cahier n° 92 : scholem

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Cahier consacré à Gerschom Scholem

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Page 1: Cahier N° 92 : Scholem

GershomScholem

Ce Cahier a été dirigé par Maurice Kriegel

Page 2: Cahier N° 92 : Scholem

Ouvrage publié et traduit avec le soutiendu

Centre National du Livrede

la Fondation pour la Mémoire de la Shoahet de

la Fondation du Judaïsme Français

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Couverture : © The National Library of Israel.Cahier iconographique : © The National Library of Israel : I, II (9), III (10-11), IV (15-16). © DR : II (6-7-8), III (12), IV (13-14).

© ÉDITIONS DE L’HERNE, 200922, rue Mazarine 75006 [email protected] : 978-2-85197-1586

Page 3: Cahier N° 92 : Scholem

Sommaire

7 Avertissement

10 Repères biographiques

I ENTRETIENS AVEC GERSHOM SCHOLEM

17 Et tout cela est kabbalah

36 La jeunesse juive en Allemagne

44 Le sionisme : la dialectique de la continuité et de la rébellion

64 Messianisme, sionisme et anarchie dans la langue

70 Sur Agnon

85 Immoralisme religieux, immoralisme politique

92 La menace du messianisme

II TEXTES DE GERSHOM SCHOLEM

97 95 thèses sur le judaïsme et le sionisme

101 Le bolchevisme

103 Poésie de la kabbale ?

119 Lettre à Bialik

123 L’histoire à Jérusalem

130 À l’ombre de la peur. Sur Proust

133 Réflexions sur les études juives

146 La recherche sur la kabbale. Réflexions

148 La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs

151 Mon chemin vers la kabbale

154 Dieu réside-t-il dans le cœur d’un athée ? Sur Ernst Bloch

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158 Le potentiel poétique de la kabbale

161 Identification et distance. Un retour en arrière

164 Le détective de Slobodka. Sur Harry Wolfson

III POSTÉRITÉ

171 Theodor AdornoSalut à Gershom Scholem. Pour son 70e anniversaire

176 Pierre BouretzScholem et l’écriture de l’histoire

190 Michael BrennerGnose et histoire : les polémiques sur l’identité juive allemande de Graëtz à Scholem

200 W. D. DaviesDe Schweitzer à Scholem : réflexions sur Sabbataï Tsevi

214 Amos FunkensteinGershom Scholem : charisme, kairos et dialectique messianique

223 François FuretGershom Scholem : la culture juive et l’universel

225 Jürgen HabermasDépister dans l’histoire l’autre de l’histoire. Sur le Sabbataï Tsevi de Gershom Scholem

230 Moshé IdelCatalyseurs subversifs : sur la gnose et le messianisme dans la mystique juive selon GershomScholem

249 Maurice KriegelJérusalem 1920-1980 : la solitude des historiens

275 Baruch KurzweilL’autorité de l’histoire et ses limites

284 Stéphane MosesL’autobiographie de Gershom Scholem

291 George MosseGershom Scholem, Juif allemand

302 Peter Schäfer« La philologie de la kabbale n’est qu’une projection sur un plan » :Gershom Scholem sur les intentions véritables de ses recherches

316 George SteinerLumières intérieures

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Avertissement

Une expérience essentielle rassemble en une sorte de fraternité les lecteurs de GershomScholem : son œuvre leur a fait découvrir, à l’intérieur du judaïsme, des univers de pensée et desensibilité dont ils soupçonnaient à peine l’existence, et saisir le mouvement de la vie qui dans lepassé s’y était déployé. Elle leur a aussi montré comment de très anciens débats font pendant auxquestionnements les plus contemporains sur les façons de comprendre et d’habiter l’identité juive.C’est cette manière unique de se transporter sur des terrains éloignés pour retrouver autrement lesenjeux les plus lourds de sens du présent qui a fait de Scholem, en son temps, sur toutes les chosesdu judaïsme, le contemporain capital.

