collection Études et travaux - africa adapt...eau, genre et développement durable expériences de...

110
collection Études et Travaux Éditions du Gret ministère des Affaires étrangères AFD D. ALLÉLY , O. DREVET -DABBOUS, J. ETIENNE, J. FRANCIS, A. MOREL À L'HUISSIER, PHILIPPE CHAPPÉ, G. VERDELHAN CAYRE Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne programme Solidarité Eau

Upload: others

Post on 25-May-2020

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

col lect ion Études et Travaux • Édi t ions du Gret • minis tère des Af faires étrangères • AFD

D. ALLÉLY, O. DREVET-DABBOUS, J. ETIENNE, J. FRANCIS,A. MOREL À L'HUISSIER, PHILIPPE CHAPPÉ, G. VERDELHAN CAYRE

Eau, genre et développement durableExpériences de la coopération française

en Afrique subsaharienne

programme Solidarité Eau

Page 2: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection
Page 3: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Eau, genre et développement durableExpériences de la coopération française en Afrique subsaharienne

Ouvrage collectif

collection Etudes et travaux

Editions du GRET • Ministère des Affaires étrangères • Agence française de développement • Banque mondiale

Page 4: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection
Page 5: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

sommaire

Préface 9

CHAPITRE 1Histoire de l’intégration des femmes dans le développement

1. Introduction 11

2. Les grandes conférences internationales 12

2.1. Des bonnes intentions à la réalité 132.2. Les conférences sur le développement. Une certitude : pas d’effet

durable sans les femmes 142.3. Les conférences sur l’eau. Usagers/usagères, le développement partagé 142.4. Activisme et recherche-action 15

3. L’évolution conceptuelle 16

3.1. Introduction 163.2. Evolution des approches visant l’intégration des femmes 17

4. Conclusions 22

5. Bibliographie du chapitre 1 23

6. Annexe. Les conférences onusiennes 24

CHAPITRE 2Distribution du pouvoir et changement social

1. Introduction 27

2. Les femmes dans l’organisation sociale 28

2.1. La famille, une entité multiforme 282.2. Les “aînés”, gardiens formels de la conformité 282.3. De l’obligation de consensus à la captation communautariste du pouvoir 292.4. Les femmes et la sphère publique 30

3. Migrations et éducation : la nouvelle donne 32

3.1. La responsabilité croissante des femmes sous l’effet des migrations 323.2. Diversité des ménages et pauvreté 333.3. Alphabétisation et formation : un facteur d’émancipation progressive 35

Page 6: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

4. Le rôle des associations dans l’évolution de l’organisation sociale 38

4.1. L'exemple d'associations en milieu semi-urbain au Bénin 384.2. Les associations de femmes au Sénégal 394.3. Les associations liées à l’amélioration de l’environnement

à Ouagadougou 40

4. Conclusions 41

6. Bibliographie du chapitre 2 41

CHAPITRE 3Gestion domestique de l’eau et de l’assainissement

1. Introduction : économie domestique et genre 43

2. Les pratiques d’approvisionnement en eau des ménages 48

2.1. La corvée d’eau 482.2. Les critères de choix d'une source d'approvisionnement en eau potable 512.3. Le paiement partagé de l’eau 542.4. Perception traditionnelle des relations entre l’eau et la santé 58

3. L’assainissement : un domaine négligé 60

3.1. Une situation alarmante 603.2. Le rôle prédominant des femmes 623.3. L’évacuation des eaux usées ménagères : pratiques et comportements 633.4. Attitudes et demandes d’amélioration 65

4. Conclusions 71

5. Bibliographie du chapitre 3 72

CHAPITRE 4Place et rôle des usagers et des usagères

1. Introduction 75

2. Objectifs des projets et attentes des acteurs 76

2.1. L’Etat 762.2.Les usagers 772.3. Le bailleur de fonds 77

6 Eau, genre et développement durable

Page 7: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

3. L’évaluation de la demande dans les études préalables 79

3.1. Une appréciation des besoins 803.2. Un contexte peu favorable à une participation large de la population,

notamment des femmes 803.3. Une connaissance insuffisante de la demande 81

4. Modes de gestion et participation des usagers 82

4.1. Le Comité de Gestion, modèle issu de l’ingénierie sociale “participative” 824.2. La participation des usagers à la gestion des systèmes d'AEP 83

5. Résultats et évaluation des projets 91

6. Conclusions 92

7. Bibliographie du chapitre 4 93

CHAPITRE 5Aspects méthodologiques

1. L’approche selon le genre relève d’une stratégie impulsée par la demande 95

1.1. Qu’est-ce que la demande ? 951.2. Justifications d’une approche par la demande 96

2. Evaluer la demande 99

2.1. Les méthodes disponibles 992.2. Les enquêtes ménage générales et enquêtes des préférences révélées 1002.3. Les méthodes d’évaluation participative 1032.4. Les méthodes d’évaluation contingente 105

3. Impacts attendus de ces méthodes 107

4. Bibliographie du chapitre 5 108

CHAPITRE 5Recommandations

Recommandations formulées par le MAE et l’AFD 109

Eau, genre et développement durable 7

Page 8: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection
Page 9: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

La gestion de l’eau reste un des défis majeurs del'humanité et la coopération internationale françaisey consacre une part importante de ses moyens, par-ticulièrement en Afrique subsaharienne. Les enjeuxqui s'y rapportent sont nombreux, car au-delà desconflits d'usages ou d'intérêts, l'eau organise et ryth-me la vie sociale de la famille, du village, de larégion et du pays.

Ces enjeux de pouvoir liés à l'eau se déclinentaussi dans la relation entre les hommes et lesfemmes. Ainsi, dans la sphère domestique, tout lemonde s'accorde à reconnaître le rôle prépondé-rant des femmes dans la gestion de l'eau et de l'as-sainissement. Elles consacrent une bonne partie deleur temps et de leurs efforts physiques à approvi-sionner la famille en eau, ressource nécessairepour la vie de la famille et la réalisation des tâchesquotidiennes. Les femmes témoignent généralementd'une vraie demande vis-à-vis de l'amélioration del'approvisionnement en eau et de l'assainissementde leur habitat. Sont-elles pour autant écoutées etpeuvent elles s'exprimer à la mesure de leurs res-ponsabilités dans ce domaine ?

