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l’encoche l’encoche revue d’information de la commune de Montana Décembre 2005 - N° 9 Corina Bille © 2005 Commune de Montana, sauf mention spéciale en fin d’article. Reproduction autorisée avec mention de la source et envoi d’une copie à l’administration communale de Montana, CH-3963 Crans-Montana 1.

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l’encochel’encocherevue d’informationde la commune de Montana Décembre 2005 - N° 9

Corina Bille

© 2005 Commune de Montana, sauf mention spéciale en fin d’article.Reproduction autorisée avec mention de la source et envoi d’une copie à l’administrationcommunale de Montana, CH-3963 Crans-Montana 1.

1l’encoche n°9 - 2005

LLLL’’’’histoire des parents, un conte de fées?

La vie de l’auteure Stéphanie Corinna Bille commenceavec une belle histoire d’amour, proche du roman ou duconte de fées.

Edmond Bille, qui sera le père de Corinna, a la trentaine.Peintre talentueux, reconnu, riche, marié à une bour-geoise fortunée du pays de Vaud, il a déjà deux enfantset sa femme en attend un troisième.

Ils habitent une fastueuse demeure, le Paradou, un petitchâteau original construit sur les hauts de Glarey àSierre ; le peintre l’a fait construire suite à un coup decœur pour le village de Chandolin dans le val d’Anni-viers. Il faut savoir qu’au début du vingtième siècle, lesAnniviards venaient à Sierre pour le travail des vignes etséjournaient en des lieux tels que Muraz, Glarey ouencore Veyras.

Catherine Tapparel, femme de santéfragile et qui sera la mère de l’auteure,vient d’une famille paysanne et nom-breuse de Montana. Elle a quinze ansquand elle entre comme gouvernanteau service des enfants du couple Bille.Mais Monsieur est quelque peu libertinet tombe rapidement amoureux de lajeune fille ; il tente à maintes reprisesde la séduire sans que sa femme s’enaperçoive.

Catherine Tapparel est sous le charme de ce Monsieurdont la prestance et le talent l’impressionnent beau-coup; elle en tombe amoureuse. Mais son éducationcatholique et son sens de la droiture la forcent à s’éloi-gner de la maison de ses maîtres et à retourner dans safamille. Durant son absence, Madame Bille accouche deson troisième enfant et meurt en couches avec lenouveau-né. Edmond Bille est désespéré. Il écrit unelettre d’amour à Catherine Tapparel qu’il supplie de

CorinnaBille:

sa vie,ses œuvres

Le Paradou à Sierre.

l’épouser et de l’aider à élever ses deux premiers enfants.La paysanne de Corin accepte et devient Madame Bille,la reine du Paradou; elle a vingt ans.

Le 29 août 1912 naît Stéphanie Bille, qui prendra le nomd’écrivain de Corinna en hommage à la patrie (Corin) desa mère. Elle aura encore, en plus de ses deux demi-frèreet sœur, trois frères, René-Pierre, Jacques et André.

UUUUne enfance merveilleuse

La petite Stéphanie, dite Fifon, grandit en princesseentre les exigences et les fantaisies de ce père protestant,original, libertin mais avant tout artiste. Elle lui servira demodèle pour certains tableaux et vitraux et se muera enactrice dans les pièces de théâtre qu’il fait jouer à sesenfants ; elle sillonnera les routes du Valais dans saCottin-Desgouttes, alors l’unique automobile ducanton ; enfin, elle verra un premier film qu’il faitvisionner à ses enfants dans la demeure familiale. Par lui,elle connaîtra de grands écrivains comme RomainRolland, Pierre-Jean Jouve, Charles Baudoin, Charles-Ferdinand Ramuz, Rainer Maria Rilke, Israti Panaït et biend’autres qui séjourneront dans leur maison. Cependant,toutes ces richesses de connaissance et de liberté asso-ciées à la réputation sulfureuse de son père dans lapetite bourgeoisie locale vaudront à Fifon bien des souf-frances sur les bancs d’école sierrois, et un abîme laséparera de ses camarades.

