Quelques enseignements à tirer pour le groupe de travail
Les participants et intervenants de cette séquence de travail du Conseil de développement ont mis en lumière
une lacune fondamentale : la difficulté de l’Education nationale à intégrer les expériences de tous les pays mo-
dernes qui démontrent pourtant que l’apprentissage précoce des langues et un cursus en plurilinguisme sont des
facteurs de progrès économique, social, culturel.
Il existe des filières qui ont fait leur preuve et qui permettent de poser les jalons d’une politique d’enseignement
plurilingue répondant à des objectifs de formation citoyenne et d’efficacité académique.
Le groupe de travail a validé la méthode de l’immersion à adapter aux publics d’âge en la fondant sur deux
principes :
• hausser les moyens, pour hausser les objectifs
• mettre le niveau d’exposition des apprenants en heures au niveau des objectifs de pratiques de la langue
étrangère pour ne pas les handicaper dans leur mobilité tant scolaire que professionnelle future.
Les thématiques à approfondir
Pour l’accueil des étrangers comme pour celui des immigrés, les bases de l’apprentissage des langues partent
des mêmes constats de diagnostics formulés lors du lancement du groupe, il faut se donner comme objectifs
une égalité d’accès à l’apprentissage de qualité de langues afin que par l’apprentissage du français :
- les familles étrangères expatriées n’aient pas d’appréhension à séjourner et que leurs enfants continuent à
avoir une éducation qui ne les coupe pas de leurs racines maternelles
- les immigrés et réfugiés puissent participer pleinement à la vie citoyenne française et assumer leur rôle de
parents dans le cadre des interactions avec l’école.
Les "langues de Nantes" sont aussi au service d’une politique d’apprentissage précoce :
- pour profiter des ressources humaines, issues de pays étrangers ou de territoires français ayant une langue
locale, présentes sur la Métropole, il pourrait être mis en place, avec l’apport de l’Université, une formation
spécifique pour le personnel enseignant et un programme "langues de Nantes" répondant aux demandes des
familles
- pour valoriser les différentes cultures régionales ou des familles immigrées et permettre à leurs membres vo-
lontaires de se qualifier dans des fonctions de soutiens pédagogiques pour les communautés de leur langue
maternelle
- pour les familles étrangères, offrir aux mamans et à des étudiants des pays concernés de pouvoir se former
aux publics écoliers qu’ils soutiendront dans leur cursus scolaire "international".
/ 110 /
Il existe donc deux familles de public d’apprenants : ceux qui sont concernés par l’apprentissage précoce des
langues, c'est-à-dire par une exposition de plus de 5 heures en classe avec l’objectif d’une méthode d’immer-
sion généralisée, et ceux qui doivent améliorer ou apprendre rapidement une langue qui leur est étrangère pour
des raisons de mobilité imposée ou volontaire.
La question des "langues" doit donc être partie intégrante des politiques publiques liées au rôle international
que joue une métropole multi-scalaire et multi-culturelle, à la fois en matière d’attention aux langues régionales
et à l’accueil des réfugiés et immigrés (de plus en plus souvent ayant eu une éducation urbaine, voire métropoli-
taine) résidents sur son territoire. Cette thématique des langues est aussi un facteur d'attractivité pour les acteurs
des échanges mondiaux : séjour de managers ou chercheurs de pays étrangers et français intégrés dans des ser-
vices d’exportation.
A Nantes, la filière bilingue français-breton constitue une expérience réussie sur laquelle on pourrait s’appuyer
pour mettre en oeuvre une structure de type "Agence d’ingénierie" pour l’enseignement précoce des langues. En
combinant expérience associative et expertise universitaire, un pôle opérationnel pourrait ainsi voir le jour pour
créer un service public d’apprentissage précoce des langues sur la base des recommandations issues des cursus
européens.
Pour poursuivre :
L'ouverture d'une réflexion au sein du Conseil de développement a suscité de l'intérêt par sa fréquentation qui
mérite néanmoins d'être élargie.
Pour poursuivre le travail engagé, plusieurs points sont à prendre en compte :
• la nécessité d'ouvrir davantage la réflexion sur les langues à la fois à l'intérieur du Conseil de développe-
ment et avec des acteurs extérieurs
• la nécessité de mieux lier la question des "langues" à l'évolution des échanges économiques mondiaux.
Cela pourrait se traduire par deux nouveaux sujets à définir plus précisément :
• Nantes terre d’accueil aux voyageurs de la planète
• Nantes pôle international plurilingue d’affaires matérielles et immatérielles.
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ANNEXES / ANNEXE 1Contribution d’André-Hubert Mesnard - 22/10/10
LANGUE(S), CULTURE(S) ET IDENTITÉ(S)
Dans les bons lycées classiques d’Alger, avant la guerre d’indépendance de l’Algérie, et comme cela se passait
à Bordeaux, à Grenoble ou à Marseille, on « faisait » du latin, de l’anglais, de l’allemand et de plus, à partir de
la quatrième, du grec ou une deuxième langue vivante. C’est à ce titre seulement, éventuellement, que l’on
pouvait choisir l’arabe. Comme cette dernière langue n’était pas non plus enseignée dans les écoles primaires,
elle n’était finalement connue que des arabophones, à une petite minorité « européenne » prés, celle qui vivait
au contact des ruraux des périphéries urbaines et pouvaient ainsi la pratiquer. Ainsi dans les écoles et les lycées,
nos camarades arabophones avaient le privilège de connaître une langue de plus, ce qui ne les empêchait pas
de pratiquer, parfois mieux que nous, le français. A coté de ce système « français » de droit commun, il y avait
certes un enseignement arabe traditionnel dans les écoles coraniques et les médersas, auxquelles avaient seuls
accès les musulmans.
