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Querencia Project © Hernan L. Toro Cabinet des Dessins 1

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Le dessin, aujourd'hui, peut-il faire événement Dessin & Prose

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Querencia Project © Hernan L. Toro Cabinet des Dessins

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Querencia Project © Hernan L. Toro Cabinet des Dessins

H e r n a n L . T o r o

CABINET DES DESSINS Idessins & prose

Site avec les dessins de ce livre :http://tacteon.wix.com/cddessins#!

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Voilà, le manuscrit est terminé. Ce sera tout. Maintenant silence. Une chaise, une table. Je ferme le dossier, il restera là. Une chaise, une table, le dossier restera là, sur la table. La lumière change ici, selon l'heure, le jour. Rythmes. Des tons se profilant en diagonale depuis la fenêtre. J'ignore combien de pages j'ai écrites. Un jour je publierai ce livre. Pour l'instant, le plus urgent m'attend, en sortir... Ce cri restera là. — Qu'ai-je appris ? Ssschut !

Une table, une chaise, un lit. Cette chambre. Dans. Fenêtre rideaux papier. Quatre heures du matin, c'est mon heure. Donc, voici: j'ai fini ce livre vers quatre heures du matin, laissant le dossier à gauche de la table. Aussitôt après avoir terminé, je me suis remis à écrire...

Les lettres se trouvaient en dessous. Quand j'ai vu, tout à l'heure, qu'elles étaient encore là, le silence s'est formé de lui-même, partant du centre vers la périphérie, où centre est le rien d'une phrase tacite.

En effet, ce n'était plus leur place. C'est un geste qui en dit beaucoup mais qui cesse de signifier ce qu'il raconte dès que nous l'avons fait. ¡Fuera!

Ces heures étaient ainsi rompues, comme elles étaient venues. Je me mis à écouter de la musique. Je fermai les yeux. C'était toujours l'opus 18 N° 4 de Beethoven. Quatuor.

Silence.

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FALS' AMORs1

1 « Bien greu trob'om joi desliureC'a tantas partz volv e tombaFals' Amors... » Arnaut Daniel

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"La vérité est personnelle. Prenez garde :

tous ne sont pas dignes de la confidence" R. Char

…c'était par ce biais inqualifiable, en me souvenant de cette femme (et cette récente nouvelle: que le jour, où, pour la dernière fois nous passerions devant le juge, elle serait enceinte), c'était par ce biais, dis-je, et avant que je sache, quoi au juste, du temps passé venait de s'effondrer, qu'il m'était donné de songer à ces tableaux, et au-delà de ce cas précis, à la peinture, ce que j'en savais, non pas tant d'un office, mais de ces instants de vie, chose ici ou là du corps, l'allée déserte d'un musée où j'entends encore mes pas et la lecture d'un livre. Cette nouvelle je ne l'avais pas entendue avec mes oreilles, non, ni avec ce que je sais des gens — je pouvais , par exemple, penser très loin, comme on calcule les coups aux échecs, aux attitudes incertaines des femmes et admettre que ce n'est pas en y réfléchissant que nous comprenons quelque chose, mais en plaçant les passions humaines du côté de l'opéra-comique pour conclure que ce qui est navrant, ce n'est pas l'inconsistance des situations, nous étions déjà avertis, mais le sérieux avec lequel on peut si mal les interpréter, et si en effet, elle pouvait m'arriver comme ça, cette femme, un peu perdue, et presque luttant pour son bonheur, prête à jouer tous les rôles, et si je pouvais, même, trouver émouvant celui de nouvelle amante qu'elle se donnait, rien ne pouvait annuler ce que j'avais entendu parce que je ne l'avais pas entendu avec mes oreilles, mais avec mon nom.

Ce fut cette nuit-là que j'écrivis ce poème.

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Chanson pour un prénom dont il n'y eut pas de naissance :

— Vois-tu, je ne te prononce pas.Maintenant qu'il n'y a personne.Maintenant que tout le monde est parti,je voudrais te parler, au moins, un instant.Si je te disais ce que je viens d'apprendre, tu en serais triste. Mais tu n’entendras pas. Voilà ce qui est arrivé : tu ne seras pas.Laisse-moi donc te parler,je serai, au moins cette nuit, toi qui n'es pas.

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Le plus étrange résidait là, que par ce biais détourné j'entende ainsi, puis qu'aidé par ce poème, j'en vienne à dire tout ce dont j'étais capable au sujet de la peinture... Non pas l'idée que l'on se fait, ni l'expression, mais précisément une douleur, là même où j'avais désiré voir jaillir mes travaux — l'arc palpitant du trait quand la lumière se réfracte et monte.

J'arrive à ce présent d'une parole qui fait figure de terre de personne : ce qui n'est plus ne sait encore mourir, et ce qui doit naître n'a encore pas de lieu. Mais comment peut-il cesser d'être ce qui n'a pas eu le temps d'exister ? Ne resterai-je pas traqué comme une bête, ne produisant que des sons inaudibles ? Ne me resterait-il pas à parler, contre toute attente ? Ne devrai-je pas faire œuvre de raison ?

Certains croient que la raison s'obtient avec le bannissement de nos affects. Tous ou presque tiennent l'amour pour une passion. Mais si vous leur dites que dans ce cas, on fait de l'amour, le chemin le plus court pour arriver à la haine, ils diront que vous exagérez. L'amour ne serait que la dérive la plus noble des nos passions, mais il faudrait ajouter la tempérance pour en faire une vertu. Pire, nous devrions lui injecter l'esprit qui lui manque. Ceci me paraît aussi absurde que les visées spéculatives qui ont toujours accompagné l'art quand il s'agit de venir à bout de son essence et trancher la tête du peintre avec une définition, voilà que subitement une cohorte de prétentions spirituelles s'empare de nous : l’invisible nous dit-on…

Non. Quand j'aime, j'entends, au fond de moi, comme —

fil d'eau qui cours parfois sous les mots et qui relie les phrases autrement qu'elles ne nous sont données, jusqu'à faire jaillir celles que nous ne pouvons pas penser, étant lui, ce cours d'eau, plus acte que nous, nous qui sommes pourtant pourvu d'action. C'est à une raison que s'adresse le savoir, et va et sépare, et devance ce que nous appelons penser ; un événement se déploie sous nos yeux, où nous croyons souvent aller à notre perte, mais que nous pouvons des temps à autre lire, parfois seulement entendre, sinon suivre au loin, comme le débit d'un instrument au jazz, After all: Johnny Hodges...

Imaginez que je sois sous le coup d'une appréhension déroutante car sans forme fixe, siégeant où bon lui semble: un arbre en feu, une maison qui brûle, que j'entende des cris et que quand la nuit tombe je rêve d'un labyrinthe, les bruits des voitures sur le bitume représenteraient ma voix traquée, je chercherai une phrase qui pourrait la libérer, une seule phrase... Cet autre rêve aussi : je me vois prendre la parole, un couloir débouche sur une salle, des gradins en hémicycle, à gauche en rentrant l'estrade, au-dessus, une belle pièce en bois, longue de trois mètres environ,

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sorte de bureau où siègent les hommes qui vont m'entendre. C'est un effet massif d'impuissance: mes arguments, c'est ce que je comprends, n'auront aucune chance, ces Messieurs tiennent lieu de ce tiers qui aurait pu me sauver, ils jugeront selon un critère qui m'échappe foncièrement et l'assentiment que ma plaidoirie pourrait engendrer n'y sera pour rien. Dans un miroir je regarde mon visage et c'est l'horreur... Exit. Y a-t-il quelqu'un? N'y a-t-il personne ?

Si je pouvais désormais seulement parler… «et de cette pointe à peine esquissée...»

À supposer que j'aie été incapable de prononcer le moindre mot au sujet, non pas ce que je vivais, mais de ce que je désirais vivre et que, devancé par la terreur, je me sois caché (à ma propre face, ce visage) — se pourrait-il que je me sois infligé une peine, faute de justice ?

Comment se fait-il que j’aie pu acquérir tant de choses ?

Le Louvre, École du Nord, perplexe, la douleur sous ma voix, comme traqué, ne comprenant pas pourquoi j'en étais à vivre ainsi, exclu de moi-même. Je ne me disais pas — oh mon ami t’en es loin du compte. C'était le résultat positif de mes efforts, ce qui me déconcertait. Je perdais la voix. C'était limpide mais intraduisible. Les formes récoltées se trouvaient de l'autre côté, chaque pas que je donnais pour m'en approcher, m'éloignait davantage. Je regardais la luminosité transfigurée par l'eau, en bas, sur les quais de la Seine. C'était une joie immense, j'improvisais pour moi seul : ubiquité, raccourci, que sais-je ? J'étais à Venise, c'est là qu'en l'année 1557 pour la première fois on publie, Dialogo della Pittura intitolato l'Aretino de Ludovico Dolce, le sens d'une querelle qui pour nous n'a plus aucun sens. Querelle qui reprendra un siècle plus tard en Flandres. Deux noms, dans l'ordre : Titien puis Rubens. Deux points par où faire passer une droite infinie, avec laquelle, me disais-je, il est possible de renouer la peinture. Je faisais exprès de ne pas dire, toute de suite, avec la peinture, mais seulement la peinture, d'un savoir dont elle serait l'acte et le passage, la fleur de traverse, un la où je pouvais aussi entendre l'adverbe de lieu, l’(a)accent grave : là, peinture, Titien puis Rubens. S'acquitter du sens de cette querelle (celle dites du Coloris) autrement que comme ce quelque chose d'historiquement daté. Desceller ce, là, dans et hors tableau. S'aviser du passage et non de l'être. Vérité à lire et discerner, sachant que toute querelle emprunte au malentendu son économie, de même que le théâtre, au semblant, sa force, pour produire des effets ; pour se demander ensuite, au titre de quelle accointance nous pouvons rencontrer une œuvre sans nul égard à l'époque qui l'a vu naître.

Chacun doit, d'une certaine façon, répondre à la question — de qui suis-je contemporain? pour s'orienter dans l'existence. Le Titien puis Rubens aussi bien que Spinoza. Spinoza pour me dire que j'étais en train de chercher le point qui me ferait peindre. Point connu du Titien et de Rubens, non

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pas parce que c'était là le socle d'une époque, mais parce qu'on peut rencontrer la peinture sous la forme de son éternité (sub specie aeternitatis)

c'était jubilatoire, mais l'émotion m'accablait. Plus j'avançais, plus je me sentais vulnérable. Une zone exiguë et aphone. Au Louvre... Parfois je commençais avec un français, Jacques Blanchard, beau tableau, vénitien dans son genre, une délicatesse: qui était-ce cet homme à surprendre quatre femmes ainsi... Je penserais d'abord à Actéon, ce que voulait dire qu'une de ses quatre femmes se trouvait être Artémis/Diane, j'apprendrai, que c'était Venus et les trois Grâces, mais là n'était pas la cause de mon choix, mais dans le rendu, la façon, dans ce que veut dire rendre, laisser là, je vous rends, my Dear, rendre, laisser, peindre, il faut rendre l'amour, le laisser à sa place, là, une nuance, peindre, laisser venir, faire venir... là, la peinture pense ou fait penser, ttuti li miei pensier parlan d'Amore, puis de plus près, ce que j'entendais en occitan comme fleur de fin'amor, mais qui était dit en français, «d'une qui ne serait pas toute...» etc. Mes pas frôlaient le parquet, au son qui remontait du sol, je savais que ma voix était là, mais comme un prisonnier attend qu'on lui apporte de la nourriture… Il me fallait ce «presque rien» de décisif et, pensais-je à l'époque, de nuptial. Personne ne pouvait m’aider. Plus j'approchais de ce point dis-je, plus la clarté me fourvoyait. Là où j'avais vu que cette touche était viable la toile s'effondrait, mon regard partait plus loin… Je m'acquittais d'une lumière jamais vue, mais alors une étrange appréhension m'accablait, laissant béante la touche. Tout ce que je pouvais me dire c'était qu'un jour je retournerais, là, peindre.