Aujourd'hui, on est en droit de penser que lemanque d'attention apportée à la demande de cesfemmes est en partie responsable des échecs par-fois rencontrés dans la mise en œuvre des projetshydrauliques. Ce constat peut être étendu à l'en-semble des actions du développement. Les femmesont longtemps été insuffisamment considérées

comme des actrices des programmes de dévelop-pement tout comme les autres catégories de popu-lations marginalisées, qu'il s'agisse d'hommes oude femmes. Ce n'est qu'avec la conférence desNations unies de Mexico, en 1975, que la Fran-ce, comme la plupart des autres bailleurs de fonds,a commencé de prendre en compte les femmesdans le développement.

Cette prise en compte s’est renforcée, notam-ment au rythme des conférences internationales quiont jalonné ces dernières décennies. La conférencede Pékin sur les droits des femmes (1995) a mar-qué une étape importante en confirmant l’adoptiondu concept de "genre et développement". Cetteapproche, qui permet la reconnaissance du rôle dela femme comme actrice du processus de dévelop-pement et pas seulement comme bénéficiaire desprojets, fait de la participation des femmes unecondition de réussite et de pérennité des actions dedéveloppement.

Auparavant, la conférence de Dublin (1992),consacrée au thème de l’eau, avait posé la pre-mière pierre de l’introduction de la place desfemmes dans ce domaine, place néanmoins confi-née à la seule satisfaction de leurs intérêts, occul-tant totalement la relation entre les femmes et leshommes. En définitive, l'approche fondée sur legenre sera adoptée lors de la conférence gouver-nementale de Noordwijk (1994) sur l’eau potableet l’assainissement.

Eau, genre et développement durable 9

Préface

Page 10: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Partageant ces constats, le ministère desAffaires étrangères a, depuis quelques années,impulsé une politique visant à mieux intégrer ladimension du genre en tant qu'approche transver-sale et intégrée du développement. Cette stratégie,portée par la direction générale de la Coopéra-tion et du Développement, vise à promouvoir l'éga-lité entre les hommes et les femmes à travers desprogrammes de soutien institutionnels, d'éducationà la santé de la reproduction, d'autonomisationéconomique...

L'Agence française de développement a quant àelle adopté une Note d'orientation opération-nelle sur la prise en compte du genre en jan-vier 2001, dans laquelle, à la lumière des engage-ments internationaux de la France, elle confirme savolonté de promouvoir la prise en compte du genredans les opérations qu'elle finance. Cette volontédoit se traduire notamment, lors de l'instruction et dela mise en œuvre des projets et programmes, par unrenforcement de la connaissance des milieux et desacteurs, celle des processus participatifs et desimpacts différentiés sur les bénéficiaires. De mêmecette problématique devra-t-elle être intégrée dansles approches sectorielles et macroéconomiquesauxquelles les opérations s'articulent.

Aussi, à travers cet ouvrage sur l'eau et le rôledes hommes et des femmes dans la perspectived'un développement durable, le ministère desAffaires étrangères et l'Agence française de déve-loppement, avec le concours financier de laBanque mondiale, ont-ils souhaité relire, à la lumiè-re du concept de genre qu'ils font leur, une coopé-ration française ancienne, riche et variée, et quiconsacre une part importante de ses moyens ausecteur de l'hydraulique.

Cet ouvrage n'a pas l'ambition de revêtir uncaractère exhaustif. Il s'agit, à partir de l'analysede quelques études de cas en Afrique subsaha-

rienne, de tirer les leçons des expériences passéeset de lancer des pistes de réflexion sur la problé-matique de l'intégration du genre dans les projetsde développement dans le domaine de l’eau.

Afin de mieux comprendre le cadre théorique etpratique dans lequel s'inscrit cette démarche, l'évo-lution conceptuelle du lien entre les femmes et ledéveloppement est clairement mise en avant dans lepremier chapitre, tout en en soulignant ses limites.

Le deuxième chapitre présente l’organisationsociale traditionnelle africaine. Il analyse égalementl’évolution des rôles sociaux et des relations de pou-voir entre les hommes et les femmes, au regard desrécentes mutations sociales, telles la migration mas-culine ou l’émergence des associations.

Ensuite, la parole est donnée aux usagers et auxusagères afin de mettre en lumière leur pratique, enmatière d'approvisionnement, de paiement et decontrôle de l'eau. Ce chapitre est suivi par une ana-lyse de la manière dont les usagers sont pris encompte dans la définition d'un projet, sa mise enoeuvre et son évaluation. Le dernier et cinquièmechapitre, émet des recommandations afin d'amélio-rer à la fois la prise en compte et la participationdes usagers et des usagères aux projets relatifs à lagestion de l'eau et à l'assainissement.

Si beaucoup s'accordent à penser que l'analy-se en terme de genre contribue à lever les obs-tacles au développement, il n'en reste pas moinsque les bonnes paroles et les engagements inter-nationaux achoppent sur la traduction concrète decette approche. Tel est donc l'enjeu de cet ouvra-ge, poursuivre la dynamique lancée depuis lesannées 90 de prise de conscience du rôle capitaljoué par les femmes dans le processus de déve-loppement et proposer des pistes, pour que leshommes et les femmes soient équitablement inté-grés dans les opérations.

1 0 Eau, genre et développement durable

Page 11: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

L’objectif de ce premier chapitre est de présen-ter les évolutions politiques et théoriques majeuresmises en œuvre ces dernières décennies en matiè-re d’intégration de la femme dans les actions dedéveloppement. Il s’agit aussi d’exposer lesconcepts principaux relatifs à cette problématique.

Afin de mieux comprendre dans quel cadres’inscrivent les pratiques et les recommandationsformulées dans la suite de cet ouvrage, il est impor-tant de les resituer dans un contexte plus global, etde voir comment celui-ci a évolué dans le temps. Eneffet, tant les avancées de la recherche que lesgrandes rencontres internationales ont toujours euun rôle primordial dans l’évolution des décisions, etdonc des pratiques en matière de développement.

La première partie de ce chapitre dresse toutd’abord le bilan des grandes rencontres internatio-nales de ces dernières décennies et du rôle de larecherche dans ce domaine :

Avant les années 1970, aucune attention spé-cifique n’est portée à la contribution potentielle desfemmes au développement. C’est sous l’impulsionde mouvements féministes que l’ONU initie, à tra-vers un cycle de conférences axé sur cette question,un processus de prise de conscience de la situationdes femmes et de leur nécessaire implication dansles actions de développement, processus alimentépar un foisonnement sans précédent de pro-grammes de recherches.

