cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

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Page 1: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

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~ Rapports et documents de sciences sociales

no.16 1962

Page 2: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

DOCUMENTS SPECIAUX DU CENTRE DE DOCUMENTATION DES SCIENCES SOCIALES

Les documents spéciaux du Centre d'information des sciences sociales sont destinés à fournir un matériel documentaire à un public restreint de spécia- listes, au fur et à mesure de l'exécution du programme de l'Unesco dans le domaine de; sciences sociales. Lorsqu'il présente un intérêt général, un tel matériel fait l'objet de publi-

cations particulières. Au contraire, les documents spéciaux reproduisent divers textes qui n'exigent pas une large diffusion. Il s'agit souvent de rap- ports de missions exécutées en application du programme ordinaire de l'Unesco ou de son programme spécial d'aide aux Etats membres ; d'autres documents fournissent des renseignements qu'il convient de diffuser sous forme de (< communiqués*. L e contenu de ces rapports et documents engage la seule responsabilité de

leurs auteurs, dont les opinions ne reflètent pas nécessairement celles de l'Unesco. Les documents spéciaux publiés par le Centre d'information des sciences

sociales sont tirés en offset et paraissent sans périodicité stricte. Les titres suivant ont déjà paru :

SS,/CH 1

SS/CH 2

SS/CH 3 SS/CH 4

SS/CH 5 SS/CH 6 SS/CH 7

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Enquête sur la manière dont les Etats conçoivent leurs obligations internationales, par Paul Guggenheim. Mission relative à l'enseignement des sciences sociales au Pakistan, Rapport d'André Bertrand. Les conseils de recherches de sciences sociales. L'enseignement des sciences sociales dans les écoles secondaires (épuisé). Les organisations internationales de sciences sociales. Les conseils de recherches de sciences sociales - addendum 1956. Fondations exerçant une activité en matière de sciences sociales. Répertoire international. L'assistance aux pays sous-dévelo pés, bibliographie commentée, réparée par Jean Viet ; (bilingue A/%) (épuisé).

gléments d'une documentation sur les problèmes de relations raciales. Les communautés rurales; problèmes, méthodes et exemples dere- cherches, par 1. Chiva (épuisé). Répertoire international d'institutions qui s'occupent d'études de population ; (bilingue A/ F). Les villes nouvelles ; éléments d'une bibliographie annotée, réunis par Jean Viet. Les organisations internationales de sciences sociales ; édition revue et augmentée avec une introduction de J. Meynaud. Eléments d'une documentation en criminologie; réunis par la Société internationale de criminologie. Coopération internationale et programmes de développement éco- nomique et social ; bibliographie commentée, préparée par Jean Viet (bilingue A/ F).

Une ((Annonce de Publication» est préparée pour chaque nouvelle livraison. Prix variable suivarit le numéro.

SS. 62. XV. 16 F

Achevé d'imprimer dans les ateliers de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation

la science et la culture, place de Fonrenoy - Paris 7e

0 UNESCO 1962

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Cinéma et sciences sociales Panorama du film ethnographique et

sociologique par Luc de Heusch

U n e s c o

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N O T E L I M I N A I R E

L'Unesco consacre le présent numéro de ses Rapports et Documents de Sciences sociales à une nouvelle étude-pilote : M. Luc de Heusch, professeur à l'université libre de Bruxelles, a bien voulu se charger d'analyser un grand nombre de films documentaires, appartenant à la production de pays très différents, en se plaçant au point de vue de leur utilisation pour la recherche et l'enseignement en sociologie (ce terme englobant la psychologie sociale et l'anthropologie culturelle). A notre connaissance, une telle analyse n'a pas été entreprise jusqu'à ce jour sur le plan inter-

national. L'ouvrage n'est donc pas appelé à tfaire le point» ou à présenter les résultats de recherches nationales dans ce domaine, mais à stimuler de futures enquêtes nationales et internationales, en dégageant hardiment, non sans formuler des jugements de valeur personnels, quelques grandes lignes pouvant servir à ceux qui approuvent, ou au contraire, rejettent ces conceptions. L'Unesco espère que l'ouvrage servira de base de discussion pour des colloques ou séminaires, ou de point de départ pour de nouvelles enquêtes portant sur un domaine particulièrement fascinant. Monsieur Edgar Morin, du Centre national de la recherche scientifique (Paris), a bien voulu accepter de rédiger la préface. L'Unesco tient à remercier les auteurs, ainsi que le Conseil international des Sciences sociales,

qui s'est chargé de la mise au point de la bibliographie et des index.

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P R E F A C E Par

Edgar Morin

Le Langage cinématographique pose-t-il des problèmes plus irritants p e Le Langage écrit, quand il s'agit de rendre compte d'un phénomène empirique ? A priori, on pourrait penser que non: l'image cinématographique semble éliminer ce médiateur qui abstrait,

schématise, traduit - donc trahit - le donné sensible. L'image cinématographique est un document - reflet apparemment plus fidèle que la note prise sur calepin. Mais, en fait, la caméra ne dispose pas de la mobilité de L'mil humain, bien qu'elle enregistre avec plus de

précision. Ce gros oeil sur béquilles est encore un infirme, et il faut attendre qu'il puisse acquérir une Légè- reté et une maniabilité extrêmes, pour qu'il devienne un appendice de L'œil de L'opérateur. Cette maniabilité ne résoudrait d'ailleurs pas tous les problèmes, parce que, de toutes façons, les mouvements d'appareil, les modifications du foyer sont autant d'interventions de l'homme sur le phénomène observé. IL faudrait supposer plusieurs caméras opérant simultanément pour espérer, au montage, une saisie totale - analytique et synté- tique - du réel. Mais cette opération de montage analytique et syntétique est finalement de même nature que l'opération intellectuelle qu'exige la rédaction d'un article ou d'un livre. D e toutes façons, La vérité à la- yuelle peut tendre le cinéma ne peut faire abstraction du témoin ou du chercheur; c'est dire, du même coup, qu'elle ne peut échapper au travail d'abstraction que l'esprit humain opère sur le réel pour le comprendre. Comprendre, c'est toujours articuler réciproquement le réel sur les structures de l'esprit humain et les struc- tures de l'esprit humain sur Le réel.

Ceci nous permet d'éliminer le rêve fou de ceux qui auraient pu espérer une documentation cinématogra- phique, une recherche cinématographique, une sociologie cinématographiyue libérées de l'humanité - de la subjectivité, de la personnalité du cinéaste. T,e problème, dès lors, se déplace du document filmé au cinéaste lui-même: c'est de sa propre honnêteté, de sa rigueur, de son intelligence et de son flair que dépend la vali- dité objective de son film. Je donnerais donc cette définition tautologique du film scientifique: un film scien- tifique est un film fait (tourné et monté) dans un esprit d'élucidation et de vérification scientifiques.

Cette définition n'a d'autre avantage yue d'écarter 1 'idéal impossible d'un cinéma extra-humain. Mais Les problèmes restent. Non seulement les problèmes posés par toute opération intellectuelle - et tout film est une oeuvre intellectuelle - mais les problèmes spécifiques posés par La recherche cinématographique de la vérité.

Il y a les problèmes techniques: sous de multiples impulsions, la technique de L'enregistrement audio- visuel est en train d'accomplir des progrès décisifs; la caméra électronique est insonore, Les nouveaux types de micros (micros portatifs, dits e micro-cravates 9 ou << micro-fusils >), la prise de son sur magnéto- phone portatif ou, mieux, par micro-émetteur, les pellicules ultra-sensibles qui suppriment les éclairages - tout cela doit permettre au chercheur de partir comme un scaphandrier vers les fonds obscurs de La réalité, lui ouvrant véritablement une troisième dimension.

Il y a les problèmes esthétiques au niveau de l'image: l'image porte en elle les qualités indifférenciées de la vie, y compris ses qualités esthétiques. Prenons l'exemple d'une danse: l'image de la danse sera chargée d'une poésie qui est celle de la danse, alors que le Langage écrit tendra toujours à éliminer cette poésie pour analyser les gestes et mouvements. Il y a dans la vie, toujours, une poésie donnée, que l'image exalte souvent, pt yue l opérateur tendra à exalter par ses moyens propres (angle de prise de vues, cadrage). Il serait non seulement barbare, mais absurde de vouloir éliminer cette poésie. Le danger n'est pas dans cette poésie donnée, mais plutôt dans La tentation d'enjoliver, c'est-à-dire de privilégier Les images agréables à l'oeil au détriment des autres, L'enjolivement conduit nu film truyué, à l'image pour l'image. L e «pittoresque$ tend naturellement A détruire le vrai Tel est bien le danger gui guette ethnologues et sociologues partis à la recherche de la vérité, et que séduisent en cours de route les sirènes de l'esthétique - souvent du reste, l'esthétique la plus conventionnelle.

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Il y a les problèmes esthétiques au niveau du montage. Là encore, la tentation de faire beau joue, mais avec une possibilité illimitée de truquer et dt dénaturer. 'A cela s'ajoutent les problèmes grammaticaux au niveau du montage. Il y a une <grammaire> du montage, qui est, en fait, une rhétorique élémentaire, qui s'est constituée en fonction des besoins commerciaux du cinéma standard: cette rhétorique commande un type de montage *intelligibles au spectateur, qui oblige le cinéaste, même s'il ne veut pas faire un film commercial, à obéir à cette rhétorique, parce qu'il ne peut en connaître une autre et qu'il s'est mis à l'école des mon- teurs professionnels. Si, de plus, il a l'ambition - légitime - de commercialiser son film, il risque de faire des concessions plus graves: éliminer ce qui est supposé ennuyer ou déplaire, voire m ê m e surajouter w e ahistoiren artificielle à son film. Cela conduit à cette conclusion : les problèmes du montage en matière de cinéma-vérité doivent être totalement repensés.

Non pas pour éliminer la poésie et l'art - je l'ai déjà dit. Tout film scientifique doit accepter - avec bonheur, ajouterai-je - la poésie et l'art. Mais il faut refuser l'enjolivement, le pittoresque artificiel, la grammaire n du montage style Berthomieu, le lexique-montage. Les problèmes évoqués jusqu'à présent se posent, de façon certes différente, au niveau de l'écriture

proprement dite: là aussi, il y a choix de données, tentative de présentation d'une réalité typifiée, voire enjolivée, confrontation de l'auteur avec une rhétorique apprise. Ces problèmes sont moins apparents, parce qu 'il y a une différenciation plus nette entre langage scientifique et langage littéraire, mais aussi parce qu'on les escamote. Venons-en au problème vraiment spécifique du cinéma, qui est la pertubation que provoque la caméra sur le phénomène observé.

Certes, un ethnographe sur le terrain, même sans caméra, perturbe la vie qu'il veut saisir dans son naturel; un sociologue industriel, dans son usine, suscite méfiances ou complaisances, et, de toute part, les opé- rations de camouflage de la réalité s'exercent contre tout observateur venu du dehors. Il reste à l'observateur à se camoufler lui-même. Or il est plus facile de camoufler un homme qu'une caméra. U n homme peut se mêler à la foule, au rite, au culte, et passer inaperçu s'il imite les autres. Une caméra est toujours perçue.

Elle peut certes être camouflée, dans certains cas, derrière une glace sans tain, dans une voiture de postier ... Une caméra peut être à l'affût, chasseresse comme la caméra de Dzign Vertov. Mais il y a des limites pratiques et mordes au camouflage. Il y a des lieux et des situations où nul camouflage n'est pos- sible. Il y a des situations où l'observation subreptice devient indiscrétion, indécence, délation. Alors se pose le problème : si la caméra est ostensible, ne transforme-t-elle pas le réel ? L e réel ne va-

t-il pas jouer la comédie, moins bien que le cinéma imaginaire, moins authentiquement que le cinéma joué? Le réel ne va-t-il pas se figer, Q. s'endimancher$, et perdre ce qui était son essence - la vie spontanée- pour devenir mécanique ? O u bien encore, de cette rencontre caméra-réel, ne va-t-il pas naitre un nouveau type de vérité, qui sera dialogue entre l'observateur et l'observé - où l'observateur demandera à l'observé de lui révéler ce qui ne pourrait émerger sans cette rencontre ?

Tout cela est non seulement possible, inévitable, mais se présentera souvent inextricablement mêlé dans les images. Il faut donc réfléchir sur le type de vérité que l'on recherche - et, dans le cas du film de sciences sociales, sur les résultats que provoquent les différents niveaux de la socialité.

Il y a la socialité rituelle, cérémonielle: dans ce cas, c'est la vie qui est déjà théâtralisée; l'officiant d'un culte, le chef d'Etat faisant un discours, sont déjà en situation théâtrale, et, dans ce cas, le film ne perturbe guère ce qui est socialement mis en scène.

Il y a la socialité intensive : guerre, bagarre, match sportif, etc... Dans ce cas, la passion réellement en jeu est si intense que la caméra peut être oubliée ou ignorée par les participants. Partout où il y a un pôle d'intérêt ou de passion plus fort que la caméra, celle-ci cesse de perturber le phénomène.

Il y a la socialité technique: gestes du travail sur outils ou machines; dans ce cas, les mains et le corps ne sont pas perturbés dans leurs opérations essentielles. Mais le visage de l'ouvrier, les conditions sociales du travail ne seront pas authentiques.

Il y a le reste, le plus difficile, le plus émouvant, le plus secret: partout où les sentiments humains sont en cause, partout où l'individu est directement intéressé, partout où il y a des rapports inter-individuels d'autorité, de subordination, de camaraderie, d'amour, de haine - c'est-à-dire tout ce qui concerne le tissu affectif de l'existence humaine. Voilà la grande terra incognita du cinéma sociologique ou ethnologique, du cinéma-vérité. Voilà sa terre promise. Or, c'est vers cette terre promise que se dirigent aujourd'hui de multiples courants de recherche, dans de

nombreux pays. Il s'agit, on s'en rend compte dans la pratique, non seulement de découvrir une vérité, mais

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aussi d'extraire une vérité qui se tapit ou se camoufle, ou demeure toujours sous la surface des apparences. Luc de Heusch nous aide admirablement à appréhender ces problèmes. En fin de compte, le grand mérite de la recherche de la vérité n'est pas d'apporter la vérité mais de poser le problème de la vérité. Car, une fois que nous avons surmonté ce mur du son qu'oppose le réel à la caméra, nous découvrons que

le réel lui-même est fait, en grande partie, de comédie: les sociologues qui ont analysé les rapports sociaux sous forme de trôle takings et de trôle playing» ont retrouvé une vieille idée des philosophes et des mora- listes. < L e monde est un théâtre,, disait Shakespeare. Le cinéma, par un acte pourrait-on dire de magie démystificatrice, peut nous donner à voir cette comédie aux multiples visages qu'est la vie sociale. Cette comédie révèle la vérité autant qu'elle la camoufle: nos masques - je veux dire nos visages - nos rôles - je veux dire nos propos - nous servent, en même temps, à nous exprimer et à nous camoufler. La vérité n'est pas un Graal ultime à conquérir: c'est une navette incessante qui circule de l'observateur à lobserué, de la science au réel. Luc de Heusch nous donne ici la meilleure information et la meilleure introduction & un cinéma à la fois très ancien (n'émerge-t-il pas avec Lumière et ne connaît-il pas son premier chef-d'œuvre avec Nanouk ?) et très nouveau (puisque d'immenses possibilités sont demeurées sous-développées, et que les actuels progrès techniques lui ouvrent de nouveaux horizons), à une nouvelle conquête des sciences sociales, et à un problème permanent, qui est celui de la vérité.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE 1 - Difficultés d'approche . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE II - Pour servir à une typologie du film sociologique . . . .

1. Le film- document . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le film de propagande sociale . , . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Le film et la recherche sociologique . . . . . . . . . . . . . . . .

A. Le Comité international du film ethnographique et sociologique . . , B. Le débat sur la valeur scientifique et la méthode du film ethnographique

et sociologique. Les théories. Examen critique de ces thèses. De l'oeil magique à l'oeil aveugle. L'information sociologique par le cinéma . .

CHAPITRE III - Les voies du film sociologique (1) : les archives cinématogra- phiques de notre temps . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dziga Vertov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les actualités cinématographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . Montages d'actualités et magazines filmés . . . . . . . . . . . . . . . La technique du reportage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Cérémonials et mouvements de foule . . . . . . . . . . . . . . . . B. Les gestes du travail : de la naissance du documentaire social en

Angleterre aux films syndicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Usages spéciaux de la caméra dissimulée . . . . . . . . . . . . . .

Jean Vigo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE IV - Les voies du film sociologique (11) : la tradition de Flaherty ou la caméra participante . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'oeuvre de Flaherty et la méthode ethnographique . . . . . . . . . . . Quelques films de Flaherty . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE V - Esquisse d'une histoire du film ethnographique et sociologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1. L'évolution du documentaire social en Angleterre depuis Grierson. La première génération. Le mouvement Free Cinema . . . . . . . . .

2. Le documentaire social en Belgique et aux Pays-Bas . . . . . . . . . 3. Le film ethnographique et sociologique en France . . . . . . . . . 4. Le film ethnographique et sociologique en Italie . . . . . . . . . 5. U n classique espagnol du film sociologique : Los Hurdes (Terre sans

pain), de Luis Bunuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. L e film ethnographique et sociologique aux Etats-Unis, après Flaherty . 7. L'office national du film du Canada (The National Film Board of Canada) . 8. Tendances du film "ethnographique" en URSS . . . . . . . . . . . . 9. Le film et les traditions populaires dans quelques pays d'Europe

orientale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10. Quelques films produits par les organisations internationales . . . . .

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CHAPITRE VI - L'utilisation du film dans la recherche ethno-sociographique et l'enseignement universitaire des sciences sociales . . . . 65

La valeur initiatique du film sociologique . . . . . . . . . . . . . . . 65 Films scientifiques spécialisés : France, Belgique, Pays-Bas, Suisse, République fédérale d'Ailemagne, Yougoslavie, Danemark, Grèce, Tchécoslovaquie, Italie, Canada, Etats-Unis . . . . . . . . . . . . . . 66 L a méthode comparative dans l'enseignement audio-visuel des sciences sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Pologne,

CONCLUSIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

ANNEXES

Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Catalogues de films . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Liste des films . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Index des noms de personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

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INTRODUCTION

Cinéma, sciences sociales : ces deux p81es d'at- traction tiraillent notre propos en sens divers. Comment et quand le cinéma véhicule-t-ill'image authentique de la réalité sociale ? Quelles sont les exigences particulières de l'investigation so- ciologique ? Ce que les sciences sociales cherchent à appréhender et à définir par des tech- niques complexes peut-il être ''saisi'' par ie ciné- m a ? Et de quelle façon ? Toutes ces questions étroitement imbriquées appellent chacune une réponse nuancée.

Mais d'abord, de quel cinéma et de quelle réa- lité s'agit-il ? Brandir le concept de "film socio- logique", l'isoler dans l'immense production mon- diale, n'est-ce pas une entreprise chimérique, académique ? La notion m ê m e de sociologie est floue, variable selon les pays et les traditions scientifiques locales. Elle ne s'applique pas exac- tement aux mêmes recherches en Union des répu- bliques socialistes soviétiques, aux Etats-Unis d'Amérique, en Europe occidentale. N'est-ce pas, d'autre part, une manie désespérante de notre époque de cataloguer, de découper en catégories arbitraires, le magma confus d'idées, de valeurs morales, de recherches esthétiques dont se nour- rissent, avec une avidité extraordinaire, ces ar- tistes compliqués que sont les créateurs de films ? Que vient faire ici le chercheur scientifique ? N'a- t-il pas tort de s'embarquer dans l'aventure ciné- matographique, si éloignée de la démarche tradi- tionnelle ? Risquons ce voyage. Embarquons-nous avec le savant et l'artiste et tentons de trouver un langage commun qui permettrait de soutenir pen- dant quelques heures une conversation difficile.

Marquons approximativement les limites du voyage : nous naviguerons jusqu'aux confins de l'imaginaire mais nous n'y aborderons pas, comme ces aéronautes (demain archaïques) de Jules Verne, qui tournèrent longtemps autour de la lune mais ne s'y risquèrent pas. Cet univers que nous nous in- terdirons, en dépit de quelques incursions en con- trebande, peut être défini grosso modo par l'appel- lation "films de fiction". Voici donc une première approximation : nous nous limiterons, assez arbi- trairement, au vaste domaine du "film documen- taire". Mais nous voici acculés à une nouvelle difficulté : le film dit documentaire utilise muvent les techniques, la démarche créatrice m ê m e du film de fiction ; son auteur est, dans bien des cas, un artiste authentique, au m ê m e titre que le "met- teur en scène" du film dramatique. Réciproquement, la dimension propre du film de fiction n'est pas seulement l'imaginaire. Plus que dans tout autre

art - c'est là la singularité profonde du cinéma - l'imaginaire est tangent à la réalité ; il s'y appuie nécessairement, à de rares exceptions près. Tous les grands cinéastes, tous les esprits honnêtes que le commerce ou la servilité politique n'ont pas pervertis, témoignent, d'une manière ou de l'autre, de leur époque. Certaines écoles esthé- tiques se sont m&me réclamées ouvertement de la perspective sociologique. Telle fut, notamment, on le sait, la position du néo-réalisme italien. "Je veux être toujours et avant tout un contemporain" déclare Zavattini ; "et ceci, parce que le cinéma n'arrive à une expression artistique, à un langage humain et social universel, que s'il offre la signi- fication des événements, des drames collectifs de notre temps"/l. Eisenstein et Poudovkine se sont voulus les témoins de la naissance d'une société nouvelle. Un film inachevé d'Eisenstein constitue précisément l'un des cas-limites de notre propos : Que Viva Mexico (1931-32). Cette épopée exprime, avec une force exceptionnelle que peu de témoi- gnages cinématographiques ultérieurs retrouveront, le goût étonnant de la mort qui brûle l'âme indienne. Or, ce film admirable procède d'une esthétique extrêmement élaborée, à laquelle s'applique diffi- cilement l'épithète "réaliste" Les grands comiques aussi - Chaplin, Tati - sont des témoins, comme jadis Molière. Les oeuvres médiocres m ê m e ex- primnt, le plus souvent à leur insu, des aspects significatifs de la société qui les sécrète. Mais, si nous nous engagions dans cette voie, notre pro- pos glisserait vers un domaine voisin de celui que nous explorons et qu'il est utile de distinguer : la sociologie du cinéma. Cette discipline neuve et passionnante explore, indirectement pourrait-on dire, le reflet de la réalité sociale dans l'oeuvre cinématographique ; elle rend manifestes les con- tenus latents, les rêves, les mythes, les refus, les réflexes culturels, les tabous, les valeurs les plus contradictoires qui se dessinent à l'arrière- plan ou au premier plan du récit dramatique : elle fait donc la part d'une certaine réalité dans le rêve, dans la "fiction" cinématographique.

La sociologie du film senourrit d'une réflexion: tout film est un miroir - le miroir d'une société dont le cinéaste accepte ou refuse les valeurs, mais dont il témoigne, de toute façon. L'essayiste J. P. Mayer, précurseur de cette discipline

1. Cité par Agel, Esthétique du cinéma, Paris 1957, p. 49.

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nouvelle, écrivait en 1946/1 : "Le réalisateur et le scénariste vivent dans une société concrète. Leurs oeuvres doivent nécessairement refléter ou interpréter la vie sociale à laquelle ils appar- tiennent. L'analyse des points de contact entre la vie et l'art constitue l'un des problèmes les plus complexes qui se posent en sociologie. Je voudrais illustrer ce point de vue. L'année dernière - les Alliés venaient juste de débarquer en France - j'ai vu dans un cinéma de répertoire, à Cambridge, le film de Fritz Lang, Le testament du Docteur Mabuse, que j'avais déjà vu à Berlin, en 1932. J'ai été frappé de constater à quel point ce film reflète l'état de la société allemande dans les années qui ont immédiatement précédé le triomphe des nazis/2. Tant il est vrai que toute forme de cinéma ré-

vèle, positivement ou négativement, consciemment ou inconsciemment, de bonne ou de mauvaise foi, la société au sein de laquelle elle s'élabore. Les artistes intègres la montrent sans doute autrement et différemment que les tricheurs, les menteurs, les maquilleurs ou les bateleurs qui n'obéissent qu'aux impératifs de la production courante. Mais ceux-ci sont encore témoins, témoins malgré eux ; leurs films révéleront à l'historien futur l'idéal conformiste, la "morale" d'une classe, la perver- sion d'une sensibilité collective, etc. Notre objet, cependant, est ailleurs. Nous nous contenterons de présenter et d'analyser, dans lavaste production dite "documentaire", un certain nombre de "docu- ments" sociologiques qui méritent d'être qualifiés d'authentiques. Nous préciserons, chemin faisant, en dialoguant de la vérité avec le savant et l'artiste, cette notion aussi fondamentale qu'ambiguë.

Notre ambition c'est pas de dresser un inven- taire complet ; nous indiquerons d'abord les grandes lignes de l'évolution du cinéma sociologique dans un nombre limité de pays, en Europe et en A m é - rique du Nord : ces écoles nationales ont été choi- sies en fonction de l'importance exceptionnelie de leur contribution au sujet qui nous occupe. Nous ne manquerons pas, cependant, de relever cer- taines oeuvres isolées importantes ; il arrivera sans doute que nous en oubliions - et nous nous en excusons auprès de leurs auteurs. Il n'existe aucun guide, aucune carte susceptible de nous

conduire dans cette entreprise semée d'embûches, qui risque d'agacer tant8t les savants, tant8t les cinéastes, et m é m e les savants-cinéastes. Ce travail, nécessairement imparfait, n'est qu'une expédition de reconnaissance. Il ne sera pas inu- tile s'il facilite l'éclosion d'essais plus élaborés.

Nous remercions bien vivement les très nom- breuses personnes qui nous ont aidé dans notre tâche, les services officiels, les universités, les spécialistes qui nous ont écrit, envoyé des livres, des catalogues, des films. Nous sommes tout spé- cialement sensible au prix de la collaboration ami- cale et constante que Jacques Delcorde nous a ap- portée, en nous aidant à rassembler cette documentation éparse. Nous devons aussi une gra- titude toute particulière à la Cinémathèque de Belgique, au Service cinématographique du Minis- tère de l'instruction publique de Belgique, à la Télévision belge.

qu'un grand nombre de renseignements précis ont été fournis par les analyses minutieuses de films qui ont été élaborées au Musée de l'homme, à Paris, par le Comité français du film ethnogra- phique, en vue de la publication d'un catalogue in- ternational. Nous souhaitons voir publié très pro- chainement ce travail qui constitue un outil important pour l'utilisation du film dans l'ensei- gnement des sciences sociales.

1. J.P. Mayer, Sociology of Film, Studies and Documents, Londres 1946, p. 276.

2. "Film director and script writer live in a con- crete Society. Their works must consequently reflect or interpret the social life of which they are a part. To analyse where life meets art is perhaps one of the subtlest problems the socio- logist has to face. Perhaps 1 may illustrate this point. Last year - the Allies had just landed in France - 1 saw in a repertoire cinema, in Cam- bridge, Fritz Lang's film, The Testament of Doctor Mabuse, a film 1 had previously seen in Berlin in 1932. It struck m e now to what a sur- prising extent this film reflects the state of German Society in those years when the Nazi advent was imminent. "

Nous nous faisons, enfin, un devoir de signaler

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CHAPITRE PREMIER

DIFFICULTES D'APPROCHE

Agel résume fort bien l'ambiguïté fondamentale que nous devons aborder de front : le cinéma, tech- nique d'enregistrement photographique de la réalité, est aussi, contradictoirement, un art : ". . . . le cinéma a conquis son autonomie contre la photo- graphie, contre le poids du monde réel, précisé- ment en introduisant les normes du récit (décou- page, montage, etc. ), mais tout en serrant de plus près cette réalité du monde. De 1896 à 1902, &?- cinéma a vécu de l'enregistrement direct du réel. Puis, par un besoin de mieux voir, de voir davan- tage, de tout voir, le cinéaste a dépassé le stade du décalque infantile. ''/I A travers le filtre de la création poétique, le

cinéma révèle non pas la réalité, mais quelque chose d'elle-même, qui échappe à l'oeil nu, à l'oeil morne.

CINEMA ET PEINTURE

La prodigieuse aventure de l'art contemporain de- puis l'impressionnisme - c'est-à-dire, en gros, depuis l'apparition de la photographie et du cinéma - a dépouillé la réalité picturale du su;i- anecdotique, son prétexte traditionnel. Bien qu'il y ait toujours eu des peintres d'esprit moderne, on peut dire que c'est à notre époque seulement que les artistes prennent clairement conscience du fait que la pein- ture est d'abord, comme la musique, pur langage, langage autonome, dégagé de la réalité du monde extérieur. Il est certain que la photographie et le cinéma ont joué dans cette évolution un rdle non négligeable. Une grande partie de ce qui apparte- nait jadis à la peinture - l'intensité psychologique du regard, du geste, la construction dramatique, la tension secrète vers une action - a été repris en charge par l'art cinématographique. Il y a, à cet égard, un cinémalatent chez Rembrandt, comme il y a des préoccupations picturales chez Eisens- tein. Le triomphe de l'art abstrait SOUS les formes les plus diverses, depuis la fin ie la dernière guerre, la dilution totale de l'anecdote, s'explique, en partie tout au moins, par ce mouvement qui a chassé le *t vers l'art cinématographique : celui-ci n'a cessé de se nourrir de la réalité psy- chologique et sociale qu'il s'applique à dépeindre. Seul de son espèce parmi les arts plastiques (dont il relève par l'un de ses aspects), le cinéma, dans ce qu'il a de vivant, n'a cessé d'être un art réa- liste. A cet égard, et bien qu'il constitue aussi un langage autonome, le cinéma se situe en marge d'une évolution générale caractéristique. Le

cinéma s'est servi, pour constituer son langage, des objets mêmes de la peinture figurative tradi- tionnelle : son point de départ est une photogra- phie du réel. Jadis ce point de départ était celui de la peinture ; il n'y a pas lieu de discuter ici si elle l'a abandonné à tort ou à raison. Le cinéma, qui se trouvait devant un terrain vierge - qui de- vait se définir lui-meme, s'inventer de toutes pièces et non réagir contre une tradition acadé- mique - a résolument choisi de se construire en explorant cette réalité qu'il donne à voir.

On conçoit difficilement que le cinéma ne soit pas, entre autres choses, unepeinture dela réalité (dans la mesure, au moins, où il se sert de la technique photographique ; certains films de Mac Laren, on le sait, ne répondent plus à cette défi- nition). La question qui se pose à nous est plut8t celle-ci : le cinéma peut-il n'être que cela ? Peut- on imaginer un cinéma qui, cessant d'étre art, se réduise (ou réussisse) à n'être plus qu'une pure image de la réalité humaine, un simple jeu de miroirs ? Bref, un cinéma sociologique est-il possible, dont toute poétique serait exclue ?

traitée à la légère. C'est d'elle que dépend le sort de notre propos.

Cette très grave interrogation ne doit pas &tre

IMAGE ET REALITE

J1 est difficile d'instruire, à propos de l'image photographique, un procès équitable. Dès le départ, lorsqu'il s'agit de délimiter avec précision la va- leur de témoignage de l'image, nous sommes ren- voyés à des problèmes de pure poétique. Cette équivoque est surtout évidente lorsque l'image que nous interrogeons nous montre l'homme, un aspect de la société humaine. Edgar Morin, dans une étude pénétrantela, analyse longuement la notion de photogénie et la valeur affective de la photogra- graphie du visage humain. La photo, écrit Morin, est un "double"; une "image-spectre de l'hommes'/3. La perception d'une photo met en branle un méca- nisme psychologique complexe : "La première et étrange qualité de la photographie est la présence de la personne ou de la chose pourtant absente"/4.

1. Agel, ouvrage cité, p. 52, d'après Albert

2. Edgar Morin, Le cinéma ou l'homme imaginaire, Laffay, Barthélémy Amengual et René Micha.

Paris, 1956. 3. p. 33 4. p. 25

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D'où le pouvoir véritablement "magique" de la photo, auquel il est difficile de s'arracher. Cette auréole affective nimbe tout particulièrement les photographies des @tres qui nous sont proches ; les morts qui nous étaient chers survivent pour nous dans leur "double" figé. Mais, d'une manière plus générale, "tout ce qui est image tend, dans un sens, à devenir affectif et tout ce qui est affectif tend à devenir magique"/l. Le cinématographe hérite de cette étrange propriété de l'image en la transformant. L a "magie de l'ombre" est ici a m - plifiée par l'obscurité de la salle. Cette magie ap- pelle un jugement esthétique plus qu'un jugement de réalité. Une photo est toujours w e avant d'être vraie, ou mieux, vraie parce que belle. Etrange document, en vérité. Qu'on ne dise point que la "qualité" artistique d'une photo est une valeur nou- velle, surajoutée. L a recherche délibérée de l'expression, dans la photographie, n'introduit pas une dimension spécifique ; elle ne fait, selon le mot de Morin, qu'l'enrichir la puissance affective de l'image'', elle ne la crée pas de toutes pièces. Ii existe, en effet, "un fantastique latent impliqué dans l'objectivité m @ m e de l'image".

A quel usage, dès lors, l'image de l'homme se pr@te-t-elle pour le sociologue ? Beaucoup de gens ont pu voir l'admirable exposition de photos intitulée L a famille humaine (The Family of Men). Ces images, dérobées à la vie quotidienne, montrent des hommes de toutes conditions, de toutes civili- sations, sans apprêt, tels qu'un photographe atten- tif et sensible a pu les surprendre à l'improviste. Ces photos ne sont donc nullement des "poses" destinées à quelque album de famille, afin d W r e regardé es pi eus ement , religieusement. Elles ont cependant le m ê m e pouvoir insolite que les photos de famille : un pouvoir d'émotion Sans les con- nal'tre, nous reconnaissons des êtres proches de nous. Nous découvrons avec force qu'il existe par- tout dans le monde une façon de jouer, de rire ou de pleurer authentiquement humaine, une façon à laquelle le coeur plus que l'esprit reconnal't la présence fraternelle de l'homme. Ces images nous apportent mieux qu'une leçon de sociologie : une leçon de morale. Mais leçon, c'est encore trop dire. Ces images authentiques éveillent la morale, tendent à imposer silencieusement, par la seule communication du regard, une morale universelle, au-delà de la diversité des cultures. Les masques, les costumes, les décors passent au second plan. Nous touchons de très près, dans cette perception, à ce que la phénoménologie appelle le "social ori- ginaire", si du moins cette expression a un sens. Nul document sociologique ne révèle mieux que ces instantanés privilégiés - choisis pour leur pou- voir magique, leur charme indéfinissable - que l'homme est immédiatement perméable à l'homme, compréhensible. "Avant la prise de conscience, le social existe sourdement et comme sollicitation", écrit Merleau-Ponty/?

Mais cette valeur éminente ne satisfera pas tous les sociologues. Les "sciences sociales", précisément, ne s'efforcent-elles pas d'inventer

un langage objectif, dépourvu de toute émotion ? Elles relatent des faits et se méfient du prestige magique des mots. Dans sa Méthode de llethno- graphie/3, Marcel Griaule définit trois types d'l'enregistrements'' photographiques, valables dans la recherche : 1. les photos d'objets à usage profane ou rituel

(qu'il recommande de montrer dans leur milieu, en évitant soigneusement "les effets artistiques") ;

2. les photos de phénomènes en mouvement (rites, coutumes, etc. ). Griaule recommande de prendre le plus grand nombre possible de cli- chés des "moments critiques les plus intéres- sants".

3. les photographies aériennes, enfin. Seule la photographie du corps en mouvement, pré- lude à 1' enregistrement cinématographique, nous intéresse ici. L a photographie n'a encore jamais été utilisée systématiquement pour l'étude exhaus- tive des phases d'un rituel, alors qu'elle a envahi l'histoire de l'art, l'archéologie, Les ethnographes publient parfois des albums d'images, mais c'est là plut8t un amusement. C'est toujours le texte qui est la source et la référence sacrée, non l'image, sauf peut-@tre dans le domaine de la tech- nologie. Par contre, l'emploi de la photographie s'est généralisé dans les musées d'ethnographie ; là, elle est devenue un instrument de vulgarisation scientifique dont personne ne conteste la valeur. Sans doute assisterons-nous bient8t au développe- ment parallèle de l'iconographie dans les publica- tions purement scientifiques : l'illustration photo- graphique tend timidement à devenir un langage complémentaire, remédiant aux difficultés parfois insurmontabl es de la description rigoureuse des gestes techniques et rituels. Dans ce domaine, bien sQr, le cinéma est un instrument autrement riche, mais il ne détr8nera pas l'emploi de la pho- tographie, qui présente l'avantage d'8tre jointe au texte, expliqué par lui. Au cinéma, le langage parlé est toujours pauvre et l'oreille facilement distraite. Aussi bien le cinéma règne-t-il sur un univers qui n'a plus rien de commun avec labiblio- thèque traditionnelle. A l'heure actuelle, l'absence d'images dans les plus importantes monographies sociographiques révèle sans ambage un tabou uni- versitaire. Parfois, cependant, l'ethnographe se risque à reproduire le visage des hommes qu'il a connus et aimés, mais il le fait avec une grande pudeur, c o m m e si le pouvoir émotif de l'image, étranger à son propos, le gênait. S'il utilise la photo, il semble que ce soit moins pour préciser une information que pour égayer un texte ardu, sévère ; ces photos sont toujours "en marge", ra- rement intégrées au développement de la pensée. Confusément, les auteurs les moins austères

1. Egard Morin, Le cinéma ou l'homme imaginaire, Paris, 1956, p. 38.

2. Phénoménologie de la perception, 41 5, cité par Jean-F. Lyotard, La phénoménologie, Paris, 1954, p. 80

3. Presses universitaires, Paris, 1957.

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semblent éprouver parfois la nécessité d'incarner la description, de lui fournir le support d'un double : présences admirables et ingénues de la "mère baignant son enfant" ou d'une "beuverie sacrée". Brusquement, par le miracle de l'image, le lecteur a le sentiment d'"être présent"; une singulière possibilité lui est offerte d'imagi- ner les scènes décrites, de participer à l'action ; le texte sort du brouillard.

Mais les consignes qui exigent la dépoétisation du "document" scientifique sont inopérantes, car il n'y a pas de photographie "objective'' de nous- même. Tout dépend de l'angle, de l'éclairage, du hasard de l'instant qui nous a saisi, "capturé". E n un sens, toute photographie est une caricature, puisqu'elle saisit un fragment de nous, c'est-à- dire un désarroi, une panique ou une joie qui mo- dèle l'un de nos nombreux visages possibles. D'autre part, la photographie standard, l'image officielle de nous-même qu'imposent les habitudes bureaucratiques du monde administratif moderne, la photographie-fiche signalétique, est toujours un mensonge, un stéréotype sans vie. Pour découvrir la vérité permanente d'un visage, il fallait toute l'habileté et la patience, le respect religieux des anciens peintres flamands ou italiens. Ceux-là savent nous faire participer à l'essence d'un visage, au-delà des fluctuations de nos grimaces. Demême, pour atteindre à cette plénitude dans la communi- cation, pour fixer l'image d'un visage de telle façon que l'on puisse dire qu'elle est "parlante", le pho- tographe moderne doit aussi emprunter des voies secrètes, connues de lui seul. Il faut, pour atteindre à la véritable connaissance d'un visage, savoir guetter l'instant problématique où s'exprime en lui l'intégralité d'une condition humaine. La photogra- phie est un art.

Ce propos préliminaire paraftra peut-être bien léger aux esprits sérieux. Il faut aborder, cepen- dant, ces constatations simples avant d'analyser l'image cinématographique de l'homme et de la société. Le cinéma utilise, au m ê m e titre que l'art photographique, la lumière artificielle. Dès qu'il n'opère plus en plein air, dansles rues, les champs ou la brousse, lorsqu'il entre dans la maison de l'homme, le photographe pénètre dans une zone d'ombre plus épaisse, que les émulsions les plus sensibles ne parviennent pas toujours à percer, C'est alors que se pose avec une acuité toute par- ticulière le problème de l'éclairage. Ce n'est pas seulement un problème esthétique, c'est aussi un problème de connaissance. L'aspect des choses, l'interprétation qu'elles suggèrent ne dépendent- elles pas, notamment, de la façon dont elles seront éclairées, du style de l'éclairage ? L'art de l'éclai- rage est l'art de révéler la réalité sous un certain jour. Il n'existe pas d'éclairage parfaitement neutre, objectif.

indifférent : chaque angle définit différemment la m ê m e réalité. Il est banal de rappeler qu'un objet ne prend pas la m ê m e signification dans un gros plan, un plan d'ensemble, en plongée ou en contre-

L'angle de prise de vues, de même, n'est jamais

plongée. L'appareil de prises de vues ne rapproche pas seulement pour mieux voir, comme le ferait une jumelle ; en se rapprochant, l'oeil voit autre- ment ; le pouvoir émotif dont parle Edgar Morin se modifie avec la position, la distance, etc., comme il est lié au jeu de l'ombre et de la lumière. Qu'il s'agisse de l'éclairage ou du choix de l'angle, le photographe guide nécessairement la prise de conscience, impose une certaine coloration affec- tive. C'est dans ces conditions particulières qu'il faut analyser la valeur documentaire de 1a''repro- duction" photographique. Il faut bien se faire à l'idée qu'elle est image de la réalité et non la réa- lité elle-même. Le peintre surréaliste Magritte avait déjà souligné malicieusement que le m ê m e rapport ambigu s'établit entre l'objet et son image sur la toile.

-

PHENOMENOLOGIE DE L'IMAGE ANIMEE ET LANGAGE CINEMATOGRAPHIQUE

Le mouvement cinématographique enlève-t-il à la photo ses séductions magiques ? Introduit-il une plus grande objectivité, une plus grande fidélité au réel ? Lorsque le cinéma était en train de naftre, on redécouvrit avec émerveillement le vol de l'oi- seau, le galop du cheval, la marche de l'homme. Sa naissance même, le cinéma la doit à la curio- sité scientifique, au désir de mieux voir pour mieux connaftre. Edgar Morin le rappelle : les précur- seurs (Muybridge, Marey, Démeny) entendaient mettre au point un instrument de recherche ''pour étudier les phénomènes de la nature''f 1. Lorsque, de son c8té, Lumière fixa définitivement la tech- nique et lança ses opérateurs par le monde, cinéma ethnographique et sociologique était né. Les archives filmées de ce siècle commencent avec ces premières réalisations naïves. Le cinéma allait-il être l'instrument objectif capable de sai- sir sur le vif le comportement de l'homme ? La merveilleuse ingénuité de la "Sortie des usines", du "Déjeuner de bébé", de la "Pêche à la crevette'' permettait de le croire. Mais - le fait n'a en soi rien que de réjouissant - les illusionnistes arra- chèrent bientût aux savants cette nouvelle espèce de microscope et le transformèrent en jouet, re- nouant avec la tradition des montreurs d'ombres et des manipulateurs de lanternes magiques. ''On ne s'étonne pas, écrit Morin, que le cinématographe se soit vu, dès sa naissance, radicalement détourné de ses fins apparentes, techniques ou scientifiques, pour être happé par le spectacle et devenir le ciné- ma. Et nous disons bien happé : le cinématographe aurait pu aussi bien réaliser d'immenses possibi- lités pratiques. Mais l'essor du cinéma - c'est-à- dire du film spectacle - a atrophié ces développe- ments, qui auraient semblé naturels"/2. Nous verrons comment, avec Dziga Vertov, d'une part, Flaherty, de l'autre, la notion d'un "cinéma- vérité"

1. Morin, ouvrage cité, p. 14. 2. Morin, ouvrage cité, p. 15.

le

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fut réintroduite dans le développement m&me de l'art cinématographique. Auparavant, il faut, comme précédemment pour la photographie, s'in- terroger sur la transposition que l'image animée impose nécessairement à ia réalité qu'elle "enre- gistre". Paradoxalement, le décalage est plus grand encore entre la réalité et son image mou- vante. On a noté souvent que le temps et l'espace de l'univers filmique n'ont rien à voir avec les coordonnées analogues du monde réel. Les images extraites de celui-ci, qu'il s'agisse d'un documen- taire ou d'un film de fiction, se détachent, par le montage, de l'espace et du temps morcelés aux- quels leurs modèles appartenaient ; elles se groupent au sein d'une structure autonome qui n'est pas con- forme à la réalité, mais en donne l'illusion. L'écri- ture cinématographique condense le réel, le mon- tage se joue du temps réel, en invente un autre. Bref, le cinéma appartient toujours, par quelque fil visible ou invisible, à l'imaginaire ; il est un langage, un langage qui adhère fortement à la réa- lité, mais n'en est jamais le décalque. Dans le cinématographe Lumière, comme le souligne en- core Morin, le temps "était exactement le temps chronologique réel", alors que le cinéma véritable expurge et morcelle la chronologie ; il met en accord et en raccord les fragments temporels, selon un rythme particulier qui est celui, non de l'action, mais des images de l'action. Le montage unit et organise en un continuum la succession dis- continue et hétérogène des plans. C'est ce rythme qui, à partir des séries temporelles hachées en menus morceaux, reconstituera un temps nouveau, fluide. Remarquons que la parfaite concordance du temps réel et du temps filmique dans les pre- mières bandes de Lumière, est liée à leur courte durée ; ces petits films relèvent plus du théâtre filmé que du cinéma, dans la mesure, précisé- ment, où ils respectent la chronologie de l'action enregistrée. Si ce caractère confère au document ainsi obtenu une grande authenticité, on voit que l'unité de temps et de lieu qu'il impose est une limitation absurde, dont le cinéma dit documentaire, aussi bien que le cinéma de fiction, s'est libéré définitivement.

Ce temps "truqué", ce temps "métamorphosé", se préte aussi bien à l'expression de la vérité qu'à celle du mensonge. L'esprit manie librement ce langage, avec bonne foi ou mauvaise foi. Nous au- rons l'occasion d'y revenir : il n'existe pas de trai- tement "scientifique" du langage cinématographique, pas d'ensemble de règles qu'il suffirait d'appliquer pour enregistrer automatiquement la réalité sociale, de façon de filmer qui différerait radicalement de l'interpétation "stylisée" qui serait celle du "cinéma de fiction". A cet égard, cet essai n'apportera au- cune recette. La plupart des films que nous analy- serons sont aussi des oeuvres cinématographiques achevées, réussies - parfois des chefs-d'oeuvre de l'art cinématographique.

On a beaucoup insisté jadis sur le r81e structu- rant du montage dans le discours cinématographique. A vrai dire, ce r81e n'est pas primordial dans le

film sociologique, où l'élément dominant semble bien être, finalement, la qualité même des prises de vues, le sentiment de réalité qui se dégage des images. A cet égard, l'analyse filmologique a été trop sollicitée par une esthétique particulière, celle de l'école expressionniste. La plupart des spéculations sur le montage s'inspirent, on le sait, de la célèbre expérience dite de Koulechov, tendant à prouver que la signification émotive d'un plan varie en fonction de celui qui précède et de celui qui suit. Rappelons-la, telle que Poudovkine l'a rapportée : "Koulechov et moi prhnes, dans tel et tel film, des gros plans de l'acteur bien connu Mosjoukine. Nous choishnes des gros plans qui étaient statiques, et n'exprimaient aucune es- pèce de sentiment - des gros plans immobiles. Nous assemblâmes ces gros plans, qui étaient tous semblables, avec d'autres fragments de film, selon trois combinaisons différentes. Dans la pre- mière, le gros plan de Mosjoukine était immédia- tement suivi par le gros plan d'une assiette de soupe sur une table. Il devenait évident et indubi- table que Mosjoukine regardait cette assiette. Dans la seconde, la physionomie de Mosjoukine était assemblée avec une image montrant un divan sur lequel reposait une femme morte. Dans la troi- sième, le gros plan était suivi d'un plan d'une pe- tite fille s'amusant avec un jouet cocasse repré- sentant un petit ours. Quand nous montrâmes ces trois combinaisons à un public qui n'avait pas été mis dans la confidence, le résultat fut extraordi- naire. Le public délira d'enthousiasme devant le jeu de l'interprète. Il souligna la lourde amertume de son regard devant le potage oublié, fut remué par le profond chagrin dont il témoignait devant la femme morte, et admira le sourire rayonnant et heureux avec lequel il couvait des yeux la petite fille en train de jouer. Mais nous, nous savions que, dans les trois cas, la physionomie était exac- tement la mdme"/l. Il convient de ne pas accorder une importance exagérée à ce principe. Leenhardt l'a souligné : le style du montage a changé depuis 1920 et cette prétendue loi joue de moins en moins ; le montage serait méme devenu, pour Leenhardt, un élément secondaire du récit cinématographique/2. Nous noterons aussi que l'expérience de Koulechov a été faite au moyen d'un gros plan neutre, immobile, statique, sus- ceptible donc d'étre affecté au maximum de signi - fications variables. Il est évident qu'il s'agit là d'un cas limite. Les cinéastes savent bien que l'on change rarement de manière aussi radicale, par les seules vertus du montage, la signification d'un plan. Les limites de variation sont, en fait, rela- tivement faibles. Il n'en reste pas moins que, selon l'expression d'André Bazin, le montage, m d m e s'il ne constitue pas l'essence du cinéma, "crée entre les plans des rapports de sens que la

1. Cité par Agel, Esthétique du cinéma, p. 120- 121.

2. Roger -Leenhardt, Ambiguïté du cinéma, Cahiers du cinéma, no 100, octobre 1959, pp. 27-38.

Roger

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nature de chacun d'eux pris isolément n'implique pas"/l~ Bazin note aussi que Flaherty fut l'un des premiers à rejeter implicitement la conception des grands cinéastes russes et allemands, selon laquelle l'expressionnisme du montage et la valeur plastique de l'image sont les fondements mêmes de l'art cinématographique. Le souci primordial d'exprimer la réalité fut l'apport révolutionnaire de Flaherty, qui fit passer la fonction symbolisante du montage au second plan. La réalité filmée n'est plus l'ombre dont le montage serait la proie ; elle est la proie et l'ombre. Dans cette reprise en mains de la réalité, qu'assume le cinéma documen- taire depuis Flaherty, le montage ne joue plus guère, selon le mot de Bazin, qu'un rüle négatif ; il élimine les éléments parasites, opère un choix dans une matière trop abondante. "La caméra, écrit Bazin, ne peut tout voir à la fois ; mais, ce qu'elle choisit de voir, elle s'efforce, du moins, de n'en rien perdre. Ce qui compte pour Flaherty,

devant Nanook chassant le phoque, c'est le rapport entre Nanook et l'animal, l'ampleur réelle de l'at- tente. Le montage pourrait suggérer le temps : Flaherty se borne à nous montrer l'attente ; la durée de la chasse est la substance m&me de l'image, son véritable objet. Dans le film, cet épisode ne comporte donc qu'un seul plan. Niera-t-on qu'il ne soit, de ce fait, beaucoup plus émouvant qu'un montage d'attraction ? " f 2. Le cinéma documentaire récupére donc une

part des prestiges archaïques du cinémato- graphe Lumière ; il réinstalle le temps réel dans le temps métamorphosé du montage, à certains moments privilégiés où l'adéquation de l'image et de la réalité tend à redevenir parfaite.

1. André Bazin, Qu'est-ce que le cinéma ? 1, Ontologie et langage, p. 56, Paris, 1958,

2. idem, p. 134.

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CHAPITRE II

POUR SERVIR A UNE TYPOLOGIE DU FILM SOCIOLOGIQUE

1. LE FILM-DOCUMENT

NOUS verrons bient8t comment le souci d'exprimer, dans son authenticité, certains aspects de la vie sociale s'est développé dans l'histoire même du cinéma, provoquant l'éclosion d'une série impres- sionnante de films-documents. Notre sujet exige une analyse des grands courants du film documen- taire car, on s'en doute, le cinéma ethnographique ou sociologique est né bien avant que les ethno- graphes ou les sociologues prennent conscience de son existence. Nous tenterons, au cours des cha- pitres suivants, d'esquisser l'histoire du film so- ciologique. On retrouvera dans ce panorama, qui rassemble dans une même perspective les oeuvres les plus importantes du cinéma documentaire, les deux types d'approche objective du comportement humain que l'ethnographe a définis. Ces films, dont l'intention sociologique est plus ou moins nette, méritent d'étre considérés comme des documents authentiques. Ils intéressent dès lors aussi bien le grand public, auquel ils s'adressent principalement, que les spécialistes des sciences sociales. Ces do- cuments authentiques sont des oeuvres d'art, té- moignent d'une volonté claire de refléler la réalité sociale. Le film-document se substitue, en quelque sorte, au regard méme de l'enquêteur - regard superficiel parfois, regard synthétique plus qu'ana- lytique, regard précieux néanmoins. Paradoxale- ment, les pouvoirs d'observation de la caméra sont limités, mais ses possibilités expressives sont immenses. Les films de ce genre ont l'immense mérite d'établir un contact sensible avec l'homme, en révélant des aspects fragmentaires de sa condi- tion sociale. Du point de vue discursif, le cinéma est un langage pauvre. L'abstraction du langage sociologique lui est refusée ; mais il évolue avec une aisance merveilleuse dans les situations con- crètes qu'il a le pouvoir de restituer, de grossir à la façon d'un microscope.

des rapports scientifiques. Ils n'en ont pas moins la valeur considérable des constats : illustration d'un problème sociologique ou introduction à un tel problème. Ils se présentent à nous comme des témoignages, voire des pamphlets, et s'opposent dès lors radicalement aux films documentaires de propagande sociale, dont le sociologue doit aussi tenir compte.

taires sur l'homme sont souvent des oeuvres cri- tiques, s'efforçant, au même titre que les oeuvres dramatiques, de provoquer une prise de conscience

Les films-documents n'ont pas été conçus comme

Il est remarquable que les grands films documen-

sociologique. Ils réveillent la sensibilité autant que l'intelligence.

2. LE FILM DE PROPAGANDE SOCIALE

Il arrive fréquemment que les pouvoirs publics utilisent le cinéma pour convaincre le public de la véracité d'une thèse sociale. Il faut bien avouer que, le plus souvent, les films de ce genre sus- citent chez le spectateur averti un curieux senti- ment de méfiance. Confusément naît l'impression d'une duperie - la thèse même serait-elle valable, acceptable. Ce phénomène sociologique mérite d'être analysé.