Il a ouvert son propre chemin, du temps de sa jeunesse berlinoise, au cours des deux premièresdécennies du XXe siècle, sur deux ruptures. Il se détourne d’emblée d’un judaïsme réduit à sonexpression « bourgeoise », tient l’oubli de la tradition pour la cause et le résultat d’une calamiteusediminution, et fait à toute allure, dans un formidable télescopage, le tour des différentes manièresenvisageables de la retrouver. En même temps, à travers l’opposition à la guerre dès l’été 14, ils’arrache intérieurement à l’Allemagne. Doué pour la décision au même degré que son ami WalterBenjamin l’était pour l’hésitation et la procrastination, il s’engage à partir de là sur deux plans, etces engagements vont définir sa vie : pour le sionisme, auquel il attache des espérances d’un typeparticulier, puisqu’il attend de la formation d’une nouvelle société en Palestine qu’elle serve detremplin à la renaissance d’une ancienne culture, capable de se métamorphoser tout en coïncidantencore avec elle-même ; dans l’exploration de la tradition juive, et plus spécialement de la mystiquekabbalistique, soit la part de la tradition à son gré la plus vivante, parce qu’il la crédite d’avoir suassocier fidélité et liberté, d’avoir fait de l’installation dans ses espaces les plus intérieurs le gaged’une perpétuelle réinvention. Établi à Jérusalem à partir de 1923, et jusqu’à sa mort en 1982, ilélabore une œuvre énorme, qui révolutionne la connaissance du kabbalisme, mais aussi, par exten-sion, du judaïsme en toutes ses dimensions, comme d’une histoire juive qu’il veut saisir du dedanset dans ses rythmes propres. Dans la dédicace de l’un de ses livres phare à la mémoire de WalterBenjamin, il a célébré en celui-ci « la pénétration du métaphysicien, le pouvoir interprétatif ducritique et l’érudition du savant » : voilà bien la combinaison de forces d’où l’œuvre de Scholemelle-même tire son éclat. Mais en même temps qu’il conduit cette entreprise de résurrection d’unpassé saisi dans le temps le plus long, Scholem ne cesse de revenir sur l’histoire en train de se faire :il s’efforce alors, en abordant les questions qui le préoccupent le plus – le jeu des forces contra-dictoires, entre rupture et continuité, à travers lequel Israël en formation établit son rapport à latradition, les mues de l’identité juive et la place du religieux institutionnel dans les structures dunouvel État, les transformations, prometteuses ou grosses de risques, des conditions d’exercice etdes orientations de la recherche sur le passé juif –, d’inscrire les développements courants dans lesproblématiques plus vastes ou les temporalités plus larges où ils prennent sens, d’y reconnaître lesmoments d’un devenir ou l’expression logique, dans un mouvement ou une culture, de ses tensionsconstitutives.

Les entretiens réunis ici – tous inédits en français –, et que Scholem a accordés dans les annéessoixante et soixante-dix du XXe siècle, s’ordonnent autour de deux pôles. Des propositions pour undéchiffrement du mouvement contemporain des choses dans le monde juif forment un premierensemble. La réflexion de Scholem sur l’itinéraire de ses jeunes années, ou autour des personnalitéset des œuvres qui ont compté pour lui, celle de Walter Benjamin au premier rang, celle aussi dugrand écrivain hébraïque Agnon, en composent un second. Mais en réalité, comme il est naturel

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chez un auteur qui a entièrement subordonné sa destinée propre à des choix eux-mêmes dépendantsd’une lecture de son temps, les deux perspectives, générale et personnelle, sont constamment mêlées,et le mouvement par lequel une personnalité forte s’impose au milieu d’analyses neutres et aumême moment s’efface pour mettre en avant ce qui est plus important que soi donne à ces entretiensleur couleur et leur force. Les découvrir offre le moyen le plus plaisant et le plus sûr d’approcherl’homme et son univers : Scholem y est tout entier, avec ses partis pris, ses emportements, et aussibien son esprit d’accueil, ses indulgences. S’il livre une version, sur ce que furent très tôt sesconvictions ou ses prises de position, qui peut sur tel ou tel point être mise en doute, une absoluesincérité, l’absence de posture éclatent dans toutes ses explications. La personnalité morale et intel-lectuelle se donne autant à voir. À travers cette façon, d’un côté, de mettre au centre, dans lejugement sur les personnes comme sur les mouvements collectifs, la qualité de la résolution moralequi les habite ou s’y exprime : conséquence de l’idée qu’il appartient à chacun, puisque l’histoireavance certes, surtout à travers le « paradoxe » ou des « renversements dialectiques », mais que sesrésultats sont parfaitement imprévisibles, de trouver sa « justification » au moyen d’un pari denature éthique. À travers, de l’autre, la mise en jeu, au fil d’échanges sans apprêt, et sur le terrainde l’actualité, des mêmes notions clés qui ont servi à Scholem de pierres d’angle dans la constructiondu grandiose édifice de ses principales synthèses ; elles gagnent peut-être, à cet usage direct, entranchant, leur signification profonde se dégage là si nettement qu’on y puise l’envie de se confronterà nouveau aux grandes œuvres en lecteur mieux averti.

