aux sources de l'écriture; the unesco courier: a window open on
TRANSCRIPT
m
o» leCpurrierDETítINESC©Aux sources de récriture
GL -i
ENTRETIEN AVEC
ERNEST J. GAINES
PATRIMOINE
QUITO, À DEUX PASDU CIEL
ENVIRONNEMENT
OMAN: PRIORITÉ À
LA NATURE
M 205-9504- 22,00
BELGIQUE: 1*0 FI. CANADA: I.Ti ». COTI 0 IVOIRE: 1MO CFA. CAMEROON: 17M CFA. MM* 17«0 CFA. MAROC: 11 DM. LUXEMBOURG: 11* FLUX. ILIISiE: » F». PORTUGAL (COtiT): 700 I»C.
«OPERATIONS SOLIDARITES NOUVELLES»
DEUX ANS APRÈS
D y a deux ans, en février 1993, nous vous invitions à participer à «l'Opération Solidarités Nouvelles». Nous voulions répondre ainsi à la
demande pressante de tous ceux qui, en Asie, en Afrique, en Europe de l'Est, en Amérique latine, souhaitent bre et faire Ure le Courrier del'UNESCO mais n'en ont pas les moyens.
Vous avez été plus de 200 à souscrire un abonnement en faveur d'une bibliothèque, d'une école, d'une université, d'un étudiant, d'un club...
Plusieurs d'entre vous viennent de renouveler pour la troisième année un abonnement de solidarité. Votre générosité mérite d'être saluée.
Nous donnons aujourd'hui la parole à ceux qui reçoivent le Courrier grâce à vous. Beaucoup nous ont écrit, vous ont écrit et nous l'ont fait
savoir. Voici quelques extraits de ces témoignages de gratitude, qui sont autant de raisons de continuer.
B «Nos jeunes cherchent à se cultiver dans plusieurs disciplines et l'envoidu Courrier est pour nous d'une précieuse valeur, le prix d'un dictionnaireéquivaut au salaire mensuel d'un fonctionnaire» (Mme Kalenga MakikaLeya, Directrice-animatrice du centre culturel des jeunes, Kamira, Zaire).B «C'est pour moi une joie immense de lire le Courrier, je la partage avecmes compagnons. Souvenez-vous que nous n'avons rien à lire dans notre tiersmonde rural» (Deo N. Ntwari, Rukingiri, Ouganda).B «Merci pour votre précieux concours qui contribue à ouvrir notreclub à tous les horizons culturels de l'humanité» (Abdoul Diallo, Président
du Club Culture et Développement, Conakry, Guinée).B «J'ai 20 ans, je suis étudiant et la lecture du Courrier élargit mes hori¬zons et me permet d'acquérir une vue à la fois immense et pratique du mondequi m'entoure» (Pascal Mutabazi, étudiant ougandais).B «Je suis étudiant à l'Université d'Addis Abeba et me passionne pourl'art, la littérature, la science et la culture. Notre monnaie n'est pas conver¬tible. J'apprécie l'abonnement qui m'a été offert car je peux satisfairepleinement mes centres d'intérêt» (Wendye Beshaha, Wello, Ethiopie).B «Cette revue très consultée par notre pubhc, constitue une sourced'information unanimement appréciée» (A. Diallo, responsable de la biblio¬thèque publique de Ziguinchor, Sénégal).B «Au nom des lecteurs de la Bibliothèque de Tamboura , je vous adressenos vifs et sincères remerciements... Si l'auto-suffisance alimentaire et la
santé sont des besoins vitaux, il n'en demeure pas moins qu'il est nécessairede mettre à notre disposition des livres, des revues, des documents quinous aideront à étendre et à approfondir nos connaissances, à fortifier notrevolonté, à diriger nos efforts et à élargir notre horizon... Le Courrier del'UNESCO... nous permettra de faire référence à d'autres cultures que lesnôtres, de nous appuyer sur des normes et des valeurs universelles...»(Amadou Zaga Traore, responsable de l'opération lecture publique, Kenieba,Mali).
B «Nos étudiants qui bénéficieront de votre offre ont un rôle crucial à jouerpour l'avenir de l'Ouganda» (Dr Peter Miller, Institut de la formation desmaîtres, Kampala, Ouganda).B «Tout comme mes autres collègues du Sud, j'ai pu apprécier le vide qu'ily a entre la soif manifeste des jeunes de la ville en matière d'information etde culture et notre impossibilité à répondre à leur attente. . . Votre revue peutapporter à notre jeunesse la nourriture de l'esprit qui lui fait défaut»(Abdoul Adjidji Saly, Bibliothèque municipale de Garoua, Nord-Cameroun).B «Nous sommes assez repliés sur nous mêmes, nous travaillons sansmanuels, sans documents, sans formation extérieure... Nous voulons à
tout prix briser notre isolement avec le monde extérieur» (Mme Rakotomanga
Bako Lalao, Présidente de l'Association des professeurs de français. FortDauphin, Madagascar).
B «Merci pour ce magazine qui fait le lien entre les différents pays» (unétudiant algérien).B «Je voudrais vous faire part de ma joie lorsqu'après plusieurs annéessans pouvoir lire votre revue, j'ai pu la recevoir et en faire bénéficier la biblio¬thèque de l'hôpital de Holguin» (Dr. Guillermo Ramirez de Arellano. Hol-guin. Cuba).B «Que fais-je de la revue ? En premier lieu ma famille la ht. puis d'autresprofesseurs de mon département. Mais ce sont mes élèves (16 à 18 ans) quien font l'usage principal. Nous organisons des débats autour des thèmes. Celame fait plaisir que mes élèves apprennent ainsi à connaître le monde danslequel ils vivent» (Eliazar Espinosa Jimenez, Congajas. Cuba).B «C'est un geste très apprécié par ceux qui n'ont pas la possibilitéd'acheter votre revue... Je l'utilise dans mes classes» (Elisa Rodriguez.
Cuba).
B «Je suis un humble employé des chemins de fer amoureux de la cultureet vous remercie au nom de la petite bibliothèque que je monte pour mes col¬
lègues au niveau syndical» (Luis-Onel, Viña del Mar, Chili).B «Cet envoi est pour nous et pour les plans de notre association très impor¬tant» (Syamsul Harahap, directeur exécutif de l'Association des étudiantsAl-Washliyah, Langkat, Indonésie).B «Le Club de jeunes de Thana Para a organisé une exposition de livreset magazines. Votre revue y était à l'honneur. . . Nous avons besoin de livresétrangers et de revues et nous n'avons aucun revenu puisque nous sommespresque tous étudiants» ( M. Robiul Islam, président du Club déjeunes deKushtia, Bengladesh).B Je viens d'effectuer un reportage dans un camp de réfugiés en Thaïlande.Je me suis rendue compte que les étudiants du camp ne recevaient aucunerevue culturelle... En leur nom, je vous remercie de leur offrir cet abon¬nement» (Mme Yolande Garcia, Blagnac, France).B «Merci pour l'intérêt que vous avez manifesté pour notre université» (MeMelina Tardia. bibliothécaire, Université catholique de Parhyangan, Ban¬dung, Indonésie).B «Vous avez doté notre bibliothèque d'un magazine culturel international
qui apporte des renseignements intéressants pour la connaissance desdiverses cultures à nos lecteurs francophones vietnamiens» (Nguyen ThéDuc, directeur de la Bibliothèque nationale d'Hanoï, Viet Nam).B «Votre dotation d'abonnements au Courrier de VUtlESCO afin de recons¬
tituer les bibliothèques est particulièrement appréciée» (Philippe Salord,Bureau de coopération linguistique et éducative, Zagreb. Croatie).
Si vous désirez maintenir et multiplier ces liens d'amitié, vous pouvez souscrire un abonnement de solidarité. Utilisez le bulletin encarté dans ce numéro en yajoutant très lisiblement la mention «Opération Solidarités Nouvelles».
Adressez votre envoi à l'attention de Solange Belin,
«Opération Solidarités Nouvelles», Le Courrier de I'Unesco, 31, rue François Bonvin, 75732 Paris Cedex 15 (France).
Nous vous fournirons en retour les coordonnées du bénéficiaire et nous prendrons à notre charge les frais de port vers son pays.
SommaireAVRIL 1995
Notre couverture:
hiéroglyphes en pâte de verre ornant lecouvercle du sarcophage de
Djedthotefanch, grand prêtre du dieuThot, inventeur de l'écriture dans
l'Egypte ancienne (4e siècle avant J.-C).
AUX
SOURCES D
L'ÉCRITURE
5 Entretien avec Ernest J. Gaines
r MÉMOIRE DU MONDE
Quito, à deux pas du cielpar Jorge Enrique Adoum
\ ESPACE VERTOman: priorité à l'environnementpar France Bequette
38 ANNIVERSAIRESâ'eb de Tabriz par Hossein Esmaili
REPÈRES INTERNATIONAUX
Littératures d'aujourd'hui et de demain:échos d'un débat international
par Alexandre Blokh et Abdelwahab Meddeb
45 ARCHIVESLa presse et son public par Paul Scott Mowrer
46 NOTES DE MUSIQUEUn instant d'éternité Isabelle Leymaries'entretient avec Devasmita Patnaïk
48 LIVRESUn homme et son époque
I 1995: ANNÉE DES NATIONS UNIESPOUR LA TOLÉRANCEUn métier difficile PAR TAHAR BEN JELLOUN
§ Le Courrier des lecteurs
8
11
14
16
19
22
24
26
30
Il y a longtemps, à Sumer...
par Xavier Perret
Mésopotamie: Genèse d'une invention
par Béatrice André-Salvini
Chine: Une image de marque
par Rinnie Tang-Loaec et Pierre Colombe!
Méso-Amérique: Une écriture haute
en couleurs
par Joaquin Galana
Islam: L'art de la calligraphie
par Hassan Massoudy
L'Afrique avant la lettre
par David Dalby
Japon: Quatre-en-un, savant mélange
par Shiro Noda
Occident: La clé du pouvoir
par Henri-Jean Martin
Dossier
Consultant: Colette Haas
32La chronique de Federico Mayor
leCourrierdeVunesco48' année
Mensuel publié en 30langues et en braille
«Les gouvernements des États parties à la présente Convention déclarent:Que, les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix......Qu'une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l'adhésion unanime, durable et
sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l'humanité.
...Pour ces motifs (ils) décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et d'acquérir une
connaissance plus précise de leurs coutumes respectives...«
Extrait du préambule de îa Convention créant l'Unesco, Londres, le 16 novembre 1945
leCourrierDEîrtINESCO48' année
Mensuel publié en 30 langues et en braille par l'Organisationdes Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.
31, rue François Bonvin, 75732 Paris CEDEX 15, France.Téléphone: pour joindre directement votre correspondant,composez le 45.68 ... suivi des quatre chiffres qui figurententre parenthèses à la suite de chaque nom.Télécopie: 45.66.92.70
Directeur: Bahgat ElnadiRédacteur en chef: Adel Rifaat
RÉDACTION AU SIÈGESecrétaire de rédaction: Gillian Whitcomb
Français: Alain Lévêque, Neda El KhazenAnglais: Roy MalkinEspagnol: Miguel Labarca, Araceli Ortiz de UrbinaRubriques: Jasmina SopovaUnité artistique, fabrication: Georges ServatIllustration: Ariane Bailey (46.90)Documentation: José Banaag (46.85)Relations éditions hors Siège et presse: Solange Belin(46.87)Secrétariat de direction: Annie Brächet (47.15),Assistante administrative: Theresa Pinck
Editions en braille (français, anglais, espagnol etcoréen): Mouna Chatta (47.14).
ÉDITIONS HORS SIÈGE
Russe: Irina Outkina (Moscou)Allemand: Dominique Anderes (Berne)Arabe: El-Saîd Mahmoud El Sheniti (Le Caire)Italien: Mario Guidotti (Rome)
Hindi: Ganga Prasad Vimal (Delhi)Tamoul: M. Mohammed Mustapha (Madras)Persan: Akbar Zargar (Téhéran)Néerlandais: Claude Montrieux (Anvers)Portugais: Benedicto Silva (Rio de Janeiro)Ourdou: Wali Mohammad Zakijlslamabad)Catalan: Joan Carreras i Marti (Barcelone)Malais: Sidin Ahmad Ishak (Kuala Lumpur)Coréen: Yi Tong-ok (Séoul)Kiswahili: Leonard J. Shuma (Dar-es-Salaam)Slovène: Aleksandra Kornhauser (Ljubljana)Chinois: Shen Guofen (Beijing)Bulgare: Dragomir Petrov (Sofia)Grec: Sophie Costopoulos (Athènes)Cinghalais: Neville Piyadigama (Colombo)Finnois: Marjatta Oksanen (Helsinki)Basque: Juxto Egaña (Donostia)Thaï: Sudhasinee Vajrabul (Bangkok)Vietnamien: Do Phuong (Hanoi)Pachto: Nazer Mohammad Angar (Kaboul)Haoussa: Habib Alhassan (Sokoto)Ukrainien: Volodymyr Vasiliuk (Kiev)Galicien: Xavier Senín Fernández (Saint-Jacques-de-Compostelle)
VENTES ET PROMOTION. Télécopie: 45.68.45,89Abonnements: Marie-Thérèse Hardy (45.65), JacquelineLouise-Julie, Manlchan Ngonekeo, Michel Ravassard,Mohamed Salah El Din (49.19)Liaison agents et abonnés: Ginette Motreff (45.64)Comptabilité: (45.65). Magasin: (47.50)
ABONNEMENTS. Tél. : 45.68.45.65
1 an: 211 francs français. 2 ans: 396 francs.Pour les étudiants: 1 an: 132 francs français.Pour les pays en développement:1 an: 132 francs français. 2 ans: 211 francs.Reproduction sous ferme de microfiches (1 an): 113 francs.Reliure pour une année: 72 francs.Paiement par chèque bancaire (sauf Eurochèque), CCP oumandat à l'ordre de I'Unesco.
Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits â condi¬tion d'être accompagnés du nom de l'auteur et de la mention «Repro¬duits du Courrier de I'Unesco», en précisant la date du numéro. Troisjustificatifs devront être envoyés à la direction du Courrier. Les photosnon copyright seront fournies aux publications qui en feront lademande. Les manuscrits non sollicités par la Rédaction ne seront
renvoyés que s'ils sont accompagnés d'un coupon-réponse interna¬tional. Les articles paraissant dans le Courrier de I'Unesco exprimentl'opinion de leurs auteurs et non pas nécessairement celles deI'Unesco ou de la Rédaction. Les titres des articles et légendes desphotos sont de la Rédaction. Enfin, les frontières qui figurent sur tescartes que nous publions n'impliquent pas reconnaissance officiellepar I'Unesco ou les Nations Unies.
IMPRIMÉ EN FRANCE (Printed in France)DÉPÔT LÉGAL: Cl - AVRIL 1995COMMISSION PARITAIRE N° 71842 - DIFFUSÉ PAR LES N.M.P.P.
Photocomposition: Le Courrier de I'Unesco.Photogravure et impression: MAURY-IMPRIMEUR S.A., routed'Etampes, 45330 MalesherbesISSN 0304-3118 ND4-1995-0PI 95-536 F
tu fil des mois
Quelle idée de revenir aux sources de nos premières écritures, alors même que
naît, sous nos yeux, une nouvelle écriture à vocation universelle! Impensable il
y a peu, déjà incontournable aujourd'hui, l'écriture électronique ouvre en effet à
chacun, dans un avenir proche, de vertigineuses perspectives d'information,
d'apprentissage et de communication que nous évoquions pour vous dans notre
numéro de février sur «L'explosion multimédiatique».
Cette écriture nouvelle va-t-elle pour autant, comme le pensent certains, rem¬
placer toutes celles qui l'ont précédée et qui seraient, désormais, frappées
d'obsolescence?
Le grand intérêt du thème de ce mois-ci, c'est qu'il répond à cette question, sans
même l'avoir posée, par la négative. Il y répond du seul fait qu'il illustre l'immense
diversité des formes et des techniques utilisées, d'une langue à l'autre, pour passer
du stade oral au stade écrit. Et par là, il donne à voir qu'entre une langue et son
protocole d'écriture, il existe de subtiles affinités, une respiration intime. L'arabe
ne serait pas l'arabe, écrit en caractères chinois. Le turc n'est plus le même de
s'écrire en caractères latins. La disparition d'une écriture, c'est le début de la
fin d'une langue. Parce qu'une langue, son écriture, sa musique, participent d'une
même perspective esthétique des choses.
On touche ici à l'un des replis les plus profonds de l'âme d'une société. Des
anciennes entités politiques féodales ou despotiques aux sociétés modernes, qui
ne voit que l'apprentissage d'une langue écrite a constitué, pour chaque individu,
le moment-clé de son insertion dans la collectivité nationale, l'acte fondateur par
lequel il a accédé aux codes secrets de sa mémoire, et s'est inscrit dans des
réseaux d'appartenance, de complicité et bien sûr, de rapports conflictuels?
L'homme de cette fin de siècle, de plus en plus fortement sollicité par les vastes
promesses de rencontres, d'échanges, de déplacements, d'expériences tou¬
jours plus lointaines que lui ouvre, dans toutes les directions, la mondialisation
du monde, continuera-t-il de ressentir ce besoin de racines, cette soif de visages,
de paysages, de rythmes familiers? Il nous semble que oui, justement; que plus
il ira loin, plus il éprouvera un désir de proximité; plus il s'ouvrira à une commu¬
nication extensive, riche d'informations et pauvre de sens, plus il lui faudra se res¬
sourcer aux lieux des alchimies premières, des matins de sa culture propre que
seule sa langue écrite, nourrie de la sève vitale de toutes les où elle s'enra¬
cine, sauvegarde et perpétue pour lui, face aux menaces croissantes de l'anonymat
et de l'oubli.
Ce numéro comprend 52 pages et un encart de 4 pages situé entreles pages 2-3 et 50-51. BAHGAT ELNADI ET ADEL RIFAAT
N
ERNEST J. GAINESrépond aux questions de Bernard Magnier
Uê en 1933, l'écrivain américain Ernest J.
Gaines grandit dans une plantation de
Louisiane où, dès l'âge de neuf ans, il
travaille, pour 50 cents par jour, à ramasser
des pommes de terre. Â quinze ans, il rejoint
sa mère en Californie, où il entame des
études et se découvre une passion pour les
livres. Déçu de ne pas y trouver «son monde»,
il décide d'écrire pour en parler. Ses
premières nouvelles, parues en 1956, sont
suivies de plusieurs romans, dont D'Amour et
ûe poussière (1967) et L'Autobiographie de
Miss Jane Pittman (1971) qui l'impose au
public américain. Considéré aux Etats-Unis
comme un des auteurs majeurs du «roman du
Sud», il reçoit en 1994 le National Book
Award, grand prix de la critique américaine,
pour Dites-leur queje suis un homme.
Parlez-nous de votre enfance, de votre
environnement familial.
Ma famille a vécu, pendant plus de
cent ans, sur la même plantation de
canne à sucre en Louisiane, et je suis le
produit d'un mélange de Noirs, d'Indiens
et de Blancs. Mais je n'en sais pas plus
sur mes ancêtres. J'ignore de quel pays
africain, ou de quelle tribu indienne, ils
étaient originaires.
Je suis donc né dans la plantation où
travaillaient mes parents, et dont j'ai
commencé par fréquenter l'école, avant
d'aller jusqu'à l'âge de quinze ans à cellede New Rose, la ville voisine, la Bayonne
de mes romans. Puis mes parents se sont
séparés, ma mère est partie pour la Cali¬fornie, et je l'ai suivie afin de pouvoir
continuer mes études. C'est alors que
j'ai commencé à m'intéresser à l'écri¬
ture et à fréquenter les bibliothèques
publiques qui, dans cet Etat, étaientouvertes à tous.
Quelles ont été vos premières lectures,
celles qui vous ont le plus marqué?
J'étais attiré par la fiction. Il n'y
avait pas d'écrivains noirs, alors j'ai
commencé par lire les écrivains du Sud.
Mais je n'ai guère apprécié la façon
méprisante dont ils parlaient des Noirs.Je me suis tourné vers les auteurs euro¬
péens, et plus particulièrement russes,
Gogol, Tourgueniev et Tchékhov, qui
évoquaient la vie paysanne de façon inté¬
ressante et riche. Mon premier roman,
Catherine Cannier, était inspiré du Père
et fils de Tourgueniev. Par la suite, j'ai
découvert Maupassant et Flaubert.
Peut-on dire qu'ils ont été pour vous
des modèles?
Tous ces auteurs européens ne me
satisfaisaient qu'à moitié, car ils ne par¬
laient que de leur monde. J'ai voulu
parler du mien et c'est vers 16 ou 17 ans
que j'ai commencé à écrire.
A 20 ans, après avoir fait mon service
militaire, je suis allé à l'université, où j'ai
fréquenté des ateliers d'écriture et des
cours de littérature anglaise. C'est là
(jue j'ai découvert Hemingway, Faulkner,
Steinbeck, Joyce... Mais aucun de ces
grands romanciers ne m'a influencé plus
que les autres. Comme on dit chez nous,
emprunter à un seul, c'est du plagiat,
mais emprunter à tous, c'est du génie!
Quelle a été votre première publication?
C'était une nouvelle, intitulée Les
tortues, qui a paru en 1956 dans une
petite revue littéraire de San Francisco.Ces tortues représentaient une sorte de O
ENTRETIEN
Tous les grandsécrivains sont des
régionalistcs.Faulkner a écrit sur le
Mississippi, Homèresur la Grèce, Balzac
sur Paris,
Shakespeare sur une
certaine Angleterre.
Ce qui ne les empêche
pas d'être universels!
défi pour deux jeunes pêcheurs en herbe.
Tous deux sont poussés par leur pèredans les bras d'une jeune femme chargée
de les déniaiser, mais c'est le plus habile
à prendre les tortues qui parviendra à
ses fins, alors que l'autre se montre aussi
craintif en amour qu'à la pêche. Je suis
très fier de cette nouvelle, qui vient
d'être rééditée par la revue de l'univer¬
sité où j'enseigne. Trente-cinq ans plustard!
Quand êtes-vous passé au roman?
Un agent littéraire avait lu ma pre¬
mière nouvelle et l'avait appréciée. Elle
a pris contact avec mon professeur, ct
m'a poussé à écrire mon premier roman.
J'avais déjà écrit, à 19 ans, ce que je
croyais être un roman. Je l'avais envoyéà un éditeur qui l'avait refusé et me
l'avait renvoyé. Je l'avais brûlé. Dix ans
plus tard, j'ai repris ce roman, qu'il m'a
fallu cinq ans pour achever et qui m'adonné bien du mal. Ce fut un véritable
apprentissage. Après une douzaine de
remaniements et sept renvois, il a fina¬
lement été accepté. C'est ainsi que Cathe¬
rine Cannier, a pu paraître chez Athe-
niuin. 11 en a été tiré 3 500 exemplaires,dont 2 500 se sont vendus. Les autres
ont été soldés à 25 cents... Aujourd'hui,
si vous en trouviez encore un exemplaire,il vous coûterait au moins cent dollars!
On vous classe aux Etats-Unis parmi les
Ö «écrivains du Sud». Cela vous paraît-il tra
duire une réalité littéraire ou trouvez-vous
cette catégorie trop étroite?
J'ai été catalogué «écrivain noir»,«écrivain du Sud», «écrivain califor¬
nien» parce que je vivais en Californie,
«écrivain louisianais» parce (pie j'écri¬vais sur la Louisiane... Je ne me recon¬
nais pas du tout dans ces classifications.
J'essaye simplement de bien écrire.
Pourtant, votre s'inscrit presque
tout entière dans le petit périmètre de la
paroisse de Bayonne, où vous situez vos
romans.
Tous les grands écrivains sont des
régionalistes. Faulkner a écrit sur le Mis¬
sissippi, Homère sur la Grèce, Balzac
sur Paris, Shakespeare sur une certaine
Angleterre. Ce qui ne les empêche pas
d'être universels! On écrit sur ce qu'onconnaît le mieux, et le lecteur, où qu'ilsoit dans le monde, s'y retrouve. L'Auto¬
biographie de Miss Jane Pittman a été
traduite en plusieurs langues, et des lec¬
teurs de toutes les races m'ont écrit pourme dire qu'ils avaient l'impression dereconnaître la vieille dame.
Votre paroisse de Bayonne n'est-elle
pas, en quelque sorte, l'équivalent loui¬
sianais du Yoknapatawpha de Faulkner,
dans le Mississippi?
Il est incontestable que la paroisse
de Bayonne m'a été inspirée par le comtémythique de Yoknapatawpha. J'ai aussi
emprunté à Faulkner le procédé nar¬
ratif des voix multiples. Mais Faulkner
lui-même a été influencé par Sherwood
Anderson, qu'il a connu, et par JamesJoyce dans ses écrits sur Dublin. C'est
une filiation qui se perpétue.
Je me sens certainement proche de
Faulkner. Nous appartenons tous lesdeux au Sud, nous décrivons les mêmes
réalités la vie dans les petites villes, la
lutte quotidienne des petites gens, la puis¬sance des grands propriétaires fonciers,
les problèmes raciaux. Et le Mississippin'est pas loin de la Louisiane.
Dans vos romans, le point de rupture
est souvent atteint à la faveur d'une ren¬
contre amoureuse, comme si ce type de
relations concentrait tous les interdits,
était un lieu privilégié de conflit.
C'est vrai [tour certains de mes
romans, mais pas, par exemple, pour
Dites-leur que je suis un homme, l'his¬
toire d'un jeune Noir démuni et inculte,
condamné à mort pour un crime qu'iln'a pas commis, et de l'instituteur de
couleur qui lui rend la dignité avant la
fin. Le conflit ne se produit pas seule¬ment autour de la relation amoureuse, il
est partout. Dans mes romans, il surgitgénéralement lorsqu'un jeune Noir tente
d'outrepasser les limites qui lui sont
imposées. Mais il se retrouve aussi entre
jeunes et vieux, entre la volonté d'un
retour au pays natal et celle de rester où
l'on est, entre le sentiment religieux et
l'athéisme. . . Il faut un conflit pour qu'ily ait une histoire et (pie celle-ci révèle lestensions raciales.
