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B IBLIOGRAPHIE CRITIQUE DES NOUVELLES DE SERGE B RUSSOLO

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Page 1: BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE DES NOUVELLES - Brussolosergebrussolo.free.fr/data/Biblionouv.pdf · Serge Brussolo qui illustre la couverture de cette bibliographie. Avant-propos Serge Brussolo

BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE

DES NOUVELLES

DE SERGE BRUSSOLO

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Remerciements Je tiens d’abord à remercier Patrick Jeansoulin sans qui cette bibliographie n’existerait pas. La plupart des présentations et critiques des nouvelles reprises ci-dessous ont été publiées sur le site Le Monde de Brussolo que Patrick Jeansoulin a fondé. Cette bibliographie doit beaucoup à ses encouragements ainsi qu’à ses conseils techniques. Je remercie aussi Jean-Marie David pour son aide matérielle. Ses conseils m’ont été précieux. Enfin, tous mes remerciements à Francesca Scutari pour ses corrections, suggestions et améliorations diverses apportées aux textes qui suivent. C’est elle aussi qui a pris la photo de Serge Brussolo qui illustre la couverture de cette bibliographie. Avant-propos Serge Brussolo n’est pas seulement l’auteur de plus de cent romans. Il a aussi écrit quelque vingt-huit nouvelles qui forment une part conséquente de son œuvre. C’est par ce genre littéraire qu’il a commencé sa carrière d’écrivain. Pour un jeune auteur au milieu des années soixante-dix travaillé par le démon de l’écriture, l’un des rares débouchés était les revues précaires appelées fanzines. Ce type de support ne publiait généralement que des textes courts. Cette expérience lui a permis de se faire connaître et finalement de percer dans le monde de l’édition. La plupart des nouvelles ont été écrites avant 1981 et l’auteur ne reviendra au genre que de manière occasionnelle par après. C’est lors de la rédaction de Sommeil de sang (1) que Serge Brussolo tournera ses ambitions désormais vers le roman. Selon une déclaration de l’auteur : « Au départ, ce devait être une longue nouvelle, et plus j’avançais, plus elle prenait d’importance, si bien qu’un jour je me suis retrouvé avec un roman. J’étais assez satisfait du résultat et, à ce moment -là, je me suis dit que c’était dans cette direction que je devais travailler… » (2) On trouvera ci-dessous une présentation et un commentaire pour chacune des nouvelles de Serge Brussolo. Le classement est chronologique et le lecteur découvrira en dessous de chacun des titres les différentes éditions répertoriées. Outre l’ensemble des nouvelles de l’auteur, trois petits textes signés de sa plume sont aussi présentés. Ils appartiennent indéniablement au domaine de la fiction, mais sans être pour autant des nouvelles. Fabrice Ribeiro de campos, 07-01-2004

(1) Sommeil de sang , roman paru dans la collection Présence du Futur n° 334, 217 p., Denoël, février 1982. Une présentation et une critique de ce roman sont disponibles sur le site http://sergebrussolo.free.fr/ dans la section bibliographique au regard du titre du roman. (2) Extrait d’un entretien de Serge Brussolo avec Richard Comballot daté de 1985 et republié dans la Revue Phénix n° 24, Octobre 1990, p.54.

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TABLE DES MATIERES

Remerciements........................................................................................................................... 2

Avant-propos.............................................................................................................................. 2

TABLE DES MATIERES......................................................................................................... 3 Cliquez sur le titre pour aller directement à la page :

1. L’évadé ................................................................................................................................... 5

2. La rédemption........................................................................................................................ 7

3. L’autoroute.......................................................................................................................... 11

4. Jour de chasse à Manhattan ............................................................................................... 13

5. Parking de l’ennui.............................................................................................................. 15

6. Le ver et le fruit.................................................................................................................... 16

7. Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu.......................................................... 18

8. Piège à chance ..................................................................................................................... 20

9. Funnyway............................................................................................................................. 22

10. Comme un miroir mort ...................................................................................................... 24

11. La mouche et l’araignée................................................................................................... 25

12. Ergo sum............................................................................................................................ 26

13. Off....................................................................................................................................... 26

14. Sentinelles.......................................................................................................................... 28

15. Les enfants de Protée......................................................................................................... 29

16. Vue en coupe d’une ville malade...................................................................................... 30

17. Anamorphose ou les liens du sang.................................................................................... 33

18. La sixième colonne............................................................................................................ 35

19. De l’érèbe et de la nuit....................................................................................................... 36

20. Mémorial in vivo. Journal inachevé................................................................................. 37

21. « …Car ceci est de la chair, et ceci est du sang »............................................................. 37

22. Soleil de soufre................................................................................................................... 39

23. Subway, éléments pour une mythologie du métro............................................................ 40

24. Trajets et itinéraires de l’oubli .......................................................................................... 40

25. Visite guidée....................................................................................................................... 45

26. Aussi lourd que le vent ...................................................................................................... 47

27. Papiers nobles ou papiers gras / Histoire d’un papier fantastique.................................. 49

28. Vos prochaines vacances : le monde des ouragans.......................................................... 50

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29. Conan Lord : le cambrioleur masqué s’installe au masque !.......................................... 51

30. Une femme de Beverly Hills déclare la guerre à son chien ! .......................................... 52

31. La chose qui grattait derrière le mur ................................................................................ 53

LES RECUEILS DE NOUVELLES....................................................................................... 54

a) Vue en coupe d'une ville malade........................................................................................ 54

b) Aussi lourd que le vent........................................................................................................ 54

c) Mange-monde ...................................................................................................................... 56

d) Chants opératoires............................................................................................................... 57

e) Soleil de soufre et autres nouvelles..................................................................................... 58

f) La nuit du venin................................................................................................................... 59

ŒUVRES PERDUES OU JAMAIS PUBLIÉES................................................................... 60

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1. L’évadé

in L’aube enclavée n° 5, Metz, 4ème trimestre 1972, pp. 17-19. in Les fenêtres internes, anthologie de Henry-Luc Planchat, parue chez 10/18 n° 1236, mai 1978, pp.

416-426. in Chants opératoires, pp. 11-21, recueil paru chez …Car rien n’a d’importance, novembre 1993, 185

p. in La nuit du venin, pp. 475-487 au Fleuve Noir, collection Bibliothèque du fantastique , octobre 1999,

597 p. C’est un cirque rocheux complètement clos que le soleil frappe à blanc. Les falaises de craie et le ciel se confondent dans une même couleur laiteuse. Du sable couvre l’intérieur de l’arène et une ligne de chemin de fer parcourt toute la plaine. Le circuit ferroviaire a la forme d’un 6 dont le cercle est emprunté inlassablement par le même train. La branche supérieure du 6 s’enfonce dans un tunnel creusé dans la paroi, mais jamais les wagons n’y pénètrent. Les aiguillages sont verrouillés afin que le trajet se fasse uniquement en boucle. Tous les matins des voyageurs montent dans le train. Après quoi le convoi tourne en rond pour s’arrêter le soir à la gare de départ où chacun descend. Georges fait partie des passagers ; un jour il découvre une veste abandonnée sur la banquette d’un compartiment vide. Dans l’une des poches se trouve un étui de cuir noir qui enrobe un objet ; c’est un essaim de rouages minuscules de verre bleuté au centre duquel perce une ouverture de la taille d’un pouce et semblable à un diaphragme. Au fil du temps et des voyages toujours répétés, Georges s’aperçoit que le tunnel qui traverse la paroi est mangé par les roches et s’obture progressivement. De la même manière le centre de l’objet de verre rétrécit toujours davantage. Lorsque Georges arrivera à déverrouiller les aiguillages et à s’emparer de la locomotive, il tentera de forcer le passage pour s’évader du cirque. Ses efforts seront vains : la machine s’arrêtera devant le tunnel bouché et le diaphragme de verre se refermera.

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Première nouvelle publiée par Serge Brussolo à l’âge de vingt-et-un ans, elle a pour coauteur Jean-Jacques Dull, ami d’enfance de l’écrivain. Les nouvelles La rédemption et L’autoroute sont elles aussi cosignées Jean-Jacques Dull, mais l’auteur principal en est Serge Brussolo. Dans un entretien accordé à la revue Phénix,(1) Jean-Jacques Dull précise que s’il participait à l’élaboration des histoires, Serge Brussolo écrivait ensuite seul. Bien qu’édité pour la première fois dans une revue de science-fiction L’aube enclavée, ce texte appartient autant au genre du fantastique qu’à celui de la littérature de l’absurde. L’aspect fantastique naît du comportement inexpliqué de l’objet de verre bleuté qui se ferme petit à petit en même temps que la paroi rocheuse ; pour comprendre ces phénomènes parallèles aucune explication n’est donnée, ils relèvent tous deux du fantastique. La nouvelle tient aussi du courant de la littérature de l’absurde car ce qu’elle décrit n’est ni plus moins qu’une situation à la Sisyphe dépourvue de sens : un train au fond d’un cirque rocheux tourne en rond, il emporte chaque jour les mêmes passagers pour le même trajet sans qu’aucun but ne soit donné à ce voyage toujours identique.

(1) Revue Phénix n° 24, Dossier Serge Brussolo, p. 107-114, Bruxelles, octobre 1990. La déclaration de Jean-Jacques Dull se trouve à la page 114.

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La narration est impersonnelle, c’est l’auteur qui est le narrateur. Le texte est écrit au passé simple et à l’imparfait pour les trois premières pages, puis au présent de l’indicatif jusqu’à la fin. Le changement de temps narratif coïncide avec le départ du train pour sa course en boucle et la première vision de l’objet bleuté par le héros Georges. Le texte est avant tout descriptif et insiste sur de nombreux détails propres à donner une couleur réaliste à la nouvelle : impressions de chaleur, peinture des objets et des murailles du cirque, tout est évoqué avec précision. Brussolo décrit un univers cloisonné fondé sur les correspondances des éléments : le circuit ferroviaire a la forme du chiffre 6 et la banquette sur laquelle Georges trouve l’objet de verre porte le numéro 66. De même le diaphragme et le cirque rocheux sont des cercles qui se referment progressivement et à un rythme similaire. On retrouvera à nouveau ce jeu des analogies dans Piège à chance. Georges est un personnage négatif, tourné vers son monde intérieur dans lequel se trouve un grand vide, il est comme absent à lui-même et n’exprime aucun sentiment. C’est une enveloppe sans contenu, un corps étranger dans un monde où il n’a pas sa place. Au début de la nouvelle il se contente de subir la situation sans réagir, plus loin lorsqu’il tente de modifier son destin absurde, c’est pour se retrouver devant une impasse. Le titre de la nouvelle doit évidemment se comprendre de manière ironique : le héros ne s’évade pas de son univers clos, il y serait peut-être parvenu s’il s’y était pris plus tôt, mais pour aboutir où ? Georges est comme le personnage de la Parabole du Procès de Kafka qui attend trop longtemps de franchir la porte qui lui était destinée. D’un autre côté personne ne lui vient en aide et d’ailleurs l’idée ne lui viendrait même pas d’essayer de créer une relation avec un autre passager du train. Il n’y a aucune communication entre les personnages de l’histoire qui se contentent de se regarder comme s’ils étaient chacun dans un bocal. Georges connaît le prénom de la femme qui occupe le même compartiment de train que le sien, mais il ne lui parle jamais et l’on en vient à se demander comment il a pu un jour savoir comment elle s’appelle ! Il ne semble croire ni à la communication avec ses semblables ni à un quelconque lien avec eux. Georges paraît être une ébauche du personnage que Serge Brussolo utilisera bien plus tard dans son roman Enfer vertical en approche rapide. (2) Comme aucune explication intra-textuelle n’est donnée, L’évadé est susceptible de se prêter au jeu des interprétations multiples que le lecteur se fera un plaisir de forger.

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(2) Roman paru dans la collection Anticipation chez Fleuve Noir, 186 pages, février 1986. Réédité en juin 1995 dans la même collection. Voir critique de ce roman paru sur le site http://sergebrussolo.free.fr/

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2. La rédemption

in Argon n° 5, Louviers, août 1975, pp. 20-27. in Chants opératoires, op.cit., pp. 23-52.

Au sud c’est une mer de boues, une plaine marécageuse qui paraît sans fin. L’été, on a l’impression de se promener sur les tuiles d’un toit gigantesque. L’hiver, la pluie mine la croûte terreuse et la vase en jaillit pour former des mares et des lacs. Au nord le regard vient buter sur un mur de brouillard compact courant à l’infini. Deux kilomètres avant cette muraille de gaz marécageux se dresse une ville plantée sur une colline. Ce sont des bâtiments grisâtres rongés par le sel et qui s’enfoncent dans le sol malléable. Une tour haute de quarante mètres les surplombe ; elle est face au mur du brouillard et à l’aspect d’un sémaphore en haut duquel brille un feu de couleur verte. Il y a très longtemps des hommes ont été condamnés à vivre sur cette colline. A présent tout le monde ignore quelle faute est à l’origine de cette condamnation et qui l’a prononcée. Peu importe le crime disent certains, seule compte la volonté d’expier. Chacun s’accorde cependant à voir la lumière verte comme le symbole de leur jugement et le châtiment ne serait rien d’autre que d’être obligé à vivre dans cet univers fangeux. La légende dit que lorsque le feu vert deviendra rouge, ce sera le signe qu’ils auront expié. Tous pourront alors quitter la ville et voir ce qui se trouve derrière la muraille de gaz. Ils connaîtront la rédemption.

-------------- Deuxième nouvelle publiée par Serge Brussolo, elle a comme la précédente pour coauteur Jean-Jacques Dull. Selon les souvenirs de ce dernier La rédemption aurait été écrite en 1973 ou au plus tard en automne 1974 (1). Avec cette nouvelle, Serge Brussolo commence ce qui deviendra sa manière dès la nouvelle Vue en coupe d’une ville malade et dans les premiers romans parus au Fleuve Noir : la peinture d’un univers en crise. Personne ne saurait mieux expliquer sa technique sinon l’auteur lui-même lors d’une interview : « Je prends généralement un écosystème malade ou quelque chose comme ça et essaye de voir tout ce que ça peut générer : des comportements psychologiques, politiques, religieux, les conflits qui peuvent en découler, les manières dont s’affrontent les mentalités, et à partir de toutes ces données, je bâtis mon histoire et commence à écrire. » (2) La rédemption illustre parfaitement ce propos. Des hommes végètent dans un univers marécageux aux conditions de vie atroces. La nourriture y est rare, le terrain instable et les conditions atmosphériques très difficiles. Ils se sont réfugiés sur une colline faite de boue. Les rares bâtiments construits sont absorbés progressivement par la vase, tout s’enfonce et se détériore. A partir de cet environnement cataclysmique, Brussolo imagine quelles croyances peuvent naître chez ces hommes confrontés à un milieu aussi dur. Pour eux c’est bien simple : leur vie ne peut être que le résultat d’une condamnation. Ils ont commis une faute mais ignorent laquelle, cela n’a toutefois pas beaucoup d’importance. Ce qui compte, c’est qu’il soit possible d’en obtenir la rémission en acceptant leur sort et en restant souffrir sur la colline plutôt que de chercher à partir. Un jour le signal sera donné et ils pourront traverser le mur de brouillard. Tout dépend d’un feu qui brûle sur le plus haut bâtiment construit, si un jour le feu vert devient rouge, cela sera signifiera qu’ils seront sauvés

(1) Revue Phénix n° 24, Dossier Serge Brussolo, Bruxelles, octobre 1990, p.114. (2) Entretien de Serge Brussolo avec Richard Comballot, Revue Phénix, op.cit, p. 59.

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et pourront passer afin de découvrir un monde meilleur. Voilà en gros les croyances que la population partage peu après son installation sur la colline, mais au fil du temps et des générations celles-ci se transforment. Les habitants finiront par se diviser en plusieurs groupes aux opinions et comportements divergents. C’est sur ces conflits que Brussolo construira la nouvelle. La plupart d’entre eux s’accrochent encore à la religion officielle et à l’idée d’expiation. Il faut donc accepter la situation et surtout ne pas bouger de la colline car tant que le peuple n’aura pas suffisamment souffert, aucune rédemption n’est envisageable. D’autres qui sont encore minoritaires n’ont plus la foi : ils ne se sentent plus coupables d’aucune faute et veulent tenter l’expérience de la traversée du brouillard même si le feu ne devient pas rouge. Certains mêmes suivent un prophète qui prétend que le feu que tout le monde voit vert est en réalité de couleur rouge. L’homme arrivera à réunir quelques disciples et former un groupe que les autres appelleront par dérision les Daltoniens. Un autre courant encore plus extrémiste ne croit plus désormais à la possibilité d’une rédemption, ce sont les repentants. Ceux- là vivent à même le sol, bougent le moins possible et dorment sous la pluie. Ils préconisent l’extinction lente de la race humaine en refusant toute procréation. Les conflits entre les différentes factions ne sont pas seulement d’ordre religieux ; ce qui compte avant tout c’est la possession de la tour et l’entretien du feu sacré. Une sentinelle est élue tous les deux ans, c’est elle qui occupe la tour et qui domine la ville. Sa charge est aussi de réciter les prières d’expiation et son pouvoir est autant religieux que politique, la sentinelle commande les habitants et les influence de manière décisive. C’est elle le juge, le sage qui proclamera en temps voulu la rédemption. Jusqu’à présent ce sont toujours les partisans de la ligne officielle qui ont réussi à occuper le poste, mais des bouleversements sont probables si un groupe de dissidents arrive à prendre le contrôle de l’édifice. La ville n’a pas de nom, la planète sur laquelle se déroule la nouvelle non plus. Bien que les débris d’un engin spatial soient décrits, La rédemption ne se situe pas nécessairement sur un autre monde. Tout pourrait se dérouler sur la Terre qui aurait subi une catastrophe écologique. Les habitants n’ont pas nommé leur cité car ils ont toujours considéré la colline comme une simple étape, un bivouac sur le chemin de la rédemption. Lorsque le nombre de candidats au départ deviendra trop important, la sentinelle essaiera de retenir ses concitoyens en choisissant un nom pour la ville, car nommer c’est enraciner les gens, croit- il, mais sa tentative échouera. Nous retrouvons dans plusieurs œuvres de Brussolo l’utilisation du thème de l’anonymat notamment dès sa nouvelle La sixième colonne, mais plus encore dans son roman Les mangeurs de murailles (3) dans lequel rien n’est nommé afin que les humains ne convoitent pas l’espace de leurs voisins. Ne pas nommer un territoire c’est le rendre inexistant aux yeux des autres et éviter ainsi qu’on ne l’envie. C’est toutefois dans son roman Danger, Parking miné ! (4) que l’auteur exploitera de manière approfondie une situation qui oppose un peuple Les rampants tenant de l’anonymat dans tous les aspects de la vie et un autre peuple Les sentinelles dont les membres passent leur temps à nommer les choses.

