chronique desfalsifications - marxists.org

10
Chronique des falsifications

Upload: others

Post on 25-Mar-2022

6 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Chronique desfalsifications - marxists.org

Chroniquedes falsifications

Page 2: Chronique desfalsifications - marxists.org

136

LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 46

Page 3: Chronique desfalsifications - marxists.org

137

CHRONIQUE DES FALSIFICATIONS

DES fouilles préventives ayantrévélé, au Mans, la présencede squelettes attribués à desVendéens “massacrés” en dé-

cembre 1793, une association dite “viréede Galerne” milite pour le rapatriementde ces pieuses reliques dans leur régiond’origine et pour l’érection d’une stèle àla mémoire des victimes. Ces “massa-cres”, qui ne faisaient que prolonger lesatrocités qui avaient jalonné la “virée deGalerne”, ont inspiré à quelques nostal-giques de la Vendée monarchiste et de lachouannerie une brochure violemmentantirépublicaine (1), dont la couverturerésume le propos : un vitrail montrant un“bleu” embrochant un enfant dans lesbras de sa mère ! Les auteurs y déclinentà longueur de pages les contre-véritéshabituelles : “La jeune république étaitconfisquée par une clique d’apprentisdictateurs”, l’insurrection vendéenneétait une insurrection populaire, l’Arméecatholique et royale se battait “pour laliberté de penser”, les massacres qui ontjalonné cette guerre civile ont résultéd’une volonté d’extermination…

L’un des inventeursdu “génocide franco-français en Vendée”

A l’occasion de la présentation de cetouvrage au Mans, le 11 décembre der-nier, les éditions Siloë organisèrent un

débat auquel Reynald Sécher, l’un des in-venteurs du “génocide franco-françaisen Vendée” (2), fut invité à prendre laparole. Adoubé par Pierre Chaunu, Rey-nald Sécher a, dans les années 1980, pré-senté, sur ce sujet, une thèse en Sor-bonne. Il a par la suite poussé jusqu’àl’extravagance la “thèse” de François Fu-ret qui fait de la Révolution française la“matrice de tous les totalitarismes”, de-venant ainsi le héraut de tout ce que laVendée, la Bretagne et l’extrême droitede ce pays peuvent compter de nostal-giques de l’Ancien Régime et, plus géné-ralement, de tous ceux qui ont, à un titreou à un autre, quelque compte à régleravec la Convention, avec la Montagne etavec la République une et indivisible.

Sur la Révolution elle-même, rien debien nouveau : la Convention aurait“animalisé” les populations vendéennesavant de les exterminer méthodiquementet dans les conditions les plus atroces. Al’issue de la bataille du Mans, qui clôttragiquement la “virée de Galerne”, lesfemmes auraient ainsi été disposées “enbatterie” et violées jusqu’à 50 fois aprèsleur mort ! Une cause aussi sacrée auto-rise bien que l’on prenne quelques liber-tés avec Clio. Le décret du 1er août 1793(article VIII), adopté, faut-il le rappeler,dans le contexte d’une guerre civile inex-

Comment Reynald Sécherréécrit l’histoire...... et réinvente la langue russe !

(1) Thierry Trimoreau (dir.), Massacres au Mansen 1793, Siloë, 2009.(2) Reynald Sécher, La Vendée-Vengé. Le géno-cide franco-français, PUF, 1986.

Page 4: Chronique desfalsifications - marxists.org

138

LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 46

piable, dit la chose suivante : “Les fem-mes, les enfants et les vieillards serontconduits dans l’intérieur, il sera pourvu àleur subsistance, à leur sûreté avec tousles égards dus à l’humanité.” Traductionde Sécher : la Convention ordonne la dé-portation des femmes et des enfants, lemot déportation étant chargé, bien évi-demment, de toutes les connotations ap-portées par le XXe siècle. Le décret du1er octobre, voté par une Convention excé-dée, prescrit “l’extermination des bri-gands de la Vendée”. C’est donc bien lapreuve d’une volonté d’extermination despopulations civiles ! Les Vendéens se-raient exterminés, non en tant que rebellesmenaçant la République, mais en tant queVendéens, donc en tant que groupe reli-gieux, ce qui établirait le génocide !