Les écrivains francophones d'Afrique
noire ou des Antilles se sont rangés, à
leurs débuts, sous la bannière de la «négri¬
tude». Ils entendaient ainsi affirmer les
valeurs culturelles du monde noir. Ce mou¬
vement vous paraît-il toujours d'actualité?
Tout à fait, même si je ne fais pas
BIBLIOGRAPHIE
Colère en Louisiane
(A Gathering of Old man)Liana Levi 1989
U.G.E. 10/18, 1994.
L'Autobiographie de Miss Jane Pittman
(The Autobiography of Miss Jane
Pittman)1989.
D'amour et de poussière
(Of Love and Dust)1991.
Une longue journée de novembre, suivide Le ciel est gris
(A Long Day in November, The Sky IsGray)1993.
Dites-leur que je suis un homme
(A Lesson Before Dying),1994.
Tous ces titres ont été traduits par Michelle
Herpe-Voslinsky et publiés aux éditions Liana Levi.
ERNEST J. GAINES
partie de cette école, ni d'aucune autre
d'ailleurs. Mais je reconnais que cettenotion de négritude, mise en avant par lesécrivains de langue française, peut servir
de point de repère aux jeunes généra¬
tions, qui en sont bien dépourvues. Dans
mon petit domaine, je fais la même chose
que ces écrivains africains ou antillais:
j'essaye de décrire, du mieux que jepeux, la réalité quotidienne des Afri¬
cains américains. Mais je refuse absolu¬ment de me laisser enfermer dans une
quelconque catégorie.
Quel regard portez-vous sur le continent
africain?
Je n'y suis jamais allé. Je me sens très
proche de l'Afrique, de par mes origines,
mais aussi parce qu'il s'y passe des choses
très graves et que tout être humain doit
se sentir concerné par de tels drames.
Je compatis aux douleurs africaines, car
elles ressemblent à celles (pie nous avons
connues, dans le Sud, il y a une quaran¬taine d'années. Mais dans le reste du
monde aussi, il y a des problèmes. Quant
à la littérature et à la musique africaines,
je les apprécie au même titre que celles
qui nous viennent d'Europe ou des Amé¬
riques. Ma culture est, avant tout peut-être, occidentale.
Lisez-vous les écrivains africains?
Pas autant queje devrais!
Avez-vous le sentiment qu'il existe une
communauté culturelle noire aux Etats-
Unis?
Je ne pense pas qu'il y ait une quel¬conque école noire aux Etats-Unis
aujourd'hui. L'expression «communauté
noire» est très vague. Existe-t-il une com¬
munauté blanche? Je ne peux pasrépondre. Néanmoins, les écrivains noirs
abordent les problèmes qu'ils connais¬sent bien, mais avec des sensibilités dif¬
férentes. Toni Morrison, Alice Walker,
Maya Angelou et moi-même, nous avons
des préoccupations communes.
On voit se multiplier les colloques, les
collections, les anthologies et les critiques
de «littérature négro-africaine», «néo-afri
caine» ou «nègre». Vous paraît-il aberrant de
réunir dans un même ensemble des écrivains
venant des Etats-Unis, des Caraïbes ou
d'Afrique parce qu'ils sont Noirs?
Non, pas du tout! J'approuve ce
genre d'initiative. Il est important pournous, écrivains noirs, de nous réunir,
de nous rencontrer, de nous connaître,
car nos luvres ne sont pas aussi bien
représentées dans les programmesd'enseignement que celles des Blancs.Cela dit, je n'abuse pas de ces ren¬contres, je préfère rester chez moi etécrire.
Dans mon petit
domaine, je fais la
même chose que cesécrivains africains ou
antillais: j'essaye de
décrire, du mieux que
je peux, la réalité
quotidienne desAfricains américains.
Dans votre la Louisiane apparaît
comme une terre de conflit, mais aussi
comme une terre de rencontre, d'apaise¬
ment et de compromis. Malgré «le bruit et
la fureur», votre écriture semble plus
sereine que celle des autres écrivains
noirs.
J'écris de mon propre point de vue.
Je vois le monde autrement qu'un James
Baldwin ou un Richard Wright. Je n'ai,
peut-être, pas autant souffert. Et même
si nous avons partagé les mêmes com¬
bats, je n'ai pas vécu comme eux dans les
grandes villes, à New York ou dans les
quartiers sud de Chicago. J'ai pu aller
très jeune en Californie, dans une petite
ville où j'étais bien intégré dans une com¬
munauté nuilti-ethnique. A l'école, il yavait des Blancs, des Hispaniques, des
Asiatiques.
Cela ne m'empêche pas d'aborder
des sujets graves: dans Dites-leur queje
suis un homme, un innocent est envoyésur la chaise électrique. On m'a critiquépour L'Autobiographie de Miss Jane
Pittman, car à l'époque de la lutte poní-Íes droits civils, la vie d'une femme de 110
ans ne constituait pas un sujet d'actua¬
lité! Certes, il s'agissait pour moi avant
tout d'un travail littéraire, mais je racon¬tais aussi dans ce livre des événements
terribles qui n'étaient pas sans rapportavec l'actualité.
Pensez-vous qu'à cet égard la société
nord-américaine ait évolué?
Il y a eu certains progrès depuis la loi
de 1954 sur la ségrégation raciale, mais jen'ai pas le sentiment que les écrivains ct
les artistes aient, quant à eux, beaucoupvarié dans le choix de leurs thèmes.
L'évolution n'est pas suffisante pourinterrompre la lutte contre le racisme. Le
problème racial demeure, et c'est pour¬quoi je continue d'écrire, depuis qua¬rante ans, sur le sujet. En revanche, il ya certainement une plus grande recon¬naissance de l'auvre des écrivains noirs.
Aujourd'hui, je suis reconnu au même
titre que d'autres, ce qui aurait étéimpossible il y a trente ans.
Dans la vie quotidienne, les choses
ont-elles changé?
Certaines personnes ont évolué,notamment dans les milieux cultivés. La
situation a changé pour quelques-uns,des progrès ont été faits. Les gens ont
pris conscience de la participation des
Noirs à la vie publique. Et nous ne
sommes plus au temps ou un Nat KingCole voyait son émission à la télévision
annulée simplement parce que la caméral'avait surpris, au moment du génériquede la fin, en train de prendre la main
d'une femme blanche sur le plateau. Mais
tant de problèmes graves ne sont pasréglés: celui de l'éducation par exemple,ou celui de l'emploi. Il reste encore un
long chemin à parcourir.
BERNARD MAGNIER,
journaliste français, est un spécialiste de la
littérature africaine.
Il y a longtemps, à Sumer...par Xavier Perret
- yi Il y a 35 000 ans, des hommes de la préhistoire traçaient les premiers
dessins sur les parois des cavernes, Mais c'est bien plus tard
qu'apparaissent en Mésopotamie, puis en Egypte, les premiers signes
écrits. Une extraordinaire invention qui marque le début de lacivilisation de l'écriture,
L apparition de l'écriturecoïncide avec celle des villes. Ci-
dessus, détail d'un relief assyrien
du palais de Sargon II à Dur
Sarrukin (8e siècle avant J.-C.).
L'écriture, en tant que système de repré¬sentation graphique d'un langage struc¬
turé, n'apparaît qu'au milieu du 4e millénaire, aupays de Sumer, en Mésopotamie. D'abord pic¬tographique, ce système évolue vers une abs¬traction plus à même de reproduire l'intégrité dudiscours. Un peu plus tard, au début du 2e mil¬lénaire, émerge, à l'autre bout du monde, l'écri¬ture chinoise, pictographique elle aussi. Les
écritures égyptienne et maya, dont la genèsenous reste inconnue, s'organisent aussi à partir
d'images signifiantes.L'aspect figuratif des premiers symboles gra¬
phiques fait penser aux tout premiers dessinstracés par les hommes: les peintures rupestres del'époque paléolithique. Quel sens donner à cesreprésentations animales et anthropiennes quiconstituent l'art pariétal entre -35 000 et -18 000ans? A défaut d'y trouver l'écho d'un langageconstitué, on y constate une volonté de repré¬sentation graphique qui démontre une commu¬nauté de langage ou du moins de referentsau sein du groupe et, donc, l'existence d'unepensée commune.
Mais, les vestiges artistiques aurignaciens ou
HTgft\ & h
tfc*rifAft*t 4
8
Inscriptions sacrées, peintessur la pierre au Ladakh (Inde)
r par des réfugiés tibétains.
Pictogrammes dayaks,gravure sur bois du début
du siècle. Sarawak, île de
Bornéo.
magdaléniens sont encore à des milliers d'annéesdes tout premiers symboles graphiques nonfiguratifs que sont les chiffres système numé¬rique à bâtons de la Chine ancienne, ou sys¬tème de comptabilité sumérien à l'aide de ballesd'argile creuses gravées1. C'est durant ce trèslong laps de temps que se produit la révolution
néolithique. Le rapport de l'homme à son envi¬ronnement se modifie alors radicalement: de
chasseur-cueilleur il devient producteur.A partir des premiers icones, on voit s'éla¬
borer, par voie de stylisation et de combinaison,des systèmes scripturaires tendant vers unereprésentation du discours et de la pensée.
Les premiers logogrammes sumériens, parexemple, tout comme les pictogrammesarchaïques chinois, représentent des concepts debase qu'il fallait interpréter pour reconstituer lemessage. Des castes de «lettrés» mettront plu¬sieurs siècles à parfaire ce mode de représenta¬tion pour aboutir enfin à des systèmes suscep¬tibles de transcrire toutes les nuances du langage.
L'innovation phonétiqueSi l'apparition des systèmes scripturaires sumérienet chinois et, sans doute, méso-américain s'expliquede manière évolutionniste, l'existence des divers
systèmes phoniques (alphabétiques ct syllabiques)à travers le monde serait plutôt due à la diffusiond'un modèle originel emprunté, imité, détourné,de société en société et de langue en langue.
Il semble en effet que le tout premier systèmede transcription phonique, probablement syl-labique, à avoir vu le jour soit le système phé¬nicien, dont les traces les plus anciennes remon¬tent aux 13e- 1 1e siècles avant notre ère. Si
l'origine exacte des caractères phéniciensdemeure mystérieuse (ils sont vraisemblable¬ment dérivés d'idéogrammes sumériens), lesspécialistes s'accordent aujourd'hui pour estimer
fc rtJt o| rtfj lu If ï"
J\ %*&Hp¿(t*V'nj£iJ'rHtt*jJU.'$f*t.'lrrv\f '
Tt«i7l(*;Oj-
1^ 'íy«utfíí-|vffflUpi|(//irKf:1
Manuscrit byzantin enluminédu 4e siècle.
I
Im A
litt»; \\\
(/¡-dessus, inscription hittitehiéroglyphique (9e-8e siècle av.
J.-C.) portant les noms du roi
Telipinus et de son fils
Suppiluliuma, qui soumit Alep
vers 1354 av. J.-C. Les Hittites,
peuple anatolien qui régna
pendant cinq siècles sur une
grande partie de l'actuelle
Turquie d'Asie, utilisaient des
idéogrammes empruntés aux
Babyloniens.
En haut, épitaphe inscrite surle couvercle du sarcophage
d'Ahiram, roi de Byblos, est
datée de la fin du 11e siècle
avant notre ère. Ce texte
phénicien, le plus ancien connu, .montre une écriture
alphabétique qui a déjà atteint
sa forme achevée.
(/¡-contre, sur ce parchemin du16e siècle conservé en Bolivie,
le catéchisme est expliqué aux
Indiens au moyen de
pictogrammes.
10
XAVIER PERRET,
de France, professeur d'anglais
et traducteur, a publié des
critiques de livres dans Le
Courrier de I'Unesco sous le nom
de Calum Wise (octobre et
décembre 1993).
qu'ils constituent, à coup sûr dans une majoritédes cas, la matrice des différents alphabets pho¬niques actuellement employés à travers le monde.
La diffusion des écritures phoniques eut bienentendu pour vecteurs les mouvements divers depopulations (telle l'arrivée des nomades ara-
méens en Mésopotamie), les activités commer¬çantes (telles celles des Phéniciens sur toute la
Méditerranée orientale), les hégémonies poli¬tiques (telle les invasions doriennes en Grèce) ou
religieuses (chrétienne, par exemple, avec la tra¬
duction de la Bible en slavon), mais leur principalfacteur de succès fut sans doute la grande sim¬plicité d'utilisation qu'elles offraient par rap¬port à la lourdeur du cunéiforme ou à la com¬plexité de l'écriture hiératique égyptienne.
Í i (¿art* '
Les emprunteurs successifs du système phé¬
nicien se virent obligés de l'adapter chacun auxréalités de sa propre langue. Naquirent ainsi les
écritures araméenne, hébraïque et nabatéenne,
d'où jaillirent par la suite d'autres écritures, à
nouveau adaptées, transformées: la grecque etl'arabe, qui en engendrent d'autres à leur tour.
On ne peut plus guère, ici, parler de diffusion
et d'évolution, mais plutôt de contamination.
Retour à l'image
Mais quelle serait, en conclusion, la fonction
de l'écriture? A l'origine, elle a répondu à deuxtypes de besoins distincts. En Chine, elle a servi
en premier lieu à communiquer avec l'autremonde, comme le montrent certains vestiges
archéologiques tels que plastrons de tortues et os
divinatoires sculptés. Fonction magique, donc,au départ, tout au contraire de ce qui se passait
au pays de Sumer où l'écriture a servi toutd'abord à tenir des comptes. Ailleurs, en Egypte
ou chez les Mayas, connue des seuls prêtres,l'écriture était au service du sacré. Plus tard, en
Europe, ce sera au tour du clergé d'en garderpendant longtemps l'exclusivité.
Liée de près ou de loin à la magie, étant donnéle cumul bien fréquent des pouvoirs spirituel et
temporel par les mêmes individus, l'écriture setrouvait par là même impliquée dans l'organisa¬
tion du pouvoir juridique et politique de lasociété. Apanage, pendant longtemps, des castes
dirigeantes, elle ne s'est répandue que lentementà travers toutes les couches de la population. Les
secrets de l'écriture maya, par exemple, ont dis¬paru avec le règne des prêtres, et en Egypte, l'écri¬
ture démotique (employée dans l'administration,le commerce ou la littérature) mit plusieurs
siècles à apparaître. L'alphabétisation de masse enOccident ne remonte qu'à la fin du 19e siècle. Et
aujourd'hui encore, aucune des sociétés indus¬
trialisées modernes ne peut se targuer d'avoir un
taux d'alphabétisation de 100% !Paradoxalement, c'est dans ces dernières
sociétés où la loi est écrite, où l'écriture fait
donc souvent force de loi, que la communication
par l'image a gagné depuis un siècle et demi unterrain considérable. Si l'invention de la typo¬
graphie a sans doute figé, ou freiné, pour untemps l'évolution de l'écriture, ce retour en
force de l'image, et l'apparition constante de
nouveaux idéo-pictogrammes dans la vie quo-tidenne, tendent à prouver que cette évolution
a repris son cours.
1. cf. Le Courrier de I'Unf.sco, novembre 1993
(«Naissance des nombres. Comptes ct légendes»)
Genèse d'une invention
par Béatrice André-Salvini
L'écriture naît du besoin de tenir des comptes, d'établir des listes.
Les premiers aide-mémoire sont des tablettes d'argile,matière abondante dans les vallées du Proche-Orient.
I L'écriture apparaît pour la première fois,vers 3300 avant Jésus-Christ, au pays de
Sumer, au cours d'une période de mutations
profondes qui coïncident avec l'apparition desvilles. Les conditions politiques, sociales etculturelles nécessaires à son invention sont alors
réunies.
Dans le sud du pays, la cité d'Uruk est pros¬
père et développe des échanges à longue distancepour importer les matières premières qui lui fontdéfaut.
L «étendard d'Our»,objet non identifié décoré de
moutons et de capridés.
Incrustations de nacre sur
mosaïque en lapis-lazuli, art
sumérien (2800-2100 av. J.-C).
Le temple de la divinité tutélaire devient ungrand centre administratif, placé sous l'autoritéd'un chef à la fois politique et religieux, le «roi-prêtre». Les relations deviennent complexes,les administrateurs du temple doivent gérer lesmouvements du personnel, les salaires, lesentrées et les sorties des troupeaux et des mar¬chandises. Comme la mémoire humaine est
limitée, il devient nécessaire de trouver un sys¬tème de référence nouveau et unifié permettantde conserver les informations orales, puis derestituer le langage. C'est ainsi que l'écritureest née. Elle représente en images des symbolesde la société. De nouveaux concepts furent doncfigurés de façon abstraite dès les premiers essaisde l'écriture. C'est le cas de l'animal le plus sou¬vent compté: le mouton. Ce mot fut d'abordreprésenté par une croix dans un cercle: c'estl'animal dans son enclos. 11
Vers le milieu du troisième millénaire, décomposés, renversés,
simplifiés, utilisés pour leur son et non plus pour leur sens
premier, les signes perdent une partie de leur contenu
symbolique. L'écriture cunéiforme peut désormais restituer
toutes les nuances de la pensée.
Simple aide-mémoire à l'origine, l'écriture sedéveloppe progressivement au cours des sièclessuivants dans sa forme et son contenu.
La graphie linéaire, incisée à l'aide d'un outilpointu, se déforme rapidement. Les signes per¬dent toute ressemblance avec leur tracé figu¬ratif primitif. Ce phénomène est dû au supportutilisé, l'argile, seule ressource naturelle de laMésopotamie du Sud. Ses contraintes détermi¬nèrent la transformation des signes; comme il estdifficile de tracer des lignes courbes dans l'argilefraîche, on les décomposa en ligne droites,bientôt imprimées, et non plus incisées, aumoyen d'un caíame de roseau à bout triangulaire,qui produit des impressions en forme de coin.Celles-ci peuvent être horizontales, obliquesou verticales, leurs différentes combinaisons
Tablette administrative formant un signe.néo-sumérienne, fin du
3* millénaire avant J.-C.
12
Parallèlement à l'évolution du graphisme,les scribes cherchèrent à augmenter les possibi¬lités et l'efficacité du système idéographiquepar la création de signes composés. Pour sim¬plifier l'écriture, on chercha d'abord à réduire lenombre de signes; aussi le même idéogrammeservit-il bientôt à transcrire des actions ou des
notions voisines. Le lecteur devait alors choisir
entre ces sens divers selon le contexte, ce quin'était pas toujours facile.
Pour remédier à cette difficulté de lecture, on
inventa des «déterminatifs de classification» qui,placés en début ou en fin de mot et probable¬ment muets, servent à préciser à quelle caté¬gorie appartient le concept exprimé: dieu,homme, astre, oiseau, pays, objet en pierre, etc.La nécessité de transcrire les noms propres et lesliaisons grammaticales conduisit à l'invention designes représentant un son (phonogrammes) endépouillant les idéogrammes de leur sens pourne conserver que leur son.
Ces procédés entraîneront une diminutiondu répertoire des signes, qui passa de 900 àl'époque primitive à environ 500 vers 2400 av.J.-C. On aboutit ainsi à la possibilité d'un sys¬tème en partie syllabique, qui permettait d'écriredes phrases exprimant les relations des mots
Evolution des signes cunéiformes
Vers 3100
avant J.-C.
Vers 2400
avant J.-C.
Vers 650
avant J.-C.
UDU
(mouton)
AB2
(vache)
C=
DINGIR (dieu,
determinate divin)
#DU1
(aller, remuer)
DU3
(faire, construire)
entre eux et toutes les nuances de la langueparlée.
Le contenu des textes s'enrichit parallèle¬ment aux possibilités nouvelles de restituer tousles éléments de la langue sumérienne.
Des comptes aux contesLes premières versions écrites de la littératuresumérienne, transcrites au moyen de racinessimples laissant au lecteur le soin de suppléer leséléments absents, apparaissent à l'époque desDynasties archaïques (vers 2700 av. J.-C), à côtéde contrats et autres documents économiques.
Vers le milieu du troisième millénaire,
décomposés, renversés, simplifiés, utilisés pourleur son et non plus pour leur sens premier, lessignes perdent une partie de leur contenu sym¬bolique. Leur évolution graphique s'accentue.La grammaire est désormais bien fixée et l'écri¬ture cunéiforme (du latin cunei, coins) peutdésormais restituer toutes les nuances de la
pensée. Elle se répand hors des limites du paysde Sumer. Son adaptation à d'autres languesque le sumérien va devenir le facteur principalde son évolution.
Vers 2340 av. J.-C, les nouveaux maîtres dupays, les empereurs d'Akkad, utilisent l'écri¬ture sumérienne pour transcrire leur languesémitique, l'akkadien. A la fin du 3e millénaire,un bref retour des Sumériens au pouvoir voit uneffort des poètes, des écrivains et des savantspour mettre par écrit et diffuser les grandeseuvres littéraires de la tradition orale: hymnesaux dieux, mythes, prières, épopées, essais phi¬losophiques, recueils sapientiaux. L'épopée deGilgamesh sera l'suvre la plus diffusée. Vers2000 av. J.-C, le sumérien en tant que langue
parlée disparaît de la Mésopotamie, remplacépar l'akkadien, qui se divise alors en deux dia¬lectes: assyrien au nord et babylonien au sud.Mais le sumérien restera la langue de la culturesavante jusqu'à la fin de l'histoire de l'écriturecunéiforme, au 1er siècle de notre ère.
Sa complexité n'empêcha pourtant pas cesystème de se répandre dans tout le Proche-Orient ancien pour noter différentes langues,sémitiques, indo-européennes (comme le hit¬tite), ou «asianiques». Le déclin du cunéiformes'amorça au premier millénaire, lorsque lesnomades araméens pénétrèrent en Mésopotamieet y introduisirent leur langue écrite au moyend'un alphabet linéaire, facile à apprendre et à uti¬liser, accessible à tous et pouvant s'écrire surun support léger, le papyrus. L'écriture cunéi¬forme, lourde et réservée à un petit nombred'initiés, allait peu à peu régresser.
Idéogrammes composés
SAG, la tête KA, la bouche: la tête dont lapartie concernée est soulignée
KU 2, manger:la bouche+le pain (NINDA)
NAG, boire:la bouche+l'eau (A)
«t=n ^ C43) ^ (<tó) ^j<m)
Cette tablette d'argile deBasse-Mésopotamie
(4e millénaire av. J.-C.) est une
sorte d'acte de propriété: le
propriétaire serait identifié par
le symbole de sa main, en haut
à gauche.
Ce bâtonnet d'argile de lataille d'un doigt, retrouvé en1948 sur le site de l'ancienne
cité d'Ougarit (l'actuelle Ras
Shamra en Syrie) et datant du
14* siècle avant notre ère, est
un des plus vieux abécédaires
de l'humanité. Récapitulant les
30 lettres d'une écriture
d'apparence cunéiforme, ¡I est
le témoin d'une des premières
tentatives de création d'un
alphabet.
BEATRICE ANDRE-SALVINI,
assyriologue française, est
conservateur en chef du
patrimoine et chargée des
inscriptions au département des
antiquités orientales du musée
du Louvre. Elle a publié
L'invention de l'écriture (Nathan,
1986), ¡.es tablettes du monde
cunéiforme (Bibliología,
Turnhout, Belgique 1992) et The
Birth of Writing in Ancient
Mesopotamia («Naissance de
l'écriture dans la Mésopotamie
antique», Asian Art V,
Washington 1992).13
CD
Une image de marquepar Rinnie Tang-Loaec et Pierre Colombel
14
Née au cours du deuxième millénaire avant notre ère, l'écriturechinoise est la seule à être restée en usage, tout en évoluant,depuis près de 35 siècles.
Selon une très ancienne tradition, l'écri¬
ture est faite de signes plus ou moins figu¬ratifs qui représentent des êtres, des choses, ouévoquent des phénomènes naturels.
La légende populaire rapporte que Fu-Hsi,premier législateur du pays et inventeurmythique de l'écriture chinoise, s'inspira desempreintes laissées par les oiseaux dans la neige.
On retrouve la même légende, plus élaborée,dans un texte datant de la dynastie des T'ang(61 8-907), où l'auteur raconte que Fu-Hsi étaitpourvu de quatre yeux qui lui permettaientd'observer simultanément le ciel et la terre.
L'observation de la constellation Kui dans le
RINNIE TANG-LOAEC,
de France, ancienne ethnologue
au musée de l'Homme à Paris, a
écrit, avec Léo Landsman, Le
mouvement qui apaise, un livre
sur la boxe chinoise (Epi, 1984).
PIERRE COLOMBEL,
de France, spécialiste de l'art
rupestre au Centre national de
la recherche scientifique, est
attaché au musée de l'Homme à
Paris.
ciel et des traces des oiseaux et des tortues sur la
terre lui inspira l'écriture.Dès l'aube de l'écriture en Chine apparaissent
différents types de signes qui évolueront etdeviendront les «clefs» du système. Les élé¬ments de base à l'origine de celui-ci sont denature iconique. Les formes les plus archaïquesobservées en sont des formes humaines peintesou gravées sur des parois rocheuses, commedans les sites rupestres des monts Yinshan, enMongolie intérieure.
On observe, au cours des millénaires, une
stylisation progressive de ces pictogrammes.C'est en partant de ces caractères simples quenaissent les idéogrammes, qui sont des combi¬naisons de deux ou trois signes pictographiquespermettant d'exprimer des actions, des idées oudes notions plus complexes. La notion delumière, par exemple, est une combinaison designes renvoyant au soleil et à la lune.
oelon la légende, l'inventeur
mythique de l'écriture chinoise
se serait inspiré des empreintes
laissées par les animaux sur la
neige. Page de gauche,
empreintes de tortues sur lesable.
