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Cahier Clinique du CFPT LE PATRIMOINE DES TRANSPERESONNELS : THEORIES ET PERSPECTIVES APPORTEES PAR LES TRAVAUX D’ASSAGIOLI, JUNG, MASLOW, GROF, WILBER ET DESCAMPS Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle | Journée d’étude | 24 Mars 2018

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Cahier Clinique du CFPT LE PATRIMOINE DES TRANSPERESONNELS : THEORIES ET

PERSPECTIVES APPORTEES PAR LES TRAVAUX D’ASSAGIOLI, JUNG, MASLOW, GROF, WILBER ET DESCAMPS

Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle | Journée d’étude | 24 Mars 2018

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TABLE DES MATIERES

p.2 : Editorial – Muriel Rojas Zamudio

Exposés de la journée d’étude du 24 Mars 2018

p.3 : Les pionniers de la psychologie des hauteurs – Cyrille Champagne

p.29 : Les apports de Grof à la psychologie transpersonnelle – Bernadette Blin

p.40 : La psychologie intégrale selon Ken Wilber – Johann Henry

Complément de la journée d’étude du 24 Mars 2018

p.65 : La psychanalyse spiritualiste selon Marc-Alain Descamps – Sabine Dewulf

p.74 : Psychologie(s) Transpersonnelle(s) – Johann Henry

p.81 : Pour aller plus loin…et nous rejoindre

Relecture et mise en page :

Johann Henry – Raphaël Lolli – François Nicoleau- Muriel Rojas Zamudio

Illustration couverture : Paulo Rojas Zamudio

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EDITORIAL

Si l’étude de la conscience ne commence pas en 1905, elle vit cette année-là une révolution : l’avènement de la psychanalyse. Ce que Freud va conceptualiser et tenter de structurer comme une science deviendra le point de départ, enthousiaste ou critique, de toute pensée et pratique thérapeutique ultérieure, de la psychiatrie à la psychologie transpersonnelle. Cette filiation – rarement consciente ? - va s’inscrire principalement dans la posture des grandes figures du mouvement transpersonnel : qu’ils soient psychiatres, psychologues ou philosophes et quels qu’aient été leurs outils, tous ceux que sa jeune histoire tend à retenir se sont autorisés à sortir des sentiers battus, voire à transgresser les règles pour enrichir leur discipline grâce à leur créativité. Dans ce premier cahier – qui reprend et complète les exposés de la 1ère journée d’étude du Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle (CFPT) - nous en avons retenu six : Assagioli, Jung, Maslow, Grof, Wilber et Descamps. Comme nous le lirons dans les articles proposés, l’articulation de leurs travaux a généré des modèles dynamiques et/ou structurels qui nous permettent d’accompagner autrui dans le cadre dit de la thérapie. Mais si le paradigme commun qui sous-tend ce patrimoine interroge nos acquis culturels et nos choix de société, il demande aussi aux thérapeutes que nous sommes de lui trouver une place dans nos pratiques libérales ou institutionnelles d’aujourd’hui. Dans le prolongement de la psychanalyse originelle, la psychologie transpersonnelle œuvre à bousculer le regard porté sur la différence, la marginalité sensible ou perceptive ; ce faisant, elle se positionne à contre-courant du formatage – et de la rentabilité ? – qu’induit la mondialisation 1 . Pour incarner pleinement ce « destin », il lui faut poursuivre sa croissance en actualisant ses fondements théoriques (esprit critique) et en exerçant sa créativité dans l’espace clinique, puis en témoigner à travers des articles, ouvrages dits scientifiques et rencontres entre pairs. Tel est le programme auquel le CFPT nous invite – et dont ce premier cahier se veut un aperçu incitateur - afin que fructifie le patrimoine que nous ont laissé les TransPERESonnels.

Muriel Rojas Zamudio

Coordinatrice de la journée d’étude

1 Maud Mannoni décrivait déjà, il y a 40 ans, la sujétion de la thérapie au « médical », la guérison du symptôme primant sur la (re)vitalisation du lien dans une optique d’adaptation sociale (in La théorie comme fiction, ed. Points).

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LES PIONNIERS DE LA PSYCHOLOGIE DES HAUTEURS : ASSAGIOLI, JUNG ET MASLOW

Maitre-praticien en hypnose ericksonienne, Cyrille Champagne est également formé au bouddhisme tibétain, et initié à diverses traditions telles que le néo-chamanisme, zen, yoga, psychothérapie gestaltiste des relations d’objets, et psychothérapie transpersonnelle.

Directeur du département Recherches de l'ARCHE (Académie de Recherches et Connaissances en Hypnose Ericksonienne), il y dirige des recherches interdisciplinaires sur les expériences, phénomènes et mécanismes hypnotiques. Ses principaux axes de recherches y sont : la phénoménologie dialogique, l’agentivité, l'imaginaire, les pratiques traditionnelles et les sciences cognitives.

Le présent article est adapté de sa conférence orale intitulée « Les pionniers de la psychologie des hauteurs : Assagioli, Jung et Maslow ». Accompagnée de schémas et tableaux, cette conférence a été présentée le 24 Mars 2018 dans le cadre de la première journée d’étude organisée par le Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle (CFPT), et dont le thème était « Le Patrimoine des transPERESonnels : Assagioli, Jung, Maslow, Grof et Wilber ».

Bonjour, c’est un grand plaisir pour moi de présenter une partie de mon travail de recherche sur Jung, Assagioli et Maslow dans la grande famille francophone du transpersonnel. Cela me touche beaucoup, après avoir passé du temps à étudier auprès d’elle, de pouvoir lui rendre une brève synthèse du travail que j’ai fait sur ce sujet, pour que dans nos pratiques psychothérapeutiques nous puissions aller vers un peu plus de clarté, un peu plus de compréhension de ce que nous faisons et d’où cela provient, afin de mieux aider les autres. La clarté et la bienveillance étant des valeurs qui m’importent beaucoup, je suis très heureux que nous puissions faire cela tous ensemble aujourd’hui.

J’ai choisi de nommer cette présentation « Les pionniers de la psychologie des hauteurs ». Roberto Assagioli, Carl Gustav Jung et Abraham Maslow, sont un peu à mes yeux des supers héros de la psychologie transpersonnelle, des supers héros archétypaux, voire peut-être - nous le verrons ensemble - des archétypes de la clarté transpersonnelle à l’intérieur de nous. Evidemment, dans l’heure et demie qui m’est impartie, je ne peux pas vous faire un cours complet sur Assagioli, puis un sur Jung, puis un sur Maslow. J’ai donc construit une vision synthétique et thématique du sujet.

Dans un premier temps, je vais vous montrer comment toute cette histoire de psychologie des hauteurs s’est créée en réaction à la psychologie des profondeurs (nous pourrions dire, pour faire simple, à la psychologie freudienne). Dans cette partie, nous regarderons en premier lieu comment Assagioli part des concepts de Freud pour montrer qu’il y manque quelque chose, puis comment Jung a conceptualisé l’’inconscient collectif et enfin comment, par le travail de ces deux-là, nous obtenons la formalisation d’une structuration archétypale à l’intérieur de la psyché individuelle.

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Dans un deuxième temps, je voudrais vous montrer comment le travail d’Assagioli et celui de Maslow permettent de faire une cartographie de la psychologie des hauteurs.

Nous pourrions dire une cartographie phénoménologique de certaines expériences que nous faisons - celles qu’Assagioli nomme supraconscientes, thème que développerai tout à l’heure - et comment, via ce recensement d’expériences et les manières de l’expliquer, Assagioli propose des méthodologies d’accompagnement qui sont spécifiques pour accompagner ce type d’expériences (à distinguer des accompagnements spécifiques pour accompagner les expériences dites « normales »).

Enfin, dans une troisième partie, je ferai une proposition un peu plus personnelle, qui sera peut-être sujette à discussion ou à contradiction. J’ai proposé d’appeler cette partie « n’exclure ni l’ombre ni la lumière », car l’idée c’est de réintégrer l’ombre et la lumière, là où – c’est la vision que je vous proposerai - nos différents courants psychologiques ont tendance à mettre de la lumière sur quelque chose tout en excluant autre chose, or c’est dans un principe de non-exclusion que je voudrais conclure ma présentation.

I. Au-delà de la psychologie des profondeurs

Au-delà de la psychologie des profondeurs … et bien nous avons Roberto Assagioli ! Roberto Assagioli est un médecin psychiatre italien, né en 1888 et mort en 1974, le cœur de son propos est publié dans les années 30. Il est alors au début de la quarantaine, il continuera à publier jusqu’en 1973, et nous verrons que de 1930 à 1973 sa pensée reste stable.

Quelques innovations d’Assagioli :

- Quand Assagioli propose d’étudier une psychologie des hauteurs, c’est bien sûr en référence à la psychologie dite des profondeurs. Là où Freud nous parle d’un préconscient, d’un inconscient et d’une instance consciente, Assagioli va nous proposer l’idée d’un supraconscient (que je développerai tout à l’heure).

- Une étude des expériences dites spirituelles - Un plaidoyer pour étudier la psychologie en situation non pathologique - Un travail sur la désidentification (la notion d’un « je » et d’un « non-je ») - Un travail sur les sous-personnalités (point important dont je vous parlerai

brièvement aujourd’hui, mais que j’ai choisi de mettre de côté car il nécessiterait un long exposé)

- L’utilisation de l’imagination et de la visualisation (dont nous n’aurons pas le temps de parler aujourd’hui)

- Et enfin une cartographie des processus et des contenus psychiques (et je vous montrerai comment on peut utiliser son modèle pour décrire différents phénomènes).

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Mais revenons au fameux appareil psychique à partir des deux topiques freudiennes : dans sa seconde topique, en 1912, Freud décrit une instance qu’il nomme le Moi, soumise à deux forces opposées. D’une part elle est soumise au Ça, c’est-à-dire à des pulsions, à une corporéité, à ce que nous pourrions nommer des transmissions héréditaires, bref à quelque chose qui est spontané, biologique et naturel, et qui viendrait plutôt du corps. D’autre part elle est soumise au Surmoi, c’est-à-dire aux injonctions sociales, aux valeurs transmises, aux règles comportementales et idéologiques qui peuvent être transmises par Papa, Maman, la police, les éducateurs à l’école, le champ social, les valeurs culturelles, etc.

Pour résumer cette pensée de Freud en une phrase, nous dirons qu’il montre que ces pulsions et ces injonctions auxquelles est soumis le Moi forment l’Inconscient.

C’est dans ce cadre qu’Assagioli tente de faire évoluer sa pensée : il a vingt ans dans les années 1910, il pense que la psyché ne se limite pas à la seconde topique de Freud, ce qui le conduit à proposer un autre schéma dans lequel il place le Moi au centre d’un champ de conscience qui lui est perceptible, et postule une répartition arbitraire de l’Inconscient en trois niveaux :

a) L’inconscient inférieur

Nous retrouvons ici ce qui appartient à l’Inconscient décrit par la deuxième topique freudienne.

- La coordination physiologique du corps : par exemple, le fait que le corps ait la capacité, dans une certaine limite, de se réparer lui-même,

-Tout ce qui est de nature libidinale/sexuelle, notamment l’agressivité (que personnellement je préfère appeler combativité ou vitalité),

- Les éléments introjectés : tout ce qui provient du champ social, tels que le Surmoi, la vitalité/sexualité/agressivité/combativité bloquées par des injonctions sociales.

Nous retrouvons aussi dans cet inconscient inférieur d’Assagioli les passés personnel et transpersonnel, c’est-à-dire les tendances refoulées, les éléments introjectés, les épisodes traumatiques, le passé héréditaire, les tendances naturelles, physiologiques ; des éléments sortant du champ de la psychanalyse – qu’ Assagioli ne sait décrire car jusqu’alors personne n’a écrit dessus - comme les transmissions familiales et culturelles, les schémas familiaux qui sont rejoués, les épisodes non biographiques dont nous parle Stanislav Grof , enfin un troisième type de passé qu’on pourrait nommer atavique, dans lequel on va retrouver par exemple des éléments trans-générationnels. Rappelons que nous sommes ici en 1930, et que si à l’aube des années 2020 nous sommes habitués à ces idées d’épisodes non biographiques et de schémas familiaux rejoués, tout cela est assez mystérieux pour Assagioli quand il a commencé à le théoriser.

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Voici ce qu’écrit Assagioli au sujet de son inconscient inférieur :

« L’oeuvre de Freud et de ses disciples s’en tient généralement là. Il faut explorer de même les régions de l’inconscient moyen et supérieur. C’est de cette façon que l’on peut découvrir les aptitudes particulières qui n’ont pas encore eu la possibilité de se manifester, nos vocations les plus profondes et les plus vraies, les côtés supérieurs de notre nature qui voudraient se manifester et que nous n’acceptons pas dans notre personnalité consciente, car nos préjugés ou nos craintes nous empêchent de les accueillir. »

Nous voyons bien ici comment il nous parle d’aptitudes que le Ça et le Surmoi ne permettent pas, dans son contexte culturel, de décrire.

b) L’inconscient moyen

Il s’agit de la coordination psycho-physique, disons que c’est un peu la partie « ordinateur » de notre corps-esprit (champ perceptuel et procédural). Nous avons ici tous les processus liés au développement, à l’apprentissage, à la construction de structures permettant d’en faire quelque chose, à la gestion du présent et du futur, à la relation au monde et à autrui, aux facultés intellectuelles, aux automatismes, etc. Assagioli ne parle pas beaucoup de l’inconscient moyen, il a tendance à le laisser un peu de côté, car ce qui va plutôt l’intéresser, son grand sujet, c’est le supraconscient : ce qui se passe dans les hauteurs.

c) L’inconscient supérieur ou supraconscient

Il est l’un des tous premiers psychanalystes à écrire sur ce sujet. Si avant lui d’autres auteurs comme William James et Henri Bergson se sont intéressés au sujet, c’est toutefois Assagioli qui démarre des recherches sur cette question, encore non défrichée à l’époque.

Voici ce qu’il nous dit du supraconscient ou inconscient supérieur :

« C’est de là que nous parviennent les intuitions et les inspirations d’ordre supérieur, dans les domaines de l’art, de la philosophie, de la science ; les impératifs d’ordre éthique, les élans altruistes.

C’est la source du génie, des états d’illumination, de contemplation, d’extase.

C’est dans cette zone que résident, à l’état latent et potentiel, les énergies supérieures de l’esprit, les facultés et les pouvoirs supranormaux d’un genre élevé. »

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Arrêtons-nous un instant sur l’utilisation du terme « spirituel » chez Assagioli. En Italie en 1931, ce n’est peut-être pas tout à fait la même chose qu’en francophonie en 2018, donc je vais le préciser : il se réfère à des capacités et des qualités naturelles, celles qui sont développées et décrites dans les voies religieuses et mystiques, mais il s’agit aussi de capacités et de qualités philosophiques, artistiques, ou scientifiques. Il précise que ce n’est pas un don réservé à des élus, c’est un potentiel qui est naturel, voilé par quelque chose, mais que tout le monde peut développer.

Voici un aperçu des caractéristiques phénoménologiques des expériences supraconscientes selon Assagioli :

- Expériences de profondeur - Expériences d’intériorisation - Sensations de montées et d’ascension, d’être en chemin/de cheminer (nous

pourrions dire: d’être dans une quête) - Sensation d’expansion et d’élargissement, - Développement/Activation (avoir l’impression de s’épanouir dans le

dépassement des obstacles d’une quête) - Sensation d’un don de puissance (recevoir une énergie et un dynamisme avec

l’impression que ça vient de l’extérieur) - Sensation d’éveil (sensation de sortir de quelque chose d’un peu brumeux,

d’un voile, de quelque chose dans lequel on s’était perdu) - Sensations d’illumination - Joie et allégresse - Sensations de renouveau et régénération, - Résurrection (impression de retrouver un état qui était perdu) - Libération intérieure

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L’intérêt de la modélisation d’Assagioli réside dans la double description qu’elle permet : psychologique et phénoménologique. Ainsi, lorsque nous nous référons à la cartographie assagiolienne nous pouvons en toutes circonstances nous demander : « où est le Moi ? ». Est-il dans l’inconscient moyen, c’est-à-dire dans la partie coordination psycho-physique avec ses facultés d’élaboration de son rapport au monde, à autrui, de planification du futur, etc. ? Ou est-il dans l’inconscient inférieur, pris par ses patterns refoulés, les transmissions héréditaires qui orientent sa vie, ses décisions, etc. ? Ou est-il dans ses expériences supraconscientes, avec la joie, l’allégresse et la régénération, l’illumination, etc. ? Et, où que soit situé ce « je » dans la psyché, qu’est-ce que « je » perçoit ? Qu’est-ce qui est perçu par son expérience ? Est-ce qu’il perçoit un champ de relations au monde ? Est-ce qu’il perçoit ses profondeurs intérieures, ses hauteurs intérieures ? La modélisation d’Assagioli nous montre également que nous pouvons être dans l’expérience habituelle et avoir des expériences du supraconscient qui descendent et surgissent à l’intérieur du « champ de conscience », ou encore que nous pouvons avoir la sensation d’être toujours à l’endroit habituel tout en expérimentant des choses qui sont de la nature d’un inconscient inférieur, où nous pouvons sentir une expansion de conscience (connexion avec tout ce qui se trouve autour de nous). Le « Je » peut se déplacer, aller du côté du supraconscient (par exemple par des méditations intensives, prières, yogas intensifs, jeûnes) mais aussi avoir des expériences dissociatives, par exemple avoir l’impression d’être là et percevoir quelque chose qui n’est pas là (par exemple les expériences dissociatives, certaines expériences liées aux hallucinogènes sérotoninergiques dont la DMT, la psylocibine, etc). Enfin, nous pouvons avoir des expériences d’expansion de conscience, où il n’y a plus de « Je » (par exemple certaines expériences liées aux hallucinogènes sérotoninergiques, les expériences dites de samadhi dans les traditions méditatives, etc).

J’aime beaucoup le travail d’Assagioli pour cette raison-là, parce qu’il permet de montrer différentes configurations, à la fois du « Je » dans un espace dit « inconscient » en trois niveaux, et à la fois du « champ de conscience » qui peut aller expérimenter différentes choses, où que « Je » sois. Je pense que cela permet de bien décrire nos expériences ordinaires et extra-ordinaires : lorsqu’entre pairs nous essayons de décrire nos expériences, nous avons toujours l’impression que ce que nous expérimentons et ce que nous sommes sont fusionnés, or Assagioli nous montre que l’on peut découpler ces deux dimensions l’une de l’autre.

Il existe des correspondances entre ce système en trois niveaux et de nombreuses traditions, je n’en citerai ici que trois : l’arbre des séphirots dans la tradition de la kabbale, le monde chamanique en trois niveaux décrit par Michael Harner et ses consorts, et la psychologie du yoga avec les modes d’activation des chakras (tamasique c’est-à-dire obstrué, rajasique c’est-à-dire suractivé, et sattvique, c’est à dire clair et lumineux : plutôt spécifiques des expériences du supraconscient).

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La cartographie d’Assagioli nous permet donc non seulement de comprendre différemment les autres traditions, mais aussi de bénéficier d’un outil occidental de translation entre différentes traditions.

Voilà pour ce qui est d’Assagioli.

Dans les mêmes périodes, un grand génie, Carl Gustav Jung, en arrive progressivement à l’idée qu’on pourrait décrire un inconscient commun ou inconscient collectif comme une structure naturelle en amont de l’expérience humaine individuelle. La description générale de la psyché par Carl Gustav Jung est encore différente de celles de Freud et d’Assagioli. Grossièrement, nous y trouvons les trois instances suivantes :

- La conscience: elle est en relation avec le monde, et se compose d’un sujet conscient qui dit: « C’est toujours moi », qui s’identifie à une partie de la personnalité et se dit: « c’est sûrement ce que je suis et que les autres voient de moi »

- Une double partie inconsciente: La Persona et l’Ombre. La Persona, ce sont les différents masques que je revêts selon les différents contextes sociaux; je présente aux autres un masque, une présentation comportementale et sociale, que je perçois plus ou moins et qui change selon les contextes. L’Ombre, c’est toute une partie de ma psyché, comportements, attitudes, moteurs, que je ne perçois pas du tout, mais que les autres perçoivent. Cette ombre ce sont les éléments de la personnalité qui sont totalement exclus par le Moi, auquel le « moi » ne peut pas s’identifier, et que je ne peux donc pas voir parce que je ne peux pas regarder à cet endroit-là.

- Enfin, un inconscient collectif, dans lequel il y a la notion d’un « Soi » qui est la totalité de la psyché de l’individu, et des archétypes qui sont des patterns, des structures et des schémas structurels de différents aspects de la psyché.

L’inconscient collectif

En 1933, dans son article L’inconscient personnel et l’Inconscient collectif, Jung écrit :

« Facteurs impersonnels, collectifs, sous formes de catégories héritées et d’archétypes »

« J’ai donc émis l’hypothèse que l’inconscient renferme dans ses couches profondes des matériaux collectifs, vivants et agissants, et c’est en cela que j’ai été amené à parler d’un inconscient collectif » C’est en 1902 qu’émergent chez Jung les premières esquisses du concept d’inconscient collectif, avec l’idée qu’il existe une autonomie de l’inconscient, au sens où celui-ci serait agent (ce qu’il précise en 1908). En 1912, il introduit les premières descriptions sur les processus évolutifs et les caractères ethniques qui donneraient un caractère universel à l’inconscient via des

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déploiements culturels différents, et en 1916 il commence une synthèse du sujet. En 1928, il réforme ses propres points de vue sur la structuration de l’inconscient, puis en 1933, après trente années de travail sur le sujet, il en propose une nouvelle synthèse et publie Dialectique du Moi et de l’Inconscient, dans lequel il écrit :

« Ainsi ce sont 28 années d’expériences psychologiques et psychiatriques que je me suis efforcé de résumer, c’est pourquoi mon petit livre peut prétendre à ce qu’on le prenne au sérieux ».

Vingt-huit ans plus tard, il formalise les archétypes Animus et Anima, dans un dernier texte synthétique sur le sujet : Essai de l’exploration de l’inconscient, que l’on trouve dans l’ouvrage L’homme et ses symboles. Je fais ici un petit aparté : étudier l’évolution de la pensée de Jung est une tâche complexe, car ses articles sont publiés de manière non chronologique, dans des ouvrages synthétiques qui n’indiquent pas toujours les dates des textes d’origine. A titre d’exemple il m’a fallu quelques jours pour réaliser le tableau du présent exposé. J’ai donc essayé de produire une chronologie claire pour que, entre chercheurs par exemple, chacun puisse comprendre à quel moment de la pensée de Jung on se réfère. Car parler de l’inconscient collectif des écrits de 1916 ou de 1961, cela ne raconte plus la même histoire, ce qui est normal car avec quarante-cinq ans d’écart, sa pensée a fortement évolué ! J’ai pu observer dans mon travail que l’inconscient collectif est un grand champ de quiproquos, que tout le monde ne s’accorde pas sur une même compréhension de ce concept. Par exemple, à titre personnel, je ne partage pas l’idée d’un inconscient collectif qui serait quelque chose qui flotterait dans l’air, auquel nous serions reliés par une espèce de tuyau invisible et imaginaire, qui viendrait nous piloter et nous agir, alors que certains comprennent ce concept comme cela. Je ne dis pas que ma vision est la seule et la bonne vision, je dis juste que dans ma lecture chronologique des travaux de Jung, cette vision un peu caricaturale que je viens de décrire, je ne l’ai pas retrouvée … C’est pourquoi je pense que, de manière générale, ça vaut le coup de regarder comment un auteur construit au fil du temps un concept, car on revient souvent sur ce qu’on a publié antérieurement.