Le discoursa rapidement tournéau délire

Le discours banalement réactionnairea rapidement tourné au délire : l’extermi-nation se heurtant à des difficultés tech-niques, en particulier l’impossibilité ma-térielle de guillotiner plus de 77 person-nes par jour (?), la Convention auraitchargé le chimiste Fourcroy de mettre aupoint un procédé de gazage des popula-tions. Ce thème du gazage, qui revientégalement dans le Livre noir du commu-nisme, vise évidemment à établir une fi-

liation entre la Révolution française, larévolution russe, le totalitarisme, le trèsréel “génocide de race” et l’imaginaire“génocide de classe”.

Le voyage imaginairede Lénine

Le “génocide franco-français”, en ef-fet, a très vite ramené Reynald Sécher àson sujet favori : l’extermination desVendéens préfigure Dachau ; le statut desjuifs a été adopté par Vichy à partir detextes votés par la Convention ; la poli-tique des Montagnards, c’est déjà cellede Lénine, de Staline, de Hitler et de PolPot. La preuve : durant son exil en France(donc bien avant la révolution, ce qui éta-blit le caractère intrinsèquement génoci-daire du bolchevisme !), Lénine, hommefort prévoyant, s’est déplacé tout spécia-lement à Pornic pour étudier comment onextermine une population ! Instruit par cevoyage, il a appliqué, une fois au pou-voir, ce traitement à la Russie. D’ailleurs,en russe, le mot Vendée ne désigne-t-ilpas une région où l’on extermine et Loireun fleuve où l’on noie les opposants poli-tiques ? Il va sans dire que les cadres descamps d’extermination nazis ont été for-més à l’école du Goulag soviétique…Faut-il ajouter que Reynald Sécher a vi-vement conseillé à l’auditoire la lecturede Stéphane Courtois !

Rémy Janneau

Interventionde Rémy Janneau

Je tiens, pour la clarté du débat, à pré-ciser d’entrée que je suis républicain, ja-cobin, et même franchement monta-

gnard. Je ne partage pas le point de vuede François Furet suivant lequel la Révo-lution serait finie. Je pense au contraireque la défense de la République une etindivisible reste plus que jamais à l’ordredu jour et j’irai jusqu’à dire que l’élec-tion d’une nouvelle Convention, dans le

Conférence“Peut-on parler de génocidevendéen ?” (11 décembre 2009)

Page 5: Chronique desfalsifications - marxists.org

139

CHRONIQUE DES FALSIFICATIONS

contexte de la France d’aujourd’hui, se-rait une excellente chose.

Cela étant, il me semble nécessaire,sur un sujet aussi sensible, de distinguerl’approche politico-idéologique de l’ana-lyse proprement historique. Le rôle del’histoire n’est ni de porter des juge-ments moraux, ni de justifier ou de stig-matiser, ni de nourrir une mémoire parti-culière. Il est d’établir les faits et d’es-sayer de les expliquer rationnellement.

Bien entendu, il y aurait beaucoup àdire sur les causes de l’insurrection pay-sanne, sur le drapeau sous lequel elles’est rangée dès le début, le drapeaublanc, ou encore sur les prêtres réfrac-taires. Je pense que nous y reviendronsau cours du débat, mais je voudrais dis-siper, dans un premier temps, ce quim’apparaît comme une confusion entremassacres, atrocités et génocide.

• Etablir les faits, c’est d’abord nepas en occulter une partie. Le républi-cain que je suis ne nie ni les massacresni les atrocités perpétrés dans ce qu’ilest convenu d’appeler la Vendée mili-taire. Encore faut-il admettre que lesdeux camps se sont montrés aussi impla-cables l’un que l’autre.