Ci-contre, trois familles decaractères chinois.
Xiangxing: caractères représentant la forme. Ce sont, à l'origine, des dessins schématiques qui, par phases suc¬cessives, sont devenus des signes conventionnels.
femme
ctur
montagne
origine
áancien
ft<£
moderne
>Ù
LU
Zhi-shi: caractères qui représentent un état, une idée, un acte... La signification de ces caractères, de nature plusabstraite, s'exprime par suggestion.
dessus ou sur
dessous ou sous
origine ancien
J,moderne
T THueyi: catégorie de caractères fondée sur la combinaison de deux ou trois éléments parmi ceux qui précèdent.Ainsi, le caractère confiance est la combinaison du caractère homme et du caractère parole. Automne, saison oùla paille rougit dans les champs, est composé de pa/7/e de céréale et de feu. Le même signe automne placé au-dessusde c'ur signifie tristesse.
Dans l'écriture moderne, les caractères issus
des pictogrammes simples sont peu nombreux,mais forment les «radicaux» ou «clefs» en fonc¬
tion desquels les caractères étaient classés dansles dictionnaires et ce jusqu'à la création,dans les années 50, du pinyin, système de trans¬cription phonétique des caractères chinois dansl'alphabet romain.
L'apparition d'un système scripturairc chi¬nois permettant de rédiger des textes peut sesituer sur une période à la charnière des dynas¬ties Hsia (du 22e au 1 8e siècle av. J.-C.) et Shang(du 18e au 11e siècle av. J.-C), époque durantlaquelle la société chinoise se hiérarchise et où lepouvoir de l'Etat est solidement établi.
Sélection naturelle
Les découvertes archéologiques ont permis àce jour d'inventorier environ 4 000 caractèresgravés sur plus de 10 000 pièces carapaces detortues et os plats à usage divinatoire, mais quiservaient aussi à noter des événements ou à
dresser des listes d'inventaire. Ces caractères
antiques retracent la genèse et l'évolution del'écriture chinoise. Plus d'un millier d'entre eux
sont aujourd'hui identifiés sortes de «dessins-sténo» schématisés et obéissant à une règlestricte: à chaque caractère correspond un mot etson expression autonome.
A l'époque Shang, ce type d'écriture, fruitd'une longue période de mutations de carac¬tères, était déjà d'usage courant; mais tous lescaractères créés ne pouvaient pas être retenus.Certains, peu communicables, peu signifiants oudifficilement mémorisables étaient voués à dis¬
paraître. D'autres, au contraire, plus efficacesdans l'évocation d'un concept, plus accessiblesà tous, formèrent les premiers éléments d'uneécriture à l'usage d'un peuple partageant le mêmefonds culturel.
A l'origine, donc, l'écriture chinoise s'expri¬mait soit par des formes simples, stylisées (les
pictogrammes), soit par des combinaisons de cespictogrammes suggérant alors une action ou unenotion. On pourrait dire que, à sa naissance, cetteécriture fut créée indépendamment de la langueet que sa correspondance actuelle avec celle-ci estle fruit d'une longue évolution naturelle.
Parmi les premièrestraces connues de l'écriture
chinoise, ces inscriptions
divinatoires sur un fragment
d'os de bovidé (16"-ir siècles
avant notre ère).
15
J-
tCO
*0>
Dans l'Amériqueprécolombienne,
Mayas, Tolîèques et
Aztèques avaient mis
au point des écrituresessentiellement
figuratives. Lesdocuments «écrits»
étaient en fait peints:formes et couleurs
transcrivaient divers
éléments du langage.
>-:>
Une écriture haute en couleurs
Ci-dessus, la «stèle del'ambassadeur», trouvée sur le
site olmèque de La Venta, au
Mexique. Datant d'environ
1500 avant notre ère, elle
porte des glyphes qui comptent
parmi les plus anciens signes
d'écriture de Méso-Amérique.
16
I L'écriture existe en Méso-Amérique» depuis des temps très reculés. Des élé¬
ments graphiques de formes très diverses appa¬raissent dès l'époque olmèque, bien avant l'èrechrétienne. Certains se perpétueront sans chan¬gement dans d'autres civilisations postérieures:teotihuacán, mixtèque, maya, zapotèque,aztèque, et parviendront ainsi jusqu'aux manus¬crits tardifs des 16c-18c siècles.
par Joaquin GalarzaLes supports des écrits méso-américains
sont variés. Incisés en creux, en relief dans la
pierre ou le bois, ou bien peints dessus, ils cou¬vraient les murs des bâtiments et monuments
civils ou religieux. Le lecteur devait alors sedéplacer pour y accéder. Ils portaient essen¬tiellement sur des événements relatifs à l'obser¬
vation de phénomènes naturels (astrono¬miques), ou marquant le début ou la fin de
gouvernements (récits historiques). Ils abon¬daient en chiffres et en dates.
Les peaux animales (de cervidés principale¬ment) furent sans doute les premiers supportsmobiles. Des masques et des figurines en jadéite,envoyés en offrande dans des temples lointains,portaient des textes courts, probablement reli¬gieux, explicitant leur origine. Des récipientsen céramique servaient également à transmettredes textes, plus longs et complexes, sur diverssujets: mythiques, historiques, religieux.
Beaucoup plus tard, la culture du coton, sonfilage et son tissage, fournirent de grandes sur¬faces de tissu sur lesquelles il devint possiblede fixer des thèmes cartographiques ou généa¬logiques.
Plus ancienne est l'utilisation de l'écorce
d'amatl (variété de ficus) pour fabriquer desfeuilles de papier indigène qui, sous forme delongues bandes, permettaient de fixer des textespicturaux. Feuilles et peaux pouvaient êtreconservées roulées sur elles-mêmes (rouleaux) oubien pliées et protégées entre deux plaques debois (codex). C'est la ressemblance de ces der¬
niers avec les livres européens manuscrits qui lesfit baptiser ainsi.
La notation
Parce qu'elles diffèrent en apparence, on a parléde plusieurs écritures méso-américaines. Maisleur système de base est le même: il est fondésur l'image, ce qui en représente l'aspect le plusoriginal.
L'image a été totalement codifiée de façonque ses éléments graphiques et plastiques puis¬sent transcrire les éléments sémantiques et pho¬nétiques minimaux des langues des populationsautochtones; celles-ci pouvaient ainsi fixer ettransmettre leurs idées et leur savoir, tout en
élaborant des compositions artistiques.Les manuscrits dits «pictographiques» ou
«picturaux» sont de véritables «tableaux-textes»où toute figure compte, parce que chaque élé¬ment a, tout à la fois, un signifié (concept) et unréfèrent (l'objet) en sus de ses valeurs phonétiqueet plastique.
Produits directs de l'observation, les picto¬grammes reproduisaient les plantes, les ani¬maux, les objets fabriqués et les parties du corpshumain à différents degrés de stylisation, et cejusqu'à l'abstraction absolue.
Rien de gratuit ou de purement décoratif,cependant, dans ces dessins à lire dans leur tota¬lité, issus au départ d'une convention plastiquecommune, mais où l'image évolue en fonctiondes besoins linguistiques de chaque groupehumain.
La distribution des signes dans l'espace varieaussi selon les civilisations. Les Mayas, parexemple, tendaient à privilégier la linéarité dansl'arrangement de certains types de signes, tout en
réservant, surtout lorsqu'il s'agissait de calculsou de récits chronologiques, des zones hori¬zontales ou verticales pour y inscrire d'autresmots en continuité.
Malgré cela, les premières compositions gra¬phiques d'éléments sémantiques sont réalisées àl'intérieur de «cartouches», où l'on constate la
présence d'éléments figuratifs. Dans l'imageméso-américaine, les dessins les plus grandsparaissent séparés des autres. L'espace généralsemble divisé en deux: glyphique pour les petitesimages et iconique pour les grandes. Les docu¬ments mixtèques et aztèques présentent des«paysages» et des «scènes» où tous les thèmesintégrés se superposent, les récits se déroulantprogressivement.
Glyphes et icones se combinent et s'associentdans l'espace pictural. Le sens de lecture estdonné, dans chaque cas, par le dessin lui-même.Indications et solutions sont à la fois graphiqueset plastiques.
Un tonalamatl aztèquecontemporain de la Conquête
(lS'-ie* siècle). Ce «livre du
destin», calendrier rituel peint
sur papier d'écorce, est dédié à
Petecatl, dieu du pulque, un
suc d'agave fermenté symbolisé
par la jarre posée à ses pieds.
Devant lui, deux guerriers:
l'aigle et le jaguar.
Le système de base est fondé sur
l'image. Celle-ci a été codifiée de façon
à permettre aux populationsautochtones de fixer et transmettre
leurs idées, tout en élaborant des
compositions artistiques.
(/¡-contre, peinture muraleréalisée par l'artiste mexicain
contemporain Desiderio
Xochitiotzin pour le palais du
gouvernement de Tlaxcala. Elle
représente, autour d'un codex,
une scène de la vie quotidienne
dans ce petit Etat du Mexique à
l'époque de la «découverte» de
l'Amérique par Christophe
Colomb. Ci-dessus, manuscrit
maya (15"-16* siècle). Glyphes
et dessins sont peints sur une
bande de papier en fibre de
ficus longue de plusieurs
mètres et pliée en accordéon.
18
JOAQUIN GALARZA,
du Mexique, est directeur de
recherche du Centre national de
la recherche scientifique au
Laboratoire d'ethnologie dumusée de l'Homme à Paris. Il a
publié, avec Aurore Monod-
Becquelin, Doctrina Christiana:
méthode pour l'analyse d'un
manuscrit pictographiquemexicain du 1 7e siècle avec
application à la première prière:
le Pater Noster (Sté ethnologie,
1980), et Estudios de escritura
indígena tradicional azteca
náhuatl («Etude de l'écriture
traditionnelle aztèque en
náhuatl», 1988).
Ce n'est que dans les documents très spéci¬fiques, du type calendriers, chroniques ou listeséconomiques que les différents «textes» se dis¬tinguent les uns des autres.
I lacuiloa: le modèle aztèqueTerme náhuatl désignant le système scripturairetraditionnel, tlacuiloa signifie «écrire en pei¬gnant» ou bien «peindre en écrivant» écrireet peindre étant là une seule et même activité.
La recherche n'en est encore qu'aux débutsdu déchiffrement de la notation aztèque. Maisnous pouvons d'ores et déjà affirmer qu'il s'agitd'un double système de dessins (glyphes eticones), issus d'une même convention plastique,et fondés sur les sons de la langue náhuatl.
La codification de l'image est donc avanttout sonore: les formes, définies par des contoursau trait noir, créent des surfaces destinées à
contenir des couleurs. Ces symboles transcriventles éléments phonétiques (syllabes) ct séman¬tiques minimaux de la langue náhuatl.
L'association de ces éléments entre eux
construit des mots, des phrases, des paragraphes,qui obéissent aux règles grammaticales del'idiome des aztèques. La composition plastiquect phonique réalisée par le tlacuilo (l'«écrivain-peintre») donne comme résultat des «tableaux-textes» dont l'ordre et le sens de lecture des
formes et des couleurs est indiqué par l'artistedans son dessin même.
En effet, contrairement à d'autres systèmespictographiques connus, les couleurs consti¬tuent dans le système méso-américain des élé¬ments minimaux du système de base: elles seprononcent (elles ont chacune une valeur pho¬nétique) ct les syllabes de leur nom se combinentavec celles d'autres éléments, y compris leurspropres formes-récipients. Ceci ne diminue enrien leur valeur représentative.
Ainsi, ces «tableaux-textes» que sont les codexdoivent d'abord être lus dans la langue náhuatlavant d'être interprétés. Pour ce faire, le lecteurdoit nécessairement connaître, en sus de la langue,le code relatif aux formes, surfaces et couleurs du
système de représentation aztèque.
ce L'art de la calligraphiepar Hassan Massoudy
Dans les pays d'islam, la
calligraphie fut portée à
un très haut degré de
perfection. La
représentation d'êtresanimés étant
déconseillée, c'est au
travers du mot que les
artistes, laissant libre
cours à leur fantaisie,s'efforcèrent de donner
l'illusion de l'image.
¡ Chez les Arabes avant l'islam, la traditionI orale était primordiale. Le poète était la
mémoire de la tribu. Puis les Arabes éprouvèrentle besoin de mettre par écrit ce qu'ils récitaient,d'abord en utilisant peu de signes, simplementcomme aide-mémoire. Leur écriture commençaà prendre de l'importance au 7e siècle, avec l'avè¬nement de l'islam, parce qu'elle donnait uneforme visuelle à la parole divine. Le Coran, pre¬mier livre écrit en langue arabe, joua un rôlecentral dans son développement et fit évoluerl'écriture vers la calligraphie.
Des règles précises furent édictées: l'instru¬ment de l'écriture était le caíame, un roseau
taillé encore utilisé par les calligraphes. La tailledu caíame avait une grande importance, car ellevariait avec chaque type d'écriture. L'encre étaitpréparée avec un soin méticuleux et, comme lecaíame, dans le plus grand secret.
L'enseignement de l'écriture était confié àun maître, qui commençait par tracer les lettressur le sable avec son doigt; l'élève l'imitait, puiseffaçait tout et recommençait. Plus tard on uti¬lisa une tablette en bois lisse enduite d'argile, sur
Composition due aucalligraphe Moustafa Rakim
(1797). Musée de Topkapl,Istanbul.
19
«Ne dépense pas deux mots siun seul te suffit», proverbe
arabe calligraphié par Hassan
Massoudy en 11 styles
différents: diwanl, farsi, roqaa,
neshki, thoulth, ijaza, maghrebi,
koufi des livres, koufi fleuri,koufi tressé et koufi
géométrique.
Ll^ji^L^lu
Ecole coranique à Andkhoy,dans le Turkestan
(Afghanistan).
laquelle l'élève traçait quelques lignes qu'il devaity conserver jusqu'à les savoir par cour.
A la fin du 7e siècle, la langue et l'écriturearabes prirent un caractère officiel et s'imposè¬rent dans l'administration de tous les paysmusulmans. L'écriture évolua vers deux formes
maîtresses: l'une souple et arrondie, le neskhi,l'autre rigide et anguleuse, le koufi. Ces deuxstyles ont engendré une multitude d'autres, dontles noms témoignent presque toujours de leurorigine géographique: le hiri venait de la ville deHira, le hijazi de la région du Hijaz.
Au 8e siècle, les Arabes apprirent des Chinoisle secret de la fabrication du papier, qui facilitala diffusion des textes écrits et favorisa l'essor de
l'écriture. Chaque région du vaste empire isla¬mique avait son style propre, empreint de saculture et de sa sensibilité. Ainsi, le koufi, prin-
20
cipalement utilisé pour écrire le Coran, n'avaitpas la même apparence en Inde qu'en Irak, enEgypte qu'en Andalousie.
L'écriture monumentale peinte sur l'émail,sculptée dans le bois ou la pierre se diversifiadavantage encore, s'éloignant progressivementdu message écrit jusqu'à perdre sa structured'origine. Une des plus anciennes inscriptionsorne l'intérieur du Dôme du Rocher à Jéru¬salem. Elle date du 7e siècle. Des caractères kou-
fiques, dorés sur fond bleu, courent le long desmurs en mosaïque. Depuis on a assisté à un foi¬sonnement calligraphique sur tous les monu¬ments religieux et civils.
Transformé en élément architectural, le koufi,d'abord épais et lourd, s'épure, devient monu¬mental. Les caractères s'allongent en hauteur,évoquant la silhouette d'une ville avec ses mina¬rets et ses dômes, ou composent des motifstressés, floraux ou géométriques. Le koufi qua-drangulaire, par exemple, est uniquementconstitué de lignes se coupant à angles droits, cequi lui donne une vigoureuse sobriété. Les motsse simplifient, les lettres ne se suivent plus surune ligne, elles flottent dans l'espace, commelibérées de la pesanteur; elles vont jusqu'às'enrouler en une diagonale spiralée le long ducorps arrondi des minarets.
u,In art abstrait
L'écriture, partout présente, sur les monumentsbien sûr, mais aussi sur les vêtements, la vaisselle,les meubles, est le premier art visuel de la citémusulmane, puisque l'image «représentant unêtre doué d'une âme» est déconsidérée. La lettre
devient donc le principal élément de décor dansla mosquée, au palais, à l'école. Une seule excep¬tion: les ouvrages scientifiques et littéraires,mais même là, l'image manque de réalisme, n'ani relief ni profondeur. Ce sont donc les calli-graphes qui, empruntant au vocabulaire dupeintre, se chargent, au travers du mot, dedonner l'illusion de l'image. Suivant leur inspi¬ration et leur sensibilité artistique, ils enrichis¬sent les textes de significations nouvelles, commedans les calligraphies dites «en miroir» oùs'exprime un élan mystique.
Sur les monuments, la calligraphie s'affran¬chit du message pour devenir objet de médita¬tion. Les calligrammes, constructions géomé¬triques complexes, deviennent illisibles. Al'inverse, ils peuvent être épurés à l'extrême,comme cet immense waw, lettre solitaire tracée
sur un mur de la grande mosquée de Boursa enTurquie. La calligraphie devient alors un artabstrait, exprimant les sentiments du calligraphe,que l'observateur interprète ensuite à sa manière.Son évolution suit deux lignes de force. Toutd'abord, la forme même des lettres mon¬
tantes, descendantes, allongées contraint lescalligraphes à beaucoup de recherche. Leur tracén'est pas le même selon qu'elles se placent audébut, au milieu ou à la fin du mot. Presquetoujours attachées, l'espace dans lequel elless'inscrivent doit être soigneusement mesuré.
Les calligrammes peuvent êtreépurés à l'extrême, comme cet
immense waw, lettre solitaire
tracée sur un mur de la grande
mosquée de Boursa en Turquie.
La deuxième ligne de force est l'imaginationdu calligraphe. Les règles imposées n'empêchentpas l'innovation. Après avoir étudié pendant desannées l'héritage des anciens, l'artiste finit parlâcher la bride à son inspiration. Et c'est en trans¬gressant les règles qu'il fait évoluer son art. Le cal¬ligraphe Ibrahim al-Souli disait bien, au 10e siècle:«Quand le caíame devient tyran, il lie ce qui étaitséparé et sépare ce qui était lié.»
u
HASSAN MASSOUDY,
calligraphe né en Irak et installé
en France depuis 1969, est
l'auteur, entre autres ouvrages,
de La calligraphie arabe vivante
(Flammarion, 1981 et 1986), Le
poète du désert Antara (Syros,
1989) et Calligraphie pour
débutants (EDIFRA/IMA, 1990).
ne longue évolutionDéjà sous le calife abbasside al-Ma'moun (786-833), l'émulation à laquelle se livraient les calli¬graphies avait donné naissance à des dizaines destyles spécialisés: l'un réservé au calife, l'autre auxministres, un troisième aux messages adressés auxprinces. Il y avait un style pour la poésie, un pourles traités et les contrats, pour la finance, pour ladéfense... Ce fut une période prospère pour lemétier de calligraphe, devenu, selon Ibn ai-Habibal-Halabi «la fonction la plus noble, la science lameilleure et l'état le plus rentable» de l'époque.
La forme même des lettres
montantes, descendantes,
allongées contraint les
calligraphes à beaucoup de
recherche. Leur tracé n'est pas le
même selon qu'elles se placent au
début, au milieu ou à la fin du mot.
L'espace dans lequel elles
s'inscrivent doit être soigneusementmesuré.
Chaque calife eut son calligraphe attitré, unhomme de confiance auquel il allait parfoisjusqu'à confier le gouvernement de sa maison.L'un d'eux, Ibn Moqla (né en 886), devint mêmeministre. Ce fut lui qui, jugeant le koufi troplourd pour une époque aussi raffinée que lasienne, inventa une forme d'écriture plus soupleet arrondie, le neskhi, qu'il dota d'un tracé géo¬métrique afin qu'elle fût digne de transcrire leCoran.
Les réformes d'Ibn Moqla ne furent pas sui-vies.dans l'Occident musulman. De l'Egypte àl'Andalousie, les calligraphes maghrébins, auxtraditions artistiques plus austères, refuserontd'abandonner le koufi, auquel se rattachent lemaghrebi et les nombreuses variantes qui ensont issues.
Il y aura par la suite deux grandes écoles decalligraphie: celle d'Ibn al-Bawwab (11e siècle),qui perfectionna les procédés d'Ibn Moqla, etcelle d'al-Mousta'semi (13e siècle), qui améliorale caíame en coupant son bec obliquement, ce quidonna plus de finesse aux déliés.
Une trentaine de langues ont utilisé l'alphabetarabe. Les Iraniens ont créé leur propre style eten ont amélioré beaucoup d'autres. Quant auxOttomans, ils seront les derniers grands maîtresdans l'art de la calligraphie. Sous leur empire, futinstaurée la ijaza, un titre donnant le droitd'accepter une commande et d'enseigner la cal¬ligraphie. Ils produisirent de grands calligraphes,comme Cheikh al-Amassi au 16e siècle, quiadapta les différents types d'écriture à la langueottomane, ou Hafez Othman (17e siècle) quiapporta à la calligraphie simplicité, pureté etgrâce. L'introduction en 1928 de l'alphabet latindans la langue turque gela lé dernier mouve¬ment artistique important de la calligraphiearabe.
Aujourd'hui, avec le développement del'audiovisuel et des techniques modernes dereproduction, le calligraphe contemporain aperdu une partie de son rôle. Mais il reste tou¬jours à la recherche d'une nouvelle voie afin defaire évoluer l'art de la lettre. 21
o>
IMjoya, sultan de Foumban,posant en habit occidental
devant sa toge royale, portée
par son grand chambellan
(1908).
Et si les hiéroglypheségyptiens étaient issus
d'un système d'écriture
antérieur, originaire de
l'Afrique de l'Ouest?
22
DAVID DALBY,
linguiste britannique, anciendirecteur de l'Institut africain
international et maître de
conférences émérite en languesafricaines à l'Université de
Londres, est actuellement le
directeur de l'Observatoire
linguistique à Cressenville, en
France, où il constitue, sous le
titre Clef de la logosphère, un
répertoire des langues
modernes parlées dans le
monde. Entre autres
publications, on lui doit L'Afrique
et le lettre (Karthala, 1986).
L'Afrique avant la lettrepar David Dalby
I Alors que l'écriture proprement ditet c'est-à-dire la représentation linéaire de la
langue parlée n'est apparue qu'il y a environ5 000 ans, l'utilisation de symboles graphiquespour représenter des objets ou des idées, voireincarner des valeurs magiques ou religieuses,remonte presque certainement aussi loin que lelangage articulé.
On a pu dire que certains symboles tradi¬tionnels africains, tels ceux utilisés par les peuplesde langue akan du Ghana, étaient dérivés del'écriture hiéroglyphique de l'Egypte ancienne.L'hypothèse inverse est cependant plus pro¬bable, à savoir qu'une tradition graphique afri¬caine encore plus ancienne se trouve être enpartie à l'origine des hiéroglyphes.
Si une longue tradition écrite semble avoirexisté au nord et à l'est du Sahara et de la vallée
du Nil, s'étendent plus au sud d'autres régionsdont les cultures relèvent avant tout d'une tra¬
dition orale. Néanmoins, en Afrique de l'Ouestnotamment, on retrouve la trace d'un graphismesymbolique ancien qui semble avoir inspiré, dumoins en partie, de nombreux systèmes scrip¬turaires indigènes «modernes».
L'un des plus frappants exemples de ce typed'écriture est le système picto-idéographiqueconnu sous le nom de Nsibidi (ou Nsibiri) tra¬ditionnellement en usage dans la région de larivière Cross au sud-est du Nigeria. Employé àdes fins diverses, ce système permet accessoire¬ment de noter des récits tels que les témoi¬gnages apportés lors du règlement de conten¬tieux amoureux. Les signes Nsibidi sont gravéssur des calebasses ou tout autre objet à usage
domestique, peints sur les murs, imprimés sur lesvêtements, tatoués ou dessinés sur le corpshumain. Répandus dans une zone géographiquemultilingue habitée par des populations parlantl'ekoi, l'igbo et l'ibibio, ils ne sont cependantdirectement associés à aucune langue spécifique.
Une tradition rapporte que le secret du Nsi¬bidi fut jadis révélé aux hommes par une race degrands babouins nommée idiok. Cette légendeévoque d'emblée le dieu Thot à figure debabouin, patron des scribes dans l'Egypteancienne. Qu'il s'agisse d'une simple coïnci¬dence, à une si grande distance culturelle, n'estguère vraisemblable. Ce qui nous laisse avecdeux possibilités: s'agissait-il d'une croyanceégyptienne ayant traversé des milliers d'annéeset de kilomètres pour réémerger au Nigeria,ou, ce qui est plus probable, d'une antiquecroyance répandue dans toute l'Afrique Noirequi a passé en Egypte avec les symboles gra¬phiques traditionnels éléments fondamen-
raiflFi/iusi Miimtouoi rnmni
Rl MDWA'2D HUE (Of51 .Y (Ï1 I H iïlï W l?î I
EitîHiMJ'rriWinHwti «5>%?m i
yîitn£miflflmi cA*jsi
Le Notre Père écrit en bamoum
vers 1911 dans le syllabaire dit
akuu ku, d'après ses quatre
premières lettres.
Page de gauche, le premier deces deux symboles désigne le
«nsibidi»et le second un idiok,
un des grands babouins qui
auraient jadis révélé aux
hommes le secret de cette
écriture.
