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  • Maisonneuve & Larose

    La doctrine de l'me dans la philosophie d'Ab' l-Barakt al-BaghddAuthor(s): Roger ArnaldezSource: Studia Islamica, No. 66 (1987), pp. 105-112Published by: Maisonneuve & LaroseStable URL: http://www.jstor.org/stable/1595912 .Accessed: 01/04/2014 11:59

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  • LA DOCTRINE DE L'AME DANS LA PHILOSOPHIE A

    D'ABU' L-BARAKAT AL-BAGHDADI

    Dans l'histoire de la philosophie musulmane, Ab A' 1-BarakAt (1077-1165) se situe entre Ibn Sina (980-1037) et Fakhr al-DIn al-RAzi (1149-1209). II doit beaucoup ia Ibn Sina qu'il critique cependant sur plusieurs points; quant ia Razi, il a subi en partie son influence, non sans rejeter une de ses theses sur la specificit6 de l'Ame.

    Le Livre de l' Ame d'Aristote, par son obscurit6, a te' a l'origine d'une serie de commentaires grecs, arabes et latins, depuis l'6poque hellenistique jusqu'd la fin de notre Moyen Age. La definition de l'Ame comme entel6chis premiere d'un corps doue d'organes et possedant la vie en puissance, est loin d'etre claire. Quoi qu'il en soit, la vie dont il est question ici ne saurait etre que la vie du corps; or n'y a-t-il pas une vie de l'ame, des activites psychiques ou mentales propres ia l'me ? Peut-on en rendre compte simplement en introduisant une entelechie seconde, en ce sens que certains vivants, tel l'homme, pourraient, a partir de leur vie biologique, acceder A une vie intellectuelle, voire spirituelle ? On ne voit pas comment. Faudra-t-il faire intervenir un intellect agent de l'exterieur (O6pOOsv) pour agir sur l'Ame-entll1chie premiere et lui donner une perfection seconde ? Mais si cette perfection seconde peut tre ainsi donnee, il faut que l'ame humaine l'ait deji en puissance pour pouvoir la recevoir, et se distingue ainsi de l'ame veg6tative et de l'ame animale. Dans ce cas, la definition aristotelicienne de l'Ame est insuffisante en ce qui concerne l'ame humaine, car quelle est la place qu'elle fait a ce qu'on appelle communement ( (me

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  • 106 ROGER ARNALDEZ raisonnable , ou intellect ? Telle est la difficulte majeure que soul"ve cette definition, sans parler du probleme de l'immortalit6 qui a evidemment un intfrct primordial pour un penseur comme Abi' 1-Barakat, juif converti a l'Islam.

    Mais il y a une autre difficulte : c'est qu'Aristote presente l'6tude de l'Ame comme relevant de la physique : l'ame (4uXy) est principe des mouvements volontaires, comme la nature (ciupes) est principe des mouvements naturels. La consequence est qu'on va 6tudier l'Ame comme un objet, se demander si elle est substance ou accident, corporelle ou incorporelle, simple ou composee de parties. Il en resulte une serie de problemes inextricables, dont Ibn Sina a bien compris toute la difficulte au debut du Traite de l'Ame du Shifd', ce qui l'a conduit a l'hypothese de l'homme volant dont nous reparlerons.

    Abi' 1-Barakat, quant a lui, commence par observer que le mot < ame ~ (nafs) n'est pas univoque, mais equivoque, c'est-a- dire qu'on ne peut en donner une definition qui s'appliquerait identiquement a tout ce qu'on appelle, ou que les philosophes ont appelh & ame >. Si on admet que l'ame est principe de vie et de mouvement, il est certain que l'Ame vegetale avec ses mouvements propres (par exemple la ramification des tiges et des racines dans des directions laterales qui ne sont pas des mouvements vers le haut et vers le bas comme le sont les mouve- ments < naturels> du l6ger et du lourd), n'a rien de commun avec les mouvements de la vie animale qui se font dans toutes les directions avec deplacement dans l'espace, alors que les mouvements des veg~taux ne s'effectuent que dans une position, (wad'), un enracinement fixe. Rien de commun non plus avec le mouvement des astres sous la motion de leur ame, qui est circulaire dans une position invariable. Rien de commun enfin avec les mouvements engendres par l'ame humaine, meme au niveau du corps, dans les activites de l'art dont les animaux sont incapables, mais surtout au niveau du mental (dhihn) dans la r6flexion (tafakkur), la consideration (i'tibdr), la deliberation (rawiyya), le raisonnement discursif (qiyds, burhdn) et particulierement dans la perception (idrdk) des intelligibles.