C’était cela l’instruction publique et l’éducation de la jeunesse à Alger et dans toutes les grandes villes d’Algé-
rie, sous les troisième et quatrième Républiques, pour les millions de jeunes des départements algériens. Cela a
durablement laissé à beaucoup un goût de « trop peu » et un regret quasi définitif de ne pas savoir, et de ne pas
pouvoir, parler ni comprendre la culture d’autrui, son voisin.
Cette analyse schématique peut-elle amener les français d'aujourd’hui, 50 ans après l’indépendance de l’Algé-
rie, à revoir leur approche des langues et des cultures régionales et minoritaires en France ?
La France actuelle comprend quelques millions de citoyens d’origine maghrébine, de la première, de la se-
conde ou troisième génération, sans oublier ceux qui sont d’origine turque ou d’un autre pays du Moyen–O-
rient, les kurdes par exemple ou les libanais. Cet afflux de minorités du sud de la Méditerranée est assez récent,
même pour les nord-africains. Il est à peu prés concomitant de la guerre d’Algérie et de l’indépendance, sans
être nécessairement lié à ces événements forts et traumatisants. On rappellera que la plupart des travailleurs
nord-africains ont été appelés en France par et pour le développement économique sans pareil des « trente glo-
rieuses ».C’est un fait qu’environ un français sur dix provient actuellement de cette origine, auxquels s’ajoutent
d’autres immigrants, généralement plus récents, de même provenance venus pour quitter la misère de leur pays
d’origine, sa ruine politique, et rejoindre sinon le mirage français, tout au moins tel ou tel membre de leur fa-
mille déjà implanté en France, et l’espoir d’une formation et d’un travail. Ces chiffres importent peu d’ailleurs et
sont difficilement vérifiables, les fichiers ne pouvant pas faire état de la provenance ethnique ou religieuse, ou
encore de la langue maternelle, des personnes. Retenons seulement, à titre anecdotique, que le pourcentage
atteint par ces minorités en France est assez semblable à celui que représentaient les populations d’origine eu-
ropéenne en Afrique du Nord dans les années cinquante, dans un contexte certes très différent.
La langue parlée est un élément essentiel du statut effectif, culturel, matériel et socio-économique d’une popu-
lation. Elle joue, c’est vrai, un rôle important dans la bonne intégration dans la société d’accueil. Aussi est-il
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nécessaire que notre langue soit fortement proposée aux arrivants, et encore plus à leurs enfants qui prétendent
à la citoyenneté, ou en ont hérité. Mais il faut aller plus loin. Considérant que le multilinguisme est une ri-
chesse, comme la diversité culturelle, il faut porter une attention particulière aux langues maternelles de ces
nouveaux arrivants, qui arrivent avec une identité, et une culture, et ne doivent nullement avoir à y renoncer
pour faciliter le succès de leur nouveau parcours et l’acquisition de leur nouvelle identité. Leurs enfants aussi
doivent pouvoir parler correctement leur langue maternelle, celle de leurs parents et de leurs grands-parents.
Cela renforcera les liens familiaux, toujours utiles et nécessaires à un bon épanouissement et une bonne éduca-
tion dans quelque pays que ce soit. Ils connaîtront ainsi leurs premières racines et une partie importante de leur
identité, au lieu de fantasmer dessus, et de se contenter de rechercher leur identité, et la langue qu’on ne leur
aura pas apprise, dans des pratiques marginales, voire dans une conception extrême de leur religion, qui leur
servirait de « grand tout » culturel et d’unique repère culturel et identitaire.
En acceptant de prendre en compte les langues d’origine on s’apercevra d’ailleurs de leur multiplicité, et donc
des différences entre ces langues minoritaires : l’arabe classique n’est pas l’arabe parlé, et c’est une très belle
langue d’une extrême richesse littéraire, qui permet certes de lire le Coran, mais aussi toute une vaste littérature
ancienne et contemporaine (la presse par exemple) provenant d’une vaste partie du monde. C’est d’ailleurs aus-
si la langue de minorités chrétiennes fort cultivées, au Liban, en Syrie, en Palestine, en Egypte, en Irak et
ailleurs. D’autres parties importantes de ces populations immigrées ne parlent d’ailleurs pas l’arabe, mais les
langues berbère, turque, kurde… qui ne sauraient être négligées ni confondues.
Sans doute convient-il alors de proposer, chez nous, c'est-à-dire chez eux, aux parents et surtout aux enfants
intéressés, de pouvoir suivre, sérieusement et durablement, un enseignement de leur langue maternelle, ou de
celle de leurs parents, dès les classes maternelles et les crèches. Pour les jeunes, ces enseignements viendraient
en plus du cursus normal, l’arabe ou la langue d’origine pourrait cependant remplacer l’apprentissage d’une
autre langue, étrangère ou régionale, en deuxième ou troisième langue. Actuellement, quelques enseignements
d’arabe sont proposés dans quelques établissements, mais en nombre très insuffisant, donnés par trop peu de
professeurs de langues ayant un statut d’enseignant de l’Education nationale (à chaque niveau de l’instruction
publique). On ne saurait se contenter durablement d’enseignants vacataires et contractuels, en trop petit nom-
bre, recrutés pour faire quelques cours dans quelques établissements, par exemple choisis parmi des boursiers
de l’enseignement supérieur, souvent venus de l’étranger. A défaut de l’organisation et de la banalisation de cet
enseignement officiel, il y a, et il y aura, de plus en plus d’enseignements délivrés dans des établissements con-
fessionnels, ou dans les centres culturels annexes des mosquées, voire par des groupes incontrôlés.