De sa mère, Fifon reçoit d’abord l’exemple de la bonneéducation, de la discrétion et… la passion des livres.Hormis les nombreuses lectures que Catherine TapparelBille fait à Stéphanie, elle la soutiendra pendant toute savie dans sa vocation d’écrivain. La petite Fifon écrit trèstôt de petits poèmes; elle sort les gros livres reliés de labibliothèque, déploie de grandes cartes de géographie,écoute les discussions des artistes et des paysans queson père affectionne particulièrement. Elle court dans le

Corinna Bille

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Catherine Tapparel, la futuremère de Corinna.

Corinna avec sa mère.

verger magnifique qui entoure la maison, se baigne dansles étangs de Finges et dans le lac des Quatre-Cantonsprès de leur maison de Rotzberg. Elle glisse sur un traî-neau tiré par un cheval le long des berges enneigées duRhône, monte avec ses parents et ses frères au chalet deChandolin, si près du ciel. Fifon recueille des émotionsqui conduiront la plume de Corinna Bille aux frontièresdu rêve, là où la nature fantasmée égrène ses histoires.Beaucoup de contes pour la jeunesse sont la réminis-cence de l’enfance riche et vivante de cette petite filledouée et sensible qui deviendra un grand écrivain.

LLLLa vocation d’écrivain

L’été 1928, Corinna Bille a 16 ans; unenuit, couchée dans son petit lit de ferlaqué blanc d’adolescente, elle décidequ’elle sera écrivain et se lance cetétrange défi : «Pour la réussite d’unseul livre, je donnerais le bonheur enamour».

Et Corinna écrit. Elle aime inventer,mais s’inspire aussi bien de faits divers,d’histoires vécues ou racontées que desa propre vie. Elle note tous ses rêves etson œuvre se nourrit de cette existenceseconde, poignante et libérée.

La liberté provocante de son père artiste et les traditionsmontagnardes de sa mère qui porte le costume valaisansont le double héritage avec lequel Corinna réussit àbâtir une grande œuvre littéraire; en 1940, un peu plusde dix ans après cette nuit où elle a choisi une vie d’écri-ture, est publié «Printemps», un premier recueil depoèmes; en 1943, c’est «Théoda» qui sort de presse,son premier roman. Le livre est chaleureusementaccueilli.

Corinna Bille

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Corinna (la première à gauche)avec ses amies de classe.

En 1975, Corinna Bille reçoit le prix Goncourt de lanouvelle pour «La Demoiselle sauvage». La France lareconnaît alors comme l’un des meilleurs écrivains delangue française. Les éditions Gallimard l’accueillent, laSuisse lui fait la fête, mais un certain Valais officiel ricaneà la décision des Goncourt et n’hésite pas à classer «LaDemoiselle sauvage» dans la « littérature des cochonstristes». Corinna souffre de cette situation; ce n’est qu’àl’âge de 55 ans que, après un isolement qui lui paraîtinterminable, elle est enfin reconnue comme l’un desécrivains importants de son pays et de son temps.

UUUUn premier amour

Edmond Bille, le père de Corinna, connaît C. F. Ramuz.Corinna admire l’écrivain vaudois et est égalementpassionnée par le cinéma. En 1933, «La Séparation desraces», roman de Ramuz, est adapté au cinéma etCorinna Bille, à qui l’on propose le travail de script-girl,n’hésite pas à se joindre à l’équipe de tournage.

Un matin de septembre, quelque peuanxieuse, Corinna attend toute l’équipedu film qui arrive de Paris. Le train entreen gare et elle remarque rapidementVital Geymond, un acteur français quidoit jouer le rôle du paysan. Il a 36 ans,il est beau et grave, et son allure inspiretout de suite confiance à la jeunefemme.

Le tournage, qui a lieu dans la régionde Lens, est une période merveilleused’errance dans les montagnes et de

campement dans des hôtels vides. Corinna marche lamain dans celle de Vital. Les événements s’enchaînenttrès vite. Après le tournage, elle suit l’équipe sur la côted’Azur pour les besoins du film. Elle découvre la mer, elleaime la voir, la respirer et elle nage avec intrépidité. Au

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Corinna Bille a écrit à de nom-breuses reprises pour «L’Abeille»,hebdomadaire qui lui consacreen 1941 sa page de couverture.

retour de ce voyage en France, Vital Geymondest invité à Chandolin, dans le chalet des Billeet, en février 1934, le mariage est célébré auParadou. Corinna a 22 ans. Elle est très éprisede son mari et la perspective de s’installer àParis l’enchante.

