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CHAPITRE 5 Les contraintes résiduelles : d’où viennent-elles ? Comment les caractériser ? 5.1. Introduction Les contraintes résiduelles sont les contraintes multi-axiales statiques qui existent dans un solide isolé qui n’est soumis à aucune force ni moment extérieur et qui se trouve en équilibre mécanique. Dans les polycristaux, elles sont le résultat de l’histoire thermomécanique du matériau, et intègrent l’ensemble des processus physiques, chimiques, et mécaniques auxquels le matériau a été soumis, depuis son élaboration. Ainsi, les déformations thermiques et plastiques, la diffusion d’éléments d’addition, la présence de défauts cristallins, les transformations de phase, la croissance de grains, la recristallisation, le maclage, etc. sont autant de mécanismes générant des contraintes résiduelles. Leur distribution est largement hétérogène, depuis l’échelle atomique jusqu’à l’échelle de la structure mécanique. Dans les matériaux cristallins, la diffraction des rayons X permet l’analyse de la distribution des déformations élastiques associées à la présence de contrainte. L’application de cette technique à des matériaux industriels a généralement pour but la détermination d’un état de contrainte macroscopique dans le matériau, la pièce, ou la structure mécanique. Cependant, l’interprétation des mesures nécessite la prise Chapitre rédigé par Thierry BRETEAU et Olivier CASTELNAU

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Page 1: Chapitre 4 (style : Chapitre)

CHAPITRE 5

Les contraintes résiduelles : d’où viennent-elles ?

Comment les caractériser ?

5.1. Introduction

Les contraintes résiduelles sont les contraintes multi-axiales statiques qui existent dans un solide isolé qui n’est soumis à aucune force ni moment extérieur et qui se trouve en équilibre mécanique. Dans les polycristaux, elles sont le résultat de l’histoire thermomécanique du matériau, et intègrent l’ensemble des processus physiques, chimiques, et mécaniques auxquels le matériau a été soumis, depuis son élaboration. Ainsi, les déformations thermiques et plastiques, la diffusion d’éléments d’addition, la présence de défauts cristallins, les transformations de phase, la croissance de grains, la recristallisation, le maclage, etc. sont autant de mécanismes générant des contraintes résiduelles. Leur distribution est largement hétérogène, depuis l’échelle atomique jusqu’à l’échelle de la structure mécanique.

Dans les matériaux cristallins, la diffraction des rayons X permet l’analyse de la distribution des déformations élastiques associées à la présence de contrainte. L’application de cette technique à des matériaux industriels a généralement pour but la détermination d’un état de contrainte macroscopique dans le matériau, la pièce, ou la structure mécanique. Cependant, l’interprétation des mesures nécessite la prise

Chapitre rédigé par Thierry BRETEAU et Olivier CASTELNAU

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122 Rayons X et matière

en compte de l’histoire thermomécanique complète du matériau, qui est souvent complexe et mal connue.

Dans ce chapitre, après un bref rappel de mécanique des milieux continus, nous présenterons les mécanismes impliqués dans les déformations plastiques des polycristaux et leurs conséquences sur la distribution des contraintes résiduelles, à différentes échelles. Nous introduirons ensuite l’intérêt de la diffraction en explicitant les données mécaniques contenues dans les mesures. Puis, nous nous focaliserons sur l’interprétation des déplacements des raies de diffraction par rapport à la position de Bragg, et nous montrerons en particulier les difficultés à surmonter, pour espérer estimer une contrainte macroscopique. Cette dernière partie sera illustrée à l’aide de prédictions théoriques basées sur des modèles mécaniques rigoureux de transition d’échelles (méthodes d’homogénéisation). Nous insisterons sur la prudence avec laquelle la production de résultats quantitatifs doit être menée.

5.2. Quelques éléments de mécanique des milieux continus

5.2.1. Notion de contrainte

Considérons un solide continu, en équilibre sous l’action de forces extérieures 1. Par la pensée (voir Figure 5.1) :

– isolons à l’intérieur du solide un volume (V) limité par une surface (S) ; – supprimons le reste du solide.

Figure 5.1. Définition du vecteur contrainte t

1 En toute généralité, les forces extérieures sont des forces de surface f et des forces de volume ϕ. On se limitera ici, au cas où les forces de volume sont négligeables ϕ = 0 (pas d’effets dynamique, pas de fort champ magnétique…).

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Les contraintes résiduelles 123

Pour que (V) reste en équilibre, il faut lui appliquer des forces réparties sur la surface (S) qui représentent l’action du reste du solide (V) avant séparation. Soit (dS) un élément de (S) centré au point M, la normale à (dS) étant orientée positivement vers l’extérieur de (V). L’action du solide sur (V) en ce point peut se réduire à une force appliquée à l’élément de surface au voisinage de M. On appelle « vecteur contrainte » sur le côté positif d’une surface élémentaire passant par M, la force t, par unité d’aire, exercée par la partie du solide située du côté de la normale positive sur la partie située du côté de la normale négative.

dSt−

Figure 5.2. Equilibre d’un tétraèdre élémentaire

Plaçons nous dans un système orthonormé ayant M pour origine. La surface (dS) est définie par le vecteur orienté positivement vers l’extérieur de (V) et de composantes (où les sont les cosinus directeurs du vecteur normal). Considérons un tétraèdre de dimensions infinitésimales construit en M et dont les trois faces sont parallèles aux plans du trièdre de référence et la 4

dSdSi = nidS ni

ème à la surface (dS) (voir Figure 5.2). Une face du tétraèdre, perpendiculaire à l’axe xj, a pour surface

et est soumise à une force dont la composante suivant l’axe xdS j i a la forme σ jidS j . Dans le solide en équilibre, le tétraèdre infinitésimal est en équilibre sous l’action des forces de surface et de volume :

jjijjii ntdSdSt σσ ==+− ibienou0 . [5.1]

ijσ représente la composante suivant l’axe i du vecteur contrainte en M attaché à l’élément de surface de normale xj. Les ijσ sont les composantes d’un tenseur du deuxième ordre appelé tenseur des contraintes en M. A la condition que la densité de couple volumique soit nulle, ce tenseur est symétrique ; il a donc 6 composantes indépendantes.

σ

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124 Rayons X et matière

5.2.2. Notion de déformation

Soient, dans un solide continu, deux points voisins P et P’ de coordonnées . Le carré de leur distance est : xi et xi + dxi

∑=i

idxds 22 )( . [5.2]

Supposons que chaque point du solide subisse un déplacement . P vient en Q de coordonnées . P’ vient en Q’ de coordonnées

. Le carré de la distance des deux points QQ’ est donné par :

)( ixuiii uxX +=

iiiiiii dXXdudxuxX +=+++='

∑=i

i dSdXdS 22 )( . [5.3]

Il y a déformation locale si est différent de (si , il n’y a qu’un déplacement rigide d’ensemble). Supposons que est une fonction continue et dérivable des x

2dS 2ds 22 dsdS =)( ixu

i. Alors :

iikkkkk dxudxdudxdX ,+=+= [5.4]

avec, par convention 2

33

22

11

, dxxu

dxxu

dxxu

dxu kkkiik ∂

∂+

∂∂

+∂∂

= .

En remplaçant [5.4] dans [5.3] il vient :

jijkikijji dxdxuuuudsdS )( ,,,,22 ++=− [5.5]

qui peut aussi s’écrire :

jiij dxdxdsdS ε222 =− soit )(21

,,,, jkikijjiij uuuu ++=ε . [5.6]

2 Nous adopterons dans toute la suite la convention de sommation implicite sur l’indice muet répété, et nous représenterons la dérivée partielle d’une fonction par rapport aux variables d’espace par

)( ixgjg ,

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Les contraintes résiduelles 125

L’ensemble des 9 grandeurs εij forme un tenseur du 2ème ordre qui est lié au point Q du solide déformé et définit la déformation en ce point. Par définition, est symétrique ; il possède donc 6 composantes indépendantes.