C'était là. Par ce biais-là, que je me frayais, tant bien que mal, un passage. Ainsi. Toutes peines confondues. Et présentées ainsi. Et parfois, comme si je ne pouvais approcher que la destruction, une inquiétante appréhension sortait des rangs pour me faire signe, je serrais mes poings et criais pour moi seul:— Non !

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La chambre. Je remarque à nouveau le désordre : papiers, feuilles, livres, vêtements. Et sous ce désordre, une partie de ma vie recluse. Perdue. Trahie.

Quatuor à cordes op. 18 n°4, le deuxième mouvement ...

(Quelques mois auparavant) Nous montions la route vers Espéracedes. Route, passage… Attendez, donnez-moi du temps, c'est pénible. Je suis le fils d'une autre ville, d'une bataille que je n'ai jamais vue et qui pourtant bourdonne dans mes oreilles comme une bête qu'on égorge le jour du sacrifice. C'est l'abîme qui s'ouvre devant moi. Le sang est partout. J'entends le coup d'une masse sur l'enclume, un amas des moments épars qui s'abîment en un seul et même point, une élasticité sourde les métamorphoses, comme ces grotesques figures d'ombres qui chaque nuit venaient me rendre visite quand, enfant, je regardais le plafond. J'ai manqué, des années durant, de présence, non pas la mienne, ni celle du semblable, ni celle du non-semblable, de présence dans le sens imprécis du lieu, de l'avoir lieu, dans la langue, et en dehors d'elle et pour lequel (sens imprécis du lieu toujours) nous avons besoin du jugement d'existence, encore une fois, sens imprécis et incertain de ce jugement dans la langue, et en dehors d'elle, mais présence... Etc. J'ai été cet enfant frêle et maigre dont tout le monde a pitié, sans promesse d'homme. L'horreur, là, comme preuve. L'erreur ici comme source.

Nous allions à Espéracedes, disais-je, la radio était allumée... Ce furent les cordes qui, d'une forme ascendante, attirèrent mon attention. J’ai cru reconnaître la fugue, et le nom de Bach. Je traverse une zone. Un temps. Deux. Le premier violon jaillit traçant avec des courtes notes un premier cercle galant. Plus loin, c'est le violoncelle qui reprend l'idée et ensuite en trio: déformation rythmique. Andante. Puis un à quatre. On devine l'élégance équestre d'une marche. Expansion... Couleurs. C'est l'entrée de quelque chose d'ineffable dans ma vie. C'est là — me suis-je dit.

Oui, c'était bien par ce biais-là, trébuchant sur ces souvenirs, parce que quelque chose y mettait fin, que je me livrais à cet exercice périlleux : le comble d'une signature — c'est ainsi que j'ai toujours désiré vivre.Il me restait l'enclos du dessin, des intervalles : la vie. Vida. Mais je ne dessinais pas encore. J'écoutais seulement ces cordes, un désir sans nom était là qui m'accompagnait. J'avais la force de ne pas combattre ces lignes adverses. Je siégeais à cette place vide. En face ce trouvait l'être cher que je venais de perdre, et non pas une armée. Cette vulnérabilité d'homme devait suffire à me

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donner de quoi camper la nuit et trouver un refuge.

Se taire, pour indiquer uniquement cette place qui peut occuper un homme, et ce, sans nul égard aux circonstances qui font de notre vie quelque chose d'imprécis et souvent de vulgaire — oui, cette perte était irrémédiable.

De pictura. Seul mon silence.

Je dis: ville, je dis: soir d'été, un ciel bleu d'été. Avec. Sensation bleutée. Sans plus.

Qui était cette femme ? Qu'importe. Vivre. C'est en aimant à nouveau que je réaliserai l'étendue cette perte ; c'est en créant que je trouverai inadmissible sa conduite. Qui était-elle ? Qu'importe. Je la bannis de l'amour que je lui portais. Le deuil n'aura pu commencer que le jour où je me suis rendu compte que ce n'était que fourberie, avec la complicité de mon entourage… J'ai dû me résoudre à sauver, au moins, cette perte. La créer presque. Il me fallait cet acte, sans quoi, la vie est une farce, et je n'en voulais pas de la sienne, fals' amor

Dans un moment de révolte, me sentant bafoué et perdu, il me parut impossible de me servir de mon nom pour signer. Avec rage, ayant cette nécessité impérieuse de marquer ma mort, ainsi je croyais enterrer ce qui restait d'un personnage, j'en permutai l'ordre, j'obtenais, Orot.

Elle sortira de ma vie par où elle est rentrée, ma parole.

Et maintenant, luces...

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DEUX SORTES DE POSSIBLES

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"Reconnaître deux sortes de possible : le possiblediurne, et le possible prohibé. Rendre s'il se peut

le premier l'égal du second, les mettre sur la voieroyale du fascinant impossible, degré le plus haut compréhensible."

R. Char

Paris est ailleurs, je n'ai jamais su arriver ici. Cette nuit frappe dans mes oreilles, comme si, de chaque parole proférée devait rester quelque chose de sourd à mes efforts. J'entends ma voix se déliter en mille sons épars. J'ai pu écrire et cela me sauve. Un lit, une table, chaise. Musique. Je ne cesse d'arriver nulle part.

Je n’en dirai pas plus.

Et maintenant? Écrire, là où, je dessine. L'arc. Le silence. Le trait. Ce sera long, difficile, épuisant.

Quand je ferme les yeux et que l'ombre rejoint l'obscurité, à l'instant même où elle se plie, se dégage la vibration d'une lumière dont je n'ai jamais su si elle était vraiment visible ou seulement sentie. Il m'en faut très peu pour dire — là. Je trace en dormant. Ces traits, comme des cordes que l’on frappe, m'arrivent comme un écho.

Les efforts les plus tenaces sont comme la signature d'un paradoxe. Si la voie est tracée, alors ce chemin n’existe pas. Si nous avançons sans savoir où nous allons, alors la voie s’ouvre qui oriente. Sans faire un saut, nos efforts ne trouveraient jamais des alliés dans la marche. Si quelqu'un me demandait de le lui expliquer, ou si la nuit me surprenait avec ce désir d'adresser quelques mots sans savoir à qui je parle, c'est à peine si ma voix trouverait de quoi faire signe. Je pourrais, peut-être, me faire l'écho de cette distinction qu'on trouve dans le Timée de Platon, sous la forme d'une question : qu'est-ce qui est sans jamais devenir, et qu'est-ce qui devient toujours, sans jamais être?

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DINZ CAMBRA

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«jauzirai joi en vergier o dinz cambra»Arnaut Daniel

L'aube est close ? Je descends à nouveau au café pour m'installer au comptoir un moment, j'observe, mon bras accoudé au zinc, le carrefour, la rue de Sèvre qui se perd plus loin, la fleuriste et enfin la salle elle-même : ses gens. Ici, un rendez-vous, là, une femme seule. Pensées mêlées, croisées… Abandon. Je ne sais pas ce que je vais écrire.

Il y a des lieux que nous voudrions abandonner parce qu'ils ne représentent plus ce que nous avons espéré, ou au contraire, ne plus les fréquenter parce qu'ils gardent la trace de ce que nous ne voulons plus vivre. Nous disons qu'ils nous rappellent des mauvais souvenirs pour abréger une explication qui ne conduirait à rien. J'étais moi-même assis à cette table-là. J'aurai pu ne plus venir dans ce Café, le rayer de ma vue, mais ce fut un seul après-midi que j'ai passé là assis, pour écrire une seule page. Il représente la ligne qui sépare l'avant de l'après ; il représente ce que je dois accomplir.

L'aube est close ?

Mon carnet est, là, ouvert sur le zinc, placé là comme déjà rempli, mes efforts devraient me permettre de créer des blancs, de produire des intervalles, de retrouver la porosité et le silence, etc. Mais en vérité, seule la vie nue, en a le pouvoir. Voilà pourquoi je suis «re-descendu» re: (préfixe) en français, indique et indexe l'acte ou l'action selon les modes de la réitération, itération, reconduction, et répétition, un dessin se forme à la même place où je vois les gens passer, cet homme commander, comme moi, un café, et ce dessin, n'ayant aucun degré d'existence œuvre à distance, me séparant de tout ce que je peux voir ici, à l'exception de la caissière qui porte une jupe courte et des collants noirs, c'est grâce à elle que je sais de cette esquisse continue et fluide, se transformant, en amont du champ de vision, projection d'une image dissoute à la surface de l'eau... anamorphose, métamorphose, transfiguration, le seul élan,

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En ouvrant la porte, la clé encore dans la serrure, je regarde là où la porte ne touche pas le sol et me rends compte que j'ai oublié d'éteindre la lumière, mais, en ouvrant un peu plus, c’est la surprise: une bouffée de chaleur m'accueille, le soleil s’affiche dans l’axe de la fenêtre, ses rayons envahissent le cadre prenant au passage le rideau sur la droite, une partie du mur sur la gauche jusqu’aux étagères et tracent au centre un cadre qui dépasse celui de la porte. Des teintes diaprés allant de l’ocre au saumon. L’ordre de ce qui est extérieur change. Je ne suis plus dedans. Mais dans

« Tel le chant du ramier quand l’averse est prochaine l’air se poudre de pluie, de soleil revenant , je m’éveille― ― lavé, je fonds en m’élevant; je vendange le ciel novice.»

le titre du poème de R. Char, le livre je l'avais sur la table, «La chambre dans l'espace», viendra en appui, me dire, que c'était là! Dans. Voilà pourquoi, me dirai-je, Spinoza insiste tant sur «l'existence en acte», «un corps existant en acte»2 etc., c'est l'espace, car sinon c'est la métaphysique du Temps,3 le régime sous lequel se dit et se pense l'art comme esthétique, la pure inanité spéculative du sentiment dit, de goût, avec toutes ces sommations d'invisible, pour toucher à l'essence, sauver les meubles. La peinture manquerait de dignité à cause de ses parures, ses fards, sa toilette, ses sorties de bain, Rembrandt et Rubens compris, tout comme l'amour n'aurait pas un accord de raison, en lui-même, pour exister. Je me suis mis à parler comme ça, était-ce la fatigue, un fond de détresse, était-ce à cause de ce lieu exsangue que j'étais devenu pour moi-même, je ne saurai le dire dans: se dit d'un degré, le moindre, d'un aspect, d'un corps sous le mode de son éternité, un avoir lieu local et ponctuel, un ici là, dans. Il faudra, au moins une fois, se demander sur ce qui se laisse penser quand nous parlons d'étendue, sachant que nous accordons une primauté au temps, quand nous ne voulons pas céder sur la vérité, du moins, le croyons-nous. Nous, c'est-à-dire, notre façon dans la pensée. Dans. Le temps qu'il faudra. Comme tout aussi bien le temps qu'il lui faut, en vérité, à la vérité, pour qu'elle arrive. Car la vérité est ce qui nous arrive,

dans ―

Nous sommes moins à l'aise avec l'étendue.