J’ai cherché dans le livre de ReynaldSécher ce qui s’était passé à Machecoul.On y apprend que les émeutiers ont in-cendié les locaux de l’administration etbrûlé les registres. Je suppose que les565 victimes, tuées de la manière la plusatroce, sont à ranger au nombre des dé-gâts collatéraux !

Les “chapelets” de Machecoul com-me les noyades de Nantes, le curé consti-tutionnel Ménard tué lentement à coupsde baïonnette dans le visage, le maire deSaint-Fiacre découpé en quartiers, lespuits remplis de corps de républicainsparfois jetés vivants, l’état pitoyable descentaines de cadavres de patriotes laissésderrière eux par les paysans vendéensnous renvoient, au même titre que lesvictimes des “colonnes infernales”, àcette phrase de Babeuf, au moment oùles têtes de De Launay et de Flessellesse promenaient au bout des piques :“Nos maîtres nous ont faits barbares, ilsrécoltent et récolteront ce qu’ils ont se-mé.”

Il est vrai qu’en l’occurrence, d’uncôté comme de l’autre, les “maîtres”n’ont pas été seuls à “récolter”.

• Analyser les faits suppose une mi-se en perspective. Je partage tout à faitle point de vue de François Lebrun sui-vant lequel le traitement appliqué à laVendée s’inscrit dans la tradition du “dé-gât”, pratique d’Ancien Régime consis-tant à mettre à feu et à sang une régiondont on voulait briser la résistance, quel’on voulait punir de sa révolte, ou, toutsimplement, mettre hors d’état de ravi-tailler l’ennemi.

Carnot se situe dans la continuité deLouvois, et Turreau de Lignères de Ga-rambouville dans celle du duc de Chaul-nes. Si je suis d’accord sur un point avecPierre Chaunu, c’est bien quand il rap-proche le cas de la Vendée de celui desCévennes.

J’ajoute que résumer la Républiqueou même la Convention à un soldat em-brochant un enfant est historiquement àpeu près aussi pertinent que réduire lerègne de Louis XIV aux soldats du ducde Chaulnes rôtissant à la broche des pe-tits Bretons.

• Etablir les faits, c’est aussi les re-placer dans le contexte d’une guerre ci-vile d’autant plus inexpiable qu’elle secombine avec la coalition de tout ce quel’Europe compte de têtes couronnées.Pour la République, c’est une lutte àmort où l’on ne s’embarrasse pas de no-bles sentiments. C’est une guerre totaleoù le but n’est pas seulement de vaincrel’adversaire, mais de le détruire et de lelaisser incapable de se relever.

On ne peut non plus ignorer que lesdivergences politiques au sein même ducamp républicain ont aussi des inciden-ces sur la répression. Turreau est un hé-bertiste porté aux solutions extrêmes. Al’inverse, Westermann, qui est danto-niste, en rajoute par peur d’être suspect.

Si l’ampleur des massacres et le de-gré d’atrocité des exactions suffisaient àdéfinir un génocide, l’histoire en seraitjalonnée. On pourrait convoquer au tri-bunal de l’histoire les Athéniens cou-pables de l’extermination de la popula-tion mâle de Mélos et les croisés pourles massacres perpétrés à Jérusalem !

Page 6: Chronique desfalsifications - marxists.org

LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 46

Chaque peuple, pratiquement, pourraits’en inventer au moins un, et il est vraique, depuis quelques années, de la Litua-nie aux Antilles en passant par l’Ukraine,nous observons, au sein de beaucoup depeuples à mémoire douloureuse, une vo-lonté de se faire reconnaître, à tort ou àraison, comme victimes d’un génocide.Les propositions de lois visant à faire“reconnaître” un “génocide” en Vendées’inscrivent dans ce contexte.

Or non seulement je pense que c’estune notion qu’il vaut mieux ne pas gal-vauder, mais on ne retrouve, dans le casde la Vendée, aucun des critères d’un gé-nocide :

— Il n’y a pas eu extermination. Lechiffre de 600 000 morts avancé parHoche et repris pour des raisons diamé-tralement opposées par Chateaubriand,puis, en 1984, par Pierre Chaunu, n’estpas crédible.