εε

Si on ne s’intéresse qu’aux déformations infinitésimales, les dérivées des déplacements ji,u sont des infiniment petits du premier ordre. On peut alors négliger les termes du deuxième ordre et il vient :

)(21

,, ijjiij uu +=ε . [5.7]

Les composantes diagonales iiε représentent l’allongement unitaire dans la direction xi et les composantes εij représentent la moitié du changement d’angle de deux segments initialement parallèles à xi et xj. La trace (notée tr) du tenseur de déformation représente la variation relative de volume au point considéré

332211)(tr εεε ++== εVdV

. [5.8]

5.2.3. Compatibilité

Les 6 composantes ijε du tenseur des déformations ont été définies à partir des 3 composantes du déplacement. Il doit donc exister des relations entre les ui ijε qui sont automatiquement vérifiées lorsque les déformations sont définies à partir des déplacements. Ce sont les 6 équations de compatibilité :

ikjljlikijklklij ,,,, εεεε +=+ [5.9]

Par contre, une répartition de déformations quelconque aboutira, en général, à l’apparition de vides ou de recouvrements dans le milieu : la continuité sera détruite. On ne pourra intégrer les équations [5.7], c’est-à-dire déterminer un champ de déplacement dans le solide en partant de la donnée des déformations en chaque point, que si les équations [5.9] sont satisfaites.

5.2.4. Relations entre contraintes et déformations ; cas de l’élasticité linéaire

La théorie de l’élasticité est une théorie phénoménologique qui rend compte, avec un degré d’approximation choisi, du comportement des solides dans les conditions de déformation élastique. L’expression :

σ ij = Cijklεkl [5.10]

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126 Rayons X et matière

est la forme générale de la loi de Hooke qui régit l’élasticité linéaire. La relation [5.10] définit les constantes élastiques C comme les composantes d’un tenseur C du 4

ijklème ordre. Du fait des symétries des tenseurs de déformation et de contrainte,

seules 21 des 81 composantes sont indépendantes ; les solides ont donc au plus 21 constantes élastiques non-nulles. Lorsqu’ils appartiennent à des systèmes cristallins possédant des symétries, le nombre de constantes non-nulles diminue : 5 pour le système hexagonal compact et 3 pour le système cubique. Dans un solide isotrope, il n’existe plus que 2 constantes élastiques indépendantes non-nulles. Dans ce dernier cas, on utilise traditionnellement les coefficients de Lamé λ et μ (λ = C1122 ; μ = C2323) . La loi de Hooke s’écrit alors :

σ ij = λθδij + 2μεij [5.11]

avec )(tr ε=θ , 1=ijδ pour , et ji = 0=ijδ pour . On peut également utiliser d’autres constantes élastiques : le module de Young , le coefficient de Poisson

ji ≠E

ν , le module de compressibilité k :

μλμλλν

μλμλμ

233

)(2)23(

+=

+=

++

= kE . [5.12]

5.2.5. Energie emmagasinée

L’incrément de densité d’énergie emmagasinée lors d’un incrément de déformation εδ en présence d’un champ de contrainte s’écrit : σ

ijijW δεσδ = . [5.13]

Dans le cas d’un comportement élastique, la densité d’énergie emmagasinée est une fonction d’état : δW dépend uniquement de l’état initial et de l’état final du système. Ceci implique que le solide revienne à l’état initial non-déformé si on supprime les forces responsables de la déformation élastique3. Dans ce cas, δW est une différentielle totale exacte :

dW = σ ijdεij . [5.14]

En tenant compte de la loi de Hooke [5.10] et en partant de W dans l’état initial naturel, il vient :

= 0

3 S’il subsiste une déformation permanente après suppression des forces, la déformation est dite plastique.

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Les contraintes résiduelles 127

W =12

σ ijεij . [5.15]

5.2.6. Incompatibilité – Notion de contrainte interne 4

5.2.6.1. Champ de déformation incompatible

La condition de compatibilité [5.9] peut aussi s’écrire :

0ηε ==)rot(rot [5.16]

Le tenseur s’appelle le tenseur d’incompatibilité. Que se passe-t-il si ? Nous allons nous livrer à une opération mentale :

η 0η ≠

– on décompose le solide en cubes infinitésimaux ; – on impose à chaque cube élémentaire une déformation libre de contrainte

telle que ; ε

0η ≠– au moyen de forces de surface, on impose aux petits volumes élémentaires une

déformation élastique qui leur redonne leurs formes et dimensions initiales ; ε−– on recolle ensemble les petits éléments, les forces appliquées à leur surface

devenant des forces de volume pour le solide reconstitué ; – on élimine ces forces de volume. Le solide subit alors en tout point une

déformation supplémentaire compatible . 'ε

On a donc un solide compact qui n’est soumis à l’action d’aucune force extérieure mais où il existe en chaque point une déformation ε qui est incompatible puisque . A correspond, par la loi de Hooke, une contrainte

dite contrainte interne. On peut aussi écrire :

εε +−= '*0η ≠

élastiqueon accomodaticontraintedelibretotale εεε += [5.17]

où seule est compatible. Si un champ de déformation libre de contrainte est appliqué à un milieu continu, il est nécessaire de lui ajouter un champ élastique afin que le champ total vérifie les conditions de compatibilité. La déformation libre de contrainte ( en anglais : stress free strain ou eigenstrain) est une déformation non-élastique ; elle peut être une déformation plastique, une dilatation (ou une contraction) thermique, un changement de phase avec changement de forme ou de

totaleε

4 Pour une approche plus rigoureuse, dans le cadre du Problème d’Eshelby, on se rapportera avantageusement à [BOR 01].

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128 Rayons X et matière

volume, une déformation liée à une absorption d’eau ou à un séchage, une croissance sous irradiation …

5.2.6.2. Milieu hétérogène : Illustration uniaxiale

De même que l’application à un solide homogène d’un champ incompatible induit des déformations élastiques, l’application d’un champ total compatible à un solide hétérogène, induit l’apparition d’un champ de déformation élastique.

Considérons deux matériaux A et B de comportement élastoplastique à plasticité linéaire (voir figure 5.3). Considérons une éprouvette constituée de l’assemblage en parallèle de ces deux matériaux (60%A + 40%B). Appliquons une déformation plastique en traction à cet ensemble. La réponse de l’éprouvette suit la courbe A+B, les phases A et B suivant respectivement les courbes A et B. Déchargeons complètement l’éprouvette : une déformation macroscopique subsiste. Par construction, la déformation totale est uniforme et égale à la déformation macroscopique, mais elle se répartit de manière différente entre déformation plastique et déformation élastique dans les phases A et B. Ainsi, dans l’exemple choisi, la phase A est en traction ( ) alors que la phase B est en compression ( ).

0>Rσ0<Rσ

AB

Figure 5.3. Contraintes résiduelles dans un matériau biphasé après déformation plastique

5.3. Les matériaux cristallins

L’ensemble des considérations précédentes, qui s’appuient sur le formalisme de la mécanique des milieux continus, peut s’appliquer à tout type de solide compact

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Les contraintes résiduelles 129

qu’il soit amorphe ou cristallin, vivant ou inerte. Dans le cas particulier des solides cristallins, l’agencement tridimensionnel régulier des atomes ou des molécules fournit un référentiel local caractérisé par des directions, des angles et des distances parfaitement définis. Toute distorsion de ce réseau cristallin est le signe de la présence d’une déformation élastique locale qui peut tout aussi bien être qualifiée de contrainte locale. On voit donc que tout défaut, quelle qu’en soit l’échelle, induisant une distorsion du réseau cristallin peut être interprété comme une source de contrainte.