    Il en resulte, chez Abf' 1-BarakAt, une conception analogique des etres vivants. C'est ainsi qu'il montre que la plante, immobile dans son lieu, doit se nourrir en enfongant ses racines dans la terre, en cherchant sa nourriture en differentes directions. De mAme elle 6tend ses rameaux et ses feuilles sous le soleil.

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  • DOCTRINE DE L'AME DANS LA PHILOSOPHIE D ABi' L-BARAKAT 107

    L'animal, au contraire, est un vegetal inverse. II puise sa nourriture a l'interieur de lui-meme par de petits canaux qui sont, dans l'intestin, les analogues des racines. Mais il doit d'abord introduire cette nourriture en lui en allant la chercher et en se deplagant. C'est pourquoi la faculte nutritive chez l'animal implique une faculte perceptive qui lui permet de chercher ce qui lui est utile, et du meme coup de fuir ce qui lui est nuisible. Bien que cette idle de l'utilit6 des sens pour l'animal ne lui soit pas propre, Abi' l-BarakAt marque bien que la sensa- tion est ici 6troitement liee beaucoup plus a la conservation et a la defense de la vie qu'a une connaissance proprement dite qui aurait une fin en soi. On pense a ce que Pradines a ecrit sur les sens du besoin et les sens de la defense. C'est avec l'Ame humaine que la perception sensible devient connaissance explicite; dans l'animal, elle est tout au plus implicite. Ou pour parler comme Abi' 1-BarakAt, s'il y a chez l'animal une connais- sance (ma'rifa), il y a chez l'homme connaissance de la connais- sance (ma'rifat al-ma'rifa), science de la science ('ilm al-'ilm), en un mot conscience de la conscience (shu",dr al-shu'"dr).

    Il est difficile de traduire en frangais le mot shu'dlr, surtout dans l'usage qu'en fait Abu' 1-BarakAt. C'est que le mot conscience a deja un sens reflexif qui correspond done a ma'rifat al-ma'rifa, 'ilm al-'ilm, shu'cir al-shu'cr. Le mot simple < shu'duir exprime le sentiment direct qu'on a de quelque chose, le fait de la ( sentir#> sans y refl6chir. Ainsi voit-on un paysage sans prendre une conscience nette de ce qui le constitue, ou sans juger s'il est beau ou laid, voire sans qu'on s'en aperpoive. On comprend done qu'un tel shu' ir peut aller s'affaiblissant sans pour autant disparaltre. Il existe comme ce que nous appellerions le subcons- cient, voire l'inconscient, mais un inconscient psychique. Abu' 1-Barakat note que nous ne faisons pas attention " tout ce que nous percevons, en particulier aux mouvements lents et continus, sans points de repbre, exterieurs a nous et surtout a l'int6rieur de notre organisme : leur constance en affaiblit la perception. Elle n'en existe pas moins. Il note 6galement qu'une perception peut nous distraire d'une autre sans la supprimer. C'est ainsi que nous n'avons ordinairement aucune perception claire des ph6nomenes qui se passent dans notre corps, tels les mouvements de la digestion, ou ceux qui se produisent dans les organes des sens. N6anmoins cette perception existe et elle se ravive, par exemple quand on a un malaise

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  • 108 ROGER ARNALDEZ

    (indigestion), qu'on est malade, ou qu'un des organes de percep- tion est irrite. L'attention se porte alors sur ce qui 6tait un sentiment inconscient, parce qu'une habitude continue le faisait passer au second plan. On pense ici