Une phénoménologie archétypale.

Des années 1910 aux années 1970, différents chercheurs proposent des formalisations d’une phénoménologie archétypale (c’est-à-dire d’expériences que nous faisons et que pourrions ranger sous la forme d’archétypes), et de structures archétypales (c’est-à-dire les structures dans lesquelles se rangent ces expériences, où se déploient ces expériences). C’est ce que je vais brièvement présenter :

Dans son article de 1961, L’archétype dans le symbolisme du rêve, Jung suggère l’idée que les archétypes sont des organes psychiques, au même titre que nous avons des organes physiques remplissant des fonctions spécifiques et nécessaires. Il postule que la structuration archétypale de la psyché est de nature analogue à la

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structuration organique de la physiologie. Ces structures psychiques contiennent nos éléments inconscients et les expériences que nous en faisons ; les représentations conscientes que nous en vivons (symboles, patterns, …) en sont l’expression phénoménologique. Ainsi, les motifs, les mythes ou encore les images, sont des activations psychiques archétypales internes à la psyché, qui sont vécues par le moi sous forme sensible (visuelles, auditives, sensorielles, etc). En d’autres termes, quand des éléments psychologiques issus de ces structures s’activent et sont perçus par le Moi - du point de vue d’Assagioli nous pourrions dire quand elles rentrent dans le champ de la conscience - nous les vivons sous les formes de mythes, d’images, de représentations. Tel est ce que nous propose Jung dans ses publications en 1961.

Assagioli perçoit l’inconscient collectif relativement autrement. Il postule que l’individu est une psyché personnelle prise dans un environnement psychique partagé, et montre que les différents niveaux qu’il a cartographiés se structurent sur la base d’éléments d’un inconscient collectif, c’est-à-dire sur la base de structurations archétypales. Nous aurions donc un inconscient inférieur qui provient de certaines structures archétypales, une coordination psychophysique qui provient d’autres structures archétypales, et un supraconscient et des expériences supraconscientes qui proviennent encore d’autres structures archétypales. De ce point de vue, l’environnement psychique tel que la psychologie d’Assagioli le définit se rapproche de la sociologie et de l’anthropologie : selon lui, nous ne sommes pas coupés de notre environnement psychique, lequel est en interaction avec nos structures archétypales héritées de l’évolution.

Afin d’illustrer notre propos, prenons un ensemble de phénoménologie archétypale selon les différents types d’inconscients, par exemple la rencontre avec des animaux imaginés, lors d’expériences de rêves éveillés, de transes hallucinatoires, ou d’expériences visionnaires en respiration holotropique :

Si vous êtes dans le supraconscient, vous serez plutôt en lien avec des animaux volants, des animaux mythiques comme les licornes, les dragons…etc.

Si vous êtes dans des expériences de l’inconscient moyen, vous serez plutôt en lien avec des mammifères, des héros, des titans, des demi-dieux.

Si vous êtes dans l’inconscient inférieur, vous serez plutôt en lien avec des insectes grouillants, rampants – par exemple, des champs de fourmis qui vous grimpent dessus, qui essaient de rentrer partout - et en termes d’animaux mythiques avec les tricksters, les démons, les lutins, les farfadets, etc.

Prenons un second exemple : celui de phénoménologie végétale, ou expériences d’éléments naturels :

Dans le supraconscient vous serez plutôt en lien avec des expériences de lumières, de rayonnements, de musiques célestes, l’air, la brume.

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Dans l’inconscient moyen vous serez plutôt dans des réseaux d’eau, des rivières qui convergent pour faire le fleuve, des fleuves qui convergent pour faire l’océan.

Dans l’inconscient inférieur vous serez plutôt dans la terre, dans les réseaux de choses grouillantes, les racines des arbres font des réseaux les unes avec les autres, etc. (belle métaphore de la coordination humaine, par exemple).

Nous constatons en résumé différents types de phénoménologies, qui vont se classer en fonction d’une structuration archétypale des possibilités psychiques humaines, et correspondre à des expériences sensorielles particulières et des signifiants particuliers.

Des sous-personnalités.

Voyons brièvement à présent un point important : les sous-personnalités. Nous avons vu qu’Assagioli décrit comment que nos divers éléments psychologiques proviennent de ces différents niveaux – supérieur, moyen et inférieur – et que quelque chose en nous dit « Je » quelles que soient les circonstances de notre vie. A cette description, il ajoute des agrégats de ces briques psychologiques, qu’il appelle sous-personnalités. Ainsi, ces sous-personnalités peuvent venir principalement de l’inconscient inférieur, d’autres peuvent être composées principalement d’éléments de l’inconscient supérieur, mais la plupart du temps les sous-personnalités sont composées d’éléments issus des 3 niveaux à la fois. Ce qu’il va finalement montrer, c’est comment des agrégats, des assemblages de différents éléments psychologiques, se structurent sous la forme de sous-personnalités qui vont se placer au centre de l’expérience subjective et s’en attribuer le statut de sujet, ou autrement dit : dire « c’est moi », ou « je suis » … « c’est moi qui suis ! ». Deux exemples : si vous êtes à la fin d’un dîner avec votre nouveau flirt vous n’avez pas la même sous-personnalité que quand votre collègue active une pulsion de colère en activant chez vous une réaction apprise ; dans la première situation vous seriez plutôt du côté de l’inconscient supérieur, dans la seconde de l’inconscient inférieur.

Pour conclure cette première partie, rappelons que cette répartition, cette structuration archétypale en trois domaines se retrouve aussi dans différentes mythologies telles que nordique avec le royaume de Asgard (les différents enfers, la terre du milieu qui est notre monde), maya (le monde des dieux, le monde inférieur et le nôtre au centre) et dans la métaphore quasi-universelle de l’arbre.

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II. Vers une cartographie des hauteurs

Après avoir vu comment Assagioli a proposé de s’affranchir de la psychologie freudienne pour s’intéresser aux expériences dites supraconscientes, comment Carl Jung a progressivement formalisé l’idée d’un inconscient collectif, et comment la réunion des deux nous permet de présenter des phénoménologies archétypales et des structures archétypales, nous allons nous intéresser à une cartographie des hauteurs (je ne parle pas encore de psychologie transpersonnelle ici). Qu’est-ce que ces hauteurs ? A quoi ressemblent-elles ? Quel est le chemin pour y accéder ? Telles sont les questions que nous allons nous poser, en regardant dans un premier temps comment la catégorie psychique dite supraconsciente est un excellent outil pour cartographier le travail d’Abraham Maslow.

Abraham Maslow est un psychologue et chercheur américain, fondateur de ce que l’on a appelé la psychologie humaniste. Né en 1908 et mort en 1970, ces principaux travaux sont :

- Une hiérarchisation des besoins humains - Un plaidoyer pour l’étude des expériences psychologiques non pathologiques - Un travail magistral sur les peak experiences (des expériences particulières

dont je montrerai tout à l’heure les valeurs associées)

Les besoins

Il va donc commencer par montrer une hiérarchie des besoins, dite « pyramide des besoins ». Notons à ce sujet que Maslow s’est opposé à cette vision sous forme de pyramide – dès le départ ou au fil du temps, il me faudrait retrouver la référence exacte que j’avais découverte pendant mes recherches – en précisant bien qu’il s’agit d’une dynamique (ses étages ne sont pas cloisonnés) : une première couche de besoins est encastrée dans une deuxième, elle-même encastrée dans une troisième, une quatrième et une cinquième, grâce à quoi nous pouvons cartographier « où en est » un individu en termes de besoins. En effet, celui qui a comblé les cinq besoins n’est pas dans le même état que celui qui n’a comblé que les trois premiers. Comme vous pouvez le voir sur le schéma, de ce point de vue, quand par exemple le troisième niveau se met en place, le premier est en train de se construire, ce que ne peut pas représenter une pyramide.

Mais ces besoins, quels sont-ils ? Tout d’abord les besoins physiologiques nécessaires à la survie de l’organisme, puis des besoins de sécurité (corporelle et matérielle), des besoins d’appartenance (par exemple se sentir inclus dans une famille - comme nous peut-être ce matin ? - dans des groupes sociaux, mais aussi des besoins physiques affectifs), des besoins d’estime (s’estimer soi-même, se sentir estimé par autrui, se sentir reconnu) et enfin des besoins d’accomplissement (se sentir au bon endroit, quel que soit l’endroit).

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La première catégorie concerne donc des besoins physiques, les trois suivantes des besoins sociaux, et les quatrième et cinquième ce qu’il va nommer plus tard les besoins « transpersonnels » ; à cet endroit nous ne sommes plus ni dans le « moi » physique, ni dans le « moi social » défini par du « nous », nous sommes dans quelque chose qui est au-delà de cela, qui n’appartient ni au royaume du « Je » ni au royaume du « nous ». Ce que le modèle de Maslow apporte, c’est la démonstration par étude clinique que lorsque les cinq niveaux de besoins sont comblés, tout va bien.

Les « peak experiences »

Quinze ans plus tard, Maslow va travailler sur les peak expériences, les expériences que l’on fait justement quand tout va parfaitement bien (ce qui est quand même rare). Ce qu’il nous dit à partir de sa pyramide hiérarchisée des besoins, c’est que pour qu’apparaissent des peak experiences - des expériences du supraconscient - il faut que les cinq besoins (physiologiques, sécures, appartenance, estime et accomplissement) soient satisfaits. Mes propres recherches m’ont conduit à postuler qu’une autre façon de procéder était possible : éteindre les besoins, comme dans les voies ascétiques où l’on va progressivement éteindre tout besoin d’accomplissement, d’être reconnu (par les autres, par soi-même), d’appartenir, d’être dans l’illusion de sécurité et dépasser la peur de mourir qui se cache derrière les besoins physiologiques du corps. Autrement dit, si je transcende ces cinq niveaux - et cette proposition peut être discutée entre nous - alors je peux aussi accéder à des peak experiences, car éteints ou satisfaits, dans les deux cas les besoins sont comblés, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de manque. Soulignons toutefois ici, comme me le rappelait récemment un anthropologue, que le terme anglais « needs », possède plusieurs sens qui sont mal traduits par le mot « besoins ». « Needs », induit une nécessité plutôt qu’un besoin, ce qui n’est pas un désir mais plutôt un manque.

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Et si quelque chose ne m’est plus nécessaire et bien je ne suis plus dans ce manque de ce quelque chose. Vous voyez la nuance ? Donc, ce dont nous parle Maslow, c’est plutôt de cette notion que j’appellerai personnellement « l’extinction du manque », laquelle peut donc s’atteindre soit en satisfaisant soit en éteignant un besoin. Pour lui, c’est donc quand ce besoin est « comblé » que peuvent émerger des peak experiences.

Que sont les peak experiences ? Ce sont les expériences qu’il liste dans les points suivants :

- La perception d’une unité, - La sensation que l’intérieur et l’extérieur sont parallèles (en miroir) - L’impression que, quoi que je perçoive, ça contient l’univers tout entier - La sensation qu’il n’y a plus d’espace et plus de temps - La sensation qu’il n’y a plus de « moi » - La sensation que ce que je perçois est en rapport avec mon histoire personnelle - La sensation que l’expérience que je fais de ma vie n’est pas liée au

conditionnement social, qu’il y a autre chose que cela - L’attention focale: l’attention se focalise naturellement et spontanément sur

les objets de connaissances, sur l’expérience en cours - La connaissance: le fait d’avoir une expérience de compréhension, passive et

que quelque chose à travers moi comprend - La simultanéité de « tout est abstrait / tout est concret » (par exemple tout est

symbolique et en même temps tout est factuel) - La capacité d’aimer et de ne pas condamner autrui, de compatir et d’accepter

les êtres avec humour plutôt que renoncement - L’absence de classification des êtres, la prise en compte de l’individualité de

chacun - La disparition temporaire mais complète de la peur, de l’anxiété et des

inhibitions - La levée de tous les systèmes de défenses: perte du contrôle, acceptation d’être

différent de l’autre, de complètement s’abandonner dans l’expérience qui est en train de se passer

- Les réactions émotionnelles, quelles qu’elles soient; même la colère, la jalousie « ont une saveur de merveilleux »

- Le sentiment que l’expérience, quelle qu’elle soit, est bonne - au sens de bienveillante ou d’harmonieuse - et souhaitable

- La présence des valeurs E (que je vous présenterai plus loin) - La sensation que l’expérience, même douloureuse, se suffit à elle-même, qu’

« il n’y a rien d’autre à faire » (les taoïstes diraient: « Wu Wei », les tibétains: « ceci est excellent“)

- La répétition de l’expérience qui enrichit l’expérience: plus il y a de peak experiences, plus ça devient vaste et plus ça se stabilise.

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Les « Valeurs E »

Ces expériences sont corrélées à un système de valeurs, lequel n’est pas d’ordre moral ; je vous rappelle que Maslow est un chercheur, que son travail ne s’appuie pas sur des idées philosophiques mais sur la base de questionnaires de psychologie qu’il fait passer à des centaines et des centaines de personnes (Je ne vais pas trop appuyer sur l’aspect méthodologique aujourd’hui, mais vous pourrez retrouver tout cela dans son ouvrage Vers une psychologie de l’Être (« Toward a psychology of being » qui signifie plutôt « vers une psychologie du fait d’exister »).

Voici la liste des quatorze valeurs E, que le manque de temps m’empêche de décrire pour éviter les quiproquos sur les termes :

- valeurs d’intégrité, - de perfection (au sens de complétude), - d’achèvement (au sens d’accomplissement), - de justice (au sens équité), - de vie (au sens de la vie qui évolue et est spontanée, naturelle), - de richesse (au sens de complexité, ce n’est pas la richesse matérielle), - de simplicité, - de beauté, - de bonté, - d’unité, - de facilité (au sens d’absence d’effort), - des valeurs de jeu (dans le sens de légèreté), - de vérité-honnêteté-réalité (être intègre) - et enfin, la valeur d’autonomie (ne pas avoir besoin d’autrui pour que quelque

chose se fasse).

C’est un ensemble de valeurs qui surgissent de manière concomitante aux peak expériences, et qui se développent dans l’individu progressivement, au fur et à mesure qu’il multiplie les peak experiences. Donc si vous faîtes beaucoup de respirations holotropiques, voilà le système de valeurs qui vous attend chers amis !

Une psychologie transpersonnelle

Redonnons au travail de Maslow son contexte. En 1943, il publie la hiérarchie des besoins, puis en 1968, les peak experiences et leurs valeurs E. En faisant ça, il pose de nouvelles bases pour la psychologie des hauteurs, laquelle a déjà été amorcée depuis près de quarante ans par Assagioli. Maslow est un peu embêté car, en bon tenant de la psychologie humaniste, il ne sait pas comment nommer ce qu’il vient de trouver, et qui va bien au-delà de cette psychologie humaniste. Il propose d’abord le terme de « psychologie transhumaniste » puis, je n’ai pas la source officielle mais nous pourrions demander à Stan Grof si l’histoire est vraie,

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Il semblerait que ce soit les discussions entre Stan Grof et Abraham Maslow, qui ont fait surgir le terme de « psychologie transpersonnelle ». Mais au moment où Maslow publie tout cela en 1968, il n’existe aucune topique classique dans la psychologie, la psychiatrie et la psychanalyse pour décrire ou expliquer ses relevés. Donc les données que je viens de vous lister, il ne peut les ranger nulle part, ni dans la topique jungienne, ni dans la topique freudienne. La seule topique dans laquelle il pourrait les ranger c’est la topique d’Assagioli, dans la catégorie supraconscient (car en 1968 le supraconscient est l’unique modèle psychologique occidental permettant de cartographier les données relevées par Maslow). Assagioli lui-même montrera d’ailleurs dans les articles qu’il écrit en 1973 le parallèle étonnamment précis entre ses propres relevés et ceux de Maslow.

Ces peak expériences, qui sont des expériences du supraconscient, Assagioli nous dit que l'on peut y accéder de deux manières :

- un mode descendant : vous êtes dans votre expérience normale et paf!, ça vous tombe dessus ! C’est un mode passif et réceptif, où l’expérience s'impose subitement et brièvement à vous, et vous ne pouvez rien y faire.

- un mode ascendant : nous pouvons apprendre au « Je » à monter progressivement jusqu'au supraconscient, et à y demeurer.

Le mode descendant est donc un mode réceptif que nous connaissons tous dans la vie courante : c'est une apparition subite, soudaine et fugace d'éléments du supraconscient. En voici quelques caractéristiques : des intuitions, une expérience d'imagination, d'illumination, de révélation (ou insight), des expériences d'inspiration, des expériences de création, créativité et subite compréhension (souvent somatisées).

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Voie ascendante vers le supraconscient

Le mode descendant chez Assagioli, ce sont des éléments du supraconscient qui surgissent dans le champ de conscience de manière temporaire, comme un éclair dans la nuit qui nous permet ensuite de voir notre environnement. Je vais détailler cette métaphore personnelle : si je suis par une nuit noire dans la forêt, ou une prairie, que je ne vois rien car je n'ai pas de lumière, mais qu’un éclair surgit de manière fugace, et bien il illumine très brièvement toute la scène. Après, bien que la nuit soit toujours noire, je connais mon chemin parce que l’éclair a laissé une marque dans mon courant de conscience. De la même manière, dans le mode descendant quelque chose d'aussi bref qu'un claquement de doigts surgit du supraconscient dans le champ de conscience, laissant une marque, une imprégnation, dans le corps et dans l'esprit.

Pour le mode ascendant je vais prendre un peu plus de temps parce que, si ce n'est pas très complexe, c'est quand même assez précis. L’idée générale c'est que c'est un processus, assez long, lent, voire un peu douloureux parce qu'il est fait d'épreuves. C’est une montée qui se fait de manière chaotique et impermanente, le champ de conscience et le "Je" vont s'élever progressivement vers le supraconscient.

Voilà quelques aspects de ce que nous allons devenir si nous faisons ce chemin (alors réfléchissez-y à deux fois, parce que si vous faites ce chemin, vous allez devenir cela !) :

- Une perception de la signification et du but de la vie (qui n'a rien d'objectif, c'est une profonde sensation intérieure)

- Une compréhension et illumination - La sensation que tous les problèmes ont une solution potentielle - Une profonde sensation de sécurité intérieure (qu'en termes gestaltistes nous

qualifierions de cessation de l'insécurité fondamentale) - Des sensations d'expansion, de puissance et de joie (puissance au sens d'être

en pleine capacité de son corps) - Un sens aigu du beau, de l'unité et de la sainteté de la vie dans toute situation - Une activité naturelle de contemplation, de communication, c'est à dire

d'empathie - Une très forte sensation d'amour pour autrui et pour toute créature vivante - La personnalité devient rayonnante et diffuse naturellement du bien être aux

autres - Une créativité naturelle - Une intuition naturelle - Une absence de doutes, de peurs et de pulsions agressives.

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Une précision sur l’expression « pulsion agressive » car il y a toujours un quiproquo. Cela ne veut pas dire la suppression de la colère, au sens de « capacité à réagir vivement » – comme lorsqu’il faut protéger un enfant sur le point de se blesser et qu’on crie « non » pour le protéger par exemple - mais il s’agit plutôt ici de la suppression des intentions malveillantes, de l’intention consciente ou inconsciente de nuire.

Pour suivre cette voie ascendante, Assagioli va nous donner quatre repères :

- Des motivations - Une préparation - Des dangers potentiels - Et des étapes (puisque c'est un processus)

Quelles motivations pourraient vous mettre en route vers le supraconscient ? Assagioli répond : une envie de pouvoir, une envie de fuir vos problèmes ou de vous distraire, une fascination pour l'inconnu ou pour le risque et l'aventure ou pour les expériences du supraconscient. S’il promet des moments difficiles à ceux qui se trouvent dans les trois premiers cas de figure, Assagioli estime que dans le dernier cas les choses devraient mieux se passer. Rappelons-nous ici que dans toutes les traditions chamaniques / spirituelles, il nous faut longuement travailler sur notre intention avant de faire des expériences supraconscientes ou transpersonnelles.

Du point de vue d'Assagioli, la voie ascendante nécessite une préparation - il parle d'alpinisme psychologique - à la fois mentale et physique. J'insiste sur le physique, parce que si vous avez un corps qui n'est pas en état, la somatisation risque d’être sévère. Un corps en bon état, cela dépasse l'alimentation, le sport, le yoga, c'est aussi avoir bien travaillé sur les niveaux inconscients inférieurs, parce que si vous essayez de faire de l'ascension vers le supraconscient en vous traînant des traumas non-résolus, des introjects relationnels toxiques non-traités, etc, en montant ils vont fortement s’amplifier. Et voilà comment l'ascension du mont blanc peut tourner au cauchemar ! Donc il faut une bonne préparation psychophysique. Pour la suite de la préparation, il faut disposer d’une carte du chemin, ce que nous fournissent les mythes, les biographies des saints et des sages, ou encore les instructions données par les guides spirituels (guides dont l’authenticité doit être avérée ; sur ce point par exemple les tibétains nous proposent ceci : " avant de t'en remettre au maître, observe le pendant dix ans "). Enfin, se préparer c’est effectuer une synthèse préalable des éléments inférieurs et moyens, ce que permet simplement le fait d'être suivi en thérapie.

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Qu'est ce qui pourrait faire de cette voie d'ascension une entreprise dangereuse ? Selon Assagioli :

- Une mauvaise évaluation de l'expérience, c'est à dire considérer ces expériences comme étranges, anormales, pathologiques. Car si nous, ou un psychiatre, commençons à les considérer ainsi nous allons introjecter l'idée que ces expériences sont des manifestations psycho-pathologiques. Or plus nous en faisons, plus elles arrivent, ce qui nous conduira à croire en un développement de psychopathologies, ce qui serait faire une mauvaise évaluation de l'expérience.

- Une mauvaise compréhension de l'expérience, ce serait décoder l'expérience avec une grille de lecture erronée (dans le bouddhisme tibétain on parle par exemple de "vues philosophiques erronées "). Pire encore, ce serait une compréhension erronée de l'expérience à partir de grilles de lecture pathogènes. Prenons un exemple un peu simpliste: des parisiens qui reviennent du Pérou, où ils ont pris beaucoup d'ayahuasca et où ils ont commencé à introjecter des grilles de lecture animistes, et qui se font attaquer par les esprits chez eux à leur retour. Nous avons là une grille de lecture devenue pathogène. Je n’entends pas par-là que la grille de lecture animiste est pathogène en soi, mais que dans cet exemple elle l’est devenue pour un individu parisien matérialiste ou un peu dualiste. Introjecter l'idée qu'il y a des esprits négatifs pourrait le porter à se croire attaqué par des démons dès que son environnement lui semble inconfortable ou hostile. Sur ce sujet, je vous renvoie aux travaux du docteur Jacques Mabit et aux controverses anthropologiques sur son travail.