Dès l'instant où le cinéma ne nous entranie pas dans l'univers du réve, de la fiction, nous atten- dons de lui qu'il approfondisse notre connaissance du réel ; une singulière régression du "cinéma" au "cinématographe", un retour aux origines scienti- fiques de l'appareil de "prises de vues" s'opère en nous. Nous attendons d'un tel cinéma "documen- taire" la vérité toute nue, sans fards, et dès que la sensation de liberté faiblit, dès qu'une thèse s'impose et s'interpose entre l'image et nous, une réaction vaguement hostile se dessine au plus pro- fond de notre conscience. Quoi qu'il en soit, les films de propagande sociale existent et leur philo- sophie sociale, autant que les situations concrètes qu'ils évoquent, fournit à la sociologie plus d'un enseignement. Pour l'historien, ils sont des témoi- gnages sur les idéologies de notre époque. Souvent aussi leur optique particulière met en relief un aspect saisis s ant du groupe social qu'ils présentent .

pagande de mauvaise et de bonne foi, n'est pas aisé. S'il n'échappe à personne que les films nazis relèvent de la première catégorie, la distinction ne joue pas toujours avec autant de netteté. Lorsque les pouvoirs publics subventionnent un film destiné à montrer les moeurs nationales, on constate sou- vent que le sujet est traité avec conformisme ; il reflète les idéaux, les stéréotypes de la société, rarement ses tares. Il est rare, naturellement, que de tels films montrent autre chose que les aspects lumineux, souriants de la vie sociale na- tionale. Cette loi est universelle. Sans doute aurait- on mauvaise grâce à accuser les producteurs "offi- ciels" de mauvaise foi. Ils montrent, de toute façon, un aspect de la réalité sociale qui doit retenir l'at- tention du sociologue. En effet, les thèmes retenus révèlent, parfois fort ingénument, comment la société se voit elle-même, les raisons qu'elle a

Distinguer, dans de telles productions, la pro-

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de s'estimer ; des valeurs culturelles s'affirment ou sourdent. Ce n'est pas dans une telle production, évidemment, que l'on trouvera les oeuvres sociales critiques, les pamphlets révolutionnaires. Les in- nombrables films de toutes nationalités, dans les- quels les pouvoirs publics justifient auprès du pu- blic leur action sociale dans divers domaines, doivent être considérés à priori avec beaucoup de prudence par le sociologue qui y trouvera parfois d'intéressantes peintures de milieu. On observe aussi de singuliers phénomènes de déformation photogénique. Je connais tel film sur l'enfance délinquante où les dignes bourgeois pleins de ver- tus qui examinent paternellement le cas d'un petit malandrin ont curieusement, à l'écran, des figures d'assassins. Dans un certain nombre de cas, ces films tentent d'informer objectivement le public sur un problème social, mais, très souvent, ils n'envisagent le problème que sous un angle parti- culier, flatteur pour les institutions nationales. Il est difficile de faire la part de la politique de pres- tige dans un film d'information sociologique. L'an- cien cinéma documentaire colonial regorge de films de cette espèce.

Quelques cinéastes de grand talent ont su expri- mer une vision personnelle et authentique de l'homme, en dépit des servitudes qu'imposent à la création artistique et à l'objectivité sociologique les commanditaires politiques. D'une manière gé- nérale, la liberté d'expression est beaucoup plus ténue dans le cinéma que dans la littérature, car chaque création nécessite la mise en oeuvre de capitaux importants. Il se pose là un difficile pro- blème déontologique.

3. LE FILM ET LA RECHERCHE SOCIOLOGIQUE

A. Le Comité international du film ethnographique et sociologique

A c8té des documents que nous fournissent les deux catégories précédentes, nous accorderons une place importante aux films réalisés par des chercheurs scientifiques ou en étroite collaboration avec ceux- ci par des cinéastes professionnels, à l'occasion d'une recherche. C'est tout spécialement dans le domaine de l'ethnographie traditionnelle (ou anthro- pologie culturelle) que l'on voit fleurir une telle production. Depuis la création, en 1952, du Comité international du film ethnographique, ou CIFE (de- venu Comité international du film ethnographique et sociologique ou CIFES, en 1959), des ethno- graphes et des cinéastes professimnels se sont réunis à plusieurs reprises pour discuter en com- mun des problèmes que pose ce type de films. Cet organisme, dont le siège social est à Paris, au Musée de l'homme, a été créé à l'initiative de Jean Rouch (qui n'a cessé d'en assuxxr les fonc- tions de secrétaire général), en vue de ''créer des liens entre les sciences humaines, d'une part, et l'art cinématographique, de l'autre, tant au point

de vue du développement de la recherche scienti- fique que de l'expansion de l'art de l'imageanimée''. Il s'est donc constitué une fédération d'organismes nationaux affiliés au CIFES qui poursuivent, en particulier, les objectifs suivants :

- dresser un inventaire de tous les films d'in- térêt ethnographique existants, les analyser, les critiquer et les conserver ;

- produire de nouveaux films ethnographiques ; - diffuser les meilleurs films ethnographiques. Institué à Vienne, en 1952, lors du IVe Congrès

international des sciences anthropologiques et ethno- logiques, organisé définitivement lors du IVe Con- grès à Philadelphie, en 1956, le Comité interna- tional groupe actuellement les pays suivants : Belgique, Canada, Etats-Unis d ' h é rique (Peabody Museum, Harvard University), France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suisse, Tchécoslovaquie, Yougoslavie. Parmi les ren- contres internationales organisées par le comité, citons les Semaines internationales du film, ethno- graphique, au Musée de l'homme (Paris, mai 1955) et à l'Université de Cagliari (Sardaigne, mai 1957); les Colloques internationaux du film ethnographique et sociologique, organisés à Prague (septembre 1957) et à 1'Istituto di Etnologia e Antropologia Culturale de l'Université de Pérouse (mai 1959), avec la collaboration de l'Unesco. Le Comité inter- national a participé aussi au 4e Congrès mondial de sociologie, à Milan-Stresa (septembre 1959), où le champ d'activité du Comité a été étendu à l'ensemble des sciences sociales. Enfin, les efforts du Centre italien du film ethnographique et sociolo- gique (Centro Italiano par il Film Etnografico e Sociologico) et du Centre culturel cinématographique italien (Centro Culturale Cinematografico Itaiiano) ont abouti à l'organisation du Festival international du film ethnographique et sociologique (Festival des peuples), où les oeuvres présentées sont jugées à la fois du point de vue esthétique et du point de vue scientifique, par un jury comprenant, notamment, des délégués du CIFES et de l'Association interna- tionale de sociologie.

chaque année à la m ê m e époque, à Florence, est de "faire connal'tre, à l'échelle mondiale, la docu- mentation cinématographique relative aux sciences sociales (ou inspirée, en quelque manière, par les conditions de l'homme dans la société), réali- sée dans divers pays - documentation qui peut être soit scientifique, soit destinée à la vulgarisation ou, plus simplement, à des spectacles". Le CIFES, dont le premier président fut le professeur Georges Smets, est dirigé, depuis 1960, par S. A. le Prince Pierre de Grèce et de Danemark.

Parallèlement à ce courant d'intérêt, le Flaherty Film Seminar, aux Etats-Unis, rassemble chaque an- née, autour du nom prestigieux de l'auteur de Nanook, les étudiants du cinéma et les cinéastes contemporains qu'anime un m&me souci d'authenticité. Il est signi- ficatif que le Comité international du film ethnogra- phique et sociologique, de son côté, n'a cessé de vouer la plus grande admiration à Flaherty.

Le but du Festival des peuples, qui se déroulera

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B. Le débat sur la valeur scientifique et la méthode du film ethnographique et sociologique

Naissance d'une doctrine du film ethnographique en France

L e cinéma est entré à la sauvette dans les moeurs ethnographiques, Pendant longtemps les chercheurs ne se sont guère interrogés sur la validité de ce jouet, qui faisait la joie des amis, mais n'était guère pris au sérieux. Tout au plus, les bandes maladroites que l'ethnographe rapportait d'un loin- tain exil servaient-elles à agrémenter une confé- rence aride, scrupuleuse. Le film servait à planter le décor de l'enquete ; le cinéma était un jeu, un délassement.

@tre, le film était susceptible d'etre utilisé systé- matiquement à des fins scientifiques. André Leroi- Gourhan est l'un de ceux qui, dans l'ethnographie française, contribuèrent le plus à ce changement de perspectives. Dans une étude parue en 194811, celui qui allait occuper la chaire d'ethnologie de la Sorbonne, pose résolument la question : le film ethnologique existe-t-il ? A l'époque où ces consi- dérations furent énoncées, elles bouleversaient bien des conceptions étroites de l'ethnographie ; la théorie de Leroi-Gourhan a, notamment, le grand mérite d'intégrer résolument dans le do- maine de "film ethnographique", les "films de milieu" tournés en dehors de toute préoccupation scientifique ; avec lucidité, Leroi-Gourhan aper- çoit, par exemple, l'authenticité du documentaire très élaboré que le cinéaste professionnel Georges Rouquier venait de consacrer à une certaine pay- sannerie française (Farrebique), en marge de toute "recherche" scientifique systématique. L'article de Leroi-Gourhan mérite donc d W r e salué c o m m e l'étude d'un précurseur, soucieux de ne pas enfer- mer le film ethnographique, dont l'existence vient àpeine d W r e reconnue, dans une définition étroite, trop rigoureusement inspirée d'autres disciplines scientifiques. Cette largeur de vue ne sera mal- heureusement pas partagée par tous ceux qui ten- teront ultérieurement de codifier la méthode du film ethnographique.

Leroi-Gourhan distingue trois sortes de films auxquels la qualification "ethnologique" pourrait s'appliquer : (a) le film de recherche, moyen d'enregistrement

scientifique ; (b) le film documentaire public ou film d'exotisme,

qui relève du film de voyage ; (c) le film de milieu ''tourné sans intention scienti-

fique, mais qui prend une valeur ethnologique par exportation, c o m m e une intrigue sentimen- tale enmilieuchinois ouunbon film de gangsters new-yorkais deviennent peinture de moeurs cu- rieuses lorsqu'on change de continent". Dans ces trois catégories, l'ethnologue cherche

Mais quelques chercheurs s'avisèrent que, peut-

.

des documents. QÜe peut-il y trouver ? (a) L e film de recherche proprement dit -omprend,

selon Leroi-Gourhan, deux types : il faut distinguer les notes cinématographiques (tournées au jour le jour, sans plan préconçu) du film organisé, tourné sans préoccupations commerciales, mais suscep- tible d'intéresser le grand public ; le film organisé fournit un précieux instrument d'enseignement. Leroi-Gourhan entrevoit la possibilité de réaliser des films scientifiques dans le domaine de l'anthro- pologie physique et de la préhistoire, comme dans le domaine de l'ethnologie. Anthropologie physique : "il devient possible de faire l'étude des attitudes générales de travail, de marche, de repos, des mouvements de la main de l'ouvrier ou du nageur, de la mimique dans l'expression des sentiments, et d'établir le portrait véritable d'un groupe d'hommes, tout à la fois du type de son visage, de ses membres et des gestes qui les animent". Pré- histoire : le film-témoin de la fouille permet d'en reconstituer toutes les étapes, "de la refaire à volonté, de revoir ce que le travail détruit irré- vocablement". Ethnographie : le film peut s'atta- cher soit à donner un tableau général de la culture d'un peuple, soit à décrire un secteur limité de son activité.

Leroi-Gourhan souhaite que ces films de re- cherche soient réalisés par les ethnographes eux- m@mes, qui doivent apprendre à manier la caméra; il faut que les organisateurs des missions scienti- fiques dotent les équipes scientifiques de caméras et qu'ils reconnaissent la valeur du "cinéma- archives". U n enseignement sommaire de la tech- nique cinématographique est donné aux futurs cher- cheurs au Centre de formation aux recherches ethnologiques (Musée de l'homme, Paris). Leroi- Gourhan regrette, à juste titre, que tant de voya- geurs aient "donné leur premier tour de manivelle sur le terrain, avec les idées les plus vagues sur l'éclairage et les angles et aucune notion sérieuse sur la construction d'un film".

(b) Le film d'exotisme ou de voyage. Ce genre, dit Leroi-Gourhan, doit disparaftre, dans la mesure où il n'hésite pas à falsifier la réalité, dans le commentaire, dans la musique aussi bien que dans le choix des images.

(c) Le film de milieu, par contre, bien qu'il soit aussi destiné au grand public, "recèle inconsciem- ment des valeurs scientifiques qui apparaissent lorsqu'il change de spectateur. Construit et géné- ralement bien tourné, il rejoint le film ethnolo- gique organisé". C'est précisément dans cette catégorie que l'auteur cite, c o m m e exemplaire, le film de Rouquier, Farrebique (voir p. 49).

Leroi-Gourhan pose donc très clairement le problème du film ethnographique sur son véritable terrain : celui de l'information honnete. Il ne s'est probablement trompé que sur un seul point : l'exis- tence d'un cinéma de notations, qui mériterait d'&tre qualifié de "cinéma de recherche". Avant

1. André Leroi-Gourhan, Cinéma et sciences hu- maines - Le film ethnologique existe-t-il ? La revue de géographie humaine et d'ethnologie, no 3, 1948.

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d'aborder cette importante polémique, nous évo- querons rapidement le développement des idées relatives au film sociologique en France, depuis une dizaine d'années.

Dans le numéro m é m e de la Revue de géogra- phie humaine et d'ethnologie où paraissait l'impor- tant article de Leroi-Gourhan, Robert Lefranc abordait le problème pédagogique de l'utilisation du film dans un domaine voisin : la géographie humaine/ l.

L'auteur, qui estime que cette discipline offre un champ particulièrement propice à l'utilisation du cinéma, regrette l'absence quasi complète de films dans l'enseignement secondaire. Lefranc propose des consignes pour la réalisation de films pédagogiques relevant de cette discipline. Nous entrons ici dans le domaine du film m l , conçu spécialement pour l'enseignement. Soulignant que l'"on v& différemment par l'intermédiaire de la caméra", l'auteur souhaite la réalisation de films sur la géographie humaine des populations parmi lesquelles l'étudiant vit, afin de yamener à "se poser des problèmes" ; il énumère quelques thèmes : l'homme en tant que membre d'une société, d'une civilisation, les occupations et les genres de vie, les techniques, l'adaptation au milieu, les échanges matériels et culturels. Robert Lefranc se méfie des cinéastes professionnels et condamne les ''angles de prise de vues originaux, les éclairages dramatiques, les contrastes irarqués", alors que, par ailleurs, il vante lui-meme les mérites péda- gogiques d'un effet de montage particulièrement "contrasté" : l'opposition, dans un film canadien sur l'alimentation mondiale, entre deux scènes, "une rue de Chine ou de l'Inde durant une grande famine - la destruction de stocks de blé dans quelque autre nation". Soulignons simplement ici une contradiction interne, avant m ê m e d'aborder la discussion générale de ces diverses idées. Robert Lefranc, à qui semblent répugner les arti- fices cinématographiques qui ne seraient pas choi- sis l'en fonction de l'idée qui préside à l'élabora- tion du film", souligne pourtant, dans le passage précédent, la valeur d'"une répercussion émotive considérable, qui permettra à la mémoire de con- server les faits plus longuement". Comment peut- on à la fois rejeter les éléments de langage ciné- matographique qui permettent précisément de susciter des réactions émotives et reconnaftre "qu'il n'y a pas connaissance durable chez l'enfant, l'adolescent et même l'adulte. sans la Drésence d'un substrat émotif" ? Quoi qu'il en soit, l'étude de Lefranc comme celle de Leroi-Gourhan ont l'immense mérite de fournir les premières bases d'un débat qui passionne de plus en plus les ethnographes.

En France, Jean Rouch tourne ses premiers films sur le terrain à l'époque m e m e où Leroi- Gourhan attire l'attention de ses collègues sur le cinéma (voir p. 49). La haute tenue de ces docu- ments et la vivacité du style impressionnent les chercheurs dans les divers congrès scientifiques où ils sont présentés.

A l'initiative d'André Leroi-Gourhan et de Jean Rouch, se constitue en France, en 1952, l'un des premiers comités du film ethnographique. Ce co- mité présente, en 1957, un rapport détaillé sur "le cinéma dans l'enquête ethnographique et dans l'enseignement de l'ethnographie'' au Colloque international de Prague.

Ce qui frappe, dans cette étude, c'est un mé- lange curieux de lucidité et d'illusion. L'accent y est mis d'abord sur la valeur du cinéma comme technique d'observation, sur "l'objectivité'' de l'enregistrement cinématographique. Le rapport définit, de manière plus limitative que ne le faisait Leroi-Gourhan, deux niveaux d'utilisation "scien- tifique" du film : la recherche et l'enseignement. Au niveau de la recherche, les auteurs du rapport envisagent, de manière très générale, la caméra comme un instrument de notation, sans préciser les types de comportement, relativement limités, auxquels cette définition est susceptible de s'appli- quer. On observe donc une surestimation des pou- voirs d'objectivation de la caméra, conçue comme un oeil perfectionné, fonctionnant presque à l'insu de l'ethnographe ; le cinéma serait, en quelque sorte, une machine perfectionnée à enregistrer le réel brut : "la caméra peut noter plus complète- ment, plus rapidement et plus fidèlement que l'ethnographe ne saurait le faire, équipé seulement d'un bloc-notes et d'un crayon". Le rapport sou- ligne qu'il est pratiquement impossible à un seul chercheur, mis en présence d'une cérémonie com- plexe, d'observer l'ensemble des événements. La caméra, par contre, les enregistre fidèlement à la vitesse m ê m e à laquelle ils ont lieu. Les notes cinématographiques prises au cours de l'enquête présenteraient, selon le m e m e rapport, un triple avantage :

elles peuvent étre revues directement par des informateurs illettrés, qui peuvent aisément les commenter ; la notation cinématographique est plus objective que la description écrite, qui risque toujours d'être déformée ; les notes cinématographiques permettent de revoir à loisir, pour en approfondir l'analyse, la meme cérémonie. Certes, elles ne sont pas suffisantes à elles seules, mais elles complètent des enquêtes précédentes ou constituent le point de départ de nouvelles investigations. Le rapport souligne - judicieusement - que le

cinéma permet d'enregistrer ce qui échappe à toute autre forme de notation : le monde des gestes (gestes artisanaux, techniques , artistiques, atti- tudes, jeux de physionomie, manières d'être, ex- pressions, etc. ). A ce niveau aussi le film apparaît aux auteurs du rapport comme le complément du carnet de notes. La caméra, estiment-ils, est un témoin impartial, supérieur à l'appareil photogra- phique, qui opère un choix plus grand, "alors qu'on peut filmer tout ce gui se passe et sans presque le

1. Rogert Lefranc, Le film et l'enseignement de la géographie humaine.

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savoir". Il arrive que l'on puisse découvrir après coup des réactions qui avaient passé complètement inaperçues. L a valeur éminente du cinéma dans l'enseignement de l'ethnographie est soulignée avec beaucoup de justesse : "voir et entendre des hommes vivants - et cela en illustration à une le- çon donnée - est un avantage inestimable". Déve- loppant ce que nous avons déjà observé à propos de la photographie, le rapport met l'accent sur la valeur du "sentiment de participation à la vie des autres hommes'' ; cette participation s'oppose aux simples "spectacles" de la vie. "L'étudiant qui a vu le film Les survivants de l'âge de la pierre (Afrique du sud) se souviendra toujours de la quête de l'eau chez les Boschimans, car, pendant quelques minutes, elle a été tragiquement sienne". L e m ê m e rapport nous fait l'honneur de citer aussi le film que nous avons réalisé nous-meme (avec la collaboration de J. J. Maquet pour le scénario) sur les relations traditionnelles entre les castes au Ruanda (Enseignement de la sociologie).

Marcel Griaule citait le cinéma parmi les tech- niques de l'ethnographie. On ne saurait assez insis- ter sur la valeur historique de cette prise de posi- tion dans le cadre traditionnel de la recherche scientifique en France. L'opinion de Griaule est sans doute encore fort prudente ; il tente de situer le cinéma dans le cadre des techniques classiques de l'ethnographie et n'aperçoit pas clairement la singularité radicale de ce nouveau mode d'"enre- gistrement". La séparation nette établie entre le film ethnographique comme "oeuvre d'art'' et "note d'enquete'' est symptomatique. Dans le petit livre qui synthétise son enseignement, Méthode de l'eth- nographie, Griaule expose les trois idées direc- trices qui, selon lui, devraient présider à l'utili- sation du cinéma au cours de l'enquete : (a) le film a une valeur d'archives ; on s'y réfère

c o m m e à une fiche ou à un objet ; (b) le film constitue un moyen extremement efficace

d'enseignement pour la formation de spécialistes se destinant à la recherche ethnographique ;

(c) dans y sens plus large, il contribue à l'ensei- gnement public et constitue, dans certaines con- ditions, une oeuvre d'art.

Dans son enseignement à l'Université de Paris,

Griaule concevait le film ethnographique comme "un document exact se rapportant à des phénomènes originaux non reconstitués (sauf dans des cas par- ticuliers)". Il faut distinguer "les phénomènes re- lativement stables se déroulant dans un espace prévu, selon des modes connus, par exemple telle technique, telle cérémonie non complexe dont on connaft les phases" et "les phénomènes en mouve- ment très complexes à déroulement peu ou pas COMU". Les activités techniques de l'homme se pretent le plus aisément à l'enregistrement ciné- matographique ''du point de vue du temps et de l'espace", étant donné que le moment et l'endroit les plus propices peuvent être choisis. L'enregis- trement des "phénomènes en mouvement" com- plexes, c'est-à-dire des cérémonies quelque peu importantes, demande une préparation minutieuse.

Si toute reconstitution doit etre théoriquement ex- clue, Griaule admet que ne tombe pas sous le coup de cette condamnation la prise de vues de ce que les cinéastes appellent des "raccords" ; mais en- core Griaule interprète-t-il ceux-ci selon une clause limitative : "la prise de gros plans, par exemple de costumes, d'ornements que l'on peut faire revêtir dans la suite, de tatouages que l'on peut reproduire, et que le brouhaha des mouve- ments populaires ou les circonstances religieuses ne permettent pas d'étudier à loisir pendant leur utilisation". Ceci posé, le reportage porte, en général, sur un rite au sujet duquel on a pu obtenir des renseignements préliminaires qui permettent de dégager la trame des événements. Griaule in- siste sur l'importance du travail de préparation du film. Loin de pr8ner le laisser-faire, Griaule souligne que le cinéaste devra "profiter au maxi- m u m de l'enquête préalable menée par les ethno- graphes". Les préoccupations spectaculaires sont étrangères, en principe, à l'ethnographie, car elles risquent d'amener le cinéaste "à négliger des complications ou des banalités d'expression indigènes qui peuvent parfaitement se placer au centre de cérémonies". Griaule précise qu'il ne saurait être question d'utiliser les documents bruts (qu'il qualifie de bandes de "démonstration ethno- graphique"), pour l'enseignement public. Il faut donc prévoir, au cours de l'enquete, la réalisation de documentaires publics qui, finalement, donnent 'lune idée plus juste de l'objet à traiter que le film à l'état brut. C'est là le r81e intéressant de l'art en ce domaine. Il restitue une réalité exacte. Au- trement dit, le détail judicieusement choisi et en- cadré est plus évocateur de l'atmosphère réelle que le document pur et simple, avec ses longueurs inévit ab1 e s qui noient 1' atmo s phè r e" / 1.

Analysant les te chnique s d' enquet e plus spécifi - quement "sociographiques", c'est-à-dire (selon la conception française) relatives au milieu rural ou urbain de la civilisation industrielle, M. Georges Granai reprend à son compte cette opinion. Il fait figurer le cinéma parmi les "techniques d'obser- vation". Il s'appuie sur l'expérience de l'ethnogra- phie et estime que "la conservation et la restitution cinématographique des comportements gestuels et techniques, des manifestations ludiques ou reli- gieuses, facilitent la recherche des significations - nous soulignons - en restituant par artifice et à loisir le temps propre du déroulement des phéno- mènes". M. Granai estime donc que le cinéma peut être un instrument de recherche en sociologie ; il permet, selon cet auteur, de constituer ''des g- cuments scientifiquement exploitables"/2.

1. Marcel Griaule, Méthode de l'ethnographie, Presses universitaires de France, Publication de la Faculté des lettres de Paris, 1957, pp.

2. Georges Granai, Techniques de l'enquete socio- logique, chapitre 7, p. 141, in : Traité de socio- logie, T. 1. , publié sous ladirection de Georges Gurvitch, Presses universitaires de France, 1958,

85-89.

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Ethnographie et radicalisme cinématographique

C'est sans doute aux ethnographes allemands de l'Institut du film scientifique (Institüt für den Wissenschaftlichen Film) de Gottingen que l'on doit la conception méthodologique la plus rigide. Dans une étude récente, le Dr Spannaus envisage le film ethnographique au point de vue de la re- cherche stricte et n'aboutit qu'à limiter singuliè- rement au domaine de la technologie la part échue au savant dans le royaume des images interdites/l L'auteur estime que l'enregistrement cinémato- graphique permet de corriger les fautes ou les insuffisances de 1 'observation visuelle. D'autre part, le film fournit de précieux documents à l'ethnographie comparée, en permettant de rap- procher des traits techniques caractérisant des cultures fort éloignées l'une de l'autre.

la première idée en prenant comme exemple les techniques de poterie. Les documents filmés rap- portés de la tribu Ngbande (nord du Libéria) par le Dr Germann ont permis de corriger les rençei-

Dans un autre article/z, le Dr Spannaus illustre

gnements imparfaits fournis par la documentation &rite : celle-ci signalait que la technique utilisée dans cette population est un modelage par amincis sement progressif de 1â cavité creusée dans la motte (Treibtechnik). Or, le film a révélé claire- ment que ce procédé n'est utilisé que pour la con- fection de la moitié inférieure du pot ; l'achève- ment se fait par le modelage au colombin (Spiral-

-

~~

wulsttechnik). Une troisième étude du m ê m e auteur, enfin, 1 3 et un article anonyme du Bulletin de la section du film de recherche de l'Association inter- nationale du cinéma scientifique/$ exposent ce que I'Instjtut de Gottingen considère comme la métho- dologie du film ethnographique. Les films suscep- tibles d'une analyse scientifique sont ceux qui ont pour objet les techniques, certains traits de l'acti- vité économique et les danses. On voit que cette liste est volontairement restrictive, bien qu'elle soit présentée à titre d'exemple. Il faut, lit-on encore dans les Règles, filmer des séquences représentatives, c'est-à-dire se contenter de mon- trer un nombre limité de fois, pour chaque opéra- tion technique, les gestes semblables qui se ré- pètent en réalité pendant plusieurs heures. L'introduction du film devrait présenter le milieu géographique, culturel et social, le type anthropo- logique de la population. Il faut indiquer, le cas échéant, les rituels, cérémonies et manifestations sociales divers liés à l'activité technique, objet principal du film. Il faut songer aussi à montrer l'utilisation de l'objet dans la vie quotidienne. Il faudra veiller à la synchronisation des enregistre- ments musicaux, notamment dans les films sur la danse. Il faut prendre en considération un problème capital : dans quelle mesure la conduite des gens que l'on filme n'est-elle pas affectée par la prise de vues ? La méthodologie scientifique exige dès lors qu'un commentaire détaillé soit joint au film. Parfois, l'ethnologue pourra légitimement inter- venir dans le comportement. Pour des raisons

d'éclairage, notamment, il pourra faire effectuer les travaux manuels au soleil, alors qu'ils s'exé- cutent généralement à l'ombre en milieu tropical. Parmi les licences que l'Institut de Gottingen ad- met encore, mais non sans réticence, citons l'or- ganisation d'un "spectacle" spécialement pour les besoins de la prise de vues. Si une expédition de chasse peut &tre ainsi provoquée par l'ethnologue- cinéaste, la représentation fictive de cerémonies liées au cours de l'année, ou aux événements de la vie humaine (mort, mariage, etc. ), constitue- rait une transgression des limites imposées au "film scientifique".

le professeur Tullio Seppilli, de l'Université de Pérouse, se rapproche sensiblement de cette thèse, bien que notre ami italien ne préconise ou n'interdise aucune méthode particulière. Il dis- tingue radicalement le film scientifique des autres espèces de films documentaires (de vulgarisation, spectaculaire, etc. ). Le professeur Seppilli pense également que la technique cinématographique est, en elle-meme, objective ; mais le cinéaste choisit certains aspects de la réalité en fonction de son idéologie propre ; le film conçu comme une oeuvre d'art doit donc être soigneusement distingué du film exclusivement conçu pour être un témoignage scientifique. Le style de ces deux types est néces- sairement différent selon l'auteur.

La position défendue au Colloque de Prague par

De l'oeil xagique à l'oeil aveugle

La notion m e m e de "cinéma de recherche", que développent nos premiers auteurs, implique que le chercheur attend de l'expérience cinématogra- phique une révélation ; il connai't mal ou

Der Film als Mittel ViXkerkundlicher Forschung (Le film comme auxiliaire de la recherche ethno- graphique), revue Research Film/Le film de re- cherche/Forschungsfikm (Bulletin de la section du film de recherche de l'Association internatio- nale du cinéma scientifique et de 1'Encyclopaedia cinematographica) vol. 2, no 4, décembre 1956,

Vergleich ethnographischer Topfereifilme als Beispiel fur die wissenschaftliche Auswertung von encyclopadischen Filmmaterial (Comparai- son des films ethnographiques sur la poterie, en tant qu'exemple d'évaluation scientifique de matériel filmé de caractère encyclopédique), idem, vol. 2, no 5, juillet 1957. Theoretische und praktische Probleme des wissenschaftlichen volkerkundlichen Filmes, Von fremden Volkern und Kulturen (Problèmes théoriques et pratiques du film ethnologique de caractère scientifique, Peuples étrangers et cultures étrangères), Hans Plischke zum 65. Geburtstag, Düsseldorf, 1955, pp. 85-95. Règles pour la documentation filmée dans I'Eth- nologie et le folklore, Research E'ilm/Le film de recherche/Forschungsfilm, vo 13, no 4 - décembre 1959, pp. 231-234.

pp. 159-163.

2:

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imparfaitement le phénomène qu'il enregistre et il substitue à son propre regard un oeil perfectionné. Un tel cinéma de recherche exclut dès lors toute mise en scène, il se réduit à la technique du repor- tage ou "enregistrement sur le vif". C'est à elle que les chercheurs français songent lorsqu'ils parlent de "notes cinématographiques". Mais ceci ne signifie nullement que la technique du reportage permette seule d'enregistrer un "document authen- tique". Cette distinction essentielle, nous la déve- lopperons longuement au cours des chapitres sui- vants. Le domaine du film sociologique est infiniment plus riche que celui du film de recherche, qui n'en est finalement qu'un aspect non négligeable, mais secondaire. En effet, les phénomènes sociaux que la caméra est susceptible de prendre "sur le vif" en révélant des faits nouveaux aux chercheurs, des faits qu'ils ignoraient ou avaient mal observés, se limitent à deux ordres : les gestes techniques et les gestes rituels. C'est le domaine de la tech- nologie et le domaine du cérémonial.

graphique n'accordent de valeur véritablement scientifique qu'à ces deux types d'enregistrement de phénomènes stéréotypés. C'est notamment la position de l'Institut du film scientifique de Gottin- gen, qui condamne toute intervention du cinéaste dans le déroulement du phénomène observé (à l'ex- ception de quelques tolérances mineures). Le rigo- risme de cette thèse saute aux yeux. Quoi qu'il en soit, il est conforme à la définition stricte, idéale, de la caméra "objective", celle dont on attend l'en- registrement fidèle du fait brut. Mais, à la limite, il n'y aurait guère que les films consacrés à la poterie, à la vannerie, etc. qui mériteraient la qualification de "films de recherche". En effet, l'intervention du cinéaste, les choix décisifs d'angles, de lieu, de temps, apparaissent déjà dans l'enregistrement des cérémonials. Ce n'est m ê m e plus, au sens strict, uncinéma de recherche puisque le cinéaste doit avoir une connaissance préalable du scénario rituel dans lequel il choisira les éléments qui lui paraissent significatifs. On ne peut suivre ceux qui attendent l'illumination de l'enregistrement au hasard et de l'accumulation désordonnée des "notes cinématographiques" brutes; il faut que l'attention du cinéaste ait déjà été orien- tée, sollicitée. Il parai't hautement improbable qu'une aveugle furie cinématographique permette de découvrir après coup (à la projection) ce qui aurait échappé au regard (à la prise de vues).

Approfondissons la signification des gestes ri- tuels et envisageons l'enregistrement d'un cérémo- nial complexe, mettant en branle un grand nombre de personnes en différents endroits, pendant plu- sieurs jours. Pour analyser un tel phénomène so- cial, pour pouvoir le décrire correctement, l'eth- nographe (sa démarche est aussi celle de tout sociographe opérant en n'importe quel milieu) pro- cède par approches successives. Il ne saisit pas d'emblée, tant s'en faut, les détails significatifs ; il arrive m ê m e que les centres d'intérêt lui échappent "à première vue". Il s'agit d'ailleurs

Il est frappant que les Jansénistes du film ethno-

parfois d'un point situé dans l'espace mythique. L'ethnographe regarde en forêt les femmes dont on peint le visage, tandis qu'au village une ques- tion d'aihesse importante est débattue par les hommes de la manière la plus intéressante : les principes apparaissent, en effet, au cours des conflits. Il abandonne alors les femmes ; il écoute, au village, les conversations. Mais, en même temps, il devrait être en trois endroits différents oû se trament des événements peut-&tre insigni- fiants, peut-être capitaux. Il ne prendra une vision d'ensemble de toutes ces activités cérémonielles apparemment disparates qu'après un nombre im- portant d'observations fragmentaires. D'intermi- nables interrogatoires seront encore nécessaires pour éclaircir le sens des gestes repérés. L'obser- vateur part ainsi d'un schéma grossier, sans cesse corrigé, étoffé. Ce n'est qu'au terme d'une très longue et, souvent, très fastidieuse enquête que l'ethnographe peut espérer &tre en possession d'une description sinon complète, du moins suffi- sante. En possession de cette description typique, idéale, reposant sur plusieurs séries d'observa- tions, faites à des moments très différents, iln'est pas encore au bout de ses peines. L'analyse socio- logique intervient alors, qui consiste à dégager la cohérence intime des faits, leur structure latente ; elle met en valeur une certaine conception du monde, des relations humaines, de la culture. Tant il est vrai, selon le mot de Gaston Bachelard, qu'il n'y a de science que de ce qui est caché.

Nous n'apercevons donc pas la validité de l'en- registrement cinématographique de ces faits com- plexes selon la méthode de "la caméra à la dérive", qui recommande de plonger aveuglément dans une gesticulation incompréhensible, dans l'espoir bien problématique que la vérité sera (au double sens du mot) révélée par la pellicule dite sensible. En fait, un tel enregistrement ne donne qu'une image incomplète, fausse - parce que tronquée - de cette réalité sociologique invisible qui constitue la chaihe où se tisse la trame embrouillée des gestes.

Il faut donc admettre que le cinéaste doit avoir au moins quelque idée de ce qui va se passer avant de se lancer dans cette aventure ; il doit connaftre le scénario culturel de la cérémonie, avoir repéré les lieux où les événements les plus marquants se dérouleront. Il doit être préalablement informé, même si cette information est imparfaite. Il est plaisant de constater combien les ethnographes, si lents à tirer une conclusion (eux qui déploient des ruses de Sioux dans l'enquête), si prudents à admettre la validité d'une information, perdent aisément tout contrôle d'eux-mêmes lorsqu'ils manient la caméra. Curieusement, on les voit ré- gresser vers le stade magique de la connaissance, dès qu'ils déposent le stylo et le bloc-noteset qu'ils se promènent avec une caméra ; ils se sentent alors en vacances et l'on dirait qu'ils ne se soucient plus que de fixer des souvenirs de voyage, en se con- tentant d'une mise au point sommaire. Certes cette attitude est très légitime, mais pourquoi s'obstiner

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à la confondre avec une méthode scientifique de notation objective ?

des sciences sociales aux sciences exactes. Il est bien évident que la notion même de "recherche" et les méthodes d'observation diffèrent considérable- ment dans les deux perspectives. Dès lors, les conceptions fondamentales du cinéma scientifique ne peuvent coïncider ; en les superposant, on risque d'opérer une distorsion de l'esprit même des sciences sociales. Tout au moins aboutit-on à une singulière limitation de leur domaine. A la limite, on entend parfois formuler le souhait ab- surde que l'observateur soit comme absent, comme invisible ; que la caméra soit dissimulée, afin de ne pas troubler le phénomène enregistré. Sans doute une telle méthode a-t-elle été appliquée avec succès à un certain nombre d'observations psycho- logiques et sociologiques. Nous analyserons quelques cas au cours du chapitre suivant. Remar- quons cependant, encore une fois, que l'exigence de la caméra dissimulée restreindrait l'enregis- trement cinématographique à un nombre très limité de situations. Il est impossible, en effet, que le caméraman se transforme en fanteme parfait. On a tort, d'ailleurs, d'exagérer le bouleversement qu'introduirait la caméra dans l'enquete ethnogra- phique. L'ethnographe admis à vivre familièrement dans un village bantou est loin d'@tre, quelles que soient sa discrétion, son amabilité, une ombre imperceptible. Quoi qu'il fasse, il gêne terrible- ment, il inquiète, il dérange. A considérer même qu'il soit devenu sympathique à certains égards, on l'admet non comme l'image désincarnée de llob- jectivité scientifique, mais comme un étranger aux moeurs bizarres, ni franchement européennes, ni franchement nègres. Ses manies, parfois son ex- trême folie, le conduisent à inspecter les pots que les femmes mettent à cuire, à errer dans les mai- sons à la recherche de dieu sait quel antique objet dont plus personne ne se sert depuis belle lurette, à proférer des obscénités pour éprouver les tabous de parenté, à interrompre le deuil de tous ceux que la coutume oblige à pleurer pour leur faire réciter leurs généalogies. Il écrit. Il écrit à propos de tout et de rien. Voici qu'on l'initie aux mystères de la société des hommes : dans l'enceinte sacrée, il écrit avec une rage plus grande encore, il har- cèle de questions stupides les vieillards, au point de leur faire regretter de l'avoir admis dans leur compagnie. Bref, on peut le tenir pour profondé- ment anormal. Parfois - ceci est plus grave - il commet des sacrilèges, il déplace par inadvertance, parce qu'il ignorait la coutume, le siège inamovible des danseurs rituels. Aurait-il ébranlé le tr8ne pontifical que son crime, apparemment, n'aurait pas été plus sévèrement jugé. Mais tant d'erreurs se réparent. Le profanateur se désole, se dépense, reprend son carnet et note d'intéressantes obser- vations nouvelles sur le siège des danseurs rituels. Tout compte fait, donc, il n'est pas plus étonnant de voir l'ethnographe se promener au village avec une caméra qu'avec un stylo.

Cette confusion implique une assimilation hâtive

Mon expérience cinématographique personnelle, en Afrique et en Europe, confirme celle de Jean Rouch : la participation effective et consciente des gens à la réalisation d'un film est souhaitable et parfaitement conforme aux techniques tradition- nelles de l'observation ethnographique. La caméra sur le terrain n'introduit aucun bouleversement spécifique. Au contraire, la part de jeu qu'elle implique est susceptible parfois de déclencher spontanément des réactions psychologiques qui échapperaient à tout autre moyen d'investigation A ce niveau - et à ce niveau seulement, qui est celui du sociodrame - on peut envisager l'élabora- tion d'un véritable cinéma de recherche, dont les méthodes ne doivent plus rien à celles qui ont été mises au point dans le domaine des sciences exactes et naturelles. Mais cette démarche révo- lutionnaire est toute récente. Jean Rouch fait ici encore figure de précurseur avec Moi, un noir, d'une part, et Chronique d'un été, d'autre pari (ce dernier film fut tourné en collaboration avec le sociologue Edgar Morin). Dans cette orientation nouvelle du "film de recherche" Rouch et Morin transgressent audacieusement toutes les consignes prématurées, formulées par les premiers théori- ciens du film ethnographique. Ils tentent d'explorer la réalité intérieure, voire l'imaginaire, inaugurant un nouveau cinéma-vérité (voir p. 50).

Si l'on approfondit les définitions limitatives proposées pour le "film de recherche". on aper- çoit qu'un rrythe anime ces doctrines jansénistes : le mythe de l'objectivité de la caméra, c'est-à- dire, paradoxalement, la croyance en ses pouvoirs magiques.

Ce mythe apparai't chez les ethnographes à la suite des résultats prestigieux acquis par des pro- cédés cinématographiques très particuliers (l'usage du ralenti et de l'accéléré), dans le domaine des sciences naturelles. Ces techniques ont assuré- ment permis de voir ce que l'oeil nu ne percevait pas, les phénomènes étant trop lents ou trop ra- pides. En médecine, la caméra peut explorer l'in- visible : une sonde éclairée permet de filmer en direct l'extraordinaire réalité de la vie organique intérieure. Mais a-t-on suffisamment remarqué ce fait paradoxal : la vie sociale, celle-là m e m e qui se déroule sous nos yeux, est en grande partie invisible. Si elle est faite de rythmes, de passions, de gesticulations diverses, désordonnées ou ritua- lisées, ces rythmes, ces passions, ces gesticula- tions ne sont jamais perçus globalement par l'oeil, dans leurs rapports secrets. Où et comment le cinéma pourrait-il saisir "sur le vif", sans trans- position symbolique, les relations ambiguës que les hommes établissent entre eux pour s'entr'aider, s'exploiter ou se déchirer ? Certes, la caméra peut suggérer ces relations par des symboles pris dans la réalité (coups de matraques, sourires, poignées de main, etc. ) ; c'est ainsi qu'Eisenstein évoque la révolution d'octobre : par des artifices de langage qui tendent à évoquer la réalité sociale à travers une vision personnelle, qui est aussi celle du groupe social dont le cinéaste se sent et

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se déclare solidaire. A priori, l'homme de science est tenté de refuser, pour ses propres besoins, une telle méthode. Mais il faut bien se rendre compte que le champ complexe des relations établies entre les groupes (entre les classes sociales, par exemple) échappe de toute évidence à la caméra "objective"; devant cette réalité-là, quelles que soient la puis- sance de la lentille, la vitesse ou la lenteur des prises de vues, l'oeil de la caméra est vraiment aveugle. C'est que les sciences sociales tendent de plus en plus à un haut degré d'abstraction (dans la description méme des phénomènes, aussi bien qu'au niveau de l'explication structurelle).

danslarue, labrousse ou les champs, ne surprend guère que des lambeaux de réalité : des gestes, des expressions tragiques ou émouvantes ; ce que signifient cette douleur, cette émotion surprise à la dérobée, la caméra ne le révélera jamais par ses seules vertus mécaniques. Ces observations ne condamnent pas, pour autant, la valeur de la documentation cinématographique dans le domaine des sciences sociales ; elles en élargissent, au contraire, le champ d'utilisation à un très grand nombre de films qui ne répondent pas aux critères jansénistes que nous avons passés en revue.

Il est donc à peu près impossible, sauf rares exceptions, de laisser la caméra "sociographique" (quel que soit le milieu filmé) opérer au hasard, sans plan préconçu, sans au moins, une ébauche de scénario. Le cinéaste à la recherche de la vé- rité sociologique, pas plus que le reporter sportif, ne peut, à vrai dire, se laisser surprendre par l'événement qu'il capte (il ne le capterait d'ailleurs pas s'il ne savait à peu près où et comment il se déroule, s'il ne connaissait les règles du jeu so- cial). C'est lui, au contraire, qui doit surprendre l'événement au bon moment, sous le bon angle, l'angle le plus significatif. Il élargira ou resser- rera le champ d'observation selon le rayonnement des centres d'intérêt, préalablement repérés. Tout cadrage implique déjà un choix dans la réalité, une estimation qualitative de l'importance de l'événe- ment, une idée du déroulement des faits et de leurs rapports, bref, de leur structure. C'est celle-ci qui doit se refléter dans le montage ultérieur des prises de vues, dans un espace-temps spécifique- ment cinématographique. C'est assez dire que nous apercevons mal comment le cinéma pourrait être, dans le domaine des phénomènes sociaux, un z- trument de recherche généralisé, un instrument de découverte : la caméra est un témoin, certes, mais un témoin extérieur et stupide, aussi long- temps qu'un oeil averti, un oeil humain qui a déjà

et qui s'apprête à reconnaftre, ne le dirige avec habileté et souplesse dans l'enregistrement m ê m e du témoignage.

Il faut s'attarder ici à la notion de montage. C'est, en effet, au niveau du montage que la plu- part des prises de vues acquièrent leur significa- tion et leur cohérence. Or, le montage est une intervention délibérée du cinéaste, il ne jaillit pas spontanément de la machine-à-enregistrer-la

La caméra à la dérive, la caméra en liberté

réalité. C'est, comme le cadrage, et à un degré plus intense encore, un point de vue sur la réalité. Les prises de vues isolées (les "plans" cinémato- graphiques) ne sont en rien comparables aux fiches d'observation dispersées sur lesquelles l'ethno- graphe note les faits divers de la journée. En fait, ce sont, dès le départ, des notes sélectionnées en vue d'un certain montage, c'est-à-dire d'une cer- taine idée d'ensemble ; sinon, ces prises de vues n'ont aucun intérét : on aura beau les projeter mille fois, elles n'apprendront rien, elles n'ont jamais rien appris aux ethnographes, qui éprouvent cependant un plaisir infantile à les montrer à leurs collègues, sans qu'on sache trop si c'est pour les amuser ou les instruire. Si cette structure géné- rale, ce plan de montage, cet ensemble de signi- fications n'est pas présent à l'esprit du cinéaste au moment où il filme, il est fort improbable qu'il puisse jamais utiliser à quelque fin sérieuse les documents bruts, incontr81és, les prétendus docu- ments objectifs qu'il a enregistrés. Il ne fait, dans cette hypothèse, qu'accumuler une série de photo- graphies en mouvement, il n'accède pas à l'univers filmique. Il rassemble des atomes, dont il ne par- viendra jamais à former une molécule. Qu'importe, dira-t-on, bannissons le montage du film de re- cherche, puisqu'il introduit un élément de pertur- bation dans la signification méme du document brut. Conservons telles quelles les prises de vues et ne nous soucions pas de construire un film : les images dont nous disposons peuvent etre revues cent fois pour analyser le détail d'une mimique, un geste important, une expression. Sans doute faut-il distinguer ici les événements rituels des événements plus lâches de la vie quotidienne. Dans les structures ritualisées, bien des détails que l'enquéte orale préalable n'avait pas mis à jour peuvent apparaftre pour la première fois, au mo- ment méme de la prise de vues. Celle-ci s'accom- pagne alors d'une découverte au sein d'un proces- sus dont le cinéaste possède déjà une connaissance globale. Encore importe-t-il, nous l'avons déjà souligné, de savoir où et comment il faut placer la caméra aux diverses phases du déroulement. II faut en connaftre le scénario, Mais, ceci dit, le cinéma, en présence des ensembles cérémoniels complexes, touffus, est - plusieurs auteurs l'ont indiqué - un merveilleux correcteur d'impressions. Si la caméra n'est pas un oeil magique, du moins peut-elle étre parfois un oeil attentif, un témoin susceptible d'améliorer une observation impar- faite ou trop rapide. Cette remarque s'applique aussi au domaine du film technologique ; le Dr Spannaus le souligne à juste titre. La notation, la description du geste technique comme du geste rituel appartient en propre à l'écriture cinémato- graphique. Les pouvoirs de la parole écrite sont ici manifestement insuffisants. On observera qu'il s'agit là de gestes hautement stéréotypés, et qui se répètent dans une structure parfaitement définie, relativement rigide, composant un u t . C'est, par excellence, le domaine du reportage véritable, celui qui saisit sur le vif, sans intervention

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apparente du cinéaste, Mais la passivité requise de la caméra en de telles circonstances est très relative. E n fait, le cinéaste choisit ici aussi les moyens d'expression ; ce choix s'opère simplement dans des limites étroites, imposées par l'ordon- nancement m ê m e de l'opération technique ou de la cérémonie. Dans ces cas encore, le film de repor- tage n'est pas, à proprement parler, un instrument de recherche, mais un langage, une façon de syn- thétiser, de raconter, dans un espace-temps auto- nome, un ensemble cohérent d'événements. C'est aussi - et c'est là que le film de reportage remplit un r81e scientifique complémentaire - un instrument de contr8le de ltobservation.

Ce n'est que tout à fait exceptionnellement, par contre, que le film de reportage a permis de faire de véritables l'découvertes". Dans le domaine de l'ethnographie, il nous faut signaler ici un cas in- téressant : Jean Rouch raconte qu'un plan de son film Cimetière dans la falaise (consacré aux céré- monies funéraires des Dogon du Niger) révéla que les hommes promènent le cadavre à -travers le vil- lage selon une ligne sinueuse. Or, la spirale joue un r8le cosmogonique essentiel dans le symbolkme dogon.

Il est temps de conclure : d'une manière géné- rale, la caméra ne mérite guère d'être considérée comme un observateur sociologique objectif, im- partial. Il est vain de multiplier les exigences de non-intervention; il est vain de rêver d'une caméra invisible qui surprendrait enfin à l'état nu, dans sa pureté et sa spontanéité originelle, le fait social. Il n'y a guère que deux ordres de faits sociaux qui se pretent à une application de la méthode des "notes ethnographiques", parce qu'ils offrent au cinéaste des thèmes structurés et que l'interven- tion cinématographique tend à se limiter à un enre- gistrement de gt7stes plus ou moins stéréotypés : les techniques et les rituelu. (Encore faut-il rioter qu'aucune cérémonie ne ressemble parfaitement à son exécution précédente). Dans de tels cas, les participants sont absorbés au maximum par l'ac- complissement des gestes ; le comportement ne risque guère d'être troublé et tout se passe très souvent - liexpérience du film ethnographique le démontre - comme si la caméra était invisible, absente, dès que le cinéaste a pu faire admettre sa présence. A ce niveau d'utilisation, le cinéma fournit une documentation complémentaire extre- mement précieuse à l'observateur. Mais, à vrai dire, le souci qui anime les ethnographes (qui sont nombreux à rapporter de leurs expéditions de tels reportages) est plut8t de témoigner, ae proposer à des spectateurs éventuels une vision concrète de la société qu'ils ont étudiée. Rares sont ceux, j'en suis persuadé, qui ont réellement vu et revu leurs films, dans l'espoir de corriger leurs observations. Dès lors, ce ne sont pas des notes, des fiches en images, que l'ethnographe (ou le sociographe) rap- porte de sa mission, mais des ébauches de récits destinés à être communiqués au m ê m e titre qu'un article de revue scientifique. Le film, de ce point de vue, évoque ce que S'ethnographe a vu, compris,

interprété, au moyen d'images dont la valeur essentielle ne réside pas dans le fait d'avoir ou non été prises sur le vif, mais dans leur pouvoir de refléter, d'exprimer la réalité. C'est donc plut8t au niveau de la communicatio_n, c'est-à-dire de l'enseignement, que se situe le véritable pro- blème du film sociologique.

Toute l'équivoque du "film ethnographique!', dans le débat que nous avons évoqué, réside dans le fait que les auteurs hésitent à reconnanre cette évidence, retenus par on ne sait quelle pudeur "scientifique". Après tout, on nlattend pas d'un ethnographe qu'il livre son fichier en vrac au lec- teur lorsqu'il publie un livre ou un essaibasé sur la documentation qu'il a réunie patiemment. Et il y a plus de mérite à écrire un bon livre qu'à accu- muler indéfiniment de bonnes fiches d'observations. L e drame, c'est que les films ethnographiques sont souvent construits avec maladresse ; ceci explique, en grande partie, l'attitude ambiguë de leurs au- teurs, lorsqu'ils se raccrochent à la théorie pré- tendument scientifique du film comme "Carnet de notes". Mais, si les notes sont mal écrites, illi- sibles parce que mal pensées ? Il est vraiment trop commode de valoriser les imperfections de style en affirmant qu'en elles réside précisément l'"authenticité''. II faudrait que les ethnographes prennent connaissance des théories filmologiques contemporaines et cessent de se persuâder que le cinéma montre la réalité purement et simplement/l.

Nous rejoignons ici le point de vue défendu au Colloque de Prague par son président même, le professeur Karel Plicka. Dans un rapport inaiigu- ral, intitulé L'es questions fondamentales du film ethnographique, l'auteur constate qu'il y a deux manières de traiter un sujet ethnographique : ou bien le cinéma saisit sur le vif la réalité, ou bien il reconstruit cette réalité. Ces deux procedes sont légitimes car, de toute façon, le film ne trans- met une information sociologique que par le truche- ment d'une "dramaturgie". Dès lors, pour l'émi- nent ethnologue tchèque, le film scientifique dont l'homme est le thème central est destiné aux salles publiques ; le cinéaste qui collabore avec le cher- cheur scientifique à l'élaboration d'un film ne doit pas être considéré comme l'exécutant passif des désirs de celui-ci. Loin de vouloir imposer au film ethnographique et sociologique des consignes rigides, Karel Plicka pense que "chaque sujet pose au scénariste et au metteur en scène des tâches toujours nouvelles, qui ne peuvent se répéter".

défendu un point de vue plus éclectique/2 ; il place de grands espoirs dans le film "véritablement

Au cours du meme colloque, Alfred Métraux a

1. Voir notamment René Micha, La vérité cinéma- tographique, Cahiers du cinéma, tome V, no 29, décembre 1053, pp. 16-30 et Cohen-Séai, L e discours filmique, Revue internationale de filnio-. logie, T. 11, no 6, pp. 199-205.

2. La science ethnographique et le film.

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scientifique", réalisé par l'ethnographe méme, filmant sans idées préconçues, "sans chercher prématurément à opérer un classement par ordre d'intérét''. Mais il estime aussi que les films éla- borés, destinés au grand public, méritent de rete- nir l'attention des ethnographes, méme lorsqu'ils comportent des épisodes joués. Alfred Métraux met l'accent sur la fragilité actuelle des civilisa- tions archafques et la nécessité d'en capter l'image avant qu'elles ne disparaissent. Les archives que nous constituons ainsi pour les générations futures seront sans doute consultées et étudiées "par des méthodes dont nous n'avons encore qu'une idée confuse".

vent tant d'éminents savants sont victimes lors- qu'ils découvrent ingénument les vertus "objectives" de la caméra, Delvaux la dénonce avec force dans une étude qui tend à promouvoir l'enseignement des principes de l'art cinématographique dans les écoles secondaires. "Il semble étonnant, note Delvaux/l, que l'étude du fait cinématographique, sous quelque optique qu'on l'aborde (histoire, so- ciologie, morale), porte presque toujours sur ie cinéma en tant qu'art du récit limité aux films de fiction, puisque aussi bien c'est eux, et eux seuls, qui semblent véhiculer l'imaginaire. Cela explique que l'historien et, à coup sûr, le moraliste et le sociologue croient toucher à l'essentiel en limitant le champ de leurs recherches aux genres que la fiction rend le plus indépendants de la réalité vécue. Il s'ensuit que le film serait d'autant plus conforme à ia "vérité" qu'il récuserait ia fiction et sa mise en scène, et qu'on y retrouverait ia réalité "prise sur le vif", l'évidence des documents, les actua- lités. Finis les mensonges, on peut enfin croire ce que l'on voit. . . L'idée m ê me de cette hiérar- chie des genres selon leur angle d'incidence avec la réalité repose sur l'ignorance des conditions de la création cinématographique : bien plus : c'est de cette confusion soigneusement entretenue que le cinéma tire son formidable pouvoir de persuasion. C'est ici méme, sur la brèche où s'engouffrent toutes les propagandes, que nous devons agir pour armer les jeunes consciences".

Il semble bien qu'il n'existe pas, en-deçà du "documentaire'' structuré, un cinéma brut, une façon d'enregistrer la vie qui ne vise à aucune ar- ticulation cinématographique. La notion d'un ciné- m a sociologique "de recherche", à l'abri de toutes les impuretés du langage, ne couvre qu'un champ d'observation très étroit, dont les savants n'aper- çoivent pas toujours clairement les limites parce qu'ils sont victimes d'une singulière illustion d'op- tique lorsqu'ils tiennent que le cinéma est un

L'équivoque grave, fondamentale, dont si sou-

~

oeil perfectionné. Il n'est que rarement, à vrai dire, un détecteur privilégié ; bien plus - souvent la caméra, en tant qu'instrument méca- nique, est aveugle ou stupide devant le phéno- mène social.

