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Page 1: chez le même éditeur Le Tiroir aux papillons, 1999 Elena

Elena Botchorichvili

sovki

Qui est-il, cet Artchil Gomarteli ? Le diable ou le bon Dieu ?

Ce qui est certain, c’est qu’il a hérité de la voix magique. La

fameuse voix des Gomarteli, qui confère sa vertu curative au

baume qui fait la fortune de la famille depuis trois générations.

Cette même voix qui rend toutes les femmes folles d’amour,

sans exception : « Arrr… crient-elles en montant au ciel…

Arrr-tchil ! » Est-ce parce qu’il est constamment entouré de

rugissements qu’on le qualifie également de lion ?

Qui sont ces gens de l’ère soviétique, ces « Sovki » ? Pourquoi

sont-ils mêlés les uns aux autres, comme des ingrédients indif-

férenciés d’une pommade ?

Qui est Staline ? Le diable ? Dieu ? Un parfait idiot ?

Elena Botchorichvili a écrit Sovki en phrases très courtes,

pleines de subtilité et d’humour noir. C’est toute une société

et tout un pan de l’histoire du xxe siècle qu’elle nous raconte,

en très peu de pages. En quelques mots, elle nous fait partager

tout le tragique, tout le pathétique — ou tout le comique —

de la destinée des personnages inoubliables qu’elle met en scène.

ISBN 978-2-7646-0579-0 imp

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Boréal

chez le même éditeur

Le Tiroir aux papillons, 1999

Faïna, 2006

17,95 $

Elena Botchorichvili est née à Tbilissi, en Géorgie. Elle vit a Montréal. Elle a déjà écrit trois romans : Le Tiroir au papillon (1999), Opera (2001), Faïna (2006).

Photo : Martine Doyon

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Couverture : Levan A. Chogoshvili, Family portrait, 1985

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Page 2: chez le même éditeur Le Tiroir aux papillons, 1999 Elena

Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) H2J 2L2

www.editionsboreal.qc.ca

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SOVK I

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DU MÊME AUTEUR

Le Tiroir au papillon, roman, Boréal, 1999.

Opéra, roman, Les Allusifs, 2001.

Faïna, roman, Boréal, 2006.

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Elena Botchorichvili

S O V K I

roman

traduit du russe par Bernard Kreise

Boréal

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Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier.

Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.

© Les Éditions du Boréal 2008

Dépôt légal: 1er trimestre 2008

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada: Dimedia

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Botchorichvili, Elena

Sovki

Traduit du russe.

isbn 978-2-7646-0579-0

I. Kreise, Bernard. II. Titre.

ps8553.o749s6814 2008 c891.73’5 c2008-940420-3

ps9553.o749s6814 2008

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À Georges

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Il entrait.Les femmes écartaient leur fourchette et

tournaient leur tête bouclée. C’était la mode desboucles — une nuit d’insomnie avec des bigou-dis en métal et un rouleau sous la nuque. Elles lebuvaient de leurs yeux voraces. Lui faisait sem-blant de ne pas les remarquer. Il passait la maindans sa chevelure grise et rectifiait son nœud decravate.«Vous voyez ça! s’esclaffaient les femmes

bouclées en frémissant, des légendes circulent à son propos, mais regardez-le, comme il estmodeste, il n’a même pas le regard hautain!»En effet, il gardait les yeux baissés. Il pouvait

rester assis la moitié de la soirée sans détacher son regard des petits souliers de ces dames. Desgouttes de sueur perlaient au-dessus de sa lèvresupérieure. Il attendait qu’elles oublient sa pré-sence et cessent de chuchoter entre elles. Il était

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inconcevable qu’un si bel homme fût si timide.Mais qui s’en rendait compte? On lui faisait ava-ler trois ou quatre verres de vin pour le punird’être en retard. Jamais il n’arrivait à l’heure àquelque festivité que ce soit. Il avait sans doutebesoin de boire pour surmonter son trac. C’est lesang qui battait dans sa tête, pas le vin. L’alcoollui faisait reprendre ses esprits. Dès qu’il avaitpassé la porte d’entrée, sans même avoir levé lesyeux, il savait déjà où elle était et qui elle était. Çale faisait rire: même de dos, on reconnaît unebelle femme. Alors il levait les yeux. Son regard lafixait, elle, pas une autre, la plus belle de la tablée,même si elle était un peu éloignée de lui, il ne ces-sait de la dévisager, avec un mélange d’exaltationet d’admiration, comme un gamin qui découvrepour la première fois une femme nue, un gaminentré par mégarde dans une autre chambre que lasienne. Une seconde passait, puis deux… Et cettefemme, engoncée dans sa plus belle robe à l’oc-casion de cette soirée, avec ses cheveux ondulésau prix d’une nuit d’insomnie, avec sa fourchetteà sa gauche et son mari à sa droite, se sentait toutenue, entièrement déshabillée, n’ayant plus que sessouliers noirs, sur la table recouverte d’une nappeblanche. Prête au sacrifice. Je me rends à vous,vous m’avez vaincue.