(3) Les mangeurs de murailles, roman paru dans la collection Anticipation au Fleuve Noir, septembre 1982, 186 p. Réédité chez Gérard de Villiers en avril 1991 dans la collection Les introuvables de Serge Brussolo. Une fiche critique concernant ce roman est parue sur le site http://sergebrussolo.free.fr/ dans la section bibliographique. (4) Danger, parking miné !, roman paru au Fleuve Noir, Collection Anticipation, 181 p., juillet 1986. Une fiche critique de ce roman est aussi parue sur ce site.

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Le moteur du récit est l’affrontement entre ceux qui veulent partir de la ville et les autres qui les obligent à rester. En cela La rédemption annonce un autre thème caractéristique de l’œuvre de Serge Brussolo : l’antagonisme entre des partisans de l’immobilisme et ceux qui penchent plutôt pour la fuite. Cette opposition entre deux peuples ou deux clans nomades et immobiles reviendra comme un leitmotiv dans un grand nombre de ses romans tels que Les bêtes enracinées (5), Les semeurs d’abîmes (6), Ambulance cannibale non identifiée (7). Tout comme la nouvelle précédente, le titre doit être pris ironiquement. Il ne saurait être question de rédemption pour les malheureux qui pataugent dans la gadoue ; ici, comme dans beaucoup d’œuvres de l’auteur, la souffrance ne mène à rien. Brussolo n’est pas un moraliste naïf à la différence d’un Van Vogt qui aurait pu présenter ce genre de catéchisme à ses lecteurs. Brussolo s’adresse à un public plus mûr qui a laissé derrière lui les illusions de la morale judéo-chrétienne. Dans ses livres, il n’est pas possible de croire à une force surnaturelle, divine ou non, chargée de récompenser ceux qui ont souffert injustement. Si les personnages endurent de terribles tourments, c’est qu’ils essaient tant bien que mal de survivre et hormis leur survie ils n’ont rien d’autre à espérer. Le mythe chrétien du rachat par la souffrance tout comme sa version laïque de l’effort récompensé ne les concernent pas. L’univers de Brussolo est mécaniste ; il broie les homme et les fait rouler ici et là, comme le vent varie, sans but et sans espoir. Si Brussolo utilise les concepts propres à l’héritage judéo-chrétien tels que la faute, le péché ou l’expiation, c’est pour examiner ce que ces valeurs peuvent produire comme comportements différents dans des situations imaginaires extrêmes. L’écrivain aurait pu tout aussi bien utiliser les valeurs de cruauté, de vengeance et de fierté propres à la religion des Germains comme il le fera plus tard dans son roman La captive de l’hiver (8). Ce qui compte encore et toujours, ce sont les conflits autour de ces mêmes valeurs, les mentalités qui s’affrontent et les histoires qui peuvent en découler. Toujours au chapitre de l’ironie, on remarquera aussi celle dont fait preuve Brussolo en renversant la symbolique des couleurs : ici le rouge est synonyme de départ et d’autorisation de passer, le vert signifie l’arrêt et l’interdiction de circuler. Au niveau narratif, Serge Brussolo utilise la méthode qui deviendra habituelle pour ses romans : le narrateur est impersonnel et suit de près un personnage Josep jusqu’à la presque toute fin de la nouvelle. Le texte débute sur l’arrivée du héros au pied de la colline. Ce qui permet au narrateur de décrire la ville en proie aux ravages de la boue. Après quoi plusieurs époques sont mêlées ; les souvenirs d’enfance de Josep apparaissent en même temps que les légendes qui courent parmi les occupants de la colline. Cette superposition de légendes et de souvenirs crée une impression étrange de récit statique dans l’esprit du lecteur. Le texte se trouve figé par le chevauchement de plusieurs périodes tout comme la ville et ses habitants sont figés par la boue. On en vient à penser que le commencement de la nouvelle sert uniquement de prétexte à l’évocation du passé. En réalité tout cela donne une épaisseur au texte avant que la narration ne revienne au temps de la première page et accompagne Josep dans son errance à travers la ville. L’histoire peut alors débuter vraiment avec l’élection de la nouvelle sentinelle qui occupera la tour et dont Josep deviendra l’assistant.

(5) Les bêtes enracinées, roman paru dans la collection Anticipation au Fleuve Noir n° 1275, 184 p., novembre 1983.Voir fiche critique. (6) Les semeurs d’abîmes, roman paru dans la collection Anticipation au Fleuve Noir n° 1244, 184 p., juillet 1983. Réédité dans la même collection en avril 1994.Voir fiche critique. (7) Ambulance cannibale non identifiée, roman paru dans la collection Anticipation au Fleuve Noir N° 1366, 181 p., janvier 1985. Réédité dans la même collection en janvier 1996. Voir fiche critique parue sur le site.

(8) La captive de l’hiver, roman paru aux éditions du Masque, 307 p., mai 2001. Réédité au Livre de Poche Thriller, mai 2003. Voir à ce sujet la critique de ce livre sur ce même site.

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Il faut souligner que La rédemption est un texte dont Serge Brussolo s’inspirera pour écrire son premier roman Les sentinelles d’Almoha (9). Certains épisodes de la nouvelle comme l’élection de la nouvelle sentinelle sont repris à l’ident ique, d’autres sont développés comme celui concernant les repentants qui deviendront dans le roman les rampants. En revanche des éléments comme le mur de brouillard qui sont centraux dans la nouvelle n’apparaissent qu’incidemment dans le roman. Il n’y a pas moins de trois versions au roman Les sentinelles d’Almoha, c’est dire l’attachement de l’auteur à propos de ce texte, mais curieusement dans la préface à la réédition de son roman en 1994, il ne parle pas de la nouvelle La rédemption que l’on peut toutefois considérer non pas comme une ébauche du roman, mais comme un texte matrice d’où il est sorti. Je renvoie le lecteur intéressé par la genèse du roman et à une comparaison des trois versions à la fiche de lecture concernant ce livre et qui est parue sur ce le site http://sergebrussolo.free.fr/ . Il serait trop long ici de comparer point par point les différences et les aspects communs entre les versions du roman Les sentinelles d’Almoha et la nouvelle La rédemption. Outre ceux dont il est question au début du précédent paragraphe, il faut en évoquer rapidement quelques autres qui paraissent fondamentaux. Ce qui compte dans la nouvelle, c’est le feu vert qui brûle au-dessus de la tour et la signification qui en est donnée, non pas les nuages faits de matériaux solides qui menacent de raser la ville comme dans le roman. Les sentinelles d’Almoha traite de l’adaptation des hommes à la terrible pesanteur de la planète alors que pour La rédemption, il est question avant tout de religion ; l’opposition entre les différents courants religieux constitue l’intrigue de la nouvelle. Le cadre de vie est beaucoup plus présent dans Les sentinelles d’Almoha, la planète et plusieurs villes sont nommées. Dans La rédemption la planète n’est qu’un décor anonyme de boues dans lequel les conditions de vie sont atroces. Dernière différence à souligner : la fin de la nouvelle, contrairement au roman, propose un retournement de situation d’un pessimisme implacable que l’on ne révèlera pas ici.

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(9) Les sentinelles d’Almoha , roman publié dans la collection S.F. pour la jeunesse chez Fernand Nathan au premier trimestre 1981, 142 p. Une version allongée et destinée à un public adulte du même roman est parue sous le même titre chez Fleuve Noir dans la collection Anticipation en février 1994, 184 p. Voir à cet égard ma fiche critique de ce roman.

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3. L’autoroute

in Phénix n° 24 Spécial Brussolo, Bruxelles, octobre 1990, pp. 115-138. in Chants opératoires, op.cit., pp. 53-81. In La nuit du venin, op.cit., pp. 489-517.

Le ciel charrie des nuages de gaz toxiques qui rendent toute vie à l’extérieur impossible. Il suffit d’inhaler l’air vicié pendant quelques secondes pour tomber raide mort. L’humanité a dû s’adapter à ce nouvel environnement. Désormais tout un chacun vit enfermé dans son véhicule qui roule inlassablement. Une pompe spéciale reliée au moteur produit de l’oxygène tant qu’il tourne. Il suffit que la voiture soit arrêtée pour immobiliser la pompe et se condamner à l’asphyxie très rapidement. L’idéal est de se trouver au moins à deux conducteurs par voiture pour pouvoir se relayer au volant : pendant que l’un conduit, l’autre se repose. Un carburant spécial a été mis au point, il permet une autonomie de dix ans et un système de séparateur- intégrateur équipe chaque automobile : c’est une sorte de siège de W.C. qui traite les excréments et l’urine afin de leur donner un pouvoir nutritif. La machine permet ainsi de rendre la nourriture presque entièrement récupérable, ce qui évite la nécessité de se ravitailler trop souvent. De temps à autre les chauffeurs croisent un centre d’approvisionnement, sorte de gigantesque station roulante qui se déplace sur une centaine de pneus. On y trouve des magasins, des restaurants et c’est là que l’on peut se procurer au marché noir des pièces de rechange pour son véhicule. La hantise de tous les automobilistes c’est de tomber en panne ou d’avoir un accident sur l’autoroute. Un pneu crevé, un défaut au moteur, deux véhicules qui se télescopent et c’est une course contre la montre pour redémarrer au plus vite. La production d’oxygène est à ce prix et les masques à gaz ne sont qu’une solution provisoire pour survivre. Personne ne viendra en aide à celui qui est en difficulté sur la route car s’arrêter ce serait soi-même se mettre en danger. L’égoïsme règne en maître et tout le monde vit enfermé dans ses quelques mètres cube de tôle. On ne s’aventure à l’extérieur que lorsque l’on croise une épave dont on s’est assuré que les occupants sont morts. Alors commence le pillage de leur véhicule et la récupération de tout ce qui est encore utilisable.

-------------- Comme les deux précédentes nouvelles, L’autoroute a été écrite en collaboration avec Jean-Jacques Dull. Elle a été publiée pour la première fois en 1990, mais elle a été écrite sans doute avant l’automne 1974 qui marque la fin de la période de collaboration entre les deux auteurs. Tout comme dans La rédemption, on ne sait rien du bouleversement qui force les hommes à vivre dans des conditions extrêmes, aucun lieu n’est nommé, il n’y a pas de repères, l’histoire pourrait se dérouler aussi bien sur la Terre qui aurait connu une catastrophe écologique que sur une autre planète. Ce qui est certain, c’est que les hommes n’ont pas toujours connu ces conditions et qu’avant ils vivaient dans un environnement moins hostile. Les gaz ont changé la donne et les hommes ont dû s’adapter aux nouvelles conditions infernales. L’auteur examine dans cette nouvelle les comportements humains qui peuvent naître de ce changement radical. Sa méthode est la même que dans La rédemption : il s’agit de prendre un écosystème malade et de peindre les conflits et adaptations qui peuvent s’y produire. L’histoire est centrée sur un couple avec son enfant : trois personnages enfermés dans une petite camionnette. Brussolo décrit les tensions, les rapports qui s’enveniment dans cet espace

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clos et leur existence qui devient de plus en plus pénible au fil des kilomètres. Le couple n’en peut plus de se supporter et se déchire continuellement. Leur enfant qui s’avère être un mutant étonnamment bien adapté aux nouvelles conditions de vie à l’extérieur leur devient de plus en plus étranger. Les personnages sont en crise tout comme l’univers dans lequel ils évoluent. Ils n’ont aucune des qualités que l’on retrouve chez les héros positifs et seule une morale de survie les guide dans leur errance sans but. La narration est impersonnelle et le texte, bien que d’un nombre de pages presque équivalent, semble être beaucoup plus dense que La Rédemption. Cette impression vient sans doute de la structure ouverte du récit sous forme de road-movie alors que l’autre se déroule au même endroit dans un décor qui fige les personnages à un sol boueux. Tout en suivant les trois personnages principaux, L’auteur enrobe son récit de petites histoires annexes sans pour autant les déployer. Ainsi il parle de « la légende des auto-stoppeurs nocturnes », ce serait des morts qui viendraient héler les vivants la nuit au bord des autoroutes. Il y a là une adaptation du mythe des sirènes, mais on n’en saura pas plus sur cette mystérieuse légende. De même le narrateur dit plus loin que « la situation favorisait un mysticisme démentiel et les philosophies les plus folles ». Il n’en dira pas davantage et poursuivra sur le mythe de la contrée préservée du gaz. On a parfois l’impression de lire le résumé d’un roman que l’auteur n’aurait pas eu le temps de développer. Cette impression peut être aussi ressentie à la lecture de sa nouvelle Vue en coupe d’une ville malade. Ce n’est qu’à partir de son roman Sommeil de sang comme cela a été déjà été souligné dans l’avant-propos que l’auteur comprendra que son talent trouve plus favorablement à s’exprimer sur la distance du roman plutôt que sur celle de la nouvelle. L’autoroute est très proche de la nouvelle Funnyway pour laquelle Serge Brussolo obtiendra le Grand prix de la science-fiction française en 1979. Dans ce dernier texte, des prisonniers enfermés dans un bagne sont condamnés à pédaler toute la journée sur de vieilles bicyclettes rouillées. Le pédalier est relié à un système de production d’oxygène qui permet aux cyclistes de respirer via un masque. Comme dans L’autoroute l’atmosphère contaminée par des gaz est irrespirable et on retrouve dans Funnyway la machine chargée de récupérer urine et excrément afin de leur rendre un pouvoir nutritif. Le roman Traque-la-mort (1) reprendra aussi à l’identique les gigantesques centres d’approvisionnement roulants qu’on trouve dans L’autoroute. C’est dans un de ces centres que Nath, le personnage principal de la nouvelle, prendra un bain en tout point semblable à celui dont profitera le héros du roman. L’autoroute est aussi à rapprocher du roman Portrait du diable en chapeau melon (2) dans lequel se situe une prison perdue au fin fond du désert et protégée par une ceinture de gaz toxiques. Ceux qui veulent s’en approcher doivent le faire dans un véhicule complètement hermétique ou avec d’excellents masques à gaz. Dans le roman comme dans la nouvelle, on trouve un enfant mutant et la fin des deux textes se déroule dans un décor de bord de mer quasiment identique. Cette nouvelle à la maîtrise d’écriture confondante procure au lecteur une sensation d’étouffement et son pessimisme radical un profond malaise.

RETOUR TABLE DES MATIÈRES (1) Traque-la-mort, roman paru chez Jean-Claude Lattès, coll. Titres S.F. n°60, 247 p., septembre 1982. Republié chez Gérard de Villiers, collection « Les introuvables », mars 1992. Voir la fiche critique parue sur le site (2) Portrait du diable en chapeau melon, roman paru dans la collection Présence du Futur n° 348, Denoël, 183 p., octobre 1982. Réédité dans la même collection en juillet 1989. Une fiche critiquée a été publiée sur ce site.

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4. Jour de chasse à Manhattan

in Piranha n° 3, Editions Pierre de Lune, Paris, 1er trimestre 1977, pp. 26-31. in Phénix n° 24, op. cit., pp. 259-269. in Chants opératoires, op.cit., pp. 139-151.

Si l’on veut qu’un jour l’homme cesse de cultiver son individualisme, il faut prendre des mesures radicales. Elles ont été prises. Désormais l’humanité vit sur la route et forme de longues colonnes. Pendant toute la journée ce sont des marches forcées et le soir d’immenses dortoirs accueillent les marcheurs fatigués. Les locaux se ressemblent tous et les mêmes lits, lavabos et affaires de toilette sont mis à la disposition des piétons. La journée d’hier ressemble à celle d’aujourd’hui et sera celle de demain. Il est impossible de différencier les étapes. Chacun doit ranger dans une valise identique à celle de son voisin des effets semblables. Tout objet personnel est proscrit et gare au contrevenant. C’est ainsi qu’on lutte contre le fétichisme du moi et qu’un jour les hommes seront véritablement égaux. Toutefois certains résistent encore à l’ordre de mobilisation générale. Ils se sont réfugiés dans les villes et tiennent tête à ceux qui veulent les y déloger.