Mais Vital a une profession qui l’oblige à sortirbeaucoup et Corinna se retrouve souventseule. Elle assiste aux concerts, lit énormément(Apollinaire, Dostoïevski, Proust, Faulkner),visite de nombreuses galeries d’art et sedécouvre des affinités avec les surréalistes.

Bientôt, elle se rend compte que son mari estcertes charmant, mais qu’il s’intéresse plus àson chien qu’à elle-même. Pendant les deuxans que durera leur vie de couple, leur unionne sera jamais consommée. Le ridicule de lasituation blesse amèrement Corinna. La vie suitson cours, mais partout elle traîne cette humi-liation de ne pas être femme. Cette situation

ne peut plus durer et Corinna finit par faire son balu-chon. Elle rentre en Valais après deux années de souf-france silencieuse, qui ont inspiré la nouvelle «LaSainte».

LLLLa rencontre décisive avec MauriceChappaz

Le 25 janvier 1942, elle rencontre Maurice Chappaz quideviendra son époux. C’est avec lui, mais aussi avec sonfrère René-Pierre et d’autres amis, que Corinna va entre-prendre une nouvelle aventure, celle de la «Chevalerieerrante». Fous de Cervantes, de nature et de liberté,tous en quête de poésie et d’amour, ils vagabondentjour après nuit au fil des saisons. Ils marchent sur leschemins du Valais avec, dans leur musette, quelquespommes ou pêches du Paradou, une tranche de moutonséché, du seigle, une tomme. Ils dorment dans des

Corinna Bille

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A l’époque de sa vie à Paris.

clochers ou des abris de fortune et chassent oumendient pour se nourrir.

Ils ne songent qu’à vivre différemment, passionnémentet proches de la nature primitive. Souvent, les gens quiles voient passer les montrent du doigt, se tapent le frontet disent de Corinna et de Maurice, son amoureux: «Laprincesse traîne son petit pauvre». Ils organisent unelutte contre l’invasion militaire à Finges, une grève de lafaim et une marche non-violente à Sion.

La bohême de la «Chevalerie errante» s’achève lorsqueCorinna et Maurice décident de vivre ensemble.

Le couple ne peut cependant se marier officiellement,Corinna n’ayant pas obtenu le divorce de l’acteur fran-çais Vital Geymond, ni des autorités valaisannes, ni duVatican. Il scelle son union par une marche de Lausanneà Yvonnand. Ce n’est que cinq ans plus tard, grâce à unoncle de Maurice Chappaz, le juriste Troillet, queCorinna deviendra l’épouse de Maurice. Leur fils aîné,Blaise, a déjà trois ans. De leur union naissent encoredeux enfants, Achille et Marie-Noëlle.

Ils mènent une vie de couple peu ordinaire, où rien ne sesoustrait aux idéaux de vivre pour l’art, pour la poésie età la nécessité d’écrire. C’est une vie d’errance qui lesconduit, par manque d’argent, d’un habitat à l’autre, debaraques abandonnées sans confort (Finges, Geesch,Raron) aux maisons des différents membres de la famille

où ils trouvent refuge (le Châble, leParadou à Sierre ou le chalet de Chan-dolin), d’une maison vigneronne à Fullyà une chambrette de Lausanne, alorscapitale de l’édition romande. Ils finis-sent par déposer leurs bagages à Veyrasoù ils construisent une petite maisonrose, le premier «chez soi» de CorinnaBille.

Ils acquièrent plus tard un chalet auxMayens de Réchy, aux Vernys, lieu

Corinna Bille

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Corinna avec ses enfants Blaiseet Achille.