Ajoutons aussi tout de suite que l’apprentissage de la langue (et de la culture) des minorités nationales doit tout
autant être proposé aux autres jeunes français, au même titre que l’italien, l’allemand, l’espagnol, le portugais et
l’anglais ou autres langues de nos concitoyens européens. Pour bien se connaître, et se reconnaître, et même
bien connaître sa propre identité, il convient de connaître l’identité de l’autre. Ceci s’impose d’autant plus lors-
que celui-ci est un concitoyen. Car derrière la langue il y a la littérature, l’histoire, la civilisation. Ce débat sur
les identités, nationales, minoritaires et autres, est un débat essentiel et sans fin. Le débat est délicat, mais le
refus de débattre entretient les peurs, les replis ; c’est d’ailleurs parfois un aveu de faiblesse. Ainsi derrière la
langue maternelle il y a aussi le débat sur les identités.
De quoi sont faites nos identités ? Disons tout d’abord qu’elles ne sont pas monolithiques, mais variées à l’infi-
ni. Elles existent, très fortement. On les ressent, on les recherche, on s’en prévaut. On est fortement renvoyé à
son identité nationale lorsque l’on vit à l’étranger, et ceci même lorsque l’on s’en défend. On s’inquiète et on
s’interroge en permanence sur l’identité d’autrui, pour l’approcher, travailler, vivre en bonne entente ou intimité
avec lui. Mais qu’est-ce que l’identité ? Pas plus que la culture l’identité n’est définie en droit positif, dans notre
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code administratif par exemple. Par contre la carte d’identité est une réalité administrative, ainsi que les élé-
ments de notre identité : nationalité, domicile, âge, sexe et patrimoine, profession, statut matrimonial. Il s’agit
d’abord pour l’administration d’une identification précise à travers des éléments importants de notre personne,
de nos moyens et de notre existence. C’est pour l’administration un travail de mise en fiches (certes) et de mise
en cartes pour saisir et gérer la réalité, pour organiser notre place dans la totalité de la société, et nous prendre
en charge.
Mais, pour nous-mêmes, en notre for intérieur, quelle est la réalité de notre identité ? C’est notre personnalité
qui répond à la question de savoir qui nous sommes. Cette identité personnelle est multiple, forte, évolutive.
Faite aussi d’aspirations, elle est en devenir, mais elle repose aussi sur un passé plus ou moins connu, reconnu,
et sur la certitude ou l’espoir d’être ou de devenir ceci ou cela. On doit pouvoir changer de profession, de lieu
de résidence, voire encore de citoyenneté en émigrant à l’étranger, voire de confession, tout en restant nous-
mêmes, au fond de nous-mêmes. Ainsi l’identité est aussi faite de la certitude de pouvoir se construire, voire en
jouant sur les mots, de se « déconstruire » et reconstruire. Tout homme porte ainsi son identité avec lui, où qu’il
soit. Il a ses racines identitaires, personnelles, en lui-même. C’est du moins ce que nous croyons, dans une con-
ception fortement individualiste de la personne. Mais il y a d’autres éléments d’identité, plus collectifs, voire
communautaires, très prégnants qui laissent en nous la marque d’un certain contrôle social, et d’une réalité
culturelle : la famille, la religion, le pays, au sens braudélien (auvergnat, gascon, de tel ou tel pays…) (1)… On
ne peut pas vivre pleinement sans une identité bien établie, et reconnue, faite de plusieurs liens, et de plusieurs
volets. Il faut les connaître, voire les accepter, pour être conscient et libre, y compris à leur égard.
Ainsi que l’on soit réfugié, apatride, ou immigré, ou simplement résident étranger comme nous en avons fait
l’expérience, on cherche tout d’abord à acquérir des « papiers »d’identité, sans lesquels on vit sous un masque,
sous un camouflage de tous les jours, dans la clandestinité. Mais ces papiers ne sont qu’une étape vers la
(re)constitution d’une véritable identité, pleine, entière, mais peut-être composite. C’est cette reconstitution qui
est le gage d’une bonne acceptation réciproque, d’une bonne « intégration ». Cette intégration n’est pas « assi-
milation », mais pourra, éventuellement le devenir.
Et l’on rencontre ainsi et aussi la question des minorités. Celles-ci peuvent être régionales, c'est-à-dire géogra-
phiques et historiques, culturelles et parfois linguistiques. C’est en France le cas de la Bretagne, de la Corse, de
l’Alsace, du pays Basque, et d’autres cas moins caractérisés, qui peuvent d’ailleurs poser des questions de déli-
mitation, à leur périphérie. Se posent des questions de statut des langues régionales, ou encore, éventuellement,
d’autonomie administrative. Ces questions sont connues, débattues et prises en compte dans un débat politique
et juridique à présent très ouvert. Le débat régional est d’abord un débat constitutionnel interne, comme en té-
moignent la diversité des solutions retenues par la France, l’Italie ou l’Espagne. Ces deux derniers pays recon-
naissent bien mieux les spécificités régionales, parce qu’ils n’ont pas du tout connu le même passé, volontaire-
ment unitaire, que la France.
Mais les minorités n’ont pas toutes un ancrage territorial bien affirmé. En France les roms, les tziganes, et autres
gens « du voyage » partagent une volonté très forte de liberté à l’égard de tous liens territoriaux, et il parait ce-
pendant difficile de nier leur particularisme culturel, historiquement consacrée. Leurs communautés se retrou-
vent de façon assez semblable sur l’ensemble des territoires de l’Union européenne et au-delà, nécessitant une
reconnaissance particulière.
