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D‘ICI ET D’AILLEURS LE VIEUX CAIRE NOTRE PLANÈTE GUERRES ET ENVIRONNEMENT: RÉACTIONS EN CHAÎNE ENTRETIEN OCIMAR VERSOLATO: RÊVES, MÉTISSAGE ET SENSUALITÉ Biodiversité: la vie en partage Mai 2000 Publié en 27 langues

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D‘ICI ET D’AILLEURSLE VIEUX CAIRE

NOTRE PLANÈTEGUERRES ETENVIRONNEMENT:RÉACTIONS EN CHAÎNE

ENTRETIENOCIMAR VERSOLATO:RÊVES, MÉTISSAGEET SENSUALITÉ

B i o d i v e rs i t é :la vie en partage

Mai 2000

Publié en 27

langues

D’ICI ET D’AILLEURS

3 Le Vieux Caire Photos de Denis Dailleux,texte de Samir Gharib

NOTRE PLANÈTE

9 G u e r res et enviro n n e m e n t : réactions en chaîne Fred Pe a r c e

11 D é s a s t re anticipé dans les Balkans Nevena Popovska et Jasmina Sopova

APPRENDRE

13 Un peu plus que la science Asbel Lopez

ÉTHIQUES

38 Banques éthiques:vos valeurs nous intére s s e n t Lucia Iglesias Ku n t z

SIGNES DES TEMPS

41 Trames séculaires à A n g ko r Fabienne Luco

CONNEXIONS

44 A s i e : une télévision par et pour les jeunes

E t h i rajan A n b a rasan et K. J. M . Va r m a

ENTRETIEN

47 Ocimar Ve rs o l a t o :r ê v e s,métissage et sensualité

S o m m a i reMai 2000

C o u v e r t u r e : © Steve McCurry/Magnum, Paris.

53e annéeMensuel publié en 27 langues et en braille par l’Organisation desNations unies pour l’éducation,la science et la culture .31,rue François Bonvin,75732 PARIS Cedex 15, FranceTélécopie:01.45.68.57.45/01.45.68.57.47Courrier électronique:[email protected]:http://www.unesco.org/courier

Directeur: René LefortRédacteur en chef: James BurnetAnglais: Roy MalkinEspagnol: Araceli Ortiz de Urbina Français: Martine JacotSecrétariat de direction/éditions en braille:Annie Brachet (01.45.68.47.15)

R é d a c t i o nEthirajan AnbarasanSophie BoukhariCynthia GuttmanLucía Iglesias KuntzAsbel LópezAmy Otchet

Tra d u c t i o nMiguel Labarca

Unité artistique/fabrication: Georges Serva t ,P h o t o g ra v u re : Annick CouéfféIllustration: Ariane Bailey (01.45.68.46.90)Documentation: José Banaag (01.45.68.46.85)Relations Editions hors Siège et presse:Solange Belin (01.45.68.46.87)Assistante administrative:Thérèsa Pinck (01.45.68.45.86)

Comité éditorialRené Lefort (animateur), Jérome Bindé, Milagros del Corra l , Alcino DaC o s t a , Babacar Fa l l , Sue W i l l i a m s

Editions hors siègeRusse:Irina Outkina (Moscou)Allemand:Urs Aregger (Berne)Arabe: Fawzi Abdel Zaher (Le Caire)Italien:Giovanni Puglisi,Gianluca Formichi (Florence)Hindi:Shri Samay Singh (Delhi)Tamoul:M.Mohammed Mustapha (Madras)Persan: Jalil Shahi (Téhéran)Portugais:Alzir a Alves de Abreu (Rio de Janeiro)Ourdou:Mirza Muhammad Mushir (Islamabad)Catalan:Jordi Folch (Barcelone)Malais:Sidin Ahmad Ishak (Kuala Lumpur)Kiswahili:Leonard J. Shuma (Dar es-Salaam)Slovène:Aleksandra Kornhauser (Ljubljana)Chinois: Feng Mingxia (Beijing)Bulgare:Luba Randjeva (Sofia)Grec:Sophie Costopoulos (Athènes)Cinghalais:Lal Perera (Colombo)Basque:Juxto Egaña (Donostia)Thaï:Suchitra Chitranukroh (Bangkok)Vietnamien : Ho Tien Nghi (Hanoi)Bengali:Kafil uddin Ahmad (Dhaka)Ukrainien: Volodymyr Vasiliuk (Kiev)Galicien:Xavier Senín Fernández (Saint-Jacques-de-Compostelle)Serbe:Boris Iljenko (Belgrade)

Diffusion et pro m o t i o nTélécopie:01.45.68.57.45

Abonnements et re n s e i g n e m e n t s :Michel Ravassard (01.45.68.45.91)Relations agents et prestataires:Mohamed Salah El Din (01.45.68.49.19)Gestion des stocks et expéditions:Pham Van Dung (01.45.68.45.94)

Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits àcondition d’être accompagnés du nom de l’auteur et de la mention «Reproduits du Courrier de l’UNESCO»,en précisant la date du numéro. Trois justificatifsdevront être envoyés à la direction du Courrier. Les photos non copyright seront fournies auxpublications qui en feront la demande .Les manuscrits non sollicités par la rédaction ne seront renvoyésque s’ils sont accompagnés d’un coupon-réponse international.Le Courrier de l’UNESCO, destiné à l’information,n’est pasun document officiel de l’Organisation.Les articlesexpriment l’opinion de leurs auteurs et pasnécessairement celles de l’UNESCO.Les frontières qui figurent sur les cartes que nous publionsn’impliquent pas reconnaissance officielle par l’UNESCO ou les Nations unies.

IMPRIMÉ EN FRANCE (Printed in France)DÉPOT LÉGAL : C1 - MAI 2000COMMISSION PARITAIRE N° 71842 - Diffusé par les N.M.P.P.The UNESCO Courier (USPS 016686) is published monthly in Parisby UNESCO. Printed in France. Periodicals postage paid atChamplain NY and additional mailing offices.Photocomposition et photogravure:Le Courrier de l’UNESCO.Impression:Maulde & RenouISSN 0304-3118 N° 5-2000-OPI 00-591 F

1 6 Dossier B i o d i v e rs i t é: la vie en partageLa biodiversité, c’est la vie. Sans son foisonnement,notre planèteserait inhospitalière pour l’espèce humaine, qui y perdrait aussid’inestimables ressources. Notre existence et notre bien-être surTerre ne seront assurés que si nous apprenons à faire durer cettediversité. Pour cela, nous devons repenser les équilibres entrel’Homme et la nature, autant que les lois du partage entre puissants et démunis.

Le sommaire détaillé est page 16.

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 3

LE VIEUX CA IRE◗ Photos de Denis Dailleux; texte de Samir Gharib

Concerto pour instruments traditionnels sur un thème triste.

◗ Denis Dailleux est un photographe fra n çais, membre de l’agence Vu. Il a reçu cette année un des prix World Press Photo à Amsterdam (Pays-Bas). Il a publié en 19 97 Habibi Cairo aux Editions Filigranes (Pa r i s ) .Samir Gharib est président de la Bibliothèque nationale

■C’est enfant que j’ai découve rt LeC a i r e , un mat i n , venant de ma Haute-Egypte natale par le fameux train de

m i n u i t . Je suis descendu chez ma tantep at e rn e l l e , qui habitait aux confins duVieux Caire, dans le quartier de Fo s t at(NDLR: Fostat est le nom de la ville fon-dée en 641 par le conquérant musulmanAman ‘bn Al ‘ A s s. ) . L’air était empli de

et des Archives égyptiennes du Caire depuis 1999. Ancien journaliste, il a publié plusieurs ouvrages (non traduits en fra n çais), parmi lesquels The Vitality of Egy p t et E n gra v i n gs on Time ( E gyptian BookOrganization, 1996 et 19 97 ) .

vo û t e m e n t . La transe collective à laquelle lesfemmes s’abandonnent est destinée àexpulser de leurs corps les démons qui enont pris possession. Elle a atteint une telleintensité que, d’épuisement, certaines desfemmes s’effondrent et s’étalent sur le sol.Le jeune homme se penche alors sur cha-cune d’elles, lui murmure à l’oreille de my s-t é rieuses paroles qui finissent par la ranimer.

Je n’oublierai pas cette scène.Elle m’a fa i te n t r e r , de la manière la plus imprévue,c o m m epar effraction,au cœur même du Vieux Caire.

De Fo s t at , en prenant la route qui mèneaujourd’hui jusqu’à l’aéroport intern at i o n a l ,

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4 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

l’odeur âcre, p é n é t r a n t e , que répandait par-tout une tannerie des environs...

Dès le premier soir, je me rends à lamosquée la plus proche, dédiée à la mémoired’un homme qui fut d’une grande piété,Sidi Abdul Saoud. De l’une des maisons quila jouxtent me parvient soudain un brouhahaféminin – des vo i x , des cri s , des bat t e m e n t sde tambouri n s , qui se mêlent comme dansune incantat i o n . Je ne résiste pas.En essaya n tde ne pas me faire remarquer, je me glissedans la cour de la maison.

Un groupe de femmes du peuple, v ê t u e sde leurs longues robes noires, dansent en

cercle, suivant un rythme de plus en plusr a p i d e , de plus en plus haletant. De cesc o rps qui se fondent dans un mêmee n s e m b l e , de ces hanches qui sont happéespar un mouvement qu’elles ne contrôlentplus,se dégage une irrésistible sensualité.

Un jeune homme aux cheveux aussilongs que ceux des femmes, portant unerobe étrangement serr é e , se tient au centredu cercle auquel il imprime sa cadence ense servant de petites cy m b a l e s.C e rtaines desfemmes qui dansent autour de lui jouentelles-mêmes du tambourin.

C’est une cérémonie z a r – de désen-

on se trouve au pied de l’important pla-teau que surplombe, de toute sa masse, laCitadelle, construite en 1176 par Saladin.Symbole du pouvo i r , adossée aux montsdu Moqat t a n , elle dresse son imprenable sil-houette au-dessus de la capitale, q u ’ e l l es u rveille jour et nuit. L o rsque Bonaparte estentré au Caire, aux dern i e rs jours du X V I I Ie

siècle, c’est là qu’il a installé ses canons.C’est de là qu’il a bombardé les quartierspopulaires en révolte.

Avant l’illustre général français, ce sontles gouve rn e u rs turcs, représentant laSublime Po rt e , qui étaient investis en gr a n d epompe à la Citadelle. Et c’est encore là queMohammad A l i , qui a voulu monopoliser lep o u voir au début du X I Xe s i è c l e , a inv i t étous les seigneurs mamelouks, à l’occasiondu mariage de son fil s , pour les y faire mas-sacrer jusqu’au dernier...

L’une des portes de la Citadelle conduitve rs la ville fat i m i d e , c’est-à-dire le Caire deso ri gi n e s , Al Qahira, fondé par Gohar le

S i c i l i e n , commandant les troupes de ladynastie qui a conquis l’Egypte en 975.

Là se trouvent les joyaux de la cité musul-m a n e : l ’ U n i ve rsité d’Al A z h a r , la mosquéed’Al Hussein, entourée de dizaines d’autresmosquées qui, la nuit ve n u e , s ’ i l l u m i n e n t ,s ’ a n i m e n t , se répondent les unes aux autres àt r ave rs le va-et-vient de l’innombrable foulec a i r o t e . Pendant le ramadan,mois du jeûne etde la joie d’être ensemble, les cercles dec r oyants psalmodient à l’unisson des louangesà leur créat e u r. Et les confréries my s t i q u e s ,venues de tous les coins du pay s , se retrouve n tpour chanter et danser jusqu’à l’aube leuramour de Dieu.

On ne se lasse pas des randonnées noc-turnes,entre amis,dans le lacis des rues etdes ruelles de ce quartier où l’âme du Cairene s’endort jamais.

Le long de la célèbre rue Al Bâtiniya ,tout peut vous arri ve r. . . Je m’y engageaiscandidement pour la première fois, à latombée de la nuit, l o rsqu’un homme m’ac-costa pour me proposer de l’huile. Je refusai

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Le charme indéfinissable d’Al Ghourieh tient, je crois, à l’omniprésence du passé au cœur même du quotidien.Le poids de l’histoire se faitsentir dans chacune de ses étroites ruelles, mais plus encore, dans le regard de leurs habita n t s

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6 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

poliment Il insista: «Elle est de toute premièreq u a l i t é» . Pourquoi diable achèterais-je, m o i ,en pleine ru e , une huile dont je n’avais quefaire? Mais j’étais surtout intrigué par leregard de l’homme qui, tout en me parlantd ’ h u i l e , semblait vouloir dire autre chose...Je finis par comprendre qu’il s’agissait deh a s c h i s c h . Je pris mes jambes à mon cou.Mais cela ne m’empêcha pas d’apercevo i rdans ma cours e , adossée aux murs ,d ’ a u t r e sjeunes gens assis derrière de petites tables, q u ioffraient aux passants la même sorte d’huile...

C’est loin,tout cela.

Cette première visite au Caire allait êtresuivie de beaucoup d’autres. Mon rêve ,pendant longtemps, fut d’habiter le quart i e rd’Al Ghouri e h .C’est du haut de la porte quif e rme ce quartier que fut accrochée la têtetranchée de Touman Bey, d e rnier Sultanmamelouk d’Egypte, l o rs de la conquête dup ays par les Turcs ottomans au X V Ie s i è c l e .U nan plus tôt, c’est son père, le Sultan Al Ghouri ,qui avait été tué en résistant aux nouve a u xc o n q u é r a n t s. En son honneur, depuis cetteé p o q u e , le quartier porte son nom.

Le charme indéfinissable d’Al Ghouri e h

t i e n t , je crois, à l’omniprésence du passé aucœur même du quotidien. Le poids del’histoire se fait sentir dans chacune de sesétroites ru e l l e s , mais plus encore, dans leregard de leurs habitants, dans la cert i t u d etranquille qu’ils expri m e n t , le plus souve n tsans le savo i r , d’être là chez eux, d e p u i st o u j o u rs – et pour toujours.

J’ai vraiment découve rt ce quartier lorsde mes visites à un trio d’artistes qui, a uc o u rs des années 70, représenta à lui seul legénie créateur du petit peuple égyptien:lecompositeur aveugle Cheikh Imam, l e

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Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 7

poète Ahmad Fouad Negm et le joueur deluth Moham-med Ali. Ces trois-là osaientse produire en public pour dire la colèredes pauvres, la révolte des étudiants, l e sr ê ves de lendemains meilleurs incarn é salors par Ho Chi Minh ou Che Guevara...

Dans la bicoque qu’ils habitaient, et quisemblait devoir s’écrouler à tout moment,on marchait avec d’infinies précautions pouréviter on ne savait quelle maladresse.Vouspouviez être invité à boire une tasse de thé,mais certainement pas à manger un plat decôtelettes gri l l é e s , dont il fallait se contenterde humer le parfum venant d’une échoppetoute proche.

C u ri e u x ,l ’ attrait que peut exercer sur vo u sun tel quart i e r. . .Quelque chose dans l’agen-cement serré des bâtiments,dans la vibrat i o nde la foule passante,qui excite l’imagi n at i o n ,qui vous fait presque deviner l’intérieur desm a i s o n s , pénétrer les alcôve s ,p a rtager lesétreintes amoureuses, suivre le regard muetdes femmes derrière les moucharabiehs1.

H e u r e u s e m e n t , ces femmes descendentmaintenant dans les rues,souvent drapéesdans de larges voiles noirs,qui sont censéssoustraire leurs corps aux regards indis-

crets – et pourtant ne font que mieux res-sortir leurs courbes les plus suggestives. Ily a un langage des ondulations du corpsf é m i n i n , que je ne me lasse pas d’apprendre.

Al Ghourieh se prolonge par la rue A lHakim Bi Amr Illah («Qui gouve rne pardécret divin»), illustre calife fatimide dontla personnalité mystique n’a cessé de défie rl’analyse des histori e n s. Cette ru e , qui luiest dédiée, est devenue celle de toutes less e n t e u rs de l’Ori e n t , depuis les essences deparfums jusqu’aux plantes médicinales. I c i ,on peut encore trouver des remèdes tradi-tionnels traitant la plupart des mauxconnus,physiques et psychiques.

1. Dans l’architecture arabe, balcons fermés pardes croisillons, de manière à voir sans être vu.

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8 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

Cette rue en croise une autre, célèbredans le monde entier. Celle de Khan A lKhalili, où les cars de touristes déversentleur clientèle à longueur d’année. Là, lesmeilleurs artisans d’Egypte exposent unegamme inimaginable de produits, faits à lam a i n , dans les mat é riaux les plus dive rs ,d el’or à la soie, du verre et du bois au cuivreet à l’ivo i r e . On y trouve de tout, j u s q u ’ a u xrobes pour danseuses du ventre.

C’est là que se trouve le célèbre café A lF i c h aw i , où l’on vous sert un narguilé roya let dont la visite s’impose à quiconque ve u tp r o u ver qu’il est vraiment passé par le V i e u xC a i r e . Dans l’espace de ce café, on trouve un

condensé de la vie de la ru e , avec son per-pétuel défilé de ve n d e u rs de journ a u x , d ec i r e u rs de chaussures, de mendiants, d ecamelots – sans oublier les poètes, les roman-c i e rs , les journalistes de toutes obédiences.

C’est dans ce quart i e r ,e n fin , qu’a long-temps vécu notre gloire nat i o n a l e , n o t r epremier prix Nobel de littérature, NaguibMahfouz,dont les romans les plus connusont pour cadre ce dédale magique de ru e l l e set d’impasses, où bat le cœur de la ville etque hantent,pour toujours, ses héros plusvivants que la vie.

De l’immense fresque de pers o n n a g e squi composent son œuvre romanesque, p o u r-

quoi ne suis-je tenté de ne retenir que lesf u t u wa? Ces hommes, grâce à des qualitésn aturelles de bravo u r e , de générosité viri l eet effic a c e , faisaient régner un certain ordre,et même une certaine justice, dans leurs quar-t i e rs. Ils constituaient une sorte de policepopulaire qui avait vo c ation à défendre spon-tanément les plus pauvres et les plus fa i b l e s ,selon un code d’honneur cheva l e r e s q u e . . .

Ils ont aujourd’hui disparu . Et avec eux,tout un unive rs – celui-là même de NaguigMahfouz – qui donnait son âme au V i e u xC a i r e , et s’efface de nos vies.

On aura deviné que je ne m’en consolepas. ■

N O T R E P L A N È T E

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 9

GUERRESET EN V IRONNEMEN T :RÉ ACT IONS EN CH A Î NE◗ Fred Pearce

Les conflits récents ont gravement endommagé l’environnement des pays affectés. Mais, pour les humains et pour la nature, les dégâts perdurent bien après que les armes se sont tues.

◗ Spécialiste de l’environnement, collaborateur de l’hebdomadaire britannique The New Scientist.

■On a commencé à se soucier desconséquences de la guerre sur l’env i-ronnement après l’opération Ranch

H a n d , menée au Vietnam par les Etat s - U n i sdans les années 60. Elle visait à défolier lajungle pour en chasser les combattants com-m u n i s t e s. Entre 1962 et 1971, l ’ av i ation mili-taire américaine a répandu sur ce pay squelque 70 millions de litres d’herbicides trèsp u i s s a n t s , notamment «l’agent orange». E nv i-ron 1,7 million d’hectares ont ainsi été «arr o-s é s » ,s o u vent à plusieurs repri s e s.A la fin dela guerr e , un cinquième des forêts sud-viet-namiennes avait été détruit chimiquement,et plus d’un tiers des mangr oves avait dis-p a ru . Si certaines forêts ont pu s’en remettre,la plupart d’entre elles sont devenues desm a q u i s ,d é fin i t i vement semble-t-il.

Une expérience chimique injustifiée

Des craintes ont été exprimées dès led é p a rt sur la toxicité de l’agent orange, p o u rles êtres humains comme pour les végétaux.En 1964, la Fédération des scientifiques amé-ricains a condamné l’opération Ranch Hand,en la considérant comme une expérience chi-mique injustifié e . Elle n’a toutefois été sus-pendue qu’après la publication de plusieursr a p p o rt s , en 1970 et 1971, qui établissaientun lien entre les malform ations de nouve a u x -nés et l’agent orange. Les recherches ontensuite démontré que l’un des deux pri n c i-paux composants de cet agent, le «2,4,5-T»,p r ovoquait soit des anomalies, soit la mortdes fœtus de souri s : il contenait de la diox i n e ,qui s’est révélé être l’un des poisons les pluspuissants jamais connu. La dioxine pert u r b eles fonctions horm o n a l e s , immunitaires etr e p r o d u c t i ves de l’organisme,et altère la qua-lité du sperme chez l’homme.

La nature a désormais en grande part i eéliminé la dioxine de la végétation et dessols vietnamiens, mais cette substance restet o u j o u rs présente dans le sang et les tissusadipeux des humains, ainsi que dans le laitm at e rn e l . Selon Le Cao Dai, directeur duFonds pour les victimes de l’agent orangeconstitué par la Croix-Rouge vietnamienne,le lait des femmes exposées à l’agent orangedurant leur enfa n c e , dans l’ex-Vietnam duS u d , contient environ 10 fois plus de diox i n eque celui des femmes de l’ex-Vietnam duNord ou de pays comme les Etats-Unis.

Des malform ations épouvantables ontété constatées chez des enfants d’anciensc o m b attants exposés à l’agent orange ou àd’autres pesticides. Selon le professeur HoangDinh Cau, président du Comité vietnamienchargé d’enquêter sur les conséquences dur e c o u rs aux armes chimiques pendant lag u e rr e , des dizaines de milliers d’enfants sontc o n c e rn é s. Ils sont nés avec des déform at i o n s

c a r a c t é ristiques des membres, avec unmembre manquant ou avec des yeux sansp u p i l l e .On craint désormais que la troisièmeg é n é r ation soit elle aussi affectée.

Les attaques irakiennes sur les popula-tions civiles kurdes entre av ril 1987 et août1988 ont provoqué autant d’effets à longt e rm e , même si ceux-ci sont difficiles à étu-dier sur place. A Halabja, ville bombardéependant trois jours en mars 1988 avec desagents chimiques et biologi q u e s , 5 000 à 7 000 personnes ont été tuées et des dizainesde milliers ont été blessées. La premièreenquête médicale a été effectuée en 1998 parle Dr Christine Gosden, professeur à l’Uni-ve rsité de Live rp o o l .Dans son rapport à l’Ins-titut de recherches sur le désarmement desN ations unies, elle relève des cas de cancersr a r e s , de malform ations chez les enfa n t s ,d efausses couches, d’infections pulmonairesr é c u rrentes et de problèmes neuro-psychia-t riques gr ave s. Le gaz moutarde (ypérite) a

Un des nombreux enfants vietnamiens victimes de l’agent orange.

N O T R E P L A N È T E

10 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

brûlé des corn é e s ,p r ovoquant des cécités.Des cancers risquent de n’apparaître que cinqà dix années après l’exposition, a j o u t e - t - e l l e .

Toutes les guerres provoquent des dégâtse nv i r o n n e m e n t a u x .C e rtains sont délibérés,pour raisons militaires. La défoliation du V i e t-nam entre clairement dans cette cat é g o ri e ,de même que la déva s t at i o n , à l’aide de gr o se n gi n s ,d ’ e nviron 300 000 hectares de forêt,qui l’a accompagnée. D’autres destru c t i o n s ,tout aussi délibérées, s e rvent un objectif mili-taire moins évident, comme le sabotageordonné par Saddam Hussein des puits depétrole koweïtiens en 1991, au plus fort dela guerre du Golfe.Sur les quelque 730 puitsat t a q u é s ,e nviron 630 ont été incendiés. L ap l u p a rt ont déve rsé pendant des mois leurpétrole dans le désert , dégageant une épaissefumée noire.A un certain moment,300 lacsde pétrole couvraient 50 k m2 de désert .O nestime que 10 millions de mètres cubes depétrole se sont ainsi répandus, dont un mil-lion s’est déve rsé dans le Golfe pers i q u e ,p r o-venant des sabotages irakiens mais aussi desbombardements d’installations strat é gi q u e spar les Etats-Unis et d’autres pay s. Il en estrésulté une pollution massive des côtes kowe ï-tiennes et saoudiennes, qui a mis un term eà la pêche à la creve t t e . Cinq ans après lesé v é n e m e n t s , des études ont montré que l’éco-système côtier saoudien s’était en grande par-tie rétabli, mais la population de tort u e snichant sur les îles du Golfe n’a pas retrouvéson niveau d’antan.

L o rsque Saddam Hussein a menacéd’incendier les puits, c e rtains scientifiq u e sont craint que la fumée, en atteignant lescouches supérieures de l’at m o s p h è r e ,n ep e rturbe des phénomènes climatiques pla-nétaires comme la mousson. Ces craintes

se sont avérées sans fondement. Mais desretombées de suie, de particules cancéri-gènes et de dioxyde de soufre se sont pro-duites sur des centaines de kilomètresautour du Golfe. Le Koweït a connu une«nuit à midi»,avec une forte augmentationdes infections respirat o i r e s. Il a fallu six mois(et 10 milliards de dollars) pour éteindreles incendies et réparer les puits. Le désertest encore taché par endroits de nappes depétrole gluant.

Cette guerre a causé d’autres dommagesau désert . Des milliers de bu n k e rs , de cachesd ’ a rmes et de tranchées ont rompu les litsde gr avier qui permettaient de contenir lesd u n e s. Les tanks et des camions ont labouré

des sols fragiles et détruit la végétat i o n .Selon l’Institut de recherche scientifique duKoweït,plus de 900 km2 de désert ont étéendommagés par les véhicules militaires etles bouleve rsements de terr a i n ; d’où uneavancée des dunes ainsi qu’une recru d e s-cence de l’érosion et des tempêtes de sable.

Les dommages causés par les guerres àl ’ e nvironnement sont en grande partie invo-lontaires et «collat é r a u x » . Selon A rthur We s-t i n g, un des spécialistes de l’impact des

c o n fli t s , les Etats-Unis ont largué 60 0 0 0bombes à fragmentation contenant env i r o n3 0 millions de mini-bombes pendant lag u e rre du Golfe. Celles-ci jonchent led é s e rt , aux côtés des quelque 1,7 m i l l i o nde mines antipersonnel posées par les Ira-k i e n s. La plupart ont été détruites par las u i t e , mais l’écosystème du désert a de nou-veau souffert de ce remue-ménage.

On estime qu’il existe au total 65 m i l l i o n sde mines antipers o n n e l , qui continuent demenacer la population et la vie sauvage de56 pay s , de l’Angola au Nicaragua, de l’Ery-thrée au Laos. Selon le Comité intern at i o-nal de la Croix-Rouge, elles font chaque moise nviron 800 m o rts et des milliers de blessés.Elles auraient provoqué 36 000 amputat i o n sau Cambodge,et 23 000 en Somalie. C o n s é-quence tragique des inondations cat a s t r o-phiques du Sud du Mozambique en févri e r2 0 0 0 : les mines antipersonnel léguées par lalongue guerre civile qu’a connue ce pays ontété déplacées de champs répert o riés jusquedans des villages.

Réfugiés et déforestationOn s’inquiète depuis peu des consé-

quences à long terme de l’utilisation d’ura-nium appauvri – m at é riau faiblement radio-actif mais dense désormais utilisé pourp e rmettre aux projectiles de perforer le revê-tement des tanks.Pendant la guerre du Golfe,e nviron 300 tonnes d’uranium de ce type ontété dispersées sur les champs de bat a i l l e .O nne sait toujours pas précisément quels effetsles déchets radioactifs laissés par ces muni-tions peuvent avoir sur la santé et sur l’env i-r o n n e m e n t . On affirme fréquemment quel’uranium appauvri aurait provoqué l’aug-m e n t ation du taux de cancer dans le Sud del’Irak et de gr aves malform ations chez lese n fants nés de soldats irakiens exposés. M a i saucune étude n’a confirmé ce lien.