-------------- Jour de chasse à Manhattan est une nouvelle avant tout descriptive qui se déploie sur de petites plages narratives fragmentées. On en retiendra des images surréalistes comme celle d’une autopompe qui au lieu d’éteindre des incendies les provoque au contraire en déversant du napalm dans les appartements : la lance- incendie devient lance- incendiaire. Dans le même ordre d’esprit, lorsque les éboueurs passent, ce n’est pas pour ramasser des sacs poubelle, mais pour déverser des rats dans les immeubles afin d’en faire fuir les occupants. Le texte suit les déambulations d’une jeune fille réfugiée dans une ville et en proie à une très forte imagination. Elle donne alors au réel une dimension fantastique qui le fait osciller entre rêve et cauchemar. Jour de chasse à Manhattan a certains paragraphes communs avec la nouvelle La sixième colonne notamment tout ce qui concerne les marches forcées. Elle reprend aussi quelques images développées dans le texte de l’érèbe et de la nuit qui conte l’histoire d’une société où des personnes qui ne dorment jamais font supporter toute leur fatigue par d’autres qui sont plongées continuellement dans un sommeil profond. Ce sont des mouches qui transmettent la fatigue accumulée aux dormeurs, et ce sont les mouches aussi qui dans la nouvelle Jour de chasse à Manhattan ont transmis la maladie du sommeil à l’un des personnages qui a de plus en plus de mal à se tenir éveillé. On y retrouve aussi un concierge qui a fui la colonne grâce à un cheval et dont on aura un avatar au début de la nouvelle de l’érèbe et de la nuit. Serge Brussolo reprendra Jour de chasse à Manhattan en la modifiant quelque peu pour l’inclure dans le chapitre quinze de son roman Sommeil de sang. Enfin cette nouvelle exprime sur un paragraphe un curieux phénomène qui rend les ombres indépendantes. Des ombres de mouettes ou de nuages mènent leur propre « vie » et ne suivent plus les êtres ou les choses qui leur ont donné naissance. Cette idée sera développée par Serge Brussolo bien après pour donner son roman Le château d’encre (1).

(1) Le château d’encre, roman paru dans la collection Présence du Futur, janvier 1988, 155 p. Voir présentation et critique de ce roman parues sur le site.

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Dans un entretien accordé à Richard Comballot (2), Serge Brussolo a donné quelques explications sur son texte : « C’est une nouvelle que j’ai écrite dans des conditions particulières : je n’avais pas un sou, avais à peine de quoi bouffer et une chambre de bonne dans un quartier très riche de Paris, le seizième arrondissement.]…[ C’était l’été, tout le monde était parti se faire dorer au soleil, dans les villas chics, et j’étais seul dans l’immeuble, dans ce quartier qui était une sorte de ville fantôme. Je sortais pour acheter un morceau de pain et un litre de lait, il m’arrivait de traverser des rues gigantesques sans rencontrer personne. J’avais l’impression d’être dans une ville morte, c’était fabuleux. J’étais une espèce de survivant, et dans mon immeuble c’était un peu pareil ; j’étais le seul type qui l’habitait encore et me faisais l’effet d’un fantôme. Tout « Jour de chasse à Manhattan » est venu des sensations que j’avais accumulées pendant cette période. Je pensais que c’était suffisant pour qu’il n’y ait pas d’intrigue. Parce que dans la vie de tous les jours, il y a rarement de ces intrigues que l’on trouve dans les livres, avec rebondissements et coups de théâtre. »

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(2) Revue Phénix, op.cit., p. 80.

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5. Parking de l’ennui

in Les sources du Nihil, n° 2, Villeurbanne, juin 1977, pp. 26-29. in Phénix, op.cit., pp. 253-258. in Chants opératoires, pp. 153-158.

Un homme raconte ses souvenirs guerriers de mondes détruits.

-------------- Certainement l’un des textes les plus faibles écrits par Serge Brussolo. Heureusement c’est aussi l’un des plus courts. Le narrateur semble être un ancien militaire qui évoque dans le désordre son existence passée. On ne sait pas si les souvenirs sont imaginaires ou non, ce qui est sûr c’est que le tout est fort peu structuré et qu’on peut qualifier ce texte de délire verbal plutôt que de nouvelle proprement dite. Il est même difficile de croire que ce texte ait été écrit par Serge Brussolo – auteur reconnu pour sa clarté - tant la prose est pompeuse, emphatique et fondée sur de libres associations. En voici un extrait : “ Et leurs bombes spermicides, cosmiques, anti-semences. Stérilisateurs des hautes-œuvres, ils instaurèrent le coït sec jusqu’à ce que disparaisse le dernier parasite. Au jour du jugement dernier, la fête eut lieu dans un ascenseur en chute libre, le bal sur l’épicentre d’un séisme. Pour la musique, le rythme fut celui d’un tétanos parfait.” Plusieurs paragraphes sont repris du texte précédent Jour de chasse à Manhattan notamment celui qui concerne le camion de pompiers qui jette son napalm à l’intérieur des maisons. D’autres souvenirs intègrent des passages de La sixième colonne comme la valise réglementaire ainsi que « le cri atroce des planètes » enregistré sur une cassette. Le tout se termine sous forme d’invocations au nom de Abylhen et par de libres associations poétiques. Parking de l’ennui est à oublier.

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6. Le ver et le fruit

in A la poursuite des SFFans, n° 5, Rambouillet, septembre 1977, pp. 55-58. in Phénix, op.cit., pp. 245-251. in Chants opératoires, op.cit., pp. 95-101

Depuis trop longtemps l’humanité vit en conflit avec la nature. Il est temps d’y remédier. Désormais le mot d’ordre est le suivant : les hommes seront hybrides ou ne seront pas. Le programme de symbiose est lancé. Il faut essayer de faire fraterniser l’homme avec les autres espèces animales. Pour y arriver on implante certains animaux directement sur les personnes volontaires afin de leur permettre de vivre ensemble. On greffe par exemple une colonie d’abeilles dans la bouche d’un homme qui se nourrit ainsi directement de leur miel ou bien alors une femme accueille une couleuvre dans son vagin qui lui sert d’abri. Tout cela n’est qu’une première étape. La véritable symbiose aura lieu lorsque plusieurs animaux et végétaux pourront vivre sur le même individu. Une fois passé ce stade, des minéraux seront ajoutés afin que l’humanité devienne réellement un microcosme dans lequel tous les règnes animaux, végétaux et minéraux cohabitent. Un des cobayes reçoit des écailles de bois sur les épaules et sur le dos tandis qu’un autre est combiné à un lac entouré de rochers. Il est devenu l’homme-arbre, elle est devenue la femme-lac. On essaiera de les croiser. L’objectif est d’obtenir des descendants d’hybrides réconciliés avec la nature. Les choses ne se déroulent pas comme prévu. Lorsque plusieurs animaux différents sont greffés sur la même personne, il y a souvent des problèmes de compatibilité. Une couleuvre implantée dans un vagin s’en prend par exemple aux fourmis logées dans les aisselles du sujet. Certains animaux revendiquent le territoire des autres : des bourdons qui occupent un anus essaient de prendre le dessus sur des fourmilières situées un peu plus haut. L’homme-arbre est attaqué par des champignons et des vers. les hybrides croisés à des minéraux ne sont pas mieux lotis. Une femme que l’on fait vivre en symbiose avec un roc sera victime d’un séisme. Des cobayes eux-mêmes ne supportant plus de se sentir habités attaquent les animaux qui les occupent. C’est finalement une révolte générale d’enfants promis à de nouvelles expériences de symbiose qui apporte un coup fatal au programme. Ils saccagent le centre de recherches et assassinent les hybrides qui ont survécu aux expérimentations : la femme-pierre est jetée dans mer où elle se noie, l’homme-arbre reçoit des termites qui le mangent de l’intérieur, un homme de terre est poursuivi à la lance d’incendie. La réconciliation de l’humanité avec la nature n’a pas eu lieu. Le ver était déjà dans le fruit.

-------------- Sans doute l’une des meilleures nouvelles écrites par Serge Brussolo. En partant de l’idée de symbiose entre les différents règnes animés et inanimés, l’auteur arrive à proposer des images fantastiques qui resteront longtemps présentes dans la mémoire du lecteur. La situation y est développée avec une logique implacable menant à un apogée de désastre intégral. Le texte est construit sur un long flash-back partant de la révolte des enfants pour aboutir dans une morgue où se trouve le cadavre desséché de l’homme-arbre. Il n’y a pas un temps mort dans ces quelques pages ni un mot de trop. Les qualités descriptives sont exceptionnelles, en un mot : tout y est parfait. Cette histoire laisse une impression aussi forte que les meilleures proses de Kafka et fait songer au récit intitulé Le pont de l’écrivain tchèque. Le ver et le fruit est la reprise presque à l’identique de la dernière partie d’une autre nouvelle intitulée Ergo sum que Serge Brussolo n’a fait paraître qu’une seule fois en 1978. Le ver et le

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fruit en a été coupée pour en faire un texte indépendant beaucoup plus convaincant que l’original car dans Ergo sum deux autres histoires sont jointes de manière assez artificielle avec celle qui nous occupe. L’une se retrouvera dans Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu et l’autre dans « …Car ceci est de la chair, et ceci est du sang ». Serge Brussolo inclura plusieurs éléments de sa nouvelle dans le final du roman Le carnaval de fer (1)- notamment le personnage de l’homme-ruche qui se nourrit directement du miel des abeilles qui vivent sur lui. Le programme symbiotique y tournera d’ailleurs tout aussi mal. Une œuvre très semblable à Le ver et le fruit est Anamorphoses ou les liens de sang que l’on trouve dans le recueil Vue en coupe d’une ville malade. Ce dernier texte conte aussi la révolte d’enfants qui font l’objet d’expérimentations dans un laboratoire situé sur une île, mais dans Les liens de sang, on essaie de leur transfuser du sang animal alors qu’ici ils font l’objet d’expériences de symbiose. Un roman Les lutteurs immobiles (2) reprend la notion d’hybridation, mais cette fois-ci entre les hommes et les objets. Une organisation « La Société Protectrice des Objets » lutte contre le gaspillage de la manière forte. Les personnes reconnues coupables de vandalisme envers les objets sont condamnés à être couplés avec l’un d’entre eux. Elles sont devenues les garantes des objets et supportent sur leur propre corps tous les aléas dont ils pourraient être les victimes. C’est particulièrement périlleux lorsque l’on est négligent car une porcelaine cassée correspond par exemple à une fracture ouverte sur le corps de l’homme avec laquelle elle est couplée. A noter que dans Le ver et le fruit apparaît le nom de Mac Floyd qui est celui du dirigeant politique responsable de la situation. Il reviendra comme une idée fixe dans les nouvelles Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu, « …Car ceci est de la chair, et ceci est du sang ». ainsi que dans le texte jamais réédité Ergo sum.

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(1) Le carnaval de fer, roman paru dans la Collection Présence du Futur n° 359 chez Denoël, mars 1983, 280 p. Réédité dans la même collection en avril 1988. Une fiche critique de ce roman est parue sur le site. (2) Les lutteurs immobiles, roman paru au Fleuve Noir dans la collection Anticipation n° 1257, septembre 1983, 186 p. Réédité chez Denoël dans la collection Présence du Futur n° 575 en janvier 1997 ainsi qu’en janvier 2000. Voir fiche critique parue sur ce site.

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7. Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu

in Piranha, n° 4, Editions Pierre de Lune, 3ème trimestre 1977, pp. 22-28. in Mirages 1990, revue Phénix n° 21, Bruxelles, 1990 , pp. 169-181. in Chants opératoires, op.cit., pp. 121-138.

Il était temps d’en finir avec l’hédonisme. Interminablement l’homme a pu la isser libre cours à sa sensualité. Son comportement était guidé par le principe de jouissance et tout un chacun s’y abîmait. Aucun frein n’était mis aux débordements qui débouchaient sur le vide et le manque toujours renouvelés. Heureusement la tapectomie est arrivée. Désormais on procède sur chaque nouveau-né à une opération qui sectionne et retire du cerveau les régions dans lesquelles se transmettent à l’individu les sensations de douleur et de plaisir. La faim et le froid n’existent plus de même que le goût, l’odorat ou le toucher. Quant à la pulsion sexuelle, elle est inexistante et l’insémination artificielle doit être imposée si l’on veut assurer la perpétuation de l’espèce. A l’âge de dix-huit ans chaque femme munie du visa nécessaire est sommée de recevoir la semence. Les hommes vont enfin pouvoir se libérer de leur enveloppe charnelle et se consacrer à des fins uniquement cérébrales, morales et spirituelles. Comme dans toutes les sociétés, il y a ceux qui refusent le système et qui cherchent à connaître à nouveau la douleur et le plaisir : ce sont des adeptes de la flagellation, des tortures et des drogues. D’autres n’en peuvent plus de ne plus rien ressentir et le suicide alors est la seule solution.

-------------- Cette nouvelle aborde l’idée de la tapectomie aussi exploitée dans le texte Ergo sum jamais réédité. Certains passages sont d’ailleurs les mêmes dans les deux écrits comme celui du suicide de l’écrivain Ishiro qui se jette du 78ème étage d’un immeuble, sa machine à écrire accroché par une corde de piano à son pénis. La Commission Mac Floyd a ici un rôle identique : elle a décidé que l’on ne supprimerait plus les détenus politiques. Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu provoque un certain désarroi. On croirait lire un synopsis de roman que l’auteur n’aurait pas eu le temps de développer, de longues descriptions alternent avec de courtes évocations d’un personnage, puis d’un autre au fil des paragraphes, le tout collé artificiellement. Il y a aussi quelques passages assez curieux où l’auteur perd le fil de sa narration pour semble-t- il laisser « divaguer son texte » : « Lisiah, ils t’ont soufflé l’âme par le trou de la serrure, ils l’ont lové au fond d’une bouteille de Coca-Cola… Et tu es mort. Mortoo tombo miyi… » Par la suite, Serge Brussolo sera beaucoup plus efficace en employant des procédés narratifs plus simples à suivre pour ses lecteurs. L’un des personnages Lisiah porte le même prénom que le héros du roman Traque-la-mort. Comme ce dernier il perdra les deux mains à la guerre et des mains étrangères lui seront greffées. Ici le héros de « race » noire recevra les mains d’un blanc alors que dans le roman c’est exactement l’inverse. Un long passage du début du texte est la reprise identique d’une description que l’on retrouve dans la nouvelle Vue en coupe d’une ville malade. L’auteur décrit la statue d’un motard et de sa passagère sur un chopper. Le personnage qui contemple la statue trouve dans le sac de la passagère une lettre de refus pour une des nouvelles écrites par Serge Brussolo : Off. L’héroïne a par ailleurs le même prénom Sheeny. Vue en coupe d’une ville malade développe aussi une idée très semblable à celle de la tapectomie puisque certains des protagonistes y voient leurs terminaisons nerveuses peu à peu insensibilisées. Ils

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deviennent incapables de ressentir aussi bien de la douleur que du plaisir. Enfin signalons qu’un nom de lieu apparaît dans cette nouvelle-patchwork Le Passage Saint-Hermine qu’on retrouvera dans le roman Le nuisible (1) ainsi que dans de nombreux autres livres de Serge Brussolo.

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(1) Le nuisible, roman paru dans la collection Sueurs Froides chez Denoël, octobre 1982, 185 p. Réédité au Livre de Poche (policier), novembre 1997. Voir critique de ce roman parue sur le site Le monde de Brussolo.

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8. Piège à chance

in Espace-Temps n° 5, Paris, janvier 1978, pp. 7-23. in Nouvelles dimensions, anthologie de Richard Comballot, Villelongue d’Aude, automne 1986, pp. 82-

104. in Les meilleures nouvelles de l’année 1987, anthologie de Christine Ferniot, Paris, octobre 1987, pp.

112-133. in Chants opératoires, op.cit., pp. 159-181. in La nuit du venin, op.cit., pp. 531-554.

Gahl est un joueur invétéré et un éternel perdant qui hante les casinos. Il est le membre d’une famille où chacun à sa manière cultive l’échec. Son père, un ancien colonel, a rêvé toute sa vie d’obtenir la plus haute distinction militaire : une sorte de ruban bleuté au bout duquel pend une bille en acier. Il n’y est jamais parvenu et est en train de finir ses jours dans un asile. Sa mère était l’une des meilleurs joaillières du globe. Un jour elle a voulu accomplir un exploit que personne avant elle n’avait osé tenter. Un pectoral exposé au musée galactique n’avait jamais eu encore ses perles serties. Elles avaient été trouvées lors d’une expédition sur Mars et encore vivantes jaillissaient invariablement des montures auxquelles on essayait de les adapter. Après des mois de travail, la mère de Gahl réussit à les faire tenir dans la parure jusqu’à ce que l’une d’entre elles explosa en plein milieu d’une exposition réduisant toute la composition en poussière de nacre. Depuis lors elle s’est reconvertie et est devenue serveuse dans un snack. Quant au frère de Gahl, sa réputation d’archéologue était fort grande. Pendant des années il a essayé de retrouver la tête d’un animal fabuleux sur la planète Altaon III. C’était l’équivalent du mythe de la licorne sur terre, sauf que selon la légende la tête de l’animal était minuscule, ronde, sans orbites, sans mâchoires - une bille d’os absurde qui lui conférait son ascendance mythique. Au bout de dix ans, il trouva une patte postérieure, puis après six nouvelles années de recherche une cage thoracique, mais il ne découvrit jamais la tête de la légende. Découragé il a changé de profession et tient désormais un manège dans une fête foraine. Ce soir, au casino, Gahl a une veine fabuleuse et met ainsi un terme à la malédiction familiale. La petite bille d’ivoire de la roulette n’a roulé qu’à son profit et il arrive à en faire exploser la banque. La chance aurait-elle enfin tourné ? Gahl a du mal à y croire. La suite de l’histoire lui donnera raison.

-------------- Une nouvelle très classique qui appartient autant au genre policier qu’à celui de la science-fiction. Elle se concentre avant tout sur un personnage, ses faits et gestes, ses pensées intimes. Il ne s’agit pas ici pour Brussolo comme dans la plupart des autres textes de prendre quelques personnages qui lui serviront pour peindre un univers en crise. Ici l’histoire est fondée sur le destin du personnage et sur la manipulation dont il fait l’objet. En ce sens, on peut la comparer à L’évadé qui est comme Le piège à chance centrée sur un seul protagoniste. Ce n’est pas leur seul point commun, cette nouvelle est construite comme la première sur les analogies. Tous les membres de la famille de Gahl sont fascinés par un objet sphérique de petite taille : c’est la bille d’acier d’une médaille pour le père, une perle pour la mère, une minuscule tête en os pour le frère, Gahl sera fasciné par la boule en ivoire de la roulette qui est en réalité elle aussi une de ces perles vivantes venues de Mars. Toutes ces correspondances sont un peu forcées et on ne peut s’empêcher de penser que l’auteur a travaillé là avec de gros pinceaux.