Les populations arabophones et les autres minorités linguistiques disséminées sur le territoire national peu-
vent-elles se prévaloir également d’un statut ? Ce n’est sans doute pas leur prétention ce qui ne veut pas dire
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qu’elles ne posent pas de problème minoritaire spécifique, appelant éventuellement des politiques publiques
spécifiques.
Au-delà du débat régional interne, les droits culturels des minorités sont à présent bien étudiés et reconnus aux
niveaux mondial et européen. Au regard du droit international et du droit européen les droits des minorités ten-
dent de plus en plus à influer sur les pratiques souveraines des Etats, pas toujours consentants(2). La reconnais-
sance des droits culturels individuels entraîne la reconnaissance de la diversité culturelle, de l’identité culturelle
et donc des minorités culturelles, tant sur le plan universel que sur le plan européen.
Désormais l’UNESCO affirme que toutes les cultures font partie du patrimoine commun de l’humanité (Déclara-
tion des principes de la coopération culturelle internationale, article 1°). L’affirmation est développée en 2001
dans la déclaration sur la diversité culturelle. Les Etats sont donc redevables de ce patrimoine commun, riche
de sa diversité, devant la communauté mondiale. La France, qui participe à l’ONU, et soutient fortement l’ac-
tion de l’UNESCO(3) n’a cependant toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minori-
taires, du Conseil de l’Europe en 1992, qui considère que les langues régionales et minoritaires font partie de la
richesse culturelle de l’Europe, et rappelle « le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la
vie privée et publique ».
Voila d’ailleurs un beau et vrai débat national à mener, que celui qui porterait sur l’identification , l’ampleur, les
caractéristiques, et les souhaits des minorités nationales, cherchant leur place dans la nation : qu’elles fussent
régionales et historiques, linguistiques, avec ou sans attache territoriale. Mais l’idée même d’un tel débat fait
peur à beaucoup.
Mais ces relations entre le pouvoir autonome et les identités se posent elles dans les mêmes termes pour les
diverses minorités et les diverses confessions ? Les aspirations des identités à une totale reconnaissance ne sau-
raient faire oublier l’idéal de l’autogouvernement de la nation (par rapport aux religions par exemple), avec ses
dimensions d’unité collective et de "généralité publique" (4), nécessaires fondements communs de la société,
propres à tout gouvernement démocratique, fondé sur le respect intégral des droits de l’homme (et des femmes).
Ainsi la place et les liens respectifs des identités, des langues, des minorités ne peuvent pas cesser d’évoluer.
Pour cela il convient d’en parler et d’aller vers une large reconnaissance.
N.B. "Pour Nantes une bonne façon de faciliter la reconnaissance et l'intégration linguistique et culturelle des minorités serait de prévoir un nombre suffisant de crèches bilingues là où il y aurait une demande significa-tive. Des enseignants devraient également être recrutés en nombre suffisant dans les établissements primaires et secondaires. Tout ceci en collaboration avec l'Education nationale, bien évidemment, mais également dans le cadre de programmes spécifiques des collectivités territoriales compétentes. Ce bilinguisme permettrait une meilleure maîtrise... de la langue française !"
(1)Fernand Braudel, "L’identité de la France, Espace et histoire", Arthaud-Flammarion, Paris 1986.
(2)Sur cette question lire de Alain Fenet "Droits culturels et communauté mondiale", in "l’homme, ses territoires, ses cultu-res", dir.J.Fialaire et E.Mondielli, JGDJ 2006, p. 247 et s.
(3)Comme le montrent les déclarations du président Chirac lors de la réception des peuples amérindiens , le 25 juin 2004, et à la 32° Conférence générale de l’UNESCO à Paris, le 14 octobre 2003, citées par Alain Fenet , op. cit.p.260 et 261
(4)Pour reprendre les termes de Marcel Gauchet dans sa conclusion de "La religion dans la démocratie" Gallimard 1998
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ANNEXES / ANNEXE 2Les accueils linguistiques
Comment aider de jeunes étrangers au bilinguisme, une autre façon de vivre le bilinguisme en France
Témoignage de Katia BRIAND
Les familles sont souvent à la recherche de formules d'échanges ou d'accueil de jeunes étrangers. Elles peuvent
trouver toute l'information nécessaire auprès de structures comme la Maison de l'Europe ou le centre culturel
franco-allemand. À titre d'exemple, est présenté ici le témoignage de Katia Briand, de l'association WEP2.
Des initiatives se développent sur la métropole nantaise pour découvrir une autre langue et développer ses
compétences linguistiques. Nous pensons le plus souvent aux cours de langues, aux écoles et aux crèches bi-
lingues. Des ateliers à destination des enfants et des adultes, sous diverses modalités pédagogiques et ludiques,
sont aussi mis en place.
Afin de permettre à leurs enfants d’améliorer leurs capacités linguistiques, les parents ont également le réflexe
des séjours linguistiques à l’étranger. L’immersion semble en effet la meilleure méthode pour progresser plus
rapidement.
Cependant, toutes les familles ne peuvent pas bénéficier de ces opportunités. L’accueil linguistique en famille
est alors une alternative intéressante. C’est aussi un moyen de participer au développement du bilinguisme des
jeunes étrangers et de participer au rayonnement de la langue française.
De plus, cette alternative apparait intéressante pour les territoires et notamment pour la métropole nantaise en
termes d’image à l’international. Une personne qui aura découvert la France en séjournant à Nantes et dans la
région pourra en parler dans son pays d’origine, décider de venir s’installer sur place ou avoir le réflexe
d’échanges professionnels lors de sa future carrière professionnelle.
Nantaise d’origine et de retour aux sources depuis quelques années, je porte un vif intérêt au bilinguisme, au
multilinguisme, notamment précoce, et m’inscris dans le développement de différents projets sur la métropole.