Sur cette statuette égyptienne,le scribe Nebmertouf, prêtre,
archiviste et scribe royal
d'Aménophis III (v. 1400
av. J.-C), est humblement assis
aux pieds de Thot, le dieu de
récriture à figure de babouin.
taux dans l'élaboration des premiers hiéro¬glyphes pictographiques?
L'écriture révéléeA une courte distance à l'est de la zone d'emploitraditionnelle du Nsibidi, de l'autre côté de la
frontière du Cameroun allemand, se produisit,il y a tout juste un siècle, un événement remar¬quable: l'élaboration, par le sultan Njoya deFoumban, d'un système d'écriture original etindépendant adapté à la langue bamoum.
Comme bien d'autres inventeurs de sys¬tèmes scripturaires en Afrique, Njoya en eut larévélation au cours d'un rêve, à la suite duquelil demanda à ses sujets de dessiner différentsobjets et de les nommer. A partir des résultatsobtenus, il élabora son premier système qui ras¬semblait quelque 466 pictogrammes et idéo¬grammes. Quarante années d'expérimentation ctde progrès continus le conduisirent finalementà l'élaboration d'un syllabaire de 80 caractères,nommé a-ku-u-ku d'après les quatre premiers.
Njoya était certainement un homme de génie,mais c'est sa position royale qui lui permit deconcrétiser ses idées avec la création d'écoles où ses
sujets apprenaient à lire et à écrire, la fabricationd'un système d'impression à partir de dés de cuivresculptés à la main, et la compilation de textes rela¬tifs à l'histoire ct aux coutumes de son royaume.
Malheureusement, les réalisations de Njoyadisparurent sous les retombées de la Premièreguerre mondiale. Encouragées sous le protec¬torat allemand, ses écoles furent fermées par lesnouvelles autorités coloniales après la guerre.Déçu, il détruisit lui-même son systèmed'impression. Déposé en 1931, il mourut en exildeux ans plus tard.
Un Njoya égyptienLes circonstances de l'élaboration du système deNjoya permettent de penser que l'apparitionsoudaine des hiéroglyphes dans l'Egypteancienne peut s'expliquer de la même manière,c'est-à-dire comme étant principalement l'inven¬tion d'un seul homme assez haut placé dans lahiérarchie sociale pour disposer du temps et dupouvoir nécessaires pour concevoir et imposerun système scripturaire.
Etant donné qu'il n'existe aucune preuved'une évolution lente de l'écriture hiérogly¬phique à ses débuts, cette hypothèse explique¬rait en partie la structure particulièrement com¬plexe de l'écriture égyptienne sous sa plusancienne forme connue, où différentes étapesd'un développement progressif semblent avoirfusionné en un seul système cohérent.
De même que Njoya fut impressionné (maisnon influencé) par les écritures arabe et occi¬dentale, l'inventeur éventuel des hiéroglyphesaurait pu être stimulé par l'invention légère¬ment antérieure d'un tout autre système scrip¬turaire en Mésopotamie.
Et comme dans plusieurs cas avérés d'inven¬tion d'écritures autochtones en Afrique del'Ouest, l'inspiration divine fut sans doute invo¬quée pour l'écriture égyptienne aussi. Cette ori¬gine révélée que l'on retrouve tout au long del'histoire de l'écriture la mettait à l'abri de
toute restructuration radicale pour les siècles àvenir et en limitait par là-même l'usage à unecaste privilégiée. 23
Quatre-en-un, savant mélangepar Shiro Noda
Les Japonais ont élaboré une écriture composite dont la complexitéest, paradoxalement, facteur de souplesse et d'efficacité.
Ci-dessus, sur un panneau debois, le «signe du bonheur».
24
SHIRO NODA,
historien et linguiste japonais,
est actuellement chargé de
cours au département de
japonais de l'Institut national
des langues et des civilisations
orientales à Paris. Le présent
article est une version abrégée
et adaptée du texte original.
Si l'origine de la langue japonaise demeure
un terrain d'affrontement entre spécia¬
listes, celle de sa notation l'est moins.
Le système actuellement en usage au Japon
combine quatre graphies différentes: 1) Kanji
(logogrammes); 2) Hiragana et 3) Katakana (syl-
labogrammes); et 4) romaine (phonogrammes).
On admet généralement que l'écriture japo¬
naise remonte au 5e siècle avant J.-C, époque à
laquelle l'écriture chinoise fut introduite de
façon formelle à travers les textes bouddhiques.
Les caractères Kanji, dérivent en effet de l'écri¬
ture chinoise, qui était alors l'apanage de la
classe intellectuelle. En usage à la cour impérialeet dans l'administration, elle servait aussi à la lec¬
ture et à la transcription des textes religieux par
les moines bouddhistes. Mais le peuple ne
l'employait pas.
Malgré son utilité, la notation chinoise pré¬sentait un inconvénient de taille en raison de la dif¬
férence fondamentale de structure syntaxique
entre les deux langues. Il fallut donc l'adapter en
appliquant une lecture purement japonaise aux
idéogrammes chinois. A cette fin, on inventa un
système de lecture nommé Kaeri-ten (point de
renvoi), en référence au point placé à la gauche des
caractères chinois pour en indiquer l'ordre de
lecture. Mais le Kanji s'appliquait mal à la langue
de la vie quotidienne et une phrase japonaise écrite
en Kanji manquait singulièrement de naturel.
La voix des lettres
Telle était la situation linguistique au Japon
lorsque les dames de la cour impériale inventè¬
rent, au début de l'époque Heian (fin du 8e
siècle, début du 9e), le syllabaire cursif connu
sous le nom de Hiragana et constitué de signes
dérivés des caractères chinois, considérablement
simplifiés et façonnés à la japonaise. Etape cru¬
ciale dans l'évolution de la langue japonaise,
l'invention du Hiragana n'est pas le résultat
d'une simple transformation morphologique
des caractères chinois. Si le caractère Kanji, en
tant qu'idéogramme, exprime une idée, un
concept ou une image, le caractère Hiragana
ajoute une nouvelle dimension à l'écriture japo¬
naise: la transcription phonétique entièrement
dissociée du système idéographique.
Le Hiragana avait sur le Kanji le grand avan¬
tage de permettre au peuple japonais de décrire la
vie quotidienne dans la langue de tous les jours.
Très vite, l'invention du Hiragana favorisa l'émer¬
gence d'une littérature purement japonaise
dont Le dit du Genji, écrit au début du 1 Ie siècle
par Murasaki Shikibu, une dame de la cour impé¬
riale, reste l'exemple classique le plus célèbre.
C'est à peu près à la même époque, vers la fin
du 8e siècle, qu'une troisième écriture (Kata-
kana) fut mise au point par les moines boud¬dhistes dans le but de faciliter la lecture des soû-
tras et la diffusion du bouddhisme au sein du
paysannat. Le Katakana suit le même principe
de simplification des caractères chinois pris dans
Portrait du calligraphe TofuOno, attribué au peintre Raiju
(12e siècle).
Session annuelle du concours
interscolaire de calligraphie, qui
se tient le jour de l'An à Tokyo.
leur valeur phonétique. De nos jours, le Kata¬
kana est surtout employé pour transcrire les
emprunts à d'autres langues.
Oimplexité
On pourrait se demander pourquoi les Japonais
n'ont pas adopté l'un ou l'autre système d'écriture
(Hiragana, Katakana ou romain), ce qui en aurait
facilité l'apprentissage, plutôt que cette combi¬
naison des quatre actuellement en usage. Il se
trouve simplement que les systèmes de représen¬
tation phonétique de la langue impliquent une
démarche linéaire qui en ralentit la lecture et
retarde d'autant la compréhension du message,
alors que la globalité du logogramme permet et de
le reconnaître rapidement une fois mémorisé et de
le comprendre instantanément. Paradoxalement,
donc, l'emploi des quatre types d'écriture intégrés
a pour effet d'augmenter l'efficacité et la souplesse
de la notation japonaise. La complexité du système
y devient facteur de simplification. 25
I La Clé dl! pOUVOir par Henri-Jean Martino
L'écriture a toujours eu partie liée avec le pouvoir. Instrument de gouvernement, elle participe aussi àla libération des esprits, et on a pu dire que les grandes révolutions s'étaient produites dès lors queplus d'une moitié de la population était alphabétisée.
Enluminure représentant unmoine copiste, sur un manuscrit
de 1370 ayant appartenu à la
bibliothèque de Charles Quint.
On ne saura sans doute jamais à la suite dequel processus l'écriture apparut à des
dates différentes, en différents points du globe.En Extrême-Orient, les premiers écrits connusétaient destinés à faciliter la communication
avec les dieux, alors qu'au Moyen-Orient, ils ser¬virent d'abord à tenir des comptes. Puis onentreprit de fixer les textes coutumiers et lesrécits traditionnels. L'usage de l'écriture à des finscommerciales au Moyen-Orient entraîna sa sim¬plification, qui aboutit à l'apparition des sys¬tèmes alphabétiques.
tmmcs mules cntit wïêè fcfair % puvutmir tr mmrtr te$m gm* ú ucfarlí
ttmiom$ tcslrcot
miwnr<|ucwmc
£v ífrsr |eCav ftne;
t]iicítfí*ttnceh>fct|HrIf»ftnnm$amcàccfmttcrim^iç-ifornm^m les noiuttátitftnpmii» emúeropmcnr&m er xmtsvnmetorn* mmüvttp\ü$viGifcerpme tmahlt öithmitr Irniorn tangti&g* fcurtuonter; erUmgf er tmmeurertcäavm jarplu* aitiûi
-.
C^yár
26
(Z£
1 & ^ .^v
Du même coup, la société conféra aux déten¬teurs de la technique de l'écriture une étonnantepuissance. En certaines régions, elle demeural'apanage des castes sacerdotales; en d'autres,au contraire, comme en Gaule antique, lesprêtres refusèrent de s'en servir pour consignerles secrets de leur religion. En règle générale, elleresta longtemps la spécialité des scribes phé¬nomène que l'on retrouve en de nombreuxpoints du globe, en Mésopotamie, en Egypteou en Chine.
Lettres de noblesseDevenus maîtres de la mémoire de la collectivité,
chargés de rédiger les lois, ces hommes s'impo¬sèrent comme les conseillers des puissants etles juges de leurs semblables, prélevant souventleur part des richesses qu'ils recensaient et desimpôts qu'ils percevaient. Dans ces conditions,les Latins, las d'êtres jugés et gouvernés en fonc¬tion de règles qu'ils ignoraient, exigèrent, lorsquel'écriture se fut répandue parmi eux, que les loisde Rome fussent affichées sur des panneaux debois au Capitole.
Lors des invasions barbares, la culture écrite
se réfugia dans les établissements religieux, quiétaient désireux de sauvegarder les textes sacréset les écrits nécessaires à la célébration du culte.
Bien plus tard, après que l'Europe eut été remo¬delée, l'écriture réapparut dans les villes quis'étaient reconstituées, et les guerriers féodauxqui avaient imposé leur pouvoir se virent obligésde se faire seconder par des clercs spécia¬listes de l'écrit qui se taillèrent, dans les jeunesEtats d'Occident, une place de choix.
Auprès des princes de la Renaissance, les«clercs du secret» (les secrétaires) jouèrent unrôle eminent et la plupart des humanistes serecruteront dans les chancelleries de la
Papauté, de Florence ou d'ailleurs , parmi leshommes cultivés chargés de rédiger les textesdiplomatiques, législatifs, judiciaires ou admi¬nistratifs.
En France, par exemple, des hommes del'écrit qui achetaient leurs charges fondèrentune nouvelle catégorie sociale, donnant nais-
L'écriture hiéroglyphique, queles Egyptiens désignaient
comme la «parole des dieux»,
recouvrait les murs des temples
et des tombeaux, les statues,
les objets funéraires ou
profanes. Ses dessins stylisés,
d'une grande beauté plastique,
étaient faits autant pour être
vus que pour être lus.
Ci-dessus, pyramidion au muséedu Caire.
HENRI-JEAN MARTIN,
archiviste-paléographe français,est directeur d'études à l'Ecole
pratique des hautes études et
professeur émérite à l'Ecole
nationale des chartes. Il est
l'auteur de nombreux ouvrages
d'histoire et de sociologie du
livre, successivement couronnés
du Grand prix d'histoire de la
Ville de Paris (1985), du prix
Louise Weiss de la Bibliothèque
nationale (1988) et du premier
Grand prix Gobert de l'Académie
française (1989).
sanee à la noblesse de robe qui s'efforça, non sansbonheur, de s'attribuer la plus grande part dupouvoir et des richesses de l'Etat.
La loi de la lettre
L'écriture apparaît ainsi comme un instrumentde gouvernement, donc de pouvoir, pour descatégories de «spécialistes». Parallèlement, elleimpose sa logique aux peuples qui l'utilisent.Fixant la coutume sur un support stable, elleempêcha peu à peu que ce produit spontané dela conscience collective évoluât en même tempsque la société dont elle émanait, comme la tra¬dition orale le permettait. Elle imposa donc pro¬gressivement le règne de la loi qui avait, elle,un auteur et une date, qui était par définitionécrite, mais par là même figée dans son libellé, etqui, fatalement, se retrouvait peu à peu décaléepar rapport aux exigences nouvelles de la col¬lectivité d'où des problèmes d'interprétationsans cesse renouvelés.
Néanmoins, de telles évolutions ne sont passystématiques. On utilise, encore aujourd'hui,des systèmes scripturaires qui entretiennent desrapports plus souples avec la langue parlée, et quirésultent à la fois de la structure de la langue, dugénie de chaque peuple et des influences qu'il asubies au cours de son histoire. Par ailleurs, au
moins en Occident, la présentation des textes n'acessé d'évoluer en fonction de l'état de la société
ct de la complexité de ses liens avec la parole etl'écrit.
Ainsi, les rouleaux qui reproduisaient lesdiscours de Cicerón déroulaient un texte de
façon continue, sans blancs séparant les mots oules paragraphes. Ils étaient conçus pour être lusà haute voix et compris à l'audition. Ce ne futqu'au 11e siècle que les copistes prirent l'habi¬tude de séparer systématiquement les mots. Au12e siècle, la «somme» de saint Thomas est faite
de pages compactes, hérissées d'abréviations ctrythmées par de multiples signes de couleurs:conçue comme une suite de disputes orales, elleest partagée en articles allant du particulier augénéral selon une armature stéréotypée destinéeà éviter les déviations du raisonnement. Plus
tard, avec l'invention de l'imprimerie, on voitpeu à peu s'imposer le paragraphe dans sonacception actuelle, avec les blancs qui l'enca¬drent et permettent à l'lil et à l'esprit de sereposer, tout en favorisant la réflexion sur ce quivient d'être lu. Et ce n'est assurément pas parhasard si le Discours de la méthode (1637) de
Descartes est le premier texte philosophique enfrançais présenté de manière moderne.
Ces modes de présentation ont, dans les fcl
L'école islamique de Dar el-Ulum à Deoband, dans l'Uttar
Pradesh (Inde). sociétés occidentales, peu à peu provoqué latotale séparation du discours parlé et du texteécrit, désormais conçu pour être visualisé et nonplus dit ou entendu. Cette évolution a peut-êtrefacilité le retour de l'image à partir du 19e siècleet l'essor d'une publicité de plus en plus brutale.Jusqu'au journal contemporain qui, dans sarecherche d'un public, est amené à adopter desmises en page agressives, destinées à fournir enun minimum de temps un maximum d'infor¬mations et d'émotions.
U ¡viser pour régnerPour comprendre les problèmes suscités par laréception de l'écrit, commençons par écarterl'idée, couramment répandue, selon laquellecertains types d'écriture sont plus fonctionnelsque d'autres. Chacun' sait aujourd'hui quel'alphabétisation correspond avant tout à undécloisonnement, à un besoin de communiqueravec l'extérieur. La compréhension d'un texten'est pas simplement affaire de technique, ellerequiert aussi que le lecteur possède un outillage
Devenus maîtres de la mémoire de la collectivité, chargés de
rédiger les lois, les hommes de l'écrit s'imposèrent comme les
28 conseillers des puissants et les juges de leurs semblables.
mental adéquat, un capital de notions lui per¬mettant d'établir un dialogue personnel avec letexte.
L'apparition de l'écriture a eu peut-être poureffet essentiel de diviser les hommes en catégo¬ries déterminées, selon leur faculté d'accéder à
l'écrit. En règle générale, il apparut très tôtcomme nécessaire, dans la plupart des sociétés,de savoir, sinon écrire, au moins lire pour déchif¬frer et apprendre les textes canoniques ou sacrés.Les pouvoirs religieux ou civils jugeaient avanttout nécessaire d'enseigner quelques rudimentsde lecture cette forme d'accès passif à l'écrit.
C'est ainsi qu'en Europe, on apprenait auxenfants d'abord à connaître les caractères et à
déchiffrer les prières latines, réservant l'écriturepour une phase ultérieure, souvent facultative.Appliquée surtout aux filles, dont un personnagede Molière nous apprend qu'elles ne doiventpas savoir écrire pour ne point correspondreavec leurs amants, cette méthode eut pourrésultat de produire des catégories sociales semi-alphabétisées, qui souvent ne prenaient connais¬sance des textes qu'à la faveur de lectures col¬lectives. De même, la lecture à voix haute ou à
voix murmurante semble être longtemps restéepratique courante, notamment lors de la lec¬ture de romans par les femmes. Seuls accédaientdirectement à la lecture silencieuse ceux quiavaient pu poursuivre des études prolongées
dans les collèges ou les universités et qui appar¬tenaient aux classes dominantes.
Longtemps donc, les sociétés occidentalesrestèrent très partiellement alphabétisées et l'ona pu prétendre, sans doute avec quelque exagé¬ration, que les grandes révolutions s'étaient pro¬duites au moment où plus de la moitié de lapopulation se trouvait alphabétisée. Encore faut-il ajouter que, de tout temps, il n'y a pas eu decloison étanche entre la culture écrite et la tra¬
dition orale. Les grands mouvements popu¬laires (les hérésies médiévales, la Réforme au
16e siècle et les révolutions en Angleterre au17e siècle, en France à la fin du 18e et en Russie
au début du 20e) procédèrent de l'image, de laparole et de la chanson, autant que de l'écrit. Leshommes et les femmes du Moyen Age connais¬saient d'abord de leur religion ce que leur ensei¬gnaient les images peintes aux murs des églises.Et pensons à la place occupée, aujourd'huiencore en certaines régions du monde, par laprédication, voire la harangue sur la placepublique; aux chansons d'actualité, aux contes etaux récits rapportés à l'atelier ou à la veillée;aux nombreux échanges entre illettrés et gens«instruits», ainsi qu'au rôle d'intermédiaire quejouèrent si souvent les autodidactes. C'est partous ces canaux que les théories d'un Voltaire oud'un Rousseau atteignirent les masses révolu¬tionnaires, qui se réclamaient volontiers de cesphilosophes sans avoir lu leurs ouvres.
Depuis un siècle, enfin, les nouveaux moyensde communication ont remis à l'honneur la paroleenregistrée et l'image mobile. Mais au contraire dela lecture, ces techniques ont pour effet de favo¬riser l'émotion et la propagande, plutôt que l'espritde logique et la réflexion personnelle.
1 ' J||B _ilE
IIa Ia M 11 i ^^^î^^^_
P JPBBto&fmmUniversité paysanne à
Leningrad, en 1918.Or la longue évolution de l'écriture en Occi¬
dent, de l'invention des premiers signes picto-idéographiques à la transcription intégrale d'undiscours à l'aide de signes phonétiques, corres¬pond au développement d'un esprit logique etanalytique privilégiant, sur ce que la parole peutavoir de fugace, l'écrit avec ce qu'il comporte destable, voire de figé. Instrument de pouvoirdonc, l'écriture a aussi un pouvoir de libérationde l'esprit qui en fait, par là même, un instrumentde libération de ce pouvoir.
L'apparition de l'écriture a eu peut-être pour effet
essentiel de diviser les hommes en catégories déterminées,
selon leur faculté d'accéder à l'écrit.
Dans cette école adaptéed'Antécume Pata, en Guyane
française, les jeunes wayana
apprennent à lire et à écrire
dans leur langue maternelle,
avant de poursuivre leur
scolarité en français.
29
DE L'IMAGE A
L'ALPHABET
30
v. 35000 av. J.-C: apparition des ¡mages et du
langage chez VHomo sapiens.
v. 30000 av. J.-C: peintures pariétales en
Europe.
v. 15000 av. J.-C: peintures des grottes deLascaux et d'Altamira.
v. 3300 av. J.-C: apparition de l'écriture
pictographique en Mésopotamie.
v. 3100 av. J.-C: début de l'écriture
hiéroglyphique égyptienne.
v. 2800 - 2600 av. J.-C: l'écriture sumérienne
devient cunéiforme.
v. 2500 av. J.-C: le cunéiforme commence à se
répandre dans tout le Proche-Orient.
v. 2300 av. J.-C: les peuples de la vallée de
l'Indus utilisent une écriture originale nondéchiffrée.
v. 1500 av. J.-C: apparition de l'écriture
chinoise idéographique sur vases en bronze etos oraculaires.
v. 1400 av. J.-C: les commerçants d'Ougarit
utilisent un alphabet cunéiforme consonantique
sémitique.
v. 1100 av. J.-C: premières inscriptions
connues en alphabet linéaire phénicien.
v. 1000 av. J.-C: apparition de l'écriture
araméenne. dérivée du phénicien et ancêtre de
récriture arabe et de l'écriture sanskritiqueindienne.
v. 900 av. J.-C: les Phéniciens répandent leur
alphabet consonantique à travers la
Méditerranée.
v. 800 av. J.-C: les Grecs créent l'alphabet
moderne avec des voyelles.
v. 600 av. J.-C: premières inscriptions
épigraphiques latine en lettres capitales.
v. 400 av. J.-C: arrivée du papyrus en Grèce,écriture manuscrite.
v. 90 après J.-C: le codex (première forme du
livre) remplace le rouleau, le parchemin se
substitue au papyrus dans l'empire romain.
v. 105 après J.-C: invention du papier enChine.
3e siècle: débuts de l'écriture maya.
7e siècle: invention de l'imprimerie en Chine,
apparition de l'écriture arabe.
15e siècle: invention de la typographie par
Gutenberg.
Sources: Naissance de l'écriture. Réunion des musées
nationaux. 1994. et B. Fraenkel, Centre d'étude de
l'écriture. Paris.
Hiéroglyphes
3000 av. J.-C.
Ecriture
sinaïtique
1600 av. J.-C.
Ecriture
sémitique du
Nord
1000 av. J.-C.
Ecriture Capitales Ecriture Minuscules
grecque romaines onciale carolingiennes
350 av. J.-C. 100 av. J.-C. 5e siècle 9" siècle
M y k A a A A X
era g S B ß B B b
r L 1 r T C C c
v s* ù A S D b a
w ^ ^ E z E e e
Y y y F
G
F
<5
r
sl ^ n H b h
^ *-* \ I iI i i
UL / v K x K K k
e ? L A X L L l/vvw i M [L M en m
"i ^^ N v N N n
<Oi^ SB> o 0 o 0 O o
<r> <Z> y n 7c P P P
-R 8cK- ? a a q
© 6> <7 P P R ,* r
[v/v] c~o w S CTÇ s s fsX + X T T T c t
Y uV
X
u
X
y
u
y:
i rO FOCUS
=== I z 2
Source: Nouvelle Encyclopédie Bordas, © SGED, 1988
s I
POUR EN SAVOIR
PLUS
La grande invention de l'écriture et son
évolution
par Marcel Cohen
Imprimerie nationale 1958, 2 vol.
L'art de l'écriture Exposition en
cinquante panneaux
Unesco 1965. 102 p. (non disponible).
Pour une théorie de l'écriture
par Ignace J. Gelb
Flammarion 1973, 320 p.
Histoire de l'écriture
par Donald Jackson
Denoël 1982. 176 p.
Naissance de l'écriture, cunéiformes
et hiéroglyphes
Exposition aux Galeries nationales du Grand
Palais (7 mai-9 août 1982)
présentée par Béatrice André-Leicknam
et Christiane Ziegler
Réunion des musées nationaux 1982,
383 p.
L'écriture, mémoire des hommes
par Georges Jean
Coll. Découvertes, Gallimard 1987, 224 p.
Histoire de l'écriture (2e édition)
par James G. Février
Payot 1988, 624 p.
Le grand atlas des littératures
Encyclopaedia Universalis 1990, 435 p.
(voir: «Espaces de l'écrit», introd. de A.-M.
Christin, pp 124-183)
Le pouvoir de l'écrit: au pays des
premières écritures
par Louis Godard
Armand Colin 1992, 256 p.
La naissance des écritures,
du cunéiforme à l'alphabet
par Larissa Bonfante. John Chadwick,
B.F. Cook, W.C. Davies, John F. Healey,
J.T. Hooker et C.B.F. Walker
(introd. de J.T. Hooker, trad, de l'anglais et
présenté par Christiane Zivie-Coche)
Seuil 1994, 503 p.
Massoudy calligraphe, la technique et la
plastique de la calligraphie arabe
film vidéo 1995, 27 mn
Oroleis, 23 rue Dagorno, 75012 Paris
QUELQUES DÉFINITIONS
ALPHABET: système de signes exprimant
les sons élémentaires du langage. Contrai¬
rement aux écritures d'origine pictogra¬
phique cunéiforme ou hiéroglyphique
, qui se fondent sur des symboles sché¬
matisés et un système syllabiquc exigeant
un nombre important de signes, l'alphabet
se présente comme une écriture conso¬
nantique, aux signes simplifiés ct réduitsen nombre. Il s'est constitué au terme
d'une longue évolution, qui a abouti, vers
1 1 00 av. J.-C, à l'alphabet phénicien de 22
lettres, lequel a essaimé dans de nom¬
breuses cités du pourtour méditerranéen.
