beckett & mallarme

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BECKETT & MALLARMÉ PAR ALAIN BADIOU (1988-1989) (Notes d’Aimé Thiault et transcription de François Duvert) 1er cours 2 2 ème cours 8 1° l’effet de pureté (Mallarmé) et de clarté formelle (Beckett) 8 2° l’effet de bord du néant. 8 3° l’effet d’auréole 8 Soit dans la métaphore du visible (Mallarmé) :..................8 Soit dans la métaphore de l’audible (Beckett)...................9 4° l’effet d’évanouissement ou d’éclipse pare à la sanctification de l’événement 9 Trois hypothèses majeures 10 1° l’hypothèse nihiliste (un tel nom est introuvable) induit la catégorie de malheur...........................................10 2° l’hypothèse ontologique de l’unicité du nom.................10 3° hypothèse...................................................11 3 ème cours 11 1° on peut retrouver la signification originale perdue 14 2° on propose une autre signification que la signification originale 14 3° on tire la signification du vide de la signification originale 14 Annexe : extraits d’une conférence du perroquet sur Beckett....16 4 la mutation de l’œuvre de Beckett après 1960. 16 Conférence du Perroquet :......................................17 4 ème cours 18 La langue en coupe 19 La langue interprétante 19 5 ème cours 22 6 ème cours 24 7 ème cours 27 8 ème cours 30 a) 1 ère remarque : l’attaque des nymphes (« ces nymphes, je les veux perpétuer ») 31 b) 2 ème remarque : les 3 passages en italique ou les 3 tentations de la mémoire ou de la mise en récit de la rencontre 34 c) 3 ème remarque : sur l’art du poète et sur l’art du faune 34 d) 4 ème remarque sur le dernier vers : 35

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Seminaire du philosophe Français Badiou.

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Beckett & Mallarmpar Alain Badiou (1988-1989)

(Notes dAim Thiault et transcription de Franois Duvert)

1er cours22me cours81 leffet de puret (Mallarm) et de clart formelle (Beckett)82 leffet de bord du nant.83 leffet daurole8Soit dans la mtaphore du visible (Mallarm):8Soit dans la mtaphore de laudible (Beckett)94 leffet dvanouissement ou dclipse pare la sanctification de lvnement9Trois hypothses majeures101 lhypothse nihiliste (un tel nom est introuvable) induit la catgorie de malheur.102 lhypothse ontologique de lunicit du nom103 hypothse113me cours111 on peut retrouver la signification originale perdue142 on propose une autre signification que la signification originale143 on tire la signification du vide de la signification originale14Annexe: extraits dune confrence du perroquet sur Beckett164 la mutation de luvre de Beckett aprs 1960.16Confrence du Perroquet:174me cours18La langue en coupe19La langue interprtante195me cours226me cours247me cours278me cours30a) 1re remarque: lattaque des nymphes (ces nymphes, je les veux perptuer)31b) 2me remarque: les 3 passages en italique ou les 3 tentations de la mmoire ou de la mise en rcit de la rencontre34c) 3me remarque: sur lart du pote et sur lart du faune34d) 4me remarque sur le dernier vers:359me cours35Les 11 sections de lEglogue361re section362nde section363me section.374me section385me section3910me cours396me section397me section4111me cours.428me section42La 1re figure du rcit42Considrations gnrales439me section4410me section4511me section4512me cours461 lindcidabilit de lvnement:462 lultra-un ou ltre de lvnement:473 fixit de la nomination474 la fidlit la nomination475 les 3 figures de linfidlit47Rsumons4713me cours4914me cours5415me cours571 lamour572 la politique573 la science584 lart5816me cours591 Malone meurt: Platon et lIde602 Murphy: Hegel et le savoir613 Film, Molloy, lInnommable: Descartes et le cogito624 Textes pour rien, Compagnie: Kant (les 3 questions et lego transcendantal)635 Compagnie, Textes pour Rien: Platon et les 5 genres646 Lexpuls, Mirlitonnades, Soubresauts: Hraclite66

1er coursQuest-ce quun vnement? quelque chose peut-il encore arriver? A lire le dernier livre de JF Lyotard, lInhumain, srie de confrences sous-titres: causeries sur le temps (Galile, octobre 1988), on a limpression que plus rien narrive dans le monde, sauf dans lart. Je soutiendrai, ici, que cette supposition savre sans fondement, que dans les situations complexes modernes daujourdhui, le reprage de ce qui arrive, de lvnement, reste au suspens de sa nomination. Autrement dit, il sagit dexaminer dans quelles conditions situationnelles sommes nous en tat de lever le suspens nominal, ie en tat dintervenir. Luvre de Samuel Beckett sera vectrice pour cet examen. Je my rfre dentre, par exemple le court dialogue entre Hamm et Clov dans Fin de Partie: - Hamm: quest-ce qui se passe?- Clov: quelque chose suit son cours (un temps)- Hamm: Clov?- Clov (agac): quest-ce que cest?- Hamm: on nest pas en train de. De signifie quelque chose?- Clov: signifier? nous, signifier? Ah! elle est bien bonne! (rire bref)Le se passe concerne et pose la question de lvnement, alors que suit son cours implique une situation rgle et atteste lordre. Et la question de la nomination, le signifier quelque chose, est prise dans le partage du on et du nous. Dans lhorizon de lvnement et de la situation rgle, la signification renvoie au partage du on, sens anonyme, et du mot nous, Hamm et Clov, ie lhumanit tout entire. Le triplet: vnement, situation rgle, signification (anonyme: on, subjective: nous, rature par le rire bref de Clov) organise la question de savoir sil se passe quelque chose il y a de lvnement, ou non, il ny a que de la signification. Quand Clov atteste lordre et limpossibilit dune nomination vnementielle, Hamm sous-entend que sil se passe quelque chose, alors ce quelque chose signifie aussi, quoi Clov, pour qui il ny a que de lordre, lui rtorque que le sujet est incapable de produire une quelconque signification. Ces 4 rpliques nous posent 2 problmes pour une thorie de la nomination vnementielle.- 1er problme: le quelque chose comme suppos support commun indiffrenci, indiscernable au se passer, et au suivre son cours.Question: Hamm, Rponse: Clovvnement (se passe), cart, situation rgle (suit son cours). Quelque chose en clipse de ltre: signifi on anonyme, non signifi: nous subjectivation et rire bref qui prend la place de la ngation.- 2me problme: laccs ltre.Comment quelque chose advient-il la pense du quelque chose, autrement dit comment la pense souvre-t-elle un accs ltre? Hamm et Clov sont daccord sur un point: pour faire sens quant ltre, ie quant au quelque chose, il faut que ce qui se passe, lvnement, ne soit pas rabattu sur ce qui suit son cours, la situation, lordre. Pour autant que lcart existe entre lvnement et la situation, alors laccs ltre est possible. Au questionnement de Hamm sur la possibilit dune signification anonyme de quelque chose, Clov soutient quil ny a rien, sauf un nous hors dtat de signifier: ou bien il y a du sens, mais pas de sujet, ou bien il y a du sujet, mais pas de sens. Et cette alternative reste suspendue la question de savoir sil y a ou non de lvnement. Nous sommes somms de choisir entre le sens ou le sujet du point de lvnement. Il y a de lvnement, mais un sens anonyme. Il ny a pas dvnement, mais du sujet dans un ordre rgl. Or, ce partage entre Hamm et Clov est-il un vrai partage? Il nous renvoie cette hypothse trs forte de la philosophie contemporaine qui soutient que pour retrouver le sens de ltre, il faut raturer la catgorie de sujet.Sous cette hypothse, et pour le dire de faon trs exagre, Hamm se prsente comme le personnage heideggrien de ce dialogue, au sens o il avance sa proposition sous la forme du questionnement: sous la condition dun vnement irreprsentable, quelque chose pourrait advenir signifier. En revanche, Clov, le lacanien de la situation, ne se prsente pas sous le profil du questionnement, il soutient une thse: il y a du sujet, mais dpourvu de sens. Cette forte thse articule lexcentration du sujet de leffet de sens: pour autant quil y ait la prescription dun ordre, alors du sujet peut sy inscrire, sans quil soit considr comme le support de la signification. La problmatique de lvnement se rattache bien une connexion entre le sujet et le sens, quil nous faudra rintroduire par redistribution du partage fait par Hamm (promouvoir le sens au pril du sujet) et Clov (attester le sujet en rature du sens)[footnoteRef:1]. [1: cf confrence du perroquetn21 page 20 :Ds la pice de thtre Fin de Partie, Beckett va dissocier le ce-qui-se-passe de toute allgeance, mme invente, aux significations. Il va poser que ce nest pas parce quil y a de lvnement que nous sommes sous limpratif de la dcouverte de son sens:- Hamm: quest-ce qui se passe?- Clov: quelque chose suit son cours (un temps)- Hamm: Clov?- Clov (agac): quest-ce que cest?- Hamm: on nest pas en train de. De signifie quelque chose?- Clov: signifier? nous, signifier? Ah! elle est bien bonne! (rire bref)Beckett va finalement remplacer lhermneutique initiale, qui tente dpingler lvnement au rseau des significations, par une opration toute diffrente, qui est une nomination? Au regard dune supplmentation hasardeuse de ltre, la nomination ne cherche nul sens, elle se propose de tirer du vide mme ce qui advient un nom invent. A linterprtation succde une potique nominale qui na pas dautre enjeu que de fixer lincident, de prserver dans la langue une trace de sa sparation.]

Cf confrence du perroquetn21 page 20 :Ds la pice de thtre Fin de Partie, Beckett va dissocier le ce-qui-se-passe de toute allgeance, mme invente, aux significations. Il va poser que ce nest pas parce quil y a de lvnement que nous sommes sous limpratif de la dcouverte de son sens:- Hamm: quest-ce qui se passe?- Clov: quelque chose suit son cours (un temps)- Hamm: Clov?- Clov (agac): quest-ce que cest?- Hamm: on nest pas en train de. De signifie quelque chose?- Clov: signifier? nous, signifier? Ah! elle est bien bonne! (rire bref)Beckett va finalement remplacer lhermneutique initiale, qui tente dpingler lvnement au rseau des significations, par une opration toute diffrente, qui est une nomination? Au regard dune supplmentation hasardeuse de ltre, la nomination ne cherche nul sens, elle se propose de tirer du vide mme ce qui advient un nom invent. A linterprtation succde une potique nominale qui na pas dautre enjeu que de fixer lincident, de prserver dans la langue une trace de sa sparation.

On ne souvre pas un accs ltre du biais de lordre, dun ordre ou dune figure de lordre, il faut, pour autant quil se passe quelque chose, se doter dune catgorie forte de lvnement, mditer sur le concept dvnement, mditation partage par la pense contemporaine, qui traque le - arrive-t-il?(Lyotard)- lEreignis (Heidegger)- la rencontre du Rel (Lacan)- la csure (Lacoue-Labarthe). Bref, saisir le: il advient, il surgit, il se passe hors de tout lieu, lvnement en tant quil est dli, le dliement de ce qui arrive reste au centre de la tentative philosophique contemporaine, du moins en France.Mais la pense peut-elle supporter une pense duil arrive pur, qui ne soit pas - une phnomnologie descriptive de connexions et de rapports - ni une philosophie conceptuelle qui veuille dduire lvnement de lordre du concept- ni surtout pas une philosophie pragmatique, qui prsuppose une relation du sujet de lexprience lvnement, ds lors dsingularis?Les oprations de la philosophie doivent tre mises en dfaillance, afin que soit trouvs les ressorts dune pense qui pointe lvnement dli, extirp de tous ses liens, soustrait la description. Il faut produire les conditions de dcoupe de lvnement, ie penser le ce qui se passe dans llment de sa puret: le pur il y a. Faut-il laisser tomber les oprations philosophiques au profit des oprations scientifiques? artistiques?