Corinna Bille et son mari MauriceChappaz.

sauvage, de forêts et de torrents, lieud’enchantements, que fouleront lespieds de «La Demoiselle sauvage», où«Les Forêts obscures» se pencherontcomme une fée ou une sorcière surl’isba de «Russie», et où Corinna Billetracera sans fin des mots sur le papier.Maurice Chappaz doit s’absenter beau-coup pour son travail d’écriture et lasubsistance du couple. Entre deuxtâches, Corinna ne cesse d’écrire, dansune sorte d’urgence, recopiant troisfois ses textes, travaillant sur plusieurs

créations à la fois. Elle note ses rêves, recueille des récitsde vie, crée des contes pour ses enfants et, plus tard,pour ses petits-enfants.

Ce sont des années de grande souffrance, de fatigue etde solitude, marquées par le manque d’argent, lamaladie et la non-reconnaissance de son statut d’écri-vain. Années pourtant illuminées tant par l’amitié d’unarchitecte tessinois, Kummer, chez lequel elle passera denombreux séjours, que par un amour clandestin lorsd’une convalescence au Pradet sur la côte d’Azur fran-çaise (cf. le roman «Œil-de-mer»). Elles seront aussiassombries par la mort du père, Edmond Bille, en 1959.Catherine Bille, la mère de Corinna, disparaît en 1974,atteinte d’artériosclérose. La vision de cette mère tantaimée qui s’en va peu à peu déchire le cœur de Corinna.Avec la mort de la paysanne qu’aima le prince duParadou, Corinna perd celle qui, la première, a cru enelle et en sa vocation d’écrivain.

«J’ai toujours écrit», dira Corinna. «Je serais morte dene pas écrire». Celle qui, entre deux coups de fer àrepasser, priait le ciel que ne lui vienne pas l’envied’écrire, laissera derrière elle une quantité d’œuvres,dont certaines inachevées, sur des centaines de bouts depapier, de morceaux de nappe de restaurant ou de notesd’hôtel.

Corinna Bille

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Corinna lors d’un repas depresse.

Corinna et Maurice à Geesch.

JJJJusqu’au dernier voyage

Après avoir rêvé le monde, Corinna Bille découvre enfinles noms qui dansaient sous ses yeux depuis l’enfance,quand elle se penchait sur les cartes de géographie :Moscou qu’elle visite avec un collectif d’écrivains (cf. leroman «Les Invités de Moscou»), la Côte d’Ivoire, le

Niger, où elle rejoint son filsaîné ingénieur et où naîtrasa première petite fille,ainsi que le Liban, oùMaurice et elle retrouventun ami écrivain. Mais c’estla Russie qui exerce surCorinna son charme prin-cier et où elle retourneraavec une amie d’enfance.Malgré une grandefatigue, elle réalise enfinson rêve et part sur leTranssibérien avec sonmari.

De retour de voyage, Corinna Bille est hospitalisée; elleest gravement malade et, sur son lit d’hôpital, lesmanuscrits dansent; si seulement la mort pouvait reculerun peu ses avances pour qu’elle puisse encore écrire.Corinna Bille meurt le 24 octobre 1979 à l’hôpital deSierre. Elle est enterrée au cimetière de Veyras. Elle s’enest allée comme elle l’avait écrit, par la petite fenêtrebleue des icônes.

Sur la pierre de sa tombe, on peut lire dans les entrelacsdu lierre : «Dans ma maison de bois, au-dessus desnuages, je pense à la terre».

Elle nous a laissé un trésor d’écriture et, sans nul doute,sa plume d’ange laisse çà et là quelques gouttes d’orquand le ciel est clair.

Merci Chère Corinna…

Corinna Bille

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Sur le Transsibérien, son derniervoyage…

LLLL e spectacle «Chère Corinna…»:hommage conté à Corinna Bille

Depuis 1999, nous racontons en duodes histoires aux adultes et auxenfants. Passionnées par l’écriture deCorinna Bille, nous décidons en 2000de lui rendre hommage avec une créa-tion qui lui soit entièrement consa-crée. Ainsi naît « Chère Corinna… »,un spectacle où se répondent la vie etl’œuvre de l’auteure Corinna Bille. Ladanse et la musique s’associent auxvoix des deux conteuses, offrant ainsiune dynamique au spectacle etcomplétant son aspect visuel.