Après avoir passé quelques années à accompagner les jeunes Français en séjours linguistiques vers les pays an-
glophones, j’ai tenté l’expérience de devenir famille d’accueil pour les lycéens étrangers désirant découvrir no-
tre pays et notre culture. Attachée à ma région et à ma ville, j’ai eu très à cœur de partager ce qui fait notre spé-
cificité pour donner l’envie de revenir et encourager leur entourage à venir également. Je suis coordinatrice lo-
cale pour l’association WEP3 afin d’aider d’autres familles et d’autres jeunes à vivre la même aventure. Je suis
persuadée que plus les échanges entre les personnes de différentes origines se multiplieront, plus nous serons à
même de nous comprendre et de mieux vivre ensemble.
Ainsi, l’association WEP propose différents types d’accueil avec toujours comme ligne directrice le partage, la
découverte, les échanges :
• le programme scolaire
• le language buddy
• les séjours "à la ferme" ou "en centre équestre"
• les stages
• les assistants scolaires.
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L'ASSOCIATION
Le 9 septembre 1988 marqua la naissance d’un rêve un peu fou de deux jeunes Belges. WEP voyait le jour en se
concentrant sur l’envoi de jeunes Belges comme élèves-échanges aux Etats-Unis. Après 5 ans d’existence,
l'équipe s'agrandit et WEP s'est installé dans la capitale belge. Le succès des formules proposées par WEP est
grandissant, d’autant plus que la réputation s’est vite établie.
Après les programmes scolaires, les projets de jobs, stages ou volontariats, WEP propose à partir de 1998 des
séjours linguistiques. L’évolution et la croissance de WEP n’ont pas cessé et l'association étend son réseau inter-
national pour ouvrir un bureau en Australie, en Argentine avant d'entamer l'aventure en France. En septembre
2006, WEP implante son premier bureau français à Lyon puis en septembre 2008 à Paris. L’envie de nouveaux
projets, d'innover et de rechercher des formules adaptées aux aspirations des nouvelles générations reste encore
aujourd'hui présente au cœur de l’équipe WEP. WEP est présente sur les territoires au plus près des familles par
le biais d’un réseau de coordinateurs locaux.
LES DIFFERENTS PROGRAMMES D’ACCUEIL
Le programme scolaire est le plus prisé des jeunes étrangers qui souhaitent partager la vie d’une famille fran-
çaise et la vie au lycée. Ainsi, le jeune est accueilli comme un véritable membre de la famille et va développer
ses compétences linguistiques. La famille profite également de ces échanges pour découvrir une autre culture et
mettre en parallèle les façons de vivre.
Qu’est-ce qu’une famille d’accueil ? Les familles d’accueil WEP sont des personnes chaleureuses, curieuses,
ouvertes, tolérantes et désireuses de découvrir une autre culture, un autre style de vie, un autre mode de pen-
sée, d’autres traditions et habitudes. Les familles d’accueil WEP veulent découvrir "autre chose", elles veulent en
quelque sorte "voyager dans leur fauteuil". Être une famille d’accueil signifie ouvrir son foyer et proposer son
mode de vie à un élève d’un pays étranger. Les familles hôtes agissent comme les parents naturels de l’élève
étranger. Celui-ci devra faire les efforts nécessaires pour s’adapter à leur style de vie, aux habitudes et aux règles
de la famille. Le jeune fréquentera quotidiennement une école secondaire (collège ou lycée en fonction de
l'âge, du niveau de français, de la disponibilité, etc.) de la région nantaise. Jour après jour, la famille aura l’op-
portunité de découvrir les différences entre cultures. Ce sera l’occasion de nouveaux sujets de conversation.
Qui peut devenir famille d’accueil ? Ces familles d’accueil viennent de tous horizons. Qu’elles aient des en-
fants ou non, que les enfants soient plus âgés ou plus jeunes que l’élève-échange, qu’elles soient un couple
jeune ou plus âgé, un parent seul avec un ou plusieurs enfants, qu’elles habitent dans une maison ou un appar-
tement, en ville ou à la campagne, elles peuvent accueillir ! Dans la sélection d’une famille, WEP donne la
priorité aux qualités suivantes :
• le désir réel et profond de s’impliquer dans l’expérience de l’accueil
• le respect des normes usuelles de moralité
• le respect des normes usuelles d’hygiène.
Qu’est-ce qu’un élève-échange ? C’est un jeune qui souhaite s'ouvrir à des valeurs nouvelles, qui a envie de se
forger le caractère et de consolider sa capacité d’adaptation et d’interaction avec les autres. C’est aussi un élève
qui envisage sérieusement son avenir et qui veut connaître parfaitement notre langue en la pratiquant d’une
manière constante. Les élèves échanges de WEP sont âgés de 15 à 19 ans et viennent d’Europe (Est/Ouest), des
Etats-Unis, d’Australie, du Brésil, d’Argentine, du Venezuela, du Mexique… Les élèves qui viennent dans notre
pays ont délibérément fait le choix de venir en France ; C’est notre culture qu’ils ont envie de connaître. Il ne
nous reste donc qu’à leur faire honneur !
Pour être accepté dans le programme d’accueil WEP France, le candidat "échange" doit posséder les qualités
suivantes :
• avoir une maturité certaine
• être prêt à s'ouvrir à l'inconnu
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• être apte à séjourner dans un pays étranger durant une longue période
• être capable d'accepter des différences culturelles sans aucun préjugé
• avoir un certain dynamisme et enthousiasme
• avoir conscience des efforts consentis par les familles d'accueil, savoir montrer du respect et de la recon-
naissance
• s'avoir s'intégrer à un groupe
• avoir des résultats scolaires satisfaisants (et un niveau intermédiaire en français).