L'information sociologique par le cinéma, son domaine

On aperçoit la singularité du film sociologique dans le vaste courant du cinéma scientifique. Cette singularité se reflète dans l'existence d'un orga- nisme international spécialisé, le Comité interna- tional du film ethnographique et sociologique, dis- tinct de l'Association internationale du cinéma scientifique avec laquelle, dans beaucoup de pays, il entretient des rapports étroits. Aux Pays-Bas, la section d'anthropologie culturelle de l'Associa- tion néerlandaise du cinéma scientifique s'est trouvée confrontée, en analysant un certain nombre de films ethnologiques néerlandais, au problème méthodologique que nous avons soulevé/Z. L'in- troduction du document dont il s'agit fait remarquer judicieusement que l'adoption d'un critère trop ri- goureux aurait conduit les examinateurs à ne rete- nir qu'un nombre fort limité de films. Le groupe de travail a donc pris en considération tous les films néerlandais qui traitent de l'homme et de sa culture dans les pays non occidentaux. Un avis est donné sur la valeur des films comme instruments d'enseignement. Les membres de ce groupe de travail estiment qu'"un bon film ethnographique requiert la collaboration étroite de l'ethnographie'' et de ce que l'on pourrait appeler "l'art du film". C'est l'information ethnographique du grand public par le film qui préoccupe surtout les auteurs ; ils déplorent "l'ignorance des principes les plus 616- mentaires de l'ethnol~gie''/~, qui vicie la valeur de ce matériel documentaire. La position analy- tique du groupe néerlandais nous paraft la plus saine. Il faut tenir compte d'un certain nombre de films existants, produits généralement par l'in- dustrie cinématographique, et dont le thème est la culture humaine. Il s'agit essentiellement de por- ter un jugement sur la qualité de cette information, non de séparer les films scientifiques des films non scientifiques. De m ê m e c'est l'objet ethnogra- phique qui a retenu l'attention du Comité français du film ethnographique lorsqu'il a fait un premier inventaire des films "ethnographiques" produits en France f 4. Le champ géographique couvert par cette analyse est plus vaste, cependant, puisqu'il ne se limite pas aux cultures "exotiques" mais en- globe la civilisation européenne. Plusieurs films

1. A. Delvaux : "Principes et méthodologie de l'enseignement du cinéma", in Le cinéma fait social, Institut de sociologie Solvay, Bruxelles 1960, p. 205

anthropologische films (Liste provisoire des films ethnologiques néerlandais, Nederlandse Vereniging voor de Wetenschappelijke film, Utrecht 1957.

3. Ir.. . onbekendheid met de meest elementaire volkenkundige beginselen. "

4. Catalogue des films ethnographiques français, Cahiers du Centre de documentation, Départe - ment de l'information, no 15, Unesco 1955.

2. Voorlopige lijst van Nederlandse cultureel-

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recensés relèvent de la rubrique sociologie. A vrai dire, les frontières entre l'ethnologie et la sociologie n'ont jamais été rigoureuses en France et cette conception large prédomine actuellement, puisque le Comité international du film ethnogra- phique a élargi, depuis 1959, son champ d'inves- tigation aux diverses sciences sociales et adopté l'appellation "Comité international du film ethno- graphique et sociologiqueff.

Il semble que ce point de vue unitaire (plus sen- sible à ce qui unit les diverses branches du savoir sociologique qu'à ce qui les sépare) soit en train de triompher, aussi bien en Europe occidentale qu'en Europe orientale. C'est ainsi qu'au 6e Con- grès international des sciences anthropologiques et ethnologiques, à Paris, le professeur Tolstov déclarait que, pour la science russe, le terme ethnographie désigne "l'ensemble des sciences qui traitent des particularités spécifiques de la culture et du mode de vie des peuples, qu'il s'a- gisse des peuples européens ou non européens. Au cours de ces dernières années, on emploie tou- jours plus largement ce terme dans ce sens, dans d'autres pays de l'Europe de l'est et surtout dans les pays slaves"/l. S'il est vrai que le champ d'ob- servation privilégié de l'ethnographie, en Europe occidentale, fut longtemps limité aux peuples co- lonisés, il est vrai aussi que, depuis quelquetemps, en France comme en Italie, la méthode ethnogra- phique est appliquée aussi bien à l'étude des com- munautés européennes qu'à celles des peuples africains ou océaniens. L'étude des "traditions populaires" ou "folklore" fait partie intégrante, en France, de l'ethnographie générale, considérée comme l'étude des sociétés sans machinisme. Pour les savants soviétiques, de manière plus restric- tive, "par le terme de folklore on ne sous-entend que la littérature orale", non seulement celle des peuples russe, ukrainien ou biélorusse, mais aussi celle des Australiens ou des Mélanésiens, alors que le terme ethnographie a une portéesociologique très générale, englobant m&me la civilisation in- dustrielle. Il n'est pas douteux, cependant, qu'il y a, en fait, accord des savants de tous les pays sur l'universalité de la méthode ethnographique. Il est certain aussi que, pour la plupart des cher- cheurs, l'objet de l'ethnographie peut &tre indiffé- remment une tribu africaine ou une communauté paysanne flamande ou bretonne.

dentale, des frontières de l'ethnographie et des autres sciences sociales. Ce débat académique nia qu'un intér&t secondaire pour l'objet que nous nous proposons. Si notre attention s'est portée plus spécialement sur l'usage, l'intérét et la con- ception du film "ethnographique", tous les aspects du problème peuvent &tre transposés aux autres sciences sociales. La description, par le film, d'un quartier ouvrier ne fait pas appel à d'autres impératifs cinématographiques ou scientifiques que celle d'un village chinois, français ou nigérien, que cette description soit qualifiée d'ethnographique ou de sociographique. Les savants occidentaux qui

Mais on discute, spécialement en Europe occi-

s'attachent à l'étude des phénomènes sociaux propres aux sociétés industrielles ou aux sociétés en voie d'industrialisation se considèrent assez fréquemment non comme des ethnographes mais comme des sociographes ou sociologues. Reflétant cet usage courant en France, le Catalogue des films ethnographiques français définit comme films sociologiques ceux dont le sujet est "l'étude des groupes humains dans les civilisations qui ne relèvent pas de l'ethnographie"/Z. Cette distinc- tion, qui est floue (et qui n'empêche pas que de tels films soient analysés sous le titre générique de "films ethnographiques français"), semble sans objet en URSS, où la sociologie est une branche de la philosophie marxiste-léniniste et où la description des phénomènes sociaux relève tou- jours de l'ethnographie considérée m m m e une science historique. Si l'ethnographie soviétique ne semble pas embrasser l'ensemble des sciences sociales, on peut dire, cependant, que c'est une science en expansion, recouvrant un secteur de plus en plus large de la vie sociale.

Une autre étude soviétique insiste, de son c8té, sur le fait que les processus d'acculturation des peuples de l'URSS dominent les préoccupations des ethnographesj3. Ce rapport souligne le fait que la nouvelle école ethnographique russe ne limite plus ses investigations à la vie paysanne, mais porte aussi son attention sur l'"étude de tous les groupes sociaux de la population". Ceci revient à dire que, pour les chercheurs soviétiques, l'ethnographie tend à se confondre avec les divers domaines de ce qu'on appelle en Occident la recherche sociolo- gique. Les "ethnographes" soviétiques étudient aussi bien la paysannerie kolkhozienne que les ouvriers des fermes d'Etat. Depuis 1950, "l'étude ethnographique de la culture et du mode de vie des ouvriers s'est déployée en URSS d'une façon plus planifiée et systématiquett/4. De telles études sont plus souvent qualifiées de "sociographiques" en Europe occidentale, où elles relèvent de la-socio- logie rurale/ dant, en Europe et en Amérique, au niveau de

ou de la sociologie urbainele. Cepen-

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2. 3.

4. 5.

6.

S. P. Tolstov. Les principaux problèmes théo- riques de l'ethnographie soviétique moderne, Communications de la délégation soviétique au VIe Congrès international des sciences anthro- pologiques et ethnologiques, édité à Moscou, 1960. Catalogue cité, p. 60. V. Kroupianskaia, L. Potapov, L. Terentieva, Problèmes essentiels de l'étude ethnographique des peuples de l'URSS. Communications de la délégation soviétique au VIe Congrès internatio- nal des sciences anthropologiques et ethnolo- giques, édité à Moscou, 1960. Etude citée, p. 4. Henri Mendras, Sociologie du milieu rural, chap. IV. Traité de sociologie publié sous la direction de Georges Gurvitch T. 1, Paris, 1958. Par exemple, les études de M. Chombart de Lauwe.

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l'enquête comme au niveau de la spéculation théo- rique, les distinctions académiques entre l'ethno- graphie et la sociographie, d'une part, l'ethnologie et la sociologie, d'autre part, sont de moins en moins rigides. Aux Etats-Unis, les études d'an- thropologie sociale ou culturelle s'appliquent aussi bien aux sociétés exotiques qu'aux villes et villages américains. On peut dire que partout les sciences sociales cherchent leur unité, brisant les anciennes frontières universitaires établies jadis sur des bases empiriques liées à l'existence, sur une grande partie du globe, d'une "situation coloniale".

Sur le plan de l'enquête, ce qui demeure spéci- fique de l'approche ethnographique, c'est sans doute la communion de l'enquêteur avec la culture qu'il observe, la relationhumaine étroite qui s'éta- blit entre lui et les hommes dont il partage l'exis- tence. Cette relation "face à face'' (face to face) comme disent les Anglais, implique un contact direct et continu avec les informateurs, des inter- rogatoires doublés d'observations directes. Une enquête sociographique typique, en milieu urbain par exemple, fait appel à un plus grand appareil statistique ; les groupes humains que réunit la civi- lisation industrielle sont beaucoup plus étendus, plus denses, plus complexes que les communautés rurales auxquelles, le plus souvent, l'ethnographe classique a affaire. D'où l'importance des ques- tionnaires systématiques traités statistiquement

en ''socioiogie", aiors que ie questionnaire utilisé en "ethnographie" n'est jamais un instrument rigide mais plutdt un aide-mémoire. C'est pourquoi aussi les études du premier type souffrent souvent d'une perte de contact avec l'homme ; le langage utilisé par la "sociologie" est volontiers abstrait, voire énigmatique, parfois m e m e incompréhensible, alors que l'ethnographe marque une vive préférence pour les expériences concrètes, toujours uniques. Ce type d'approche explique sans doute pourquoi ce sont les recherches ethnographiques tradition- nelles - disons exotiques - qui ont fourni, au cours de ces dernières années, le plus grand nombre de do- cuments filmés sur la condition sociale de l'homme.

Mais curieusement, cette approche humaine selon la perspective ethnographique a été, de tout temps, celle du cinéma documentaire, avant m@me que les sociologues ne se soucient de l'utilisation de la caméra et de l'existence du film. Ce contact immédiat avec l'homme que la caméra rétablit est appelé, de toute évidence, à devenir l'un des 616- ments importants de la communication sociologique. A cet égard, le film apparaît d'ores et déjà comme un contrepoids salutaire à l'expansion désordon- née, et parfois démentielle, du jargon sociologique actuel. Un sourire, la crispation d'un visage, res- tituent à l'écran la présence sensible de l'homme enseveli sous les arides traités que nous sommes tous coupables d'écrire.

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CHAPITRE III

LES VOIES DU FILM SOCIOLOGIQUE (1)

LES ARCHIVES CINEMATOGRAPHIQUES DE NOTRE TE M P S

La tradition de Dziga Vertov

Ce n'est pas un ethnologue, mais un cinéaste sovié- tique, Dziga Vertov, qui le premier formula la théorie extrémiste du film sociologique, celle qui entend bannir du cinéma "tout ce qui n'a pas été saisi sur le vif", selon le mot de Georges Sadoul/! Opérateur d'actualités, Vertov, qui dirigeait, après la Révolution d'octobre, le journal filmé Kino Pravda (Cinéma-Vérité), tente de donner au repor- -ge ses lettres de noblesse. Il est intéressant de noter que cette théorie rejoint celle que défendent, de nos jours, un certain nombre d'ethnographes pour qui la non-participation du cinéaste, son effa- cement absolu, constituent les exigences fondamen- tales de l'authenticité sociologique. Jamais peut- étre les impératifs illusoires de la doctrine radicale du réalisme cinématographique ne furent systéma- tisés aussi fermement que par l'école de Vertov : la caméra est un oeil, il faut refuser tous les élé- ments de la mise en scène (éclairage, maquillage, studios, etc. ), l'intervention créatrice du cinéaste ne doit intervenir qu'au niveau du mon- tage. Sadoul note avec beaucoup de finesse les échecs de cette dthode : "Vertov et son opérateur Kaufmann purent enregistrer sans trop de peine les sujets habituels des actualités : cérémonies, orateurs, meetings, manifestations, sports, etc ou des sujets particuliers, tels que des enfants trop absorbés par un spectacle pour remarquer l'opérateur? Mais, quand ils voulurent étudier les sentiments, ou m e m e le travail, la caméra se révéla incapable de remplir son r81e d'oeil. Il fallut s'embusquer dans un buisson et utiliser les télé- objectifs des films de fauves pour saisir, exemple, une famille en pleurs sur une tombe. L'application de cette technique était obligatoire- ment restreinte. La réalisation du vrai Cinéma- Oeil est subordonnée à l'invention d'une caméra aussi sensible, mobile et peu encombrante qu'un oeil humain. Création encore hypothétique, vingt- cinq ans après les manifestes des Kinoks'1/2.

Il faut revoir la dernière partie de ce jugement. La caméra 16 m m . et l'équipement encore portatif, utilisé notamment par les reporters de la télévi- sion, a permis de vaincre, en partie au moins, les obstacles techniques du Ciné-Oeil. Le nouveau Ci- néma-Vérité, dont Rouch et Morin auront été les initiateurs, s'est débarrassé, en adoptant ce maté- riel ultra-léger, d'un certain nombre de servitudes

acteurs,

par

traditionnelles. L a caméra de 16 m m , si elle n'est pas précisément invisible, est très discrète. Dès lors, Morin a raison de souligner que ''le grand mérite de Jean Rouch est d'avoir défini un nouveau type de cinéaste, le cinéaste-scaphandre qui plonge dans un milieu réel"/3. Encore faut-il préciser que ce renouvellement du Cinéma-Vérité, cette plongée de la caméra dans les eaux profondes de la vie sociale, ne résulte nullement de l'applica- tion des théories de Vertov, mais d'une nouvelle approche, que nous tenterons de définir plus loin. Si la méthode est toujours celle du reportage, la caméra de Rouch tente de définir des personnages, participe à une action continue et ne cherche nul- lement à se dissimuler : elle cherche seulement à ne pas gêner. Or, précisément, le plus grand han- dicap du reportage traditionnel, c'est la superficia- lité de l'analyse, la vision fragmentée qu'il impose.

Jean Vigo

L'un des plus grands poètes du cinéma français, Jean Vigo, se réclame d'une théorie semblable à celle du Ciné-Oeil lorsque, présentant son premier film, A propos de Nice (1929), au théâtre du Vieux- Colombier, à Paris, il recommande, comme Ver- tov, de surprendre tous les personnages sur le vif, faute de quoi il conviendrait de renoncer à la "valeur document" d'un tel cinéma. Mais Vigo avait réalisé en fait, avec A propos de Nice, un pamphlet satirique et son film était, selon ses propres termes, l'un point de vue do~umenté"/~. Cette part de sub- jectivité distingue précisément ce que Vigo appelle "le documentaire social" du "documentaire tout court et des actualités de la semaine''. On aperçoit combien cette position est nuancée : elle prétend, au départ, capter des situations authentiques, selon une méthode stricte qui s'apparente à celle qui est préconisée par Dziga Vertov ; c'est pourquoi l'le jeu conscient ne peut être toléré (et) le personnage aura été surpris par l'appareil''. Mais, d'autre part, Vigo entend dire quelque chose à propos de cette réalité. Il veut s'engager, protester contre

1. Georges Sadoul, Histoire d'un art. Le cinéma des origines ànos jours, Paris 1949, p. 172 et sq.

2. Kinoks : fans de cinéma (nom donné à l'école de Vertov).

5. Morin. Pour un nouveau Cinéma-Vérité. France- Observateur, no 506, 14 janvier 1960.

4. Cité par Henri Agel, Esthétique du cinéma,^. 47. Voir texte intégral in Positif, mai 1953, no 7, numéro spécial consacré à Vigo.

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llincroyable spectacle d'un carnaval, où la bétise, l'érotisme, l'argent et la mort composent un ballet fantastique. Il veut faire, comme il le dit lui- méme, "le procès d'un certain monde". Sans doute, le ''point de vue'' de ce reportage n'est-il pas tout à fait le point de vue des organisateurs du carna- val, ni encore moins celui de ses participants. Mais la démarche sociologique n'est-elle pas une prise de conscience, une découverte de ce qui se cache derrière les apparences, derrière les masques et les r61eç sociaux ? Il faut bien recon- naftre que les nombreuses sociologies qui s'af- frontent aujourd'hui dans le monde uniwrsitaire constituent autant de "points de Vue" plus ou moins bien documentés, autant de façons différentes de saisir le réel.

Les actualités cinématographiques

L'expérience des actualités cinématographiques inspire, on l'a vu, la théorie du Cinéma-Vérité. Cette saisie directe du réel, sans participation ni mise en scène, est aussi le principe du film de reportage, qui n'est souvent qu'une actualité déve- loppée. Sommes -nous ici réellement en présence de documents sociologiques privilégiés ? Quelle est la valeur historique de cette informationvisuelle qui s'inscrit, selon le mot de M. Clausse, "dans cette encyclopédie de l'expérience humaine, dans cette vaste mémoire extérieure à l'humanité que l'écriture avait permis jadis de constituer et cons- titue encore chaque jour pour l'enrichissement de l'homme". /'

Les actualités nous présentent le plus souvent une vision très imparfaite d'une époque, dans la mesure où leur thème de prédilection semble étre, partout dans le monde, les phénomènes sociaux hautement conventionnels de la vie cérémonielle (défilés militaires, commémorations, etc. ). Il s'agit moins d'événements historiques que de rites quasi - r eli gieux, semblables à eux - m é m e s pendant une très longue période dans une civilisation don- née. Quant aux événements véritables auxquels l'actualité s'intéresse, ils sont de deux ordres : les grandes futilités mondaines, d'une part, les grandes catastrophes, d'autre part. Parfois, mais rarement, elle saisit sur le vif l'événement "his- torique" extraordinaire au moment m é m e où il se déroule : un assassinat politique, par exemple. D'une manière générale, les événements sociolo- giques de première grandeur lui échappent, et personnellement, je pense que l'intérét historique des actualités réside moins dans le fait brut qu'elles évoquent que dans les éléments secondaires de la vie sociale qu'elles enregistrent ingénument : par exemple, la mode, le style des gestes, le rapport de la foule et du pouvoir, etc. Les rythmes lents de la vie sociale, la vie quotidienne leur échappent, de m ê m e qu'elles ne saisissent que l'aspect super- ficiel et cérémoniel de la vie politique, la comédie officielle, ce qui est fait pour être vu, jeté en pâ- ture au regard. Cependant, cet univers de masques et de mascarades révèle d'une certaine façon (que

les historiens de l'avenir auront à apprécier), le style d'une époque, d'une civilisation, l'air du temps.

On observera aussi que la brièveté m é m e des diverses séquences qui composent un journal d'ac- tualités, exclut toute relation circonstanciée. Si l'information est, comme l'estime M. Clausse, "la relation pure et simple des faits saisis dans leur environnement, compte tenu, si possible, de leurs antécédents, de leurs développements et de leurs conséquences. . .

du journalisme. L'information visuelle n'est-elle pas plut8t porteuse de valeurs ? N'appelle-t-elle pas la communion ou la réprobation, le rire (par- fois) ou l'enthousiasme, l'identification ou le refus ? La communication par l'image n'est jamais pure- ment intellectuelle. M. Clausse ne le conteste pas et admet qu'"à l'écran la notion classique d'objec- tivité a perdu son sens" ; mais il estime que le cinéma n'en demeure pas moins un moyen d'infor- mation, au sens rigoureux du terme, dans la me- sure où la parole, le commentaire maintiennent l'image dans le domaine de la rationalité. Cette hypothèse appelle quelques réserves. Il est inté- ressant d'évoquer ici l'expérience curieuse à la- quelle s'est livré le cinéaste français Kris Marker, dans un reportage intitulé Lettres de Sibérie. Cette expérience, qui met en valeur les altérations pro- fondes que divers commentaires apportent à la perception de la m é m e image, mérite de devenir classique, au m é m e titre que la célèbre expérience visuelle de Koulechov (voir p. 14 ). Reprenant trois fois la m é m e image banale (dépourvue en soi de signification sociologique), dans laquelle on voit un ouvrier traverser une rue, l'auteur montre, à titre d'amusement, le r81e décisif du commentaire en donnant à ces images rigoureusement identiques une charge affective différente. La première fois, le commentaire est parfaitement neutre, n'éveille aucun intérét ; la seconde fois, le com- mentateur adopte le ton agressif de la propagande anti-communiste ; la troisième fois, au contraire, le ton adopté s'inspire de la philosophie commu- niste. Et l'on constate alors que ce "document au- thentique", pris sur le vif dans une petite ville de Sibérie, est perçu par l'oeil chaque fois différem- ment. Tant il est vrai que le film sonore constitue une structure audio-visuelle dont tous les éléments sont indis solublement liés.

Dès lors, l'on voit que le film de reportage aussi bien que l'actualité cinématographique doivent être analysés du point de vue sociologique avec d'infinies précautions ; ces documents précieux doivent etre soumis par le sociologue à une critique historique. Certes, théoriquement, l'actualité se définit par un "commentaire descriptif et non interprétatif ou

1. Roger Clausse, L'actualité cinématographique dans l'effort d'information, in Le Cinéma, fait social, Institut de sociologie, Solvay, Bruxelles, 1960, p. 138.

il est douteux que le I I . Journal" d'actualités relève, à proprement parler,

2. Roger Clausse, idem, p. 137.

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didactique"/l. Mais il faut bien reconnai'tre qu'il ne s'agit là que d'un idéal d'objectivité très rare- ment atteint.

L'historien qui examinera, dans un siècle, ces archives filmées de notre temps devra prendre garde que ces documents "authentiques" sont, gé- néralement, des témoignages partiaux - des témoignages, cependant, qu'il faudra situer un jour, avec le recul du temps, dans ce milieu so- ciologique m&me dont ils reflètent certaines va- leurs ou certains traits culturels.

Montages d'actualités et magazines filmés

Un type de films intéresse tout particulièrement notre sujet, car ils se présentent comme des monographies historiques composées de documents "authentiques" : ce sont les films constitués par un montage d'actualités anciennes dont la réunion et la confrontation n'avaient pas été prévues initia- lement. C'est en URSS, semble-t-il, que les pre- miers montages d'actualités firent leur apparition. Sous l'influence de Vertov, Esther Choub réalisa ainsi, à partir d'archives filmées, La Russie de Nicolas II et de Tolstoï (1928), La chute des Romanov (1927), etc. A une époque plus récente, en France, Nicole Védrès a utilisé le m&me pro- cédé pour restituer ironiquement l'atmosphère de Paris 1900 (1946-47). En Angleterre, Paul Rotha s'est servi abondamment d'archives filmées pour évoquer le paradoxe mondial de la faim dans un monde qui regorge de ressources gaspillées : World of Plenty (Un monde d'abondance, 1943), et The World is rich (Le monde est riche, 1946) ; dans ce dernier film il expose plus particulière- ment les conséquences économiques de la guerre et les plans de redressement projetés. En Angle- terre encore, les archives cinématographiques servirent à une synthèse hi storique de la période 1919-1939, The peaceful Years (Les années paci- fiques), film produit en 1948 par Peter Baylis. En Belgique, pour son pur plaisir, Henri Storck ras- sembla dans un montage mordant des actualités de 1928 (pacte Briand- Kellogg). brillante, dans le meilleur style de Vigo : Histoire du soldat inconnu (réalisée en 1932, sonorisée en 1959).

Il faut citer aussi, dans la m ê m e catégorie, les longs reportages de guerre utilisant les documents authentiques filmés sur le front meme, notamment Desert Victory (La victoire du désert, 1943),photo- graphié par les caméramen combattants de 1'Army Film Unit (Grande-Bretagne). Ce film célèbre cons- titue, en quelque sorte, la réplique du reportage sur la bataille de la Somme (The battle of the Somme, 1916), qui fut présenté au public anglais au cours de la première guerre mondiale (réalisation de J. B. Mac Dowall et Geoffrey Malin). En URSS, le cinéaste Reismann a utilisé les bandes tournées au front par les opérateurs soviétiques et les opé- rateurs allemands dans un film fort remaraué :

Il en fit une satire

La prise de Berlin (1946). L'URSS a tenté aussi d'écrire, par le cinéma,

l'histoire d'un jour de guerre, la vie du pays tout entier, le 13 juin 1942 : ce jour-là, selon René Jeanne et Charles Ford, "1 50 opérateurs enregis- trèrent les scènes les plus capables de constituer, par leur assemblage, une vue cavalière de llim- mense pays en armes et de mettre en valeur l'ef- fort qu'il fournissait dans tous les domaines"/2. Ce film se rapproche d'un second type de mono- graphie historique, le magazine filmé, dont la formule fut lancée aux Etats-Unis,de 1934 à 1943, par le producteur Louis de Rochemont ; sous le titre général March of Time (La marche du temps), il fit réaliser une série de reportages qui compor- taient aussi bien des documents d'archives que des prises de vues inédites. E n Angleterre, cette formule fut reprise pendant quelques années après la seconde guerre mondiale (de 1946 à 1949) par la Revue mensuelle filmée intitulée This Modern Age (Temps modernes).

Le magazine cinématographique n'échappe pas tout à fait aux limitations du film d'actualités : un tel film ne fournit jamais que des informations sommaires par rapport au reportage écrit, L'un des meilleurs films de la série This Modern Age est consacré au Japon. Ce panorama contient des images excellentes sur la vie sociale traditionnelle (cérémonie du thé, etc. ) qui survit en marge d'une vie publique de style occidental. Cette introduction journalistique à la connaissance d'une grande na- tion apporte au spectateur des témoignages frag- mentaires qui éveillent la curiosité sociologique. Ces images décrivent moins le Japon contemporain qu'elles ne suggèrent excellemment des atmos- phères, afin de fournir à la mémoire un cadre de références concret pour une information plus nuancée.

La technique du reportage

Le reportage n'est souvent qu'une actualité ampli- fiée, développée. Il constitue un ensemble d'images "prises sur le vif", selon la technique des opéra- teurs d'actualités, sans intervention du cinéaste dans le déroulement des événements filmés. Trois grandes séries de thèmes caractérisent le repor- tage sociologique : les mouvements de foule, les gestes cérémoniels et les gestes du travail.

A. Cérémonial et mouvement de foule

Le vaste domaine du cérémonial est le champ d'application idéal du reportage cinématographique. Ici la caméra peut réellement décrire en profon- deur ; elle apparart comme un enregistreur mer- veilleusement fidèle des passions collectives ou des gestes rituels stéréotypés, qui se déroulent selon un canevas prévu, devant et pour la foule attentive ; si la caméra n'est pas ignorée des "acteurs" qui accomplissent la cérémonie, on

1. Roger Clausse, ouvrage cité, p. 137. 2. Histoire encyclopédique du cinéma, IV, Paris,

1958, p. 470.

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peut €!tre assuré au moins qu'elle n'influence pas leur comportement fixé de manière plus ou moins rigide par un code rituel, qui a presque toujours une valeur sacrée. Il s'agit, en fait, comme dans l'actualité, de sujets religieux ou para-religieux. Citons, notamment, les divers reportages du cou- ronnement de la reine d'Angleterre, et particuliè- rement England has a Queen (Elisabeth est reine), réalisé par la maison Pathé. E n Angleterre encore, Trooping the Colour note fidèlement le déroule- ment d'une extraordinaire parade militaire tradi- tionnelle, qui tient autant du ballet que de la prise d'armes. Il existe deux enregistrements cinéma- tographiques de cette cérémonie, portant tous deux le-même titre. Le premier, réalisé par Terry Bishop, montre le roi George VI recevant le salut en 1949 ; le second film montre la cérémonie à laquelle prit part la reine Elisabeth II, le 31 mai 1956. L a caméra a enregistré aussi la naissance des nouveaux Etats du X X e siècle, notamment les cérémonies d'indépendance du Ghana, Freedom for Ghana (La liberté pour le Ghana), produit en 1957 par le Ghana Film Unit. L'intérêt historique de ce dernier film est considérable : en marge du cérémonial officiel, inspiré par la tradition parle- mentaire britannique, la caméra note la vie sociale spontanée ; elle décrit, mieux que ne le font les mots, les cortèges bariolés, les bals populaires, l'émotion de M. Nkruhmah émergeant de la foule délirante. Dans la notation "sur le vif" des grands mouvements populaires souvent liés au cérémo- nial , la caméra est comme noyée dans la foule passionnée ; cette tension m ê m e des acteurs et la confusion générale facilitent l'enregistrement, tout se passant, en fait, c o m m e si la caméra était dissimulée.

Il faut citer dans une catégorie particulière les reportages qui s'attachent à décrire des rituels authentiquement religieux. Ici la ferveur, le re- cueillement ou l'excitation mystique des partici- pants permettent à la caméra de se glisser furti- vement au coeur du phénomène religieux, sans l'altérer. Deux films importants émergent. Ils ont été réalisés tous deux par des cinéastes fran- çais, l'un en France même, l'autre en Afrique. Lourdes et ses miracles, de Georges Rouquier (1954), constitue, dans sa seconde partie, un té- moignage direct sur le pélerinage et les immer- sions rituelles qui se déroulent dans ce haut-lieu de la chrétienté contemporaine. On saisit ici, de- vant l'homme dénudé, lepouvoir étonnant de l'image : ce rapport quasi scientifique, présenté avec une honnêteté absolue, sans esprit partisan, bien que le film ait été supervisé - il est important de le noter - par un conseiller religieux, suscite une espèce de pitié sauvage devant cette incroyable concentration de souffrances. A la vision de ce film assurément objectif, il se passe un phénomène singulier : la gorge se serre et l'émotion colore fortement la perception des images, toujours bou- leversantes, parfois horribles. Il faut situer sur le m e m e plan un admirable reportage rigoureuse- ment scientifique tourné par l'ethnographe-cinéaste

Jean Rouch, au cours d'une mission au Ghana, en 1954 : Mai'tres fous. Dans la banlieue d'Accra des hommes et des femmes se réunissent de temps en temps pour se livrer au jeu tragico-burlesque d'un nouveau culte de possession (voir p. 50). Il y a entre ce film et le précédent plus d'un point com- mun. L'un illustre la conception occidentale, l'autre la conception africaine, des thérapeutiques psycho- sociologiques. Leur confrontation comporte plus d'un enseignement ; c'est ainsi qu'elle atténue sen- siblement ce que le culte africain peut avoir de brutal, en dévoilant un aspect tragique, presque insoutenable, du culte européen. La comparaison plonge le spectateur au coeur m ê m e du sacré, tout en mettant en valeur les différences fondamentales existant entre deux styles religieux. Le déchafhe- ment dionysiaque africain s'oppose radicalement au recueillement, à l'intériorisation et au maso- chisme chrétiens. Aucune description écrite ne saurait rendre sensibles à ce point ces oppositions structurelles fondamentales.

(National Film Board of Canada), nous retiendrons encore un reportage de Terence Mac Cartney - Filgate, sur le pélerinage à l'Oratoire St Joseph, l'un des hauts-lieux de la chrétienté en Amérique du nord. La caméra, mêlée à la foule, souvent invisible et indiscrète, note les mouvements de foi populaires (Les Pélerins, 1958).

Sans doute la liste des reportages relatifs aux gestes religieux est-elle déjà importante et nous n'avons pas l'ambition d'en dresser l'inventaire. Les films dits ethnographiques abondent en séquences liturgiques qui, bien ou mal filmées, constituent des documents sociologiques importants. La science des religions aurait beaucoup à gagner à rassembler, dans une cinémathèque spécialisée, tous ces documents disparates, dont l'étude com- parée serait assurément du plus haut intérêt, car rien n'est aussi difficile à interpréter à la lecture que la description d'un rituel. Bien des représen- tations mentales incorrectes, nées de la lecture, pourraient ainsi être corrigées par la vision ciné- matographique. Nous tenterons d'illustrer ce pro- pos dans le chapitre consacré à l'utilisation du cinéma dans l'enseignement des sciences sociales, par l'exemple m ê m e des cultes de possession.

Dans la production de l'Office canadien du film

B. Les gestes du travail : de la naissance du documentaire social en Angleterre aux films syndicaux

Le second domaine auquel s'applique le plus aisé- ment la technique du reportage sociologique (ex- cluant, en principe, l'intervention du cinéaste) est constitué par le monde du travail, par l'univers des gestes techniques et professionnels. C'est par- ticulièrement l'école documentaire britannique qui, SOUS l'impulsion du cinéaste-théoricien John Crierson, s'illustra dans cette voie à partir de 1930. Mais la volonté d'élaboration esthétique du film est ici généralement beaucoup plus importante que dans l'enregistrement du cérémonial, où, de

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toute évidence, les prises de vues doivent se con- former à un scénario préexistant, qui n'est autre que la trame m ê m e du rite. Dans le cas qui nous occupe, nous nous écartons considérablement du reportage pur et simple ; le cinéaste inscrit, dans une construction filmique toute personnelle, les images qu'il emprunte à la réalité sociale. Très souvent aussi le cinéaste demande et obtient, pour ces prises de vues, la collaboration effective des travailleurs, qu'il cesse, àvrai dire, de surprendre sur le vif. Ce genre, dès lors, se situe à la limite de deux méthodes d'approche : le reportage et la caméra participante. Il faut noter aussi que les films consacrés au travail dans les usines et les ateliers présentent de grandes difficultés tech- niques ; les problèmes d'éclairage, souvent com- plexes, se posent en particulier. L'ouvrier se mue alors en acteur et obéit à une certaine mise en scène. Mais, quoi qu'il en soit, l'intervention du cinéaste se borne à circonscrire la réalité. Grierson opéra une espèce de révolution dans le cinéma en montrant en séance publique, en 1929, au temps du cinéma muet, Drifters, le premier film "documentaire" européen. L e prétexte de Drifters était la pêche au hareng. Ce sujet a perdu aujourd'hui sa frarcheur initiale ; mais il consti- tuait alors une audace et une grande nouveauté. Il apporta sur les écrans "une sorte d'exotisme so- cial'', selon le mot de Georges Sadoul/l.

Paul Rotha insiste sur l'importance de cet évé- nement cinématographique. Le Nanook de Flaherty (voir p. 38) et Drifters dotent le film sociologique de ses premières lettres de noblesse. Drifters, selon Rotha, "porta modestement à l'écran le tra- vail de la pêche au hareng dans la mer du Nord. Les gens étaient amenés à se rendre compte, pro- bablement pour la première fois, qu'un hareng sur leur assiette n'était pas une chose qui tombait du ciel, mais le résultat du labeur physique d'autres hommes et, éventuellement, du courage qu'ils avaient dQ déployer"/2.

talents se groupent, une école et un style documen- taires bien caractérisés naissent : le documentaire social entre dans l'histoire du cinéma comme genre particulier. Nous évoquerons son évolution en An- gleterre m ê m e (voir p. 41). Ce genre, né de l'ob- servation pure et simple des gestes du travail et du désir de les magnifier, fournit à l'histoire du cinéma quelques oeuvres importantes. Mais cette veine fut assez rapidement tarie. Le monde du tra- vail industriel servit, en fait, de prétexte à des jeux formels dont toute connaissance véritable de l'homme était exclue. En France et en Belgique, Georges Rouquier et Henri Storck renouvelèrent, peu après 1940, l'approche du "documentaire social''. Ils se tournèrent tous deux, à peu près à la même époque, vers le monde paysan, avec le désir de pénétrer, au-delà des gestes du travail, dans l'intimité des êtres. En outre, Rouquier devait décrire avec clarté et probité le travail artisanal dans deux monographies technologiques exemplaires : L e tonnelier (1942) et Le charron (1943). Ces

Autour de Grierson producteur, une pléiade de

oeuvres très élaborées ne contiennent plus que des fragments de reportage ; elles font appel délibéré- ment et souverainement à la collaboration du tra- vailleur que la caméra transforme en acteur de sa propre vie quotidienne. Aussi bien faut-il noter que les gestes du travail se prêtent fort aisément à la participation consciente de l'"acteur" au récit cinématographique. Ces films se situent donc à la frontière du reportage et relèvent, le plus souvent, d'une conception infiniment plus riche du film so- ciologique, que nous définirons au cours du pro- chain chapitre, en évoquant les ouvertures nou- velles que propose la caméra participante.

Aujourd'hui, 1 ' exploration cinématographique des gestes du travail industriel a perdu son charme esthétique initial. Le domaine du "film du travail" s'est élargi considérablement depuis quelques an- nées ; les cinéastes s'intéressent moins à la poé- tique du travail qu'aux problèmes sociaux qu'il pose. On se fera une idée de cette extension en consultant le catalogue édité par l'Institut interna- tional des films du travailj3. Ces films, qui ne relèvent plus en rien de la catégorie du reportage et s'apparentent parfois au film de fiction, s'adressent à des professionnels spécialisés. Nous les évoquons ici pour la clarté de l'exposé. On trouve un très grand nombre de réalisations dont le but est de faire connai'tre les divers aspects de l'activité syndicale ou du mouvement coopératif. "L,e film est une arme dans le combat pour le pain, la paix et la liberté" (introduction du catalogue, p. VII). Ces films sont généralement produits par les organisations syndicales. Nous citerons, à titre d'exemple Sie bewegt die Welt (Labour ___ maintains the World), produit par la Wiener Arbei- terkammer, Autriche, 1954 (hi stoire des conquêtes du mouvement ouvrier du Autriche) ; Strike in town (La ville en grève), Canada, 1955 (Unconflit du travail dans l'industrie du bois) ; Local 100, Canada, 1950, produit par l'Office national du film, avecla collaboration du Canadian Trade Union Movement (la forrnation d'une filiale syndicale) 14.; Du kannst nicht abseits stehen (Tu ne peux rester à l'écart), République fédérale d'Allemagne, 1952, produit par le Deutscher Gewerkschaftsbund (Deux jeunes artistes découvrent la signification de l'activité syndicale) ; Rameradschaft (Fraternité), République fédérale d'Allemagne (La vie, le travail de la mine et l'action syndicale dans la Ruhr), produit pour 1'1-G Bergbau (Syndicat des mineurs) ; Ein ganz gewohnlicher Tag (Un jour comme les autres), République fédérale d'Allemagne, 1 YS4 (Le mouve - ment coopératif en Allemagne), produit pour le GEG (Association des coopératives allemandes) ;

' Georges Sadoul, ouvrage cité, p. 286. - Cité par Roger Manvell, Film, p. 98, repro- duit par Agel, Esthétique du cinéma, p. 45 International Labour Film, A world survey of films for Labour Audiences, International Labour Film Institute, Bruxelles, 1956. Nous évoquerons plus loin d'autres films cana- diens traitant des mêmes problèmes (voir p. 59).

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Gryr 1 Norden (L'aube dans le nord), Norvège, pro- duit par 1'Arbeiderne.s Faglige Landsorganisasjon (Union des syndicats norvégiens) (ce film relate, dans un style semi-documentaire, l'une des grèves les plus fameuses de l'histoire sociale norvégienne, celle qui éclata en 1889 dans une usine d'allumettes) ; Vi Var Nagra Man (Nous n'étions qu'une poignée d'hommes), produit pour le Svenska Metallindus- triarefiirbundet (Syndicat de la métallurgie), Suède, 1954(Le syndicat sur le plan régional et national). Depuis 1921, les coopératives suédoises ont pro- duit 250 films par le truchement de Nordisk Tone- film. Le film belge Passion des hommes, de Jean Brismée, (19591, produit par l'Institut Emile Vandervelde, est un document historique sur la classe ouvrière belge. Citons aussi un film fran- çais humoristique sur la sécurité sociale, Unpetit coin de parapluie, et Visages de la coopération ouvrière, qui évoque l'histoire du mouvement coo- pératif en France. Aux Etats-Unis, les films syn- dicaux sont particulièrement nombreux (voir cata- logue pp. 83-84) ;l'un des plus remarquables est sans doute With these Hands (Avec ces mains-là), produit en 1950 par l'International Ladies' Garment Worker Union (Histoire du syndicat des vêtements de dame, vue à travers les yeux d'un vieux mili- tant, méditant sur la grande lutte syndicale de 1909). American at Work (Musicians), produit par 1'American Federation of Labor et le Congress of Industrial Organizations, dépeint un syndicat de musiciens aux Etats-Unis.

U n certain nombre de films traitent des pro- blèmes humains du travail, telle la belle série canadienne intitulée "Etude en six chapitres de l'homme et du travail dans l'entreprise moderne" (voir p. 59 ), ou le film danois Man burde Tage sig af det (Il faut faire quelque chose, 1952), quiévoque les conflits surgissant fréquemment entre les ou- vriers et les contremaftres. Dans les films dits "du travail", il faut englober aussi les films d'édu- cation destinés à améliorer la productivité ou à réduire les accidents professionnels ; mais ces thèmes se situent en marge de notre sujet. Les confrontations de films consacrés au travail se multiplient depuis quelques années. Le premier festival international des films du travail eut lieu à Hambourg en 1954, le second à Vienne en 1957, le troisième à Oslo en 1960/1. En Belgique se dé- roulent périodiquement les Journées internationales du film au service de l'industrie et du travail. D'autre part, le Conseil des fédérations industrielles d'Europe a organisé à Rouen, en 1960, un premier festival international du film industriel.

C. Usages spéciaux de la caméra dissimulée

Dès que nous quittons le domaine que définissent le cérémonial et les passions collectives de la foule, d'une part, les gestes du travail, d'autre part, les possibilités de saisie directe des phéno- mènes sociaux par la caméra s'amenuisent consi- dérablement. Lorsque la cérémonie ou le travail, c'est-à-dire un ensemble de gestes stéréotypés,

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cessent d'être le sujet du reportage, celui-ci tourne court, erre à la poursuite d'un objet qui se dérobe sans cesse : bribes de vie, notations furtives, im- pressionnistes, à fleur de peau ; l'homme, dans cet univers décousu, n'est plus qu'un passant qui fuit et il faut, pour apprendre à le connaître, amor- cer un dialogue, s'engager résolument dans la voie de la caméra participante. Il y a lieu d'examiner cependant attentivement un cas privilégié de l'ob- servation cinématographique au moyen de la caméra non participante : l'utilisation de la caméra cachée, la caméra voleuse.

mement grave, que le jury du Premier Festival international du film ethnographique et sociolo- gique a tenu à souligner, en accordant une mention spéciale à un film tchèque appartenant à cette caté- gorie, Co si no O n% mysif (Ainsi les enfants nous voient), de Dimitrij Plichta (1959). La caméra ob- serve les réactions d'un groupe d'enfants (qui ignorent qu'on les filme), au cours d'une espèce de psychodrame dirigé par une monitrice. Ce test filmé tente de découvrir la façon dont les enfants soumis à l'expérience se représentent le monde des adultes. (Les prises de vues eurent lieu dans un studio spécialement aménagé à cet effet). La déontologie de ce type de films doit être rigoureu- sement définie. La caméra dissimulée viole, en effet, de manière délibérée la personnalité morale de ceux qu'elle surprend et guette. Ce procédé a cependant été souvent appliqué sans dommage à l'observation des groupes d'enfants. Citons, par exemple, les films anglais Learning by experience (L'enseignement par l'expérience, 1947) et Growing up with other Peoples (Grandir avec les autres), de Margaret Thompson. Dans la production scienti- fique des Etats-Unis, citons : Activity Croup The- = (Thérapeutique de groupe), produit en 1950 pour le Jewish Board of Guardians, sous la super- vision de S. R. Slavson. Ce film est le résultat de deux ans d'observations patientes au moyen de ca- méras et de micros dissimulés ; il montre le com- portement spontané d'un groupe de jeunes garçons mal adaptés, souffrant de troubles émotifs, au cours de séances de thérapeutique collective. Le spectateur peut suivre ainsi, pendant une période de deux ans, l'évolution caractérielle des garçons et du groupe qu'ils constituent. Suivant l'accord passé entre les auteurs et les parents des enfants filmés, le film ne peut être projeté que devant des spécialistes. Dans le domaine voisin de la psychia-

Cette technique pose un problème moral extrê-

trie, mentionnons aussi Out of Darkness (Hors de l'ombre) ; ce film, produit en 1953 par CBS Public Affairs, montre la guérison lente d'une femme at- teinte de troubles mentaux et soignée au California's Metropolitan Hospital (réalisation : Jack Glenn).

parfois, aux Etats-Unis, à l'observation du Le procédé de la caméra invisible a été appliqué

1. Voir rapport du Troisième Festival internatio- nal du fiim du travail, 22-27 mai 1960, Stock- holm, Institut international des films du travail, 26, rue de Lombaxd, Bruxelles.

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comportement des clients d'une grande entreprise commerciale, afin d'étudier sur le vif le problème des relations humaines. Les films ainsi réalisés ne visent pas de but scientifique, mais ils apportent au sociologue des documents intéressants. C'est ainsi que la société Chase Manhattan fit enregis- trer, au moyen d'une caméra cachée, les relations

sociales au sein d'une grande banque (For greaier usefulness), (Pour le plus grand avantage de tous). Untel procédé appelle déjà certaines réserves. Il est difficile de décider à quel moment la caméra se situe sur la voie de l'espionnage, et l'on ne voit que trop bien comment ce moyen d'investigation pourrait ser- vir à des fins policières peu recommandables.

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CHAPITRE IV

LES VOIES DU FILM SOCIOLOGIQUE (II)

LA TRADITION DE FLAHERTY OU LA CAMERA PARTICIPANTE

Il s'est avéré depuis une trentaine d'années qu'une méthode bien plus féconde que celle de Dziga Vertov pour appréhender la réalité sociale consiste à ob- tenir la collaboration effective des hommes dont le cinéaste veut exprimer les passions, les travaux et les soucis. Dans cette perspective, qui renonce aux faux prestiges de la caméra objective et du reportage "saisi sur le vif", les hommes deviennent les acteurs de leur propre condition authentique. Il ne s'agit plus, cette fois, de capter dans sa pure spontanéité idéale la réalité ''brute'', mais de re- chercher la participation active de l'ouvrier, du paysan, à la construction du film. Le film, dès lors, s'élabore plus à la prise de vues et au décou- page qu'au montage. Le film, dans cette perspec- tive, est à la fois description et essai de commu- nication ; il recherche ia communion, le dialogue avec la caméra. Le film ainsi conçu est plus que jamais un langage, non le pur reflet de la réalité. Or, aucun langage (qu'il soit fait d'images ou de paroles) ne garantit a priori, en soi, la vérité. Le discours filmique est constitué par une série de propositions affirmatives, dont le pouvoir de con- viction est plus ou moins grand selon l'art du ci- néaste. L'authenticité d'un tel film dit "documen- taire" dépend, au fond, entièrement de la bonne foi du réalisateur qui affirme, à travers son oeuvre : voici ce que j'ai vu. Or, il n'a pas vu exactement ceci et cela qu'il montre. Il n'a pas toujours vu ces choses de la façon dont il les montre, puisque cette façon est un langage qu'il invente avec la collaboration d'acteurs dont les rbles sont authentiques. Le documentaire est une oeuvre d'art empreinte de rationalité, de vérité. Dès que l'on évoque cette idée, les bonnes rela- tions commencent malheureusement à se gâter entre les sociologues et les cinéastes. C'est que les sociologues hésitent à voir autre chose dans le cinéma qu'un instrument de recherche. Or, nous l'avons vu plus haut, c'est, le plus souvent, un oeil aveugle ou, en tout cas, un instrument peu adapté à la découverte automatique de la vérité humaine. C'est un peu comme si l'on braquait un télescope sur un problème de géométrie, dans l'espoir de voir surgir un théorème. Le film docu- mentaire, dès qu'il cesse de relever de la catégo- rie du reportage pur et simple dont nous avons tenté de circonscrire le domaine relativement limité, est plutbt comparable au discours élaboré que les sociologues-écrivains nous proposent, avec

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un talent variable, au terme de leurs recherches. Le film, comme l'essai littéraire, le livre, la monographie, apparalï, à ce niveau, comme une oeuvre de synthèse, une oeuvre expressive mettant en jeu toutes les ressources de l'observation. Mais le film est autre chose qu'un livre ; c'est une tenta- tive en vue d'opérer une généralisation à partir de quelques événements concrets, particuliers, dont l'imege impose avec force le sentiment de réalité. Les grands documentaires sociaux que l'histoire du cinéma a retenus résument le destin d'une so- ciété à travers quelques visages exemplaires ; ils n'agitent pas les concepts de structure, de fonc- tion, etc. , ni l'épouvantail des statistiques ; ils montrent quelques hommes se mouvant dans le petit espace qu'ils habitent réellement et, à tra- vers ces images démunies d'artifice, ils suggèrent tout un univers. Il y a dans ces grands documen- taires un accent de vérité, un ton qui ne ressemble en rien à celui des discours de propagande : ni morale, ni calomnie, mais la ferveur discrete avec laquelle s'exprirre un esprit indépendant, sou- cieux avant tout de témoigner de la condition hum aine.

De cet art dont il a inventé la néthode, Robert J. Flaherty demeure le maftre inégalé. Il a sim- plifié le langage en accordant plus d'importance à la réalité qu'aux vertus expressives du montage, tout en annexant la technique du film de fiction.

L'oeuvre de Flaherty et la méthode ethnographique

De 1920 à 1921, pendant quinze mois (la durée moyenne d'une enqu&te ethnographique), un trap- peur-prospecteur américain d'origine irlandaise, répondant au nom de Flaherty, tourne pour une maison de fourrures françaises, Revillon, un film publicitaire dans la baie d'Hudson. Le héros de ce film, Nanook, était un Esquimau comme tant d'autres, un homme au sourire inoubliable. Cet homme inconnu devint selon le mot de Sadoul, ''le héros d'une véritable épopée"/l ; il était aussi le premier acteur bénévole exprimant volont air ement, sans tricherie ni artifice, sa propre condition d'homme. Flaherty ne suit pas Nanook à la trace, en chasseur d'images ; il engage avec lui un dia- logue, il lui demande de collaborer étroitement au portrait sociologique qu'il entreprend, un portrait où l'Esquimau, sortant de l'anonymat, prend figure d'homme. Flaherty observe minutieusement Nanook et sa famille, après avoir été adopté par eux. Cette

1. Sadoul, ouvrage cité, p. 280.

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attitude résume toute la déontologie de la recherche ethnographique. Puis Flaherty bâtit un scénario, comme un ethnographe rédigerait une monographie ou un romancier inventerait un roman. Il obtient, pour le tournage du film, le concours effectif, la participation consciente de Nanook, de Nyla, sa femme, et de leurs enfants. Il invente, en opposi- tion radicale au cinéma-vérité de Vertov, une nou- velle méthode et un nouveau style documentaire qui ne se fondent que très partiellement sur les ressources limitées du reportage. Artiste intègre, Flaherty entendait avant tout apporter un témoi- gnage authentique. Aucun ethnographe n'a récusé ce chef-d'oeuvre de probité. Mais on ne se rend pas toujours clairement compte que Nanook est bâti comme un film de fiction. Nanook interprète le r8le de Nanook : il s'exprime lui-même, dans le cadre d'un récit préétabli qu'il présente artifi- ciellement, par fragments, c'est-à-dire par plans, selon les consignes d'un metteur en scène.

sociologique, dès qu'il tente un effort de pénétra- tion et cherche à établir une relation approfondie avec l'homme. Mais ce paradoxe caractérise, si l'on veut bien y réfléchir, toute enquête sociolo- gique. L'ethnographe ou le sociographe observe bien des choses silencieusement, voire à la déro- bée, mais en cela ne réside pas l'essentiel de son travail. Nul puriste de l'observation directe ne lui contestera le droit d'engager des conversations (sinon, pourquoi lui recommanderait -on vivement d'étudier la langue du peuple qu'il étudie ?). Le chercheur participe donc à la vie du groupe, s'ef- force même de s'y intégrer. C'est la méthode que M. Granai appelle l'"observation participante", fondée sur la communication de l'observateur et de ceux qu'il observe/l. Griaule, de son &té, insis- tait, dans son cours d'ethnographie, sur la néces- sité de parler, d'interroger, d'interviewer, pour compléter, éclairer, approfondir ou introduire l'observation directe/a. Or, ces deux méthodes fondamentales, l'une passive, l'autre active, trouvent leur équivalent dans le domaine de l'enre- gistrement cinématographique, fondant ainsi les deux approches du phénomène humain ; dans la première, la caméra se fait discrète, à peine vi- sible, peu gênante ; dans la seconde, elle participe à la vie sociale, provoque des réactions, dialogue, pose des questions auxquelles un informateur, trans- formé en acteur, répond. La caméra participante, dans le style défini par Flaherty, mérite d'être comparée à la technique du sociodrame, où l'obser- vateur devient réellement "metteur en scène". M. Granai, qui cite ce type d'enquête comme exem- plaire de l'observation participante, note que le sociologue participe aux situations collectives des enquêtés, s'efforce de créer, de susciter des si- tuations/3. Dans les techniques dramatiques utili- sées notamment par les disciples de Moreno, "le sujet ne raconte pas sa situation, il la joue et res- suscite, grâce aux auxiliaires qui l'assistent dans le jeu, les interrelations qui le lient à son entou- rage"/4. J'ai moi-même utilisé une technique

Tel est le paradoxe du film ethnographique et

ludique semblable en Afrique, au cours d'enquetes ethnographiques, comme moyen d'investigation des r8les familiaux, afin de mettre rapidement à jour l'ensemble des relations de parenté. Je proposais à mes "acteurs" bénévoles de tenir une série de rôles arbitraires : ils devaient se comporter tant8t en oncle maternel, tant8t en gendre, en frère aîné, etc. Je m e suis aperçu que cette technique d'inves- tigation, dont la mise en scène cinématographique m'avait donné l'idée, amusait beaucoup mes infor- mateurs. Ceci est une action en retour de la tech- nique cinématographique sur la technique de l'en- quête même. Sans doute ne faudrait-il pas forcer la comparaison, puisque les deux types d'enregis- trement cinématographique (le reportage et la "mise en scène" liée à ia caméra participante) ne sont pas exactement des moyens d'investigation, comme l'observation directe et l'enquête orale ou expérimentale. Ni dans un cas, ni dans l'autre, la caméra n'interroge vraiment : elle porte témoi- gnage sur une situation connue, déjà analysée par d'autres moyens. (Seule l'oeuvre récente de Jean Rouch fait exception à cette règle). Le cinéma est une façon de rapporter ce que l'on a vu, ce que l'on sait ; il n'est que très rarement - nous l'avons vu - un moment méme de cette connaissance. Le film est un témoignage synthétique. Bien des ethno- graphes, cependant, refusent de prendre en consi- dération comme "films ethnographiques'' les oeuvres très élaborées où les scènes seraient "reconstituées", comme l'on dit souvent. Cette appellation couvre tout ce qui ne ressortit pas au reportage pur et simple. Or, le problème de l'au- thenticité ne se pose pas en ces termes. D'ailleurs, les mêmes ethnographes ne savent pas toujours très exactelnent quels sont les films dont les scènes ont été "reconstituées" ou non. Marcel Griaule ad- mettait, quant à lui, que la "reconstitution" pouvait être tolérée du point de vue scientifique "dans des cas particuliers"/ 5. Nous pensons qu'il faut ren- verser radicalement cette proportion. Il faut ac- cepter résolument la part de reconstitution - disons plus exactement la part de jeu - qui définit la mé- thode utilisée par Flaherty (puisque le terme reconstitution ne s' applique qu'à des phénomènes historiques, qui ont cessé de se manifester). Para- doxalement, ce jeu permet seul d'apporter un té- moignage cinématographique approfondi. Au con- traire, les possibilités du reportage pur et simple (c'est-à-dire d'une technique qui interdit toute in- tervention, toute direction d'acteurs) sont relative- ment limitées : le cérémonial , les gestes du travail, les mouvements de foule, qui sont, en

1. Georges Granai, Techniques de l'enquête socio- logique, chap. VII, in Traité de sociologie, pu- blié sous la direction de G. Gurvitch, Paris, 1958, p. 142.