Un matériau cristallin peut généralement être décrit au moyen d’un très grand nombre d’échelles emboîtées. Nous allons voir qu’à toutes ces échelles, il existe des défauts qui induisent des distorsions du réseau cristallin et sont donc des sources de contrainte.

5.3.1. A l’échelle atomique : les défauts ponctuels

Figure 5.4. Principaux défauts ponctuels (lacune, auto-interstitiel, substitutionnel, hétéro-interstitiel)

Les principaux défauts ponctuels sont schématisés figure 5.4. Un défaut ponctuel introduit une distorsion du réseau hôte. Afin d’évaluer le champ de déformation associé, traitons le cas d’un atome substitutionnel B dans un réseau A. Afin d’utiliser les outils de la mécanique des milieux continus, il est tentant de remplacer cette situation par celle d’une sphère de B dans une matrice A. Plus précisément, si on désigne par rA et rB les rayons atomiques respectifs de A et B, on assimile l’atome B à une sphère de rayon r

B

BB ayant les caractéristiques élastiques du matériau B. Cette sphère est insérée dans la matrice A dans un trou sphérique de rayon rA. L’interface est parfaitement collée et les efforts appliqués pour réaliser l’opération sont relâchés. Les champs de déformations et de contraintes issus de la résolution de ce problème varient, au premier ordre, en ; il n’y a donc qu’au voisinage immédiat de la particule que les champs sont notables.

3/1 r

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130 Rayons X et matière

Cette modélisation peut apparaître peu légitime dans la mesure où l’on applique la mécanique des milieux continus à une échelle où la matière est justement discontinue. Elle donne pourtant des prévisions de propriétés proches de l’expérience dans le cas d’atomes métalliques en solution solide dans une matrice métallique. Cependant, dès que la liaison atomique s’éloigne de l’isotropie de la liaison métallique, il faut recourir à des simulations prenant en compte avec plus ou moins de finesse la réalité des interactions interatomiques. On constate alors que le champ de déformation associé peut perdre son isotropie.

5.3.2. A l’échelle du cristal

5.3.2.1. Les dislocations

Tout cristal contient des défauts linéaires appelés « dislocations ». C’est l’existence et le mouvement de ces dislocations qui permettent d’expliquer les caractéristiques de la plasticité cristalline (nous y reviendrons au §5.3.3.1). Volterra a calculé les champs de déformations et de contraintes introduits dans un solide par formation d’une dislocation. A la base de ses calculs se trouve une série d’opérations mentales aboutissant à la fabrication d’une dislocation : c’est le processus de Volterra. Il est, dans le principe, très semblable au processus décrit au paragraphe 5.2.6 :

– dans un solide élastique isotrope, on trace, par la pensée une ligne fermée ; – on appuie une surface sur cette ligne ; – on coupe le long de cette surface et on déplace en translation une des lèvres de

la surface de coupure par rapport à l’autre d’une quantité uniforme b ; – on enlève la matière qui se superpose et on remplit les vides ; – on recolle parfaitement ; – on supprime les efforts imposés pour réaliser l’opération.

Le solide se retrouve en équilibre, sans force appliquée ; il est le siège d’un champ de déformations élastiques et donc de contrainte. Ces champs dépendent de peu de paramètres ; en un point M du solide :

)1,,,,()(et)1,,()( rMMrMM bgσbfε νμ== [5.18]

La dépendance en 1/r confère une influence à longue distance aux dislocations. Dans le cas des milieux cristallins, le caractère insécable des atomes impose au vecteur b d’être un vecteur du réseau cristallin, et pour des raisons énergétiques, l’un des plus courts. On nomme alors b le vecteur de Burgers de la dislocation (Figure 5.5).

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Les contraintes résiduelles 131

Une dislocation est sensible à tout champs de contraintes présents dans le milieu qui la contient : contraintes appliquées de l’extérieur, contraintes dues aux autres dislocations ou aux divers champs de contraintes internes. La force dF s’exerçant sur un segment dl d’une dislocation de vecteur de Burgers b du fait du champ de contraintes σ est donnée par la formule de Peach et Khoeler 5:

dlbσdF ∧= ).( . [5.19]

Sous l’effet d’un champ de contraintes, les dislocations se multiplient grâce à des sources et se déplacent ; ce mécanisme est à l’origine de la déformation plastique. Les interactions des dislocations rendent cette multiplication de plus en plus difficile, c’est l’écrouissage. Au cours de la déformation, il y a donc une augmentation, souvent très rapide, de la densité de dislocation qui peut passer de 1m/mm3 (pour un polycristal pur issu de fonderie) à 10 000km/mm3 pour le même polycristal déformé de 100%. L’énergie associée aux dislocations reste faible notamment du fait de l’écrantage mutuel de leurs champs respectifs. Pour minimiser encore cette énergie stockée les dislocations qui sont uniformément réparties aux faibles densités se regroupent en paquets, puis en parois délimitant des cellules pratiquement exemptes de dislocations et présentant de faibles désorientations. Le champ des déformations élastiques et donc le champ de contraintes résiduelles sont très dépendants de la façon dont se regroupent les dislocations.

Figure 5.5. Vue partielle d’une boucle de dislocation dans un cristal

ba

. bσ

5 La notation a.b désigne le produit contracté de deux tenseurs a et b. Par exemple si a et b sont d’ordre 2, a.b a pour composante [ avec sommation sur les indices répétés. Si a et b sont d’ordre 1 (vecteurs), l’opération se ramène à un produit scalaire. Ainsi, le vecteur σ a pour composantes [ .

kjikij ba=].

b jiji bσ=].

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132 Rayons X et matière

Une dislocation se déplace, le plus souvent, en glissement dans un plan défini par sa ligne et son vecteur de Burgers. Une source soumise à une contrainte suffisante émet des dislocations dans un plan (comme les ondes produites à la surface d’une eau calme par la chute d’une pierre). Si un obstacle infranchissable se trouve dans le plan de glissement, la première dislocation émise butte dessus, les dislocations suivantes venant s’empiler sur la première. Chaque dislocation va ainsi se trouver en équilibre entre la contrainte appliquée (à l’origine de son apparition et de son déplacement) et le champ de contraintes de toutes les dislocations présentes dans l’empilement. On peut aisément montrer qu’un tel empilement joue un rôle d’amplificateur de contraintes : si la composante de contraintes appliquées responsable du glissement des dislocations de l’empilement est , celui-ci génère dans le milieu une composante , s’il y a N dislocations dans l’empilement. Ces concentrations de contraintes peuvent permettre le franchissement d’obstacles ou bien l’activation de nouvelles sources de dislocations.

aσ aNσΣ =

5.3.2.2. Les précipités

Du fait de l’histoire thermique d’un alliage, des précipités peuvent se former. Du point de vue de leur influence sur les contraintes résiduelles, on fera essentiellement la distinction entre précipités cohérents et précipités incohérents (Figure 5.6).

a) b)

Figure 5.6. Précipités cohérents a) et incohérent b)

Les précipités cohérents (voir figure 5.6a) présentent une épitaxie avec la matrice, ce qui induit une distorsion de cette dernière. En première approximation, ce cas relève du même modèle de mécanique des milieux continus que celui qui a été présenté pour l’atome substitutionnel. Le champ de contrainte décroît donc en 1/r3, ce qui signifie que le volume affecté par cette distorsion reste faible. Cependant, le couplage entre ce champ de contrainte et celui d’une éventuelle dislocation passant dans son voisinage peut induire une force sur la dislocation

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Les contraintes résiduelles 133

tendant soit à l’attirer soit à la repousser. La mobilité et la répartition des dislocations vont donc s’en trouver affectées.

Les précipités incohérents (Figure 5.6b) n’induisent généralement qu’un faible champ de distorsion élastique (essentiellement dû à une différence de coefficient de dilatation entre précipité et matrice). Ils interviennent donc avant tout comme obstacle au mouvement des dislocations, induisant la formation d’empilements et donc de concentrations de contraintes.