- L'intensité de l'expérience, parce que si l'expérience est trop intense, trop forte d'un coup et qu'elle n'est pas accompagnée, cela peut perturber l'équilibre psychologique préexistant. C'est pour cela qu’Assagioli propose d'y aller tranquillement, étape par étape. C’est aussi pour cette raison qu’en psychothérapie, lorsqu’on reçoit quelqu'un qui recherche "LA grande expérience ou illumination", on travaille d’abord avec lui son sentiment de toute puissance pour réguler le fait qu'il est dans le "tout ou rien " (j'espère en tous cas que nous le faisons).

En résumé, qu’avons-nous vu ? Que pour le mode ascendant il faut regarder les motivations, se préparer à l’ascension, être clair sur les dangers potentiels et enfin savoir qu’il s’agit d’un processus de transformation. Pour Assagioli, en 1933 dans son article Le développement spirituel et les troubles neuropsychiques, ce développement se compose de cinq étapes : ce sont des crises qu’il situe avant, pendant et après l'éveil. Nous pourrions dire que les deux premières - qui viennent avant et pendant l'éveil – renvoient aux MPF II de Grof (sensations de "sans issue"). Les crises qui suivent ces sensations – souvent désagréables - d'avoir reçu un appel à s'éveiller ou d'être pris dans un processus de transformation nous renvoient à la troisième

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matrice (" le combat mort -renaissance "). Enfin, « la nuit obscure de l'âme » implique de lâcher prise, alors que nous ignorons comment faire. Nous sommes ici sur la fin de la troisième matrice fondamentale : il faut s’abandonner, accepter le combat, mourir. Ce n'est pas très drôle, pas très engageant ni agréable, mais si on traverse cette phase nous arrivons à la quatrième matrice, à la fin du processus : la résurrection (l'arrivée de la lumière).

Si la correspondance entre les étapes du mode ascendant vers le supraconscient décrites par Assagioli et les quatre matrices périnatales de Grof est assez claire, je vous rappelle qu'en 1933, Stan Grof n'a rien écrit sur les matrices périnatales fondamentales … puisqu'il est tout petit à cette époque -là !

Avec ses deux modes d'accès au supraconscient s'appuyant sur quatre points (motivations, préparation, dangers et processus), Assagioli est donc en train de poser les bases de ce que nous voyons aujourd'hui développé par, par exemple, Stan Grof ou Ken Wilber.

Accompagner les crises psycho-spirituelles

Distinguer clairement psychopathologie et crise psychospirituelle est essentiel, parce que si on ne fait pas la différenciation entre les deux, il n’est pas possible d’accompagner un individu pris dans une crise psychospirituelle autrement que par le traitement nécessaire pour les psychopathologies. Le risque est de le gaver d'anxiolytiques et de neuroleptiques, alors que ce dont celui-ci a besoin, c'est d'un accompagnement pour les phases de processus dans lequel il se trouve. De là l’importance d’un accompagnement de l'ascension vers le supraconscient pour garder un bon équilibre psychologique dans les démarches spirituelles. Roberto Assagioli, propose ici plus que de simples recommandations puisqu’il dispose d’un programme et même une méthodologie d'accompagnement, que je vais rapidement vous présenter. Comment accompagner en effet un individu qui est pris dans ces processus ? Commençons par écouter ce qu’il raconte - pour voir si cela correspond à ce que d’autres ont raconté avant lui de ce processus - ou par rechercher s'il est de plus en plus pris par des expériences supraconscientes descendantes (des irruptions du supraconscient), puis utilisons des techniques appropriées à ce qu'il est en train de vivre. Ici les anxiolytiques peuvent être parfois utiles pour calmer, mais pas toujours : sur ce point rappelons qu’Assagioli, comme Jung, était médecin.

Afin de comprendre ce qui se passe pour la personne, nous pouvons recourir à des questionnaires et entretiens pour analyser, évaluer, classer. Faire de la prévention, c‘est à dire prévenir sur les dangers du processus pour que la personne n’en soit pas surprise, est essentiel. Enfin, il convient de déterminer les meilleurs moyens d’accompagner la personne en crise, avec un thérapeute formé qui pourra la suivre sur le long terme (nous ne sommes donc pas ici dans la famille des thérapies brèves).

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Vous trouverez la méthode d’accompagnement de la voie ascendante d’Assagioli, dans une compilation d’articles de différentes époques - de 1931 à 1973- qui s’appelle Le développement transpersonnel. Nous pouvons la résumer ici en quatre points :

- Dans le cadre de l’accompagnement à deux, praticien et accompagné : comprendre et interpréter ce qui se passe pour la personne ; c’est extrêmement soulageant pour une personne prise dans ces processus d’entendre un professionnel lui dire : « non, vous n’êtes pas fou et d’autres ont fait le chemin avant vous »,

- amener la personne à assimiler et intégrer les contenus par des méthodes appropriées,

- la voie dite « morale-régénérative » (le terme n’est pas bien défini),

- passer la phase équivalente à la MPF3 de Stan Grof, avec par exemple la respiration holotropique, l’hypnose …etc.

Concernant la mise en action de la voie ascendante, on répondra à la question « que vais-je en faire avec autrui et sur moi ? » par des actions type karma-yoga : actions de service, d’aide aux autres, d’action sociale, et orientées vers le collectif.

Ce que ce modèle en différentes phases transformatrices nous montre, c’est à quel point accompagner quelqu’un implique et demande d’être cartographié.

Le processus de transformation est l’expérience qui pose le plus de problème car l’individu se dit : « je ne suis plus celui que j’étais avant mais je ne suis pas encore celui que je vais être après, donc je ne sais plus du tout ce que je suis, tout est en train de bouger pour moi et je ne comprends plus le monde tel que je le comprenais avant » ; ceci est très déstabilisant. Nous retrouvons ici les mêmes idées que pour les autres expériences : informer l’individu sur ce qui se passe pour lui, lui apprendre à être en relation avec les éléments de l’inconscient inférieur, à accepter les somatisations qui sont liées au processus (somatisations de terreur mais aussi d’illumination, de beauté). Il faut bien apprendre à transformer les énergies et les émotions, à maintenir le flux des éléments du supraconscient (en psychothérapie gestaltiste nous parlerions de les « contenir ») ; en réalité, c’est très physique (Stan Grof parle de « bodywork », de travailler sur le corps). Il faut alors guider la personne dans la reconstruction de sa personnalité, ce qui implique d’avoir fait le chemin soi-même, sinon nous pourrions l’emmener dans le mur dans lequel nous nous apprêtions à taper nous-mêmes ! Enfin, quand une expérience est difficile – par exemple la deuxième matrice de Grof - rappelons-nous bien que toute chose finit par s’arrêter.

Tout cela nous amène en synthèse à bien différencier deux types d’accompagnements :

- La psychothérapie classique: l’accompagnement de personnes qui ne sont pas prises dans ces processus de transformation

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- La psychothérapie transpersonnelle: l’accompagnement de personnes sont prises dans ces processus de transformation

III. N’exclure ni l’ombre ni la lumière

Cette troisième partie est une proposition personnelle : n’exclure ni l’ombre ni la lumière.

A nouveau, je vais essayer de redonner le contexte historique de cette conférence. Tout d’abord, prêtons attention au fait que le système d’Assagioli est un système dualiste gnostique. Dualiste, au sens où il sépare le corps et l’esprit, et gnostique : qui renvoie à ceux qui cherchent l’illumination par le rejet du mal.

Rappelons-nous que si la psychologie, au début du 20ème siècle, est aussi scientifique et rationnelle, c’est parce qu’elle se définit par opposition à ce qui s’est passé au 19ème siècle, c’est-à-dire les mouvements spirites, théosophiques, religieux, et les spéculations métaphysiques. Pour les tenants de la psychologie du début du 20ème siècle - tels que Pierre Janet, Théodule Ribot, Sigmund Freud et j’en passe - ces approches ne permettent pas d’aider les gens qui sont en souffrance psychophysique, ils vont donc chercher autre chose du côté de la raison. Le problème, c’est qu’ils n’ont proposé aucun cadre pour l’étude d’un psychisme sain, ni pour les expériences spirituelles ou les expériences de type parapsychologie, intuition, etc . Dans les années 1930, Assagioli réagit donc à son tour à ce système, érigé en réaction à un autre système préalable, en proposant sa psychologie des hauteurs, là où la psychanalyse naissante ne peut pas investiguer. Mais des années 1930 aux années 1970, sa position va rester fixe, sa pensée n’évoluera plus : il ira chercher ce qui confirme son système et il ne s’intéressera pas aux innovations de la psychologie telles que le comportementalisme, le début des TCC, le travail d’ anthropologues comme Gregory Bateson, le travail des premiers fondateurs de la Gestalt-thérapie (Fritz Perls et Goodman, etc)... Evidemment cela va amener des critiques - critiquer ne voulant pas dire condamner, mais réfléchir - , les assagioliens réfléchissant à leurs propres pratiques et essayant de la faire évoluer en la questionnant. John Firman, un des principaux étudiants d’Assagioli et promoteur de son travail avec sa compagne Ann Gila - ils ont publié ensemble d’excellents articles résumant les concepts et les pratiques d’Assagioli dans les années 2000 - rédige dans les années 1990 un ouvrage visant à montrer les limites du système assagiolien, en indiquant notamment que son idéologie dominante est l’idée qu’il y a un Corps-Je, différent d’un esprit qui est le Grand-Soi, lui-même enfermé dans le corps, identifié au « Je », et devant s’en libérer. L’apriori d’Assagioli c’est qu’il y a une séparation entre le corps et l’esprit, et entre le Je, le corps et l’esprit ; il rejette donc les processus de l’inconscient inférieur, le corps, tout ce qui tient de l’hérédité, des injonctions, etc. A l’inverse, il favorise les processus de l’inconscient supérieur, le but de la vie étant selon lui de s’établir dans l’inconscient supérieur, dans l’amour, la paix, la félicité.

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Pour Assagioli, l’inconscient inférieur – je vous cite toujours John Firman – « (…) ce sont des processus primitifs à purifier et dont il convient de se libérer » et « la réalisation exclue le corps, les pulsions et le passé ». A cela les néo-assagioliens comme Firman répondent que l’accompagnement thérapeutique pourrait peut-être unifier l’identité, le corps et l’esprit plutôt que de les séparer.

Dans cet inconscient inférieur Assagioli place également l’ombre théorisée par Jung. En plus de dégager le corps et le passé, il proposer d’enlever les émotions difficiles (par exemple : l’anxiété, l’abandon, la rage), de ne pas travailler les contenus traumatiques, et voit dans la construction de l’identité une grande illusion. Dans sa pensée, l’inconscient supérieur étant idéalisé, il encourage à favoriser l’amour, la joie et la beauté, la création artistique, la recherche de sublimation et l’envie de s’arracher à toute notion d’identité (rappelons que l’identité c’est principalement se définir par rapport à l’interdépendance avec le champ social). Encore une fois mon propos n’est pas de dire que cette approche serait erronée en soi, mais d’en montrer des limites, sachant notamment que ces aprioris finalistes ne sont pas indiqués dans ses livres comme étant sa philosophie et ses aprioris personnels. Jung, lui, propose au contraire d’intégrer l’« Ombre » et l’inconscient inférieur. Chez Assagioli nous trouvons donc une voie de réalisation spirituelle, et chez Jung, une voie d’individuation. Chez Assagioli la vision est dualiste et gnostique, chez Jung - bien qu’on lui prête parfois des aspirations religieuses qu’il nie dans ses écrits - c’est une voie agnostique et non-dualiste (pas de différence entre corps et esprit, ni entre le bien et le mal).

Les post-assagioliens comme Franck Haronian vont donc bricoler un peu tous ces matériaux de base pour montrer des dynamiques particulières, je vous le dis rapidement car je me suis dit en préparant cette présentation que cela allait beaucoup vous intéresser. Evoquons donc brièvement, deux personnes qui n’étaient pas prévues au programme aujourd’hui :

Robert Desoille, un ingénieur qui fait pratiquer du rêve éveillé dirigé à de nombreuses personnes en relevant ce qui s’y passe, et observe en 1945 que ce qu’il constate pourrait être décrit en combinant la topique freudienne et la topique jungienne. Vingt-deux ans plus tard, en 1967, Franck Haronian, un disciple d’Assagioli, modélise cette hybridation des topiques jungienne et freudienne proposée par Desoille, dans un schéma ovale inspiré du modèle d’Assagioli. Nous y voyons alors réunis le Ça freudien, le Soi jungien, le Moi, et le Surmoi freudien ainsi que l’inconscient personnel pris dans un inconscient collectif. Avec cela, il va pouvoir montrer des dynamiques particulières, que personne avant lui n’a pu modéliser : par exemple que le moi n’est pas seulement pris entre le Ça et le Surmoi, mais aussi entre le grand Soi transpersonnel (supraconscient) que Desoille nomme « le sublime », et les tendances qu’il nomme « primitives » (les pulsions, le Ça). En d’autres termes, le « moi » est pris entre le corps, le passé hérité et les injonctions sociales d’un côté, et l’envie de s’en libérer et d’aller dans « le sublime » de l’autre côté.

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Or cette idée-là va nous permettre de montrer de nombreux mécanismes dans lesquels sont parfois prises les personnes qui viennent nous voir en thérapie, par exemple :

- Un conflit entre le Soi et le « Je »: le « Je » va essayer de se défendre contre le Soi et le sublime, et de se défendre contre l’inconnu, puisque l’expérience d’amour/félicité/joie/abandon, quand on ne l’a pas faite, reste une expérience inconnue – dont le « Je » cherche à se préserver.

- Un conflit entre le Soi et le Ça: S’il y a un conflit à cet endroit-là, il peut y avoir une alliance entre le Ça et le Surmoi, ce qui du point de vue freudien est vraiment révolutionnaire! C’est-à-dire que les cadres sociaux et les pulsions vont s’allier contre les expériences transpersonnelles, contre le sublime, contre l’amour, la beauté, l’union, la communion, etc. Si vous commencez à faire émerger ces expériences-là en accompagnement, vous générez une alliance entre le Ça et le Surmoi là où d’habitude l’individu est pris dans leurs conflits incessants, ce qui crée un super accélérateur thérapeutique. De ce point de vue-là - et je dis bien de ce point de vue-là - le transpersonnel peut faire retravailler ensemble le champ social et les pulsions corporelles.

- Enfin, dans cette alliance entre le Ça et le Surmoi, le Surmoi va se transformer en gardien du seuil, c’est ce que vous trouvez dans les expériences visionnaires, rêves éveillés dirigés, etc. Phénoménologiquement, il prend alors souvent la forme de quelque chose dans les cieux d’assez terrifiant, qui dit: « Tu ne passeras pas! » (un dragon, des langues de feu qui descendent du ciel et qui vous attaquent, etc). De ce point de vue, ces empêchements d’élévations sont l’expression du Surmoi. Donc si vous voulez travailler avec, et bien vous pouvez rentrer dans ces phénoménologies et en faire quelque chose de dynamique, par des techniques dialogiques par exemple (dans tous les cas je vous recommande fortement de ne pas travailler contre!).

Parvenus à la fin de ce point, faisons un récapitulatif et disons pour simplifier que :

- Les objectifs freudiens sont de réintégrer les contenus de l’inconscient inférieur (descentes dans les traumas pour s’en libérer et défaire l’opposition du Ça et du Surmoi qui comprime l’individu).

- Les objectifs d’Assagioli sont de se libérer des inconscients inférieur et moyen, et d’activer l’inconscient supérieur.

- A mon propre point de vue: ces deux voies se complètent. - Les objectifs de Maslow sont de combler les besoins – il faut en tenir compte,

y compris les besoins physiques - et de déclencher un maximum de peak experiences.

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- Les objectifs de Jung sont de réintégrer tous les contenus inconscients dans le champ de conscience pour s’individuer: Papa, Maman et ma civilisation avaient des projets pour moi … mais moi j’ai d’autres projets pour moi-même!

En travaillant de manière intégrative, il est possible de faire de l’accompagnement en faisant des allers-retours entre tous les niveaux (par exemple, aller de plus en plus profondément dans les traumas, revenir dans du transpersonnel, comme dans les cérémonies chamaniques, dans les voies alchimiques et dans de nombreuses autres voies).

Si nous résumons encore, Freud propose de réintégrer les matériaux refoulés mais il exclue le spirituel, Jung nous propose de réintégrer nos ombres et les archétypes mais il exclue l'environnement surmoïque (c'est à dire le champ social), Assagioli nous propose de réintégrer le supraconscient mais il exclue l'inconscient inférieur, et tout cela nous amènera surement vers la suite de cette matinée, c’est-à-dire vers une psychologie intégrative, qui est ma conclusion.

Allons-nous vers une psychologie intégrale ? Je propose en conclusion que notre psychothérapie transpersonnelle va peut-être évoluer vers une psychologie moins dualiste, peut-être non-dualiste, dans laquelle nous pouvons réincorporer tous nos différents aspects, ce que l'on voit par exemple dans les travaux modernes d'Isabelle Padovani (M.A.I.), de Richard Schwartz (I.F.S.), de Gilles Deslile (P.G.R.O.).

Ces diverses approches proposent de ne plus définir une voie de développement personnel par l’exclusion de certains aspects de nous-mêmes au profit d’autres aspects privilégiés, mais au contraire d’intégrer tous les aspects de soi-même à égalité. Ce qui n'est pas facile, parce que cela nous met en lien avec nos ombres et avec une grande acceptation, là où nous voudrions tellement que le monde soit autrement que tel qu'il est !

Pourtant c'est peut-être le modèle vers lequel nous allons. Finalement, nous pourrions y voir qu'il n'y a ni ombre ni lumière, qu'il n'y a rien à favoriser et que c'est pour cela qu'il n’y a rien à rejeter, et rien à craindre. C'est un modèle non-dualiste qui est présent dans les traditions psychologiques, que nous appelons souvent spirituelles : dans le bouddhisme mahayana, dans le taoïsme, ou encore dans le chamanisme nord-américain. Je propose de discuter cette idée entre nous cet après-midi : les voies non-dualistes pourraient-elles être le futur de notre psychologie transpersonnelle et intégrale ? C'est une question ouverte. Je vous laisse ici ma bibliographie, et je vous remercie pour votre patience et votre attention.

Cyrille Champagne, Paris, le 24 Mars 2018.

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Bibliographie (en gras : principaux articles ou ouvrages recommandés)

Assagioli, Roberto : Psychosynthèse : principes et techniques (recueil d’articles compilé en 1973) : - Psychologie dynamique & psychosynthèse (1931, 1959) - Réalisation de soi et troubles psychiques, (1937) - Exercices de dés-identification et d’auto-identification (1931-1973) - Jung & Psychosynthesis, (1966) - Introduction à la psychosynthèse transpersonnelle (spirituelle) (?- 1973) Le développement transpersonnel (recueil d’articles compilé en 1988) : - Télépathie verticale, 1930 - Développement spirituel et troubles neuropsychiques, 1933 - Les symboles des expériences transpersonnelles, 1965 - Supraconscient et création artistique, 1969 - L’ascension intérieure, 1970 - Expansion de la conscience : exploration et conquête des mondes intérieurs, 1972 - Le supraconscient, 1973 - L’inspiration transpersonnelle, 1973

Act of will, 1973

Brown, Michael : A Psychosynthesis 12-Step Program for Transforming Consciousness, 2001 Champagne, Cyrille : ARCHE Hypnologie, cycle 2015-2016 ARCHE Hypnologie : « Psychosynthèse et psychodynamiques comparées », 2016 Desoille, Robert : Exploration de l’affectivité subconsciente, 1938 Le rêve éveillé dans la psychothérapie, 1945

Eliade, Mircea : Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, 1951 Ferrucci, Pierro : What we may be, 1982

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Freud, Sigmund : A note on the Unconscious in Psychoanalysis, 1912 Das Ich und das Es, 1923

Firman John: I & Self, Re-visionning psychosynthesis, 1991 Assagioli’s seven core concepts for psychosynthesis training, 2007

Grof, Stanislav : Pour une psychologie du futur, 2000

Harner, Michael: Hallucinogens and shamanism

Haronian, Franck: The repression of the sublime (dans Synthesis vol 1, 1974)

Jung, Carl Gustav : Les types psychologiques, 1921 Dialectique du moi et de l’inconscient, 1933 Essai d’exploration de l’inconscient, 1964 Maslow, Abraham : Neurosis as a failure of personal growth, 1966 Toward a psychology of being, 1968 Vargiu, James : Subpersonalities (dans Synthesis vol 1, 1974)

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LES APPORTS DE STANISLAV GROF A LA PSYCHOTHERAPIE TRANSPERSONNELLE

Psychologue, psychothérapeute et psychopraticienne, Bernadette Blin a suivi la voie type des acteurs du transpersonnel : issue de l’académie, formée à de nombreuses méthodes humanistes, elle a mis en perspective ses acquis puis les a enrichis grâce à son cheminement spirituel. C’est donc sans surprise que nous la trouvons à l’origine du Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle, après avoir co-fondé le GRETT et accepté le mandat de présidente d’Eurotas.

Il était tout aussi évident de lui confier l’épineuse tâche de présenter celui que l’on ne présente plus, et dont les travaux constituent une véritable révolution – sans doute au même titre que ceux de Freud en son temps – le Dr Stanislav Grof. Se définissant comme clinicienne avant tout, c’est sous la forme d’un témoignage de sa relation professionnelle et amicale avec lui que Bernadette a partagé avec l’auditoire de cette première journée d’étude sa réflexion sur l’œuvre de Grof. En voici une version adaptée au format « cahier ».

*

Je suis une élève directe de Grof. Cela fait plus de trente ans que je le connais, que je travaille avec lui - je l’ai fait venir en France de nombreuses fois - et j’éprouve une immense gratitude pour tout ce qu’il a fait et qu’il m’a transmis. Quand je l’ai revu récemment, il a ri quand je lui ai dit : « je suis la fille qu’aurait eu Stan Grof avec Richard Moss » (une autre personnalité importante du travail sur la conscience, avec lequel j’ai parcouru un long chemin spirituel). D’autres personnes ont été importantes dans mon parcours, mais je crois que tous les deux ont déterminé mes choix professionnels et mes orientations de vie. Je me reconnais comme faisant partie de leurs lignées et je leur suis infiniment reconnaissante.

Quand Stan est venu en 2012 pour donner un séminaire sur « La mort et le mourir », quelqu’un dans l’assistance m’a dit : « Pour moi rencontrer Stan Grof aujourd’hui, c’est comme si à son époque j’avais été en présence de Jung, j’ai l’impression de vivre quelque chose d’un peu historique ». Et il est vrai que, comme Wilber dont il est l’aîné, Grof est toujours vivant, contrairement aux « pères transpersonnels » dont nous avons parlé précédemment. Il porte bien ses 87 ans et a redémarré une nouvelle vie de couple depuis 2 ans. Il a une vitalité incroyable et j’espère qu’il va pouvoir rester dans cette énergie-là et continuer à nous apporter ses compréhensions et enseignements. Il va d’ailleurs venir en France en décembre 2018 animer un séminaire de Respiration Holotropique.

S’il est clair que Grof s’inscrit dans une continuité par rapport à Jung, Assagioli et Maslow, je vais tout de même tenter un peu d’historique pour ceux qui ne le connaissent pas. Psychiatre lui aussi, il est né à Prague en République Tchèque en 1931, où il a connu deux dictatures, d’abord le nazisme puis ensuite le communisme.