Reynald Sécher lui-même établit,avec une précision remarquable, le nom-bre des disparus à 117 257. Disparu neveut pas dire victime. Des travaux ré-cents soulignent l’un des aspects démo-graphiques les plus occultés par les deuxcamps : l’importance du nombre de réfu-giés. 50 000 à 100 000 Vendéens ne sontjamais revenus, ce qui invalide la métho-de qui consiste à soustraire la populationde 1801 de celle de 1790.

Le chiffre de Reynald Sécher estd’ailleurs très inférieur à la fourchetteproposée par Jean-Clément Martin, qui,lui, récuse l’idée d’un génocide en Ven-dée : 220 000 à 250 000, en comptant35 000 morts dans le camp républicainet, outre les combattants et les victimesde massacres, celles des épidémies, de lasous-alimentation et de l’épuisement.Que le chiffre de la population de laVendée militaire en 1792 soit supérieur à800 000, comme le dit Reynald Sécher,ou plutôt proche de 550 000 si l’on re-tient l’estimation d’Hussenet, on est trèsloin d’une extermination.

— Il n’y a pas eu davantage inten-tion d’extermination. Le mot revientindéniablement dans un certain nombrede discours de Barère, de Francastel etde bien d’autres, mais il s’agit d’un lan-gage de guerre civile qu’il faut interpré-

ter comme une volonté d’en finir unefois pour toutes, ce qui n’implique évi-demment pas l’extermination.

Ce vocabulaire extrême est le refletd’une lutte sans merci. Les textes adop-tés par la Convention contredisent d’ail-leurs l’idée d’une volonté extermina-trice. Le décret du 19 mars 1793 prévoitla peine de mort pour les rebelles pris lesarmes à la main, Marat demandant qu’onexécute seulement les chefs et que l’onépargne les citoyens égarés, ce qui seraadopté en mai. Le décret du 1er août pré-voit de faire sortir les femmes et les en-fants de la Vendée militaire, de pourvoirà leur subsistance et de les traiter avectous les égards dus à l’humanité.

Les massacres de masse vont naîtrebien plutôt de l’engrenage implacabled’une guerre civile dans laquelle les ci-vils sont impliqués. N’oublions pas qu’àMachecoul, les femmes sont les plusacharnées, que bon nombre sont deve-nues des combattantes, que les enfantseux-mêmes sont, parfois à 12 ou 13 ans,également des combattants. Le XXe siè-cle n’a malheureusement pas inventé lesenfants soldats.

— Troisième critère : les caractèresdu groupe visé. Les Vendéens n’ont ja-mais constitué, à ma connaissance, ungroupe ethnique, racial ou religieuxhomogène, pas même politique. Il n’ya jamais eu d’intention de les extermineren tant que tels, mais de mettre la Ven-dée hors d’Etat de menacer à nouveauune République toujours en guerre.

— Enfin, et surtout, on ne peut appli-quer rétrospectivement et hors contexte àdes événements vieux de deux siècles unenotion à laquelle nous avons donné, auXXe siècle, un fondement juridique,mais qui n’a aucune validité scienti-fique.

— Quant aux massacres qui ont sui-vi la bataille du Mans, ils s’inscriventdans la continuité des atrocités qui ont,des deux côtés, accompagné la “virée deGalerne”, au cours de laquelle personnen’a fait de prisonniers. Ils traduisent aussi,là encore, une volonté d’en finir.

En conclusion, je distinguerai soi-gneusement trois choses.

140

Page 7: Chronique desfalsifications - marxists.org

141

CHRONIQUE DES FALSIFICATIONS

— La mémoire, qui, disait Bédarida,est fidélité à un héritage ; la Vendée —plus exactement certains Vendéens, etc’est leur droit — cultive pieusement lasienne depuis deux siècles.

Je ne crois pas à une réconciliationdes mémoires. Je pense même que leprétendu devoir de mémoire, précisé-ment parce que celle-ci est fidélité, estun obstacle à une recherche apaisée de lavérité.