5.3.3. A l’échelle d’un ensemble de grains

On s’est jusque-là intéressé à des sources de distorsion du réseau concernant le monocristal ou le grain isolé. Dans l’immense majorité des cas, les matériaux cristallins se présentent sous forme polycristalline et même polyphasée ; on a donc affaire à des assemblages de grains orientés plus ou moins aléatoirement et pouvant être de natures chimique et/ou cristallographique différentes.

5.3.3.1. Le glissement cristallin

Un cristal présente des propriétés physiques et mécaniques anisotropes. On retiendra en particulier que la dilatation thermique, le comportement élastique et le comportement plastique sont anisotropes. Focalisons nous sur l’origine de l’anisotropie plastique. Un cristal se déforme plastiquement par glissement sur des plans cristallins particuliers ; on a pu montrer que ce glissement se déclenche en suivant une loi dite « loi de Schmidt » :

0..sup =⎟⎠⎞⎜

⎝⎛ −

gc

gg

Ggτnσm [5.20]

avec la normale au plan de glissement g, la direction de glissement dans le plan g, et la cission critique du système g. Cette loi signifie que c’est le premier système de glissement sur lequel la cission atteint la valeur critique qui glisse. Elle n’est jamais que la version macroscopique de la formule de Peach et Koehler [3.19] à laquelle on a ajouté une condition de seuil de contraintes pour le déclenchement du glissement de la dislocation.

gn gmτ c

g

),( ggg mn τ cg

On voit donc que chaque grain d’un polycristal, pris isolément devrait se déformer en n’activant qu’un petit nombre de systèmes de glissement (le plus souvent un seul). Cela génèrerait un champ de déformations libres de contraintes incompatibles. C’est le maintien de la cohésion des joints de grains qui impose l’apparition d’un champ de déformations élastiques de compatibilité qui modifie

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134 Rayons X et matière

les champs de contraintes locaux, qui eux-mêmes induisent l’activation de systèmes de glissement supplémentaires. Cependant, l’ensemble des incompatibilités plastiques ne peut-être accommodées par l’apparition de glissements plastiques secondaires du fait de la nécessité d’atteindre τ c pour activer un glissement. Il subsiste donc un champ élastique de compatibilité dit champ de contraintes résiduelles.

Au sein d’un polycristal, chaque famille de grains, définie par son orientation dans l’espace, peut être considérée comme une phase. On se trouve donc dans la situation décrite au paragraphe 5.2.6. : l’application d’un champ macroscopiquement homogène (de déformation ou de température) aboutit à l’apparition d’un champ élastique assurant la compatibilité du champ total (équation [5.17]).

5.3.3.2. Le maclage et la plasticité de transformation

Après avoir étudié la déformation plastique par glissement de dislocations, on aborde maintenant le maclage et la plasticité de transformation. Ils se ressemblent car ils se produisent par cisaillement en bloc de parties d’un cristal. Ils ont d’ailleurs un lien avec le glissement des dislocations car ils peuvent être envisagés comme résultant de sources particulières.

Le maclage est un simple cisaillement du réseau cristallin qui tend à placer la zone maclée en position miroir du cristal d’origine par rapport au plan de composition (voir figure 5.7). Il est caractérisé par une géométrie parfaitement définie ; son sens, sa direction et la valeur de la déformation associée sont fixés. Tout d’abord limitée à un germe, la zone maclée se propage par son allongement et son épaississement. Comme dans le cas du glissement, les incompatibilités qui en résultent nécessitent l’apparition de déformations élastiques.

Figure 5.7 Représentation schématique du mécanisme de maclage

Page 15: Chapitre 4 (style : Chapitre)

Les contraintes résiduelles 135

Les mécanismes de la plasticité de transformation sont très semblables au maclage, mais s’accompagnent généralement de changements de volume et de distorsions qui engendrent l’apparition de déformations élastiques de compatibilité. Que les contraintes soient appliquées ou qu’elles résultent des transformations, elles modifient l’énergie libre d’origine chimique du système et retentissent à leur tour sur la transformation.

5.3.3.3. Polycristal polyphasé

Du point de vue de la genèse des contraintes résiduelles, l’aspect « polyphasé » ne change pas grand-chose. L’hétérogénéité est ici surtout représentée par la juxtaposition de phases se différenciant par leur composition chimique et souvent leur cristallographie ; elle est donc en général beaucoup plus marquée que dans le cas du polycristal monophasé. L’aspect polycristallin de chaque phase peut souvent être considéré comme négligeable. Ici encore, l’application d’un champ de déformation macroscopiquement homogène induit la coexistence d’un champ de déformation plastique et d’un champ de déformation élastique dit aussi « de contraintes résiduelles ».

5.4. Les différents ordres de contraintes résiduelles et leurs manifestations

Quelle que soit l’échelle que l’on considère, on peut mettre en évidence des contraintes résiduelles représentant des déformations élastiques assurant la continuité du matériau : autour des défauts ponctuels, des dislocations, des joints de grains, des joints de phases et à l’échelle de la pièce elle-même.

Figure 5.8. Eclatement d’une grume sous l’effet des contraintes résiduelles dues au séchage (photo équipe Bois du LMSGC)

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136 Rayons X et matière

Il est habituel de distinguer trois ordres de contraintes en fonction de l’échelle à laquelle on considère le matériau :

IIIIIIR σσσσ ++= [5.21]

– contraintes résiduelles de 1er ordre ( ) : ce sont celles qui sont prises en compte par le mécanicien notamment dans le calcul de structures par les méthodes de la mécanique des milieux continus. Elles résultent, le plus souvent, des procédés thermomécaniques de mise en forme ou d’assemblage des pièces (filage, laminage, emboutissage, soudage,…). Ces contraintes résiduelles sont dues à l’application d’un champ de déformation incompatible (paragraphe 5.2.6.1.) :

∫=V

dVV

RI 1σσ [5.22]

où V est un volume contenant de nombreux grains. Ces contraintes sont en équilibre à l’échelle de la pièce. Des variations dimensionnelles macroscopiques résultent toujours d’une modification de cet équilibre (Figure 5.8). Des méthodes de détermination de ces contraintes par enlèvement de matière en sont une application directe (voir figure 5.9) ;

Figure 5.9. Mise en évidence de contraintes résiduelles de cuisson par polissage progressif d’une face d’une plaque de composite (D. Lévêque, ONERA/DMSC)

– contraintes résiduelles de 2ème ordre ( ) : elles résultent essentiellement de l’application d’un champ homogène à un matériau hétérogène (paragraphe 5.2.6.2.) :

IIσ

∫=v

dVv

RII 1σσ [5.23]

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Les contraintes résiduelles 137

où v est le volume d’un grain ou d’un domaine de phase. Ces contraintes sont en équilibre à l’échelle du groupe de grains. Des variations dimensionnelles macroscopiques peuvent résulter d’une modification de cet équilibre par exemple lors d’un recuit qui affecte la microstructure de dislocations ;

– contraintes résiduelles de 3ème ordre ( ) : elles résultent de la présence des défauts dans le réseau cristallin :

IIIσ

)( IIIRIII σσσσ +−= .

Elles sont en équilibre sur de très petits domaines de l’ordre de la taille de grain. Les modifications d’équilibre n’entraînent pas de variations dimensionnelles macroscopiques. Cependant, certaines propriétés notamment physico-chimiques (corrosion) peuvent s’en trouver fortement affectées.

On remarquera que dans le cas général, cette division en trois ordres est artificielle ; technologiquement, on applique le plus souvent un champ de déformation hétérogène à un matériau hétérogène induisant par là même de nombreux mécanismes de déformation responsables de distorsions locales du réseau. C’est la superposition de ces effets qui définit l’état de contraintes résiduelles. Dans la suite de ce chapitre, nous allons montrer l’intérêt de la technique de diffraction pour sa caractérisation.