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Quand il était interne en psychiatrie il s’est passionné pour la psychanalyse qui ne pouvait se pratiquer er s’étudier que « sous le manteau » à cause du joug communiste. Il a alors pensé que cette discipline pouvait sauver l’humanité, nous permettre de mieux nous comprendre, nous révéler, nous réaliser. Puis, il s’est rendu compte que dans la mise en pratique ce n’était pas si extraordinaire que ça, que finalement Freud n’avait peut-être pas couvert tout le champ, et que les promesses de sa discipline étaient un peu illusoires. C’est dans ces années-là, les années 50, qu’est arrivé un jour dans son laboratoire un médicament - envoyé par le laboratoire suisse Sandoz - à tester sur les patients et qui s’appelait LSD25. Comme c’était un médicament qui avait des effets assez particuliers, on avait demandé à son équipe de bien vouloir commencer l’expérimentation sur les soignants avant de l’administrer aux patients. C’est de cette façon qu’il a vécu sa première expérience d’ouverture de conscience, avec le LSD. Il ne savait vraiment pas à quoi s’attendre ! Hoffmann, qui l’avait synthétisé, savait lui, mais il trouvait important que les personnes qui allait accompagner des gens dans un processus avec du LSD aient eux-mêmes l’expérience de ce que ces derniers allaient vivre. Et là, l’expérience vécue par Grof a été une expérience de transformation radicale, c’est-à-dire que pendant les quelques heures qu’a duré l’expérience, sa vie, sa vision du monde et sa compréhension ont basculé, c’est le genre d’expérience où on ne peut plus revenir en arrière. Il a donc été obligé de faire une révision complète de tout ce qu’il croyait être vrai et de tout ce qu’il imaginait qu’il fallait - ou devait - faire dans l’accompagnement des patients psychiatrisés, voire psychotiques. Voilà comment les choses ont commencé pour lui, c’était un peu le « hasard » dans le sens qu’il ne l’a pas cherché, mais c’est venu à lui et il a répondu positivement. Puis il s’est lancé dans des programmes de recherches, a accompagné de très nombreux patients ou sujets prêts à vivre ces expériences. Il a ainsi compilé et analysé plus de 4000 séances sous LSD d’où il tirera ensuite son élaboration théorique sur les matrices périnatales et les systèmes COEX.

Il a été invité à venir aux Etats-Unis à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’on lui demande de s’y installer en 1967, pour prendre la direction d’un laboratoire de recherches et enseigner à l’université de Baltimore (Michigan). Il y est resté, car il a compris avec les événements de 1968 à Prague qu’il ne reviendrait pas dans son pays d’origine si les conditions ne changeaient pas.

Pour moi, Stanislav Grof est plus un chercheur qu’un clinicien : dans sa manière d’aborder les choses et de vivre aussi, c’est quelqu’un qui fait de la recherche, de l’élaboration, de la théorie, qui a une connaissance encyclopédique phénoménale et qui sait mettre les divers éléments en relation et faire des synthèses innovantes. Il a théorisé à partir de ces matériaux, il a en particulier réalisé dans ses programmes de nombreux accompagnements de personnes cancéreuses en stade terminal et proches de la mort. Ses résultats ont été extrêmement intéressants et les gens vraiment apaisés face à la mort suite à ces séances. Il a aussi accompagné des patients toxicomanes, surtout alcooliques, avec des résultats assez significatifs là encore. Il a écrit plus d’une vingtaine de livres traduits dans de nombreuses langues.

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Ce qu’il faut retenir, c’est que son élaboration théorique, sa contribution à la connaissance de la psyché s’est faite à partir de son matériel clinique.

Puis, du fait que le LSD a eu une carrière inattendue dans la rue, auprès du grand public, les Etats-Unis l’ont interdit en 1973, et du jour au lendemain tous les programmes de recherche ont été stoppés. Ce fut un moment plutôt difficile pour Grof, évidemment, car ses recherches étaient assez prometteuses. Comme il avait fait beaucoup de recherches croisées, telles l’étude du chamanisme, les rituels de passages, les différentes techniques de souffle, la variété des processus utilisés dans les sociétés traditionnelles pour favoriser la modification de l’état de conscience, il a fait preuve, avec sa femme de l’époque Christina, d’une créativité extraordinaire en mettant au point une nouvelle méthode, la Respiration Holotropique. Pratiquée aujourd’hui dans beaucoup de pays du monde, nous pourrions dire qu’elle peut être en continuité avec thérapies psychédéliques, même si évidemment il y a des différences et qu’aucune substance externe n’est utilisée. Donc à partir de 1973, il a travaillé sur cette élaboration-là, tandis que dans le domaine des recherches psychédéliques ce fut le désert, le silence absolu, malgré toutes les perspectives que j’ai évoquées précédemment, sur les personnes en situation d’alcoolisme (notamment aux Etats-Unis, Canada, etc.). Ceci n’a pas empêché le travail psychédélique de continuer à se développer, mais de façon souterraine. Puis sont arrivées d’autres substances dans des pays étrangers où cela pouvait se pratiquer - comme l’ayahuasca, l’Iboga, les champignons hallucinogènes, mais cela est resté marginal puisque c’était officiellement interdit dans les pays où il y avait les ressources financières et scientifiques pour faire de la recherche. C’est en train de changer aujourd’hui ; on pourrait dire qu’on assiste à une véritable résurgence, une renaissance de ces méthodes thérapeutiques, et je pense que d’ici deux ans on devrait voir aux Etats-Unis une légalisation d’un certain nombre de substances dans le cadre d’une utilisation thérapeutique, notamment pour l’accompagnement des personnes en état de stress post-traumatique, qui est un véritable problème de santé publique là-bas. En effet, on arrive à trouver des solutions assez intéressantes et rapides avec l’utilisation de certaines substances psychédéliques.

En préparant cette intervention, je me suis posé la question : « Qu’est-ce que Grof a apporté de nouveau, au niveau de la conceptualisation, mais pas seulement, par rapport à Jung, Maslow et Assagioli ? ».

1- L’importance de la naissance dans la structuration psychique

Pour cela, je suis repartie du pourquoi j’ai été amenée à le rencontrer il y a 30 ans.

J’avais été initiée au LSD par un médecin psychiatre mexicain connu d’un certain nombre d’entre nous dans les années 70, et moi aussi j’avais eu cette expérience d’une ouverture radicale, ce quelque chose qui fait que le voile se déchire et qu’on

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voit enfin que ce qu’on appelle la réalité en cache une autre plus profonde qui peut nous initier aux mystères du vivant. Mais c’était interdit en France, et pour continuer cette exploration, cette recherche, j’ai eu une intuition. Il se trouvait que j’avais une formation en bioénergie et je me suis dit qu’avec les techniques de souffle, on devait pouvoir s’approcher du même type d’expériences. J’ai donc voulu expérimenter le Rebirth, qui venait tout juste d’arriver des Etats-Unis (d’Esalen) par l’intermédiaire de Dominique Levadoux, du fait de ce pressentiment que le souffle devait permettre d’accéder à des états de régression ou d’ouverture de conscience.

Dans les thérapies que je faisais à l’époque (fin des années 70), je me suis posé la question « Mais en fait, c’est quoi l’événement le plus important de notre vie ? ». Je ne sais pas pour vous, mais pour moi la réponse évidente a été « c’est ma naissance ; c’est le moment fondateur, fondamental, et on ne sait rien de ça ! » Donc j’ai commencé à observer, je pressentais qu’il y avait là une clé… A mes patients, je posais des questions, la plupart ne savait pas - ou savait parfois seulement ce qu’on leur avait dit - et puis j’ai commencé à avoir des gens qui revivaient des épisodes étranges, comme des strangulations, des étouffements, des peurs de l’enfermement… Je me souviens par exemple de cette patiente qui m’a envoyé ce message suite à une séance : « J’ai demandé à ma mère et elle m’a confirmé que j’avais le cordon autour du cou quand je suis née ». Elle ne le savait pas mais on corps, lui, en avait gardé la mémoire, la trace. Je me suis demandé comment permettre aux gens de travailler sur leur naissance et j’ai cherché qui en avait parlé dans la littérature psy ? ». J’ai commencé à faire des recherches et c’était plutôt le désert, à part Otto Rank qui en avait un peu parlé. Il avait pressenti lui aussi l’importance de la naissance mais il n’avait pas eu de moyens pour travailler dessus. Quand j’ai découvert le premier livre de Grof traduit en français, je me suis dit : « Voilà, c’est là que je dois chercher, il faut que j’aille rencontrer ce monsieur ». Là était mon intérêt initial, aller rencontrer quelqu’un qui parlait de la naissance, qui reconnaissait l’importance de la naissance sur le développement psychique de l’individu, et qui ouvrait un accès à quelque chose qu’on ne savait pas forcément bien nommer. Il m’ouvrait une porte, un chemin extraordinaire et qui permettait de faire se rencontrer ces 2 motivations : travailler avec le souffle et l’importance de la naissance.

Voilà comment j’ai été amenée à rencontrer Grof, puis à suivre son enseignement aux Etats-Unis, en Californie.

Pour en revenir à cette élaboration théorique qu’il a faite, je tiens à rappeler qu’il s’est appuyé sur quatre mille séances pour parvenir à observer les répétitions, les éléments qui revenaient régulièrement et qui lui ont fait penser qu’on pouvait en tirer une modélisation qui lui ont permis de proposer une nouvelle cartographie de la psyché qui intégrait à la fois le vécu de la naissance et de la vie intra-utérine et la dimension transpersonnelle.

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Lors de ma formation avec lui, Grof a toujours eu l’honnêteté de dire : « Le modèle que je vous propose ce n’est pas LA vérité, c’est simplement un modèle (on parle du paradigme transpersonnel)2, qui aujourd’hui me paraît le plus opérant ». Donc ce n’est pas LA vérité, et il ajoutait : « Si un jour quelqu’un ou une équipe trouve un autre modèle qui est plus fiable, qui rend mieux compte encore de cette réalité-là, c’est très bien ». C’est ce qu’il disait, et je l’ai toujours pensé sincère quand il disait cela.

Ce que j’ai aussi beaucoup apprécié dans le fait de travailler avec ce « découvreur » – Assagioli a fait un peu la même chose – c’est qu’il a proposé en même temps une articulation théorique, des concepts, une compréhension, une vision, et également des outils, ici l’utilisation thérapeutique des substances psychédéliques puis son articulation avec la respiration holotropique qui a suivi et a ouvert des champs passionnants dans le travail thérapeutique.

Pour revenir à cette question de quels sont les apports de Grof suite à Jung, Maslow et Assagioli, dont on nous a parlé précédemment, j’ai listé plusieurs autres points :

2 - Les matrices périnatales fondamentales.

Grof a découvert l’importance de la naissance sur la structuration du psychisme, c’est-à-dire qu’il nous a permis de comprendre ce qui aujourd’hui nous paraît évident. A l’époque où j’ai fait mes études universitaires, les enseignements étaient très freudiens, or pour Freud, l’enfant à sa naissance est comme une « tabula rasa » : c’est-à-dire, une page blanche, sur laquelle rien n’est encore inscrit, les événements de la vie de l’individu vont tout juste commencer à s’imprimer sur cette page blanche. C’est aussi l’époque (un peu avant Frédéric Leboyer et Michel Odent) où on pensait que l’enfant ne sentait rien puisque son système nerveux n’était pas achevé. Pour Freud donc, tout commence à la naissance, mais Grof révèle et nous donne des preuves que, non seulement tout ne commence pas après la naissance, mais que pendant celle-ci, et pendant la gestation et même lors de la conception il y a une histoire qui déjà s’est inscrite, et qu’elle est importante et déterminante pour chacun d’entre nous. La manière dont nous avons vécu ce processus périnatal est tellement fondamental qu’il va déterminer toute notre construction psychique et notre manière d’appréhender la vie. Bien sûr, d’autres éléments vont venir ensuite - l’histoire de notre biographie est importante elle aussi, mais elle va apparaître et s’ajouter à une empreinte de base déjà posée.

Je vais vous décrire cela de façon concrète et imagée pour que vous puissiez vraiment vous représenter ce qu’il en est. C’est un peu comme si Stan Grof avait réhabilité cette partie de nous-mêmes, qu’il nous avait redonné quelque chose de notre histoire. C’est assez incroyable de voir combien c’est facile, en Respiration Holotropique, de

2 Un paradigme c’est un ensemble de théories qui donne un sens global à une vision, par exemple ici une vision, une conceptualisation de la psyché et de la place de l’homme dans l’univers.

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retrouver ces moments-là (c’est un constat, pas une explication). Je vous donne l’exemple d’une jeune femme, dans un groupe que j’ai animé, une trentaine d’années, c’est sa première expérience. Souvent les personnes qui viennent ont déjà fait des années de thérapie, puis cherchent autre chose ou veulent aller plus en profondeur, par exemple. Or cette femme n’avait pas fait de thérapie, seulement de la méditation. La séance commence et quasi immédiatement, elle est plongée dans un vécu extrêmement archaïque, au moment de sa conception, et ensuite dans un stade embryonnaire, qu’elle vit très fortement. Or sa mère était mère célibataire dans une culture où c’était très mal accepté et ce que cette cliente a revécu, c’est qu’autour de sa mère, tout le monde lui disait : « il faut que tu avortes ! » Et elle s’est retrouvée dans ce ventre-là où elle hurlait : « Maman ne me tue pas ! ». Cette séance l’a beaucoup secouée mais lui a révélé des éléments essentiels de son arrivée au monde. Elle a libéré une grande quantité d’énergie bloquée sur ce trauma - car c’est déjà un trauma intra-utérin, très déterminant pour la suite de son histoire - et aujourd’hui encore, elle continue à faire les liens avec tout cela.

Les Matrices Périnatales Fondamentales

Stan Grof s’est rendu compte que dans ce processus de la naissance il y avait quatre étapes, quatre phases importantes qu’il a appelé des Matrices Périnatales Fondamentales (MPF). Pourquoi matrices ? Bien sûr parce qu’on est dans une matrice, mais surtout dans le sens d’une empreinte, laquelle va devenir une empreinte psychique puisque c’est un processus psychodynamique qui va nous structurer d’une façon ou d’une autre, en fonction de comment se sont vécues pour nous ces quatre étapes. Ces quatre phases n’ont absolument pas la même durée dans le temps chronologique, mais elles sont caractérisées par une dynamique, une symbolique, un archétype signifiant :

- MPF 1, la première matrice que l’on décrit comme l’extase océanique, la symbiose avec la mère. Elle concerne le processus de la gestation pendant tout le temps de la grossesse, où les cellules fusionnent, commencent à se développer pour devenir un embryon, puis un fœtus, et normalement, quant tout se passe bien, pendant la grossesse, c’est souvent vécu comme l’extase, le nirvana… « Je suis le parasite parfait, je n’ai pas besoin de me préoccuper de trouver de la nourriture, tout m’est donné sans que j’aie même à le demander. » Cela, c’est quand tout se passe bien, parce que parfois, dans la gestation, il y a des perturbations, des vécus difficiles. Deux exemples: « je suis la maman, je vis des circonstances très difficiles, soit de maltraitance, soit de guerre, d’accident, où il y a de la violence que je subis; » Là, il y a un trauma sur la mère que l’enfant vit en même temps. Mais le trauma le plus difficile à « digérer », cliniquement parlant, ce sont les tentatives d’avortement ratées, car cela signifie qu’il y a eu une atteinte sur la vie et un rejet, un non-désir. Mais disons globalement que l’archétype de cette première matrice, c’est l’union symbiotique avec la mère.

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- MPF 2. Le processus de la gestation dure environ 9 mois, puis va commencer ce que l’on nomme le travail de l’accouchement ou de la naissance. Pour le fœtus, le monde bascule, c’est le choc, comme on peut parfois en retrouver des reviviscences dans nos vies. « J’étais là, j’étais bien, et soudain c’est l’horreur, l’étau commence à se resserrer, je suis pris dans une pression inimaginable, bien plus forte que moi, et à chaque contraction, l’apport d’oxygène est coupé, donc je vis une sensation d’étouffement, et puis un processus qui, quel que soit le temps qu’il dure dans la réalité chronologique, est toujours un passage difficile (même si on peut considérer qu’il est nécessaire, et qu’après on en sort victorieux!). C’est typique de ce qu’est la matrice n°2, et qui va être caractérisée ou caractéristique de toutes les expériences de « sans issue » que nous pouvons rencontrer dans nos vies. Et les mots qui vont revenir dans ces moments-là, c’est: « Je n’y arrive pas », « Je n’y arriverai jamais », « Je suis impuissant », « Je suis tout seul », « Cela n’a pas de sens, c’est absurde », « C’est pour l’éternité et personne ne peut rien pour moi », « A quoi ça sert » (toutes ces phrases se retrouveront dans des vécus d’adultes). Dans cette deuxième matrice, on est dans un état de victime, véritablement, parce qu’on ne peut rien faire. On est bloqué, comprimé, et on ne peut pas sortir, on ne peut pas s’en sortir. Dans cette matrice, on peut vivre aussi toutes les expériences d’enfermement, camps de concentration, prisons, cage, empêchements divers, accidents où l’on est coincés, etc.

- MPF 3, La troisième matrice c’est: « La lutte s’intensifie », ça devient pire encore et on traverse l’impuissance, mais tout à coup, on entrevoit quelque chose, une petite lumière au bout du tunnel, quelque chose a l’air de se passer donc ça vaut le coup de se remettre en mouvement, de se remettre en lutte. Une remobilisation irrésistible. C’est à la fois symbiose et antagonisme avec la mère: notre mère, celle qui nous a porté, nous a nourri: à cet instant, elle est en même temps avec nous, puisque ce sont les contractions qui vont nous faire sortir, mais elle est aussi contre nous, puisque les mêmes contractions nous compriment, nous empêchent, nous vivons un moment très particulier en termes d’expérience à vivre, un véritable rite de passage. C’est ce que l’on va appeler la troisième matrice, qui est caractérisé par la lutte contre des forces titanesques voire démoniaques. Dans des représentations symboliques et archétypales, ce sont des dragons, des cataclysmes, des tremblements de terre, des tsunamis, des éruptions de volcans, etc. C’est un moment très intense qui peut être animé par une force irrépressible d’aboutir, voire une forme d’agressivité, qui est en fait, une force de vie. Quand on revit cette matrice en Respiration Holotropique il faut accompagner les gens, parce qu’ils ont besoin d’être canalisés, contenus et sentir en même temps qu’il sont en sécurité. Les matrices n° 2 et 3 durent moins longtemps que la première; la troisième, elle, est assez courte mais très intense, et elle peut marquer quelqu’un de son empreinte pour sa vie entière.

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- MPF 4. La quatrième matrice peut être décrite si on veut imager: « Ca y est, enfin, alléluia, on y est arrivé! ». C’est ce moment particulier où l’on franchit l’obstacle, et il y a ce quelque chose de l’ordre d’une victoire, d’une explosion, mais une explosion de beauté, d’amour, de béatitude. Quand les gens vivent cette matrice – rappelons qu’on peut toujours les vivre sur les deux registres, c’est ce que Grof a beaucoup vu avec le LSD – soit elles vont être vécues dans leurs composantes véritablement biographiques (revivre les odeurs du sang, de l’urine, de tous les composants du corps de la mère), soit elles vont être vécues sur le registre symbolique (les combats de titans, St Georges terrassant le dragon, les demi-dieux, etc.) ; dans les deux cas, c’est la même chose. Cette quatrième matrice est représentée par exemple par l’iconographie du Christ en gloire, l’illumination, les gens voient des lumières qu’ils représentent dans les mandalas qu’ils réalisent après l’expérience, ils vont exprimer un sentiment d’amour universel, de gratitude envers la vie. Quand les gens vivent cette expérience, ils ne savent dire qu’une chose, c’est « merci ». Ils disent merci à tout le monde et à tout puisque c’est ce qui exprime le mieux leur état intérieur.

Voici très brièvement décrites les quatre Matrices Périnatales Fondamentales. C’est de cette façon que Grof a élaboré sa cartographie psychique qui apporte des éléments nouveaux en psychologie (même si aujourd’hui il n’est toujours pas enseigné, ni même mentionné à l’université. Il va lui aussi faire une différenciation entre l’inconscient personnel et biographique de Freud, l’inconscient collectif avec les mythes/les archétypes jungiens, et puis cet inconscient transpersonnel, qui incorpore, qui intègre, toutes les expériences qui débordent de l’histoire de la personne et de sa personnalité. Quand on vit des expériences de conscience non ordinaires, d’états de conscience élargis, on peut être en contact avec absolument tous les possibles, il n’y a aucune limite. Tout cela vient nous parler de nous, êtres humains, et ces valeurs E, ces valeurs de l’être, on va les retrouver dans ces expériences.

3 – Les systèmes COEX (systèmes d’expériences condensées)

Il est nécessaire d’introduire les systèmes COEX qui font aussi partie de la nouvelle cartographie psychique développée par Grof. On peut décrire cela aussi de façon imagée comme des poupées russes, qui sont toutes pareilles mais à des tailles différentes et qui s’emboîtent les unes dans les autres. Un système COEX, c’est un système d’expériences condensées, c’est-à-dire qu’au départ, on a une première expérience, qui est l’empreinte de base – ce peut être la naissance ou autre chose aussi – et puis si nous vivons d’autres expériences de la même tonalité psychique, émotionnelle, elles vont s’agglomérer, et ainsi de suite tout au long de la vie ; il y aura donc un renforcement positif de l’empreinte initiale. Tous les systèmes COEX qui nous habitent ne sont pas d’égale importance, il y en a parfois qui sont d’une telle importance qu’ils vont déterminer une manière d’être et peuvent conduire des gens à se croire tellement inutiles dans le monde, ou pas acceptés, que ça peut les conduire au suicide par exemple.

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Des thérapies expérientielles comme la Respiration Holotropique ou autres peuvent permettre d’aller décortiquer ces systèmes COEX comme des pelures d’oignons, pour libérer la charge énergétique qui est au cœur (souvent c’est dans les MPF, mais ça peut être encore avant, dans des vies antérieures), et redonner plus de liberté et de fluidité à la personne.

4 – Réhabilitation des états non-ordinaires de conscience comme des facteurs potentiels de guérison et non des pathologies.

Stan Grof a ouvert une révolution dans le monde de la psychiatrie, révolution non encore reconnue ni appliquée mais c’est à nouveau un changement de paradigme dans le processus de guérison qu’il propose. Il invite à une réhabilitation des états non ordinaires de conscience en ce sens qu’ils sont porteurs d’un potentiel de guérison et d’évolution à soutenir, encourager et accompagner et ne doivent pas être vus comme des processus pathologiques à contrecarrer ou supprimer. C’est ce que l’on peut constater avec les formes de thérapies expérientielles basées sur la transe. Il se trouve que dans ces processus thérapeutiques, le vécu expérientiel n’est pas la décision d’une volonté ou d’une programmation du sujet, mais l’émergence d’un processus spontané qui semble avoir sa propre intelligence et qui va présenter le matériau psychique le plus pertinent à l’instant T dans la vie de la personne. Et il se trouve que très souvent, ces expériences, quel que soit leur contenu trouvent leur achèvement dans des états de détente, de félicité et d’amour inconditionnel, qui en eux-mêmes, apportent une transformation et une ouverture de conscience durables.