Les Grecs l'ont adopté, au 8e s. av. J.-C,
ct lui ont ajouté des signes pour les
voyelles, réalisant ainsi le premier sys¬
tème alphabétique complet.
CÁLAME: plume en roseau taillée en
pointe ou en biseau, utilisée pour l'écriture
ct la calligraphie.
CALLIGRAMME: texte, le plus souvent
poétique, dont les mots sont assemblés de
manière à figurer un objet.
CODEX: après les rouleaux de papyrus
d'un maniement difficile, le codex, apparuà Rome au 1er siècle de notre ère et com¬
posé de feuillets de parchemin réunis en
cahier, permettra de reproduire des textes
de grande longueur.
CUNÉIFORME: l'écriture cunéiforme,
constituée au 4e millénaire avant J.-C. en
Mésopotamie, est peut-être la plus
ancienne du monde. A l'origine picto¬
graphique, ses signes, environ 550
obtenus par l'agencement de quatre élé¬
ments de base vont progressivement
revêtir une valeur syllabique lui permet¬
tant non plus seulement de désigner des
objets, mais aussi de représenter graphi¬
quement un phonème. Un processus qui
s'accompagnera d'une diminution du
nombre des signes et de la simplification
de leur tracé, pour finir par déboucher, en
Phénicie, sur la création du premier
alphabet.
GLYPHE: signe d'écriture inscrit sur dif¬
férents supports, dont la pierre, dans les
civilisations précolombiennes.
GRAPHIE: représentation de la parole parl'écriture.
HIEROGLYPHES: écriture égyptienne de
type pictographique, ou figuratif, en usage
dès le 4e millénaire avant notre ère, et
dans laquelle chaque signe (environ 700)
représente un objet. A ces dessins sty¬
lisés, elle associe aussi des idéogrammes
pour exprimer certaines notions, et des
phonogrammes pour transcrire des sons.
Etymologiquemcnt «écriture des dieux»,
elle trouve son expression parfaite sur les
supports monumentaux.
ICONE: signe évocateur de la réalité qu'ildécrit, comme le serait le dessin d'une
maison par rapport à la maison qu'il
représente.
IDÉOGRAMME: figuration d'un messageou d'une notion par des dessins, parfois
schématiques ct symboliques. Il en est
issu plusieurs variétés d'écritures idéo¬
graphiques, comme le cunéiforme, les
hiéroglyphes égyptiens ou le chinois.
PHONÈME: élément sonore du langagearticulé (voyelle ou consonne).
PHONOGRAMME: signe ou clément de
signe représentant un mot, une syllabe
ou un phonème. II est à la base des écri¬
tures alphabétiques, dont les signes repré¬
sentent uniquement des sons.
PICTOGRAMME: élément d'une écriture
qui représente un objet ou un être au
moyen de signes stylisés ou symboliques.
Si chaque pictogramme a une destination
précise, une idée peut être produite par la
combinaison de plusieurs d'entre eux.
C'est le stade premier de l'écriture.
Sources: Le grand atlas des littératHres,
Encyclopxdia Universalis, Paris 1990. NouvelleEncyclopédie Bordas, Paris 1988.
L A CHRONIQUE
Le colosse aux pieds d'argile
32
I «Il me fait mal cet enfant
I affamé comme une grandioseépine» écrivait Miguel Hernández,ce géant de la poésie espagnole. Quedirait-il aujourd'hui s'il apprenaitqu'au Rwanda il y a quelques moisà peine, la radio appelait au meurtredes enfants, s'il voyait à la télévisionles images de cadavres aux mainsattachées dans le dos flottant sur les
eaux du lac Victoria? Il dirait
qu'une société qui tolère l'intolé¬rable est une société en pleine déca¬dence. Il dirait que les intellectuels
doivent manifester leur indignation non seulement enparoles, mais surtout en actes, pour que de tels évé¬nements ne se répètent pas.
Depuis la fin de la guerre froide et l'effondrementdu régime soviétique, on voit renaître d'anciensconflits, et en surgir d'autres qui, enracinés dans lesdifférences nationales, culturelles, ethniques et socio-économiques, débouchent sur la violence.
C'est donc le moment de réaffirmer qu'on negagne jamais une guerre. Peu importe que les manuelsd'histoire proclament le contraire. Le coût moral etmatériel de la guerre est si élevé que les triomphesguerriers ne sont que des victoires à la Pyrrhus. Laseule chose qui vaille d'être gagnée, c'est la paix. Or,gagner la paix, ce n'est pas seulement éviter laconfrontation armée, mais forger les instrumentsqui permettent d'éliminer les causes de la violenceindividuelle et collective: l'injustice et l'oppression;l'ignorance et la misère; l'intolérance et la discrimi¬nation. C'est édifier un ensemble de valeurs et d'atti¬
tudes nouvelles, à la place de cette culture de guerrequi, depuis tant de siècles, détermine le cours de la civi¬lisation. Gagner la paix, c'est gagner le pari de tisser,dans le contexte de la société démocratique, une nou¬velle chaîne de tolérance et de générosité dont per¬sonne ne se sente exclu.
Un monde riche mais vulnérable
Le moment historique que nous vivons est riche de rai¬sons d'espérer. Les espoirs de paix, de coopération et dedéveloppement suscités par les changements des cinqdernières années peuvent encore se concrétiser. Grâceaux progrès rapides de la science et de la technologie, ondevrait pouvoir trouver des solutions novatrices à desproblèmes tels que le chômage ou la drogue. En matièrede santé publique, la recherche médicale permet d'entre
voir l'élimination prochaine du sida, ou des cancers. Ledéveloppement spectaculaire des moyens de commu¬nication ouvre des possibilités inédites en matièred'éducation et de culture. L'informatique et les fibresoptiques ont ouvert des possibilités, inimaginablesauparavant, de diffusion systématique de l'informationet d'accès au savoir, de traitement des données etd'administration des ressources.
Et pourtant, ce monde si riche en ressources maté¬rielles, aussi bien qu'en savoir et en expérience, cessociétés plus libres et plus dynamiques qu'elles nel'ont jamais été, sont extrêmement vulnérables.Comme le roi Nabuchodonosor, dont la Bible nous
relate le rêve, il s'agit d'un colosse dont le corps est enmétal précieux mais dont les pieds sont d'argile. Notreconception exclusivement matérialiste du progrès etnos habitudes de consommation excessive et de gas¬pillage, sont en train de creuser un fossé, chaque jourplus large, entre une minorité des habitants de la pla¬nète qui bénéficie des avancées du progrès et l'immensemajorité, pour laquelle ce bien-être est encore unlointain mirage.
Un équilibre précaireAu moment où l'Occident entre dans l'ère des «auto¬
routes de l'information», on dénombre encore dans lemonde 600 000 établissements humains sans électri¬
cité. Alors que dans les pays du Nord industrialisé,c'est par millions qu'on compte les hommes et lesfemmes qu'une formation universitaire n'a pas mis àl'abri du chômage, les pays du Sud comptent 900 mil¬lions d'analphabètes, obligés de travailler dans desconditions déplorables.
Tant que cette brèche ira s'élargissant, l'équilibrede notre société planétaire deviendra de plus en plusprécaire. Car le même progrès scientifique et techno¬logique qui a permis au Nord industrialisé d'accéderà l'opulence a dramatiquement accru l'interdépen¬dance des nations. Aujourd'hui plus que jamais lemonde est un tout. L'exode provoqué par la sécheresseou la guerre dans un pays d'Afrique ne peut laisserindifférents ses voisins européens, qui voient là unfacteur d'aggravation de la crise structurelle de leuréconomie et constatent que le problème du chômageest rendu encore plus aigu par une immigration mas¬sive et incontrôlée. Et la relation inverse est tout aussi
vraie: la fermeture d'une usine ruinée par la crise enAmérique du Nord ou en Australie peut signifier laperte de ses moyens de subsistance pour un paysand'Amérique du Sud ou un mineur d'Asie centrale.
DE FEDERICO MAYOR
Rien n'illustre mieux cette interdépendance que lesproblèmes d'environnement. L'abus des engrais chi¬miques, l'accumulation des déchets nucléaires, la pol¬lution de l'atmosphère, de l'eau et du sol, la perte dela diversité biologique, l'épuisement de certaines res¬sources non renouvelables: autant de périls qui mena¬cent la planète tout entière, parce que la détériorationdu milieu naturel ne connaît pas de frontières.
L'UNESCO multiplie les initiatives en vue d'encou¬rager la réflexion et la recherche de solutions per¬mettant de freiner ces tendances, de réduire la dis¬
parité croissante de niveaux de vie entre le Nordindustrialisé et le Sud en voie de développement, destimuler la créativité scientifique et culturelle etd'encourager la paix.
Malheureusement, notre société reste déterminée,
pour l'essentiel, par la culture de la guerre. L'appareilproductif du monde moderne est intimement lié àl'arsenal militaire. Aujourd'hui que la guerre froidea pris fin et que la dynamique démographiqueconstitue une garantie supplémentaire de paix àl'échelle internationale, nous découvrons que nous nesommes nullement préparés à faire face aux périlsautrement graves et actuels qui menacent l'avenirde la civilisation. Nous sommes préparés pour le passé;nous ne le sommes pas pour le présent.
Les événements intervenus depuis 1989 auraient dûentraîner une révision des notions de défense et de
sécurité à l'échelle planétaire. Mais cette révisionconceptuelle ne s'est pas traduite jusqu'ici par unediminution appréciable des dépenses d'armement. Lesfameux «dividendes de la paix» que tout le mondeattendait ne se sont pas concrétisés en investissementsmassifs dans les domaines de l'éducation, de la santé
publique, de l'aide aux pays en développement et dansd'autres secteurs où l'intervention des pouvoirs publicscorrespond pourtant à une nécessité urgente.
C'est la conception même du progrès et du déve¬loppement qui a prévalu jusqu'à une date très récentequi doit être révisée de fond en comble. C'est l'idée quele développement se résume à la croissance écono¬mique et qu'il suffit d'améliorer les indices de la pro¬duction industrielle et la consommation d'électricité
pour qu'un pays se modernise et que ses habitantsvivent mieux. Cette idée fausse revient à imposerpartout des formules de développement qui ne tien¬nent pas compte des particularités historiques, cul¬turelles ou psychologiques des peuples auxquels on lesapplique. L'une des conséquences de cette aberrationest le prix moral et matériel, extrêmement lourd, quesont en train de payer de nombreux pays soumis auxmesures d'ajustement économique imposées par lesinstitutions financières internationales.
La question qui se pose aujourd'hui est de savoirqui sont les bénéficiaires du développement: tra
vaillons-nous pour les hommes et les femmes dedemain, pour les générations qui vont hériter de laTerre, ou cherchons-nous d'abord à satisfaire des
intérêts économiques à courte vue ou de troublesambitions de pouvoir? Au début du siècle, un autrepoète espagnol, Miguel de Unamuno, critiquait déjàcette conception du progrès avec véhémence: «Il fautproduire, produire dans tous les domaines le pluspossible et le moins cher possible, jusqu'à ce que legenre humain défaille au pied de la monumentaletour de Babel bourrée de produits, de machines, delivres, de tableaux, de statues, de souvenirs de gloiremondaine, d'histoire!»
La tour de Babel du consumérismeSurtout ne nous laissons pas séduire par le chant dessirènes de la consommation illimitée. Après le commu¬nisme, c'est du consumérisme que nous devons nouslibérer aujourd'hui. L'idée que la consommation peutaugmenter indéfiniment est tout simplement indéfen¬dable. Le risque d'épuisement des ressources non renou¬velables, la nécessité d'éviter la pollution et la dégrada¬tion de l'environnement, les menaces qui pèsent sur lacouche d'ozone et la diversité biologique, mais aussi surla santé et le bien-être des générations futures, ainsique sur notre patrimoine naturel et culturel, nousinterdisent absolument d'ériger une telle conception dela croissance en idéal pour le siècle à venir.
A cette illusion, nous devons opposer le conceptd'un développement intégré, soutenu et respectueuxde l'environnement, d'une consommation axée sur la
qualité et non sur la quantité, d'une réhabilitation desvaleurs de l'esprit afin de redéfinir les priorités denotre société, de privilégier les notions de frugalitéhumaine et de discipline écologique. Dans les décen¬nies à venir, le concept de qualité de la vie sera deplus en plus lié à l'idée d'austérité et de respect del'environnement.
Le rêve de Nabuchodonosor s'achève ainsi: «Sans
qu'aucune main l'ait lancée, une pierre vint frapperla statue aux pieds d'argile et la détruisit.» Notrecivilisation cette mécanique aux rouages extra¬ordinairement complexes qui a obtenu d'étonnantsrésultats dans les domaines les plus divers de l'art etde la science, de l'industrie et de la culture , res¬
semble au colosse biblique. Si nous ne corrigeons pasde manière radicale les déséquilibres qui la mena¬cent, si nous ne parvenons pas à une cohabitationpacifique de tous les hommes et de tous les peuplesdans la justice et la dignité, si nous ne sommes pascapables de léguer aux générations à venir une pla¬nète habitable, nous ressemblerons chaque jourdavantage à cette statue aux pieds d'argile à la mercidu moindre projectile que le hasard aveugle lanceracontre nous.
33
A 2 890 m d'altitude, sur les hauts plateaux andins, la
capitale équatorienne a conservé en son centre un ensemblearchitectural remarquable qui lui vaut de figurer, depuis1978, sur la Liste du patrimoine mondial de VUnesco.
34
ACTION UNESCO
MÉMOIRE DU MONDE
N raconte qu'un gentilhommeI espagnol dit un jour à son
architecte: «Dessinez-moi un
grand patio carré et dans ce qu'il vousrestera de place, ajoutez quelquespièces.» C'est ainsi que l'on admireencore, dans le vieux Quito et aux alen¬
tours, quelques maisons blanches,basses, recouvertes de tuiles rouges pati-nées. Leur grand portail de bois et de ferforgé s'ouvre sur une cour intérieure au
dallage de pierre grise, dont les incrus¬tations jaunes en os de bouf encerclentde motifs géométriques la vasque d'une
fontaine. Les maîtres de ces demeures
seigneuriales y entraient à cheval,entourés de leurs fermiers qui dépo¬saient dans la cour le chargement de leurmule, ou de leur charrette. Tout autour,
se succédaient des pièces aux fenêtresgrillagées, dont s'approchaient, à la nuittombée, des jeunes filles désmuvrées
pour tromper leur ennui ou recevoir lasérénade de leur prétendant officiel.
Ce type d'architecture découle-t-ild'une conception particulière de la ville,ou l'a-t-il au contraire suscitée? Difficile
à dire. Toujours est-il que les conquista¬dors, urbanistes improvisés et incultes,ont commencé, ici et ailleurs en Amé¬
rique, par délimiter une place centrale,carrée comme un patio, autour de laquelleils ont placé l'église, le palais du gouver¬neur, l'archevêché et l'hôtel de ville. Une
fois répartis les domaines des pouvoirsséculier et religieux, on s'est occupé du
Quito,à deux pas du ciel
par Jorge Enrique Adoum
tracé des rues. Ces rues auxquelles une
municipalité nostalgique a entrepris derendre peu à peu leur nom d'antan: ruesdes Forges, des Orfèvres, des Scpt-Croix;montées des Soupirs, du Ruisseau; car¬refours des Ames, de la Vierge, du Cra¬paud, etc. Prévues pour les chevaux et lescalèches (comme la rue de La Ronda, unevenelle tortueuse éclairée d'antiques lan¬ternes où ne passe pas une voiture), ellessont si étroites que les autobus qui s'yenfilent frôlent quasiment les murs.
De nombreuses ruelles, toujours bor¬dées de petites maisons, irriguent lecentre ville et rayonnent dans les fau¬
bourgs, escaladant dans le désordre lescontreforts de la cordillère des Andes
pour aller se perdre tout là-haut dans lesnuages, à près de 3 000 m d'altitude.Est-ce l'air raréfié des hauteurs quiimpose à Quito ce rythme plus lent, cetemps étiré qui faisait dire à Henri
A gauche, Quito vue du Panecillo,
sommet qui domine la ville de 183 m.
Ci-dessus et ci-dessous, dômes et
façade de l'église de La Compagnie de
Jésus (17e siècle).
Michaux: «Nous fumons tous ici l'opiumde la grande altitude, voix basse, petits
pas, petit souffle. Peu se disputent leschiens, peu les enfants, peu rient»* ?
Un maire décida un jour que les mursde ces maisons seraient peints en blanc etles boiseries des portes et des fenêtres enbleu, ce qui donna a Quito un petit air
méditerranéen (comparaison qui s'arrêtelà). Et puis on s'est souvenu qu'au 18°siècle, la plupart des bâtiments du centreville arboraient des façades de couleurs.
En 1757, un voyageur les décrivait ainsi:« Les façades badigeonnées de bas enhaut de couleurs criardes ne sont pasrares». On s'est donc empressé de lesrepeindre en jaune, vert ou bleu. Dansles constructions modernes des bâtiments
publics du secteur résidentiel du nord dela ville, prédomine en revanche le gris du
béton et des vitres fumées, pour se pro¬téger de la luminosité, exceptionnellesous ces latitudes, du ciel tout proche.
LES SYMKOLFS DU POUVOIK
La Plaza Mayor, dite aussi Plaza de la
Independencia à cause du monumentqu'on y érigea en 1906 ou plus sim-
plement Plaza Grande, est le symbole ww
La construction de
l'église de San Francisco
durait si longtemps, que
Charles Quint sortait tousles soirs sur son balcon à
Tolède, persuadé qu'il
pourrait apercevoir ses
tours dans le lointain. Un
tremblement de terre Jes
rapetissa à jamais.
36
L'intérieur richement décoré de la cathédrale
(1559-1562).
même de la vie urbaine. En s'affirmant
comme place publique, où s'échan¬geaient potins et rumeurs politiques, oùl'on venait manifester son désaccord,
se promener, écouter un orchestre ou se
faire photographier, elle s'est trans¬formée, devenant progressivement plusouverte, dégagée et sobre. Débarrasséede la grille qui l'emprisonnait et despompes à eau qui l'encombraient, elles'est agrémentée de plates-bandes et debancs accueillants pour les retraités etles déseuvrés en quête d'un peu desoleil.
Sur le côté de la place, l'église epis¬copate, au départ une modeste construc¬tion en pisé recouverte de chaume, n'a
cessé de s'agrandir et d'embellir depuisle 16'' siècle. Son plafond à caissons, quicopie l'art mudejar, date du début du19" siècle. Cette «eendrillon des cathé¬
drales américaines», si on la compare àcelles de Mexico ou de Lima, n'a pour¬tant rien a envier, pour l'éclat de sesdorures, aux autres églises de Quito,dont l'insolente richesse contraste avec
la pauvreté des fidèles et des malheureuxqui mendient à leurs portes.
Juste en face du siège symbolique dela puissance divine, l'archevêché
concentre la réalité du pouvoir ecclé¬siastique. Deux dates, 1852 ct 1920, cou¬
rent en chiffres romains sur sa façade.Curieusement, ce bâtiment d'un néo¬
classicisme évident est affublé, à l'étagesupérieur, d'une loggia à colonnes symé¬triques fermée par une balustrade etsurmontée sur les côtés de deux frontons
triangulaires.
Tout aussi néoclassique, le palais dugouverneur reprend à l'intérieur, depart et (l'autre d'un escalier monu¬mental, la conception architecturale du
patio. Sa façade s'orne d'une grandecolonnade dorique donnant sur la placeet surmontée, sur les côtés, de tympanstriangulaires. Inauguré en 1830 lors dela proclamation de la République, ilreprésente la dernière grande réalisa¬
tion du pouvoir colonial. Une plaquesignale le lieu où succomba un tyranthéocratique, assassiné à coups demachette par un mari jaloux (bien que cene fût pas forcément par jalousie), etqui vêtu de sa tenue d'apparat et assis
La rue de la Ronda, l'une des plus pittoresques dela vieille ville.
sur un trône, présida en la cathédrale sespropres funérailles.
A ce bâtiment, dont les pierresauraient jadis appartenu à un monu¬ment inca, s'adossent aujourd'hui quan¬tité de petites échoppes, où les mar¬chands de souvenirs vous vendent une
pacotille qui n'a plus grand chose à voiravec le superbe artisanat indigènelequel de génération en génération a suaffiner le travail de l'or, du filigrane, dufer forgé, du bois, de la cire ou de l'ivoire
végétal et vont même jusqu'à vousproposer de fausses «têtes réduites».
L'édifice qui a connu le plus de vicis¬situdes est le siège de la municipalité deQuito. Simple baraque en 1538époque où l'hôtel de ville était dans ledénuement alors que la ville exsudaitl'or il a été maintes fois transformé,
avant d'être démoli et réduit en parc destationnement automobile. Le bâtiment
actuel, qui date de 1974, prétend s'har¬moniser, en hauteur, texture, couleur
et proportions, avec les autres construc¬tions de la Plaza Grande.
Paradoxalement, on a profité d'unecampagne de restauration du centre his¬
torique pour expulser les petites mar¬chandes métisses et indiennes qui, àl'entrée de la municipalité, vendaientdes poupées de chiffon, des rubans, des
boutons, des crochets et des aiguilles à
JORGE ENRIQUE ADOUM,
poète et romancier équatorien, ancien rédacteur de
l'édition en langue espagnole du Courrier de
I'Unesco, a publié récemment El tiempo y las
palabras («Le temps et les mots», 1992), et une
anthologie bilingue, en espagnol et français, de la
Poésie équatorienne du 20e siècle (1993, Fondation
Patino, Genève).
tricoter, et qui faisaient pratiquementpartie du paysage de Quito. Il en restecinq, qui sont allées s'installer devant la
place de Santo Domingo. Les ont rem¬placées pendant quelque temps, sur laPlaza Grande, des marchands ambu¬
lants de montres, briquets, lunettes et
baladeurs de contrebande, et des petitsvendeurs de cigarettes à l'unité, gommeà mâcher, lames de rasoir ou billets de
loterie.
UNE AUTRE DIMENSION
DU TEMPS
Fin 19e et début 20" siècle, on a vu se
construire, autour de la Plaza Grande,
des bâtiments de styles variés: la vieille
université, une banque qui n'en est plusune, ainsi qu'un hôtel qui s'enor¬gueillissait, en son temps, d'offrir à sesclients, «de leur lit», le spectacle desdéfilés, processions et révolutions qui
traversaient la place. Chaque étage del'hôtel exhibe un style différent, éclec¬tisme intéressant qui fait penser à une
sorte d'espéranto architectural.
La rue des Sept-Croix, aujourd'huirue García Moreno, offre quant à elle,sur un parcours d'à peine 200 m, tout unassortiment d'éléments architecturaux
civils et militaires arches, colonnes,
vestibules, portiques des 16'' au 20"siècles. Sans oublier l'architecture reli¬
gieuse, magnifiquement représentée parles églises du Sagrario, de la Compagniede Jésus, de San Francisco. Toutes ren¬
ferment des trésors: peintures, sculp¬tures et pièces d'orfèvrerie de la célèbreécole de Quito, d'artistes de
l'envergure d'un Francisco de Zurbarán
qu'ils soient indigènes comme Caspi-cara et Pampite, ou métis comme Miguelde Santiago.
Avec sa façade baroque et tumul¬
tueuse, l'église de San Francisco (quijointe à son couvent, occupe trois hec¬tares en plein centre ville) a été sur¬nommée 1' «Escorial des Andes», bien
que sa construction ait débuté avantcelle de l'Escorial, cinquante jours àpeine après la fondation de Quito par lesEspagnols (le 6 décembre 1535). On mur¬mure que le parvis fut achevé en une
nuit par le diable pour rattraper uneâme en peine qui lui échappait. Laconstruction dura si longtemps, et lesFranciscains réclamaient tant d'argent àCharles Quint pour l'édification des
tours, que l'empereur sortait tous lessoirs sur le balcon de son palais à Tolède,
persuadé qu'elles seraient si grandes,
qu'il pourrait les apercevoir dans le loin¬tain. Un tremblement de terre les rape¬tissa ajamáis.
Sur le curieux perron en demi-cercles
concentriques de l'église, s'étalent tousles colifichets de la foi: encens, médailles,
images saintes, cierges décorés. Et surl'immense place où, jusqu'au débutde ce siècle, les porteurs d'eau remplis¬saient leurs seaux à la fontaine avant
d'aller proposer leur chargement deporte en porte passent des gens detous types et de toutes conditions, dontces Indiens que Michaux voyait avancer«trapus, brachycéphales, à petits pas»*,enveloppés dans leur poncho bleu, rougeou gris et portant sur le dos, arrimé àleur front, un réfrigérateur ou unearmoire. C'est là qu'aboutit, le Vendredisaint, la procession des pénitents enca¬puchonnés, qui se flagellent avec deslanières et des chaînes en une sorte
d'exhibitionnisme masochiste.
il ivy a qu'à tendre i,a mainpour saisir lus étoiles
Le sommet tutélaire du Pichincha et les
monts anonymes qui se fondent dans lesmassifs andins offrent à la ville de Quito
une superbe toile de fond. Du haut del'ichimbia, ou du Panecillo où les
indigènes allaient adorer le soleil et où
l'on a dressé une statue ailée de la Vierge
Marie on peut voir le soir la villedéployer son ondoyant damier, quadrilléde traits de lumière et piqueté de pointsjaunes, rouges et verts. De la colline de
Marché populaire.