— L’histoire est, au contraire, cri-tique et distanciée, qui est débat, et quiest le moyen de dépasser des mémoirescontradictoires. En ce sens, nous avonsun devoir d’histoire.

— Enfin, une instrumentalisationpolitico-idéologique de l’une et de l’au-tre : le choix du mot génocide n’a d’au-tre raison d’être que d’établir une filia-tion douteuse entre la Révolution et letotalitarisme, entre la Vendée et la shoah,entre Robespierre et Pol Pot, et de mar-quer la République d’une tache origi-nelle indélébile.

Et ici, nous quittons malheureuse-ment le terrain de l’histoire pour celui dela propagande politique.

Interventionde Daniel Jouteux

La guerre de Vendée est une guerrecivile avec ses atrocités, ses massacres.Dans son exposé, Reynald Sécher neparle que de l’extermination des Ven-déens par les républicains.

Or dans cette guerre civile, c’est leVendéen qui tue le Vendéen. Ainsi, àMachecoul, dès le début de l’insurrec-tion, les “blancs” vendéens massacrent“en chapelet” des “bleus” vendéens.

C’est extraordinaire ! Sécher ne ditpas un mot sur les massacres, les pilla-ges, les mutilations… perpétrés contreles “bleus” vendéens et les républicainspar les “blancs” pendant ces mois deguerre civile.

Quant à ce que certains appellent la“virée de Galerne”, il faut préciser que sil’Armée catholique et royale passe laLoire, c’est parce qu’elle est acculée parles armées républicaines qui la chassentde Vendée. Et si cette armée se dirigevers Granville, c’est pour faire la jonc-tion avec les émigrés et l’Angleterre, enguerre contre la France.

NOUS pensions jusqu’à récem-ment que la faucille et le mar-teau comme emblème avaitété inventé par les bolcheviks

pour symboliser l’alliance des ouvrierset des paysans. C’est vrai, incontestable-ment... mais pas seulement.

En fait, il s’avère, à la lecture dessources historiques russes, que le dessi-nateur bolchevique de ce dessin a repriscet emblème de l’histoire antique. C’étaitle symbole des insurgés juifs dirigés parJuda Macchabée en lutte contre la domi-nation des Séléucides en Palestine, et quise sont révoltés lorsque le roi grec a vou-lu mettre la statue de Zeus dans le tem-ple de Jérusalem. Cela se passait en 161avant J.-C. Ils prirent la faucille et lemarteau comme symbole de leur lutte,

celle du peuple et de ses “premièresarmes”.

Il semblerait que le choix de la fau-cille et du marteau ait aussi plu pour desraisons graphiques “modernistes” auxdirigeants bolcheviques, et à Lénine enparticulier, mais aussi parce que, del’avis du dirigeant musulman tatar bol-chevique Sultan Galiev, la faucille com-portait “implicitement” aussi le crois-sant, et, qu’en y rajoutant l’étoile (rou-ge), ce qui fut fait, cela donnait le crois-sant et l’étoile... de l’islam, ce qui a per-mis à Zinoviev, au congrès des peuplesd’Orient à Bakou, en 1921, de proclamerque la lutte contre l’impérialisme occi-dental était une “djihad”.

Et ce qui explique aussi que Lénineait imposé, contre les colons russes

Morceau d’histoire superposée

Page 8: Chronique desfalsifications - marxists.org

142

LES CAHIERS DU MOUVEMENT OUVRIER / NUMÉRO 46

d’Asie centrale qui avaient pris partipour les bolcheviks, le droit pour les mu-sulmans d’URSS de choisir lors des pro-cès soit les tribunaux soviétiques, soit lestribunaux de la Charia, et que Lénine aréimposés “en parallèle”, au nom de lalutte contre l’oppression coloniale... enmême temps que le droit de porter lefoulard dit islamique.