5 – Crises d’émergences spirituelles ou crises psycho-spirituelles

Un des apports de Stan et Christina Grof réside dans leur contribution au concept de « spiritual emergency » en anglais, expression qui joue sur le double sens de « emergency » qui évoque à la fois une situation d’urgence (donc de crise) et d’émergence (donc porteur de transformation et d’ouverture).

Il se trouve que ces situations de crises qu’on peut appeler psycho-spirituelles ne renvoient pas à des pathologies psychiatriques (auxquelles elles sont pourtant fréquemment associées) mais à une expérience tout à fait particulière, houleuse et chaotique, qui marque une ouverture à une dimension plus vaste, une compréhension de phénomènes jusque là non conscientisés, des perceptions extra-sensorielles parfois difficiles à accueillir de même que d’autres manifestations paranormales. Il s’agit en fait d’une forme d’ouverture spirituelle irruptive (et non progressive) et de ce fait particulièrement difficile à vivre et à intégrer. En psychiatrie conventionnelle, elles sont souvent confondues avec des épisodes maniaques ou des bouffées délirantes. Le grand apport des Grof sur ce sujet a été de les regarder comme des phénomènes à soutenir avec bienveillance - et compétence -, comme des tentatives de l’Être à l’intérieur de la personne de passer des stades de développement ou d’évolution.

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Stan Grof a fait un énorme travail en rendant cette thèse beaucoup plus crédible – sous son impulsion le concept a été introduit dans le DSM-IV - et en proposant des possibilités d’accompagnement par des professionnels familiers avec les expériences non-ordinaires de conscience.

6 – La Respiration Holotropique

Je l’ai déjà mentionnée précédemment mais c’est un apport majeur de Stanislav Grof que d’avoir pu synthétiser une technique en plein accord avec ses découvertes et qui depuis une quarantaine d’années permet à un nombre considérable de personnes à travers le monde de vivre des avancées thérapeutiques significatives en même temps que de vivre une ouverture de conscience qui les fait grandir.

Au cours de cette journée sur les « pères du transpersonnel », je voudrais évoquer aussi Carl Graf Durckheim même s’il n’était pas au programme du jour, mais je pense qu’il a amené, en particulier, une notion intéressante : il fait la différence entre ce qu’il appelle la « petite thérapie » qui est faite pour soigner de « petits problèmes » (nos problèmes d’existence, de frustrations, les problèmes qu’on rencontre tous plus ou moins dans notre vie) et qui serait une thérapie basée sur des symptômes et des recherches de solutions, et puis ce qu’il appelle « la Grande Thérapie » et dans laquelle il fait intervenir des expériences que je vais appeler des expériences d’ouverture, de transcendance, numineuses, en un mot, des expériences transpersonnelles. Il nous dit que pour un thérapeute c’est important de mobiliser ce type d’expérience ou de vécu chez ses clients et de les aider à se fonder sur ces expériences-là pour leur permettre de se développer dans leur pleine dimension. Sinon on reste quelqu’un de petit. Grof, lui, a créé le terme « holotropique », à partir de « holos » (l’un, la globalité, l’absolu) et « trepein » (aller vers, se diriger vers). Il parle maintenant d’états holotropiques pour qualifier tous les états de conscience non-ordinaires que l’on peut vivre, soit avec la respiration, ou dans les rites de passage, l’orgasme, ou pour certaines femmes lorsqu’elles accouchent, ou encore de manière spontanée. Il oppose « holotropique » à « hylotropique » (de hylos = matière). Donc pour lui, il y a, pour simplifier, deux modes de conscience, un mode de fonctionnement plutôt tourné vers la matière qui est le mode de fonctionnement de l’ego (nécessaire pour faire ce que l’on fait dans les activités quotidiennes, conduire notre voiture, payer nos factures, planifier notre emploi du temps, etc.) et un mode holotropique qui est ce qui nous connecte à notre essence, à notre être. Il pense que nos problèmes, nos difficultés, viennent du fait qu’on s’est trop identifiés au mode hylotropique et qu’on a perdu le contact avec le mode holotropique, et le résultat est que nous vivons dans un espace d’être étriqué qui ne nous permet pas d’être pleinement qui nous sommes. Notre souffrance viendrait principalement, au-delà de tous nos manques et nos problèmes, d’être coupés de notre être, de notre source.

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Et nous avons soif de retourner nous abreuver à la source.

C’est ce à quoi le transpersonnel nous invite au cœur-même du processus thérapeutique.

Ne pas rester identifié à notre ego et ses souffrances mais prendre conscience de qui nous sommes vraiment, assumer la partie sublime, divine en nous comme l’ont exprimé ces différents pères ou grands-pères du transpersonnel.

Bernadette Blin, Paris, le 24 Mars 2018

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LA PSYCHOLOGIE TRANSPERSONNELLE ET INTEGRALE SELON

KEN WILBER

Johann Henry est psychologue et thérapeute transpersonnel, superviseur et formateur d’adultes à

Genève (Suisse). Membre du Collège Francophone de Psychothérapie Transpersonnelle, il est venu

présenter l’œuvre de Wilber lors de sa première journée d’étude. Le présent article est une adaptation

enrichie de son exposé.

Introduction

Ken Wilber est né en 1949. Il vit actuellement à Boulder (Colorado) et continue de publier régulièrement des ouvrages malgré une maladie rare qui l'handicape lourdement depuis de nombreuses années. Philosophe américain le plus traduit au monde, son œuvre est impressionnante : près d'une trentaine d'ouvrages publiés depuis 1977, touchant à la psychologie, l'anthropologie et la sociologie, l'étude des religions, la philosophie, la politique, la spiritualité, etc. Peu traduit en français, il reste mal connu du public francophone.

Son œuvre étant considérable, je m'en tiendrai ici uniquement à sa première partie, portant sur la psychologie et qui le fit connaître comme l'un des Pères de la psychologie transpersonnelle.

Cette « reconnaissance de paternité » peut paraître étonnante lorsque l'on sait que Wilber n’est ni un psychologue, ni un praticien et qu'il n'a jamais reçu personne en cabinet pour de la psychothérapie. Cette absence de lien avec la pratique clinique lui vaudra d'ailleurs régulièrement de nombreuses critiques. Mais l'ambition de Wilber, dès le départ, est ailleurs : passionné par tout ce qui touche à la conscience, il aspire à faire de la recherche fondamentale. Wilber est en effet un homme de synthèse. La mission qu'il se donne, c'est de passer en revue de façon systématique les très nombreux concepts, modèles et théories qui décrivent l'homme et sa conscience afin d'en faire émerger une synthèse, un modèle intégral du développement de la conscience.3

3 Toujours mu par cet élan de synthèse et d'intégration, il s'est par la suite attelé à l'édification d'une

« théorie intégrale du Tout » visant à réunir et donner de la cohésion à l’ensemble des approches du réel

que s’est donnée l’Humanité depuis qu’elle est sortie de la Préhistoire (sciences dures, sciences

humaines, philosophie, spiritualité, etc.).

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L'un des tours de force de Wilber dans ce travail de synthèse a été d'inclure non seulement les multiples psychologies occidentales (psychanalyse freudienne et jungienne, psychologie humaniste et existentialiste, approche développementale piagétienne, psychologie transpersonnelle naissante de Maslow et Grof…), déjà fort riches et complexes, mais aussi les psychologies orientales (vedanta, bouddhisme zen, bouddhisme tibétain, etc.). Pour Wilber, il apparaît en effet très tôt que la branche occidentale s'est essentiellement penchée sur la première partie du développement de la conscience (phases pré-personnelle et personnelle) tandis que la branche orientale s'est intéressée à la suite de son devenir (phases transpersonnelle et ultime). Ainsi pour lui, comme pour la plupart des penseurs du transpersonnel, il s'agit d'accorder un nouveau statut à ces états de conscience trans-personnels, non-duels, atemporels et divins dont témoignent la plupart des grandes Traditions (pas seulement orientales d'ailleurs). Il s'agit pour la nouvelle psychologie de penser nouvellement ces états, et non plus de simplement les rationnaliser (et bien souvent de les pathologiser) au titre qu'ils témoignent du devenir ultime de la conscience.

Cette recherche sur le devenir ultime de la conscience, Wilber ne l'a pas faite que dans les livres. Il a pratiqué des décennies durant et de façon extrêmement assidue différentes voies méditatives, notamment le Zen et le Bouddhisme tibétain. Il partage certaines de ses propres expériences mystiques, de façon très personnelle et précise, dans son ouvrage One Taste, qui dévoile son journal spirituel sur le cours d'une année.

Voici le cheminement que je vous propose pour explorer l’œuvre « psychologique » de Wilber :

1. j’expliciterai tout d’abord, au travers de ce que Wilber appelle « les trois yeux de la connaissance », le cadre philosophique voire métaphysique au sein duquel Wilber situe le déploiement de la conscience

2. à partir de là, nous verrons pourquoi Wilber décrit l’ensemble du développement humain comme étant une évolution, et en quoi cette évolution est le pendant d’un mouvement complémentaire d’involution

3. une fois cela posé, nous pourrons voir un peu plus en détail les principales étapes du spectre de la conscience,

4. puis nous verrons, à partir de la notion de lignes de développement, que si d’après Wilber la conscience suit toujours le même chemin (il y a selon lui une hiérarchie entre les différents niveaux de conscience), elle ne présente que rarement un développement homogène.

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5. Nous terminerons ce tour d’horizon par l’exploration de la différence entre niveau de conscience et état de conscience, ainsi que leurs liens réciproques

6. et par le modèle des 4 quadrants dit AQAL qui donne une envergure encore plus vaste et profonde au modèle de Wilber et réintègre la psychologie dans l’ensemble des Sciences.

Les trois Yeux de la Connaissance

Pour expliciter davantage sa démarche ainsi que le cadre dans lequel il se situe, Wilber utilise une métaphore : il parle des trois yeux de la connaissance4 nécessaires pour toute approche qui se voudrait holistique et intégrale.

Le premier est l'oeil de la chair permettant de percevoir tout ce qui a trait au monde matériel. Cet œil a notamment donné naissance à la Physique, la Chimie, la Biologie et la Cosmologie.

Le deuxième est l'oeil de la raison, permettant d'avoir accès au monde des significations, des symboles, de la subjectivité et de l'intersubjectivité. Il a donné naissance aux Sciences Humaines, à la Psychologie, la Philosophie, à l'Histoire.

Enfin, il existe l'oeil de l'Esprit, œil de l'intuition utilisé par les mystiques et les sages pour avoir accès aux mondes subtils des réalités divines et spirituelles.

Pour Wilber, l'être humain appartenant à ces trois mondes (1-matériel et biologique, 2-culturel et psychologique, 3- spirituel), il est indispensable d'exercer ce triple regard afin de pouvoir l'appréhender dans toute sa richesse et sa complexité. Par ailleurs, ces yeux étant en rapport avec des mondes différents, il n'est pas possible d'appréhender un monde avec un œil appartenant à un autre monde sans dénaturer profondément la réalité prétendument observée (ainsi de l'oeil matérialiste des neurosciences ou de la génétique qui prétend expliciter à lui seul la signification des comportements humains, ou l’œil rationalisant de la psychanalyse orthodoxe qui prétend expliciter les aspirations mystiques et spirituelles des individus à partir de son propre cadre de référence...).

Cette métaphore des trois yeux de la connaissance nous montre ainsi à la fois comment Wilber assume d'inclure et d'investiguer les domaines du spirituel habituellement mis de côté par la psychologie, et d'autre part sa volonté d'intégrer ensemble toutes les modalités d'approche de la psyché.

4Lire « les trois yeux de la connaissance » de Ken Wilber, l'un des rares ouvrages traduits (titre original :

Eye to Eye)

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Involution et Évolution

Dans ses tous débuts, alors qu'il s'intéresse au « spectre de la conscience » (titre de son premier ouvrage en 1977), Wilber se sent plutôt en affinité avec l'approche de Jung et de ceux qu'il appelle les « romantiques ». Il voit le chemin de la conscience comme ceci : au départ, l'enfant vit un état de grande unité et de grande proximité avec le Soi, la Source. Ce vécu est néanmoins inconscient, et il passera la première partie de sa vie à prendre conscience de lui-même, de son identité, via la construction de son ego. Cette construction et cette prise de conscience se font via la confrontation avec le monde extérieur et culminent grosso modo vers le milieu de la vie de l'individu. Durant la seconde moitié, le développement se renverse pour se diriger non plus vers l'extérieur mais vers l'intérieur. L'individu cherche progressivement à se rapprocher du Soi qu'il était lorsqu'il était enfant, mais cette fois-ci de façon consciente. Selon ce modèle, l'enfant part donc d'un « paradis inconscient », pour rejoindre ensuite progressivement un « enfer conscient » (involution vers un monde de séparatisme et de matière, coupé du Soi) pour ensuite rejoindre un « paradis conscient » (évolution).

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Schéma : le cycle de la vie selon la psychologie des profondeurs (deux versions)

tiré de « Ken Wilber, la pensée comme passion » de Franck Visser

Mais, en préparant son deuxième livre (The Atman Project), Wilber sent que quelque chose dans ce modèle ne fonctionne pas. En passant en revue les diverses approches de la psychologie développementale, il réalise qu'à part le modèle des Jungiens, tous les autres présentent les premiers stades de développement comme étant marqué non pas par un état spirituel, mais au contraire par le plus fort égocentrisme et le plus fort matérialisme.

C'est notamment en lisant Piaget, qui dit que lors du tout premier stade de développement sensorimoteur, le self de l'enfant est en quelque sorte « matériel », qu'il réalise qu'il a fait une erreur. L'enfant se situe non pas au plus près du Soi mais au contraire au plus loin (point de plus grand matérialisme, séparatisme et égocentrisme). Le schéma devient donc (1) enfer inconscient (enfance) vers (2) enfer conscient (développement de l'égo) vers (3) paradis conscient (retour au Soi).

Pour autant, Wilber n'est pas un matérialiste au sens que la conscience émergerait purement et simplement de la matière. Si tout le développement de la conscience est bien une évolution, du plus dense au plus subtil, du pur égocentrisme vers l'infini kosmocentrisme5, il y a néanmoins également une involution, mais celle-ci se situe avant la naissance, avant même la conception, entre deux incarnations. Un chapitre tout entier est consacré à cet entre-deux, via une relecture du Bardo-Todol, le Livre des Morts Tibétains, qui décrit qu'après la libération de la conscience au moment de la mort, celle-ci rejoint directement les niveaux les plus subtils, pour s'incarner ensuite progressivement dans les plus denses, jusqu'au moment d'une nouvelle incarnation (involution).

5Wilber utilise le néologisme Kosmos pour parler de l'Espace infini du Cosmos (étendue infinie) auquel il

ajoute toutes les « strates » possible de l'existence, de la plus dense à la plus subtile (profondeur infinie).

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Schéma : Le processus de l'involution et de l'évolution selon la philosophie pérenne

tiré de « Ken Wilber – la pensée comme passion » de Franck Visser

Comme on le voit sur le schéma ci-dessus, l'égo n'est plus le point le plus éloigné des dimensions subtiles et spirituelles de l'être humain, mais son point médian.

Le schéma ci-dessous représente d'une autre façon les processus d'involution et d'évolution, comme une dynamique de respiration universelle. Cette respiration est symbolique d'au moins quatre façons différentes :

• cosmologique: par l'inspir, l'Esprit ensemence la Matière et donne naissance à l'Univers ; par l'expir, la Matière ensemence l'Esprit, riche de toute l'expérience de la manifestation. On voit ici que le processus d'involution n'est ni une « chute », ni une régression, mais un pur processus de manifestation.

• individuelle: ce même processus se retrouve à l'échelle de l'individu ; par l'involution la conscience libre embrasse le monde de la matière et naît au sein d'une forme ; par l'évolution, elle s'affranchit progressivement des limites de la forme et la transcende, jusqu'à embrasser l'esprit.

• instantanée: sachant qu'en réalité, nous ne cessons jamais d'être identifiés à l'Esprit, ce cycle involution/évolution n'est pas qu'un processus temporel mais aussi une existence instantanée : à chaque instant, nous nous éloignons de l'Esprit, nous involuons. Et ainsi, à chaque moment, une part de notre conscience nous pousse à « retourner » à la Source, que nous n'avons en réalité pourtant jamais quittée...

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• en lien avec le processus physique de la respiration : l'involution a ici une signification trantrique, yogique et corporelle. Lorsque nous inhalons, il est dit que nous respirons littéralement l'Esprit, depuis le sommet de la tête vers le bas de l'abdomen et la zone génitale. La Lumière (l'esprit) descend vers la Vie (le corps et la matière). C'est l'involution. Et lorsque nous expirons, l'énergie-Vie (également connue comme kundalini) remonte le long de la colonne vertébrale vers le sommet de la tête et retourne vers l'infini. La Vie retourne à la Lumière. Ceci est l'évolution.

Schéma : l'involution et l'évolution comme des cycles d'inspir et d'expir (respiration universelle)

tiré de « A Unified Theory of Development » de Ken Wilber

Le Spectre de la Conscience

L’une des premières tâches à laquelle Wilber s’est donc attelé a été de réaliser une formidable synthèse des nombreux courants de psychologie développementale, qu’ils soient occidentaux ou orientaux. Il en résulte la description d’un « spectre » impressionnant et extrêmement précis des différentes étapes que suit la conscience au cours de son développement. Telles les couleurs du spectre de la lumière, ces étapes sont comme des couleurs spécifiques qu'adopte la conscience au cours de son développement, et dont la « coloration » transforme de façon radicale le rapport au monde et aux autres, à l’identité, l’intentionnalité, etc.

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Ces étapes peuvent être découpées de plein de façon, du plus simple au plus complexe. Au plus basique, Wilber décrit trois étapes : (1) Celle centrée sur le Corps – (2) Celle centrée sur la Psyché – (3) et enfin celle centrée sur l'Esprit (Body Mind Spirit). D’une façon un peu différente, on peut parler de (1) Stade pré-personnel – (2) Stade personnel – (3) Stade trans-personnel. En complexifiant un peu, nous pouvons distinguer cinq niveaux que sont (1) la Matière, (2) Le Corps, (3) la Psyché, (4) l’Ame, (5) l’Esprit (Matter – Body – Mind – Soul – Spirit).

Nous pouvons aussi distinguer la conscience en fonction des 7 chakras, qui représentent précisément 7 qualités spécifiques de la conscience… Dans son livre The Atman Project, ce ne sont pas moins de 16 étapes qui sont décrites par Wilber. Néanmoins, à des fins de simplifications, il les résumera dans ses ouvrages ultérieurs en général à 10, telles que présentées dans le tableau ci-dessous :

10. Stade ultime

Stades trans-personnels

Esprit

9. Causal

8. Subtil

7. Psychique

9. Soi causal / unitaire

8. Soi holistique II

7. Soi holistique I

Stades personnels

Psyché

6. Mental / logique

5. Mental formel / réflexif

4. Mental rôles / règles

6. Soi relativiste / sensible

5. Soi rationnel / gagneur

4. Soi mythique / conformiste

Stades pré-personnels

Corps

3. Mental – représentationnel

2. Fantasmatique / émotionnel

1. Sensorimoteur

3. Soi impulsif / égoïste

2. Soi magique / animiste

1. Soi instinctif / archaïque

Tableau : les 10 stades de conscience (développement cognitif et développement du self)

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Les stades pré-personnels

1. Sensorimoteur – Soi Instinctif / archaïque

Lors de ses tous premiers moments de vie, l’enfant n’a qu’un rapport physique et immédiat au monde. Ne possédant encore aucune capacité de représentation, il n’est au départ pas à même de se différencier du monde qui l’entoure. Progressivement, il remarque des différences entre son corps, celui de sa mère et les objets qui l'entourent. Une conscience de lui-même très grossière émerge peu à peu, mais cette conscience est totalement amalgamée au corps de l'enfant. C'est le moi-corps. Il n'a encore conscience ni du temps, ni de l'espace.

Le soi associé à cette étape est dit « instinctif et archaïque ». L’enfant est dans un état de dépendance totale au monde qui l’entoure, uniquement mu par ses instincts primaires.

2. Fantasmatique / émotionnel – Soi magique / animiste

Durant la phase intermédiaire du stade pré-personnel, les émotions, au départ très « brutes » (peur, rage, faim, tension, relâchement, satisfaction...) commencent à jouer un rôle. C'est la prépondérance du principe de plaisir évoqué par Freud. A ce stade, l'enfant commence à former des images des objets qui l'environnent, la plus importante étant bien sûr celle de sa mère. Ces images permettent l'émergence d'une proto-conscience encore très archaïque. Si l'enfant s'est lors du stade précédent suffisamment différencié de son environnement physique, il n'est néanmoins à ce stade pas différencié de son environnement émotionnel. Le soi est ainsi décrit comme magique / animiste, prêtant vie et conscience aux objets qui l'environnent.

3. Mental représentationnel – Soi impulsif / égoïste

Avec l'émergence du langage, la conscience de l'enfant prend de plus en plus de consistance. Il est capable d'évoquer des objets ou des personnes qui ne sont pas immédiatement présents sous ses yeux, et aussi progressivement de se rappeler d'événements passés et d'anticiper des événements à venir. En parvenant à distinguer de mieux en mieux le monde qui l'entoure, l'enfant gagne en retour une conscience accrue de lui-même. Sa conscience et sa cognition encore très égocentriques lui disent qu'il est au centre du monde. C'est le temps du soi impulsif et égoïste caractéristique de la période des 2-3 ans.

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Les stades personnels

4. Mental rôles / règles - Soi mythique / conformiste

Avec le développement du langage, l'enfant est introduit à un monde nouveau. Le rapport direct (bien qu'essentiellement égocentrique et limité au physique) qu'il entretenait au départ avec le monde est maintenant médiatisé par le langage et les concepts qu'il représente. Le langage portant avec lui l'essentiel de l'expérience humaine collective qui a précédé l'histoire de l'enfant, c'est progressivement avec les yeux de la société, ses codes, règles et normes, que l'enfant voit le monde. Et, en intégrant les règles de grammaire du langage, l'enfant intègre également la « grammaire » des relations sociales : ce qui est autorisé et ce qui est interdit, ce qui est bien vu et ce qui l'est moins, ce qui est conforme et ce qui est marginal, voire déviant. C'est le stade de l'émergence du surmoi mis en évidence par la psychanalyse freudienne, et de l'instance du « Parent » dont parle l'Analyse Transactionnelle (Berne). L'enfant intériorise la société, et apprend à contrôler ses (im)pulsions (le Ça de la psychanalyse, et l'Enfant de l'AT), condition sine qua non pour être accepté dans les différents groupes sociaux au sein desquels il prétend pouvoir trouver une place. C'est le stade du soi conformiste, qui obéit aux grands « mythes » que sont les codes, croyances et institutions en tout genre portés par la société.