5.5. La diffraction par les cristaux déformés

5.5.1. Cas idéal considéré

Nous nous intéresserons à la distribution spatiale de l’intensité diffusée par l’échantillon. Nous nous placerons volontairement dans le cas le plus simple, celui d’un échantillon polycristallin massif, macrohomogène, de section constante, et soumis à des conditions aux limites homogènes au contour. Nous noterons σ la contrainte appliquée, qui est définie par >=< σσ , avec désignant la moyenne volumique sur le polycristal. L’hypothèse de macrohomogénéité signifie que les dimensions du polycristal sont très supérieures à la taille des grains, et que sa microstructure est stationnaire.

>< .

Nous n’aborderons pas le problème délicat des gradients de surface. Nous supposerons que la mesure de diffraction est réalisée avec un faisceau de rayons X dont la section et la longueur d’atténuation sont très supérieures à la taille des grains du polycristal, de sorte que chaque raie de diffraction est la contribution d’un nombre important de grains, et est représentative du comportement effectif du matériau. Nous supposerons que le faisceau de rayons X est parallèle et monochromatique, de

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138 Rayons X et matière

longueur d'onde λ. Nous nous placerons dans le cadre de la théorie cinématique de la diffraction, qui reste suffisante pour les applications qui nous concernent. Enfin, nous nous focaliserons sur l’effet de la distorsion du réseau cristallin ; l’élargissement des raies de diffraction associé aux faibles tailles de domaines cohérents ne sera pas considéré dans la suite.

Nous sommes conscients que le cas d’école envisagé n’est guère réalisable expérimentalement. Cependant, nous avons choisi résolument un cas simple afin de mettre en évidence certaines difficultés d’interprétation.

5.5.2. Expression générale de l’intensité diffusée

Si le polycristal étudié peut être considéré comme l’assemblage de cristaux parfaits, i.e. sans contrainte, sans défaut cristallin, et de grandes tailles, alors la loi de Bragg s’applique :

λθ B

hkldsin21

= [5.24]

Ici, est la distance interréticulaire du plan diffractant hkl et hkld Bθ désigne l’angle de Bragg (voir figure 5.10). Cette relation se réécrit classiquement Kg = , avec le vecteur du réseau réciproque du cristal considéré, de norme , et id le vecteur de diffraction, de normes

g hkldg /1=kkK −= λθ /sin2=K , où i et d

sont les vecteurs d’onde incident et réfléchi de normes k k

λ/1== di kk . Si l’on défini le vecteur s tel que sgK += , la loi de Bragg indique que l’intensité diffusée par un cristal est nulle partout sauf strictement aux nœuds de son réseau réciproque, i.e. en . 0s =

hkld

g K

s

ki

kd

2θhkld

g K

s

ki

kd

Figure 5.10. Diffraction par un cristal parfait

Page 19: Chapitre 4 (style : Chapitre)

Les contraintes résiduelles 139

Le cas qui nous intéresse plus particulièrement est celui des matériaux déformés. Quelle que soit l’échelle à laquelle elles sont mises en évidence, les contraintes internes traduisent la présence de déplacements des atomes par rapport à leur position d’équilibre. Les grains ne peuvent alors plus être considérés comme un arrangement périodique (quasi-)infini d’atomes. La rupture de périodicité doit être prise en compte dans l’analyse. Soit u(x) le champ de déplacement dans le matériau, mesuré par rapport à la configuration initiale (cristal parfait non-contraint). La théorie cinématique indique que l’onde diffusée est la somme des ondes diffusées par chaque atome. L’intensité (normalisée) mesurée à la position K s’écrit alors [KRI 69] :

nxKusnK ddiiI ].2exp[].2exp[)( Δ×= ∫∫ ππ [5.25]

avec n un vecteur reliant deux atomes dans la configuration initiale (n est un vecteur du réseau cristallin), et . Plusieurs remarques peuvent être formulées :

)()(),( nxuxunxu −−=Δ

- la distribution d’intensité )(KI est directement reliée à la projection sur K du déplacement relatif entre les atomes. La deuxième exponentielle dans [5.25] peut se réécrire en fonction de la quantité scalaire :

nKnKu

xK.

)(,Δ

=ε [5.26]

qui est une déformation moyenne mesurée au point x sur une distance et dans la direction de K. Il apparaît donc que la mesure de diffraction est directionnelle, dans une direction donnée par le vecteur de diffraction K. On insistera sur le fait que

Kn /n.K=

n,Kε ne désigne pas un champ de déformation tel qu’il est défini classiquement en mécanique (voir paragraphe 5.2.2), mais seulement une déformation moyenne sur une certaine base de mesure de longueur n. On pourra cependant, en omettant le caractère discret de la matière, définir le vrai champ de déformation )(xKKε par :

)(lim.)(.1

)( ,02 xKxεKx K n

nKK

Kεε

→== [5.27]

avec ε le tenseur de déformation élastique ;

- l’expression [5.25] indique que si n,Kε n’est pas une constante, i.e. dépend de x, alors l’intensité diffusée est généralement non-nulle quelque soit le vecteur K. En pratique, la rupture de la périodicité dans les positions atomiques entraîne un élargissement des pics de diffraction pour les directions de K (ou de s) parallèles à g ;

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140 Rayons X et matière

- lorsque n,Kε est une constante, ce qui correspond au cas d’un cristal ayant subi une déformation homogène (le cristal reste périodique), l’expression [5.25] se ramène à la loi de Bragg avec une intensité diffusée nulle partout sauf pour

ggs −+= )1/( ε . Le pic de diffraction prend donc la forme d’un Dirac décalé par rapport à la position initiale ;

- étant donné que l’intensité du faisceau diffracté est en pratique très faible loin des nœuds du réseau réciproque, l’intégration dans l’équation [5.25] porte uniquement sur le « volume diffractant », que l’on notera Ω dans la suite. Ce volume diffractant est constitué par l’ensemble des (sous)-grains dont l’orientation cristallographique vérifie la relation de Bragg, c'est-à-dire pour lesquels la normale à un plan (hkl) est parallèle au vecteur K. Les pics de diffraction fournissent donc des informations moyennes sur un ensemble d’orientation Ω, qui n’est qu’une faible partie bien spécifique du matériau total. Toute variation même mineure du vecteur de diffraction, notamment dans sa direction, engendre une modification notable de Ω. Il n’est donc généralement pas trivial de relier les mesures effectuées dans différentes directions de K ;

- la diffraction n’est sensible qu’aux déformations élastiques. Considérons par exemple une déformation plastique idéale dans un cristal. Quelle que soit la manière dont cette déformation a été créée, si aucun défaut cristallin n’a été stocké dans le cristal pendant le processus, alors le cristal final sera de nouveau périodique et la loi de Bragg s’appliquera. Le champ u(x) exprime donc simplement le déplacement atomique par rapport à la position d’équilibre la plus proche ;

- il est important de ne pas confondre la nature des quantités mesurées (déformations élastiques) et le mécanisme source (plasticité, transformation de phase etc). Ce n’est pas parce que la diffraction permet de caractériser seulement les déformations élastiques, que la connaissance de la réponse élastique du matériau est suffisante pour interpréter les résultats. En effet, la distribution des déformations élastiques, mesurée par diffraction, est liée au mécanisme source. Une interprétation des mesures à partir de lois ne considérant que la réponse élastique du matériau, comme par exemple la loi des , est donc nécessairement vouée à l’échec. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de cet article.

ψ2sin

La diffraction peut donc être apparentée à une mesure de champ dans l’espace des orientations. On pourrait parler de microscopie à imager les déformations élastiques, la résolution en n étant de l’ordre de quelques nanomètres pour les diffractomètres de laboratoire à haute résolution.