Ici, Mallarm est dun excellent secours, cf la fin de Igitur: IV IL SE COUCHE AU TOMBEAUSur les cendres des astres, celles indivises de la famille, tait le pauvre personnage, couch, aprs avoir bu la goutte de nant qui manque la mer (la fiole vide, folie, tout ce qui reste du chteau?), le nant parti, reste le chteau de la puret.En marge: ou les ds hasard absorb.Le nant parti, reste le chteau de la puret. Le concept en pense du nant cest la ralit elle-mme: le ce qui est, la situation du monde comme il va, ce qui propose la pense son nant propre est ce qui suit son cours. Ds lors, comment faire partir le nant pour penser lvnement? Il faut instituer un cart radical entre ce qui suit son cours et lvnement pur pour quun rel advienne la pense, sinon nous restons dans la gestion de la ralit, dans la connaissance du nant. La chteau de la puret mallarmen, cest le il y a pur dans la supposition de son caractre pensable. Puret dsigne la dcoupe idale de lvnement face au poids de la ralit comme nant massif. Par excs de prsence, le nant confronte la pense sa possibilit dans laccs ltre, qui requiert llimination de lencombrement que constitue le ou les savoir(s) sur le nant des situations comme elles vont.

Revenons Beckett pour mettre laccent sur un point trs important: cet crivain se partage entre 2 langues, ou plutt se situe dans le partage de 2 langues, puisquil crit certaines de ses uvres en anglais, puis les traduit en franais, ou le contraire. Ainsi, Watt, roman crit en anglais en 1942, dans le Vaucluse, o sest rfugi le rsistant Roussillon, sera ensuite traduit en franais. Mais des uvres crites en franais seront traduites dans la langue maternelle de lauteur, qui les distribue dans les 2 langues. Mais alors que Joyce, dont Beckett fut le secrtaire, ncrit pas Finnegans Wake en anglais (je suis au bout de langlais disait-il), mais en Joyce, pour Beckett lpreuve de la traduction joue comme plan dpreuve de sa propre uvre. Est-il un crivain anglais ou franais? En vrit, je pense que dans son cas unique, il persiste un lment dindcidabilit. Dans Watt, 2me roman aprs Murphy (publi en anglais en 1938), Watt est lemploy modle dun certain monsieur Knott (monsieur nud, monsieur nou), lac dan une fonction insaisissable de domestique et dans un lieu o tout est absolument rgl et ritualis. Cependant, parfois quelque chose se passe, des incidents, dit Watt, dans la rumination desquels sabsorbe sa pense avec une certaine difficult. Ainsi, par exemple, la survenue de Gall pre et fils, venus accorder le piano de Mr Knott.En un sens, il ressemblait tous les incidents dignes de remarque proposs Watt pendant son sjour chez Mr Knott et dont un certain nombre seront rapports ici tels quels, sans addition, ni soustraction, et en un sens, non. Il leur ressemblait en ce sens quil ntait pas fini, une fois rvolu, mais continuait drouler, dans la tte de Watt, du dbut la fin, sans cesse, les jeux complexes de ses lumires et ombres, le passage du silence la rumeur et de la rumeur au silence, le calme avant le mouvement et le calme aprs, les acclrs et les ralentis, les approches et sparations, tous les dtails changeants de sa marche et de son ordonnance, suivant lirrvocable caprice qui en fit ce quil fut. Il leur ressemblait par sa promptitude se faire un contenu purement plastique et perdre peu peu, dans le subtil processus de ses lumires, ses rumeurs, ses accents et ses rythmes, toute signification jusqu la plus littrale.Car lincident des Gall pre et fils fut suivi par dautres semblables, ie des incidents brillants de clart formelle et au contenu impntrable.Page 85Ce qui affligeait Watt dans cet incident des Gall pre et fils, et dans des incidents du mme ordre venir, ce ntait pas tellement de ne pas savoir ce qui stait pass, car il se moquait de ce qui stait pass, que le fait que rien ne stait pass, que la chose appele rien stait passe, avec la plus grande nettet formelle, et quelle continuait se passer. Page 87Mais, rgle gnrale, il semble probable que la signification attribue cet ordre dincidents par Watt, dans ses relations, tait tantt la signification originale perdue et puis recouvre, et tantt une signification dgage, dans un dlai plus ou moins long, et avec plus ou moins de mal, de loriginale absence de signification. Page 92.Watt avait de plus en plus limpression, mesure que le temps passait, qu la maison de Mr Knott rien ne pouvait tre ajout, rien soustrait, mais que telle elle tait alors, telle elle avait t au commencement, et telle elle resterait jusqu la fin, sous tous les rapports essentiels, et cela parce quici chaque instant toute prsence significative et ici toute prsence tait significative, mme si lon ne pouvait pas dire de quoi, impliquait cette mme prsence tout instant, ou une prsence quivalente

Et mme quand, aprs avoir difficilement trouv un chien qui passe heure fixe manger les restes des repas de Mr Knott (chien extrieur la maison du matre, point de fuite de la situation) - dvoration des retes de la nourriture de Mr Knott laquelle Watt est oblig dassister- mme lorsquil sy refuse et ne se prte pas ce crmonial, rien ne se passe pour autant.

De ce refus de la part de Knott, pardon, de Watt, dassister labsorption par le chien des restes de Mr Knott, on aurait pu craindre les plus graves consquences, aussi bien pour Watt que pour la maison de Mr Knott [] Il ne sabattit sur Watt nulle punition, nulle foudre. Page 137

Lbrchement de la situation est recouverte sous linterprtation.Il nen reste pas moins que ds les annes 40 la thmatique de lvnement des incidents brillants de clart formelle et au contenu impntrable - se trouve prsente chez Beckett[footnoteRef:2].Revenons aux incidents brillants de clart formelle et au contenu impntrable pour tablir ce quils ont de commun avec le chteau de la puret. La clart formelle est lanalogue de la puret mallarmenne. Beckett et Mallarm rompent avec une vision de lvnement englu dans la trame des choses. Il ny a dvnement que dans une idalit sparatrice, un cart inaugural entre lvnement et la situation est requis pour faire entrer en jeu une fonction sparatrice: la fonction sparatrice du nant. Il y a donc une problmatique de leffet de bord du nant, il faut quil soit distribu sur un des bords de lcart, mais diffremment chez Beckett et Mallarm. [2: Evnement, signification, nomination (confrence du perroquet).Linterrogation sur ce qui se passe, et sur la possibilit dune pense de lvnement en tant quil survient, anime des textes trs anciens de Beckett. Elle est centrale dans Watt, qui date des annes 40. Mais elle a t en grande partie oblitre par les uvres qui ont fait connatre Beckett et qui sont, pour lessentiel, outre En attendant Godot, la trilogie Molloy, Malone meurt et de lInnommable. On a retenu de ces uvres que, prcisment, il ne se passait finalement rien, que lattente dun vnement. Godot ne viendra pas, Godot nest rien dautre que la promesse de sa venue. Dans Watt, en revanche, nous trouvons le problme capital de ce que le hros appelle des incidents, et qui sont bien rels. Watt dispose un lieu structural allgorique, qui est la maison de Mr Knott (monsieur nud, monsieur nou). Ce lieu est immmorial et invariant, il est comme Tout et comme Loi: A la maison de Mr Knott rien ne pouvait tre ajout, rien soustrait, telle elle tait alors, telle elle avait t au commencement, et telle elle resterait jusqu la fin, sous tous les rapports essentiels, et cela parce quici chaque instant toute prsence significative, et ici toute prsence tait significative, mme si lon ne pouvait dire de quoi, impliquait cette mme prsence tout instant. La maison de Mr Knott noue la prsence et la signification de faon si serre quaucun brchement de son tre, par supplment ou soustraction, nest pensable. Tout ce quon peut faire est de rflchir la Loi de linvariance au lieu de ltre: comment la maison fonctionne-t-elle dans le temps? O se trouve Mr Knott, tel moment prescrit? Dans le jardin, ou dans les tages? Questions relatives au pur savoir, la science du lieu, qui rationalisent une sorte de en attendant Mr Knott. Mais outre la loi du lieu et sa douteuse science, il y a, et cest ce qui va susciter la passion de Watt comme penseur, le problme des incidents. De ces incidents, Beckett dira, formule majeure, quils sont brillants de clart formelle et au contenu impntrable. Que sont ces incidents? Parmi les plus remarquables, citons la visite dun accordeur de piano et de son fils, ou la dposition devant la porte de marmites dordures destines des chiens dont la provenance est elle-mme une question impntrable. Ce qui sollicite la pense est la contradiction entre la brillance formelle de lincident, son isolement, son statut dexception, et lopacit de son contenu. Watt schine faire des hypothses sur ledit contenu, cest l vritablement que sa pense sveille. Il nest pas ici question dun cogito sous lastreinte torturante de la voix, mais de calculs et de supputations destines porter le contenu des incidents la hauteur du brillant de leur forme. Dans Watt, il y a cependant une limite cette investigation, limite que Beckett ne franchira que beaucoup plus tard: les hypothses sur les incidents restent captives dune problmatique de la signification. Nous sommes encore dans une tentative de type hermneutique, o lenjeu est, par une interprtation bien conduite, de raccorder lincident lunivers tabli des significations. Voil le passage o est dispose la hirarchie des possibilits qui se prsentent Watt comme interprte des incidents, ou hermneute: la signification attribue cet ordre dincidents par Watt, dans ses relations, tait tantt la signification originale perdue et puis recouvre, et tantt une signification tout autre que la signification originale, et tantt une signification dgage, dans un dlai plus ou moins long, et avec plus ou moins de mal, de loriginale absence de signification. Lhermneute a 3 possibilits: sil suppose quil y a une signification de lincident, il peut la retrouver, ou en proposer une autre tout fait diffrente. Sil suppose quil ny a pas de signification, il peut en faire surgir une. Bien entendu, seule la 3me hypothse, qui pose que lincident est dpourvu de toute signification, et que donc il est rellement spar de lunivers clos du sens (la maison de Mr Knott), veille durablement (dans un dlai plus ou moins long) la pense, lui demande un travail (avec plus ou moins de mal). Cependant, sil ne sagit que de cela, si linterprte est un donateur de sens, nous restons prisonniers de la signification comme loi, comme impratif. Linterprte ne cre rien quun raccordement de lincident ce dont au dpart il se sparait: lunivers tabli des significations, la maison de Mr Knott. Dans Watt, nous avons bien la chance quil se passe quelque chose, mais le ce qui se passe, capt et rduit pas lhermneute, nest pas prserv dans son caractre de supplment, ou dbrchement.]