San Juan dont les citadins miséreux et
les laissés-pour-compte de l'exode ruralcolonisent les pentes jusqu'aux nuesdescendent des coulées de lumière qui,
elles, ne mènent nulle part.Certes, l'on a construit des tunnels,
des mini-autoroutes contrefaites, des
passages (à niveau ou pas), des super¬marchés, des ministères et des hôtels
impersonnels mais seulement dans leNord résidentiel, une ville à part qui n'arien de commun avec celle qui a été pro¬
clamée «patrimoine de l'humanité»,sinon la proximité des montagnes. Têtue,Quito se refuse obstinément à toute
modernisation, comme pour continuer àmériter les surnoms de «Florence amé¬
ricaine» ou de «Rome tropicale» que luivaut sa situation géographique (et elleseule). D'autres surnoms «Quito, anti¬
chambre du paradis», «Quito, à deuxpas du ciel», ou encore ce vieux refrain«Sur la terre Quito, et au ciel une lucarne
pour la regarder» la situent plutôt
au voisinage de Pempyrée. On a mêmevu, dans un film, un gangster, amoureuxet généreux, rêver de monter un der¬
nier coup pour se retirer à Quito, «où iln'y a qu'à tendre la main pour saisir lesétoiles». On a dit aussi de Quito qu'elleétait «le visage de Dieu»: peut-être, maisquel sombre visage, semblable à celuide ces petites filles maigres agglutinées
aux portes des restaurants pour offriraux dîneurs et aux passants, en grelot¬tant de froid dans la nuit, des fleurs
tristes comme elles et, comme elles, troptôt flétries.
' Henri Michaux, Ecuador, Gallimard, Paris 1%'î.
37
nniversaire
sm¿
m
V
38
Amants enlacés, miniature persane du 17' siècle.
[" irzâ Mohammad-Ali, aliasI Sâ'eb de Tabriz, est un des
I plus brillants représentants
de la poésie persane postclassique. 11
naît à Isfahan en 1607 (il y a tout juste
400 ans selon le calendrier de l'Hégire)
dans une famille de commerçants origi¬
naires de Tabriz, venus chercher gloire
et richesse dans la capitale de l'empire
perse. Dès l'âge de vingt ans, Sâ'eb, bon
prosateur et calligraphe, s'affirme aussi
comme un poète de talent. Ce goût pré¬
coce pour la poésie lui venait peut-être de
son aïeul, Shams-é-Maqrebi, poète mys¬
tique du 14" siècle.
Sâ'eb fait ses débuts à la cour, dont
l'atmosphère le déçoit. Déchirée par des
siècles de troubles et d'invasions, la
Perse commençait à retrouver sa cohé¬sion sous la férule des Safavides. Mais les
souverains de cette nouvelle dynastie
avaient entrepris d'imposer la foi chi'ite
au peuple iranien, au prix d'une déchi¬
rure sociale qui poussait nombre d'intel¬
lectuels à fuir Isfahan, où les théologiens
tenaient le haut du pavé et affichaient
une hostilité farouche à l'égard des
poètes, des philosophes et des mystiques.
Dans un de ses poèmes, Sâ'eb décrit la
situation en ces termes: «De nos jours, ne
comptent plus guère l'intelligence et la
raison, c'est le temps des turbans et desventres bien ronds.»
Sâ'eb de Tabrizprince des poètes
par Hossein Esmaili
Sâ'eb quitte donc la Perse pour
l'Inde. Il fait étape chez Zafar Khan,
gouverneur de Kaboul et lui-même poète,
qui le gardera trois ans auprès de lui.
Puis il gagne l'Inde, où il entre au service
de l'empereur moghol, Shah Jahân,
grand protecteur des lettres persanes,
qui lui prodigue ses largesses. Les autres
poètes de cour lui font bon accueil et
apprécient son style.
Mais en 1633, son père le rejoint et le
persuade de rentrer dans son pays.
Sâ'eb regagne Isfahan où le roiAbbas II lui offre le titre de «Prince des
poètes». Il y restera jusqu'à sa mort, en
1675, alternant la fréquentation de la
cour et les périodes de retraite et d'iso¬
lement. Il compose de nombreux pané¬
gyriques ainsi qu'une épopée historique
à la gloire du souverain, mais il cultive
surtout le lyrisme amoureux du ghazal,
court poème au style raffiné qui fera sa
gloire et lui assurera la postérité.
UN MAÎTRE DU«STYLE INDIEN»
Sâ'eb aura été le poète le plus célèbre de
son temps; ses contemporains s'arra¬
chaient ses poèmes, et cependant, il se
disait mal apprécié, et mal compris. 11
fut, et reste, une énigme. Malgré sa
grande réputation, en Asie centrale et en
Inde, les critiques littéraires l'ont large¬
ment ignoré, et quantité de ses poèmes
n'ont pas été publiés, bien qu'il fût consi¬
déré, à juste titre, comme l'un des maîtres
du «style indien» dans la poésie persane.
Ce style se distingue par sa recherche
d'idées subtiles, et son goût, parfois
immodéré, pour les ligures de rhétorique
compliquées. Pourtant, Sâ'eb se plaisait
à fréquenter les «maisons de thé», où il
était admiré par des gens simples qui
reprenaient ses vers jusqu'à en faire desdictons: il n'avait cure des érudits des
cercles littéraires qui lui reprochaient
son manque de rigueur et son langage
truffé d'expressions populaires.
En fait, Sâ'eb est un poète complet,
(jui ne perçoit le monde qu'au travers du
prisme de la poésie. Contrairement à ses
prédécesseurs, qui multipliaient les méta¬
phores étranges et obscures, il s'attache
aux moindres détails du quotidien,
construit son univers littéraire à partir
des événements et des gestes les plus ano¬
dins. Il recourt à la subjectivité poétique
pour parer la réalité des couleurs du
rêve, lui donner du rythme ct de l'élé¬
gance. Tout, chez lui, prend sens et
poésie: le doux murmure de l'eau qui
coule évoque le passage insensible des
années, l'arbre séculaire qui étend sesracines dans les entrailles de la terre
suggère que le vieillard s'accroche à la
vie davantage qu'un jeune homme, le
pain qui se détache sans peine d'un fouréteint montre combien il est facile de se
libérer d'un monde sans chaleur...
Cette association, constante chez
Sâ'eb, d'images et d'idées en miroir,
convient à merveille à la poésie persane,
ou les deux vers d'un distique entre¬
tiennent un rapport de complémenta¬
rité, ou d'opposition. L'art de Sâ'eb,
(jui décompose la réalité en une multi¬
tude d'images poétiques, peut être com¬
paré à celui du miniaturiste qui constitue
une scène a partir d'une foule de formesminuscules.
Le quatre centième anniversaire de la
naissance du «Prince des poètes» est
peut-être l'occasion de redécouvrir une
d'une exquise subtilité, et de jeter
une lumière nouvelle sur un genre poé¬
tique original et raffiné, mais encore lar-
HOSSEIN ESMAILI,
chercheur iranien, est maître de conférences de
persan à l'Institut national des langues et des
civilisations orientales à Paris. On lui doit plusieurs
articles sur l'art, la culture et la littérature de l'Iran.
ESPACE VERTOMAN: PRIORITE A
L'ENVIRONNEMENT
par France Bequette
Chargement de la
glace avant le
départ pour une
campagne de
pêche dans le port
de Sour, golfed'Oman.
Aen croire les Omanais, leur
sultanat est le pays le pluspropre du monde après Sin¬
gapour. Il est exact qu'il y règneune propreté méticuleuse. A l'aéro¬port, le sol de marbre gris brillecomme un miroir. Nul papier, nullepoussière ne le souillent. A l'exté¬rieur, les véhicules apparaissentrutilants. Force est de reconnaître
ici une volonté politique omnipré¬sente, relayée par des messageséducatifs radiodiffusés et télévisés,
imposée à coups de fortes amendes(100 dollars environ pour une voi¬ture poussiéreuse ou un mégot jetépar la portière) et servie par unearmée de balayeurs en uniformeorange qui, jour et nuit, s'affairentle long des routes pour ramassertout ce qui a pu, malgré tout, ytomber. Jusqu'en plein désert, lespoubelles, d'anciens bidons d'huilepeints en blanc portant le nom de lamunicipalité la plus proche, sontrégulièrement vidées! Máscate, lacapitale, qui s'étend sur des kilo¬mètres au bord de la mer, est faite
de maisons blanches, toutes obli¬
gatoirement construites dans le stylearabe, entourées d'arbres et defleurs. Citernes, antennes et clima¬tiseurs sont habillés de sortes de
moucharabieh qui les dissimulentau regard.
Grand comme le Royaume-Uni et l'Irlande, peuplé de 1,719million d'habitants, l'Oman offre
une palette très diverse de pay¬sages et de sols. Il occupe 300 000kilomètres carrés à l'extrême
sud-est de la péninsule arabique
et possède une frontière com¬mune avec les Emirats arabes
unis, l'Arabie Saoudite et le
Yémen. A l'est, s'étirent 1 700
kilomètres de côtes, du détroit
d'Ormuz à la mer d'Arabie. On ydécouvre à Musandam une pénin¬sule rocheuse tailladée de pseudo¬fjords, une plaine côtière fertile,la Batinah, une chaîne de mon¬
tagnes, le Jabal al-Akhdar, quiculmine à 3 000 mètres, ainsi quede vastes étendues désertiques.
LA GRANDE SOIF
DU SULTANAT
Alors que le Dhofar, au sud, estarrosé de juin à septembre parde fortes pluies de mousson, leclimat, à l'intérieur du pays, estsec et torride, avec une pluviomé¬trie annuelle moyenne ne dépas¬sant pas les 100 mm mais quis'abat parfois avec une extrêmeviolence: les wadi (rivières),habituellement à sec, sortent
alors de leur lit, balayant lesroutes et emportant les voitures.
L'eau, à Oman, constitue une
préoccupation majeure du gou¬vernement. Aussi, le ministre des
ressources hydriques a-t-il lancé,en mars dernier, un cri d'alarme
face à la forte hausse de la
consommation. Les restrictions ne
se font pas sentir à Máscate,approvisionnée par une usine dedessalement d'eau de mer, mais
l'agriculture absorbe entre mai etaoût (alors que la températuredépasse les 43°C sous abri)quelque 100 millions de mètrescubes par mois, soit 94% de laconsommation totale. Selon le
ministre, 80% des eaux de pluiese perdent en mer et 5% s'évapo¬rent. Le premier barrage deretenue a été édifié en 1985 près
de Máscate. Cinq autres ont étéconstruits depuis et une cinquan¬taine sont prévus pour les pro¬chaines années.
Pour éviter l'épuisement de lanappe phréatique, le gouvernementa soumis à autorisation le creuse¬
ment de puits d'irrigation. La mul¬tiplication des demandes est inquié¬tante: 9 090 en trois ans, dont 6 365
ont été approuvées, ce qui porte lenombre total des puits à 167 000.Inquiétante, parce que la nappe,qualifiée de fossile puisqu'elle dated'une lointaine époque où il pleu¬vait davantage sur la région, a dumal à se reconstituer. Il faut donc
l'économiser, même si les réservessont estimées à 955 millions de m et
que des recherches sont en courspour déterminer s'il existe desnappes encore plus profondes. Qua¬rante-neuf équipes sillonnent lepays pour vérifier que les foragessont bien autorisés, analyser l'eauet estimer les besoins en matière
d'irrigation. Les données sontensuite informatisées, permettantl'établissement de statistiques ct decartes. Il faut également s'assurerque les puits ne sont pas forés tropprès de la mer car, dans ce cas, ilssont progressivement envahis parl'eau salée. Conséquence? Des pal¬miers dattiers de la Batinah, habi¬
tués à tolérer une eau saumâtre,sont morts d'avoir été arrosés avec
une eau trop chargée en sel.
LES PUITS DU ROI SALOMON
La gestion de l'eau n'est pas icid'invention récente. Un remar¬
quable système de canaux d'irri¬gation, lesfalaj, a été mis en placeil y a environ 2 500 ans et il fonc¬tionne encore parfaitement. Lalégende veut que Salomon, fils deDavid, venu visiter l'Oman avec
ses djinns sur un tapis magique,en aient construit 10 000 en dix
Wadi el-Khalil,
massif montagneux
du Hajar oriental,entre Máscate et
Sour.
Un falaj, canal
d'irrigation, dans le
Jabal el-Akhdar.
40
jours. Un puits principal (umm al-falaj) est creusé dans la montagned'où part un tunnel de 3 à 10 km.Tous les 150 mètres, des puitssecondaires jalonnent le parcoursdu tunnel, facilitant les inspections.A la sortie du tunnel, d'étroits
canaux aux parois parfois cimen¬tées complètent le réseau. Desdocuments très anciens expliquentle système de distribution de l'eau:environ 200 propriétaires jouis¬sent d'un droit d'accès permanentà un canal et nombreux sont ceux
qui possèdent des droits tempo¬raires. Un débit de 45 litres/seconde
irrigue 40 hectares et sert environ1 000 personnes. Une brèche estouverte, dans les murs de terre
qui délimitent les champs, puisrefermée. C'est alors le tour du
champ suivant. Curieusement, cesystème d'irrigation pratiqué enIran et en Chine, se retrouve sous
forme de «bisses» dans le Valais,
partie suisse de la vallée du Rhône.Les petits poissons noirs qui fré¬
tillent dans les falaj jouent le rôled'éboueurs. Malheureusement, ils
respectent les larves des anophèles,moustiques vecteurs du parasiteresponsable du paludisme. En1990, un projet d'éradication dupaludisme a été lancé à Ibra, à 100km au sud de Máscate. On avait
enregistré à l'époque 4 419 casd'infection aiguë à Plasmodium fal¬ciparum, la forme la plus grave dela maladie. On n'en compte plusaujourd'hui que 40. Pourtant, latâche est énorme. Il s'agit decontrôler une zone où vivent
250 000 personnes et qui repré
sente 12% du territoire national. Il
a fallu pour cela la diviser en dis¬tricts de 4 km2. Chaque jour de lasemaine, à tour de rôle, un res¬
ponsable doit vaporiser danschaque district un insecticide inof¬fensif pour l'homme et l'environ¬nement, le Téméphos, partout oùles anophèles peuvent se repro¬duire: wadi, cours d'eau, puits etréservoirs. Les résultats sont spec¬taculaires.
LE RETOUR DE L'ORYX BLANC
Autre succès écologique: la réin¬troduction de l'oryx blanc, par¬rainée par le Fonds mondial pour lanature (WWF). Ce genre d'anti¬lope africaine à longues cornes avaittotalement disparu à la suite dechasses impitoyables. Le sultanQabous a décidé d'en importer plu¬sieurs couples vivant dans un zooaux Etats-Unis et ils se sont multi¬
pliés. Le sanctuaire où ils viventvient d'être inscrit par l'UNESCOsur la Liste du patrimoine mondial.
Les cinq espèces de tortues étu¬diées depuis 12 ans par le WWF etl'Union internationale pour laconservation de la nature ont
moins de chance. Leurs préda¬teurs sont les loups, les renards,les mouettes, les corbeaux et les
crabes, les filets des pêcheurs, lespopulations locales qui sontfriandes de leur chair et de leurs
Cette consommation tradi¬
tionnelle, qui dure depuis 7 000ans, doit être combattue car tor¬tues à écaille et tortues vertes sont
devenues des espèces menacées.
AUTOUR DU MONDE
Par ailleurs, la pollutionn'épargne pas les côtes d'Oman:Rod Salm, représentant l'UICN, apassé sept ans, de 1984 à 1992, àélaborer un Plan d'action pour lagestion des zones côtières. Ses rap¬ports signalent la présence depétrole et de goudron sur lesplages, liée au dégazage, pourtantinterdit, des soutes des pétroliers;le prélèvement de sable pour laconstruction; l'emprise des routes;les déchets de poisson qui pourris¬sent; le déversement des ordures.
Les oiseaux migrateurs risquentde ne plus pouvoir se poser surleurs lagunes bordées de roseaux.Sur 17 sites, 7 sont très menacés.
Enfin, les récifs de corail, dont cer¬
taines espèces sont uniques, sontsaccagés par les filets des pêcheurs,les ancres, les déchets de toute
nature: plastique, chiffons et potsde peinture vides.
Le ministère des municipalitéslocales et de l'environnement s'est
mis au travail. Un décret royalportant sur la conservation del'environnement et la préventionde la pollution a été promulgué en1982. En 1993, le ministère a
publié un fascicule très completprésentant 23 ans de réponses auxproblèmes posés. En ce quiconcerne la pollution par lepétrole, l'Oman envisage la créa¬tion d'un centre de déballastagepour les pétroliers sans se fairetrop d'illusions sur la bonnevolonté des commandants de ces
POUR EN SAVOIR PLUS
Oman 94,ministère de l'Information, Oman, 1994.
Marine fauna of Oman: cetaceans, turtles, seabirds andshallow water corals,
IUCN, 1993.
Royal Decree n°10/82 issuing the law on theconservation of environment and the prevention of
pollution.
The Sultanate of Oman
and its concern for its environment,1993.
Coastal Oman,UICN Bulletin n°4, 1992.
navires. L'extraction de sable et le
dépôt d'ordures sur les plages ontcessé. L'accès de la principale zonede reproduction des tortues estsévèrement réglementé et limité à60 personnes par jour. Il estinterdit de construire à moins de
150 m de la ligne de la plus hautemarée. Les habitations, comme
tous les bâtiments du sultanat,sont soumises à l'autorisation
préalable du ministère.L'Oman se présente comme un
laboratoire de l'environnement
«grandeur nature». Compte tenude la volonté politique affirméedes autorités d'en prendre soin etdes moyens qu'elles se donnentpour y parvenir, il sera passion¬nant de suivre les stratégies misesen muvre et de mesurer les résul¬
tats obtenus dans les années à
venir. I
FRANCE
BEQVETTE,
journaliste franco-américaine
spécialisée dansl'environnement.
L'ancien fort de
Birkat el-Moz, au
pied du Jabal el-
Akhdar, est un des
sites touristiques
du sultanat
d'Oman.
SOMRRE WIMIt M
MOYEN-ORIENT
La Banque mondiale, dans un rapport intitulé
Politique écologique au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord: pour un développement maî¬
trisé, paru à la fin de l'année dernière, constate
que 45 millions d'Arabes vivent aujourd'hui
dans des villes où les niveaux de pollution
atmosphérique dépassent ceux autorisés par
l'Organisation mondiale de la santé. Dans une
dizaine d'années, ils seront environ 115 millions
et la pollution deviendra intolérable. La popu¬
lation totale des Etats arabes passera, dans le
même temps, de quelque 240 millions à plus
de 320 millions. La population rurale aug¬
mentera d'environ 12 millions, accélérant
encore l'appauvrissement des terres arables qui
représentent actuellement 7% de la surface
totale des terres. Tous ces problèmes entra¬
veront nécessairement le développement éco¬
nomique et social. Sont-ils evitables?
LE PARC »ES VIRINGA
VI ZAÏRE
L'Agence panafricaine d'information (PANA)
nous apprend que ce parc immense de
790 000 hectares, situé à l'extrême est du
pays, appelé aussi parc des volcans, subit le
contrecoup de la guerre au Rwanda. Près de
deux millions de Rwandais ont cherché refuge
à Goma, à une cinquantaine de kilomètres du
parc. En juin dernier, ils étalent près d'un mil¬
lion à y braconner et à prélever chaque jour de
410 à 770 tonnes de produits de la forêt, du
bols de chauffage en particulier. Au début du
mois de novembre, près de 300 km2 étaient
partiellement ou totalement déboisés. Les
hippopotames, 23 000 en 1989, ne sont
plus que 11 000. Le parc figure depuis 1979
sur la Liste du patrimoine mondial, mais
I'Unesco s'est vue obligée, en 1994, de l'ins¬
crire sur la Liste du patrimoine mondial en
péril. m
I I I I'll % VI S: DU PLOMR
DANS LA TROMPE?
Voici une autre information que nous devons au
correspondant de la PANA à Harare: douze
éléphants du Zimbabwe souffrent de la maladie
de la trompe molle, une paralysie qui les gêne
beaucoup pour se nourrir. Il pourrait s'agir
d'une intoxication au plomb causée par des
déchets toxiques, des batteries usagées ou,
encore les émissions polluantes des embar¬
cations motorisées. Le syndrome s'est mani¬
festé d'abord sur l'île touristique de Fothergill,
au nord du pays, mais la maladie a tendance
à s'étendre et les experts vétérinaires pour¬
suivent activement leurs recherches.
LU
O
<
Q.
C/>
AUTOUR DU MONDE
te
LU
>
LU
O
<
a.
</>
LU
INITIATIVES
UNE SI JOLIE IM (Il MCI. I
En France, dans la vallée de la Loire, à Champ-
teussé-sur-Baconne, une décharge de produits
toxiques s'étend sur 40 hectares sans que
personne s'en plaigne, car c'est un modèle
du genre. A l'arrivée, les camions sont pesés,
les chargements analysés. Une fols triées, les
25 000 tonnes de déchets qui arrivent chaque
année sont mis en sacs de polyethylene, puis
placés dans des alvéoles creusés profondément
dans le sol argileux. Les alvéoles sont tapissés
de bâches de polyethylene de haute densité et
de géotextiles. Les eaux de pluie, ennemies
jurées des décharges, sont canalisées et pas¬
sent par une station d'épuration. La loi Impose
une décharge de classe I. habilitée à recevoir
les déchets les plus toxiques, dans chaque
région de France. Or, voilà 12 ans qu'aucune
nouvelle décharge n'a pu être ouverte, alors que
de 2 à 6 millions de tonnes de ces déchets sont
produits chaque année!
EE II \M>I VICK
S'ÉCLAIRE AL VENT
Premier constructeur mondial d'aérogénéra-
teurs, le Danemark possède déjà 4 000
éollennes qui fournissent près de 3% de son
électricité, soit approximativement l'équiva¬
lent d'une demi-centrale nucléaire. Des avan¬
tages fiscaux sont consentis aux particuliers qui
investissent dans une turbine, ce qui explique
leur multiplication. Comme les sites les plus
venteux commencent à être saturés, des
éoliennes sont maintenant Implantées au large
des côtes. Elles reviennent plus cher, mais le
vent de la mer est inépuisable.
PREMIERE MOIMHACE:
LE SALON »I CRIQL'ET
Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, a
été aussi, en janvier dernier, la capitale inter¬
nationale de la lutte contre le criquet, à l'ini¬
tiative de trois institutions burkinabé. Le pre¬
mier Salon du criquet était largement ouvert
à tous, afin de développer la formation, l'infor¬
mation et l'application judicieuse des moyens
de lutte. Cet Insecte dévoreur de récoltes
sévit de façon sporadique, mais catastro-
ohique, dans une soixantaine de pays. Rap¬
pelons, à ce propos, une excellente bande des¬
sinée de l'acridologue Michel Launols, intitulée
Les dents du ciel, diffusée gratuitement par le
Centre français de coopération Internationale
en recherche agronomique pour le dévelop¬
pement: CIRAD-PRIFAS, BP 5035, 35032
Montpellier Cedex (France), tél. (33-1) 67 61
58 45. télécopie 67 41 09 58.
L'INSTITUT UNIVERSITAIRE
D'ÉTUDES DU DÉVELOPPEMENT
Où acquérir une compétence pro¬fessionnelle dans le domaine du
développement, bénéficier desrecherches et des études existantes,notamment en matière de santé? Où
trouver 50 000 volumes, plus de 1 100revues, 1 200 dossiers d'information
par pays, thèmes et institutions? EnSuisse, à Genève, à l'Institut universi¬
taire d'études du développement(IUED). Créé en 1961 par l'Etat deGenève, l'IUED s'est d'abord voulu
un centre d'accueil pour les étudiantsafricains et un lieu de réflexion et de
recherche pour toutes les personnesintéressées par le tiers monde. Il a,depuis, considérablement diversifié sesmissions.
L'enseignement est dispensé sousforme de cours, de séminaires et de
modules. Il prépare à un diplômed'études supérieures, un certificat despécialisation, un diplôme de rechercheou un doctorat. Les étudiants sont
suisses, italiens, roumains, finlandais,
béninois, sénégalais, chinois ou phi¬lippins. L'Institut les aide à formulerleur projet, puis à se réinsérerlorsqu'ils se retrouvent sur le terrain.
Le Service études et projets estchargé de mener à bien les principauxcontrats opérationnels de l'Institutavec des institutions locales dont il
s'agit de renforcer les capacités. Parexemple, l'IUED mène un programmehydraulique au Niger. En quatre ans,avec 12 millions de francs suisses, il
va aider le ministère de l'hydrauliqueet de l'environnement à assurer
l'approvisionnement en eau des vil-lases et à gérer les eaux souterraines,
tout en formant du personnel. AuBénin, ce sont 7 millions de francs
suisses qui sont investis dans l'amélio¬ration de l'état de santé des populationsdans les départements du Borgou etdu Zou. A Madagascar, au programme:réorganiser la pharmacie centrale àAntananarivo, publier un guide thé¬rapeutique à l'usage des médecins,renforcer le réseau des pharmaciescommunautaires en facilitant l'ache¬
minement des médicaments et la for¬
mation des personnels. En Haïti, auCap-Haïtien, l'enjeu est d'assainir laville en organisant la collecte et le recy¬clage des ordures ménagères. Le com¬post obtenu est ensuite proposé auxpetits agriculteurs et aux pépinièresvoisines. Dans le même domaine, une
aide est apportée à un groupe defemmes de Tejalpa Morelos, à Cuer-navaca, au Mexique, qui s'emploient àvaloriser les déchets.
Parmi les publications de l'IUED,figurent des Cahiers thématiques pro¬posant des dossiers divers, ainsi qu'unremarquable annuaire de 400 pagesintitulé Recherche suisse et pays envoie de développement 1993-1994 (enfrançais, anglais et allemand). On ytrouve les coordonnées de toutes les
institutions concernées, les noms et
adresses des personnes-ressources etla liste des projets de recherche dansdivers domaines et dans le monde
entier.