Autre cause d’atteintes à l’env i r o n n e-m e n t :l ’ a f flux de réfugi é s ,n o t a m m e n t ,p è s elourdement sur des ressources nat u r e l l e s. L ec o n flit au Rwanda et les événements qu’il adéclenchés dans l’Est de la Républiqued é m o c r atique du Congo (RDC, e x - Z a ï r e )sont une des causes majeures de la défores-t ation en A f rique centrale. Le parc nat i o n a lde V i ru n g a , premier parc national afri c a i nétabli à la limite entre la RDC et le Rwa n d a ,a beaucoup souffert .L’Union mondiale pourla nature (U I C N) a rapporté qu’en six moisles réfugiés rwandais et les soldats hutus descamps autour de la ville de Goma (RDC)avaient détruit environ 300 k m2 du Pa r cn ational de V i ru n g a , en cherchant du bois oude quoi se nourri r.Au plus fort de la cri s e ,l ’U I C N estime qu’environ 850 000 réfugi é sv i vaient dans le parc ou aux abords, p r é l e-vant chaque jour entre 410 et 770 tonnes de

Réfugiés rwandais dans la forêt de Giseny (Rwanda) en octobre 1996.

On estime qu’il existe au tota l6 5 millions de minesantipersonnel, qui continuentde menacer la population et la vie sauvage de 56 pays,de l’Angola au Nica ragua, de l’Erythrée au Laos

N O T R E P L A N È T E

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 11

Incendie de la raffinerie de Pancevo, près de Belgrade, après les bombardementsde l’OTAN en avril 1999.

produits forestiers. Les soldats zaïrois ontp r o fité de la confusion pour vendre le boisdu parc aux réfugiés et aux organismes des e c o u rs.

Durant les années 90, d’autres confli t scivils ou frontaliers en A f rique ont entraînéles mêmes conséquences. En mars 2000, l eP r o gramme des Nations unies pour l’env i-ronnement a signalé, dans le Sud de la Gui-n é e , une «t ra n s fo rm ation de zones sauva ges etfo r e s t i è r e s» , avec de «graves conséquences surla biodive risté et le réseau hy d r ogra p h i q u e» ,suite à l’afflux d’environ 600 000 réfugi é schassés par les récents conflits de la SierraLeone et du Liberia voisins.

Les guérilleros causent autant de dom-mages que les réfugi é s ,notamment lors q u ’ i l sd o i vent tirer leur subsistance de la terre oupiller les ressources naturelles de la régi o noù ils combattent pour financer l’achatd ’ a rm e s. En A f rique occidentale et centrale,

ces 10 dernières années, la guérilla a étéfinancée par l’abattage et la vente de pré-cieuses essences forestières.La même situa-tion a prévalu au Cambodge. Dans les années8 0 , les combattants somaliens ont souve n tété les instigat e u rs du trafic d’ivo i r e . Dans leparc de V i runga et ailleurs , les gorilles desmontagnes ont été massacrés tout au longdes années 90 pendant la guerre du Rwa n d a .

Enquêtes difficiles en Tchétchénie

G u e rre et environnement ont toujoursété liés. Il y a 5 000 ans, l o rs des premiersconflits entre cités en Mésopotamie, l e sdigues étaient démolies pour inonder lest e rres agricoles ennemies. Pour la premièrefois sans doute,durant la guerre du Golfe,on s’est préoccupé des conséquences éco-l o giques avant même que les faits annon-cés ne se produisent. Pendant la guerre du

K o s ovo, les effets des bombardementsd’usines sur l’environnement ont souve n tp ris le pas, dans les nouve l l e s , sur les objec-tifs économiques visés.

Les activités militaires russes en T c h é t-chénie ou en Afghanistan ont cert a i n e m e n tété aussi néfastes pour l’environnement quecelles des Etats-Unis et de leurs alliés dansle Sud-Est asiat i q u e , dans le Golfe oua i l l e u rs. Mais les inform ations sont beau-coup plus rares, et les enquêtes indépen-dantes brillent par leur absence. En T c h é t-c h é n i e , les combats militaires ont été siviolents que l’on s’est à peine intéressé, j u s-qu’à présent,aux atteintes subies par l’en-vironnement et à la pollution de l’eau, m a l-gré leur importance probable lors q u eviendra le temps de la reconstru c t i o n . Et enA f g h a n i s t a n , la permanence des confli t srend difficile toute éva l u ation sérieuse desconséquences de 20 années de guerre. ■

■Un an après les frappes de l’OTA N

contre la Yo u g o s l av i e , l’ampleur desdégâts reste un sujet tabou. On entre-

voit cependant un désastre écologique auxgraves conséquences pour la santé.

L’Alliance atlantique a offic i e l l e m e n tr e c o n n u , le 21 mars 2000, avoir utilisé deso bus à uranium appauvri en Yo u g o s l av i e .L eK o s ovo et le sud de la Serbie ont été part i c u-lièrement touchés par ces armes radioactive s ,dont la spécificité est de libérer un nuage depoussière d’uranium qui contamine l’eau etla chaîne alimentaire.Inhalée ou ingérée,c e t t epoussière se fixe dans le corps humain pen-dant un à trois ans, décuplant les risques des t é ri l i t é , de malform ations chez les nouve a u -nés et de cancers. Ce type d’armement a étéutilisé pour la première fois durant la guerr edu Golfe, d é but 1991.

Du 24 mars au 10 juin 1999,l ’ av i ation del ’ OTA N a officiellement effectué env i r o n

DÉSAS T RE ANTICIPÉ DA NS LES BA L KA NS◗ Nevena Popovska et Jasmina Sopova

Un an après les frappes de l’OTAN contre la Yougoslavie, l’ampleur des dégâts reste un sujettabou. On entrevoit cependant un désastre écologique aux graves conséquences pour la santé.

◗ Respectivement journaliste à Skopje (République de Macédoine) et au Courrier de l’UNESCO.

N O T R E P L A N È T E

12 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

3 1 000 sorties pour bombarder la Fédérat i o nyo u g o s l ave (Serbie, M o n t é n é gr o,Vo ï vo d i n eet Kosovo ) . Des milliers de missiles ont étét i r é s. C e rtains ont fini leur course en Bulga-rie et en Macédoine vo i s i n e s. De retour dem i s s i o n ,de nombreux pilotes, se sont débar-rassés d’une centaine de bombes au-dessusde l’Adri at i q u e ,au large des eaux terri t o ri a l e sc r o at e s ,s l ovènes et italiennes.D’après l’OTA N,1 600 bombes à fragmentation ont été lar-g u é e s , libérant 200 000 mini-bombes. D e sm i l l i e rs de ces bombes, dont l’utilisat i o ncontre les populations civiles est interdite parla Convention de Genève du 10 octobre 1980,n’ont pas explosé, se transformant ainsi enautant de mines antipers o n n e l . Près de 200K o s ova rs en sont déjà mort s.

Un an après les frappes, on ne connaîtt o u j o u rs pas précisément l’ampleur desdégâts env i r o n n e m e n t a u x .M a i s , d’après lesi n f o rm ations confirmées jusqu’à présent,u nv é ritable désastre écologique s’annonce.

Selon l’Equipe spéciale pour les Balkans( E S B )1 des Nations unies,q u atre sites ont étép a rticulièrement touchés par la pollution:Pa n-c e vo (à 20 km de Belgr a d e ) ,N ovi Sad (capi-tale de la Vo ï vo d i n e ) ,K r a g u j e vac (au sud dela Serbie) et Bor (près de la frontière avec laB u l g a ri e ) .

Le complexe pétrochimique de Pa n c e vo aété attaqué une dizaine de fois. Un commu-niqué du maire, Srdjan Mirkov i c, publié àl’automne 1999 dans la revue yo u g o s l avePetroleum Te c h n o l ogy Quart e rl y, annonce que«la frappe directe sur le dépôt contenant 1500tonnes de chlorure de vinyle monomère (CVM)a provoqué un incendie qui a duré huit heures,e ta détruit environ 800 tonnes» de ce produit can-c é ri g è n e . «L o rsqu’il brûle, explique un méde-cin de Belgr a d e , il déga ge ,entre autres,de l’acidec h l o r hy d ri q u e ,qui provoque des bronchites chro-n i q u e s, des derm atites et des ga s t ri t e s,ainsi quedes dioxines (polluants organiques les plus tox i q u e sau monde) et,dans certains cas,du phosgène,u t i-lisé autrefois comme agent de guerre chimique».

Amoniac et mercure à PancevoLes dépôts d’ammoniac, destinés à la

fa b ri c ation d’engr a i s ,ont également été visés.S’ils n’avaient pas été vidés peu avant par pré-c a u t i o n , leur explosion aurait tué toute form ede vie à 10 km à la ronde, l’exposition directeau gaz d’ammoniac étant fatale pourl ’ h o m m e . On a donc évité le pire, mais lafaune du Danube, où ce liquide s’est répandu,a été détruite jusqu’à 30 km en amont. E no u t r e , «plus de 1 000 tonnes d’hy d r oxyde desodium (soude caustique) s’y sont écoulées»,selon le rapport du Centre régional de l’Eu-rope de l’Est pour l’environnement (RE C) .Depuis lors , la pêche a complètement disparuet l’irri g ation des cultures est devenue pro-b l é m at i q u e . Les fonds sablonneux du fle u ve

ont emprisonné des métaux lourds, t ox i q u e smême à de très faibles concentrat i o n s ,p o u rdes dizaines d’années. Outre la Yo u g o s l av i e ,la Roumanie et la Bulgarie sont concern é e s.

«Le sol a été contaminé par environ 100 tonnesde mercure» , précise le maire de Pa n c e vo. C emétal extrêmement toxique s’introduit dansla chaîne alimentaire et détruit les organes quil ’ a c c u m u l e n t , comme les reins, le foie et le sys-tème nerve u x . De son côté, l’ESB estime cechiffre à huit tonnes seulement. Elle ajouteq u e , suite aux frappes sur la seule raffin e rie dep é t r o l e ,«8 0 000 tonnes d’hy d r o c a r bures et de pro-duits pétroliers ont brûlé,d é ga geant des substancesn o c i ves dans l’at m o s p h è r e» . La concentrat i o nde CVM dans l’air était 10600 fois supéri e u r eà la norme tolérée, selon l’Institut pour la santépublique de Belgr a d e .A cette époque, les ve n t ss o u f flaient de l’Ouest: la Roumanie et la Hon-grie ont donc été touchées.

Le plus grave est à venirLes trois autres «points écologi q u e m e n t

chauds» ont subi un sort comparable. E n t r ele 5 av ril et le 9 juin, la raffin e rie de Novi Sada été bombardée une douzaine de fois. E nv i-ron 73 000 tonnes de pétrole brut et de pro-duits dérivés ont brûlé ou fui dans les cana-l i s at i o n s. Les eaux souterraines polluées sesont infiltrées dans les puits situés à prox i m i-té de la raffin e ri e ,p ri vant la population d’eaup o t a b l e .

A Kragujeva c, les frappes sur l’usine d’au-tomobiles Zastava , «ont provoqué une pollution degrande ampleur,touchant les sols, les eaux et l’at-m o s p h è r e» ,r a p p o rte l’ESB qui a détecté desn i veaux élevés de biphényles polychlorés( P C B ) .Interdites au milieu des années 80,c e ssubstances toxiques sont encore présentes dansles vieux équipements électri q u e s.Elles se lientaux sédiments dans les cours d’eau et ne sed é gradent qu’au bout de plusieurs années.

A Bor, une contamination aux PCB etune gr ave pollution at m o s p h é rique due à desémissions de dioxyde de soufre (dangereuxpour les asthmatiques) ont été constat é s. L e sbombardements des mines de cuivre, de lacentrale électrique et du dépôt d’hy d r o c a r-bu r e s ,situés à proximité de cette ville, près dela frontière bu l g a r e , ont affecté aussi ce pay s.Le journal 24 Heures de Sofia rapportait quedes oiseaux tombaient du ciel, tués par lenuage toxique qui a occasionné des pluiesa c i d e s. En même temps, au Kosovo, les pay-sans ont vu les arbres se dénuder au milieudu pri n t e m p s.

Toute la chaîne alimentaire a été at t e i n t e :du fourrage au bétail, au lait et à la viande;des fruits et légumes aux consommat e u rs.Bronchites chroniques, a s t h m e ,e c z é m a s ,d i a rr h é e s ,c o m p l i c ations thyroïdiennes ontdéjà été décelés, mais les autorités serbes pré-fèrent les occulter. En fa i t , les plus gr ave sproblèmes de santé sont à ve n i r. ■

I n d u s t r i ec h i m i q u e

Entrepôtde pétrole

Raffineriede pétrole

Industrie

Centraleélectrique

Parc national

Capitale nationale

Capitaleadministrative

Autres villes

Aéroport

BELGRADE

SKOPJE

SARAJEVO

PristinaPodgorica

Sar Planina

Nis

Bor

PancevoFruska Gora

Novi Sad

Kopaonic

Kragujevac

SERBIE

KOSOVO

BOSNIE-HERZÉGOVINE

CROATIE

HONGRIE

ROUMANIE

BULGARIE

REPUBLIQUE DE MACÉDOINE

ALBANIE

MONTENEGRO

VOÏVODINE

0 60 km

Principaux sites touchés avec risque d’impact négatif sur l’environnement.

Tara

1. Voir le rapport du Programme des Nationsunies pour l’environnement (PNUE) et du Centredes Nations unies pour les établissementshumains (CNUEH), publié en 1999,sous le titreLe conflit du Kosovo, ses conséquences surl’environnement et les établissements humains .

A P P R E N D R E

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 13

Notion de force: en Namibie, des étudiants mesurent la résistance de briques.

■L o rsqu’il était étudiant, si on ava i tdemandé à José Antonio López Te r c e r ode bien vouloir aller dénicher sur l’éta-

gère du haut la vitesse et l’énergie potentielle,il se serait exécuté sans broncher. A cetteé p o q u e , on aurait pu lui faire croire n’import equelle absurdité. Son innocence ne tenait pastant au réalisme magique des œuvres de l’écri-vain Gabriel Garcia Marquez qu’aux abs-tractions sopori fiques qu’on lui infligeait enc o u rs de phy s i q u e . «Ces leçons étaient éprou-va n t e s» , se souvient ce professeur de chimiedu lycée Escuela del Sur de Mexico.

José Antonio essaie aujourd’hui d’en-seigner les sciences comme il aurait sou-haité qu’on les lui apprenne. Il fait le pluspossible appel aux objets du quotidienpour faciliter l’assimilation de notions abs-t r a i t e s. Une machine à laver sert à illustrerla séparation des éléments au moyen de laforce centri f u g e ; la télévision, elle sert àdémontrer le fonctionnement des ondesé l e c t r o m a g n é t i q u e s.

Volonté de changementCette méthode d’enseignement est un

v é ritable bouleve rsement qualitat i f, tout aumoins si on la compare à ce que José A n t o-nio a dû subir au cours de ses études. Il sesouvient que «le professeur arri vait en cours,énonçait un concept, en écri vait l’équat i o n ,m em o n t rait comment résoudre d'autres problèmesà l’aide de ces formules et moi,je me bornais àles appliquer en remplaçant les va riables incon-nues par des chiffres.»

Ce type d’enseignement traditionnel,fondé sur la transmission de contenus et surl’étude de cas ayant peu de résonance chezla plupart des élève s , est aujourd’hui encorelargement répandu. Le Mexique n’est pasun cas isolé puisque, selon Jacob Bregman,spécialiste de l’éducation scientifique ausein de la Banque mondiale, l ’ e n s e i g n e m e n tdes sciences au lycée dans les pays en déve-loppement pri v i l é gie plutôt la mémori s a-tion des faits et non la compréhension du

c o n t e x t e , mais aussi la manière dont cetteconnaissance peut être mise en applicat i o n .Si dans certains pays industri a l i s é s , ce typed’enseignement n’a pas entièrement dis-p a ru , il n’en reste pas moins vrai qu’on yinsiste davantage sur la capacité de l’élèveà rassembler l’information pour l’utiliser àbon escient afin de résoudre un problèmeet de prendre les décisions adéquates ; o usur le développement de sa capacité d’ana-lyse et de travail en équipe.

Les carences des systèmes éducatifs desp ays du T i e rs-Monde sont d’autant plus dra-m atiques lorsqu’on sait que le déve l o p p e m e n téconomique est aujourd’hui plus que jamaislié à la maîtrise des connaissances scientifiq u e set technologi q u e s. Mais une volonté généralede changement se fait jour, qui trouve soni l l u s t r at i o n , depuis quelques années,dans unevague mondiale de réformes de l’éducat i o ns c i e n t i fiq u e . Et même si ces réformes diffè-rent entre elles, toutes montrent des caracté-ristiques communes.

Un de ces points communs consiste,

comme dans l’exemple mexicain, à établirdes liens avec la vie courante. En plus defaciliter l’apprentissage, cette méthode sus-cite un véritable engouement pour lessciences et une part i c i p ation accrue desélèves. Ces dernières années,par exemple,la moitié des adolescents inscrits au lycéeEscuela del Sur ont choisi des filières scien-t i fiq u e s. C’est 30% de plus que la moye n n edes lycées mexicains.

Ancrer la connaissance dans le contexte local

Un autre point commun de l’ensemblede ces réformes est la volonté affichée d’an-crer l’apprentissage des sciences dans lecontexte local. Il suffit de prendre appui surles problèmes qui affectent la communautétoute entière et d’en résoudre scientifiq u e-ment les mécanismes. Le but étant non seu-lement de démontrer la valeur pratique dela connaissance scientifique mais aussid ’ avancer des solutions afin de préve n i rd ’ é ventuelles cat a s t r o p h e s.

UN PEU PLUS QUE LA SCIENCE◗ Asbel Lopez

Les enseignants se doivent non seulement de former les futurs scientifiques mais aussi les citoyensqui, en ce XX Ie siècle, devront affronter des défis éthiques et technologiques sans précédent.

◗ Journaliste au Courrier de l’UNESCO.

A P P R E N D R E

14 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

Les professeurs font donc «de gros effo rt spour aborder en classe ce qui touchent les élève sde près plutôt que d’utiliser les exemples abs-t raits des manuels» . C’est du moins le témoi-gnage de Bettina Wa l t h e r ,c o o r d i n at rice enTanzanie d’un projet sur l’éducation scien-t i fique dans le secondaire (Science Educa-tion in Secondary School project). Les pro-f e s s e u rs de mat h é m atiques des 27 lycéesqui participent à ce projet lancé en 1997f o n t , par exe m p l e , référence dans leurs coursà des projets de déve l o p p e m e n t , qui concer-nent concrètement les villages où ils ensei-g n e n t . L’ i n s t a l l ation de nouvelles lignes élec-t riques ou téléphoniques alimente leursc o u rs de géométri e ; l ’ u t i l i s ation de pesti-cides ou de fertilisants illustre celui demathématique appliquée.

Même lorsqu’ils parlent du ciel, les pro-f e s s e u rs partent des croyances les plusrépandues au sein de la populat i o n . Pe t e rLesala est responsable des progr a m m e sscientifiques pour les lycées du Lesotho. Ilélabore en ce moment un cours sur l’astro-nomie qui, plus tard, sera inscrit au pro-gr a m m e . «La première chose que j’aie fa i t e,e x p l i q u e - t - i l , a été de chercher à savoir ce que

ment pour les futurs scientifiq u e s , c ’ e s tl’idée que défend Sylvia Ware,auteur pourla Banque mondiale de nombreuses publi-c ations sur l’éducation scientifique dans lesp ays en déve l o p p e m e n t . Elle est aussi direc-t rice des relations intern ationales de l’Ame-rican Chemical Society. A ses yeux, «mêmes’il revient aux scientifiques de faire ava n c e rla science,il est tout aussi important de ne pasla laisser exclusivement entre leurs mains. Lesc i t oyens des pays en voie de développement doi-vent acquérir des connaissances techniques pluslarges et plus fines. Ils doivent pouvoir appré-hender la portée scientifique et technologi q u ede certains problèmes grave s,comme la santé oule développement industri e l , car ce sont desquestions qui les concernent directement.»

En d’autres term e s , il s’agit d’assurerune sorte d’alphabétisation scientifique de

mes compat riotes pensaient des étoiles. M o ncours a donc commenté ces croyances.»

Même lorsque l’éducation scientifiquese fonde sur un mat é riel scolaire conçu pourdes lycéens d'une autre culture, les ensei-gnants adaptent les thèmes aux réalitéslocales. C’est ce qu’ont fait avec beaucoupde créativité certains professeurs et leursé l è ves en utilisant «ChemCom, la chimie enc o m m u n a u t é » , un programme destiné auxlycéens et élaboré par l’American Chemi-cal Society (voir encadré).

La science pour tousCe mouvement général de réform e s

dans l’éducation scientifique est renforcépar la conviction qu’un nombre toujourscroissant d’élèves doit avoir accès à lascience. La science pour tous et pas seule-

Fabrication de la maquette d’un pont aux Philippines.

LA DENSITÉ, UNE EX PÉRIENCE

Le citron a une densité plus grande que l'eau:il coule donc dès qu'il est mis dans un réci-

pient rempli d'eau. En ajoutant petit à petit dusel, le mélange augmente en densité jusqu'à cecelle-ci dépasse celle du citron qui finit parremonter en surface. (Manuel pour le profes-s e u r. Chimie. Education secondaire, secrétariatd'Etat à l'Education nationale, Mexique, page64, 1994).

Tiré de Libro para el maestro, SEP, Mexico

A P P R E N D R E

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 15

base afin de former des citoyens capablesde participer activement à des probléma-tiques cruciales qui vont de la préservat i o nde l’environnement à l’utilisation des OGM,en passant par les questions inédites queposent la biologie moderne.

Par le biais d’activités comme le trides ordures ménagères, la préservation decertaines espèces animales et végétales oucelle des ressources en eau, l’apprentissa-ge des sciences contribue à former descitoyens conscients de leurs responsabili-tés sociales. Le projet Globo en est, auCosta Rica, un parfait exe m p l e . S o nobjectif est de sensibiliser les étudiants àla préservation de l’environnement à par-tir de l’étude d’un phénomène clima-tique: El Niño. Les jeunes Costaricainss’exercent à relever les températures et àmesurer les niveaux de précipitation dansleurs villages. Leurs relevés, recueillis aum oyen d’appareils relat i vement com-plexes, sont non seulement utilisés encours de mathématiques pour tracer des

graphiques,mais servent aussi en sciencessociales afin d’analyser l’impact des inon-dations sur les villages et en cours de bio-logie pour expliquer les cycles de la vie.

Selon Sylvia Ware,l’idée d’une sciencepour tous interpelle tout le monde «du Zim-b a b we à l’Arge n t i n e» : comment rendre lessciences accessibles à tous les élèves sanspour autant abaisser le niveau d’études etpénaliser ceux qui veulent mener une car-rière scientifique?

Même si les pays en développement sontloin d’avoir résolu cette question, c e rt a i n s ,comme l’Argentine, le Brésil et le Chili, o n topté pour la spécialisat i o n . Au Chili, l e sélèves reçoivent dans les premières annéesde collège une form ation générale com-mune dont l’unique but est de donner à tousles bases d’un développement personnel etc i t oye n .Au cours des deux dernières annéesd’enseignement secondaire, une spécialisa-

tion s’opère qui sépare les effectifs en deuxgr o u p e s. La première option est dite tech-nico-professionnelle parce qu’elle vise à pré-parer ceux qui la suivent aux contraintes dumarché mondial. La deuxième spécialisa-tion s’intitule scientifico-humaniste et tendvo l o n t i e rs à développer les capacités analy-t i q u e s , à approfondir les questions abordéesa fin de permettre aux élèves d’atteindre unn i veau supérieur d’élaboration intellectuelle.C’est à compter de cette deuxième optionque l’on oriente les étudiants vers une for-mation scientifique.De cette façon,le sys-tème chilien tente de garantir la formationd’une force de travail hautement qualifié etout en favo risant l’émergence d’une com-munauté scientifique.

Les oubliés du systèmeSi pour Sylvia Wave , ce type d’initiat i ve s

va dans le bon sens, « il ne faut pas croirequ’une simple modific ation des progra m m e ss u f fise à changer la donne. Il faut avant touts’assurer la collaboration des profe s s e u rs :c ’ e s tla condition sine qua non de toute réfo rme édu-c at i ve.» Malheureusement, les professeursdes pays en développement sont déjà eux-mêmes dans une situation trop précairepour pouvoir assumer la conduite de cetteé vo l u t i o n ; conduite qui pourtant leur revientnaturellement.

Au Chili, les professeurs travaillent entre33 et 44 heures par semaine et sont affec-tés dans deux, voire trois collèges différents.Au Mexique, où les classes peuvent comp-ter jusqu’à 60 élève s , «le vrai problème del ’ é d u c ation scientifique ne réside pas tant dansla qualité des programmes ou des manuels sco-

l a i r e s.La talon d’Achille reste la fo rm ation desenseignants qui sont pratiquement livrés à eux-m ê m e s.» C’est en tout cas ce qu’affirm eVicente Ta l a n q u e r , professeur de chimie àl ’Un i ve rsité autonome de Mexico. Entre leprojet éducatif mis en avant par les poli-t i q u e s , les programmes d’études et la réa-lité d’une classe, «le go u f f r e» , selon lui, «e s tencore béant.»

Pour Sylvia Ware, il n’existe qu’uneseule façon de combler ce fossé: «investir leplus possible dans la formation professionnel-le des enseignants.» Lorsqu’il s’est agi td’implanter le programme ChemCom enR u s s i e , l ’ A m e rican Chemical Society,soutenue par l’UNESCO, a proposé desat e l i e rs de form ation aux professeursconcernés, y compris dans les coins lesplus reculés de Sibérie.De cette façon,lesenseignants ont pu se familiariser tantavec le matériel qu’avec les méthodes duprogramme. Ces stages leur ont aussi per-mis d’apprendre des formes plus finesd’évaluation de l’élève afin de déterminersi celui-ci avait bien assimilé les conceptset savait les appliquer ou s’il n’avait faitque les apprendre par cœur.

Assurer cette form ation suppose de lap a rt des Etats un énorme investissement etune volonté politique inébranlable sur le longt e rm e . Au Mexique, le réforme de l’ensei-gnement scientifiq u e , entamée il y a à peinesept ans, a touché 200 000 professeurs dansle secondaire et plus de 600 000 dans le pri-m a i r e . Le moins que l’on puisse dire aujour-d’hui est que les changements que tout lemonde espérait ne sont pas près de se fa i r es e n t i r. ■

LA CHIMIE EN COMMUN A U T É

Le programme ChemCom a débuté dans lesannées 80 aux Etats-Unis. Depuis la fin des

années 90, ce programme s’est étendu à beau-coup d’autres endroits. Il est appliqué dans desécoles de la banlieue de Buenos Aires et jusqu'auxc o n fins de la Sibérie. Il a été traduit en japonais, enrusse, en italien, en espagnol et, prochainement,une version française devrait voir le jour.

Pour comprendre ce qu’est ChemCom, il suffitd’écouter cet élève de Krasnoïarski Krai, en Sibérie.Il a 14 ans et pour lui, «le professeur pose d’abordle problème, par exemple la pollution d’une rivière ,puis les élèves essaient de trouver quelles sont lesconnaissances scientifiques nécessaires pour lerésoudre. Mais le plus important est d’étudier leproblème posé sous tous les angles et d’en discu-ter entre nous avant de pre n d re une décisionfinale.»

Un des thèmes abordés par le progra m m eChemCom s'intitule «Que faire du pétrole? Le brû-

ler ou le transformer?». Il a été élaboré à partird'un contexte culturel clairement américain. Le sélèves de Bolshoï Ului, une école sibérienne situéeen milieu rural, se sont toutefois appropriés lesujet. Somme toute, la Sibérie est, à l'instar duTexas, une région pétrolifère. Deux élèves et leursparents sont allés recueillir des informations surla production pétrolière locale au Comité de pro-tection d'Achinsk, le village le plus proche. Ils n'ensont pas seulement revenus avec les renseigne-ments qu'ils souhaitaient, ils ont aussi intéressé lesmédias locaux qui ont lancé une véritable ca m-pagne de collecte d'informations. Les élèves ontreçu un nombre considérable de revues et de cou-pures de presse qui leur ont permis d'avancer dansleur travail. ■

Site Internet de ChemCom :http://lapeer.org/ChemCom/

Par le biais d’activités comme le tri des orduresménagères, la préservation de certaines espèces animaleset végétales ou celle des ressources en eau,l’apprentissage des sciencescontribue à former descitoyens conscients de leursresponsabilités sociales

Dé j à , à l’époque d’Aristote, les hommes tentaient de répertorier lesplantes et les animaux. En l’an 2000, ils sont loin d’avoir achevé cet ra vail de Ti t a n . Et il y a fort à parier qu’ils n’y parviendront jamais,

même si taxonomistes et chercheurs d’«or vert» ne ménagent pas leursefforts (pp. 1 8 - 1 9 ) .