Beckett: le nant se situe du ct de lvnement lui-mme, point de nuit sur fond gris du jour. La situation est un mixte gris dtre et de nant. Do une inversion de limage mallarmenne: tre lav de sa grisaille. Chez Beckett, lvnement est nant.Mallarm: le nant se situe sur le bord situationnel: ltre brille du ct de lvnement, sur fond de nuit de la situation. Limage vectrice est celle du ciel toil. Le nant est du ct de la ralit, et lvnement se spare de la ralit comme nant. Il est, lui, cet vnement, la puret du rien, disjoint de tous les rapports de la ralit comme nant. Chez Mallarm, la situation, ie la ralit comme nant, et /ou lvnement.Ces 2 qualifications possibles la base dune pense de lvnement sont 2 thses incompatibles.Le pb du il y a pur est-il en soi un pb artistique? Il semble que la philosophie contemporaine dlgue cette question lart (Heidegger). De mme, nous, nous pointons ltre de lvnement en prlevant des oprateurs littraires pour 2 raisons principales:- premirement: nous devons nous munir doprateurs disolement pour indiquer la puret ou la clart formelle, ie doprateurs qui procdent la rupture des liens. Lart par excellence, pome et littrature, produit cette puret formelle en dehors de tout systme de liaison, car une grande langue artistique est fondamentalement une langue dliante, affte selon un tranchant apte couper tous les liens. Nous avons besoin dune pense de lvnement place sous condition du tranchant de la langue.Mallarm, cantique de St Jean (variantes tudies dans Davies, Les Noces dHrodiade).

Le soleil que sa halteSurnaturelle exalteAussitt redescendIncandescent

Je sens comme aux vertbresSployer des tnbresToutes dans un frissonA lunisson

Et ma tte surgieSolitaire vigieDans les vols triomphauxDe cette faux

Comme rupture franchePlutt refoule ou tranche Les anciens dsaccords Avec le corps

Quelle de jenes ivreSopinitre suivreEn quelque bond hagardSon pur regard

L-haut o la froidure Eternelle nendureQue vous le surpassiezTous glaciers

Mais selon un baptmeIllumine au mmePrincipe qui mlutPenche un salut

La tte de St Jean devient le symbole du dli, qui fait advenir la puret. Le tranchant de la langue prend la forme du tranchant de la lame.- deuximement: nous avons besoin de distribuer les effets de bords du nant en maintenant la clart formelle.Quest-ce qui peut donner clart formelle au rien? BeckettQuest-ce qui peut prouver le nant de la ralit? MallarmIl faut que la langue produise des effets de lacune, indique en bordure des effets de nant. Dans le pome Prose (pour des Esseintes), le pote se promne en compagnie de sa sur lintrieur dune le dans laquelle poussent des fleurs gantes. Et, soudain, les fleurs, spares de toute ralit florale, accdent une idalit isole, qui masque le tombeau de la beaut. Le moment o il sagit dindiquer que les fleurs grandissaient trop pour nos raisons est disjoint de la ralit florale elle-mme. Dans cette le que lair charge de vue et non de visions, ie o lacte de voir a une telle intensit (notez le sens interchang de vue et de vision) quil est consubstantiel la pense, advient le moment o la langue potique institue leffet de bord de nant: chacune des fleurs dun lucide contour, lacune, qui des jardins la spara est prise dans une pellicule de nant, lacune, lumineuse aurole, qui lisole dans le pur il y a idal. lucide contour, ie dans le mme mouvement nous est donn par un montage de langue singulier la clart formelle (lucide) et un effet de bord de nant (contour). La pense de lvnement a besoin dune langue singulire pour:La vertu sparatrice du tranchant de la langueLeffet daurole, ie la mise en lacune de la chose spare, isole par une brillance qui la dtache de tout ce qui nest pas elle. leffet daurole est llment primordial de la pense de lvnement, mais tout le pb sera, dirais-je, dauroler lvnement sans le sanctifier, viter la sanctification de lvnement, ie le moment o lon veut penser lvnement dans son plein contour, autrement dit penser le lucide contour sans lacune. Points que nous reprendrons plus en dtail au prochain cours.2me cours

Les 4 attributs de lvnement le distribuent sous la modalit de 4 effets: - leffet de puret (Mallarm) et de clart formelle (Beckett), qui latteste dans sa ponctualit disjointe.- leffet de bord du nant (la ralit est nant: Mallarm, ou lvnement lui-mme est nant: Beckett).- leffet daurole, conjonction des 2 premiers effets, qui circonscrit et indique dans le vide la brillance de lvnement.- leffet dvanouissement, ie lapparition aurole de lvnement, qui saccomplit dans sa disparition, sclipse dans la brillance transitoire du vide.

Prenant de notre point de vue une des caractristiques de la philosophie contemporaine, nous nous sommes lancs dans une tentative pour penser le pur il arrive, pointer lvnement pur et non pas du tout sa structure. Prenant notre appui sur Beckett et Mallarm, nous avons cern 3 attributs de lvnement pur: 1 leffet de puret (Mallarm) et de clart formelle (Beckett)Lvnement accde son tre dans une sparation avec la situation qui le soustrait tout lien, le dlie de toute rfrence structurelle et, ainsi rendu indiffrent la relation, lisole en un point de puret.2 leffet de bord du nant. Mais si lvnement est totalement spar de la ralit, il ny a rien entre cet vnement et la ralit, aucune mdiation hegelienne ne peut jouer comme relve entre lvnement et la situation. Le nant se distribue sur les 2 bords dun cart intervallaire:- du point de la libert: Mallarm: le nant parti, reste le chteau de la puret, autrement dit, le nant de la situation est la ralit qui nest rien.- du point de la clart formelle (Beckett): que le fait que rien ne stait pass, avec la plus grande nettet formelle, et quelle continuait se passer. ie du point de la situation ou de la ralit structurelle, lvnement nest rien. Clart formelle est un attribut du nant.3 leffet daurolepour rendre compossible ces 2 thses incompatibles, lvnement pur ne savre pensable quaurol. De nouveau Mallarm nous guide dans Prose (pour des Esseintes). Les fleurstelles, immenses, que chacuneordinairement se paradun lucide contour, lacunequi des jardins la sparasont spares de leur ralit florale et jardinire, chacune, par une lacune au contour lucide, autrement dit on assiste une sparation de lvnement qui, la fois, lisole comme pur il y a et institue le bord de nant qui lentoure. Lvnement est la brillance dun vide: trs exactement une aurole, dont rien ne supporte la substance et qui, brillance vide, na aucune subsistance: quelque chose se produit dans la fulguration de lclair, seule figure pouvoir transiter dans le vide. Soit dans la mtaphore du visible (Mallarm): Victorieusement fui le suicide beauTison de gloire, sang par cume, or, tempte!O rire si l-bas une pourpre sapprteA ne tendre royal que mon absent tombeauCest, ici, le suicide beau du Soleil, mtaphore radical du soleil couchant en tant quil brille dans sa disparition. Mais lvanouissement du soleil nest pas lamorce dune procdure ngative, mais une procdure anti-sanctifiante, qui sauve la pense en clipse de lvnement pur. Mallarm prserve la chance de la pense de lvnement en parant la sanctification.

Soit dans la mtaphore de laudible (Beckett) dans ce texte extrait de Mal vu, mal dit, sur lequel nous reviendrons plus tard. Et o un bruit peine disparu sitt que renouvel steint dans un croulement languide.Pendant linspection soudain un bruit. Faisant sans que celle-l sinterrompe que lesprit se rveille. Comment lexpliquer? Et sans aller jusque l comment le dire? Loin en arrire de lil la qute sengage. Pendant que lvnement plit. Quel quil fut. Mais voil qu la rescousse soudain il se renouvelle. Du coup le nom commun peu commun de croulement. Renforc peu aprs sinon affaibli par linusuel languide. Un croulement languide. Deux. Loin de lil tout sa torture toujours une lueur despoir. Par la grce de ces modestes dbuts.4 leffet dvanouissement ou dclipse pare la sanctification de lvnementLeffet daurole indique que lvnement est la venue la lumire dun rien sparateur. Cette advenue du vide comme tel est, proprement, la fonction ontologique de lvnement. Mais cet effet lexpose au pril dune sanctification, ie lide dune aurole ternelle telle quelle maintiendrait le vide dans sa lumire sur un mode qui refuserait la dimension de pass, dvanouissement ou dclipse de lvnement, dimension absolument requise pour le penser. La sanctification est une sdentarisation de la clart formelle du vide. La venue la lumire du vide se change en plnitude prsente de la lumire, qui affecte et infecte le vide. La sanctification rve dune installation du vide en situation avec comme alibi que la clart formelle du vide ne steigne jamais.Au contraire, on nvitera la sanctification de lvnement que si lon tient ferme sur le fait que ce qui brille de clart formelle puril triomphe ou croulement languide - ne brille que pour steindre, autrement dit, que leffet dvanouissement ou dclipse est une dimension ncessairement requise la pense de lvnement

Ainsi, la saisie de lvnement dans son quadruple effet requiert la langue littraire qui, dtenant cet effet quadruple, simpose delle-mme:- leffet de puret engage le tranchant de la langue capable de couper les liens, de trancher dans le vif de la relation.- leffet de bord du nant engage la langue somme de prononcer lintervalle, ie le rien de la ralit, une langue capable de dcider son rfrent, de le creuser, de se soustraire sa plnitude.Remarque: ces 2 effets de la langue sont des effets non spontans, en rupture avec les opinions courantes comme avec son destin commercial ou de communication.- leffet daurole requiert une langue qui soit capable dtablir la brillance du vide, ie de surimposer un effet de lumire une vacuit.- leffet dvanouissement requiert une langue qui puisse tablir la disparition, lclipse de cet effet de brillance, y compris sa propre disparition comme langue quand elle tend vers la sacralisation.Remarque: lopration fondamentale de lart moderne nest pas laque, mais elle vise la dsacralisation du monde. Lacte potique moderne est plus essentiellement ordonn la production dune brillance du vide qu la venue en prsence de la lumire ou de la grce.Muni de ce quadruple oprateur de langue, on obtient le pointage de lvnement, qui rsulte de la production dune aurole vanouissante. Mais que pointe exactement cette machination complexe de la langue? Elle pointe lcart entre la situation ou la ralit et un pur supplment dli, aurol, disparaissant. Dans cet cart, ou sinstruit lvnement dtach de la ralit? Souvre-t-il un accs possible une vritable pense de son tre? Pas encore. Nous savons seulement que le vide advient son point de lumire (Mallarm) ou son point dombre (Beckett), mais sous ce montage langagier, rien nest effectivement pens de lvnement pur, mais seulement lventualit prcaire du lieu de sa pense, qui est cet cart mme. Peut-tre avons-nous louverture en clipse de la possibilit dune vrit, mais pas une vrit au regard de cet cart puis dans lclipse de son aurole. Cette brche scintillante nouvre pas encore la pense de lvnement pur, pour y parvenir vraiment, il va falloir fixer ce lieu prcaire, sinon il ny aura eu que le pur effet dun point en clipse, ie une ouverture sans ouvert, dirait Heidegger, ou un cart qui ncarte pas. Sans fixation en lui-mme du bref clat du vide, nous ne pouvons pas avrer lclipse vnementielle. Il faut, sans interrompre la passe vnementielle, sans que nous nous engagions dans la voie de la sanctification en faisant de laurole lacunaire un tre plein, il faut quadvienne un nom, une nomination qui fixe la brillance formelle de lvnement au contenu impntrable.Remarque: rappelons-nous avant daller plus loin que, de Mallarm Lacan, de manire ultime, la nomination ncessaire la fixation de ltre du pur il y a peut seulement respecter le nant sans tre tir du vide de la situation (Thorie du Sujet, chapitre II, le sujet sous les signifiants de lexception, pp69-128).