2 Éthique II prop XII: «L'objet de l'idée constituant l’Âme humaine est le Corps, c'est-à-dire un certain mode de l'étendue existant en acte et n'est rien d'autre.»

3 ...il y aurait identité, entre le temps le langage et la vérité, voire c'est l'identité elle-même qui officie, mais on peut objecter avec Kant, la nécessité d'un avoir lieu dans l'espace, pour se séparer du rêve et la folie : « Mais il est encore plus remarquable que, pour comprendre la possibilité des choses, en vertu des catégories, et par conséquent pour présenter la réalité objective de ces dernières, nous n'avons pas besoin simplement d'intuitions, mais même toujours d'intuitions extérieurs. (…) nous avons besoin d'une intuition dans l'espace... » Kant, CRP : Analytique transcendantale, [B 288]

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l'espace ne dure qu'un instant. Brèche, ouverture, rencontre, même instant, même lieu, site, et semence, foudre, éclair, fulgurance, et tout ce qui se laisse entendre par le truchement des termes qui ne sont pas toujours des métaphores,

l'éternité c'est l'espace disait naguère quelqu'un, à qui voulait bien l'entendre

«Tel le chant du ramier quand l’averse est prochaine l’air se poudre de pluie, de soleil revenant , je m’éveille― ― lavé, je fonds en m’élevant; je vendange le ciel novice»

nous ne sommes plus dans l'unité des relations, encore moins dans celle des rapports, c'est là qu'il faut lire, l'acte, l'en-acte, c'est ce que devait entendre Aristote par energeia et ou par entelechia, entéléchie «la psyché est l’entéléchie (l'acte) première d'un corps naturel ayant la vie en puissance»4 lit-on dans «De L’Âme» , l'apport donc

(Dans. Entendre aussi d'un pas à faire dans ―un pas, un saut, un bond. Non pas dire mais donner, le faire. Faire un pas de plus, vocation du silence chez l'artiste: nouer plus que dire, renouer, reprendre, attendre, laisser venir. Un dire d'entrelacs, la figure du tissage, du filage et du nœud, dans )―

<energeia>, c'est ce que j'avais, jadis, trouvé pour garder le cap, car je ne savais pas très bien comment il fallait s'y prendre, avec la raison, pour dire la peinture non pas d'un sentiment, mais d'une vérité... sans quitter la chambre, Aude avait cette saveur douce, son bon plaisir, qui comme un début de phrase qu'on ne prononce pas, transfère aux termes qui suivent, la valeur d'un indice, entre ce qui serait une empreinte, et, ou, une preuve, une oscillation scellée des termes glanés ça et là, des termes, rarement des phrases, des termes dont la disposition éparse déconcertait mes attentes, dès que j'aie voulu m'acquitter de ces notions (j'ai écris bien des pages) ce fut pour constater l'échec et si j'ai continué à en écrire d'autres, j'imitais celui qui se tient près de l'erreur et attend, en se disant à lui même : «ici je commence après», joie pourtant, enjoy, jauzir, bon plaisir, sa beauté troublante, un lieu remarquable, et cette très profonde conviction, que cela devait se dire autrement, d'un nouveau descort,

«Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie» : Rimbaud dans Illuminations, s'adresse A une raison, titre du poème, raison qui, d'un coup, fait le change, mutation, «nouvel amour!» dit-il, ce que je pouvais entendre tout aussi bien à partir d'une chambre, que d'un tableau, un poème... (il arrive que la raison fasse allégeance de Fin'amor) ou de ce qu’expressément Lacan nomme à la lettre, d'amour, une femme, celle que l'universel ne rend pas étanche, ni Divine Toute,

4 Plus tard, ailleurs, je prendrai soins de commenter cette citation.

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Ce qu'un artiste sait de la création, ce que Hegel peut dire du passage au négatif et de l’effectivité, ce qu'en aucun cas peut s'exprimer comme sensation, sentiment, surtout s'il est dit esthétique,

mais comme apport―

dans ce qui reste, resterai à lire et à faire, pas à faire et en pure perte quant au rapport ou à l'échange,

l'espace de ce rien, si c'est l'amour, dans―

dans ce qui pourra se lire comme le double versant du pas: négatif et apport. Une déclaration d'apport, l'amour en effet, logique arborée du pas, pas-tout,

les mots dont je me servais pour pointer en cette direction n'était que des écluses de passage, il me tardait joindre à l'intention, l'exercice véritable, l'acquisition, donc aussi bien, energeia, où ce mot, me laissait, hier, tout le loisir d'une nuit chez Aude, à l'instar d'un secret, comme d'un trobar clus, clos, d'enclos; energeia notion qui ne tirait pas sa force de la signification, mais du moment, car seule elle, Aude, entendait ce que je disais. Dire d'aucune langue. Raison et amour dans

***

La chambre n’était plus la même. J’avais retrouvé une notion clé. Ces couleurs n’étaient pas là par hasard, j’avais préparé cette chambre, je lui avais donné un nom, j’avais choisi la couleur des murs et des rideaux et maintenant je voyais quelque chose se préparer dans l'air. Une palette.

dans—

Chambre jeune, était le nom que je lui avais donné, comme d'un cahier que j'aurais à écrire, car dans tout cela il était, aussi, question de voix, d'une possible voix, celle, par exemple, que j'aie eu une fois, il y a bien longtemps, jeune adolescent, une seule fois, c'était le soir je me souviens, une voix avenante et posée, une voix apaisante qui me valut un grand moment d'attention de la part de ceux qui m'écoutaient, et pourquoi, et comment était-ce possible ? Je me le suis demandé maintes fois, sans trouver réponse. Tout ce que j'aie su c'était que l'ordre n'était plus le même: j'accordai la préséance au corps et du corps. Au corps: dans le sens de l'ordre des préséances. Du corps: dans la mesure où cette préséance du corps, je l'accordai à mon existence, comme d'un instrument, à ce moment précis de mon existence, la vie d'adulte qui en découlait, et dont le résultat aura été, l'éclosion d'une tessiture,

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DISEGNO INTERNO5

5«Par, Dessin interne, j'entends le concept formé dans notre esprit pour pouvoir connaître toute chose, et œuvrer extérieurement suivant la chose même comprise...»

L'idea de'pittore, scultori, ed architetti, de Federico Zuccaro, 1607

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«Ce livre, le plus pénible de tous à déchiffrer, est aussi le seul que nous ait dicté la réalité, le seul dont l’impression ait été faite en nous par la réalité même»

M. Proust

On emprunte au regard des mots qui n'existent pas, pour penser ensuite avec les intermittences du vide un heurt, un coup d'archet, l'espace d'une chambre, l'averse du rayon, que sais-je encore, avec ça on franchit des bords, et des lisières, on campe la nuit, etc.

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Ce même soir, je repris par hasard le livre de Panosfky : Idea. Je dis, par hasard, c'est que je ne n'avais pas l'intention de le lire ; un ticket de caisse restait visible qui tenait lieu de marque page, par curiosité je voulu savoir où il était inséré. Dans les notes de fin de volume, ce qui correspondrait à des notes en bas de pages. Je lu, alors, dessins en majuscule, Dessin interne, écrit en italiques,

une émotion très forte, les yeux presque en larmes, touché, troublé — cela pouvait se dire, avait été dit, expressément forgé, je lus et compris tout de suite, de ce dont il était question, disegno interno, quelque chose de déjà lu chez Vasari, mais sans y prêter attention, puis là, dans un seul trait, aidé par la chambre et la méprise, je retrouvais la forme même de l'arc, les arcades, une flèche, un patio : disegno interno, de mes jeunes années. Puis le départ. Une lecture, une seule phrase lue, (le tout, de chacun, «tous les hommes désirent savoir, par nature») aura suffit, pour me décider à partir

«Il est certain que par ce nom de Disegno interno, je n'entends pas seulement le concept formé dans l'esprit <mente> du peintre, mais aussi ce concept qui se forme dans un entendement <intelletto> quelconque.» Zuccaro 1607

relier, faire le lien, non pas la relation formelle de deux termes, mais l'acte d'y faire lien, de faire le lien, ce qui suppose, en plus des impressions, ou empreintes ou comme on voudra les appeler, le vide de l'opération, l'espace trouée du lieu, cet espace-là dont il ne faudra pas perdre la trace, sinon ce serait comme s'aventurer sans guide dans un chemin inconnu, ou entrer dans le labyrinthe de Dédale sans être muni d'un fil,

disegno interno : passage, lumières ajournées, notes dans le paysage, jeune que j'étais dans ma ville natale, heures du soir, crépuscules, beau bleu ciel, chaleur qui monte du bitume, rue du quartier, pas les faits bruts, mais cette façon d'être, y être, enclave. L'émotion se frayait un chemin entre deux extrêmes, joie et peur, des éclats non résolus, puis plus tard des phrases, je construis des ponts sans toucher aux choses, seulement je ne sais pas pourquoi ni dans quel but, tout cela restera incertain, l'incertain qu'on éprouve, des heures déchues, laberinto di Dedalo, ces mêmes lumières trouveront un raccourci, d'un lieu à un autre, d'un âge au suivant, le temps n'y est pour rien, ce temps que nous voulons contemporain de la langue et la vérité toute,

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« Mais avant de traiter n'importe quel sujet, il faut définir son nom, ainsi que l'enseigne le prince des philosophes, dans son livre de la Logique, sinon ce serait comme s'aventurer sans guide dans un chemin inconnu, ou entrer dans le labyrinthe de Dédale sans être muni d'un fil. Pour commencer je dirai ce que j'entends par ce nom, Dessin interne, et suivant le bon sens des savants comme celui du vulgaire, je dirai que, par Dessin interne, j'entends le concept formé dans notre esprit pour pouvoir connaître toute chose, et œuvrer extérieurement suivant la chose même comprise... » L'idea de'pittore, scultori, ed architetti, de Federico Zuccaro, 1607

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disegno esterno : celui de chez Alice, «hors du Monde», sur un canapé, nue à contre jour, celui «d'après Rubens» fait pendant toute une nuit à la cave de la Librairie, avec toutes ces préséances que le dessin escorte, son lit, l'enclos, les accointances. Aude, Nina... puis de plus loin encore, l’École des Beaux-Arts, ce patio, les arcades, ce que j'avais pu voir et entendre à l'atelier, ce malaise devant le dessin, le manque d’intérêt, tous ces discours funèbres pour mieux cacher la désertion, et dont j'aurai appris à me méfier comme de la peste. Quitter, partir, et à partir de, là, tracer à l'écart, encontraras mañana,