POURQUOI ACCUEILLIR ?
Grâce à l’accueil, les familles WEP vont :
• découvrir un monde inconnu à travers la personnalité d’un jeune étranger désireux de s’ouvrir l’esprit
• comprendre et percevoir un mode de vie et une façon de penser différents
• enrichir la famille sur le plan humain
• établir des relations humaines durables
• avoir une meilleure connaissance des difficultés rencontrées par un jeune élève séjournant à l’étranger, ce
qui vous permet d’envisager différemment la même expérience pour ses propres enfants
• donner une chance à un élève de découvrir notre pays, notre culture
• permettre à cet élève d’apprendre efficacement notre langue
• donner, au travers de notre vie quotidienne, une image réelle de la France et mieux faire connaître notre
pays et également notre région, notre ville à travers le monde.
Le programme de l'Association WEP France est basé sur le principe du bénévolat des familles d'accueil. Le but
est de donner aux familles d'accueil l'opportunité de partager leur vie quotidienne avec des lycéens étrangers
venus découvrir la culture française. Le jeune, lui, doit couvrir le coût de la cantine scolaire, du transport sco-
laire, et toutes ses dépenses personnelles (communications téléphoniques en France et avec son pays d'origine,
achats divers -vêtements, livres, etc.-, sorties avec ses amis -cinéma, pizzéria, etc.-, fournitures scolaires, ...). Il
vient en France aussi avec une assurance médicale (consultations chez le médecin, pharmacie, hospitalisation),
rapatriement, responsabilité civile.
La famille choisit le jeune qui, selon elle, correspond le mieux à ses attentes. Plusieurs profils peuvent être pro-
posés à chaque famille. La durée d'accueil est d'un trimestre, un semestre ou une année scolaire.
L'Association WEP France demande à la famille d'accueil de procurer l'hébergement et les repas pris à la mai-
son (en période scolaire, le repas du midi, s'il est pris à la cantine, est à la charge du jeune). Mais surtout, ce
qui est demandé, c'est de considérer le jeune hôte comme un enfant de la famille, de l’aider à s'adapter à son
nouvel environnement, d’être patients dans son apprentissage du français, de partager son quotidien avec lui,
avec les mêmes droits et responsabilités que tous les autres membres de la famille.
Le jeune va s’imprégner totalement du mode de vie en France en partageant également le quotidien des lycéens
de son âge. L’inscription à l’école va dépendre de la connaissance de la famille des établissements scolaires
publics de la région. Si elle a des enfants en lycée, la logique est que le jeune hôte aille dans le même établis-
sement. Si les enfants sont dans le primaire ou au collège ou si la famille n'a pas d'enfants à la maison, l’ins-
cription se fait dans le lycée le plus proche. Un appui peut être apporté dans cette démarche. L’accueil d’un
jeune étranger au lycée peut être moteur pour l’ensemble de sa classe et apporter des éléments de connaissan-
ces supplémentaires lors notamment des cours de langues.
Coordinatrice locale pour WEP, je suis là pour assurer le suivi du séjour et voir comment la famille et le jeune
vivent cette expérience. En tant que représentante de l’association, je recherche, recrute, sélectionne des fa-
milles d'accueil. Une fois le jeune arrivé en France, je suis en proximité pour m’assurer du bon déroulement du
séjour, être à l’écoute des familles et à celle du jeune, apporter un soutien et éventuellement en cas de difficul-
tés relationnelles, agir en tant qu'arbitre.
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Je suis régulièrement en contact avec les familles et les jeunes. En général, il y a une première rencontre au do-
micile au cours de laquelle je m'assure des motivations à accueillir, je demande à visiter la maison, voir où
dormira le futur hôte, je laisse un dossier à compléter. Une fois que la famille est sélectionnée pour accueillir,
elle choisit le jeune qu’elle aimerait accueillir. Au début du séjour, je rends visite pour rencontrer à nouveau la
famille et faire connaissance avec le jeune. Pendant le séjour, si tout se passe bien, j’assure un contact une fois
par mois.
Le language buddy
Ce programme est un des meilleurs moyens pour une famille d’apprendre une autre langue tout en restant chez
soi. Le candidat est un étudiant de l’enseignement supérieur âgé de 21 ans minimum ou un adulte. De langue
maternelle anglaise, espagnole ou allemande (autres langues sur demande), le participant donne 15 heures de
cours de conversation /semaine aux membres de la famille. Il est accueilli en pension complète, en chambre
individuelle. Étant donné que le "language buddy" est majeur, il gère son temps libre et a le droit de voyager
seul pendant son séjour. D’une durée de 1 à 3 mois, cela permet de faire des progrès linguistiques rapidement
et efficacement. C’est une véritable occasion d’échange entre l’hôte et la famille d’accueil et un excellent
moyen de développement des compétences linguistiques dès le plus jeune âge au sein de la famille hôte.
Les assistants scolaires
Découvrir la langue grâce à une personne native est un atout non négligeable. Non seulement, il n’y a pas de
déformation des sonorités mais l’assistant va également transmettre sa culture, sa façon de vivre et de penser.
C’est l’occasion pour les jeunes Français de s’imprégner de la langue étudiée tout en restant dans leur environ-
nement.
Ce programme permet à une personne anglophone de venir aider un ou plusieurs professeurs à l’enseignement
de l’anglais au sein de leur école (primaire ou secondaire). L’assistant de langue est âgé de 19 à 30 ans ; la du-
rée du programme est d’un ou deux mois ; le programme est possible toute l’année.