2. Marcel Griaule, Méthode de l'ethnographie, Paris, 1957.

3. Granai, p. 142. 4. Granai, ouvrage cité, p. 148. 5. Griaule, ouvrage cité, p.

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propre, son domaine, constituent les "cas particu- lie rs" de 1' enregistrement cinématographique. Faut-il préciser que Flaherty utilise la méthode - et non l'esprit - du film dit de fiction ? Le but du jeu est de montrer, dans une structure cohérente, en fragmentant les gestes pour mieux les soumettre à l'enregistrement cinématographique, les aspects les plus significatifs de la vie quotidienne - cette vie dont la fluidité et la richesse émotive con- trastent avec la rigidité et le conformisme des rites, ces masques de la vie sociale.

L'art de Flaherty consiste aussi à couler sa description ethnographique dans les grands rythmes naturels et vitaux : vérité et poésie sont les deux pbles de son oeuvre.

Il peut paraRre étrange que la vie sociale spon- tanée appelle une technique d'enregistrement ciné- matographique particulièrement lourde, alors que, précisément, les événements sociaux rigides (vie rituelle, cérémonielle) peuvent &tre notés au vol, sans les lourdes interventions de la mise en scène. Nous avons commenté précédemment la dialectique de ce paradoxe : c'est que le rituel constitue déjà une mise en scène rigide, un ensemble signifiant que la caméra démarque. Par contre, lorsqu'il s'applique à la vie sociale fluide, non cristallisée, le reportage ne saisit que des lambeaux incohé- rents, peu significatifs. Comment, dès lors, la lourde machinerie du cinéma n'étouffe-t-elle pas cette spontanéité m@me qu'elle est censée révéler ? C'est là un problème complexe, qui relève entiè- rement de la création artistique et qu'il est témé- raire de prétendre résoudre scientifiquement. Il s'agit bien, en effet, ici, d'un art : l'art de resti- tuer la vie par les vertus du dialogue humain qui s'engage entre le cinéaste et ses l'acteurs'' impro- visés. Il n'y a pas de recette "scientifique" qui permette à coup sQr d'engager ce dialogue, de dégeler 1' interlocuteur.

Dans notre propre civilisation, le cinéaste se heurte à cette géne particulière de l"'acteur", qu'évoquait Edgar Morin : "NOUS réagissons sou- vent, en effet, comme si la caméra extra-lucide pouvait nous arracher notre masque socialisé et découvrir, à nos yeux et ceux d'autrui, notre âme inavouée. La preuve n'en est-elle pas que, sit8t appelés devant un appareil de photos et de prises de vues, nous "posons", c'est-à-dire ajustons un masque, notre masque le plus hypocrite : le sou- rire ou la dignité"/l. A l'inverse, le m&me méca- nisme de défense peut engendrer l'exhibitionnisme, le cabotinage. Le cinéaste intervient ici comme un régulateur. Tout son effet psychologique tend à la suppression de cette tension artificielle, née de la présence m@me de la caméra. Parmi les diverses prises de la m é m e scène, il opère un choix, élimi- nant celles qu'altèrent les déviations du jeu. Mais il peut aussi s'assigner comme tâche de surprendre la première réaction à une question, à une sollici- tation. Cette voie neuve (inconnue des sciences exactes et naturelles), ouverte par Rouch et Morin, et dont le principe se trouve en germe dans l'inter- view, sera discutée ultérieurement (voir p. 50).

De toute façon, les moyens psychologiques àmettre en oeuvre ne diffèrent pas fondamentalement de ceux que requiert l'enquéte ethnographique tradi- tionnelle, basée sur la confiance réciproque.

Quelques films de Flahertp

1. Nanook of the North (Nanook l'esquimau) : il existe deux versions du film, l'une muette (38 min. ), l'autre légèrement plus longue, qui a été synchronisée postérieurement (1925).

Ce film est un portrait de famille : voici Nanook, le plus extraordinaire sourire de l'histoire du ciné- ma, sa femme, Nyla, leurs enfants, leurs chiens.. . Ce film est l'épopée d'un homme, d'une société qui s'acharnent à survivre, déployant dans la navi- gation, la p&che, la chasse au morse, au phoque, une intelligence merveilleuse. La capture du phoque est une scène extraordinaire. La chasse est la lutte contre l'invisible et l'épopée c8toie la farce. Seul un trou minuscule signale la présence de l'animal sous la banquise. Nanook y lance son harpon et tire à en perdre haleine sur la corde que déroule, dans sa fuite, l'animal blessé, toujours caché. Nanook dérape sur la glace, comme s'il allait &tre happé par le trou. Il se redresse, résiste, retombe, triomphe enfin avec l'aide des siens, accourus à la rescousse. Nanook est aussi constructeur. La vie est une longue errance et, à chaque halte provi- soire, il construit l'igloo, la maison de neige, l'abri d'une nuit. Les descriptions techniques, les scènes âpres de la lutte pour l'existence, sont en- trecoupées de notations tendres ou familières : Nanook apprend à son jeune fils à lancer une flé- chette sur un animal de neige, la famille mange, se déshabille et se glisse sous les peaux, Nyla lave son bébé en crachant sur une peau, Nanook écoute, avec une extraordinaire jubilation, pour la première fois de sa vie, un gramophone, il veut manger le disque. Les chiens de l'attelage par- tagent la vie rude de l'homme, qui intervient dans leurs querelles. La progression épique du film s'achève par une temp&te, qui oblige Nanook et les siens à se réfugier dans un igloo abandonné, alors que les chiens passeront la nuit dehors, ensevelis sous la neige. L'intimité familiale, la condition humaine sont des conqu&tes dont l'animal est exclu. Tel est, réduit à l'essentiel, le propos du film. Nanook, héros du premier film ethnographique, est aussi le symbole m&me de toute civilisation.

2. Moana of the South Seas (Moana des mers du sud), 1 h. 45, muet, noir et blanc, 35 mm, 1923-24.

Flaherty quitte le Grand Nord et passe deux ans (1923-1924) dans le Pacifique. Il choisit les Tles Samoa, le village de Safuné, dans l'archipel des navigateurs. Moana est une longue description ethnographique de la vie quotidienne des Samoans, dont les fiançailles heureuses de Fa'angase et de

1. Le cinéma ou l'homme imaginaire, p. 46.

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la jeune et belle Moana fournissent le prétexte. C'est aussi un merveilleux poème bucolique, suc- cédant à la rude épopée arctique. Ru fil des tra- vaux et des jours, nous assistons à la culture du taro, à la capture d'un sanglier au piège, à l'uti- lisation de l'arbre à pain, à la pêche au harpon, à la préparation des fibres végétales pour la confec- tion des vêtements en tapa. Un petit garçon cueille des noix de coco. La présence de la mer domine la seconde partie du film : tempête sur les récifs de corail, capture d'un crabe palmiste enfumé dans sa cachette, d'une tortue de mer, consommation de poisson cru. Ce dernier intermède introduit la troisième partie du film, dont le thème est l'ali- mentation : préparation de la farine de coco, des beignets de poisson, cuisson des tubercules de taro au moyen de pierres chaudes, etc. La beauté et la douleur, enfin, constituent les thèmes de la qua- trième partie : Fa'angase orne Moana de fleurs et l'oint d'huile de palme. Les fiancés dansent. Moana se fait tatouer par trois hommes ; préparation de la teinture qui doit pénétrer dans la chair. Après le tatouage douloureux, que l'héroïne supporte vail- lamment, on sert le kava, boisson cérémonielle. Fa'angase à son tour est paré en vue de son pro- chain mariage. Moana et Fa'angase dansent de nouveau. Rien de plus nonchalant que le fil ondo- yant de ce scénario ethnographique exemplaire, dont la poésie se nourrit de simplicité. Flaherty exalte ici, dans la grands scène du tatouage, la victoire morale de l'homme sur la douleur physique.

3. Tabu, 1928-31, 1 h. 28, version anglaise, 35 m m , noir et blanc, réalisé en collaboration avec F. W. Murnau

Dans ce film où il est difficile de faire la part de Murnau, qui en acheva seul la réalisation, Flaherty sacrifie davantage à la fiction. L'histoire drama- tique des amours contrariées de Matahi et de sa fiancée Reri se déroule cependant dans un cadre ethnographique rigoureusement authentique. Nous sommes encore dans cette Polynésie apparemment heureuse, qui s'accordait si bien avec le tempéra- ment rousseauiste de Flaherty, aux iles Touamotou et Bora Bora. L'intrigue sentimentale est étran- gère à notre propos : les exigences de la religion brisent le bonheur de ce couple uni ; un prêtre proclame Reri interdite, "tabou". Matahi l'enlève. Le couple se réfugie dans une rle étrangère, où il affronte avec innocence la civilisation abâtardie des bars, des marchands de perles. Mais leprêtre est parti à la recherche de Reri, qui acceptera fi- nalement de le rejoindre. Désespéré, Matahi nage à sa poursuite et se noie derrière le bateau qui emmène sa fiancée.

graphiques opposées, ce film contient des aspects documentaires marginaux d'une grande beauté : la pêche, la baignade, la navigation traditionnelle, les danses traditionnelles, etc. L'attitude caracté- ristique de Flaherty devant la civilisation moderne,

Né de la fusion de deux conceptions cinémato-

source de corruption pour les mondes archaïques, mérite d'être notée.

4. Man of Aran (L'homme d'Aran), 1934, 1 h. 15 min., version anglaise, 35 m m , noir et blanc, Réalisation : Robert Flaherty ; montage :John Goldman et Frances Flaherty

Ce film est peut-être le chef-d'oeuvre de Flaherty et nous sommes loin de partager l'avis de Sadoul, qui estime que l'auteur sacrifie à l'esthétique dans cette oeuvre "monumentale". Il n'y a, n'en déplaise à Sadoul, nulle froideur dans cet hymne au labeur insensé d'une poignée d'hommes et de femmes in- crustés dans une petite Tle rocailleuse et inculte, abandonnée à elle-même, menacée par la mer fu- rieuse, au large de l'Irlande occidentale. La lutte physique contre la nature, l'évocation du grand triomphe primitif de l'homme désarmé ou mal armé, est l'un des grands axes de l'art de Flaherty. Il serait injuste, dès lors, de n'y voir qu'un prolon- gement de la vision de Rousseau. Les personnages authentiques sont Michael, un jeune pêcheur, son père, pêcheur et chasseur de requins, sa mère. Jeux de Michael et travaux de la mère à la maison. Le père et ses compagnons reviennent de la pêche. La mère et le fils les aident à accoster, dans une mer démontée, et à arracher le filet aux vagues. Cette introduction, qui donne au film dès le départ un ton âpre, est suivie d'une séquence consacrée à la lutte acharnée contre le sol rocailleux - une lutte qu'on hésite à désigner du terme banal d'"agricu1- ture". Voici la préparation d'un champ de pommes de terre : le père casse des pierres, la femme ré- colte des varechs ; aidée du petit garçon et d'un vieillard, elle va chercher la terre arable dans les crevasses ; dans des hottes ils la transportent vers cet extraordinaire "champ" de varechs, repo- sant sur un lit de pierres. Après l'"agriculture", la pêche. L e père prépare la doris endommagée par la tempete, tandis que le petit garçon pêche au lancer du haut d'une falaise. Il aperçoit au large un requin. Au cours d'une poursuite en mer, l'ani- mal harponné tord le fer qui l'a blessé et réussit à s'échapper. U n canot à quatre rames s'approche d'un deuxième requin ; la lutte à coups de harpons durera, cette fois, deux jours. Du haut de la falaise, la mère et le petit garçon en surveillent les péripé- ties. Le requin est enfin amené à terre et dépecé.

pêcheurs reprennent la mer. La mère et l'enfant préparent l'huile extraite du foie. Ils sont seuls à la maison cette nuit, dans la tempête. La mère veille, tandis que l'enfant dort. Le lendemain ma- tin, ils guettent tous deux l'horizon. Le bateau qui est la proie de vagues énormes tente de rentrer. Le canot est jeté à terre et brisé ; le petit garçon et sa mère récupèrent les harpons et les avirons. Vaincu cette fois par la mer, le père rentre à la maison avec les siens.

naire document sur les rapports élémentaires de l'homme et de la nature comporte à la fois des

Des bancs de requins passent au large et les

Dans la ligne épique de Nanook, cet extraordi-

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scènes jouées et des scènes qui relèvent du repor- tage, filmées au moment m ê m e oii les pêcheurs sont le jouet de la tempête. L'intervention du ci- néaste n'altère en rien le comportement authen- tique des hommes d'Aran, qui racontent, avec simplicité, l'épopée qu'ils vivent. Rarement la description fidèle d'un milieu social, la soumission du cinéaste à sonpropos, a atteint une telle perfec- tion d'exposition. Flaherty passa deux ans dans 1Vle d'Aran : il est intéressant de noter ce trait caractéristique de sa méthode de travail, qui est véritablement celle d'un ethnographe soucieux de

s'intégrer à la communauté dont il entend décrire, en parfaite connaissance de cause, le travail, les joies, les angoisses, les raisons de vivre, en re- fusant tout crédit au pittoresque.

Ces quatre films, qui n'épuisent nullement l'oeuvre de Flaherty, sont les classiques du film ethnographique et sociologique. Leurs prolonge- mects directs ou indirects dans l'école documen- taire anglaise, ainsi qu'en France, en Belgique, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, constituent l'un des phénomènes les plus remarquables de l'histoire du cinéma documentaire.

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CHAPITRE V

ESQUISSE D'UNE HISTOIRE DU FILM ETHNOGRAPHIQUE ET SOCIOLOGIQUE

1. L'EVOLUTION DU DOCUMENTAIRE SOCIAL EN ANGLETERRE DEPUIS GRIERSON

La première génération

Le but des cinéastes anglais qui, à la suite de Grierson, contribuèrent à l'éclosion du film socio- logique, n'était pas de procéder à un inventaire technologique des gestes du travail, à la façon des ethnographes qui étudient la poterie en filmant un potier. Des ambitions sociologiques et artistiques plus hautes les animaient (voir p.42 ). L'influence de Flaherty, qui vint tourner en Angleterre un pa- norama industriel intitulé Industrial Britain (1 933), fut profonde et orienta les cinéastes anglais, selon Grierson lui-même, vers l'"observation directe et consciencieuse", les affranchissant (très relative- ment) des recherches purement formelles du début/l. L'empreinte du cinéma soviétique (avec son goût pour les problèmes sociaux) fut aussi très profonde. Sadoul reproche à l'école documentaire britannique de n'avoir pas pleinement réalisé la tâche qu'elle s'était assignée, la conquête de l'objectivité, et de s'être trop préoccupée des effets esthétiques superficiels. La finalité morale et sociologique du documentaire domine cependant la pensée de Grierson, l'anima- teur de l'école : le premier objectif était d'exalter le travail humain et ses vertus civiques ; le second objectif était de magnifier "l'inconsciente beauté de l'effort physique" qui se déploie dans le travailja. Il faut probablement faire sienne l'appréciation d'Agel, qui estime que les oeuvres de la première école documentaire anglaise "offrent un ensemble assez terne". Mais il est intéressant de noter, pour notre propos, que Grierson était fort préoc- cupé de rigueur scientifique dans l'élaboration du documentaire social, tout en insistant sur la né- cessité de la vision poétique/3. Il nous paraît ce- pendant que, dans ces deux voies conjuguées, la nouvelle école documentaire britannique, celle qui déploie la bannière Free Cinema pour marquer son opposition à la vision conventionnelle de la société à laquelle aboutit un certain cinéma offi- ciel, ira beaucoup plus loin. Ces jeunes cinéastes se sont pénétrés de manière beaucoup plus intense de la grande leçon d'humanité de Flaherty.

L'un des chefs de file de la première école do- cumentaire, le cinéaste et théoricien Paul Rotha, est peut-&tre, de tous les membres de l'équipe, celui qui a été le plus fidèle à l'esprit d'objectivité sociologique pr8né par Grierson ; il s'oriente m&me vers une formule didactique : il veut apprendre aux citoyens britanniques le fonctionnzment de l'Etat,

la structure de la société. Mais il propose une vi- sion sociologique assez académique, que nous re- trouverons aux Etats-Unis dans de très nombreux films classés dans les catalogues des universités et des maisons de distribution spécialisées sous les rubriques : Business and economics, guidance, civics, civil rights, political education, etc. D e Paul Rotha, il faut mentionner : Shipyard (Chantier naval, 1935) dont le sujet est la construction d'un navire et les réactions de la petite ville qui tra- vaille au chantier naval ; et Rising Tide (Marée montante, 1934) dont une nouvelle version porte le titre Great Cargoes, qui montre les nouvelles extensions des docks à Southampton et l'interdé- pendance des diverses activités commerciales. Théoricien, Rotha a exprimé ses conceptions du documentaire social dans un livre important : Documentary art Film/4. Il reconnaît les mérites de Flahere, mais critique sa conception "roman- tique" de la vie sociale ; il semble lui faire grief de s'&tre limité au thème du combat primitif de l'homme contre la nature, alors que, selon Rotha, dans le monde moderne, dans la civilisation indus- trielle, il n'y a pas de place pour ce genre de do- cumentaire "idyllique" ou "d'évasion''. Ce procès d'intention nous paraft injuste. Car enfin Flaherty n'est pas un théoricien et il n'a jamais proposé en exemple sa formule, son style, sa philosophie. Rotha a raison de souhaiter que les cinéastes se penchent sur les problèmes économiques et sociaux de la civilisation industrielle, mais il a tort de reprocher à Flaherty d'avoir choisi des thèmes "anachroniques" (Rotha regrette notamment que l'auteur de Man of Aran ait passé sous silence le régime de la grande propriété terrienne dont sont victimes les paysans de iifle)/5. Le documentaire idyllique, dit encore Rotha, ignore l'analyse sociale. Deux tempéraments s'opposent ici : Rotha est un rationaliste qui veut expliquer la société ; Flaherty est, avant tout, un poète que fascine un certain aspect de la condition humaine. Force est de re- connal'tre qu'aucun documentariste anglais n'eut jamais le pouvoir de conviction de l'auteur de Nanook.

1. Sadoul, ouvrage cité, p. 287. 2. Cité par Agel, Esthétique du cinéma, p. 45. 3. Docteur en philosophie de Glasgow, Grierson

fit des recherches sur le r8le social de la presse et de la radio au Centre de recherches Rockefeller.

4. Documentary art Film, Londres, 1936. 5. Documentary art Film, Londres, 1936, p. 120.

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Cependant, cette première école documentaire compte quelques maftres. Tel Basil Wright, dont toutes les histoires du cinéma citent une étude poé- tique sur Ceylan, Song of Ceylon (1935), un film qui, pour la première fois, montre, dans un savant contraste, la coexistence d'une civilisation pré- machiniste et de la civilisation occidentale. La première partie du film est consacrée à la religion bouddhique : célébration de rites religieux sur la plus haute montagne de l'ne, d'où, selon la tradi- tion, le Bouddha effectua son ascension mystique. La seconde partie décrit, dans le style typique de l'école britannique, les métiers et les industries ; la troisième partie oppose à la sérénité des deux premières la fièvre de l'activité commerciale mo- derne ; la dernière partie décrit la persistance du style de vie traditionnel. Les Anglais considèrent ce film, dont le contenu s'inspire d'une description de l'lie faite vers 1680, par Robert Knox, comme l'une des plus importantes oeuvres documentaires de la première époque. Produit par l'Empire Tea Marketing Board, il s'apparente plus aux essais impressionnistes qu'à la véritable tradition du film sociologique. D e ce point de vue, son princi- pal mérite réside dans le fait qu'il constitue l'une des premières tentatives (mais bien superficielle encore) pour montrer la coexistence de deux cultures.

Au générique de la plupart des films documen- taires marquants de cette époque, en Angleterre, on retrouve le nom de Grierson comme producteur. C'est lui qui confia notamment à Cavalcanti la réa- lisation de Coal Face (1936), une étude sur la mine et la vie des ouvriers mineurs, l'un des premiers documents sur ce sujet et l'une des oeuvres les plus importantes du mouvement. Cavalcanti, à son tour, fut le producteur d'un film de Harry Watt : North Sea (mer du Nord, 1938). Ce film est une reconstitution des nombreux incidents qui mar- quèrent la grande tempete de 1937. Il s'agit tou- jours de noter les gestes du travail, l'effort de l'homme, la lutte conquérante contre la matière ou la nature. North Sea s'attache notamment à dé- crire comment les services radiophoniques sauve- gardent la vie des marins. Mais ce film s'écarte des données traditionnelles du genre créé par Grierson par l'utilisation d'"acteurs" et l'exposi- tion d'une ''histoire''. Harry Watt avait déjà amorcé ce style nouveau dans Night Mail (Courrier de nuit), un film qu'il signa avec Basil Wright (1936). Pro- duit comme le film précédent par le General Post Office, dont le Film Unit fut l'un des principaux centres de production documentaire de l'époque, Night Mail conte le voyage nocturne du train spé- cial qui assure la liaison postale entre Londres et Glasgow ; les employés de la poste trient, re- çoivent et expédient le courrier au cours du voyage meme. Le document sociologique est ici la matière première d'une poétique visuelle et sonore qui uti- lise les éléments rythmiques du voyage. Supervisé par Grierson, ce film constitue également lkn des classiques de l'école documentaire britannique.

Parmi les oeuvres marquantes de cette époque,

il faut citer Housing Problems (1935), le film qu'Elton et Anstey ont consacré au problème des taudis. Les auteurs apparaissent ici comme les précurseurs du style typique de la télévision : ils utilisent, notamment, la technique de l'interview, que Rouquier emploiera également en France, dans la première partie de Lourdes et ses miracles (voir p. 49).

Toute l'école britannique semble avoir admiré l'oeuvre de Flaherty, mais un certain nombre de cinéastes seulement ont tenté des études sociales approfondies au moyen de la caméra participante, après les essais impressionnistes des premiers réalisateurs, groupés autour de Grierson. Il faut remarquer, avec Roger Manvell, que, jusqu'en 1935 au moins "les réalisateurs de Grierson furent plus intéressés par l'interprétation artistique des thèmes industriels que par l'exposition des pro- blèmes sociaux qu'ils posaient, alors que Rotha s'intéressait à la propagande"/l. Le point de vue social très particulier de Rotha, qui écrivait, en 1936, qu'il est urgent d'intéresser le public aux problèmes nationaux et internationaux/2, allait triompher dans le nouveau cinéma documentaire qui prolonge l'école de Grierson en Angleterre, pendant la seconde guerre mondiale. Harry Watt, dont le nom a déjà été cité, est probablement l'ini- tiateur d'un mouvement qui allait porter quelques documentaristes à utiliser pleinement les ressources du film de fiction à seule fin de dépeindre fidèle- ment la vie quotidienne et les devoirs des groupe- ments militaires ou paramilitaires créés pour la défense de la nation assiégée. Son moyen métrage Target for Tonight (1941), qui raconte l'histoire d'un raid de bombardement sur l'Allemagne, fut, selon Rotha "le premier à dépeindre les courants humains profonds de la guerre sur une échelle que le documentaire n'avait pas encore connue aupara- vant"/3. La personnalité la plus importante de cette époque est Humphrey Jennings, dont le tem- pérament lyrique et les dons d'observation remar- quables se manifestent avec force dans un long métrage : Fires were started (1943), qui décrit le travail de 1'Auxiliary Fire Service au fil d'une journée d'alerte. La formule utilisée ici par Jennings nous situe à la limite méme du documen- taire et du film de fiction ; il reconstitue une

1. "Grierson's directors were more interested in the artistic treatment of industry than in the social problems involved, whereas Rotha was becoming interested in propaganda. I' Roger Manvell, Film, revised and enlarged edition, Londres 1946, p. 105.

2. Paul Rotha, Documentary art Film, 1936, p. 38. 3. "The first to depict the human undercurrents of

war on a scale which documentary had not previously attempted. " Cité dans Films for Television from Britain, Central Office of Information, 1958, p. 36. Harry Watt tourna en 1946 un grand film semi-documentaire en Australie : 'The Overlanders (La route est ouverte).

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atmosphère sociale, le travail routinier de la sta- tion de pompiers, dans l'attente de l'alerte qui, le soir, mobilise toutes les énergies : nulle intrigue ne détourne l'attention du sujet principal, qui est lapeinture d'un milieu. Le film, cependant, obéit à une progression dramatique très sûre, dont l'apo- théose est un incendie au cours duquel périt unmembre de l'équipe. Jennings a très bien su exploiter, dans la tradition de Flaherty, la structure dramatique de la réalité la plus authentique ; dans ces "films de fiction" issus directement de la tradition du film documentaire dont ils conservent le style, les héros sont anonymes, quotidiens, discrets et tout proches de nous : leur drame est collectif. En 1941, Jennings évoque l'Angle- terre en guerre dans Listen to Britain. L e dernier film de Jennings, dix ans plus tard, est un Portrait de famille (Family portrait) de la nation anglaise (1951)., Ce court métrage évoque des pages d'his- toire, des noms célèbres, mais il s'attache surtout à définir, tant8t avec gravité, tant8t avec humour, l'esprit de tout un peuple. Sans doute le portrait sociologique glisse-t-il dangereusement ici vers un genre qui ne nous concerne pas ici : le film moralisateur. On peut se demander, évidemment, s'il est possible de parler de la société, ou d'en montrer certains aspects, sans éveiller automati- quement la sensibilité morale. L e film sociologique authentique n'est-il pas nécessairement le véhicule d'émotions et d'idées ? Toute enquete sociale ne débouche-t-elle pas finalement sur la critique ou l'apologie des valeurs sociales ? Le film sociolo- gique ne peut être qu'interrogation, mise en ques- tion, ou communion. Il défend l'ordre établi, le justifie - ou le dénonce. Flaherty est le frère de Nanook, il admire la culture esquimau et le dit sans restriction. L2a ténacité, le goût de la liberté du peuple anglais émeuvent profondément Jennings, et il le dit avec simplicité. Sa démarche est sin- cère et l'auto-portrait collectif qu'il tente ne doit rien à la propagande nationaliste. Si toutes les oeuvres de bonne foi méritent d'être examinées attentivement par le sociologue, il est fort diffi- cile d'établir en cette matière une déontologie ri- goureuse. Des cinéastes ont été amenés, dans tous les pays coloniaux, à prendre directement ou indirectement le parti de la colonisation. La plu- part des s e rvices cinématographique s d'outre -mer ont été des bureaux de propagande politique et so- ciale, parfois SOUS le couvert de l'éducation de base. Voici par exemple Daybreak in Udi (L'aube à Udi, 1948), un film de Terry Bishop, qui fut fort remarqué en son temps, puisqu'il obtint, pour la spontanéité du jeu des acteurs africains non pro- fessionnels, deux flatteuses distinctions : ilward of the American Academy of Motion Pictures (Hollywood) et British Film Academy Award for the Best Specialized Film, en 1949. C e film de court métrage dont l'action est imaginaire, illustre divers incidents qui se sont produits il y a quelques années dans la tribu des Abajas Ibos, du district d'Udi, en Nigeria. Son propos est de souligner les difficultés psychologiques du développement com- munautaire. Il montre les relations entre

colonisateur (un Commissaire de district) et colo- nisée, la résistance de certains milieux tradition- nels, qui combattent les initiatives des Africains occidentalisés en faveur du progrès technique. Mais il y a encore un thème secret, dont l'intéret sociologique est considérable dans l'optique de la colonisation ; à l'insu de son auteur, le film révèle une vision quelque peu naïve des cultures africaines et du progrès technique. Voici l'argument : quelques Africains évolués, hommes et femmes, désirent construire une maternité dont la gestion sera con- fiée à une sage-femme noire. Le Commissaire de district, sollicité, promet de mettre lcs moyens techniques à la disposition du village, 2 condition que les autorités traditionnelles marquent leur accord. L e village travaille spontanément avec enthousiasme à la construction (ceci est l'un des premiers documents historiques intéressants sur ce que l'on appelle aujourd'hui "l'investissement humain"), mais une partie des conseillers refusent leur concours. Ils tentent de "saboter" l'oeuvre commune entreprise, avec la complicité de la so- ciété masquée des hommes, présentée comme l'élément réactionnaire de la tribu. La nuit m ê m e où la sage-femme veille au chevet de la première parturiente, en compagnie d'une jeune intellectuelle noire, des masques grotesques surgissent dans une vision de cauchemar, s'efforçant d'épouvanter les trois femmes terrorisées. Mais la jeune évoluée ne perd pas son sang-froid et elle jette de l'eau bouillante sur le premier homme masqué qui pé- nètre dans l'infirmerie ; cette intervention éner- gique met en fuite les forces réactionnaires : triomphe de la science et du rationalisme sur les préjugés ancestraux.. . Ce scénario appelle évi- demment, du point de vue ethnographique, les plus expresses réserves. D'un point de vue général, JeanRouch s'élevait avec force, lors des premières rencontres internationales consacrées au cinéma en Afrique Noire (Bruxelles, 1958), contre le pa- ternalisme évident qui anime tant de films d'édu- cation de base tournés en Afrique par les Européens pour les Africains. Les auteurs d'un certainnombre de films d'éducation sanitaire, en particulier, se croient obligés de dénigrer et de ridiculiser la culture africaine traditionnelle, qu'ils connaissent généralement fort mal, dans la louable intention de contribuer au progrès technique. Est-il indis- pensable, se demandait Rouch, de créer chez les Africains un complexe d'infériorité devant leur propre culture ? Ainsi l'on aperçoit indirectement, à travers le prisme de ce genre de films, ce que fut la "situation coloniale"/l. Si les productions coloniales réfléchissent avec ingénuité l'image du colonisateur, il arrive que celui-ci tente un auto- portrait à l'usage des colonisés. A ce titre, un film d'l'éducation de base" du Colonial Film LTnit, Mr. English at Iiome- (1940) est un document so- ciologique étonnant : ce film évoque, à ltusage des

1. Rencontres internationales : L e cinema et l'Afrique au sud du Sahara. Exposition de Bruxelles, 1958, Rapport général, p. II.

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Africains, la vie quotidienne d'un artisan anglais et de sa famille pendant la guerre.

L e mouvement Free Cinema

Un groupe de jeunes cinéastes a tenté à Londres, de 1956 à 1960, de renouveler l'approche cinéma- tographique de l'homme et de la société et d'insuf- fler au documentaire britannique un regain de vita- lité. Ils défendent un Free Cinéma, protestent contre la vision sclérosée de la société britannique, imposée par l'industrie cinématographique et la tradition documentaire née en 1930. Ces créateurs sont avant tout des poètes, mais des poètes sou- cieux d'apporter de nouvelles études sociales, de nouveaux témoignages, plus amers, plus mordants, plus émus. Ils veulent rétablir le contact direct avec la vie, abandonner définitivement les jeux d'esthète, approfondir la vision, non seulement scruter l'homme, mais encore lui laisser la pa- role, s'effacer devant lui. Cette démarche exigeante a fourni au cinéma sociologique quelques-unes de ses oeuvres les plus attachantes. Le mouvement s'est manifesté jusqu'en 1959 par des présentations de films au National Film Theatre et par la réali- sation de quelques films indépendants, dont le plus important nous parait être Every Day Except Christmas, (Tous les jours, sauf Noël) de Lindsay Anderson, le talent le plus accompli de cette poi- gnée de novateurs. Dans une interview au journal Les lettres françaises, Anderson déclarait qu'il rehisait "l'irresponsabilité sociale de l'esthète pur'' aussi bien que "la propagande philistine des soi-disant "réalistes socialistes". ''Une vraie oeuvre d'art, poursuit-il, implique une significa- tion sociale, mais, par contre, j'estime qu'aucun film "social" ne peut avoir de véritable valeur s'il n'est pas aussi une oeuvre d'art"/l. Son inspira- tion est proche de celle de Jennings, qu'il ne renie pas. Anderson recherche de préférence la colla- boration des hommes dont il veut décrire la condi- tion : ''. . . il est étonnant, déclare-t-il encore, de voir combien de "gens ordinaires" (méme en An- gleterre !) peuvent se conduire d'une façon naturelle devant une caméra, quand ils sentent qu'ils peuvent vous faire confiance". Anderson et Reisz croient à l'importance et à la signification de la vie quoti- dienne, à l'importance de l'individu. Ils ont effec- tué tous deux une exploration sociologique singuliè- rement importante, rompant délibérément avec tous les pontifs du documentaire social traditionnel.

Every Day Except Christmas, (Anderson, 1957) peint la vie des hommes qui fréquentent le grand marché matinal londonien de Covent Garden - vie qui se ranime toutes les nuits depuis des siècles, sauf le jour de Noël. Le film est dédié "affectueu- sement à Mice et George et Bill et Sid et Alan et George et Derek et Bill et tous les autres". Quelque part, loin de Londres, dans un hangar, des hommes achèvent de charger un camion qui s'enfonce dans la nuit; chargé de vivres, de fleurs, à l'heure oh le speaker de la BBC souhaite bonne nuit aux ci- toyens anglais. De tous les coins d'Angleterre, des

camions semblables à celui-ci roulent vers la ca- pitale. Le marché de Covent Garden. Les mar- chands préparent les étalages, tandis que l'on décharge les camions. De temps en temps, les hommes s'arrétent pour boire une tasse de thé, bavarder. On ouvre les caisses de fleurs, on fait reluire les pommes. Le déchargement est terminé ; quelques jeunes gens vont casser la croûte au bar voisin. La caméra fouille les visages, surprend en très gros plans les rires, les échanges de plai- santeries, les gestes insignifiants. Quelques-uns s'endorment, le café se vide, le jour approche. Les détaillants arrivent, hésitent, marchandent. U n gros h o m m e habillé avec soin, l'oeil aigu, passe des commandes, un bloc-notes à la main. Un petit commerçant charge un chariot qu'il pousse jusqu'à sa camionnette. Discrets, effacés, un peu tristes, voici les petits marchands ambu- lants, qui hésitent longtemps avant d'acheter, car ils sont pauvres. Parmi eux, quelques très émou- vants personnages : les petites vieilles, marchandes de fleurs depuis un demi-siècle. Des sectes reli- gieuses aussi viennent s'approvisionner à Covent Garden. La foule, les chariots, l'encombrement des voitures, l'animation dans les cafés voisins envahis par les clients. La caméra observe atten- tivement les visages, les gestes banals. Covent Garden, à présent, est envahi par la foule des petites gens ; ménagères, clochards, marchands ambulants. Les plus pauvres ramassent çà et là des fruits, des légumes avariés. Les camions chargés de cageots vides repartent vers les quatre coins de l'Angleterre.

autant de soin que de chaleur, avec la participa- tion d'Alite,. George, Bill, etc. (ces hommes et ces femmes qui nourrissent le ventre géant de Londres) doit beaucoup à la caméra mrveilleuse- ment souple de Walter Lassaly, dont le nom figure aussi au générique des films de Reisz. Cette grande fresque ethnographique, dont pas un visage n'est indifférent, ce merveilleux chant, renouvelle l'ap- proche de l'homme quotidien, de l'homme sans histoire, partagé entre le travail et le repos. Le film révèle une espèce de gentillesse et de dignité fondamentales dans les rapports humains. Nous sommes loin de la structure dramatique du récit cher à Flaherty, mais le film ne cesse d'évoquer son climat, sa méthode. Ce qu'il y a de plus neuf dans l'approche d'Anderson et, en général, dans le Free Cinema, c'est l'exploration du visage en liberté.

On doit encore à Lindsay Anderson, avec la col- laboration de Guy Brenton, Thursday Children (Les enfants du jeudi, 1954) une fort jolie étude sur l'édu- cation des enfants à l'école des sourds-muets de Margate ; la caméra surprend l'éclosion de lacons- cience et du dialogue, l'initiation, par le jeu, au monde social. Une intimité nal't, un système de communications s'établit : les choses, enfin, ac- quièrent des noms. La scbne finale, où les petits

1. Les lettres françaises, 7-13 mai 1960.

Ce document sensible, construit, élaboré avec

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sourds prennent le thé, après la classe, est inoubli able. O Dreamland (Oh, pays de rêve), du m é m e au-

teur, est un reportage mordant et inquiétant sur un Luna-park, à Margate. Ce film fut tourné en 16 m m , grâce à un subside du Fonds expérimental du British Film Institute ; il fut présenté lors de la première séance publique de Free Cinema (1956).

réalisé en 16 m m , avec la collaboration de Tony Richardson : M o m m a don't allow (Maman ne le permet pas), étude sur un dancing populaire. Il faut noter que les auteurs ont utilisé le plus sou- vent la technique superficielle du reportage pur et simple. C'est pourquoi le premier film de Reisz n'a pas la pénétration du second, qui constitue l'un des exemples les plus achevés de l'utilisation de la caméra participante ;We are the Lambeth's Boys (1959), moyen métrage consacré aux loisirs d'un club de jeunes gens dans le célèbre quartier de Londres. Le style semble parfois influencé par la télévision. Les jeunes gens discutent fort à l'aise, devant la caméra, de quelques problèmes de notre temps : comment se comporter avec les filles, pour ou contre la peine de mort. Voici, en- fin, un portrait authentique de la jeunesse ouvrière anglaise en liberté, jouant, dansant, parlant. La richesse des documents sonores (dialogues enre- gistrés en direct) est remarquable. Comme dans Every Day except Christmas, nous avons réelle- ment affaire à un portrait psycho-sociologique, au portrait amical d'une communauté, au coeur de la vie quotidienne. Ce film a obtenu, au Premier Festival international du film ethnographique et sociologique, le "prix de la recherche de l'expres- sion de la vérité humaine par la collaboration cons- ciente du cinéaste et des protagonistes'' (Florence, 1959).

La caméra participante semble être la marque dominante de ce qui fut pendant trois ans le Free Cinema. La technique du reportage, du Ciné-oeil, y joue un r8le marginal. C'est cependant au m ê m e mouvement que se rattache le reportage nocturne de Tanner et Goretta sur Piccadilly Street, Nice Time, 1957, tourné presque entièrement au moyen d'une caméra dissimulée (voir p.34 ). A cet égard, il faut noter que les reportages O Dreamland, d'Anderson, et M o m m a don't allow, de Reisz, sont loin d'être des oeuvres aussi significatives que Every Day except Christmas ou W e are the Lambeth's Boys. Il faut citer encore, en marge de notre étude, un documentaire romancé sur la vie de deux sourds-muets, dont Lorenza Mazzetti dé- crit avec tendresse l'isolement au sein d'un monde indifférent ou hostile, dans un quartier populaire de Londres : Together (Ensemble, 1956).

Karel Reisz a débuté avec un film expérimental

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2. LE DOCUMENTAIRE SOCIAL EN BELGIQUE ET AUX PAYS-BAS

L'oeuvre de Flaherty exerce une influence profonde sur l'un des pionniers du cinéma documentaire

belge, Henri Storck. L' un des premiers films de Storck, La pêche aux harengs (1930), est presque contemporain de Drifters de Grierson, dont Storck ignorait à cette époque les conceptions. En 1933, il réalise en collaboration avec le néerlandais Joris Ivens, Borinage. Ce film est célèbre dans l'histoire du cinéma documentaire, car on peut le considérer comme l'un des premiers pamphlets sociaux tournés en Europe occidentale. Le film, dont l'action est, en grande partie, jouée par les ouvriers eux-mêmes, montre les dures conditions d'existence des mineurs belges après une grève dramatique. La condition sociale de l'homme pré- occupe Storck, lui inspire ses oeuvres les plus fortes. Maisons de la misère (1937) le ramène dans le pays houiller, dans ce pays producteur de richesses où, au pied des terrils, l'on trouve les taudis surpeuplés. Le film est joiié, en partie. par des acteurs professionnels. Le film de cri- tique sociale peut évidemment fort difficilement faire "participer" à l'action ceux qu'il accable de son témoignage - en l'occurrence, les riches pro- priétaires qu'enrichit la location des taudis. Nous touchons ici à une difficulté majeure, et peut-8tre aux limites du film social, de l'enquête filmée, menée au moyen de la caméra participante. Maisons de la misère, produit par la Société nationate d'habitations à bon marché, est à la fois un constat sociologique et un film d'action sociale en faveur de la reconstruction. Le film se proposait de vaincre l'inertie des pouvoirs publics. Les images bouleversantes furent efficaces, la presse en parla et l'opinion publique fit pression sur le Parlement qui s'inquiéta enfin sérieusemeni d'un problème auquel les Belges croyaient avoir apporté une so- lution définitive. Le sociologue Henri Janne com- menta le film dans un grand quotidien/l :

"C'est ainsi qu'en 1937, malgré de vastes en- quêtes sociales, malgré les efforts des pouvoirs publics et d'institutions semi-publiques, malgré un travail de propagande d'une persévérance in- contestable, on trouve peu de personnes qui ima- ginent que les "taudis" constituent un fléau social d'une ampleur considérable et dont les conséquences sont, dans toute l'acception du mot, effroyables. Et il n'a servi à rien de publier des statistiques : ce sont des choses mortes, n'éveillant aucune sen- sation profonde chez ceux qui en prennent connais- sance ; or, pour rompre la barrière de l'ignorance volontaire, il faut produire un "choc" psychologique très vif qui fasse surgir une horreur concrète dans la conscience des individus.

La Société nationale des habitations à bon mar- ché l'a bien compris : elle a confié à Henri Storck la réalisation d'un film sur les taudis. Le cinéaste doit avoir fait au préalable l'analyse de la menta- lité du public bourgeois, parce que tout son film est conçu pour produire le "choc" du concret auquel nous faisions allusion. Impitoyable, il n'épargne rien ; le spectateur, crispé par l'insondable misère, par l'inouïe déchéance humaine, suit néanmoins le

1. Indépendance belge, 8 décembre 1937.

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déroulement du document jusqu'au bout, parce qu'il est captivé par son rythme. C'est l'indignité des taudis projetée à la face de nous tous, vous, lec- teur, comme moi-meme, qui inconsciemment l'acceptions''.

E n 1935, Storck fait le montage des images que l'excellent opérateur Fernhout avait rapportées de 1'Ile de Pâques ; le film qui porte ce nom est l'un des premiers films ethnographiques importants tournés en Belgique : ''film de découverte géogra- phique et sociale", écrivit Rotha à son propos/ 1. Dans ce genre, un voyageur dilettante, le marquis de Wavrin avait réalisé, entre 1925 et 1930, & pays du scalp, le précurseur des films d'explora- tion concernant les populations archaïques d'Amé- rique du sud (bassin du Haut-Amazone).

Le chef-d'oeuvre d'Henri Storck/2 dans le do- maine du témoignage sociologique est probablement le long documentaire qu'il a consacré à la vie des paysans flamands et wallons de la région braban- çonne, à quelques kilomètres au nord et au sud de Bruxelles : Symphonie paysanne (1 941 -44) déroule les travaux et les jours au fil des quatre saisons. Le film est composé comme un grand et lent poème de la nature, où la vie et la mort des hommes, des animaux, des plantes constituent autant de thèmes lyriques identiques, équivalents. Et cependant, c'est l'homme qui est le centre de gravité du film, c'est son incessant labeur ; et l'on s'étonne, cita- din, de vivre à 15 k m de cette activité secrète, totalement inconnue, que l'on découvre brusque- ment comme un monde exotique, à la fois proche et lointain.

Voici le plan du film, basé sur les rythmes pa- rallèles de la nature et de la vie humaine :

Le printemps. Le réveil de la ferme. Le pre- mier sillon, le fumage, les semailles (blé, pommes de terre, betteraves). La naissance et la mort pré- maturée du poulain ; la naissance des poussins, du veau. Le bétail quitte l'étable d'hiver et est rendu à la liberté. La taille des arbres. La communion solennelle des enfants. Les feux de la Saint Jean.

L'été. La fenaison, le fanage. L'orage ravage un champ de blé. La récolte.

Noces paysannes. Mariage et fécondité. L'automne. La fin des travaux de récolte : le

grain est battu, la paille empilée dans la grange La saison des pommes de terre et des betteraves. Tout est trempé, l'homme travaille dans la boue. Les images, jamais vues à l'écran, sont ici d'une beauté tout à fait exceptionnelle. Le décrottage des chaussures, le séchage des vêtements à la ferme après le travail. Les mains sont graissées pour être protégées du froid et de l'humidité. Les se- mailles d'automne ; le bétail rentre des prairies mouillées, envahies par le brouillard. La Toussaint et le culte des morts. Le pélerinage en l'honneur de Notre-Dame de Montaigu, pour la protection des hommes et des bêtes. L'attente confiante de l'hiver.

conservées sur les champs, dans les silos, servent à nourrir le bétail. La terre est nourrie de fumier. La première neige tombe. Les travaux à l'intérieur

L'hiver. L'abattage d'un arbre. Les betteraves

de la ferme, à la cave, au grenier : l'aération des graines, le triage des semis de pommes de terre. Les plaisirs de l'hiver. Le repos des vieux qui attendent la mort. Les jeunes au café. Le jeu de cartes. Intrusion des enfants masqués, le jour de Carnaval. La mort du vieux paysan. La fécondité, la grossesse des animaux. Le jeune paysan, dans son champ, inspecte les germes qui annoncent la saison nouvelle.

Ce très beau film est contemporain du Farre- bique de Rouquier (voir p.49 ), qu'inspire le m ê m e souci d'authenticité. Le film de Storck est malheu- reusement accompagné d'un commentaire didac- tique dont le ton ne correspond guère au lyrisme des images.

Henri Storck joue un r81e important, en qualité de producteur délégué, dans l'achèvement du plus important documentaire de long métrage qui ait jamais été tourné sur la faune du Congo : E s seigneurs de la forêt (1958 ; réalisation Heinz Sielmann et Henry Brandt). Produit par la Fonda- tion internationale scientifique, sous le patronage du Roi Léopold, ce film dont les images sont d'une qualité exceptionnelle, comporte une partie ethno- graphique réalisée par le cinéaste suisse Henry Brandt, avec la collaboration scientifique d'un ethnographe professionnel belge, Daniel Biebuyck, spécialiste des populations du Kivu. Le film es- quisse la symbiose du monde animal et de la société humaine dans les cultures traditionnelles de l'Afrique bantoue. Parmi les scènes les plus re- marquables, il faut citer les rites du pangolin.

Dans l'abondante production belge relative à l'ancienne colonie du Congo, quelques films de Gérard De Boe méritent d'etre distingués des documentaires de propagande coloniale. Ils s'at- tachent à montrer, dans un style photographique un peu apprêté, quelques aspects (malheureusement superficie1s)i des traditions culturelles bantoues (arts, techniques, danses, musique). Mais on ne trouvera dans ces bandes aucun effort de pénétra- tion de la vie sociale. Citons : Wagenia (1951), Orchestre Mangbetu (1954), Mangbetu (1954), Bakuba (1952). Le beau film africain de Charles Dekeukeleire, Terres brûlées (1 937), relève plus du film de voyage que du film ethnographique et ne concerne donc qu'indirectement notre propos.

J'ai réalisé deux études filmées au cours de mes recherches ethnographiques au Congo. Ces films (Fête chez les Hamba et Ruanda), produits par l'Institut pour la recherche scientifique en Afrique centrale, sont destinés plus spécialement à l'enseignement universitaire (voir chap. VI). Mon film Gestes du repas (1958), s'inscrit, par contre, parmi les études sociologiques destinées au grand public. Premier chapitre d'une enquête internatio- nale filmée, lancée par le Comité international du film ethnographique et sociologique (le thème en avait été suggéré par Henri Storck), ce film

1. Cité par René Jeanne et Charles Ford, Histoire du cinéma parlant, Paris, 1958, p. 330.

2. Trop souvent ignoré des historiens du cinéma.

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satirico-ethnographique est consacré aux gestes quotidiens les plus simples et les plus graves (l'homme passe un huitième de la journée à man- ger). J'ai voulu tenter (avec la collaboration de Jacques Delcorde pour le scénario) un portrait de la sociét 6 belge. L,es rythmes alimentaires de la journée, de l'année et de la vie humaine s'entre- croisent. Quelques scènes ont été surprises sur le vif, mais la plupart d'entre elles ont été patiem- ment jouées par des ouvriers, des bourgeois, des paysans, qui se sont prêtés au cérémonial cinéma- tographique. Nous avons transformé en studios provisoires les lieux mêmes où l'on mange : res- taurants, cuisines, cantines, salles de ferme. . . . Les gestes du repas présentent le grand avantage d'être de véritables réflexes que les consignes de la "mise en scène" ne risquent guère d'altérer. Nous avons retenu tout particulièrement les grands événements alimentaires de la vie familiale bour- geoise et paysanne (mariage, enterrement, com- munion solennelle, Noël, Nouvel an). Nous avons tenté de situer, dan; cette vision globale des moeurs alimentaires, la solitude de ceux qui, chaque jour à la m ê m e heure, sont condamnés à manger vite, dans les cantines d'usine, sur les chantiers. Manger pour vivre et vivre pour man- ger. Le phénomène de commensalité authentique se caractérise toujours par la détente et la joie : on finit par rire, m ê m e aux repas d'enterrement.

Les ouvriers et les paysans qui se sont pretés à ce jeu sociologique très élaboré l'ont fait avec une telle bonne grâce que beaucoup de personnes se sont imaginé, en voyant le film, que j'avais réalisé purement et simplement un reportage. Il faut préciser un point important : je n'ai demandé à ces hommes et à ces femmes que des gestes familiers, au travers desquels s'expriment les relations sociales fondamentales dans un milieu déterminé - des gestes qui trahissent une condi- tion, résument un destin.

Le domaine des traditions dites folkloriques a vu éclore, en Belgique, une production abondante et de valeur inégale. La monographie filmée laplus importante, tant par son souci analytique que par les qualités de la réalisation, est Carnaval de Binche, de Jean Cleinge (1954). Il ne s'agit pas, en effet, d'un simple reportage sur la célèbre danse des Gilles. Cleinge procède à une véritable enquete ethnographique dans la ville ; sa caméra révèle, àl'arrière-plan des réjouissances publiques à l'époque du Carnaval, une activité sociale com- plexe, qui se déploie comme dans l'ombre, dans l'intimité des maisons bourgeoises, chez ceux qui sont les dépositaires de la tradition et des rites. Ces scènes de la vie privée constituent un portrait authentique très étonnant de la petite bourgeoisie binchoise. Cleinge réussit à établir un contact chaleureux avec ces hommes et ces femmes au nom de qui le film parle. Le commentaire dit "nous", une communauté entière s'exprime par le truche- ment de cette voix.

Paul Meyer revint tourner au Borinage, vingt- cinq ans après Storck et Ivens. Il était chargé par

un organisme officiel de production de montrer à l'écran l'intégration sociale des enfants des mi- neurs étrangers (italiens principalement). Meyer découvrit que la condition sociale de ces hommes, le décor lugubre dans lequel ils vivaient, ne dif- féraient guère des aspects du Rorinage que Storck et Ivens avaient montrés sans ménagement en 1933. Meyer tourna alors pour son propre compte, en toute indépendance, un long métrage ému, savam- ment construit, joué par les immigrants : uéjà ____ s'envole la fleur maigre (1960). Le film, dont le titre est repris d'un poème de Quasimodo, pos- sède un accent de vérité tout à fait exceptionnel, qui situe ce document dur, intègre et accusateur parmi les oeuvres les plus importantes tournées en Belgique. Il est conçu comme une chronique : la chronique des enfants du Borinage. Il raconte "la première journée d'une famille italienne dans une région de plus en plus délaissée par ses habi- tants belges, parce que condamnée au dépérisse- ment économique". II se présente comme un exposé objectif, par le truchement d'une fiction qui fait appel aux hommes, aux femmes et aux enfants de toutes nationalités que la misère oblige à se fixer, pour un temps plus ou moins long, dans un paysage industriel désolé, véritable zone de sous-dévelop- pement au coeur d'une nation que l'on dit prospère. Meyer est aussi l'auteur d'un court métrage qui évoque, dans un récit dramatique, les conditions de travail du prolétariat flamand dans une brique- terie, au siècle passé (Klinkaert, 1956).

Aux Pays-Bas, le nom de Joris Ivens, figure de première grandeur du cinéma mondial, domine le documentaire social. Nous l'avons trouvé associé à celui de Storck au générique de Borinage (voir p. 45). Zuiderzee (1930) et New Earth (1934) ra- content la conquête du sol sur la mer ; le premier est un hymne au travail gigantesque entrepris pour assécher cette mer intérieure qui donne son titre au film ; le film est un poème visuel dont l'achè- vement du grand barrage constitue le thème princi- pal. New Earth montre l'étape finale et l'occupa- tion des terres par les paysans. Ces chefs-d'oeuvre du cinéma documentaire ont exercé une grande in- fluence sur les documentaristes européens ; ils ne se rattachent qu'occasionnellement à notre propos, car ces chants lyriques dont le travail de l'homme fournit les strophes ne constituent pas, à propre- ment parler, des études sociales. Cependant, Ivens entend faire un cinéma engagé ; il déclare lui-même de ses films qu'ils doivent pouvoir servir d'armes pour la lutte des classes/l. Il s'efforce de provo- quer des prises de conscience, d'agir politiquement sur les esprits. Terre d'Espagne (1937), tourné pour les Républicains espagnols, s'inscrit plus nettement dans cette perspective révolutionnaire. Le film exalte l'effort des collectivités paysannes installées par le gouvernement sur les terres que leurs propriétaires laissent improductives, en vue de défendre leur oeuvre, au cours de la guerre

1. Cité par René Jeanne et Charles Ford, Histoire du cinéma parlant, 1958, p. 333.

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civile. Dans la Chine, d'avant 1940, Ivens tourne un important reportage sur le combat révolution- naire contre les Japonais : 400 millions (1939).

Le chant des fleuves, produit par la Fédération syndicale mondiale (1954), poème lyrique et pam- phlet politique, montre la condition sociale des travaiïleurs riverains de sept grands fleuves, et souligne brutalement le contraste de la richesse et de la misère.

aient jamais été réalisés est un film de Rudi Hornecker, tourné clandestinement aux Pays-Bas vers la fin de la guerre, au moment où, isolée, la nation vivait les moments les plus dramatiques de son histoire. : Honger (La faim). C'est le spectre de la faim qui r8de partout, rassemble devant les magasins vides, dans d'interminables queues, une population famélique .

La production documentaire néerlandaise ré- cente fournit un certain nombre de films d'intérêt sociologique secondaire. Il faut citer Het schot is te boord (Jetons les filets), de Herman van der Horst : des navires quittent leur port d'attache et vont p@cher le hareng en mer du Nord ; la pose et la remontée des filets dériveurs (1953).