Au même moment, il justifiait la ré-pression contre l’Eglise orthodoxe aunom de l’alliance historique incestueusede cette dernière avec le tsarisme. Et es-sayait de négocier en secret avec le Vati-can un compromis pour la légalisationdu culte catholique en Russie, perçu parLénine aussi comme un culte opprimésous les tsars.

Il était en particulier intéressé par lefonctionnement des jésuites. Cela ne sefit pas, parce que Rome envisageait tout

simplement de prendre avec l’appui desbolcheviks la place vacante de l’ortho-doxie. Les bolcheviks, en bons fils desLumières, ne pouvaient imaginer alleraussi loin que le désirait le Vatican ! Qui,de son côté, pensait dans sa subjectivitéd’un autre âge que le catholicisme, vu sa“solidité légendaire”, pouvait garantiraux bolcheviks la pérennité de leur pou-voir mieux que l’athéisme marxiste (...).

Staline, dix ans après Lénine, avait deson côté “simplifié” l’histoire, “rajeuni”la faucille et le marteau, lui enlevant sesorigines juives (et musulmanes) ; il fitfusiller Sultan Galiev, interdire les tribu-naux de la charia et organisa à Tachkentune manifestation où les femmes brûlè-rent leurs foulards.

Une histoire qui nous a échappé...

Bruno Drweski

SI l’on comprend bien les divaga-tions de Bruno Drweski, que j’aidécouvertes sur Internet, Stalinea fait fusiller le communiste tatar

Sultan-Galiev par souci de défendre lalaïcité menacée.

Certes, ce pourrait n’être qu’un détail,mais quand on prétend révéler des se-crets, mieux vaut ne pas se tromper surles dates. Bruno Drweski date le congrèsdes peuples d’Orient de Bakou de 1921.Or il s’est tenu au début de septembre1920, réunissant 5 850 délégués, dontbeaucoup n’étaient pas communistes,mais nationalistes. Il est vrai qu’à cecongrès, s’adressant à des délégués dontune bonne partie ne comprenait pas unmot de russe, Zinoviev, suscitant un en-thousiasme indescriptible, s’est écrié :“L’Internationale communiste se tourneaujourd’hui vers les peuples d’Orient etleur dit : frères, nous vous appelons à laguerre sainte (djihad), et d’abord contrel’impérialisme britannique.” Mais Zino-viev précise le contenu de cette “djihad”,l’un des rares mots compris par tous lesdélégués, d’une façon qui interdit d’y

voir une guerre religieuse : “Vive l’unionfraternelle des peuples d’Orient avecl’Internationale communiste ! A bas lecapital ! Vive l’empire du travail ! Vivela résurrection de l’Orient !”, et des dé-légués crient pour préciser encore leschoses : “Vive la IIIe Internationale com-muniste !”

L’évocation par Bruno Drweski de lapolitique de Lénine en Asie centrale estassez curieuse. De 1906 à 1912, Stolypi-ne, pour encourager la colonisation par lapaysannerie russe de la Sibérie et del’Asie centrale, a envoyé 438 000 fa-milles russes au Turkestan. Elles y ontcolonisé 17,5 millions d’hectares deterres, occupées par la population kaza-khe locale nomade (dite alors kirghize),massivement expropriée ! En 1916, cettepopulation, mobilisée pour des travauxde fortification, s’est révoltée. La répres-sion a été féroce. Des dizaines de villagesont été rasés.

Entre 1917 et 1920, ces Kazakhs-Kir-ghizes ont été surexploités par les coloni-sateurs russes d’hier, autoproclamés dic-tature du prolétariat ; un tiers de la popu-

Quelques divagations…

Page 9: Chronique desfalsifications - marxists.org

143

CHRONIQUE DES FALSIFICATIONS

lation kazakhe est morte d’épuisement etde faim.