Page 21: Chapitre 4 (style : Chapitre)

Les contraintes résiduelles 141

5.5.3. Distribution des déformations élastiques

Dans la suite de l’article, nous nous limiterons à étudier la forme de lorsque les vecteurs K et g (et s) sont parallèles. L’inspection de l’expression [5.25] montre que l’on a intérêt à exprimer l’intensité diffractée, non pas en fonction de K, mais de s, ce qui revient à faire un simple changement d’origine. Ainsi, la Transformée de Fourier (TF) de , notée généralement , s’écrit trivialement :

)(sI

)(sI )(nA

Ω>=< )2exp()( ,niKnnA Kεπ [5.28]

où désigne la moyenne sur le volume Ω. En pratique, K et Ω>< . n,Kε sont respectivement de l’ordre de quelques nm-1 et 10-3. L’expression [5.28] peut donc raisonnablement être approximée par un développement limité à l’ordre 2 pour les petites valeurs de n (quelques nm), qui est à la base du traitement proposé par Warren et Averbach [WAR 50].

Mais pour une exploitation des données en mécanique, il est intéressant de faire apparaître le champ de déformations KKε . Cela peut se faire en utilisant la propriété générale :

[ ]0

)( )(

)2(

1)()(

=

+∞

∞− ∂

−== ∫

nm

m

mmm

n

nA

idssIssI

πμ [5.29]

reliant le moment d’ordre m de la raie de diffraction à la dérivée m-ième de la TF en , et en utilisant la définition [5.27]. En remarquant que la partie imaginaire de la dérivée seconde de est nécessairement nulle, les expressions suivantes sont obtenues :

)(mμ0=n

)(nA

2

)2(2

)1(,

KK KKKKμεμε =><−=>< ΩΩ . [5.30]

Ces relations permettent d’extraire, des données de diffraction, les informations recherchées sur la distribution des déformations dans le volume diffractant. Les points suivants peuvent être relevés :

– le moment d’ordre 1, qui définit la position du centre de gravité de la raie, est associé à la déformation moyenne Ω>< KKε . On notera que les autres mesures de position de raies (position du maximum, milieu de corde, etc), souvent utilisées dans la littérature, ne sont associés à aucune grandeur physique. Elles sont donc à utiliser avec prudence ;

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142 Rayons X et matière

– la dérivation de la loi de Bragg permet d’obtenir l’expression classiquement utilisée :

Bhkl

hklKK d

dθθε

tanΔΔ

−== [5.31]

qui n’est valable que si la déformation du cristal est homogène. Les expressions [3.30], en revanche, restent valables quelle que soit l’hétérogénéité des déformations. Le terme peut être approximé par K/)1(μ Bθθ tan/Δ , où θΔ désigne le déplacement du centre de gravité de la raie ;

– le moment centré d’ordre 2 de la raie est associé à la variance des déformations élastiques dans le volume diffractant. C’est donc la mesure de largeur de raie à privilégier pour les études mécaniques. Les autres mesures, telle que la largeur à mi-hauteur (FWHM), ne sont pas rattachées à des quantités mécaniques simples et sont donc à utiliser avec prudence [WIL 62] ;

– des moments d’ordre supérieur de la déformation peuvent être obtenus à partir des dérivées d’ordre supérieur de la TF. Cependant, ces moments deviennent très sensibles au niveau de bruit de fond et leur détermination expérimentale est délicate.

5.6. L’interprétation des déplacements de raies

Une fois précisées les informations contenues dans les raies de diffraction, nous allons revenir sur les méthodes d’interprétation. Nous ne discuterons pas de l’interprétation de l’élargissement des raies, le lecteur intéressé pouvant se référer par exemple à [GRO 98, BAR 01] lorsque l’élargissement est essentiellement dû à la présence de dislocations. Nous nous focaliserons sur le problème plus classique de l’interprétation des déplacements de raies, souvent qualifié (nous y reviendrons) de « mesure de contraintes ». La difficulté principale dans l’interprétation des mesures de diffraction est liée aux trois caractéristiques suivantes :

- on ne mesure simultanément qu’une projection dans une direction K de la distribution du tenseur de déformation élastique ε;

- cette distribution porte sur un certain volume Ω qui n’est généralement qu’une toute petite fraction de l’échantillon total (seul les grains en position de Bragg participent à l’expérience) ;

- la nature de ce volume diffractant est intimement liée à la norme et la direction du vecteur de diffraction K.

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Les contraintes résiduelles 143

Il s’agit donc de relier entre elles des grandeurs mécaniques partielles (projections de tenseurs) moyennées sur des volumes variés (Ω). Pour les matériaux hétérogènes présentant une microstructure aléatoire, comme les polycristaux, le problème n’est pas trivial et l’utilisation d’approches micromécaniques s’impose. Le lecteur intéressé trouvera une description complète et précise de ces méthodes dans [BOR 01, MIL 01]. Très schématiquement, les méthodes d’homogénéisation se basent sur une description statistique de la microstructure. Elles ont pour but l’encadrement ou l’estimation du comportement effectif, mais permettent également, par une opération dite de relocalisation, d’estimer (i) les tenseurs de déformation et de contrainte moyens par orientation cristallographique, < et , (r désigne l’orientation cristallographique considérée), et (ii) les seconds moments moyens par orientation

r>σ >< ε

>⊗< σσ >⊗< εε

r

6, et [PON 98]. On insistera ici juste sur les points suivants :

r r

- tous les grains de même orientation cristallographique sont traités simultanément, comme une unique « phase mécanique » r. Tous ces grains présentent des formes et des environnements différents, et donc les contraintes à l’intérieur de ces grains sont généralement hétérogènes avec des distributions différentes d’un grain à l’autre. Les moyennes par phase mécanique r tiennent compte de ces hétérogénéités intragranulaires et intergranulaires ;

- le schéma auto-cohérent [KRO 78], souvent utilisé pour les polycristaux en raison de la microstructure « parfaitement désordonnée » sur lequel il se base, ne se résume pas à remplacer chaque grain du polycristal par une inclusion ellipsoïdale dans une matrice homogène, comme souvent écrit dans la littérature. Ce traitement conduirait en effet à des champs homogènes dans les grains, alors que des hétérogénéités intraphases significatives sont prédites ;

- ces méthodes sont rigoureuses pour les comportements linéaires comme l’élasticité. L’application aux comportements non-linéaires, comme par exemple la plasticité, requiert quelques précautions [GIL 95].

On retiendra cependant que, de manière générale, quelle que soit la méthode de changement d’échelle utilisée, les simulations numériques ont tendance à sous-estimer les hétérogénéités de déformation observées expérimentalement.

5.6.1. Formulation générale

Dans la première partie de cet article, nous avons montré que, pour les matériaux élasto-plastiques, la présence de déformations élastiques locales peut avoir deux

6 La notation désigne le produit tensoriel. Ainsi, le tenseur d’ordre 4 a pour composantes

⊗ σσ ⊗klijijkl σσ=⊗ ][ σσ .

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144 Rayons X et matière

origines. La première est associée à la réponse purement élastique du matériau : des déformations élastiques locales apparaissent avec l’instauration d’un chargement macroscopique σ , et le matériau revient à son état initial lorsque ce chargement est supprimé. La deuxième est associée à l’énergie élastique stockée par le matériau (voir paragraphe 5.2.5). Nous avons vu par exemple que la création de défauts cristallins, de déformations plastiques hétérogènes etc entraîne des incompatibilités de déformation dans le matériau, qui doivent s’accommoder d’une manière ou d’une autre afin que la cohérence du matériau soit maintenue (voir paragraphe 5.2.6). Il en résulte l’établissement d’un champ de contraintes résiduelles, complexe, présentant généralement de forts gradients. Les déformations élastiques associées aux contraintes résiduelles persistent lorsque le chargement macroscopique est supprimé.