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Gahl est l’antihéros typique de nombreux récits de Brussolo, il est constamment hanté par l’idée d’échec sur laquelle sa vie est fondée. Des souvenirs négatifs le poursuivent et son imagination lui fait perdre pied dans le réel. Gahl n’a pas les aptitudes nécessaires pour prendre une revanche sur la vie et sortir de la spirale des défaites. En plus de quoi Serge Brussolo se montre très ironique envers son personnage qui, ne croyant pas à la télépathie, sera finalement victime d’un télépathe. Le piège à chance reprend et adapte le début de la nouvelle Off dans le corps du texte sans qu’il y ait pour autant entre les deux nouvelles une parenté thématique ; il faut sans doute y voir un clin d’œil de Serge Brussolo pour les happy few.

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9. Funnyway

in Futurs au présent, anthologie de Philippe Curval, Paris, Denoël, collection Présence du Futur, n° 256, mars 1978, pp. 301-311.

in L’année 1978-1979 de la Science-fiction et du fantastique, Paris, mars 1979, pp. 83-90. in Mange-monde, recueil composé du roman éponyme ainsi que de trois nouvelles, octobre 1993, 220 p.

Funnyway se situe aux pages 159 à 173. in Une histoire de la science-fiction – tome 5, 1950-2000 , anthologie composée par Jacques Sadoul,

J’ai lu, collection Librio, juillet 2001, pp. 45-55. Ils pédalent comme des forcenés sur une piste entourée de murailles infranchissables. Toute la journée les cyclistes ahanent sur de vieux vélos rouillés. Leur pédalier est relié à une pompe et l’oxygène produit leur arrive sous un masque. Sans cet équipement, leurs bronches seraient attaquées par les gaz toxiques contenus dans l’atmosphère. Tant que les coureurs moulinent, ils sont à l’abri, mais gare à celui qui pose pied à terre. Le contact direct avec l’air vicié asphyxie rapidement et provoque des vomissements de sang très douloureux. Une seule solution : ne jamais s’arrêter. La pluie vous battra les flancs et il faudra prendre garde aux obstacles, mais tant que vous roulerez, le pire sera évité. Pour vos besoins, faites-ça en danseuse car vous immobiliser signifie très rapidement les suffocations. Le soir une porte s’ouvrira dans la muraille et vous pourrez vous reposer jusqu’à demain matin pour participer à nouveau à la course. Est-ce un bagne, l’enfer ou tout autre chose ? La réponse à cette question est sans doute peu importante. Ce qui est sûr c’est que vous souffrez et que vous continuerez à souffrir.

-------------- Funnyway est une nouvelle particulièrement importante dans la carrière de Serge Brussolo. Publiée dans l’anthologie Futurs au présent en 1978, elle obtiendra le Grand Prix de la Science-Fiction Française en 1979. Ce sera le sésame qui ouvrira à l’auteur les portes de certaines maisons d’édition qui l’avaient refusé jusqu’alors. Texte d’une profonde noirceur et dont l’humour n’est pas absent, Funnyway frappe par la précision de ses descriptions et l’angoisse qu’elles suscitent. De simples vélos sont présentés comme des instruments de torture au sein de ce qui paraît être un bagne. Les conditions de survie y sont au-delà de l’atroce ; Serge Brussolo pratique à cet égard la surenchère au point que le texte en devient paradoxalement comique. Le malaise chez le lecteur naît de l’incertitude du contexte dans lequel se déroule la nouvelle. Alors que les souffrances des protagonistes de l’histoire sont racontées avec force détails, aucune explication n’est jamais donnée sur ce qui est relaté. Un narrateur qui fait partie de la troupe des cyclistes spécule et se perd en conjectures sur son sort, mais il ne peut en tirer aucune certitude. Il ne sait même pas comment il est arrivé à devoir vivre cette situation. Le texte manie habilement plusieurs registres de narrations et passe du pronom impersonnel « on » au « nous », puis au « je » et enfin au « vous » comme s’il s’adressait directement au lecteur. Ce dernier a ainsi l’impression de faire partie lui-même de l’histoire. Les conseils du narrateur sur la bonne manière de survivre lui sont adressés directement. Celui qui lit Funnyway a le sentiment de faire partie des bagnards qui s’acharnent sur les vieux vélos pourris. Les instructions pratiques qui sont données deviennent alors d’autant plus angoissantes. Lors de la première rédaction de Funnyway, cet aspect devait être davantage

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encore affirmé. Selon une déclaration de l’auteur (1) Funnyway était un texte originellement ambigu : « Funnyway primitivement était un texte non expliqué. La justification rationnelle finale (en l’occurrence, l’idée du bagne) a été rajoutée pour répondre à la demande de Philippe Curval qui craignait que la nouvelle ne soit trop « Fantastique » pour une collection de S.F. reconnue comme telle. » Les éditions de Funnyway postérieures à la publication de 1978 sont par ailleurs légèrement différentes de la première version présentée au public. Quelques paragraphes ont été soustraits par rapport à la version initiale (2) dont celui où le narrateur se promène dans les couloirs d’un dortoir. Il y découvre une salle de classe. Chaque pupitre contient un livre (toujours le même) sur la couverture duquel est inscrit « cras » ou plutôt « crash ». le mur de la classe porte en grosses lettres la phrase : « tu seras puni par où tu as péché ». Funnyway est très proche de la nouvelle L’autoroute écrite quelques années avant. On y trouve une atmosphère semblable contaminée par des gaz toxiques. Toute vie à l’air libre est devenue impossible. Les hommes restent constamment à l’intérieur de véhicules automobiles. Le moteur tourne en permanence et actionne une pompe génératrice d’oxygène. La survie est ainsi rendue possible au sein de l’habitacle. Comme les cyclistes de Funnyway, les conducteurs de L’autoroute doivent rouler sans jamais s’arrêter s’ils ne veulent pas être asphyxiés. Ils craignent avant tout la panne ou l’accident. Dans L’autoroute déjà on trouve la machine chargée de récupérer urine et excrément afin de leur rendre un certain pouvoir nutritif. Cette même machine fera l’objet d’une description dans Funnyway. Quatre ans après Funnyway, Serge Brussolo publiera son roman Portrait du diable en chapeau melon. Le livre se déroule dans un bagne appelé Funnyway. Situé dans un désert, il est complètement isolé du reste du monde par une ceinture de gaz toxiques. Des enfants y ont été enfermés depuis trente ans. Tout le complexe pénitentiaire est géré par un ordinateur poussif. Les prisonniers ont été vraisemblablement oubliés par l’administration. Portrait du diable en chapeau melon est déjà contenu en germe dans Funnyway puisque le narrateur de la nouvelle s’y pose la question : « sommes-nous les prisonniers d’un bagne oublié, d’un ordinateur-geôlier ignorant le changement de contexte historique ? » Enfin il importe de souligner que la bicyclette Funnyway revient dans de nombreux romans de Serge Brussolo. Elle est le plus souvent accompagnée de l’antienne : « Funnyway, la bicyclette qui dure longtemps, Funnyway la bicyclette dont on est content. » Ce sont là comme de fréquents clins d’œil de l’auteur en direction de la nouvelle qui lui a permis de percer. Ils témoignent par eux-mêmes de l’importance que Serge Brussolo lui accorde.

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(1) entretien avec A. Labbé réalisé en 1979, publié dans la revue Phénix n°24, 1990, p.32. (2) v. p. 309 de l’anthologie Futurs au présent.

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10. Comme un miroir mort

in Espace-Temps n° 8, Levallois -Perret, octobre 1978, pp. 23-40. In Vue en coupe d’une ville malade, pp.79-118, recueil paru chez Denoël, collection Présence du futur

n° 300, mai 1980, 219 p. Retirage en août 1985. Il existe une secte de fossoyeurs galactiques qui traîne dans le sillage des armées. On sait très peu de chose sur eux, on prétend qu’ils seraient d’anciens acteurs sans talent qui se seraient reconvertis en entrepreneurs de pompes funèbres. Leur cimetière volant est apparu un jour sur une planète de très peu d’intérêt, ils ont organisé une cérémonie funéraire en respectant les rites des différents peuples des étoiles. Une foule immense est réunie pour assister à l’événement qui se déroule dans une sorte de cirque romain. Lors de la cérémonie et à cause d’un cataclysme cosmique, l’amphithéâtre est envahi par les eaux et la totalité ou presque des personnes qui assistent à l’événement périssent noyées. Les survivants vivent autour du vaisseau sur le bord de l’arène transformée en immense réservoir d’eau. Un jour l’un des riverains jette une grenade au fond de la gigantesque piscine. L’eau s’écoule et le cirque comme le vaisseau qui le contient s’enfoncent dans le sable devenu boueux.

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Serge Brussolo s’amuse ici à relater des rites funéraires plus étranges les uns que les autres. Il exploitera à nouveau cette idée dans son roman Ce qui mordait le ciel (1). Comme un miroir mort contient de belles images, mais la narration est un peu poussive. Elle n’a pas la force de concentration que l’on trouve par exemple dans La mouche et l’araignée ou Soleil de Soufre.

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(1) Ce qui mordait le ciel… roman paru au Fleuve Noir dans la collection Anticipation n° 1290, janvier 1984, 185 p. Réédité chez Denoël, collection Présence du Futur n° 587, janvier 1998, 217 p. Réédité en Folio S-F n° 144, septembre 2003. Voir critique du roman parue sur le site Le monde de Brussolo.

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11. La mouche et l’araignée

in Futurs n°4, Paris, Futurs Presse, octobre 1978, pp. 26-33. in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp. 56-71. in L’hexagone halluciné, anthologie de Gérard Klein, collection Le livre de poche , la grande anthologie

de la science-fiction n° 7107, décembre 1998, pp. 278-296. in Soleil de soufre et autres nouvelles, p. 33-48, recueil de quatre nouvelles, Librio, 93 p

Un couloir carrelé de faïence faiblement éclairé et donnant sur des chambres, pas de fenêtres, pas de vasistas, les parois sont dépourvues de toute ouverture. Au bout du couloir se trouve un escalier conduisant à d’autres étages avec les mêmes couloirs donnant sur des chambres identiques. Est-ce l’intérieur d’un vaisseau ? Celui d’un immeuble ? Un homme nu est couché sur un paillasson au pied de la porte d’une chambre. Il est relié par un cordon ombilical à une femme qui se trouve entravée sur un lit de la chambre : c’est sa mère. L’homme est nourri par le cordon ombilical. Au fil du temps le cordon s’allonge, ce qui permet à l’homme de se déplacer et de trouver une chambre dans laquelle il fécondera une femme qui l’attend. Il ne peut atteindre l’escalier du bout du couloir car aucun cordon ombilical n’est assez grand pour descendre ou monter d’un étage. De temps en temps une voix sortant d’un haut-parleur explique sous forme de berceuse les règles de vie de cet univers. L’homme a trouvé sous son paillasson un rasoir et il essaie de trancher son cordon ombilical, mais n’y arrive pas. Plus tard, la porte de la chambre de sa mère se fermera brusquement, ce qui sectionnera d’un coup son cordon. Il est condamné à mourir de faim car il n’y a d’autre nourriture que celle véhiculée par le cordon. L’homme comprend alors que ses semblables, ceux qui possèdent encore un cordon ombilical qui les entrave, sont pour lui une source de nourriture. Il les attaquera pour les manger.

---------- Texte cauchemardesque qui mérite le qualificatif de chef-d’œuvre. Pas un mot de trop, pas un temps mort, tout est décrit avec une précision diabolique et le lecteur devra avoir le cœur bien accroché pour en supporter sereinement la lecture. Une fois encore Brussolo exploite la thématique de l’opposition entre le nomade et les immobiles, entre l’araignée et les mouches engluées dans la toile de leurs ombilics. La fin de la nouvelle propose une explication rationnelle qui donne le vertige. « l’enseignement de l’araignée n’est pas pour la mouche », écrivait Henri Michaux.

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12. Ergo sum

in Nirvana n° 1, Drancy, 1978, pp. 23-26.

Nouvelle qui n’a jamais été rééditée Ergo sum est une sorte de texte patchwork regroupant trois autres nouvelles : …Car ceci est de la chair, et ceci est du sang, Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu et Le ver et le fruit. Je renvoie à la section de chacun des titres cités pour leurs rapports intrinsèques avec Ergo sum. Cette dernière nouvelle est beaucoup moins convaincante que les trois autres prises séparément. Serge Brussolo a voulu faire un seul texte avec trois textes indépendants, mais le résultat est bancal vu les différences profondes entre chacun d’entre eux. On ne s’étonnera pas que Ergo sum n’ait été édité qu’une seule fois.

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13. Off

in Espace-Temps, n ° 9, Levallois -Perret, janvier 1979, pp. 9-34. in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp. 170-203. in La frontière éclatée, anthologie de Gérard Klein, Paris, collection Le livre de poche, la grande

anthologie de la science-fiction n ° 7113, novembre 1989, pp. 75-116.

Le gouvernement a décidé de lutter radicalement contre le bruit. La technique existe heureusement pour combattre ce fléau. Des bornes antibruit sont installées un peu partout. Elles détectent les sources sonores qui dépassent les barèmes légaux et des faisceaux d’onde s’en échappent afin d’enrayer les vacarmes. Grâce à ces bornes, tous les sons arrivent très assourdis aux oreilles. Des brigades spéciales sont créées, elles se chargent de poursuivre les délinquants coupables de nuisances sonores. La situation paraît sous contrôle car les autorités ont implanté sur les gens des régulateurs de son. Tout un chacun produit désormais des décibels de faible fréquence. L’absence de pollution sonore signifie la fin des concerts, moins de manifestations et donc de revendications. Les gens deviennent plus contrôlables car l’énergie leur vient à manquer. La vie se fait à un rythme plus lent, on parle même de rajeunissement des cellules. L’on pense que l’annihilation du bruit provoque aussi la destruction des pulsions agressives, il est devenu impossible d’injurier et encore moins de hausser le ton, ce qui devrait incontestablement améliorer les rapports humains. Cela ne semble pas être le cas, chez certains la nostalgie de la période bruyante devient trop importante. Le narrateur de l’histoire a l’impression de vivre dans un monde privé de réalité, un monde de caoutchouc, selon lui les autres humains vivent au ralenti. Il déteste cela. Heureusement pour lui il arrivera à faire du tapage et exprimer aussi à nouveau une violence longuement contenue.

---------- L’auteur exploite dans Off toutes les facettes et les conséquences logiques d’une situation absurde : un monde sans bruit. Le texte est entièrement descriptif et fait preuve d’un humour décalé tout à fait dévastateur. Cette nouvelle nous rappelle le film Orange Mécanique ou le roman de Serge Brussolo Les bêtes (1). Dans ce livre tout comme dans la nouvelle, dans le film aussi, on pense que la violence de l’homme peut être éradiquée. Dans les trois cas, des méthodes différentes conduisent au même constat d’échec. A trop vouloir faire l’ange, on fait la bête. Il semble difficile de changer la nature humaine et quand on arrive à la changer, l’homme devient souvent encore pire qu’avant.

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(1) Les bêtes, roman, Editions Gérard de Villiers, juillet 1990., 283 p.

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14. Sentinelles

in État psy ou utopie n° III, anthologie composée par Francis Valéry, Cavignac, Editions Ailleurs et Aautre, collection Mal d’aurore, février 1979, pp. 32-44.

Une île, le soleil brûlant, des soldats qui gardent un centre de recherches, des enfants, des chiens. Une sentinelle décrit sa ronde sous forme de courtes séquences qui s’enchaînent difficilement les unes aux autres. On comprend après quelques pages qu’il s’agit d’un militaire qui travaille comme garde dans un centre de recherches scientifiques. Le narrateur enlève un chien dans un chenil, il le bat, le chien s’enfuit après l’avoir blessé. Le militaire se rend dans un hôtel et dans un lit voit une femme avec un chien sous les draps. Après être sorti de la chambre il s’empare d’une paire de jumelles, prend un bain et aperçoit une ambulance qui prend en charge deux auto-stoppeurs. Est-ce un véhicule d’extermination ? Il repense à la femme couchée dans le lit qui cache un chien sous les draps. Elle dissimule peut-être une baïonnette. Avant de rejoindre les autres sentinelles sur le chemin de ronde, il écrit sur un mur du couloir de l’hôtel : « soyons vigilants ».

---------- Courte nouvelle jamais rééditée, elle a été reprise à l’identique (1) pour former le début de Anamorphose ou les liens du sang. Sans doute insatisfait de Sentinelles, Serge Brussolo lui a ajouté huit pages qui en transforme complètement la lecture. Le texte dans la version de Anamorphose ou les liens du sang en devient explicite alors que Sentinelles est énigmatique de bout en bout et ressemble à un exercice de style narratif. Le lecteur est en présence d’un narrateur qui relate de manière fragmentaire et éclatée sa perception de la réalité. Il est difficile d’avoir des repères et les descriptions semblent se mêler à l’imagination du personnage. On préférera Anamorphose ou les liens du sang à ce texte difficile et en quelque sorte incomplet.

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(1) Seul le dernier paragraphe de Sentinelles diffère de Anamorphose ou les liens du sang , p. 212 de Vue en coupe d’une ville malade, après « soyons vigilants », cela devient dans Sentinelles : « A présent la mitraillette est lourde sur ma hanche. Je vais rejoindre les autres sur le chemin de ronde, Ensuite… »

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15. Les enfants de Protée

in Les Oiseaux des pierres sourdes, science-fiction insolite n° 1, la Celle Saint-Cloud, 1er semestre 1979, pp. 3-8.