Aprs ce reprage de 4 effets vnementiels, nous tirons deux oprations qui qualifient lvnement pur: - la venue la lumire du vide- une nomination qui en prserve la disparition. Trois hypothses majeuresMais quelles nominations pour nous orienter dans la pense de lvnement? Je ferai l-dessus 3 hypothses majeures:1 lhypothse nihiliste (un tel nom est introuvable) induit la catgorie de malheur.Il ne sagit pas dun nihilisme sceptique, mais spcifique en un sens prcis: il ny a pas de pense de lvnement. A supposer que lvnement ait eu lieu, il a disparu sans trace, puisque rien na pu en fixer loccurrence. On ne pourra jamais identifier ces ventuels effets, pas mme dire quil est sans effet. Lvnement a eu lieu hors de nous, notre insu. Le hros de linnommable de Beckett veut compulsivement identifier lvnement sous lhypothse de ce qui est innommable: dplorable manie, ds quil se produit quelque chose, de vouloir savoir quoi. Mais, mme si pour le hros de Beckett lvnement reste non identifiable, sous lhypothse nihiliste, lvnement a peut-tre eu lieu, on peut tre hant par un vnement fantomatique, sans identit, comme le sont les personnages de Henry James dans la Bte de la Jungle ou dans le Banc de la Dsolation. Une telle situation est une situation de vrai malheur. Le malheur sans recours a pour formule: il se pourrait bien que a ait eu lieu. Lhypothse nihiliste renvoie lorientation de pense constructiviste ou nominaliste pour qui il existe un nom pour tout ce qui est constructible dans la langue. Si le nom surnumraire reste introuvable, alors il nexiste pas de pense de lvnement. La question de savoir si lvnement a eu lieu passe au rgime du: a a peut-tre eu lieu, puisque lvnement a disparu dans leffet dvanouissement, sans quaucune supplmentation nominale en laisse trace. Lhypothse nihiliste recolle laccs ltre dans la figure du malheur, dont la formule snonce en ces termes: le malheur cest lvnement forclos ressuscitant dans la figure de sa hantise fantomatique.2 lhypothse ontologique de lunicit du nomA chaque fois il y a un nom unique, le nom convenable de la nomination, toujours le mme, pour fixer la brillance du vide. Par exemple: Rvolution, nom invariant pour toute csure historico-politique, amour, nom invariant pour nommer tout amour, Dieu, nom invariant pour dsigner toute rvlation transcendante. En tout cas, 3 noms ayant fonctionn comme brillance nominale unique de toute brillance du vide.Lhypothse ontologique renvoie lorientation de pense transcendante: un nom suprme distribuable sur lvnementialit comme telle fait de lvnement lattestation de la gnrosit de ltre. Un philosophme: un nom propre, soutient la fixation de toute vnementialit pure. Un nom, lui-mme indicible, soutient toutes les fixations de la brillance du vide, un indicible prodigue les vnementialits pures (Malraux: lart cest la monnaie de labsolu). Sous cette hypothse du nom unique, le philosophme le plus philosophique, cest le nom de ltre lui-mme dans lcart de ltant. Ltre atteste en nomination la brillance en clipse du vide, ltre, ie le ce qui arrive en tant quil arrive, serait issu de leffet de grce. Lartiste ou lamoureux est touch par la grce. Ou dune manire quasi jansniste: quimporte ce qui arrive aux personnages du Journal dun Cur de Campagne de Bernanos puisqu la fin des fins tout est grce. Un seul nom trouve son fond ultime dans lvnement lui-mme chapeaut par la grce.Mais je voudrais appuyer cette hypothse ontologique sur les analyses dun livre qui vient de paratre: lExprience de la Libert, dautant que son auteur, Jean-Luc Nancy, a la gentillesse de faire rfrence mon livre lEtre et lEvnement, en croyant y voir une thse sur la libert de ltre proche de la sienne. Jean-Luc Nancy dploie une pense de la libert, qui dsigne lvnement dans les mtaphores de la gnrosit, du don et de loffrande. Or, si lvnement se laisse penser dans le registre de la surabondance comme pourvoiement et don, alors il est prodigu dans la prodigalit de ltre. Autrement dit, la multiplicit apparente de la gnrosit de ltre: un espace est offert dans lespacement, chaque fois, na lieu que par la dcision. Mais il ny a pas la dcision. Il y a, chaque fois, la mienne (une mienne singulire) la tienne, la sienne, la ntre. Et cest cela, la gnrosit de ltre est reploye sous le nom unique: gnrosit divine ou dialectique de la grce. Leffort pour penser la libert et lvnement se tient dans lespace de lun et de la nomination, et Jean-Luc Nancy retrouve le lexique de la grce, parce que, comme son matre Heidegger, il admet la gnrosit de ltre. Dailleurs, la conception ultime du es gibt hedeggerien est proxime dun geste sacr.Elle donne la libert, ou elle loffre. Car le don nest jamais purement et simplement donn. Il ne svanouit pas dans la remise du don ou du prsent. Le don est prcisment ce dont le prsent, et la prsentation, ne se perd pas dans une prsence acheve. Le don est ce qui survient la prsence de son prsent. Aussi se garde-t-il, dans cette sur-venue et dans sa surprise de son, comme don, comme donation du son. Cest en quoi il est offrande, ou retrait du don dans le don lui-mme; retrait de son tre-prsent, et retenu de sa surprise. Il ne sagit pas l de lconomie du don o le don se revient lui-mme comme bnfice et comme matrise du donateur. Il sagit au contraire de ce qui fait le don comme tel: offrande qui ne peut revenir personne, car elle reste en soi la libre offrande quelle est (ce pourquoi, par exemple, on ne donne pas un tiers le don quon a soi-mme reu, sous peine de lannuler en tant que don). Il faut garder le prsent singulier dans lequel le don comme tel est gard, ie offert: il est prsent, il est mis libre disposition, mais il est librement retenu au bord de la libre acceptation du donataire. Loffrance fait le prix inestimable du don. La gnrosit de ltre noffre rien dautre que lexistence, et loffrande, comme telle, en est garde dans la libert. Ce qui veut dire: un espace est offert, dont lespacement, chaque fois, na lieu que par la dcision. Mais il ny a pas la dcision. Il y a, chaque fois, la mienne (une mienne singulire) la tienne, la sienne, la ntre. Et cest cela, la gnrosit de ltre. Dcision, dsert, offrande, 13.

De mme, le Beckett de Malone meurt: les formes sont varies o limmuable se soulage dtre sans forme(page 38) jen ai assez, car il tait simple, sans se pencher un seul instant sur ce dont il avait assez, ni le comparer ce dont il avait eu assez avant de le perdre, et dont il aurait eu assez nouveau, quand il laurait nouveau, ni se douter que ce dont lexcs se fait si souvent sentir, et qui shonore dappellations si diverses, nest peut-tre en ralit quun (page 172).La varit des clarts formelles est proprement ce qui prodigue le sans forme immuable et lapparence diversit des nominations est subsumable sous un excs unique: telle est lhypothse de la grce et de la gnrosit de ltre.En conclusion, pour cette 2nde hypothse, si lvnement est surabondance, prodigalit, don, il se laisse penser sous une dialectique de la grce de ltre. Et si lvnement atteste ltre alors il est lgitimement sanctifiable: nous devons et nous pouvons le sanctifier ie le fixer dans son tre. Ainsi, sous cette hypothse de la prodigalit inpuisable du nom unique: ltre, pens au travers de lexcs sur soi comme vnement-donation chaque fois singulier, on risque tout moment de se trouver reconduit la pense de ltre comme grce de ltre, et donc de ne pas parer la sanctification, en dessinant, non dans le propos explicite, mais dans ses csq et ses effets, une sacralisation ontologique, qui passe par une pense de lvnement. On sacralise ltre, non pas en sacralisant le ce qui est en tant quil est: sacralisation ontique, mais par sanctification de ce qui arrive en tant que don, ie la grce de ltre.3 hypothseOr, la 3me hypothse, que nous suivons ici, pose quil y a chaque fois une nomination singulire de la pure supplmentation vnementielle dans lcart, dans lclipse de ltre. Cette 3me hypothse, que nous traiterons les fois prochaines, renvoie lorientation de pense gnrique, qui soutient que toute vrit singulire procde dune supplmentation vnementielle.3me coursNous en sommes arrivs au point o leffet de clart formelle, ie la venue la lumire du vide, qui isole le pur il y a vnementiel, doit tre retenue par une nomination sous peine de voir cette brillance transitoire du vide retourner son contenu impntrable. Pour que lvnement ouvre une pense, il faut poser la question de son nom. Seul le nom respecte lvanouissement, ie dtient lvnement dans son manque, tout en inscrivant son avoir eu lieu. Lvanouissement vnementiel supplment par un nom singulier ouvre une pense qui pare la sanctification, car lvnement nest plus sanctifi sous le nom unique de ltre, mais sauv dans son nom, qui trace son avoir eu lieu.Louverture condition vnementielle pour quune vrit sengage est une brillance du vide spare et disparaissante sous la garde dun nom surnumraire. Cest un vnement ponctuel chaque fois retenu par une nomination soustraite leffectuation dun nom propre de lun, autrement dit la reconnaissance intgrale dune pluralit nominale possible dtient loccurrence du multiple vnementiel. Une telle nomination ne procde pas de la ralit situationnelle, sinon entre la situation et lvnement il y aurait un raccord, une anticipation nominale en rserve de celui-ci: une trace anticipante de lvnement qui, dans la ralit, serait la virtualit de son nom. Nous restaurerions la dialectique de Hegel, dont la puissance du ngatifdtient 2 marques pour le vide. Il va donc falloir que le nom soit tir du vide lui-mme, procde de lcart, de la disjonction comme telle, qu chaque fois une nomination singulire soit tire de ce vide singulier que tel vnement singulier cre entre lui et la ralit. Dans le vocabulaire mallarmen, de cette lucide lacune entre lvnement et la situation, il va falloir, de rien, forger un vocable neuf non pr-donn dans la langue. Cest donc dans la singularit absolue de la lacune de ce vide en tant quil est le nant de ltre propre de lvnement, du pur il y a, que le nom doit tre tir.Remarque: ne ctoyons-nous pas de trs prs les thologies ngatives? Non, car le nom obtenu dans la dmarche apophantique par lun suprme par soustraction de tous les noms qui conviennent la ralit, cest lunique nom du vide.Sous cette condition stricte et ncessaire: tirer de la singularit dun vide un nom singulier, nous sommes amens nous poser 3 types de questions: 1 par rapport la pense classique pour laquelle le nant na pas de proprits, quelles sont les proprits qui singularisent ce vide?2 que signifie trouver un nom dun vide suppos singularis?3 quels sont les effets produits dans la situation par le surgissement de ce nom tir du vide, qui nappartenait pas la situation?