Evidemment, les rayons X ne font pas la différence entre ces deux contributions. La mesure de diffraction brute ne permet de caractériser que la superposition des deux effets, ce qui rend l’analyse généralement complexe.

K

ϕ

ψ

1

2

3K

ϕ

ψ

1

2

3

Figure 3.11. Définition des angles ϕ et ψ d’orientation du vecteur de diffraction K dans un référentiel lié à l’échantillon

Considérons le cas d’un polycristal composé de grains élasto-plastiques 7. L’état de contraintes locales, en un point x, s’écrit de manière générale 8 [SUQ 87] :

7 On notera que la formulation présentée ici s’étend naturellement à d’autres classes de comportement. 8 La notation : indique le produit tensoriel contracté sur deux indices. Le tenseur d’ordre 2

a pour composantes σB : klijklij B σ=]:[ . σB

Page 25: Chapitre 4 (style : Chapitre)

Les contraintes résiduelles 145

)(:)()( xσσxBxσ res+= v [5.32]

où resσ est le champ des contraintes résiduelles créé par les déformations plastiques antérieures. Le champ est tel que sa moyenne sur le polycristal est nulle,

. La relation [5.32] exprime en particulier le fait qu’un état de contraintes locales non-nul peut exister même en l’absence de chargement macroscopique. Le tenseur de localisation élastique B, d’ordre 4, traduit l’hétérogénéité des propriétés élastiques du matériau. Il dépend uniquement de la microstructure du matériau et de son comportement élastique. Le tenseur des déformations élastiques associé à la contrainte σ se déduit simplement des propriétés élastiques locales :

resσ0σres >=<

)(:)()( xσxSxε = [5.33]

avec le tenseur de souplesse. L’introduction de [3.32] dans [3.33], puis la projection de ε sur la direction de mesure K, et enfin l’opération de moyenne sur le volume diffractant Ω, permet d’obtenir la formulation générale :

1−= CS

ΩΩΩ ><⊗

+><⊗

=>< resKKKK

σSKK

σBSKK

::::: 22vε . [5.34]

Dans la pratique, Ω>< KKε est souvent noté en référence au plan diffractant hkl et aux angles ϕ et ψ définissant la direction de K (voir figure 5.11). Nous voyons donc la présence de deux contributions au déplacement des raies de diffraction. Le premier terme (en

hklϕψε

σ ) du membre de droite de [5.34], est lié à la localisation élastique du chargement macroscopique appliqué, alors que le second terme (en ) dépend de la distribution des contraintes résiduelles dans le matériau. Ces termes sont des moyennes sur le volume diffractant. Dans le cas général, ils n’ont pas d’expression simple. Leur estimation est cependant possible par les méthodes d’homogénéisation. On notera que le terme n’est autre que l’expression des « Constantes Elastiques Radiocristallographiques » (CER) dans un cas général d’anisotropie élastique [LET 02]. Nous allons maintenant décrire quelques propriétés de la relation [5.34], en commençant par le cas le plus simple, celui des réponses purement élastiques.

resσ

Ω>< BS :

5.6.2. Cas d’une réponse purement élastiques

Nous considérons ici le cas pour lequel en tout point du matériau. Le deuxième terme du membre de droite de [5.34] s’annule donc. On remarquera que ce cas doit être peu rencontré dans la pratique, mais qu’il est à la base des

0=resσ

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146 Rayons X et matière

techniques de « mesures de contraintes » par diffraction. Les matériaux ayant subi par exemple une déformation plastique ne rentrent pas dans ce cas. Pour pouvoir appliquer les résultats de cette section à un cas réel, le point délicat à résoudre sera de vérifier si le terme en est négligeable devant le terme en resσ σ . La loi [5.34] se réduit à :

σBSKK v:::2 ΩΩ ><

⊗=><

KKKε , [5.35]

et plusieurs cas particuliers peuvent être détaillés.

Lorsque les grains composant le polycristal ont un comportement élastique isotrope 9, le matériau est homogène du point de vue de l’élasticité. Quelles que soient la microstructure et la texture cristallographique du matériau, le comportement effectif est aussi nécessairement isotrope. L’application d’un état de contrainte homogène au contour σ génère un état de contrainte uniforme dans le matériau, σxσ =)( . Le tenseur de localisation B devient égal au tenseur identité, et le tenseur des souplesses locales S s’identifie à la souplesse effective du matériau. La relation [5.35] se réécrit alors :

σSKK v::2K

KK⊗

=>< Ωε [5.36]

qui n’est autre que la loi classique des . On remarquera que la relation [5.36] ne fait plus intervenir le volume diffractant Ω. Les CER sont donc indépendantes du plan diffractant hkl choisi et de la direction de K. Comme tout tenseur isotrope d’ordre 4, le tenseur des souplesses se décompose sur la base de tenseurs isotropes formée par J et (I-J)

ψ2sin

10 :

)(21

31

JIJS −+=μk

[5.37]

avec k et μ définis au paragraphe 5.2.4. L’expression standard [NOY 87] de la loi des se retrouve en exprimant k et μ en fonction du module d’Young E et du coefficient de poisson ν, et en notant que K a pour coordonnées

ψ2sin

)cos,sinsin,cos(sin ψϕψϕψK dans le repère échantillon (voir figure 5.11) :

9 On parle alors d’isotropie locale. 10 Les tenseurs J et (I-J) sont respectivement les projecteurs déviatorique et isotrope. I et J sont tels que 3/)(tr]:[ ijij δσσJ = et ijij σ=]:[ σI .

Page 27: Chapitre 4 (style : Chapitre)

Les contraintes résiduelles 147

( )( )

( ) 2ψ.ϕ+ϕ+

+

++−+

+

ψ−ϕ+ϕ+ϕ+

=>< Ω

sinsincos1

1

sinsin2sincos1

2313

33221133

233

22212

211

σσν

σσσνσν

σσσσνεΚΚ

E

EE

E

[5.38]

Si l’on introduit des conditions de surface libre sur une facette de normales , 3x0332313 === σσσ , on obtient une relation linéaire entre Ω>< KKε et ,

qui est mise à profit pour déterminer la contrainte macroscopique ψ2sin

σ . Cette condition de surface libre doit s’appliquer lorsque la pénétration des rayons X est petite devant la taille de grains ; on notera cependant qu’il s’agit d’un problème délicat pour les applications pratiques. Concrètement, la mesure est effectuée pour différentes valeurs de ψ, à φ fixé. La présence de cisaillements σ13 ou σ23 entraîne des réponses différentes selon le signe de ψ. A titre d’exemple, la Figure 5.12 montre la distribution des déformations élastiques que l’on obtient pour un polycristal de tungstène, déformé en traction uniaxiale. Le tungstène présente en effet un comportement élastique isotrope. Les résultats sont illustrés par des figures de pole de déformation élastique, qui représentent la distribution de <εKK>Ω en fonction de l’orientation de K. On retrouve une réponse axisymétrique autour de l’axe de traction, et indépendante du plan diffractant.

Figure 5.12. Figure de pole des déformations élastiques obtenues par le schéma auto-cohérent pour un polycristal de tungstène déformé dans le domaine élastique en traction

uniaxiale selon l’axe 1 (σ11=100 MPa)

Le deuxième cas particulier d’intérêt est celui de matériaux localement anisotropes mais macroscopiquement isotrope. L’anisotropie élastique locale génère des concentrations de contraintes, et le tenseur de localisation B n’est plus uniforme. L’isotropie macroscopique est obtenue si les textures cristallographique (distribution

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148 Rayons X et matière

des orientations) et morphologique (forme et répartition des grains) sont isotropes. Dans ce cas, l’expression [5.35] ne peut se simplifier, et les CER doivent être estimées par une approche micromécanique tenant compte des interactions intergranulaires. On peut cependant montrer que le tenseur < S : B> Ω est aussi isotrope, et se décompose donc sur la base des tenseurs J et (I-J). La loi [5.35] prend alors une forme similaire à [5.38], mais avec des coefficients (les CER) dépendant maintenant du plan hkl choisi. On retrouve ainsi une dépendance linéaire avec sin2 ψ. Cette propriété est illustrée par les figures de pole des déformations élastiques estimées (voir figure 5.13), à l’aide du schéma auto-cohérent, pour un polycristal de cuivre déformé dans le domaine élastique. Le cuivre présente une forte anisotropie locale. On remarque des variations plus importantes pour les plans 200, en raison de leur faible multiplicité et de leur orientation particulière par rapport à la maille cristalline.