Les richesses du vivant sont insondables et ses mécanismes d’autant plusd i f ficiles à saisir que la biodiversité est un concept à large spectre. Il s’étenddes gènes à la biosphère, en passant par les espèces et les écosystèmes (pp.2 0 - 2 1 ) . Les scientifiques sont cependant sûrs d’une chose: les bouleversementsenvironnementaux sans précédent causés par les activités humaines provo-quent une érosion accélérée de la diversité biologique (pp. 2 2 - 2 3 ) .

O r, cette diversité est l’essence même de la vie (pp. 17 et 24-25). Les éco-systèmes assurent tout un éventail de services environnementaux (pp. 2 6 - 2 7 )qui rendent notre planète viva b l e. La biodiversité limite l’insécurité alimentaireet constitue un formidable réservoir de gènes pour les biotechnologies,notamment dans les domaines agricole (pp. 27-28-29) et médical (pp. 3 0 - 3 1 ) .Elle favorise aussi le développement de l’écotourisme (pp. 3 1 - 3 2 ) .

Pour autant, il serait dangereux de vouloir la mettre sous cloche. La biodi-versité est un système dynamique qui englobe les êtres humains. Pour laconserver de façon dura b l e, il faut entretenir un réseau mondial de réservesnaturelles en associant les populations locales à leur gestion (pp. 3 3 - 3 4 ) .L e sbanques de spécimens et de gènes, comme celles de Kew à Londres (pp. 3 5 -3 6 ) , continuent par ailleurs à se développer. Mais la gestion du vivant suscite

des batailles juridiques et éthiques dont per-sonne ne prévoyait l’ampleur en 1992, a umoment de l’adoption par la communauté inter-nationale de la Convention sur la diversité bio-l o g i q u e. ■

D o s s i e r B i o d i v e rs i t é:la vieen partage

S o m m a i reO p i n i o n

1 7 L’homme et la nature, e n s e m b l eCatherine Larrère

1 | M e n a c e s s u r l e v i v a n t1 8 Le re p a i re du platax

Timothy B. We r n e r

2 0 B i o d i v e rs i t é : une terra incognita

2 2 E x t i n c t i o n s : la nouvelle vagueE d ward O. W i l s o n

2 | P ro t é g e r « l ’ o r v e r t »

2 4 L’inestimable valeur du vivantSophie Boukhari

2 6 É c o s y s t è m e s : ces inconnus qui nous pro t è g e n tJosé Sarukhán

2 7 D i v e rsité génétique et sécurité alimentaireGeoffrey C. H a w t i n

3 0 Les médicaments sortent du boisCécile Guérin

3 1 B o r n é o : les fruits de l’écotourismeRobert Basiuk

3 | S a u v e r l a v i e

3 3 Réserves nature l l e s :les gens comptent aussi…Entretien avec Seydina Issa Sylla

3 5 Ke w, temple de la conservation ex situDavid Dickson

3 7 La naissance d’une éthique du vivantM . S. S wa m i n a t h a n

16 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 17

L e panda géant ou la baleine bleue sont lessymboles d’une nature dont nous voulons pré-s e rver la richesse et la va ri é t é : la protection des

espèces menacées est l’une des formes les plusanciennes de protection de la nature. Mais noussavons maintenant que la diversité biologique, oub i o d i ve rs i t é , ne s’appréhende pas seulement auniveau des espèces. Elle concerne l’intégralité dumonde vivant, des gènes à la biosphère1.

Cette biodive rsité n’est pas stat i q u e .Elle peut êtred é finie comme un système en deve n i r , situé dans ladynamique de l’évo l u t i o n . Selon les scientifiq u e s ,elle permet au vivant de s’adapter à des env i r o n n e-ments qui changent au fil du temps, g a r a n t i s s a n tainsi la poursuite des processus évo l u t i f s.

On reconnaît aujourd’hui que les activitéshumaines en font part i e .O r , on a longtemps consi-déré les hommes essentiellement comme des agentsde perturbation,extérieurs à la nature.On a donccherché à protéger des espaces naturels «vierges» ou« s a u va g e s » , en les mettant à l’écart de toute activitéhumaine.

Un système dynamiqueDe fait, l’homme fait peser sur la nature des

menaces bien réelles. Les pollutions, les prélève-ments excessifs sur les espèces vivantes,l’extermi-nation des «nuisibles», la fragmentation ou la des-truction des habitats font disparaître des espèces,accroissent l’érosion de la biodive rs i t é . Mais depuisque l’on envisage la biodive rsité dans une pers p e c-tive dynamique,on souligne que les hommes sonta u s s i , à l’inve rs e , capables d’entretenir la biodive r-s i t é , comme le montre le bocage normand oub r e t o n . Même la forêt tropicale est souvent lerésultat d’une longue co-évolution entre les popu-lations indigènes et leur milieu naturel.

Ce double pouvoir – à la fois de détruire et demaintenir la biodiversité – souligne l’étendue denotre responsabilité. Nous sommes une espècep a rmi d’autres, mais une espèce qui exerce unepression de sélection particulièrement forte.Il n’ya plus, sur le globe, d’espace à l’abri de nos inter-ve n t i o n s. L’idée de conserver la nature dans son inté-grité est donc illusoire. En revanche, il nous faut

mesurer les conséquences de nos actes sur la pour-suite des processus évolutifs afin de les réguler. Leprincipe d’une «gestion durable» de la biodiversitédécoule de cet impérat i f, celui d’un part e n a ri atentre l’homme et la nature.

Mais réguler au nom de quelle valeur? On peutconsidérer la valeur instrumentale de la biodive rs i t é :les biens et services qu’elle fourn i t , les connais-sances que les scientifiques en tirent. Comme noussommes attachés à la beauté de la nature,il faut yajouter les sentiments, esthétiques ou religi e u x ,qu’elle suscite en nous.

La biodiversité a une valeur en soi

Cela nous conduit à glisser ve rs sa valeur intri n-sèque, ou éthique. La nature a une valeur en soi,indépendamment des services qu’elle peut rendreà l’espèce humaine. Tout être viva n t , parce qu’ilexiste et déploie des strat é gies complexes – nonmécaniques – pour rester en vie et se reproduire, aune valeur propre.Au-delà, la diversité biologiqueen elle-même, parce qu’elle est à la fois le résultatde l’évolution et la condition de sa pours u i t e , aaussi une valeur propre,que reconnaît la Conven-tion sur la dive rsité biologique (Rio, 1992) dans sespremières lignes.

On a souvent opposé l’anthropocentrisme de lavaleur instrumentale à l’écocentrisme de la valeuri n t ri n s è q u e , comme s’il fallait faire un choix, c o m m es’il fallait que périsse le dernier homme pour quevive le dernier loup, ou inversement. Mais, outrequ’une telle hypothèse est parfaitement art i fic i e l l e ,les deux approches peuvent coexister, du momentque l’on s’entend sur une conception dynamique etintégrative de la biodiversité, système évolutif quiinclut l’homme.

Cependant, le développement du génie géné-tique,qui traite les gènes comme une matière pre-mière a introduit un tout autre point de vue sur labiodiversité: on l’envisage alors comme un gigan-tesque réservoir de ressources qu’il convient d’ex-ploiter sans tarder.

La biodiversité génétique n’est plus synonymed’une nature à gérer avec pru d e n c e ; elle devientune source de profits et de conflits,entre ceux quiveulent se l’approprier. ■

O p i n i o n

L’homme et la nature,e n s e m b l e◗ Catherine Larrère

◗ Philosophe, auteur des ouvragesLes Philosophies del’environnement (PUF, Paris, 1997)et Du Bon Usage de la nature(Aubier, Paris, 1997).

1.Zone occupée par l’ensemble des êtres vivants.

L’homme est une corde entre bête etsurhomme tendue. U n ecorde sur un abîme.Friedrich Nietzsche,philosophe allemand ( 1 8 4 4 - 1 9 0 0 )

1e r j o u r : Nova Vi ç o s aA bord de deux bateaux de pêche,nous traver-

sons les eaux troubles du fle u ve Caravelas pouratteindre notre premier poste d’observation,sur lerécif de Nova V i ç o s a . Passé l’embouchure, les eauxbleues fourmillent d’une faune corallienne propreà cette régi o n , située au large de l’Etat de Bahia. L o rsde notre première plongée, je passe près d’un bancde «baba-de-boi», sorte d’anémone aussi appelée« b ave de taureau». Il suffit d’effleurer le mucus dontil est recouve rt pour comprendre d’où l’animal tireson nom. Plus bas, je me retrouve entouré de vieuxcoraux qu’on ne trouve qu’ici, montrant à quelpoint il est important de préserver la région.

En trois semaines, notre équipe, composée desm e i l l e u rs spécialistes des milieux mari n s ,e f f e c t u e r ae nviron trois plongées par jour.

2e et 3e j o u r : Popa Ve rd eLe deuxième jour,notre spécialiste de l’ichtyo l o gi e

b r é s i l i e n n e ,R o d rigo Moura, aperçoit en plongée unrequin citron. Ce sera l’une de nos deux seules occa-sions d’entrevoir un requin. Si c’est là une bonne

18 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

◗ Directeur du Programme de biodiversité marine au Centre d’études appliquées dela biodiversité,ConservationInternational.

n o u velle pour qui n’apprécie guère les requins, elle aquelque chose d’inquiétant pour qui se soucie de lap r é s e rvation des espèces mari n e s. Car les requinssont des prédat e u rs importants pour le milieu océa-n i q u e . Leur disparition peut perturber l’équilibreé c o l o gi q u e .Or leurs ailerons, leur chair et l’huile tiréede leur foie sont si prisés qu’ils deviennent de plus enplus rares à trave rs le monde. J’aperçois heureusementà cette même occasion un énorme épinéphèle, p l u slong que moi,ce qui est bon signe: tous les grands pois-sons n’ont pas disparu des eaux des A b r o l h o s.

4e j o u r : dans le sillage de Cabra lIl y 500 ans exactement, le nav i g ateur port u g a i s

A l vares Cabral rapportait avoir vu de luxuriantes forêtstropicales à l’endroit précis où nous avons jeté l’ancre.En l’an 2000, le spectacle est bien différent. L’ e x p l o i-t ation forestière n’a guère laissé subsisté que 8% decette forêt exceptionnelle, incitant Conservation Inter-n ational à en faire un des «points chauds» – ou sanc-tuaires du vivant – de notre planète (voir p. 2 1 ) .

La déforestation a aussi de gr aves conséquencesé c o l o giques sur les eaux côtières. L’érosion génère unflux de sédiments capables «d’étouffer», voire d’en-t e rrer le corail. La plupart des coraux observés sur lebanc des Abrolhos semblent adaptés à une turbiditéqui serait la mort de bien des espèces ailleurs dans lem o n d e . Nous trouvons un spécimen du corail endé-mique Scolymia we l l s i i dans une fosse située cinq cmsous le fond boueux de la mer!

5e j o u r : C o r u m b a uNous sommes ancrés juste en face de

Corumbau. Les anciens de ce village de pêcheursracontent qu’on y brûlait autrefois le corail pour enenduire les murs. La côte brésilienne présente aussides maisons faites de blocs de corail. Ces prat i q u e sn’ont plus cours, mais les coraux et autres orga-nismes vivants marins approvisionnent toujoursillégalement les boutiques de souvenirs. L’une desespèces les plus recherchées est le S t r o m bus go l i at h,un escargot brésilien pouvant mesurer jusqu’à 35 cmde long.Durant toute notre expédition,nous n’enverrons qu’un spécimen.

1 Menaces sur le vivant

Le re p a i re du platax◗ Timothy B. We r n e r

O u t re ce poisson qui nage et qui ra m p e, les eaux troubles des A b ro l h o s, au Brésil,recèlent des richesses exceptionnelles. Journal de bord de plongeurs scientifiq u e s.

Mussismilia braziliensis, une espèce de corail spécifique au Brésil,qui forme des sortes de champignons, les chaperiões.

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 19

8e j o u r : Pa re d e sNous partons aujourd’hui pour le plus gr a n d

récif corallien du Brésil. A l o rs qu’il paraît désert ,ses fissures recèlent en fait plusieurs espèces inté-ressantes de poissons et de corail que nous n’av i o n spas observées jusque-là.

Au pied d’un escarp e m e n t , j’aperçois un desplus étranges poissons de mer au monde: un plat a x .Ve rt foncé, ressemblant à une flèche enflé e , le plat a xse déplace non seulement en nageant mais en ram-pant sur le sable comme un reptile, à l’aide de sesn a g e o i r e s.

1 3e j o u r : récif de CalifornieAu bout de plusieurs heures de recherche, n o t r e

sondeur détecte le récif de Californ i e , entre 20 et 35mètres de profondeur. C o u ve rtes d’une multitude deg o r g o n e s , les aiguilles de ce récif corallien nous per-

mettent d’inscrire de nouveaux coraux et poissons ànotre cat a l o g u e . Nous observons avec surp rise descolonies de coraux p o rites bra n n e ri d’un rouge vif biendifférent de l’habituel et fade marron et blanc.

De retour à l’île de Santa Barbara, nous aper-cevons des bateaux de pêche en infraction: ils ontlargement dépassé les limites du parc national mari-time des Abrolhos. La veille au matin,nous avionstransmis par radio le nom et le numéro d’un de cesbateaux aux gardes du parc. Cet après-midi, nousavons surp ris un officier de marine dire aux pêcheursen infraction de ne pas trop s’en fa i r e , car ce n’étaitqu’un simple «touriste» qui les avait signalés…

Ce soir-là, nous décidons de profiter de la «vien o c t u rne» sous-mari n e . Des milliers de polychètes(vers marins) se tortillent autour de nos lampes,animés par une frénésie de reproduction.A cert a i n e sdates de l’année, liées au cycle lunaire, ils libèrentdes masses de spermes et d’œufs. Si je laisse le fa i s-ceau de ma lampe trop longtemps au même endroit,je sens les vers se glisser jusque dans mes oreilles.C’est la première fois que la reproduction des poly-chètes est observée en février au Brésil.

1 8e j o u r : nous faisons le pointL’équipe se réunit sur le pont pour esquisser un

premier bilan. Selon toute probabilité, nos collectesrecèlent de nombreuses espèces nouve l l e s :sans doutejusqu’à 20 espèces de polychètes, et plusieurs nou-veautés pour cette zone, dont 20 espèces végétales etcinq poissons. Nous avons aussi noté que le s t e p h a-nocoenia michelini, espèce de corail jusque-là donnéepour rare au Brésil, y est en fait très répandu.A notregrande stupéfa c t i o n , les poissons se sont avérés beau-coup moins nombreux que prévu, et ont tendance àêtre petits. Plus nous approchons des villages dep ê c h e u rs , plus cette tendance semble s’accentuer.

Là où nous avons plongé, au-delà les eauxtroubles du Carave l a s , s’étendent des zones essen-tielles pour la biodive rsité mondiale.Nous ne pouvo n sles laisser disparaître faute d’avoir su évaluer leurrichesse extraordinaire. ■

C h e rc h e u rs d’espèces

En février 2000, des spécialistes brésiliens des milieux

marins et des experts internationaux de la préserva t i o n

se sont réunis pour étudier le banc des Abrolhos pendant

trois semaines.

Cette expédition avait lieu dans le cadre du Progra m m e

d’évaluation rapide de l’ONG Conservation International,

basée à Wa s h i n g t o n .Au total, 29 expéditions ont été orga-

nisées en milieux terrestres, aquatiques et marins. Elles ont

permis de découvrir des centaines d’espèces, d’améliorer la

gestion locale et mondiale de la biodiversité et de créer six

nouvelles zones protégées dans cinq pays.

Contrairement aux deux grandes zones coralliennes de

la planète (le Pacifique indien et la mer des Caraïbes),les

récifs brésiliens ne sont pas d’une extrême richesse en bio-

diversité. Mais ils abritent de nombreuses espèces endé-

m i q u e s.Notre expédition dans les Abrolhos visait à aider les

décideurs locaux à évaluer le terrain et les menaces qui

pèsent sur la zone. Plusieurs sites explorés n’avaient encore

jamais fait l’objet d’un inventaire scientifique.

Les Abrolhos sont la plus grande région corallienne de

l’Atlantique sud, c o u v rant 8 000 km2 au large de la côte sud-

est de l’Etat de Bahia.A notre connaissance, c’est le seul

endroit du monde à présenter un type de massif corallien

appelé c h a p e i r ã o, sorte d’énorme champignon mutant,

e n vahi de coraux de feu et de boules d’un corail endé-

mique, le Strigosa.

Cette expédition a demandé des mois de préparation.

Nous étions surtout inquiets de la météo, car la zone

contient beaucoup de sédiments en suspension, qui peuvent

provoquer des tempêtes de «poussière» lorsqu’ils sont

remués par la houle. Heureusement,pendant l’expédition,

nous n’avons connu que le soleil et un léger vent de nord-

est.

+ …http://www.conservation.org

La petite castagnole foncée (Stegastes fuscus),une espèce qu’on ne rencontre que dans leseaux du Brésil.

La nature ne fait rien enva i n .A r i s t o t e, philosophe grec (384-322 avant J. C. )

20 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

B i o d i v e rs i t é :une terra incognitaPa ra d o x e : les scientifiques en savent plus sur les étoiles de notre galaxie que sur le nombred’espèces vivant sur Te r re. N o t re environnement est loin d’avoir livré tous ses secre t s.

Bi o d i ve rs i t é : le term e ,a p p a ru sous la plume dequelques chercheurs au milieu des années 80,a connu depuis lors une brillante carri è r e

m é d i at i q u e . Le concept paraît simple mais n’endemeure pas moins mal compris du grand public.Il est vrai que le domaine de recherche qu’il recouvreest encore, pour les scientifiq u e s , une fa buleuse t e rraincognita.

Selon la Convention sur la dive rsité biologi q u eadoptée à Rio en 1992, la biodiversité désigne «lavariabilité des organismes vivants de toute origine, ycompris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marinset autres écosystèmes aquatiques et les complexes écolo-giques dont ils font part i e ; cela comprend la dive rsité ausein des espèces et entre espèces ainsi que celle des éco-systèmes».

En clair, la biodiversité est à la fois une idée etune mat i è r e . En tant qu’idée, elle renvoit à la «va ri a-bilité» du vivant,à savoir sa capacité à évoluer dansl’espace et dans le temps, pour s’adapter et rester env i e . Mais elle est aussi mat i è r e : c’est l’ensembledes organismes vivants et des relations qu’ils entre-tiennent entre eux. Elle se décline dès lors à troisn i ve a u x : les gènes, les espèces* et les écosystèmes*.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, less c i e n t i fiques en savent plus sur la quantité d’étoilesqui scintillent dans notre galaxie que sur le nombred’espèces vivant sur Terre. Les taxonomistes* ont

i nve n t o rié environ 1,7 million d’organismes viva n t s– plantes,animaux et microorganismes (bactéries,v i ru s ,c h a m p i g n o n s ,e t c. ) . Mais une foison d’autresexistent dans la nat u r e , sans que l’on sache exacte-ment combien. Les estimations les plus courantesoscillent entre 8 et 15 millions mais certaines vontjusqu’à 100 millions. Les environnements les plusriches en espèces endémiques* seraient les forêtstropicales humides.

2 000 variétés de pommesrépertoriées dans le monde

Connaissant mal les espèces – à l’exceptiondes mammifères, des oiseaux et des plantes supé-rieures –, on est à plus forte raison à des années-lumière de cerner la diversité génétique. D’unepart, chaque individu d’une même espèce possè-de une multitude de gènes à l’origine des traitsqui lui sont propres. L’homme en compte100 000 environ,que les chercheurs n’ont pas finid’identifier. D’autre part, la diversité génétiques’exprime à travers l’existence de populations dis-tinctes au sein d’une même espèce. Quelque2 000 variétés de pommes sont ainsi répertoriéesdans le monde. Depuis des millénaires, l’hommea toujours exploité la diversité génétique pourdomestiquer certaines espèces sauvages, grâceaux croisements notamment. Les biotechnolo-gies* lui permettent aujourd’hui d’aller plus viteet plus loin en créant de nouvelles variétés deplantes et d’animaux transgéniques*.

Dans la nat u r e , les espèces n’existent pas demanière isolée mais en relation avec des complexe sé c o l o giques plus larges. Ces dern i e rs form e n t , ave cleur environnement phy s i q u e , les écosystèmes de laplanète.Là encore,les scientifiques avouent qu’ilsen savent très peu sur le fonctionnement des éco-systèmes (voir pp. 26-27) et sur le rôle qu’y joue ladiversité du vivant. ■

* Ces termes sont définis dans le glossaire ci-contre.

+ …La Biodiversité en questions, document pédagogiqueen couleur publié par l’UNESCO/MAB en 1998.Global Biodiversity Assessment, PNUE/CambridgeUniversity Press, 1995.www.wri.orgwww.iucn.orgwww.conservation.org

N o m b re d’espèces recensées et nombre estimé

Classe d’espèces Nombre d’espèces Nombre d’espèces Fiabilitérecensées estimées de l’estimation

Insectes 950 000 8 000 000 faible

Champignons 70 000 1 000 000 faible

Arachnides 5 000 750 000 faible

Nématodes 15 000 500 000 faible

Virus 5 000 500 000 très faible

Bactéries 4 000 400 000 très faible

Plantes 250 000 300 000 bonne

Protozoaires 40 000 200 000 très faible

Algues 40 000 200 000 très faible

Mollusques 70 000 200 000 moyenne

Crustacés 40 000 150 000 moyenne

Vertébrés 45 000 50 000 bonne

Total mondial 1 700 000 12 500 000 très faible

Source : World Conservation Monitoring Centre ;Global Environment Outlook 2000 (UNEP, Earthscan).

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 21

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Les 25 «points chauds» du globe

Que faire pour que chaque dollar investi dans la conser-

vation de la biodiversité soit rentabilisé au mieux? La

sélection de 25 «points chauds» terrestres les plus riches

en «or vert» entend répondre à cette question.

Etablie par une équipe de chercheurs menée par le Bri-

tannique Norman Myers (Université d’Oxford) et par l’ONG

C o n s e r vation International, elle vise à susciter un progra m m e

mondial de sauvegarde axé sur ces 25 sanctuaires. La plupart

se trouvent sous les tropiques et cinq d’entre eux dans la région

m é d i t e r ra n é e n n e. Leur conservation coûterait 500 millions de

dollars par an.

Au total, ils forment un territoire grand comme le Groen-

land (1,4% de la superficie du globe), qui contiendrait 44%

des espèces de plantes et 35% des vertébrés. Ils n’englobent

pas les régions riches en espèces endémiques qui ne sont pas

encore menacées par l’homme. La forêt guya n a i s e, p a r

e x e m p l e, compte moins de cinq habitants au km2, alors que,

selon un récent rapport de l’ONG Population Action Interna-

t i o n a l , la densité de population dans les 25 «points chauds»

est deux fois supérieure à la moyenne mondiale.

Cette approche, qui a le mérite de l’effic a c i t é , ne fait pas

l’unanimité au sein de la communauté scientifiq u e. Les incon-

nues sur la répartition géographique de la biodiversité et

sur sa richesse sont encore trop grandes pour délimiter des

zones prioritaires, soulignent les critiques. Selon eux, les 25

«points chauds» font la part trop belle aux forêts tropicales,

alors qu’ils négligent les déserts, les pra i r i e s, les toundras et

les forêts tempérées. Et à tout ceci, il convient d’ajouter la riche

biodiversité marine. ■

G l o s s a i reB i o t e c h n o l o g i e: application technologique qui utilise des

systèmes biologiques, des organismes vivants ou des dérivés

de ceux-ci pour réaliser ou modifier des produits ou des pro-

cédés agricoles et industriels.

C o n s e r v a t i o n: gestion prudente des ressources biolo-

giques assurant leur pérennité dans l’avenir.

Conservation ex situ: c o n s e r vation d’éléments constitu-

tifs de la diversité biologique en dehors de leur milieu

naturel.

Conservation in situ: c o n s e r vation des écosystèmes et des

habitats naturels; maintien et reconstitution de popula-

tions viables d’espèces dans leur milieu naturel et,dans le

cas des espèces domestiquées et cultivées, dans le milieu où

se sont développés leurs caractères distinctifs.

E c o s y s t è m e: complexe dynamique formé de commu-

nautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de

leur environnement non vivant qui, par leur intera c t i o n ,

forment une unité fonctionnelle.

Espèce: groupe d’organismes qui,du fait de leur ressem-

blance génétique et physique, peuvent naturellement se

reproduire entre eux.

Espèce endémique: espèce spécifique à un endroit bien

délimité (écosystème, île, pays particulier).

P ro t e c t i o n: interdiction ou réduction des activités humaines

dans les zones naturelles pour maintenir la biodiversité.

Ta x o n o m i e: é t u d e, désignation et classification des formes

vivantes.

Tra n s g é n i q u e: se dit d’un être vivant où l’on a introduit du

matériel génétique d’une autre espèce pour provoquer l’ap-

parition de caractères nouveaux. ■

Californie

Choco/Darien/Ouest Equateur

Andestropicales

Chilicentral

Cerradobrésilien

Forêtbrésilienneatlantique

Province du Cap

Madagascar

Iles de la Sonde

Bassinméditerranéen

Caucase

Inde/Birmanie

Chine centraledu Sud

Philippines

Wallacea

Forêtsd’Afrique

de l’Ouest

Kenya/Tanzanie

Karoo

Amérique centrale

Polynésie/Micronésie

Polynésie/Micronésie

Nouvelle-Calédonie

Nouvelle-Zélande

Sud-Ouestaustralien

Ghâts del’Ouest/

Sri Lanka

Caraïbes

Les plantes semblentavoir été semées avecprofusion sur la Terrecomme les étoiles dansle ciel pour inviterl’homme par l’attrait duplaisir et de la curiositéà l’étude de la nature.Je a n - Jacques Rousseau,écrivain et philosophe fra n ç a i s( 1 7 1 2 - 1 7 7 8 )

22 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

Dans le bassin amazonien,un trait de lumièreau-dessus de l’horizon signale parfoisl’imminence d’un grand accès de violence.

L’orage approche. Dans l’épaisseur du cieln o c t u rn e , les éclairs illuminent le manteau de laforêt tropicale.Alors, les chauve-souris se mettentà voler entre les cimes des arbres, les vipères sel ovent dans les racines des orchidées, les jaguarsa rpentent les ri ves du fle u ve .Autour d’eux poussent800 espèces d’arbres, plus qu’il n’en existe danstoute l’Amérique du Nord. Mille va riétés depapillons et 6% de la faune du monde at t e n d e n tl’aurore.

Des orchidées, nous ne savons pas gr a n d - c h o s e .Des mouches, des champignons et des scarabées,presque ri e n . Les forêts tropicales, avec leurs planteset leurs animaux my t h i q u e s , sont pour la plupartencore inexplorées. Selon les biologi s t e s , elles abri-tent la moitié des espèces animales et végétales dug l o b e . Mais l’homme les détruit à un rythme effréné.

Il n’est pas facile d’évaluer le nombre d’espècesqui disparaissent, car nous ne savons pas avec préci-sion combien il en existe sur terr e . Moins de 10%d’entre elles ont reçu un nom scientifiq u e .Et il est dif-ficile d’observer leur dispari t i o n : on ne voit pas

l’unique surv i vant d’une famille de papillons se fa i r ehapper par un oiseau, ni la dernière représentanted’une va riété d’orchidées s’éteindre lorsque s’ef-fondre l’arbre qui la port a i t .

Nous savons par l’étude des fossiles que sixgrandes phases d’extinctions se sont produites dansles 500 dern i e rs millions d’années. La plus récente,causée il y a 65 millions d’années par une pluie dem é t é o rites géants près de l’actuel Yu c atan (Mexique),a mis fin à l’ère des dinosaures. Ces catastrophes ontanéanti 30 à 90% des espèces animales et végétalesdu monde. E n s u i t e ,l ’ é volution a très lentement régé-néré la biodive rs i t é , sur des millions d’années.

Un poisson sur trois est menacéLes biologistes s’accordent à dire que nous vivo n s

le début d’une septième vague massive d’extinctions,due non pas à un phénomène naturel mais à la seuleactivité humaine. On estime que le taux actuel d’ex-tinction est 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu’il étaitavant l’apparition des hommes, il y a quelque 500 0 0 0a n s. Durant la plus grande partie du passé géolo-gi q u e , les espèces vivaient en moyenne un milliond’années et disparaissaient naturellement à raisond’une espèce sur un million par an. Sur le très long

E x t i n c t i o n s :la nouvelle vague◗ E d ward O. W i l s o n

La planète du vivant est entrée dans une nouvelle grande phase d’extinctions.Mais cette fois, c’est l’homme, pas la nature, qui en est re s p o n s a b l e.