Lénine fait décider par le bureau poli-tique, le 29 juin 1920, la liquidation del’inégalité entre Kazakhs et Russes, larestitution aux Kazakhs de la plus grandepartie des terres confisquées, en ne lais-sant aux colonisateurs russes qu’un petitlopin, et l’annulation de tous les contratsd’emploi léonins imposés par ces der-niers aux Kazakhs. Il fait rappeler à Mos-cou “tous les communistes du Turkestaninfectés par la mentalité colonisatrice etle colonialisme russe”. Il envoie au Tur-kestan Safarov, qui fait chasser des cen-taines de familles de paysans russes qua-lifiées de koulaks, dont les terres restenten friche. De nombreux dirigeants récla-ment son rappel. Lénine, désireux deconvaincre les populations musulmanesde son hostilité radicale à l’héritage del’impérialisme russe, fait venir à MoscouSafarov, accuse Tomski, envoyé par lebureau politique, et le dirigeant de laTcheka au Turkestan, Peters, de chauvi-nisme russe. Lénine suspecte Tomskid’être favorable aux colons russes. Il en-voie au Turkestan Adolphe Ioffé, chargéde tout vérifier et d’accorder une atten-tion particulière à “la défense des inté-rêts des indigènes contre les exagéra-tions russes, grandes-russes ou colonisa-trices”. Il ajoute : “Il est diablement im-portant pour toute notre Weltpolitik (...)de démontrer que nous ne sommes pasdes impérialistes, que nous n’admettronspas de déviation dans ce sens. C’est unequestion mondiale, sans exagérationmondiale (…). Cela se répercutera surl’Inde, sur l’Orient, là il est impossiblede plaisanter.”

Le 14 octobre 1921, le bureau poli-tique envoie Sokolnikov au Turkestanavec la mission d’assurer une stricte éga-lité entre Russes et Kazakhs dans l’utili-sation de la terre et de l’eau, et de favori-ser la restitution de leurs terres aux Ka-zakhs. Safarov, écrit Sokolnikov à Lé-nine, s’est acharné à “terroriser systéma-tiquement les fermiers russes esclava-gistes et à affranchir systématiquement

les esclaves kirghizes”. Donner raison àses adversaires signifierait punir ceux quitrahissent “leur propre” nation pour dé-fendre les esclaves d’une nation “étran-gère”. “Vérité incontestable !”, com-mente Lénine, pour qui le gain politiqueinternational de la défense des esclavescolonisés compte plus qu’une perte éco-nomique provisoire.

Lénine a conseillé de ne pas s’atta-quer aux sentiments religieux des musul-mans de ces régions ? Certes, mais il a lamême attitude avec les croyants ortho-doxes. Son souci pragmatique d’associerdes paysans hors parti à la politique desbolcheviks amène Lénine à s’opposer àla propagande antireligieuse. Mi-avril1922, il lit la liste des mots d’ordre pré-vus pour le 1er Mai. Il envoie une note àMolotov sur le mot d’ordre “Dénoncer lemensonge de la religion”. Il proteste :“C’est impossible. C’est un manque detact. Précisément au moment de Pâques,il faut recommander autre chose (...) :éviter, absolument, toute offense à la re-ligion.” Il lui demande de diffuser unecirculaire sur ce point. Le 21 avril, laPravda publie une lettre invitant à l’oc-casion du 1er Mai “à n’admettre en aucuncas aucune manifestation offensant lessentiments religieux de la masse de lapopulation”.

Bruno Drweski, qui accuse Lénine denégocier avec le Vatican la légalisationde l’Eglise catholique, n’a sans doute paslu ces lignes, ou alors il les efface volon-tairement. Selon lui, le Vatican « pensait(…) que le catholicisme, vu “sa soliditélégendaire”, pouvait garantir aux bol-cheviks la pérennité de leur pouvoirmieux que l’athéisme marxiste ». Le Vati-can était donc partisan du maintien desbolcheviks au pouvoir le plus longtempspossible ? A ce degré, ce n’est plus de lafalsification, c’est du délire.

Et il paraît que Bruno Drweski en-seigne à l’Institut national des languesorientales.

Pauvres étudiants.

Jean-Jacques Marie

Page 10: Chronique desfalsifications - marxists.org

144