5. Mental formel / réflexif - Soi rationnel / gagneur

Le mental continue de se développer, à gagner en finesse et habileté, aidant le soi à devenir plus mature. Progressivement, il devient réflexif : il ne prend plus les règles sociales et les concepts au premier degré, mais apprend à réfléchir dessus, à prendre de la distance pour se positionner personnellement par rapport à eux. Il développe un esprit critique sur l'ordre des choses transmis par la société via le langage. Faisant cela, il se différencie des rôles et identités attribués par la société et prend nouvellement conscience de lui-même, au-delà de ce que la société lui a imposé. Il peut alors utiliser son mental et sa compréhension du monde non plus pour obéir et se conformer, mais pour inventer sa vie, être toujours plus libre d'être celui ou celle qu'il/elle a envie d'être et de devenir. C'est le stade du soi rationnel, pragmatique et souvent ambitieux, qui veut sortir des superstitions en tout genre et ne « croit que ce qu'il voit ».

6. Mental vision-logique - Soi relativiste / sensible

Vers le dernier stade personnel du développement, la conscience gagne encore en réflexivité et devient capable de réfléchir sur sa propre capacité de réflexion. L'individu réalise qu'il s'est complètement identifié à son moi mental (mental-ego),

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et il cherche à s'en différencier. Il est ainsi amené à un stade où il transcende et inclut à la fois son corps (et toute la sphère émotionnelle qui y est lié) et son mental (et toutes les identifications qui y sont liées). N'étant plus identifié spécifiquement à l'un ou à l'autre, il peut ainsi les unir et les intégrer ensemble ; Wilber parle de ce stade comme celui du Centaure, parfaite intégration des dimensions mentales associées à l'humain, et corporelles associées à l'animal.

Ses capacités cognitives s'enrichissent aussi et gagnent en complexité. L'individu réalise la relativité de tout point de vue, qu'une vérité est toujours vraie par rapport à une perspective particulière et jamais de façon absolue. Ayant renoué avec son corps et sa sensibilité, il s'ouvre nouvellement au monde, aux cultures différentes, à la Nature et au vivant. C'est le stade du soi relativiste et sensible.

Les stades trans-personnels et ultime

7. Psychique – Soi holistique I

Dans cette première phase du stade transpersonnel, la conscience se différencie progressivement de la réalité du corps, de l'égo, du mental, synthétisées au sein du Centaure auquel l'individu s'était identifié jusque-là. Toutes sont finalement liées au monde « grossier » des formes tangibles dans laquelle la conscience de l'individu navigue depuis ses premiers jours. Or, à cette nouvelle étape, l'individu découvre une nouvelle réalité, plus subtile, restée jusqu’ici invisible. Il découvre que derrière le monde des formes, il existe une énergie, une vie, une essence dont il sent de plus en plus qu'elles sont bien plus réelles que les formes qu'il a contactées jusqu’à présent. Ses perceptions et son rapport au monde deviennent progressivement trans-sensoriel et trans-langagier, et l'ouvrent à une réalité insoupçonnée jusque-là. Ce monde est un monde interconnecté, vivant et vibrant, subtil, profond, où la conscience est présente partout. L'individu se sent comme appartenant et participant à une histoire infiniment plus vaste et profonde que ce qu'il avait réalisé jusqu’alors, et la réalité de sa conscience, de son identité, de son histoire, s'inscrivent dans un contexte radicalement nouveau.

8. Subtil – Soi holistique II

Si la première phase transpersonnelle peut être considérée comme étant infiniment plus subtile que tous les stades précédents, elle reste néanmoins très proche du monde concret, formel, caractérisant les stades personnel et pré-personnel. C'est la version subtile-essentielle du monde formel. Au cours de la phase intermédiaire

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trans-personnelle, la perception se fait de plus en plus abstraite, et l'individu prend conscience de la réalité comme un monde d'archétypes divins, sacrés, fondamentaux. Ce faisant, la réalité concrète du monde lui apparaît comme étant de plus en plus relative et « illusoire », et il apprend à se reconnaître lui-même, en vérité, comme étant fondamentalement un être divin.

9. Causal – Soi causal / unitaire

Enfin, lors de la dernière phase du trans-personnel, les formes manifestées sont si radicalement transcendées qu'elles n'ont plus besoin d'émerger dans la Conscience. Cette dernière rejoint une réalité de totale transcendance, sans-forme, sans frontières, une réalité de pure Radiance. Il n'y a plus ni self, ni Dieu, ni sujet, ni rien, sinon la pure Conscience qui est. Cette conscience habite l’Éternité, réconciliant toutes les temporalités. Étant sans forme et sans limite, elle habite le Kosmos dans son intégralité.

10. Ultime

Les textes sacrés parlent de cet ultime stade comme d'un grand renversement. Alors que jusqu’ici, le mystique s'était toujours rapproché de lui-même, de son centre le plus profond, il atteint alors le Fondement de l'Être et réalise que celui-ci est précisément le Fondement de toutes choses. Il réalise ainsi qu'il n'a en réalité jamais quitté cet état qu'il a si durement bataillé à rejoindre. L'Être expérimente alors ce qui est exprimé par le Sutra du Coeur du Bouddhisme Mahayana : « la Forme n'est pas autre chose que le Vide, le Vie n'est pas autre chose que la Forme. » C'est le stade le plus élevé de l'Illumination, un stade non-duel, l'unité ultime dans laquelle toutes les choses et tous les événements, tout en restant parfaitement séparés et distincts, ne sont qu'Un. « La Conscience en tant que telle est réalisée dans la Transcendance Parfaite, qui n'est pas une transcendance à partir du monde mais une transcendance finale comme Monde. La Conscience opère, non sur le monde, mais seulement comme le Processus Monde dans son entier, intégrant et faisant s'interpénétrer tous les niveaux, tous les domaines et tous les plans, hauts ou bas, sacrés ou profanes ». (Wilber)

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Quelques précisions sur ces stades de développement

Cette synthèse du développement de la conscience a fait l’objet de nombreuses critiques 6 . Certains ont objecté que c’était un modèle bien trop linéaire et que quiconque observe la réalité du développement humain peut constater que les choses ne fonctionnent pas comme telles. D’autres lui ont reproché son côté « rigide », comme si tout le futur du développement humain était déjà connu et gravé dans le marbre. D’autres encore y voient un modèle dualiste, opposant les différentes dimensions de l’être les unes aux autres.

Ces critiques ont permis à Wilber d’expliciter progressivement son approche.

Tout d’abord, ce modèle présente le cheminement global de la conscience, son développement idéal en quelque sorte. Et il est effectivement très clair que dans le réel, le développement de la conscience est en réalité beaucoup plus irrégulier, effectuant percées, stagnations, régressions, puis reprenant éventuellement sa progression.

Schéma : progression non-linéaire du développement de la conscience

(in « A Unified Theory of Development » – Ken Wilber)

A ceux qui lui reprochent que ce modèle est rigide, que la vie crée sans arrêt de la nouveauté et qu’il n’y a pas de chemin tout tracé, Wilber précise qu’en effet, ces stades ne sont pas donnés à l’avance, ils ne sont pas prédéterminés.

6Voir notamment « Ken Wilber in Dialogue », qui reprend les critiques des principales figures de la

psychologie transpersonnelle : S. Grof, R. Walsh, M. Murphy, J. Kornfield, M. Washburn, etc.

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Ils représentent plutôt un potentiel. Ils sont plus proches de ce que Rupert Sheldrake a appelé les champs morphiques, c’est à dire des habitudes d’évolution, une sorte de mémoire kosmique, riche de l’expérience de celles et ceux qui ont déjà fait le chemin, mais encore de bien des façons plastiques et modelables par les nombreux êtres qui feront à leur tour le chemin. Cette précision ouvre de façon considérable le champ du devenir de la conscience.

Enfin, Wilber rappelle que ce modèle est une holarchie et non un ensemble de strates se superposant (et s’excluant) les unes aux autres. Chaque nouveau niveau de conscience transcende et inclut les précédents. Comme le schéma ci-dessous le montre, le corps transcende et inclut la matière (il est plus que la matière, est qualitativement différent, obéit à de nouvelles règles, présente de nouvelles caractéristiques, de nouvelles possibilités, et il peut agir sur la matière, l’organisant de façon spécifique). De même, la psyché transcende et inclut le corps (et la matière).

Même chose : la psyché est plus que le corps, elle est qualitativement différente, obéit à de nouvelles règles, présente de nouvelles caractéristiques, de nouvelles possibilités, et peut agir sur le corps. Mais le fait d’être identifié à la psyché n’exclut pas (a priori) le corps. Idem pour l’âme qui transcende et inclut la psyché (et le corps, et la matière) et pour l’Esprit qui transcende et inclut l’âme (et la psyché, et le corps, et la matière).

Schéma : holarchie des niveaux de conscience

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Bien sûr, si cette dynamique de développement qui « transcende et inclut », qui « différencie et intègre » est la façon naturelle et idéale dont se déroulent les choses, il y a de nombreuses situations où le mouvement de transcendance vers un niveau supérieur s’accompagne par de la répression (et non de l’inclusivité) du niveau inférieur. Or, la différenciation sans l’intégration mène à la dissociation. C’est le cas par exemple de la plupart des grandes religions qui ont invité à rejoindre l’âme et l’esprit, en réprimant le corps et les dimensions corporelles de la psyché. De même, une différenciation insuffisante mène à la fixation (à un état ou niveau en particulier).

Ces réflexions ont amené Wilber à s’intéresser au domaine des psychopathologies et à proposer une approche intégrale de la psychothérapie.

10. Ultime 10. Pathologie ultime 10. Mysticisme non-duel

9. Causal

8. Subtil

7. Psychique

9. Pathologie subtile (II)

8. Pathologie subtile (I)

7. Trouble psychique (médiumnique)

9. Mysticisme sans forme

8. Mysticisme théiste

7. Mysticisme de la Nature

6. Mental / logique

5. Mental formel / réflexif

4. Mental rôles / règles

6. Pathologie existentielle

5. Névroses d'identité

4. Pathologies du scénario

6. Thérapie existentielle

5. Introspection

4. Analyse du scénario

3. Mental – représentationnel

2. Fantasmatique / émotionn.

1. Sensorimoteur

3. Névroses

2. Borderline / narcissique

1. Psychose

3. Thérapie d'exploration

2. Thérapie de structuration

1. Thérapie relaxante, pacification

Les principales psychopathologies en lien avec les stades de conscience

et leurs modes de thérapie spécifique

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Le cadre de cette présentation, déjà longue, ne permet malheureusement pas de développer chacune de ces psychopathologies, mais cette tentative de Wilber de mettre en rapport chaque stade de développement avec une pathologie particulière (et la thérapie idoine correspondante) est extrêmement stimulante et prometteuse. Chaque stade est pour la conscience une sorte d'occasion d'apprentissage, de lieu de maturation, indispensable pour les étapes suivantes.

Si cette maturation se fait mal ou de façon incomplète, cela vient perturber, parfois de façon très grave, à la fois le fonctionnement de la personne dans son présent mais aussi ses perspectives d'évolution.

Distinction entre pré- et trans- personnel

L'une des choses qui peut interpeller, lorsque l'on adopte cette vision transpersonnelle et intégrale du développement de la conscience, ce sont les similitudes que l'on peut remarquer entre les phases pré-personnelle et trans-personnelle. Toutes deux sont en effet, sous certains abords, non rationnelles, hors langage, hors espace, hors temps. Toutes deux sont mues par une dynamique de vie spontanée, hors convention et hors socialisation. Toutes deux peuvent conduire à un vécu océanique non duel, amener à percevoir des réalités invisibles aux sens physiques, etc. Ces similitudes sont telles que certains psychologues, qu'ils soient théoriciens ou praticiens, ont tendance à estimer qu'elles ne sont en fait qu'un seul et même type de conscience. Or, Wilber s'efforce de démontrer que ces similitudes ne sont qu'apparentes et révèlent au contraire des différences radicales.

Prenons l'exemple du rapport au temps. Oui l'enfant vit d'une certaine façon hors temps, tout comme le sage ou le mystique peuvent le vivre. Mais la différence, c'est que l'enfant est confiné dans le présent, n'ayant pas, dans les premières étapes de sa vie tout du moins, de possibilité de se représenter le temps, le moment d'avant, celui d'après. L'enfant est dans un temps pré-séquentiel. Il n'a pas la possibilité d'anticiper, ni de s'ajuster par rapport au passé. Le mystique habité par une conscience transpersonnelle est quant à lui dans un temps trans-séquentiel, il habite l’Éternel Présent, qui est à la fois un moment unique, et la synthèse de tous les instants et tous les moments passé, présent et à venir (si tenté que ces notions veulent encore dire quelque chose). L'enfant est enfermé dans le présent ; le sage habite l’Éternel Présent, qui transcende et inclut la notion même de temps.

Prenons un autre exemple : la liberté et l'expression de soi. Oui l'enfant comme le sage ont une spontanéité vraie, qui n'est pas (ou plus) conditionnée par la socialisation, les normes et les conventions. L'enfant comme le sage sont libres d'être ce qu'ils sont.

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Mais cette liberté et cette spontanéité sont, chez l'enfant, réduites à l'expression souvent inconsciente et incontrôlée de ses besoins et pulsions primaires (courir, exprimer sa colère ou sa tendresse, rire, jouer...). L'enfant est spontané car il ne sait pas encore se contrôler ; il cherche, dans toute la mesure du possible, la décharge immédiate de ses pulsions et désirs. L'entrée dans le stade personnel est marquée par la socialisation progressive de l'enfant, ce qui consiste notamment à apprendre à contrôler ses pulsions et émotions, en fonction du contexte social dans lequel il se trouve. L'adulte en devenir construit un masque, une persona présentable et suffisamment valorisée dans le monde dans lequel il vit et évolue. Ceci au prix du sacrifice de sa liberté d'être. Chez le sage, l'expression de l'être n'est plus conditionnée par la société, par les masques sociaux, les conventions, l'ordre moral. La notion de bien et de mal n'est plus inspirée par le Surmoi, règles sociales intériorisées. Le sage transcende et inclut autant ses besoins et pulsions que les règles sociales du monde dans lequel il vit. Cela veut dire qu'il peut en tenir compte, en prendre soin quand il le faut, mais qu'il n'est plus identifié à eux. Il n'est plus identifié à sa persona. Il est identifié au Soi, à l'Esprit, à la Vie une, qui transcende et inclut tout. Il n'a donc pas besoin de contrôler ou d'inhiber quoi que ce soit, il n'a qu'à laisser la Vie, ou l'Essence de son Être, s'exprimer à travers lui. De nouveau, Wilber montre que si les phases pré et trans présentent toutes deux une grande spontanéité et une grande liberté d'être, leur réalité est en fait fondamentalement différente.

Prenons un dernier exemple. L'enfant comme le sage ont un rapport direct dans leur perception du monde. Le regard de l'enfant est bien souvent un regard d'émerveillement, de découverte. Il découvre le monde avec l'ensemble de sa sensorialité grande ouverte. Plus tard, dans les phases du mental-ego (phases personnelles), sa perception du monde se fait au travers du langage, des mots et des concepts. Il ne voit plus vraiment les choses telles qu'elles sont, il les voit telles qu'il a appris à les voir. Durant la phase dominée par le mental-ego, nous nommons constamment les choses qui nous entourent, de façon automatique sans même plus nous en apercevoir. En faisant cela, nous projetons sur elles ce que nous en savons, c'est à dire ce que nous en avons appris par la société. Nous ne percevons ni n'observons plus vraiment le monde, nous le catégorisons, nous le définissons, nous l'expliquons.

En transcendant le langage, la conscience trans-personnelle retrouve progressivement un rapport im-médiat au monde, c'est à dire non médiatisé par le langage et le fatras de concepts et de connaissance qui va avec. L'être redécouvre alors le monde pour ce qu'il est, et non seulement pour ce que la société veut ou croit y voir. Il redécouvre et goûte à la profondeur des choses, et apprend à percevoir la réalité au-delà des apparences, au-delà de la forme. Il entre dans le monde de l'essence et de la

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vibration, il découvre la source des êtres et des choses, réalisant simultanément que tout participe de la même Source. Alors oui, l'enfant est tout éveil lorsqu'il découvre les objets qui l'entourent, il est dans une pleine observation, libre de tout conditionnement social ; mais la réalité à laquelle il accède est infiniment plus pauvre, superficielle et plate que celle à laquelle participe la conscience du sage ou de l'Être éveillé.

A l'origine de cette confusion pré/trans, Wilber dénonce deux tendances opposées mais tout aussi fausses. La première est celle qu'il reproche à Freud et ses disciples, qui ont tendance à voir toute dynamique allant vers le spirituel, et/ou tout vécu d'ordre transpersonnel, comme une tendance ou une expérience purement régressive de retour vers l'état d'indifférenciation pré-personnelle. Ainsi par exemple, toute pratique de la méditation visant à faire l'expérience de l'unité kosmique est-elle qualifiée de régressive et donc de non-pertinente. Chez Freud, c'est ainsi l'ensemble du transpersonnel qui est réduit, effondré dans le pré-personnel. La seconde tendance est celle qu'il dénonce chez Jung et les jungiens qui, selon lui, ont tendance à faire l'erreur inverse, en élevant certaines caractéristiques ou expériences ayant trait aux couches pré-personnelles de la conscience (par exemple la Mythologie de la Mère originelle, liée au self magique et animiste) au rang d'expériences transpersonnelles, amalgamant ainsi ces deux dimensions. Pour Wilber, cette idéalisation du pré-personnel chez Jung est ainsi tout aussi fausse et néfaste que le réductionnisme du transpersonnel chez Freud.

Lignes de développement

Fort de son étude approfondie des très nombreux travaux de psychologie du développement, Wilber arrive à la conclusion que le développement de la conscience a quelque chose d'universel, que cette dernière emprunte toujours le même chemin, qu'importe l'endroit du globe ou l'époque concernée. Le cheminement de la conscience passe toujours du pré-personnel au personnel et enfin au transpersonnel ; du pré-conventionnel, au conventionnel, au post-conventionnel ; du corps, vers le mental égo, vers l'âme ou Soi, vers l'Esprit.

Cependant, il affine progressivement ce modèle avec la notion de lignes de développement. Si le développement psychique suit bel et bien toujours le même chemin, celui-ci n'est néanmoins pas homogène. C'est à dire qu'il se déploie selon différentes lignes, relativement indépendantes les unes des autres, qui peuvent présenter, chez un même individu, des écarts de développement parfois importants.

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Ces lignes ont quelques correspondances avec les intelligences multiples décrites par Howard Gardner. Wilber n'en dresse pas une liste exhaustive, mais on peut citer parmi les plus importantes : la cognition (comment je vois le monde), le développement moral (comment devrait être le monde), l'interpersonnel (comment j'entre en relation avec les autres), les émotions (comment je les vis, les gère, les accueille..), le spatio-temporel (comment j'habite et me situe dans ces deux dimensions), les besoins (cf le travail de Maslow), l'identité (cf le travail de Cook-Greuter), l'esthétique, le psychosexuel, le spirituel, les valeurs, etc.

Selon l'histoire du sujet, ses capacités naturelles, son contexte, son entourage, et bien sûr aussi sa capacité à travailler sur lui-même, le niveau de développement de ces différentes lignes peut donc être très variable. Quelqu'un peut avoir atteint les niveaux trans-personnels pour la ligne cognitive par exemple, parce qu'il a beaucoup étudié le monde et est capable de le voir de façon globale et subtile, ainsi que pour la ligne spirituelle car, ayant beaucoup médité et pratiqué les états modifiés de conscience, il est capable de rejoindre des réalités d'une grande vastitude et d'une grande profondeur. Mais ce même individu peut être par ailleurs sur les niveaux simplement personnels voire pré-personnels sur les lignes psychosexuelle, émotionnelle et interpersonnelle (ce qui peut donner une personne qui est très peu consciente de ses ombres et peut fonctionner sur un mode dominant / dominé dans ses relations par exemple). Ces écarts de développement peuvent être représentés selon ce que Wilber appelle le Psychographe intégral. Il ne s'agit pas d'un outil de mesure en tant que tel, mais plutôt d'un outil de représentation permettant de mettre en évidence d'une part les différentes lignes de développement, d'autre part les écarts possibles dans leur déploiement propre.

Exemple de Psychographe intégral

tiré de l'article « A Unified Theory of Development » - Wilber

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Certaines personnes sont essentiellement identifiées aux lignes les plus matures, les plus développées en elles, et ont tendance à vouloir les porter encore plus loin, oubliant les autres dimensions de leur être qui pourtant auraient peut-être besoin d'être davantage prises en considération. Pour d'autres, c'est le contraire, elles s'identifient essentiellement aux lignes de développement les plus immatures, les moins abouties, ne réalisant pas que par ailleurs, elles portent certaines capacités de façon beaucoup plus abouties. Cette notion de lignes de développement apporte ainsi une subtilité et une complexité précieuses dans l'approche du développement du psychisme humain, notamment dans la pratique en psychothérapie ou développement (trans)personnel.

Niveaux de conscience, États de conscience

Malgré l'existence de ces différentes lignes de développement et leurs potentielles différences de maturation, on peut estimer que la conscience d'une personne donnée s'organise autour d'un noyau de développement, d'un point médian relativement stable : par exemple le niveau intermédiaire du stade personnel (auquel cas je me verrai comme un être indépendant et autonome, évoluant dans un monde où chacun est libre, et organisant ma vie et mes relations de façon à en tirer le maximum de plaisir et d'épanouissement personnel). C'est cette stabilité de la conscience que Wilber appelle niveau. C'est la base autour de laquelle se déploie la vie du sujet. Mais ce même sujet peut expérimenter, et expérimente de fait même s'il n'en est pas tout à fait conscient, des états de conscience qui eux sont par nature transitoires. Ces états de conscience peuvent être expérimentés de façon naturelle ou de façon provoquée.

Pour faire simple, Wilber détaille trois états de conscience naturels :

– l'éveil, qui correspond à notre état de conscience actif au cours de la vie quotidienne, et est particulièrement en lien avec le monde des formes (corps grossier)

– le rêve, qui met potentiellement en lien avec le monde de l'âme (corps subtil)

– et le sommeil profond, ou sommeil sans rêve, qui met potentiellement en lien avec le royaume sans forme (corps causal).

Ceci a déjà une première implication très importante : quel que soit le niveau de conscience d'une personne (son point médian), du simple fait qu'elle expérimente de toute façon ces trois états de conscience de façon naturelle et spontanée, elle est capable de rejoindre les réalités subtiles de la vie (monde de l'âme, de l'Esprit...). Ceci n'est donc pas l'apanage des êtres qui seraient plus évolués (stades transpersonnels).

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Quel que soit le niveau de conscience d'une personne, elle peut expérimenter les niveaux subtils, spirituels de la vie, au cours d'états modifiés de conscience.

Outre l'expérience « naturelle » et spontanée de ces réalités, cela peut aussi se faire via les nombreuses techniques et outils existantes : psychotropes, respiration holotropique, voyages chamaniques avec ou sans substances, NDE, états modifiés de conscience, etc. Ces moyens ont l'avantage de pouvoir explorer ces différentes réalités de façon un peu plus intentionnelle, et souvent de façon plus consciente (s'il peut arriver que l'on garde trace ou souvenir de nos voyages durant les rêves, ce n'est pas forcément systématique). Ainsi, chaque être humain, quel que soit son niveau de conscience, a accès à l'ensemble du spectre de la conscience (grossier, subtil et causal), que ce soit spontanément par des moyens naturels, ou de façon provoquée par une technique ou une substance.