Peu à peu, cette évolution se retrouve aussidans les conférences portant sur des thématiquesspécifiques, tels l’habitat, la population, l’eau etl’assainissement. Différentes approches visant àmieux intégrer les femmes dans les processus dedéveloppement ont alors été progressivement for-mulées et mises en œuvre. La deuxième partie duchapitre est consacrée à la présentation desgrands concepts et des lignes politiques qui s’ensont dégagées.

Eau, genre et développement durable 1 1

1. Histoire de l’intégration desfemmes dans le développement

1. Introduction

Page 12: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

1 2 Eau, genre et développement durable

En 1948, la Déclaration universelle des droitsde l’homme stipule que chacun doit pouvoir jouirde ses droits et libertés, sans distinction de race, decouleur, de langue... et de sexe. Au lendemain dela guerre, l’esprit du texte fondateur préfigure ledébut d’une longue série d’engagements, natio-naux et internationaux, qui ont officiellement pourobjectif la reconnaissance des droits et du rôle dela femme dans le monde.

Dès les années 50, l’Organisation internationa-le du travail (OIT) adopte sur ces bases les pre-mières conventions contre toute discrimination dansle domaine de l’emploi. Ces conventions reposentsur les travaux de la Commission de la conditionde la femme1 qui établit quatre domaines au seindesquels les discriminations sont les plus fortes : lesdroits politiques, les droits légaux, l’accès à l’édu-cation et à la formation, l’accès au travail.

Ce n’est cependant que quelque vingt ans plustard, sous l’impulsion des mouvements féministesdes années 70, que les débats sur l’émancipationde la femme gagneront une réelle l’audience. Entre1975 et 1995, une quarantaine de conventionsen faveur des femmes est adoptée, notamment laConvention sur l’élimination de toutes les formes dediscrimination à l’égard des femmes. Signée en1979, celle-ci est entrée en vigueur deux ans plustard, accompagnée d’un comité chargé de veillerà l’application des principes énoncés.

Sur le plan bilatéral, citons pour exemple le« Percy Amendment » qui, signé auparavant par leCongrès américain (en 1973), s’intéresse le pre-mier au développement, en obligeant l’USAID2 àintégrer une composante « femme » dans chacunde ses projets. Un an plus tard, le Conseil écono-mique et social de l’ONU affiche une volonté simi-laire pour ses orientations futures.

Conférences internationales : quelques repères

1975 MEXICO. Première conférence mondiale des NationsUnies sur les femmes, début de la Décennie pour lesfemmes.

1977 MAR DEL PLATA. Première conférence des Nations Unies sur l’eau.

1980 COPENHAGUE. Deuxième Conférence mondiale desNations Unies sur les femmes.

1985 NAIROBI. Troisième conférence mondiale des NationsUnies sur les femmes.

1990 NEW DELHI. Consultation mondiale sur l’eau potable etl’assainissement pour les années 1990.

1990 JOMTIEN. Conférence mondiale sur l’éducationpour tous.

1992 DUBLIN. Conférence internationale sur l’eau etl’environnement.

1992 RIO DE JANEIRO. Conférence des Nations unies surl’environnement et le développement (Sommet de la Terre).

1994 LE CAIRE. Conférence internationale des Nations Uniessur la population et le développement.

1994 NOORDWIJK. Conférence gouvernementale sur l’eaupotable et l’assainissement.

1994 SOPHIA-ANTIPOLIS. Table ronde sur l’eau et la santédans les zones urbaines défavorisées.

1995 PÉKIN. Quatrième conférence mondiale des NationsUnies sur les femmes.

1995 COPENHAGUE. Sommet mondial pour le développementsocial.

1996 ISTANBUL. Conférence des Nations Unies pour lesétablissements humains (Habitat II).

1998 PARIS. Conférence Internationale sur l’eau et ledéveloppement durable.

2000 LA HAYE. Deuxième Forum Mondial de l’Eau.

2. Les grandes conférences internationales

1 La Commission de la condition de la femme (CSW : Com-mission on the Status of Women) a été créée dans le cadre duConseil économique et social de l’ONU ( ECOSOC) le 21 juin1941, afin de travailler sur la question des droits des femmes etd’établir des recommandations en la matière.2 United States Agency for International Development.

Page 13: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Ces exemples illustrent bien les thèmes majeursde la problématique « femmes », telle qu’elle a étéabordée, avec des succès divers, ces trois der-nières décennies : la lutte pour l’égalité d’une part,la reconnaissance du rôle que les femmes ont àjouer en matière de développement économique etsocial d’autre part.

2.1. Des bonnes intentions à la réalité

C’est sur les bases d’une proposition faite en1972 par un groupe d’organisations féminines àla Commission de la condition de la femme que1975 est désignée Année internationale de lafemme. A cette occasion, se tient la premièreConférence mondiale des Nations Unies sur lesfemmes à Mexico, qui marque également le débutde la Décennie des Nations Unies pour la femme.Le cap est désormais fixé : égalité entre leshommes et les femmes face à l’emploi, la forma-tion, les tâches domestiques, le soin et l’éducationdes enfants. La Commission de la condition de lafemme est chargée de préparer les trois confé-rences qui ponctueront cette décennie. Pour la pre-mière fois dans l’histoire du développement, lesfemmes deviennent le thème et l’objet principald’un cycle de conférences internationales.

Les premières rencontres provoquent d’abordune prise de conscience de la situation des femmesdans le monde, et dévoilent par exemple unmanque considérable de statistiques ventilées parsexe. De ce fait, d’importants programmes derecherche sont lancés. De nombreux chercheurs duNord et du Sud se mobilisent pour établir rapide-ment un bilan de la situation de la femme dans letiers-monde. C’est ainsi qu’en 1980 à Copen-hague, les participants à la deuxième Conférencemondiale des Nations Unies sur les femmes dispo-sent pour la première fois d’études et de statistiquesdifférenciées selon le sexe.

Mais le premier constat est rude : les politiquesde développement menées jusqu’alors n’ont pasabouti aux améliorations escomptées. Au contraire,les résultats établissent une nette détérioration de lacondition féminine au cours des dernières années.Sont alors créées de nombreuses directions et cel-lules thématiques « femmes » au sein de diversesinstitutions de recherche et de développement.