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«c'est par souci de clarté et pour venir en aide à mes collègues que j'ai dès l'abord défini ainsi ce nom de Dessins interne <Disegno interno>, mais si l'on veut plus parfaitement le nom de ce Disegno interno, nous dirons qu'il est le concept ou l'idée que forme quiconque pour connaître ou œuvrer. Or si, dans ce Traité, je recours à ce concept interne que quiconque peut former sur soi le nom particulier de Disegno, et si je n'utilise pas le nom d'intention <intenzione>, comme le font les logiciens et les philosophes, ou celui de modèle ou d'idée <esemplare o idea>, comme le font les théologiens, c'est que je parle en tant que peintre, et que je m'adresse principalement à des peintres, à des sculpteurs et à des architectes.»intelligere : comprendre, discerner, concevoir, dont les racines sont, intùs, en grec entos au dedans, et legere, du grec légéin : cueillir, amasser, saisir, lire. Ce que la sensibilité reçoit, l'entendement doit se le donner, doit le produire pour le récolter, c'était pour cela qu'il me semblait que, energeia, avait de quoi me faire tenir pour passer l'hiver, ainsi, d'un seul mot, l'acte, en, le en de en-acte <energeia>, pour ma seule gouverne, comme ce que j'aurai à penser à partir de là, à forger à partir de là, vendanges, dessein, disegno interno, work in progress: energeia, la position et l'exercice, ce que l'on entend d'une vocation, de ses penchants, de ses accointances. Energeia . Un mot en exergue, comme seul expédient de l'éternité du probable, carissima noli tardare

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Dessin 1: D'après Rubens Dessin 2: "hors du Monde"

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Je ne saurai jamais, ni où ni quand, je commence. On emprunte au regard des mots qui n'existent pas, pour penser avec les intermittencesdu vide un heurt, un coup d'archet, l'espace d'une chambre, l'averse du rayon et que sais-je encore, on médite souvent avec des préséances qu'on ne saurait inscrire, et avec ça on franchit des bords, et des lisières,

je ne sais quoi du dessin de Watteau me rattache au XVIIIe siècle, j'entends le clavecin, je vois des esquisses, des draps, sa manière à trois crayons, ses rehaussements sobres et délicats indiquant la chair nue, semi-nue, femmes en décolletés, assises, couchées, levées ; ces traits diaprés pour indiquer un contour d'ombre, la section d'un volume, ou le pli lourd d'un tissu, tout aussi bien que la force d'un muscle, Bacchus levant sa coupe

avec les années, il s'est formé un nœud inextricable: moments hasardeux, lectures, dessins et rencontres. Watteau chez M. Crozat. Quelle surprise, l'une des plus belles collections de dessins : Rubens, Van Dyck, Titien, etc. Watteau se penche sur ces dessins, incrédule et fasciné... ce pourrait être une double pièce divisée par un rideau ou une seule pièce où l'on trouverait un divan et une écritoire, dans les deux cas il s'agirait d'un lieu réservé... le torse nu d'une femme se tourner vers moi, son poignet accompagne l'étirement du bras, puis décrit une rotation vers l'intérieur, pendant qu'avec deux doigts elle se saisit du verre que je lui tends, penchant son buste en avant, étirant aussi son cou pour rejoindre à mi-chemin le bord du cristal et en prendre une gorgée. Cette figure s'estompe et coïncide par surimpression avec les visages d'Aude et de Nina. Aude: un après-midi dans cet appartement que j'ai eu à Levallois, je dessine assis sur le lit, elle se trouve du côté de la fenêtre à contre-jour ; quand je lève ma tête, je la vois qui s'avance vers moi et me surprend sa poitrine généreuse, en levant un peu plus mon regard, je vois son visage et je comprends. Nina c'est chez elle, dans son studio, un dîner sur une table basse, nous assis à même le sol, elle face à moi adossée au mur les bras pliés derrière la tête, moi appuyé contre le bord du lit ; une conversation qui nous laisse le temps d'écouter la musique et maintenir le jeu sans jamais le nommer ; une phrase s'arrêtant, comme ses lèvres frôlant le verre pour prendre une fine gorgée de vin, son regard précis à ce moment-là, puis l'éloignement, quand la conversation s'anime et que

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nous échangeons nos points de vue; en fait, l'oscillation de cette nuit entre deux entrées possibles, comme la pendule d'un métronome marquant les mesures jusqu'à ce qu'elle se lève et se penche sur moi comme auparavant sur le verre. Musique : quintette à cordes K 516 de Mozart une nappe ondoyante vient rencontrer le regard, se détache une vision qui se perd dans l'espace,

désormais je peux, à nouveau, dessiner...

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Dessin 3: sans titre Dessin 4: Trois grâces

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Trois heures du matin, je me lève. Je ne dormais pas. Sur la table le livre, je relis Char :

«Reconnaître deux sortes de possible : le possiblediurne, et le possible prohibé. Rendre s'il se peut

le premier l'égal du second, les mettre sur la voie royale du fascinant impossible,

degré le plus haut Compréhensible.»

si je devais choisir une forme (acte et lieu), pour faire état de ma démarche, la première chose qui m'arriverait ce serait de perdre la voix et de rester ainsi, comme j'ai vécu, à l'écart, (ce n'était qu'erreur, se figurer l'art comme legs et acquisition) pour me cacher la peur et la détresse. Chacun sait que perdre la voix n'exprime pas une forme mais sa privation, ainsi la seule chose effective, c'est que ma démarche n'aurait, pour se dire, que l’inexistence de son sort, plus proche du 0 que du 1

avec comme seul atout les ruses de la promenades pour me tenir en abri, et si donc, je devais faire état de ma démarche, je devrais commencer par la généalogie d'une impossibilité, tracer au moins ça, avant de reprendre, tracer toutes ces vicissitudes, méandres et dédale, laberinto,

dessin,«et j'affirme principalement que le Dessin, n'est ni matière, ni corps, ni accident d'aucune substance, mais qu'il est forme idée ordre ou objet de l'entendement». L'affect exprime une sensation qu'il ne contient pas, la sensation s'exprime dans la durée que l'affect est incapable de reconduire, il reste un lieu qui se tisse par défaut, à défaut des parties communes, il reste un creux hors de portée, que l'on parte de l'un ou de l'autre, l'un pour l'autre ne peuvent rien inscrire, mais uniquement circonscrire,

ça génère des lieux, des trous, du vide et des passages, du dessin en acte — energeia, disais-je, à Aude, c'est pourquoi en faire l'expérience nous étonne, et nous éblouit, cet acte, si c'est un dessin, et non un gribouillis, s'il vient de Babel et non du babil, nous bouleverse et nous désarme, il est même un jauzir, — Jauzir ? — Rassurez-vous, c'est de l'occitan, ça ne sortira pas de cette... cambre,

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Dessin 5: "Dinz cambra"

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les premiers traits, je m'efface… Elles sont là. La plus lointaine c'est Aude, la plus récente, Nina. En dehors de tout souvenir proprement dit, la feuille, à mesure que je dessine accompagne la dérive... Surgit, là, quelque chose ; ici, ce sont des bribes ; ailleurs j'ignore ce qui a lieu. Un plus. Un moins.

Quoi?

Aude m'attendant devant la porte quand j'étais en retard. Elle prenait une revue ou un livre avec elle. Je la trouvais ainsi, assise sur la dernière marche de l'escalier ou appuyée contre le mur, lisant. Sa patience, son calme. Nina, prenant les draps pour se cacher, le comique de sa démarche pour aller jusqu'aux toilettes; sa voix surtout, un timbre qui devenait une fine corde dans sa gorge lorsque la remarque était à double sens. Le sourire de l'une, le rire de l'autre… Quand le dessin se fait plus précis, ces souvenirs s'estompent. Une ligne qui ne doit rien à mon imagination les surmonte — nudité.

L'horizon redevenait vacant.

Cabinet des Dessins.

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DANGER

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Il semblait que toutes mes forces n'avaient pas opté pour la vie, ce qui pourrait m'être fatal.

Je commence, contre toute attente, en ce premier jour de printemps. En rigueur, il m'est impossible de le faire, mais un danger encore plus grand m'attend, au tournant, si je déclare forfait, du moins telle est mon appréhension, là, maintenant.

Je lis dans l'Éthique de Spinoza : «L'audace (audacia) est un désir qui excite quelqu'un à faire quelque action en courant un danger que ses pareils craignent d'affronter»

Hier, j'avais un visage à faire peur... Un ciel gris qui rôde au-dessus de ma voix, comme un oracle, des phrases mortes que je prononce encore. Douleur ? Non, plus que douleur. Le seul moment où la douleur eut la chance de m'assister, ce fut quand assis sur un banc au jardin du Luxembourg, j'ai vu qu'à ma droite, au loin, se trouvait une nappe jaune, c'étaient des jonquilles. Je me suis aussitôt souvenu de notre visite au Musée Condé à Chantilly, c'était il y a juste un an… Il m'arrive en ce moment d'être si proche du cri que… Mais ce serait pure folie si en marchant, je venais à sombrer là-dedans. Plus personne ne pourrait m'adresser la parole et je n'aurais pas les moyens de m’en sortir. Ces jonquilles se mettraient à danser… Quelle horreur !

Comment s'en sortir ? Avec quoi ?

rien. Un mot, l'autre, un dessin, des lectures. L'arc. Un trésor que, je le sais maintenant, nous ne devons confier à personne. J'avais appelé cela — un secret. En vain. Je brûle maintenant. La chambre était tout ce que j 'ai comme.

Je ne crois pas être très audacieux, ni diligent. Mais que veut dire être ? Ça, pour moi, c'est un problème.

sept étages à descendre, sept étage à monter, puis la porte, paupières lourdes, un faux vide visqueux me barre la vision. Plus d'espace. Miettes, quelques mots, si j'ai perdu… qu'ai-je perdu ? J'entends, oui, j'entends quelque chose de nominal. Avec effort je me fraie une voie pour arriver jusqu'à la table. J'écris avec la liberté du détenu.

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Dans quelle langue ?

Aucune. D'aucune langue. Comme le dessin, n'en est d'aucune. La vérité non plus, d'ailleurs. À me relire c’était désastreux. Pourquoi ? Je m'étends sur le lit les yeux fermés. Rien. Des phrases que je ne prononce pas. Poing fermé. D'un bloc. Se faire une place là. Ainsi, bien que pouvant suivre ce qui m'arrive, mais étant incapable de pouvoir en changer le cours, je ne tire pas sur la corde. Je préfère, de loin, le vide. Un choix n'élimine pas les autres voies, il laisse celles que nous n’avons pas choisies, à l’état négatif, comme s'il se déployait devant nous l'office de plusieurs vies parallèles, effectives dans un cas et virtuelles dans tous les autres; de là qu'il s'installe chez nous une controverse qui n'a nul besoin d'autrui pour se produire, elle est interne, elle est, en nous, cet état irrésolu d'inspirations diverses et contradictoires qui se développent à notre insu avec une autonomie effarante, au point qu'il nous est possible de les suivre comme si nous en étions exclus, et à ce titre le témoin le plus proche. Il est vrai que le plus souvent nous nous défendons de reconnaître cet état cherchant auprès d'autrui le conflit, l'accablant sans le lui dire, c'est-à-dire affirmant quelque chose, alors qu'il n'en est rien.Mais d'où est-ce que je revenais ? Comment appeler cette zone noirâtre où plus rien ne compte, ni s'anime, cette mort en veille, gluante, lourde ? Comment nommer cette dépossession-là ?