Une heure et demie de voyage dans le monde étrange,sensible, sensuel, parfois cruel d’une auteure tropsouvent méconnue et qui a su mieux que personneraconter des histoires universelles d’hommes et defemmes où la magie de la nature est omniprésente.

Christine Métrailler et Anne Martinconteuses et auteures du spectacle «ChèreCorinna…».D’après Corinna Bille, «Le Vrai Conte deMa Vie», aux éditions Empreintes.

Corinna Bille

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© Commune de Montana 2005.

Ce spectacle a été joué le 22 avril 2005, à la maisonbourgeoisiale de Montana dans le cadre du pro-gramme culturel proposé par le Conseil bourgeoisialde Montana.

NNNNous étions une belle famille…

Il y a deux ans, parlant de Corinna, Maurice Chappazm’a présenté la photo de ce qu’il considérait être une«belle famille» d’autrefois, modèle d’une sociétépaysanne révolue.

Il aurait voulu connaître les noms de chacun. Je suis partisur la piste, en fouillant d’abord les registres paroissiaux;ensuite, l’initiative de Mme Paola Masciulli, conseillèrebourgeoisiale à Montana, m’a donné l’occasion derencontrer des cousins de Corinna Bille, descendants quiont heureusement pu mettre un nom sur tous lesvisages1 de leurs ancêtres.

Corinna Bille, dans un des derniers livres publiés de sonvivant 2, évoque comme suit la famille de sa mèreCatherine-Virginia:«Mon père au village c’était quelqu’un. Il fut durant des

années Grand-Châtelain, c’est-à-dire juge.Mais nous étions une belle famille. Quinze enfants !On ne pouvait plus nous garder à la maison. Mes frèreset sœurs étaient déjà partis en place ou en apprentis-sage. Et selon la coutume, ils envoyaient à nos parentstout l’argent qu’ils gagnaient. Grâce à eux, mon pèreput commencer à acheter du bien».

Le père, Pierre-Joseph TapparelLe père, Pierre-Joseph Tapparel s’est remarié en 1877avec Adélaïde Romailler. Lors d’un premier mariage, ilavait eu deux enfants, qui figurent sur cette photo :Louis, visiblement plus âgé (deuxième depuis la droite,au dernier rang) et Joséphine, à droite de Catherine(deuxième depuis la droite, dans la rangée du milieu).Selon les indications de M. Francis Tapparel, l’actuel

Corinna Bille

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1 Avec Mme Masciulli, nous avons rencontré quatre cousins de CorinnaBille: Madeleine Tapparel, née en 1920 (fille de Casimir), Ernest, néen 1920 (fils de Stéphanie), Adèle et Gustave Tapparel, nés en 1924et 1932 (enfants de François). Pour l’histoire plus large de la famille,voir aussi le travail bien documenté de Pascal Rey, «La famille Tap-parel à Montana», dans un récent numéro de L’Encoche (2001).

2 «Virginia 1891», Deux passions, Editions Bertil Galland, 1979. C’estdans ce livre que le lecteur retrouvera le plus d’allusions à la vie deMontana.

CorinnaBille:

autour d’une photode famille

Pierre-François Mettanauteur du livre «Le Partagede minuit Corinna Bille etMaurice Chappaz».

président de la commune, Pierre-Joseph exerçait la fonc-tion de syndic: avant que la communauté de Montanane soit devenue indépendante en 1905, celui-ci la repré-sentait dans la grande commune de Lens. Lors de sondeuxième mariage, Pierre-Joseph a eu quinze enfants,dont deux sont morts en bas âge. Sur cette photo m’im-pressionnent les grandes mains d’un homme qui sembleincarner la force et la stabilité. Par contre, dans«Théoda», la jeune adolescente Virginia évoque plutôtun sentiment d’étrangeté. Elle décrit aussi le visage deson père: «Souvent le visage des hommes d’ici m’éton-nait, même celui de mon père. La sauvagerie peutdonner aux gens l’air un peu fou, sans qu’ils le soient lemoins du monde. Il me semble maintenant que jen’aurais plus pu aimer un paysan, ni vivre avec lui 3».