◗ Professeur à Harvard et membredu conseil d’administration dudépartement d’entomologie de cette université.Il a reçu de nombreuses distinctionsscientifiques. Deux de ses ouvragesont été couronnés du prix Pulitzer, dont The Diversity of Life.

Cette forêt calcinée de Sumatra,en Indonésie, était utilisée depuis des générations par les Kubus pour chasser et récolter des plantes médicinales.

Les forêts précèdent les peuples.Les déserts les suivent.C h a t e a u b r i a n d ,écrivain et poète fra n ç a i s( 1 7 6 8 - 1 8 4 8 )

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 23

t e rm e , les espèces nouvelles remplaçaient celles quimouraient à peu près au même ry t h m e .A u j o u r d ’ h u i ,n o nseulement le taux d’extinction est monté en flè c h e ,m a i sle taux de natalité des nouvelles espèces chute à mesureque l’action humaine dégrade le milieu nat u r e l .

Selon les estimations de l’Union mondiale pour lan ature (UICN), à peu près un quart des mammifèreset plus d’un dixième des oiseaux sont menacés d’extinc-t i o n .Un cinquième des espèces de reptiles,un quart desamphibiens et 34% des poissons (essentiellement d’eaudouce) courent le même danger.Ces proportions ne s’ap-pliquent qu’aux espèces assez bien connues. Dans lesgroupes moins étudiés, plus de 500 espèces d’insectes,400 de crustacés et 900 de mollusques sont égalementm e n a c é e s , estime l’UICN, mais ces chiffres sont sûre-ment sous-éva l u é s.E n fin ,e nviron un huitième des plantesà fle u rs sont en voie d’extinction.

C’est l’expansion démographique de l’homme quia mené le monde à cette cri s e . Les êtres humains sont100 fois plus nombreux que n’importe quelle gr a n d eespèce animale terr e s t r e . Selon tous les critères imagi-n a b l e s , l’humanité est écologiquement anorm a l e .N o t r eespèce s’approprie entre 20 et 40% de l’énergie solairecaptée par les plantes terr e s t r e s. On ne peut en aucuncas puiser ainsi dans les ressources de la planète sanscondamner un grand nombre d’autres espèces.

Ce déclin est d’abord dû à la destruction des habi-t ats naturels pour étendre les zones urbaines et agri-c o l e s , ou pour exploiter le bois, les minerais, p a rm id’autres ressources nat u r e l l e s. La plupart des habitat sdu monde hébergent au moins 1 000 espèces animaleset végétales au kilomètre carr é .C e rtaines zones de laforêt tropicale et des récifs coralliens recèlent desdizaines de milliers d’espèces,même après avoir été enp a rtie endommagées par les hommes.

Le massacre des forêts tropicalesMais quand on détruit un habitat entier, p r e s q u e

toutes les espèces qui lui étaient spécifiques disparais-s e n t .Pas seulement les aigles et les pandas,mais aussi lesplus petits inve rtébrés encore non recensés, les algueset les champignons – tous les piliers invisibles de la vied’un écosystème. Pendant des années, les défenseurs del ’ e nvironnement se sont davantage concentrés sur le sau-vetage d’espèces «vedettes» comme les pandas que sur lesécosystèmes où elles vive n t .A u j o u r d ’ h u i ,f o rts d’unemeilleure compréhension du processus d’extinction, i l ss ’ o ri e n t e n t , par exe m p l e , ve rs la protection des milieuxriches en espèces vulnérables,q u a l i fiés de «points chauds»de la biodive rsité (voir p. 2 1 ) .

La deuxième grande cause d’extinction est l’inva-sion par des espèces étrangères. Quand des nav i g at e u rspolynésiens accostèrent à Hawaï ve rs l’an 400 aprèsJ. C . , cet archipel était un paradis. Ses forêts luxuri a n t e set ses vallées fertiles n’abritaient ni fourmis ni mous-t i q u e s , ni araignées ni serpents ve n i m e u x , ni plantesépineuses ni fle u rs vénéneuses.A u j o u r d ’ h u i , ils proli-f è r e n t . Par accident ou délibérément, le commerce aintroduit des espèces enva h i s s a n t e s.A mesure qu’ellesont poursuivi leur ava n c é e , la faune et la flore ori gi-nelles ont rétréci. A u j o u r d ’ h u i , la plupart des espècesont disparu ou se sont raréfié e s.

La pollution est la troisième grande cause de ce

d é c l i n . La faune et la flore d’eau douce, par exe m p l e ,sont particulièrement vulnérables aux pollutionsi n d u s t rielles et agricoles croissantes. Le quat ri è m eagent de destru c t i o n , qui ne fera que gagner eni m p o rt a n c e , est le réchauffement de la planète, l u i -même dû à l’excès de gaz à effet de serre dans l’at-m o s p h è r e . Pa rmi les milieux très fragiles les plusmenacés figurent les toundras arctiques et le fynboss u d - a f ricain (la brousse).

A quel rythme disparaît la biodive rsité? Noussommes loin de pouvoir donner une réponse exacte,mais une chose est sûre: il est cat a s t r o p h i q u e .On peutétudier le milieu le plus riche du monde que sont lesforêts tropicales humides.A partir du rythme de dis-p a rition de ces forêts, il est possible d’estimer gr o s s i è-rement le taux d’extinction des espèces. Pour com-m e n c e r , il faut dissiper le mythe du pouvo i rr é g é n é r ateur des forêts tropicales,qui comptent en fa i tp a rmi les habitats les plus fragiles de la Te rr e .Plus de lamoitié des forêts du globe ont un sol acide et pauvreen éléments nutri t i f s.Quand les arbres sont abattus etbrûlés pour faire place aux cultures, les cendres et la

v é g é t ation en décomposition laissent assez de sub-stances nutri t i ves dans le sol pour alimenter, p e n d a n tdeux ou trois ans, une nouvelle génération d’arbu s t e set de plantes herbacées.A rri ve ensuite le moment oùles éléments nutritifs s’appauvrissent et où la terre nepeut plus produire de récolte abondante, ni de four-r a g e .Les agri c u l t e u rs doivent alors utiliser des engr a i sou poursuivre ailleurs leurs cultures sur brûlis.

Aux temps préhistori q u e s , les grandes forêts s’éten-daient sur 14 à 18 millions de km2. Il en reste à peuprès la moitié. Pour l’essentiel, la déforestation a étéaccomplie récemment,à raison d’environ un millionde km2 tous les cinq à dix ans.A ce ry t h m e , un quartde la forêt tropicale restante aura disparu ve rs 2025.

Supposons que les forêts abritent actuellement 10millions d’espèces et négligeons de prendre en compteles espèces anéanties par les chasseurs , par les nou-velles maladies, les mauvaises herbes venues d’ailleurset les animaux comme les rat s. Dans la limite de cesparamètres choisis a minima, 2 7 000 espèces sontchaque année condamnées à cause de la déforesta-t i o n . En d’autres term e s , chaque jour, 74 espèces dis-paraissent ou en prennent le chemin.

Si les forêts tropicales ont une dive rsité aussi ri c h eque le pensent les biologi s t e s , leur recul, à lui seul, é l i-minera au moins 5 à 10% de toutes les espèces de laTe rr e .A mon av i s , le nombre total d’espèces menacées,peut-être de manière irr é ve rs i b l e , est bien supéri e u r.

Nous vivons aujourd’hui l’un des plus grands phé-nomènes d’extinction de l’histoire géologi q u e .U n ep rise de conscience s’impose afin que nous ne trans-mettions pas une planète appauvrie aux générat i o n sf u t u r e s.Nous pouvo n s , nous devons y parve n i r. ■

Les forêts russesc raquent sous les coupsde hache. Des milliardsd’arbres périssent, l e srepaires des bêtess a u va g e s, les nids desoiseaux sont déva s t é s,les cours d’eaus’ensablent et sed e s s è c h e n t , d e spaysages merveilleuxd i s p a raissent sans retour( … ) . Le climat se gâte,et chaque jour, la Te r r es’appauvrit et s’enlaidit.Anton T c h e k h o v,écrivain russe (1860-1904)

Selon tous les critère si m a g i n a b l e s, l’humanité

est écologiquement anormale

24 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

L’inestimable valeur du v i v a n t◗ Sophie Boukhari

Po u rquoi protéger la diversité biologique? Les scientifiques multiplient les arg u m e n t s : ceux qu’ils invoquent pour convaincre le public et les décideurs et ceux auxquels ils croient vra i m e n t .

Il ne se passe plus une semaine sans que biolo-gistes,anthropologues ou spécialistes de l’envi-ronnement publient une étude invoquant une

nouvelle raison de freiner l’érosion accélérée de labiodiversité. Début mars par exemple, deux uni-ve rsitaires améri c a i n s , James Kirchner et Anne We l l ,ont affirmé dans le magazine britannique N at u r e q u ela vie mettait beaucoup plus de temps qu’on ne lec r oyait jusqu’à présent à retrouver sa richesse et sadiversité après une phase massive d’extinctions.

Si les hommes continuaient à détruire les habitat sn aturels au rythme actuel, p r ovoquant une nouve l l ec rise majeure dans l’histoire du viva n t , il faudrait à lan ature au moins 10 millions d’années pour s’enr e m e t t r e . Un argument choc… qui fait sourire plusd’un scientifiq u e : comme Homo sapiens c o n n a î t r asans doute le même sort que les autres grands ve rt é-b r é s , il ne vivra pas plus de cinq millions d’années.A l o rs , ce qui ce passera après. . . «La question n’est pasde savoir si le tigre sera toujours là dans 10 millions d’an-n é e s, insiste Michel Bat i s s e , l’un des pères des réserve sde biosphère de l’UN E S C O et membre du conseild ’ a d m i n i s t r ation de l’ONG Conservation Intern a-t i o n a l . C’est cert a i n ,il n’existera plus.Mais dans 100 ans?Ce qu’il fa u t ,c’est trouver de bonnes raisons de protéger lab i o d i ve rsité au cours des prochains siècles. »

Pa s s i o n n é , ce débat sur les «va l e u rs» de la biodi-ve rsité est parfois biaisé par la nécessité de conva i n c r eà tout pri x : réellement inquiets de l’ampleur des des-t ru c t i o n s , c e rtains experts adoptent des positions«i d é o l ogi q u e s» , selon Talal Yo u n e s , directeur exécutifde l’Union intern ationale des sciences biologi q u e s. «I l spensent que tout argument qui peut aider à faire passer lem e s s a ge est bon,qu’il soit scientifiquement valide ou pas.»

Les va l e u rs les plus couramment invo q u é e spour sensibiliser l’opinion sont d’ordre économiqueet esthétique. «Le public occidental se représente labiodiversité comme l’arche de Noé, avec la girafe et les é q u o i a , le perroquet et la tulipe» , note Michel Bat i s s e .Dans les pays industri a l i s é s , où la nature sauvage est

d e venue une denrée rare et pri s é e , les gens sont prêtsà se mobiliser pour que leurs petits-enfants aient lachance de voir des éléphants en liberté.

Mais pour Peter Bri d g e wat e r , directeur de la divi-sion des sciences écologiques de l’UN E S C O, la va l e u resthétique de la biodive rsité est toute relat i ve . «Les cita-dins néo-zélandais veulent par exemple interdire la chasseà la baleine.Mais si vous demandez leur avis aux Inuitsde l’Alaska,il vous diront que ces créatures constituent unep a rt importante de leur nourriture et qu’ils ne veulent pasc h a n ger de culture alimentaire.Qui a ra i s o n ?»

Un réservoir de gènespour les biotechnologies

E f ficace auprès d’un certain public, l ’ a r g u m e n testhétique ne suffit de toute façon pas à impressionnerles décideurs. «Quand on arri ve chez les ministres, i lfaut leur démontrer qu’ils ont économiquement intérêt àc o n s e rver la biodive rs i t é» , résume Michel Bat i s s e . L atâche est d’autant moins aisée qu’ils tirent parfoisdes revenus importants de la destruction des écosys-t è m e s , en particulier des forêts, et qu’ils sont soumisà la pression de puissants lobbies (industrie du bois,du papier, e t c. ) . Les chercheurs soulignent alors quela biodive rsité est une manne pour l’industrie touri s-tique (voir pp. 3 1 - 3 2 ) , qu’elle permet de soigner ( p p. 30-31) et de nourrir (pp. 27-28-29) les hommesà peu de frais et constitue un réservoir inestimable degènes pour les biotechnologi e s.

Depuis quelques années, les scientifiques ont éga-lement développé une bat t e rie de chiffres visant à esti-mer la valeur monétaire des services rendus par lesécosystèmes aux sociétés humaines (voir pp. 2 6 - 2 7 ) .Un groupe d’unive rsitaires américains a estimé leurp rix à 319 milliards de dollars par an aux Etat s - U n i s(soit 5% du PIB),et près de 3 000 milliards de dollarspar an à l’échelle mondiale. D’autres estimat i o n s ,publiées par l’un des papes de l’économie écologi q u e ,R o b e rt Costanza,é valuent la totalité des services ren-dus par la biodive rsité à 33 000 milliards de dollars

◗ Journaliste au Courrier de l’UNESCO.

2 P rotéger «l’or vert»

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 25

par an, soit un montant supérieur au poids de l’éco-nomie mondiale.

De nombreux scientifiques reconnaissent que ceschiffres peuvent faire mouche mais les estiment tota-lement fa n t a i s i s t e s. Peter Bri d g e water va même plusl o i n . Pour lui, chercher à quantifier la valeur du viva n test non seulement «une perte de temps» mais une déri ved a n g e r e u s e . «I m m é d i at e m e n t , les esprits comptables éta-bliront une hiérarchie entre les espèces et les écosystèmes quivalent cher (parce qu’ils fo u rnissent des services “ i n t é r e s-sants”) et qu’ils voudront conserver et ceux qui,à leurs ye u x ,ne valent ri e n .Ils créeront une discri m i n ation alors que lessystèmes écologiques sont au contraire fondés sur la coopé-ration et doivent être envisagés comme un tout. »

Pour lui, la biodive rsité n’a pas de pri x .Sa valeur estinestimable car elle garantit la sécurité de l’espèceh u m a i n e . Il souligne qu’il serait idiot de détruire desécosystèmes qui rendent l’air respirable, le climat sup-p o rt a b l e , l’eau bu vable ou les sols fertiles (voir pp. 2 6 -2 7 ) .A ceux qui soutiennent que les progrès de la tech-n o l o gie permettront de pallier les dysfonctionnemente nv i r o n n e m e n t a u x , il rétorque que les coûts seraiente x o r b i t a n t s. Et ces solutions techniques, a j o u t e - t - i l ,ne tiendront pas à long terme car, contrairement à lan at u r e , elles ne sauront pas s’adapter aux change-m e n t s. De plus, ajoute Jeffrey Mc Neelly,de l’Unionmondiale pour la nat u r e , les technologies les plus per-f o rmantes s’inspirent de modèles puisés dans les méca-nismes du viva n t . Une raison supplémentaire d’enprendre soin. Loin d’opposer nature et technologi e ,les spécialistes de la biodive rsité misent sur une allianceentre les deux pour mieux la gérer et développer l’in-g é n i e rie écologique (qui permet par exemple de res-taurer les fonctions d’une forêt tropicale dégr a d é e ) .

E n fin et surt o u t ,d i s e n t - i l s , les arguments utilita-ristes font pâle figure face au seul qui vaille vraiment:la dive rsité est consubstantielle à la vie. «Qu’est-ce quela vie au fo n d ? ,demande Robert Barbault,directeur de

l’Institut fédératif d’écologie fondamentale et appliquée( F r a n c e ). C’est ce qui dure. Et elle dure parce qu’elles’adapte aux modific ations de son environnement en sed i ve rs i fia n t . La démonstration continue depuis près deq u atre milliards d’années pour une multitude d’espèces.L’homme n’est pas différent des autres,même s’il est pluss o p h i s t i q u é .Il est confronté aux mêmes types de problèmes:m a n ger et éviter d’être mangé.Les prédat e u rs essayent deconsommer un maximum de proies et les proies d’échapperaux prédat e u rs.Cela entraîne une co-évolution fondée surla va riabilité génétique et comport e m e n t a l e. C’est unec o u rse sans fin .La dive rsité est la raison d’être du succèsdu phénomène viva n t , et donc de notre propre existence.»Mais si le vivant s’est toujours adapté, pourquoi s’in-quiéter aujourd’hui? La plupart des experts sont for-m e l s : pour se régénérer, la vie a besoin de temps et d’es-p a c e , que le rythme et l’ampleur des déprédat i o n shumaines ne lui laissent plus.

La biodiversité est consubstantielle à la vie

La réussite biologique et technologique del ’Homo sapiens a été telle qu’elle a fini par mettre sonbien-être en péri l . «C’est tout l’intérêt de la crise env i-ronnementale actuelle» , estime Robert Barbault. E l l ep e rmet à l’homme occidental de prendre consciencede ses liens avec la nature alors que pendant long-t e m p s , il l’a considérée comme un objet extérieur àl u i , voué à être dominé. «On commence à comprendrequ’il faut gérer notre planète et,du coup, à réfléchir surla nouvelle civilisation que nous voulons constru i r e.Cette aptitude à concevoir un projet est précisément ce quinous distingue des autres espèces. Il y faudra un chan-gement de comportements, notamment alimentaires ettechniques, et de mentalités. Une autre façon de voir lemonde,plus écologiste,plus consciente de notre interdé-pendance avec le reste du vivant.» Il y faudra un peuplus d’humilité. ■

Un Malgache portant un œuf fossilisé d’aepyornis, un gigantesque oiseau préhistorique qui a disparu il y a seulement 500 ans.

La Terre est notre mère,l’aigle notre cousin.L’arbre pompe notre sang et l’herbep o u s s e.Les êtres ancestra u xnous ont dit:Maintenant que nousavons fait toutes ces choses, à vous de lessurveiller afin qu’ellesrestent pour toujours.C’est ainsi que les êtres humains ont été chargés d’êtreles gardiens de la planète.Récit Gagudju de la création( A u s t ra l i e )

26 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

Amon sens, la valeur fondamentale de la biodi-ve rsité n’est ni esthétique ni économique. E l l eest env i r o n n e m e n t a l e , même si l’homme de la

rue en est rarement conscient. On estime souvent lavaleur de la biodive rsité par le nombre d’espècesqu’une région abri t e .Mais au-delà, il faut mesurer lesinteractions entre les multiples espèces d’un écosys-t è m e , et entre celles-ci et les composants physiques etchimiques de cet env i r o n n e m e n t . Ce réseau de rela-t i o n s ,d’une extrême complexité,fait que la valeur d’unécosystème est infiniment supérieure à la somme desva l e u rs données aux espèces qu’il contient.

Les écosystèmes rendent en effet à l’espècehumaine des services environnementaux inappré-c i a b l e s ,essentiels à sa surv i e : la fix ation du carbone del ’ atmosphère et la production d’ox y g è n e , la protectiondes sols contre l’érosion et le maintien de leur fert i l i t é ,le filtrage de l’eau et le réapprovisionnement desnappes phréat i q u e s , la fourniture d’agents de pollini-s ation et d’agents anti-parasitaires, e t c.

Les deux premiers de ces services sont intime-ment liés. Ils résultent de la photosynthèse effectuéepar les végétaux ve rt s , à commencer par les algues,

l o rsqu’ils absorbent le gaz carbonique (CO2) etémettent de l’oxygène.Pendant des millions d’an-nées, l’équilibre entre les différents gaz de l’atmo-sphère est demeuré stable. Puis avec la révolutioni n d u s t ri e l l e , les hommes ont brûlé des quantitéscroissantes de combustibles fossiles.

A u j o u r d ’ h u i , trois milliards de tonnes de carbones’accumulent chaque année dans l’at m o s p h è r e , les éco-systèmes naturels ne pouvant plus absorber toutes lesé m i s s i o n s. Et ce d’autant moins qu’ils disparaissent àun rythme inquiétant. P i s , la déforestation produit elle-même d’énormes quantités de CO2 et d’autres gaz àeffet de serr e , comme le méthane. Jusqu’à devenir ladeuxième cause de réchauffement climat i q u e .

La captation de l’eau douce, la protection dessols et le maintien de leur fertilité sont trois autres fonc-tions étroitement liées. Les écosystèmes sont de véri-tables «usines d’eau douce». Ils absorbent l’eau dep l u i e , la filtrent lentement dans le sol, puis la drainentve rs les ru i s s e a u x , les fle u ve s , les lacs et les nappes sou-t e rraines qui nous fournissent le précieux liquide.Quand il y a dégr a d ation du couve rt végétal, le cy c l ede l’eau est pert u r b é . La pluie frappe directement la

É c o s y s t è m e s: ces inconnusqui nous pro t è g e n t◗ José Sarukhán

Le fonctionnement des écosystèmes et le rôle qu’y joue la biodiversité restent mystérieux.Mais nous savons qu’ils fournissent gratuitement à l’humanité des services sans prix.

◗ Directeur de l’Institut d’écologiede l’Université de Mexico, p r é s i d e n tde Diversitas, p r o g ra m m einternational sur la biodiversitép a r rainé par l’UN E S C O et le Conseilinternational des unionss c i e n t i fiq u e s.

Les montagnes décapitées de Nouvelle-Calédonie:l’exploitation des mines de nickel a un impact désastreux sur l’environnement.

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 27

Depuis des milliers d’années, les ferm i e rs exploi-tent la dive rsité génétique des espèces sau-vages ou cultivées pour développer leurs cul-

tures et élever de nouvelles races de bétail. C e t t ed i ve rsité permet aux plantes de s’adapter aux modi-fic ations de leur env i r o n n e m e n t :a p p a rition de para-sites et de nouvelles maladies, changements clima-t i q u e s ,e t c. Les ressources phytogénétiques – p o u va n têtre utilisée par l’homme – fournissent la matière pre-

◗ Directeur général de l’Institutinternational des ressourcesphytogénétiques de Rome (Italie),chargé de promouvoir leurpréservation et leur utilisation.

mière permettant la mise au point de nouve l l e sespèces cultivées. Ainsi peut se développer une agri-culture plus productive et mieux armée contre cer-tains ri s q u e s , comme la sécheresse ou l’érosion dess o l s. L’ u t i l i s ation de la dive rsité génétique, dans lecadre d’exploitations agri c o l e s ,d ’ e x p é riences de ter-rain ou de procédures sophistiquées de manipulat i o n sg é n é t i q u e s , reste sans doute la meilleure façon d’as-surer notre alimentation et celle de nos enfa n t s.

t e rre nue, e m p o rtant d’énormes quantités de sub-stances nutri t i ve s.D’où l’envasement des barr a g e s ,d e slacs et des ri v i è r e s , et de terribles coulées de bouecomme celles qui ont récemment frappé l’Améri q u ec e n t r a l e , le Mexique et le Mozambique, faisant des mil-l i e rs de morts et des dégâts incalculables.

M a l gré des années de recherche, nous en savo n sencore très peu sur le fonctionnement des écosys-t è m e s. Nous sommes en général incapables de pré-voir leur réaction à certaines modific ations de l’en-v i r o n n e m e n t , notamment du climat . Nous ne savo n spas davantage si une espèce présente à un endroitd o n n é , y compris quand elle est très rare, est super-flue ou “remplaçable”. De même, nous ignoronsquelles sont les espèces clés, indispensables aumaintien d’un écosystème,sauf dans quelques cassimples. Par exemple, dans une forêt de pin, cetarbre est évidemment une espèce dominante.

Nous sommes encore plus ignorants sur le rôleque joue la diversité biologique elle-même dans lemaintien des écosystèmes et des services qu’ilsa s s u r e n t . Prenons l’exemple schématique d’uneforêt très dive rs i fiée qui absorbe du gaz carbonique– fonction vitale, nous l’avons vu, pour limiter leréchauffement climat i q u e . Supposons que l’on rasecette forêt pour la remplacer par une monoculturef o r e s t i è r e . Le service sera toujours assuré, vo i r emieux dans un premier temps (car de jeunes arbresqui poussent vite absorbent plus de CO2 que desvieilles forêts qui se régénèrent lentement). Maisqu’en sera-t-il à long terme? Au bout de plusieursdizaines d’années,les conséquences de la perte debiodiversité se feront sans doute sentir. En effet,leremplacement d’espèces va riées par une espèceunique aura entraîné à coup sûr un appauvri s s e m e n tdu sol et, à term e , un ralentissement de la croissancede la forêt,donc de sa capacité à absorber le CO2.

De manière plus générale, un écosystème dive r-

s i fié semble connaître une productivité accru e .Bien qu’ils restent très prudents dans leurs conclu-sions, les spécialistes estiment aujourd’hui que lab i o d i ve rsité permet aux écosystèmes de mieuxrésister à la pénétration d’espèces étrangères ouaux maladies, et de se rétablir plus rapidement encas de pert u r b at i o n . Dans le doute, et si l’on veut ens avoir plus, mieux vaut en tout cas sauve g a r d e rautant d’écosystèmes différents que possible.

La plupart des gens considèrent comme allantde soi les énormes services que les écosystèmes ren-dent gr at u i t e m e n t . Ils pensent que la nature conti-nuera de les assurer, quels que soient les dommagesqu’ils causeront.

Une facture faramineuseCes idées reçues sont fausses et dangereuses. L a

ville de New York s’en est récemment aperçue. De toutt e m p s , elle était réputée pour son eau, si pure qu’onla vendait dans tout le Nord-Est des Etat s - U n i s.E l l ed e vait sa qualité au système naturel de puri fic ation desC atskills Mountains. O r , cet écosystème avait telle-ment souffert de la pollution, notamment par lese n grais agri c o l e s , qu’à la fin des années 90, l ’ e a un e w - yorkaise était devenue imbu va b l e .La municipalitée nvisagea alors de se doter d’une centrale de puri fi-c at i o n ,dont le coût fut évalué entre six et huit milliardsde dollars , sans compter les 300 millions de fraisannuels de fonctionnement.Une facture fa r a m i n e u s epour un service qui avait toujours été gr atuit! Siélevée que la ville choisit finalement de restaurer l’en-vironnement dégradé des Catskills Mountains, c equi ne lui coûtera qu’un milliard.

Cette histoire nous montre clairement où sontnos intérêts: nous devons préserver les écosystèmeset les conditions qui permettent à la planète d’as-surer la survie de l’Homo sapiens ou, du moins, lemaintien à court terme de notre vie sociale. ■

D i v e rsité génétique et sécurité a l i m e n t a i re◗ Geoffrey C. H a w t i n

Pour des millions de paysans pauvre s, la diversité des cultures et des espèces est une nécessitév i t a l e. Jusqu’à ce que les progrès de la génétique puissent un jour les toucher.

Il ne faudrait pas croireque tous les êtres vivantsexistent pour le bien del’homme.Au contraire, ils sontdestinés, eux aussi, àautre chose.Moïse Maïmonide,t h é o l o g i e n , philosophe et médecin juif (1135-1204)

28 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

Au cours des 30 dernières années, de grandsprogrès ont été enregistrés afin de mieux nourrirl ’ h u m a n i t é . Mais ils sont insuffisants. Près de8 0 0 millions de personnes restent sous-alimentées1

dans les pays en déve l o p p e m e n t , où 73% despauvres vivent en zone rurale.Ils habitent souventdes régions inadaptées à l’agri c u l t u r e , en raison durelief ou de la salinité, de l’aridité et de la dégr a d a-tion des sols. Beaucoup de paysans pauvres sontrestés à l’écart des avancées techniques, parce qu’ilsvivent souvent loin des autres fermes et des villes.Ils n’ont que rarement accès aux semences à hautr e n d e m e n t . Dans ce contexte, la dive rsité biolo-gique est pour eux une ressource fondamentale.

Sélections et essaisLes paysans pauvres sont tout à fait conscients du

r a p p o rt existant entre la stabilité et la durabilité del e u rs systèmes de production d’une part , et la dive r-sité des cultures et des semences sur leurs terr e sd’autre part . Une utilisation ingénieuse des culturesleur a souvent permis de survivre dans les conditionsles plus ru d e s. Plus le nombre d’espèces cultivées esti m p o rtant et mieux les paysans arri vent à nourrir leurfa m i l l e : l e u rs récoltes s’échelonnent dans le temps,c e rtaines céréales peuvent être stockées, le tout évi-tant les disettes. La dive rsité peut aussi concourir àéquilibrer l’alimentation fa m i l i a l e . Elle autorise l’ex-p l o i t ation de différents micro-environnements ainsique la dive rs i fic ation des reve n u s.