C'était donc, pire.

***

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m'avouer mon état, ne pas reste aux idées vagues, ni aux notions communes, des considérations du genre: c'est ainsi que les hommes vivent, mais savoir précisément où diable est-ce que j'avais été touché d'une manière aussi violente. Et au moins me dire en face si je voulais bien guérir. Guérir. Ce terme avait de quoi m'inquiéter. Il était le seul approprié, le seul qui pouvait couper net. Guérir ? Oui guérir. Le faut-il ? Il le faut. Voulais-je guérir ? Me sentais-je condamné ? Était-ce la fin ? Mais qu'est-ce que j'attendais, le coup fatal ? Je craignais un déroulement plus sinistre... La mort que l'on craint n'est-ce pas celle que l'on désire ?

Ce matin j'ai su que, sauf erreur, je ne peindrai pas. Or je suis cette erreur.

Que veut dire — guérir ?

Pas la réponse, le rythme. Non, maintenant je ne fermerai pas les yeux, je ne me boucherai pas les oreilles. Je ne me détournerai pas de tous mes sens. Ego sum res cogitans, oui, en effet, une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui affirme, qui rit, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent.

Tous mes sens.Peindre. Je ne dirai plus jamais ce que cela veut dire pour moi. Musique. Mood Indigo par Johnny Hodges . Minuit passé. Mood Indigo : suspension généreuse du débit, tempo souple, dosé avec délicatesse. Je prends là, sans doute, la seule leçon qu'il vaille la peine de suivre — volupté dans la lenteur. En couverture du C.D. une planche, douze photos, m'impressionne sa tenue. Pondérée, savante. Respect lumineux devant la musique. Figure paternelle. Quelqu'un, me dis-je, en qui j'ai confiance. C'est ainsi que je dois me tenir — impassible.

Reprendre à partir de là.

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Je garde encore dans la poche intérieure de ma veste, l'édition portugaise d'O Guardador de Rabanhos de Pessoa. Pourquoi ? « Parce que la nature n'a pas de dedans » Les quais. Paris. Là, près de la Seine, lisant à haute voix. Hier ?

Combien d'années ? Quinze, trente, quarante ? De tout cela, je ne déduis rien, j'esquive les conclusions, ce fut peut-être une erreur d'écoute, un mot mal placé, une phrase à la place d'une autre, et moi à la place de personne, une erreur qui aurait dû durer quelques minutes et qui se prolongea ma vie durant. «Parce que la nature n'a pas de dedans» Mais je prononce ceci: «Porque a natureza nâo tem dentro» et cela suffit, comme si le fait de le dire en portugais, me guérissait. Je n'aurai d'être que d'une langue d'emprunt, celle qui n'aura pas été touchée par la catastrophe. «Li hoje quase duas páginas / Do livro dum poeta místico /E ri como quem tem chorado muito»: j'ai lu aujourd'hui presque deux pages du livre d'un poète mystique, et j'ai ri comme celui qui a beaucoup pleuré.Chambre. Les yeux clos. Chambre dans la chambre. Espacement.

Aude est devenue une lettre à l'intérieur de moi-même. Mots épars, îlots, le solde d'un éclat dans mon sang et mes poumons me soulève... Aimer veut dire: aller là où l'Idée manque? Y être? Parfois je peux savoir à quels moments de ma vie appartiennent ces reliquats, mais parfois, non, parfois c'est là et sans nom, trop là pour que je sache, puis, rien ne dit qu'ils viennent tous du passé. Je parie sur l'existence d'un point levé, sans plus. Je suis <dans> ce plus. Parfois, je sais que c'est Aude…parce que notre corps est un peu la forme du plaisir qu'une femme nous laisse et que je reconnais sa manière à elle... Sa silhouette à contre-jour, la lumière du dehors, en bas c'est une rue piétonne, le lampadaire est accroché à même le mur de l'immeuble, Aude vient vers moi et s'efface... Parfois, c'est d'emblée la projection diffuse d'un son, comme la sortie déchue et aphone d'une phrase. À d'autres moments c'est mon propre effacement <perte de soi> qui laisse percer son aspect <dans> le vide et produit par à-coup un écart. Ni blanc, ni noir, ni rouge, ni vert, ni d'aucune couleur. C'est par insistance qu'ensuite jaillit une source en aval.

Je serais contraint de seriner une myriade de formules négatives si le dessin n'était pas ce par quoi je peux dire — là !

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Dessin 6: "Con brio"

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du dessin comme pensées au passage, ce qui passe à la pensée, licite illicite, excès ou bord, ce qui passe avec, (cortège attelage crue aromates) du dessin comme ce que devrait la pensée aux accointances au sortir de la tautologie, ce qui l’éperonne, et la trouble, la rend turbulente, irasciblepensées dans le sens — à quoi penses-tu? Comment le sais-tu? Et nue en ce sens, une, comme une. Quelconque. Chacun sait ou devrait savoir que la pensée ne pense pas d'elle-même, en elle-même, à partir d'elle-même

une, nue, sans rien, car si la pensée était en elle-même quelque chose, nous ne pourrions pas penser, (y penser) mais tout au plus sentir,

des pensées au passage, l'acte de penser, bourdonnement d'orge qui se dérobe, dessin comme

entre deux tableaux à finir, ce que j'ai pu y penser et me dire de l'ancien temps, ce que je peux chercher chez Rembrandt, puis Rubens, puis Rodin, puis l'aine, et le torse d'Aude et aussi ce que j'aurai à entendre du passé, mon passé d'avant, de ce temps-là d'avant, l'ignominie,

le dessin, du dessin se dessinant, comme la seule façon, disons la bonne, de faire un trait autrement que comme perte de soi, le négatif pur et dur, Là ci darem la mano,Là mi dirai di sì.Vedi, non è lontano;Partiam, ben mio, da qui.

prendre en marche la saison, découvrir quel trait y répond, des quels trait je réponds, de quel savoir, avec quels dessins, d'après quelle lignée, puis penser avec, souscrire avec, faire avec

Andiam, andiam, mio bene.a ristorar le peneD’un innocente amor.

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DISEGNO ESTERNO

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« La force et l'accroissement d'une passion quelconque et sa persévérance se définissent

par la puissance d'une cause extérieure » Spinoza

Ce matin j'ai compris ma saison.

Le dessin est revenu tout seul. Je m'y suis attelé aussitôt, traçant d'abord avec un crayon bleu, ensuite y plaçant les traits au pinceau sur la feuille déjà humide. Je me trouvais là où quelqu'un d'autre, après mûre réflexion, eût écrit ou parlé. C'est seulement ainsi que je pourrais organiser mes journées. Il y a tant de choses que je ne peux plus dire, tant des nuits perdues

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des forces désœuvrées et bouillonnantes donnaient plus de mouvement à mes pensées que je ne pouvais fournir de matière à ma voix ni de forme à l'instant. Par tant d'entrain je me perdais. Je cherchais une explication. Grimace. Ma voix sombrait et rejaillissait plus loin sans effets. Un désir pressant de nommer ou voir ce qui se trouvait là, me faisait passer d'un dessin à l'autre. Tornade. Fureurs. Au bout de quelques heures je me croyais épuisé, mais il n'en était rien.

Peut-on écrire là ? Non. Donc, écrivons.

Le deux tiers de la partie supérieur étaient l'amas confus du premier jet, seul le bas de la feuille montre du dessins proprement dit. — «La vision est une activité <energeia>, et non une camera obscura, me dis-je, pour m'en convaincre, pour entendre ma pensée. L’œil s'adapte, la vision complète et le regard perce, c'est ce qui arrive quand, par exemple, on regarde un mur tacheté, maculé par l'humidité, il faut que je retrouve ce passage (Leonardo da Vinci), la vision est un acte, qui complète, change ou rectifie ce qui lui est fournie, et qui produit ce que ne lui est pas donné.

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La vision discerne, évalue, nous le savons, nous le savons quand nous marchons, quand nous nous orientons et c'est pour cela que nous ne nous heurtons pas aux choses, il ne faut pas attendre la pensée, pour trouver de l'entendement, il y est, en-acte, nous le savons parce que nous re-connaissons un visage, celui de Esteves sem metafísica, je le sais parce que je dessine... »

je vois (maintenant) quelques lignes se former, le bas du dessin induit un complément, l’œil prolonge les tracés. Femme nue et couchée, torse renversé, un bras derrière la nuque, l'autre placé comme celui de la Venus d'Urbino du Titien, mais le dessin reste encore diffus, instable, il porte en lui-même la césure et cela reconduit le regard vers sa faiblesse, le pousse à son minima et c'est ce minima qui éperonne les sens, agit sur la vision et me souffle la place des traits qui manquent. Apports. Si l'opération est interne, la source non.

Turbulences : les penchant d'un côté les attraits de l'autre, au centre, des accointances en amas épars et souvent à la dérive. Excès. C'est-à-dire, quelque chose d'aussi incertain que les commencements de la peinture, <de picturae initiis incerta>, disait Pline l'Ancien au premier siècle de notre ère mais il se peut qu'incertaine soit l'idée de commencement, paradoxale pour le moins, dans ce qui a trait à la peinture et en général aux choses humaines. On commence, dira-t-on, vers le milieu, et on ajoute le début après, car, en vérité, le commencement serait, lui, sans début, et la suite aurait pu ne pas avoir lieu. L'art concerne toujours un passage et s'appliquer à l'art c'est considérer la façon d'amener à l'existence l'une de ces choses qui sont susceptibles d'être ou de n'être pas. L'art est «o florir do encontro casual» le fleurir d'une rencontre fortuite

disegno esterno, ébauche, esquisse

Y a-t-il un point par où l'on peut passer ? Cette réponse, il faut la créer — dire oui.

J'allumai une cigarette. Le repos m'est interdit ? Soit. Je prends une nouvelle feuille. Que peut-il bien m'arriver maintenant ?

Si seulement un terme pouvait se joindre à moi. Si je pouvais lire et entendre plus, si seulement je pouvais pendant un temps plus long que celui dont j'ai l'usage, garder la leçon, et traduire le dessin devant la pensée, penser selon son savoir, dessiner avec la pensée. Au lieu de quoi, je dois reprendre, chaque jour, l'acquis de la veille. Tout se délite pendant le sommeil. Un rêve, toujours le même, me dit que je resterais à la même place.

Il me fallait au moins un lieu, le cas d'une dimension, un espace accru, comme celui qui s'ouvrit, un instant, dans la chambre, tissé par mille. Construire un lieu, habiliter un espace, où je pourrai

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travailler à loisir. Cabinet des dessins.