Corinna Bille

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De gauche à droite, au premier rang: Pierre-Joseph (1898), Henriette Honorine (1897), la mère Adélaïde(1856), le père Pierre-Joseph (1844) et Berthe (1900); au rang du milieu: Catherine (1891), Joséphine (1872),Stéphanie (1890), Adélaïde (1889), Pauline (1883), Mélanie (1887); au dernier rang: Lucien (1877), Joseph-Casimir (1881), Jean (1879), François-Erasme (1892), Louis (1870), Jules-Albert (1885).

3 «Virginia 1891», p. 197.

Les enfants, gros plansur Lucien

Les enfants qui ont survécuse trouvent tous sur laphoto : ils sont énuméréspar Corinna Bille dans unarbre généalogique grif-fonné à la hâte sur unmanuscrit du «Sabot deVénus», roman publié en1952: elle y fait la liste destreize enfants dans unordre à peu près chro-nologique, Lucien étantl’aîné et Berthe la cadette.Mamita est le surnomdonné à Catherine. Le lec-

teur s’amusera de constater que, si pour chaque garçonla profession est indiquée, les filles reçoivent pourunique mention «mariée» !

Comme cela était très courant à l’époque, les aînés quit-taient la famille pour trouver du travail à l’étranger. Jeana fait sa vie dans la région de Lyon; Corinna nous dit,dans un détail très piquant, qu’il «ne voulait pas d’unefille de Montana (parce qu’elles sentaient le fumier)4».

Nous en savons plus sur la vie de Lucien Tapparel.Observez bien la photographie : celui qui porte unecasquette, tout en haut à gauche, c’est lui. Seulement,et le détail m’a été signalé par Ernest Rey, la photo a ététruquée ! En effet, la tête, plus grosse, et le bras, dessiné,ont été rajoutés; c’est que Lucien Tapparel, à l’époquede la photo, se trouve bien loin du Valais, à la Légionétrangère. J’ai eu l’occasion de lire deux liasses de lettresécrites par Lucien Tapparel. La première se trouve dans le

Corinna Bille

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4 Corinna Bille, «Le vrai conte de ma vie», p. 447 : ce livre est unereconstitution, faite après la mort de l’écrivain, de ce qui aurait puêtre son autobiographie. Le même détail piquant se retrouve dans«Virginia 1891», p.191.

Manuscrit du «Sabot de Vénus»avec notes généalogiques.

fonds Corinna Bille, aux Archives littéraires à Berne.Lucien écrit à sa famille de Montana depuis l’Algérie etl’Indochine. Cette vie est devenue romanesque sous laplume de sa nièce Corinna : dans son premier roman«Théoda», elle utilise en effet les lettres telles qu’elle lesa trouvées dans les archives de sa mère. Lucien y estdevenu Léonard et, pour la jeune fille qui raconte l’his-toire terrible du meurtre de Barnabé, il représente l’appelde l’ailleurs. Il existe aussi une autre liasse qui se trouveaux Archives cantonales de Sion; Lucien écrit au mari deCatherine, Edmond Bille, des lettres et des cartes depuisle front: il a été en effet engagé dans la guerre de 1914-1918. Il y mentionne notamment l’envoi d’un trophéede guerre, un casque «boche» ! Lucien Tapparel asurvécu à la guerre et s’est établi dans la région deMontélimar.

Les onze autres enfants ont eu quant à eux unenombreuse descendance dans la région de Montana.

Catherine, la mère deCorinna

Je ne m’arrêterai que briè-vement sur la descendantela plus illustre de la famille,Catherine, dont la vie estretracée dans la premièrepartie de l’article.

L’histoire du mariage entre la bergère et le prince a étélargement évoquée par Corinna Bille dans «Virginia1891». Rappelons-en les prémices, en ajoutant les préci-sions livrées par les témoignages des archives5. En 1911,Edmond Bille perd sa première épouse et, dans une lettrepassionnée datée du 27 juin 1911, appelle à son secoursla jeune fille qui s’occupait de ses enfants:

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5 Gilberte Favre, dans sa biographie de Corinna Bille «Le vrai conte desa vie», évoque cette lettre que j’ai pu lire aux Archives littéraires àBerne. Corinna raconte, dans «Virginia 1891» (p. 192), que sa mère abrûlé toutes les autres, tant celles-ci étaient passionnées !