La mer est un leit-motiv du cinéma néerlandais. Bert Haanstra a réalisé, de son c8té, avec le con- cours de la population des régions bordant la mer d'Ysse1, un film qui évoque la récupération des polders. Il décrit rapidement, à ce propos, la so- ciété très traditionaliste des pécheurs riverains d'une mer intérieure appelée à disparaître : zee was niet meer (Et la mer n'était plus, 1956). L'oeuvre de van der Horst, comme celle de Haanstra restent cependant dominées par des préoccupations esthétiques, proches de celles qui caractérisent la première école documentaire britannique.

Les films d'intérêt ethnographique tournés dans les territoires d'outre-mer ou dans les anciennes possessions néerlandaises ont été analysés par la section d'anthropologie culturelle de l'Association néerlandaise du cinéma scientifique, dans une Liste provisoire des films ethnologiques néerlandais/ 1.

L'un des plus extraordinaires reportages qui

3. LE FILM ETHNOGRAPHIQUE ET SOCIOLOGIQUE EN FRANCE

Sous le titre Catalogue des films ethnographiques français/z, le Comité du film ethnographique a publié en 1955, avec l'aide de l'Unesco, une liste de 106 films, comportant une analyse rapide du contenu et une appréciation scientifique. Notons tout de suite que le terme "ethnographique" doit @tre entendu ici au sens large ; il recouvre prin- cipalement, dans ce travail, les films traitant des sociétés africaines ou océaniennes, mais on y retrouve aussi des films concernant les sociétés européennes. Pour certains chercheurs européens, cette "ethnographie" de l'Europe se confondrait avec le "folklore" ou les "traditions populaires". Mais un point de vue, qui tend à rallier un nombre de plus en plus grand de savants, n'accepte pas

cette limitation. Cette ouverture de l'ethnographie française vers la sociographie - c'est-à-dire la description de groupes humains appartenant à la civilisation industrielle - se marque dans le Cata- logue, dont les auteurs analysent, par exemple, un film sur le travail dans une plantation de canne à sucre au Brésil (na 56), ou le film de Yannick Bellon sur la vie des ramasseurs de goémons et de galets dans une Be bretonne (no 76). Sans doute s'agit-il là de documents concernant un mode de vie archaïque au sein du monde moderne. Mais il n'en est assurément plus de m@me du film de Henri Fabiani, Les hommes de la nuit (no 78), qui ra- conte la première descente, dans la mine, de cinq jeunes mineurs.

L'histoire du documentaire social en France commence, si je ne m e trompe, avec un reportage de Georges Lacombe sur les chiffonniers de Paris, La zone (1927), et deux films "réalistes" d'un au- teur qui joua un grand r81e dans l'avant-garde, Jean Epstein : Finis Terrae (1928) et Mor-Vran (La mer des corbeaux, 1931) ; ces films, rompant délibérément avec les recherches esthétiques pré- cédentes d'Epstein, introduisent un ton et un style nouveaux : des pécheurs bretons tiennent ici le r81e m e m e qu'ils jouent dans la vie. Finis Terrae montre la récolte des goémons dans une fle de la côte bretonne. Ce thème sera repris vingt-cinq ans plus tard par Yannick Bellon (voir p.49). w- Vran est un documentaire sur la vie des pêcheurs de la même région. Ainsi donc en France, comme en Angleterre avec Drifters de Grierson et en Belgique avec la Pêche au hareng de Storck, le documentaire social nart sous le signe de la mer. Sans doute, d'une certaine façon pour Epstein, et peut-étre pour les autres, ce choix singulièrement concordant procède-t-il à la fois d'une recherche de la vérité humaine et d'un goM, partagé par Flaherty, pour un certain exotisme social, un exo- tisme interne, propre à notre société.

D'autre part, les premiers films français d'ex- plorat ion apparaissent peu avant avec La traversée du Sahara en auto-chenille, de Paul Castelnau (1923), et La croisière noire, de Léon Poirier (1926). Mais ce genre, auquel Jean Thévenot a consacré un essai, ne nous retiendra pas ici/3. Il convient cependant de citer, à propos du dernier de ces films, l'appréciation du Catalogue des films ethnographiques français : "meilleur témoignage existant sur l'Afrique d'avant les routes".

Dès 1929, Georges Rouquier avait réalisé un reportage sur les Vendanges. Le m@me réalisateur tournera plus tard deux études technologiques

-

Voorlopige liist van Nederlandse - cultureel - - - " anthropologische films, Utrecht, 1957, ronéo-

Catalogue des films ethnographiques français, Cahiers du centre de documentation, no 15. Département de l'information, Unesco, 1955. André F. Liotard, Samivel, Jean Thévenot, Cinéma d'exploration, cinéma au long cours, Paris, 1950.

typé.

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exemplaires : Le tonnelier (1942), Le charron (1 943). Mais il a surtout signé deux longs métrages qui sont des oeuvres sociologiques capitales : une étude sur la paysannerie archaïque de la région du sud-ouest, Farrebique (1 946), et une monographie de sociologie religieuse, Lourdes et ses miracles ( 1 9 54).

Farrebique, portrait d'une famille, est l'un des exemples les plus remarquables de l'utilisation de la caméra participante. Pour le profësseur Leroi- Gourhan, Farrebique marque, dans le domaine ethnologique (film de milieu), ''une sorte de som- met"/l. Ce film, entièrement joué par les paysans eux-memes, n'en est pas moins à ses yeux "du do- cument pur". Les archives filmées de la paysanne- rie européenne comportent déjà trois films tout à fait proches par le style: Farrebique pour la France, Symphonie paysanne, pour la Belgique (voir p.46 ) et U n jour dans une grande famille croate, pour le monde slave (voir p.63).

Nous avons commenté déjà cet autre film de Rouquier, Lourdes et ses miracles (voir p. 32 ). Le film comporte deux parties : la première est une enquête de style "télévision" auprès de per- sonnes "miraculeusement" guéries, qui racontent leur aventure au cours d'une interview menée par Rouquier lui-même. Il s'agit d'un constat. La se- conde est un reportage douloureux sur le pélerinage et les immersions rituelles.

La tradition de Rouquier se poursuit avec le film de Jacques Demy, Le sabotier du Val de Loire, (1955) dont l'auteur de Farrebique a assuré la su- pervision, Eygalières commune de France (1957) d'André Vetusto (1' élection et les activités d'un conseil municipal dans les Bouches-du-Rhbne), Les pélerins de la mer (1957), de Jean-Claude Sée (le pélerinage des gitans aux Saintes -Maries -de- la-mer). Goémons (1948), de Yannick Bellon, dé- crit la vie des ramasseurs de plantes marines et témoigne de la misère des quelques ouvriers qui vivent avec les patrons dans l'unique ferme de l'ne bretonne de Béni-Gué. D e son c8té, le film que de Wever a consacré aux taudis de Paris, k a crise du logement (1955), est un constat tragique. Dans un film bouleversant, Aubervilliers (1941) Eli Lotar et Jacques Prévert révèlent la condition désespérante de l'homme dans la banlieue parisienne.

En marge de ces films français qui décrivent la France, les reportages de Jean-François Reichen- bach s'attachent aux aspects insolites de la société américaine. Le plus remarquable, du point de vue qui nous occupe ici, est une étude de moeurs vio- lente, consacrée à l'école d'entrafhement des fusi- liers marins : Marines (1957). Ce document inquié- tant sur la plasticité mentale de l'homme et l'apprentissage des réflexes conditionnés en vue de la guerre relève de la sociologie de la vie militaire et pose à la conscience morale le très grave pro- blème de l'annihilation de la personnalité indivi- duelle dans un groupe social artificiel.

Kris Marker est un voyageur sensible et intelli- gent. Il rapporte de Chine (Un dimanche à Pékin,

1956), de Sibérie (Lettre de Sibérie, 1958), des ~

reportages un peu hâtifs, mais très vifs et com- mentés avec brio. Son dernier film sur Israël, qui sacrifie à la littérature, contient un excellent montage d'actualités sur la tragique odyssée des émigrants juifs que les jeux de la diplomatie inter- nationale empechent d'atteindre la Terre promise (Description d'un combat, 1961).

~

L a course de taureaux (1951), long métrage didactique de Pierre Braunberger, Myriam Borsouislq et A. Lafont, illustre excellemment un genre différent, la monographie ethnographique analytique, s'attachant à un sujet précis, aux as- pects multiples : la tauromachie. Utilisant des bandes d'actualités ainsi que des archives icono- graphiques, le film constitue i3 la fois une rétro- spective de l'art tauromachique et une étude fouillée des phases de la corrida, de l'élevage et du dres- sage des taureaux en Castille et en Andalousie ; il s'achève par une évocation du style des grands toréadors. Exemplaire dans cette catégorie, course de taureaux obtint au Premier Festival international du film ethnographique et sociologique, pour la richesse de la documentation et la qualité du commentaire de Michel Leiris, le prix réservé à la meilleure monographie filmée. On lira une critique superbe de ce film (des réflexions éton- nantes sur la représentation de la u t à l'écran) dans le livre qui réunit, sous le titre Qu'est-ce que le cinéma ? , les meilleurs articles d'André Bazin/2.

L'oeuvre maftresse du film historique est peut- être le documentaire tragique d'Alain Resnais : Nuit et brouillard (1955). Utilisant des photos, des actualités, des bandes tournées par des amateurs, cet admirable film de montage decrit l'horreur des camps de concentration nazis. Le pouvoir affectif de l'image atteint ici une sorte de paroxysme. Au- delà de toute dialectique, Resnais nous impose de revivre physiquement le plus incroyable supplice collectif que l'homme ait inventé. Le cinéma au service de l'éthique se révèle ici d'une prodigieuse efficacité. Aucun traité philosophique sur le délire du racisme n'atteint la perfection de cet exposé magistral.

Le film ethnographique africain

La production documentaire française relative à l'Afrique est particulièrement abondante. Non seu- lement les films de voyage et de propagande colo- niale sont nombreux, reflétant souvent la vision naïve que l'Occident se faisait des cultures afri- caines, mais encore les ethnographes profession- nels, de plus en plus souvent, apprennent à manier

1. Leroi-Gourhan, Le film ethnologique existe-t- il ? La revue de géographie humaine et d'ethno- logie, no 3, 1948, p. 50. La m ê m e revue a donné un compte rendu du film dans son pre- mier numéro, p. 107.

tologie et langage, Paris, 1958, pp. 65-70. 2. André Bazin, Qu'est-ce que le cinéma ? 1. On-

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la caméra de 16 mm et rapportent de leurs séjours des études filmées dont la qualité s'améliore chaque année. Beaucoup de films ont été tournés depuis 1955, qu'il faudrait ajouter au Catalogue publié par l'Unesco. Nous n'avons pas l'ambition de le compléter ici. Mais nous devons analyser attentivement l'oeuvre de celui qui fut l'initiateur de ce mouvement scientifique, tout en conquérant une place de première importance dans le nouvel art cinématographique français : Jean Rouch.

Jean Rouch, un ethnologue-cinéaste

Rouch constitue, dans l'histoire du cinéma fran- çais, un phénomène exceptionnel. Le goQt très vif de la recherche sociologique s'allie en lui au sens poétique inné du cinéma. Ethnographe professionnel, engagé dans l'étude des populations du Niger, ses premiers films tournés en 16 mm constituaient d'excellents reportages (voir p. 19) dont les quali- tés cinématographiques et scientifiques contri- buèrent beaucoup à attirer l'attention des milieux spécialisés sur l'importance des archives filmées des civilisations dites "archaïques" ; les unes, en effet, disparaissent, les autres se transforment très rapidement au contact de la civilisation indus- trielle. Si les premiers films de Rouch étaient des- tinés essentiellement à l'enseignement de l'ethno- graphie (voir chapitre11 B), leur force dramatique, leur frarcheur furent remarquées par le producteur Braunberger. Les séquences les plus importantes furent agrandies en 35 mm et Jean Rouch présenta au grand public un film documentaire de long mé- trage réalisé en dehors de toutes les normes com- merciales : Les fils de l'eau (1955). Flaherty, dont les débuts dans le cinéma furent tout aussi margi- naux, Flaherty le trappeur, avait trouvé dans l'eth- nographe cinéaste français son descendant spirituel le plus direct. Rouch lui voue la plus grande admi- ration. L e souffle de l'authenticité donnait enfin corps à un cinéma africain pur de toute compro- mission. Il ne s'agit plus d'administrateurs colo- niaux paternels, soucieux de la santé physique et morale des populations "indigènes". Voici enfin un cinéaste qui prend tout à fait au sérieux la vie des hommes noirs, respecte sans arrière-pensée moralisatrice leurs dieux, leurs rites, se sent à l'aise chez eux, adore leur merveilleuse fantaisie. Il note en ami leur façon de marcher, de s'asseoir, de manger, d'enterrer les morts, il est sensible à leur humour. Rouch balaie de l'écran le concept de sauvagerie; il s'amuse de ce qui amuse les hommes qu'il montre, se fait grave avec eux dans la chasse difficile à l'hippopotame. Il s'inquiète aussi de savoir ce que les Africains pensent de ses films. Il connal't l'extréme susceptibilité du public africain à toute information qui pourrait faire pas- ser, de bonne ou de mauvaise foi, leur culture traditionnelle pour une expression de l'état "primi- tif" de l'homme - ce que de toute évidence ellen'est pas. Rouch cite à ce propos, dans une intervention faite aux Rencontres internationales de Bruxelles consacrées au cinéma africain, un fait

caractéristique : un film tourné au Ghana, en 1948, fut l'une des causes des événements violents dont est issu le mouvement d'indépendance. Ce film montrait, en effet, des gens nus, "ce qui apparais- sait un peu comme une injure à l'Afrique''. L'eth- nographe-cinéaste se trouve dès lors dans une situation difficile "car il se trouve coincé entre deux mondes qui se heurtent"/l. Rouch admet cette contradiction inconfortable et soutient que le cinéma ethnographique doit provoquer une dé- mystification : il ne peut se nourrir que de vérité, éliminer tout préjugé, d'oh qu'il vienne. Rouch est, par ailleurs, l'un de ceux qui ont défendu avec le plus de chaleur, au cours de ces rencontres, l'idée que les Africains doivent exprimer eux- memes leur propre culture à l'écran. Il a dénoncé avec force le manque de sincérité du cinéma de l'époque coloniale. Il faut reconnai'tre, en effet, que les cinéastes, travaillant directement ou indi- rectement en Afrique pour les pouvoirs publics, se sont mis le plus souvent au service d'une pro- pagande inefficace ou malencontreuse. Les grands problèmes sociaux, économiques n'ont pas été abordés à l'écran, alors que les traditions afri- caines mal comprises ont fait l'objet de films "folkloriques'' qui agacent prodigieusement, de nos jours, les Africains. Ceux-ci réagissent sou- vent avec violence devant ces films qui pourraient faire croire à un public moderne qu'ils n'ont pas encore accédé au monde "civilisé" contemporain. Les Africains en ont assez d'étre taxés de primi- tifs, d'étre montrés à l'écran comme des fossiles vivants. Ils se veulent et ils sont nos contempo- rains. Ils ne récusent pas, d'autre part, leur cul- ture ancestrale, mais ils redoutent que l'image souvent desséchée qu'en proposent les cinéastes occidentaux épris d'ethnographie ne soit mal inter- prétée par un public plus sensible aux apparences qu'à la valeur des symboles.

Les fils de l'eau, chant bucolique, hymne à l'Afrique traditionnelle, échappe à cette critique. Mais Rouch a voulu témoigner aussi de l'Afrique nouvelle, de ses problèmes, et il a mis au point une méthode originale d'approche sociologique, à mi-chemin du réel et de l'imaginaire. Il n'entend pas recommencer éternellement Nanook ou Moana. Il ouvre les yeux sur l'industrialisation de l'Afrique, les transformations de l'homme; ses recherches scientifiques l'ont amené à étudier les grandes mi- grations de travailleurs déshérités venus du Niger vers la &te, le Ghana et la Cbte d'Ivoire notam- ment. Ces préoccupations se reflètent dans deux films importants : un court métrage, Mal'tres fous (1957), et un long métrage, Moi, un noir (1958).

Maftres fous, déjà cité (voir p32 ) est un docu- ment extraordinaire qui intéresse à la fois la so- ciologie des religions, l'ethnographie et la

1. Jean Rouch, l'Africain devant le film ethnogra- phique, pp. 92-94, Rencontres internationales, Le cinéma et l'Afrique au sud du Sahara. Expo- sition univers elle et internat ionale, Bruxelles, 1958.

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psychopathologie. Ce reportage, sans aucune mise en scène, enregistre des extases. Il montre sans fard, brutalement, le déroulement des crises de possession collective qui constituent l'essentiel de l'activité religieuse d'une secte récente, les Haouka. Les membres se recrutent surtout parmi les émigrants originaires du Niger, oùle culte ap- parut vers 1927. Il s'est répandu au Ghana vers 1935. Nous sommes à Accra, capitale du pays. La crise de possession se présente ici comme un jeu tragico-burlesque au cours duquel les Haouka s'identifient avec frénésie aux personnages les plus divers de l'ancienne hiérarchie coloniale bri- tannique : gouverneur, général, caporal de garde, conducteur de locomotive, etc. Des femmes et des hommes sont sujets à ces crises violentes qui se manifestent (comme toujours dans les cultes de possession) selon un rituel précis, dont le dérou- lement est surveillé par celui qu'on appelle "l'homme tranquille". La cérémonie a lieu un di- manche, dans la banlieue d'Accra ; les Haouka ont loué des taxis pour s'y rendre. Un chien, dont on boit le sang, est sacrifié devant "l'autel du Gouver- nement". Le "Gouverneurtt et le "Général" orga- nisent, au cours de leur crise violente, des "con- férences de la table ronde". Apaisés par la crise (dont Rouch souligne les effets lénifiants), Haouka rentrent chez eux àlanuit tombante et nous les retrouvons le lendemain au travail, détendus et souriants, ouvriers ou commerçants. Rouch estime que ces crises religieuses, au cours desquelles les possédés s'identifient aux dieux nouveaux du machi- nisme, constituent une thérapeutique efficace. Celle- ci permet aux initiés de surmonter, sans l'interven- tion problématique de l'h8pital psychiatrique, une très grave crise intérieure : celle que provoque un peu partout (sous des formes différentes) le contact brutal de la civilisation machiniste et de la civili- sation africaine traditionnelle. Sans nul doute, ce film étonnant E t en cause ce que le sociologue français Balandier a appelé "la situation coloniale". Mais il touche aussi, selon la remarque pertinente de Denis Marion "à un des problèmes les plus mé- connus et les plus irritants, celui des rapports de

les

b la démence et du mysticisme". Moi, un Noir, film de long métrage, est le pre-

mier document sérieux sur les soucis, les rêves, les contradictions psychologiques de la nouvelle génération africaine. Nous sommes à Treichville, le quartier prolétarien d'Abidjan, où nous retrou- vons les Nigériens des premiers films de Rouch, émigrés en Côte d'Ivoire. Rouch tente ici une for- mule originale de film- enquête. Abandonnant le reportage, l'enregistrement à la sauvette qu'il avait utilisé précédemment presque exclusivement, il met en scène des situations à la fois imaginaires et authentiques. Trois acteurs africains racontent eux-memes ce qu'ils sont, ce qu'ils voudraient être, ce qu'ils font, ce qu'ils ont fait, leurs espoirs et leurs désillusions. La trame du récit est inven- tée par les acteurs, qui parlent toujours de leur condition authentique ; ils évoluent dans un univers qui se situe à la frontière du désir et de la réalité,

mais qui ne cesse jamais d'être la description fidèle de la société africaine urbaine. Le metteur en scène se contente de fixer les grandes lignes d'un canevas dramatique. Les acteurs commentent eux-memes librement l'action qu'ils ont improvi- sée. Ils ont un nom, ils se sont choisi un surnom : voici Edward G. Robinson, qui aime la boxe, s'iden- tifie à un grand boxeur ; voici Eddie Constantine ou Lemmy Caution, agent de la police fédérale, Tarzan, Dorothy Lamour. . . Le film est centré sur Cons- tantine et Robinson, qui vivent, selon les termes mêmes de Rouch, un psychodrame/l. Ils se re- gardent vivre et se jugent. C'est ainsi qu'au cours d'un tournage Robinson insista pour que le film évoque la guerre d'Indochine, à laquelle il avait participé et d'où il était revenu amer et solitaire. Si tous les épisodes "oniriques" (match de boxe, visite chez la prostituée Dorothy Lamour, etc. ) sont des "reconstitutions", tous les éléments baignent dans un climat d'authenticité. Rouch a osé risquer ici, en connaissance de cause, le pas- sage de la description ethnographique objective à la description du contenu subjectif des consciences. Sa seule garantie, dit-il, c'est "le contre-seing" de ses acteurs authentiques, qui assument la res- ponsabilité de leur récit imaginaire, cette ombre de leur vie quotidienne. Rouch reconnart que sa technique permet aussi bien l'expression de la vérité psychologique que le mensonge : tout dépend de la bonne foi du cinéaste. Rouch admet la part du diable dans le film ethnographique : "Dès qu'il braque sa caméra, l'ethnographe perturbe la vie qu'il est en train d'enregistrer. Dans Moi, un Noir, les acteurs jouaient devant l'appareil leur existence quotidienne. Je ne m e cachais pas pour les suivre. Nous étions complices".

Dans cette voie originale où la caméra partici- pante et le reportage fusionnent, où les acteurs guident plus le metteur en scène qu'ils ne se laissent guider par lui (singulière synthèse du ciné- oeil et du film de fiction), Rouch est allé plus loin encore avec son dernier film, La pyramide humaine (1961). Cette étude imaginaire et vraie sur les relations interraciales dans la classe de première du lycée d'Abidjan transforma radicalement, au cours du tournage, la mentalité raciste des prota- gonistes. Rouch réunit des étudiants blancs et noirs dans un sociodrame filmé, au cours duquel il dis- tribua lui-m&me des r8les fictifs. Le cinéma, dès lors, devenait une véritable psychanalyse. Des situations latentes se cristallisaient : "Tel qui était amoureux de Nadine le lui avouait d'un coup, tan- dis que, d'une race à l'autre, le ton de stricte poli- tesse qu'on affectait - forme secrète du racisme - dégénérait rapidement en une hostilité ouverte". Le film réconcilia les deux groupes hostiles. "Telle est m a méthode, conclut Rouch : je rassemble arti- ficiellement une petite communauté. Je la mets dans une situation irréelle : ici celle d'un monde

1. Interview recueillie par Jean Carta, Rouch tourne les premiers films africains, France- Observateur, 24 septembre 1959.

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sans racisme. Je la regarde évoluer. Au besoin je provoque cette évolution. J'obtiens un film pirandellien".

Moi, un Noir et L a pyramide humaine ouvrent une voie originale, spécifique, au film de "recherche" sociologique, car le cinéaste ignore cette fois ce qui va se passer ; il met en branle une série de mécanismes psychologiques insoup- çonnés. Rouch décrit lui-méme L a pyramide hu- maine c o m m e un film expérimental : "Pendant trois semaines fut ainsi réalisé enmuet, en 16 mm couleur, un document cinématographique montrant l'évolution des relations entre ces Africains, Afri- caines, Européens et Européennes. Il n'y avait pas, à proprement parler, de scénario ou de dialogues, mais une improvisation continuelle devant les ca- méras : la caméra n'était pas un obstacle à l'ex- pression, mais au contraire le témoin indispensable qui motivait cette expression"/l. Rouch emploie donc une méthode révolutionnaire ; la caméra est délibérément utilisée c o m m e catalyseur ; l'expé- rience semble prouver "que la caméra pouvait étre, non pas l'obstacle à l'expression d'hommes qui avaient quelque chose à faire ou à dire, mais, au contraire, un incomparable stimulant". Il faut, cependant, que l'équipe technique soit la plus ré- duite possible, afin de ne pas gêner les acteurs- improvisateurs. Rouch lutte dés e spé rém ent contre la lourdeur de la machinerie cinématographique ; dans Chronique d'un été, le film encore inédit qu'il vient de tourner à Paris avec Edgar Morin, il ten- tera de résoudre de manière plus satisfaisante "le problème agaçant de l'enregistrement du son direct", en utilisant des micros-cravates, quilaissent toute liberté de mouvement à l'acteur en quete de son propre destin. Les premiers résultats de cette ré- cente expérience, la plus importante des enquétes sociologiques filmées jamais entreprises, con- firment l'enseignement de la Pyramide humaine : placé dans un climat de confiance absolue, il arrive un moment où l'homme, n'importe quel homme, révèle devant la caméra sa personnalité profonde, secrète. Le seul inconvénient de cette méthode est un déchet considérable dans le métrage tourné ; mais il arrive brusquement, à un moment impré- visible, qu'unprocessus de libération se déclenche : l'acteur cesse alors de s'enfermer dans cette atti- tude typique de refus, de "pause'' qui est notre pre- mier mouvement devant tout appareil photographique. Dans une telle perspective, Rouch accorde une grande valeur à la première réaction de ses acteurs, au premier jet. Cette méthode exige de la patience, un long temps d'acclimatation devant la caméra ; le montage interviendra pour opérer un choix dans les temps morts, éliminer les réactions non au- thentiques, entachées d'exhibitionnisme, ou simple- ment banales, non significatives.

En marge du film ethnographique scientifique, quelques réalisateurs ont tenté de montrer l'Afrique avec honneteté, encore que leurs oeuvres manquent de profondeur psychologique et sociologique. 11 serait injuste de ne pas mentionner ici le long mé- trage de fiction de Georges Régnier, Paysans

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noirs (1948), d'après le roman du gouverneur Delavignette (réalisé en C8te-d'Ivoire), les courts métrages de Jacques Dupont, Pirogues sur l'Ogoué (1947), Au pays des Pygmées (1947) (les Ba-Binga du Moyen-Congo), L a grande case (1951), (prin- cipes d'organisation politique et sociale de quelques populations du Cameroun, les Bamiléké, les Peuls, les Kirdi, les Bamoun). Il faut évoquer aussi & foret sacrée, un long métrage documentaire de Pierre-Dominique Gaisseau (1953), qui raconte l'initiation de trois blancs aux rites et croyances religieuses des T o m a de Guinée. L a tension dra- matique du récit n'altère jamais l'authenticité des documents ; mais les explorateurs, qui n'étaient pas des ethnographes, ne furent pas admis aux véritables secrets initiatiques.

4. LE FILM ETHNOGRAPHIQUE ET SOCIOLOGIQUE EN ITALIE

Maints chefs-d'oeuvre de l'école néo-réaliste m é - ritent d'etre considérés comme des documents sociologiques sur la condition de vie du peuple ita- lien après la deuxième guerre mondiale. Mais une telle analyse dépasserait le cadre de notre propos, que nous limitons arbitrairement aux films dits "documentaires". U n phénomène curieux caracté- rise la récente production italienne dans ce domaine : on a vu proliférer, depuis une dizaine d'années, deux genres radicalement différents, qui tous deux se parent des séductions de la vérité. Mais l'un est une vaste entreprise de falsification, l'autre est une expression cinématographique authentique de la réalité sociale. L e premier s'intéresse uni- quement aux sociétés exotiques, où des opérateurs habiles arrachent à leur contexte social d'admi- rables images qui entreront dans un montage trom- peur, destiné à cultiver dans le grand public la nostalgie des paradis primitifs, ou à guider ce pu- blic dans un monde onirique, étrange, violent, sensuel, artificiel, astucieusement présenté c o m m e l'image fidèle de la réalité. C'est "l'homme ima- ginaire" qui nourrit cette duperie intellectuelle ; ni Nanook ni Moana n'y ont place : ils rougiraient de se trouver en une telle compagnie. Cette entre- prise faussement culturelle et exclusivement com- merciale est basée sur le prestige mythique de l'exploration. L'explorateur contemporain est, à quelques exceptions brillantes près, un homme qui se donne en spectacle, voyage pour monter un nu- méro de cirque. Sur les tréteaux où ils montrent leurs films garantis "authentiques", ceux qui ont fait de l'exploration une profession se parent des plumes de paon de la connaissance et font la roue. Dans de grandes officines spécialisées, ils jettent aux yeux les images broyées de la réalité, lapoudre du rêve. U n grand ethnographe français, qui affiche un certain mépris pour ces bateleurs, déclarait sans ambage : "L'aventure n'a pas de place dans

1. Jean Rouch, La pyramide humaine, in Cahiers du cinéma, no 112, Paris, octobre 1960.

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la profession d'ethnographe ; elle en est seulement une servitude, elle pèse sur le travail efficace du poids des semaines ou des mois perdus en chemin . . . "/ 1.

En face des longs métrages d'exploration qu'ins- pire cet esprit douteux, la production documentaire italienne aligne des courts métrages sérieux, con- sacrés le plus souvent à de dures réalités natio- nales dépourvues d'exotisme. Les jeunes documen- taristes se sont intéressés particulièrement à la situation sociale archaïque du sud du pays. Luigi Di Gianni, l'auteur de Magia Lucana (Magie

Tel

enLuCanie, 1958) et Nascita et morte ne1 meridione, San Cataldo (Naissance et mort dans le sud, à San Cataldo, 1959). Le premier film décrit d'antiques rites magiques, toujours vivaces en Lucanie, le second montre, d'une manière quasi allégorique, la vie misérable, absurde et désespérée d'un petit village dans la m ê m e région. De son cûté, Michele Gandin raconte comment s'effectue, dans le sud de l'Italie, la lutte contre l'analphabétisme : Cristo non si è fermato a Eboli, (Le Christ ne s'est pas arreté à Eboli, 1952) ; il raconte aussi ce qu'est là-bas l'éducation de base : Non basta soltanto l'alfabeto (L'alphabet ne suffit pas, 1958). C'est encore l'univers des hommes déshérités qu'aborde Vancinidans Uomini soli (Les hommes seuls, 1959), dans presque chaque ville d'Italie on trouve un dor- toir payant. Quels sont les gens qui y cherchent refuge ? Quel est le destin qui les a conduits à cette solitude ? Vittorio de Seta, dont le tempéra- ment est plus vif, a consacré plusieurs reportages remarquables à l'ethnographie sicilienne. Le thème de Pasqua in Sicilia (1954) est la procession au cours de laquelle les habitants jouent le drame de la mort et de la résurrection du Christ pendant la semaine sainte. Sulfatara (1955) montre la vie dif- ficile des ouvriers travaillant dans les mines de soufre. Lu tempu di li pisci spata (Le temps de la pêche à l'espadon, 1954), décrit, sur un rythme nerveux, comment on poursuit l'espadon et com- ment on le capture au harpon, selon une tradition très ancienne, dans les eaux qui baignent la Calabre et la Sicile. Une sanglante péche au thon, ai: large de la cûte sicilienne est le sujet de Contadini del Mare (Paysans de la mer, 1955). Parabolo d'Oro (Parabole d'or, 19551, primé au Premier Festival international du film ethnographique et sociologique, montre en d'éblouissantes images la survivance, en Sicile, d'une très vieille technique méditerranéenne : en quelques endroits de l'ne, on utilise des mulets pour moissonner et battre le blé.

Gian Luigi Polidoro s'attache, dans Paese d'America (Pays d'Amérique, 1958), à faire con- naî'tre quelques aspects de la vie de la colonie ita- lienne de New. York, attachée aux traditions nationales.

La personnalité la plus attachante de la jeune é Cole document aire italienne est incontestablement Gian Vittorio Baldi. La qualité du style est remar- quable dans Vigilia di mezza estate (Les feux de la Saint-Jean, 1959), Il pianto delle zitelle (La complainte des vieilles filles, 1959) est un reportage

sur un pélerinage célèbre en l'honneur de la Sainte Trinité, qui se déroule dans les environs de Rome, au village de Vallepietra. (Il faut noter que ce thème assez extraordinaire avait déjà fait l'objet d'un excellent film, portant le m ê m e titre, dQ à Giacomo Pozzi Bellini). Les gens des Abruzzes se dirigent vers le sanctuaire du Mont Aurore, le jour de la Sainte Trinité. Le pélerinage réunit des milliers d'hommes et de femmes misérables ; cer- tains ont cheminé trois jours. A la première heure du jour, les pélerins se rassemblent devant le sanctuaire creusé dans le rocher. Dans la logette du sanctuaire, apparaissent bientût les Zitelle, c'est-à-dire les petites vierges (dialecte local) ; ces jeunes filles sont chargées de chanter la pas- sion du Christ dans une atmosphère de fièvre col- lective. Lorsque les Zitelle, se sont retirées, tous les pélerins se précipitent dans l'entrée du sanc- tuaire. Ils défilent devant l'image de la Sainte Trinité, dans un état de surexcitation, hurlant leur propre douleur, leur solitude dramatique.

Dans Via dei Cessati Spiriti, réalisé la m B m e année, Baldi aborde un sujet audacieux : la pros- titution. La technique du reportage n'aurait guère permis ici une peinture satisfaisante. Le cinéaste est parvenu à obtenir le concours de quelques femmes, dont il décrit avec beaucoup de finesse l'attente et le renoncement : Rome, septembre 1959 ; la Via dei Cessati Spiriti est faite de bara- quements, non loin de la Via Appia ; devant chaque maison, une prostituée attend ; ces femmes tra- vaillent de 20 à 24 h. ; leurs clients sont des hommes de condition modeste ; quelqu'un se pré- sente, discute le prix, entre ; hommes indifférents, solitaires, incapables d'aimer. Pour la première fois dans l'histoire du cinéma, la caméra fouille le visage d'une femme dont le métier est de faire 1 ' amour.

Baldi possède une grande expérience de la télé- vision, qui transparaft dans ses deux derniers films, réalisés en 1960, Luciano et la Casa delle Vedove (La maison des veuves). Baldi perfectionne son style, qui allie paradoxalement la plus grande désinvolture apparente à une science consommée de l'image et de la mise en scène. Les couleurs, en particulier, sont d'une beauté exceptionnelle dans le court métrage. Baldi adopte résolument le parti pris de l'interview, dans le style de la télévision ; il laisse ses personnages s'expliquer eux-memes, face à la caméra, face au spectateur. Il les enregistre en son direct. Luciano est un étrange film-confession : Luciano est un jeune vo- leur ; il a 23 ans et habite Via dei Capellari à Rome. Dans le prologue, l'auteur invite le spectateur à pénétrer dans l'intimité de son héros : "Peut-être auras-tu le courage de juger son existence de petit voleur, mais peut- Btre auras-tu honte de découvrir en lui une patience infinie, un courage tenace de vivre, une espérance obstinée". Luciano raconte sa jeunesse misérable, ses démB1és avec sa mère,

1. C1. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, 1955, p. 3.

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avec la police. il déclare gentiment qu'une seule chose l'intéresse dans la vie : manger, boire et voler. Il vit avec une jeune femme, qui lui a donné un bébé. Sa femme et sa mère lui demandent sans cesse de l'argent? Que faire ? Il décrit sa tech- nique : c'est la nuit qu'il commence à vivre ; il se glisse dans les maisons par les fenétres ouvertes, fait les poches des ivrognes qu'il rencontre. Il rentre chez lui à l'aube, salué par le vacarme des oiseaux qui se réveillent. Il chante : "Amour, amour, apporte-moi le soir . . . ".

Casa delle Vedove (La maison des veuves) nous entralhe au Vico10 delle Ceste. Là, au coeur de Rome, se trouve une maison à quatre étages, où treize vieilles femmes achèvent leur existence. Que font- elles ? Quelques-unes travaillent encore. Elles n'ont plus de parents et vivent seules. Comment passent-elles la journée ? Elles restent étendues sur leur lit et, quand il fait trop froid, elles vont à l'église. Elles achètent un litre de lait et du fro- mage. Quelques-unes tricotent. Toutes les journées sont semblables. L'auteur s'efface devant elles et, à tour de r8le, elles évoquent cette "fin de partie". Les hommes et les femmes à qui Baldi s'attache vivent (ou s'apprétent à mourir) en marge de la société ; ils sont comme exilés, oubliés ou perdus au coeur de leur propre société. Baldi est ungrand poète, hanté par la nuit et la tragédie de la solitude.

Il est regrettable que les "documentaristes" italiens soient prisonniers d'un métrage arbitraire, qui les condamne souvent à une description sociologique sommaire. En effet, les usages de la distribution ont imposé aux producteurs le film d'une dizaine de minutes. Il est évident qu'une telle limitationde temps interdit, dans bien des cas, de développer sérieusement le sujet traité. En dépit de ce handi- cap, l'ensemble de la production italienne présen- tée lors du Premier Festival international du film ethnographique et sociologique (Festival des peuples) apparut d'une telle qualité que le jury la distingua collectivement en l'honorant d'une mention spéciale. Du point de vue qui nous intéresse ici, il est inté- ressant de noter que plusieurs de ces films ont été réalisés sous le patronage du Centro Italiano per il Film etnografico et sociologico. Ainsi, il semble qu'une collaboration féconde entre les cinéastes professionnels et les chercheurs scientifiques se soit amorcée en Italie.

5. UN CLASSIQUE ESPAGNOL DU FILM SOCIOLOGIQUE

Los Hurdes (Terre sans pain), de Luis Bunuel

En 1936, Bunuel, qui ne cachait pas son admira- tion pour Borinage, de Storck et Ivens, réalisait un film âpre sur la dégénérescence de l'homme dans la région des Hurdes, les montagnes arides d'Andalousie. Ce film est le portrait cruel d'une communauté qui vit tragiquement isolée et ignorée du reste de l'Espagne. S'agit-il encore d'un

groupement "humain" ? Kélas, la question se pose ici avec une extrême gravité. Des enfants dégue- nillés et rachitiques se rendent à l'école, une petite fille atteinte de gingivite agonise sur la route ; un âne meurt, attaqué par les abeilles ; des hommes émigrent, à Ia recherche de travail ;, ils revien- dront, quelques semaines plus tard, sans avoir rien gagné ; des hommes cherchent du fumier dans la montagne, des feuilles sèches qui serviront d'abord de litière ; à l'intérieur d'une demeure, il n'y a ni fenétre ni chemi&e ; en été, la rivière est à sec et il se forme des mares où pullulent les anophèles, transmetteurs de malaria ; trois jeunes crétins ; la jeune fille morte sur la route est trans- portée au cimetière dans une auge ; 1'Eglise est le seul batiment luxueux des Hurdes ; une famille se couche dans le m ê m e lit, sans se déshabiller.

Un jeune espagnol, Jacinto Esteva, vient de réa- liser courageusement, avec un ami italien, Paolo Bninatto (qui lutta en Sicile, aux c8tés de Dolci, contre l'inertie des pouvoirs publics) un film- enquête sur les ouvriers espagnols émigrés à Genève (Notes sur l'émigration, Espagne 1960).11 ne nous a malheureusement pas été donné de voir ce film, que l'on dit inspiré du chef-d'oeuvre de Bunuel. A l'émigration espagnole appartient, d'autre

part, cette belle monographie relative à la tauro- machie, La course de taureaux. Si nous en avons parlé précédemment, c'est que les auteurs en sont français et que le film fut édité en France (voir p.49 ).

6. LE FILM ETHNOGRAPHIQUE ET SOCIOLOGIQUE AUX ETATS-UNIS APRES FLAHERTY

En marge de la révolution opérée par Flaherty, une oeuvre ethnographique importante, presque contemporaine de Nanook, vit le jour en 1925 : Grass (Pâturages) d'Erne& Schoedsack et Merian Cooper, description de la vie nomade des éleveurs de la steppe asiatique.

diat ; il ne fit pas immédiatement école, comme Grierson en Angleterre. Cependant, entre 1934 et 1940, une pléiade de jeunes cinéastes tentèrent de créer, aux Etats-Unis, un cinéma réaliste, sou- cieux de témoigner avec efficacité des problèmes de la vie sociale. Paul Strand, qui exerçait le m é - tier de photographe depuis 1907, fut l'un des prin- cipaux animateurs de ce mouvement ; il fut impres- sionné par les films de la première école documentaire britannique, qu'il vit à Londres vers 1935. Mais les réalisations qui verront ie jour parallèlement en Amérique se caractériseront par un style plus direct, moins prisonnier de formules esthétiques. Paul Strand avait commencé par tour- ner, en 1922, un très court film expérimental sur New York, Manahatta, inspiré du poème de Walt Whitman. L'essor véritable de la production indé- pendante en Amérique date de 1934. Cette année-là,

Mais Flaherty n'eut pas de successeur immé-

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Paul Strand tourne le premier documentaire social de long métrage à Mexico ; le film porte le titre espagnol Redes ; il est connu aussi sous le titre anglais, The Wave, et le titre français, Le révolté d'Alvarado ; Paul Rotha le signale sous le titre Pescados (Production et photographie Paul Strand). Les acteurs, dirigés par Fred Zinneman, sont les pêcheurs mêmes de la baie de Vera Cruz. Le film a été distribué aux Etats-Unis et en Europe vers 1938-39. Paul Strand rejoint ensuite, à New York, un groupe de jeunes esprits libres, groupés sous l'appellation New York Kino. Il dirige (avec Leo Hurwitz et Ralph Steiner) la photographie du film de Pare Lorentz : The Plow that breaks the Plain (La charrue qui brise la terre, 1935). Ce documen- taire véritable traite du problème de l'érosion des sols, dans les régions de l'ouest. L'année suivante (1936), dans The River (La rivière), Pare Lorentz stigmatise la destruction sauvage des forêts. L'équipe du New York Kin0 fonde avec Paul Strand, en 1937, une coopérative de production, "Frontier Films", dont le nom évoque les nouveaux espaces. La première réalisation de ce mouvement d'action sociale par le cinéma fut un film de montage sur la guerre d'Espagne, Heart of Spain (Le coeur de l'Espagne, 1938). Le film connut un succès impor- tant aux Etats-Unis ; il tint l'affiche pendant six semaines à New York. En 1939, Frontier Films produit un second film sur l'Espagne : Return to Life traite de la rééducation des soldats mutilés et de leur retour au front. Henri Cartier-Bresson, qui faisait partie de ce groupe d'amis fervents, dirigea cette réalisation, assisté de Herbert Kline, le futur auteur de Forgotten Village.

A la m ê m e époque, Frontier Films produit en- core un film sur la résistance chinoise à l'invasion japonaise : China strikes back (la Chine réagit).Ce film, légèrement antérieur à l'oeuvre importante qu'Ivens a consacrée au m ê m e sujet (voir p. 48 ), contient des documents historiques remarquables, dus à l'opérateur Harry Durham, sur Mao-Tsé- Toung et l'entraînement de l'armée rouge.

cinématographiques SOUS la bannière de Frontier Films ; en collaboration avec Ralph Steiner, il réa- lisa, en 1938-1939, un court métrage sur une école populaire du Tennessee (Highlander Folk School) :

-.

Elie Kazan fit aussi ses premières expériences

People of Cumberland. Paul Strand et Leo Hurwitz tournent ensemble Native Land (Pays natal, 1938), un long métrage de fiction sur les libertés civiques aux Etats-Unis ; le scénario s'inspire directement d'une enquête effectuée par une commission d'in- vestigation du Sénat (La Follette-Thomas Commit- tee) ; la distribution associe des acteurs profes- sionnels et non professionnels.

Pare Lorentz, The Plow that breaks the Plain et The River, furent commandités par une adminis- tration publique, la Farm Security Administration. C'est à la m ê m e époque (vers 1940) que Flaherty réalisa pour le Ministère de l'agriculture un film sur la dégradation des sols, The Land, qui fut jugé trop pessimiste pour être diffusé. Il est

Il est intéressant de noter que les deux films de

remarquable aussi que le film de Paul Strand, The Wave (Le révolté d'Alvarado), ait été produit pour le Ministère mexicain de l'éducation nationale, à l'initiative d'un musicien célèbre, Carlos Chavez, qui dirigeait à cette époque le département des beaux-arts.

Le mouvement Frontier Films cessa ses acti- vités vers 1940. Nous retrouvons encore le nom de Ralph Steiner, associé à celui de Willard Van Dyke, au générique de l'un des premiers films consacrés à l'urbanisme : The City (La ville, 1939) produit par 1'American Institute of Planners.

vague de documentaires sociologiques de valeur apparaft dans la production américaine. Ces films restent peu nombreux, cependant, et l'on est frappé de ce fait, face à l'immense production hollywoodienne. Dans le domaine de l'éducation civique, par contre, nous nous trouvons en pré- sence d'une prolifération extravagante de films (voir chapitre VI. 13).

mentaire romancé dont le sujet difficile est la cure de rééducation d'un jeune garçon noir inadapté.

The Quiet One (Le garçon tranquille) est, à tous égards, un film important. 11 décrit, à tra- vers un cas particulier, la vie quotidienne du quartier noir de New York, Harlem, et l'atmos- phère de l'école spécialisée de Wiltwyck. Meyers collabore aussi avec Ben Maddow et avec un scé- nariste très connu, Joseph Strick, à un documen- taire dramatique dont le sujet n'est pas moins dur et amer : The Savage Eye (L'oeil sauvage, 1960). Réalisé avec des moyens de fortune, en marge des usages de la production courante, ce film est un document psychologique et sociologique sur les hommes et les femmes malades de solitude. La caméra s'attache à suivre dans ses moindres dé- tours, au fil d'une année, les pensées d'une jeune divorcée. (Le r81e est interprété par une actrice, Barbara Baxley). Le travail des cinéastes, écrit un critique américain, apparaft comme le résultat d'une froide recherche scientifique/l. La caméra explore avec cruauté les rues, les bars, une église évangélique, un bal d'invertis, apporte autant de témoignages sur notre "nudité", selon le mot de Morvan Lebesquel2.

contribuèrent à renouveler l'approche sociologique au cinéma, au cours de ces dernières années, en basant le récit sur la description authentique d'un milieu, il faut citer The Forgotten Village (Le vil- lage oublié), réalisé par Herbert Kline, d'après un scénario de John Steinbeck (1941). Le film a pour prétexte la résistance qu'oppose aux soins médicaux la population indienne d'un petit village mexicain. Il comporte d'intéressantes notations sur la vie quotidienne des Indiens et rompt délibé- rément avec le style conventionnel des films de fiction. A ce titre, Kline mérite d'&tre considéré

Après la seconde guerre mondiale, une nouvelle

Sidney Meyers réalise, en 1950, un long docu-

Parmi les films "de fiction'' américains qui

1. A. H. Weiler, New York Times, 7 juin, 1960. 2. Morvan Lebesque, L'Express, ler juin 1961.

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c o m m e l'un des précurseurs de la nouvelle école réaliste américaine. U n film de fiction, produit de manière tout à fait indépendante par Herbert J. Biberman, relève du m é m e esprit nouveau : Salt of the Earth (Le sel de la terre). Il est basé sur des faits réels : en janvier 1952, une grève cruelle éclata dans l'industrie minière, à klver City (Nouveau-Mexique). Les travailleurs mexi - cains étaient l'objet d'une discrimination ethnique et le syndicat local se battait pour obtenir les con- ditions de travail accordées par les autres com- pagnies minières. Cette grève dura plus d'un an ; son prétexte fut un problème de sécurité. L e scé- nariste Michael Wilson se rendit sur les lieux m e m e s de la grève. La plupart des r8les furent tenus par de véritables travailleurs. Il faut donc situer cette oeuvre remarquable dans le domaine du documentaire, à la limite du film de fiction.

L'oeuvre attachante de George C. Stoney se rapproche davantage de ce qu'on appelle en Europe le "documentaire social". Il y a beaucoup de ten- dresse dans Al1 m y Babies (Tous mes bébés, 1952) qui obtint le prix spécial du jury au Premier Fes- tival international du film ethnographique et socio- logique. Ce film d'éducation sanitaire dépasse considérablement son propos didactique, qui vise à enseigner aux populations noires du sud des Etats-Unis les règles d'hygiène élémentaires rela- tives à la grossesse et à l'accouchement. Il est devenu un témoignage émouvant sur les relations humaines dans les communautés noires du sud ; celles-ci ont conservé un parfum archaïque, con- trastant avec la sécheresse des rapports qui tendent à s'établir entre les ddecins et les patients dans une certaine médecine bureaucratique. Ceci cons- titue c o m m e l'arrière-plan discret du film ; il se présente, en fait, comme une apologie dela science moderne, dont la sage-femme est chargée de trans- mettre les rudiments aux autres femmes noires. Le sourire de cette grosse nourrice, symbole de la Mère africaine éternelle, est aussi inoubliable que le sourire de Nanook. L'une des scènes les plus bouleversantes de ce beau film est la nais- sance d'un petit homme, filmée sans fausse pudeur. Le film a été réalisé avec l'assistance technique de deux sages-femmes qualifiées et produit sous les auspices du Département de la santé publique de Georgie, par le Medical Audio-Visual Institute of the Association of American Medical Colleges.

Stoney a consacré un article à l'enquete socio- logique exemplaire qu'il effectua pour préparer son film/l. Ii explique qu'au moment où son film a été mis en chantier la majorité des enfants noirs du sud étaient mis au monde par des vieilles femmes illettrées, utilisant des techniques archaïques. Le sujet le passionnait depuis toujours. Il n'eut .pas trop de difficultés à convaincre ses sponsors offi- ciels de la nécessité de prendre des contacts per- sonnels et d'observer le comportement réel des sages-femmes à travers le pays. Ces longues re- cherches préliminaires furent menées avec autant de soin qu'une véritable étude sociographique ; le cinéaste apprit ainsi à connal'trel'écart considérable

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existant entre les prescriptions officielles imposées par les médecins blancs et la pratique. Il en con- clut que la meilleure façon de convaincre le public noir de la valeur des techniques modernes d'accou- chement était de confier le r81e principal du film à une sage-femme noire. En outre, pour Btre con- vaincant, le film devait etre parfaitement authen- tique, présenter des situations réelles. Il est remarquable qu'au cours de son enquete Stoney ait appliqué les règles fondamentales de l'enquete ethnographique ; il rendit visite à un grand nombre de sages-femmes noires, en prenant soin de ne pas se faire accompagner par le médecin blanc officiel, afin de capter l'entière confiance de ses informa- trices. Il observa ainsi que les sages-femmes pré- féraient, d'une manière générale, la clientèle des femmes habituées à respecter les règles de l'hy- giène, abandonnant les autres parturientes aux accoucheuses les moins compétentes ; en effet, la mortalité infantile est plus forte chez les femmes négligées : celles-ci sont censées porter rralheur et les sages-femmes endossent toujours la respon- sabilité des accidents dans l'esprit des gens simples.

Stoney construisit dès lors son film autour de deux thèmes : la sage-femme accouche sans diffi- culté une mère à l'esprit coopératif. Elle s'occupe ensuite d'une ''mauvaise" mère ; elle parvient à arracher à la mort l'enfant né prématurément, en faisant appel à une technique scientifique inconnue de la tradition archaïque : la couveuse. Les confi- dences du cinéaste sur la construction dramatique du film méritent d'être lues attentivement par tous les hommes de science qu'intéresse l'expression cinématographique d'un problème social. Il fallut trouver la vedette, une sage-femme susceptible de plaire à la fois au public noir et à la commis- sion officielle qui assumait la responsabilité scien- tifique du film. Stoney raconte comment, en pour- suivant son enquete, ses vues simplistes sur les sages-femmes noires évoluèrent. Il perdit son attitude condescendante à leur égard, il découvrit des "femmes extraordinaires qui, en dépit de leur ignorance, luttaient pour accomplir un travail vital, contre un adversaire plus fort qu'elles-memes, des femmes qui avaient besoin de notre aide"/2. De celle dont il fit la star du film, l'accoucheuse noire Mary Cooley, Stoney dit qu'elle est 1'8tre humain le plus admirable qu'il ait jamais rencontré. Il fallut capter sa confiance absolue, afin de pouvoir assister, dans la plus grande intimité, au dérou- lement de son travciil. Stoney raconte aussi com- ment la barrière de couleur complique son enquete, suscitant au début la méfiance des Blancs. A leurs yeux, il n'y a que deux raisons de se promener dans le quartier noir : l'achat de whisky oule désir d'une femme. Mais progressivement les Blancs

1. George Stoney : Ail m y Babies : Research,

2. . . . "extraordinary women Who, for all their Film : Book 1, N. Y. 1959.

ignorance, were struggling to do a vital job against tremendous odds, and Who needed help''.

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éprouvèrent un intérêt ému pour le sujet m é m e du film et rendirent, à titre gracieux, de menus ser- vices au cinéaste. Participant étroitement à la vie professionnelle de Mrs Mary, Stoney élabora son scénario au contact de la routine quotidienne. Sans le savoir, Mrs Mary lui avait indiqué comment transposer simplement les 118 exigences imposees par le Comité scientifique responsable du film. Parfaitement intégré dans la communauté noire qu'il avait choisi de décrire sous un angle très particulier, le cinéaste se mua en ethnographe. Mrs Mary et ses patientes acceptèrent de jouer devant la caméra.

Stoney est encore l'auteur de Palmour Street, qui s'attache à un autre aspect de la vie des Noirs du sud, dans une petite communauté rurale. Com- ment les parents peuvent-ils aider leurs enfants à affronter les rigueurs de la vie ? Dans Proud Years, Stoney montre les vieilles gens, leurs problèmes, leurs soucis quotidiens. Le film a été réalisé avec la collaboration scientifique du Dr Frederic D. Zeman et du personnel du Home hébraïque pour vieillards et infirmes, à New York.

Lionel Rogosin aborde le monde du désespoir avec On the Bowery (19561, film-enquête sur les alcooliques déclassés qui échouent dans le célèbre quartier new yorkais, où la mort bient8t les sur- prendra. Pour échapper à la solitude, ils se groupent, forment de petits clans. L'un des colla- borateurs du film, Mark Sufrin, explique ce qu'est the Bowery : un refuge pour des hommes sans abri et sans amis, alcooliques, débiles mentaux, pros- tituées, voleurs sans envergure, chbmeurs irré- ductibles/l. Comment effectuer cette plongée dans la sociologie urbaine, avec les ressources et les limites du cinéma ? Il fallut individualiser le drame collectif, s'attacher à quelques personnalités, mon- trer ces vies sans but, en évitant de tomber dans les pièges de la sentimentalité et de la complaisance. L'enquéte préliminaire dura plusieurs mois : con- versations, observations. Il fut décidé que les ac- teurs, choisis dans le milieu, s'exprimeraient librement, dans leur argot, accompliraient libre- ment les gestes familiers, mais suivant une ligne dramatique préétablie, inspirée de cas réels. Le film fut réalisé avec une équipe réduite, très mo- bile. Les difficultés techniques du tournage dans la rue, dans les bars, furent considérables. U n certain nombre d'images furent prises au moyen d'une caméra dissimulée dans une voiture. m é m e technique fut utilisée parfois dans les bars. Mais des scènes importantes exigeaient la colla- boration effective des "acteurs" et il fallut com- poser avec leur caractère instable, sans compter les démélés avec la police. Ce document étonnant, sans précédent dans l'histoire du cinéma, obtint au Premier Festival des peuples le prix réservé au meilleur film sur la société moderne.