C'était un état d'ivresse irréalisable. Mais qu'y avait-il en amont ?

Nous traversions une place. Était-ce à Saint-Paul-de-Vence ? À gauche les murs d'une forteresse. Le soleil, des effluves à ras du sol, un carré blanc doré, terre ou sable. Lumières. Qu'ai-je dû me dire pour que je m'en souvienne ainsi ? J'ai dû, il me semble, me souvenir du poème pendant que nous traversions la place. Me souvenir du jour où je l'ai lu sur la terrasse du balcon, au soleil, puis, me souvenir de la blancheur dûe à la très forte lumière qui effaçait les caractères et les lignes, ne laissant que le cadre et les contrastes indiquer la position du livre sur la table, comme ce carré de terre à Saint-Paul-de-Vence ? Cette lumière que j'ai vue, ne sortait-elle pas de mes yeux ?

« De même le feu antique enfermé dans les membranes, Par ce voile fin dresse une embuscade à la pupille ronde. Mais ces voiles cachent l’épaisseur de l’eau qui coule autour, Et le feu qui sort de l’œil, s’étend d’autant plus loin.»

Il y avait là des souvenirs croisés auxquels il manquait quelque chose. De même le feu antique enfermé dans les membranes, par ce voile fin dresse une embuscade à la pupille ronde. Tu as trahi ma vision, pouvais-je me dire pour ne parler à personne. En réalité, j'ignorais d’où mes yeux tenaient leur douleur. Et là-bas, qu'ai-je pensé au juste, en regardant ainsi la Place ?

« De même que, quand on songe à sortir on se munit d’une lampe, Éclair du feu ardent durant une nuit d’hiver, Après avoir allumé une lanterne qui repousse les vents divers, Et dissipe les souffles des vents changeants, La lumière, se projetant en dehors, s’étend d’autant plus loin, Elle brille sur le seuil, en rayons éblouissants ; »

N'y avait-il pas là une forme différée, le pure écart de son lieu, comme ce carré d'orge, marquant une limite. Fallait-il compléter, attendre, vivre ? Que n'avais-je pas encore tracé pour me tenir ainsi, la trouille d'une bête qu'on traque ? Comment est-ce que je vivais à l'époque ? De même que, quand on songe à sortir on se munit d’une lampe, éclair du feu ardent durant une nuit d’hiver,

Une lumière est là qui se présente, elle ne dit rien du passé, elle est seulement là, ici, presque vivable, si ce n'est que par moments, quand la douleur exige ma présence, je me souviens de tout ce que j'ai perdu, et comme cette perte, n'est pas, parce que ce que j'ai perdu n'a pas eu le temps de voir le jour, cette lumière reprend sa place perçant tout ce que je peux dire, penser ou savoir.

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Absence de temps. Je n'ai pas besoin de sortir de cette lumière pour passer à la nuit. Elle est cette nuit. J'avais à cette époque l'espace révélé d'un tableau. Éclair du feu ardent durant une nuit d’hiverFragments d'Empédocle. J'aimais, j'aime et j'aimerai les clamer à haute voix. Comme une voix sortie de nulle part, un homme se présente au seuil, on voit à peine sa silhouette :

« Et toi, prête l’oreille, Pausanias, fils d’Anchitos, le Sage ! » « Et toi, prête l’oreille, Pausanias, fils d’Anchitos, le Sage ! » N'avais-je pas dit plus d'une fois : un jour je lirai ça à mon fils,

« Car étroitement limitées sont les forces qui sont répandues sur les parties de leurs corps, et nombreux sont les maux qui fondent sur eux et émoussent le tranchant de leurs soucieuses pensées ! Ils ne voient qu’une faible mesure d’une vie qui n’est pas une vie, et, condamnés à une prompte mort, ils sont enlevés et se dissipent comme une fumée. Chacun d’eux est instruit de cela seulement qu’il a rencontré par hasard au gré de ses errements, et il ne se vante pas moins dans sa frivolité de connaître le tout. Tant il est difficile que ces choses soient vues par les yeux ou entendues par les oreilles des hommes, ou saisies par leur esprit. Toi donc, puisque tu as trouvé ton chemin jusqu’ici, tu ne sauras pas plus que ce que peut embrasser la pensée d'un mortel...»

Et aujourd'hui ?

Je me levai furieux comme durant une conversation lorsque quelqu'un nous heurte et ne nous écoute plus — à quoi bon! Je regardai à nouveau les dessins, deux qui se trouvaient en bas du lit. Je ne sais quel personnage imaginaire était venu s'asseoir à ma table. Je commençai à parler tout seul, m'adressant tantôt à une personne tantôt à une autre et aussi à moi-même — je ne serais jamais quitte, non, quelque chose me dit que ces dessins n'arriveront jamais à destination parce que face à une œuvre quelconque nous croyons avoir à notre disposition l'ensemble de nos facultés comme achevées et naturelles: un monde empirique et son double : nos pensées. Un pas de plus et nous nous assurons que toutes les portes sont fermées: c'est la notion d’Être qui pointe. Je me disais que refaire de la philosophie en dessinant ne serait pas une mauvaise chose, même s'il fallait patienter des années et des années avant de pouvoir formuler quelque chose, pour l'instant je n’en étais qu'à la phrase… Je ne sais pas si vous comprenez, mais c'est infernal. Une phrase, une seule, savez-vous ce que cela représente pour moi ? — Pourquoi voudriez-vous des œuvres qui soient extérieures à l'amour lui-même! Je n'ai pas vu l'aube se fermer sous pas. J'avais placé ce désir là. Si j'ai commis des erreurs, je suis ces erreurs, en tirer une leçon me paraît une lâcheté. L'idée de réduire ma course à une somme d'expédients dont j'aurais fait mauvais calcul m'est insupportable. Non. Ce qui m'inquiète par contre est la sourde violence dans laquelle je suis rentré. Je peux imploser. Quant au reste, la moindre musique. Si me réformer est une bonne chose, m'adapter ? Non. Out!

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Oui. Lumières.

Lien vers ce dessin : http://tacteon.wix.com/cddessins#!dessins-du-livre/vstc9=page-42/vstc2=lot-2

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Dessin 8: "Con brio 02"

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LE DESSIN SERAIT-IL CHOSE D'UN TEMPS?(notes éparses)

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Y aurait-il un temps pour le dessin? Le dessin serait-il chose d'un temps, pour un temps et qui aurait fait son temps? Passerait-on ensuite à autre chose, comme il nous est dit, que l'art vit de sa belle mort?Ne voit-on pas les figures de sa mort, éloges y compris, comme le propre d'un déni? Déni quand dira d'existence, sans préciser de quoi y a-t-il existence, ni ce que nous devrions entendre par existence, dans quel sens, etc. (Retarder l'assertion, la laisser suspendue à la suite, où la nécessité vient de l'exercice lui-même, appropriation, acquisition, un coup de crayon...)

dessin:

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<§ 01>

Le dessin donné tout ensemble, d'un seul coup, multiple au début, tissé par mille, aura été, de tout temps, rencontré sous l'aspect de son éternité <sub specie aeternitatis>6

Nous avons.

Il nous arrivait de lire des passages, elle ou moi, une seul proposition, à mezza voce, pour indiquer le silence qui allait suivre, le mien ou le sien, façon de souligner l'instant, comme ajouter une note en bas de page à ce que nous vivions, en lieu et place d'un livre inexistant, que j'écrirais un jour, lui disais-je,quand je dis dessin, j'entends aussi bien, l'objet de l'idée constituant l'âme humaine, qu'une chevauché équestre d'il y a 30 000 mille ans.

L'objet de l'idée constituant l'âme humaine7, je voudrai traduire cette proposition, de la même manière que cette proposition me traduite: mes nuits avec Aude, Aude au soir, Aude nue, torse et plaisirs, sa peau, un mot au bout de la langue, lumières éteintes, la chambre éclairée par le seul réverbère adossé au mur, entre les deux fenêtres qui donnaient sur la rue piétonne. Un dessein de Rembrandt. Nous ne parlions que par touche, juste de quoi se faire un passage, la mémoire dans la peau. Nous avons.

dessin donné tout ensemble, tissé par mille, nous l'éprouvions. Écarts entre ligne et contour, des trouées par où se laisse entendre, ce que doit le plaisir au repentir, aux tracés ajournés, au non-finito. Visions éparses, apports, ombres par bribes. Rembrandt t'aime, lignes serpentines, en biais, conduisant l'attelage, éperonnant, par saccades, le regard.

Si Rembrandt est le nom de cet acte, c'est l'accointance qui nomme, ce que noue le trait, infini au début. Pli de sombre dentelle assemble des entrelacs distants. Nœuds et feuillages.

<§02>

c'est aussi la figure <paradigme> qu'en donne Platon dans le Timée, de l'artisan, le Démiurge, par où d'un acte, production tissée par mille, se noue la dispersion, dessous-dessus jusqu'à faire enclos,

6 Spinoza : Éthique V, 29 et 397 Spinoza : Ethique II, 13 « L'objet de l'idée constituant l'Âme humaine est le Corps, c'est-à-dire un certain mode de

l'étendue existant en acte et n'est rien d'autre. »

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écart et trouée, éros de passage

c'est à ce trait infini que l'art, ici le dessins, se distinct de ne pas être, pour un temps, mais de tout temps, parce que c'est de tout temps que ce passage reste à faire, comme de tout temps, l'entendement doit produire ce qu'il reçoit pour l'acquérir.

<§03>

<action restreinte> je reprend d'après le dessin d'Aude, le seul que j'aie fais d'elle. Nous ne vivons pas une vie mais plusieurs, <plurima>, ainsi quand nous parlons de quelque chose, si c'est une notion qui guide la course, celle-ci se voit revisiter par palier les lieux où elle a séjourné, et si nous ne sommes pas toujours très au fait de sa portée, quelque chose nous fait croire que la notion contient ce que nous disons d'elle, or cette notion n'est que le vide du langage qui s'arrime à ces vies successives, qui emprunte ses couleurs, ses drapés, et prend appui sur les métamorphoses qu'elle aura du subir et les mondes auxquels elle aura du s'acclimater pour survivre, ainsi cette notion, ne se contient elle-même que par le truchement des mondes qu'elle aura quitté. C'est pourquoi souvent elle nous échappe, les détermination que nous lui attribuons, la divisent plus qu'elle ne la résorbent. Nous produisons un écart, tout au plus. Comme écart il y a entre le nu et la nudité.

Un seul dessin que j'aie d'elle et que maintenant j'étudie. Des furtives visions se détachent de ce torse. Un après-midi, un seul

je lui avais demandé de ne pas arriver trop tard pour profiter de la lumière. Un coin me semblait favorable, quelque chose de flamand du côté de la fenêtre. Rêverie confuse qui se complétait par la vue d'Amsterdam. Les briques du bâtiment d'en face, (une étroite rue piétonne m'en séparait) me rappelaient celles vues dans un tableau. J'ai cru, d'abord, qu'il s'agissait d'un Hoogstraten. Au fait, dans ma rêverie il y avait des visions simultanée, celle d'un canal que je devinais sans voir, puis les bâtiments au-dessus, (des briques rouge que j'avais en face de chez moi), puis, ces même briques rouges, je les retrouvais dans le tableau, celui que j'attribuais à Hoogstraten. Mais en réalité c'était un Vermeer, il n'y avait pas de canal, c'était une rue dont le nom donné le titre au tableau: rue de Delft.