Toutefois, en 1985 à Nairobi, la troisièmeConférence qui achève la Décennie pour la femmeconstate une fois encore le fossé existant entre laréalité et les efforts évoqués par les Etats et lesorganismes internationaux.

La Conférence mondiale de Pékin, en 1995,tente de redéfinir les moyens d’appliquer sur le terrainles décisions prises, en attirant pour la première foisl’attention sur la diversité des situations nationalesdans le monde, et sur le fait que les politiques dedéveloppement, particulièrement celles qui s’adres-sent aux femmes, ne peuvent que difficilement trouverdes modalités d’application universelles.

Cinq ans plus tard à New York, la session extra-ordinaire de l’Assemblée Générale des NationsUnies consacrée aux avancées réalisées depuisPékin ne permet pas de constater de progrèsmajeurs (Voir en Annexe le bilan des conférencesonusiennes).

En marge des réunions officielles, le succèscroissant des forums

Durant toute cette période, parallèlement auxconférences onusiennes, se tiennent des « forums »,regroupant principalement des organisations nongouvernementales (ONG). Ces forums, reconnus aufil des années comme un haut lieu d’expression etd’échanges pour les femmes du monde entier, pro-voquent le développement de nombreux réseaux.Entre les conférences de Mexico et de Pékin, onconstate une forte croissance de la mobilisation fémi-nine : tandis que 4 000 femmes participent à la ren-contre de Mexico, elles sont 8 000 au forum deCopenhague en 1980, 15 000 (dont plusieurs mil-liers d’Africaines) cinq ans plus tard, à celui de Nai-robi3. En Chine, le « Forum 95 », qui se tient àHouairou non loin de Pékin, compte 36 000 parti-cipantes. Si le nombre de participants ne peut êtreun indicateur de résultats, il atteste cependant l’inté-rêt grandissant que suscitent ces événements.

L’intérêt pour les forums est en grande partie liéaux opportunités qu’ils représentent, en matière derencontres et de consolidation des réseaux existants

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 1 3

3 Il est à souligner que ce forum fait pour la première fois partiedes activités organisées par les Nations unies, ce qui permet àdes réseaux féminins d’initier des voyages d’études et des pro-grammes d’échanges entre femmes d’origines diverses.

Page 14: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

(entre chercheurs, professionnels, ONG et repré-sentants de la société civile). Le nombre importantde participants (hommes et femmes confondus)témoigne à son tour de la dynamique que lesdébats ont permis d’amorcer, une dynamiqued’échanges et de prise de conscience partagée.

Des rencontres relais régionales

Pour préparer ces conférences mondiales ontégalement lieu des rencontres « régionales ». EnAfrique, citons les « plates-formes » d’Abuja(1989), de Bamako (1992), ou encore de Dakar(1994).

Ces rencontres à une échelle géographiqueplus réduite4 ont pour but d’établir un bilan desdécisions prises lors des réunions mondiales, d’exa-miner les modalités de leur application aux niveauxnational ou régional, de préparer les débats àvenir et les projets à construire.

Il s’agit également de définir les rôles que lesorganisations nationales (gouvernementales ou non),régionales et internationales ont respectivement àjouer pour que soient atteints les objectifs fixés. Cesconférences sont conçues pour servir de relais, enamont et en aval, aux grandes décisions onusiennes.Cependant, la marge de réaction, d’expression etde critique accordée par l’Onu aux acteurs natio-naux et aux ONG ne semble pas toujours à la hau-teur des objectifs officiels (A. Poloni - 1995).

Autres relais des conférences mondiales, cer-taines manifestations issues d’initiatives locales ourégionales dans les pays du Sud. Ainsi, le CESAO5

organise, un an après la conférence de Pékin, unerencontre dénommée « La parole aux femmes ru-rales ». Cette rencontre rassemble, durant cinq joursau Burkina Faso, en mars 1996, des femmes de150 organisations rurales d’une dizaine de paysd’Afrique de l’Ouest. Il s’agit surtout d’informer lesparticipantes (notamment celles issues du milieurural, majoritairement absentes à Pékin) des pointsimportants évoqués et décidés à cette occasion (O.

Albert - 1997). Mais ce type de rencontres offreaussi aux femmes la possibilité de s’exprimer sur lesdécisions prises et leurs modalités d’application,d’échanger leurs expériences, de réfléchir à leursconditions de vie et à leur statut, etc. Le cadremoins formel et plus délocalisé de ces manifesta-tions permet au plus grand nombre de mieux s’ex-primer.

2.2. Les conférences sur le développement. Unecertitude : pas d’effet durable sans les femmes

En dehors des conférences internationales dé-diées aux femmes se tiennent d’autres rencontresthématiques, notamment sur l’éducation (Jomtien,1990), l’environnement (Rio, 1992), l’habitat (Istan-bul, 1996) et la population (Le Caire, 1994). Danstous ces domaines, la participation active desfemmes, au côté des hommes, est de plus en plusconsidérée comme l’une des conditions de réussi-te et de pérennité des actions menées. Ainsi laDéclaration de la Conférence de Rio de Janeiro(1992) consacre-t-elle un chapitre entier à cettequestion.

De même, la rencontre du Caire (1994) abor-de la problématique « femme/population », nonplus sous l’angle exclusif de la reproduction, maisde celui, novateur, de la triple responsabilité desfemmes : l’éducation, les travaux domestiques et lesactivités rémunératrices.

L’implication des femmes en tant qu’actrices àpart entière est donc désormais reconnue commeune des conditions d’efficacité des efforts consentisen matière de développement, et ce dans tous lesdomaines couverts par les négociations internatio-nales en matière de développement.

2.3. Les conférences sur l’eau. Usagers/usagères, le développement partagé

Les conférences internationales organisées surl’eau et l’assainissement reconnaissent de manièresimilaire que le rôle des femmes, dans ce domaineprécis, est primordial. Cette évolution de l’attitudedes acteurs du développement par rapport aux

1 4 Eau, genre et développement durable

4 Les conférences régionales préparatoires de la Conférencemondiale des femmes de Pékin portaient sur cinq zones géo-graphiques : Asie et Pacifique, Amérique latine et Caraïbes,Europe et Amérique du Nord, Asie occidentale, et Afrique.5 Centre d’études économiques et sociales d’Afrique de l’Ouest,dont le siège est au Burkina Faso.