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Artchil Gomarteli est un lion, pas unhomme.S’ensuivait une semaine de tumulte, parfois

deux. Avec des coups de téléphone la nuit, desfleurs, du champagne au restaurant, du vin à ladatcha, des chansons accompagnées à la guitare,des baisemains. On ne sait pourquoi, il n’y avaitpas de ratés, pas d’exceptions. Après tout, il secontentait de braquer les yeux, pas un fusil, alorspourquoi les cœurs se brisaient-ils? Les femmesétaient prêtes à tout quitter, à courir pour leretrouver dès qu’il appellerait, peu importe où.«Ah, Artchil, je ne sais pas ce qui m’arrive, tesyeux…» Mais il n’appelait pas. Quinze jours plustard, il sirotait de nouveau son thé, debout prèsde la fenêtre, regardant dehors. Le malheur étaitqu’il s’ennuyait.Tout cela ne se termina pas sans un enfant,

bien entendu. Il y avait un garçon, un certainAtchiko, dont on ne parlait de la mère qu’à voixbasse: qui est-elle, où est-elle? Artchil gardait ce garçon depuis qu’il avait huit jours. Deuxfemmes l’élevaient: la mère d’Artchil, Nora, et sasœur, Pepela, toujours vieille fille. La langue decelle-ci se projetait en avant comme la roue déta-chée d’une bicyclette, et elle paraissait sautil-ler pour la rattraper. Mais pour rien au monde

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elle n’aurait lâché le moindre mot sur la mère dugarçon. Nora, elle, était d’une manière généraleaussi silencieuse qu’un toast porté à la mémoired’un défunt.«Peu importe, rabâchait l’oncle Otar en

s’éventant avec son journal, sous le mûrier. L’en-fant va grandir et on verra bien à qui il res-semble.»Dans toutes les familles, il y a un idiot qui

dit à voix haute ce que les autres pensent tout bas.C’est sous cet arbre que grandit Atchiko: il

commença par escalader le long banc, puis latable basse; ensuite il grimpa dans l’arbre pourcueillir des mûres. Son visage ne dévoilait pas lemystère, cependant. Qui est-elle, où est-elle? Toutle monde trouvait qu’il y avait un air de familleentre Atchiko et Artchil. C’est évident, concédaitl’oncle Otar, même un chien finit par ressemblerà son maître. Avant d’ajouter:«Que des cendres recouvrent la tête de la

femme qui abandonne son fils!»Nora dressait la table de la cour, elle y appor-

tait du poulet satsivi aux noix et du gomi — lapolenta géorgienne —, mais elle ne répondaitpas. Quant à la vieille fille, elle ajoutait:«S’il restait des cheveux sur le crâne d’Otar,

je les saisirais pour le traîner par terre!»

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C’est également dans cet arbre qu’Artchilavait cueilli des fruits rouges; c’était pendant la guerre. Pepela, la vieille fille, avait lavé sous le robinet les taches de mûres sur ses vêtementsen proférant des malédictions:«Que l’éclair te foudroie, que ton cercueil

soit au milieu de la pièce et que je le recouvre deterre!…»Artchil avait partagé le même lit qu’elle jus-

qu’à l’âge de onze ans. Il faisait semblant de dor-mir quand elle l’embrassait et il se tournait versle mur pendant qu’elle priait devant l’icônecachée dans un coin, derrière la porte. Elle étaitagenouillée, vêtue de sa chemise de nuit serrée àla taille avec une ficelle, et elle demandait à Dieupourquoi il ne lui donnait pas un garçon commelui. En quoi ai-je démérité? Est-ce que ça veutdire que je mourrai comme ça, sans avoir étécaressée? Artchil s’imaginait que Dieu la voyaitdans sa chemise de nuit et que c’était la raisonpour laquelle il se cachait derrière la porte.C’est sous cet arbre, le mûrier, que s’était

tenu Artchil, le jour de ses noces, tandis que levent agitait ses cheveux noirs. Puis le vent avaitsoulevé sa fiancée en l’air et l’avait emportée.C’est ce qu’il avait l’habitude de raconter au petitAtchiko, et il riait. L’oncle Otar relatait une tout

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autre histoire: la fiancée d’Artchil avait sauté surla table, les mains d’un inconnu l’avaient attra-pée et puis, c’est vrai, le vent l’avait emportée.Et les cheveux d’Artchil Gomarteli n’avaient

plus jamais été noirs.