Pas trop tard parce qu'après le soleil se cache derrière les bâtiments, et c'est fini.

Quand Aude, qui d'abord était partie se déshabiller dans la chambre, est venue se placer là près de

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la fenêtre, j'ai senti quelque chose se graver en moi. Puis, un effet de retard (dans l'espace 8), à la vue de son torse, dès l'instant que je l'ai vu s'avancer. L'aspect nu de son torse, reste comme suspendu à la arrière alors qu'elle avance. A l'arrière, hors et simultanément, là. Comme la connexion entre deux dimensions normalement étanches. Un point remarquable. Expérience en rien semblable à tout ce que j'avais pu vivre jusque là. Je pensai par mille, sans savoir de quoi je devenais l'adresse, l'objet, ou la signature. Beauté accrue. Nue, mais nue comme venue d'ailleurs. J'ai su, aussi fugacement que l'événement s'était déroulé, que j'allais, un jour, peindre,

ce n'était pas la première fois, mais c'en était la première à ouvrir sur la peinture, sensation à nulle autre pareil, tissée par mille. Aude dû savoir autant que moi de cet instant. Du moins, elle dut lire sur mon visage une expression peu commune. Voyant que je n'allais pas vraiment dessiner, elle vint vers moi avec une infinie tendresse, comme pour me porter secours, comme pour me dire qu'il fallait tenir bon. Mon visage devait, donc, exprimer aussi bien de la joie que de la détresse

espace différé où la couleur s'inscrit en absence de source, la couleur comme retrait, cette part sommeillante en nous, d'où

demain le multiple.

Tu peux désormais dire: demain. C'était comme si d'une certaine façon jusqu'à ce jour il m'eût été impossible de dire: maintenant. L'espace d'un tableau. L'écart comme source, où en absence de source etc. Maintenant, demain, c'était la même chose. Demain le multiple

<§04>

<acquisition> comme, à cette place tenue, entre deux rive, erre, prélèvement, saisies, détours, étayages, reconductions, partant du principe que ce que l'on doit entendre par savoir, n'est pas la la prestance, ni la maîtrise, mais la préséance d'un legs, où un veut dire moult, en nombre dispersé, épars, insulaires et discordants, un trouble pour l'esprit, erratique,déchirures suprêmes instrumentales, dans

création qui prend la relève, ouvre une brèche, crée un passage

<§05>

8 Quelque chose me disait que le temps n'était que l'avoir lieu de ce retard, que le temps venait de ce retard, d'une inscription qui par itération crée en retard dans l'espace, ce qui suppose a minima, la modalité d'une empreinte comme agissant, je veux dire comme acte, et qu'à cause de cela on pouvait voir les choses et les gens, dans le champ d'une certaine reconnaissance.

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comme —

forme d'une pensée, d'après ce même passage, (acquisition) conséquence d'enroulements transitoires, ainsi nous dirons que nous ne pouvons pas penser le dessin parce que le dessin a la préséance dans le frayage de cette même pensée, de la même façon que Spinoza dit qu'on ne pense pas le désir parce que désir est un des modes (de cette même pensée), façon singulière de déterminer l'entendement, conséquence d'enroulements transitoires, tissé par mille, disegno interno, esterno,

Pourquoi doit-on produire ce qu'on reçoit pour l’acquérir?

<§06>

«Y-a-t-il impossibilité que la vérité devienne un produit du savoir-faire ? Non» J. Laca: Le sinthome/ leçon du 18 décembre1975

<§07>

réaliser effectuer former d'après —

une suite de notes en bas de page, vois-tu, des très longues notes en bas de page, en a parte, une suite à mezza voce, pour marquer l'écart, le terroir d'un premier séjour, ses sillages, son dessein. Des notes prises au passage. Déchirures suprêmes instrumentales, conséquences d'enroulements transitoires

à partir d'un tableau (Rubens), échos d'un dessin (Watteau), nue que vous êtes, comme d'un dessin que je n'aurai pas encore fait, et qui resterait comme celui qui précède tout autre que je pourrai faire, si c'est un nu, nue que vous êtes, tant je t'aime nu, nue dans la cambranotes trouvées et écrites, lo ferme voler, si c'est un nu, nue que vous êtes, place qu'on accorde quand on dit, vous êtes dans mon cœur, tant je t'aime nue, nue dans la chambre

<§08>

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De quoi le dessin répond-il? De quoi est-il réponse?

(S'astreindre à l'exercice, suspens vibratoire, vendange et assemblage)

Lien vers ce dessin : http://tacteon.wix.com/cddessins#!dessins-du-livre/vstc9=page-42/vstc2=lot-2

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dessin 9

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<§09>

<action restreinte> question suspendue au dessin lui-même, qu'un seul puisse venir contre toute attente, instruire la journée, — qu'est-ce penser pour un artiste?

trobar et trouer avec des aspects là où la notion manque, tracer dans la marche, sachant qu'après, aussitôt après il n'y aura rien, sauf un (dessin), en lieu et place d'un intervalle qui se dérobe. Insularité plus que trace, épreuve plus que preuve, pas perduset pourtant passage, arrivage, cargaisons, blés flamands, cotons anglais. Nue que vous êtes.

apports de fin'amor sous l'averse, contre toute attente, dessin à dessein, de ce qui reste à penser au passage, savoir, tissé par mille, au même endroit où l'on peut dire que la psyché c'est l'acte premier d'un corps ayant la vie en puissance,

<§10>

le dessin passe, passera par l'entendement, la même nécessité de participation que Platon entend résoudre se servant d'un Dieu artisan <démiurge> — quoi, comment, de quel façon, d'après quelle procédure ce qui est sans jamais devenir, se croise, avec ce qui devient sans jamais être? Lacan dans le Séminaire:Le sinthome, leçon du 18 novembre 1975: y a-t-il impossibilité que la vérité devienne, produit du savoir-faire ? Non.

Dans les deux cas c'est au titre d'une production, d'un produire, comme ce qui d'un acte vient nouer, renouer, quoi?

<§11>

action restreinte, des aspects là, les accointances ici, suspenses vibratoire (tissés par mille), le dessin, comme l'amour, laisse dans la chambre le lit et fait du reste, retour amont, trait nu en passant, grotte ou paroi, Rembrandt et Watteau, pour aussi loin qu'on se rapporte, c'est d'un même écart dans l'assemblage, de tout temps mais pas tout le temps,

<§12>

Il ne peut y avoir de dessin sans passer par son acquisition. Dessin, dessein, disegno dans le sens

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« Je ne sais ce qu'a ce villageoù je vis où je meursque de partir de moi-mêmeje ne peux pas venir plus d'ailleurs. »

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premier, inaugural du terme, d'un dessein, au même titre que legs, et empreinte, ce qui fait trait, donc aussi bien dépôt des préséances, disegno interno, d'un corps existant en acte. Proust: «Ainsi j’étais déjà arrivé à cette conclusion que nous ne sommes nullement libres devant l’œuvre d’art, que nous ne la faisons pas à notre gré, mais que, préexistant à nous, nous devons, à la fois parce qu’elle est nécessaire et cachée, et comme nous ferions pour une loi de la nature, la découvrir.» in Le temps retrouvé.

<§13>

Un dessins peut-il faire encore événement? Question suspendue au dessin lui-même.Il faut se le demander plus d'une fois, puis tenir la réponse comme une façon de déplacer la question, la pousser vers le dessin, la faire sortir d'elle-même, jusqu'à ce qu'elle tombe dans le dessin, qu'elle tombe en oubli et que cet oubli devienne le cadran du regard, son port d'attache, nue que vous êtesd'un dessin comme une note en bas de page, pensée, une et nue, à sa place, avec tout ce qui peut retarder sa venue, dessin comme ce qui répond de cette place,

<§14>

<sens large> dans l'existence cette question n'a pas le propre d'une consistance à soi. Dans la vie courante elle vit du peu que les contingences peuvent lui offrir, ce qui veut dire que nous ne nous la posons jamais directement. Tout ce que nous savons à son sujet nous le devons à l'office des phrases des fortunes. Nous ne pouvons pas anticiper le lieu de son séjour. Sans compter qu'on emprunte au regard des mots qui n'existent pas, pour penser ensuite avec les intermittences du vide, un heurt, un coup d'archet, l'espace d'une chambre, l'averse du rayon... etc. Tout ce que nous savons à son sujet, nous le devons au retour du corps dans la lettre, le trait, les attrait, Aude nue me lisant au seuil de la porte, un moment inattendu puisque je la croyais endormie, instant déchu du temps, à cause de la lumière, lumière que nous devons transconduire pour recevoir, la perception ce n'est pas la vue qui nous la donne. Phrases de fortune, dis-je, qui nous la disent par ricochet quand c'est le souvenir qui fournit l'étoffe, rumeurs d'un jour de vacance,

professe quelque part un vers de Lope de Vega, une cours d’école, une robe bleue, d'un bleu jamais

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vu, détail dans un espace accru, (enroulements transitoires) où les accointances sont plus fortes, éclats, éclaires, luces,

<§14>

S'il m'arrive de dire, ici, c'est moins pour indiquer un lieu que pour prendre à charge le peu d'une question qui se dérobe. Le peu de sa condition, ici, veut dire nulle part, ici se dit d'une limite que nul ne peut surplomber ni assigner d'un lieu, dans un sens elle serait partout, ou en exergue

— hasard qui me trouve

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AIMER

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« Celui qui veille au sommet du plaisir

est égal du soleil comme de la nuit. celuiqui veille n'a pas d'ailes. Il ne poursuit pas. »

R. Char :

Dès que la nuit se présente accompagnée de ses lumières basses ma voix se projette aphone dans un lieu irrésolu et brûlant. Je n'aurai d'autres formes à ma disposition que celles que me prêtent les quatuors à cordes. Architecture. J’aurai entendu l’entrée croisée des tessitures laisser le phrasé suspendu, j’entends un son se lever du sol et se métamorphoser à mi-hauteur pour le compléter, j’entendrai le violon seul, puis ailleurs l’alto et le violoncelle, etc. Ne pouvant plus vivre l’amplitude de mes forces ni donner expression à leur complexion, craignant le pire, je laissais à cette formation le droit de me représenter comme la forme d’un… futur antérieur. Musique, ma patience. Des heures et des nuits.

Puis, matin, un bout de bleu à la fenêtre. Tohu-bohu des contrastes dans la chambre, jour nouveau, le son du poème roule comme une bille sur du bois. Peut-être à cause de tout ce que j'avais du lire la veille, dans l'effort d'apprendre à le traduire, lo ferm voler, vocation d'un secret qui accompagne les dessins d'hier, sept ou plus au nombre, à cause des traits vus dans une revue, des très beaux agrandissements des dessins de Rembrandt

l'impact à la seule vue des traits sur fond d'une couleur diffuse, translucide, tissée par le grain du papier, (scintillement). Dès le premier coup d’œil, si la vérité n'a pas de nom, apportez-lui un dessin, sa «langue» est dans l'espace, knot of fire. Pourquoi nous faut-il retourner à Rembrandt pour voir du dessin?