Extrait de baptême de la mère deCorinna, née Catherine VirginieTapparel.

Corinna Bille

« J’avais tout,… je n’ai plus rien –. J’étais entouré, j’étaisaimé, que dis-je, adoré… et maintenant je suis seul, etil me semble parfois être au fond d’un trou profond etnoir où je suis seul à pleurer, tandis que les autresvivent, s’aiment et jouissent au-dessus de moi.Qui me donnera, dis, maintenant, cette tendresse dontj’ai tant besoin pour vivre; qui pourra être pour mesquatre petits ce qu’était leur mère…».

Les nombreuses études consacrées à Corinna Bille ontdans l’ensemble assez peu mis en évidence tout ce quel’écrivain devait à sa famille maternelle. Or, Corinna,contrairement à beaucoup d’écrivains célèbres qui ontinventé des pseudonymes qui gommaient leurs origines,choisit son nom d’écrivain en référence au village deCorin, signifiant ce qu’elle devait à sa «matrie».

Corinna avait une relationtrès profonde avec samère, qui lui a racontébeaucoup d’histoires liéesà son enfance; elle gardaitprécieusement les lettresque ses oncles et tantesavaient adressées à samère, les utilisant aubesoin pour ses livres defiction, comme nousl’avons vu pour Lucien. Ilfaut cependant insister surle fait que Corinna dépassecet ancrage local : si elle estun grand écrivain, c’est

qu’elle trouve dans les histoires qu’elle raconte unerésonance universelle. De cette «belle famille», Corinnane retient pas les «jolies» histoires: elle est fascinée parl’absolu de la passion ou les mystères de certainscomportements humains ; elle sonde les âmes et lescorps des êtres fragiles qui ne trouvent pas leur comptedans une société trop cartésienne. Ainsi dans «Théoda»,

Corinna Bille

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La mère de Corinna (à droite) etsa famille, les Tapparel.

à partir d’un fait divers, la dernière exécution capitale en1842, elle raconte une vieille histoire de famille. Quel’ancêtre, complice d’un meurtre passionnel, ait été sonarrière-arrière-grand-père n’a finalement que peud’importance6 : l’originalité de Corinna, c’est de faireraconter cette histoire par une jeune adolescentebouleversée par ce qu’elle voit.

Origine de la photo: une hypothèse

Pour terminer, je donnerai quelques indica-tions sur les lieux et l’époque de la photogra-phie de la famille Tapparel en page 42. Diversrecoupements avec d’autres photos permet-tent d’affirmer avec certitude que celle-ci aété prise au Paradou, à Sierre. Edmond Billeavait fait construire ce bâtiment imposant en1905. Dans la partie centrale se trouvait l’ate-lier du peintre, éclairé par une verrière. C’estlà que la famille Tapparel a posé pour lephotographe Zufferey de Sierre.

Pour dater cette photo, l’exercice est plusdifficile : je propose une hypothèse. Il fallaitune occasion importante pour réunir toute lafamille en grande tenue à Sierre et faire venirle photographe. Certes, Lucien n’est pas là,mais on aura compris qu’il fallait que, d’unemanière ou d’une autre, il figure sur la photo.Cette occasion, n’aurait-ce pas été le mariagede Catherine et d’Edmond, le 6 février 1912 ?

Pierre-François Mettan

Corinna Bille

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Corinna portant la main à sonchapeau, avec ses frères et sœurs.

6 Les registres paroissiaux m’ont fait remonter jusqu’à François-Gré-goire Rey, né en 1799 et décapité le 28 février 1842. Corinna Bille aretrouvé les pièces du procès aux Archives cantonales. «Théoda», lorsde sa première publication en 1943, reçut des éloges unanimes.

Certaines photos ont été reprises du livre «Le vrai conte de sa vie» deGilberte Favre, Editions 24 Heures, 1981.

© Commune de Montana 2005.