In Phénix n ° 24, op.cit., pp. 235-244. in Chants opératoires, op.cit., pp. 83-93. in La nuit du venin, op.cit., pp. 519-530.

Un parti politique a déclaré la guerre à tous ceux qui ont du génie et du talent. Au nom de l’uniformité et de la normalisation, il refuse tous les dons créateurs qui sont pour lui un scandale et une tare. Les membres de ce mouvement s’en sont d’abord pris aux musées dont ils ont saccagé les œuvres exposées. Ce ne sont pour eux que des idoles devant lesquelles on ne doit pas se prosterner. La rumeur publique leur a attribué très rapidement le surnom de Vandales ou d’Iconoclastes. Après quoi ils ont attaqué les artistes eux-mêmes et de manière générale toutes les personnes pourvues d’un talent suffisant pour se différencier des autres. Des vedettes de cinéma ont été vitriolées, des ballerines ont eu les pieds coupés ; il y eut même le cas d’un chirurgien réputé pour l’incroyable précision de ses gestes lors des opérations à qui les Vandales ont broyé les mains dans un étau. Heureusement la parade existe contre toutes ces agressions. Un médecin célèbre pour ses greffes a eu l’idée de fonder une banque dans laquelle il est possible de protéger son capital physique. Il suffit d’y laisser en dépôt le visage qui fait de vous une femme idolâtrée ou bien par exemple vos mains exceptionnelles de pianiste. Une opération sans douleur vous procure un visage banal ou des mains tout à fait communes. C’est désormais un(e) inconnu(e) qui portera votre vrai visage ou vos mains et qui vivra protégé(e) dans un bunker. Pendant ce temps vous pourrez retourner à votre vie incognito sans crainte d’être agressé, et si jamais vous l’êtes, cela n’a pas d’importance car vous pourrez toujours récupérer ce que vous avez laissé en dépôt à la banque sans aucun dommage. Ce sont des hommes et des femmes-puzzle qui se prêtent au jeu de l’échange d’organes contre rétribution. Bien entendu ils courent un risque de ne plus retrouver en bon état leurs visages banals, leurs mains sans gloire ou leurs poitrines plates, mais des assurances existent et puis les gens sont bien obligés de gagner leur vie. On les appelle les enfants de Protée.

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Courte nouvelle de dix pages, Les enfants de Protée est un des rares textes de Serge Brussolo écrits à la première personne du singulier. C’est une des femmes-puzzle enfermées dans un bunker qui relate avec détachement sa condition. Autour de l’idée des organes échangés, Brussolo étudie les comportements qui peuvent surgir aussi bien du côté des hommes-puzzle que des artistes qui laissent leurs organes en dépôt. Certains artistes infirmes aimeraient conserver définitivement l’organe qu’ils ont échangé, il y a aussi l’histoire de cet homme-puzzle qui a voulu garder en otage les mains d’un pianiste et a exigé une rançon pour qu’il les lui rende. Tout comme dans L’autoroute, le texte est composé d’un certain nombre de fragments d’histoires qui ne seront pas développées. L’auteur se contente de peindre globalement la situation d’une société en proie à une forme de terrorisme « niveleur » ainsi que la réponse qui y est donnée. La solution apportée à la terreur n’est peut-être pas pire que le problème lui-même ; c’est là une des caractéristiques de beaucoup d’œuvres de Serge Brussolo : à partir d’une situation atroce et apparemment désespérée, l’auteur trouvera toujours moyen par la suite de la rendre encore plus atroce et plus désespérée.

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Serge Brussolo développera dans son roman Le puzzle de chair (1) les idées contenues dans sa nouvelle sur une distance qui sied plus à son talent. On y retrouve la même clinique-bunker appartenant au médecin qui porte d’ailleurs un nom identique. La narratrice de la nouvelle sera aussi un des personnages du roman, mais la narration s’y fera à la troisième personne du singulier. A noter qu’au début de la nouvelle, elle se souvient d’avoir eu transplantées pour un temps les mains d’une personne de race noire ; c’est la même situation que connaîtra le héros du roman Traque-la-mort. Ce sera aussi le cas d’un personnage de Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu quoique dans son cas la situation est inversée puisqu’il est un Noir et que ce seront les mains d’un Blanc qui lui seront greffées. Rappelons que dans la mythologie grecque, Protée était un vieillard qui avait le don de prophétie. Il était très difficile de pouvoir le consulter et pour y arriver il fallait le capturer en sachant qu’il avait le pouvoir de se transformer sans cesse. Il ne prophétisait qu’à celui qui s’obstinait à essayer de le retenir. Protée avec son don de métamorphose est le symbole pour les anciens Grecs de la matière première qui servit à créer le monde.

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(1) Le puzzle de chair, roman publié dans la collection Anticipation au Fleuve Noir n° 1225, mars 1983, 188 p. Réédité chez Gérard de Villiers, collection Les introuvables de Serge Brussolo n° 3, décembre 1992, 188 p. Voir critique parue sur le site.

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16. Vue en coupe d’une ville malade

in Les oiseaux de pierres sourdes, op.cit., pp. 21-40. in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp. 11-55.

De nouvelles techniques ont profondément modifié l’urbanisme. La surface de la ville avec ses avenues, ses quartiers, ses habitations n’en est plus que la partie émergée. Grâce à un plan en coupe, on distingue sous les fondations des sortes de racines ; en réalité ce sont des tunnels qui s’enfoncent profondément dans le sol. Dans chaque cave, l’ordinateur de la maison dispose de modules constructeurs qui creusent des escaliers supplémentaires. Un immeuble devient comparable à un iceberg, seule une faible partie émerge encore du trottoir. Toute construction est maintenant couplée à un ordinateur central prévisionnel chargé de la faire évoluer en fonction de calculs de probabilité. L’éventualité d’un hiver froid déclenche par exemple un épaississement progressif des parois, fenêtres et moquettes. L’ordinateur grâce à ses modules construit une double épaisseur de tuiles sur le toit, il modifie et adapte les structures de l’habitation, et tout le monde s’en trouve satisfait jusqu’au jour où sans qu’on sache pourquoi, les cerveaux-relais des ordinateurs ont reculé progressivement l’échéance de leurs prévisions. Chaque ordinateur s’est improvisé futurologue et décide de faire évoluer la maison en fonction de ses calculs. Les matériaux se trouvent sans cesse recyclés. Plus son chantier de construction avance dans le futur, plus les substances qui constituent pour lui le passé sont peu à peu récupérées à l’arrière et acheminées vers ce que l’ordinateur considère comme le stade d’habitat le plus adéquat. Le présent des habitants se trouve lentement dévoré par la moisissure. Un coup de poing suffit à renverser une façade, une rafale de grêlons traverse toit et planchers pour aller s’écraser dans la cave. Sous l’habitation, l’ordinateur a fait proliférer un emboîtement de pièces et de chambres en évolution permanente ; ce sont comme les racines d’un arbre forant lentement leur chemin sous terre. Lorsque l’on descend l’escalier creusé par l’ordinateur, les aberrations deviennent tout de suite visibles. Les appartements sont accrochés les uns aux autres, et l’on croise ainsi une salle de bains qui occupe la moitié de la superficie d’un loft : six ou sept baignoires identiques sont alignées, des W.C. trônent comme un monument dans un salon de quinze mètres sur dix dont ils sont l’unique meuble. Une même chambre d’enfant avec son berceau, ses cubes colorés et son ours en peluche se trouve répétée quatre ou cinq fois et seule la taille de chaque élément varie : l’ours en peluche par exemple passe des proportions normales à celles d’un grizzli adulte. Et plus on descend l’escalier, plus l’ordinateur semble avoir des difficultés à maîtriser l’espace et ses constructions deviennent toujours plus aberrantes. Faut- il abandonner la maison et rejoindre les camps de réfugiés ? Beaucoup de propriétaires ont décidé de s’enfoncer toujours plus en avant et suivent les constructions de l’ordinateur, mais il est très difficile de s’adapter aux nouveaux environnements. Certains y sont contraints car tout s’est éboulé derrière eux. Le sous-sol s’est mué en taupinière, il existe des kilomètres de boyaux sous la ville et parfois les tunnels se croisent et les ordinateurs s’affrontent ; chacun défend sa conception de l’humanité future et essaye d’engloutir son adversaire pour en transformer le moindre atome. Un problème plus grave encore se pose : les ordinateurs commencent à recycler les habitants de la ville. Le matériau humain est une matière comme une autre, lui aussi peut être réutilisé.

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Première nouvelle dont le recueil porte le même titre, on y trouve la méthode caractéristique de Serge Brussolo : il s’agit de décrire un univers en crise où tout se délite, où tout va à vau-l’eau et toujours vers le pire. Le tout est déployé avec un souci de logique constante. Des images plus insolites les unes que les autres apparaissent presque à chaque paragraphe et principalement celles qui combinent matière inerte et vivante. A chaque page, il y a un tel foisonnement d’idées différentes que parfois l’on a l’impression de lire le plan d’un roman. L’imagination de l’auteur est si riche qu’il fait tenir en un paragraphe ce qu’un autre aurait développé sur vingt pages. L’histoire part dans un sens puis dans un autre sans que toutes les idées ne soient réellement exploitées. Dans cette nouvelle, les hommes se transforment en objets et les objets prennent une apparence humaine, Brussolo reviendra à la première idée dans son roman Les lutteurs immobiles.

Plusieurs personnages sont vus en coupe, l’écrivain n’en a fait que des croquis, ils lui servent à décrire par leurs déambulations la métamorphose de la ville. Il n’y a ici pas de héros et tous les personnages sont négatifs. Les protagonistes de l’histoire sont irrémédiablement étrangers les uns aux autres. Voici le genre de pensée qui traverse leur esprit : « Georges se glissa entre les draps pensant au hurlement d’effroi de la femme, qui, se prélassant dans sa baignoire, rencontrerait brusquement sous ses doigts, au lieu d’une savonnette, une main d’enfant reconstituée dans la mousse parfumée, cette seule pensée lui arracha un ricanement de joie. » On retrouve dans cette nouvelle l’un des thèmes caractéristiques de l’auteur : l’opposition entre deux groupes qui réagissent différemment face à la même situation. Ici comme dans bon nombre de ses romans, il y a les nomades et les sédentaires. Face à la situation créée par les ordinateurs, certains personnages essaient de s’enfuir de la ville, d’autres tentent de s’adapter. L’un d’entre eux écrit sur un mur en grosses lettres NOMADES. Devenir un nomade, fuir la ville malade paraît être la seule solution raisonnable. Ce mot de Nomade sera aussi le dernier de son roman Les sentinelles d’Almoha qu’il publiera peu après ce recueil de nouvelles ; dans ce livre, quelques personnages fuient une situation sans espoir sur un bateau baptisé NOMADE. Il existe des passages communs entre Vue en coupe d’une ville malade et le texte Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu notamment la description de la statue d’un motard et de sa passagère sur un chopper. L’héroïne y a par ailleurs le même prénom Sheeny. Certains des protagonistes de la nouvelle qui nous occupe voient leurs terminaisons nerveuses progressivement annihilées par les ordinateurs devenus fous. Ils ne ressentent plus ni douleur, ni plaisir, ce sera aussi le cas de plusieurs personnages dans Non, Frankenstein n’est pas mort à Dien Bien Phu qui auront subi une opération dite de tapectomie. Chaque nouveau-né se voit retirer du cerveau les régions dans lesquelles se transmettent à l’individu les sensations de douleur et de plaisir. Brussolo laisse la fin de sa nouvelle en suspens et plusieurs fins sont proposées ; au lecteur de décider quelle est celle qui contentera le mieux son imagination. Cela risque de provoquer une certaine frustration car l’on se plait à imaginer que si l’auteur avait eu le temps de développer sa nouvelle, elle serait devenue un roman.

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17. Anamorphose ou les liens du sang

in Espace-Temps n° 11, Levallois -Perret, juin 1979, pp.36-49. In Vue en coupe d’une ville malade, pp. 204-219.

Une île, le soleil brûlant, des soldats qui gardent un centre de recherches, des enfants, des chiens. Une sentinelle décrit sa ronde sous forme de courtes séquences qui s’enchaînent difficilement les unes aux autres. On comprend après quelques pages qu’il s’agit d’un militaire qui travaille comme garde dans un centre de recherches scientifiques. Le narrateur enlève un chien dans un chenil, il le bat, le chien s’enfuit après l’avoir blessé. Le militaire se rend dans un hôtel et dans un lit voit une femme avec un chien sous les draps. Après être sorti de la chambre il s’empare d’une paire de jumelles, prend un bain et aperçoit une ambulance qui prend en charge deux auto-stoppeurs. Est-ce un véhicule d’extermination ? Il repense à la femme couchée dans le lit qui cache un chien sous les draps. Elle dissimule peut-être une baïonnette. Il croit reconnaître le chien qu’il a essayé d’enlever du chenil. Il veut tuer la femme et retourne dans la chambre. Elle le blesse, il la tue. Son sang se mêle à celui de la femme et la narration continue avec la voix de la femme. Elle semble avoir envahi la conscience du narrateur comme si elle lui avait été transmise par son sang. Peu après, le narrateur devient le chien qui était dans le lit de la femme. Il voit par les yeux du chien l’homme qu’il est. Le chien s’enfuit à nouveau et il est agressé par une chienne qui l’attaque avec un rasoir. Il la mord. La narration change alors pour se greffer dans la conscience d’un enfant qui met à sac avec d’autres enfants un laboratoire. Ils en ont assez de servir de sujets d’expérimentation. Ils ne veulent plus que leur sang soit transfusé à des chiens et réciproquement. Ils tuent les chiens. Le narrateur enfant est happé sur une route par une ambulance, son sang se mêle à celui du conducteur blessé. La narration se poursuit dans la conscience du conducteur d’ambulance qui cherche du secours. Il arrive dans un hôtel et dans une chambre il tombe sur le militaire au pied de la femme assassinée. Le militaire le tue et reprend la narration.

---------- Une explication « rationnelle » est donnée à la fin du texte sur les différentes ruptures de narration de la nouvelle. On peut toutefois le regretter car ce texte difficile y perd comme pour La mouche et l’araignée de son étrangeté au profit d’une fin conventionnelle plus facile pour le lecteur. A noter que cette nouvelle a connu un premier état que Serge Brussolo n’a jamais réédité et qui porte le titre de Sentinelles. La narration y est plus simple à suivre puisqu’il n’y a qu’un seul narrateur sinon le cadre est le même. Les liens du sang se rapproche du texte intitulé Le ver et le fruit paru en 1977 et dans lequel on retrouve aussi une révolte d’enfants sur une île contre leurs bourreaux expérimentateurs. Dans Les liens du sang, certains personnages soupçonnent qu’une ambulance n’est peut-être qu’un four crématoire déguisé ; c’est là l’idée que Serge Brussolo exploitera dans l’un de ses meilleurs romans de science-fiction : Ambulance cannibale non identifiée. On remarquera dans Anamorphose ou les liens du sang l’humour décalé et atroce propre à Serge Brussolo. On n’y trouve pas de lutte entre le bien et le mal, la situation est pourrie dès le départ. Les militaires, les scientifiques, les enfants et même les chiens sont tous répugnants et irrécupérables. La fin de ce texte n’est en

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rien une situation d’apaisement qui suit la lutte, elle n’est pas non plus la promesse d’un futur meilleur, la fin s’ouvre sur la promesse de nouveaux enfers.

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18. La sixième colonne

in Libération, n° 1698, Paris, 27-07-1979, p. 8. in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp. 72-78.

Tous les jours une colonne d’hommes entame une marche forcée, elle est bientôt suivie d’une colonne de femmes. Des gardes entourent les deux groupes et les forcent à marcher sur une route toute la journée durant. Le soir ils se retrouvent dans des dortoirs impersonnels et reprennent la route le lendemain. Sont- ils des prisonniers ? Est-ce une nouvelle méthode d’organisation sociale ? On ne le sait pas, mais certaines règles existent : il n’est pas permis d’avoir des effets personnels, tous doivent posséder une petite valise dont la taille est strictement réglementée. Il faut que chacun soit à l’identique de l’autre. De temps en temps les gardes arrêtent l’un ou l’autre afin de vérifier le contenu de sa valise. Si le contenu n’est pas réglementaire, la personne est arrêtée. Ce qu’elle devient ? On ne le sait pas non plus, mais elle ne reprend pas la marche avec les autres. Le narrateur de la nouvelle possède des effets personnels dans sa valise dont il ne veut pas se défaire ; chacun d’entre eux est un souvenir dont il ne peut pas se détacher. Il appréhende le jour où l’on contrôlera le contenu de son bagage.

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Une nouvelle courte précise et atroce comme peut l’être un cauchemar éveillé. Certains passages sont repris de Parking de l’ennui dont La sixième colonne cite plusieurs paragraphes à l’identique et surtout Jours de chasse à Manhattan (5) dont deux pages semblent avoir inspiré directement La sixième colonne. L’interprétation de la nouvelle pose problème. On connaît la cinquième colonne qui représente les services secrets d’espionnage ennemi sur un territoire, voici donc la sixième colonne dont le texte ne dit pas quelle est la fonction. Est-ce une fable sur l’impossibilité de rendre les hommes uniformément semblables les uns aux autres ? Est-ce un texte sur l’aliénation d’un individu au sein d’un groupe et sur la culpabilité qu’il éprouve de vouloir être un parmi d’autres ? Sans doute cela et autre chose, libre au lecteur d’interpréter. Ce texte semble toutefois être la transcription consciente ou non dans un futur indéfini de l’une des pires expériences de société du vingtième siècle. Entre 1975 et 1979, le Cambodge a connu l’un des régimes les plus atroces que l’espèce humaine a su créer. Entre ces deux dates, les Khmers Rouges ont voulu créer une société nouvelle basée sur un homme nouveau, un homme sans qualités, un homme dépourvu de ses souvenirs, un homme privé d’individualité. Le « programme » Khmer Rouge se réalisait entre autre par des marches forcées démentielles et sans but sinon celui d’exterminer les marcheurs. En lisant cette nouvelle, on a parfois l’impression d’assister à un cauchemar semblable à celui réalisé par les Khmers Rouges en leur temps.