Néanmoins, la façon dont ces états de conscience sont expérimentés et interprétés dépend dans une large mesure du stade de conscience de la personne vivant cette peak experience. Ainsi, si je participe d'un niveau de conscience pré-personnel et que je fais l'expérience du divin (monde subtil) lors d'un état de conscience particulier, je traduirai et interpréterai peut-être le divin en une figure paternelle toute-puissante, capable d'un infini amour comme d'une grande colère. Si je fais le même type d'expérience mais à partir du stade personnel intermédiaire, je la traduirai peut-être en termes d'énergie, et affirmerai que le divin c'est de l'énergie qui informe et relie tout, et serait passionné (et rassuré !) par la façon dont la physique quantique peut servir de grille de lecture à ce vécu. Au stade transpersonnel, je peux vivre le divin pour ce qu'il est, sans avoir besoin d'y mettre des mots ni une forme. Je peux réaliser le divin comme étant à la fois transcendant et immanent, synthèse des polarités masculines et féminines, à la fois Plénitude et Vacuité...

Ainsi, chaque état de conscience (seuls trois ont été décrits jusqu'ici mais on peut bien entendu en décrire davantage) sera vécu et interprété de façon très différente.

C'est ce que la Matrice Wilber-Combs cherche à représenter (voir schéma page suivante).

Selon Wilber, c'est à force de faire certaines incursions dans des états de conscience « supérieurs » que le niveau moyen de conscience évolue progressivement. D'où l'importance mise au sein de toutes les traditions sur la pratique de la méditation, de la prière, de la transe avec ou sans substance, etc. Cette corrélation serait là aussi une piste d’investigation scientifique potentiellement très féconde.

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La Matrice Wilber-Combs

tiré de « Integral Life Practice » Wilber, Patten, Leonard & Morelli

Le modèle des 4 quadrants ou AQAL

C'est sans doute l'aspect du travail de Wilber le plus connu et je ne le détaillerai pas particulièrement ici, mais la présentation de la partie « Psychologie » du travail de Wilber ne peut faire l'économie du modèle AQAL. Wilber s'inscrit dans le paradigme holistique qui affirme que tout est un holon (du grec « holos », l'ensemble, le Tout.), c'est à dire que tout ce qui existe est à la fois un tout, une unité en soi, et simultanément la partie d'un tout plus vaste.

Par exemple, l'atome d'hydrogène est un tout en soi, avec ses caractéristiques et lois de fonctionnement propres et la partie d'un tout plus vaste, par exemple une molécule d'eau H2O. La molécule d'eau elle-même a ses caractéristiques et lois de fonctionnement propres et participe à un tout plus vaste, par exemple une cellule humaine. Qui est un tout en soi et participe à un organe. Qui est un tout en soi, etc. Un mot est un holon. Une société humaine est un holon. Une pensée est un holon. La chaise est un holon. Etc. Rien n'est juste une unité en soi, sans appartenir simultanément à un tout plus vaste. Et rien n'est juste la partie d'un tout, sans avoir sa propre « agence », sa réalité et son identité propre. Donc tout ce qui existe (ce qui inclut bien entendu l'être humain), possède un double aspect, à la fois individuel et collectif, global. Ainsi, étudier l'être humain comme une unité séparée de son contexte et son environnement est autant un non-sens que de l'étudier uniquement comme un être social qui n'aurait aucune existence individuelle.

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Par ailleurs, toujours selon Wilber, tout ce qui existe possède à la fois une réalité intérieure et une réalité extérieure, une existence subjective et une existence objective. Certaines sciences se sont ainsi intéressées plutôt à l'aspect extérieur (les sciences dures notamment) tandis que d'autres se sont penchées sur l'aspect intérieur (la phénoménologie, l'anthropologie, etc.).

En croisant ces deux doubles dimensions de toute réalité, on obtient pour finir les quatre quadrants ci-dessous :

Intérieur Extérieur

Individuel

JE

Intériorité - Subjectivité

émotions, croyances, conscience individuelle, intentions...

Freud, Jung, Piaget, Aurobindo, Plotin, Bouddha

IL/CELA

Objectivité

objet, processus, comportement, organisme

Skinner, Watson, Locke, Comportementalisme, la Physique, la

Biologie, les Neurosciences...

Collectif

NOUS

Culture - intersubjectivité

représentations sociales et collectives, idées, théories, valeurs, inconscient

collectif

T. Kuhn, W. Dilthey, J. Gebser, M. Weber, HG Gadamer

CEUX-LA

Systèmes – interobjectivité

structures sociales, environnement, économie, organisations

Théorie des Systèmes, Parsons, A. Comte, K. Marx...

Les quatre Quadrants, ici décrits pour l’Humain

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Si l'on tient compte du fait que la dynamique développementale se déploie parallèlement sur chacun des quadrants, cela peut donner l'exemple suivant :

Le développement le long des quatre Quadrants

L'acronyme AQAL, bien connu des Wilberiens, signifie ainsi le modèle et les approches qui incluent « tous les Quadrants, tous les niveaux » / « All Quadrants All Levels » (qu'il enrichira ensuite par All Lines, All States, All Types...). Wilber appelle ainsi à un nouveau paradigme résolument intégral, qui aborde simultanément toute réalité selon l'ensemble de ces quatre quadrants, toute approche ne se consacrant qu'à un seul de ces quadrants se rendant ainsi coupable d'amputer et donc de dénaturer la réalité qu'elle prétend étudier. Dans l'une de ses nombreuses affirmations provocatrices, Wilber annonce ainsi la fin de la Psychologie (quadrant supérieur gauche) comme discipline à part entière, toute nouvelle tentative d'étudier la conscience humaine se devant de s'ouvrir de façon parallèle à l'ensemble des trois autres quadrants…

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Plutôt que la fin de Psychologie, il s’agit plutôt d’une ouverture, d’une réintégration dans le champ plus large des autres disciplines scientifiques, et de l’établissement d’une Psychologie non seulement transpersonnelle, mais résolument intégrale.

Johann Henry, Paris, le 24 Mars 2018

Bibliographie

Rotheberg, D. & Kelly, S. Eds (1998). Ken Wilber in Dialogue. First Quest Editions.

Sheldrake, R. (2001). L'Âme de la Nature. Albin Michel.

Visser, F. (2009). Ken Wilber La Pensée comme Passion. Almora.

Wilber, K (1987). Les Trois Yeux de la Connaissance. La Quête du nouveau Paradigme. Editions du Rocher.

Wilber, K (1996). The Atman Project. Quest Books

Wilber, K (1997). Une brève Histoire de Tout. Les Editions de Mortagne.

Wilber, K. (1999). A Unified Theory of Development in Collected Works, Vol. IV. (pp. 25-45). Shambhalla

Wilber, K. (1999). Transformations of Consciousness in Collected Works, Vol. IV. (pp. 47-176). Shambhalla

Wilber, K (2000). One Taste. Shambhalla

Wilber, K (2000). Integral Psychology. Shambhalla

Wilber, K (2000). Sex, Ecology, Spirituality. Shambhalla

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LA PSYCHANALYSE SPIRITUALISTE SELON MARC-ALAIN DESCAMPS

Professeur de lettres, créatrice de jeux de connaissance de soi et psychanalyste, Sabine Dewulf ne pouvait participer à notre première journée d’étude. C’est donc sous la forme d’un article « bonus » qu’elle rend ici hommage à Marc-Alain Desamps, figure majeure du transpersonnel français qui l’a accompagnée pendant plusieurs années.

Introduction

Marc-Alain Descamps, né en 1930, est un philosophe et psychanalyste du Transpersonnel. Elève de Jacques Lacan durant une quinzaine d’années, professeur de yoga, de philosophie, puis de psychologie à la Sorbonne et à l’Université René Descartes, psychanalyste en rêve éveillé (il fut, comme Georges Romey, un élève direct de Robert Desoille) et grand voyageur de l’Inde (il y a effectué une dizaine de séjours), il est aussi l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages.

La psychanalyse spiritualiste, telle que l’a conceptualisée Marc-Alain Descamps, s'adresse à tous les niveaux de l'être et à tous les systèmes de croyance. Ce qui mène la cure, c’est l'inconscient thérapeutique du patient. Si celui-ci est respecté et écouté, c'est lui qui accomplit le travail possible à ce moment-là. Il s’agit d’une psychanalyse intégrale : elle reprend tout ce qui a déjà découvert par Freud et ses successeurs, de Mélanie Klein à Winnicott. Elle y ajoute ce qui résulte de l'expérimentation ultérieure : il s’agit de conserver tout l’héritage freudien – une base incontournable à ses yeux – en le réconciliant avec les découvertes jungiennes, c’est-à-dire en ouvrant les intuitions vite étouffées de Freud – sur l’inconscient collectif, par exemple – à l’horizon spirituel de Jung. Un peu comme a pu le faire le philosophe Hegel en son temps, M-A Descamps pensait la psychanalyse comme un courant ouvert, pleinement positif parce que toujours en évolution, intégrant les acquis scientifiques et les grandes avancées psychanalytiques, psychothérapeutiques, celles des différentes sciences humaines, ainsi que l’étude des états de conscience modifiés. Elle redonne également toute sa place au corps physique.

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Le point culminant du processus psychanalytique est la sortie hors de l’égo vers ce qu’il appelle le « surconscient », c’est-à-dire un plan de conscience ultime qui se révèle plus proche du Soi hindou – ou de la vacuité bouddhiste - que du Soi (encore individuel) tel que Jung le concevait.

J’essaierai de résumer ici cette pensée complexe en reprenant l’un après l’autre les différents concepts qu’il prend soin de définir et d’étudier et qui fondent, pour lui, cette discipline paradoxale qu’est la psychanalyse spiritualiste.

I. La Métapsychologie en psychanalyse spiritualiste

La psychanalyse spiritualiste reprend et complète la psychanalyse freudienne grâce à l'apport des pratiques ultérieures. Il s’agit, parmi ces apports, d'abandonner les croyances matérialistes. L’être humain ne se réduit pas à un ensemble de pulsions et l'Amour n'est pas que le désir sexuel. En voici les trois concepts fondateurs.

• L'Attracteur : M-A Descamps établit un parallèle entre la psychanalyste spiritualiste et la science moderne qui fonctionne avec des ondes, des vibrations, des champs, des interférences et des forces d'attraction. Du temps de Freud, la science mécaniste expliquait les phénomènes par des poussées matérielles, semblables à celles des boules de billard. Le psychisme humain se comprend désormais à partir de la théorie des structures dissipatives d'Ilya Prigogine, lui qui se maintient en état d'équilibre instable par une

dissipation continue d'énergie mentale. De la même façon, René Thom décrit la morphogénèse par « la disparition des attracteurs initiaux et leur remplacement par capture par des attracteurs représentant des formes plus globales ». Si l'attracteur libère l'homme, c’est parce qu’il le tire vers l'avant, contrairement à la poussée de la pulsion (dans le vocabulaire freudien) qui provoque un refoulement.

• Le Surconscient : A l’intérieur de l'appareil psychique, Freud distinguait trois niveaux : l'inconscient, le préconscient et le conscient. Il lui a fallu combattre les préjugés de son époque concernant l’inconscient. De leur côté, les psychanalystes spiritualistes doivent batailler pour faire reconnaître l'existence d'un quatrième niveau, qu’on peut appeler le surconscient. Il s'agit d'une expansion de conscience qui apparaît dans le rêve lucide, l’expérience des sommets, les sorties hors du corps,

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les expériences de mort imminente et aussi dans la méditation. Certains rêves éveillés, dits mutatifs, se font à l’intérieur de ce surconscient. Parfois, la notion de "moi" va jusqu’à disparaître dans une conscience cosmique, qui élève vers l'Absolu et ne doit pas être confondue avec ce que Freud décrivait comme une résurgence du "vécu océanique" de l'embryon.

• Le Pôle de Réalisation : De la même façon, il faut ajouter le Pôle de Réalisation, qui joue son rôle d’attracteur à travers les trois niveaux révélés par Freud. Dans l'inconscient, ce pôle est un besoin de réalisation commun à tous les êtres, relié à la partie saine de l'inconscient primitif, archaïque et thérapeutique. L'expérience mutative permet de rouvrir une orientation vers ce Pôle, accompagné du sens des Valeurs. C’est ce qui élève l’être au-dessus de l’égo, vers une Transcendance. Le pôle de réalisation est donc la Valeur ultime qui guide l’Humanité sans provoquer de refoulement. Ce n’est pas le Soi jungien, qui est lié au processus d’individuation. Le moi, disait déjà Lacan, est un mirage. Il faut le dépasser après l’avoir suffisamment construit.

II. L’exploration des différents inconscients

• L’appareil psychique : Freud distinguait l'inconscient refoulé et l'inconscient primitif ou noyau de l'inconscient, c’est-à-dire ce que l'enfant apporte avec lui avant le refoulement. Ce dernier comprend l'inconscient archaïque (les fantasmes originaires d’avant le complexe d'Œdipe), l'inconscient créatif (qui permet d’élaborer des inventions dans le domaine des sciences, de la littérature, etc.) et l'inconscient thérapeutique, qui collabore à la cure dans les rêves éveillés et les rêves nocturnes. Dans la première partie de la cure, on explore avant tout l'inconscient refoulé, en attendant qu’apparaisse cet inconscient thérapeutique. Celui-ci fait du patient, dans la seconde partie de la cure, un analysant qui se met à travailler à son auto-guérison. Des séries de rêve mettent en évidence ce surgissement en levant progressivement le refoulement. Dans l’ensemble du processus, il s’agit de rendre l’inconscient conscient, puis rendre le conscient surconscient, ce qui est possible depuis la découverte des états supérieurs de la conscience.

• La relation analyste-patient : Le transfert n'est plus le pivot de la cure dans la mesure où un troisième pôle (le pôle de réalisation), par sa présence, ouvre la relation. La névrose de transfert est évitée par un nombre moins grand de séances hebdomadaires. Comme le transfert, le contre-transfert peut être retourné pour devenir le plus puissant outil de l’analyse, s’il n’est pas réprimé et s’il est surveillé.

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• La notion de névrose de contre-transfert : Non encore étudiée, elle est pourtant présente notamment chez les analystes qui ont « besoin » de leurs patients et qui compensent leurs frustrations par l'amour de transfert de leurs patients, qu'ils confondent avec un amour réel. Il existe aussi d'autres formes de névroses de contre-transfert qui proviennent parfois des fantasmes archaïques de l'analyste.

• La positivité bienfaisante : elle remplace la « neutralité bienveillante ». Elle suppose qu’une bonne distance soit trouvée dans la relation psychanalyste-patient, entre la sécheresse glaciale de type schizoïde et la fusion excessive de type hystéroïde.

• La position allongée : Cette position reste importante : après les premières séances de présentation de lui-même, le patient va s'allonger, et ce jusqu'aux toutes dernières séances de la cure. Cette position classique présente au moins quatre avantages : d’abord, elle fait sortir du face-à-face des conversations et discussions et, de ce fait, des mécanismes habituels de défense. De plus, elle facilite la détente et le changement d'état de conscience propice à l’expression de l’inconscient. En outre, les projections liées au transfert peuvent mieux s’adresser à un analyste qui n’est plus regardé. Enfin, l’analyste n'est plus contraint de contrôler ses gestes et ses expressions face aux productions du patient, ce qui favorise sa pratique de l'attention flottante.

• La compréhension thérapeutique : Elle désigne la situation qui permet de comprendre le patient dans l'essentiel de sa structure. Elle dépasse l'alliance thérapeutique, trop fluctuante, et favorise la traversée des étapes et des conflits, dans la mesure où la sécurité de l’analyste est accrue.

• Les images-forces : Dans le rêve-éveillé analytique, les images pathologiques laissent progressivement la place aux images-forces qui permettent la guérison grâce à la constitution d’une mythologie personnelle.

Parmi les images qui émergent lors d'une analyse en rêve éveillé, certaines sont en effet repérables à cause de leur caractère insolite: elles sont étranges, nettes, colorées et investies d’une charge affective puissante. Parfois envoûtantes ou fantasmatiques, ces images-forces sont évolutives: après s’être répétées, elles se modifient et obéissent à une progression. L’image fixe et fascinante se détache du réseau obsessionnel auquel elle appartenait: elle se met en mouvement par le scénario imaginaire et par la prise de conscience des signifiants qu’elle véhicule.

• Les étapes de la désintrication des images-forces :

- L'image de départ : chargée de sens et surdéterminée, elle se répète indéfiniment identique à elle-même.

- L'image transformée : elle se rapproche peu à peu du signifiant principal qu'elle représente.

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- L'image-carrefour : elle s'enrichit de la découverte des signifiants qui s’associent à elle.

- L'image mutative : c’est une image nouvelle qui remplace la précédente.

- L’image prospective : elle engage le patient dans une nouvelle dynamique en l’orientant vers le futur et elle est le premier témoin d’un début de résolution du conflit. L'analyste doit être capable d’identifier cette nouvelle image qui traduit l’évolution du problème qu'elle symbolise.

- L’expérience mutative : c’est le point culminant et le but de la psychanalyse spiritualiste, en même temps que sa caractéristique essentielle. Elle permet l’accès à une autre dimension de la conscience, celle du surconscient.

III. Les transactions ou processus évolutifs supérieurs

De fait, la psychanalyse ne peut plus se contenter de réduire le surmoi et de libérer le désir. Elle doit aussi libérer de la personne, de l’égo, pour orienter vers une conscience véritablement transpersonnelle. Voici quelques constituants essentiels de ces transactions.

1. La réalisation : Il s’agit de la poussée de vie qui agit naturellement chez tous les êtres vivants, y compris les plus primitifs. On distingue l'attracteur, le processus et le Pôle. Dans l’être humain, la partie inconsciente et biologique de cette poussée vitale est l'attracteur de réalisation (elle correspond à la pulsion de réalisation, ainsi nommée par certains auteurs). Cette force de réalisation émerge à la conscience humaine et enclenche un processus tout au long de l’existence. Elle va constamment combattre les forces d'autodestruction que peuvent être le complexe d'échec, de castration ou l’aliénation. Ce Pôle de Réalisation attire sans exiger quoi que ce soit. Par conséquent, il ne provoque aucun refoulement. Sur le plan conscient, l’image que s’en fait le patient permet à celui-ci de mesurer les progrès accomplis. C’est lui qui constitue l’allié essentiel du psychanalyste tout au long d'une cure qui privilégie le lien avec la dimension la plus haute de son être.

2. L'orientation : Bien entendu, ce processus de réalisation peut être dévié dans la névrose ou bloqué dans la normose, qui enlise dans les obligations professionnelles et sociales. Marc-Alain Descamps appelle « orientation » le fait de se tourner vers son Orient intérieur, c’est-à-dire vers le lieu où naît en soi-même la lumière spirituelle. Son contraire est la désorientation, qui peut conduire, comme le montre l’escalier des Valeurs ci-dessous, vers les attracteurs secondaires de l'argent ou du pouvoir, vers les valeurs de l'oubli (la drogue, le jeu ...) ou de la destruction (l'absurde, le désespoir, la violence ...). L’on ne peut s’élever vers une plus grande clarté spirituelle qu'après avoir exploré ses zones d'obscurité.

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Marc-Alain Descamps a complété la pyramide de Maslow en dessinant son autre versant, ce qui donne l’escalier des valeurs. Ce schéma intègre l’échelle des besoins de Maslow.

Mais il est symétrique: si l’on ne parvient pas à s’élever sur l’escalier des valeurs en passant du développement personnel (5 étapes) au transpersonnel (6ème étape), on risque de redescendre en sens inverse: - Les valeurs secondaires: Ce sont les valeurs de l’Avoir (qui s’opposent à celles de l’Etre, de la réalisation de soi): la réussite de sa vie personnelle, dont le moteur est un désir de possession infini. - Les valeurs de l’oubli: Là, on se distrait et on s’oublie soi-même en se rendant dépendant des plaisirs. (C’est le contraire de l’estime de soi.) - Les valeurs de la solitude et de l’absurde: On tombe dans le désespoir d’une vie inutile. On se coupe des autres, on se marginalise, voire on devient fou. (Le contraire est l’intégration.) - Les valeurs destructives: On devient nuisible, délinquant ou criminel. On organise une anti-société. (Le contraire est la sécurité.) - Les valeurs de mort: On a faim ou on est anorexique; parfois, on se suicide. (Le contraire correspond aux besoins physiologiques.)

Pour les valeurs de la partie gauche de l’escalier, on peut aller jusqu’à risquer sa propre vie.

3. La métanoïa : Ce terme grec signifie "conversion". Pour M.-A. Descamps, il correspond à un changement d'attracteur. Il s’agit par exemple de se détourner de l’attracteur principal de notre société occidentale : l'intellect ou le mental (« manas » en sanskrit). Il importe de retrouver le second attracteur de la psyché, qui est le vécu affectif et émotionnel. Le travail des psychothérapies émotionnelles, des thérapies primales, la découverte du langage corporel et du corps thérapeutique nous conduisent vers cette réorientation. C’est l'amour qui devient outil de connaissance, dans l’intelligence du cœur. Une deuxième conversion se produit lorsque se met en

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œuvre l'attracteur du spirituel (« pneuma » en grec). Le patient se sent attiré par la Transcendance, le divin infini. Son Eros se transforme en Agapé, amour véritable, désintéressé et généreux. Le but de l'être humain est de se dépasser lui-même dans une Transcendance qui le mène à la complétude de l’être.

4. La transmutation: Ce retournement doit se poursuivre pour devenir une complète transformation, qui s’opère lors d'un processus mutatif. C’est le don qui provoque cette transmutation: le patient fait soudain l'expérience d'une force infinie qui comble ses désirs. Cela se fait souvent sous la forme d'une vision lumineuse, d'où le nom d'« illumination ». Robert Desoille dans sa pratique du rêve-éveillé a très bien décrit ce type de rêve-éveillé mutatif, qui répare et transforme. 5. La sublimation: Freud et Jung ne sont pas parvenus à définir la sublimation, qui est la rencontre du Sublime, c’est-à-dire du sentiment d’amour d’une générosité absolue. Dans l'analyse par le rêve éveillé, on peut accéder à un niveau de résolution et de sublimation. C’est sur ce point précis que Robert Desoille situait à la fois le principal apport de l'imaginaire et le but de la cure. D’une manière classique, on repérait ce niveau en découvrant la « lumière blanche », que Desoille comparait aux visions mystiques. Cependant, ce niveau peut être atteint sans qu’intervienne aucune image visuelle; c’est alors le sentiment de complétude et d'amour universel qui signale l’irruption d’une telle expérience. Celle-ci met en contact avec l’infini qui permet de combler toute frustration ou béance. C’est le don qui permet le pardon et oriente vers une reconnaissance des Valeurs. La « sublimation » doit donc être redéfinie comme l'orientation vers le sublime et cela, en réponse à un appel du sublime. Il ne s’agit pas de cette conception selon laquelle la sublimation est une sorte de libido détournée et réorientée vers des domaines artistiques ou intellectuels. Le sublime n’est pas le beau ou le créatif. Dans la sublimation telle que l’entend Marc-Alain Descamps sont présentes les notions de transformation purificatrice (empruntée à la chimie), d’élévation et de dynamisme. Or, tout le monde n'est pas prêt à vivre ce contact avec le sacré. Et parfois, ce type de conversion peut bouleverser toute l’existence ordinaire. De plus, face au divin peut surgir un sentiment d'indignité et de recul, ce qui provoque le refoulement du sublime. Un tel désaveu peut engendrer une forme de désespoir.