La dive rsité génétique des semences donne para i l l e u rs aux agri c u l t e u rs la possibilité de procéder àdes sélections et à des essais, a fin d’obtenir de nou-velles va riétés plus productive s , plus résistantes auxparasites ou aux maladies. Les communautés agri-coles des Andes utilisent ainsi quelque 3 000 va ri é t é sde pommes de terr e , tandis que les cultivat e u rs de Javaplantent jusqu’à 600 espèces dans un seul potager.

Ignorer le rôle de la dive rsité peut être lourd dec o n s é q u e n c e s.Au X V I I Ie s i è c l e , en Irlande,près du tiersde la population se nourrissait principalement depommes de terr e . Les paysans n’en cultivaient plusguère qu’une seule espèce très productive .L o rs q u ’ e l l efut ravagée par le mildiou, la famine fut telle que plusde 20 % de la population périt ou dut émigr e r.

La biodive rsité est un facteur important surd’autres plans. Plus la pression démogr a p h i q u eaugmente dans le monde, plus s’aggr avent les pro-blèmes liés à l’environnement – désert i fic at i o n ,d é b o i s e m e n t , é r o s i o n , e t c. Les changements cli-m at i q u e s , en particulier le réchauffement plané-t a i r e ,p o u rraient modifier de façon radicale la répar-tition des zones agr o - é c o l o gi q u e s. Les pay s a n sauront besoin de nouvelles espèces agricoles,pro-d u c t i ves quelles que soient les conditions, et qui nedemandent pas de recourir à des quantités crois-santes d’engrais ou de produits phy t o s a n i t a i r e s.Etant donné la faible marge d’augmentation des sur-faces cultivables dans le monde, chaque nouvellegénération d’espèce végétale devra être plus pro-ductive que les précédentes.

Le recours aux manipulations génétiques a fa i tcouler beaucoup d’encre. Les techniques actuellesp e rmettent de transférer des gènes d’un organismev i vant à un autre ou de modifier ses caractéri s t i q u e sgénétiques pour obtenir de nouvelles propriétés plusi n t é r e s s a n t e s. Les manipulations génétiques per-mettront sans doute de résoudre des problèmes qui,jusqu’à présent, résistaient à toutes les techniques tra-d i t i o n n e l l e s. A i n s i , on devrait pouvoir produire dessemences résistantes aux maladies et aux parasites lesplus fréquents, ou à la sécheresse.To u t e f o i s ,l ’ i n n o-cuité de ces techniques, notamment pour la santé

Andes/Amérique duSudNoix de cajouCayenneCacaoArachideHaricot de LimaManiocPoivreAnanasPomme de terrePotiron

Mexique/AmériquecentraleAvocatHaricotMaïsPapayePécanPatate douceTomatePoivre tabascoVanille

BelgiqueChou de Bruxelles

BassinméditerranéenAspergeFève des maraisChouChou-fleurCéleriRaisinArtichautMentheAvoinePanaisBetterave à sucre

Afrique du NordBovinMarjolaine

Amérique du NordAirelleTopinambourVitis muscadinia (raisin)Tournesol

1. Voir le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur L’Etat del’insécurité alimentaire dans le monde 1999.

CaraïbesPamplemousse

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 29

humaine et l’env i r o n n e m e n t , fait l’objet d’un débatpassionné dans l’opinion publique mondiale.

Prenons cependant le cas du bananier ou de sonproche parent, le plantain (deux des pri n c i p a l e scultures des pays en développement),dont la pro-duction est difficile à améliorer. Le problème peutêtre réglé par manipulation génétique. Il est désor-mais possible de transférer des gènes,associés parexemple à une résistance aux maladies, dans desespèces plus productive s , et de réduire ainsi le

r e c o u rs aux pesticides. A u j o u r d ’ h u i , les culturesde bananes ou de plantains sont souvent traitées plusde 40 fois à l’aide de fongicides pour lutter contrela terrible maladie de la Sigatoka noire des bana-n i e rs. Les premières cultures de bananes et plantainstransgéniques sont actuellement à l’essai.

La recherche sur les manipulations génétiquesa jusqu’à présent surtout porté sur les principalescultures commercialisées par les exploitations indus-t rielles du monde, comme le maïs. On ne s’estguère penché sur les cultures de base des paysanspauvres du T i e rs - M o n d e , comme le manioc, l abanane,les haricots et les patates douces. Cet étatde fait risque de perdurer: la recherche sur lesplants et les biotechnologies relèvent de plus enplus du secteur privé. Pendant ce temps, de nom-breux organismes de recherche publics, aussi biendans les pays développés que dans le T i e rs - M o n d e ,ont de plus en plus de mal à trouver les budgetsastronomiques exigés par les nouvelles technologi e s.A u s s i , le rôle de l’agriculture dans le déve l o p p e m e n tdes régions les plus pauvres a-t-il toutes les chancesde dépendre encore quelque temps de l’identifica-t i o n , de la préservation et de l’utilisation de la dive r-sité génétique existante. ■

+ …Site de l’Institut international des ressourcesphytogénétiques: www.cgiar.org/ipgri/

Inde/Indo-MalayaPoivre noirArbre à painCardamomePouletPois chicheCitronTriticumsphaerococcumCitron vertMangueHaricot matRizCarthameSésame

Proche-OrientLuzerneOrgeChouFigueChèvreNoisettePoireauLentillePoisCochonPruneSeigleEchaloteMoutonBlé épeautreBetterave à sucreCerise

Corne de l’AfriquePois à l’œil noirBlé tendreRicinCaféPois à vachePalmier dattierEleusine cultivéeMoutardeGomboMillet à chandelleSorghoIgname

SibérieeuropéenneBovinEndiveGroseilleChou friséLaitueRéglissePoireCresson

Asie centraleAmandePommeCarotteRaisinConcombreAilOignonRhubarbeEpinard

Les agriculteurs des Andes utilisent jusqu’à 3 000 variétés de pommes de terre. Ici au Péro u .

Asie du Sud-EstAbricotBananeCannelle et sénéClou de girofleCocotierAubergineBadamCitronHaricot mongoCanne à sucreMandarine

Asie de l’EstSarrasinCibouletteMillet des oiseauxGinsengLitchiMûrePêcheRadisSojaOrange douceThéNavetChâtaigne d’eau

30 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

de la biologie moléculaire, les chercheurs se sont eneffet lancés dans la conception de médicaments surm e s u r e . Connaissant la forme d’une serrure biolo-gique donnée, ils dessinent à l’ordinateur la moléculequi en est la clé et qui peut déclencher le méca-nisme menant à la guéri s o n . En théori e , cette logi q u ef o n c t i o n n e , mais en prat i q u e , il s’avère extrêmementc o m p l e xe de définir ex nihilo une substance art i fic i e l l e ,étrangère à tout environnement humain. D’où l’in-térêt de puiser des idées dans les combinaisons molé-culaires nat u r e l l e s ,f ruits d’une évolution de 4,5 mil-liards d’années.

Des succès récents ont confirmé la valeur dumilieu nat u r e l . La découve rte de la ciclospori n edans un champignon du sol norv é gien a perm i sun progrès décisif pour éviter les rejets lors degreffes d’organe. D e rn i è r e m e n t , des chercheurs dugéant américain Merck & Co. ont détecté dans unchampignon du Congo un composé chimique agi s-sant comme l’insuline, qui pourrait produire lapilule inespérée contre le diabète. Pa r a l l è l e m e n t ,l e stechniques pour déceler les molécules actives i nv i t r o ont évo l u é . Les compagnies pharm a c e u t i q u e sdisposent de gigantesques robots capables de testerjusqu’à 100 000 échantillons par jour.

Les guérisseurs mis à contributionReste que dans la prat i q u e , le chemin menant de

la plante au médicament reste extrêmement long eti n c e rt a i n . Il faut d’abord collecter des échantillonsdans des lieux strat é gi q u e s , là où subsistent denombreuses forêts primaires. «Ce sont les pays de lazone intert r o p i c a l e ,qu’il s’agisse du continent afri c a i n ,a m é ri c a i n , a s i atique ou pacifiq u e» , selon T h i e rryS é ve n e t , directeur de recherche à l’Institut françaisde chimie des substances naturelles.

Sur place, la bio-prospection suit trois vo i e sdifférentes et complémentaires. La collecte auhasard permet de ramener un maximum d’échan-tillons destinés à passer par les robots de criblage.Mais la recherche peut être plus ciblée grâce aus avoir traditionnel des guéri s s e u rs locaux. C e susages populaires ont permis de développer plu-sieurs remèdes, à commencer par la quinine ou lad i gi t a l i n e .R é c e m m e n t , l’éthnobotaniste améri c a i nPaul Cox , enquêtant chez les Samoans (Po l y n é s i e ) ,a étudié une tige d’Homolanthus nutans préparéepour traiter les fiè v r e s. S c rutée par les chimistes, l aplante renferme une molécule connue, la prostra-

Dans le massif de l’Isalo à Madagascar, le guides ’ a rr ê t e . A ses pieds, une fleur minusculeexhibe ses pétales rosés. «Cette plante soigne le

cancer», confie l’homme avec fierté. Décrite par lebotaniste français Flacourt en 1645, la pervenche deMadagascar fut longtemps consommée commec o u p e - fa i m .P u i s , dans les années 60, elle fut remiseà l’honneur pour ses vertus anticancéreuses.

L’homme a toujours puisé dans la nature de quoicalmer sa douleur et guérir ses maux. Dans les pay sen déve l o p p e m e n t , 80% de la population se soignentavec des remèdes traditionnels, extraits de plantes.Certains des médicaments «modernes» – qui com-prennent un seul principe actif et non un mélangede substances – doivent aussi leur existence à la bio-diversité naturelle. Morphine, quinine, digitaline,e t c. : au total, 119 médicaments issus de plantessont couramment utilisés, selon le pharm a c o l o g u ea m é ricain Norman Fa rn swo rt h . Deux médica-ments vendus en pharmacie sur trois seraient d’ori-gine naturelle et cette «pharmacie ve rte» pèsequelque 30 milliards de dollars par an.

Dans la recherche thérapeutique, la nécessité ded é c o u v rir de nouveaux traitements est impéri e u s e .I lfaut aussi bien combattre les maladies émergentes etrécentes comme le sida que vaincre les résistances auxtraitements actuels vis-à-vis du cancer,du paludismeet des infections bactéri e n n e s. P l u s i e u rs pistes derecherche existent, comme la thérapie génique,encore balbu t i a n t e , et le d rug design.Avec l’av è n e m e n t

Les m é d i c a m e n t ssortent du bois◗ Cécile Guérin

Les plantes, les insectes et les bactéries suscitent un intérêt redoublé chez les industriels du médicament. M a i s, e n t re la nature et les essais cliniques, la route est longue.

Une «bioprospectrice» à la chasse aux espèces au Costa Rica.

◗ Journaliste scientifique française.

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 31

tine,agissant sur le virus du sida. Troisième piste,la démarche chimio-taxonomique permet d’ex-plorer les espèces d’une même famille déjà réputéepour renfermer des substances utiles.

Une fois les échantillons collectés, c’est auxchimistes de jouer. Ils réalisent une extraction et unep u ri fic ation de la matière brute afin de recueillir descomposés chimiques mélangés ou purs. Puis, lesextraits sont testés pour déceler une activité biolo-gi q u e .A ce stade, la sélection est sévère. G é n é r a l e-ment, une seule molécule est validée sur 10 000composés analysés.Au total, il faut attendre 15 à 20ans entre la collecte en forêt et les dern i e rs essais cli-niques, réalisés avant la mise sur le marché d’unmédicament.

Autant la recherche pharmaceutique est lente eti n c e rt a i n e , autant les menaces qui pèsent sur labiodiversité progressent de manière irréversible etrapide (voir pp. 2 2 - 2 3 ) .D e vant l’urgence, qui coïn-cide avec un intérêt accru des chercheurs , des pro-jets de prospection se déve l o p p e n t , m a l gré lescontraintes de plus en plus fortes qui pèsent sur l’in-d u s t ri e . Jusqu’au sommet de Rio en 1992, les labo-r atoires occidentaux – les seuls à pouvoir investir dessommes gigantesques dans la recherche –, p u i-saient dans la biodiversité des pays du Sud sansaucune contrepart i e . Mais depuis une dizaine d’an-

n é e s , ces pays demandent un partage des béné-fic e s. Les entreprises pharmaceutiques commencentà conclure des accords dans ce sens.

En 1991, pour la première fois, Merck & Co. ave rsé plus d’un million de dollars à l’IN B I O, l ’ I n s t i t u tn ational pour la biodive rsité du Costa Rica, p o u rb é n é ficier d’un accès aux ressources génétiques dup ay s. En cas de développement d’un médicament,Merck lui ve rsera entre 2 et 6% des bénéfic e s ,d o n tla moitié devrait être affectée à la conservation desparcs nat i o n a u x . Cinq autres projets, menés par lesE t ats-Unis avec des pays d’Amérique du Sud etd ’ A f ri q u e , associent des unive rsités américaines etl o c a l e s. Reste à savoir comment seront rétri bu é e sles populations autochtones ayant participé à la sélec-tion des plantes.

En marge des géants mondiaux de la phar-m a c i e , des laboratoires locaux, plus modestes, se lan-cent eux aussi dans la course à l’or ve rt . En A f ri q u e ,l’Institut malgache de recherches appliquées aentamé l’étude de 12 000 plantes endémiques. S e st r ava u x , menés avec le Muséum français d’histoirenaturelle,ont permis d’identifier un composé ren-forçant l’action de la chloroquine dans la luttecontre le paludisme.Avec un peu de chance,cetteplante de la famille des S t ry c h n o s suivra la vo i etracée par la pervenche de Madagascar. ■

L’ o f ficine de la natureSoulager la douleur 18171: la morphine extraitedes fleurs de pavot.Traiter l’inflammation1829:l’aspirine extraite del’écorce de saule.Réguler le rythmecardiaque1868:la digitaline issue dela digitale.Combattre le paludisme1820:la quinine issue desécorces de quinquina.1972:l’artémisine extraitede l’armoise.Eviter les rejets degreffe1970: la ciclosporine issued’un champignonnorvégien.Lutter contre le cancer1 9 5 8 - 1 9 6 5 : les dérivés,vinblastine et vincristine, t i r é sde la pervenche deMadagascar (voir photo).1971:le taxol issu de l’if duPacifique.1980:le taxotère à partir del’if européen.

1 . Les dates correspondent àl’isolement du principe actif, q u iprécède en général de 10 à 15ans la mise sur le marché dum é d i c a m e n t .

B o r n é o : les fruits de l’é c o t o u r i s m e◗ Robert Basiuk

Les Ibans dépendent largement des re s s o u rces de la forêt pour leur survie. Le tourisme leur donne désormais de nouvelles raisons de protéger ces richesses.

Les Ibans, qui vivent dans l’Etat malaisien duSarawak depuis plus de 400 ans,ont fait de laforêt tropicale leur supermarché et leur quin-

c a i l l e ri e . Ils utilisent son immense va riété de plantes,d’animaux et de matières premières pour se nourri r ,se soigner, construire leurs maisons et accomplirleurs rituels.

La biodiversité de cette région du Nord-Ouestde Bornéo est reconnue comme l’une des plusriches au monde. Les ressources sont si impor-tantes pour les Ibans que leurs lois coutumièresinterdisent l’abattage de certains arbres, la chasse decertains animaux et la destruction de zones fores-tières contenant de précieux fruits ou mat é riaux deconstruction.

L’ h a b i t at traditionnel iban consiste en une «l o n-g h o u s e» (maison longue), s t ructure semi-perm a-nente abritant 20 familles ou plus dans des appar-

tements séparés. Leur subsistance repose essen-tiellement sur l’agriculture (riz de montagne), lapêche,le petit élevage,la cueillette des produits dela jungle et occasionnellement la chasse. Jusqu’à unep é riode récente, la résine, le rotin, les essencesd’arbre odorantes constituaient l’essentiel des pro-duits qu’ils échangeaient contre du fer ou des tissus.

C e p e n d a n t ,l ’ i m p o rtance croissante de l’argentdans les échanges a petit à petit modifié les besoinsdes villageois. Si les Ibans de cette région sont engrande partie autosuffisants et capables de fa b ri q u e rla plupart de leurs objets quotidiens à partir desmatériaux locaux, ils ne disposaient pas, jusqu’àr é c e m m e n t , de rentrées d’argent régulières en raisonde l’éloignement des marchés.

Depuis une dizaine d’années, le tourisme a changéla donne en devenant un «nouveau marché» de la bio-d i ve rs i t é . Ulu A i , créé par Borneo A d ve n t u r e , u n

◗ Biologiste canadien vivant auSarawak (Malaisie) depuis 1983,ila contribué à la sauvegarde de lavie sauvage au Parc national duSarawak.Il est l’un des fondateurs de BorneoAdventure.

32 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

tour opérateur basé à Ku c h i n g, représente une nou-velle génération de produits touristiques qui mettenten valeur les relations complexes entre la forêt tro-picale et ses habitants.

R e c u l é e , la région d’Ulu Batang Ai a été pré-s e rv é e . Au-delà de la rivière A i , aux eaux part i c u l i è-rement claires, s’étendent le sanctuaire de la vie sau-vage de Lanjak Entimau et le parc national de Bat a n gA i , créés pour protéger les dernières populat i o n sd ’ o r a n g s - o u t a n s. En 1986, peu après sa créat i o n ,B o rneo A d venture a proposé aux Ibans de recevo i rdes visiteurs dans leurs l o n g h o u s e s: le village fourn i-rait les transport s , les guides, la nourriture et l’hé-b e r g e m e n t , tandis que Borneo A d venture se char-gerait de faire venir les touri s t e s. D ’ e m b l é e ,l ’ o b j e c t i fa f fiché était de donner aux visiteurs un aperçu de lavie dans la forêt et dans les l o n g h o u s e s tout en incitantla population locale à préserver la faune et l’env i-ronnement – en lui permettant de gagner de l’argentgrâce aux randonnées touri s t i q u e s.

Les orangs-outans sont l’un des pri n c i p a u xatouts de la régi o n . Cette espèce protégée étaitautrefois chassée par des étrangers. Si les paysanslocaux ne tuaient pas eux-mêmes les orangs-outans,ils ne se souciaient pas non plus de les protéger desc h a s s e u rs , car ces animaux leur occasionnaient par-fois de sérieux dégâts. A u j o u r d ’ h u i , les orangs-outans sont considérés comme un précieux capitalcar les touristes gr at i fient les guides d’un largepourboire lorsqu’ils en rencontrent. Du coup, les vil-lageois suivent leurs déplacements et dénoncentles chasseurs aux autorités. Cette évolution a aussic o n t ri bué à faire revivre les légendes et les cou-tumes concernant les relations entre les Ibans etl e u rs «gr a n d s - p è r e s » , nom souvent donné auxorangs-outans.

Les activités touristiques du village ont d’autreseffets bénéfiques sur la vie sauva g e . Par exe m p l e ,l e s

stocks de poisson se sont reconstitués. Avant led é veloppement du touri s m e , et en l’absence detout quota de pêche, cette importante source derevenus et de protéines menaçait de s’épuiser. Lesvillageois vendaient le poisson à l’extérieur pour entirer un peu d’argent. A u j o u r d ’ h u i , grâce auxr e venus du touri s m e , ils n’ont plus besoin de ce petitcommerce.

Les villageois se sont affranchide l’agriculture de subsistance

En 1999, 26 familles ont tiré plus de 300 000ri n g gits (82 000 dollars) de leurs activités de guides,de piroguiers ou de cuisiniers et des nuitées deschambres d’hôtes. A cela,il faut ajouter les profitsqu’ils font grâce à la vente d’objets traditionnelscomme les couvertures tissées (10 000 dollars en1999).

Cet argent a permis au village de s’émanciper del ’ a griculture de subsistance et de dive rs i fier son éco-nomie en y introduisant des cultures commercialesplus rentables. Comme cette agriculture demandemoins de nouvelles terr e s , la forêt et donc les habi-t ats des espèces sauvages sont mieux préserv é s.

Le site accueille un millier de touristes par anenviron,ce qui est considéré comme peu. Les vil-lageois s’impliquent de plus en plus dans sa gestionet contrôlent la qualité des prestat i o n s. De peurde perdre une précieuse source de reve n u s , ils cher-chent en outre à garantir leurs droits de propriétéet de gestion sur les terres entourant le village. Ils ontrécemment fait une proposition dans ce sens au gou-vernement du Sarawak. Ils souhaiteraient que lest e rres appartenant à l’Etat , situées entre le village etle parc nat i o n a l , soient officiellement reconnuescomme un sanctuaire dont l’exploitation touri s-tique leur serait confiée. Ils attendent toujours laréponse du gouvernement. ■

Les Ibans du Sarawak accueillent quelque 1 000 touristes par an dans leurs longhouses.

Les espèces qui s’éteignent sontperdues pour toujours.Ce n’est pas commedans Jurassic Park.Stuart Pimm, b i o l o g i s t ebritannique (1949-)

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 33

La Convention sur la diversité biologique accorde la priorité aux mesures de conservation in situ – dans des zones pro t é g é e s. Po u rq u o i ?

L’essentiel est de conserver l’ensemble des unitésé c o l o giques – la fa u n e , la flo r e , le sol, l ’ e a u ,e t c.– maisaussi les interactions entre elles, qui entretiennent ladynamique de l’évo l u t i o n . Ce type d’action est fon-damental pour les pays du Sud, rarement dotés desm oyens de développer des projets de conservation e xsitu – banques de gènes, z o o s , jardins botaniques. I lleur garantit l’accès à l’inform ation sur les ressourcesn aturelles et aux résultats de la recherche menée surleur terri t o i r e .Po u rquoi est-il souhaitable de créer une continuitéterritoriale entre les différents parc s ?

Prenez une espèce comme l’éléphant. Il migre des

zones sèches ve rs les zones humides suivant sesb e s o i n s. Si vous l’en empêchez, vous menacez sas u rv i e .Les aires protégées doivent être reliées par desc o rri d o rs qui permettent aux espèces de circuler et,é g a l e m e n t , d’accroître les échanges génétiques entrep o p u l ations de régions différentes. Il existe d’ailleursde plus en plus de réserves transfrontalières.Quels sont les plus grands dangers qui pèsent sur lesa i res pro t é g é e s ?

Le manque de solidarité intern at i o n a l e . L e sg o u ve rnements afri c a i n s , qui ne peuvent plusrépondre aux besoins essentiels de leurs populat i o n s ,ont relégué la protection de la nature au second plan.Dans de nombreux pay s , la décentralisation desp o u vo i rs ve rs les régions a également compliqué lagestion des parcs. Aujourd’hui en Afrique, on ne

Réserves nature l l e s :l e s gens comptent aussi…Les zones protégées sont la clé de toute politique de conservation.Mais comment les gérer? L’opinion de Seydina Issa Sylla◗.

3 S a u v e r l a v i e

◗ Coordinateur pour l’Afrique del’Ouest de l’ONG WetlandsInternational.

Les villageois vivant dans le parc de Niokolo Koba,au Sénégal,sont étroitement associés à la gestion de cette réserve de biosphère.

34 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

La planète des aires pro t é g é e s

Selon la convention de Rio (1992), «toute zone géogra -

phiquement délimitée qui est désignée, ou réglementée,

et gérée en vue d’atteindre des objectifs spécifiques de

c o n s e r v a t i o n» est une zone protégée. Cette définition large

recouvre des réalités va r i é e s. L’Union mondiale pour la nature

(UICN) – la principale organisation qui se consacre au déve-

loppement des aires protégées – en distingue six: elles vont

des réserves inhabitées et dédiées à la recherche scienti-

fique (en Antarctique par exemple) aux innombrables parcs

gérés par les populations locales.

Au total, le monde compte plus de 30 000 aires protégées,

qui s’étendent sur 8,83% de la surface du globe. La plupart

couvrent moins de 10 km2, sortes d’îlots fragiles au milieu

d’une nature asservie aux besoins de l’homme. En reva n c h e,

un quart de cette superficie (3,3 millions de km2) est réper-

torié pour sa valeur exceptionnelle en vertu de plusieurs ins-

truments internationaux: convention de Ramsar sur les zones

humides (1971), convention sur le patrimoine mondial de

l ’ UN E S C O ( 1 9 7 2 ) , statut du réseau mondial de réserves de bio-

sphère établi depuis 1976 par l’UN E S C O, directives euro-

p é e n n e s, e t c .

Certains types d’écosystèmes sont mieux préservés que

d’autres:les prairies des régions tempérées et les lacs sont

les parents pauvres de l’univers de la conservation,tandis

que les îles et les forêts tropicales sont les mieux loties.Au

moins en théorie:comme le note l’UICN, il y a pléthore de

réserves qui n’existent que sur le papier. Un fait peu sur-

prenant quand on connaît la modicité des budgets mondiaux

de conservation in situ: six milliards de dollars par an.

Il suffirait de dégager 2,3 milliards de plus pour assurer

un niveau de protection suffisant à l’ensemble des réserves.

Les gouvernements peuvent trouver cette somme, p l a i d e n t

chercheurs et écologistes, ne serait-ce qu’en supprimant cer-

taines subventions nuisibles à l’environnement accordées aux

agriculteurs et aux industriels, et qui coûtent plus de 1 0 0 0

milliards de dollars par an. ■

peut plus créer de nouvelles réserves et les anciennesmanquent de tout,surtout de personnel.

Les aires protégées sont par ailleurs soumises à lapression des populat i o n s , dont les ressources se raré-fient du fait de la pauvreté et des changements env i-r o n n e m e n t a u x : elles recherchent de nouvelles terr e sa gri c o l e s , du bois de chauffe, du gi b i e r ,e t c. L’ i n t r o-duction d’espèces exogènes – comme le moineau, q u in’existait pas en A f rique noire avant 1978 – est unautre facteur de bouleve rs e m e n t1. E n fin , le touri s m ede masse et l’expansion urbaine sont de grands dan-g e rs , mais ils pèsent moins en A f rique qu’ailleurs.Vous plaidez pour impliquer les populations dans lagestion des réserves. Po u rq u o i ?

Si le monde de la conservation a connu desé c h e c s , c’est parce qu’on a longtemps cru pouvo i rc o n s e rver la nature en excluant l’homme. Mais il aé volué depuis une vingtaine d’années, en part i c u l i e rsous l’influence des pays pauvres. La pression sur lesressources y augmentant sans cesse, la population per-çoit les parcs comme des obstacles au déve l o p p e m e n t .Il faut donc la dédommager. Plutôt que d’inve s t i rdans l’aire protégée, on doit financer des projetsviables autour. P l u s i e u rs formules ont été testées,comme les réserves de biosphère de l’UN E S C O2.Avec quels résultats?

Mitigés car l’argent manque. M a i s , au Sénégal,deux expériences ont prouvé que nous étions sur labonne vo i e . La réserve de Po p e n g u i n e , par exe m p l e ,est la première du monde entièrement gérée par desf e m m e s , qui vivent dans huit villages alentour. E l l e ss’occupent des travaux d’aménagement du parc, f o n tdu maraîchage, gèrent des banques de céréales et dec o m bu s t i b l e s , animent un campement hôtelier, g u i-dent les touri s t e s.Au départ ,en 1987, elles ont acceptéde participer à la gestion du parc en collaboration ave cl ’ E t at , en échange de l’autori s ation de continuer d’ycueillir des plantes médicinales. Elles ont trava i l l épendant 10 ans sans demander un sou. P u i s , en 1997,un projet de 2,5 millions de FF sur trois ans fin a n c épar l’Union européenne et la Fo n d ation françaiseNicolas Hulot a permis de lancer des projets de déve-l o p p e m e n t .M a i n t e n a n t , ces femmes sont autonomes.Elles font la police dans la réserve , veillent à sa conser-vation et en tirent des revenus touri s t i q u e s.Pour un succès, il semble qu’il y ait beaucoupd ’ é c h e c s. Des voix s’élèvent pour réclamer la priva-tisation des zones pro t é g é e s. Qu’en pensez-vous?