Reprenons Beckett comme vecteur de ces investigations, et revenons Watt, roman philosophique explicite, un moment o Watt, assis au soleil, ressent physiquement que quelque chose se passe: un glissement. des millions de petites choses sen allant toutes ensemble de leur vieille place dans une nouvelle tout ct, et sournoisement, comme si ctait dfendu. Mais il ressent ce changement comme quelque chose qui ex-siste la prsence, donc qui dfaille la prsence, et il savre incapable de savoir en quoi consistait le changement. Cest ce genre de glissement que je ressentis, ce mardi aprs-midi, des millions de petites choses sen allant toutes ensemble de leur vieille place dans une nouvelle tout ct, et sournoisement, comme si ctait dfendu. Et je ne doute pas davoir t le seul vivant sen apercevoir. De l conclure que lincident fut interne serait tmraire, mon avis. Car mon comment dire? mon systme personnel tait si distendu lpoque dont je parle que distinguer entre ce qui tait au-dedans de l ui et ce qui tait au dehors de lui ntait point facile. Tout ce qui se passait se passait au-dedans de lui et en mme temps tout ce qui se passait se passait au-dehors de lui. Jespre que cest net. Je ne vis, inutile dajouter, ni nentendis la chose arriver, mais je la perus dune perception si physique quen comparaison les impressions dun enterr vif Lisbonne, lheure de gloire de Lisbonne, semblent une froide et artificielle construction de lentendement. Page 48

De cette trange mditation de Watt sur des questions nergtiques, je tire 3 choses: 1 un doute sur la prsence: ce nest pas parce que quelque chose se prsente quil est dans la prsence. Une authentique prsence, cest celle dun inexistant: toute prsence est prsence de ce qui nexiste pas. Pour Watt, quelque chose est en prsence, mais il lui est impossible de savoir quoi.2 si prsence il y a, elle est intervallaire, atteste par un dehors, dedans, entre (Watt: tout ce qui se passait se passait au-dedans de lui [mon systme personnel] et en mme temps tout ce qui se passait se passait au dehors de lui), donc atteste par un cart li la prsence entre.3 cependant, cette prsence entre nest pas une illusion: il y a de linexistant qui souvre la prsence, mais cest tout ce quon peut en savoir. La prsence de linexistant ne se laisse dterminer que comme non illusion quant la prsence.De cette prsence donc je ne dirai que ceci, sans chercher savoir do elle est venue, o elle est partie, qu mon avis elle ntait pas une illusion, tant quelle dura, cette prsence dehors, cette prsence dedans, cette prsence entre, de ce qui nexistait pas. Ceci dit, quon me les coupe si jarrive comprendre ce quelle pouvait bien tre dautre. Page 51.

Et lorsque Watt examiner lhypothse onto-thologique quil fait sur son matre, mr Knott, ie Mr Nud, puisque en anglais (le roman fut crit en anglais) nud sorthographie Knot, il constate que son matre, quon peut assimiler Dieu, puisque: de la nature de Mr Knott en particulier il [Watt] continuait de tout ignorer (page 240) et quand, par accident, il le rencontre, il ne lentrevoie pas clairement, mais comme dans une glace, une glace sans tain, une fentre lest le matin, une fentre louest le soir (page 176). Sur ce Dieu nou qui, de plus, ajoute Beckett, ne sait rien de lui-mme, Watt fait seulement 2 hypothses: lune non dpourvue dintrt, lautre pas entirement gratuite, desquelles on peut seulement conclure que Mr Knott ne se laisse dterminer que comme une non illusion quant la prsence.Car sauf, primo, dtre sans besoin et, secundo, dun tmoin de son absence de besoin, Monsieur Knott navait besoin de rien, pour autant que Watt pt en juger. Sil mangeait, et il mangeait copieusement; sil buvait, et il buvait abondamment; sil dormait, et il dormait profondment; sil faisait autre chose, et il faisait autre chose rgulirement, ce ntait pas par besoin de nourriture, ou de boisson, ou de sommeil, ou dautre chose, non, mais par besoin dtre sans besoin, tout jamais, sans besoin, de nourriture, de boisson, de sommeil et dautre chose. Ce fut l, de la part de Watt, sur le compte de Monsieur Knott, la 1re conjecture, non dpourvue dintrt. Et Monsieur Knott nayant besoin de rien sinon, primo, dtre sans besoin, et , secundo, dun tmoin de son absence de besoin, sur lui-mme ne savait rien. Do son besoin dun tmoin, non pas aux fins de savoir, non, mais aux fins de ne pas cesser. Ce fut l, sur le compte de Monsieur Knott, de la part de Watt, la seconde et dernire hypothse pas entirement gratuite. Page 244.Revenons maintenant la spcificit dun de ces incidents brillants de clart formelle: la survenue des accordeurs de piano, Gall pre et fils, aux activits excentriques par rapport lordre qui rgne dans la maison de Mr Knott et qui laisse Watt embarrass quant leur interprtation: Au bout dun moment, Watt retourna la salle de musique, avec un plateau de rafrachissements. Ce ntait pas Gall le pre, mais Gall le fils, qui accordait le piano, la grande surprise de Watt. Gall le pre se tenait debout tout seul au milieu de la pice, occup qui sait couter. Watt nen conclut pas que Gall le fils tait le vritable accordeur, et Gall le pre tout simplement un pauvre vieil aveugle engag pour la circonstance, non. Mais il en conclut plutt que Gall le pre, sentant sa fin proche et dsirant passer le flambeau son fils, se dpchait de mettre les dernires touches une initiation htive, avant quil soit trop tard. Pendant que tout autour de lui Watt cherchait des yeux un endroit o poser son plateau, Gall le fils mit un terme son travail. Il rassembla le coffre de linstrument, rangea ses outils dans leur sac et se releva. Les souries sont revenues, dit-il. Le pre ne dit rien. Watt se demanda sil avait entendu. Il reste neuf touffoirs, dit le fils, et autant de marteaux. Pas correspondants, jespre, dit le fils. Le pre garda le silence. Les cordes sont en loque, dit le fils. Le pre gardait toujours le silence. Le piano est foutu, dit le fils, mon avis. Laccordeur aussi, dit le pre. Le pianiste aussi, dit le fils. Ce fut peut-tre lincident le plus marquant des dbuts de Watt chez Mr Knott. En un sens il ressemblait tous les incidents dignes de remarque proposs Watt pendant son sjour chez Mr Knott et dont un certain nombre seront rapports ici, tels quels, sans addition ni soustraction, et un sens non. Il leur ressemblait en ce quil ntait pas fini, une fois rvolu, mais continuait drouler, dans la tte de Watt, du dbut la fin, sans cesse, les jeux complexes de ses lumires et ombres, le passage du silence la rumeur et de la rumeur au silence, le calme avant le mouvement et le calme aprs, les acclrs et les ralentis, les approches et sparations, tous les dtails changeants de sa marche et de son ordonnance, suivant lirrvocable caprice qui en fit ce quil fut. Il leur ressemblait par sa promptitude se faire un contenu purement plastique et perdre peu peu, dans le subtil processus de ses lumires, ses rumeurs, ses accents et ses rythmes, toute signification jusqu la plus littrale (pages 83-84).De fait, ce qui ressemble aux autres incidentes dans celui-l, cest la rapide perte de signification, qui se dissipe dans lincident lui-mme (cf le dialogue entre le pre et le fils Gall page 44 AT), plus exactement dans sa rsonance. Dans le jeu de lumire et dombre qui entoure lvnement, celui-ci perd toute signification jusqu la plus littrale. Lvnement svanouit en lui-mme dans sa lumire et dans son ombre. Cependant, dans Watt, la problmatique vnementielle de lincident brillant de clart formelle este tenue dans lespace hermneutique. A partir de lengloutissement de la signification originale dans lvnement lui-mme, on peut faire 3 interprtations:

Mais, rgle gnrale, il semble probable que la signification attribue cet ordre dincidents par Watt, dans ses relations, tait tantt la signification originale perdue et puis recouvre, et tantt une signification tout autre que la signification originale, et tantt une signification dgage, dans un dlai plus ou moins long, et avec plus ou moins de mal, de loriginale absence de signification (page 92).1 on peut retrouver la signification originale perdueDans ce cas, lvnement ntait que la perte provisoire dune signification acquise dans la ralit de la situation et dont la perte momentane a fait passer par un vnement ou en a donn lillusion. Dans la supposition quune signification originale existait, rien na eu lieu que la signification, qui, recouvre, annule que lincident brillant de clart formelle ait t de lordre vnementiel. On ne confondra pas une nomination vnementielle qui ouvre une temporalit avec la perte provisoire dune banale signification.2 on propose une autre signification que la signification originaleDans ce cas, lhypothse substitutive rend indcidable lvnement, puisque nous avons affaire un 2 indiffrent de substitution en bouchant le caractre introuvable du nom par un nom arbitraire. Lhypothse de nom introuvable se rduit une pure et simple objection nominale.3 on tire la signification du vide de la signification originaleDans ce cas, la signification originale quivaut une absence de signification dont on va dgager une autre signification. Lincident est spar de la situation par un vide sans signification et de cette absence de sens on dgage par un labeur plus ou moins long une signification de loriginale absence de signification. Or, si le vide est absence de sens, il se trouve ncessairement raccord une signification: labsence originale de signification traite lincident comme une chose qui prend sens. Mais, du fait mme que le vide reste spcifi par le sens, il se produit une altration de la question de la nomination singulire, notre 3me hypothse, prcisment parce que le travail, qui dgage lautre signification, natteste pas le vide comme vide, mais se situe dans le rseau de la dcouverte des significations. Dans Watt, Beckett distingue bien le registre des incidents du registre de la prsence, et dans cette 3me interprtation on voit poindre la question du vide ou de labsence, mais entrave, englue dans un dispositif hermneutique. Watt est le hros de la signification, qui se dbat avec son suspens. Lvnement se tient au suspens de la signification, do le besoin dun geste hermneutique. Comme le dit Beckett: la signification attribue cet ordre dincidents par Watt adjoint un sens lincident qui est. Cette attribution signifiante lvnement, dont la procdure est linterprtation, ouvre une pense de lvnement de type hermneutique. Dans Watt, ltre de lvnement supporte une signification ou son absence: il y a, il ny a pas, il na jamais eu de signification. Expos dans la figure de lobjectivit, lvnement se propose comme objet dans le temps. Seule la signification, en suspens du cours du temps, se constituera par un geste interprtatif diffr: dans un dlai plus ou moins long, et avec plus ou moins de mal dit Beckett. Si, dans un 1er temps, lincident est soustrait au rseau des significations, la rtroaction interprtante rintroduit lexposition objective dans le rseau, et ainsi lvnement expos dans le temps rentre dans la ralit au rgime des significations. En dautres termes: lvnement est un indice symptmal, ie une interruption de lobjectivit signifiante situe dans le temps de la ralit. Lvnement est une objectivit temporelle = X provisoirement soustraite la signification, que linterprtation raccorde au rseau des significations, dont il stait dli. Lvnement sexpose dans lobjectivit temporelle en faisant lobjet dune exprience, et linterprtation avre rtroactivement un geste rparateur du discord expriment entre lobjectivit et la signification. Watt est proprement en position dinterprte par rapport aux incidents brillants de clart et au contenu impntrable, dont il cherche difficilement rparer, raccorder lobjectivit et labsence de signification, ie combler lindice symptmal. Lvnement sexpose temporellement en tant quil interrompt le rgime de la ralit signifiante, et dans laprs-coup de cette interruption, linterprtation rpare par un geste thrapeutique. Toute hermneutique, bonne ou mauvaise, consolide, rpare, une signification branle par un indice symptmal, ie par un vnement soudain soustrait au rseau des significations. Toute hermneutique est aussi une thrapeutique. Conclusion: mais mme sous cette 3me interprtation, luvre beckettienne se tient encore aux limites de la signification.