Ce qu'un dessinateur peut savoir de l'affirmation, quand c'est l'espace qui la lui donne, de l'affirmation hors, qu'on dira dans, car il faut ce dans comme un coup de pinceau, jauzirai joi en... dinz cambra, spontanéité accompagnée d'une nécessité d'entendement, signature d'une acquisition, esercizio di molti anni, au dire de Vasari

le son du poème roule comme une bille, sous le feu croisé des langues, suspendu de la

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même manière que j'aie d'entendre le dessin, quand il a du dessin, trait qu'on dira infini pour séparer l'ivraie du grain, le vrai du faux, du pseudo, fals, le dire du dessin qui n'est d'aucune langue, se dit à travers de chacune, tout comme, le ferme vouloir qui dans le cœur m'entre <lo ferm voler qu'el cor m'intra>, il faudra que j'aille dans le Sud, que j'apprenne, le son, l'accent et la poussière, le grain rocailleux, terreux, que j'apprenne à le dire en occitan, tanner la langue, passer un temps, lo ferm voler qu'el cor m'intra,

Se dévoile, un peu partout, la cendre mal éteinte d'une vie en cours. Après-coup, ma position est celle d'un homme ébahi qui comprend peu, qui se réjouit, qui rit et pleure, qui sait encore moins. L'émotion est comme le paysage, une manière d'en appeler à autrui, mais, in extremis, une couleur, ce qu'il en reste, mais, au fond, un cri. À ce moment-là, un simple trait en est un.

Cabinet.

Oui, j'en suis sûr, il est possible de passer par au-dessus. Si seulement ma voix pouvait tenir jusque là, je pourrai agencer des phrases et ce serait alors un pur plaisir... Vivre une deuxième fois. Placer une enseigne là où il n'y eut rien. Ici commence Cabinet des dessins.

Récolter, assembler, donner forme, oui, donner… Forme.

Musique de chambre.

Cabinet.

De ce que je vais écrire, Aude, était celle qui en aura entendu le plus. C'est à elle que j'en ai le plus parlé. Ce plus. — Cela ne peut se dire… sauf ici, lui disais-je tout près, à l'oreille... Qu'a-t-elle pu comprendre? L'ai-je seulement dit ?

Avec le temps, Aude, est devenue une lettre à l'intérieur de moi-même.

Ni crayon, ni papier, ni pinceau. C'est ici que j'ai besoin de silence. C'est ici qu'il me faut une vie retirée. La lampe.

«De même que, quand on songe à sortir on se munit d’une lampe, Éclair du feu ardent durant une nuit d’hiver,»

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Cabinet. Je prélève ça et là... j'avance ainsi, découvrant un trait qui avant que je ne le trace n'existe pas et qui une fois tracé laisse entendre un déjà là. Un avant de préséance, le desseins d'une vie

«La lumière, se projetant en dehors, s’étend d’autant plus loin, Elle brille sur le seuil, en rayons éblouissants»

je retrouve ma pensée, ou ce que j'ai à penser ou qui me pense. Le dessin est un savoir en acte — vous êtes la seule à savoir ce que je veux dire, lui disais-je. Je n'ai cessé depuis de chercher les indices, le passage. J’allais d'un lieu à un autre, sans rien dire à personne, absent pour beaucoup, distant pour d'autres, perdu, et prêts à laisser l'intervalle ouvert avec tous les risques que cela suppose,

Se dévoile, un peu partout, la cendre mal éteinte d'une vie en cours. Après-coup, ma position est celle d'un homme qui s’apprête à sortir, sauf que sortir vaut dire aussi entrer, accéder,

«De même que, quand on songe à sortir on se munit d’une lampe, Éclair du feu ardent durant une nuit d’hiver,»

Cabinet des Dessins. Éclair du feu ardent durant une nuit d’hiver. Cette réserve qui peut me faire passer du dessin à la chambre, tomber sur un lit et repartir plus loin, recommencer, revenir même, affirmer alors qu'il ne reste plus rien — un dessin s'impose à moi et cela suffit... Je me dis qu'aimer est la seule chose qui peut m'arriver et que cela ne peut arriver que hors du monde, qu'il est vain d'expliquer pourquoi, qu'il est inutile de chercher plus loin, car si cela arrive, c'est de nulle part, et qu'aimer c'est sortir une nuit de toutes les autres sans que personne puisse nous trouver, sans que nous puissions nous-mêmes en dire plus... Arrivée de toujours, qui t'en iras partout.

de Nina sur le point de s'étendre sur le lit me fait anticiper les sons des cordes, je mets aussitôt le quatuor K 465 de Mozart. L'entrée du violoncelle: un son grave et continu venant du sol, ensuite celle du violon avec un son aigu et plafonnant répétant cette figure, c'est l'œil de l'archet qui m'ouvre la marche, je vois ces cuisses s'avancer vers le lit, quand elle se retourne pour laisser tomber son corps, elle me donne de profil ses fesses, la sobre tenue de ses seins et un sourire majestueux comme le à quatre des instruments un peu plus loin. Une fois couchée une jambe demeure à terre pendant que l'autre, sur le lit, dessine une ligne qui se plie en un chemin fendu

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dessin 10: "Repos"

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Forme. Enclos. Saut. Nous n’avons que le trait pour la chose qui n'est pas; nous n’avons que lui pour chanter alors que rien ne nous guide, aucun échos, ni couleur, ni saveur. Il est bon de se dire parfois que, pour tout homme il en va de deux sortes de possibles…Il es bon de prélever des nos heures un bruissement qui n'est plus, inventer ça et là des passages, mais surtout lire, apprendre à déchiffrer — ego sum res scriptas, oui, je suis cette chose écrite qui va de personne à rien, qui lit et qui pleure, qui sait quelque chose et qui en ignore beaucoup.

Avant de toucher aux formes, on se doit de marquer l'écart et la lisière avec un trait ouvrant vers personne. C'est ce qu'autrefois ils appelaient cortezia.

« La lumière, se projetant en dehors, s’étend d’autant plus loin, Elle brille sur le seuil, en rayons éblouissants ;

De même le feu antique enfermé dans les membranes, Par ce voile fin dresse une embuscade à la pupille ronde.

Mais ces voiles cachent l’épaisseur de l’eau qui coule autour, Et le feu qui sort de l’œil, s’étend d’autant plus loin.»

Lire cette chose.

Je redescends pour la troisième fois fort de cette amorce, qui de quelques pages écrites aux dessins réalisés, pour précaires que soient mes forces, me donnent le temps d’aller d’un lieu à un autre sans perdre les récoltes: le printemps ne me heurte plus. D’ailleurs ce fut la lumière accostée à ma fenêtre que me donna l’idée de faire une pause et relire ce que j’avais écrit, au café. Je voyais la scène de loin, je voulais que le soleil tanne ma peau. Il pourrait s'agir du 2éme mouvement, de l'opus 135 de Beethoven.Je pris la terrasse. Avant même de commander, je commençai à relire:

Nos efforts les plus tenaces ont comme signature l'expression d'un paradoxe: nous suivons une voie tracée ; ce chemin n’existe pas

/(…)

Sans la certitude de suivre au moins une trace, aussi vague et fugace soit-elle, ces efforts ne trouveraient jamais en nous ces forces qui agglutinent et gardent la marche. Nous estimons suivre

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un chemin et peu de choses nous en détournent, mais si quelqu'un nous demandait de nous expliquer un tant soit peu, ou si la nuit nous surprenait avec ce désir d'adresser quelques mots à la femme que nous aimons, c'est à peine si nous sommes capable de trouver la voix qui en serait le pont ; c'est là que nous appréhendons la valeur des livres, c'est là, aussi, que la citation prend naissance."Et cela doit être ardu qui est trouvé si rarement."

Certitude. Ce matin j'ai appris quelle était ma saison.

Ce matin j'ai compris pourquoi il m'aura fallu sceller. Le dessin est venu tout seul et avec lui le multiple des choses et de gens, sans plus. Nous pouvons nous faire bien des idées au sujet des choses et des gens, nous pouvons parler de ce que nous croyons qu'il nous arrive, et nous sentir la proie d'une injustice trop grande pour en être quitte. Nous, qui pensions que, ce silence, un jour ou l'autre porterait ses fruits. Je n'écrirai pas ce livre. Nous pouvons amplifier nos sentiments, aller dans ce sens — voyez là-bas, cette couleur est inexprimable. Je vois la cour, le patio, les salles des classes, c'était il y a bien longtemps. Nous pouvons nous faire bien de idées au sujet des gens et des choses, ne sommes-nous pas, nous mêmes, cet ami qu'on quitte et dont on se souvient plus tard ? Le monde semble ordonné selon une incroyable justesse parce que nous nous faisons des idées au sujet des gens et des choses. Ne doit-on pas compléter pour relier, ne doit-on pas ajouter un mouvement qui ne dois rien au changement pour expliquer la modification, pour pouvoir reconnaître le même Esteves sem metafisica à deux moments de sa vie, ne sommes-nous pas contraint de soustraire le changement à l'aide d'une cause, pour suivre les mêmes denrées entre deux Ports ? Et donc, ne nous viendrait-il pas, en abus ensuite, l'usage de causes pour dire et lire notre sort, moins pas souci de savoir que par horreur du vide?Je me sens trahi. Passe lumière, passe. Par qui — moi-même? L'œuvre de personne? Passe lumière, passe. Hier je suis resté trois heures, là, assis. Puis, je suis descendu au café. Rien. Dans ce rhume il y avait comme un signe. Comment ouvrir à nouveau ? Passe lumière, passe. Juste en face se trouve le fleuriste et j'ai mal. Roses, jonquille, pensées. J'ai mal. Tout d'un coup, c'est comme si je devais découvrir la phrase qui s'y trouve, seulement alors je serai délivré.

Le dessins est venu tout seul ; je m'y suis attelé avec appréhension, traçant d'abord l'esquisse au crayon bleu, ensuite improvisant au pinceau jusqu'à rencontrer le ligne principale. Il me semblait accomplir un acte réfléchit et rigoureux. Je suis où j'étais, l'énigme veut que j'aille où je suis. Le dessin est venu tout seul, veut dire, j'y étais.

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— Vous désirez ?— Un café s'il vous plaît.

«De même que, quand on songe à sortir on se munit d’une lampe, Éclair du feu ardent durant une nuit d’hiver, Après avoir allumé une lanterne qui repousse les vents divers, Et dissipe les souffles des vents changeants, La lumière, se projetant en dehors, s’étend d’autant plus loin, Elle brille sur le seuil, en rayons éblouissants ; De même le feu antique enfermé dans les membranes, Par ce voile fin dresse une embuscade à la pupille ronde. Mais ces voiles cachent l’épaisseur de l’eau qui coule autour,»

(fin de la première partie)

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