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19. De l’érèbe et de la nuit.

in Libération n° 1782, 02-11-1979, p. 12. in L’année 1979-1980 de la science-fiction et du fantastique, Paris, avril 1980, pp. 90-94. in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp.130-147.

C’est une tour de huit cent cinquante étages. Des centaines de dormeurs y sont parqués dans des chambres, certains sont plongés dans le sommeil depuis six mois, d’autres depuis plus d’un an. Des mouches tsé-tsé les parcourent, les piquent et vont d’une pièce à l’autre. On nourrit les endormis par ampoules et des gardiens les lavent de temps en temps. Très rarement il leur arrive d’avoir des temps de veille, et pour la plupart d’entre eux ceux-ci servent avant tout à préparer une nouvelle période de sommeil. L’une des dormeuses redoute les périodes d’insomnie car elle ne sait quoi faire à l’état de veille ; elle attend impatiemment le retour des mouches tsé-tsé – vecteur de la trypanosomiase – pour à nouveau sombrer dans l’inconscience. Les dormeurs ont le culte de la mouche, elle est la porteuse de repos. L’insecte est vénéré à l’égal d’un dieu et certains s’en veulent encore de se réveiller : ils voudraient supprimer les rares moments de veille et dormir tout le temps afin de pouvoir lui rendre hommage. D’autres au contraire aimeraient échapper aux gardiens qui surveillent leur sommeil, ils s’abreuvent d’excitants et aspergent les couloirs d’insecticide, mais ces extrémistes ne sont qu’une minorité. Pendant qu’une grosse partie de la population est plongée dans un coma artificiel, l’autre partie vit sans dormir ou se reposer. Ce sont les veilleurs. L’un d’entre eux par exemple peint une fresque gigantesque depuis trois mois à raison de vingt-quatre heures par jour, il s’octroierait bien une petite pause sous forme de marche forcée pendant trente heures. Les mouches pompent la fatigue des veilleurs et la transmettent aux dormeurs afin qu’ils la récupèrent à leur compte. Cette tradition dure depuis des générations et elle a les allures d’une religion que peu de gens remettent en cause.

---------- Un texte simple et efficace construit sur une opposition entre deux modes de vie qui s’exploitent mutuellement et se complètent. Contrairement à d’autres nouvelles et romans de Serge Brussolo, cette fois-ci ce n’est pas un univers en crise qui nous est présenté, même si, ici ou là, certains remettent en cause le système. Les dormeurs et les veilleurs vivent presque en symbiose parfaite, ce qui donne au texte une impression de parfait équilibre. On retrouve dans Jour de chasse à Manhattan deux éléments semblables à De l’érèbe et de la nuit. Le premier, ce sont les mouches tsé-tsé qui inoculent la maladie du sommeil à l’un des personnages. Le second est un concierge très semblable à celui qu’on trouve au début De l’érèbe et de la nuit et qui se promène à cheval, le long des couloirs immenses de la tour, pour y lâcher les mouches.

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20. Mémorial in vivo. Journal inachevé.

in Les oiseaux de pierres sourdes, n° 2, la Celle Saint-Cloud, 2ème semestre 1979, pp. 3-14. in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp. 148-169.

Une nouvelle maladie provoque des ravages au sein de la population. Les personnes atteintes sont la proie de violentes remémorations ; leurs corps se remettent à vivre les traumatismes accumulés pendant l’existence. C’est la mémoire des sensations : la chair stocke les impressions qui se libèrent en une fois. La main par exemple se rappelle du chien qui l’a mordue, de la lame qui l’a coupée, elle revit les deux sensations brutalement. L’homme ou la femme qui en est victime vit alors au présent une nouvelle fois la morsure ou la coupure. Simultanément la mémoire du corps peut restituer tout son passé en une sorte de chœur titanesque où la chair se souvient de toutes les occasions où elle a été sollicitée. Les malades vivent dans l’angoisse de connaître ces réminiscences brusques et insupportables. Les douleurs s’additionnent et les terrorisent. Certains essaient de lutter contre leurs souvenirs douloureux en se plongeant continuellement dans le plaisir. C’est le cas d’une femme qui se masturbe continuellement. Elle espère que l’accumulation des orgasmes supplantera les douleurs qu’elle a eues pendant sa jeunesse lorsqu’elle fut victime du tétanos. Elle mourra de plaisir ou de douleur, personne ne pourra le déterminer. Une autre succombera en revivant simultanément ses cinq accouchements. Beaucoup de malades se suicident ou sombrent dans la folie. Aucun traitement n’existe. La situation s’aggrave lorsqu’il devient de plus en plus probable que les sensations peuvent se transmettre génétiquement. Ce sont les souvenirs non vécus qui envahissent maintenant les gens. Un homme se demande alors s’il va devoir revivre les douleurs de son propre accouchement.

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Une nouvelle traumatisante qui exploite une seule idée : la mémoire des sensations. A la manière des peintres pointillistes, l’auteur avance dans son histoire par petites touches. Il nous peint un tableau d’apocalypse de manière détachée comme s’il s’agissait d’un paysage printanier. Pas de début véritable, pas de fin, tout va pour le pire, tout mène au pire, tout vient du pire. La manière de Serge Brussolo suscitera l’étonnement de certains lecteurs peu habitués à ce que l’on traite ainsi la narration, les autres en seront ravis.

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21. « …Car ceci est de la chair, et ceci est du sang »

in Que sont les fantômes devenus ?, anthologie, Paris, Nouvelles Éditions Oswald, collection Fantastique/Science-fiction/Aventure n° 12, mars 1980, pp. 44-57.

in mange-monde, op.cit., pp. 175-198. in Chants opératoires, op.cit. 103-120. in Soleil de soufre et autres nouvelles, op.cit., pp. 17-32.

Les morts sont désormais enterrés nus, anonymement, sans cérémonie et sans cercueil. Ils servent d’engrais. Selon le gouvernement écologique c’est un moyen naturel de fertiliser les sols. Tous les cimetières, les caveaux et autres pierres tombales ont été supprimés ; ces choses artificielles occupaient l’espace réservé maintenant à la nature. Aujourd’hui les cadavres sont ensevelis de nuit sans que personne ne sache où exactement et les familles des défunts n’assistent pas à l’enfouissement. Beaucoup pensent que cette méthode permet aux gens de respecter davantage leur environnement car en foulant une touffe d’herbe, qui leur dit qu’ils ne piétinent pas le corps en décomposition d’un enfant ? Dans un même ordre d’idée, les racines de l’arbre sur lequel on s’appuie ont peut-être reçu comme substrat le grand-père que l’on aimait tant. Le cycle de l’azote est respecté, mais il y a ici et là quelques exagérations. On constate par exemple une multitude de condamnations à mort pour des délits même mineurs. Un grand nombre d’amputations et d’ablations chirurgicales sont pratiquées dans les hôpitaux sans nécessité pour la santé des patients. Il y a même eu des guerres qui se sont déroulées uniquement pour pouvoir alimenter les sols en combattants. Ce sont là quelques abus, mais l’important n’est- il pas que chaque dimanche le prêtre vienne bénir les champs et les récoltes et tende à chaque fidèle une patate fraîchement déterrée en prononçant les paroles sacrées : « Car ceci est de la chair, et ceci est du sang. »

-------------- Un nouveau sommet dans l’œuvre de fiction courte de Serge Brussolo. L’auteur pousse ici un principe d’écologie radicale à ses dernières extrémités. Le respect attendu de la nature n’est pas au rendez-vous et la population se méfie de plus en plus de ce bel idéal qui réclame toujours plus de cadavres. Dans ce texte, une fois encore, l’auteur prend une société à un moment de crise pour examiner toutes les dissensions qui peuvent s’y produire. Le résultat est saisissant et le lecteur s’y trouve pris comme dans les rouages d’une machine infernale. Cette nouvelle reprend de larges extraits du texte Ergo Sum pour les développer sur une plus longue distance. « …Car ceci est de la chair, et ceci est du sang » s’ouvre aussi sur une situation identique à celle que l’on trouve à la fin de Le ver et le fruit : la description du cadavre dans une morgue sur lequel est inscrit le mot BIODEGRADABLE. On verra aussi un début fort semblable dans La sixième colonne. On remarque dans ce texte une organisation qui se veut en marge de cette société écologique. Il s’agit du « Front de libération intra-muros ». Ses membres sont persuadés que le monde dans lequel ils vivent est une salle aux dimensions énormes située dans un gigantesque cube artificiel. Ils ont pour ambition de trouver les parois du cube afin de les percer et sortir de cet univers qui les rend captifs. Serge Brussolo reprendra cette idée pour en faire un roman Les mangeurs de murailles.

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22. Soleil de soufre

in Vue en coupe d’une ville malade, op.cit., pp. 119-129. in Anthologie de la littérature de science-fiction, Paris, Ramsay, octobre 1981, pp. 571-578. in La science-fiction, anthologie pédagogique de Karl Carvat, Bruxelles, Didier Hatier, collection

Séquences, 1991, pp. 31-35. in Soleil de soufre et autres nouvelles, op.cit., pp. 5-15.

Une ville qui ne demande qu’à être incendiée. Tout y est construit sous le signe du feu. Tout cherche à devenir la proie des flammes. On y trouve des statues faites en soufre, les habitants s’enduisent le corps de phosphore et joue littéralement avec le feu comme s’ils désiraient l’auto combustion. On y croise des fagots soigneusement empilés pour une cérémonie qui se prépare depuis des années. La bibliothèque de la ville ne contient que des ouvrages en rapport avec le feu. Les toiles, les fresques des musées sont réalisées à l’aide de matériaux dérivant de l’anhydride phosphorique qui s’enflamme au contact de l’air ; d’où l’obligation de les tenir sous vide, mais les vitres sont très fragilement conçues, comme si l’on voulait que tout brulât. Sur cette planète, les habitants meurent d’étranges maladies glacées sans fièvre ni sueur, c'est ce qui explique leur fascination envers le feu. Ils se préparent à rejoindre le sommet des bûchers méticuleusement constitués pour l’embrasement final. Un étranger va venir les visiter et frotter l’unique allumette de la ville. Les cendres de ce peuple seront conservées dans une petite boîte.

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Un texte complètement descriptif sur un peuple « pyrolâtre » et la ville qu’il habite. Serge Brussolo utilisera à nouveau cette fascination du feu pour écrire son roman Le rire du lance-flammes (1). Il s’agit d’une très belle nouvelle sur le thème de l’Ecclésiaste : « vanité des vanités, tout est vanité ». Le narrateur en est conscient, il dira : « je verserai entre les parois de ce réceptacle dérisoire et fragile les cendres d’un peuple futile comme l’espoir des réussites. » La nouvelle est aussi une métaphore sur la fragilité de l’art et sur son caractère vain et dérisoire, l’art ici est inflammable. On retrouvera ce thème dans Aussi lourd que le vent et aussi le roman Le syndrome du scaphandrier (2). Le peuple pyrolâtre souffre de maladies glacées, Serge Brussolo réutilisera ce genre de maladies vingt ans plus tard dans son roman Prisonniers de l’arc-en-ciel (3) où l’on trouve un peuple tout aussi fasciné par le feu.

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(1) Le rire du lance-flammes, roman paru dans la collection Anticipation n° 1382, avril 1985, 183 p. Voir critique parue sur ce site. (2) Le syndrome du scaphandrier, roman, 188 p., paru chez Denoël, Collection Présences du Futur, janvier 1992. Réédité chez Gallimard, Collection Folio, septembre 2000. voir critique parue sur le site. (3) Prisonniers de l’arc-en-ciel, roman pour la jeunesse publié chez Bayard, mai 2000, 181 p.

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23. Subway, éléments pour une mythologie du métro.

in L’oreille contre les murs, anthologie de Jean-Pierre Andrevon, Paris, Denoël, collection Présence du Futur, n° 310, octobre 1980, pp. 196-212.

in L’encrier renversé n° 20, Editions A.D.T., Castres, 1993, pp. 5-12. in Esthétiques Cahier, n° 23-24, Paris, E.C., Editions, septembre 1993, pp. 55-66. in mange-monde, op.cit., pp. 199-220.

On l’appelle Subway parce qu’il vit la plupart du temps sur un quai de métro. C’est un homme de vingt-cinq ans qui en paraît cinquante, titulaire d’une maîtrise en histoire. Il est absolument convaincu que le réseau du métropolitain cache des énigmes qui ne demandent qu’à être dévoilées. Les dessins des lignes de trajet se révèlent remplis de sens caché à qui se prend la peine de les étudier. Celui qui les observe attentivement peut y distinguer les contours d’un crâne, la carte du ciel, une forme de circulation sanguine. Subway essaie de comprendre pour quelles raisons tout a été dissimulé et quel est l’enjeu de cette immense manipulation. Un jour une femme l’aborde et lui demande de l’argent contre un ticket. Il la prend dans une remise désaffectée croyant avoir affaire à une prostituée. Plusieurs fois ils ont des rapports sexuels et Subway s’aperçoit qu’elle a un immense tatouage sur le corps. C’est une carte représentant la ville et le réseau du métro. Elle prétend même être la ville et lors de l’une de leurs rencontres un morceau de bougie lui brûle la peau. Le jeune homme apprend le lendemain qu’un immeuble a flambé dans le quartier correspondant au bout de derme brûlé. Il continuera à la fréquenter jusqu’à ce qu’elle lui annonce qu’elle est enceinte. Subway aura peur et s’enfuira très loin, croyant qu’un monstre né de ses œuvres va bientôt surgir quelque part dans la ville.

---------- Texte narré à la première personne du singulier, Subway se déroule dans un climat fantastique. Serge Brussolo écrit là une nouvelle très éloignée de ses autres textes courts. Il joue sur le registre de la peur et du délire interprétatif du personnage narrateur. Pour ce dernier, tout ce qui se passe dans le métro est prétexte à interprétation et exégèse. Tout révèle un sens caché. Serge Brussolo démontre que l’espace social le plus banal qui soit – un réseau métropolitain – peut donner prétexte à toute une mythologie. De multiples histoires peuvent en naître du moment que l’on laisse libre cours à son imagination ou à son délire. A noter que c’est dans Subway que l’on trouve évoquées des « stations submergées où dorment à jamais des épaves de wagons engloutis, cercueils collectifs et peinturlurés de 1ère et 2ème classe. » Serge Brussolo reviendra à cette idée en la développant sur l’espace d’un roman qui donnera Les fœtus d’acier (1).

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(1) Les fœtus d’acier, roman paru au Fleuve Noir, collection Anticipation, juillet 1984 ; 215 p. Réédité dans la même collection, août 1994. Réédité dans une version conforme à la volonté de l’auteur sous le titre La mélancolie des sirènes, par 30 mètres de fond , Éditions du Masque, avril 2004.

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24. Trajets et itinéraires de l’oubli

in Aussi lourd que le vent, pp. 9-86, recueil trois nouvelles paru chez Denoël, collection Présence du Futur n° 315, mars 1981. Réédité dans la même collection en septembre 1999.

paru en un seul volume, collection Folio n° 3786, 119 p., décembre 2002. Il existe un musée immense dont l’architecture provoque le vertige. Un seul regard ne suffit pas à l’embrasser et son gigantisme écrase tous ceux qui l’approchent. C’est une énorme structure bétonnée qui semble être le résultat d’un arrangement anormal. On peut y marcher pendant des jours sans en voir la fin. Derrière une galerie s’ouvre une autre galerie et au bout d’un corridor commence un autre corridor. Le bâtiment est un labyrinthe à étages dont aucune carte n’a été dressée. C’est un territoire d’exploration, une terra incognita. Après avoir tour à tour monté et descendu une douzaine d’escaliers, le visiteur perd tout sens de l’orientation et se révèle incapable de situer le niveau auquel il s’est égaré. On n’y rencontre pas de touristes et les visites sont rares. Seuls quelques mordus fascinés par les choses exposées reviennent sans cesse. On y découvre des œuvres plus étranges les unes que les autres : dans une salle est présentée une valise en carton qui contient une enclume oxydée par la rouille. Dans une autre, on peut contempler un tank grandeur nature dont tous les éléments, des chenilles au canon en passant par les munitions, sont faits en porcelaine. Une vitrine abrite un revolver en cristal avec un barillet transparent dévoilant des douilles de cuivre, il suffirait de presser la gâchette pour le faire fonctionner, mais l’arme serait vouée à la désintégration au premier coup tiré. Plus loin on admire une tête de deux mètres sur trois dont la peau tendue à l’extrême est prête à éclater ; elle paraît être le résultat inverse de la technique des indiens Jivaros. Ces sculptures étranges proviendraient d’un autre monde. Leur vulnérabilité apparente est-elle l’expression d’un idéal artistique ? Sont-elles tout simplement les pièces usuelles d’une population très fragile ? Une jeune universitaire qui a écrit un essai sur la fragilité est engagée par le Ministère des Arts et de la Culture afin de procéder à un inventaire. C’est une mission estimée au moins à six mois sinon à plusieurs années qui nécessite une exploration complète des galeries. Ce travail n’a pas encore été réalisé. L’édifice dispose de distributeurs de nourriture, de toilettes et des douches dispersés un peu partout. Les banquettes sont des lits peu confortables. Toutes ces commodités permettent une exploration scientifique en profondeur sans interruption intempestive. Une chercheuse passionnée n’a que faire de respecter les horaires de bureau et de rentrer chaque soir à son domicile. Elle va s’enfoncer profondément dans les collections avec la volonté bien ancrée de ne pas revenir avant que sa besogne soit terminée. Elsy se jettera dans cette aventure comme sur une bouée de sauvetage. Son mari l’insupporte, le quotidien lui paraît trop trivial et elle pense ainsi échapper à la pesanteur de la vie. Le rêve tant attendu devient réalité : vivre enfin sa passion de l’art pendant très longtemps et sans s’interrompre. Il y a cependant un fait étrange qui jette un froid : elle n’est pas la première à s’être lancée dans le recensement des pièces et objets du musée. D’autres l’ont précédée et personne n’en est revenu.