IUED, 24, rue Rothschild, Case postale
136, 1211 Genève 21, Suisse. Tél. (41-
22) 731 59 40, télécopieur 738 44 16.
repère**
Anaux
<**
Littératures d'aujourd'hui et de demain:échos d'un débat international
AMERIQUE LATINE:SOUS LE SIGNE DU
BAROQUE
La rencontre sur «Le rôle dynamique deslittératures latino-américaines et des
Caraïbes dans la création littéraire uni¬
verselle», organisée à Brasilia du 18 au 21avril 1988, a réuni plusieurs centainesd'écrivains et d'intellectuels de seize pays
de la région.
Le fait que les sujets ruraux aient cédéla place aux thèmes citadins a particuliè¬rement attiré l'attention des participants.L'urbanisation sauvage qu'a connue larégion a entraîné un changement de sensi¬bilité et de perspective romanesque: leregard compatissant, mais extérieur, portésur l'indigène dans un «roman paysan» àvocation sociale, s'est mué, dans le «romancitadin» en une véritable intériorisation
de la condition indigène. La descriptionde l'espace urbain, mieux, sa recréation lit¬téraire, est une des conquêtes du genre.
11 n'en reste pas moins (pre la nature,par l'intensité de sa présence, se prête àune symbolisation foisonnante qui fait cra¬quer aux coutures les langues européennesclassiques. Au point (pie certains se sontdemandés s'il ne fallait pas les déclarerlangues mortes. Mais non, car l'écrivain«latino-américain» les enrichit et les adapte
à son univers, en puisant aux sources oraleset dialectales. De ce fait, l'éuvre s'ouvre
aux mythes et à l'imaginaire indigènes qui,par le biais de l'écriture, accèdent aumonde contemporain.
La réalité du Nouveau Monde, telle que
le dépeint le roman latino-américain, paraîtfantastique aux lecteurs des autres conti¬nents. Des critiques français ont parlé deréalisme magique. Les écrivains, eux, sereconnaissent plus volontiers dans le qua¬lificatif de baroque, qui traduit mieux lesdisparités culturelles et sociales qu'il leurrevient d'assumer. Pris entre l'Utopie et
l'Histoire, guetté par la parodie et le ver¬tige de l'absurde, le personnage roma¬nesque apporte un projet identitaire fondésur l'angoisse et le déchirement, où le songede l'Indien rejoint, contredit, affronte
ou épouse le rêve de l'immigrant.
AFRIQUE: DENOUVELLES FORMES
D'EXPRESSION
Quatre ans plus tard, on devait retrouverà Ilarare (Zimbabwe), du 10 au 13 février1992, nombre de thèmes analogues dans lalittérature africaine: la force du mythe et
de la Nature, une sensibilité dominée par
le surnaturel, le problème de la languevéhiculaire héritée du colonialisme.
De large diffusion, la langue occidentalepermet à l'écrivain l'ouverture au mondecontemporain et l'acquisition d'un public
plus vaste. En revanche, elle l'éloigné dulecteur autochtone et demeure marquée par
le passé colonial. La langue nationale, (piantà elle, se révèle rétive à l'expression de la sen¬sibilité moderne, et demeure prisonnière dela tradition dont elle perpétue les mythes.Entre les deux, les nouvelles sociétés afri¬
caines se trouvent privées de moyens
d'expression; leur littérature abonde enhéros fictifs, trop éloignés de la réalité.
Le passage d'une culture traditionnelleorale à une culture écrite a entraîné, certes,
une série de problèmes graves. Mais il porteen lui le germe d'une littérature nouvelleoù, les traces du passé colonial étant iden¬tifiées, les valeurs sociales modernes peu¬
vent enfin être intégrées et exprimées.Le débat a constamment tourné autour
de rengagement de l'écrivain, ou de la lit¬térature engagée. S'il appartient à l'écri¬vain d'observer et d'exprimer les conflitssociaux, il doit savoir aussi faire passer le
message du progrès sans rien sacrifier de laqualité esthétique de son onivre.
Dans leurs conclusions, les participants
se sont félicités de la place commise dans le
monde par la littérature africaine, qui a suaffirmer son identité propre, liée en parti¬
culier à l'apport de la tradition orale, au seinde littératures, française, portugaise ou
anglaise, dont elle emprunte les langues.Toutefois, cette jeune littérature n'est pasencore parvenue à concilier les valeurs pro¬fondes du continent et les formes intellec- _ _
tuelles et esthétiques héritées de l'Occident, ^w
44
ASIE: TOURNER
LE DOS ÀLA MODERNITÉ?
Les écrivains d'Asie, invités à Séoul en
1992, ont placé le débat sous le signe de latradition. Loin des recherches et des pas¬sions (jui avaient dominé les rencontres deBrasilia et d'Harare, les participants ontmis l'accent sur la modération vertu
esthétique et intellectuelle, en même tempsque qualité politique , l'originalité étantperçue comme une faute de goût, voire unefaute morale, contraire à l'harmonie qu'ilappartient à la littérature d'exprimer.Seules la tradition et la culture, la commu¬
nauté et ses valeurs, sont jugées capables derépondre à l'angoisse provoquée par laremise en cause des valeurs importéesd'Occident, et notamment du mythe duProgrès. Si le passé colonial hante encore lesconsciences et l'imagination, c'est unique¬ment à cause de la menace qu'il fait pesersur l'évolution sociale actuelle et sur les
identités nationales et culturelles.
Le problème de la langue, évoqué àBrasilia et à Ilarare, prend ici une acuitéparticulière: l'anglo-américain est en trainde devenir la langue vernaculaire de l'Asie.Le divorce entre la réalité qu'il vit et lalangue dans laquelle il s'exprime entraîne,chez l'écrivain, une crise de la personna¬lité, aggravée par le caractère multiracialet multilingue de nombreux pays du conti¬nent. Là aussi, on a cherché la solutiondans la restauration d'une harmonie dont
le secret gît dans la tradition. Fondementsassurés de l'identité individuelle et collec¬
tive, le village et la famille, qui n'ont jamaiseu à subir, en Asie, les attaques dont ils sontl'objet en Occident, restent sacrés.
La Nature, métaphore de l'harmonie etde la paix de l'âme, demeure un thèmeprivilégié de la littérature asiatique. Lesécrivains sont particulièrement sensiblesaux menaces qui pèsent sur elle. L'angoisseécologique entraîne parfois un retour à lareligion voire, dans certains pays, à l'inté¬grisme. Au risque de sacrifier les droits del'homme, vis-à-vis desquels les partici¬pants se sont, d'ailleurs, montrés assezindifférents. En revanche, ils ont accueilli
la mort des idéologies en Occident avecsatisfaction, parce qu'elle leur ouvre lechemin d'un retour sur soi, sur la famille,
le village et la tradition.Le concept de création n'a guère été
évoqué au cours de ce débat, dominé, sur¬tout, par la volonté de revenir à Soi, en seséparant de l'Autre.
ALEXANDRE BLOKH
-*Jl
-**
LES DEFIS DE LA
LITTÉRATURE ARARE
Le colloque des écrivains arabes, réunis en1994 à Carthage (Tunisie), était en grandepartie consacré à la démocratie, la liberté
d'expression et la menace intégriste. Tropd'écrivains assassinés, ou menacés de mort,
hantaient les mémoires. On évoquaRushdie et la fatwa (jui pèse sur sa vie,
ainsi que l'obscurantisme et la volonté despartisans de l'intégrisme d'imposer descritères d'un autre âge (jui risquent deréduire les intellectuels au silence. L'inté¬
grisme exerce une jiression telle que l'écri¬
vain le plus indépendant en arrive à selivrer à l'autocensure. Une grande vigi¬lance s'imjiose si l'on veut éviter le retourà une ère de totems et de tabous.
Ces problèmes ne sont pas seulement de
nature politique. 11 s'agit d'un défi de civi¬lisation, comme le souligne la déclarationsignée jiar la majorité de la vingtaine d'écri¬
vains présents, et qui dénonce le désastreauquel s'exposent les pays arabes s'ils neviennent jias à bout de la barbarie inté¬
griste. Le texte précise qu'au temjis de sasplendeur, l'islam était tolérant, ouvert à
l'autre, et ne répudiait pas la jiluralité et lemélange. C'est à ces valeurs qu'il convientde revenir, si l'on veut rendre à la civili¬
sation islamique sa fécondité.Une autre question revenait souvent,
surtout jiarmi les particijiants maghrébins:celle de la langue choisie jiar l'écrivain
pour s'exprimer. Des voix se sont élevéescontre ceux qui se sont tournés vers des
langues étrangères, notamment le fran¬çais. Le Marocain Tahar Ben Jelloun a
répliqué en fustigeant les «douaniers» de laculture (jui s'arrogent le droit de distri¬
buer des certificats d'arabité. Son compa¬triote Mohamed Berrada et le Tunisien
Habib Selmi ont mis en évidence la multi-
jdieité des niveaux linguistiques qui, ausein de la langue arabe, nourrissent leur
romanesque.
La question des formes et des sourceslittéraires a ouvert un débat sur la dialec¬
tique du jiarticulier et de l'universel. LePalestinien Emile Ilabibi a rappelé que
diverses formes du récit classique pou
vaient être adaptées au genre romanesquemoderne. Plusieurs intervenants, dont le
Libanais Salah Stétié, ont évoqué le rôle dusoufisme dans l'insjiiration contemporaine.D'autres, en revanche, tels l'EgyptienSonallah Ibrahim et le Libanais Elias
Khoury, ont estimé nécessaire de rompreavec les formes traditionnelles pour satis¬faire aux exigences du document postna¬turaliste, afin que la littérature n'oublie pas(ju'une de ses vocations est d'être le témoinhistorique des crises et des mutations quetraversent les peuples.
Peut-être est-ce l'intervention du jioètelibanais Adonis qui a indiqué le cheminmédian: «Avant, le poète arabe répondaità l'appel du jiublic ou des princes.Aujourd'hui, je demande d'inverser larelation: c'est moi qui demande au publicd'entrer avec moi dans une aventure.»
Au-delà des réactions, parfois symjito-matiques, suscitées par les écrivains étran¬gers présents (dont l'Anglais Ronald Har-wood, président du Pen International etl'Israélien arabojihone Sami Mikhaïl,réduit au silence), cette rencontre révèle
que la littérature arabe se trouve à mi-chemin entre l'enfermement dans une
coquille identitaire et la sortie vers le grandair, où respirent ceux (jui créent la littéra¬ture mondiale, en aval des expressionsnationales. Tout comjitc fait, si clivage il ya, il se situe entre ceux qui ne parviennentpas à quitter la citadelle et ceux qui jiéré-grinent, à leurs risques et périls, dans lajubilation ou dans la douleur, à traversles vastitudes du monde.
ABDELWAHAB MEDDEB
AtEXANDRE BLOKH,
romancier et critique littéraire français, est
Secrétaire international du PEN-Club. Il a publié,
sous le pseudonyme de Jean Blot, un certain
nombre de romans et d'essais, dont Les
cosmopolites (Gallimard, 1976), La montagne sainte
(Albin Michel, 1984) et Vladimir Nabokov (Seuil,
1995).
ABDELWAHAB MEDDEB,
écrivain tunisien, a publié récemment La gazelle et
['enfant (Actes Sud-Papiers, 1992) et une traductiondu Récit de l'exil occidental de Sohrawardi (Fata
Morgana, 1993).
A i; C II I Y E s
Paul Scott Mowrer
Après l'écrivain colombienBaldomero Sanín Cano,
dont nous avons publié lemois dernier la vision
pessimiste de l'évolutionintellectuelle et morale de la
presse, c'est au tour dujournaliste américain PaulScott Mowrer, du ChicagoDaily News, d'apporter sacontribution à l'enquêtemenée en 1933 par l'Institutinternational de coopérationintellectuelle auprès depersonnalités du mondejournalistique, pour «savoirsi la presse joue le grandrôle éducatifd'intérêtgénéral qui lui revient».
La presse et son public
Texte choisi par Edgardo Canton
Il se peut qu'un journal prenne par¬fois une tournure littéraire et édu¬
cative, qu'il publie une conférenceou des articles qui instruisent ou amusentle lecteur, un conte ou même un roman en
feuilleton: ce ne sont pas là les buts essen¬tiels du journal. Un journal n'est pas undiscours, ni une causerie par radio, car ilemploie la parole écrite, non la paroleparlée, et entre les deux la différence estgrande. Un journal n'est pas, non plus,une revue. Il ne se compose pas, en pre¬mier lieu, de contes et d'articles lente¬
ment pré}>arés d'avance et soigneusementsélectionnés. Un journal n'est pas un livre.Jamais il ne peut prétendre développer,logiquement et clairement d'un bout àl'autre, une thèse ou une intrigue. Ceuxqui désirent faire des études sérieuses,goûter de la littérature, entendre des dis¬cours, ou apjirofondir un sujet quel¬conque, doivent fréquenter les coursd'enseignement, les salles de conférences,consulter des livres ou des revues.
Un journal est autre chose. Sa raisond'être est de fournir à ses lecteurs chaquejour les dernières nouvelles. Tout le resteest secondaire.
Qu'entendons-nous par «les nouvellesdu jour»? Un choix, plus ou moins heu¬reux, plus ou moins arbitraire, des évé¬nements hâtivement cueillis dans la vie
courante pour être rédigés et soumis aulecteur dans le plus bref délai possible.
Comment ce choix est-il déterminé?
Pourquoi faut-il dire certaines choses, entaire d'autres? Pourquoi certains évé¬nements remplissent-ils des colonnesentières du journal, tandis que d'autressont cités brièvement en quelques lignes?
Dans les pays libres, le choix des nou¬velles est généralement un compromisentre ce que les propriétaires du journalpensent que l'on doit publier et ce queles rédacteurs estiment pouvoir inté¬resser les lecteurs. Dans certains cas un
journal est régi par des intérêts poli¬tiques ou économiques spéciaux qui lui
accordent des subventions pour influerà leur guise sur le choix et la présentationdes nouvelles. Mais aujourd'hui les plusgrands journaux se passent de subven¬tions, afin de rester indépendants, ilscherchent à trouver leurs bénéfices dans
la vente du journal au public et dans lapublicité. Pour ces deux raisons, plusun journal a de lecteurs et plus il seraprospère et indépendant. Donc, en fin decompte, le facteur déterminant dans lechoix des nouvelles est l'avis des rédac¬
teurs sur ce qui peut intéresser le plusgrand nombre de lecteurs.
N'ayons pas d'illusions. On a faitmaintes expériences dans le journalisme,et c'est maintenant un fait établi que lesjournaux qui visent surtout à présenteravec justesse et sérieux les événementspolitiques, économiques, scientifiques etartistiques, doivent se contenter d'unecirculation restreinte. La grande circu¬lation parmi le public est assurée auxjournaux qui donnent le moins de placepossible à ce genre de nouvelle et qui rem¬plissent leurs pages surtout avec des pho-tographies et des articles brefs où il s'agitde crimes, de questions sexuelles, desports, d'artistes de cinéma, et, pour cequi est du domaine international, de fré¬quentes attaques chauvines contre lesnations étrangères.
LA FICTION DU «LECTEUR
MOYEN»
11 n'y a pas là de quoi se réjouir, et l'élitedes rédacteurs, ceux qui ont vraiment àcle bien du public, y trouve matière àpréoccupation. Car il ne fait pas de doutequ'il existe partout nombre de gens quidésirent savoir ce qm se passe d'importantdans le monde, et ce public éclairé sera tou¬jours jîlus grand là où le niveau d'éduca¬tion et la pensée libre seront plus élevés.Faut-il donc que ce public soit privé denouvelles sérieuses, uniquement parcecpie la plupart des lecteurs semblent ne pasles goûter? Cela paraît peu raisonnable 45
46
et c'est pour cela que depuis longtemps cer¬tains rédacteurs de journaux ont cherchéà résoudre ce dilemme.
Dans les milieux journalistiques s'étaitrépandue l'idée que les lecteurs qui dési¬raient des renseignements sérieux sur ce(jui se jiasse dans le monde seraient jilusnombreux, si ces renseignements leurétaient jirésentés d'une façon plusvivante, plus simple, plus pittoresque,plus humaine. On s'est donc ingénié àtrouver un moyen de rendre plusattrayants, pour un public qui souvents'en désintéresse, des sujets arides, tellesque les questions politiques économiques.Un être fictif, «le lecteur moyen», futinventé, et théoriquement tout ce qui sepublie dans un journal doit être présentéde telle sorte que ce lecteur moyen puissele comprendre et y trouver un intérêt.
11 va sans dire que ce «lecteur moyen»n'existe nulle jiart. Et nous devonsconstater que, malgré bien des exemplesbrillants de vulgarisation jiar le journal,cette tentative pour plaire à un jierson-nage inexistant a échoué. Les gens (jui nes'intéressaient pas à ces sujets ne furentpas tirés de leur indifférence, et ceuxqui s'y intéressaient vraiment se récriè¬rent contre la troj) grande simplificationde ces essais de vulgarisation.
UN NOUVEAU CONCEPT:
LA SPÉCIALISATION
11 résulte de ce fait qu'un nouvelle concep¬tion, beaucoup plus efficace, se développemaintenant peu à peu. La nouvelle for¬mule admet qu'un public de lecteurs secompose de plusieurs catégories d'indi¬vidus ayant des intérêts multiples etdivers. Le but du journal qui rechercheune grande circulation devrait donc être,non pas d'intéresser tout le monde à sessujets, mais de donner une telle diversitéde nouvelles, qu'il y aurait inévitable¬ment quelque chose pour chacun. Ainsi,nous pouvons aujourd'hui trouver dansle même journal des nouvelles régionales,nationales et étrangères; des nouvellessur les crimes et les scandales; des nou¬
velles sjiortives, politiques, financièreset économiques; des potins mondains etdes informations au sujet des théâtres,des arts, des derniers livres jiarus et desdécouvertes scientifiques, avec desphotos des plus jolies étoiles de cinéma,des romans feuilletons et des séries de
dessins humoristiques.Ce qui en découle, on commence seu¬
lement à bien le comprendre: les nouvellesde chaque catégorie peuvent et doivent
être choisies et présentées de façon àéveiller l'intérêt des amateurs de ce genred'informations. Les nouvelles sjiortivesréclament le point de vue et le langage dessportifs. Les rejiortages sur les crimesdemandent la note dramatique (jui carac¬térise les romans policiers. Quant auxnouvelles politiques, elles doivents'adresser, non jias aux jeunes vendeusesde magasin et aux turfistes, mais aux per¬sonnes (jui s'intéressent à la politique.Aussi, il n'existe, en théorie, aucune limite
au poids spécifique de chacune des caté¬gories d'un grand journal moderne.
Mais en pratique, il y a néanmoinsune limite infranchissable. Elle saute aux
yeux, et pourtant beaucoup de gens quicritiquent les journaux semblent vou¬loir l'ignorer. C'est la vitesse avec laquelleil faut réunir, préparer et choisir les infor¬mations, afin de pouvoir les soumettreau lecteur avec le moins de retard pos¬sible. Dans ces conditions ce (jui doit nousétonner, ce n'est jias qu'il y ait parfois deserreurs à relever dans le journal que nouslisons, mais c'est qu'il n'y en ait jiasdavantage. Il faut des spécialistes, soi¬gneusement préparés à leur tâche, pourtravailler avec succès à une telle vitesse,
quand il s'agit de rassembler, choisir etrédiger les nouvelles en quelques heures.Et c'est cela que les journaux demandentde plus en plus: des spécialistes trèsentraînés pour chaque département, jiourles sports aussi bien que pour les faitsdivers et la politique.
Je ne veux pas dire qu'il ne soit paspossible d'améliorer les journaux. Aucontraire, selon le nouveau concept desjiécialisation pour chaque catégoried'information, nous avons le droit dechercher et d'attendre une amélioration
continuelle. L'ancienne obsession de
plaire à un «lecteur moyen» se dissipe. Iln'est pas jusqu'au compte rendu d'untournoi d'échecs (jui ne puisse enfin êtreécrit franchement pour les amateursd'échecs jiar un spécialiste rompu à cejeu, ct mieux son sujet sera traité, mieuxil plaira aux lecteurs. Dans un pays oùl'éducation et la liberté de pensée sontd'un niveau élevé, il ne paraît y avoiraucune raison qui empêche un éditeur,épris du bien public, de faire paraître unjournal probe et indépendant avec assezde lecteurs pour le faire réussir financiè¬rement s'il a su s'assurer la collabora¬
tion de journalistes spécialisés et compé¬tents. Un tel journal, en donnant à seslecteurs les nouvelles les plus diverses,remplira sa véritable fonction sociale.
notes de
UN INSTANT
D'ÉTERNITÉ
Isabelle Leymaries'entretient avec la dan¬
seuse Indienne
DEVASMITA
PATNAÏK
Parmi les innombrables formes de
I danse traditionnelle de l'Inde, le bha-rata natyam jouit d'une considérable notoriété.
Il existe cependant un autre genre sacré très
ancien, Vodlssi. Né dans l'Orissa (Etat situé
dans le sud du Bengale et tout entier considéré
comme terre Kshetra, sacrée), son prestige ne
cesse de s'accroître depuis la fin de la Seconde
guerre mondiale. Pratiqué durant son' âge d'or,
aux 12e et 13e siècles, dans les superbessanctuaires de Shiva à Bhubaneshbar et de
Jagannatha à Pu ri , ou dans le temple du soleil
à Konarak, il s'inspire des bas-reliefs qui ornent
ces lieux saints, comme de l'iconographie
sacrée et des traités classiques à'abhinaya,
l'art de la représentation. Il se caractérise par
sa grâce expressive, son lyrisme et ses gestes
raffinés, courbes et langoureux, empreints denoblesse.
Les origines de l'odissi remontent au 2e
siècle avant Jésus-Christ: certains reliefs des
grottes d'Udayagiri, aux environs de Bhuba-
neshwar, datant de cette époque, montrent
des danses votives aux attitudes toujours
contemporaines. Au 4e siècle de notre ère, le
cinquième Veda sur la danse {Natya Sashtra)
mentionne un genre chorégraphique, Vodhra
magadhi, dont découle l'actuel odissi. Selon
la mythologie, Shiva et son fils Ganesh, le dieu-
éléphant, roi de la danse, auraient enseigné
certaines postures à Manirambha, danseuse
céleste qui transmit à son tour ses connais¬
sances aux danseuses du temple Devadasi.
Au 10e siècle, le roi Chodagangadeva, mécène
éclairé qui ordonna la construction du temple
de Jagannatha, favorisa l'essor de l'odissi:
trois cents ans plus tard, un festival de danse
sacrée se tenait à Konarak. Lors des invasions
mogholes, les jeunes filles demeurant dans
leurs maisons pour se protéger des étran-
gers, ce furent déjeunes garçons travestis en
femmes, les gotipuas, qui reprirent le flam¬beau de l'odissi. Cette danse subit l'influence
de religions diverses: jaïnisme, tantrisme, boud¬
dhisme, vaïshnavisme (culte de Vishnou, avatar
de Krishna). Au 16e siècle, elle était exécutée
par les maharis, danseuses des temples, les
nachunis, danseuses de cour et les gotipuas,
qui se produisaient en public. Vers le 17e siècle,
maharis et nachunis disparurent et seuls sur¬
vécurent les gotipuas.
Durant la colonisation anglaise, l'odissi
perdit progressivement son aspect sacré pour
devenir un divertissement à l'usage des sou¬
verains. Les gotipuas en maintinrent cepen¬
dant la tradition et y introduisirent des mouve¬
ments souples et complexes, proches par
certains aspects de la gymnastique. Les grands
gourous de notre époque, Relucharan Moha-
patra, Deva et Pankaj Charan Das, furent jadis
des gotipuas. Ce genre a retrouvé son éclat
depuis l'Indépendance, grâce aux recherches de
certains érudits et à l'intérêt des chorégraphes.
L'une des interprètes les plus accomplies de
l'odissi, Devasmita Patnaïk s'est produite, en
1991, dans le cadre des manifestations cul¬
turelles organisées par I'Unesco autour des
Routes de la Soie. Nous lui avons posé
quelques questions.
L'odissi est-il caractérisé par des posturesde base?
Oui, il en existe trois: le chowka, posture
carrée du dieu Jagannatha, symbolisant l'équi¬
libre; le tribhanga, triple flexion du corps (tête,
hanches, genoux), position fondamentale de la
sculpture ancienne, absente dans les autres
styles de danse; et \'abhanga, où le poids du
corps porte sur un seul pied. A partir de ces
postures, on peut introduire des modifications
sollicitant le corps tout entier: les mains, la tête,
les yeux et d'autres muscles du visage.
Les mouvements sont-ils codifiés?
On retrouve, dans l'odissi, les mêmes gestes
et mudras (positions de la main) symboliques que
dans d'autres styles traditionnels. Il existe notam¬
ment neuf mouvements des yeux, neuf de la
tête, trente-six mudras exécutés avec une seule
main évoquant, par exemple, des nuages, une
forêt, une rivière, un bourgeon, un paon, d'autresanimaux ou éléments de la nature et des
mudras réalisés avec les deux mains à la fois.
D'autres gestes suggèrent une fenêtre, un arc,
un baiser ou encore la lumière d'une bougie. Un
mouvement typique de l'odissi consiste à reculer
sur les talons puis à effectuer une pirouette sur
un pied. La combinaison de ces éléments offre
de multiples possibilités. En outre, à partir de ce
lexique fondamental, il est possible d'impro¬
viser. Ces mouvements ont un effet bénéfique à
la fois pour le corps et pour l'âme: la danse
communique de l'énergie et favorise l'épa¬nouissement. Elle élève la conscience de soi
et des spectateurs transmet le Veda (connais¬
sance), unit l'homme au divin.
Les splendides saris, avec des mauves et des
bleus, ou des rouges et des gris, les bijoux, le
maquillage du visage, des pieds et des mains, la
coiffure aux ornements blancs dont vous vous
parez lors de vos représentations, possèdent-ils
également une signification particulière?