L’assistant de langue commence son programme par une semaine de cours de français à Paris, pour une remise
à niveau, puis enseigne l’anglais durant trois ou sept semaines, dans le cadre d’un stage non indemnisé, avec
une convention signée. Il donne 20 h de cours par semaine maximum. L’hébergement est en famille d’accueil.
Les séjours à la ferme ou en centre équestre
Le séjour à la ferme est un programme insolite qui donne l’opportunité à un jeune entre 18 et 30 ans de vivre 1
à 3 mois au sein d’une ferme française. En échange du gîte et du couvert, le participant aidera dans les tâches
quotidiennes (25h/semaine) : soins aux animaux, cueillette de fruits, vendanges, travaux d’entretien, vente de
produits sur les marchés locaux ….
Les stages
Ce programme est ouvert aux étudiants étrangers qui souhaitent acquérir une expérience professionnelle signi-
ficative. Le stagiaire a un niveau intermédiaire ou intermédiaire supérieur en français. Il choisit le domaine dans
lequel il souhaite effectuer son stage. Le stage est non indemnisé. Une convention de stage est signée entre le
stagiaire, l’entreprise, l‘école/université et WEP. L’entreprise ne prend pas en charge l’hébergement, mais WEP
peut proposer un placement en famille d’accueil.
WEP offre la possibilité à des étudiants de travailler au sein d’un hôtel, hôtel-restaurant ou camping français.
Différentes tâches peuvent êtres confiées au participant, telles que : l’accueil, la restauration ou l’entretien. Il/
Elle travaille 35h par semaine et l’entreprise d’accueil offre le gîte et le couvert. Si la durée est de 2 mois ou
plus, il perçoit une indemnité mensuelle de 479,66 euros en échange de son travail. Le participant est âgé de
19 à 30 ans, possède de l’expérience dans ce domaine mais aussi une bonne compréhension du français pour
leur permettre d’être efficace et performant le plus rapidement possible.
Quatre élèves WEP ont pu ainsi découvrir Nantes et sa métropole en 2014-2015. Carolin partage la vie d’une
famille Herblinoise et a intégré une classe du lycée Carcouet depuis septembre. Elle repartira avec beaucoup de
souvenirs en Allemagne en juin. Trois élèves Australiens ont décidé de passer leurs deux mois de vacances d’été
parmi nous. D’autres élèves du monde entier souhaitent suivre leurs traces. À nous de leur offrir aussi cette op-
portunité.
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ANNEXES / ANNEXE 3Les crèches multilingues
Le projet de la Jeune Chambre économique de Nantes pour développer les crèches multilingues
La Jeune Chambre Economique de Nantes, association ayant vocation à offrir aux jeunes professionnels les
moyens d’apporter des changements positifs sur leur territoire, a constitué en 2014 une commission sur le sujet
du multilinguisme précoce. La commission "Crèches Multilingues", après un état des lieux et une enquête ap-
profondie, a décidé de porter un projet précis : l’intervention d’étudiants ou de citoyens étrangers résidants en
agglomération nantaise au sein des crèches nantaises pour interagir avec les enfants dans leur langue maternelle
par le biais de comptines, de chansons, de contes, de jeux, etc.
Afin de médiatiser notre projet et de le faire connaître au plus grand nombre d’acteurs locaux, nous avons orga-
nisé en novembre 2014, une conférence débat sur le thème de l’éveil linguistique pour les jeunes enfants, au
sein des crèches.
Intervenaient à cette occasion Mme FRANÇOIS, professeure de didactique des langues à l’Université de Nantes,
Mme ERNOUL, directrice de l’association EMULI, Mme RABIN, directrice de la crèche bilingue franco-alle-
mande Hansel & Gretel et Mme LAPORT, directrice de la crèche Boite à Musique. Les échanges entre les inter-
venants et le public, constitué notamment de directrices et de personnel de crèches ou encore de membres
d’associations linguistiques, ont notamment porté sur les façons d’appréhender les langues dans les crèches,
mais aussi sur les expériences de l’association EMULI et de la crèche Hansel & Gretel. Mme François, pour sa
part, est intervenue sur la place de l’enfant en crèche face à une intervention extérieure. L’accent a particuliè-
rement été mis sur les dangers d’une projection par les adultes de leurs attentes ou de leurs interprétations sur
les enfants. En effet, les enfants, quelle que soit la langue employée, sont attirés et intéressés dès lors qu’on leur
porte attention, qu’ils sont stimulés.
Suite à cet événement, nous avons mis en place l’intervention au sein de la crèche Boite à Musique, dirigée par
Mme Laport, d’une brésilienne, bibliothécaire de formation et conjointe de chercheur, Simone Paduan. Cette
intervention a eu lieu une fois par semaine pendant 4 mois, à raison d’une heure à chaque fois. Dès la qua-
trième séance, il a été observé une réaction, une répétition des chansons par les enfants. Mme Laport, de son
coté, est très satisfaite des interventions mais relève l’importance d’impliquer l’ensemble de l’équipe pédagogi-
que d’une crèche dans le projet avant de le mettre en place.
Dans le cadre de notre projet, nous avons contacté de nombreux partenaires. Nous avons reçu un retour très
enthousiaste des crèches associatives de Nantes, notamment Ribambelle ou Jour2crèche. D’autres crèches con-
tactées nous ont indiqué qu’elles pensaient mettre le projet en place de manière interne, avec les parents étran-
gers des enfants dont elles ont la charge.