Page 15: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

femmes s’accompagne d’un autre constat, à savoirqu’il est désormais nécessaire en matière de ges-tion de l’eau et d’assainissement de prendre encompte et d’impliquer l’ensemble des usagers.Ceux-ci n’apparaissent d’ailleurs plus comme uneentité homogène ; la distinction de différents groupesd’intérêts se précise d’année en année. Ainsi, lorsde la Conférence sur l’eau et l’assainissement de1990 à New Delhi, l’unité d’analyse passe decelle de communauté à celle de « ménage » (C.Van Wijk-Sijbesma - 1998).

Mais cette évolution en induit une autre, plusrécente, sur le partage des responsabilités. A laConférence de Dublin sur l’eau et l’environnementen 1992, on s’intéresse au rôle « primordial » desfemmes, mais pas encore à celui des hommes, niau partage des droits et des responsabilités entreles deux sexes. De même, on parle de la prise encompte indispensable des technologies et pratiques« traditionnelles », mais sans distinction de sexe. Cen’est qu’en 1994, à la Conférence de Noordwijk,que l’on aborde pour la première fois l’implicationdes femmes dans les projets d’eau et d’assainisse-ment sur la base d’une analyse de genre. L’intérêtd’une telle démarche est réaffirmé la même annéeà la Table ronde de Sophia-Antipolis6, notammentsur la question de l’éducation sanitaire, où l’onrecommande de s’adresser tant à l’homme qu’à lafemme, afin que tous deux assument leurs respon-sabilités en matière d’eau et de santé.

En 1998, les participants à la Conférence Inter-nationale sur l’eau et le développement durable deParis7 poursuivent dans la voie engagée. L’attentionportée aux usagers donne ainsi lieu à des analysesde plus en plus affinées qui ont pour but de faireressortir les différentes catégories sociales en pré-sence (dont celles relative au « genre »), en matiè-re de gestion de l’eau et d’assainissement. Enoutre, ils recommandent de reconnaître les expé-riences spécifiques des femmes et d’intégrer leurssavoir-faire à tout programme de gestion durablede l’eau. Ils déplorent néanmoins le manqued’études socio-économiques ventilées par sexe sur

ce thème. Ce manque persistant témoigne de ladifficulté à inscrire le changement dans les faits.

Plus récemment, le 2e Forum Mondial de l’Eauà La Haye renforce cette volonté à travers la VisionMondiale de l’Eau. Est lancée à cette occasionl’ « Alliance Genre et Eau » dont l’objectif est d’éta-blir une intégration transversale du genre, aussibien thématique, géographique, qu’institutionnelleau sens où elle doit concerner l’ensemble desacteurs travaillant dans le secteur de l’eau et del’assainissement (société civile, ingénieurs, bailleurs,etc.). Pendant le Forum, des « ambassadeurs gen-re », membres de ce nouveau réseau, ont com-mencé à mettre en œuvre leurs objectifs, en parti-cipant à l’ensemble des ateliers thématiques de larencontre.

Les conférences internationales qui ont jalonnéces trois dernières décennies, les actions menéespar les multiples mouvements civils féminins partoutdans le monde, le changement de mentalité et decomportement de nombreux acteurs du développe-ment, tous ces facteurs ont réellement permis unereconnaissance du rôle des femmes. Mais lesefforts accomplis demeurent insuffisants, et les résul-tats atteints sont encore loin des espoirs énoncés,même si un véritable processus de réflexion et d’en-gagement s’est établi autour de la question desfemmes dans le développement.

2.4. Activisme et recherche-action

Nous avons évoqué comment, sous l’impulsiondes mouvements féministes des années 708, laconférence de Mexico a marqué en 1975 le débutd’une investigation de grande envergure sur lasituation des femmes dans le monde. Au sein decette investigation, activisme et réflexion théoriquesont à ce point liés qu’il est difficile de les distinguerclairement.

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 1 5

6 L’eau et la santé dans les quartiers urbains défavorisés, Pro-gramme Solidarité Eau, éditions du GRET, Paris, mai 1994.7 Eau et Développement durable, Témoignages de la sociétécivile, Conférence internationale de Paris, Programme Solidari-té Eau, Editions du Gret, mars 1998.

8 Précisons que les mouvements dits « féministes » ne sont aucu-nement homogènes, même s’ils sont souvent, à tort, assimilés àleur branche radicale, et, pour ce, parfois, perçus négative-ment. Leur point commun est de se pencher sur la condition dela femme et de tenter de l’améliorer. Cependant, les moyens misen œuvre, aussi bien que les objectifs visés, sont très variablesd’un mouvement à l’autre.

Page 16: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

1 6 Eau, genre et développement durable

L’orientation « Femmes et Développement »9 (FED)adoptée par les organismes internationaux aprèsMexico, a conduit les chercheurs, rapidementappelés à critiquer les politiques de développe-ment et à proposer de nouvelles solutions, à se tour-ner à la fois vers la recherche fondamentale et la« recherche-action ». Les conférences organiséessur le thème de l’intégration des femmes permettentaussi de souligner les spécificités culturelles et his-toriques en matière de développement (P. Stamp -1989).

Toutefois, la recherche, qui joue certes un rôleimportant, influence peu les politiques et leurs appli-cations pratiques, et ce notamment parce que lesefforts de coordination et de collaboration restentinsuffisants, que ce soit entre les nombreux foyersde recherche10, ou entre les différentes disciplines(sciences techniques, sciences humaines). De cefait, la transversalité de la question du genre dansles différents secteurs du développement est diffici-le à mettre en œuvre. Il semble donc que ce soitdans le décloisonnement des disciplines que se

situe l’enjeu majeur des recherches et politiquesfutures en matière d’intégration des femmes dansles processus de développement. Enfin, une visionethnocentrique de la condition féminine11 chez cer-taines féministes occidentales a pu conduire deschercheuses du Sud à s’en détacher pour menerleurs propres investigations12 (P. Stamp - 1989).

3.1. Introduction

L’aide au développement s’est caractérisée cesdernières décennies par une prolifération de poli-tiques, programmes et projets conçus pouraccroître la participation des femmes au dévelop-pement. Cette diversification s’est accompagnéed’une évolution des concepts et de la terminologie.