La danse étant à la fois offrande, acte de dévo¬
tion, et recherche de la perfection, la danseuse
doit être belle. Cela d'autant plus qu'elle reprend
les poses de magnifiques sculptures anciennes.
La coiffure symbolise des bourgeons de jasmin,
que l'on offrait souvent dans les temples, et le
maquillage correspond aussi à certains codes.
Les mains et les pieds sont peints pour rendre
les gestes plus clairs, et en rouge, couleur sym¬
bolisant la prospérité. Mes saris viennent de
l'Orissa et l'«éventail» (le plissé central) est
typique de cet Etat. Chaque vêtement possède
ses dessins et son sens propre, et les saris de
cette région (comme, d'ailleurs, l'odissi lui-
même) reviennent à la mode dans toute l'Inde.On les voit même à la télévision. La zone située
entre Puri et Bhubaneshwar est également
réputée pour ses tissus aux appliques multico¬
lores. Mes bijoux sont en argent, car dans
l'Orissa, on ne porte que ce métal.
La danseuse est-elle tributaire de la musique
ou, au contraire, comme dans certaines
danses d'origine africaine, peut-elle parfois
dicter ses propres rythmes aux musiciens?
Elle doit suivre le rythme, et comme elle
porte des grelots aux pieds, il ne lui est pas
permis de se tromper.
Il vous arrive de créer vos propres chorégra¬
phies. Possèdent-elles un thème particulier?
Certaines, oui. J'ai notamment élaboré une
danse sur les neuf navarasa (principales émo¬
tions). Le mot inclut le vocable «rasa» qui
signifie «saveur, jus». Ces neuf émotions sont
l'amour, l'héroïsme, la tristesse (ou le pathé¬
tique), le rire, la peur, la colère, le dégoût,
l'émerveillement et la paix.
Joignant le geste à la parole, Devasmita Patnaïk
se lève pour démontrer ces neuf navarasa. Les
pieds s'enracinent d'abord dans le sol nourri¬
cier avant de scander le rythme, tandis que lebuste et la tête s'élancent vers le ciel. Le
visage, mobile, épouse tour à tour les diffé¬
rentes nuances de la psyché. Les traits se
contractent pour la tristesse, les yeux s'illumi¬
nent férocement pour la colère, se révulsent
pour le dégoût, puis, à la fin, le corps, apaisé,
retrouve sa plénitude et sa sérénité. J'observe
la danseuse gracile et ployée, dont les mains
dessinent de savantes arabesques, unie dans
une harmonie transcendante, par la magie du
mouvement, aux forces de l'univers. La richesse
de son monde intérieur se communique à moi
et je la quitte avec la sensation d'avoir, moi
aussi, participé, un instant, du divin. H
ISABELLE LEYMARIE,
musicologue franco-américaine.47
UN HOMME ET SON EPOQUEA l'occasion du soixantième anniversaire de Federico Mayor, une centaine de ses anus ont décidé de lui offrir un Amicorum
liber, hommage înultidisciplinaire et international.
Ecrivains, artistes et chercheurs, chefs d'Etat, ministres et dirigeants de grandes Organisations internationales ont trouvé ici,
chacun selon sa sensibilité et sa vocation, les paroles qui manifestent le mieux leur attachement à l'homme et à ses combats.
Les lettres, témoignages et analyses décrivent mie époque, la nôtre, avec ses victoires et ses défaites, ses ambitions et ses
limites, ses interrogations et ses réponses. Il y est question de paix, de démocratie, de science, d'éducation, de culture, d'his¬
toire... autant de rêves, d'espoirs, de projets auxquels le directeur général de l'UNESCO s'est identifié depuis des décemùes.
Plus que le portrait d'un homme, c'est le portrait d'un idéal qui s'esquisse au fil des pages. Idéal que partagent ardemment
les signataires, parmi lesquels Mohammed Bedjaoui, Boutros Boutros-Ghali, Camilo José Cela, Jacques-Yves Cousteau, Chris¬tian de Duve, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez, Maurice Goldsmith, Mikhaïl Gorbatchev, Rigoberta Menchú Tum, Adolfo
. Perez Esquivel, Dya Prigogine, Raymond Ranjeva, Edouard Saouma, Karan Singh, Mario Soares, Wole Soyinka, et tant d'autres
citoyens du monde.
48
riL'avenir se construit à partir du pré-sent, mais tout part du ceur. Il faut
bien constater que, devant une humanitédouloureuse, alors que la compassion et lasolidarité seraient plus que jamais néces¬saires, ce ceur s'est trop souvent endurci.La force dominante, dans le monde
d'aujourd'hui, c'est l'égoïsme. (...) 11 fautet il suffit que les individus, les groupes etles nations se rendent compte que l'égoïsmeest porteur de malheur et de mort, qu'ils ledépassent, et qu'ils acceptent de partagerles richesses dont ils ne sont que les dépo¬sitaires. Tous autant que nous sommes, ilfaut (jue nous apprenions à donner et àrecevoir, sans oublier que les riches ontaussi à recevoir des pauvres.
EDOUARD SAOUMA (Liban)
Ancien directeur général de l'Organisation des
Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture,1976-1993
Certes, nous avons appris que lesr différences peuvent être, en elles-
mêmes, objet de respect et source d'enri¬chissement mutuel. Mais, lorsqu'elle setraduisent par des inégalités manifestes,alors nous les vivons aussi comme des
injustices. Ce sentiment est aujourd'huipartagé par tous les peuples ct toutes lesnations. Il marque un incontestable pro¬grès de la conscience humaine.
BOUTROS BOUTROS-GHALI (Egypte)
Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies
Dans cette nouvelle vision des droits
de l'homme, on distingue trois «géné¬
rations» de droits qui découlent naturelle¬ment les uns des autres. D'abord les droits
individuels, comme le droit à la vie, à l'inté¬
grité physique, psychologique, intellectuelleet spirituelle (jui fondent la dignité de lapersonne humaine. Viennent ensuite lesdroits sociaux, la deuxième génération, quiconcernent, entre autres, la santé, l'édu¬
cation, l'emploi, l'information et contri¬buent à la qualité de la vie. Enfin, la troi
sième génération est celle des droits despeuples, au développement, à un environ¬nement sain, à l'autodétermination. Dans
une démocratie conçue comme un systèmesolidaire, ces droits représentent des valeursintangibles et des nécessités premières.
ADOLFO PÉREZ ESQUIVEL (Argentine)Prix Nobel de la paix en 1980
I Nous souffrons de trois déséquilibresH majeurs: entre le Nord et le Sud de la
planète, entre les riches et les pauvres ausein de chaque société, entre les hommes etla nature (...) Les trois crises ne peuventêtre surmontées séparément. Nous ne sau¬rons pas construire, à quelque niveau quece soit, l'harmonie des relations entre
l'homme et son milieu si ne s'est pasconstruite en même temps l'harmonie desrelations des hommes entre eux, dessociétés entre elles.
DANIELG(France)
Premier vice-président de la Croix-Verteinternationale
Il y avait longtemps que la questionH nationale ou ethnique ne se posait
avec l'acuité et l'ampleur qu'on lui connaîtaujourd'hui... Si ce phénomène a pris unetelle portée, ce n'est pas tant parce qu'ildégénère parfois en explosions nationalisteset en affrontements sanglants qui font injureà la conscience et au bon sens de l'humanité,
mais surtout parce qu'un nombre crois¬sant de problèmes touchant tous les peuplesne peuvent plus être réglés individuelle¬ment par les Etats. Seule la communauté desnations, par une action concertée, est enmesure de résoudre ces problèmes, de rap¬procher les intérêts nationaux, en les subor¬donnant au besoin à l'intérêt général, etde réconcilier la souveraineté nationale et la
volonté internationale. Ce sera sans doute
le.principal enjeu social du 21e siècle.MIKHAIL GORBACHEV (Russie)
Ancien chef de l'Etat
Président de la Fondation internationale pour les
études socio-économiques et politiques
Reléguées par le nationalisme éclairéet progressiste dans quelque sombre
soubassement, les cultures sont devenuesdes belles au bois dormant.
Aujourd'hui, elles sont réveillées. Tou¬jours aussi belles... mais armées de crocs.
Ces cultures vampiriques sont assoif¬fées de la langue et du sang de leurs sujets.Il nous arrive de regretter de ne pas leuravoir planté un pieu dans le c pen¬dant qu'elles dormaient. Et de nousdemander si une tresse d'ail ne les éloi¬
gnerait pas, et avec elles les formes les plushideuses du chauvinisme, de la xénophobieet du génocide: ghettos, enclaves et purifi¬cation ethnique.
CARLOS FUENTES (Mexique)Ecrivain
Un philosophe trop connu a écritI que «la science ne pense pas». Je le
récuse. La science pense en toute liberté.Mais elle ne juge pas de l'exploitation desconnaissances qu'elle produit. Il importedonc de reconnaître le lieu d'origine et ladestination des vérités scientifiques et c'estlà que réflexion éthique et morale inter¬viennent.
JEAN-PIERRE CHANGEUX (France)Président du Comité consultatif national
d'éthique, membre de l'Institut
Federico Mayor, Amicorum
Liber, Solidarité, Egalité,
Liberté,
Etablissement Emile Bruylant,
Bruxelles, 1995, 1379 pp.
Renseignements et commandes:
Etablissement Emile Bruylant. S.A.,
Rue de la Régence 67,
B-1000 Bruxelles, Belgique.
Télécopie (32 2) 511 72 02
1995 ANNÉE DES NATIONS UNIES POUR LA TOLÉRANCE
Tahar Ben Jelloun Un métier difficile«Fonction d'une ardeur éteinte, d'un déséquilibre, non point par surcroît, mais par défaut d'énergie, latolérance ne peut séduire les jeunes.» Ce constat est celui du philosophe roumain Emil Cioran. 11 l'a livrédans une «Lettre à un ami lointain», premier chapitre d'une Histoire et utopie parue en 1960 aux éditionsGallimard. L'adolescence est par essence la période des extrêmes. Certains, qui oublient de deveniradultes, s'installent dans le fanatisme, c'est-à-dire dans une fermeture d'esprit désespérante, des certi¬
tudes (jui assassinent en eux la vie, la contradiction et simplement tout esprit critique.Donc il est difficile de parler de tolérance à ceux qui vivent de slogans ravageurs, de «boutades incen¬
diaires» et d'impatience face au temps. Et pourtant, il serait suicidaire pour une société de faire le silencesur cette vertu essentielle qui consiste à écouter les autres et à respecter leur point de vue, leurs convictionset leurs coutumes. Alors enseignons la tolérance! Débarrassons-la de ces habits de moralisme prude et deses vernis. La tolérance est une façon d'être au monde et cela commence à l'école primaire.
Vaincre les résistances
Avouons aussi que la nature de l'homme ne penche pas vers cette tendance. Elle serait foncièrement intolé¬rante. Toute la culture que les pays civilisés, les Etats de droit propagent, prend racine dans le fait que latolérance n'est pas naturelle et qu'il faut l'acquérir comme une deuxième nature au point qu'elle deviennespontanée, une sorte de réflexe. Ce n'est pas facile. Il faut vaincre tant de résistances, tant de tentations.
Parlant des jeunes, Cioran dit ceci: «Donnez-leur l'espoir ou l'occasion d'un massacre, ils vous suivrontaveuglément.» Les intégrismes politiques, idéologiques ou religieux ne cessent de proposer aux jeunes cegenre d'occasion. Cela peut être anodin comme la mode vestimentaire ou musicale, c'est-à-dire quelquechose qui passe et qui change. Sachant cela, le travail sur et avec la jeunesse devient primordial, étant donnéses prédispositions à suivre n'importe quel charlatan et à traduire en acte n'importe quelle aberration.
Le devoir de tolérance devenu une seconde nature de l'être participe à l'élaboration et à la consolidationde l'Etat de droit. Sans tolérance pas de démocratie. Autrement dit, la démocratie est antinomique del'intolérance. Le fanatisme est l'incendie que l'intolérance allume en douce dans le tissu démocratique.C'est une fixation, une obsession de pureté illusoire, une erreur qui cherche à arrêter la vie, c'est-à-diretout ce qui bouge, change et étonne.
Le tolérer serait tolérer l'intolérable. Comment accepter que le fanatisme prenne l'espace existant à luitout seul et en fasse une scène pour la tragédie? Comment accepter les ennemis de la liberté, les destruc¬teurs de l'intelligence et de la beauté, les militants d'un ordre totalitaire, uniforme et exaltant la loi du plusfort, loi de la jungle? Où trouver la patience, le courage et le calme pour réfuter cette barbarie qui manieplus le pistolet-mitrailleur que la parole ou l'écrit? Comment sauvegarder ses principes, rester rigoureuxdans le respect d'une conviction différente et même opposée à la sienne, comment coexister avec des gensqui tentent d'éliminer tout ce qui n'est pas identifiable à leur délire?
L'intolérance n'est tolerable que dans l'artLa tolérance est un métier difficile. Il faut du courage et de la force. Il faut un esprit solide, rompu auxdébats, à tous les débats. Il faut un esprit de résistance. Qui peut prétendre rassembler toutes ces vertus?Quelqu'un entre le militaire et le poète, entre le gendarme et le philosophe, entre le magistrat et l'artiste.Car toute grande littérature, toute grande peinture ont été l'expression de l'intolérance à l'intolérable. Onn'écrit pas le bonheur, on ne dessine pas la paix. L'art est rupture, refus, colère et même provocation.Quand la beauté est saccagée, quand l'intelligence est assassinée, quand l'enfance est violée, quand l'êtreest humilié, l'art ne peut qu'être intolérant. Il ne tolère ni la laideur dont l'homme est capable, ni l'horreurqu'il provoque.
Face au fanatisme, on peut avoir de l'humour. C'est parfois risqué, car l'obsédé d'un certain ordredéteste l'esprit, la finesse et bien sûr le rire. Le sacré est dogme. Rigide et immuable. Il est interdit d'enrire. Et la vie recommande le rire car elle est courte et semée d'embûches. Rire est souvent provocant; c'estune façon d'établir entre soi et le réel un peu de distance. Or la distance est ce qui est strictement exclu del'univers de l'intolérant, puisqu'il colle à lui-même au point de vouloir se reproduire à l'infini en uniformi¬sant le reste de l'humanité.
La tolérance est un apprentissage, une exigence au quotidien, une difficulté de tous les instants. C'est fati¬gant. Mais quand on tient à des principes et non à des préjugés ou à des arrangements, on ne choisit pas la voiefacile. On dort mal, certes, mais au moins on ne renonce pas à ce qui fait notre humanité, la dignité.
49
rLE COURRIER DES LECTEURS
DERAPAGES?
Dans le numéro du Courrier sur la religion
et le pouvoir aujourd'hui (décembre 1994)
je lis, sous la signature de Jean Daniel, un
raccourci qui nie laisse perplexe: «le libé¬
ralisme, qui a fini par déboucher sur le
nazisme...». 11 me semble que c'est au nom
de ce même libéralisme que la Grande-
Bretagne, (où est née cette doctrine) a mené
la lutte contre l'hitlérisme. Et que des mil¬
liers de soldats américains ont quille leur
patrie (où l'idéologie libérale n'est certes
pas confidentielle) pour nous débarrasserdu nazisme.
Dans le même numéro, Régis Debray,
en dénonçant «le jeu des clergés et des
mafias», fait un amalgame choquant. Les
bons pères qui apprennent à mes enfants
l'amour du prochain et le respect d'autrui
appartiennent-ils à une redoutable orga¬nisation criminelle? Le même auteur qua¬
lifie la religion de «vitamine du faible».
Or celte vitamine me fait le plus grand
bien et ma «faiblesse» ne m'empêche nul¬
lement d'apprécier l'ouverture d'esprit
du Courrier, même lorsque le plume des
auteurs me paraît déraper quelque peu.Marie Varène
Paris (France)
NI FOI NI RELIGION
Dans le numéro de décembre 1994 («Reli¬
gion et pouvoir aujourd'hui»), le lecteur
pouvait s'attendre à ce que soit exposé le
point de vue d'un alliée, ne serait-ce que
dans les grandes lignes. Il n'en a rien été.
De nos jours, le mot «athée» est rarement
prononcé: il indispose. Un athée ne serait
pas «comme tout le monde», même en Occi¬
dent. Dans certains pays, l'athée est mis àmort.
De siècle en siècle, nombre de philo¬
sophes ont proclamé leur absence de reli¬
gion: Démocrite, Epicure, Lucrèce...Victor Hugo, Emile Zola... Bertrand Bus-
sell, Jean Rostandl'en passe. Ces pen¬
seurs-là n'étaient pas non plus «comme
tout le monde». Ils ont marque les esprits
dans un sens opposé à la foi et à la religion.
C'est grâce au progrès culturel que l'Inqui¬
sition catholique n'a plus cours aujour¬d'hui en Occident, tandis que le terro¬
risme religieux sévit en d'autres contrées.
Pourquoi ne pas avoir tenu compte dufait qu'au seuil de l'an 2000, des dizainesde millions d'êtres humains n'ont ni foi ni
religion, et qu'ils respirent le même air
que les adeptes de la Providence?Enfin, sur le plan de l'information, il
est de bon ton qu'en matière d'idéologie,
une opinion émise n'exclue pas son anti¬
thèse, ne serait-ce (pie pour laisser le lec¬teur libre de son choix. La crédibilité est à
ce prix.Jean Vidal
Puechabon (France)
L'INTÉGRISME, UNE FORME DÉVOYÉED'OPPOSITION POLITIQUE
L'intégrisme n'est pas un projet de société
qui s'inspire d'une réalité historique,récente ou lointaine, ct (jui s'appuie sur des
analyses précises des conditions écono¬
miques, sociales et politiques. C'est uneforme de contestation d'un pouvoir cor¬
rompu et médiocre.
C'est la cupidité, la soif du pouvoir et
l'irresponsabilité des dirigeants, la faillite
de la politique, sa perversion et son détour¬nement de sa vocation première, la ges¬
tion des affaires de la cité dans la justice et
l'égalité, qui font d'une société la proiefacile de l'obscurantisme.
Aujourd'hui, prétendre reconnaître
en l'intégrisme un courant politique majo¬ritaire relève de l'aventurisme. Livrer des
millions de gens, réduits au silence par un
pouvoir oppresseur et diviseur, à des bour¬reaux, des illuminés (jui se prennent pourles «sauveurs de l'humanité», est un crime.
Combien de crimes encore avant de dire
«stop, nous ne voulons ¡dus écrire notrehistoire avec du sang»?
Slimane Mehri
Paris (France)
MODÈLES, À SUIVRE
Dans sa chronique du mois de mai 1994,
Monsieur Federico Mayor observe que
l'humanité compte des pauvres de jilus en
plus pauvres, des exclus de plus en jilos
marginalisés. J'ajouterais à cela quel'humanité est faite d'êtres humains, et
c'est en misant sur leur ca|>acité à s'amé¬
liorer, sous l'influence de quelques Jicr-
sonnes éclairées, que l'humanité peut
essayer, s'il n'est pas trop tard, deredresser la barre. 11 y a tant d'êtres
humains à la dérive, ne sachant quel
chemin prendre, qu'il serait nécessaire
que le Courrier, par exemple, trace, même
à grands traits, quelques modèles de com¬
portements individuels susceptibles d'êtresuivis...
Jean-Michel Delvat
Grand-Quevilly (France)
50
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
Couverture, page 3: © Dagli Orti, Paris. Musée Egyptien, Turin. Page 5: © Jerry Bauer, Editions Liana Levi, Paris. Pages 8 en haut, 12: ©
Dagli Orti. Musée du Louvre, Paris. Pages 8 en bas, 11, 13 en bas, 16, 17, 18 à droite: © Charles Lénars, Paris. Pages 8-9: Pascal Dolé-
mieux © Métis, Paris. Page 9: © Edimédla, Paris. British Library, Londres. Page 10 en haut: © Dagli Orti, Paris. Musée Archéologique, Bey¬
routh. Page 10 au milieu: © Dagli Orti, Paris. Musée Archéologique, Alep. Page 10 en bas: © Dagli Orti, Paris. Maison de Murillo, La Paz.
Pages 13 en haut, 23 en bas: © Réunion des Musées Nationaux, Musée du Louvre, Paris. Page 14: © Cosmos, Paris. Page 15: © Pierre
Colombel, Paris. Page 18 à gauche: Mireille Vautier © ANA, Paris. Pages 19, 20 en bas, 21, 38: Roland Michaud © Rapho, Paris. Page 20
en haut: © Hassan Massoudy, Paris. Pages 22-23: © Museum für Völkerkunde, Berlin. Pages 22 en bas, 23 au milieu: D.R. Page 24: Miche¬
langelo Durazzo © ANA, Paris. Page 25 en haut: © Dagli Orti, Paris. Collection particulière. Page 25 en bas: Françoise Huguier © Rapho,
Paris. Page 26: © Jean-Loup Charmet, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris. Page 27: Paulo Nozolino © Vu, Paris. Page 28: Abbas © Magnum,
Paris. Page 29 en haut: Edimédia, Paris. Page 29 en bas: Bernard © Anako, Paris. Page 32: Unesco-lnes Forbes. Pages 34-35: ©
Monique Pietri, Paris. Page 35 en haut: Jean Cassagne © Rapho, Paris. Pages 35 en bas, 36 en bas: Gérard Sioen © Rapho, Paris. Pages
36 en haut, 37 en bas: © Ruth Massey, New York. Pages 39, 40 en bas, 41: Yves Gellie © Icône, Paris. Page 40 en haut: © France Bequette,
Paris. Page 42: © IUED, Genève. Page 47: © Devasmita Patnaïk, Paris.
Rejoignez I'Unesco sur Internet
en vous connectant au serveur
gopherunesco.orgou
url:http://unesco.org:70
Vous y trouverez communiqués de presse, adresses, numéros de télécopie, télex et messagerie électronique des bureaux
régionaux, commissions nationales et Clubs de l'UNESCO, un répertoire des bases de données et des servicesd'information de l'UNESCO, le sommaire des 22 derniers numéros du Courrier de l'UNESCO, des images en couleur du
Jardin japonais et d'autres vues du bâtiment du siège de l'Organisation, ainsi que des reproductions des nuvres d'artqu'il abrite, comme la «Silhouette au repos» du sculpteur britannique Henry Moore.
Pour joindre directement le Courrier de UNESCO et nous faire part de vos suggestions et de vos commentaires, tapez:
courrier.unesco® unesco.org
Prix spécial ###*#*#**####*#
Lecteurs du Courrier
offrez (et offrez-vous)LES ENTRETIENS DU
COURRIER DE L'UNESCOvolume 1
Le Courrier laisse la parole aux savants, aux créateurs et aux
penseurs les plus prestigieux de notre temps.
Ce livre est le premier d'une série de quatre volumes qui
rassemblera tous les entretiens réalisés par Le Courrier au
cours des cinq dernières années...
Ce premier volume comporte, entre autres, les entretiens de: Camilo
José Cela, Jacques-Yves Cousteau, Vaclav Havel, François Jacob,
Jean Lacouture, François Mitterrand, Ernesto Sábato, Michel Serres.
Prix spécial abonnés: 80 francs (port compris)Tarif normal: 120 francs (port compris)
Pour commander:
Le Courrier de I'Unesco, Service des abonnements, 1 rue Miollis,
75732 Paris CEDEX 15.
Paiement par chèque (sauf Eurochèque) ou par Visa, Mastercard ou
Eurocard (indiquez le numéro de la carte et la date d'expiration)
LISEZ TOUS LES MOIS
ÉTVDESRevue d'information, de réflexion et de culture
Dans les prochains numéros :
Paix et turbulences au Népal Guillaume Kopp
Clinton le « nouveau démocrate » Norman Birnbaum
Mondialisation, délocalisations, exclusion Jean Pluchart
L'homo sovieticus/'cinq ans après Boris Doubine
Roumanie : le salut par la culture G. Liceanu(interview par J.F. Bouthors)
Choix de films, Chroniques de théâtre,Revue des livres, Choix de disques
Le n° : (144 pages) 55 F, étr. 62 FAbonnement : 11 nos / an : 460 F - étr. 560 F
Rédacteur en chef
Jean-Yves Calvez
Pour recevoir un numéro ou vous abonner, envoyez vos nom,adresse et règlement à l'ordre d'ETUDES à :
Assas Muons 14, rue d'Assas - 75006 PARIS - Tél. : (1) 44 39 48 48Ou, sur Minitel, tapez 36 15 SJ* ETUDES
NOTRE PROCHAIN NUMERO
(MAI 1995) AURA POUR THÈME:
PÈLERINAGESENTRETIEN AVEC
L'ABBÉ PIERRE
PATRIMOINE:
PERSÉPOLIS, CAPITALE FANTÔMEENVIRONNEMENT:
BONNES MINES POUR LÀ PLANÈTE
UNE&CO
JN.CAENCHANT»*.
ENVIRONNEMENT
MONTSENY, UN LABORATOIRED'HARMONIE
, M 1205- 9503- 22,00F
LE DÊVELOPPEM
POURQjkli
OifzM
DOCUMENT
N SUU KYI- PRIX NOBEL DE U PAIX
U DÉMOCRATIE,PATRIMOINE COMMUN DE
^'HUMANITÉ
en offrant
a un ami un
abonnement,vous lui faites3 cadeaux:
Il découvre l'unique revue culturelle internationale paraissant en 30
langues et attendue, dans 120 pays, par des centaines de milliers de
lecteurs de toutes nationalités
e mois le magazine
indispensable pour mieux
comprendre les
problèmes d'aujourd'hui
et les enjeux de demain
! II explore, mois après mois, la formidable diversité des cultures et des
savoirs du monde
Il s'associe à l'puvre de I'Unesco qui vise à promouvoir «le respect universel
de la justice, de la loi, des droits de l'homme et des libertés fondamentales
pour tous, sans distinction dé race, de sexe, de langue ou de religion...»