    " ce que Leibniz disait de la vision d'une foret alors qu'on ne voit pas dictinctement chacune des feuilles qui la compose, ou du bruit des flots alors qu'on n'entend pas le heurt de chaque goutte d'eau contre les autres. C'est pourquoi nous pouvons faire usage de son lexique. II distinguait perception et aperception. On est justifie a traduire shu'dr par perception, sans conscience claire, ou ((petite perception) , et shu'dr al-shu'dr, par aperception. Une comparaison precise avec la doctrine leibnizienne serait, sur ce point, fort 6clairante et montrerait Abci' l-Barakat sous les traits d'un penseur vraiment moderne. Et de meme que, pour Leibniz, tous les etres (les monades) sont dou6s de percep- tions, des plus claires (les aperceptions) aux plus obscures (les petites perceptions), de meme pour AbUf' l-Barakat, il n'y a pas de discontinuit6 entre les Ames et la nature; la nature est une sorte d'ame reduite aux perceptions ( infiniment petites >, comme dit A. Rivaud " propos de Leibniz, qui sont ((non pergues) . En effet, les actions purement naturelles produisent toutes un r6sultat ordonn6, et tout ordre (nizdam) comporte une finalit6 qui serait inconcevable si elle ne se fondait pas sur une perception, fuit-elle imperceptible, qui caract6rise ce principe d'organisation qu'on appelle < nature, . Donc, pour Abf' 1-Barakat, si on r6serve le nom d'ame a ce qui a au moins un shu'Yr directement sensible des choses, sinon une conscience r6flexive (shu'dr al-shu'Yr), la nature est, comme pour Leibniz, une ame obscure qui, par des perceptions imperceptibles, realise les fins qui sont les siennes.

    Cette hierarchie des perceptions et aperceptions fait done qu'il y a entre l'ame humaine et son corps, une certaine continuit6 au sein desdites perceptions et aperceptions; dans ce continuum, notre ame saisit toutes les actions de son corps et leur finalit6, soit directement et implicitement, soit par reflexion et explicite- ment. Elle peut alors s'en servir comme d'un instrument pour connaitre. Ainsi quand je contemple un paysage, je connais implicitement mes yeux et je sais, sans avoir besoin de refl6chir, comment je dois les mouvoir pour bien voir. Mais je ne les connais pas explicitement, sinon j'aurais une perception de mes yeux et non du paysage. Mais pour Abu' 1-Barakat, toutes

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  • DOCTRINE DE L'AME DANS LA PHILOSOPHIE D'ABC L-BARAKAT 109

    ces perceptions et aperceptions, depuis celles qui se rapportent obscur6ment aux actions les plus biologiques du corps, jusqu'a celles qui sont conscience reflexive d'une connaissance, like a un examen, a une volont6 de connaitre, a une deliberation critique, toutes relevent d'une Ame une et unique et non d'une ame faite de plusieurs parties ou de plusieurs facult6s distinctes, ou de plusieurs Ames hibrarchisees.

    C'est ici qu'il doit " Avicenne une id6e importante tir6e de

    l'hypothese de l'homme volant qu'on a appel6 le cogito avicennien. Imaginons, dit Avicenne, un homme < cre6 d'un seul coup et dans un 6tat parfait >, qui tomberait dans le vide ou dans l'air, mais sans qu'aucune partie de l'air heurte son corps, de telle sorte qu'il n'en puisse distinguer aucune r6gion. Imaginons qu'il n'a aucune sensation int6rieure coenesth6sique ou kinesth6sique. Cet homme, pretend Avicenne, < affirmera l'existence de son essence...; et s'il 6tait possible que, dans cette situation, il imaginat une main ou un autre membre, il ne l'imaginerait ni comme une partie de son essence, ni comme une condition relative a son essence >.

    Donc cet homme va avoir l'intuition de sa propre existence en tant que Moi, ou plus exactement < Je (and). Cette idee, toute nouvelle dans les trait6s de l'Ame, bien qu'on en trouve quelques traces chez Plotin, est d6velopp6e consid6rablement par Abt' l-BarakAt. II l'a transmise a Fakhr al-Din al-Razi.

    L'ame est le < Je > de chaque homme. Elle s'exprime imm6dia- tement quand on dit : Je vois, je sens, je veux, etc. Or ce < Je ) est partout present a tous les niveaux de la vie humaine coporelle ou psychique, sensible ou intellectuelle, spontanee ou refl6chie. Il1 est toujours et en toutes circonstances identique a lui-m me, a travers tous les ages de la vie, a travers toutes les differentes experiences, a travers toutes les modifications du psychisme (le moi psychologique), des id6es et du caractere. Cette subjec- tivite essentielle du (( Je >, son identite et son omnipresence sont la preuve de sa substantialit6, de son incorporbith et de son unit6. Sur ce point, Abi'l-Barakat critique la plupart des preuves qui ont 6te avanc6es par les philosophes antBrieurs et par Avicenne lui-mime, en particulier la preuve qui s'appuie sur le fait que la vieillesse affaiblit le corps, mais non les facultes de l'Ame raisonnable. Abu' l-Barakat r6pond que la vieillesse peut favoriser la force de l'intellect par l'affaiblissement des passions ou par les exp6riences accumul6es, sans que cela