En premier lieu, il convient de rappeler que l’ap-parition de nouveaux termes provient le plus sou-vent de la recherche anglo-saxonne. De ce fait, leschercheurs et décideurs francophones sont souventconfrontés à un problème de traduction. Parexemple en français, le sens commun du mot« genre » désigne le masculin et le féminin, alorsque le terme « gender », beaucoup plus vaste,englobe les rapports sociaux entre les hommes et

les femmes. Seuls les « initiés » francophones ontune compréhension « anglicisée » du terme. Desformules plus longues, mais pas toujours plus expli-cites, s’avèrent donc nécessaires. Par exemple,« gender analysis » devrait se traduire par « analysedéterminée par/selon le genre » (J. Bisilliat - 1997).De nouveaux termes anglophones apparus plusrécemment, comme ceux d’« empowerment » et de« mainstreaming »13 posent un problème similaire.Les premières initiatives de la Décennie internatio-nale pour la femme ont été regroupées sous les

9 Cf. infra § 1 : Introduction.10 P. Stamp définit cinq catégories de foyers de recherche : lesorganismes de recherche « savante », les organismes bilatérauxet multilatéraux de recherche et de développement, les ONG etles organismes publics africains.11 On peut citer comme exemple l’application du concept occi-dental de ménage ou de famille à l’ensemble des contextes cul-turels, ou encore l’utilisation abusive de la dichotomie « sphèrepublique masculine / sphère privée féminine », qui n’est aucu-nement universelle (P. Stamp - 1989).12 L’approche « empowerment », par exemple, a été initiée parles femmes du Sud à partir de l’approche par l’égalité, élabo-rée par les femmes occidentales (Cf. infra : L’approche « empo-werment »).

13 Apparu à l’occasion de la conférence du Caire, en 1994,la notion d’ « empowerment » peut être assimilée à celle « derenforcement du pouvoir, des capacités », indispensable auplein exercice par les femmes de leurs droits. Le terme de« mainstreaming », pour sa part, suppose l’intégration de ladimension de genre dans toutes les mesures et politiques.

3. L’évolution conceptuelle

Page 17: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

termes de WAD (Women And Development), puisde WID (Women In Development), qui correspon-dent tous deux, en français, à celui de FED(Femmes Et Développement).

Cette politique d’Intégration des Femmes auDéveloppement (IFD) n’a pas produit les résultatsescomptés en matière d’amélioration de la condi-tion de la femme, avant tout parce que cette poli-tique aborde la question des femmes indépendam-ment de celle des hommes, ce qui tend à accentuerla marginalisation de ces dernières par rapport auxprocessus globaux de développement. Enfin, ellerepose sur une conception du développement quisous-entend que c’est avant tout le manque de par-ticipation des femmes à l’économie qui est la causedu sous-développement, et non pas l’inégale répar-tition des ressources entre les hommes et les femmes(G. Mianda - 1990).

La nécessité d’aborder la problématique de l’in-tégration des femmes dans le développement sous unangle différent s’est alors imposée. Ainsi, la notion deGAD (Gender And Development) est-elle venue rem-placer celle de WID et d’IFD. Le concept de« genre », apparu dans un ouvrage anglo-saxon14

dans les années 70, est intégré aux démarches dedéveloppement à partir des années 80.

3.2. Evolution des approches visant l’intégrationdes femmes

Depuis les années 1950, diverses modalitésd’implication des femmes au développement ontété proposées. Leur formulation reflète les mutationsopérées dans les approches macro-économiques etsociales du développement du tiers-monde, ainsique dans les politiques des Etats à l’égard desfemmes. Les confusions demeurent très courantes ence qui concerne tant la définition que l’utilisation deces différentes approches. Dans les faits, nombrede ces politiques sont apparues plus ou moins enmême temps, et les organismes qui les ont mises enœuvre passent encore fréquemment d’uneapproche à une autre. De même, certains typesd’institutions affectionnent et favorisent plus qued’autres certains types de politiques. Enfin, ceux

qui élaborent les politiques combinent parfois diffé-rentes approches afin de répondre simultanémentaux besoins de différents terrains d’intervention.

L’approche par l’aide sociale

Apparue dans les années 50 et 60, l’approchepar l’aide sociale est la première politique qui sesoit intéressée aux femmes des pays en dévelop-pement. Elle est, aujourd’hui encore, la plus popu-laire. Elle s’adresse prioritairement aux groupes vul-nérables15 (mères et enfants). Elle se concentre surla famille, au sein de laquelle les femmes sont assi-milées à des agents de reproduction, et leshommes à des producteurs. Elle a pour objectifd’amener les femmes à participer au développe-ment en tant que meilleures mères.

Trouvant leur origine dans le travail humanitaire,les programmes axés sur l’aide sociale se soucientd’abord du suivi physique de la famille, à laquelleils fournissent directement de l’aide alimentaire.Depuis les années 60, et dans le cadre de la luttecontre la malnutrition menée à l’échelle internatio-nale, la distribution de rations alimentaires s’ac-compagne toujours de conseils nutritionnels.

Cette approche est basée sur trois présuppo-sés : les femmes sont des bénéficiaires passives dudéveloppement, la maternité est le rôle le plusimportant qu’elles aient à assumer, et l’éducation latâche la plus effective. Si cette approche est enco-re adoptée aujourd’hui, c’est parce qu’elle estconsidérée comme « neutre », dans le sens où elleévite de remettre en question la subordination de lafemme (J. Bisilliat - 1997). Mais en niant le rôleéconomique des femmes, cette approche dite par« l’aide sociale » tend plutôt à augmenter leur mar-ginalisation et à accroître leur dépendance qu’àaméliorer leur condition.

L’approche par l’égalité

Cette approche est la première du type « Inté-gration des femmes au développement » (IFD).Apparue en 1975, lors de la décennie des

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 1 7

14 Oakley A., Gender and Society, 1972.

15 Les premiers programmes qui ont effectivement choisi lesfemmes comme principaux bénéficiaires sont les programmesd’aide sociale des pays occidentaux, mis en place en Europeau lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et visant spéci-fiquement les « groupes vulnérables ».

Page 18: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Nations unies pour la femme, elle vise à obtenirl’égalité pour les femmes en les aidant à accéderà l’autonomie politique et économique.

Elle situe les origines de la subordination desfemmes non seulement dans le contexte familialmais également dans les rapports hommes/femmes sur le marché du travail. Elle se fonde aussisur l’idée que les femmes apportent, à travers leurrôle productif et reproducteur, une contribution cru-ciale, quoique rarement reconnue, à la croissanceéconomique. De ce fait, elle considère que lesfemmes doivent être « intégrées » au processus dedéveloppement à travers l’accès à des activitésgénératrices de revenus.