Comment empêcher les privés «d’améliorer leurassiette» avant tout? Au To g o, la réserve de Fazao a étép ri vatisée en 1990. Du coup, les animaux sauva g e sont fait l’objet de transactions commerciales. C ’ e s tgr ave . Il n’existe pas d’altern at i ve à un part e n a ri atentre l’Etat , les organisations de conservation et lesp o p u l ations locales. En reva n c h e , il faudrait allerplus loin dans l’approche part i c i p at i ve . ■

Propos recueillis par Sophie Boukhari,journaliste au Courrier de l’UN E S C O.

1.Elles occupent les niches écologiques des espèces originelles et finissent par les faire disparaître.

2.Il existe aujourd’hui 368 réserves de biosphère dans 91 pays.

Aire centrale

Zone tampon

Aire de transition

Etablissements humains

Installation de rechercheou d’expérimentation

Surveillance continue

Education et formation

Tourisme et loisirs

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Zonage schématique d’une réserve de biosphère

La conservation signifie le développement autant que la protection.T h e o d o re Roosevelt,ancien président des Etats-Unis( 1 8 5 8 - 1 9 1 9 )

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 35

Pour des milliers de Londoniens, le jardin bota-nique royal de Kew, tout près de Londres,esttrès apprécié comme lieu de pique-nique. Il est

réputé pour sa palmeraie et sa pagode chinoise,sacollection de plantes inégalée et ses pelouses soi-gneusement manucurées.

L’originalité du jardin, lors de sa création auX V I I Ie s i è c l e , fut de combiner la culture d’une gr a n d eva riété d’espèces avec une esthétique du décor pay-

Ke w, temple de la conservation ex situ◗ David Dickson

A l’époque de l’Empire britannique, le jardin botanique de Kew allait jusqu’à «piller» la biodivers i t é . A u j o u rd ’ h u i , il veille à se protéger contre les accusations de biopira t e r i e.

◗ Journaliste scientifiquebritannique, rédacteur au magazineNature.

s a g e r , ce qui contrastait résolument avec la ri g u e u rformelle des autres collections botaniques.

Kew n’a rien perdu de son charm e . Les visiteursp e u vent se promener au milieu d’une multituded’arbres, d’arbustes et de fleurs du monde entier,dûment sélectionnés et étiquetés. Cela va du rho-dodendron de Chine aux palmiers tropicaux de laspectaculaire ve rrière victori e n n e , en passant par lesminuscules fle u rs alpines plantées dans une rocaille.

Le jardin a joué un rôle prestigieux au temps del’Empire bri t a n n i q u e .Au X I Xe s i è c l e , il faisait offic ede comptoir général pour les arbres et autres végé-taux découve rts dans une partie de l’Empire et quipouvaient être mis en culture,souvent avec profit,dans d’autres régi o n s. Ve rs la fin du X I Xe s i è c l e ,Kew recevait du monde entier plus de 2 500 sachetsde graines par an, et en exportait 3 500.Au pointque l’un de ses conservat e u rs nota que le jardin roya lavait «joliment pillé» la planète.

Rhododendrons chinois et fleurs alpines

A i n s i , c’est à l’initiat i ve de Kew que l’hévéad ’ A m é rique du Sud a été transplanté dans un env i-ronnement à fort rendement en Asie du Sud-Est.Moins discutable sans doute fut le transfert duq u i n q u i n a , dont on extrait la quinine, de ses A n d e sn atales ve rs les régions d’Asie ravagées par lamalaria. «Au milieu du XIXe siècle, de telles activitéstémoignaient de l’encouragement apporté par la super-puissance de l’époque à l’utilisation des ressources végé-tales, explique Peter Crane, le directeur de Kew.Aujourd’hui elles seraient considérées comme de la bio-piraterie pure et simple.»

Bien que la grandeur impériale de Kew ait prisfin avec l’effondrement de l’Empire au début du X Xe

siècle,le jardin a continué de jouer un rôle majeuren tant qu’institut de recherche, c o n s e rvant et clas-sant les plantes du monde entier. Mais ce n’estqu’au cours des dernières décennies que l’intérêtredoublé pour la biodiversité l’a de nouveau placésous les feux de la rampe, comme fer de lance de laconservation ex situ des végétaux.

Dans l’idéal, tous les organismes viva n t sdevraient être conservés dans leur habitat naturel,soit in situ. Mais dive rs fa c t e u rs , notamment lebesoin des scientifiques d’accéder aisément aumatériel de recherche et le fait que de nombreusese s p è c e s , végétales ou animales, sont menacées

Dans les fameuses serres tropicales du plus grand jardin botanique du monde.

La conservation dans le monde

36 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

d ’ e x t i n c t i o n , ont conduit au développement desprogrammes ex situ.

La preuve la plus évidente du nouveau rôle jouépar Kew est sans doute la Millenium Seed Bank, e nc o u rs de construction à Wa k e h u rst Place, u ndomaine de 200 hectares situé dans l’ouest duSussex. Une fois achevée, fin 2000, ce sera la plusgrande banque du monde consacrée à la conserva-tion des semences. Son objectif à long terme est decollecter et de conserver d’ici 2010 environ 10% dela flore mondiale (24 000 espèces),provenant sur-tout des zones arides.

La banque mettra les graines à la disposition deschercheurs et favorisera leur réintroduction dansleur espace nat u r e l .A i n s i , des graines de carambole,une petite fleur blanche qui a presque disparu deGrande-Bretagne, ont été collectées et stockées àWakehurst,et des échantillons envoyés à Kew, quia pris leurs empreintes génétiques. De nouveauxplants ont été obtenus à partir des graines et réin-troduits dans la nature.

Mauvaise réputation

Selon Roger Smith, directeur du départementde la conservation des semences de Kew, l’une desmissions de la banque est de concrétiser les enga-gements qu’a pris le Royaume-Uni en signant laC o nvention sur la dive rsité biologi q u e . Son objectifest d’aider les pays désireux de mettre rapidementen place leurs propres collections.

La convention exige de quiconque prélève desspécimens végétaux dans un pays, qu’il signe uncontrat stipulant les conditions de l’opération.Cedocument doit en particulier préciser quelle com-p e n s ation le pays d’ori gine de la plante peut espérerr e c e voir au cas où une application commerciale enserait tirée. Si l’application en question est bre-vetée, il peut par exemple obtenir un partage desroyalties.

Conscients de leur ancienne réputation de pilleursde biodive rs i t é , les chercheurs de Kew ont à cœur dese plier aux exigences de la conve n t i o n . Des accordssur la collecte et la conservation de spécimens par labanque de Wa k e h u rst ont déjà été conclus avec plu-s i e u rs pay s : M e x i q u e , A f rique du Sud, N a m i b i e ,M o z a m b i q u e , Ve n e z u e l a , M a r o c, E g y p t e , S y rie etL i b a n . Ils stipulent en général la création de deux col-lections parallèles: la première dans le pays d’ori gi n eet la seconde (la collection de secours) à Wa k e h u rs tPa r k , où elle reste accessible au pays d’ori gi n e .M a i sRoger Smith souligne que l’obligation de conclure desaccords peut freiner son trava i l . C’est le cas quandun pays ne dispose par d’un organisme offic i e l l e-ment habilité à fournir «un consentement préalable»à la collecte d’inform ations sur ses plantes, c o m m el’exige la conve n t i o n .

Par ailleurs , Kew met à profit ses connaissanceset son expérience pour contri buer à harm o n i s e rles procédures d’accès aux collections de graines etde gènes dans le monde entier. Suite à cette initia-tive,les représentants de 14 jardins botaniques de11 pays, réunis à Beijing en 1999, ont adopté une

Pour les mammifères, les oiseaux, les reptiles et lesamphibiens, la conservation ex situ s’opère en général

dans les parcs zoologiques. Quelque 500 000 animauxvivent dans des zoos à travers le monde. Certaines espèces,comme le condor de Californie, n’existent plus que là.D’autres espèces, comme le cheval de Przewalski et le cerfdu père David, doivent uniquement leur survie aux zoos. I l sy ont été maintenus quand ils avaient disparu de la nature,où l’on tente aujourd’hui de les réintroduire.

La conservation ex situ de la flore a lieu dans les jardinsbotaniques (pour les spécimens entiers) et dans les banquesde gènes et de semences. L’ONG Jardins botaniques Inter-national évalue à 1 500 le nombre de jardins botaniques àt ravers le monde, abritant au total 35 000 espèces, soit plusde 15% de la flore mondiale. Selon d’autres sources, cechiffre atteindrait même les 70 000 à 80 000 espèces.

La plupart des jardins botaniques se trouvent dans lespays industrialisés (les pays tropicaux n’en comptent que 230malgré leur plus grande diversité végétale). De nombreusesbanques de gènes et de semences sont souvent liées aux col-lections botaniques. D’autres appartiennent à des multinatio-n a l e s,qui les utilisent comme réserves de matière première pourl ’ é l a b o ration de nouveaux produits: 80 % des firmes créatricesde nouvelles variétés végétales possèdent leur propre banquede gènes.

Les départements universitaires et les instituts derecherche sont le troisième grand réservoir de spécimensvégétaux et de matériel génétique. Ils forment le Groupeconsultatif pour la recherche agricole internationale, f o n d é eà l’initiative de la Banque mondiale. ■

Guide des zoos du monde:w w w. m i n d s p r i n g. c o m / ~ z o o n e t / w w w _ v i r t u a l _ l i b / z o o s. h t m lListe complète des arboretums et jardins botaniques:www.helsinki.fi/botgard.html

série de règles fixant les modalités d’acquisition etde conservation des ressources génétiques, l’utili-s ation et la mise en circulation de ces ressources, e tla répartition des bénéfices découlant de leur exploi-tation.

Les nouvelles pri o rités du Kew sont bien diffé-rentes de celles qui fondaient son prestige il y aplus d’un siècle. «Nous redoutons par-dessus toutqu’on nous accuse d’être des biopirat e s, explique RogerSmith. Nous ne pouvons pas nié l’avoir été, mais cetemps est bel et bien révolu.» ■

+ …Jardin botanique royal et Millenium Seed Bank:www.rbgkew.org.ukDirectives communes concernant la gestion des jardinsbotaniques:www.rbg.ca/cbcn/cpg.index.html

La reconnaissance du fait que, dans le monde,les espèces sauvagessont irremplaçables,mais en voie de destruction rapide,peut seule nousamener à nous rendrecompte à temps qu’il faut, dansl’intérêt de l’humanité toutentière, réserver sur laTerre des zones oùl’expansion de l’hommecède le pas à laconservation des autresespèces.Julian Huxley,biologiste britannique, p re m i e rd i recteur général de l’UN E S C O

( 1 8 8 7 - 1 9 7 5 )

B i o d i v e rs i t é: l a v i e e n p a r t a g e

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 37

On a coutume de dire que la Convention sur lad i ve rsité biologique (CDB), adoptée lors duSommet de Rio en juin 1992, a représenté un

pas important ve rs une utilisation éthique et équitabledu viva n t .

Entrée en vigueur en décembre 1993, elle estaujourd’hui rat i fiée par 177 Etats – mais pas par lesE t at s - U n i s. Ce texte unique en son genre établit uncadre d’action mondial visant à assurer la préser-vation,l’utilisation durable et, fait notable, le par-tage équitable des bénéfices de la biodive rs i t é .P l u sprécisément, la CDB concerne la définition et lefinancement des politiques de conservat i o n ,l ’ a c c è saux ressources génétiques, les transferts du Nordve rs le Sud des technologies découlant de l’exploi-tation de ces ressources et le commerce des orga-nismes génétiquement modifiés (OGM).Elle recon-naît en particulier que les pays pauvres ne pourr o n ts’acquitter de leurs engagements de conserver labiodiversité que si les Etats développés leur four-nissent un accès aux biotechnologies et des finan-cements conséquents. La surexploitation de la bio-d i ve rsité est en effet inévitable si une pauvretéinacceptable continue à coexister avec des modes devie non durables, et si les moyens de subsistance desfamilles faisant pression sur les ressources ne sontpas renforcés.

La CDB a d’abord été un formidable outil des e n s i b i l i s at i o n . Hommes politiques, médias et gr a n dpublic savent désormais que puiser sans frein dansla matière vivante met en jeu la sécurité de l’hu-manité. De nombreux Etats ont d’ailleurs modifiéleur législation nationale pour créer ou consoliderdes mécanismes de gestion de la biodiversité. Letexte a également conforté l’idée qu’il fallait enp ri o rité préserver les espèces avec leurs habitat snaturels et associer les populations locales à leurgestion.

La convention a d’autre part conduit plus de 130Etats à adopter le 29 janvier 2000 à Montréal unProtocole sur la biosécuri t é ,a fin de réglementer leséchanges intern ationaux d’OGM. Les négociat i o n sont fait l’objet d’un bras de fer entre l’Union euro-péenne et le «groupe de Miami» (les plus gros pro-

ducteurs d’OGM menés par les Etats-Unis, l’Ar-gentine et le Canada). Selon le texte, un pays pourr as’opposer aux importations d’OGM jugés dange-reux pour l’environnement ou la santé en vertu duseul principe de précaution – c’est-à-dire sans for-cément disposer de preuves scientifiq u e s.To u t e f o i s ,la question de savoir si le protocole prévaut sur lesrègles de l’Organisation mondiale du commerce( l ’ O M C , qui n’a jamais reconnu le principe de pré-caution) n’a pas été tranchée.

La CDB a donc permis des avancées cert a i n e s.Cependant, le financement des projets de conser-vation n’est guère assuré. L’aide au déve l o p p e m e n tn’a fait que baisser depuis 1992. Quant au Fondspour l’environnement mondial chargé, entre autres,de gérer les financements intern ationaux pour la bio-d i ve rs i t é , il n’a reçu et redistri bué que deux milliardsde dollars en près de 10 ans.

Protéger les savoirstraditionnels

E n fin et surt o u t , peu d’efforts politiques ontété consentis pour assurer le partage équitable desbénéfices de la biodiversité.De nombreux pays duT i e rs-Monde continuent à dénoncer la «biopirat e ri e »du Nord,qui collecte leurs ressources biologiquesà des fins d’exploitation commerciale. Des mesuresdoivent en particulier être prises de toute urgencepour reconnaître et récompenser la contributioninestimable des familles autochtones et rurales à lap r é s e rvation et à l’amélioration des ressources géné-tiques de la planète.

Cette tâche requiert un aménagement desrègles de la propriété intellectuelle. Elles sontactuellement en cours de révision dans le cadre del’Accord sur les aspects des droits de propri é t éintellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC),qui réglemente par exemple les brevets dans ledomaine des biotechnologies et les nouvelles va ri é-tés de semences. Le régime en vigueur, fondé sur lap r o p riété individuelle et pri v é e , est en effet inapte àprotéger les connaissances collectives tradition-nelles des autochtones.

La communauté internationale devra ensuites’acquitter d’une tâche cru c i a l e : l ’ é l a b o r ation etl’adoption d’un protocole sur l’agr o b i o d i ve rs i t é ,qui réglementerait la protection des savoirs tradi-tionnels et les droits des agri c u l t e u rs sur les génomesvégétaux. ■

◗ Titulaire de la chaire UNESCO-Cousteau d’écotechnie, présidentde la M. S. Swaminathan Research Foundation (Chennai,Inde),auteur de I Predict: A Century of Hope – Harmony with Nature andFreedom from Hunger, East West Books Pvt. Ltd,Chennai,1999.

La naissance d ’ u n e éthique du vivant◗ M . S. S wa m i n a t h a n

La convention de Rio représente le premier effort important, à l’échelon international, p o u rp romouvoir un partage de la biodiversité mondiale fondé sur des principes d’équité sociale.

É T H I Q U E S

38 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

jour davantage dans les rapports que nouse n t r e t e n o n s , que cela nous plaise ou non,avec ce qui conditionne bien souvent notreexistence:l’argent.

Les notions de profit et de solidari t épourraient bien cesser de s’opposer pourd e venir complémentaires. «Nous nous ache-minons ve rs une éthique où le profit cesse d’êtreperçu comme un mal nécessaire à des fins égo-c e n t ri q u e s, et où la solidarité ne relève plusexclusivement des pouvoirs publics»,estime lej o u rnaliste espagnol Juan Pina, spécialisé enéconomie sociale. Les banques éthiquessont apparues il y a quelques années enEurope, au Japon et au Canada, en mêmetemps que les cartes de crédit qui permet-tent à leurs institutions émettrices et à leurs

■Les emplois et les salaires de milliersde personnes à trave rs le mondedépendent indirectement d’une cloche

q u i , tous les jours à 16 heures précises,sonne la clôture du Dow Jones, l’indice deréférence des principales va l e u rs de lab o u rse de New Yo r k . Par ordinat e u rs inter-p o s é s , près de 2 000 milliards de dollarss’échangent quotidiennement d’un conti-nent à l’autre, à une vitesse ve rt i gi n e u s e .L as p é c u l ation peut faire flancher n’import equelle devise ou presque. Rares sont lesplaces financières à l’abri d’un krach.C e p e n d a n t , la volonté de chacun de vivredans un monde meilleur se reflète chaque

utilisateurs de verser à la Croix-Rouge, àGreenpeace ou à Amnesty Intern at i o n a lune somme fixe ou un pourcentage minimesur les opérations effectuées avec elles. L e sbanques éthiques, e l l e s , cherchent àatteindre une rentabilité sociale plutôt quefinancière.

Services bancaires et causes justes

Fo n d a m e n t a l e m e n t , ces établissementstentent de démontrer que les sommes,i m p o rtantes ou non, que nous déposonstous les mois sur un compte d’épargne peu-vent aussi servir une cause juste, s a n srenoncer pour autant aux garanties habi-tuelles d’un service bancaire classique: s o l-

BA NQUES ÉT HIQUES: VOSVA L EURS NOUS IN T ÉRESSEN T◗ Lucia Iglesias Kuntz

Ces établissements ont les mêmes valeurs que leurs clients. Ils refusent d’investir dans les armes ou le tabac et prêtent à ceux auxquels les banques classiques refusent leurs deniers.

◗ Journaliste au Courrier de l’UNESCO.

Banques éthiques et commerce équitable (garantissant un prix juste aux producteurs) sont souvent liés.Ici, un magasin d’artisanat à Bristol (Angleterre).

É T H I Q U E S

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 39

va b i l i t é ,r e n d e m e n t , disponibilité des sommesdéposées et intérêts.Les slogans de cert a i n e sde ces banques sont explicites. «Le meilleurintérêt est l’intérêt généra l» , lance la BancaEtica Italiana.Au Roya u m e - U n i , la Coope-r at i ve Bank interpelle directement ses clientsp o t e n t i e l s : «S o u h a i t e z - vous continuer de fe rm e rles yeux sur ce qu’on fait avec votre argent ou pré-f é r e z - vous appliquer vos pri n c i p e s ?» . La CitizenBank japonaise affirme pour sa part qu’elle«p ri v i l é gie d’autres va l e u rs que la croissanceéconomique et l’effic a c i t é» .

Le concept général de «finance éthique»est né aux Etats-Unis dans les années 20.Après avoir considéré la bourse comme unobscur jeu de hasard, l’Eglise méthodiste sedécida à y inve s t i r , mais en veillant de près àce que son argent ne profite pas à des fa b ri-

cants d’alcool ou à des entreprises «dévoy é e s » .Il a toutefois fallu attendre les années 60pour qu’apparaisse la notion d’«inve s t i s s e-ment socialement responsable». En pleineg u e rre du V i e t n a m , des groupes de citoye n sdécidèrent de boycotter l’entreprise qui pro-duisait le napalm, ce gaz que l’armée amé-ricaine répandait dans la jungle vietna-m i e n n e , affectant des populations entières.

A compter de cet événement, des fon-d ations et des unive rsités se sont intéresséesde plus près à la destination de leurs pla-cements. Aujourd’hui,la notion d’éthiqueest attachée à bon nombre de produits ban-c a i r e s. Les «fonds éthiques» d’inve s t i s s e-ments suivent à la loupe la vie des entre-prises dont ils acquièrent les actions:ils sed é b a rrassent notamment de celles qui n’ap-pliquent pas une politique sociale et salari a l ec o rr e c t e .Des banques proposent par ailleursdes comptes courants un peu moins bienrémunérés qu’ailleurs , mais elles s’enga-gent, en contrepartie, à investir une partiede leurs bénéfices dans des projets de coopé-ration ou d’aide au développement.

C e rtains établissements fonctionnent

comme n’importe quelle autre banque,avec des succurs a l e s , des guichets automa-tiques et des chéquiers. D’autres s’appa-rentent plus à des mutuelles ou à des coopé-r at i ves de crédit, à l’instar de la NE F

( N o u velle économie frat e rnelle) en Franceq u i , depuis 1988, ne finance que des projetsdans les domaines de la pédagogie, de lasanté ou de l’agriculture biologi q u e .E n fin ,certains acteurs «éthiques» se concentrentsur le cyberespace.

C’est notamment le cas de la BancaEtica Unive rsale en Italie. Lancée à Pa d o u een 1999, elle a aujourd’hui des succurs a l e sà Brescia, M i l a n , R o m e , Florence etModène. Avec les 4,5 millions de dollarsqu’il a réunis, son président, Fabio Sal-viato, a financé 250 projets en Italie et à

Quelque 2 000 personnes morales et1 0 000 personnes physiques y ont placél e u rs économies. Pa rmi eux, L o ris Rinaldo,ingénieur spécialisé dans les questions d’en-vironnement, explique son choix: «Je suisc o nvaincu que l’économie contrôle le mondebeaucoup plus que la politique. Je ne suis pasd’accord avec les pratiques des banques dont lesinvestissements ne répondent qu’à un seul cri-tère:ne prêter qu’aux riches ou n’investir quedans les entreprises qui rapportent le plus. Jepense qu’il faut prêter de l’argent à ceux qui fo n tdes choses justes, même si elles ne sont pas for-cément rentables». Les banques éthiques,a j o u t e - t - i l , «sont une réponse concrète à l’aspectle plus critiquable de notre système économique:la recherche du profit m a x i m u m .C’est le débu td’une véritable révolution qui part de la base,

l’étranger. «Notre vocation est de défendre lesp a u v r e s, d i t - i l . Dans le Ti e rs - M o n d e , m a i saussi en Italie,où environ sept millions de per-sonnes vivent en dessous du seuil de pauvreté» .Sa banque s’est spécialisée dans quat r echamps d’activités: le secteur coopérat i f(4 000 entreprises en Italie), le bénévolat,l ’ e nvironnement et la coopération intern a-t i o n a l e . «Nous finançons surtout des ONGqui ont lancé des projets de micro-crédits enAlbanie et en Macédoine, a j o u t e - t - i l . Au Gua-t e m a l a ,nous avons participé à la création d’unepetite banque populaire dans la région de Chajul.On y produit du café vendu à des interm é d i a i r e squi pratiquent un commerce équitable» , g a r a n-tissant des prix stables aux producteurs.

Une volonté citoyenne de vivredans un monde meilleur

«Dans notre banque, p o u rsuit Fabio Sal-v i at o, la rémunération des comptes d’épargne esté gale au taux d’inflation italien qui oscilleaujourd’hui entre 2 et 2,5%.Pour les comptescourants, les intérêts sont de 1%,ce qui est unpeu inférieur au marché. Mais chez nous, lesf rais de gestion sont beaucoup moins élevés quedans une banque classique» . Telles sont lesconditions que la Banca Etica Unive rs a loffre aux milliers de bénévoles d’associat i o n sou d’ONG qui ont permis sa création en luifaisant confiance.

de chacun de nous, et qui démontre qu’il est pos-sible de bâtir une économie fondée sur d’autresvaleurs, sur la solidarité,la protection de l’en-v i r o n n e m e n t , la paix, le respect de la margi n a-l i t é . En somme, une économie recentrée surl’homme».

Tout le monde ne partage pas sone n t h o u s i a s m e . Dans le forum de discus-sion ouve rt sur Internet par la CitizensBank du Canada,on peut lire: «Bravo pourl’intelligence de votre campagne de marketing(…) mais les préoccupations éthiques d’unebanque ne m’intéressent pas ( … ) . Je préférera i sque vous vous efforciez d’améliorer vos ser-vices à la clientèle,à un moindre coût».

Une question s’impose: et si les place-ments éthiques,qui doivent leur existenceà une volonté citoyenne de vivre dans unmonde meilleur, n’étaient qu’une va s t ecampagne publicitaire des banques clas-siques pour améliorer leur image et capterl’épargne d’une nouvelle clientèle? GuyH o o k e r , directeur de la Ethical Inve s t m e n tC o o p e r at i ve du Roya u m e - U n i , estime que«les gens choisissent des investissements ou desbanques éthiques parce qu’ils se sont collective-ment rendu compte du pouvoir de leur argent etqu’ils veulent aussi obtenir un meilleur ser-vice». Ils voient par ailleurs, estime-t-il, unlien direct entre leurs va l e u rs et la politiquede ces banques.

Chaque fois qu’ils utilisent ces cartes de crédit, les clients de la Citizens Bank du Canada versent un petitmontant d’argent à Oxfam (lutte contre la pauvreté) ou à Amnesty International (défense des droits humains).

«Je suis convaincu quel’économie contrôle le mondebeaucoup plus que la politique.Je ne suis pas d’accord avec les pratiques des banques dont les investissements ne répondent qu’à un seulcritère: ne prêter qu’aux richesou n’investir que dans les entreprises qui ra p p o r t e n tle plus»

É T H I Q U E S

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Reste que la notion de morale n’a pas lemême sens pour tous. C e rtains trouve r a i e n ta b e rrant que leur banque finance des mar-chands d’armes mais ne trouveraient rien àredire si celle-ci prêtait des fonds à l’industri edu tabac ou à certains partis politiques.D’autres préfèreraient que leur banque inve s-tisse dans des programmes d’alphabétisat i o navant de songer à sauver les baleines ou àgarantir un juste prix aux producteurs deb a n a n e s.Conscients de ces dive r g e n c e s ,c e r-tains établissements, comme la Triodos Bank(fondée aux Pays-Bas en 1980 et disposant defiliales en Belgique et au Roya u m e - U n i ) ,offrent à leurs clients la possibilité d’ori e n t e rl e u rs investissements ve rs des secteurs part i-c u l i e rs , de l’agriculture organique au Nord àl ’ é n e r gie solaire dans le Sud. «Nous ne sommespas un Mc Donald qui offre les mêmes menus danstous les pay s, explique Thomas Steiner, r e s-ponsable de cette banque.En Belgi q u e ,nos pro-duits mettent plutôt l’accent sur l’économie socialea l o rs qu’au Roya u m e - U n i , nous nous intéres-sons de près aux associations cari t at i ve s. A u xPay s - B a s,notre principal centre d’intérêt est la pro-tection de l’env i r o n n e m e n t.»

Critères positifset facteurs excluant

Les entreprises destinataires des prêts oudes investissements de la banque néerlan-daise doivent répondre à des critères précis,dits «positifs». «Il faut qu’elles exercent leursactivités dans les secteurs de l’environnement,de l’économie sociale,de la culture,de la coopé-ration pour le développement ou qu’elles agis-sent avec des ONG,p o u rsuit Thomas Steiner.Nous gérons aussi un fonds d’investissements,placé en bourse suivant des critères que nousappelons négatifs, c’est-à-dire que nous n’in-

vestissons que dans des entreprises qui n’ontaucun lien avec l’énergie nucléaire, les armes oule tabac.» Vingt ans après sa créat i o n ,Tri o d o sBank a plus de 40 000 épargnants et compte4 000 actionnaires.

Ces banques éthiques considèrent queleur souci de transparence est un véri t a b l eat o u t . Dans un pays dont la loi protège lesecret bancaire, la Banque altern at i ve suisse( BA S) , publie tous les ans les noms des per-sonnes et des entreprises à qui elle accorde descrédits ainsi que les sommes allouées. L aCitizens Bank, p r o p riété de la Va n c o u ver CityS avings Credit Union, l’établissement decrédit le plus important du Canada,va encoreplus loin: elle invite sa clientèle à désigner lesprojets qui méritent d’être aidés, à trave rsson «programme d’intérêts part a g é s » . L e ssuggestions recueillies sont classées en quat r egroupes selon le secteur d’activité qu’ellesr e c o u v r e n t . Les clients sont ensuite invités àvoter pour le projet jugé digne de la moitié desf o n d s , puis ceux qui en mériteront respecti-vement 25, 15 et 10%. L’argent est ainsir é p a rti en fonction des résultats du scru t i n .