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  • 110 ROGER ARNALDEZ

    prouve que l'Ame raisonnable est incorporelle. Ce qui prouve cette incorporeit6, c'est d'une part que le corps tout entier est instrument de l'ame, et que, d'autre part, dans la perception sensible et dans les representations de l'imagination, l'ame saisit des realites qui ne sont pas situees dans le corps, car elles sont beaucoup plus grandes que lui, et qu'elle les saisit, non pas dans le corps, mais en dehors de lui en leur lieu. On peut donc dire qu'elle est incorporelle et que, du fait qu'elle a d'elle-meme une intuition directe, elle se connait elle-meme, par elle-meme, donc sans intermediaire, et de ce fait, on peut dire qu'elle est substance.

    Quant a sa relation au corps elle est indeniable. C'est le corps qui, par les perceptions et les aperceptions qu'elle a de lui, d6finit son point de vue sur le monde. Mais du fait que, tout en apercevant les choses par le corps et relativement a lui, elle les saisit dans une intuition sensible directe devant laquelle le corps, dans sa pure instrumentalite, s'efface compltement, il est possible " l'Ame de consid6rer les choses en elles-memes et non seulement hic et nunc, dans leur individualit6 concrete; alors elle les connait dans leur r6alit6 abstraite et leur significa- tion g6nerale. C'est en ce sens qu'Aristote disait : Je vois l'homme dans Callias. De meme Kant devait marquer la difference entre dire : # Je sens que ce corps que je soulive est lourd >, et # tous les corps sont lourds >.

    Mais de quelle nature est cette relation (ia'alluq) de l'ame au corps ? Il est 6vident qu'on ne peut la d6finir sur le type des relations entre les choses materielles. C'est a travers l'intui- tion qu'il a de son ame que l'homme peut savoir et concevoir ce qu'est cette relation. Or il constate la pr6sence constante de l'ame au corps, le soin qu'elle en prend, le d6sir qu'elle a de le preserver de tout mal et de le garder. Partant de li, Abu' 1-Barakat pense que la relation de l'ame au corps est une relation d'amour, comme celle qui lie ce qui aime (al-'ashiq) a ce qui est aime (al-ma'sh,)q). Cette id6e sera reprise par Razl. Si l'Ame est separable du corps en tant que substance, dans son 6tat de s6paration apres la mort elle continue a le d6sirer. C'est laI ce qui fonderait philosophiquement la croyance religieuse en la vie 'ternelle de l'ame et en la r6surrection des corps.

    Enfin, pour Abu' l-Barakat, l'Ame de chaque personne indi- viduelle est une espece. Du fait de la theorie hylemorphiste qui veut que toute r6alit6 individuelle ici-bas soit un compos6

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  • DOCTRINE DE L'AME DANS LA PHILOSOPHIE D'ABO' L-BARAKAT 111

    de matiere et de forme, on pensait qu'une forme unique pouvait, pour ainsi dire, s'imprimer dans une pluralit6 d'individus distincts les uns des autres par la matiere. C'est la theorie de l'individuation (lashakhkhus) par la matiere. Ou encore, on considerait que l'espece infime se retrouvait dans une pluralite d individus qui la multipliaient. par leur matiere. Il en resultait que les hommes ne differaient entre eux que par la matiere de leurs corps, ayant tous la meme forme humaine, I'ame raison- nable qui est la difference sp6cifique de l'homme. On comprend ainsi les doctrines qui estiment que la survie de l'Fme ne peut etre que celle d'un intellect qui, par suite de son detachement de la mati"re, ne peut etre qu'unique. La survie des hommes est dans leur fusion dans cet intellect unique et immortel parce qu'il est immateriel. C'est la doctrine dite De uno intellectu, attribuee " Averroes, reprise par Siger de Brabant et les aver- roistes latins.