Cependant, je soutiens qu partir du dbut des annes 60, Beckett opre un tournant et passe de la pbtique de la signification celle de la nomination.Beckett abandonne une problmatique du langage constitue autour du rapport ou du non rapport entre le cogito et la prise du cogito dans la langue, pour dcrire laltrit de la langue et retourner au sujet. Le texte pivot de ce tournant est Comment cest. Je vous cite le 1er et le dernier: comment ctait, je cite avant Pim avec Pim aprs Pim, cest 3 parties je le dis comme je lentends. page 9. bon bon fin de la 3me partie et denire voil comment ctait fin de la citation aprs Pim comment cest. page 227.Lhypothse rampante de cette uvre est la suivante: le texte considre que ce quil dit est une citation: il cite son texte extirp du ressassement du cogito comme sil tait le texte dun autre. Avant 1961, date de la parution de Comment cest, la dmarche de Beckett est rapprocher de celle de Lacan, voire de Husserl. Beckett met la langue la question pour savoir si elle constitue la preuve de lexistence de lautre, si la prise de la langue revient ou pas une rquisition par lautre. Y a-t-il de lautre ou pas? Quest-ce que la prise de la langue laisse subsister de la certitude du cogito? LInnommable (3me partie de la trilogie Molloy, Malone meurt, lInnommable) traite strictement du cogito pur et de la langue pour aboutir une impasse. Do, aprs lInnommable, suivent Textes pour rien, ie des textes qui ne servent rien pour nous dloger de limpasse. A partir de 1961, Beckett cherche la passe de limpasse partir dune autre question: la pbtique du sujet sexcentre par rapport au cogito dans un mouvement dontologisation, qui dploie tout un corps de suppositions cosmologiques quant ltre, et implique une situation altre dans laquelle le langage est dembl interrog dans la trame de lautre. Dans cette 2me priode, on assiste une ontologisation de la question du sujet ainsi inverse: la langue dans la trame de lautre mdite sur ce qui peut tre dit du sujet. Soumise au retournement du point de lautre, la langue change par ncessit esthtique. Dune langue romanesque qui ressassait le cogito, on passe une langue tendue vers le pome, qui, parce quelle suppose lautre dans la trame de la langue, sinscrit plus dans des figures descriptives que narratives. Dans Comment cest, Beckett abandonne le je dis, et opte pour le je cite, qui extriorise la langue, la dtrempe dans laltrit de lautre, puis le texte, qui considre que ce quil dit est une citation, fait retour sur le citateur et interroge le sujet, dont Comment cest dgage 4 figures dj introductrices la question de lamour chez Beckett[footnoteRef:3]. [3: ]

Pour conclure ce cours, je dirai que la 1re partie de luvre de Beckett se situe aux limites de la signification, alors que dans la 2me partie de son uvre il sinstalle dans la pbtique de la citation, ie pose et se pose la question de la nomination de lvnement. Il ny a plus de sujet du dire du nom de lvnement, sinon on pourrait assigner lorigine de ce nom. Beckett distingue le registre du dire du registre du citer. Le nom de lvnement ne peut jamais qutre cit, car, tir du vide, il ny a rien dautre en situation que le nom lui-mme, citation du vide, dont il sort. Et mme si, dans cette 2me partie de luvre, on retourne, quant au sujet, au solipsisme, cest une hypothse terminale. Elle peut tre pessimiste comme dans Compagnie: la fable dun autre avec toi dans le noir. La fable de toi fabulant dun autre avec toi dans le noir. Et comme quoi mieux vaut tout compte fait peine perdue et toi tel que toujours. Seul (page 87-88).Mais elle peut tre optimiste, comme dans Mal vu Mal dit, ie en tout cas, bien cit, dans ce texte o il sagit dune vieille femme entre la vie et la mort, car lexamen de la question de la vrit, la possibilit quil y ait une pense de lvnement, doit se faire hors juridiction, indpendamment de la vie et de la mort, texte dont, pour fini aujourdhui, je vous lis le dbut et la fin: Dbut du texteDe sa couche elle voit se lever Vnus. Encore. De sa couche par temps clair elle voit se lever Vnus suivie du soleil. Elle en veut alors au principe de toute vie. Encore. Le soir par temps clair elle jouit de sa revanche. A Vnus. Devant lautre fentre. Assise raide sur sa vieille chaise elle guette la radieuse. Sa vieille chaise en sapin barreaux et sans bras. Elle merge des derniers rayons et de plus en plus brillante dcline et sabme son tour. Vnus. Encore. Droite et raide elle reste l dans lombre croissante. Tout de noir vtue. Garder la pose est plus fort quelle. Se dirigeant debout vers un point prcis souvent elle se fige. Pour ne pouvoir repartir que longtemps aprs. Sans plus savoir ni o ni pour quel motif. A genoux surtout elle a du mal ne pas le rester pour toujours. Les mains poses lune sur lautre sur un appui quelconque. Tel le pied de son lit. Et sur elles sa tte. La voil donc comme change en pierre face la nuit. Seuls tranchent sur le noir le blanc des cheveux et celui un peu bleut du visage et des mains. Pour un il nayant pas besoin de lumire pour voir. Tout cela au prsent. Comme si elle avait le malheur dtre encore en vie (page 8).Fin du texteParti pas plus tt pris ou plutt bien plus tard que comment dire? comment pour en finir enfin une dernire fois mal dire? Quannul. Non mais seulement se dissipe un peu trs peu telle une dernire trane de jour quand le rideau se referme. Piane-piane tout seul o m dune main fantme millimtre par millimtre se referme. Adieu adieux. Puis noir parfait avant-glas tout bas adorable son top dpart de larrive. Premire dernire seconde. Pourvu quil en reste encore assez pour tout dvorer. Goulment seconde par seconde. Ciel terre tout le bataclan. Plus miette de charogne nulle part. Lches babine baste. Non. Encore une seconde. Rien quune. Le temps daspirer ce vide. Connatre le bonheur (page 76).Annexe: extraits dune confrence du perroquet sur Beckett4 la mutation de luvre de Beckett aprs 1960.Il nest pas vrai que lentreprise de Beckett se soit dveloppe linairement partir de ses paramtres initiaux. Il est tout fait erron de soutenir quelle sest enfonce, comme le dit la critique dopinion, toujours plus avant dans le dsespoir, le nihilisme, la dfaite du sens. Beckett, dans le medium de la prose, traite des problmes, et son uvre nest aucunement lexpression dune mtaphysique spontane. Quand ces problmes savrent pris dans un dispositif de prose qui ne permet pas, ou plus, de les rsoudre, Beckett dplace, transforme, voire dtruit, ce dispositif et les fictions qui lui correspondent. Cest sans aucun doute ce qui se passe la fin des annes 50, aprs les Textes pour Rien. On peut prendre Comment cest, livre finalement peu connu, comme repre dune mutation majeure dans la faon dont Beckett fictionne sa pense. Ce texte rompt avec le face face du cogito suppliciant et de la neutralit du noir gris de ltre. Il tente de sappuyer sur des catgories tout fait diffrentes: celle du ce qui se passe, prsente depuis le dbut, mais ici remanie, et celle surtout de laltrit, de la rencontre, de la figue de lAutre, qui fissure et dplace lenfermement solipsiste. Pour rester adquat aux catgories de penses, le montage littraire va lui aussi subir des transformations profondes. La forme canonique des fictions du 1er Beckett alterne, nous lavons vu, des trajets, ou errances, et des fixits, ou monologues contraints. Elle va tre progressivement remplace par ce que jaimerais appeler le pome figural des postures du sujet. La prose ne va plus pouvoir soutenir ses fonctions romanesques usuelles, description et narration, mme rduite leur os (le noir gris qui ne dcrit que ltre, la pure errance qui ne raconte quelle-mme). Cest cette dposition des fonctions fictives de la prose qui mamne parler de pome. Et lenjeu de cette potique ne sera plus, quant au sujet, la question de son identit, telle que le monologue de LInnommable voulait en supplicier leffort. Il sagira plutt des occurrences du sujet, de ses positions possibles, du dnombrement de ses figures. Plutt que dans lintarissable et vaine rflexion fiction de soi, le sujet va tre point dans la varit de ses dispositions face des rencontres, face au ce qui se passe, tout ce qui supplmente ltre dans la surprise instantane dun Autre. Pour suivre la discontinuit des figures du sujet, qui soppose au ressassement du Mme tel quen proie sa propre parole, la prose va se segmenter et adopter comme unit musicale le paragraphe. Lapprhension en pense du sujet va se faire dans une trame thmatique: rcurrences, rptitions des mmes noncs dans des contextes qui bougent lentement, reprises, boucles etc Cette volution est, je crois, typique de ce que jessaie de penser sous le nom dcriture du gnrique. Ds lors que cest dune vrit gnrique de lHumanit quil sagit, le modle narratif, mme ramen au trait pur du trajet, est insuffisant, et lest tout autant que le monologue intrieur solipsiste, mme producteur de fictions et de fables. Ni la technique de Molloy, ni celle de Malone meurt, encore trs proches des procds de Kafka, ne plient suffisamment la prose ce quil y a dindiscernable dans une vrit gnrique. Pour saisir les intrications lacunaires du sujet, ce en quoi il se disperse, le triplet monologue / dialogue / rcit doit tre dpos. En mme temps, on ne saurait parler de pome au sens strict: les oprations du pome, toujours affirmatives, ne fictionnent rien. Je dirais plutt que la prose, dans sa segmentation par paragraphes, va tre gouverne par un pome latent. Ce pome tient ensemble les donnes du texte, sans tre lui-mme donn. Ce qui apparat la surface du texte, ce sont les rcurrences thmatiques et leur mouvement ralenti. Ce mouvement est en profondeur rgl, ou unifi, par une matrice potique inapparente. Le pome latent est plus ou moins proche de la surface du texte. Il est par exemple presque donn dans Sans, trs enseveli dans Imagination morte imaginez. Dans tous les cas, il y a une sorte de subversion de la prose et de son destin de fiction par le pome, sans que le texte entre dans le pome. Cest cette subversion sans transgression que Beckett met au point, avec bien des repentirs, entre 1960 et aujourdhui, comme seul rgime de prose adquat lintention gnrique. Dun point de vue plus abstrait, lvolution de Beckett va se faire entre un programme de lUn acharnement dun trajet ou soliloque interminable et une prgnance du thme du deux, qui ouvre linfini. Ce dcouvert dernier du multiple donnera lieu des combinaisons et des hypothses qui sapparentent une cosmologie, et qui sont saisies dans leur objectivit littrale, ou donnes, non comme des suppositions, mais comme des situations. On a finalement le passage dun appareil fictions qui suppose des histoires ventuellement allgoriques, un appareil semi-potique qui met en place des situations. Ces situations permettront quon numre les chances ou malchances du sujet.Autour de la question de lAutre, ce nouveau projet oscille entre des constats dchec et des claircies victorieuses. On peut soutenir que dans Oh les beaux jours, dans Assez ou dans Mal vu Mal dit, linflexion positive prdomine, sous le signifiant dun bonheur que sa touche ironique ne peut abolir. Par contre, dans Compagnie, qui se conclut par le mot seul, il y a une dconstruction finale de ce qui en cours de route, le sublime dans la nuit, naura t que la fiction du 2. Mais cette oscillation est elle-mme un principe douverture. En fait, la 2nde partie de luvre de Beckett souvre au hasard, qui soutient de faon indiffrente le succs et linsuccs, la rencontre et la non rencontre, laltrit et la solitude. Le hasard est ce qui gurit partiellement Beckett du schme secret de la prdestination, trs manifeste entre Watt et Comment cest. De cette rupture avec le schme de la prdestination, de cette ouverture la possibilit hasardeuse quil ny ait pas seulement ce quil y a, on trouve certes des traces dans la partie la plus ancienne de luvre de Beckett, traces lies lexposition sourdre du schme lui-mme. Je pense par exemple au moment o Molloy dclare: on est ce quon est, en partie tout au moins. Cet en partie concde un point de non identit soi, o se loge le pril dune libert. Cette concession prpare le jugement de Assez: terre ingrate, mais pas totalement. Il y a un brchement de ltre, une soustraction lindiffrente ingratitude du noir gris. Ou, pour utiliser un concept de Lacan, il y a du pas-tout, aussi bien dans la concidence de soi soi que la parole sextnue situer, que dans lingratitude de la terre. Quelle est cette brche dans le tout de ltre et du soi? Quest-ce qui se tient l, et qui est simultanment le pas-tout du sujet et la grce dun supplment la monotonie de ltre? Cest la question de lvnement, du ce qui se passe. Il ne sagit plus de demander: quen est-il de ltre tel quil est?, ni le sujet en proie la parole peut-il rejoindre son identit silencieuse?. On demande: se passe-t-il quelque chose? et plus prcisment: peut-on nommer un surgir, une advenue incalculable, qui dtotalise ltre, et arrache le sujet la prdestination de son identit?Confrence du Perroquet: La description des figures du sujet se fait selon un autre montage fictionnel dans Comment cest, montage qui va nous conduire plus prs du problme crucial du 2. Certes, Beckett maintient quil y a 4 grandes figures. Il y a toujours 4 figures, on ne peut pas sortir de ce 4, le problme est de savoir lesquelles sont nommables. Une remarque en passant: vous connaissez sans doute la thse de Lacan sur ce qui, de la vrit, peut tre dit. Une vrit ne saurait se dire en entier, elle ne peut qutre mi-dite. Sagissant de la vrit des figures subjectives, la proposition annonce par Beckett est un peu diffrente. Car des 4 figures, on ne peut en nommer que 3, si bien quen la matire, cest aux 3/4 de la vrit que se hausse le dire. la voix tant ainsi faite je cite que de notre vie totale elle ne dit que les 3/4. Les 4 postures figurales du sujet dans Comment cest sont les suivantes: - errer dans le noir avec son sac- rencontrer quelquun en position active, lui tomber dessus dans le noir. Cest la position dite du bourreau.- tre abandonn immobile dans le noir par celui quon a rencontr.- tre rencontr par quelquun en position passive (il vous tombe dessus alors que vous tes immobile dans le noir). Cest la position dite de la victime. Cest cette 4me figure que la voix ne parvient pas dire, ce qui entrane laxiome des 3/4 quant au rapport de la vrit et de la parole. Telles sont les vrits gnriques de tout ce qui peut arriver un membre de lhumanit. Un point trs important est que ces figures sont galitaires. Il ny a dans ce dispositif aucune hirarchie particulire, rien qui indiquerait que telle ou telle des 4 figures doit tre dsigne, prfre, ou distribue de faon diffrente des autres. Les mots bourreau et victime ne doivent pas nous induire en erreur sur ce point. Beckett prend du reste soin de nous avertir quil y a dans ces dnominations conventionnelles quelque chose dexagr, de faussement pathtique. Nous verrons en outre que la position de victime, tout comme celle de bourreau, dsigne tout ce qui peut exister dans la vie en fait de bonheur. Non, les figures sont seulement les avatars gnrique de lexistence, elles squivalent, et cette foncire galit de destin autorise lnonc remarquable suivant: en tout cas, on est dans la justice, je nai jamais entendu dire le contraire. La justice ici voque, qui est un jugement sur ltre collectif, ne se rapporte videmment aucune espce de finalit. Elle concerne uniquement lgalit ontologique intrinsque des figures du sujet. Dans cette typologie, on peut tout de mme regrouper dun ct les figures de la solitude, et dun autre ct les figures du 2. Les figures du 2 sont le bourreau et la victime, postures conscutives au hasard dune rencontre dans le noir, et qui se nouent dans lextorsion de la parole, dans la suscitation violente dun rcit. Cest la vie dans lamour stoque. Les 2 figures de la solitude sont: erreur dans le noir avec son sac, et tre immobile parce quon a t abandonn. Le sac est trs important. En fait, il supporte la meilleure preuve que je connaisse de lexistence de Dieu: tout voyageur trouve son sac, plus ou moins rempli de botes de conserve, et pour expliquer ce point, et pour expliquer ce point, Dieu est lhypothse la plus courte, toutes les autres, dont Beckett tente linventaire, sont extraordinairement compliques.