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Par le biais d’associations étudiantes telles qu’Autour du monde, ou encore par le biais de l'Association des
Chercheurs étrangers, nous avons également été mis en contact avec des personnes dont la langue maternelle
n’était pas le français, telle que des étudiants effectuant des échanges universitaires ou des conjoints de cher-
cheurs étrangers. Jusqu'à maintenant, le projet leur a toujours été proposé comme un engagement volontaire,
sans autre contrepartie que le partage de leur langue maternelle. Malgré cela, nous avons eu de nombreux re-
tours positifs.
On constate en effet que, si un certain nombre d’étudiants potentiellement intéressés par le projet ne peuvent
pas s’y consacrer en définitive, les problématiques sont en général liées à leurs disponibilités, aux transports ou
à la durée de leur présence à Nantes.
Nous sommes désormais en discussion avec 3 crèches prêtes à accueillir un intervenant et au moins autant
d’intervenants potentiels notamment russophones.
Pour étendre le projet, il est nécessaire de reprendre une communication ciblée vers les étudiants à la rentrée
universitaire prochaine. L’OGEC Talensac, qui ouvrira une crèche en septembre, souhaite également intégrer
notre projet à son programme éducatif.
Nous envisageons de reprendre contact avec l’université de Nantes afin de prévoir, si possible, une formation
sur une journée ou une demi-journée des intervenants aux bases de la didactique et de la psychologie infantile.
Ces différents points ont été évoqués avec nos contacts universitaires ainsi qu’avec les potentiels intervenants
sollicités lors de notre enquête préliminaire.
Nous sommes aujourd’hui convaincus qu’un tel projet, s’il était porté par les institutionnels (Mairie, Université,
Nantes métropole…) ou une association spécialisée, pourrait sans grand frais être généralisé à l’ensemble des
crèches nantaises.
L’éveil précoce aux langues vivantes ouvre un grand nombre de possibilités déjà évoquées dans ce document.
Notre projet permet à des personnes d’origines étrangères, étudiants ou résidents, ne parlant pas forcément le
français avec aisance, de s’impliquer dans la vie de leur cité et d‘être valorisés, en faisant découvrir leur langue
et leur culture.
Contact :Grégoire COUSIN, Directeur de la commission Crèches MultilinguesJeune Chambre Economique de Nantes Site internet : www.jcenantes.frmail : [email protected]
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Ils agissent à Nantes...
FÊTE DES LANGUES À NANTEShttps://www.facebook.com/FetedeslanguesdeNantes?fref=ts
EMULI (ECOLE MULTILINGUE INNOVANTE)www.emuli.fr06 22 69 62 [email protected]
MAISON DE L’EUROPEwww.maisoneurope-nantes.eu33, rue de Strasbourg (2e étage) - 44000 Nantes02 40 48 65 [email protected]
CENTRE CULTUREL FRANCO-ALLEMANDwww.ccfa-nantes.org1, rue Du Guesclin - 44000 Nantes - 02 40 35 39 43 [email protected]
GRAINE D’EUROPEwww.grainedeurope.eu15 quai Ernest-Renaud - 44100 Nantes02 40 20 16 [email protected]
OFFICE PUBLIC DE LA LANGUE BRETONNEwww.fr.opab-oplb.org17 Rue Auvours - 44000 Nantes - 02 51 82 48 35
CID-ORIGI’NANTESwww.cid-nantes.orgBâtiment Ateliers et Chantiers de Nantes2 bis, Boulevard Léon Bureau - 44200 NANTES02 40 47 88 36
ESPACE INTERNATIONAL COSMOPOLIS18 Rue Scribe - 44000 Nantes - 02 51 84 36 70
MAISON DES CITOYENS DU MONDEhttp://www.mcm44.org8 rue Lekain - 44000 Nantes - 02 40 69 40 [email protected]
BABEL 4419, rue Auguste Renoir - 44100 Nantes06 79 09 71 22
DIWAN NANTESnaoned.diwan44.org160 rue du Corps de Garde - 44100 Nantes07 82 44 93 [email protected]
EURADIONANTES9, rue Jeanne d'Arc - 44011 Nantes Cedex 102 40 20 48 [email protected]
JEUNE CHAMBRE ECONOMIQUE DE NANTES Grégoire COUSIN, Directeur de la commission Crèches MultilinguesSite internet : www.jcenantes.frmail : [email protected]
CRÈCHES MULTILINGUES :
• La maison de Jordan - Français-anglais-espagnol - Crèche associative 68 places (7 en accueil d’ur-gence)2 chemin Petite-Noë - 44300 Nantes02 40 50 07 22http://lamaisondejordan.fr
• Crèche Fluffy - Français-anglais4 rue Paul Delaroche - 44100 Nantes02 40 46 74 78
• Crèche Hansel et Gretel - Français-allemand - Crèche associative 30 places3 rue de la planche au gué - 44300 Nanteshttp://hanselgretel.44.primiweb.com
• Crèche Youn Ha Solena13, rue du Remouleur 44800 [email protected]
TIRE TA LANGUE : la journée des langues du Lycée Carcouethttp://carcouet.paysdelaloire.e-lyco.fr/espace-pedagogique/tire-ta-langue/
A écouter : tous les dimanches à 14h sur France Cul-ture, l’émission d’Antoine Perraud "Tire ta langue"
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nantes-citoyennete.comConseil de développement de Nantes métropole
Tour Bretagne - 44047 Nantes cedex 01 - 02 40 99 49 36 [email protected]
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UN PARCOURS MULTILINGUEDE LA CRÈCHE À L'UNIVERSITÉ
Pour une politique métropolitained'excellence en matièred'apprentissage précoce des langues
mai 2015
nantes-citoyennete.comConseil de développement de Nantes métropoleTour Bretagne - 44047 Nantes cedex 01 - 02 40 99 49 36 - [email protected]