Enfin, un polycristal macroscopiquement anisotrope peut être obtenu si l’une des deux textures, morphologique ou cristallographique, n’est pas isotrope. La texture morphologique est caractérisée par la présence de grains majoritairement allongés dans une direction macroscopique. D’autre part, une texture cristallographique n’a d’effet que si le comportement local est anisotrope. Dans ces conditions, le terme < S : B> Ω dans l’expression [5.35] dépend à la fois du plan diffractant hkl choisi et de l’orientation ϕ et ψ de K. Il en résulte la perte de linéarité de la loi en sin2 ψ. Dans ce cas plus général, les CER ne sont donc pas des constantes.

Figure 5.13. Figure de pole des déformations élastiques obtenues par le schéma auto-cohérent pour un polycristal de cuivre déformé dans le domaine élastique en traction

uniaxiale selon l’axe 1 (σ11=100 MPa)

5.6.3. Cas général

Les résultats de la section précédente ne sont valables que si le champ de contraintes résiduelles est identiquement nul. Nous avons vu que cette hypothèse

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Les contraintes résiduelles 149

a peu de chance d’être réalisée dans les matériaux réels, ne serait-ce que par la présence systématique de défauts cristallins. En toute rigueur, le dernier terme, en σres, de l’équation [5.34] doit donc être considéré dans l’analyse. Dans [CAS 00], il a été montré par des mesures de microdiffraction que les fluctuations intragranulaires de contraintes dans les grains d’un polycrystal de zirconium déformé plastiquement sont du même ordre de grandeur que la limite élastique du matériau. D’autre part, des mesures de diffraction de neutrons sur un échantillon de zirconium déformé en fluage ont permis de montrer que les contraintes résiduelles resσ engendrent des déformations élastiques moyennes

Ω>< KKε dont la fluctuation dans le polycrystal est supérieure à 10-3 [LET 02]. Pour ce matériau au moins, une estimation de contraintes macroscopiques à partir de [5.35] serait donc erronée.

L’examen de la relation [5.34] suggère les remarques suivantes :

- par définition, la moyenne des contraintes résiduelles sur le volume du polycristal est nulle, i.e. . On remarquera qu’il s’agit d’une identité tensorielle. D’autre part, nous avons insisté sur le fait que la diffraction est une mesure directionnelle. Le second terme du membre de droite de l’équation [5.34] est un scalaire. Il correspond à une projection sur la direction de K, et donc deux mesures de diffraction réalisées pour des angles ϕ et ψ différents correspondent à des projections dans des directions différentes. En conséquence, la mesure des déplacements de raies pour un grand nombre d’angle ϕ et ψ ne permet pas, par effet de moyenne, de faire disparaître le terme en de la relation [5.34], comme parfois proposé dans la littérature ;

0σ >=< res

resσ

- l’estimation de la distribution des contraintes résiduelles dans un matériau est généralement un problème complexe. En effet, ces contraintes peuvent être perçues comme la signature de l’histoire thermomécanique du matériau. Tous les mécanismes de déformation qui génèrent des incompatibilités de déformation « marquent » le matériau en créant des contraintes résiduelles. Selon le cas, la trace de mécanismes antérieurs peut persister, de sorte que l’histoire thermomécanique complète du matériau doit être prise en compte pour estimer la distribution actuelle de . La présence de ce terme complique donc l’analyse, mais lui procure aussi une richesse puisque les déplacements de raies peuvent, en principe, nous renseigner sur les sollicitations passées et la réponse mécanique du matériau [LET 02] ;

resσ

- mis à part quelques cas bien spécifiques où il peut être montré que le terme en est effectivement négligeable devant celui en resσ σ , la relation [5.34] indique que le passage de la mesure des déformations élastiques à une estimation de contraintes macroscopiques σ n’est pas trivial. Cela provient de la complexité des mécanismes pouvant générer des contraintes résiduelles, et de

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150 Rayons X et matière

leur méconnaissance. Il est important de remarquer que l’exploitation de la relation [5.34] nécessite de comprendre l’établissement des contraintes résiduelles à l’échelle (sub)granulaire.

On en est encore loin à l’heure actuelle, en plasticité cristalline, mais aussi pour de nombreux autres mécanismes tels que le maclage, les transformations de phase, etc. Le terme souvent utilisé de « Mesure de contraintes » est donc mal approprié.

Figure 5.14. (Gauche) Figure de pole des plans 00.2 du polycristal de zirconium étudié. (Droite) Distribution des déformations élastiques résultant d’un refroidissement de 400°C

La figure 5.14 illustre la distribution des contraintes résiduelles résultant d’un chargement purement thermique. Le zirconium, dont les grains ont une structure hexagonale, présente des propriétés élastiques quasiment isotropes mais une forte anisotropie des coefficients de dilatation thermique, le coefficient selon l’axe < c > du cristal étant environ deux fois supérieur à celui selon les axes < a >. Partant d’un état entièrement relaxé, et en l’absence de chargement macroscopique ( 0σ = ), un simple refroidissement du polycristal engendre de fortes contraintes résiduelles puisque des grains d’orientations cristallographiques différentes devraient se contracter différemment.

Les plans de base de la maille cristalline, qui sont orthogonaux à l’axe < c >, se retrouvent globalement « en traction », alors que les plans prismatiques, parallèles à l’axe < c >, sont « en compression ». Evidemment, dans ce cas, la texture cristallographique a une forte influence sur la distribution des contraintes résiduelles. Comme le montre la figure 5.15, les déformations élastiques dans ce matériau ne montrent pas un comportement linéaire en sin . Une interprétation de la pente de ces courbes en terme de ψ2

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Les contraintes résiduelles 151

contrainte macroscopique donnerait un résultat de l’ordre de 50 MPa, ce qui est évidemment erroné puisque le calcul a été fait pour 0σ =

°= 0

.

Figure 5.15. Distribution des déformations élastiques dans un polycristal de zirconium refroidi de 400°C, représentées en fonction de sin2ψ , pour ϕ

5.7. Conclusion

Nous avons rappelé les principales sources de contraintes résiduelles dans les matériaux polycristallins, depuis l’échelle atomique jusqu’à l’échelle de la structure mécanique. La création de défauts cristallins, les interactions intergranulaires résultant d’une déformation plastiques, le maclage, les transformations de phases, etc sont autant de mécanismes pouvant être modélisés par une déformation libre de contrainte et incompatible, qui doit être accommodée, entre autre, par une déformation élastique. Il en résulte un champ de contraintes résiduelles largement hétérogène et souvent complexe, et présentant de forts gradients au voisinage des hétérogénéités structurelles. La présence de déformations élastiques locales n’est donc pas nécessairement liée à une contrainte macroscopique. La diffraction des rayons X permet de caractériser la distribution des déformations élastiques dans le matériau. Nous avons montré la nécessité d’utiliser un modèle micromécanique pour l’interprétation des données. Le déplacement des raies de diffraction est proportionnel à la contrainte macroscopique appliquée au matériau, mais dépend aussi de l’hétérogénéité intra- et inter-granulaire des contraintes résiduelles. L’interprétation des mesures de diffraction en terme de contraintes macroscopiques n’est donc pas triviale dans le cas général. L’analyse doit être menée avec une certaine prudence.

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152 Rayons X et matière

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