Notons que le voyage et limmobilit, comme figures de la solitude, sont les rsultats dune sparation. Le voyage est celui dune victime qui abandonne le bourreau, et limmobilit dans le noir concerne un bourreau abandonn. Il est clair que ces figures sont sexues, mais sexues de faon latente. Les mots homme et femme ne sont pas prononcs par Beckett, justement parce quils renvoient trop commodment un 2 structural, permanent. Or, le 2 de la victime et du bourreau, de leurs voyages et de leurs immobilits, suspendu au hasard de la rencontre, ne ralise aucune dualit prexistante. En ralit, les figures de la solitude sont sexues travers 2 grands thormes existentiels dont Comment cest trame lvidence:- 1er thorme: seule une femme voyage- 2nd thorme: quiconque est immobile dans le noir est un hommeJe laisse ces thormes votre mditation. Ce quil faut bien voir, cest que cette doctrine des sexes, qui nonce que lerrance dfinit une femme, et que si vous rencontrez un mortel immobile dans le noir, il faut que ce soit un homme, cette sexuation, donc, nest nullement empirique ou biologique. Les sexes se distribuent comme rsultat partir dune rencontre o se nouent dans lamour stoque la position active, dite du bourreau, et la position passive, dite de la victime. Les sexes adviennent quand un mortel, rampant dans le noir, rencontre un autre mortel qui rampe dans le noir, comme tout le monde, avec son sac rempli de botes de conserve. Il y a videmment de moins en moins de botes, mais on trouvera un jour un autre sac, Dieu veille ce que nous ne cessions pas de ramper. Mais position active et position passive ne sont pas non plus le fin mot de la sexuation. Pour en clairer le fond, il faut examiner en elle-mme la pense terminale de Beckett, celle qui tablit comme vrit la puissance du 2.4me coursOn peut dsigner le point o nous en sommes par cette formule: le malheur du penseur est quil lui faut choisir entre le sens ou la vrit. En effet, nous devons dfendre, contre une problmatique de lvnement qui signifie, une problmatique de la nomination vnementielle, ie passer une problmatique non interprtation, car lvnement ne sexpose pas dans une objectivit temporelle, qui attendrait une signification attributive. Il est purement et simplement au suspens de son existence, pure brillance du vide donne dans la figure de son vanouissement. Donc aucune attribution hermneutique ne peut le sauver, ou bien alors intervient la sanctification. Au contraire, il sagit pour nous de trouver un nom qui pingle son existence, un nom qui le prenne en garde sans le faire signifier, autrement dit, une opration la nomination qui inaugure une procdure de vrit, un trajet de vrit ne signifie rien. Lvnement nest pas ce point temporel objectif qui interrompt la signification, il nest pas, pour nous, conu comme une interruption, mais comme une supplmentation, un supplment dtre cart, isol, aurol, vanouissant, au bord du vide, et qui ne peut tre que nomm. Insistons: il ny a pas dobjectivit temporelle de son exposition dans la situation, lvnement est soustrait au temps, hors de toute objectivit temporelle, ie de toute interruption de la signification. Dans la figure de sa supplmentation, lvnement advient en plus du temps, non pas hors temps, mais outre-temps. Cest cette supplmentation outre temps quil sagit de fixer par un nom pour quelle fonde le temps: cest de loutre-temps que le temps temporalise la squence vnementielle fixe dans la singularit de son nom. Une fois plac sous la grade dun nom, on peut attribuer une signification lvnement qui ne correspondra pas un principe du sens, mais qui rpondra un principe dtre. Cette nomination significative et singulire est une intervention, ie lacte mme de nomination. Linterprtation, en position dattribution de signification, rpare linterruption des rseaux du sens, lintervention est une dcision dexistence. Cette dcision ne prserve ni ne sauve lvnement, lui-mme sans subsistance, puisquadvenu en clipse de ltre, mais lintervention, qui le nomme au moment mme o il svanouit, le retient dans la garde du nom, ie que lvnement savre trac comme existence dans et par la seule nomination. Le seul nom en plus, qui trace layant eu lieu vnementiel se trouve corrl loutre-temps de lvnement. En dautres termes, loutre-nom dun outre-temps dcide lexistence, savoir lintervention nominale et non linterprtation signifiante. Quand linterprtation rordonne la totalit de lexposition temporelle la signification (rduction de lindice symptmal), lintervention nommante ouvre une squence temporelle, ie fonde, institue le temps. Elle nest pas dans le temps, puisque cest le temps quelle fonde par rsiliation de toute tentation hermneutique.Et Samuel Beckett, partir de 1961, date de la publication de Comment cest, entame une exposition auto-critique de sa dmarche hermneutique. Le hros beckettien passe dune 1re question: est-ce que parler a une sens? Autrement dit, est-ce que le cogito pur (il faut toujours se souvenir que la 1re uvre de Beckett, Whoroscope, 1930, est un soliloque burlesque en vers quil attribue Descartes) tremp dans la langue, le charabia gnral (LInnommable), peut nous faire atteindre le confins du sens: le silence primordial. Donc sur la question: peut-on dcider lexistence? La 1re rponse de Beckett se fait par la bascule de la question de jexiste (cogito) : est-ce que a a du sens? Mais on ne peut pas rpondre cette question par une hermneutique du non-sens (dmarche parallle, mais inverse, de celle du christianisme) qui abolirait la question comme telle. Do une impasse que ponctuent les Textes pour rien. Pour mener bien lexposition de cette auto-critique, il faut dposer la question du sens ou tre dlaiss par cette question, ie la laisser labandon afin que souvre la question de la vrit. Beckett est un crivain du non-sens, prendre soustractivement, dans la stricte mesure o il est un crivain du gnrique, ie de la vrit. Le point crucial de cette auto-exposition critique mene terme consiste dans labandon des catgories dobjet et de signification, pour ouvrir un problmatique de la nomination. Donc sur la question: peut-on dcider de lexistence? La 2me rponse de Beckett se fait par labandon dune prose qui extnuerait la langue au profit dune incise potique dans une prose qui dsormais traque lacte pur de nomination, ie lexistence des figures du sujet suspendue sa capacit intervenante.Beckett passe de limpratif compulsif de linterprtation dans un ressassement interminable la question: puis-je intervenir? Cest un choix de pense entre 2 types de langues: langue en coupe et langue interprtante.La langue en coupeLa langue ordonne la nomination est une langue en coupe qui, en son cur, pingle lvnement la garde de son tre vanouissant. Cest une langue fondatrice qui, par un outre-nom, fonde une squence temporelle.Remarques: la philosophie de Heidegger opre une jointure obscure entre langue interprtante et langue en coupe (ltre comme Ereignis), mais son disciple Gadamer ramne Heidegger sous lhermneutique. Si lon repre une ambivalence chez Freud entre signification et nomination, Lacan fait basculer linterprtation sous la juridiction dune coupe nominale.La langue interprtanteCest une langue dadhrence en rseau des significations, parce que cest une langue rparatrice, qui recoud la signification, ft-ce dans le ressassement de son absence. Potentiellement, cest une langue interminable (comme linterprtation des textes sacrs), cest la langue comme langue de linfini rparateur de langues. Cest une langue rparatrice.Remarque sur un trajet inverse: Beckett dpose la question de la signification rparatrice encore luvre dans Textes pour rien, pour une langue fondatrice, dans Comment cest. Alors que par exemple, la langue en coupe des Mditations de Descartes se transforme en une langue dadhrence sa propre langue dans les Rponses aux Objections.