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Trajets et itinéraires de l’oubli est l’une des meilleures nouvelles écrites par Serge Brussolo. C’est aussi l’un de ses textes les plus denses.

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On y trouve deux personnages, un homme et une femme, fascinés par un musée démentiel. Le bâtiment est une interminable série de galeries dont l’architecture est un défi aux lois de la physique. En ce qui concerne les œuvres qui y sont exposées, elles sont plus curieuses les unes que les autres et les deux héros de la nouvelle s’opposent sur la signification éventuelle à leur donner. Pour Elsy, ce sont les objets usuels d’un peuple extraterrestre très fragile. Georges quant à lui les considère comme des œuvres d’art qui demandent à être comprises. C’est sur cette opposition entre les conceptions des deux protagonistes que la nouvelle est construite. Serge Brussolo utilise deux personnages particulièrement négatifs. Elsy est une jeune femme constamment en proie à des crises de dépression. Anorexique, incapable d’accepter la vie quotidienne et son cortège d’habitudes et d’automatismes, elle cherche à vivre sa passion exclusive pour l’art. Son mari Georges lui est une charge inutile. Elsy arrivera à résoudre l’énigme du plus étrange des objets exposés dans le musée, mais elle sera empêchée de diffuser les résultats de sa découverte. Plutôt que la carrière d’une brillante chercheuse à laquelle normalement son intelligence la destinait, elle acceptera avec empressement la tâche subalterne de dresser l’inventaire du musée. Cette mission lui permettra d’échapper à son mari et à sa vie jugée misérable. Elsy plongera dans les collections pendant des années. Son rêve se réalise. S’identifiant aux objets la jeune universitaire se croit aussi fragile qu’eux. Sa vie se fera désormais exclusivement à leur contact. Elle ne franchira d’ailleurs plus la porte de sortie du gigantesque édifice. Dans son errance, elle finira par tomber sur une salle où des visiteurs se sont regroupés pour vivre en autarcie et de manière végétative. Il y a là des personnes qui ont précédé Elsy dans la tâche de dresser un inventaire. D’autres sont simplement des gens qui ont perdu leur chemin dans l’immense labyrinthe des salles. Tous sont couchés sur le dos à même une étendue de terre et dans l’obscurité. Leurs membres se touchent et ils se nourrissent de spores de champignons qui les couvrent. Elsy se mêlera à eux. Une paix indicible l’envahit. Les moisissures diffusées dans l’atmosphère de la pièce sont hallucinogènes et tranquillisantes. Cette vie végétative réconfortante est ce qu’elle a toujours souhaité. Son itinéraire la conduit enfin à l’anéantissement tant désiré. Elsy heureuse s’abandonne à la torpeur de l’amnésie. L’oubli l’enveloppe définitivement. Georges, son mari, souffre de névroses obsessionnelles qui l’obligent compulsivement à répéter toujours et encore les mêmes comportements. L’homme souffre d’absences répétées. Ne sachant pas par exemple s’il a effectivement bien fermé le robinet d’eau de la salle de bains, il lui faudra vérifier vingt fois d’affilée avant de pouvoir sortir de la pièce. Georges hait le musée et néanmoins y retourne sans cesse pour essayer de résoudre avec acharnement l’énigme d’un bas-relief mésopotamien. Une légende prétend qu’un cheval y est dessiné, mais personne jusqu’à présent ne l’a trouvé. Georges passera des années à contempler la sculpture sans parvenir à y détecter l’ombre d’un cheval. Contrairement à Elsy qui résoudra l’énigme la plus difficile du musée, Georges échoue dans la résolution d’un mystère sans grande importance. Il rêve de se perdre dans les collections comme Elsy, mais ne parvient pas à se rendre plus loin que les premières salles du musée. Depuis la disparition de sa femme au sein du bâtiment, Georges espère son retour, mais après plusieurs années d’attente, son espoir est de plus en plus faible. Il se jure de la rejoindre lorsqu’il sera venu à bout du problème de la frise mésopotamienne. Trajets et itinéraires de l’oubli est construit en trois parties. Le narrateur est impersonnel et suit dans la première partie le personnage de Georges. Au moment où l’histoire débute, Elsy est déjà perdue dans le musée et son mari s’y rend pour étudier à nouveau et encore le bas-relief mésopotamien. C’est alors que le narrateur décrit les bouffées mémorielles qui

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envahissent la conscience de Georges. Tout l’itinéraire de sa relation conjugale est retracé selon la méthode du flash-back. La deuxième partie se concentre sur le personnage de Elsy qui elle aussi se souvient du parcours qui l’a menée jusqu’au fin fond du musée. Son témoignage repris par le narrateur complète celui de la première partie de la nouvelle et lui fait prendre un autre relief. Des zones d’obscurité sont levées et le texte en acquiert une densité plus importante. La troisième partie beaucoup plus courte que les deux précédentes se focalise à nouveau sur Georges. Le premier paragraphe de la nouvelle y est repris à l’identique comme pour donner l’impression d’une certaine circularité du texte. Ce dernier tiers du texte est consacré à l’échec des ambitions du héros. Il n’aura pas résolu une énigme dérisoire à laquelle il s’est attaché et il ne se décide pas à rejoindre sa femme au fond du musée. Son itinéraire mène à un fiasco. Trajets et itinéraires de l’oubli est avant tout une réflexion sur l’art. Dans le musée se trouve sur un piédestal de marbre un cube de cire immaculée de la taille d’une petite valise. Au centre du cube, on distingue difficilement une ombre, c’est une sculpture en cire noire. Elle est paraît-il d’une beauté incroyable, certains en parlent comme une pièce capitale de l’art occidental allant jusqu’à faire un parallèle avec la Joconde ou la Vénus de Milo. Personne n’a vu la statue, on la distingue vaguement dans la masse de la cire, mais on ne saurait l’atteindre car il faudrait alors faire fondre le cube, ce qui ferait disparaître par la même occasion la statue composée elle aussi de cire. Deux des protagonistes de la nouvelle (dont Elsy) arriveront à percer le mystère du cube et sauront comment déloger la statue sans la détruire. La joie provoquée par leur découverte se dissipera très vite car c’est le mystère de la fabrication du cube qui donne à la statuette toute sa valeur. Une fois dévoilée, la statuette ne serait plus qu’une œuvre d’art parmi d’autres alors que protégée dans le cube, cela lui donne une valeur inégalée. La leçon est simple : pour qu’une œuvre d’art puisse fasciner, il lui faut demeurer secrète. L'art n'est fascinant que s'il garde son mystère. Dès qu'une oeuvre se dévoile et s’explique, elle perd tout. Georges se posera la question : « le musée n’est-il rien d’autre qu’un écrin de platine pour un caillou ? » Dans Trajets et itinéraires de l’oubli, une artiste a écrit un essai : Heissenmann ou l’esthétique du secret dans lequel elle essaie de percer le secret de fabrication de la statuette enfermée dans le cube de cire. Elsy lui viendra en aide et résoudra enfin l’énigme. En allemand heissen se traduit par signifier ou s’appeler, Heissenmann est donc l’homme qui signifie autrement dit l’homme qui a perdu son secret tout comme le cube qui porte son nom. A vrai dire, le titre de l’essai est avant tout une allusion malicieuse que Serge Brussolo fait à son propre mémoire de fin d’études universitaires intitulé Robbe-Grillet ou l’esthétique du secret. Dans la nouvelle, le livre de l’artiste est considéré comme une « bible universitaire », ce qui ne manque pas d’être ironique lorsque l’on sait le peu d’intérêt que suscitent généralement les thèses et mémoires lorsqu’ils trouvent seulement quelques lecteurs au-delà du professeur qui les a soutenus. Trajets et itinéraires de l’oubli présente une parenté thématique certaine avec la nouvelle Soleil de Soufre. Les deux textes reposent sur la description d’œuvres d’art fragiles qui ne demandent qu’à s’enflammer dans Soleil de soufre et à se briser dans Trajets et itinéraires de l’oubli . L’auteur apprécie les objets insensés décrits avec précision. Les images surréalistes qu’il en tire frappent l’imagination et hantent longtemps le lecteur. Une interprétation biographique est peut-être nécessaire pour appréhender Trajets et itinéraires de l’oubli. Serge Brussolo a quitté le chemin tout tracé de la carrière universitaire afin de pouvoir vivre sa passion de l’écriture. Dans cette nouvelle il dresse l’inventaire d’un

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musée imaginaire, tout comme l’aurait fait un chercheur en lettres à propos des œuvres des écrivains qu’il étudie. Un chercheur recense, étudie, essaie de comprendre les œuvres d’art. Un chercheur aliène sa vie, sa créativité à celle des autres, voilà le destin des critiques, des chercheurs, des enseignants. C’est la voie que n’a pas suivi Serge Brussolo en choisissant la création. Il a quitté le giron de l’université et celui de l’inventaire. Après avoir assimilé lors de ses études les oeuvres des autres, il a choisi de les oublier afin de pouvoir créer la sienne propre. L’artiste assimile d’abord, puis oublie ce qu’il a absorbé avant de pouvoir créer. Voilà où peut mener un trajet et un itinéraire de l’oubli.

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25. Visite guidée

in Aussi lourd que le vent, op.cit. pp. 87-136. in Soleil de soufre et autres nouvelles, pp. 49-92.

Le parc d’Almoha est une réserve naturelle d’hommes mutants. Ils bandent la tête de leurs enfants avec des couronnes de bois, ce qui a pour effet d’orienter le développement des os dans le sens de la hauteur. Tous les individus ont de ce fait un crâne dolichocéphale, ce rite occasionne des modifications dans l’expansion des zones cérébrales et leurs champs de perception sensorielle deviennent très différents de ceux d’un humain normal. Cette déformation de la boîte crânienne expliquerait leurs rites et comportements difficilement compréhensibles. L’une des indigènes par exemple ne se déplace qu’à reculons, une autre ne distingue qu’une seule matière : le bois, toutes les autres lui sont invisibles. Tous les mutants s’ornent le corps de cicatrices rituelles représentant une écriture que personne n’a encore déchiffrée. Ils ne parlent pas ou très peu. Un chercheur en ethnologie est chargé de rédiger une thèse sur ce peuple afin d’identifier leurs mœurs et coutumes. La réserve d’Almoha est aussi un divertissement touristique que l’on vient visiter comme un zoo. Les visiteurs commencent à se plaindre : les indigènes ne sont pas assez remuants et expressifs à leur goût. La municipalité qui gère le domaine a peur que les excursionnistes ne viennent plus faute d’attraction. L’une de fonctionnaires municipales va demander à l’ethnologue de dresser une liste des cas les plus pittoresques parmi les sauvages. La ville voudrait organiser des défilés avec des chars fleuris afin de rendre les aborigènes plus attrayants auprès des touristes.

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Ce texte avant tout satirique est une longue description ethnologique d’un peuple imaginaire. Il doit être lu de préférence au regard de Trajets et itinéraires de l’oubli. Les correspondances entre les deux œuvres sont flagrantes. Dans Trajets et itinéraires de l’oubli, la chercheuse chargée d’inventorier les objets d’un musée n’y arrivera pas et dans Visite guidée, l’ethnologue étudie, inventorie les mœurs et les coutumes d’un peuple, mais comprend très rapidement l’inanité de sa mission, son travail restera inachevé. Dans les deux nouvelles, les deux personnages n’arriveront pas à mener à terme l’étude qui les occupe, leur quête aboutira sur un constat d’échec. La signification de la plupart des objets mystérieux du musée ne sera pas connue et dans le deuxième texte l’écriture mystérieuse des mutants ne sera pas déchiffrée. L’ethnologue de la seconde nouvelle pourrait sans doute y arriver, mais il n’en a plus le courage ni la volonté. Il comprend le néant de son travail : « il aurait fallu avoir l’enthousiasme, la foi en la science des premiers cartographes pour se lancer dans ce travail aussi titanesque qu’inutile puisque voué à moisir sur les étagères d’une quelconque faculté dans l’indifférence la plus totale ». Si sa recherche aboutissait, elle n’intéresserait pas grand monde, et cette évidence lui apparaît encore plus flagrante lorsque la municipalité dont dépend le parc lui confie une nouvelle mission. Il ne s’agit plus de comprendre le peuple qu’il étudie, il lui faut maintenant rassembler les mutants les plus originaux afin de les disposer sur des chars à fleurs et ainsi amuser les touristes. Ne faut- il pas voir là comme dans Trajets et itinéraires de l’oubli une critique du néant du travail universitaire ? A remarquer enfin dans cette nouvelle que les indigènes ont la propriété de transmettre une partie de leurs souvenirs et de leur personnalité par le sang, les transfusions sont donc très

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dangereuses et peuvent mener les transfusés à des comportements schizophréniques. Cette idée de mémoire du sang a déjà été exploitée par Serge Brussolo dans sa nouvelle Anamorphoses ou les liens du sang.

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26. Aussi lourd que le vent

in Aussi lourd que le vent, op.cit., pp. 137-188. in La frontière éclatée, anthologie de Gérard Klein, collection Livre de poche, n° 7113, novembre 1989,

pp. 128-185. Une technique révolutionnaire de production artistique est en train d’être mise au point. Elle s’inspire d’un procédé chimique qui permettait de donner une voix de chanteur d’opéra à n’importe qui. A l’aide d’une simple seringue et de trois ou quatre injections de sérum, il est possible de transformer un gueulard au timbre éraillé en prince du bel canto. Une artiste entend parler d’études sur la matérialisation des sons dans l’eau de mer, elle pense pouvoir arriver à la concrétisation de sons dans l’air libre grâce à la nouvelle substance. Son but est de créer des œuvres d’art entièrement nouvelles rien qu’en prononçant des mots. Les premiers résultats ne sont pas vraiment à la hauteur de ses espérances. Des formes sortent de sa bouche : des boules imparfaites d’un blanc laiteux. Elles ont l’aspect de la porcelaine sur laquelle court un fin réseau de craquelures semblables aux ramifications des vaisseaux sanguins sur une peau trop mince. Ce sont des créations phoniques, de la statuaire vocale. Les jurons se prêtent particulièrement à l’ébauche de figures artistiques. Il y a cependant un problème : les sculptures ont une durée de vie très courte, après quelques minutes seulement elles éclatent en libérant l’insulte qui les avaient formées.

---------- Cette nouvelle a pour thème la fragilité de l’art. Elle a pour pendant Trajets et itinéraires de l’oubli. Elle est aussi une réflexion désabusée et ironique sur le rôle de l’artiste. Dans Trajets et itinéraires de l’oubli, le lecteur rencontre des œuvres d’art d’une fragilité extrême qui sont conservées dans un musée. Aussi lourd que le vent présente un procédé qui rend les sculptures si fragiles qu’elles disparaissent au bout de quelques minutes. C’est de l’art éphémère impossible par définition à conserver dans un musée. L’héroïne de Aussi lourd que le vent a la même passion de l’art que sa « sœur jumelle » de Trajets et itinéraires de l’oubli. L’une tente de comprendre la signification des œuvres exposées, l’autre essaie de mettre au point une technique artistique entièrement nouvelle. Les deux personnages connaîtront l’échec, l’une et l’autre ne seront pas sauvées par leur passion. Ironie du sort : la nouvelle technique sera utilisée dans le domaine de la construction de H.L.M. promises tôt au tard à l’éclatement. Nouvelle profondément désabusée sur le rôle de l’artiste, Aussi lourd que le vent montre l’échec d’une recherche artistique vulgairement récupérée par des entrepreneurs immobiliers ; toutes les souffrances de l’artiste n’auront servi à rien d’autre. Cette dernière nouvelle peut être comparée aussi à Visite guidée ; un chercheur comprend le néant de son travail sérieux d’ethnologie qui n’intéresse personne ; tout ce qu’on lui demande en fin de compte, c’est de sélectionner des mutants vivaces afin de les exposer sur des chars à fleurs. Tout comme la technique artistique de Aussi lourd que le vent, les travaux de recherche de Visite guidée sont récupérés à des fins triviales et sans aucun rapport avec l’intention du chercheur-artiste. Dans Visite guidée ainsi que dans Aussi lourd que le vent, l’art et la recherche sont vaincus par une sorte de pesanteur terrestre beaucoup plus lourde que le vent. Serge Brussolo écrira bien après cette nouvelle l’un de ses meilleurs romans Le syndrome du scaphandrier qui approfondira et reprendra les thèmes développés ici.