L’approche par la lutte contre la pauvreté

Il s’agit de la deuxième approche de type IFD.Introduite à partir des années 70, elle part du prin-cipe que l’atténuation de la pauvreté et la promo-tion d’une croissance économique équilibrée pas-sent par l’amélioration de la productivité desfemmes des ménages à faibles revenus. Cetteapproche postule également que la pauvreté desfemmes et leur inégalité par rapport aux hommestrouvent leur origine dans leur accès insuffisant à lapropriété privée de la terre et du capital ainsi quedans la discrimination sexuelle à laquelle elles sont

en butte sur le marché du travail. En conséquence,il s’agit de leur fournir un meilleur accès aux res-sources productives, notamment à travers des pro-jets générateurs de revenus. C’est actuellementencore l’approche privilégiée des ONG.

Les stratégies de lutte contre la pauvreté lancéesaujourd’hui dans nombre d’institutions ont pourobjectif de tenir compte des spécificités des condi-tions de vie des femmes, sans que la mise enœuvre de cet objectif soit toujours pleinement inté-grée dans les programmes.

L’approche par l’efficacité

La troisième approche de type IFD est actuelle-ment l’approche dominante. Son objectif est depromouvoir un développement plus efficace grâceà la contribution économique des femmes.

Le passage à l’approche par l’efficacité coïnci-de avec la nette détérioration de l’économie mon-diale à partir du milieu des années 70, particuliè-rement en Amérique latine et en Afrique, où les pro-blèmes issus de la récession ont été exacerbés parla chute des prix à l’exportation, le protectionnismeet le fardeau croissant de la dette.

Les politiques d’ajustement structurel ont conduità un transfert des coûts de l’économie marchandevers l’économie informelle, et à un alourdissementdes tâches non rémunérées des femmes en raisondu déclin des services sociaux.

Mais si la participation accrue des femmes àl’économie semble en effet pouvoir procurer uneamélioration de leur condition et tendre vers l’égalité,une telle idée suppose en premier lieu que lesfemmes aient effectivement la possibilité d’étendreleur temps de travail, déjà supérieur en moyenne àcelui des hommes de quatre à cinq heures par jour16.

L’approche « empowerment »

L’« empowerment » est l’approche la plus récen-te. Difficile à traduire en français, ce concept sous-entend aussi bien le renforcement des capacités

1 8 Eau, genre et développement durable

16 Cette durée est liée à la multiplicité des tâches accompliesquotidiennement par les femmes, dont celles de production etde reproduction, qui s’avèrent incompressibles. Voir aussi infrachapitre 3 « Gestion domestique de l’eau et de l’assainisse-ment », § 3.1. « Introduction : économie domestique et genre ».

L’équité et l’égalité entre les sexes

L’équité entre les sexes est le fait d’être juste envers lesfemmes et les hommes. Afin d’assurer cette équité, il faut souventadopter des mesures qui compensent les désavantages historiqueset sociaux qui ont empêché les femmes et les hommes de profiterde chances égales. L’équité mène à l’égalité.

L’égalité entre les sexes signifie que les femmes et leshommes ont le même statut et qu’ils jouissent des mêmes condi-tions pour réaliser pleinement leurs droits humains et des mêmesaptitudes pour contribuer au développement national, politique,économique, social et culturel et bénéficier des résultats...

Source : Analyse comparative entre les sexes, Guide d’élaboration de politiques, 1996, in Politiques de l’ACDI en matière d’égalité

entre les sexes.

Page 19: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

des femmes que l’acquisition de pouvoir. Parta-geant certaines caractéristiques de l’approche parl’égalité, elle s’en distingue toutefois par le faitqu’elle a été initiée par des femmes du tiers-mondeet non par des féministes occidentales.

L’approche par l’autonomie reconnaît les inéga-lités entre hommes et femmes, ainsi que les originesfamiliales et historiques de la subordination fémini-ne, mais elle met l’accent sur le fait que les femmesvivent leur statut d’une manière différente, en fonc-tion de leur culture ou de leur ethnie, de leur classesociale, de leur histoire coloniale et de leur statutactuel dans l’ordre économique mondial. Cetteapproche remet en question certaines des hypo-thèses fondamentales sur les rapports entre pouvoiret développement sur lesquelles reposent lesapproches précédentes. Si elle attache de l’impor-tance au fait que les femmes aient plus de pouvoir,

celui-ci n’est pas défini en termes de domination surles autres, domination qui impliquerait par exemplequ’un avantage gagné par les femmes soit uneperte pour les hommes.

Il s’agit ici de défendre le droit, tant des femmesque des hommes, à faire des choix et à influencerles évolutions grâce au contrôle des ressourcesmatérielles et immatérielles importantes.

Cette approche met également les femmes audéfi de rechercher une nouvelle conscience de soi,un nouveau statut à inscrire dans les codes juridiqueet civil, dans l’économie aussi bien que dans les ins-titutions et les systèmes de gestion de leur pays. L’ob-jectif de redistribution du pouvoir prime ici sur celuide l’amélioration de la « condition » des femmespar rapport aux hommes (objectif de l’approche parl’égalité), les deux demeurant compatibles.

De par la remise en question qu’elle implique,particulièrement chez les hommes, cette démarcheest encore insuffisamment reconnue, documentée,et soutenue en tant que telle. Toutefois, elle com-mence à se diffuser largement au sein des institu-tions de développement17.

L’approche « genre et développement »

Construite à partir de l’approche « empower-ment », l’approche « Genre Et Développement » -GED- apparaît dans les années 80. Elle fournit unealternative à la théorie de la modernisation, basede toutes les approches « femmes et développe-ment » et s’en distingue en se concentrant sur lesdeux sexes, et non plus seulement sur les femmesséparément.

L’approche Genre et développement tente dedéceler l’origine de la marginalisation des femmesdans le développement dans un contexte global,aussi bien culturel, social, politique qu’écono-mique. Dans ce cadre, les objectifs ne sont plusseulement axés sur la productivité (comme l’étaitl’approche FED), mais sur un développement pluséquitable respectant les besoins fondamentaux dechacun et de chacune, en tentant de faire dispa-raître l’ensemble des rapports d’inégalité existants.