Dans Mal vu Mal dit de Samuel Beckett: - lvnement est le rveil de lesprit dans linterruption de la signification- lesprit est proprement le sujet pour lvnement- le mode propre de lesprit cest la question, puis la nomination, qui requiert une part commune du nom, ie un nom commun peu commun, mais pas commun commun, sinon il retombe dans le champ de la communication, redevient un non usuel disponible dans lensemble du rseau des significations. - le modeste dbut dun nom supplmentaire tir du vide ouvre la pense lespoir dun trajet de vrit.

Il existe donc 2 orientations de pense possibles sur la question de lvnement:- une thorie hermneutique, pour laquelle prime lobjet, le voir et la signification. Le registre du voir dsigne ce qui sexpose temporellement, savoir ce qui est un objectiv dans la mtaphore du visible, plong dans llment de la signification, inscrit dans le registre de ltre.- une thorie de la nomination qui se tient dans la mtaphore de laudible. Intervient alors la problmatique du noir ou du noir-gris, qui te la signification la vision et lobjet, autrement dit entrane la ruine de toute tentative, de tout processus de signification. Pour nommer, il faut se tenir dans le noir, sinon on voit et alors on interprte la dcoupe du visible si puissamment objective quelle impose la signification. Le noir constituera donc le milieu exprimental pour toute nomination possible. Puisque lobjectivit du visible rend impossible la nomination, lordre de lvnement se proposera la nomination par le biais de laudible: la nomination (qui dsobjectivise) est un bruit (qui isole, spare du visible, fait office dindication dune supplmentation vnementielle) dans le noir (le vide chez Beckett).Beckett monte donc un dispositif exprimental littraire, qui fictionne le noir comme lieu o se rsilie la question de la signification, et o des bruits, index de lvnement, ouvrent la question de son nom. Ultimement, un bruit cest la survenue vnementielle garder dans un nom: dans le noir, un bruit, comment le nommer. La vrit toute entire reste suspendue cette rare possibilit. Cest cette rarfaction absolue de la question qui, proprement, nous intresse.Ainsi, le dbut de Compagnie, une voix dans le noir va jouer comme procdure de la nomination: une voix parvient quelquun dans le noir. Imaginer. Une remarque, au passage, Compagnie a t traduit de langlais. Or, lexpression in the dark est beaucoup moins forte que le franais dans le noir. Le franais radicalise la pense de Beckett, lui permet un principe de coupe, alors que langlais tire plutt vers une sur-signification. Dans Compagnie, on trouve une corrlation de la voix et du noir comme lieu exprimentable possible de la nomination, si pbtique soit-elle, puisqu la fin de Compagnie, on retombe dans le solipsisme.Toi maintenant sur le dos dans le noir ne te remettras plus sur ton sant pour serrer les jambes dans tes bras et baisser la tte jusqu ne plus pouvoir. Mais le visage renvers pour de bon peineras en vain sur ta fable. Jusqu ce quenfin tu entendes comme quoi les mots touchent leur fin. Avec chaque mot inane plus prs du dernier. Et avec eux la fable. La fable dun autre avec toi dans le noir. Le fable de toi tabulant dun autre avec toi dans le noir. Et comme quoi mieux vaut tout compte fait peine perdue et toi tel que toujours. Seul (pages 87-88).Cest pourquoi lclaircie du noir peut revenirLa voix met une lueur. Le noir sclaircit le temps quelle parle. Spaissit quand elle reflue. Sclaircit quand elle revient son faible maximum. Se rtablit quand elle se tait. Tu es sur le dos dans le noir. L, sils avaient t ouverts tes yeux auraient vu un changement (page 24).Et page 75: si tes yeux venaient souvrir, le noir sclaircirait. Le voir est ce qui lve le noir. Voir et noir sont des catgories de la pense, mais comme il ny a pas de positivit de la mtaphore de lclaircie, le noir clair constitue une claircie douloureuse. Dans Compagnie, on assiste une lutte entre la signification douloureuse du voir, et la nomination problmatique dans le noir, et finalement le noir est ce qui peut tre perdu. Dans Compagnie, la nomination institue une clart. Ds lors quil y a de laudible, il y a une lueur induite par ce qui sentend au sens o il y a une brillance du vide dans lvnementialit survenante. Laudible provoque un effet daurole transitoire: une lueur, visibilit paradoxale, visibilit de linvisible, brillance du vide, qui fait scintiller fugitivement ce qui disparat en clipse. La question de la vrit se prsente comme lapparition dun bruit dans un nocturne sans objet, support dune lueur.Un bruit de loin en loin. Quelle bndiction un tel recours. Dans le silence et le noir, fermer les yeux et entendre un bruit. Un objet quelconque qui quitte sa place pour sa place dernire. Une chose molle qui mollement bouge pour navoir plus bouger. Au noir visible fermer les yeux et entendre ne ft-ce que cela. Une chose molle qui mollement bouge pour navoir plus bouger. Page 24.Lapparition du bruit salu comme une bndiction, lest en tant que virtualit dinauguration dune vrit comme strict point de lespoir, mais lespoir ne signifie pas attente comme dans En attendant Godot, o lattente est continment un dsespoir, lespoir est le point de commencement dune vrit (qui ne se laisse pas attendre), qui prend figure vnementielle. Tout le problme tant de nommer ce bonheur labri de la garde dun nom singulier. Revenons lextrait de Mal vu Mal dit dj cit. Il va, linverse de Compagnie, nous donner une rponse trs nettement plus positive: Seul reste le visage. Du reste sous la couverture nulle trace. Pendant linspection soudain un bruit. Faisant sans que celle-l sinterrompe que lesprit se rveille. Comment lexpliquer? Et sans aller jusque l, comment le dire? Loin en arrire de lil, la qute sengage. Pendant que lvnement plit. Quel quil ft. Mais voil qu la rescousse soudain il se renouvelle. Du coup le nom commun peu commun de croulement. Renforc peut aprs sinon affaibli par linusuel languide. Un croulement languide. Deux. Loin de lil tout sa torture toujours une lueur despoir. Par la grce de ces modestes dbuts. Avec en 2nde vue les ruines du cabanon. A scruter en mme temps que linscrutable visage. Sans plus la moindre curiosit. (pages 70-71).Dabord le titre: mal vu mal dit, il refuse la disjonction ou comme la conjonction et, mais impose une juxtaposition du voir et du dire. Sil y a le bien voir, alors cest mal dit: le dit est mal dit si cest bien vu. La signification dans sa liaison au visible est du ct du mal dit. Ce qui se voit bien snonce malaisment. Mais pour quil y ait le bien dire, la nomination, il faut quil y ait le noir. La nomination dans sa liaison au noir est du ct du mal vu.Rq: le dispositif scnique du thtre beckettien suppose, la limite, quil ny ait plus quune bouche parlant dans le noir. Au thtre, plus on en voit, plus cest mal dit. Jen viens au texte:- pendant linspection: renvoie au ressassement du registre du voir li la signification et lastreinte de lobjet. Linspection ne se laisse jamais interrompre, cest une obligation.- soudain un bruit: laudible sexcepte de luniformit situationnelle du visible et propose un suspens de la signification. soudain essentialise le suspens de la signification et dsigne la csure de la sparation.- faisant sans que celle-l sinterrompe: celle-l: linspection ne sinterrompt pas; lactivit de la signification persiste, mais sa trame est suspendue en un point. Lvnementialit est toujours locale, ponctuelle, lvnement ne se laisse jamais rapporter au tout de la situation. Il nexiste pas dlment global. Lvnement se disjoint de la situation sans produire un bouleversement gnral, mais comme une sparation ponctuelle. Le bruit est vraiment un bruit, pas un vacarme continu, qui brouillerait la signification. Non. Tout continue comme avant, nous nassistons pas une extranation du tout quand surgit lvnement, mais une simple sparation de la situation, qui laisse perdurer linspection de la signification.- que lesprit se rveille: dans linspection, lesprit nest pas en jeu, cette facult nest pas engage dans la modalit signifiante. Lesprit demande une autre qute que celle de linspection, il dsigne lapparition dune capacit de questionnement. La question soppose linspection, ie au trac interminable de la signification. Si ne persistait que le rgne pur et simple de linspection, le temps serait impossible. Mais on ne peut pas faire lconomie de lvnement. Malgr le profond dsir beckettien du silence, surviennent toujours des bruits, qui rveillent lesprit. La signification ne fait pas question, car celle-ci requiert lvnement, pas celle-l. Autrement dit, la question dsigne le rgne de lesprit et lesprit le temps de la question: si les questions se retirent, vient le temps de la perte de lesprit.1 lvnement est le rveil de lesprit dans linterruption de la signification2 lesprit est proprement le sujet pour lvnement3 le mode propre de lesprit cest la question puis la nomination.Remarque: dans lInhumain, Lyotard convoque linterruption de la signification en tant quvnementialit de la prsence, dont le signe serait la perte de lesprit. La prsence let lesprit en dfaillance, do une cessation des intrigues du dsir comme fin, arrt, terme des questions, de toute question.En revanche, lorsque Beckett crit lesprit se rveille, ce nest pas la prsence qui se trouve corrle lvnement, mais le commencement dune vrit: quand une vrit commence, la prsence est absente.- comment lexpliquer? : la question reste prise au rseau de la signification dans lhorizon de linterprtation.- et sans aller jusqu l, comment le dire?: puis dgagement de lhermneutique.- loin en arrire de lil, la qute sengage: loin en arrire de la prgnance de lesprit, du visible, des savoirs de linspection, sengage la qute dune vrit. La pense de lvnement commence par une pure nomination loin en arrire de ce qui se prodigue de la vision, ie de la phusis de ltre.- pendant que lvnement plit: lvnement pris dans lvanouissement, donn en clipse.- mais voil qu la rescousse soudain il se renouvelle: introduction de la question du 2. Tout vnement survient dans une struc