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En lisant Aussi lourd que le vent, on se demande si l’auteur a pensé au livre de P.K. Dick Le guérisseur de cathédrales (1). L’écrivain américain développait un roman thématiquement très proche, il y est aussi question de céramiques très fragiles qu’un artiste est chargé de « guérir ». Dick y parle de la condition de l’artiste dans des termes que ne réfuterait sans doute pas Brussolo, mais le pessimisme total du texte de l’Américain est très différent du pessimisme ironique du Français qui écrit: « L’art est une maladie. Comme la maladie elle est imposée à l’homme de l’extérieur. Comme la maladie il donne la souffrance. On vit avec son art comme on vit avec une tumeur qui s’endort ou se réveille. Dès le départ on sait qu’on ne s’en débarrassera jamais et que le seul espoir qu’on puisse avoir c’est de souffrir moins. » Cette profession de foi pessimiste ne doit pas faire pour autant perdre de vue que cette nouvelle ainsi que Trajets et itinéraires de l’oubli et Visite guidée marquent un changement positif dans la carrière de l’écrivain. Après les années de galère qui ont marqué les nouvelles de Vue en coupe d’une ville malade, Serge Brussolo a trouvé les éditions Denoël et une collection Présence du Futur qui lui permettront d’exprimer la pleine mesure de son talent. Il déclarera (2) :

« j’ai aussi connu des joies immenses avec les nouvelles d’Aussi lourd que le vent qui ont été écrites dans d’excellentes conditions avec un très grand bonheur. Bizarrement je me souviens moins des années noires que des bonnes, et quand je pense à la nouvelle je me souviens de ce second recueil et ne ressens pas de répulsion pour les courtes distances. »

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(1) P.K. Dick, Le guérisseur de cathédrales, collection Presses Pocket, 1980. (2) Entretien avec Richard Comballot publié dans la Revue Phénix op.cit, p. 91

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27. Papiers nobles ou papiers gras / Histoire d’un papier fantastique

in Galerie Art, pp. 3-11, fin 1995, brochure publicitaire réalisée par la société finlandaise Metsä-Serla. in Serge Brussolo La bibliographie, établie par Alain Sprauel, Groslay, décembre 2000 pp. 38-42.

En 1942, aux abords de Paris, Julien, quatorze ans, s’ennuie dans une pension pour enfants de veuves de guerre. Un camarade de classe l’entraîne dans une guinguette clandestine. Des combats de boxe s’y déroulent entre amateurs. Julien y apprend les rudiments de la vie et recoud les arcades sourcilières des boxeurs blessés. Les combattants sont payés en chopines et en cornet de rutabagas frits. Vu la pénurie, les papiers gras sont réemployés par le cafetier pour faire de nouvelles portions. Un peintre fréquente l’endroit et de temps à autre dessine sur ces papelards graisseux. Personne ne comprend rien à son art. Un Noir qui sert de faire-valoir lors des combats est employé et traité comme un esclave par le patron de la gargote. Ancien jazzman, ses doigts ont été brisés à la suite d’une mauvaise dette de jeu. Julien se prend d’affection pour cet homme à tout faire méprisé par tous. Un jour l’artiste en fait son portrait qu’il offre au jeune garçon. Plus tard, le dessinateur tout comme son modèle disparaîtront dans les camps de concentration. Le croquis en revanche se retrouvera dans les collections du Metropolitan Museum de New-York.

---------- Cette courte nouvelle est adaptée du chapitre cinq du roman Les ombres du jardin (1). L’histoire tout à fait semblable s’y déroule en revanche à Lorient en 1943 et non dans la banlieue de Paris en 1942. Jeanne, treize ans tient le rôle de Julien, quatorze ans, et est aussi pensionnaire d’une maison pour les enfants de veuves de guerre. Sa camarade Monique l’entraîne au Café des amateurs dans lequel se déroulent des combats de boxe. Elle a la réputation d’être la fille d’un chirurgien et elle recoud, comme Julien, les arcades des boxeurs blessés. La nouvelle diffère cependant du roman en ce que l’artiste y fait le portrait de Jeanne sur papier gras. Elle y est horriblement représentée. Jeanne s’empresse de déchirer le dessin. Le peintre ramasse les morceaux et la maudit. Une bombe lâchée par un avion tombera en plein sur la gargote qui sera complètement détruite.

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(1) Les ombres du jardin, roman paru chez Denoël, août 1996, 413 p. Réédité dans la collection folio, janvier 1999.

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28. Vos prochaines vacances : le monde des ouragans

in Dragon Magazine n° 29, avril-mai 1996, un jeu de rôle concernant le monde des ouragans a été associé dans le même numéro de la revue.

in Brussolo-Infos n° 14, pp. 28-29, juin 1996. Dans ce court texte, Serge Brussolo présente sur un ton satirique la planète Santäl comme la destination idéale pour les vacances. C’est dans la trilogie du Cycle des ouragans (2) qu’il est question de ce monde aux conditions de vie particulièrement atroces. L’auteur énumère dans cet article les différentes caractéristiques qui rendent selon lui ce monde attirant. On a l’impression de lire la présentation d’un catalogue de vacances. Tout cela doit être pris sous un mode ironique car toutes les activités proposées ne peuvent convenir qu’à des candidats au suicide. Le lecteur de la trilogie des ouragans retrouvera dans ce texte certains épisodes du premier tome dont on a ici un étonnant résumé sous forme humoristique. Le deuxième volume est rapidement évoqué dans un seul passage à travers la visite « d’une cité bâtie sur un sol très mince. » Vos prochaines vacances : le monde des ouragans est une incontestable réussite d’une profonde drôlerie.

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(2) cycle de trois romans composé de 1) Rempart des naufrageurs, 2) La petite fille et le dobermann, 3) Naufrage sur une chaise électrique. Chacun d’entre eux est présenté et commenté sur le site Le monde de Brussolo. Les trois romans sont reparus en un seul volume sous le titre de La planète des ouragans, collection Folio S-F, n° 138, mai 2003.

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29. Conan Lord : le cambrioleur masqué s’installe au masque ! Sous-titre : interview d’un drôle de personnage !

in Brussolo-Infos n° 10, pp. 4-5, mars 1995 Le personnage principal de la courte série Conan Lord qui ne compte que deux volumes se confie à un journaliste dont on ignore le nom. Il explique les raisons qui l’ont poussé à autoriser Serge Brussolo à raconter ses aventures. Conan Lord tenait des carnets relatant ses exploits et il fallait qu’un romancier de talent sût les présenter. Il n’est pas un malfaiteur commode et il tient à se différencier des autres criminels trop élégants et snobs comme Arsène Lupin. Comme toutes ses aventures ont eu lieu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il ne craint plus les poursuites judiciaires. Trop de gens ont écrit n’importe quoi sur lui. Grâce à Serge Brussolo il va enfin pouvoir se dévoiler au monde entier dans toute sa vérité. Interview sur le mode « confession vérité », ce texte de deux pages démontre une fois de plus le talent humoristique de Serge Brussolo. Conan Lord, personnage de fiction, prétend vouloir dire toute la vérité sur son existence. Pour y arriver, il fait confiance au romancier Serge Brussolo chargé de raconter ses aventures.

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30. Une femme de Beverly Hills déclare la guerre à son chien ! Sous-titre : « Drôle de confession sur une drôle d’affaire… Une interview-choc de Dorana Smart. »

in Brussolo-Infos n° 11, p. 12, mai 1995.

Dans ce court texte, Dorana Smart, personnage du roman La main froide (1) discute avec un journaliste dont le nom n’est pas mentionné. Elle se plaint de la relation toute particulière que son mari entretient avec son chien. C’est une épouse délaissée à cause d’un animal à quatre pattes. Son mari parle à son clebs comme s’il était humain et sa compagnie lui semble beaucoup plus intéressante que celle de sa femme. C’en est trop : elle a décidé de se débarrasser de ce concurrent. Dorana a confié toute son histoire à Serge Brussolo qui la raconte dans La main froide. Cet interview est une manière ironique de commenter un roman par l’un de ses personnages principaux. Serge Brussolo s’amuse et nous amuse en présentant de cette manière originale l’un de ses meilleurs thrillers.

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(1) La main froide, roman paru aux éditions du Masque, juin 1995. Republié au Livre de poche n° 7680, octobre 1996.

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31. La chose qui grattait derrière le mur Sous-titre : une aventure de Peggy Sue et du chien bleu

in Le papillon des abîmes (série Peggy Sue et les fantômes) chez Plon, avril 2002, pp. 323-333. Peggy Sue a emménagé avec sa famille dans une nouvelle habitation. Cons truite près d’un zoo, les murs de la maison se révèlent être très friables. Peggy comprend que sa chambre se situe non loin de la cage d’un tigre. L’animal creuse petit à petit avec ses pattes l’épaisseur de plâtre qui le sépare de la jeune fille. Il veut la dévorer. C’est le chien bleu qui a deviné que les fantômes se sont rendus maîtres de la volonté du grand félin. Dans son lit Peggy entend les grattements se rapprocher dangereusement. Le chien bleu arrive à fausser le sens de l’orientation du fauve qui passe tout près du mur de Peggy sans le percer. Depuis lors le tigre erre en aveugle dans la ville creusant toujours plus avant dans les murailles.

---------- Cette courte nouvelle a d’abord été publiée sur le site officiel de Peggy Sue et les fantômes (www.peggysue-et- les- fantomes.com). Dans un entretien publié sur ce même site, avant qu’il ne soit fermé, Serge Brussolo déclarait que cette courte nouvelle était un épisode qui aurait dû être intégré dans le deuxième tome des aventures de Peggy Sue : Le sommeil du démon (1). L’histoire du tigre aurait effrayé l’éditeur qui en a proposé la suppression à l’auteur. Tout comme Papiers nobles ou papiers gras, La chose qui grattait le mur est l’adaptation d’un texte plus ancien. L’épisode est tiré du roman De l’autre côté du mur des ténèbres (2). Au début du livre (p. 7), David le héros fait un cauchemar récurrent basé sur un souvenir d’enfance qui est le même que celui que Peggy vivra dans La chose qui grattait le mur. De la page 7 à 13 du roman, il suffit de remplacer le prénom de David par celui de Peggy et on obtient à peu près la nouvelle. Seuls quelques mots appartenant au vocabulaire des adultes ont été retirés de la version pour la jeunesse.

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(1) Le sommeil du démon, Roman pour la jeunesse paru chez Plon, août 2001, 372 p. Reparution dans la collection Presses -Pocket, juin 2003.

(2) De l’autre côté du mur des ténèbres, roman publié chez Fleuve Noir dans la collection Anticipation, n° 1926, 186 p., octobre 1993.

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LES RECUEILS DE NOUVELLES a) Vue en coupe d'une ville malade

Recueil de neuf nouvelles paru en mai 1980 chez Denoël, collection Présence du Futur, n° 300, 219 pp. Réédition en août 1985 dans la même collection.

Ce volume cont ient :

• Vue en coupe d'une ville malade • La mouche et l'araignée • La sixième colonne • Comme un miroir mort • Soleil de soufre • De l'erèbe et de la nuit • Memorial in vivo. Journal inachevé • Off • Les liens du sang

Les neuf nouvelles présentes dans ce recueil ne sont pas d’un abord facile. Le lecteur devra les lire à tête reposée pour bien les savourer. Lors de leur parution, elles créèrent un effet de souffle sur le paysage endormi de la science-fiction française. La qualité d’écriture, l’univers fictif tout à fait nouveau ont provoqué un choc qu’aucun autre écrivain de science-fiction d’expression française n’a provoqué depuis lors. Il est très difficile de trouver des influences tant les textes de ce recueil sont novateurs, on peut citer sans doute, mais encore de loin deux auteurs : Robbe-Grillet pour la précision technique de la narration et Beckett pour l’humour décalé, mais ces nouvelles ne sont en rien les imitations, les avatars de la manière d’un autre écrivain, l’univers qui les caractérise est trop personnel et aucune œuvre dans la science-fiction française ne s’en approche ni de près ni de loin pour rivaliser d’imagination avec celle de Serge Brussolo – à part peut-être celle de Stefan Wul. Nous ne sommes pas devant les gammes d’un apprenti écrivain qui se cherche une manière ou un style. Les textes de cet opus 1 ont déjà une marque très personnelle qui ne peut être comparée à aucun autre écrivain du genre. On cite souvent Ballard pour le comparer à Brussolo ; sans pour autant sous-estimer l’auteur britannique, ses nouvelles n’ont pas la concision, la précision et la densité de celles de Brussolo. Il est d’usage de dire que le premier livre d’un auteur est une sorte de promesse qui se présente comme un brouillon de toute son œuvre future. Cette opinion ne saurait s’appliquer à Vue en coupe d’une ville malade qui n’est en rien un brouillon. Ce n’est pas non plus simplement la promesse d’une œuvre future importante, ce recueil est déjà une œuvre accomplie d’un écrivain important.

RETOUR TABLE DES MATIÈRES b) Aussi lourd que le vent

Recueil de trois nouvelles paru chez Denoël, collection Présence du Futur, mars 1981, 217 pp. Réédité dans la même collection en septembre 1999.

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Ce volume contient :

• Trajets et itinéraires de l'oubli • Visite guidée • Aussi lourd que le vent

Recueil homogène dont les trois nouvelles sont stylistiquement très proches. Les textes se répondent et se complètent pour former trois petits chefs-d’œuvre. L’auteur déclarera : « j’ai aussi connu des joies immenses avec les nouvelles d’Aussi lourd que le vent qui ont été écrites dans d’excellentes conditions avec un très grand bonheur. Bizarrement je me souviens moins des années noires que des bonnes, et quand je pense à la nouvelle je me souviens de ce second recueil… ».(1) Bien que Serge Brussolo ait connu un grand bonheur dans l’écriture de ce recueil, il constituera aussi pour lui paradoxalement l’occasion de quitter le domaine de la nouvelle pour se tourner désormais presque exclusivement vers le roman.

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(1) Entretien avec Richard Comballot publié dans la Revue Phénix n°24, 1990, p. 91.

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c) Mange-monde

Recueil composé du roman mange-monde et de trois nouvelles, Denoël, collection Présence du Futur, n° 543, octobre 1993, 220 pp.

Ce volume contient :

• Mange monde • Funnyway • Subway, éléments pour une mythologie du métro • Car ceci est de la chair et ceci est du sang

Recueil formé d’un petit roman Mange-monde (2) et de trois nouvelles disparates, le volume est un concentré de tout l’art de Serge Brussolo, mais il n’y a pas d’unité ni de correspondance entre les trois nouve lles et le petit roman qui donne le titre au volume.

(2) voir présentation et critique de ce roman paru sur le site http://sergebrussolo.free.fr/ dans la section bibliographie.

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d) Chants opératoires

Recueil de dix nouvelles paru aux éditions Car rien n’a d’importance, novembre 1993, 185 p. Le livre comprend une préface de Richard Comballot et une postface de Serge Brussolo.

Ce volume contient :

• L'évadé • La rédemption • L'autoroute • Les enfants de Protée • Le ver et le fruit • "...Car ceci est de la chair, et ceci est du sang" • Non, Frankenstein n'est pas mort à Dien Bien Phu • Jour de chasse à Manhattan • Parking de l'ennui • Piège à chance

Ces dix textes qui mériteraient d’être réédités doivent être lus en complément du premier recueil de nouvelles Vue en coupe d’une ville malade. Histoires écrites lors des années de galère d’un jeune auteur qui cherchait à percer, elles sont aussi en concentré ce qu’il pourra développer une fois que le monde de l’édition sera mieux disposé à son égard. Dans la section dédicaces du site Le monde de Brussolo, l’auteur écrit que « ce sont des brouillons de futur à lire avec indulgence ». Bien que l’auteur n’en soit pas convaincu, ces textes sont plus que des simples brouillons. Certains mêmes sont d’authentiques chefs-d’œuvre que l’on peut lire et relire avec un enthousiasme qui ne se dément pas.

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e) Soleil de soufre et autres nouvelles

Recueil paru dans la collection Librio n° 291, mai 1999, 92 p. Ce volume contient :

• Soleil de soufre • ...Car ceci est de la chair, et ceci est du sang • La mouche et l'araignée • Visite guidée

Ce recueil contient quatre chefs-d’œuvre de Serge Brussolo dans le domaine de la nouvelle. Celui qui n’a rien lu de l’auteur peut commencer son approche par ce volume qui a le mérite d’être paru dans une collection populaire très facile à se procurer. Le prix modeste du recueil invite d’autant plus à la découverte.

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Page 59: BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE DES NOUVELLES - Brussolosergebrussolo.free.fr/data/Biblionouv.pdf · Serge Brussolo qui illustre la couverture de cette bibliographie. Avant-propos Serge Brussolo

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f) La nuit du venin.

Recueil composé de trois romans et de quatre nouvelles, Paris, Fleuve Noir, collection Anticipation, octobre 1999, 597 pp.

Ce volume contient :

• La nuit du venin (roman) • Docteur squelette (roman) • Catacombes (roman) • L'évadé • L'autoroute • Les enfants de Protée • Le piège à chance

Ce recueil vaut surtout pour les trois extraordinaires romans fantastiques qui y sont réunis (1). Ce volume est malheureusement entaché d’une préface loufoque et complètement grotesque signée François Angelier. Il s’agit d’un délire verbal qui n’apporte absolument rien à la compréhension de l’œuvre de Serge Brussolo. On évitera donc de la lire à tout prix.

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(1) voir la présentation et la critique de chacun d’entre eux sur le site Le monde de Brussolo.

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ŒUVRES PERDUES OU JAMAIS PUBLIÉES Selon Jean-Jacques Dul (1), un ami d’enfance de Serge Brussolo, ils auraient composé ensemble douze voire quinze nouvelles pendant leur collaboration. De ces nouvelles, seules L’évadé, La rédemption et L’autoroute ont été retrouvées et publiées. Parmi ces textes perdus, seuls quelques titres subsistent dont Alpha medium grave ainsi que Abylène rebaptisé ensuite Le grand théâtre. Par ailleurs, selon la bibliographie de Alain Sprauel (2), une nouvelle intitulée L’ombre des mancenilliers a été annoncée et non parue dans Alerte, n° 6, périodique S.F., Suisse, Kesselring, début 1980. Cette nouvelle aurait été reprise partiellement dans le roman Le carnaval de fer.

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(1) in revue Phénix Spécial Serge Brussolo n° 24, op. cit., p. 114. (2) in La bibliographie, op.cit., p.27.