Rogosin se rend ensuite en Afrique du sud, où il tourne clandestinement, sous prétexte d'un repor- tage sur les mines, un film de long métrage qui constitue un témoignage capital sur le racisme en Afrique du sud : Come back Africa (1959). Le

La

cinéaste tente ici, de son propre aveu, de mouler la réalité dans une forme dramatique susceptible de frapper l'imagination, d'attirer l'attention des autres peuples sur la condition misérable des tra- vailleurs noirs. Rogosin pose en termes parfaite- ment clairs le problème du film sociologique : "La réalité sociale totale, écrit-il, est si vaste que toute tentative en vue d'en détailler tous les aspects ne peut qu'aboutir à un catalogue sans signification"/2. 11 refuse cette vue "documentaire" ; la sociologie doit étre la plate-forme de départ, mais il faut viser, comme Flaherty, à l'expres- sion poétique. Rogosin insiste sur l'"importance de la préparation, de l'étude préliminaire du su- jet" ; cette étape, poursuit-il, est nécessaire pour aboutir à une généralisation de l'expérience vécue, c'est-à-dire à une interprétation personnelle des faits. Rendre la réalité passionnante et significative, écrit-il, est, de toute évidence, un processus ar- tistique. Il faut laisser vivre librement les gens que l'on veut décrire, mais s'efforcer de les accor- der avec les thèmes que le metteur en scène dé- couvre dans leur comportement méme. Cette dé- marche, souligne-t-il encore, est radicalement différente de la réalisation normale d'un film de fiction, où les r8les sont confiés à des acteurs professionnels, où le scénario est essentiellement l'oeuvre d'un écrivain. Mon but, écrit Rogosin, est de pénétrer profondément dans l'intimité d'un milieu particulier. M a méthode m e permet d'ex- plorer la personnalité réelle de l'acteur non pro- fessionnel et de rechercher les moyens de l'expri- mer. On voit que cette approche est voisine de celle de Jean Rouch. C'est l'esprit m é m e de Fla- herty qui les anime l'un et l'autre. "Je désire don- ner à l'homme, écrit Rogosin, une nouvelle dignité, faire un héros national authentique d'un fermier du Nebraska, d'un mineur de Pennsylvanie, d'un con- ducteur de taxi de Harlem"/3. Le visage de l'acteur non professionnel est le symbole du groupe auquel il appartient. Mais, dans chaque société, il y a des acteurs-nés, dont la propre personnalité cul- turelle n'est pas annihilée par la qualité m é m e d'acteur. Rogosin pense qu'un acteur-né, parmi les Zoulous, s'affirmera essentiellement dans le r81e qu'il assume devant la caméra comme un re- présentant de la tribu Zoulou. Rogosin est convaincu que des amateurs, jouant leur propre r8le, peuvent atteindreles limites del'expression émotive. Rouch, de son c8té, exprime la m é m e confiance, mais s'efforce davantage d'explorer les personnalités individuelles ; il tente même, nous l'avons vu, de

1. Mark Sufrin, Filming a skid row. 2. "The total reality of a community or a Society

is so vast that any attempt to detail is entirety would result in nothing than a meaningless cata- logue of staie, factuai representation". Lionel Rogosin, The Making of "Come back Africa" Film Culture, New York, no 21.

3. "1 want to give man a new dignity, to make a true national hero of a Nebraska farmer, a Pennsylvania coal miner, a Harlem taxi driver".

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faire de la caméra un instrument de psychanalyse collective. Si Come back Africa ne constitue pas précisément, de l'aveu m ê m e de son auteur, un documentaire, ce n'en est pas moins l'un des -- ments sociologiques les plus importants sur la condition du prolétariat sud-africain. Le film est une synthèse des difficultés que les Noirs affrontent chaque jour ; le scénario fut élaboré avec le con- cours de deux Africains. Pour les enregistrements sonores, Rogosin utilise une technique qu'il appelle "le dialogue spontané contrûlé" (controlled, spon- taneous dialogue). Il se borne à indiquer le thème général de chaque scène. Il laisse ainsi, comme Rouch, une grande part d'initiative à l'improvisa- tion des "acteurs" ; mais les répétitions préalables sont nombreuses, car il s'agit de découvrir, dans le feu de l'action, les mots les plus justes. Chaque scène est enregistrée au moyen de deux caméras, afin d'obtenir deux angles différents et d'éviter cours de tournage des répétitions artificielles qui risqueraient de rompre la spontanéité et l'authen- ticité du dialogue. On le voit, le r81e créateur ac- cordé à "l'acteur" amateur est considérable dans cette expression nouvelle de la réalité sociale, dans cette recherche passionnée de la forme "la plus libre possible", la plus proche de la vérité.

L'activité du Film Study Center rattaché au Peabody Museum de l'Université Harvard, inté- res se essentiellement l'enseignement de 1' anthro- pologie culturelle (voir p. 73). Cette institution spé- cialisée a produit un film important, The Hunters, de John Marshall et Bob Gardner (1956), un film qui renoue avec la grande tradition épique de Nanook et trouve sa place dans ce panorama géné- ral des oeuvres les plus marquantes. Ce long mé- trage, dont la photographie en 16 mm n'est pas toujours parfaite, s'est vu décerner, à juste titre, le Grand Prix du Festival des peuples, à Florence, en 1959 "pour sa probité dans la représentation du triomphe primitif de l'homme sur la nature". T A Hunters, c'est l'histoire, racontée sans emphase, d'une grande et terrible chasse à la girafe chez les Boschimans, une quéte acharnée de la nourri- ture, vécue aux c8tés des chasseurs.

Au cours de diverses missions anthropologiques chez les Boschimans du Kalahari, en 1951-52 et en 1955, John Marshall impressionna plus de 500. O00 pieds de pellicule Kodachrome, dans l'espoir de constituer les archives filmées complètes de la tribu Kung du sud-ouest africain. The Hunters ré- sulte d'un montage judicieux, d'un "choix royal" opéré par Bob Gardner parmi les éléments les plus remarquables de ce matériel exceptionnellement abondant. Le thème du film est la chasse, sa tech- nique, sa signification. Quatre hommes poursuivent pendant plusieurs jours une girafe blessée d'une flèche empoisonnée. Cet événement constitue la ligne dramatique du film, dont la structure est beaucoup plus riche et plus complexe que celle d'un reportage pur et simple. L'intervention créatri ce au niveau du montage est prépondérante. En effet, cette grande chasse est à la fois réelle et idéale ; le récit se compose de scènes empruntées à des

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parties de chasse distinctes, s'échelonnant sur une période de cinq ans. La plupart des scènes ont été prises sur le vif, sans que les acteurs aient été dirigés. La plus envoûtante, celle qui fournit au film son climax, est la mort affreuse de la girafe. L'animal meurt debout, engourdi par le poison. Les chasseurs l'ont rejoint enfin à la trace, après une très longue errance ; à pré- sent ils le harcèlent de leurs javelots et la girafe se défend à coups de sabot. Il y a, dans ce dénoue- ment, une extraordinaire dignité : dignité de l'ani- mal, dignité de l'homme qui tue sans cruauté, pai- siblement, pour vivre. L'invention dramatique du montage n'altère en rien l'authenticité des prises de vues. Il introduit simplement un temps, une continuité fictive mais plausible. On voit en quoi la méthode utilisée diffère de celle de Flaherty, qui utilisait un scénario minutieux au départ et intervenait dans la direction des acteurs. Privés de scénario, c'est-à-dire sans direction précise au départ, les cinéastes n'auraient vraisemblable- ment pas pu aboutir à un résultat aussi remarquable s'ils n'avaient eu la possibilité de tourner un mé- trage considérable, tout à fait inhabituel. Gardner et Marshall ouvrent ainsi une voie nouvelle au film de reportage, dont ils approfondissent les ressources. Plusieurs autres films sur les Boschimans sont en cours de montage au Film Study Center.

Le grand magazine Time Incorporated assure le financement d'une jeune équipe de réalisateurs (Filmakers) qui a réalisé, en 16 mm, une série de films sur des thèmes sociaux brûlants, destinés essentiellement à la télévision, sous la direction du producteur Bob Drew. Cette équipe comprend notamment Leacock (qui fut l'opérateur de Flaherty), Pennebaker et Maysiles. Pour saisir sur le vif les divers aspects d'une situation, ces réalisateurs travaillent par petites équipes de deux techniciens solidaires, un cameraman et un ingénieur du son. Ils suivent ainsi pas à pas les personnages auxquels ils s'attachent et se maintiennent en prise directe sur la vie. Grâce à cette technique extrêmement mobile de la caméra passe-partout, les réalisa- teurs ont réussi à filmer de la manière la plus familière l'actuel président Kennedy au cours de la première campagne électorale qui l'opposait au sénateur Humphrey (Primary) ; ils nous font par- ticiper aussi à la vaine tension dramatique d'une course automobile en vivant plusieurs heures aux c8tés de l'un des participants (On the Post). Les documents cinématographiques bruts esquissent ici le portrait d'un homme, chimérique et senti- mental, perdu dans une immense foire aux illusions. Dans "Yanki no'' l'équipe Filmakers tente, avec beaucoup de courage et de lucidité, d'éclairer l'opinion publique de son pays sur les véritables problèpes économiques et sociaux qui se posent en Amérique latine (Venezuela et Cuba). Les réa- lisateurs utilisent ici parallèlement la technique de l'interview et celle du documentaire classique.

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7. L'OFFICE NATIONAL D U FILM DU CANADA (THE NATIONAL FILM BOARD OF CANADA)

Au début de la deuxième guerre mondiale, le cé- lèbre producteur anglais Grierson fut invité par le Gouvernement canadien à mettre sur pied un grand organisme national de production. Ce fut l'origine du National film board of Canada (Office national du film), l'un des plus importants centres mondiaux de production de films documentaires de qualité. L'un des buts essentiels de l'Office est deproduire des films "qui soient un reflet de la vie et de la pensée canadiennes"/l. L'ONF dispose d'un très vaste réseau de diffusion, tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger. Nous ne retiendrons ici que quelques aspects très particuliers de cette activité créatrice considérable ; au cours de ces dernières années, les films de caractère sociologique se sont considérablement multipliés, grâce à la demande de la télévision. Les deux caractéristiques princi- pales de cette production sont l'utilisation généra- lisée du format 16 mm et la fréquente participation d'acteurs professionnels à l'action dramatique, bien que le point de vue "documentaire" domine toujours. Parmi les "séries" qui intéressent pius spécialement notre sujet (car elles fournissent une documentation honnete sur les problèmes sociaux actuels du Canada, voire d'autres régions), citons "Temps présent" (World in action), un ensemblede films sociaux en 16 mm destinés à la télévision.On y trouve notamment plusieurs films concernant la sociologie du travail ; par exemple, cette étude en plusieurs chapitres de l'homme et du travail dans l'entreprise moderne, qui comporte six films (1058) : L'employé (The Clerk), Le contremaftre (TLe General Foreman), &Chef de départemst (The Department Manager), LAa chaîne (The manon thynssembly Line), L'ouvrier qualifié (The Skilled Worker), Le vice-président (The Vice-President). La formule de ces films est intéressante, rarement utilisée en Europe ; leur but est de provoquer chez le spectateur une prise de conscience. Dès lors, les thèses les plus contradictoires sur les pro- blèmes humains du travail sont émises dans ces films par des acteurs professionnels qui traduisent les sentiments authentiques des hommes très divers dont ils tiennent le rble. Ces films sont donc soi- gneusement construits comme autant de petits films de fiction centrés sur un problème de la vie psycho- sociologique dont les résonances affectives sont très vives. Dans la dernière partie du film, un spécialiste de la psychologie industrielle discute avec l'acteur principal de la pPrsonnalité du héros. Parmi les oeuvres intéressantes de la série Temps présent, il faut citer aussi un ingénieux montage d'actualités retraçant l'histoire agitée du mouve- ment féministe : L'essor féminin (Women on the March). Ce film, produit par .Tacques Bobet, obtint le prix Eurovision en 1959. U n autre série, égale- ment destinée à la télévision, intéresse spéciale- ment notre sujet : elle s'intitule Comparaisons (Comparisons). On y trouve un film sociologique

fort intéressant, conçu d'une manière originale et rigoureusement scientifique par Tan MacNeill, sous le contrble de deux anthropologues bien connus, Margaret Mead (Etats-Unis) pour la version an- glaise, Marcel Rioux (Canada) pour la version française : Four Families (Quatre enfants du monde), 1959. Le film est introduit, dans le style "télévi- sion" par une interview du superviseur scientifique ; celui-ci commente ensuite, d'un ton très libre, qui tient de l'improvisation, quatre séquences qui pré- sentent, avec une rare acuité, l'intimité de quatre familles appartenant à la classe moyenne paysanne en Inde, au Japon, en France, au Canada. Des do- cuments aussi difficiles à enregistrer exigeaient naturellement l'utilisation de la caméra partici- pante ; il est remarquable de constater à quel point les quatre cinéastes (Richard Gilbert, Fali Bilimo- ria, William Novik et John Buss) se sont tirés avec délicatesse de cette tâche difficile. Les enfants sont d'un naturel remarquable. Chaque cinéaste travaillait avec la collaboration d'un conseiller scientifique régional. Le film illustre les concep- tions anthropologiques typiques de l'école psycho- sociologique américaine (Margaret Mead, Ralph Linton et Abraham Kardiner) : les techniques d'édu- cation, particulièrement celles de la première en- fance, sont uniformes dans un milieu social homo- gène et tendent à créer une personnalité culturelle de base, un "caractère national". Le comportement du père et de la mère à l'égard des enfants varie sensiblement dans ces quatre échantillons de civi- lisation, orientant différemment l'attitude des enfants. Parmi ceux-ci, le personnage principal du film est un bébé d'un an environ, que nous re- trouvons dans les quatre milieux étudiés. Ce film ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine du film sociologique : il constitue une véritable leçon en images, de niveau universitaire, sur un thème sociologique précis. Les images, très belles, souvent émouvantes, ne sacrifient jamais au pitto- resque ; elles sont utilisées avec rigueur au ser- vice d'un propos scientifique qui réussit toujours à forcer l'attention - en dépit de la complexité de la thèse, qui est sans doute exposée en termes trop simplistes, à l'usage du grand public. Ce film est destiné tout particulièrement à la télévision. m ê m e série Comparisons contient encore une étude en six parties sur la sociologie des quartiers sub- urbains (Suburban Living : Six Solutions), confron- tant les nouvelles solutions proposées par l'urba- nisme au Canada, en Grande-Bretagne, en Suède, aux Pays-Bas. U n autre film, intéressant cette fois l'histoire des religions, est en préparation : il comparera quelques aspects du christianisme, du bouddhisme, de l'hindouisme et de l'Islam, et sera commenté par Arnold Toynbee (Four Religions).

11 faut citer encore une troisième série de films de 16 mm, intitulée "Silhouettes canadiennes" (Faces of Canada), bien que l'intérêt sociologique en soit plus mince. Chacun de ces films trèû brefs est le portrait d'un homme simple, exerçant son

La

1. Rapport annuel de l'ONF, 1958-59.

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métier : le photographe, la femme de ménage, l'éclusier, le chauffeur de taxi, etc.

La production de l'Office national du film com- porte un grand nombre de films spécialisés, sus- ceptibles d'étre utilisés dans l'enseignement des sciences sociales : nous les envisagerons systé- matiquement au cours du prochain chapitre (voir p. 71). Nous nous contenterons de signaler ici quelques oeuvres mrquantes. Parmi les nombreux films consacrés aux problèmes du travail, rele- vons l'excellent Strike in Town (La ville en grève) de Leslie M c Farlaine (1 955), et The Back-Breaking Leaf (La feuille qui vous rompt le dos, 1960), de Terence M c Cartney-Filgate. Strike in Town (La ville en grève), court métrage de fiction construit sur un "suspense", montre comment une grève est évitée de justesse dans une fabrique de meubles, comment s'effectue la procédure de conciliation entre les délégués patronaux et syndicaux. A la construction dramatique de ce film, interprété par des acteurs professionnels, s'oppose la con- ception rigoureusement documentaire de The Back- Breaking Leaf (destiné à la télévision), dont les protagonistes sont d'authentiques ouvriers agricoles venus s'embaucher pour le dur travail saisonnier de la récolte du tabac dans l'Ontario. La caméra enregistre un conflit du travail et la manière dont il est résolu par voie d'arbitrage. Les images du travail, dans la chaleur étouffante de l'été, sont d'une grande beauté. Terence M c Cartney-Fi lgate est aussi l'auteur d'un reportage sur l'un des lieux de pélerinage les plus célèbres de l'Amérique du nord, l'Oratoire St Joseph (Montréal) : Les pélerins (Pilgrimage, 1958). L'ONF produit des monogra- phies sur de nombreux sujets sociologiques parti- culiers ; parmi celles-ci, il faut distinguer tout spécialement, pour la perfection de sa réalisation, City of Gold (Capitale de l'or, 1957), le beau film de Colin Low et Wolf Koenig évoquant, au moyen de photographies anciennes, la ruée vers l'or du Klondike au début du siècle - recherche démente d'un bonheur chimérique qui amena à Dawson City 30. 000 hommes aussi passionnés que futiles. La ville abandonnée ne compte plus aujourd'hui que 500 habitants. Ce film constitue l'une des rares utilisations cinématographiques des archives pho- tographiques ; sa réalisation exigea trois ans de recherches patientes.

Les qualités humoristiques d'un reportage de Gilles Groux et Michel Brault, Raquetteurs, mé- ritent de retenir l'attention (1960). C'est unportrait satirique des loisirs de la société canadienne qu'es- quissent les auteurs & propos d'une compétition sportive d'un genre inhabituel : une course sur la neige, au cours de laquelle les coureurs portent des raquettes aux pieds. En France, Michel Brault sera le "cameraman" habile de Jean Rouch et Edgar Morin dans Chronique d'un été.

Nous avons déjà observé que les réalisateurs de 1'ONF aiment utiliser la technique de l'affabula- tion romanesque pour aborder les thèmes sociaux les plus divers ; c'est ainsi que Fernand Dansereau l$emploie dans Pays neuf (un moyen métrage de

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fiction en 16 mm), pour dessiner le "profil de l'homme d'affaires que passionne l'aventure mi- nière" et décrire "comment naissent et s'édifient ces villes-frontières qui abondent maintenant dans le Québec". Son héros est un Canadien français, représentatif d'un groupe ethnique minoritaire qui ''cherche de plus en plus à se tailler une place dans le cadre de l'économie nord-amérhaine".

Le m é m e cinéaste s'attache à décrire, dans un autre "film dramatique" de moyen métrage (égale- ment en 16 mm), la vie quotidienne d'une famille rurale du Canada français dans Le mai'tre du Pérou (1958). Le film évoque, à travers une histoire fic- tive, les difficultés qu'affronte, dans la province de Québec, le cultivateur soucieux de conserver dans la famille le "vieux bien", la propriété trans- mise de père en fils. Ici aussi, la fiction n'est qu'un prétexte, le témoignage social est le véri- table but du film : "Comment vit-on à la campagne aujourd'hui ? Ou en est l'agriculture au Canada français et quels sont les principaux problèmes auxquels doit faire face le cultivateur ? ''

Parfois le thème sociologique fait l'objet d'un véritable film de fiction de long métrage - tel ce "film dramatique" de près de deux heures, intitulé Les brnlés (16 mm, scénario et réalisation de Bernard Devlin, d'après un roman d'Hervé Biron, 1958) qui reconstitue, sur les lieux mêmes, la grande marche colonisatrice des années 30 dans les territoires de l'Abitibi, à la suite de la crise économique mondiale. Les réalisateurs canadiens utilisent volontiers les acteurs professionnels, non seulement pour ce genre de films, mais aussi, nous l'avons vu, pour des films-débats (par exemple ceux qui traitent des divers emplois dans l'entre- prise moderne), dont le but didactique est plus ac- cusé. Cette technique, au service d'un point de vue documentaire est fort valable. Mais il est frappant de constater que des acteurs amateurs malhabiles, appartenant au milieu que le cinéaste veut décrire, sont souvent plus convaincants que des acteurs pro- fessionnels, m ê m e iorsqu'ils "jouent vrai". 11 ar- rive cependant que les cinéastes canadiens utilisent la formule "documentaire" de la caméra partici- pante ; c'est ainsi que Wolf Koenig décrit la paysan- nerie canadienne moderne dans la province de Qué- bec, à l'époque de la moisson, dans La battaison (1959). Terence M c Cartney, de son c8té, n'intro- duit aucune part "fictive" dans The Back-Breaking Leaf (voir plus haut).

Quelle que soit la formule du film, tout l'effort de l'Office national du film est d'esprit "documen- taire" ; il vise à fixer l'image authentique d'un peuple, tout en encourageant les manifestations les plus libres de l'art cinématographique. C'est l'une des entreprises cinématographiques collectives les plus remarquables qui aient jamais été mises sur pied à cette fin.

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8. TENDANCES DU FILM "ETHNOGRAPHIQUE" EN URSS

Nous avons vu que les savants soviétiques englobent radicalement, dans le concept "ethnographie", l'en- semble de la vie culturelle de tous les peuples sans exception, que leur statut technique soit ou non ar- chaïque. Les ethnographes, comme les cinéastes, accordent un intérêt tout particulier aux transfor- mations de la société. Cette préoccupation marque très fortement le cinéma russe classique, qui doit son essor à la Révolution d'octobre. On connaît as- sez la prédilection du cinéma soviétique pour les thèmes sociaux dans les films de fiction. A cet égard, le merveilleux film de Nicolas Ekk, Le che- min de la vie (1931), est l'un des premiers docu- ments cinématographiques romancés sur l'enfance délinquante. Eisenstein consacrait, en 1929, un chef-d'oeuvre incontesté à la modernisation de l'équipement des campagnes, La ligne générale. Bien que le réalisateur fasse jouer de vrais pay- sans, l'admirable style expressionniste très éla- boré des images et du récit ne permet guère d'in- tégrer ce film dans la catégorie des "documentaires". Il en est de m ê m e del'oeuvre maîtresse de Dovjenko, La terre (1930), qui évoque également le problème de la collectivisation du sol en URSS.

A la m ê m e époque, Victor Turin consacrait àla construction d'un chemin de fer en Asie centrale un film épique, dominé également par des préoccu- pations st ylistiques : Turksib (1929). Selon Paul Rotha/l ce fut le premier film qui définît claire- ment l'approche documentaire dans le cinéma so- viétique. Les films de propagande sociale et d'ins- truction qui caractérisent la production soviétique récente sont malheureusement d'un style fort con- ventionnel. Les grands travaux industriels, l'effort collectif, n'ont cessé de fournir l'essentiel de la thématique. Citons quelques films tournés dans les républiques asiatiques : L'histoire des travailleurs du pétrole de la Caspienne (réalisateur : R. Carmen, AzerbaFdjan, 1953) ; Les travailleurs du pétrole au Turkménistan (réalisateur : M. Mei) ; Bakou et ses citoyens (réalisateur : L. Safarov, Azerbaïdjan). Les ethnographes soviétiques se sont intéressés particulièrement à la culture des ouvriers du pé- trole, notamment à Bakou et à Borislav, en Ukraine occidentale, où un mode de vie original s'est formé au contact de deux cultures, l'ukrainienne et la po- lonaise. Des études ethnographiques ont porté aussi. sur les ouvriers du pétrole en Turkménistan, où l'industrie pétrolière est plus récente. Ces diffé- rentes étapes du développement industriel ont per- mis aux chercheurs soviétiques d'entreprendre une étude de sociologie dynamique, situant les ccutumes propres à chaque région dans un processus de déve- loppement/2. Cette perspective analytique se rap- proche, au moins par sa volonté historiciste, de celle que le sociologue français Balandier a pro- posée pour l'analyse des sociétés africaines en transition.

Pensées joyeuses (réalisateurs : Medvedkin et Abusentov) décrit, dans le m&me esprit, le passage

du stade nomade à la civilisation industrielle au Kazakstan. La steppe aride (réalisateur : Tomberg) montre la vie sociale de la plus grande ferme dIEtat d'URSS vouée à la culture du coton (le cycle de la récolte en 1958, la vie des travailleurs et des chercheurs scientifiques). Cette conception, typiquement soviétique, du film ethnographique est très nette aussi dans un long documentaire sur l'accélération de l'histoire dans la patrie de Tamer- lan : Visitons l'Ouzbekistan(réa1isateur : Kayunov) est une monographie régionale confrontant le passé et le présent du peuple ouzbek.

Si les films "ethnographiques" soviétiques marquent une prédilection nette pour les change- ments sociaux, le cinéma soviétique exalte cepen- dant aussi la valeur des traditions artistiques po- pulaires. Signalons aussi que beaucoup d'équipes ethnographiques engagées dans des recherches ''sur ie terrain'' comprennent un cinéaste profes- sionnel, qui tient en quelque sorte le journal filmé de l'expédition. Mais cette conception du film "ethnographique" diffère sensiblement de celle qui anime les chercheurs d'Europe occidentale, pour qui le film de voyage constitue un genre récréatif distinct.

U n petit film tout à fait remarquable doit être distingué, car il trouve sa place à c8té de Nanook ou de The Hunters (voir p.58) parmi les reportages de chasse les plus remarquables de l'histoire du cinéma. Il s'agit ici d'une chasse de type moderne, destinée à enrichir les jardins zoologiques : La - chasse au tigre (réalisateur : Gouline), consazée à la capture des tigres et des léopards en Sibérie orientale.

Parmi les reportages de guerre, exceptionnel- lement nombreux, il faut accorder une attention toute spéciale à Un jour de guerre en URSS, tourné le 13 juin 1942, un jour parmi tant d'autres, par 150 opérateurs dispersés dans le pays, qui ten- tèrent de cristalliser un moment précis de l'his- toire globale d'un peuple - extraordinaire saisie de ce que l'onpourrait appeler l'instant sociologique.

9. LE FILM ET LES TRADITIONS POPULAIRES DANS QUELQUES PAYS D'EUROPE ORIENTALE

L'intérêt des documentaristes pour la culture popu- laire, pour les traditions qu'on appellerait "folklo- riques" en Europe occidentale, est très vif en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie, en Pologne, en Yougoslavie. D e nom- breux films ont été consacrés aux danses paysannes, aux chants, aux rites archaïques du mariage, aux

1. Documentary Film, p. 101. 2. V. Kroupianskaia, L. Potapov, L. Terentieva.

Problèmes essentiels de l'étude ethnographique des peuples de l'URSS, Moscou 1960, Commu- nications de la délégation soviétique au VIe Con- grès international des sciences anthropologiques et ethnologiques, Paris.

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carnavals, aux métiers d'art, bref à tout ce qui, dans les modes de vie traditionnels donne couleurs et style particuliers à un mode de vie régional. Tous ces films constituent d'intéressantes archives cinématographiques et l'ethnographe des traditions populaires s'y intéressera d'autant plus que les po- pulations rurales d'Europe occidentale, davantage intégrées dans la civilisation industrielle atone, n'ont pas SU préserver au m é m e degré cet héritage collectif. En Europe orientale, les minorités eth- niques sont nombreuses ; elles ont conservé leurs traits culturels particuliers ; malheureusement, c'est trop souvent la valeur pittoresque des cou- tumes (et non leur sens profond) qui retient l'atten- tion du cinéaste, qui réalise alors un film touris- tique et non un film sociologique. Cette production cinématographique spécialisée est encouragée, en Europe orientale, par une idéologie officielle assez complexe ; elle ne m e paraft pas basée sur un éloge pur et simple de la tradition paysanne et des cul- tures régionales ; cette attitude risquerait, en effet, d'étre taxée de réactionnaire. Il semble, si l'on étudie les thèmes abordés à l'écran, qu'un certain nombre d'éléments de la tradition populaire seule- ment sont jugés valables sur le plan "culturel"; il m e paraft que ce choix a été fait, consciemment ou inconsciemment, selon un critère esthétique. La plupart de ces films "ethnographiques" exaltent, en fait, soit la E e , soit un aspect de l'art populaire et l'on comprend dès lors que l'un des plus émi- nents spécialistes de la musique slovaque, le pro- fesseur Plicka, vice-président du Comité interna- tional du film ethnographique et sociologique, défende le droit pour l'ethnographe-cinéaste d'ex- primer la culture de son peuple par le truchement de sa sensibilité artistique propre (voir p. 76). Il s'agit, en effet, pour le cinéaste, dans cette pers- pective, de communier, de composer une "sympho- nie visuelle" en se servant des chants, des danses, des rites joyeux. A cet égard, l'oeuvre cinématographique du pro-

fesseur Plicka m e parart traduire de la manière la plus explicite une conception du film ethnographique typique de l'Europe orientale. On n'en trouve guère d'équivalent en Occident, à quelques exceptions remarquables près, tel le film pénétrant et chaleu- reux que Jean Cleinge et Gérard D e Boe ont consacré, en Belgique, au carnaval de Binche. Karel Plicka est à la fois un savant musicologue et un artiste. Il fut l'un des fondateurs de la Faculté du film (FAMU) de Prague. Dès 1928, ce pionnier avait réalisé un film sur les jeux pastoraux du centre et du nord de la Slovaquie : Hry Slovenské Mladeie (Jeux de la jeunesse slovaque). Mais son film le plus important est un moyen métrage, Z e m Spieva (La terre qui chante), 1933, qu'il considère lui-même comme un poème cinématographique dédié au peuple slovaque, à ses chants, aux jeux de ses enfants et de ses jeunes gens, aux travaux de la moisson. Notons aussi que Karel Plicka est l'auteur d'un reportage tourné aux Etats-Unis en 1935 : Za Slovaky z New Yorku do Mississipi). (Sur les traces des Slovaques, de New York au Mississipi). La structure esthétique

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de La terre qui chante illustre la conception théo- rique de l'auteur, qui envisage le film ethnogra- phique comme une "dramaturgie" (voir p. 70). Sou- lignons que la date méme de ce film (1933) mérite qu'on le considère comme l'oeuvre d'un précurseur du film ethnographique. Son auteur l'a construit comme une symphonie, symbolisant la vie multi- forme du peuple slovaque selon le rythme de la nature. Ce n'est pas le lieu d'engager ici un débat sur la validité, du point de vue d'une poétique spé- cifiquement cinématographique, d'une telle con- ception esthétique. Du point de vue sociologique, Plicka est l'un des premiers à avoir tenté d'expri- mer à l'écran, en Europe orientale, et indépen- damment de l'école documentaire anglaise, la vie des gens simples. Karel Plicka est aussi l'auteur de L'éternelle chanson (VkCna Pisefi, 1941). Il faut noter ce qui sépare la conception "ethnographique" du savant tchèque des préoccupations sociales propres à l'école de Grierson. C'est le temps libre, le temps des chants et des danses, des rites collectifs, qui passionne Karel Plicka. Par le tru- chement de films qui sont eux-mémes des recherches esthétiques, les cinéastes tchèques qui suivront la voie indiquée par Plicka exaltent, au fond, ce qui, dans la culture populaire régionale, apparaft comme le produit de la sensibilité, de l'invention collectives. Les diverses écoles documentaristes occidentales se sont davantage penchées sur les aspects quoti- diens de la vie collective, en construisant une poé- tique à partir des gestes apparemment anodins, et rarement à partir de gestes qui constituent déjà en eux-memes des oeuvres d'art. L'ouvrier et le paysan dansent et chantent rarement dans les meil- leures oeuvres du cinéma occidental (tout au plus sifflotent-t-ils. . . ). D'une certaine façon, le film "ethnographique" appartient souvent, en Europe orientale, à la catégorie des films sur l'art. Je crains qu'un certain parti-pris constant de bonne humeur ne finisse par lasser à l'écran. L'optimisme du cinéaste, son enthousiasme devant la ''culture'' populaire, risquent d'enfermer le cinéma ethnogra- phique dans une formule trop étroite, trop facile, qui n'atteint que la superficie des faits sociaux. On peut regretter l'impression d'artificiel qui se dé- gage d'un certain nombre de films qu'inspire visi- blement cet état d'esprit. Parfois méme ces films "ethnographiques" consacrés aux traditions popu- laires sont entièrement joués en studio (j'ai vu ainsi un certain nombre de ''noces paysannes" peu convaincantes, quel qu'ait été le souci scientifique d'authenticité qui a présidé à ces entreprises). On en arrive trop souvent, dans cette voie, à des docu- ments archéologiques coupés de toute réalité vivante. On pourrait reprocher aussi à tant de films "ethno- graphique s '' cons ac fi s aux traditions populaires d'évoquer une paysannerie d'opérette, sans rapport avec la vie quotidienne. Pourquoi s'obstiner à ne montrer qu'un peuple du dimanche, des hommes et des femmes au sourire stéréotypé, guindés dans leurs beaux atours 3 Sans doute est-il important d'enregistrer ces traditions esthétiques qui résis- teront difficilement aux transformations qu'imposent,

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bon gré mal gré, à la vie paysanne la civilisation industrielle. Mais peut -être faudrait -il trouver des formules nouvelles, un langage plus libre, moins conventionnel.

A coté du film ethnographique de ce premier type, une autre catégorie d'oeuvres intéressent notre propos : les films qui insistent sur les chan- gements sociaux intervenus pour améliorer les conditions de vie jugées archaïques. Citons le film que Dimitrij Plichta a consacré, en Tchécoslova- quie encore, à la lutte contre la maladie, la misère et l'analphabétisme chez les Tziganes (Upre Roma, 1955). L'intention profonde des oeuvres apparte- nant à ce second type est parfois ambiguë, comme si leur propos se situait A la frontière indécise qui sépare ce qui semble digne d'être conservé et ce qu'il faut abolir dans la tradition populaire. Tel cet intéressant filni technologique de F. Granec et L, Raran (Kde mele vitr, Comme moud levent, 1959), qui montre ce que fut le travail du meunier dans un des vieux moulins abandonnés de Slovaquie. Ce film, qui fut distingué au Premier Festival des peuples, y fut présenté comme un témoignage d'une situation économico-sociale périmée. Onle voit en Europe occidentale comme en Europe orientale, les incidences idéolcgiques, la philosophie sociale parti- culière de l'auteur ou de la société dans laquelle il vit, ne peuvent être négligées dans l'analyse des thèmes sociologiques retenus par les diverses écoles documentaires.

logue. Nous tenterons seulement dlindiquer les grands courants, les centres d'intéret.

a. Les films sur les métiers anciens intéresseront tous les spécialistes del'histolre de l'art et de latech- nologie. Retenons quelques titres : Lidé Pod Snehem (Oes gens sous laneige) de Vladimir Sis (Valachie) (Tchécoslovaquie, 1948) ; z Lidovfch Motivu (Tissus et impressions populaires), de LudvfkBaran et Vla- dislav 'Delong (Tchécoslovaquie, 1953). Rêves brodés, l'histoire des broderies bulgares (réalisation S. Topal- djikov, Bulgarie, 1956). Dansla catégorie des métiers anciens, citons : Huta zprzed Stulat (Une fonderie de cent ans, de J. Gabryelski (Pologne, 1956) ; Pukanski Kolari (Les charrons de Pukanec) de Vlado Bahna (Slovaquie) (Tchécoslovaquie, 1947).

sacrés aux danses et à la musique populaires sont nombreux. Outre les films de K. Plicka, citons : Valasské tance (Danses vala*s), de V5clav KaSlfk (Tchécoslovaquie, 1949) ; Tavasz, de Tamas Bano- vitch (Hongrie, 1958) ; Slatki Fleiti (Douces flûtes) de K. Kostov (Bulgarie, 1957).

c. Dans le domaine des coutumes régionales, on notera une nette prédilection pour le thème des noces paysannes : Wesele I<urpiowskie .(Les noces à Kurpie, de J. Gabryelski (Pologne) ; Svatba na Moravském Slov&+ (Mariage en Moravie slovaque) de Jindrich Ferenc (Tchécoslovaquie, 1945) ; Wesele na Bukovinie (Noces en Bukovine) de Wlod- zimierz Borowik (Pologne, 1948) ; Nunt5 ciobgneasca (Noces pastorales) de Ion Rodan (Roumanie, 1957) ; Nevesta le jemiji slovo (Jeune fiancée, fais tes

Il nous est impossible d'esquisser ici un cata-

b. Les films d'intérêt ethno-musicologique con-

adieux) (Yougoslavie, 1947) ; Ecserilakodalom (Les noces d'Ecser, de Laszlo Kalmar (Hongrie) (ballet re- constituant en studio une noce traditionnelle dans la campagne hongroise) ; SorbischeHochzeit (Le mariage Sorbe) de Kaden (République démocratique allemande) (minorité serbe de la frontière polonaise).

d. Les rites agraires, le carnaval, la foire ou le marché populaire fournissent le thème de quelques films, parmi lesquels : FaSank (Le car- naval), de Vâclav Kaglik (Tchécoslovaquie, 1949) (Moravie Slovaque) ; Pom1a.d v Beli Krajini (Le printemps en Carniole blanche) (Slovénie) (Yougos- lavie, 1948) ; Zima mora umreti (L'hiver doit mou- - rir): les coutunies du carnaval aux environs de la ville de Ptuj en Slovénie (Yougoslavie, 1947) ; Karuzela lowicka (Le carrousel de Lowicz) de J. Hoffman et E. Skorzewski (Pologne, 1958) (une journée de fête dans un village, reportage humo- ristique de style impressionniste) ; Do Studziannej (Sur le chemin de Studzianna), de Stanislas Gre- bowski (Pologne) : un antique marché urbain de la région centrale de la Pologne, où les paysans des villages voisins viennent vendre les produits pleins de charme d'un artisanat traditionnel (filage, tis- sage, boissellerie, jouets). Studzianna est aussi un centre important de pélerinage ; le marché se tient à la Saint Michel, après la moisson ; les femmes revêtent aujourd'hui encore leurs beaux habits de fête ; le film illustre fort bien les liens étroits qui existaient jadis entre les échanges éco- nomiques et les réjouissances religieuses, dans la société paysanne archafque. Ce dernier film mérite donc d'être considéré aussi comme une esquisse de monographie régionale.

e. Quelques études cinématographiques portent sur un milieu déterminé. La production polonaise fournit encore deux exemples intéressants : Gdzies pod Turbaozem (Quelque part sur le Turbacz] de Zbigniew Bochenek (1959), décrit un village dans une région montagneuse, dont les récoltes sont partiellement détruites par une tempête. Nad Zielonym Baltykiem (Au bord de la verte Baltique) de T. Kallweit, évoque ce que fut la vie d'une com- munauté traditionnelle de pêcheurs au début de ce siècle, les réunions de la société des hommes constituée en corporation, la réception d'un nou- veau membre au sein de cette association, les rites magiques de pêche. Bien que la pêche soit actuellement motorisée, certains de ces usages communautaires anciens ont toujours cours. La Yougoslavie, de son cBté, a produit, il y a fort longtemps déjà, une remarquable étude approfon- die de milieu avec U n jour dans une grande famille croate, de Drago Chloupek et A. Gerasimov. Réa- lisé en 1933, dans le village de Mraclin (dans la région de Touropolye), ce film touchant montre les aspects les plus divers de la célèbre "zadruga" croate ; c'est un tableau unique d'une communauté familiale étendue, vivant en économie fermée. De- puis le lever jusqu'au coucher, on suit les travaux solidaires des hommes et des femmes : la lessive, le labourage, la préparation du lin, le filage col- lectif, la préparation de la chaîne pour le tissage,

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le pétrissage de la farine, les repas dans les champs et dans la ferme (les femmes mangent de- bout, selon la tradition). On assiste, enfin, au coucher de la "grande famille". Ce document re- marquable, où la simplicité d'exposition et la ten- dresse vont de pair, ce film muet, tourné il y a presque trente ans, avec la participation active des paysans-acteurs, et dont manifestement la seule ambition fut d'8tre un témoignage honnete ne sacrifiant rien au pittoresque, mérite d'etre rapproché des oeuvres analogues de Storck, en Belgique, et de Rouquier, en France. Un jourdans une grande famille croate fut distingué, au Pre- mier Festival des peuples, "pour sa chaleur hu- maine et sa probité dans la description d'une communauté".

Dans la plupart des pays d'Europe orientale, ces diverses catégories de films sont produites aujourd'hui par un ou plusieurs centres d'Etat qui se consacrent au film documentaire ou de vulgari- sation scientifique. Dans quelques pays, cependant, on trouve en marge des réalisations destinées au grand public une production en 16 mm destinéeplus spécialement aux chercheurs scientifiques. Nous l'étudierons au cours du prochain chapitre.

10. QUELQUES FILMS PRODUITS PAR LE S ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Que les éditeurs de cet ouvrage m e pardonnent : les films produits jusqu'à ce jour par les institu- tions internationales m e paraissent, en général, bien décevants. Basil Wright et Paul Rotha colla- borèrent à la réalisation d'un diptyque arbitraire, dont une face est la Thaïlande, l'autre le Mexique (production Unesco) ; le prétexte de cette peinture de milieu est la campagne d'éducation de base ; le titre en est (on ne sait trop pourquoi) : Je suis un h o m m e (World without end, 1953). Le film est, en fait, une apologie de l'action sociale entreprise par les missions de l'ONU. La documentation ethnogra- phique de Autour de Patzcuaro (1952) est intéres- sante ; on sait que c'est dans cette région, domaine des Indiens Tarasques, que l'Unesco a établi un important centre régional d'éducation de base pour l'Amérique latine.

People like Maria (Des milliers comme Maria, 1958), production de l'Organisation mondiale de la santé (réalisation : Harry Watt) n'est guère con- vaincant : le célèbre cinéaste anglais s'est attaché ici à un pensum cinématographique qui permet

d'apercevoir certains aspects de la condition so- ciale des Incas de Bolivie (chez qui tente de s'im- planter la jeune, vaillante et jolie infirmière Maria); le second volet du film expose la lutte contre le paludisme en Nigeria ; le troisième montre la for- mation de jeunes médecins qui prodigueront leur assistance à des villages isolés en Birmanie. Per- sonne ne doute que l'idéal qui anime I'OMS ne soit noble, mais il semble bien difficile d'exprimer à l'écran, sans emphase, les "grands sentiments" qui président à l'action sociale des instances internationales. Dans le domaine particulier de l'éducation sanitaire, il n'est pas impossible, ce- pendant, de montrer la réalité avec simplicité, c'est-à-dire avec efficacité ; George Stoney l'a prouvé avec Ail m y Babies (voir p. 56) ; encore importe-t-il de placer au second plan le souci de propagande qui indispose le spectateur. Si cette préoccupation domine, ne serait-ce pas que llor- ganisme officiel de production entend secrètement témoigner, de lui-meme, de l'excellence de l'ac- tion de ses fonctionnaires autant (sinon plus) que de la condition sociale des populations sous-déve- loppées ? Comment cet éloge de soi-méme ne serait-il pas irritant ? D'autant plus qu'il utilise narcissiquement les grands idéaux.

L'intention sociologique qui anima le Service cinématographique des Nations Unies lorsqu'il mit en chantier : Power Among Men (Maftre du destin) est peu claire. Voici, une fois de plus, un tableau cosmopolite de la société. Le film comprend plu- sieurs volets ; il tente de symboliser quatre phases de la civilisation : la reconstruction après laguerre (Italie), la réorganisation d'une économie archaïque selon les conceptions techniques modernes (Haïti), la naissance d'une ville nouvelle autour d'une gi- gantesque installation hydro-électrique (Canada), la recherche dans un centre atomique et la néces- sité d'un contr8le international de l'énergie nuclé- aire (Norvège). Les auteurs principaux de cette oeuvre, qui aurait dQ Btre épique, sont Thorold Dickinson et J. C. Sheers. Parmi les meilleures rea- lisations de l'ONU, il faut citer un court métrage de fiction de Henri Storck, consacré au problème de l'enfance délinquante (Au carrefour de lavie, 1949).

Signalons que le service cinématographique de l'ONU filme régulièrement les principales activi- tés des missions internationales dans le monde ; ces magazines d'actualités (screen-magazine) cons- titueront un jour des archives susceptibles d'inté- resser les historiens des grandes institutions internationales.

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CHAPITRE VI

L'UTILISATION DU FILM DANS LA RECHERCHE ETHNO-SOCIOGRAPHIQUE ET L'ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE DES SCIENCES SOCIALES

LA VALEUR INITIATIQUE DU FILM SOCIOLOGIQUE

Nous venons d'esquisser les grands courants du film ethnographique et sociologique dans l'histoire du cinéma européen et américain. Les oeuvres ci- tées, dont la plupart sont dignes de figurer dans l'anthologie internationale du documentaire, ont été tournées par des artistes soucieux de témoigner de la condition humaine ; elles n'étaient évidem- ment pas destinées expressément, au départ, à servir un but scientifique ou pédagogique. Il n'en est pas moins vrai qu'elles fournissent une docu- mentation considérable dans divers domaines spé- cialisés, que nous avons chaque fois notés au pas- sage : ethnographie, traditions populaires, sciences politiques, sociographie rurale, religieuse, etc.

Ces films font partie, dès lors, de la cinéma- thèque idéale des facultés vouées à l'enseignement des sciences sociales. A condition qu'ils soient judici eusement commentés, à condition qu'ils soient présentés aux étudiants comme autant d'E- vertures sur des problèmes sociologiques concrets, ces films permettraient d'aiguiser le sens de l'Ob- servation, que l'Université abandonne trop facile- ment aux chercheurs des sciences dites exactes ou naturelles ; cette situation regrettable est liée à l'héritage philosophique et littéraire de la sociolo- gie européenne et d'un certain nombre de sciences sociales. Les étudiants en sciences sociales n'ont que fort rarement l'occasion d W r e initiés à 1 a re- cherche, aux techniques d'observation. Pire en- core : de jeunes bourgeois n'ont jamais été en con- tact avec les paysans, les ouvriers, dans les Universités de l'Europe occidentale. Si les voyages multiplient les contacts entre les peuples, le ciné- m a et, plus encore, la télévision, demeurent les moyens privilégiés d'abolir les distances ; ces techniques permettent d'établir un système de com- munication entre les peuples ; si cette communica- tion audio-visuelle est généralement entravée par divers soucis de propagande idéologique, les films que nous avons évoqués précédemment ont tous un trait fondamental en commun : le souci de la vérité et de l'authenticité.

La connaissance profonde de ces divers milieux "étrangers" (c'est-à-dire inconnus) exige une par- ticipation affective de l'observateur, une identifica- tion. C'est à ce niveau qu'apparaft la valeur initia- tique qu'il convient de conférer à l'expérience audio-visuelle. Les pouvoirs troubles de la'lphoto- génie'' cessent ici d'f?tre un obstacle à la connais- sance pure, pour la simple raison que la

connaissance de l'homme n'est jamais pure, c'est- à-dire "détachée" ; certes, elle doit tendre à la plus grande objectivité possible, mais elle doit conserver au plus haut degré, sous peine de se pervertir, le sentiment (moral) de la présence d'autrui dans "l'objet" analysé, ne jamais couper le fil d'Ariane qui relie l'observateur à l'observé dans le labyrinthe des civilisations. Loin de cons- tituer un obstacle à la perception claire du phéno- mène social, l'- magique qui cerne l'image de l'homme à l'écran remplit paradoxalement une fonction utile dans la connaissance sociologique, qui est d'abord re-connaissance. L'image, parce qu'elle est l'oeuvre d'un poète et non le produit brut d'une machine 21 enregistrer le réel, l'image établit ou rétablit, selon les circonstances, un contact authentique, c'est-à-dire affectif ; dans le regard que l'on jette sur "l'étranger" que l'on veut connaître, il y a d'abord un affrontement, une ambivalence fondamentale, que le célèbre Essai sur le Don de Marcel Mauss a rendu familiers à tous les sociologues. Le film de fiction rompt cette glace en choisissant avec soin des personnages mythiques (merveilleusement beaux, etc. ) qui forcent notre adhésion. Hélas, la plupart des hommes sont laids ; ou plut8t leur beauté imma- nente n'apparaît que dans certaines circonstances particulières, lorsqu'un dialogue s'est engagé, que les sourires, les paroles et les services s'échangent ; seul le passant indifférent est laid, parce qu'insaisissable, désaffecté, vaguement hos- tile, en suspens dans un univers qui n'est pas en- core - pour nous - humain.

On conçoit dès lors mieux pourquoi l'élaboration du film sociologique exige une sensibilité aiguë combien elle nécessite l'invent ion d'un langage propre qui supplée au silence et à la passivité (teintée de méfiance) du spectateur. Il faut le dire clairement : il est extrémement difficile de rompre les barrières que les civilisations se sont ingéniées, chacune pour son compte, à édifier entre les hommes : barrières de langues, de costumes, de morales, de systèmes politiques. Toute culture est exotique, au sens litteral, pour toute autre culture. Plus que tout autre, Flaherty avait le don de lier conversation pour nous avec 1'Etranger. A travers "Nanook", nous "saisissonsI1 pleinement, c'est-à-dire affectivement et rationnellement, la condition essentielle de l'homme esquimau livré à lui-méme ; il n'est plus ombre fantomatique qui s'agite sur la neige, personnage anonyme dont la lecture des savants traités ne permet que fort im- parfaitement d'imaginer le corps, la présence

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réelle. La lecture seule, naturellement, fonde la connaissance sociologique profonde. Il n'est pas question de remplacer purement et simplement les bibliothèques par des cinémathèques. Il s'agit d'en- visager la création d'une cinémathèque à c8té de la bibliothèque. U n certain nombre de musées, d'universités, d'instituts se sont déjà engagés ré- solument dans cette voie. Ces organismes ne ras- semblent malheureusement que fort rarement les chefs-d'oeuvre du film ethnographique et sociolo- gique, ou m é m e simplement les bons films du secteur commercial. Ils s'intéressent à deux types de films spécialisés dont nous avons à tenir compte à présent :

- les films réalisés au cours d'une recherche - les films réalisés spécifiquement pour l'en- La première catégorie couvre surtout le vaste

scientifique ;

se ignement supérieur.

champ de l'ethnographie (ou anthropologie cultu- relle), c'est-à-dire la sociographie des peuples sans machinisme ou en voie d'industrialisation. Le plus souvent, le chercheur est cinéaste-amateur. Dans les autres domaines de la sociologie, il est rare que les chercheurs aient utilisé eux-mémes le cinéma pour illustrer leurs travaux ou porter témoignage au cours d'une recherche.

La seconde catégorie ne contient encore qu'un nombre relativement limité de films dignes d'inté- rét. Dans divers pays, les services gouvernemen- taux mettent des films à la disposition de l'ensei- gnement primaire et secondaire, et s'instituent m é m e producteurs de tels films ; mais ils se sou- cient beaucoup plus rarement de doter les univer- sités du matériel audio-visuel nécessaire à l'en- seignement supérieur. Quelques universités aux Etats-Unis se sont occasionnellement associées à la production de véritables films sociologiques. On trouve, d'autre part, aux Etats-Unis un certain nombre de maisons de production spécialisées dans l'important secteur 16 mm (considéré comme "culturel") ; elles éditent des films destinés aux divers niveaux pédagogiques. Nous ne pouvons te- nir compte ici que du niveau universitaire, pour lequel peu de films marquants ont été spécialement réalisés. Il faut rappeler ici la qualité exception- nelle de l'abondante production de l'Office national du film, au Canada.

La plupart des films que nous aurons à examiner dans ce chapitre ont été tournés en 16 m m . Ils sont destinés, en principe, à un public restreint plus attentif à l'objectivité du sujet traité qu'au style m é m e du film. Rappelons, encore une fois, que nous n'avons pas la prétention de constituer une liste exhaustive. Notre but est de présenter un échantillonnage de cette production spécialisée dans divers pays où l'intérét pour le film scienti- fique est particulièrement vif. Il n'existe - faut-il le dire ? - aucun recensement complet des docu- ments audio-visuels disponibles pour l'enseigne- ment des sciences sociales ou pour l'étude socio- logique comparative. Le Comité international du film ethnographique et sociologique n'a pas encore

pu mener cette tâche à bien, faute de ressources. Aussi bien ces notes se contenteront-elles de dé- fricher le terrain, dans l'espoir que des catalogues complets pourront bient8t étre mis à la disposition des professeurs. Nous signalerons au passage ceux qui existent déjà. Nous nous efforcerons de définir les types de films réalisés dans divers domaines, comme nous nous sommes efforcés de le faire au cours du chapitre précédent, consacré à l'histoire du film sociologique dans la production documen- taire commerciale. Celle-ci, naturellement, inté- resse aussi l'enseignement des sciences sociales. Sans doute la frontière entre les deux domaines (commercial et non commercial) est-elle parfois difficile à tracer. En principe, cependant, les films réalisés en 16 mm s'adressent aux écoles, aux clubs et aux associations privées. A cet égard, la distinction entre le secteur culturel éducatif (16 mm) et le secteur commercial (35.mm) est particulièrement nette aux Etats-Unis. Rappelons cependant que tous les films de 35 mm peuvent étre réduits en 16 mm et utilisés pour le circuit éducatif. Réciproquement, quelques films de 16 mm particulièrement importants au point de vue de l'art cinématographique ont été agrandis en 35 mm, afin d'étre présentés au grand public. C'est le cas de certains films de Jean Rouch. Nous nous efforcerons aussi d'indiquer, quand ils existent, les modes d'organisation de la production cinéma- tographique dans les universités et les instituts scientifiques.

FILMS SCIENTIFIQUES SPECIALISES

1. En France, les chercheurs, de plus en plus nom- breux, utilisent une caméra de 16 mm au cours de l'enquéte ethnographique sur le terrain exotique ; l'Afrique est leur principal champ d'activité. Jean Rouch fut l'initiateur de ce mouvement important (voir p. 19). Ses premiers reportages sur les funé- railles chez les Dogon (Cimetière dans la falaise, 1952), sur la circoncision chez les Songhaï (La circoncision, 1949), sur la chasse à l'hippopotame chez les Sorko (Bataille sur le grand fleuve, 1950), sur les danses de possession au Niger (Les hommes qui font la pluie, 1950), la haute magie chez les Songhay (Les magiciens de Wanzerbé, 1949), sont les classiques du genre ; ils sont connus de tous les ethnographes. Récemment (1960) Rouch a fil- mé, sur les indications de Dominique Zahan, l'un des meilleurs spécialistes des Mossi de Haute- Volta, les rites complexes d'intronisation du nou- veau souverain sacré (Moro Naba). Ce document précis et circonstancié prouve combien, dans cer- tains cas, la description littéraire cède avantageu- sement le pas à la description filmique. C'est l'un des très rares témoignages cinématographiques que nous possédions sur la royauté magico-reli- gieuse africaine et son symbolisme cosmique. Les longs métrages de Rouch, tournés en 16 mm et agrandis en 35 mm pour la distribution commerciale ont été analysés précédemment. Nous nous

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bornerons à citer encore ici quelques films réali- sés par des ethnographes professionnels ou avec leur collaboration : Les fils de l'éléphant (Bambara du Soudan) d'Anne Philipe et Viviana P%ques (1953) : Le temps du caméléon (la céréinonie d'ini- tiation des jeunes gens chez les Coniagui de Guinée), de Robert et Monique Cessain (1957) ; Sacrifices pour la moisson (Sahara algéro-marocain), de Bernard et Dominique Champault (1953) ; Massa, Hommes du Logone et Gourouna (remarquables études sur la notion de prestige dans une tribu pas- torale du Nord Cameroun), d'lgor de Garine (1960); Les masques de feuilles chez les Bobo, de Le Moal (1960). L'enseignement des techniques cinémato- graphiques est obligatoire au stage de formation aux recherches ethnologiques prévu au. Musée de l'homme, à Paris. "Sans devenir professionnels, écrit à ce sujet le professeur Leroi -Gourhan, les stagiaires apprennent l'essentiel du métier et, aux examens de sortie, ont à composer, sur un sujet qui se déroule devant eux, un projet complet de découpage et de prises de vues"/l. L e Musée de l'homme, qui est doté d'un Département du ciné- m a fort bien équipé pour la projection en 16 et 35 mm, travaille en étroite collaboration avec le Comité français du film ethnographique ; celui-ci met à la disposition des chercheurs qui rapportent un film de leur expédition un matériel de montage et de sonorisation et leur fournit l'assistance d'un monteur pour les travaux d'achèvement. U n cer- tain nombre de films réalisés par des voyageurs intègres reçoivent aussi le patronage du Comité - tel le remarquable reportage de Mario Ruspoli sur la dangereuse chasse A la baleine pratiquée, selon la technique archaïque, au large des Açores : Les hommes de la baleine. Ce film a été ultérieure- ment distribué commercialement en 35 mm.