6. La crise d'émergence spirituelle (C.E.M.) : Il vaut mieux que la spiritualité soit préparée et encadrée par une voie traditionnelle ; sinon, elle se manifeste sous la forme d'une crise déstabilisante. C'est parfois une raison d'entreprendre une psychothérapie analytique. Certaines méthodes (par exemple holistiques, tantriques, chamaniques, spagyriques…) peuvent déboucher, après un choc préalable, sur le même besoin de prise en charge. La crise d'émergence spirituelle est une période de trouble qui peut cependant être surmontée assez facilement car elle est nécessaire à un engagement dans une nouvelle direction. Dans une voie initiatique traditionnelle, la crise est réduite, voire évitée.

7. L'accordage : A la manière de l’union musicale de plusieurs sons concomitants, l’accordage se produit entre l'analyste et son patient. Ce concept désigne la décision du patient de prendre une part active à son analyse. Cet accordage est facilité par la compréhension thérapeutique, mais celle-ci n'est pas indispensable pour qu’il se

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produise. Il n’est pas lié à un affect transférentiel. Même si l’étape fondamentale reste le transfert et les transferts, le patient peut être compris de l'intérieur, ce qui permet à l'alliance de rester valide en profondeur, de cœur à cœur, situé à un niveau supérieur de conscience. Cet accord des cœurs est la condition nécessaire de l’accordage, qui s'installe après la réparation de l’expérience mutative. C’est une sorte d’adhésion à l'ordre universel, une fois les rancœurs et revendications oubliées, une forme de reconnaissance de l'aide providentielle de forces bénéfiques, avec lesquelles le patient peut faire alliance. Cet accordage avec le thérapeute est donc intimement lié à deux autres accordages : 1. avec le meilleur de soi-même ; 2. avec l’univers infini et sacré.

8. La signification : Cette signification correspond à la découverte du sens de son existence. Cette découverte accompagne souvent la fin de la cure. Le patient comprend les conséquences de ses actes et, par là même, se réinsère dans le grand courant vital et universel. Il se sent solidaire des autres et de la planète. Cet élargissement lui permet de relativiser ses problèmes individuels et de se rendre utile. L’altruisme est libérateur.

9. La progression : La progression est le complément indispensable de la régression. En effet, il faut d’abord régresser en remontant jusqu'aux origines de son être ; ensuite, il est temps de se projeter dans l’avenir et de faire des projets. Marc-Alain Descamps explique que « l'être humain est déterminé par son passé et libéré par son futur ». Une fin de cure s’accompagne généralement de l’élaboration, dans la parole, de projets concrets et valables.

10. La valorisation : La valorisation doit être ici entendue comme la reconnaissance des Valeurs et le fait de se mettre à leur service. De telles valeurs sont innées. C’est le cas de l’amour et du sens de la justice, par exemple. Ces valeurs ne doivent pas être confondues avec le surmoi étudié par Freud, qui correspond à une construction morale déformante, rigide et souvent sadique. Elles s’inscrivent dans une éthique, une libre exigence morale intérieure. Il faut à la fois se libérer du Surmoi culpabilisateur découvert par Freud et s’orienter vers l’amour naturel (et non imposé par une révélation religieuse comme chez Jung) du Bien, vers lequel tend l’univers entier. 11. La métamorphose : Cette métamorphose est un véritable changement d'identification. Nous partons de l’égo, où sont entretenus l'égoïsme, l'orgueil et la colère. C’est ce qui correspond à la description par Lagache du Moi-Idéal, un modèle de toute-puissance narcissique qui se fonde sur la mégalomanie infantile du nourrisson, qui peut conduire à une prétention grandiose de l’adulte. Cette prétention masque d’ailleurs une profonde dépréciation de soi. C’est pourquoi les premiers temps de la cure servent surtout à restaurer l'estime de soi. On ne peut en effet renoncer qu'à ce qu'on possède déjà. Au début, l’identification s’est faite par rapport à l’un des parents, à une nourrice ou à un autre membre de la famille. Ensuite, le modèle devient un professeur, une star ou un héros du quotidien. Le patient

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s’identifie aussi et surtout aux peurs, manques et traumatismes de l’enfance. Il est souvent resté le désir d'un autre ou de l'Autre. Il lui faut donc retrouver son vrai moi. La métamorphose intervient pour passer de ce qui ressemble encore à un état de larve à une réorganisation et à un retour à l'imago d'origine. Comme la chenille devient papillon, l’être humain accède à l’épanouissement total en découvrant sa véritable nature, hors du temps. Cette nature n'est plus individuelle, elle est transpersonnelle. La métamorphose est donc l’identification à la conscience cosmique – ce que l’on nomme dans le christianisme l'entrée dans le Royaume ou, dans le bouddhisme, l'éveil à la nature réelle de l'esprit. Selon Marc-Alain Descamps, une thérapie n'est complète que si elle guérit aussi de la condition humaine…

Conclusion Réconcilier Freud et Jung, c’est donc, d’une part, nettoyer l’inconscient avant de se

tourner vers le divin (ne pas faire de la névrose une œuvre d’art ou une cathédrale…) et, d’autre part, ne pas nier la transcendance, le surconscient. Mais on l’a vu, la psychanalyse spiritualiste ne se réduit pas à cette réconciliation, elle intègre aussi d’autres avancées et, surtout, elle se rapproche du travail spécifique des maîtres spirituels orientaux, qu’ils soient issus de l’Hindouisme, du Bouddhisme ou du Taoïsme.

En rédigeant cette synthèse de ce que j’ai appris auprès de Marc-Alain Descamps, j’ai retrouvé cette paix que j’éprouvais souvent lorsqu’il parlait, ce sentiment de sécurité qu’il procurait avec cette incroyable aptitude à intervenir au bon moment, d’un ton parfois volontairement cassant pour secouer en nous les résistances inutiles. Je me suis également rappelé son sens pédagogique, sa faculté de simplifier le plus difficile pour ses étudiants. Enfin, je me suis retrouvée en pensée dans cette partie de son appartement qu’il appelait le « temple », entouré qu’il était de livres, bien sûr, mais aussi d’objets précieux offerts par différents maîtres, avec un décor hindou qu’il masquait par un rideau lorsque la pièce n’était pas dévolue à l’enseignement du Yoga-Nidra.

C’est donc avec émotion et gratitude que je salue, par l’intermédiaire de cet article, l’immense psychanalyste qu’il a été pour moi.

Sabine Dewulf, ,Lille, Avril 2018

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PSYCHOLOGIE(S) TRANSPERSONNELLE(S)

En guise de synthèse

Ces « Pères » du transpersonnel que nous venons de présenter peuvent être considérés comme de véritables pionniers de la conscience, explorateurs de territoires qui, à défaut d’être complètement vierges, ont été encore bien peu visités avant eux. Ce qui relie tous ces grands noms, c'est qu'ils ne s'expriment pas à partir d'un savoir livresque ou universitaire, mais que tous ont véritablement fait le voyage vers ces mondes qu'ils nous décrivent. Leurs moyens d'exploration ont été multiples et variés : intenses dialogues avec l'Inconscient via l'imagination active ou le rêve, prise de psychotropes, pratique assidue de la méditation, pratiques psychospirituelles accompagnées ou non par des Maîtres, etc. Et tous sont revenus avec des concepts, des cartes du psychisme, des pratiques et des techniques nouvelles venant considérablement enrichir la conception de l'humain, de son psychisme et de son devenir. Néanmoins, si l'ensemble de ces auteurs semblent être allés dans une direction commune, les différences - voire les divergences - que l'on peut constater entre leurs travaux peuvent nous conduire à nous demander s’ils ont parcouru les mêmes territoires, et s'ils nous parlent finalement bien de la même chose... En d'autres termes : l'héritage de ces Pères fondateurs nous permet-il d'affirmer l'unité du champ investigué par la psychologie transpersonnelle ? A peine cinquante ans après l'émergence de la discipline, il est clair que la définition de son champ et du paradigme dans lequel elle s'inscrit n'est pas encore totalement – certains diront pas suffisamment – défini et stabilisé. C'est d'ailleurs cette difficulté à se définir que la psychologie transpersonnelle a rencontré dès ses débuts qui a conduit Wilber, un peu impatient, à en claquer la porte dans le début des années 80 pour fonder la psychologie intégrale. Toutefois, en nous appuyant sur le travail de ses fondateurs et des personnes qui ont investi la discipline à leur suite, nous pouvons dégager trois points clés. La psychologie transpersonnelle est une approche de la psychologie qui :

1) étudie les phénomènes dépassant les frontières habituelles de l'ego (en particulier via les états modifiés de conscience)

2) propose un modèle intégratif et holistique de l'humain 3) promeut des processus profonds de transformation humaine, individuelle et

collective. (Hartelius, Rothe, Joy, 2015) Développons quelque peu chacun de ces points.

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1. Une conscience élargie Wilber décrit la possibilité pour la conscience de rejoindre des niveaux et états transpersonnels et ultime. De même, que ce soient les états holotropiques de Grof, les peak experiences de Maslow, le surconscient de Descamps ou le supraconscient d'Assagioli, tous décrivent des états qui dépassent et transcendent les perceptions et capacités habituelles de la conscience. Ainsi, la psychologie transpersonnelle est née en grande partie de la mise en lumière de la capacité inhérente à l'humain à rejoindre des états de conscience et des stades de développement qui se situent au-delà de l'ego personnel. Le soi ici n'est plus considéré comme étant uniquement individuel et isolé, retenu dans l'ici et maintenant, mais comme capable de s'étendre pour inclure les autres, la nature, d'autres réalités du temps, de l'espace et du monde...Les états modifiés de conscience qui caractérisent les expériences spirituelles, mystiques et transcendantes ne sont plus vus comme des états pathologiques, ni comme des distorsions de la réalité ; ils sont au contraire abordés comme des perceptions et des expériences associées à un self qui dépasse ses limites conventionnelles. On ajoutera ici que l'un des apports de la psychologie transpersonnelle, et en particulier du travail de Grof, a été de montrer le potentiel guérisseur et évolutif de ces états de conscience élargie, à l'image de sa propre expérience lors de sa première prise de LSD rappelée par Bernadette Blin dans sa présentation. 2. Un modèle holistique On l'a vu également au travers des différents exposés, ces expériences d'états modifiés de conscience impliquent nécessairement un nouveau modèle du psychisme. Les apports des différents fondateurs sont à ce titre variés et complémentaires : ajouter à l'inconscient freudien une dimension supérieure (Assagioli, Descamps) ou collective (Jung), révéler l'importance des expériences périnatales dans la structuration du psychisme (Grof et les MPF), ou bien encore intégrer plus largement toutes les dimensions de l'être humain, corporelle, émotionnelle, cognitive, spirituelle, mais aussi collective (Wilber). Cela apparaît peut-être peu dans les exposés de cette première journée, mais cette nouvelle approche insiste aussi sur le fait que la psyché n'est pas une chose isolée fonctionnant séparément du corps, de la société ou de l'environnement, mais qu'elle doit être abordée comme un aspect local d'un tout interconnecté. Il s'agit ainsi non seulement d'intégrer les différentes parties du psychisme de l'individu (intra-subjectivité), mais aussi d'intégrer le psychisme de l'individu au sein de l'ensemble auquel il participe (inter-subjectivité et méta-subjectivité).

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3. Des processus de transformation Enfin, la psychologie transpersonnelle se positionne comme une psychologie des processus de transformation et propose un ensemble de pratiques profondes et pour nombre d'entre elles, révolutionnaires. La psychosynthèse d'Assagioli délivre nombre de pratiques, tout comme « l'Integral Life Practice » proposée par Wilber, la psychanalyse spiritualiste de Descamps et bien sûr, la Respiration Holotropique de Grof. Ce voyage de transformation que permettent d'entreprendre ces différentes pratiques n'est pas un simple déplacement d'un état ou d'un stade à un autre ; il s'agit d'un voyage où le paysage, la destination et le voyageur lui-même mutent et changent en même temps. Là aussi, cette transformation ne se limite pas à l'individu mais inclut le contexte plus large auquel/duquel il participe (communauté, société, humanité...). Si ces trois points que nous venons de considérer sont à même de rassembler ces différents Pères du transpersonnel et de soutenir l'idée que la psychologie transpersonnelle a bel et bien une identité qui lui est propre, il n'en reste pas moins que par ailleurs, la posture de fond qui sous-tend leur approche du domaine, voire le paradigme auquel ils s'affilient, varient parfois de façon considérable. Afin d'éclairer ces différences, Daniels (2015) emprunte à Wilber (1995, 1996) le concept de courant ascendant (mouvement vers l'Esprit, vers le Tout) et de courant descendant (mouvement vers la forme, vers la Matière) pour montrer que la Psychologie transpersonnelle est elle aussi traversée par ces deux mouvements. Le courant ascendant vise à perfectionner la conscience depuis son état de base, considéré comme limité, matériel et grossier, vers un état ultime de conscience absolue, d'union avec l'Esprit, avec le Tout. Pour le courant ascendant, le chemin spirituel est donc un chemin de transcendance du monde manifesté pour parvenir à la libération. Cette quête, véritable voyage du Héros (Campbell, 2013), est une histoire essentiellement personnelle, l'aspirant ou le disciple étant régulièrement confronté à ses ombres, ses doutes, ses illusions, qu'il devra lui-même dépasser afin d'atteindre progressivement les états d'illumination. Le courant descendant lui ne vise pas à rejoindre un « autre monde », une autre réalité ; au contraire, il s'inscrit résolument dans ce monde, celui de l'incarnation. Pour lui, il n'y a rien à « rejoindre » ni à acquérir en particulier, mais plutôt à se défaire de ce qui entrave voire empêche notre nature profonde de s'exprimer dans notre vie (traumatismes, identifications erronées, protections...). Le but est d'exister pleinement dans l'ici et maintenant du corps, des émotions, de la relation, et de participer pleinement au monde. Comment situer nos auteurs pionniers du transpersonnel au regard de ces courants ? Certes Wilber affirme dans nombre de ses travaux (par ex. 1995, 1997) qu'il s'agit pour la nouvelle psychologie d'intégrer ces deux mouvements, néanmoins son modèle reste essentiellement de type ascendant, orienté vers des réalités supérieures qui

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représentent le but et la finalité de la conscience humaine. La même chose peut être dite d'Assagioli et de Descamps qui, s'ils incluent les domaines dits « inférieurs » de la conscience (ou de l'inconscient) comme travail préliminaire dans leurs approches et leurs pratiques, visent à les dépasser afin de rejoindre le surconscient ou supraconscient. Le travail de Maslow semble lui aussi plutôt orienté vers les hauteurs. Du côté du courant descendant - et de nouveau cela n'exclut pas les réalités « supérieures » et spirituelles - on retrouve le travail de Grof qui emprunte une voie très incarnée, basée sur le corps, explore le processus de naissance, et pour qui la relation a une importance toute particulière. Petit aparté : le mouvement du transpersonnel français, principalement inspiré par Grof et Jung, ainsi que par des thérapeutes enseignants tels que Richard Moss ou John Welwood, est lui aussi, dans une large mesure, essentiellement animé par ce courant descendant : voie du corps et du souffle, voie de la présence, voie de la relation. L'approche de Jung quant à elle rentre difficilement dans cette catégorisation, le psychanalyste suisse ayant davantage travaillé sur l'axe intériorisation / extériorisation. Intégrer ces deux mouvements, cesser d'avoir à choisir entre les hauteurs et les profondeurs et s'inscrire dans une perspective non-duelle, tel que l'a proposé très justement Cyrille Champagne à la fin de sa présentation, semble être un premier pas nécessaire et potentiellement très fécond. Mais avant d'aller dans ce sens, Daniels (2015) suggère encore un troisième mouvement : un mouvement horizontal d'expansion (extending). Cette dynamique « horizontale » est portée par un courant du transpersonnel très récent, initié notamment par Jorge Ferrer (2002, 2011, 2017), qui critique de façon assez vive les modèles dominant la discipline jusqu'alors, et propose une approche susceptible de renouveler profondément le domaine, voire d’aboutir à un nouveau paradigme. Il nomme cette approche la perspective participatoire (participatory), ou spiritualité participatoire. De quoi s'agit-il ? Pour Ferrer, il est plus que nécessaire de battre en brèche l'idée - issue de la philosophie pérennialiste popularisée notamment par Aldous Huxley, René Guénon et Ken Wilber...- que derrière la multiplicité des voies spirituelles il n'existerait qu'une seule et même réalité, un seul et même point Omega de l'évolution de la conscience, et aussi la conception selon laquelle le chemin de l'évolution (qu'il soit ascendant vers la transcendance, ou descendant vers l'individuation) ne serait qu'une histoire personnelle (strictement intrasubjective). Selon Ferrer, et à sa suite une grande partie du mouvement du transpersonnel nord-américain actuel, le monde est un système vivant dynamique qui n'a pas de finalité définie, mais est continuellement en train de se cocréer lui-même. En disant cela, il ne réduit pas le monde à une réalité matérielle et organique mais inclut la conscience, l'esprit, en accord notamment avec les travaux de Gregory Bateson (1979) qui suggère qu'esprit humain et monde naturel sont en quelques sortes consubstantiels, qu'il existe une continuité entre eux, ce qui permet

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au monde de se connaître lui-même. Ainsi donc, l'évolution - les expériences spirituelles et mystiques par exemple - ne sont pas à considérer comme se déroulant uniquement dans la subjectivité privée des personnes, mais dans un monde partagé. Selon Ferrer en effet, ces expériences d'éveil ou peak experiences ne sont pas des événements qui arrivent à l'individu, mais des actions que le monde et le soi (self) provoquent ensemble, selon un processus qu'il nomme « énaction participatoire », en référence toujours aux travaux de Bateson (1979) et Francisco Varela (1996) sur l'énaction. Le self et le monde, la partie et le tout, se forment réciproquement au sein d'un processus continu de participation mutuellement transformatrice, et dont la finalité n'est pas pré-définie. Cette émergence continue peut potentiellement jaillir sur l'ensemble des facultés humaines (rationnelle, somatique, esthétique, vitale, imaginale...), tant au sein de l'individu, que des relations ou de communautés tout entières. Il y aurait bien entendu encore beaucoup à dire sur ce paradigme participatoire et la controverse qu’il suscite, et cela sera sans doute l'objet de futures publications ou de journées d'étude. Ce qui est à retenir ici, c'est la dimension collective, organique, holonique, qui ouvre radicalement la question de l'évolution, pour d’une part la sortir de la seule subjectivité de l'individu, et d’autre part lui donner une infinité de finalités possibles (contrairement aux voies verticales ascendantes ou descendantes). Si ce modèle participatoire a tendance à se positionner en remplacement des modèles pérennialistes verticaux, Daniels suggère plutôt de voir ces trois mouvements ascendant, descendant et d'expansion, comme les trois vecteurs complémentaires du développement transpersonnel.

Les trois vecteurs de l'égo-transcendance – Daniels (2015)

égo

Expansion Expansion

Ascendant

Descendant

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Ascendant Descendant Expansion

Métaphore Hauteur Profondeur Étendue

Mot clé Illumination Individuation Participation

Qualités dominantes

Sagesse, Foi Intégration, Espoir, Confiance

Compassion, Service, Amour

Tradition Religion Psychologie Humanisme

Royaume d'exploration

Mental supérieur, Supraconscience

Inconscient (individuel, collectif...)

Les gens, le monde

Ego vu en tant que : « Moi » inférieur Système psychique partiel

Egocentrisme, anthropocentrisme

Ce qui est à transcender :

« Nature » inférieure Divisions psychiques L'état centré sur soi

Vise à unir : Le Self et le Divin Le conscient et l'inconscient

Le Soi et l'Autre

Les trois vecteurs du Développement transpersonnel – Daniels (2015)

Pris ensemble plutôt qu'isolément, ces trois courants offrent ainsi une perspective véritablement intégrale à la psychologie transpersonnelle, dont le volet psychothérapeutique viserait à la fois 1) la quête de Sagesse et d'une perspective plus subtile sur le monde (courant ascendant), 2) l'intégration psychologique et la pleine incarnation (courant descendant), et 3) la compassion et la participation consciente à la dynamique co-créatrice du monde (expansion). L'avenir dira comment la psychologie transpersonnelle en général, et la psychologie transpersonnelle francophone en particulier puisque c'est celle qui nous intéresse ici, saura se sortir de ses divisions et intégrer l'immense richesse qu'elle a déjà réussi à rassembler en à peine un demi-siècle.

Johann Henry

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Bibliographie Bateson, G. (1979). Mind and Nature : A necessary Unity. Hampton Press. Campbell, J. (2013). Le Héros aux Mille et Un Visages. J'ai lu. Daniels, M. (2015) Traditional Roots, History, and Evolution of the Transpersonal Perspective, In Friedman H.L. & Hartelius, G., The Wiley-Blackwell Handbook of Transpersonal Psychology, Wiley Blackwell. Ferrer, J. (2017). Revisioning Transpersonal Theory. A Participatory Vision of Human Spirituality. State University of New York Press. Ferrer, J. (2017). Participation and the Mystery. Transpersonal Essays in Psychology, Education and Religion. Suny Press Hartelius, G. & Ferrer, J. (2015) Transpersonal Philosophy – The Participatory Turn In Friedman H. L. & Hartelius, G., The Wiley-Blackwell Handbook of Transpersonal Psychology, Wiley Blackwell. Hartelius, G., Rothe, G., Roy, P. J. (2015) A Brand From Burning. Defining Transpersonnal Psychology. In Friedman H. L. & Hartelius G., The Wiley-Blackwell Handbook of Transpersonal Psychology, Wiley Blackwell. Huxley, A. (1977). La Philosophie éternelle. Points Varela, F. (1996). Neurophenomenology. Journal of Consciousness Studies. 3(4), 330-349. Wilber, K. (1995). Sex, Ecology, Spirituality. Shambhala. Wilber, K. (1997). Une brève Histoire de Tout. Editions de Mortagne.

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POUR ALLER PLUS LOIN…

En complément des bibliographies proposées par les auteurs ayant participé à ce numéro, nous vous proposons de découvrir les titres suivants :

Manuel de psychothérapie transpersonnelle – Brigitte Chavas et Bernadette Blin (ed. Dunod)

Formatrices et praticiennes en psychothérapie transpersonnelle, Brigitte Chavas et Bernadette Blin présentent dans cet ouvrage les caractéristiques de cette approche (travail en états de conscience élargie, relation et corps au cœur du travail), ainsi que ses racines et perspectives.

Expériences extraordinaires, le manuel clinique – direction Stéphane Allix et Paul Bernstein (ed. Dunod)

Rédigé à l’initiative de l’INREES par un collectif de praticiens expérimentés, cet ouvrage vise à donner un aperçu pertinent de ce que l’on nomme « expériences extraordinaires » (ex. expériences de mort imminente, contact avec des défunts, sorties hors du corps…) ainsi que des clés pour accompagner ceux qui les vivent.

…ET NOUS REJOINDRE

http://www.ovoia.com/grett/c/page/le-coll%C3%A8ge-de-psychotherapie

http://www.ovoia.com/grett/c/page/adh%C3%A9rer-au-grett