    Or sur cette grave question, Ibn SinA pensait qu'il peut y avoir une individuation de la forme par la matiere, et une individuation de la matiere par la forme (cf. Ishdrdt, II, p. 213 sq., ed. du Caire). Dans son commentaire, NAsir al-Din al-TOstl se demande s'il n'y a pas 1a un cercle vicieux. 11 r'pond que non, parce que, dans le processus d'individuation, la forme et la mati"re n'interviennent pas de la mnme maniere. 11 fait remarquer que, la matire pure n'existant pas separement de la forme, elle existe dans un etre individuel des qu'elle a requ une forme, quelle que soit cette forme. Donc n'importe quelle forme peut individuer la matiere premiere. Mais inversement, il n'est pas possible que n'importe quelle matiere individue n'importe quelle forme. Si on considere la matiere premiere, elle est pure receptivite et pure disposition; elle n'a aucun pouvoir d'action et comme telle, elle ne peut rien individuer, ou comme le dit TsAI, elle ne peut multiplier la forme activement, et ce qui agit, ce sont les accidents qu'elle implique et qui sont la position, le lieu et le temps. Dans ces conditions, I'individu humain ne serait que la forme humaine r6fract6e en telle position, en tel lieu, en tel temps, et cela de fa?on tout fait accidentelle. Autant dire que Zayd et 'Amr se reduisent a des accidents qui arrivent A la forme humaine. Mais si on considere la matiere seconde, il est evident qu'une forme ne peut ftre individualis~e que par une matibre determin6e. Ainsi la forme de l'Ftre vivant ne peut 8tre individualisie par la matibre qu'est la pierre, le

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  • 112 ROGER ARNALDEZ

    bois ou le m6tal. Nous dirons done que l'Ame de Zayd ne peut etre individualis6e que par le corps de Zayd, et l'ame de 'Amr, par le corps de 'Amr, et par nul autre (ce qui d6truit la m6tem- psychose). Cela veut dire qu'il n'y a pas une forme specifique de l'ame humaine qui se multiplierait grace a une individuation par la matiere, aussi bien dans le corps de Zayd que dans le corps de 'Amr. Il y a l'ame de Zayd, I'ame de 'Amr, etc., toutes irr6ductibles les unes aux autres, qu'aucun concept univoque ne peut enfermer, et qui sont en relation d'amour avec leurs corps propres, lesquels ne sont absolument pas interchangeables. C'est en ce sens que chaque "Ame humaine est une espece.

    On peut dire qu'elle est individuee en elle-meme et par elle-meme, dans le shu'dr ou le shu'dr al-shu'dr qu'elle a de son corps, de par son essence intuitivement connue. Que l'ame soit une espece en chaque individu, c'est ce qui convient parfaitement a son incorporeit6 substantielle.

    D'ailleurs, il est impossible de se former une id6e g6nerale de l'ame humaine, car si je connais mon ame uniquement par intuition qui se traduit par le fait que je dis # Je ~, il m'est impossible de connaitre par une intuition semblable que les autres hommes ont aussi une Ame, sinon, dit Abi' l-Barakat, en me fondant sur leur t6moignage, quand ils m'informent sur eux-memes en parlant et en disant eux-aussi < Je ). C'est une connaissance par information (khabar, ikhbdr). Alors par analogie, je les considere comme je me considere moi-meme, et je leur dis : < Tu ).

    Telles sont les id6es les plus originales d'Abci' l-BarakAt al-,Baghdadi sur l'Ame. Il y en a beaucoup d'autres, en particulier toutes les critiques qu'il a adress6es a ses devanciers. Mais ce que nous venons d'exposer suffit a convaincre de la valeur de ce penseur : beaucoup de ses vues annoncent en effet des doctrines qui ne s'6laboreront que peu a peu au cours de l'histoire de la philosophie occidentale.

    Roger ARNALDEZ (Paris)

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    Article Contentsp. [105]p. 106p. 107p. 108p. 109p. 110p. 111p. 112

    Issue Table of ContentsStudia Islamica, No. 66 (1987), pp. 1-190Front Matter [pp. 2-4]A'rb and Muhjirn in the Environment of Amr[pp. 5-25]"L'ptre l'Arme". Al-Ma'mn et la seconde Da'wa (Premire partie)[pp. 27-70]Understanding Is the Mother of Ability: Responsibility and Action in the Doctrine of Ibn Tmart[pp. 71-103]La doctrine de l'me dans la philosophie d'Ab' l-Barakt al-Baghdd[pp. 105-112]Les Bildiyyn de Fs, un groupe de no-musulmans d'origine juive[pp. 113-143]From Fitna to Thawra [pp. 145-174]Revue des livres / Book ReviewsReview: untitled [pp. 175-177]Review: untitled [pp. 177-182]Review: untitled [pp. 182-185]Review: untitled [pp. 185]Review: untitled [pp. 186-187]Review: untitled [pp. 187-188]Review: untitled [pp. 188-190]

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