L'activité du Comité français du film ethnogra- phique, semblable en cela à celle de tous les comi- tés nationaux affiliés au Comité international du film ethnographique et sociologique (CIFES), s'exerce aussi dans le domaine de la critique scien- tifique : régulièrement, les films nouveaux ou an- ciens, relevant non seulement de l'ethnographie exotique mais aussi de la sociologie du monde con- temporain, sont présentés devant des spécialistes ou devant le grand public. De cette activité est né le Catalogue des films ethnographiques français, publié en 1955 par l'Unesco (Cahiers du Centre de documentation du Département de l'information, no 15). Si le film n'est pas utilisé à l'université même, dans le cycle traditionnel de l'enseignement de la sociologie, les étudiants ont, du moins, la possibilité de suivre de près, à Paris, le mouve- ment du film dit "ethnographique".

En Afrique, l'Institut français d'.Afrique noire (IFAN) possède une section ciné-son, dont le chef, P. Potentier, a réalisé plusieurs films d'intérêt technologique en 16 mm.

2. En Belgique, le Comité belge du film ethnogra- phique organise périodiquement, en collaboration avec l'Institut national de cinématographie

scientifique, des séances publiques de films d'in- térêt sociologique. Cet organisme a patronné la production de mon film Gestes du repas (voir p.46) D'autre part, l'Institut de sociologie Solvay, de l'université libre de Bruxelles, a créé, en 1959, un Séminaire du film et du cinéma, qui comprend une Commission du cinéma scientifique. Celle-ci se préoccupe notamment de promouvoir l'utilisa- tion du cinéma au cours des recherches sociogra- phiques. L'Université a acquis du matériel de prise de vues et d'enregistrement, qui sera mis à la disposition des cinéastes travaillant en colla- boration avec les chercheurs scientifiques de l'université. Par ailleurs, la Fondation interna- tionale scientifique (FIS), dont le siège est fixé à Bruxelles, a produit en 1959 un film de long mé- trage en cinémascope-couleurs, rigoureusement scientifique, consacré à la zoologie et à l'ethnolo- gie de l'Afrique centrale, Les seigneurs de la forêt (réalisateurs : Sielmann et Brandt). Cette réalisation, qui a connu un succès mondial, asso- ciait étroitement cinéastes et chercheurs scienti- fiques. (L'ethnographe Daniel Biebuyck fut l'un des conseillers scientifiques). De son côté, mais avec des moyens beaucoup plus modestes, 1'Insti- tut pour la recherche scientifique en Afrique cen- trale (IRSRC) m'a permis de réaliser, en 16 mm, au cours de deux années de recherches ethnogra- phiques au Congo, une longue monographie filmée, consacrée à la vie quotidienne et cérémonielle d'une tribu bantoue du Nord-Kasaï : F&te chez les Hamba (1955). Les Hamba m'ont autorisé notamment à filmer les cérémonies secrètes de la société des hommes, à laquelle j'avais été précédemment initié. Or, ces prises de vues n'ont pas été tour- nées à la sauvette ; j'ai obtenu que le rituel d'admis- sion d'un nouveau membre soit fragmenté et qu'il se déroule selon un découpage préétabli, rigoureu- sement conforme, naturellement, au schéma de l'initiation. Ce qui est remarquable, c'est quecette cérémonie dont je contrôlais le déroulement a été considérée comme parfaitement valable pour le nouvel initié ; la seule rrodification importante por- tait sur le rythme du déroulement. Ceci tend à prouver que la technique de la caméra participante peut se substituer au reportage pur et simple, m ê m e dans les cas les plus critiques, lorsque le cinéaste a été accepté parla société dont il témoigne. La cérémonie que j'évoque ici nlest nullement une "reconstitution'' ; elle a réellement conféré le grade de "nkumi" à mon ami Djowo, qui prenait, ce jour là, dans la société des hommes, la place de son père, tué quelque temps auparavant par un éléphant.

Au cours de la m&me mission scientifique, j'ai tourné au Ruanda un film d'un genre différent, à la demande de mon collègue Jacques J. Maquet, l'un des meilleurs spécialistes de la structure sociale traditionnelle du pays. L e Ruanda est un petit royaume situé dans la région des Grands-Lacs, à l'est du Congo. L e film (Ruanda, 16 m m , couleurs, 1955), est entièrement construit comme un film de

1. Leroi-Gourhan, étude citée, p. 48.

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fiction ; il évoque, à travers un récit fictif, les aléas de la condition paysanne dans une société féodale, dominée par une aristocratie minoritaire qui détient les grands troupeaux de vaches.. Il nous a paru intéressant de fixer, avant que le sou- venir n'en disparaisse, les traits saillants de la société ruandaise précoloniale (environ 1900). Nous avons demandé à ceux qui connaissaient en- core les r8les sociaux traditionnels de les e r - préter devant la caméra, afin de témoigner d'une culture ancienne, qui fut brillante malgré ses in- justices et ses iniquités. Il ne s'agit donc nulle- ment d'un film historique, dont l'authenticité serait aléatoire ; expression m e m e de la culture natio- nale, le récit évoque des situations et des conflits sociaux typiques, qui d'ailleurs sont loin d'avoir disparu, en dépit des transformations actuelles de la société ruandaise. Le scénario, écrit par J. J. Maquet, a été conçu c o m m e une illustration de son livre Le système des relations sociales. Le Ruanda ancien/l. Complément imagé d'une étude sociologique, ce film est spécifiquement des- tiné à l'enseignement supérieur.

occidentale de ce terme), le Musée de la vie wal- lonne (Liège) a réalisé en 35 m m , entre 1922 et 1940, quatre-vingts films environ ; ces bandes constituent de précieux documents d'archives (leur qualité photographique est malheureusement insuf- fisante), consacrés aux métiers, festivités popu- laires, processions, marchés, cérémonies di- verses. Depuis 1941, les films sont tournés en 16 mm ; la collection est importente, puisqu'elle comporte déjà, dans ce format, une centaine de bandes, de longueur fort diverse, certaines très courtes.

Dans le domaine du "folklore" (dans l'acception

3. Pays-Bas. Nous avons signalé déjà l'activité critique de la section d'anthropologie culturelle de l'Association néerlandaise du cinéma scientifique ; elle s'est concrétisée dans une liste provisoire des films ethnologiques néerlandais (voir p. 43, qui permet aux éducateurs d'apprécier la valeur scien- tifique d'une cinquantaine de films relatifs, princi- palement, à l'Indonésie, à Sumatra, à Java, à Surinam et autres anciennes possessions néerlan- daises. Nous ne citerons ici que trois films du biologiste Peter Creutzberg, réalisés en 16 mm, dans la perspective de l'ethnographie scientifique, et particulièrement appréciés par les spécialistes néerlandais : Mangrove 1 (1956), étude technolo- gique sur la construction d'un canot dans la région de Freetown, en Sierra Leone ; Mangrove II (1956), description attentive des méthodes de pêche, de l'agriculture et de la construction de la maison ; et 'N Walibene (1956), troisième film du m e m e au- teur, qui raconte le voyage d'un domestique, Ka- mara ; il quitte Freetown, où il travaille, et rentre chez les siens (contraste de la vie citadine et de la vie rurale en Sierra Leone).

L a section d'anthropologie culturelle de 1' ASSO- ciation néerlandaise du cinéma scientifique, qui poursuit la critique systématique des films en vue

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d'éclairer les pédagogues, groupe des représen- tants des principaux musées et instituts d'ethno- graphie du pays (Leyde, Utrecht, Amsterdam). Signalons aussi que le Musée national d'ethnologie de Leyde (Rijksmuseum voor Volkenkunde) a réa- lisé des films de montage à partir des actualités cinématographiques tournées en Indonésie entre 1947 et 1949.

Il existe, en outre, aux Pays-Bas une impor- tante fondation d'Etat qui se consacre exclusive- ment à la production de films scientifiques : la Stichting Film en Wetenschap (Fondation film et science). Son siège se trouve à l'université d'Utrecht. Une centaine de films ont été produits depuis 1950, mais un seul concerne la sociologie Stervende Taal (La langue qui meurt), analyse di langage gestuel des sourds-muets, tel qu'il a été _ - - fixé par Mgr van Beel ; ce mode de communication est actuellement en voie de disparition. La filmo- thèque de la Fondation contient aussi quelques films sociologiques américains, produits par 1'Unive r - sité de Pennsylvanie. L'unité de production de la Fondation occupe une vingtaine de personnes. En Europe occidentale, cette belle organisation n'a d'analogue que l'Institut du film scientifique de Gottingen.

4. En Suisse, un réalisateur de talent, Henry Brandt réalisa en 16 m m , au Niger, l'un des plus beaux films d'ethnographie scientifique : Les nomades du soleil (Bororo, 1954), consacré àl'une des dernières tribus de Peuls nomades. Le film comporte deux volets : la sécheresse, la disper- sion des familles dans la savane, d'abord, le mi- racle des pluies, la réunion de la tribu, les grandes festivités, ensuite. Cette seconde partie contient l'un des moments les plus extraordinaires du ciné- m a ethnographique : la @te Gerewol est un concours de beauté au cours duquel les plus beaux jeunes hommes, magnifiquement parés et mquillés, se dandinent en souriant durant des heures devant les plus belles filles. Henry Brandt est aussi le réali- sateur de la partie ethnographique du grand film scientifique en cinémascope et en couleurs, L e s seigneurs de la foret, produit par la Fondation in- ternationale scientifique (voir p. 67) ; son conseil- ler scientifique était l'ethnographe belge Daniel Bi ebuyc k.

E n Suisse encore, le professeur Jean Gabus, directeur du Musée d'ethnographie de Neuchâtel, s'intéresse très activement au film c o m m e tech- nique muséographique. Il a réalisé lui-meme, en 16 mm, à cette fin, des films d'intérdt technolo- gique au cours de missions scientifiques au Soudan. Citons Techniques soudanaises (la forge, le tissage, le travail de l'indigo). Il semble que le filmtechno- logique soit, par excellence, le complément ciné- matographique de l'exposition d'objets ; le film anime l'objet, le situe dans son contexte vivant, constitue une ouverture du musée (qui risque de

1. Paru dans Annales du Musée royal du Congo belge, Tervuren 1954.

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ne présenter qu'un aspect fossilisé de la société) vers la vie. Malheureusement, aucun musée d'eth- nographie européen ne possède encore la cinéma- thèque idéale dont notre essai tente d'indiquer les grande s cat é gor ie s.

5. République fédérale d'Allemagne. L'Institut du film scientifique de Gottingen (Institut fiir Wissen- schaftlichen Film) défend, nous l'avons vu, une conception rigoriste du film ethnographique (voir p. 21). Cet important organisme, voué au film de recherche ou d'enseignement de niveau universi- taire, vend et loue des copies en 16 m m . Les films disponibles composent une Encyclopédie ci- nématographique (Encyclopaedia cinematographica) "éditée" par le Dr G. Wolf. Dans le comité direc- teur de l'encyclopédie, on trouve deux ethnographes, le Dr A. A. Gerbrands, de Leyde (Pays-Bas) et le Dr Plischke, de Gottingen. L'Institut publie une revue internationale consacrée au film de recherche dans tous les domaines : Research Film - Le film de recherche - Forschungsfilm. Cette publication est le bulletin officiel de la section du film de re- cherche de l'Association internationale du cinéma scientifique et de 1'Encyclopaedia cinematographica. En 1958, l'Encyclopédie comptait environ soixante- quinze films ethnologiques, conformes aux direc- tives de l'Institut, telles qu'elles ont été définies par le Dr Spannaus (voir p. 21). Il faut signaler une très intéressante initiative : chaque film est accom- pagné d'une brochure explicative très soignée, ré- digée par l'auteur du film ; on y trouve m&me une bibliographie du sujet évoqué dans le film. films concernent généralement la technologie, la danse ou la musique, la vie rituelle. On y trouve, notamment, la documentation cinématographique de H. E. Kauffmann (expédition en Assam, 1936- 37), d'Elisabeth Pauli (Ethiopie, 1954-55), d'A. A. Trouwborst (Urundi, 1958) d'E. Sulzmann et E. W. Müller (Ekonda, Congo es-belge, 1952- 53). On consultera utilement le Catalogue de 1'Ins- titut, sous les rubriques "Ethnologie" et "Volks- kubde"/l. Tous ces films, généralement muets, sont rigoureusement réservés à l'enseignement supérieur. Certaines bandes sont très courtes (2 ou 3 minutes). L'Institut effectue le montage des films bruts rapportés par le chercheur scientifique, en accord avec lui. Le négatif original reste la propriété de l'auteur, mais l'Institut est autorisé à tirer un "duplicating-négatif" et une copie lavande pour les nécessités de la diffusion ; les copies sont louées ou vendues. L'Institut réalise lui-même des films - notamment, dans le domaine qui nous occupe, un petit film sur les moulins à vent en Frise orientale. Il faut signaler que l'Institut a distribué, en outre, un nombre considérable de films ethnologiques, qui apparaissent dans le catalogue sans être intégrés à 1'Encyclopaedia.

L'histoire figure parmi les sciences sociales retenues par l'Institut ; sous la rubrique géogra- phie, on trouve quelques sujets qui concernent plus spécialement la géographie humaine. La rubrique

Ces

historique comporte des montages d'actualités et des interviews d'hommes célèbres.

6. Yougoslavie. Quelques films très courts, d'in- térêt technologique, ont été tournés, dès 1930, par le professeur Gavazzi, de l'Institut d'ethnologie de l'université de Zagreb ; ces films sont des docu- ments pour l'étude comparée et l'enseignement des techniques traditionnelles. L'Institut des traditions populaires de Ljubljana, en Slovénie, auquel colla- bore notamment le Dr Kuret, produit également des films scientifiques en 16 mm. Les ethnographes- cinéastes sont groupés au sein du Comité yougo- slave du film ethnographique, section nationale du CIFES.

7. Danemark. L e Musée national d'ethnographie de Copenhague constitue des archives cinématogra- phiques. Citons une longue étude (16 m m , muet) consacrée à un métier qui disparaft : le couvreur de toits de plomb (réalisation Aage Rothenborg, 1954). Le m&me réalisateur avait consacré, en 1943, un film aux potiers du Jutland. En dehors de l'ethnographie nationale, il faut citer un film scientifique important, réalisé en Afghanistan au cours de la mission du Prince Pierre de Grèce et de Danemark : They were Kaffirs (1957). Cet ex- cellent document constitue un inventaire systéma- tique des techniques utilisées par les Kaffirs ; c'est aussi une démonstration ethnologique tendant à prouver qile les Kaffirs ont conservé les carac- t 6 ri stiqu e s te chnique s du niond e indo - européen archaïque. Ce film fut distingué au Premier Fes- tival des peuples, où il reçut le prix de l'Institut oriental de 1IUniversité de Florence.

SAR le Prince de Grèce a réalisé plusieurs films au cours de diverses missions ethnographiques en Asie. Il faut citer tout particulièrement : The I_ Toda Calf Sacrifice, 1949 (Le rituel de mise à- mort du veau et le banquet sacrificiel chez les Toda) ; Central Asia, 1954 (Le travail accompli par la troisième expédition danoise en Asie cen- trale) ; Danish Expedition to Asia, 1954 (Les cara- vanes tibétaines, le tir à l'arc au Bhoutan, les danses msquées du Nouvel An au Sikkim) ; Butha- nese Masked Dances, 1954 (Les danses masquées du Nouvel An au Bhoutan, par les moines du Monas- tère de Sakyong, à Pedong) ; Two Indian Religious Ceremonies, 1957 (Le Dalaï Lama du Tibet bénit six mille Tibétains à Kalimpong ; cérémonie boud- dhique à Bodh Gaga et Kalimpong) ; F&te du char (Ratha Jothra) au Bihar, en Inde,

sé à l'ethnographie européenne ; il est l'auteur d'un film consacré à trois communautés musul- manes en Thrace (Turkey in Greece, 1958).

8. Grèce. L'Institut de cinématographie culturelle et scientifique a réalisé, en 35 m m , un reportage

1. Gesamtverzeichnis der Wissenschaftlichen

Le Prince Pierre de Grèce s'est aussi intéres-

Filme, Institut für den Wissenschaftlichen Film, Gottingen, 1960.

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sur une coutume religieuse dont les racines plongent dans l'antiquité : La marche sur le feu (Anastenaria). Ce film constitue l'un des rares documents cinématographiques parfaitement au- thentiques (tant par le son que pour l'image) sur le phénomène de la possession. Ce rite singulier, qui prolonge vraisemblablement sous une forme chrétienne les mystères dionysiaques de Thrace, est pratiqué de nos jours dans les villages de Ma- cédoine. Un tel phénomène excluait naturellement toute mise en scène ; l'extase religieuse ne peut être ni jouée ni simulée. Aussi bien l'auteur, Roussos Coundouros, a-t-il utilisé fort sagement la technique du reportage, au prix de bien des dif- ficultés d'ailleurs : la cérémonie se déroule d'abord dans un lieu sacré, interdit aux profanes, où se pratique la purification des membres de la secte, l'immolation des animaux sacrés et la danse exta- tique sur le feu ("pyrovassia"). Conçu dans un es- prit rigoureusement scientifique, ce document d'une valeur inestimable pour l'histoire des reli- gions, mérite d'être comparé attentivement au film que Rouch a consacré au culte de la posses- sion en Afrique occidentale (Mal'tres fous).

9. Pologne. En marge des films d'intérêt sociolo- gique produits pour le grand public à des fins docu- mentaires ou de vulgarisation scientifique, la So- ciété polonaise ethnographique/ 1 a mis en chantier une série de films scientifiques de 16 mm, dans l'intention de réunir des documents pris sur le vif permettant une analyse plus attentive de certains phénomènes sociaux. Parmi ces reportages, il en est un qui relève, comme le film grec précédent, de la science des religions. La caméra enregistre, sans que les acteurs soient dirigés, un rite magico- religieux dans une église catholique. Dans un vil- lage situé au nord de Varsovie, un peuple de malades implore la grâce du Seigneur, le jour de la Saint Valentin, patron de la santé. Le bedeau confectionne des objets en cire représentant des coeurs, des jambes, des dents, etc. Il les prête, contre des oeufs, aux malades qui effectuent en foule une pro- cession autour de l'autel, en s'accompagnant de cantiques. A la fin du rite, les fidèles rendent les figurines de cire au bedeau. Ce film, dont le titre est emprunté à un chant liturgique (Nous attendons ta grâce, Seigneur), a été réalisé en 1959 par Hali- na et JacekOledzki, avec l'assistance d'un camera- man. Les auteurs ont voulu définir par l'image l'atmosphère générale, la ferveur collective, les gestes et les attitudes, tous éléments difficiles, voire impossibles à décrire correctement dans une monographie littéraire. Le conseil de direction du Comité polonais du film ethnographique groupe des chercheurs scientifiques et des cinéastes profes- sionnels. Dans le secteur purement scientifique encore, le professeur Eugeniuz Frankowski (Uni- versité de Poznan) fut l'un des premiers à utiliser le film comme instrument d'observation ethnogra- phique, avant la seconde guerre mondiale. A cette époque, les cinéastes professionnels ne s'intéres- saient guère au film ethnographique, mais l'on doit

à des amateurs quelques films intéressants, tels ceux de Tadeusz Jankowski.

Le Comité polonais du film ethnographique se propose d'autres objectifs encore : l'enseignement des techniques cinématographiques aux ethnographes, la participation de la Société aux réalisations des centres officiels de production cinématographique (suggestions des ethnographes aux cinéastes), l'établissement d'un catalogue de films ethnogra- phiques polonais, le rassemblement et la conser- vation des films ethnographiques existants, tant polonais qu'étrangers.

Le rapport présenté par Zophia Szyfelbejn (de l'université de Varsovie) au colloque de Prague, au nom du Comité polonais du film ethnographique, souligne également l'extrême diversité de "l'ethno- graphie", qui embrasse les traditions populaires aussi bien que les manifestations de la civilisation populaire contemporaine. "Les éléments de la civilisation contemporaine ne sauraient être élimi- nés en faveur d'anachronismes'', déclare ce rap- port. Cependant, le Comité entend accorder un intérêt tout spécial aux éléments culturels en voie de disparition.

1 O. Tchécoslovaquie. Les ethnographes tchèques, sous l'impulsion du professeur Plicka, qui assume dans son pays la présidence du Comité du film ethnographique, accordent une importance consi- dérable à l'utilisation du cinéma dans la recherche et l'enseignement. C'est à Prague que fut organisé, en 1957, l'un des plus importants colloques inter- nationaux traitant de ce thème, Nous avons évoqué ces travaux précédemment. Nous avons commenté aussi le double aspect, scientifique et artistique, de l'oeuvre cinématographique du professeur Plicka et de ses disciples ; cette production en 35 mm est destinée tant au grand public qu'aux spécialistes des traditions populaires. Le professeur Plicka fut l'un des fondateurs de la Faculté du film de Prague (FAMU). L'un de ses anciens assistants, le Dr Ludvik Baran, enseigne à l'université de Prague les "principes de la documentation par le film et la photographie dans le folklore". Ce cours est rattaché à la chaire d'ethnographie. Le Dr Baran, ethnographe et cinéaste, donne également différents enseignements techniques à la Faculté du film (FAMU).

Les instituts pour l'étude des traditions popu- laires (UDLT) de Prague et de Bratislava poss&dent leur propre centre de production en 16 m m . C'est ainsi qu'en 1956 le D r Baran entreprit, pour 1'Ins- titut de Bratislava, deux films en 16 mm sur les danses et les chants populaires de la Slovaquie occidentale.

au grand public sont produits par les deux studios spécialisés dans la production de films de

1. Créée sous les auspices de la section IV - Ethnographie - de l'Institut d'histoire de la culture matérielle de l'Académie polonaise des sciences, membre du CIFES.

Les films "ethnographiques" en 35 mm destinés

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vulgarisation scientifique, à Prague et à Bratislava respectivement. Les films concernant les problèmes de la société moderne sont généralement produits par le studio des films documentaires de Prague.

11. S. et sociologique (Centro Italiano per il Film Etno- grafico e Sociologico) est affilié au CIFES. Au sein de cet organisme, les sociologues ont amorcé une intéressante tentative de collaboration avec les do- cumentaristes qu'intéressent les problèmes sociaux de l'Italie. C'est ainsi que le scénario du film de Luigi Di Gianni consacré aux survivances magiques en Lucanie (Magia Lucana) a été écrit par un spé- cialiste, Romano Calisi. Ernesto di Martino était le conseiller du film ; les chants populaires ont été recueillis par un musicologue, Diego Carpitella. Un certain nombre de films ont reçu le patronage du Centre. Celui-ci a organisé, en 1958, un impor- tant colloque international sur le film ethnogra- phique et sociologique, avec la collaboration de l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie culturelle de l'université de Pérouse, que dirige le profes- seur Tullio Seppilli. Le Centre a contribué aussi à l'organisation du Premier Festival des peuples, qui a eu lieu à Florence, en 1959. A cette occasion a été édité le premier numéro de la Revue interna- tionale du film ethnographique et sociologique (Ri- vista Internazionale del Film Etnografico e Socio- logico/International Journal of Ethnographic and Sociological Film) ; ce numéro constituait le cata- logue du Festival. On y trouvera, notamment, une analyse rapide d'une trentaine de documentaires italiens réalisés au cours des dix dernières années.

Le Centre italien du film ethnographique

12. Canada. L'importante production sociologique de l'Office national du film (voir p. 59) s'adresse, en général, au grand public cultivé (notamment par le truchement de la télévision) ; la qualité de cette information est telle qu'elle rendra les plus grands services à l'enseignement universitaire des sciences sociales. L'abondance de la matière nous oblige à tenter une première classification.

A. Ethnographie

Plusieurs films illustrent le mode de vie tradition- nel des Esquimaux. Citons l'étude de John Feeney sur l'art esquimau dans ses rapports avec les croyances, Pierres vives (The Living Stone, 1959) réalisé avec la collaboration scientifique de James Houston ; Angoti, l'enfant esquimau (Angotee, Story of an Eskimo boy, 1952), de Doug Wilkinson (lavie d'un esquimau, depuis sa naissance jusqu'à l'%ge adulte) ; du m é m e réalisateur, Au pays des jours sans fin (Land of the Long Day, 1952), très bon document technologique sur la chassç~, pendant les quatre mois que dure la saison la moins Bpre. Par- mi les nombreux films, de valeur inégale, consa- crés aux Indiens, il faut retenir : Larande maison (The Longhouse People, 1950), réalisé par Allan Wargon, avec la collaboration du National Museum of Canada (la religion d'une tribu iroquoise fidèle

à la tradition ancestrale, en dépit de l'adaptation à la vie économique moderne) ; Les riverains de la Skeena (Peoples of the Skeena, 1949) de James Beveridge (l'acculturation des Indiens Getikshan et Tsimshian de la Colombie britannique) ; People of the Potlatch (l'acculturation des Indiens de la Colombie britannique que l'institution du potlatch a rendu célèbre en sociologie ; ce qu'elle est deve- nue). Il existe aussi des films concernant les eth- nies française et chinoise établies au Canada : Chinese Canadians, 1954 (le quartier chinois de Vancouver) ; Father to Son (De père en fils, 1951) (la famille Valin, d'origine française, établie de- puis huit générations dans la ferme ancestrale, dans la région de Québec). Une série de films est consacrée aux peuples de la c8te atlantique (Peoples of the Maritimes). Citons : The Acadians (Les Aca- diens, 1947) (les descendants des pionniers de la Nouvelle-Ecosse, fermiers et pécheurs) ; Songs of Nova Scotia (Chants de la Nouvelle- Ecosse, 1958), film sur le folklore musical de la m&me région, réalisé lors de la mission ethno-musicologique d'Helen Creighton pour le National Museum of Canada et 1'American Library of Congress.

convient d'accorder, dans l'enseignement de l'an- thropologie culturelle, à la formule qu'inaugure le film Four Families (Quatre enfants du monde), de la série Comparaisons : deux anthropologues (Margaret Mead et Marcel Rioux)en assurent le commentaire et la supervision scientifique (voir p. 59). Signalons qu'il s'est constitué au Canada, sous la présidence du professeur Rioux, une sec- tion canadienne du Comité international du film ethnographique et sociologique.

Nous avons commenté déjà l'importance qu'il

B. Sciences politiques

En marge de l'ethnographie, les étudiants en sciences politiques verront avec intéret Marée au Ghana (1958), de Julian Biggs (le conflit des géné- rations dans l'Afrique bouleversée, l'avenir et la tradition). Il faut situer, dans la m&me catégorie, une série de quatre films intitulée New Nation in the West Indies, 1958.

tiques canadiennes : Session parlementaire (Open- ing of the Parliament, 1949) (pour la première fois dans l'histoire, la caméra enregistre le cérémonial complexe, dlorigine britannique, qui marque l'ou- verture du Parlement) ; Parliamentary Procedure (Règlements des débats, 1955) commente les règles du jeu parlementaire ; The Sceptre and the Mace (Le sceptre et la masse, i957), réalisé à l'occa- sion de la visite de la Reine Elisabeth au Canada, explique le r81e dévolu à la Couronne dans le sys- tème politique canadien.

Plusieurs films illustrent les institutions poli-

C. Economie sociale, Sociologie du travail

Une série de six films remarquables, réalisés dans le style "télévision" (The Nature of Work, Le monde du travail) a été produite par l'Office national du

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film, avec la collaboration du professeur H. D. Woods, directeur du Centre des relations industrielles de l'Université McGill. Cette étude filmée de l'homme et du travail dans l'entreprise moderne comporte six chapitres (voir p. 59), con- sacrés chacun à une profession particulière, in- carnée par un acteur dont le rûle évoque, fard, un moment de tension, une crise psycholo- gique caractéristique. Après chaque épisode, le problème posé fait l'objet d'une discussion objec- tive et chaleureuse entre l'acteur et le professeur Woods. Aucune concession à la propagande sociale, quelle qu'elle soit, dans cette série d'essais dont le plus grand intérét est de susciter la réflexion, le débat, sans imposer une théorie sociologique rigide.

d'autres films remarquables encore, dont le mé- rite principal, dans la perspective où nous nous plaçons ici, est leur qualité de rapports objectifs. Nous avons cité déjà deux oeuvres de premier plan: The Back-Breaking Leaf, un excellent reportage consacré à la récolte du tabac, et L'essor féminin (Women on the March), un montaged'archives ciné- matographiques concernant le mouvement féministe (voir p.59 ). L'action syndicale est évoquée dans la

sans

Le travail et la vie syndicale font l'objet de bien

série Labour in Canada : Dues and the Union (Les cotisations syndicales, 1953) ; The Grievance (Le grief, 1954) ; The Research Director (Le directeur des recherches, 1954) (une nouvelle figure du monde syndical), dont la fonction est l'information écono- mique ; nous y voyons Cleve Kidd, directeur des recherches de la Centrale syndicale de l'acier).

Le mouvement coopératif canadien est le thème de People with a Purpose (1948), film produit par la Manitoba Federation of Agriculture and Coope- ration, et de The Rising Tide (Marée montante, 1949) : les coopératives dans les provinces mari- times transforment la vie misérable des pecheurs. Il est intéressant de signaler que ce dernier film a été réalisé avec la collaboration de l'Extension Department de l'université Saint François Xavier.

D. Psychologie sociale

En dépit du caractère sommaire des thèmes traités à l'intention du grand public, voici un type de films particulièrement intéressant pour des séminaires élémentaires de psychologie sociale. Les attitudes sociales et morales sont discutées dans des films- débats où des thèses contradictoires s'affrontent, laissant au spectateur le soin de conclure (open end). Ces films sont groupés dans deux "séries" : What's your Opinion ? et What's Making Up Your Mind ? Par exemple : Que pensez-vous du sens social ? (Community Responsabilities, 1954). L'un de ces films constitue une introduction vivante, sous forme de saynète, au problème du con- formisme des opinions : Getting on the Band- wagon (1956). Tout cela est cependant assez simpliste.

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E. Histoire et sociologie des religions

Dans la série Comparaisons, dont l'intérêt socio- logique est considérable, nous avons déjà signalé le film Four Religions (Quatre religions) commenté par le célèbre historien Arnold Toynbee : quelques aspects typiques du christianisme, du bouddhisme, de l'hindouisme et de l'Islam. Terence MacCartney- Filgate est l'auteur d'un reportage sur l'Oratoire St Joseph à Montréal (Les pélerins, Pilgrimage, 1958). Il existe aussi un document sur l'Armée du salut : Blood and Fire, (1958).

F. Urbanisme

Si Town Planning (Le plan d'aménagement), un film de Lewis Portugais (1958) est une introduction in- téressante mais sommaire au problème général de l'urbanisme, la série Comparaisons comporte une étude sur les conceptions nationales particulières (Suburban Living : Six solutions).

L'Office national du film édite un catalogue gé- - - néral ; en outre, chaque film particulier est ana- lysé dans une "ciné-fiche'' qui mentionne aussi les publics particuliers auquel le film est destiné. La dernière édition du catalogue date de 1958 ; un sup- plément a paru en 1959. Les rubriques Citizenship and the Community, Industry and Labour, Sociology, sont spécialement à consulter.

13. Etats-Unis. Un grand nombre d'universités américaines sont pourvues d'un Départ ement des techniques audio-visuelles (ou de "Mass Commu- nication"), qui possède une importante cinéma- thèque de films de 16 m m . Celle-ci met à la dis- position des écoles et des groupes culturels un nombre parfois impressionnant de films éducatifs. Citons l'université de Michigan, l'université Yeshiva de New York, L'université de New York, la School of Business and Public Administration (City College, New York), l'Université du Minne- sota, les New York State Colleges of Agriculture and Home Economics at Corne11 University, l'Uni- versité de la Caroline du Nord, l'Université de la Caroline du Sud, l'Université du Kansas, 1'Univer- sité du Wisconsin, l'Université d'Indiana, 1'Univer- sité d'Iowa, l'université de 1'Etat d'Ohio, 1'Univer- sité de Syracuse, l'université de Californie, l'université Harvard (Peabody Museum of Archaeo- logy and Ethnology), l'Université Columbia, l'Uni- versité de Pennsylvanie, etc. Ces institutions jouent le rûle confié en Europe occidentale à divers départements administratifs. Beaucoup d'universi- tés américaines apparaissent donc comme des centres de distribution de films de 16 mm dits cul- turels. Les catalogues repris dans notre biblio- graphie contiennent plusieurs rubriques intéressant notre étude, mais, le plus souvent, il ne s'agit pas de films de niveau universitaire. Quelques univer- sités ont occasionnellement réalisé des films sociolo- giques susceptibles d'intéresser l'enseignement su- périeur. Nous examinerons rapidement la production des centres les plus importants dans ce domaine.

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a. Université Harvard (Film Study Center) Rattaché au Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, le Film Study Center est le seul orga- nisme de production universitaire américain spé- cialisé dans le film ethnographique. Dirigé par Bob Gardner et placé SOUS la supervision du pro- fesseur Brew, ce centre a produit un film impor- tant, The Hunters, que nous avons longuement commenté précédemment (voir p. 5C). Son premier objectif est la réalisation de films en milieu pri- mitif, la constitution d'archives audio-visuelles complètes des cultures en voie de disparition. Il dispose des prises de vues exceptionnellement abondantes (400. O00 pieds de Kodachrome) effec- tuées par John Marshall chez les Boschimans, au cours de diverses missions au Kalahari, entre 1951 et 1955, subsidiées par la National Science Foundation de Washington. Plusieurs films sont en voie d'élaboration. Gardner entend créer un style original, qui soit à la fois valable du point de vue scientifique et du point de vue esthétique. Il voudrait constituer une anthropologie visuelle (visual anthropology), qui s'attache à montrer systématiquement tous les aspects d'une culture donnée. Une nouvelle équipe partira incessamment pour la Nouvelle-Guinée.

Le Centre possède plusieurs caméras (16 et 35mm). dumatérieldeprise de sonetunstudio d'en- registrement. Le Centre est affilié au Comité in- ternational du film ethnographique et sociologique. Il possède une filmothèque spécialisée, destinée à l'enseignement de l'anthropologie culturelle.

b. Center of Mass Communication (Columbia University)

Le CMC est à la fois l'organisme de production de l'Université Columbia et, en tant que division de Columbia University Press, une agence de distri- bution de films scientifiques ou culturels produits par d'autres maisons de production. Son bureau directeur comprend des cinéastes professionnels et des hommes de science. Son activité s'étend à un grand nombre de disciplines ; nous ne retien- drons ici que les sciences sociales. Les films produits et distribués par le CMC ne sont pas des- tinés exclusivement aux universités. Dans le do- maine des sciences juridiques, le Centre a réalisé une série de sept films documentaires intitulée Decision (1957-58) : chacune de ces bandes traite d'une décision importante de la Cour suprême des Etats-Unis, impliquant des problèmes délicats d'interpretation constitutionnelle. (The Constitution and the Employments Standards, The Constitution and the Laborunion, The Constitution andthe Right to Vote, The Constitution and Censorship, The Constitution and Military Power, The Constitution : Whose in- terpretation ?, The Constitution and Fair Procedure). Ces films ont fait l'objet d'une analyse dans la revue Social Education/l. Ils ont été rejoués par ceux-là m é m e qui avaient pris part au litige : avocats, juges, plaignants.

Le CMC aproduit aussi : Freedom to Read (La- berté de lire, 1954), film-débat sur la censure des livres (réalisateur : Julien Roffman) ; Which Way for

human Rights (Les droits de l'homme, 1954), exposé cinématographique sur l'action des Nations Unies en faveur des droits de l'homme ; Can we immunize against prejudice ? (Pouvons-nous nous prémunir contre les préjugés ? 1954),filrn-débat destiné à amor- cer une discussion sur les méthodes pédagogiques susceptibles de combattre les préjugés ; TO your Health (Avotre santé, 1958), dessin animé sur l'alcoo- lisme, etc. Onle voit, le Centre de production de l'Uni- versité Columbia semble surtout préoccupé d'édu- cation civique.

Le CMC est aussi un centre de distribution de films sociologiques ; parmi les oeuvres importantes en location, citons Activity Croup Therapy (voir p.34 ), Palmour Street (voir p. 571, Al1 m y Babies (voir p.56 ), Proud Years (voir p. 57).

c. L'Educational Film Institute de l'université de New York aproduit notamment un important fil& dans le domaine dela sociographie rurale : And sothey live (C'est ainsi qu'ils vivent, 1940). Son auteur est un documentariste bien connu, John Ferno (collabora- teur : Julien Roffman). Le film est une étude sur la pauvreté dans une communauté rurale du sud des Etats-Unis ; il insiste sur lanécessité d'adapter les programmes scolaires aux problèmes vitaux de la région. L'Educational Film Institute de l'Université a produit aussi Valley Town, une étude sur le ch8mage technologique (réalisation Willard Van Dyke). L'im- portante cinémathèque de la m e m e université (New YorkUniversity Film Library), dans laquelle on trouve m&me Nanook, de Flaherty, et Forgotten Vil- lage, de Kline, est aussi le distributeur exclusif d'une série de films d'enseignement sur l'histoire de l'An- cien Monde ; elle détient également les films anthro- pologiques réalisés par Margaret Mead et Gregory Bateson, au cours d'enquêtes surle terrain à Bali et en Nouvelle-Guinée. Ces films, que l'on comparera utilement à Four Families (voir p. 59), tentent d'établir une corrélation entre le mode d'éducation imposé aux enfants et la personnalité culturelle

-

des adultes : A Balinese Family, Bathing Babies in three Cultures, Childhood Rivalry in Bali and New Guinea, First Days in the Life of a New Guinea Baby, Karba's First Years, Trance and Dance in Bali. Il faut citer aussi les films plus spécifique- ment psychologiques, réalisés par Margaret E. Fries, et consacrés à l'intégration de l'enfant à son milieu au cours du développement de la per- sonnalité. Le Dr Bateson a réalisé, en outre, un film intitulé Communication in three Families, qui est une étude sur les différences structurales du comportement au sein de trois groupes familiaux ap- partenant à la classe moyenne de San Francisco. La Film Library de l'université de New York édite aussi une série de films intitulée Studies on Inte-

-.

~ .. -~ grated Developement. Dans celle-ci, notons une réalisation à laquelle ont collaboré Margaret E. Fries, Clyde- Kluckhohn et Paul J. Woolf : Family life of the Navajo Indians. Cette étude porte sur l'intégration sociale de l'enfant

1. William H. Hartley, Sight and Sound in Social Studies, Social Education, vol. XXIII, no 6.

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chez les Indiens Navajo du Nouveau-Mexique. d. Au Département de sociologie de l'université

de Maryland, Margaret Cussler a collaboré, avec Mary L. de Give à la réalisation d'un film de so- ciographie rurale, You can't eat tobacco ; ce film est issu d'une recherche approfondie sur le terrain dans une communauté rurale du sud, dans la ré- gion du tabac ; les auteurs montrent les problèmes économiques et sociaux liés à la monoculture. Les mêmes auteurs ont consacré un film aux Indiens Hopi, au terme d'une longue étude sur les condi- tions de vie actuelles dans la réserve (Hopi horizons).

e. Quelques autres universités possèdent leur centre de production. Elles se préoccupent, le plus souvent, des besoins de l'enseignement secondaire ou de l'information générale du public adulte. Mais les véritables films scientifiques sont rares. Ci- tons le Département des communications visuelles de l'Université de Californie qui a produit, notam- ment, une série de films sur l'échantillonnage sta- tistique : Work Sampling Series (le but de ces films est d'apprendre à établir des normes de tra- vail), le Bureau d'instruction audio-visuelle de l'université d'Etat d'Iowa, qui a produit un film expérimental sur l'influence des conditions sociales sur la mentalité d'un groupe soumis successive- ment à une atmosphère démocratique, autocratique et anarchique ; ce film étudie aussi les différences de comportement résultant du passage d'une atmo- sphère sociale à l'autre (Experimental Studies in Social Climates of Groups). Le Département pour l'étude de l'enfance, du Vassar College, a produit une série de films sur le développement de la per- sonnalité de l'enfant, sous la direction scientifique du professeur L. Joseph Stone.

f. En dehors des centres de production univer- sitaires, il existe aux Etats-Unis un grand nombre de firmes commerciales spécialisées dans la pro- duction et la distribution de films éducatifs de 16 m m ; dans les catalogues qu'elles éditent, on trou- vera plusieurs rubriques concernant les sciences sociales (voir bibliographie). Citons : M c Graw Hill ; Frith Films ; International Film Bureau ; Dynamic Films Inc. ; United World Films, Inc. ; Encyclopaedia Britannica Films ; Educational Film Library Association, Inc. ; Arthur Barr Produc- tions, Inc. ; Bailey Films, Inc. ; Coronet Films, etc.

Ces firmes alimentent, pour l'essentiel, les cinémathèques des universités.

g. L'Université de 1'Etat de Pennsylvanie s'est spécialisée, notamment, dans la distribution de films sociologiques et anthropologiques destinés à l'enseignement supérieur ; elle a édité un catalogue des films disponibles dans ce domaine et apparte- nant à sa propre cinémathèque, dont les sources en approvisionnement sont fort diverses/l. Il existe un catalogue analogue pour les films psychologiques. L'ouvrage Sociology, dupro:esseur Arnold W. Green de l'université de Pennsylvanie, a été illustré par une série de films produits par la firme M c Graw- Hill. Ces bandes composent une série traitant de

la structure sociologique et des tendances de la société américaine contemporaine et destinée tout spécialement aux universités : The age of specia- lisation ; Beginning of Consciences ; Cooperation, Cornpetition, Conflict ; Our changing Family Life ; Social Class in America.

nisations culturelles antiracistes et des églises dans la production et la diffusion de films éduca- tifs, dont la matière ne relève qu'indirectement de notre étude ; ces films visent essentiellement à exercer une action moralisatrice sur le grand pu- blic. Le National Council on Jewish Audio-Visual Materials édite un catalogue (The Jewish Audio- Visual Review), de m ê m e que le National Council of Churches of Christ in the USA). Le Civil Rights Film Association a produit un film courageux sur le problème racial aux Etats-Unis (The Challenge): un Noir a été tué parce qu'il voulait voter ; ses meurtriers sont acquittés. De son cbté, 1'Anti- Defamation League of B'nai B'rith s'efforce de lutter contre le préjugé racial par le cinéma. Des compagnies privées aussi apparaissent parfois comme producteurs de films d'intéret sociologique, telle la Ford Motor Company (Pueblo Boy, Ameri- can Farmer, etc. ) ; ces films de propagande indi- recte exaltent les valeurs de la civilisation américaine.

cinémathèques contenant des films relatifs aux problèmes sociaux, politiques et économiques : 1'American Federation of Labor et le Congress of Industrial Organizations ont édité en commun un catalogue/a. L'International Ladies' Garment Workers' Union possède notamment une importante cinémathèque spécialisée/ 3. Cette association pro- fessionnelle a produit elle-meme des films inté- ressants sur l'activité syndicale, notamment W S these Hands.

j. Deux catalogues généraux de films éducatifs méritent d'être signalés : Educators Guide to Free Films/4 et United States Educational, Scientific and Cultural Motion Pictures and Filmstrips/5.

tera utilement le catalogue édité par 1'American Society of Planning Officiais/G.

h. Il faut signaler aussi l'importance des orga-

i. Les syndicats, de leur cbté, possèdent des

k. Dans le domaine de l'urbanisme, on consul-

1. Films for Sociology and Anthropology available from the Pennsylvania State University Audio Visual Aids Library.

2. Films for Labor, AFL-CIO Publications no 22, 1958.

3. Say it with Pictures, Juanary 1960, Educational Department, International Ladies' Garment Workers'Union.

4. Educators Progress Service, vingtième édition, 1960, édité par Mary Foley Horkheimer.

5. United States Information Agency, 1958. 6. Motion Picture Films on Planning and Housing,

a Bibliography, 195 7.

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14. La méthode comparative dans l'enseignement audio-visuel des sciences sociales

La comparaison de séquences extraites de films différents devrait être le principe fondamental de l'utilisation scientifique du film ethnographique et sociologique au niveau universitaire. En effet, la confrontation de documents filmés, portant sur le m&me thème traité dans le cadre de cultures dif- férentes, constitue parfois une véritable recherche aboutissant à des observations nouvelles. Une telle expérience est susceptible de mettre en valeur les différences et les similitudes ; elle stimule, en tout cas, l'esprit. C'est la méthode d'enseignement universitaire idéale. Mais, pratiquement, il est impossible de procéder à cette comparaison sans découper en morceaux un nombre important de films, sans massacrer de précieuses copies. Dès lors, il conviendrait de lancer sur le marché une série de films de montage, spécialement destinée à l'enseignement supérieur. Il est indispensable de procéder le plus rapidement possible à un inven- taire complet et systématique de tous les documents ethnographiques et sociologiques existants, de re- censer leur contenu exact et de s'enquérir des droits d'utilisation de ce matériel de base. Le Co- mité international du film ethnographique et socio- lo gique se propos e de traite r m é Cano graphiquem ent les analyses filmographiques dont il dispose déjà, en s'jnspirant de la méthode mise au point par M. Gardin (Musée du Louvre) pour l'analyse struc- turale de l'iconographie archéologique. La réali- sation de ce projet est confiée à l'archiviste du CIVES, Madame Jacqueline Veuve.

A partir de cette documentation, il deviendra possible d'imaginer une série de films de montage, illustrant les grands thèmes de l'ethnographie et de la sociologie ; on aperçoit aisément l'intérêt extraordinaire, pour la recherche comme pour l'enseignement, d'un film synthétique sur la pos- session, par exemple, qui grouperait des images extraites des films suivants : Les hommes qui font la pluie, de Jean Rouch (les crises de possession en milieu traditionnel chez les Songhai du Niger), et Maftres fous, du m ê m e réalisateur (les crises

de possession beaucoup plus violentes qui caracté- risent la secte nouvelle des Hauka, groupant prin- cipalement les émigrants venus du Niger vers la cûte, extraordinaire phénomène d'acculturation né du contact brutal de la religion traditionnelle avec la civilisation machiniste) (voir p.50 ). Pour le Niger encore, nous disposons des enregistrements cinématographiques du Dr Pidous chez les Zerma. Il y aurait lieu de comparer à ces documents afri- cains les deux seuls documents cinématographiques que nous possédions, à m a connaissance, sur le phénomène de la possession en Europe :

- le film de Roussos Coundouros intitulé Anas- tenaria, qui montre la marche sur le feu, vestige d'un rite religieux dionysiaque hérité de l'Antiquité, que pratiquent toujours les habitants de Macédoine (voir p.70 ). ; - le film du professeur Diego Carpitella (de Rome) sur le phénomène du "tarentisme" tel qu'on peut l'observer dans le sud de l'Italie : c'est là un document précieux, dont M. Carpitella se sert pour son enseignement personnel et ses conférences, et qui mériterait d'&tre comparé aux images pré- cédent e s. Cette confrontation provoquer ait, j ' en suis persuadé, un débat passionné : s'agit-il dans les quatre cas (Niger-Ghana-Grèce-Italie) du m é m e phénomène fondamental ? L e tarentisme est, comme la possession africaine, une crise extatique rituelle ; il s'agit ici de la possession par l'esprit de l'araignée. Les possédés luttent contre cette présence insolite, à l'inverse des possédés filmés par Jean Rouch, qui acceptent ou m ê m e recherchent la possession. Le tarentisme est un culte de pos- session curieusement intégré au culte catholique (une partie du rite se déroule à 1'Eglise méme). Il serait passionnant de pouvoir comparer encore ce syncrétisme à celui qui s'est opéré aux Antilles entre le culte de possession d'origine africaine et le culte catholique (vaudou haïtien),

L'intérêt de l'étude, par le cinéma, du phéno- mène de la possession n'est qu'un exemple entre mille. C'est au niveau de la comparaison que le film ethnographique ou sociologique peut devenir véritablement un instrument de recherche autant qu'un moyen d'enseignement irremplaçable.

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CONCLUSIONS

Ce travail de défrichement est certainement fort incomplet. Nous espérons qu'il contribuera au moins à attirer l'attention sur l'intéret considé- rable du cinéma pour la connaissance sociologique de notre temps. A des titres divers, les films que nous avons passés en revue constituent la part vi- vante des archives innombrables qu'accumulent les sociétés contemporaines.

Toute société, toute culture est toujours néces- sairement en voie de transformation rapide ; les sociétés sans écriture, sans machinisme accèdent à leur tour à la civilisation mondiale ; un petit nombre d'entre elles, qui n'ont pas su surmonter cette grande épreuve, sont malheureusement con- damnées à mort. Pendant quelques années encore, la caméra peut enregistrer les toutes dernières manifestations d'un style de vie "archaïque", qui bient8t aura disparu de l'horizonde la connaissance. Mais le domaine de l'ethnographie traditionnelle est loin d'etre le seul champ d'application de l'ob- servation audio-visuelle. Les bouleversements actuels de notre propre civilisation industrielle, les brusques mutations des nouvelles nations, les aspects les plus divers de notre vie sociale, éco- nomique, politique, ont fait l'objet d'essais ciné- matographiques qui méritent d'entrer dans notre cinémathèque universitaire idéale. Les problèmes sociaux n'ont cessé de passionner les cinéastes ; ils ont alimenté la création cinématographique de- puis une quarantaine d'années.

Le débat scientifique sur la méthode du film ethnographique et sociologique s'engagerait fort mal s'il se limitait à opposer les partisans de la technique non interventionniste (le reportage "pris sur le vif") aux partisans de la caméra participante. En fait, chacune des deux méthodes possède son objet propre, son champ d'application particulier. Le reportage couvre plus particulièrement le do- maine relativement limité des gestes stéréotypés : gestes cérémoniels (rituels politiques et religieux) et, jusqu'à un certain point, gestes du travail. Ra- rement, cependant, la technique passive du repor- tage permettra d'éclairer les raisons et les façons de vivre ou de désespérer. Apparemment, le repor- tage constitue la seule approche objective du phéno- mène social au cinéma, méritant de retenir l'attention du sociologue en quete de documents authentiques. Mais ce n'est là qu'une illusion d'op- tique. Quelles que soient les conditions d'enregis- trement des images, le cinéma documentaire est toujours un langage appliqué à la description de la réalité, non le pur reflet de cette réalité. A la limite, la théorie janséniste de l'enregistrement

scientifique ne devrait retenir que les documents obtenus au moyen d'une caméra dissimulée, caméra voyeuse et voleuse. Mais encore faudrait- il alors mettre le prix pour arriver à un résultat sérieux. Il faudrait, par exemple, pour observer valablement le comportement familial, dissimuler plusieurs caméras pendant une longue période dans un foyer, filmer pendant plusieurs jours de ma- nière continue, sans opérer aucun choix, accumu- ler désespérément des k m de pellicule. Autant dire qu'aucun institut scientifique au monde n'est capable de mettre sur pied une enquete filmée d'une telle envergure - sans tenir compte du fait que cette entreprise douteuse et indiscrète consti- tuerait purement et simplement un viol de la personnalité.

cieux de la caméra invisible et envisager résolu- ment les possibilités qu'ouvre à la description sociologique la méthode de la caméra participante. Dans cette perspective, inaugurée il y a bient8t quarante ans par Robert Flaherty, les hommes deviennent les acteurs bénévoles de leur propre condition : ils s'expriment eux-memes sous la forme d'un jeu sérieux, spontané ou contr8lé. A ce niveau, la réalité sociologique n'est pas captée par un oeil magique, elle fait l'objet d'un discours cohérent, elle s'exprime dans un langage autonome. C'est dire que le cinéma est rarement, dans les sciences sociales, un instrument de recherche ; il est plut8t une façon originale d'exposer, par l'in- termédiaire des informateurs eux-memes, un pro- blème, une situation concrète, en faisant appel aussi bien à l'intelligence qu'à la sensibilité du spectateur. Le cinéma est un instrument de com- munication sociologique privilégié, qui donne corps et âme au langage abstrait de la sociographie scien- tifique : sur ce plan, le film est à la fois illustra- tion et correctif, antidote méme. Le cinéma est donc essentiellement une technique particulière d'expression et de diffusion des résultats d'une recherche. Mais il est aussi un moment de cette recherche : le film se réalise au cours de l'enquéte, il conserve encore la fraîcheur du dialogue. Il im- pose avec force le sentiment de la réalité, il éta- blit un contact direct entre une communauté et toutes les autres : l'immense public international des salles obscures. Le cinéma est le seul langage sociologique universel ; il se situe au-delà de toutes les querelles de mots. Certes, le cinéma sociolo- gique est rarement pur de toute compromission : en lui se reflète, comme dans les savants traités, les positions doctrinales, conformistes, non

la

Il faut donc cesser de rever aux prestiges falla-

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conformistes, révolutionnaires ou anarchistes. Comme tout langage, il est une arme de propagande efficace pour le nieilleur et pour le pire.

Mais ceci n'est que la justiîication première, le prétexte idéologique. On trouve dans les grandes oeuvres du documentaire social, quel que soit leur but didactique ou politique (conscient ou inconscient), un accent de vérité qui ne trompe pas et qui est la marque des esprits libres, soucieux avant tout de témoigner honnêtement de la condition humaine.

L'université abesoin de ces témoins chaleureux ou amers. Cette expédition de reconnaissance nous a conduits souvent, à travers l'histoire du cinéma, au royaume des poètes, dans un monde où l'image est le double de l'homme et colle à lui comme l'ombre à nos semelles. Les voies de la connais- sance sont multiples et l'ambiguïté du cinéma "do- cumentaire", l'intérêt passionné qu'il suscite, dans les milieux savants comme chez les artistes, est peut-être l'un des signes majeurs d'une prochaine réconciliation de l'art et de la connaissance. Le cinéma impose à l'analyste lucide, rationnel, un autre mode de lucidité. Dans une perspective plus traditionnelle, l'enseignement et m ê m e la re- cherche universitaires disposent, dès à présent, d'un outil nouveau qui permet de confronter de grands pans du réel en coilant bout à bout des échantillons de civilisation. Le cinéma permet de voyager dans un espace-temps transformable à volonté selon les besoins de l'expérimentation ou

de la leçon. Il est donc urgent de constituer, dans chaque université, une cinémathèque vivante qui permettrait, selon un mode original, l'étude com- parée des civilisations, grâce à des montages qui varieraient selon l'objet de l'exposé. Chaque film devrait faire l'objet d'une carte perforée permet- tant de repérer immédiatement toutes les séquences dans un fichier. L'analyse mécanographique des films ouvrira de nouvelles perspectives à l'analyse comparée.

Mais les archives cinématographiques de la so- ciologie sont encore pauvres. Les descriptions attentives sont rares, les essais bien timides en- core. Le cinéma sociologique recherche unlangage nouveau : le mouvement Free cinema, en Angle- terre, comme les tentatives de Jean Rouch, en France, ou le nouveau cinéma américain, attestent une curiosité nouvelle, le désir d'approfondir le dialogue de 1.a caméra et de la société. La télévi- sion, d'autre part, dont nous n'avons pu aborder ici les premières réussites, est en train de créer un style nouveau d'enquêtes sociologiques audio- visuelles, un nouveau mode de contact entre l'homme et la caméra. On ne saurait assez souli- gner le r81e de précurseur du cinéma documentaire sociologique dans ce domaine. Les hommes d'une nation parlent à d'autres hommes, qui les igno- raient, au sein de la m ê m e nation. Partout le champ visuel s'agrandit et l'homme sort d'une solitude millénaire.