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La belle Nora s’était mariée sous un arbre diffé-rent, un oranger, planté dans une autre cour. Lesmûriers n’ont d’intérêt, en fait, que pour amuserles enfants ou élever des vers à soie. Sinon, à quoiservent-ils? À faire des taches noires comme del’encre. Avant la guerre, presque tous les habi-tants de Kobouleti avaient des agrumes et unetable devant leur maison. Pepela avait recouvertla table de draps blancs à l’occasion de la noce.On ne la traitait pas encore de vieille fille: ellen’avait que dix-neuf ans.Nora se tenait sous l’oranger, vêtue d’une

robe blanche, avec des souliers blancs passés à lacraie: il n’y avait pas plus belle fiancée au monde.Ni plus silencieuse. Prends garde aux fiancéessilencieuses! Voici ce à quoi elle rêvait ce jour-là:que son fiancé était foudroyé par l’éclair, qu’ellele recouvrait de terre, que le vent la soulevait etl’emportait. Elle n’avait pas de bien-aimé pour

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venir la sauver, l’envelopper dans ses bras. Le ventétait son seul et unique espoir.Mais en Adjarie, il n’y a pas un souffle au

mois de juin.Et quand il fallut partir pour Tbilissi après

la noce et que le camion du kolkhoze vint leschercher, elle se jeta au cou de Pepela et se mit à geindre en braillant comme si elle se tenaitdevant une tombe ouverte. Comme si dans uninstant le défunt allait être recouvert de terre et que le défunt, c’était elle. Elle avait noué sesdoigts si fort autour du cou de Pepela qu’on n’au-rait pu les détacher. Le père du fiancé, le docteurGomarteli de Tbilissi, dit alors à Pepela qu’ellemonte dans la benne, elle aussi. Que faired’autre? Et elle y grimpa telle qu’elle était, sansmême prendre un peigne. Qui aurait pu devinerque ce serait à jamais et non pour deux jours?Personne n’avait demandé son avis à Ten-

guiz, d’ailleurs. Un homme se marie, mais peuimporte, on ne le considère pas comme un être àpart entière. Son père ne parle pas: il se contentede distribuer des ordres. Comme s’il savait tout.Tu iras à Kobouleti, lui avait-il dit, tu y feras laconnaissance de Beridze. Il a des filles à marier.Et ne remets pas les choses à plus tard, au cas où!À quoi bon attendre?

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SovkiQui est-il, cet Artchil Gomarteli ? Le diable ou le bon Dieu ?

Ce qui est certain, c’est qu’il a hérité de la voix magique. La

fameuse voix des Gomarteli, qui confère sa vertu curative au

baume qui fait la fortune de la famille depuis trois générations.

Cette même voix qui rend toutes les femmes folles d’amour,

sans exception : « Arrr… crient-elles en montant au ciel…

Arrr-tchil ! » Est-ce parce qu’il est constamment entouré de

rugissements qu’on le qualifie également de lion ?

Qui sont ces gens de l’ère soviétique, ces « Sovki » ? Pourquoi

sont-ils mêlés les uns aux autres, comme des ingrédients indif-

férenciés d’une pommade ?

Qui est Staline ? Le diable ? Dieu ? Un parfait idiot ?

Elena Botchorichvili a écrit Sovki en phrases très courtes,

pleines de subtilité et d’humour noir. C’est toute une société

et tout un pan de l’histoire du xxe siècle qu’elle nous raconte,

en très peu de pages. En quelques mots, elle nous fait partager

tout le tragique, tout le pathétique — ou tout le comique —

de la destinée des personnages inoubliables qu’elle met en scène.

Elena Botchorichvili est née à Tbilissi, en Géorgie. Elle vit a Montréal. Elle a déjà écrit trois romans : Le Tiroir au papillon (1999), Opera (2001), Faïna (2006).

ISBN 978-2-7646-0579-0

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