Les seize textes de Scholem réunis à la suite sont tous, eux aussi, rendus disponibles en françaispour la première fois. Mais on ne les a pas retenus pour cette raison vaine que jusqu’ici, au hasarddes initiatives d’édition, ils avaient été laissés de côté. Ces pièces prises ensemble composent encore,après les entretiens, un « Scholem par lui-même » ; chacune a sa puissance, et aucune n’est à rangerdans la catégorie des curiosités, ou des morceaux mineurs d’une plume prestigieuse, offerts enpâture lorsqu’il n’est plus d’autre moyen de satisfaire l’appétit de fréquenter un grand auteur ;plusieurs appartiennent à ce qu’il y a de plus essentiel dans l’œuvre entière. L’ordre chronologiquede la présentation suggère de lui-même un parcours. Les premiers essais montrent Scholem à latâche d’inventer ses propres questions. Ceux qui suivent représentent à la fois des rapports d’étapeet des manifestes, dans lesquels il définit son projet et expose de quelles ruptures celui-ci est porteuravec la façon prépondérante de pratiquer l’étude du judaïsme. Dans le groupe de textes qui datentdes dernières années, il cherche une dernière fois à faire comprendre ce qu’il a voulu faire, ouexamine des œuvres à la fois très proches et radicalement éloignées de la sienne : il les aborde avecun mélange de respect, de tendresse et de recul ironique qui fait le charme propre de ces études,et, en marquant la permanence de ses compagnonnages et de ses refus, y brosse aussi en creux sonpropre portrait. Alternent, tout au long de ces pages d’époques différentes, comme pour soulignerune autre permanence, celle d’un tempérament aux directions contradictoires, des styles trèscontrastés : ici une écriture inspirée, recherchée, qui ne répugne pas à l’effet et à la stridence, làune prose apaisée, exacte, imposante de discipline.

Les études sur Scholem, en troisième lieu, feront d’abord mesurer la diversité des milieuxintellectuels dans lesquels son œuvre a été accueillie comme référence majeure : voisinent ainsi danscette section du volume des Tombeaux de Scholem de la main des maîtres de la « sociologiecritique » allemande et l’essai de l’un des spécialistes américains les plus réputés de l’exégèse néo-testamentaire, qui réagit à la parution en anglais du grand livre de Scholem consacré à l’aventure,au XVIIe siècle, du Messie juif Sabbataï Tsevi, découpée en trois moments – « échec » dans l’histoirevisible, élaboration théologique de cette défaite, naissance d’un système religieux – et se demandequelles conséquences cette reconstitution emporte pour l’interprétation des origines chrétiennes.D’autres essais, qui représentent un moment ultérieur de la réception, cherchent à mieux cernerd’un côté quels déplacements se sont opérés à l’intérieur d’une œuvre acharnée à toujours retravaillerses hypothèses, et de l’autre dans quel milieu de sensibilité les positions de Scholem, et en particuliersa façon centre-européenne de comprendre le sionisme, si différente de celle qui prévalut en Europeorientale, plongent leurs racines. Enfin, c’est au travers d’une nécessaire et par nature interminableexplication avec Scholem que les chercheurs de la dernière génération ont engagé l’étude dujudaïsme mystique dans des directions totalement nouvelles, qu’ils se sont tournés, pour en iden-tifier les sources, vers d’autres corpus que ceux qu’il avait privilégiés, et ont mis en avant, afin de

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reconstituer le cours historique de la kabbale et de saisir sa place à l’intérieur de l’univers religieuxjuif dans son ensemble, une « certaine idée », bien différente de la sienne, de ce qui donne sonressort à cet univers religieux : Moshé Idel, dans l’article ici présenté, fait ressortir on ne peut plusnettement les points de dissension.

On s’est souvent demandé ce qu’étaient les convictions dernières de Scholem, selon quelstermes il reconnaissait une vérité à la spéculation des mystiques qu’il a si admirablement pénétréeet dépeinte. Il s’est targué, pas seulement par coquetterie, de savoir tromper son monde, d’avoirson secret. Et il a évoqué, à propos du dilemme des kabbalistes, partagés entre le désir de garderleurs doctrines sous le boisseau et celui de les mettre par écrit au risque de les divulguer, « cettepolitique mystico-anarchiste qui préserve mieux ses secrets en les exprimant qu’en les taisant ». Ilaimait le roman de Chesterton, Le nommé Jeudi, où l’on voit les anarchistes qui préparent unattentat contre la monarchie britannique se prémunir d’autant mieux contre la curiosité de la policequ’ils discutent ouvertement les détails de leur plan dans l’un des restaurants londoniens les plusfréquentés ; et concluait qu’une pensée, à l’égal d’un complot, pouvait se faire plus clandestine enne cessant de s’exposer. On souhaite en tout cas, avec ce Cahier, faire entrer plus avant dansl’œuvre de Scholem : non en renforcer le mystère, encore moins le dissiper.

Maurice Kriegel

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