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X. ITALIE XIII. POLOGNE

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85

Page 86: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

LISTE DES FILMS/~

Titre du film

1. Acadians (The) (Les Acadiens)

2. Activity Group Therapy (Thérapeutique de groupe)

3. Age of Specialisation (The) (Le siècle de la spécialisation)

4. Al1 m y babies (Tous m e s bébés)

5. American at Work (L'Américain au travail)

6. American Farmer (Le fermier américain)

7. Anastenaria (La marche sur le feu)

8. And so they live (C'est ainsi qu'ils vivent)

Année de produc€ion

1947

1950

1952

1952

Réalisateur ou producteur

National Film Board of Canada/Office natio- nal du film du Canada

Jewish Board of Guardians (S. R. Slavson)

M c Graw-Hill

George C. Stoney

AFL-CIO (USA)

Ford Motor Company

Roussos Coundouros

1940 John Ferno et Julien Roffman

9. Angotee, story of an Eskimo boy 1952 Doug Wilkinson (hgoti, l'enfant esquimau) National Film Board of Canada / Office natio-

nal du film du Canada

nal du film du Canada 10. Antilles anglaises (Les)New Nations 1958 National Film Board of Canada/Office natio-

in the West Indies (bil. )

11. A propos de Nice 1929 Jean Vigo

12. Aubervilliers 1947 Eli Lotar et Jacques Prévert

13. Au carrefour de la vie/Crossroads 1949 Henri Storck (ONU) of life (bil. )

14. Au pays des Pygmées 1947 Jacques Dupont

15. A u pays du scalp 1925-30 Marquis de Wavrin

16. Autour de Patzcuaro/Introduction to 1952 Unesco Crefal/Tierra y Poblacion (tril. )

17. Back-Breaking Leaf (The) 1960 National Film Board of Canada / Office natio- (La feuille qui vous rompt le dos) nal du film du Canada

18. B a h et Bakintzy (Bakou et ses citoyens)

L. Safarov

19. Bakuba 1952 Gerard D e Boe

1. Pour les films dont il est prouvé qu'il existe une autre version linguistique, celle-ci est spécialement indiquée. Pour tous les films non français, dont il n'est pas certain qu'une autre version existe, le titre original est suivi d'une traduction libre en langue française (entre parenthèses). On peut consul- ter le texte consacré à chaque film au moyen de l'index des cinéastes, et firmes ou organisations productrices (à défaut de ceux-ci au moyen du titre).

86

Page 87: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

2 o.

21.

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2 5.

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2 8.

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3 O.

31.

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34.

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36.

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40.

41.

Balinese Famfiy (A) (Famille balinaise)

Bataille sur le grand fleuve/ Hippopotamus hunt on the Niger (bil. )

Bathing Babies in three Cultures (Le bain des bébés dans trois types de civilisation)

Battaison (La)

Battle of the Somme (The) (La bataille de la Somme)

Beginning of Consciences (L'éveil des consciences)

Berlin (La prise de Berlin)

Blytaekkerenden (Le couvreur de toits de plomb)

Bo rinage

Bode smiluj Sie nad nami (Nous attendons ta grâce, Seigneur)

Brodirani me& (RBves brodés)

Brûlés (Les)

Buthanese Masked Dances (Les danses masquées bouthanaises)

Can we immunize against prejudice ? (Pouvons-nous nous prémunir contre les préjugés ?)

Carnaval de Binche

Casa delle Vedove (La) (La maison des veuves)

Central Asia (L'Asie centrale)

Challenge (The) (La revendication)

Chant du fleuve (Le)

Charron (Le)

Childhood Rivalry in Bali and New Guinea (La rivalité enfantine à Bali et en Nouvelle-Guinée)

Chinese Canadians (Vancouver - La nouvelle patrie d'un Chinois)

1950

1959

1916

1945

1954

1933

1959

1956

1958

1954

1954

1954

1960

1954

1957

1954

1943

1954

Margaret Mead et Gregory Bateson

Jean Rouch

Gregory Bateson

Wolf Koenig

J. B. Mac Dowall and Geoffrey Malin

M c Graw-Hill

Reismann

Aage Rothenborg

Henri Storck et Joris Ivens

Halina et Jacek Oledzki

S. Topaldjikov

Bernard Devlin

Prince Pierre de Grèce

Center of Mass Communication (Columbia University

Jean Cleinge

Gian-Vittorio Baldi

Prince Pierre de Grèce

Civil Rights Film Association (USA)

Joris Ivens (Fédération syndicale mondiale)

Georges Rouquier

Gregory Bateson

National Film Board of Canada/ Office national du film du Canada

87

Page 88: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

42. China strikes back (La Chine riposte)

1940 Frontier Films

43. Chronique d'un été 1961

1952

1949

1939

Jean Rouch et Edgar Morin

Jean Rouch

Jean Rouch

44. Cimetière dans la falaise

45. Circoncision (La)

Ralph Steiner et Willard Van Dyke

46. City (The) (La cité)

1957 National Film Board of Canada (Colin Low and Wolf Koenig

47. City of Gold (Capitale de l'or)

48. Clerk (The) (L'employé)

1958 National Film Board of Canada/Office natio- nal du film du Canada(Co1in Low and Wolf Koenig)

National Film Board of Canada / Office natio- nal du film du Canada

49. Coal Face (La gueule noire)

1936

Grierson et Cavalcanti 50. C o m e Back Africa (Reviens Afrique)

1959

Gregory Bateson 51. Communication in three Families (Le comportement de trois familles)

5 2. C ommunity Re spons abilities (Que pensez-vous du sens social ?)

53. Constitution and Censorship (The) (La constitution et la censure)

National Film Board of Canada/ Office natio- nal du film du Canada

1954

1957 Center of Mass Communication (Columbia University)

do 54. Constitution and the Employment Standards (The) (La constitution et les normes d'emploi)

55. Constitution and the Labour Union (The) (La constitution et l'union du travail)

1958

1957

1957

1957

1957

1957

1955

1950

do

56. Constitution and the Right to Vote (The) (La constitution et le droit de vote)

57. Constitution and Military Power (The) (La constitution et le pouvoir militaire)

58. Constitution : Whose interpretation ? (The) (La constitution : qui en est l'interprète ?)

59. Constitution and Fair procedure (The) (La constitution et les débats loyaux)

do

do

do

do

60. Contadini del Mare (Paysans de la mer)

61. Contrat de travail/Local 100 (bil.)

Vittorio de Seta

National Film Board of CanaddOffice natio- nal du film du Canada M c Graw-Hill 62. Cooperation, Competition, Conflict

(collaboration, rivalité, conflit)

1959 Dimitrij Plichta 63. Co si O nas mysli (Comme les enfants nous voient)

88

Page 89: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

64. Course de taureaux (La) 1951 Pierre Braunberger Myriam Borsoutsky A. Lafont

65. Crise du logement (La) 1955

1952

De Wever

66. Cristo non si e fermato a Eboli (Le Christ ne s'est pas arr&té à Eboli)

Michele Gandin

1926

1933

Léon Poirier

Drago Chloupek et A, Gerasimov

67. Croisière noire

68. Dan u jednoj velikoj hrvatskoj porodici (Un jour dans une grande famille croate)

69. Danish Expedition to Asia (L'expédition danoise en Asie)

1954 Prince Pierre de Grèce

1948 Terry Bishop 70. Daybreak in Udi (L'aube à Udi)

71. Déjà s'envole la fleur maigre 1960

1958

Paul Meyer

National Film Board of Canada /Office natio- nal du film du Canada

72. Department Manager (The) (Le chef de département)

Khris Marker 73. Description d'un combat 1961

1943 Roy Boulting 74. Desert Victory (La victoire du désert)

75. Dien Voïny (Un jour de guerre en URSS)

76. Dimanche à Pékin (Un)

1942 (Sovexportfilm Moscou)

1956 Khris Marker

Stanislas Grebowski 77. Do Studziannej (Sur le chemin de Studzianna)

1929

1953

1952

Grierson 78. Drifters (A la dérive)

National Film Board of Canada /Office natio- nal du film du Canada

79. Dues and the Union (Les cotisations syndicales)

Deut s Che r Gewe rks chaft sbund 80. D u kannst nicht abseits stehen (Tu ne peux rester à l'écart)

Laszlo Kalmar 81. Ecçeri lakodalom (Noces d'Ecser (Les))

1956 Bert Haanstra 82. E n de zee was niet meer (Et la mer n'était plus)

83. England has a Queen (Elisabeth est Reine)

(Pathé)

National Film Board of Canada/Office national du film du Canada (Jacques Bobet)

84. Essor féminin (L')/Women in the March (bil. )

85. Every day except Christmas (Tous les jours sauf Noël)

1957 Lindsay Anderson

89

Page 90: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

86. Exil en banlieue : six solutions/ Suburban living : six solutions (bil. )

Experimental Studies in social climates of groups (Etudes expérimentales concernant le climat social des groupes)

Eygalières, commune de France

Family Life of Navajo Indians (La vie de famille des Indiens de Navajo)

National Film Board of Canada / Of€ice national du film du Canada

8 7. Université d'Iowa

1957 André Vetusto 88.

89. Margaret E. Fries Clyde Kluckhohn et Paul J. Woolf

1951 9 o. Family Portrait (Portrait de famille)

Humphrey Jennings

Georges Rouquier

Vaci& KaSlik

91.

92.

Farrebique

Faiank (Le carnaval)

1946

1949

93.

94.

95.

96.

97.

Fbte chez les Hamba 1955

1953

1955

1928

1943

Luc de Heusch

Anne Philippe et Viviane Pâques

Jean Rouch

Jean Epstein

Fils de l'éléphant (Les)

Fils de l'eau (Les)

Finis Terrae

Fires were started (Les feux s'allumèrent)

Humphrey Jennings

Gregory Bateson 98. First days of a life of a New Guinea Baby (Les premiers jours d'un bébé de la Nouvelle- Guinée)

For@t sacrée (La) 1953

1941

Pierre et Dominique Gaisseau

Herbert Kline (D'après scénario de John Steinbeck)

Ian M c Neill Richard Gilbert Fali Bilimoria William Novik John Buss

99.

100. Forgotten Village (The) (Le village oublié)

101. Four Families (Quatre enfants du monde)

1959

National Film Board of Canada / Office national du film du Canada

102. Four Religions (Quatre religions)

103. Freedom for Ghana (La liberté pour le Ghana)

1957

1954

Ghana Film Unit

Center of Mass Communication Columbia University (Julien Roffman)

104. Freedom to read (La liberté de lire)

1954

1959

105. Ganz gewohnlicher Tag (Ein) (Un jour c o m m e les autres)

République fédérale d'Allemagne

Zbigniew Bochenek 106. Gdzies pod Turbaczem (Quelque part sur le Turbacz)

90

Page 91: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

107. General Foreman (The) (Le contremaftre)

1958 National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

1929 Eisenstein 108. Generalnaya liniya (La ligne générale)

1952

1956

Luc de Heusch 109. Gestes du repas

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

11 O. Getting on the Bandwagon (Conformisme et instinct grégaire)

Yannick Bellon 111. Goémons 1942

1958 112. Golodnaia SteG (La steppe aride)

113. Gourouna

Tomberg

1960

1951

1923

Igor de Garine

Jacques Dupont 114. Grande case (La)

115. Grass (Pâturages)

Ernest Schoedsack et Merian Cooper

National Film Board of Canada / Office national du film du Canada Arbeidernes Faglige Landsorganisasjon

116. Grief (Le) 1954

117. Gryr 1 Norden (L'aube dans le nord)

118. Growing up with other peoples (Grandir avec les autres)

Margaret Thomp son

Henri Storck

Mario Ruspoli

Henri Fabiani

Jean Rouch

Rudi Hornecker

119. Histoire du soldat inconnu 1932

120. Hommes de la baleine (Les)

121.

122.

123. Honger

Hommes de la nuit (Les)

Hommes qui font la pluie (Les)

(La faim)

1951

1950

1945

Elton et Anstey 124. Housing Problems (Les problèmes du logement)

1935

Mary L. de Cive 125. Hopi Horizons (Les horizons des Hopi)

126. Hry slovenske mladeze (Jeux de la jeunesse slovaque)

127, Hunters (The) (Les chasseurs)

1928 Karel Plicka

1956 JohnMarshal et Bob Gardner

122. Hutaz przed stu lab (Une fonderie de cent ans)

1956 J. Gabryelski

Henri Storck et John Fernhout

Robert Flaherty

129. Ile de Pâques (LI) 1935

1933 130. Industrial Britain (La grande - Bretagne industrielle)

91

Page 92: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

131. Kameradschaft (Fraternité)

1. G. fiir Bergbau

Gregory Bateson 132. Karba's first years (Les premières années de Karba)

1958

1959

1956

J. Hoffman et E. Skorzewski 133. Karuzela lowicka (Le carrousel de Lowicz)

F. Granec et L. Baran 134. Kde mele vitr (Comme moud le vent)

Paul Meyer 135.

136.

Klinkaert (La briqueterie)

Kurpiowslde wesele (Les noces à Kurpie)

J. Gabryelski

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

137. La chabelThe Man of the Assembly Line (bil.)

1958

138. Land (The) (Le pays)

1940 Robert Flaherty

1952 Doug Wilkinson National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada Luis Bunuel

139. Land of the long day (Au pays des jours sans fin)

Las Hurdes (Terre sans pain)

140. 1936

141. Learning by experience (L'étude par l'expérience)

1947

142.

143.

Lettres de Sibérie 1958

1948

Khris Marker

Vladimir Sis Lide pod snehem (Des gens sous la neige)

1941 Humphrey Jennings 144. Listen to Britain (Ecoutez la Grande-Bretagne)

Living Stone (The) (Pierres vives)

145. 1959 John Feeney

146. Long-house People (The) (La grande maison)

1950 Allan Wargon National Film Board of Canada 1 Office na- tional du film du Canada Georges Rouquier 147.

148.

149.

Lourdes et ses miracles 1954

1960

1954

Gian-Vittorio Baldi Luciano

Vittorio de Seta Lu tempu di li piscispata (Le temps de la pCche à l'espadon)

1958 Luigi Di Gianni 150. Magia lucana (Magie en Lucanie)

Magiciens de Wenzerbé 1949

1937

1958

Jean Rouch 151.

152.

153.

Maisons de la misère Henri Storck

Maftre du destin/Power among Men (bil. ) Thorold Dickinson et J. C. Sheers (ONU)

92

Page 93: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

154. Maftre du Pérou (Le) 1958 Fernand Dansereau

Jean Rouch

Paul Strand

Gérard D e Boe

Peter Creutzberg

Peter Creutzberg

Robert Flaherty

Louis de Rochemont

155. Mai'tres fous 1957

156. Manhattan 1922

157. Mangbetu 1954

158. Mangrove 1 1956

159. Mangrove II 1956

160. Man of Aran 1934

161. March of time (La marche du temps)

1934-43

162. Marée au GhanaIJourney from Etsa 1958 (bil. )

Julian Bimw (National Film Board of Canada/Office na- tional du film du Canada) Jean-François Reichenbach 163. Marines (Les) 1957

164. Massa, Hommes de Logone 1960

165. Masques de feuilles chez les Bobo (Les) 1960

Igor de Garine

Le Moal

166. Men burde Tage Sig af det (Il faut faire quelque chose)

1952 Dansk Kulturfilm, Flamingo Film Studio Directeur : Ole Palsbo

167. Moana of the South Seas (Moana des mers du sud)

1923-24 Robert Flaherty

168. Moi, un Noir 1958 Jean Rouch

169. M o m m a don't allow (Maman ne le permet pas)

1956 Karel Reisz Tony Richardson

170. Moro Naba 1960 Jean Rouch

171. Mor-Vran (La mer des corbeaux)

172. Mr. Engliçh at home (M. English chez lui)

173. Nad zielonym Baltykiem (Au bord de la verte Baltique)

1930 Jean Epstein

1940 Colonial Film Unit

T. Kallweit

174. Nanook of the North (Nanouk 1 'Esquimau)

1925 Robert Flaherty

175. Nascita e Morte ne1 Meridione, 1959 San Cataldo (Naissance et mort dans le sud, à San Cataldo)

Luigi Di Gianni

176. Native land (Le pays natal)

1938 P a d Strand et Leo Hurwitz

177. Neftianiki Turkmenistana (Les travailleurs du pétrole en Turkménie)

M. Mei

93

Page 94: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

178. Nevesta ne jemlji slovo (Jeune fiancée fais tes adieux)

1947

179. New Earth (Les terres nouvelles)

1934 Joris Ivens

1957 Tanner et Goretta 180. Nice Time (Piccadilly la nuit)

1936 Harry Watt 181. Night mail (Courrier de nuit)

182.

183.

Nomades du soleil (Les) 1954

1958

Henry Brandt

Michele Gandin Non basta soltanto l'alfabeto (L'alphabet ne suffit pas)

1938 Harry Watt 184. North Sea (Mer du Nord)

185.

186.

Nuit et brouillard 1955

1957

Alain Resnais

Ion Rodan Nunt 3 C ioban ea s c 5 (Noces pastorales)

1956 Lindsay Anderson 187. O Dreamland (Oh, pays de réve)

188. 1956 Lionel Rogosin On the Bowery (Dans le Bowery)

189. On the Post (Au départ)

Opening Parliament (Session parlementaire)

Producteur : Bob Drew (Equipe Filmakers)

National Film Board of Canada / Office natio- nal du film du Canada

190. 1949

1954

1957

Gérard De Boe 191.

192.

Orchestre Mangbetu

Our changing Family Life (L'évolution de notre vie de famille)

M c Graw-Hill

193. Out of Darkness (Hors de l'ombre)

1953 Jack Glenn

Harry Watt 194. Overlanders (La route est ouverte)

Padaniye dinastu Romanovitch (La chute des Romanov)

1946

1927 Esther Choub 195.

196. Paese d'America (Pays d'Amérique)

Palmour Street (La rue Paimour)

1958 Gian Luigi Polidoro

197. 1951 George C. Stoney

198. Parabola d'Oro (Parabole d'or)

1955 Vittorio de Seta

199. Paris 1900 1946-47 Nicole Védrès

94

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Par le sang et par le feu/Blood and Fire Army (bil. )

Pasqua in Sicilia (Pâques en Sicile)

Passion des hommes

Pays neuf

Paysans noirs

Peaceful Years (The) (Les années paisibles)

Pêche aux harengs (La)

Pélerins de la mer (Les)

People like Maria (Des milliers comme Maria)

People of the Potlach (Les Indiens de la cbte ouest du Canada)

Peoples of the Skeena (Les riverains de la Skeena)

People with a Purpose (Les coopératives agricoles)

Père en fils (De)

Petit coin de parapluie (Un)

Pianto delle Zitelle (Il) (La complainte des vieilles filles)

Pirogues sur 1'Ogoué

Plow that breaks the Plain (The) (La charrue qui creuse un sillon en rase campagne)

Pomlad v Beli Krajini (Printemps en Carniole blanche (Le))

Povest of Neftjanikakh Kaspija (Histoire des travailleurs du pétrole de la Caspienne)

Priezjaitie k nam v Uzbekistan (Visitons 1'U zbé kie)

Primary (Primaire)

Proud Years (Les années fières)

1958

1954

1959

1958

1948

1948

1930

1958

1957

1958

1944

1949

1948

1951

1959

1959

1947

1935

1948

1953

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

Vittorio de Seta

Inst. Em. Vandervelde (Jean Brismée)

Fernand Dansereau

Georges Régnier

Peter Baylis

Henri Storck

Office national du film du Canada (Terence M c Cartney-Filgate)

Jean-Claude Sée

Harry Watt (OMS)

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

Office national du film du Canada (James Beveridge)

Manitoba Federation of Agriculture and Cooperation

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada Robert Menegoz

Gian-Vittorio Baldi

Jacques Dupont

Pare Lorentz

R. Carmen

Kayunov

Equipe Filmakers (Producteur Bob Drew)

George C. Stoney

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Pueblo Boy (L'enfant du village)

Pukanski Kolari (Les charrons de Pukanec)

Putyorka v%zh (Le chemin de la vie)

Pyramide humaine (La)

400 millions

Que Viva Mexico

Quiet One (The) (Le garçon tranquille)

Raquetteurs

Règlements des débats

Research Director (The) (Le Directeur de la recherche)

Return to Life (Le retour à la vie)

Rising Tide (The) (La marée montante) (Nouvelle version anglaise : Great Cargoes)

River (The) (La rivière)

Rossiya e Nicolaya II i Lev Tolstoy (La Russie de Nicolas II et de Tolstoï)

Ruanda

Sabotier du Val de Loire (Le)

Sacrifices pour la moisson

Salt of the Earth (Le sel de la terre)

Savage Eye (L'oeil sauvage)

Sceptre and the Mace (The) (Le sceptre et la masse)

Schot is te Boord (Het) (Jetons les filets)

Seigneurs de la foret (Les)

Shipyard (Chantier naval)

1949

1948

1931

1961

1939

1931-32

1950

1960

1955

1954

1939

1934 (1949)

1936

1928

1955

1955

1953

1953

1960

1957

1953

1958

1935

Ford Motor Company

Vlado Bahna

Nicolas Ekk

Jean Rouch

Joris Ivens

Eisenstein

Sidney Meyers

Office national du film du Canada (Gilles Groux and Michel Brault)

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

Henri Cartier-Bresson

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

Pare Lorentz

Esther Choub

Luc de Heusch

Jacques Demy

Pierre et Dominique Gaisseau

Herbert J. Biberman

Sidney Meyers Ben Maddow et Joseph Strick

National Film Board of Canada

Herman van der Horst

Hans Sielmann et Henry Brandt

Paul Rotha

Page 97: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

246. Sie bewegt die Welt (Le travail fait avancer le monde)

1954

1958

1957

Wiener Arbeiterkammer

National Film Board of Canada /Office na- tional du film du Canada

247. Skilled worker (The) (L'ouvrier qualifié)

K. Kostov 248. Sladki fleiti (Douces flbtes)

M c Graw-Hill 249. Social class in America (La classe sociale en Amérique)

Song of Ceylon (Le chant de Ceylan)

Songs of Nova Scotia (Chants de la Nouvelle-Ecosse)

1935

1958

Basil Wright 250.

Helen Creighton (National Museum of Canada et American Library of Congress)

251.

252. Sorbische Hochzeit (La noce sorbe)

Kaden

Stichting Film en Wetenschap (Utrecht)

253. Stervende t a d (Une langue qui meurt)

1955 Leslie Mac Ferlaine 254. Strike in Town (La grève à minuit)

1955 Vittorio de Seta 255. Sulfarara (Solfatares de Sicile)

Jind3ich Ferenc 256. Svatba na Moravském Slovacku (Mariage en Moravie)

1945

Henri Storck

Robert Flaherty et F. W. Murnau

257.

258.

Symphonie paysanne 1941-44

1928-31 Tabu (Tabou)

1941 Harry Watt 259. Target for To-night (L'objectif de cette nuit)

Tamas Banovitch 260. 1958 Tavas z (Le printemps)

Techniques soudanaises

Temps du Caméléon (Le)

Terre brûlée

Jean Gabus

Robert et Monique Gessain

Charles Dekeukeleire

Joris Ivens

Prince Pierre de Grèce

261.

262.

263.

264.

265.

1957

1937

1937

1957

Terre d'Espagne

They were Kaffirs (Ils étaient des Cafres)

1946-49 266. This Modern Age (Temps modernes)

1954 Lindsay Anderson et Guy Brenton 267. Thursday Children (Les enfants du jeudi)

97

Page 98: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

268. Tigrolov (La chasse au tigre)

Gouline

Prince Pierre de Grèce 269. Toda Calf Sacrifice (The) (Le sacrifice du veau chez les Todas)

1949

270. Together (Ensemble)

Tonnelier (Le)

1956 Lorenza Mazzetti

1942

1958

Georges Rouquier 271.

272. Town Planning (Le plan d'aménagement)

Louis Portugais (National Film Board of Canada) (Office na- tional du film du Canada Center of Mass Communication (Columbia University)

Gregory Bateson

273. T o your health (A votre santé)

1958

274. Trance and Dance in Bali (Transe et danse à Bali)

Traversée du Sahara en autochenille (La)

1951

1923

1949

Paul Castelnau

Terry Bishop

275.

276. Trooping the Colour (Le salut aux couleurs)

Prince Pierre de Grèce 277. T w o Indian Religious Ceremonies (Deux cérémonies religieuses indiennes)

1957

do 278. Turkey in Greece (La Turquie en Grèce)

1958

1929

1959

Victor Turin

Vancini

279.

280.

Turksib

Uomini soli (Les hommes seuls)

Dimitrij Plichta

VClciav JSaSlik

281.

282.

Upre R o m a 1956

1949 Valasské Tance (Danses valaques)

1941 Willard Van Dyke 283. Valley Town (La ville de la vallée)

2 84. VeEna Piseti (L'éternelle chanson)

1945 Karel Plicka

285.

286.

Vendanges 1929 Georges Rouquie r

Medvedkin et Abusentov Veselye mysli (Pensées joyeuses)

Via dei Cessati Spiriti (Le chemin des esprits disparus)

287. 1959 Baldi

National Film Board of Canada / Office na- tional du film du Canada

288. Vice-President (The) (Le Vice-président)

1958

289. Vigilia di mezza estate (Les feux de la St - Jean)

1959 Gian Vittorio Baldi

Svenska Mettalindustriareftrbundet 290. Vi var nagra m&n (Nous n'étions qu'une poignée d'hommes)

1954

98

Page 99: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

291.

292. Wagenia

Visages de la coopération ouvrière

1951

1956

1934

Gérard De Boe

Peter Creutzberg

Paul Strand

293. Walibene (In)

294. Wave (The) (Redes, ou le Révolté d'Alvarado)

W e are the Lambeth Boys (Nous les garçons de Lambeth)

295. Karel Reisz et Tony Richardson 1959

1958 Wlodzimierz Borowik 296. Wesele na Bukowinie (Noces en Bukovine)

1954 Center of Mass Communication (Columbia University)

297. Which way for Human Rights (Les droits de l'homme)

298. With these Hands (Avec ces mains-là)

1950 International ladies Garment Workers' Union

299. World is rich (The) (Le monde est riche)

1943 Paul Rotha

1946 d" 300. World of Plenty (Un monde d'abondance)

1953 Basil Wright et Paul Rotha (Unesco) 301. World without End (Je suis un homme)

Equipe Filmakers (Producteur Bob Drew)

Margaret Cussler et Mary L. de Cive

302. Yankino

303. You can't eat Tobacco (Le tabac ne te nourrira pas)

1943

1935 304. Za Siov&y z New Yorku do Mississipi (Sur les traces des Slovaques de New York jusqu'au Mississipi)

Karel Plicka

1933 Karel Plicka 305. Z e m spieva (La terre chante)

306. Zemlya (La terre)

1930 Alexandre Dovjenko

1947 M. Badjura 307. Zima mora umreti (L'hiver doit mourir)

Ludvik Baran et Vladislav Delong 1953 308. Zlidovych motivu (Tissus et impressions populaires)

1930

1927

Joris Ivens

Georges Lacombe

309. Zuiderzee

310. Zone (La)

99

Page 100: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

C. INDEX DES NOMS DE PERSONNES

1 - AUTEURS (Ethnographes, sociologues, historiens, hommes de lettres)

A - AGEL, Henri : 9, 11, 14, 29, 41 AMENGUAL, B. : 11

B - BALANDIER, Georges : 61 BAZIN, André : 14, 15, 49 BIEBUYCK, Daniel : 46, 67, 68,

C - CARTA, Jean : 51 CHOMBART de LAUWE, Paul : 27 CLAUSSE, Roger : 30, 31

D - DEMENY, Jean : 13 DELVAUX : 26

E - EISENSTEIN, S. M. : 9, 11, 23 EPSTEIN, Jean : 48

A

F - FORD, Charles : 31, 46, 47 FRANKOWSKI, E. : 70

G - CABUS, Jean : 68 GARDIN : 75 GAVAZZI : 69 GERBRANDS, A. A. : 69 GERMANN : 21 GRANAI, Georges : 20, 37 GREEN, Arnold W. : 74 GRIAULE, Marcel: 12, 20, 37 GRIERSON, .John: 32, 41, 42, 45, 48, 54, 59, 62 GURVITCH, Georges : 27

H - HARTLEY, William H. : 73 HOUSTON, James : 71

J - JANNE, Henri : 45 JEANNE, René : 31, 46, 47

K - KARDINER, Abraham : 59 KIDD, Cleve : 72 KNOX, Robert : 42 KROUPIANSKAIA, V. : 27, 61 KURET, Dr: 69

L - LAFFAY, Albert : 11 LEBESQUE, Morvan : 55 LEENHARDT, Roger : 14 LEFRANC, Robert : 19 LEIRIS, Michel : 49 LEROI-GOURHAN, André : 18, 19, 49, 67 LEVI-STRAUSS, Claude : 53 LINTON, Ralph : 59 LIOTARD, André F. : 48 LYOTARD, Jean F. : 12 LUMIERE : 13, 15

M - MAGRITTE, 13 MANVELL, Roger: 33, 42 MAQUET, J. .J. : 67, 68 MAUSS, Marcel : 65 MAREY : 13 MARION, Denis : 119 MAYER, J.P. : 9, 10 MEAD, Margaret : 59, 71, 73 MENDRAS, H. : 27 MERLEAU-PONTY, Maurice : 12 METRAUX, Alfred : 25, 26 MICHA, René : 11, 25 MORENO : 37 MORIN, Edgar: 11, 12, 13, 14, 23, 29, 38, 52, 60 MURNAU, F. W : 39 MUYBRIDGE : 13

P - PLICKA, Karel : 25, 62, 63, 70 PLISCHKE, Hans : 21, 69 POTAPOV, L. : 27. 61

R - RIOUX, Marcel : 59, 71 ROGOSIN, Lionel : 57, 58 ROTHA, Paul : 33, 41, 42, 46, 55, 61, 64 ROUCH, Jean: 17, 19, 23, 25, 29, 37, 38, 43,

50, 51, 52, 57, 60, 66, 70, 75

1 O0

Page 101: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

S - TOLSTOV, S.P. : 27 TOYNBEE, Arnold : 59, 72

SADOUL, G. : 29, 33, 36, 41 SAMIVEL : 48 SEPPILLI, Tullio : 21, 71 SMETS, Georges : 17 SPANNAUS, Dr: 21, 24, 69 STEINBECK, .John : 55 STONE, L. Joseph: 74 STONEY, Georges C. : 56, 57, 64 STORCK, H. : 31, 33, 45, 46, 47, 48, 54, 64 SUFRIN, Mark : 57 SZYFELBEIJN, Zofia : 70

T - TERENTIEVAL, L. : 27, 61 THEIJENOT, .Jean : 48

WEILER, A.H. : 55 WHITMAN, Whalt : 129 WOLF, G. : 69 WOODS, H. D. : 72 WRIGHT. Basil : 42

Z - ZAHAN, Dominique : 66 ZEMAN, Frederic D. : 57

II - CINEASTES

(Metteurs en scène, opérateurs, réalisateurs et sociétés et organisations productrices, etc. )

A - ABUSENTOV : 61 A. F.L. -C. 1. O. (USA) : 34, 74 American Institute of Planners (USA) : 55 ANDERSON, Lindsay : 44, 45 ANSTEY : 42 Arbeidernes Faglige Landsorganisasjon

(Norvège) : 34

B - M. BADJURA: 63 BAHNA, Vlado : 63 BALDI, Gian-Vittorio : 53 BANOVITCH, Tama6 : 63 BARAN, Ludvik: 63, 70 BATESON, Gregory : 73 BAYLIS, Peter : 31 BELLON, Yannick : 48, 49 BEVERIDGE, .Tames : 71 BIBERMAN, Herbert J. : 56 BIGGS, Tulian : 71 BILIMORIA, Fali : 59 BIRON, Hervé : 60 BISHOP, Terry: 32, 43 BOBET, Tacques : 59 BOCHENEK, Zbigniew : 63 BOROWIK, Wlodzimierz : 63 BORSOUTSKY, Myriam : 49 BOULTING, Roy : 31 BRANDT, Henry : 46, 67, 68 BRAULT, Michel : 60 BRAUNBERGER, Pierre : 49 BRENTON, Guy : 44, 45

BREW, Pr. : 73 BRISMEE, Tean : 34 BRUNATTO, Paolo : 54 BUNUEL, Luis : 54 BUSS, Tohn: 59

C - CALISI, Romano : 71 Canadian Trade Union Movement : 33 CARMEN, R. : 61 CARPITELLA, Diego : 71, 75 CARTIER-BRESSON, Henri : 55 CASTELNAU, Paul : 48 CAVALCANTI : 42 CBS Public Affairs (USA) : 34 Center of Mass Communication (Columbia

CHAMPAULT, Bernard : 67 CHAMPAULT, Dominique : 67 CHAPLIN, Charles : 9 Chase Manhattan Bank : 35 CHAVEZ, Carlos : 55 CHLOUPEK, Drago : 63 CHOUB, Esther : 31 Civil Rights Film Association (USA) : 74 CLEINGE, Jean : 47, 62 Colonial Film Unit (Royaume-Uni) : 43 COOPER, Merian : 54 COUNDOUROS, Roussos : 70, 75 CREIGHTON, Helen : 71 CREUTZBERG, Peter : 68 CUSSLER, Margaret : 74

University) : 73

1 O1

Page 102: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

D - DANSEREAU, Fernand : 60 Dansk Kulturfilm : 34 DE BOE, Gérard : 46, 62 DEKEUKELEIRE, Charles : 46 DELCORDE, Jacques : 10, 47 DELONG, Wladislaw : 63 DEMY, Jacques : 49 Deutscher Gewerkschaftsbund : 33 DEVLIN, Bernard : 60 DICKINSON, Thorold : 64 DI GIANNI, Luigi : 53, 71 DOVJENKO, Alexandre : 61 DREW, Bob : 58 DUNHANI, Harry: 55 DUPONT, Jacques : 52

E - EISENSTEIN, S. M. : 9, 11, 23, 61 EKK, Nicolas : 61 ELTON : 42 EPSTEIN, -Jean : 48 ESTEVA, Jacinto : 54

F - FABIANI, Henri : 48 Farm Security Administration (USA) : 55 Fédération syndicale mondiale : 48 FEENEY, John : 71 FERENC, Jindsich : 63 FERNHOUT, John : 46 FERNO, John : 73 Fiimakers (Equipe) : 58 FLAHERTY, Frances : 39 FLAHERTY, Robert : 13, 15, 17, 36-43, 45, 48,

50, 54, 55, 57, 58, 65, 75 Flamingo Film Studio : 34 Ford Motor Company : 74 FRIES, Margaret E. : 73 Frontier Films : 55

G - GABRYELSKI, J. : 63 CABUS, Jean : 68 GAISSEAU, Dominique : 52 GAISSEAU, Pierre : 52 GANDIN, Michele : 53 GARDNER, Bob : 58, 73 GARINE, Igor de : 67 GAVAZZI : 69 G E. G. (Le mouvement coopératif de la Rép. Féd.

GERASIMOV, A : 63 GESSAIN, Robert : 67 GESSAIN, Monique : 67 Ghana Film Unit : 32 GILBERT, Richard : 59 GIVE, Mary L. de : 74 GLENN, rack : 34

d'Allemagne) : 33

GOLDMAN, John : 39 GORETTA : 45 GOULINE : 61 GRANEC, F. : 63 GREBOWSKI, Stanislas : 63 GRECE, Pierre, Prince de : 17, 69 GRIERSON, John : 32, 33, 41, 42, 45, 48, 54,

GROUX, Gilles : 60 59, 62

H - HAANSTRA, Bert. : 48 HEUSCH, Luc de : 20, 46, 67 HOFFMANN, J. : 63 HORNECKER, Rudi : 48 HURWITZ, Léo : 55

1 - 1. G. für Bergbau (Rép. Féd. d'Ailemagne) : 33 Institut Em. Vandervelde : 34 Internationai Ladies Garment Workers' Union :

IVENS, Joris : 45, 47, 48, 54 34, 74

J - JANKOWSKI, Tadeusz : 70 .JENNINGS, Humphrey : 42, 43 Jewish Board of Guardians : 34

K - KADEN : 63 KALLWEIT, T. : 63 KALMAR, Laszlo : 63 KASLIK, Vaclav : 63 KAUFFMANN, H.E. : 29, 69 KAYUNOV : 61 KAZAN, Elie : 55 KLINE, Herbert : 55, 73 KLUCKHOHN, Clyde : 73 KOENIG, Wolf: 60 KOSTOV, K. : 63 KOULECHOV : 14, 30 KURET, Dr : 69

L - LACOMBE, Georges : 48 LAFONT, A. : 49 LANG, Fritz : 10 LASSALY, Walter : 44 LEACOCK : 58 (Learning By Experience) : 34 LEIRIS, Michel : 49 LE MOAL : 67 Cibrary of Congress (USA) : 71 LORENTZ, Pare : 55 LOTAR, Eli : 49 LOW, Colin : 60

102

Page 103: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

M - M c CARTNEY-FILGATE, Terence : 32, 60, 72 Mac DOWALL, J. B. : 31 M c FARLAINE, Leslie : 60 M c GRAW HILL : 74 Mac LAREN : 11 Mac NEILL, Ian : 59 MADDOW, Ben : 55 MALIN, Geoffrey : 31 Manitoba Federation of Agriculture and Co-

MAQUET, J. J. : 20, 67, 68 MARKER, Kris : 30, 49 MARSHALL, John : 58, 73 MARTINO, Ernesto di : 71 MAYSILES : 58 MAZZETTI, Lorenza : 45 MEAD, Margaret : 59, 71, 73 MEDVEDKIN : 61 MEI, M. : 61 MENEGOZ, Robert : 34 MEYER, Paul : 47 MEYERS, Sidney : 55 Ministère d'éducation nationale (Mexique) : 55 MORIN, Edgar : 11, 23, 29, 38, 52, 60

MURNAU, F. W. : 39

operation (USA) : 72

MÜLLER, E.W. : 69

N - National Museum of Canada : 71 Nations Unies : 64, 73 NOVIK, William : 59

O - Office national du film du Canada/ The National

OLEDZKA, Walina : 70 OLEDZKI, Jacek : 70 Organisation mondiale de la santé : 64

Film Board of Canada: 33, 59, 60, 66, 71, 72

E PALSBO, Ole : 34 PAQUES, Viviane : 67 Pathé : 32 PAULI, Elisabeth : 69 PENNEBAKER : 58 PHILIPPE, Anne : 67 PIDOUX, Dr : 75 PIERRE, Prince de Grèce : 17, 69 PLICHTA, Dimitrij : 34, 63 PLICKA, Karel : 25, 62, 63, 70 POIRIER, Léon : 48 POLIDORO, Gian Lui@ : 53 (Pomlad v Beli Krajini) : 63 PORTUGAIS, Lewis : 72 POTENTIER, P. : 67 POUDOVKINE : 9, 14 POZZI BELLINI, Giacomo : 53 PREVERT, Jacques : 49

R - REGNIER, Georges : 52 REICHENBACH, Jean-François : 49 REISMANN : 31 REISZ, Karel : 44, 45 RESNAIS, Alain : 49 RICHARDSON, Tony : 45 RIOUX, Marcel : 59, 71 ROCHEMONT, Louis de : 31 RODAN, Ion : 63 ROFFMAN, Julien : 73 ROGOSIN, Lionel : 57, 58 ROTHA, Paul : 31, 33, 41, 42, 46, 55, 64 ROTHENBORG, Aage : 69 ROUCH, Jean: 17, 19, 23, 25, 29, 32, 37, 38,

43, 50-52, 57, 60, 66, 70, 15 ROUQUIER, Georges : 18, 32, 33, 42, 46, 48,

RUSPOLI, Mario : 67 49, 64

S - SAFAROV, L. : 61 SCHOEDSACK, Ernest : 54 SEE, Jean-Claude : 49 SETA, Vittorio de : 53 SHEERS, J. C. : 64 SjELMAN, Hans : 46, 67 SIS, Vladimir : 63 SKORZEWSKI, E. : 63 SLAVSON, S.R. : 34 SMETS, Georges : 17 Société nationale d'habitations à bon marché

(Belgique) : 45 (Sovexportfilm Moscou) : 61 STEINER, Ralph : 55 Stichting Film en Wetenschap (Pays-Bas) : 68 STONEY, George C. : 56, 57, 64 STORCK, Henri : 31, 33, 45, 46, 47, 48, 54, 64 STRAND, Paul : 54, 55 STRICK, Joseph : 55 SUFRIN, Mark: 57 SULZMAN, E. : 69 Svenska Metallindustriareforbundet (Suède) : 34

T - TANNER : 45 TATI, Jacques : 9 (This Modern Age) : 31 THOMPSON, Margaret : 34 TOMBERG : 61 TOPALDJIKOV, S. : 63 TROUWBORST, A.A. : 69 TURIN, Victor : 61

U - Unesco : 50, 64 Université d'Iowa : (USA) : 74

103

Page 104: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

V - VANCINI : 53 VAN DER HORST, Herman: 48 VAN DYKE, Willard : 55, 73 Vassar College (USA) : 74 VEDRES, Nicole : 31 VERTOV, Dziga: 13, 29, 31 VETUSTO, André : 49 VIGO, Jean : 29, 31

Y

WAVRIN, Marquis de : 46 WEVER de : 49 Wiener Arbeiterkammer (Autriche) : 33 WILKINSON, Doug. : 71 WILSON, Michael : 56 WOOLF, Paul J. : 73 WRIGHT, Basil : 42, 64

Z - ZAVATTINI : 9 ZINNEMAN, Fred : 55

WARGON, Ailan: 71 WATT, Harry : 42, 64

104

Page 105: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

Nous signalons l'existence du système des BONS DE L'UNESCO

Afin de remédier aux difficultés d'ordre monétaire que soulèvent les achats à l'étranger

de livres, films, équipements de laboratoire, etc., l'Unesco a conçu une sorte de monnaie internationale,

le BON UNFSCO Les BONS DE L'UNESÇO fournissent

aux écoles, universités, professeurs et étudiants d'un grand nombre de pays

la possibilite de se procurer aisément le matériel dont ils ont besoin pour leurs études

ou leurs recherches

Les BONS DE L'UNESCO sont en vente dans la plupart des Etats membres

où il existe un contrôle des changes Pour de plus amples renseignements,

s'adresser, dans chaque pays, à la commission nationale pour l'Unesco

ou, directement, au siège de 1'Grganisation.

les bons de I'unesco permettent d'acheter :

livres, périodiques, photocopies, microfilms, reproductions d'œuvres d'art, diagrammes, globes terrestres, cartes géographiques ; partitions musicales, disques, films éducatifs sous forme de :

Le BONDE VOYAGE UNESCO, a) copies positives et nouvelle application contre-types ;

du système des BONS DE L'UNESCO, b) négatifs originaux et

vise à écarter les difficultés de change qui entravent souvent

les déplacements entrepris à des fins éducatives ou culturelles :

sortes de chèques de voyage internationaux, les BONS DE VOYAGE UNESCO,

fournissent aux étudiants, aux professeurs et aux chercheurs

les devises dont ils peuvent avoir besoin pour poursuivre leurs études ou leurs travaux à l'étranger.

Toutes précisions utiles sont données dans le dépliant

LES BONS DE L'UNESCO

ainsi que dans le dépliant

L'UNESCO PRESENTE LE BON DE VOYAGE UNESCO

où l'on trouvera la liste des organismes nationaux responsables de la répartition et de l'émission des bons et les banques où ceux-ci peuvent être échangés contre les devises nécersaires.

contre-types ; et pellicule vierge de 16mm. pour tirage de ces films ; matériel scient if ique pour l'enseignement et la recherche notamment : instruments et matériel d'optique, balances et poids, verrerie de laburatoire, appareils de mesure électrique et acoustique, appareils d'analyse et de contrôle, etc.

Ces dépliants seront adressés aux personnes qui en feront la demande au

Service des bons de l'Unesco place de Fontenoy Paris - France

Page 106: Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et

' PUBLICATIONS DE L'UNESCO : AGENTS GENERAUX

Afghonistan : Panuzai Press Department, Royal Afghan Ministry

Albanie: N. Sh Botimeve aNaim FrasheriD, TIRANA. Allemagne (Rép. féd.) : R. Oldenbourg Verlag, Unesco-Vertrieb

Antilles françaises : Librairie J. Bocage, 15 rue Lavoir, B.P. 208,

Antilles néerlandaises : G.C.T. Van Dorp&Co., (Ned. Ant.) N.V.,

Argentine : Editorial Sudamericana, S.A. Alsina 500,

Australie : Melbourne University Press, 369 Lonsdale Street,

Autriche: Verlag Georg Fromme & Co., Spengergasse 39, WIEN V. Belgique : Office de publicité, S.A., 16, rue Marcq, B R U X E L L E S 1 ; N.V. Standaard Boekhandel, Belgiëlei 151,ANTWERPEN. Pour Le Courrier: Louis de Lannoy, 22, place de Brouckère, BRUXELLES.

Birmanie : Burma TranslationSociety, 361 Prome Road, RANGOON. Bnlivie: Libreria Selecciones, avenida Camacho 369, L A P A Z ; Libreria Universitaria, Universidad de San Francisco Xavier, SUCRE: Libreria ULOS Amigos del Libror, calle PerG 11, C O C H A B A M B A .

Brésil : Fundaçao GetGlio Vargas, 186 Praia de Botafogo, caixa ystal4081, RIO D E JANEIRO.

Bu garie : Raznoïznos, 1 Tzar Assen, SOFIA. Cambodge : Librairie Albert Portail, 14, avenue Boulloche, P H N O M - PENH.

Canada : The Queen's Printer, O T T A W A [Ont.). Ceylan : Lake House Bookshop, P.O. Box 244, Lady Lochore

Building, 100 Parsons Road, C O L O M B O 2. Chi I i : Editorial Universitaria, S.A., avenida B. O'Higgins 1058,

casilla 10220, SANTIAGO. Pour Le Courrier: Cornision Naciqnal de la Unesco en Chile, calle San Antonio 255, 7.O pso, SANTIAGO.

Chine : The World Book Co., Ltd., 99 Chungking South Road, Section 1, TAIPEH. Taiwan (Formosa).

Colombie: Libreria Central, carrera 6 - A n.0 14- 32, B O G O T d ; Libreria Buchholz Galeria, avenida Jiménez de Quesada 8- 40, BOGOTA ; J. G e r m h Rodrigue2 N., oficina 201, Edificio Banco de Bogota, apartado nacional 83, GIRARDOT.

Corée : Korean National Commission for Unesco, P.O. Box Central 64, SEOUL.

Costa Rica ; Imprenta y Libreria Trejos, S. A. ; apartado 1313, S A N JOSE.

Cuba : Libreria Econhica, Pte. Zayas 505-7, apartado 113. L A HABANA.

Danemark : Ejnar Munksgaard, Ltd., 6 Ndrregade, K O B E N H A V N K. République Dominicaine : Libreria Dominicana, Mercedes 49 apartado de correos 656, CIUDAD TRUJILLO.

Equatwr : Casa de la Cultura Ecuatoriana, NGcleo del Guayas, Pedro Moncayo Y 9 de Octubre, casilla de correo n.0 3542.

of Education, KABUL.

für Deutschland, Rosenheimerstrasse 145, M U N C H E N 8.

FORT-DE-FRANCE (Martinique).

WILLEMSTAD (Curaçao, N.A.).

B U E N O S AIRES.

M E L B O U R N E C. 1 (Victoria).

GUAYAQUIL; . Espagne : Libreria Cientifica Medinaceli, Duque de Medinaceli 4, MADRID 14. Pour L e Counier: Ediciones Iberoamericanas, S.A., calle de Onate 15. MADRID.

Etats-Unis d'Amériaue : Unesco Publications Center, 801 Third Avenue, N E W Y O R K 22, N.Y., ei, sau/pour les périodiques: Columbia Universjtypress, 2960 Broadway, N E W Y O R K 27, N.Y.

Ethiopie : International Press Agency, P.O. Box 120, ADDIS ABABA.

Finlande : Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskuskatu, HELSINKI. France : Librairie de l'Unesco, place de Fontenoy, PARIS-7e ;

Vente en gros: Unesco, Section des ventes, place de Fontenoy

Ghana : Methodist Book Depot Limited, Atlantis House, Commercial

Grèce: Librairie H. Kauffmann, 28, riie du Stade, ATHENES. Guatemala : Cornision Nacional de la Unesco, 5.* calle 6-79,

Harti : Librairie aA la Caravelles, 36, rue Roux, B.P. 111,

Hong-Kong: Swindon Book Co., 25 Nathan Road, KOWLOON. Hongrie: Kultura, P.O. Box 149, BUDAPEST 62. Inde : Orient Longmans Ltd. : 17 Chittaranlan Avenue,

PARJS-7=.

Street, P.O. Box 100, C A P E COAST.

zona 1 (Altos), GUATEMALA.

PORT-AU-P RINCE.

C A L C U T T A 13. ; Nicol Road, Ballard Estate, BOMBAY 1. ; 36 A Mount Road, M A D R A S 2.; Kanson House, 1/24 Asaf Ali Road, N E W DELHI 1. Sous-dépôts : Oxford Book & Stationery Co.: 17 Park Street, C A L C U T T A 16.; et, Scindia House, N E W DELHI.

DJAKARTA. Indonésie : Bappit Pusat rPERMATAI, Djalan Nusantara 22,

Irak : McKenzie's Bookshop, BAGHDAD. Iran : Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue du

Irlande : The National Press, 2 Wellington Road, Ballsbridge, Musée. TEHERAN.

DUBLIN.

Israël : Blumstein's BookstoresLtd., 35 Allenby Road et 48 Nahlat Benjamin Street, T E L AVIV.

Italie : Libreria Commissionaria Sansoni (Agente generale), via Gin0 Capponi, 26, caseiia postale 552, FIRENZE ; Libreria Zanichelli, Porticidel Pavaglione, BOLOGNA ; Hoepli, via Ulrico Hoepli, 5, MILANO; Libreria Internazionale Ulrico Hoepli, Largo Chighi, ROMA; Libreria Internazionale Modernissima, via della Mercede, 43,45, R O M A ; Libreria Paravia, via Garibaldi, 23, TORINO.

Jamarque : Sangster's Book Room, 91 Harbour Street, KINGSTON ; Knox Educational Services, SPALDINGS.

Japon : Maruzen Co., Ltd., 6, Tori-Nichome, Nihonbashi, P.O. Box 605, Tokyo Central, TOKYO.

Jordanie : Joseph 1. Bahous & Co., Dar-ul-Kutub. Salt Road, F.O. Box 66, AMM-AN.

BEYROUTH. Liban : Librairie Antoine, A. Naufal et Frères, B. P. 656,

~~~~ . __

Libéria : J. Momolu Kamara, 69 Front& Gurley Streets, MONROVIA. Luxembourg : Librairie Paul Bruck, 22, Grand-Rue, LUXEMBOURG. Malaisie (Fédération de) et Singapour : Federal Pliblications Ltd., Times House, River Valley Road, SINGAPORE.

Malte : Sapienza's Library, 26 Kingsway, VALLETTA. Moroci Centre de diffusion documentaire du B.E.P.I., B.P. 211,

Mexique : Editorial Hermes, Ignacio Mariscal, 41, MEXICO, D.F. Monaco : British Library, 30, Boulevard des Moulins,

RABAT.

M O N T E -CARLO.

n.0 115. MANAGUA. Nicaragua : Libreria Cultural Nicaragüense, calle 15 de Septiembre

Nigeria: C.M.S. (Nigeria) Bookshops, P.O. Box 174, Lf,GOS. Norvè e: A.S. Bokhjdrnet, Lille Grensen 7, OSLO. Nouvelle -Zélande : Unesco Publications Centre, 100 Hackthorne

Road, CHRISTCHURCH, Ouganda : Uganda Bookshop, P.O. Box 145, KAMPALA. Pakistan : The West-Pak Publishing Co., Ltd., Unesco Publications House, P.O. Box 374, 56-N Gulberg Industrial Colony, LAHORE.

Panama : Cultural Panamena, avenida 7.a n.0 TI-49, apartado de correos 2018, PANAMA.

Paraguay : Agencia de Librerias de Salvador Nizza, Yegros entre 25 de May0 y Mcal. Estigarribia, ASUNCION.

Pa,ys-Bas : N.V. Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9,

Pérou : r E S E D A L S-GRAVENHAGE. - Oficha de Servicios r,DepartamentO de Venta de Publicaciones, Jir6n Huancavelica (calle Ortiz) 368, apartado 577, LIMA.

Philippines : Philippine Education Co. Inc., 1104 Castillejos Quiapo, P.O. Box 620, MANILA.

Pologne : Osrodek Rozpowszechniania Wydawnictw Naukowych PAN, PaYac Kultury i Nauki,, WARSZAWA.

Portugal :Dias &Andrade, Lda., Livraria Portugal, rua do Carn.o,70; LISBOA.

République arabe unie: La Renaissance d'Egypte, 9 Sh. Adly Pasha, CAIRO (Egypte).

République sud-africaine : Van Shaik's Bookstore (Pty.), Ltd., Libri Building, Church Street, P.O. Box 724, PRETORIA.

Fédération de Rhodésie et du Nyassaland :The Book Centre, First Street, SALISBURY (Southern Rhodesia).

Roumanie : Cartimex, Str. Aristide Briand 14-18, P.O. Box 134-135. BUCURESTI.

Royaume-Uni : H. M. Stationery Office, P. O. Box 569, L O N D O N S.E. 1.

Salvador : Manuel Navas & Cia., 1.' avenida Sur 37, SAN SALVADOR.

Sénégal : La Maison du livre, 13, avenue Roume, DAKAR. Singopour : Voir: Malaisie (Fédération de). Suède : A/ B C. E. Fritzes Kungl. Hovbokhandel, Fredsgatan 2,

STOCKHOLM 16. Pour Le Counie): Svenska Unescoradet, Vasagatan 15-17, STOCKHOLM C.

Suisse : Europa Verlag, Rimistrasse 5, ZURICH ; Payot, 40, rue du Marché, GENEVE.

Tanoanviko: Dar es Salaam BookshoD. P.O. Box 9030, - I D AR -ES SALAAM.

Tchécoslovoquie: Artia Ltd., 30 Ve Smezkach, P R A H A 2. Thailande : Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue, . BANGKOK. ~~

Turquie : Librairie Hachette, 469, Istiklal Caddesi, Beyoglu,

U R 5 S : Mefhdunarodnaja Kniga, MOSKVA G - 200. Uruguay : Unesco, Centro de Cooperacion Cientifica para América Latina, bulevar Artigas 1320-24, casilla de correo, 859, MONTEVIDEO ; Oficina de Representacion de Editoriales, Plaza Cagancha 1342,,1.er piso, MONTEVIDEP.

Venezuela : Libreria Politécnica, calle ViIlaflor, local A, al lado General Electric, Sabana,Grande, C A R A C A S ; Libreria Selecta, Avenida 3, neo 23 - 23, MERIDA.

Viêt-nam : Librairie papeterie Xuân-Thu, 185-193, rue Tu-do, B.P. 283, SAIGON.

Yougoslavie : Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27, BEOGRAD.

ISTANBUL.

@. 1742 %l.OO ; 5/- (stg.) ; 3,50 NF