En 1999, les clients de la Citizens Bankont ainsi décidé d’allouer 17 700 dollars àl ’ O r g a n i s ation catholique canadienne pour led é veloppement et la paix, qui lutte contre lapauvreté et l’injustice dans le monde, à tra-ve rs ses missions présentes dans plus de 50p ay s. Le deuxième lauréat , Frontier Col-l e g e , une association d’unive rsitaires béné-voles engagés dans des programmes d’al-p h a b é t i s at i o n , a reçu 9 000 dollars. «Tout leprocessus est suivi par un comité composé ded i ri geants d’ONG,de clients et de membres dup e rsonnel de la banque», explique Gillian Dus-t i n g, d i r e c t rice de la communicat i o n .C i t i z e n sBank s’efforce par ailleurs de répondre dans

les 24 heures à toute question sur son enga-gement éthique, adressée par courrier élec-t r o n i q u e . E n fin , la banque anime sur sonsite Web un forum de discussion sur lesi nvestissements éthiques.Après trois annéesd ’ e xe r c i c e , elle a réuni 680 millions de dol-l a rs de dépôts et a dégagé trois millions ded o l l a rs de bénéfices avant impôts en 1998.

Prêts et formations commerciales adéquates

Le poids des banques éthiques dans lep aysage économique mondial est encore rela-t i vement fa i b l e , même s’il tend à augmenterd’année en année. Selon les chiffres publiéspar le Service de recherche sur l’économieéthique (EI R I S) , les sommes totales inve s t i e sdans les fonds d’investissements éthiques auR oyaume-Uni sont passées de 3,3 à 4,1 mil-liards de dollars entre janvier 1999 et janv i e r2 0 0 0 .De son côté, l’OCDE (Organisation dec o o p é r ation et de développement écono-miques) reconnaît, dans l’un de ses rapport s ,«le succès relat i f» des banques éthiques maisajoute «qu’elles sont encore loin de contri buer àm o d i fier l’attitude des institutions bancaires t ra-d i t i o n n e l l e s » . Pour l’OCDE,le principal intérêtdes fonds d’investissements de ce type estd ’ o f f rir aux entreprises à vo c ation sociale «u n ea l t e rn at i ve au problème de l’accès au crédit» .D avid Pe rry, directeur du Centre Markkulad’éthique appliquée de l’Unive rsité de SantaClara en Californ i e , estime d’ailleurs que «c e sétablissements sont l’unique moyen d’accéder aucrédit pour quantités de pers o n n e s,s u rtout si ellesn’ont pas de passé bancaire ni de cautions solides.Et souve n t ,ils proposent aussi,avec leurs prêts,d e sfo rm ations commerciales susceptibles d’aider gra n-dement les empru n t e u rs qui ne connaissent rien aumonde des affa i r e s» .

Quant à l’avenir de ces systèmes, G i o-vanni A c q u at t i , président de la coopérat i vefinancière milanaise MAG 2, pense qu’il«d é p e n d ra moins de l’implication d’institutionscomme la Banque mondiale ou la Commissioneuropéenne que de la fo r c e , du coura ge et de lad é t e rm i n ation mis pour convaincre un à un lesgens de modifier leurs attitudes et habitudes.Celui qui œuvre depuis plus de 20 ans pourla promotion des fonds d’inve s t i s s e m e n téthiques en Italie conclut: «Il faut beaucoup tra-vailler et surtout ne pas désespérer. M o i , je n’aijamais perdu espoir» . ■

+ …Citizens Bank du Canada:www.citizensbank.ca/Triodos Bank: www.triodos.nl/[Banca Etica Universale. Piazzetta Forzatè 235137 Padoue, Italie (www.bancaetica.com).Banque Alternative Suisse: http://www.bas-info.ch/

La banque éthique néerlandaise Triodos Bank soutient aussi les campagnes contre le sida.Ci-dessous: à Anvers (Belgique) en décembre 1999.

S I G N E S D E S T E M P S

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 41

■C’est un monde fa n t a s m a g o ri q u e .L o rsque le voyageur découvre A n g k o rau X I Xe s i è c l e , il est saisi par la gr a n-

d e u r , le mystère de ces temples aux «fig u r e sa é riennes que la forêt étouffe et broie» , selon lest e rmes de l’écri vain français Guy de Po u r-t a l è s. «J’ai devant moi, p o u rs u i t - i l , non seule-ment une capitale vide, mais 700 années sansa n n a l e s.Et le plus terrible prodige de la mort :l es i l e n c e» . Ce silence qui a saisi Angkor lors deson abandon au xve siècle semblait alorsi m m u a b l e . Impression trompeuse.

Ce grand squelette de pierr e ,qui constitueun site archéologique fa bu l e u x , est un lieuv i va n t ,à la fois domaine des divinités et cité desh o m m e s , où les faits et gestes quotidiens s’im-prègnent des coutumes de temps prestigi e u x .

Le récit de Tcheou Ta-kouanEntre le I Xe et le X I Ve s i è c l e ,A n g k o r , l a

capitale du royaume du Cambodge se fixeentre les monts Kulen et le grand lac To n l é .A son apogée, le royaume comprend unep a rtie de la T h a ï l a n d e , du Laos et du V i e t n a ma c t u e l s.Au fil des siècles, les rois qui prat i q u e n tdes religions venues de l’Inde (hindouisme etbouddhisme) érigent des temples monu-mentaux en pierre où ils honorent leurs dieux.Ils construisent aussi un système hy d r a u l i q u ec o m p l e xe comprenant de gigantesques réser-vo i rs d’eau, un b a ray associé à un réseau dec a n a u x , de digues et de douve s1.

Des splendeurs présumées d’Angkor,u n eseule description nous est parve n u e . Il s’agi tdu récit du Chinois Tcheou Ta - k o u a n2,a rri v é

en août 1296 dans le sillage d’une missiond i p l o m at i q u e .Son écriture très vivante a saisides anecdotes de la vie quotidienne et lescoutumes des habitants d’Angkor. Il raconteque toutes les nuits dans une tour en or, le roidoit s’unir avec un serpent à neuf têtes, q u iprend l’apparence d’une femme. Au palais,les dames «blanches comme du jade» port e n tchignon et ont la poitrine nue. A l’opposé,les habitants sont décrits comme «gr o s s i e rs,n o i rs et très laids» . Les nobles se promènentdans des palanquins d’or et sont vêtus deriches étoffes dont les dessins indiquent leurr a n g . L e u rs maisons sont recouve rtes deplomb et de tuiles, a l o rs que le «commun dupeuple ne couvre qu’en chaume» . L’ a gri c u l t u r eest pratiquée sur les ri ves du grand lac To n l é .

A la chute d’Angkor, vaincue et pillée

par les Siamois en 1432, le roi et sa courquittent le lieu déva s t é . La forêt prendpossession des ruines. Les édifices en bois,les écrits sur feuilles de latanier et peauxgr attées disparaissent, victimes des assautsdu climat humide et des insectes.

E n t r e p rise dès la fin du X I Xe s i è c l e , la lec-ture des inscriptions et des scènes repré-sentées sur les bas-reliefs sculptés dans lap i e rre des temples apporte des élémentsprécieux permettant d’établir des chrono-logies historiques, de visualiser des imagesmythologiques, des batailles ainsi que desscènes de la vie quotidienne: c h a s s e ,p ê c h e ,marché,habitat.

A u j o u r d ’ h u i , dans les villages, cette vies’organise de la même façon qu’elle fut fig é edans la pierre à l’époque.La charrette en bois

◗ Ethnologue française qui travaille depuis sept ans àAngkor (Cambodge).

1 . Les fonctions précises de ces ouvrages hy d r a u l i q u e ssont débattues par les spécialistes. On retient lafonction d’irri g ation ainsi que la fonction symboliquede l’eau dans le cadre d’une conception architecturalecosmogonique (les temples sont la représentation surt e rre de la cité des dieux ceinturée par des océans). E ngrande partie asséché ou comblé aujourd’hui, c esystème d’irri g ation n’est plus opérationnel excepté leb a r ay occidental qui, suite à des travaux der é h a b i l i t at i o n , alimente aujourd’hui encore quelquesrizières de saison sèche situées en ava l .2 . Pelliot Pa u l , Mémoires sur les coutumes duC a m b o d ge de Tcheou Ta - k u a n, L i b r a i rie d’Améri q u eet d’Ori e n t , Pa ri s ,1 9 6 1 .

T RA MES SÉ CULA IRES À ANGKOR◗ Fabienne Luco

Autour de l’ancienne capitale du royaume du Cambodge, la vie s’organise encore comme au XIVe siècle. Mais, autant que les monuments, les savoirs ancestraux sont à protéger.

Angkor Vat: entre passé et présent.

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tance et la localisation des villages anciens.Les quelques récents écrits locaux ont dis-p a ru dans la tourmente khmère rouge. L e smissions d’exploration françaises3 de la findu X I Xe siècle ont accordé plus d’intérêtaux temples qu’aux habitants de l’époque.Seuls cinq à six villages semblent avoir étér e l e v é s. Il s’agissait de groupes de deux à dixmaisons installées sur des tertres au cœur dela forêt.

Les populations locales se considèrent-elles comme les héritières de la traditiond’Angkor? L’étude de l’histoire de ceshommes s’avère être un exercice diffic i l e :l amémoire villageoise ne remonte guère au-delà de deux ou trois générat i o n s. Q u e l q u e sbribes d’histoires anciennes nous parvien-nent oralement sans qu’on puisse établiravec certitude ce qui relève du réel ou del’imaginaire,de l’Histoire ou de son inter-prétation.La construction des temples estsituée dans un temps mythique où évo-luent des personnages mi-divins, m i -h u m a i n s. Pour les villageois, ces monu-ments si imposants ne peuvent être quel’œuvre de divinités ou de personnes ve n u e sd’ailleurs, avec une connaissance de l’ar-chitecture et de la sculpture qui dépasseleurs compétences actuelles.

La légende de la fondation du templed’Angkor Vat raconte ainsi l’histoire dePreah Ket Melea, fils du roi de l’étagecéleste et d’une femme de conditionh u m a i n e : les divinités célestes se disentgênées par l’odeur d’homme de Preah KetMelea et demandent à son père le roi de lefaire redescendre à l’étage des hommes. L eroi doit s’incliner. Il propose alors à sonfils de choisir un bâtiment de l’étage célesteafin d’en construire la réplique sur Terreavec l’aide de Preah Visnukar, l’architectecéleste que les villageois invoquent encorel o rs de la construction d’un édifice.

qu’on entend grincer au détour d’une routeest identique à celle du bas-relief. La mar-chande assoupie devant son étal au marchéde Siem Reap, la capitale provinciale (75 0 0 0habitants) située à sept kilomètres d’Angkor,se repose dans la même posture que sa loin-taine ancêtre saisie par un sculpteur. Sur lebassin du Srah Srang, situé au cœur du siteet bordé par deux villages, le pêcheur quilance son filet circulaire reproduit le mêmegeste qu’à l’époque angkori e n n e .

Loin d’être un simple site-musée,Angkor abrite une vie religieuse et rurale quis’organise dans et autour des temples. Al ’ i n t é rieur des sanctuaires effondrés ou dansles pagodes bouddhiques construites plusr é c e m m e n t , la fumée de l’encens montedevant les statues des dieux anciens et duBouddha. Au seuil d’un temple ou sur unamas de pierres disjointes, le regard se posesur des cigarettes, feuilles de bétel rouléeset bougies déposées par une main ano-nyme. Il s’agit d’offrandes à l’un des mul-tiples neakta, ces génies fonciers qui habi-tent souvent les statues d’Angkor.

L’œuvre de divinités Ainsi,le génie Ta Pech occupe une ter-

mitière géante dans le pavillon sud de la pre-mière enceinte d’Angkor Vat. Il est réputém a l é fiq u e . Un moine rapport e : «Les ge n sdisent que quand un avion survole Angkor, ildoit tourner trois fois autour de Ta Pech;sinonil risque de sombrer dans le lac.Si on donne duvin et des cigarettes à Ta Pe c h , il peut aussilivrer les chiffres gagnants de la loterie».

D’autres traces de l’activité humainese lisent dans le paysage actuel. Derrièrel’écran végétal qui enserre nombre det e m p l e s , on remarque le quadrillage desrizières toutes proches. Pas toujours visibledepuis les circuits touri s t i q u e s , une vingtainede villages se devinent derrière les bosquetsde palmiers à sucre. Ils comptent environ 22000 personnes sur un périmètre de 300kilomètres carr é s. Cette concentrat i o nhumaine sur un site archéologique s’ex-plique autant par la config u r ation du terr a i nque par l’attrait économique suscité par lestemples.

Les conditions topographiques sont eneffet propices à l’implantation de l’habitata c t u e l . Les hommes du passé avaient fort e-ment marqué le sol en façonnant des réseauxde routes-digues qui sont autant de tracesd’une gestion permanente de l’eau. L e sempreintes et vestiges de ces travaux d’am-pleur modèlent encore la plaine.

On ne peut éviter de se poser la questionde l’ancienneté d’occupation des lieux parles populations actuelles et de leur lien ave cAngkor. Nous ne disposons malheureuse-ment que de maigres données sur l’impor-

M o d e s t e , Preah Ket Melea choisit l’étable.Un bœuf est lâché dans la plaine d’Angkoret l’endroit où il s’allonge est désigné pourla construction du temple d’Angkor Vat.

La cité hydraulique a vécuDu passé vécu et transmis oralement, l e s

villageois évoquent surtout les guerr e s ,assorties de razzias et de déplacements dep o p u l at i o n s , contre les Siamois et lesC h a m s , un peuple venu du Champa,r oyaume disparu qui était situé dans lecentre du Vietnam actuel. «Nous, les Cam-b o d gi e n s,on a l’habitude des guerr e s.Quand onregarde les bas-reliefs, on voit de nombreusesscènes de batailles du temps d’Angkor.D e p u i s,on n’a pas arrêté de reproduire ces images»,commente un pay s a n . Ces événements ren-voient à des temps lointains appelés boran( a n c i e n , en khmer), ou m u oy roy chnam(100 ans), sans qu’on puisse les situer ave cprécision,comme l’illustre cette remarqued’un villageois: «Mon père dit que, quand il estn é , les temples étaient déjà là.Ils doivent être trèsvieux».

D’une manière générale, les popula-tions locales conçoivent difficilement qu’ilpuisse exister un lien entre elles et les bâtis-seurs d’Angkor. Dans un village situé aunord d’Angkor T h o m , on signale cepen-dant des familles qui se disent liées auxrois d’Angkor. Au début du siècle, e l l e shabitaient encore au pied du palais royal,dans de petites masures en bois. Suite auxtravaux de restauration des temples entre-p ris par les Français, elles durent se déplacerve rs le Nord. L e u rs conditions de vieactuelles ne diffèrent pas de celles de leursvoisins, mais on leur accorde une certaineforme de reconnaissance.

A u j o u r d ’ h u i , la cité hydraulique ang-k o rienne a vécu et les paysans ne comptentplus que sur la pluie pour alimenter en eaul e u rs ri z i è r e s , qui restent leur pri n c i p a l eressource économique. Le manque d’irri-g ation et la mauvaise qualité des terr e sa r gilo-sableuses ne permettent qu’unem a i gre récolte par an (moins d’une tonne àl’hectare). Des activités complémentairessont nécessaires comme la pêche, le maraî-c h a g e , la fa b ri c ation et la production desucre de palme, la vente d’objets d’art i-s a n at aux touri s t e s , ainsi que le travail salari ésur les chantiers de restauration des temples.On relève également l’émergence de métierstechniques tels que réparat e u rs de motos, d eradios et télévisions, c h a r g e u rs de bat t e-ries, etc.

Angkor est donc un lieu qui génère dut r avail pour la population locale. Avec lareconnaissance de la valeur historique eta rtistique des temples à la fin du X I Xe par lesmissions d’exploration françaises, les pierr e s

3 . H e n ri Mouhot, Voya ge dans les royaumes de Siam,de Cambodge et de Laos, Bibliothèque rose illustrée,Pa ri s ,1 8 6 8 .

ANGKOR

Phnom Penh

0 100 km

ThaïlandeLaos

Vietnam

Golfe du Siam

Tonle Sap

Mer de Chine

méridionale

Siem Reap

S I G N E S D E S T E M P S

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 43

un peu oubliées dans la forêt ont pu revoir lejour lors des premiers travaux de débrous-saillement et de restauration entrepris dès1907 par la Conservation d’Angkor (anciensiège des archéologues français et actuel lieud’entreposage des sculptures). Les quelquesvillageois qui habitaient sur place étaientr e c rutés pour travailler comme «coolies» surles chantiers.A la fin des années 60, plus de1 000 ouvri e rs travaillaient sur le site.

Le patrimoine immatériel

Avant la guerre qui suivit le coup d’Etatcontre le prince Norodom Sihanouk enmars 1970,une petite production d’objetsd ’ a rt i s a n at en bois avait débu t é : i n s t ru-ments de musique (flû t e s , violons) et autres( c h a rrettes à bœufs en modèle réduit, c o u-t e a u x , haches et cannes ouvragées). L afa b ri c ation et la vente de ces objets ontr e p ris avec le retour des touristes à partir dudébut des années 90.En 1999,on estimaitle nombre de visiteurs à 350 000 et cechiffre devrait tripler d’ici 2005.

Les habitants du site pénètrent très peudans les temples, même s’ils sont proches deleur maison. «Nous ne sommes que des pay-sans. J’ai entendu mon grand-père dire qu’àl’époque d’Angkor, les gens de ma conditionn’étaient pas admis à l’intérieur de l’enceintemurée de la capitale Angkor T h o m, raconte unv i l l a g e o i s.Seules les personnes de noble condi-t i o n , les fonctionnaires et les commerçants

avaient le droit d’y pénétrer. C’était la mêmechose pour les temples, seuls les religieux et lesdignitaires y avaient accès.»

Réminiscences d’une époque révolue?Aujourd’hui, les rituels religieux dans lestemples sont surtout pratiqués par desmaîtres de cérémonie, qui viennent yhonorer les n e a k t a. La population prat i q u ele culte de ces génies plutôt dans les villages,en ayant recours à un médium dans lequels ’ i n c a rnent ces êtres surn at u r e l s. L e smarques de dévotion devant les statues dutemple d’Angkor Vat sont davantage le faitde touristes nationaux venus d’autres pro-vinces ou d’étrangers asiatiques pour quiAngkor est aussi la destination d’un pèleri-nage religi e u x . L’activité religieuse locale seconcentre également dans des pagodesbouddhiques plus récentes. Pa rt i c u l i è r e-ment nombreuses dans l’enceinte d’AngkorT h o m , celles-ci sont construites à prox i-mité immédiate des temples: une fa ç o nd’honorer les nouvelles divinités à l’ombredes anciennes. Ainsi la trame angkorienneest-elle toujours perceptible dans la viequotidienne de la population locale.

A l o rs que la paix s’installe et que le sites’apprête à connaître un déve l o p p e m e n tt o u ristique majeur, les habitants d’Angkord o i vent désormais relever de nouveaux défiset gérer des équilibres fragi l e s. L’ e x t e n s i o ndes villages le long des routes-digues s’ac-célère et l’habitat , autrefois dispers é , e s td e venu relat i vement dense dans cert a i n s

villages. C’est une conséquence directe del’accroissement de la population, dans unpays où la fin de la période khmère rouge(1975-1979) a été suivie d’une explosiondémographique: aujourd’hui, une famillemoyenne compte cinq enfants et un Cam-bodgien sur deux a moins de 16 ans.

Les rizières gagnent du terrain sur laplaine arbu s t i ve . Des décrets royaux ve i l l e n tà la protection du site d’Angkor: ils limitentl’extension des terres de culture et la coupedu petit bois de chauffe. Les activités secon-daires traditionnelles, comme la fa b ri c at i o ndu sucre de palme et du charbon de bois, n esont presque plus prat i q u é e s.A A n g k o r ,u n eé q u ation à multiples fa c t e u rs doit être posée.Elle comporte la préservation des temples(notamment du pillage), la protection del ’ e nv i r o n n e m e n t , la démographie galopanteet le développement touri s t i q u e .

La perte des va l e u rs traditionnelles,a c c é-lérée par une ouve rture trop rapide ve rs l’ex-t é ri e u r , est un autre sujet de préoccupat i o n .Le fil de la transmission orale s’est détéri o r épendant la période khmère rouge et cert a i n e sp r atiques anciennes n’ont pu être reconsti-t u é e s.La télévision, qui est maintenant danstous les villages, accélère ce processus ded é c u l t u r at i o n . Au même titre que la défensedu pat rimoine monumental d’Angkor, il seraitsouhaitable de songer à sauvegarder son pat ri-moine immat é ri e l : les contes, les légendes, l e st o p o ny m e s ,que les habitants des lieux sont lesseuls à connaître. ■

Bonze en moto-taxi devant la terrasse des Eléphants du temple du Baphuon à Angkor Thom.

C O N N E X I O N S

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t a l e s. «Il devenait urgent de créer une autretélévision qui aborderait les questions sociales etc u l t u r e l l e s, s u rtout pour les jeunes, bombardés deva riétés occidentales» , estime Hilmy A h a m e d .

Lors d’un colloque de producteurs detélévision de l’Asie du Sud en 1989, l’idéeest née de créer un réseau axé sur l’envi-r o n n e m e n t , le développement et la culture,inexistant en Asie jusqu’alors. La suggestiona été encouragée par l’UN E S C O. Mais leprojet n’a pris forme qu’en 1992, a uSommet de la Te rre de Rio, où le forum desONG a mandaté la WI F, f o rte de son expé-rience dans la communication sur les pro-blèmes de développement en Asie depuis1 9 8 0 .C e l l e - c i , financée en grande partie pardes organismes d’aide norv é giens et suédois,a créé la station à Colombo, où elle possèdeun centre de form ation des journ a l i s t e s.Pour la WI F, l’Asie était de toute évidence lecontinent où proposer une chaîne d’ungenre nouveau. La moitié de ses quelquetrois milliards d’habitants a moins de 24 a n set la télévision joue pour eux un rôle capital.Le réseau YATV a été lancé avec un inves-tissement initial d’environ 18 millions de

dollars. C’est une entreprise commercialedont 51% des parts sont détenues par laWIF, et 49% par des investisseurs privés,essentiellement des multinationales.

YATV a commencé à produire des émis-sions d’une heure par semaine, p ri n c i p a l e-ment consacrées aux questions de déve-l o p p e m e n t , à partir d’inform ations fourn i e spar les Nations unies et les ONG. En 1996,le réseau est passé à sept émissions d’unedemi-heure par jour, en dive rs i fiant sess u j e t s.A u j o u r d ’ h u i ,YATV diffuse une quin-zaine d’heures d’émissions par semaine surdes chaînes hertziennes,câblées ou satelli-taires, comme Doordashan Metro (DD2)en Inde,PTV World au Pakistan,NTV auNépal, RTM en Malaisie,Ten Network auB a n g l a d e s h , ITV et Channel 5 en T h a ï-lande,et VTV 2 au Vietnam.

En dépit de cette bonne couve rture géo-gr a p h i q u e , les producteurs de YATV recon-naissent qu’ils n’ont pas encore conquisun public énorm e . Ce qui sera difficile tantqu’ils n’auront pas leur propre chaîne. S e l o nde récents sondages, 3 0 millions d’Asia-tiques regardent les émissions du réseau,q u i

■Au premier abord,on pourrait se croiredans une école de journalisme ou sur uncampus unive rs i t a i r e .Au siège du réseau

YATV (Young Asia Television Network) àC o l o m b o, capitale du Sri Lanka, salles derédaction et studios fourmillent de jeunesgens aux allures décontractées. On pourr a i tprendre YATV pour une de ces innombrableschaînes de télévision vouées au dive rt i s s e-m e n t ,dans le vaste unive rs en expansion desmédias électroniques asiat i q u e s.

Erreur. Cette jeune équipe prépare desémissions récréatives reflétant les valeurssociales et culturelles de l’Asie, qui traitentaussi de développement durable et de ques-tions env i r o n n e m e n t a l e s. «YATV est unréseau de télévision pour les jeunes Asiatiques.Nos mots-clés sont détente-info et détente-édu-c at i o n : l ’ é d u c ation et l’info rm ation passentaussi par le divertissement», explique HilmyAhamed, directeur de la station. Créé en1995 par la fondation Worldview Interna-tional (WI F)1 et par des inve s t i s s e u rs pri v é s ,YATV produit des programmes diffuséspar des télévisions du Sri Lanka, de l’Inde,du Pakistan, du Népal,du Bangladesh, dela Thaïlande,du Laos,de la Malaisie et duVietnam notamment.

L’explosion des chaînes par sat e l l i t e ,a udébut des années 90, a créé de nouveauxdébouchés pour les sociétés de productionvisant un public asiat i q u e . Elle a aussidéclenché une course à l’audimat. Nom-breuses sont les chaînes qui ont choisi lafa c i l i t é : elles ont réalisé ou acheté des émis-sions de pur divertissement.Aux yeux desresponsables de YAT V, la plupart de cesp r o grammes manquent de créativité etd’imagination; ils ne sont souvent que desimples imitations d’émissions occiden-

ASIE: UNE TÉL É V ISION PAR ET POUR LES JEUNES◗ Ethirajan Anbarasan et K. J. M. Varma

Un nouveau réseau de télévision, géré par de jeunes professionnels issus de différents paysasiatiques, met l’accent sur les questions sociales, environnementales et politiques. Sans tabou.

◗ Journaliste au Courrier de l’UNESCO et à Colombo (Sri Lanka), respectivement.

1. La fondation Worldview International (WIF) estun organisme indépendant, sans but lucratif , dontle siège est au Sri Lanka. Créée en 1980,elle a unrôle consultatif auprès de nombreuses agences desNations unies. Elle gère un réseau de centresaudiovisuels en Asie et au Moyen-Orient.

Moyenne d’âge des techniciens et journalistes du réseau YATV: 24 ans.

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«ne sont pas “grand public”,explique HilmyAhamed. Notre créneau est celui des téléspec-tateurs exigeant plus de qualité et de réflexionque sur les chaînes musicales».

YATV doit se battre aux côtés de géantscomme la chaîne Star TV et de sociétés detélévision bien établies. Le réseau a rapide-ment compris que,pour se faire sa proprea u d i e n c e ,s u rtout parmi les jeunes, il deva i tjouer la carte de l’innovation et de la diffé-r e n c e .Au départ ,YATV a recruté des jeunessans expéri e n c e , à qui elle a appris à réaliserdes émissions. L’équipe compte actuelle-ment environ 120 professionnels de médiasissus de différents pays asiatiques, dont lamoyenne d’âge est de 24 ans. «Nous avonsdemandé aux jeunes de notre équipe quel ge n r ede programmes ils aimeraient vo i r,et commentils s’y prendraient pour les réaliser.Ce qui nousa aidé à concevoir notre style propre» , s o u-ligne Hilmy A h a m e d . En dehors dequelques postes à responsabilité occupéspar de plus âgés, ces jeunes sont chargés dela planific ation et de la recherche édito-ri a l e , des scénarios et de la prise de vue, fa i-sant de YATV un cas unique en Asie.

L’ i n n ovation est dans la forme et dans lef o n d . Les présentat e u rs s’expriment demanière viva n t e . Il est souvent fait appel à ungraphisme travaillé sur ordinat e u r , ce qui estassez rare sur les chaînes asiat i q u e s. La dive r-sité des ori gines de l’équipe contri bue aussi àséduire les jeunes des différents pays visés.

Les jeunes téléspectat e u rs apprécient

par ailleurs beaucoup la qualité de pro-grammes «made in A s i a» , consacrés au déve-loppement durable, aux droits des femmeset surtout à leurs propres cultures et tradi-t i o n s. «J u s q u e - l à , aucun producteur n’ava i teu l’idée d’une série d’émissions sur la musique,la danse ou les arts populaires asiatiques», faitremarquer Pa rt h i b a n ,2 3a n s , producteur àYATV. Les émissions de la station gagnentlentement mais sûrement en populari t é .Elles faisaient partie des 20 programmespréférés des Sri Lankais un an seulementaprès le lancement du réseau.

Succès des sujetsde société

« N ature Calls» (L’appel de la nat u r e )est une émission très suivie dans de nom-breux pays asiatiques. Elle traite du patri-moine commun de l’humanité, qu’il s’agi s s ede la forêt amazonienne, des plaines duSerengeti en Tanzanie,des pics de l’Hima-laya ou des récifs coralliens des Maldives.Elle souligne toujours la nécessité d’unéquilibre entre l’exploitation et la préser-vation des ressources. Récemment, on y adécrit les anciennes méthodes d’irrigationet d’agriculture organique utilisées depuisdes siècles dans toute la région asiat i q u e .O nexpliquait comment des techniques agri-coles traditionnelles «douces» pouva i e n tcontribuer à améliorer la qualité de l’envi-ronnement dans la région.Un reportage aaussi été consacré aux «éco-guerriers», ces

militants qui se battent pour sauver la pla-nète d’un désastre écologique.

«Space to Let» (Espace à louer) rem-p o rte aussi beaucoup de succès. Cette émis-sion aborde des sujets de société suscep-tibles d’intéresser surtout les femmes:é d u c at i o n , e m p l o i , s a n t é , s e x u a l i t é , avo r-t e m e n t ,p r atiques discri m i n atoires commele système de la dot, des mariages arr a n g é s ,ainsi que l’épineuse question de la circon-c i s i o n . Prenant part i , l’émission ose donnerla parole à des femmes qui s’opposent àces pratiques toujours en vigueur, au nomde la tradition.

« YA Tribe» (Tri bu Jeune Asie) célèbre ladiversité du continent. Une des rubriquesde l’émission, «The Gong», est consacréeaux musiques et aux musiciens traditionnelsa s i at i q u e s. Elle explore les influences entremusiques occidentale et ori e n t a l e . « V i e wto Tell» (Voir et Conter) présente deslégendes my t h o l o giques et des contes popu-laires transmis de génération en généra-tion. L’objectif est de contribuer à assurerla pérennité de ce patrimoine immatérielparmi les jeunes. «Chez YATV, j’aime beau-coup cette idée de mettre l’accent sur l’Asie,car tout ce qui vient de notre région nous toucheet nous apprend beaucoup» , a f firme Chri s-tine,femme au foyer de Colombo.

Ces trois dernières années,des jeunes duN é p a l ,d ’ I n d e , du Bangladesh, du Pa k i s t a n ,de Malaisie et des Philippines sont venus sef o rmer et travailler aux côtés de Sri Lankais,

Effet de «laboratoire»: plus de 60 jeunes formés par YATV ont intégré les grandes chaînes de télévision asiatiques.

C O N N E X I O N S

46 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

dans les studios de production de Colombo.Après avoir acquis une première expéri e n c esur YAT V, ils rejoignent souvent d’autres sta-tions grand public. A u j o u r d ’ h u i , plus de60 jeunes formés par YATV ont intégré lamajeure partie des grandes chaînes de télé-vision asiat i q u e s. «Sur YAT V,j’ai le sentimentde faire un travail qui peut changer les choses,r e s p o n s a b i l i s e r, i n fo rm e r,montrer ce qui a vra i-ment de l’importance pour tout un chacun»,déclare Robin Dav i d ,2 2a n s ,p r o f e s s i o n n e ldes médias indien, et producteur de l’émis-sion «YA Café» consacrée à la musique, à lacuisine et à la mode indiennes.

Pour s’assurer que ses programmes reflè-tent bien la réalité des pays de la régi o n ,YATV a des studios de production au Népal,en Inde,au Bangladesh et en Malaisie, a i n s iqu’un réseau de report e rs locaux au Pa k i s t a n ,en T h a ï l a n d e , aux Philippines et à Singa-p o u r. Les émissions sont, pour la plupart ,produites en anglais puis doublées ou sous-titrées dans d’autres langues.

Le service par satellite de la télévisionpakistanaise propose,au Bangladesh et dansles Etats du Golfe, une ve rsion en ourdou de« N ature Calls», tandis que V i j ay - T V, c h a î n ede télévision par satellite du Sud de l’Inde,en diffuse une version en tamoul. Les ser-vices par satellite et câble d’Astro SatelliteTV fournissent à la Malaisie des ve rsions enmalais et tamoul de l’émission «I-Zone»,qui traite des problèmes des jeunes.

YATV s’apprête à faire ses débuts enChine. CETV, la télévision éducative chi-n o i s e , a accepté de diffuser deux de sesémissions sur la nature et la culture. Les res-ponsables du réseau précisent qu’ellesseront adaptées au public chinois. Avec ce

nouvel accord,YATV espère élargir consi-dérablement son audience.

YATV achète du temps d’antenne auxchaînes hert z i e n n e s , câblées et sat e l l i t a i r e s ,de préférence aux heures de grande écoutede façon à attirer le plus de spectat e u rspossible.Elle tire l’essentiel de ses revenusdu mécénat et de la publicité. C e rt a i n e schaînes achètent directement les émissions,d’autres signent des accords de coproduc-tion ou de partage des coûts.

R é c e m m e n t , des organismes commel’UNICEF, la Banque asiatique de dévelop-p e m e n t , S ave the Children/Norvège oul ’ O r g a n i s ation mondiale de la santé ontcommencé à parrainer des émissions consa-

crées aux droits de l’enfa n t , à la démo-cratie, au développement durable ou à lan at u r e .Avec un budget de fonctionnementannuel de trois millions de dollars ,YATV adégagé un léger bénéfice pour la premièrefois en 1999,et espère faire mieux encorecette année.

YATV s’attaque depuis peu à des sujetspolitiques sensibles, au trave rs d’émissionssur l’interminable conflit ethnique déchirantle Sri Lanka.«Sathi» (Conscience),en cin-g h a l a i s , et «Vilippu» (Eve i l ) , en tamoul,constituent les réponses de YATV à l’appa-rente apat h i e , insensibilité et résignat i o nd’un nombre important de personnes àl’égard de ces événements. Aux yeux desp r o d u c t e u rs , ces réactions s’expliquent parle fait que les gens n’ont conscience ni de laréalité quotidienne,ni des besoins des vic-times de cette guerre qui dure depuis 25a n s. «Ce n’était pas facile au débu t : les intra n-s i ge a n t s,d’un bord comme de l’autre,étaient trèsm é c o n t e n t s », avoue Sulochana Pe i ri s ,2 6a n s ,productrice de «Sathi».

Un pont entre Tamoulset Cinghalais

Ces deux émissions, diffusées au SriLanka au niveau nat i o n a l , soulignent lan é c e s s i t é , pour les deux communautés, d eprendre des initiat i ves en faveur de la paix etde la réconciliat i o n . E t , pour la premièref o i s , les Cinghalais peuvent voir une émissionleur donnant le point de vue tamoul sur cec o n fli t . I nve rs e m e n t , les Tamouls ont leuré m i s s i o n , qui présente le point de vue cin-g h a l a i s. «S athi et Vilippu sont bien perçues parles jeunes.C’est pourquoi nous tenons à continuerde les diffuser» , dit Nimal Pe r e r a , d i r e c t e u rdes actualités sur Talashine Network Ltd( T N L ) , une chaîne privée du Sri Lanka.

YATV envisage désormais de dépasserles frontières de l’Asie. Ses responsablesc o n ç o i vent actuellement un progr a m m edestiné à un public occidental, « P l a n è t eAsie», qui réunit certaines des meilleuresémissions du réseau: il s’agit de sensibiliserles jeunes Occidentaux aux problèmes del e u rs pairs en A s i e . YATV aimerait parailleurs toucher le marché des télévisionscommunautaires européennes. Il existe eneffet sur le Vieux Continent de nombreuseschaînes visant les populations immigrées.

YATV espère-t-elle profiter de son succèspour combattre l’influence de la culture occi-dentale en Asie? «N o n, répond HilmyA h a m e d , ce n’est pas notre bu t .Nous savons qu’ilest difficile de combattre la culture des chaînesmusicales comme MTV chez les jeunes.» ■

+ …Site internet de YATV: http://www.lanka.net/yatv

LE SI T EDU MOISh t t p : / / w w w. u n e s c o . o r g / v i r t u a l - l i b ra ry

Des ouvrages sélectionnés pour leur qualité etleur pertinence sont désormais intégra l e-

ment consultables sur ce site. L’ouverture decette bibliothèque culturelle virtuelle (en fra n-çais, anglais et espagnol) correspond à la volontéde l’UNESCO de favoriser la diffusion des livresauprès du plus large public possible. Plusieurs deso u v rages proposés étant épuisés, le site constitueune des rares occasions de les consulter. Le slivres actuellement disponibles en ligne portentessentiellement sur le patrimoine culturel et sontsouvent illustrés de photographies et de cartes. Lasélection sera régulièrement augmentée. Sur leslangues rares, sur Simon Bolivar ou sur Gorée,bonne lecture! ■

Le réseau YATV a adopté le graphisme travaillé sur ordinateur, ce qui n’est pas encore très courant en Asie.

E N T R E T I E N

Mai 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 47

Paris compte des créateurs de mode japonais,coréens, maliens, marocains... mais bien peude natifs du Sud ont accédé au rang de«Couturier»…

Si la création de mode existe désorm a i sdans tous les pays du monde, je ne suis quele troisième créateur du Sud – après le Tu n i-sien Azzedine Alaïa et le Dominicain Oscar dela Renta, pour Balmain – qui soit parvenu àaccéder au rang de «Couturi e r » , reconnu parses pairs de la Chambre syndicale de la hautecouture pari s i e n n e . Elle était jusqu’alors l’ex-clusivité des créat e u rs occidentaux, o ri gi-naires des pays qui ont le mieux développé latradition de la mode. J’ai eu la chance decommencer à un moment où la haute coutures’ouvrait aux talents nouveaux en encoura-geant les maisons jeunes qui, sans disposerd ’ i m p o rtants moye n s , étaient à même d’ex-p rimer une esthétique part i c u l i è r e . Je n’aidonc pas eu à souffrir d’un quelconque ostra-cisme chauvin,bien au contraire. De l’ItalienSchiaparelli à l’Espagnol Balenciaga, la hautecouture s’est toujours ouve rte aux étrangers.Car Pa ris est une ville à part . Elle n’est pasplus française que New York n’est améri-c a i n e : elle appartient au monde.En reva n c h e ,les Pa risiens sont si tendus et si exigeantsqu’il faut vraiment avoir un vrai talent pours ’ e x p rimer chez eux.

Considérez-vous la mode comme uneexpression artistique?

Le couturier n’est pas un art i s t e , mais una rtisan qui a sa propre sensibilité. A u c u na rtiste n’est tenu de changer aussi vite, e ncréant deux collections par an. Et puis, l amode a des obligations commerciales. M o nt r avail fait vivre toute une équipe : je n’ai pasle droit de manquer d’inspirat i o n . Il ne fa u tdonc pas nous imaginer comme des art i s t e sé g o ï s t e s ,b rimés par les diktats de nos fin a n-c i e rs. La mode est une industrie art i s t i q u erésultant non d’une tension mais d’un com-p r o m i s. Le créateur et ses fin a n c i e rs save n tqu’il faut avancer ensemble.Celui-ci ne peut

OCIMAR VERSOLATO :R Ê V ES, MÉT ISSAGE ET SENSU A L I T ÉBien qu’elles soient hors de prix, les collections du Brésilien Ocimar Versolato veulent donner à voir aux femmes une mode métisse et sensuelle, et libérer leur part de rêves.

E N T R E T I E N

48 Le Courrier de l’UNESCO - Mai 2000

p l u s , comme autrefois, réaliser ses folies lesplus délirantes en se contentant de faire suivrela fa c t u r e .

Si la mode n’est pas un art, en quoi consiste-t-elle?

Avec leur sensibilité propre, les créat e u rsde mode et les couturi e rs précèdent pour lareprésenter la vie inconsciente de nos sociétés.Il est crucial que la mode maintienne ce canaltransparent ve rs le subconscient des gens,a fin de connaître leurs désirs et de les fa i r eaccéder à la réalité.Voilà pourquoi nous neregardons pas notre environnement commed’autres le feraient. Notre tête est un bolidequi examine tout d’un oeil émotif,p a s s i o n n é .J’admire la rapidité des vidéo-clips qui dis-pensent un maximum d’inform ations en unminimum de temps.Voilà un langage véri t a-blement contemporain!

Comment justifiez-vous les prix de la hautecouture?

Une robe du soir, où toutes les couturesont été réalisées à la main pour paraîtrei nv i s i b l e s , exige des centaines d’heures d’unt r avail très spécialisé. En y incluant lescharges et les frais fixes, je doit la vendreautour de 80 000 francs.

La haute couture est-elle, malgré ses prix de vente élevés, une activité rentable?

Ma maison,comme bien d’autres,vit d’une

cinquantaine de clientes. Sans perdre de l’ar-g e n t , elle en gagne assez peu.Beaucoup pro-fitent du prestige attaché à cette activité pourvendre des parfums et des accessoires,dont lep r o fit est bien plus immédiat . Je m’y suis tou-j o u rs refusé: on ne peut pas exercer une acti-vité de création dans le seul but de gagner del ’ a r g e n t .Si je veux communiquer aux clientesl’image de ma créat i o n , je ne dois absolumentpas abîmer cette image en lançant par exe m p l eun shampoing à mon nom.Ou alors il faut jus-t i fier sa démarche. La mienne part du som-m e t : je commence par la haute couture, j e

d é veloppe le prêt-à-porter de luxe et je lanceune ligne de jeans,en serrant toujours au plusprès les besoins de ma clientèle.

Vos robes dessinent les contours d’une femmeidéale: la femme Versolato. Vos clientes luiressemblent-elles?

J’ai été surp ris de constater combien mesclientes se ressemblaient toutes, par l’âge –entre 18 et 40 ans – et par le caractère.Ce sontdes femmes sûres d’elles,qui ne ressentent pasd’inhibition à montrer leurs corp s. En choi-sissant chez moi des vêtements légers , q u i

Chaque femme n’est-elle pas sa propre créatrice de mode? Ici, au Rajasthan (Inde).

AV EC 3 000 FRA NCS …

Ocimar Versolato est né en 1961 près de SãoPaulo, capitale industrielle du Brésil, dans une

famille d’origine italienne. Privée de moyens à lasuite du décès de son père, industriel, sa mèreouvre alors un atelier de couture où la bonnesociété de São Paolo vient passer commande.Contrairement à ses cinq frères et sœurs, Ocimarse passionne pour cette activité.

A défaut de fréquenter une école de mode, quin’existe pas encore au Brésil, il étudie l’architecture,l’abandonne très vite et se met à fabriquer, avecsuccès, des accessoires qu’il écoule dans les bou-tiques de prêt-à-porter. Mais il part en 19 87 à Pa r i s ,à la suite d’une rencontre avec Marie Rucki, direc-trice du Cours Berçot dont il suivra avec ferveur l’en-seignement.

Il parfait sa formation durant quatre ans auprèsdu créateur Hervé Léger, puis le jeune Brésilienlance, en 1993, une marque de prêt-à-porter deluxe. Réalisé avec quelques amis et un budget de3000 francs, son premier défilé de robes du soir luivaut de nombreuses propositions. Il intègre lamaison Lanvin, dont il dessinera pendant deux ansle prêt-à-porter féminin, introduisant le jean dansles collections de cette vénérable institution.

Financé par le trust brésilien Pessoa de Queiroz,Ocimar Versolato installe un atelier place Ve n d ô m epour présenter, en 1998, sa première collectionde haute couture. Après avoir changé plusieursfois de mains, sa griffe – qui patronne, en outre, duprêt-à-porter, des jeans et de la lingerie – est enpasse de trouver de nouveaux financiers. ■

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rehaussent leur force de caractère, elles ont lesentiment d’atteindre cet équilibre parfa i tqui fait l’élégance. Ces femmes arri vent enbaskets et en jeans. Elles endossent une robedu soir. Et soudain, la posture, l ’ attitude etmême le visage ont changé: elles se sententb e l l e s , et ne sont plus les mêmes. J’aime quela haute couture m’offre ce contact directavec les clientes, qui ne serait guère possibledans le prêt-à-porter où le créateur ne ren-contre que les acheteurs.

Trop de gens n’ont pas les moyens de s’habiller en haute couture...

Pour offrir à tous le plaisir de l’achat ,j ’ a icréé une ligne de jeans où les premiers pri xsont à 400 francs. Quant au cœur du rêve –la haute couture –, il est aujourd’hui sur lesécrans de télévision lors des deux présen-tations annuelles. A mon sens, l’accès aur ê ve est plus indispensable que la possessionde l’objet qui le nourri t . Quand je suis arri v éà Paris, j’avais un très petit budget. Je fré-quentais pourtant les galeries d’art en exa-minant ce que j’aurais pu acheter, s a n sregarder au pri x , mais en tentant d’ima-giner quelle allure l’objet aurait chez moi.C’est la même chose avec des vêtements. O npeut ne pas avoir les moyens d’acheter toutce qu’on aime,mais il faut tout au moins yavoir un accès pour en savourer le rêve...

Même si la mode est désormais une industrieinternationale, les robes que vous destinez aux clientes de tous les pays expriment-ellesun peu vos origines?

Elles tentent d’exprimer la séduction nat u-relle qui a libre cours au Brésil. Mes compa-t riotes sont ouve rt s , s o u riants et aiment lec o n t a c t . Ils veulent séduire tout le monde àchaque instant.Mes robes portent la marque

d’un pays où l’on n’a pas honte de son corp s.Qu’il ait ou non un physique parfa i t , le Bré-silien vit presque nu six mois par an, v ê t useulement de shorts ou de petites pièces. J ’ a id é c o u ve rt qu’en Europe, à l’inve rs e , le corp sd e vait rester caché. La tradition culturelle ydéconseille d’exhiber une poitrine impar-fa i t e , ou de porter une minijupe lorsqu’on n’apas de jolis genoux... Le couturier que je suistente de soigner ces traumat i s m e s.

Le Brésil mêle trois «races» et une infinité dereligions. Votre mode est-elle marquée par lemétissage?

Je me rappelle deux princesses arabes.L am è r e , plutôt ri g o ri s t e , s’offusquait de voir safille intéressée par une robe transparente. J u s-qu’à ce que je lui propose d’y adjoindre unbody très couvrant.Le métissage de ma créa-tion consiste donc, entre autres, à offrir de lasensualité à ceux qui en étaient privés par leurc u l t u r e . Pour le reste, je suis hermétique auxpréjugés de race, sauf s’ils servent mon inspi-r at i o n . J’ai réalisé une collection haute couturesur le thème du métissage, en imaginant desmélanges improbables –Japonais vêtus à l’Afri-c a i n e ,A f ricains habillés en Russes…–, et cestélescopages amusants ont été bien perçus.C a rla mode constitue un unive rs à part , libre etsans préjugés – et donc ouve rt à tous les métis-s a g e s. En tant que forme d’expression mon-d i a l e ,elle se doit d’intégrer toutes les cultures.Mon équipe comporte des Brésiliens,des Ita-l i e n s , des Japonais et des A l l e m a n d s , dont lestalents sont complémentaires.

Vos activités sont-elles suivies au Brésil et sur le reste du continent?

Je n’ai pas travaillé à devenir une sorte destar de l’Amérique du Sud, mais la notori é t éfait partie de mon métier. Par exe m p l e , je ne

LA HAUTE COU T URE

En 1858, le Britannique Charles Worth, coutu-rier de l’impératrice Eugénie, s’installe rue

de la Paix puis présente, dès la fin du siècle, sesmodèles sur des mannequins vivants. Cette«haute couture», qui se distingue de la confectionartisanale par son luxe, devient vite le moded’expression de tous ceux qui feront l’histoirede la mode: Poiret, Chanel, Balenciaga, etc.

Nourrie de la taylorisation américaine, laconfection mécanique évolue dans les années 30 et40 pour faire entrer, dès la fin des années 50, l’ar-tisanat du vêtement dans l’ère de la production demasse: le prêt-à-porter est né. Dans le mêmetemps, la haute couture répercute sur ses prix l’aug-mentation des coûts du travail: sa clientèle ne cessede diminuer... En l’exposant dans des musées, lesannées 80 la consacreront comme activité artis-tique. Exclusivement créée à Paris – et secondaire-ment en Italie, sous le nom d’Alta Moda, par lesmarques Versace et Valentino – la haute couture estprésentée à travers deux collections annuelles,comprenant une soixantaine de modèles par cou-turier, et qui font l’actualité des journaux du mondee n t i e r. Bien qu’aujourd’hui plutôt déficitaire, sonprestige permet de vendre sous sa griffe des articlesmoins coûteux, mais de meilleur profit, qu’ils’agisse de prêt-à-porter, de sacs, de parfums, demontres ou de lunettes…

Si la haute couture n’augmente guère sesvolumes, le marché général de la mode, lui, croît àvitesse exponentielle. Les groupes les plus puis-sants restent les américains Calvin Klein et RalphLauren, suivis par le fra n çais LV MH (Dior, Givenchy,Lacroix) et, loin derrière, les italiens Armani, Gucciet Prada. Encore que chacun reste discret sur sesrésultats. A titre de comparaison, les couturiers etcréateurs de mode fra n çais réalisaient en 19 97 unchiffre d’affaires de 20 milliards de francs, contre 16milliards pour le seul Calvin Klein. ■

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NORV ÈGE: Swets Norge AS, Østensjøvein 18-0606 Oslo, PO Box 6512,Etterstad. Fax: 47 22 97 45 45. NOU V ELLE ZÉLA NDE: GP Legislation Services, PO Box 12418, Thorndon,Wellington. Fax: 496 56 98.PAY S - BAS: Swets & Zeitlinger BV, PO Box 830, 2160 SZ Lisse. Fax: 252415888. Tijdschriftcentrale Wijck B V, Int. Subs. Service, W Grachtstraat 1C,6221 CT Maastricht. Fax: 32 50 103.P ORT UG A L: Livraria Portugal (Dias & Andrade Lda), Rua do Carmo 7074, 1200 Lisbonne. Fax: 34 70 264.RÉ PUBL IQUE TCHÈ QUE: Artia, Ve Smeckach 30, 111 27 Prague 1.ROYA UME - UNI: The Stationery Office Publications Ctre., 51 Nine ElmsLane, Londres SW8 5DR. Fax: 873 84 63.RUSSIE: Mezhdunarodnaja Kniga, Ul Dimitrova 39, Moscou 113095.SRI LA NKA: Lake House Bookshop, 100 Chittampalam, GardinerMawatha, Colombo 2. Fax: 44 78 48.SU È DE: Wennergren Williams AB, PO Box 1305, S-171 25 Solna. Fax: 27 00 71.SUISSE: Dynapresse Marketing SA, (ex-Naville SA), 38 av Vibert, CH-1227Carouge. Fax: 308 08 59. Edigroup SA, Case Postale 393, CH - 1225 Chêne-Bourg. Fax: (022) 348 44 82.Europa Verlag, Ramistrasse 5, CH-8024 Zürich. Fax: 251 60 81Karger Libri AG, Wissenschaftl. Buchhandlung, Petersgraben 31, CH-4009Bâle. Fax: 306 12 34. Van Diermen Editions Techniques-ADECO, Chemin du Lacuez, CH-1807Blonay. Fax: 943 36 05.T H A ÏLA NDE: Suksapan Panit, Mansion 9, Rajadamnern Avenue, Bangkok 2.Fax: 28 11 639 .T UNISIE: Commission Nationale Tunisienne auprès de l’UNESCO,22,rue de l’Angleterre, 1000RP Tunis. Fax: 33 10 14.URUGU AY: Ediciones Trecho SA, Cuento Periódicos, Maldonado 1090,Montevideo. Fax: 90 59 83.V ENEZ UELA: UNESCO/CRESALC, Edif. Asovincar, Av Los Chorros, CruceC/C Acueducto, Altos de Sebucan, Caracas. Fax: 286 03 26.

s p é c i a l i s é e , le Brésil compte des dizaines demillions de chômeurs qui cherchent du trava i l .En formant certains d’entre eux en France,o namènerait là-bas le savo i r - faire – et l’exigencequi va de pair. Le Brésil pourrait alors fa b ri-quer des chaussures et des vêtements de qua-lité pour tous les créat e u rs du monde.

Vous prêchez la mondialisation?Elle existe déjà. A u j o u r d ’ h u i , on peut

c o n c e voir un vêtement ici, l’assembler là et lebroder ailleurs. . . A l o rs , mieux vaut utiliserles atouts de chacun. Dans l’Inde surp e u-plée de l’après-guerr e ,des gens intelligents ontcréé des at e l i e rs de broderi e . A u j o u r d ’ h u i ,les broderies vendues à trave rs le monde vien-nent pratiquement toutes de l’Inde,et peuve n tatteindre le niveau de qualité pari s i e n .

D’autres pays en voie de développement sesont-ils spécialisés dans d’autres techniques?

Pour l’instant, tout est incroyablement cen-tralisé en Europe – ou au Ja p o n ,p ays que l’onconsidère comme occidental. Mais la Chinea développé les techniques de la soie,dont elleest la première productrice mondiale:elle aurasans doute un jour les mêmes technologies depointe qu’en Europe.Et ce jour-là, les autresp ays producteurs trembleront...

Au Brésil, les femmes participent-ellesdésormais à la création de mode?

Les couturi e rs de quartier sont en majori t édes hommes,mais les Brésiliennes n’ont jamaisrencontré d’obstacle pour accéder à la créat i o nde mode.Il est vrai que chaque femme,l à - b a s ,est une créat rice à sa manière.Douée d’un sensinné de la toilette, elle sait en toute occasioncomment s’habiller, sans jamais tomber dansle stéréotype ou dans le ri d i c u l e .

Les femmes préfèrent-elles être habillées pardes hommes?

Les créat e u rs s’octroient la liberté d’oserd avantage que les créat ri c e s , s i m p l e m e n tparce qu’ils n’ont pas l’obligation de porter cequ’ils créent. Leur esthétique s’épanouit sanscontrainte et les clientes,qui n’hésitent pas àchausser huit centimètres de talons pour êtreb e l l e s , préfèrent l’esthétique au confort .

Dans quel état d’esprit créez-vous voscollections?

On se trompe en décri vant les couturi e rsinaccessibles et sans cœur. Comme tous lesc r é at e u rs , ce sont au contraire des gens trèss e n s i b l e s , et qui défendent leur fragi l i t é .S ’ i l sveulent vendre du rêve , ils se doivent det r o u ver une image du monde exprimant leb o n h e u r. Il leur importe donc peu de garderles pieds sur terr e . Le vêtement de créat e u rse distingue du prêt-à-porter commun par lessentiments qu’il véhicule.Au cours du défil é ,une robe n’a que 30 secondes pour expri m e rtout un unive rs.

Votre notoriété vous permet-elle de servir des causes utiles?

Il m’est arrivé de programmer un défil épayant, dont les 20 000 dollars de recetteont permis de construire un bâtiment poure n fants cancéreux. A c t u e l l e m e n t , je tra-vaille avec le photographe Sebastião Salgadosur un projet de reboisement.Les finance-ments proviendront d’un spectacle quej’aide à monter. ■

Propos recueillis par Jacques Brunel, journaliste, collaborateur du Monde et de Vogue,

et par René Lefort, directeur du Courrier de l’UNESCO.

pensais pas être du tout connu à Buenos-Aires. J’ai eu un choc d’y être contacté pardes journalistes de télévision. Ils ne meconsidéraient pas comme Brésilien, m a i scomme Sud-Américain – et donc, à ce titre,comme un représentant de l’Argentine.

Existe-t-il au Brésil une création de modeoriginale et vigoureuse?

La réalité est que trop de gens, l à - b a scomme ailleurs dans les pays du Sud, font dela copie. Plus précisément: de la copie decopie de copie...Mais le Brésil est un pays oùtout est possible. A côté de provinces pro-fondément miséreuses, il existe des métropolestrès développées comme São Pa u l o, qui per-mettent une expression du luxe . Et les Brési-l i e n s , comme tout autre peuple, sont capablesde montrer au monde de quoi leur sensibilitéest fa i t e . Je suis ravi que les créat e u rs de modebrésiliens aient progressé et aient désorm a i sle courage de montrer leur tête. Mais pourréussir au niveau intern at i o n a l , ils manquenttrop d’exigence et de savo i r - fa i r e . Ils sontnaïfs au point de confectionner toute unecollection avec un patronage à plat , au moye nd’une simple piqueuse et d’une surjeteuse1:l e u rs vêtements sont sans vo l u m e , sans ron-d e u r , sans sophisticat i o n .Pe rsonne ne leur aa p p ris comment bien faire une ve s t e . . .

Comment sortir de cette impasse?Les Brésiliens sont curieux de nat u r e , et ils

désirent apprendre. Je voudrais les aider enfavo risant un transfert de techniques. A l o rsqu’en France, la main-d’œuvre du secteurde la mode est devenue rare, coûteuse et très

1. Une surjeteuse est une machine qui permet de coudre bord à bord deux pièces de tissus.

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