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 1 9

17 Cf. par exemple Rapport sur le développement dans lemonde, Attacking Poverty 2000/2001, Banque Mondiale,chapitre 7.

Genre et développement : définition

• Une approche fondée sur une distinction entre les sexesimplique de mettre l’accent tant sur les femmes que sur leshommes au lieu de centrer exclusivement l’attention sur lesfemmes.

• Les rôles des deux sexes renvoient aux rôles que le contex-te socioculturel attribue aux femmes et aux hommes. Les respon-sabilités, l’accès aux ressources et leur contrôle, ainsi que la par-ticipation à la prise de décision sont également différents selon lesexe. En conséquence, les femmes et les hommes ont aussi desbesoins différents.

• Les relations entre les sexes renvoient aux relationssociales entre les femmes et les hommes, lesquelles ne sont pasliées à des différences d’origine biologique mais à des facteurssocioculturels et qui sont donc propres à un contexte donné etvariable.

• Une planification intégrant la variable homme/femmerequiert qu’on tienne compte de tous les facteurs susvisés de sorteque tant les femmes que les hommes aient la possibilité d’influer surle processus de développement, d’y participer et d’en tirer profit.

Source : Les femmes et la gestion des ressources en eau, OCDE/CAD, 1995, in La lettre commune pS-Eau - Réseau Femmes

et Développement, n° 21, mars 1996.

Page 20: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

2 0 Eau, genre et développement durable

EFFICACITÉ

Le fait que les planificateurs du développement n’aient pasreconnu le rôle clé des femmesdans la production et la nécessitéde les y impliquer.

Veiller à ce que le développementsoit plus efficace et effectif.

Politiques de stabilisation etd’ajustement économiquescomptant sur la participation des femmes.

Programmes répondant auxbesoins pratiques dans un contextede déclin des services sociaux.Appui sur les trois rôles desfemmes (production, reproductionet vie de la communauté) et sur laflexibilité du temps de travail.

Années 80

LUTTE CONTRE LAPAUVRETÉ

Manque de ressources à l’origined’un faible niveau de vie.

Augmenter la production pour que les femmes pauvresaméliorent leur productivité.Intégrer les femmes audéveloppement.

Développement (intégrer lesfemmes au développement). Les femmes pauvres sontidentifiées en tant que catégoriedistincte. Reconnaissance du rôleproductif des femmes.

Faire acquérir aux femmes des compétences techniques. Petites activités génératrices derevenu pour répondre aux besoinsessentiels.

A partir des années 70

AIDE SOCIALE

Circonstances incontrôlables.

Soutenir la maternité comme lerôle le plus important des femmesdans la société.Remédier aux souffrances.

Hypothèse des femmes commebénéficiaires passives dudéveloppement.

Programme de lutte contre lafamine. Planning familial.Nutrition (améliorer la santéfamiliale surtout à travers les soinsmaternels aux enfants).

Années 50-70

Cause duproblème

Buts oufinalité

Type deservices

Types deprogrammes

Période dedéveloppement

TABLEAU 1. Les approches visant à l’intégration des femmes..

Page 21: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 2 1

EGALITÉ

Système patriarcal, subordination etoppression des femmes par les hommes.

Obtenir l’égalité pour les femmes dansle cadre du développement en inscrivant la problématique hommes/femmes dans le processus de développement.

Réformer.Libérer. Les femmes sont considérées comme desparticipantes actives au développement.

Organiser la réforme des structures.Répondre aux besoins stratégiques en tenant compte des trois rôles de la femme.

1975-1985. Développement pendant la Décennie pour la femme.

RENFORCEMENTDU POUVOIR

La subordination des femmes n’est pas dueseulement aux hommes mais aussi àl’oppression coloniale et néocoloniale.

Emanciper les femmes en les faisant compterplus sur elles-mêmes. Créer de nouvelles structures politiques,économiques et sociales.Remettre en question les structuresresponsables de l’exploitation.

Emancipation, libération de la femme.Option parfois très critiquée par lesgouvernements.Croissance lente mais constanted’organisations locales souffrant d’unmanque de moyens.

Programmes répondant aux besoinsstratégiques en tenant compte des trois rôles, à travers une mobilisation à tous les échelons autour des besoins pratiquespour faire face à l’oppression.

A partir de 1975, accélération dans les années 80.

GENRE ETDÉVELOPPEMENT

Les relations de genre inégalitairesempêchent un développement égalitaireainsi que la pleine participation des femmesà ce processus.

Réorganiser les structures de pouvoir demanière à :- introduire un plus grand équilibre dupouvoir entre les hommes et les femmes ;- les associer tous deux à la participation etaux bénéfices des actions.Les deux genres se partagent la prise dedécision.

Notion populaire au sein des agences dedéveloppement internationales. Femmes et hommes sont perçus comme despartenaires égaux dans la promotion d’un développement durable égalitaire.

Programmes associant des activités axées sur les besoins pratiques et stratégiques desdeux sexes :- accroître les compétences et la capacité deshommes et des femmes à revendiquer leursdroits (ceux de la femme, ou ceux des deuxsexes) ;- accroître la capacité et les moyens desfemmes pour qu’elles s’insèrent dans desprofessions traditionnellement masculines ;- accroître la capacité des femmes à maîtriserleur corps, leur emploi du temps et leursmouvements.

Années 80/90. Approche adoptéeaujourd’hui par les institutions dedéveloppement.

adapté par Adelina Ndeto Mwau de C.O.N. Moser ,1989

Page 22: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

2 2 Eau, genre et développement durable

Les grandes conférences sur les femmes, mêmesi elles n’ont eu encore qu’un faible impact sur leursproblèmes majeurs, ont eu plusieurs mérites :

• Elles ont fortement contribué à la création età la dynamisation de très nombreux réseaux etmouvements de femmes du monde entier, qui,parallèlement aux rencontres, se sont réunies dansdes forums. En échangeant leurs expériences, leursconnaissances, les femmes ont pu prendre cons-cience de l’importance du rôle qu’elles pouvaientjouer pour faire évoluer leur condition, mais aussicelle de leur famille et de leur communauté. Carl’enjeu était aussi, à travers ces conférences, decréer une dynamique suffisamment forte pour qu’el-le puisse se poursuivre au niveau national et local.

• Elles ont créé une prise de conscience parmiles acteurs du développement et les divers repré-sentants gouvernementaux, du rôle capital quejouaient les femmes dans de nombreux secteurs dela vie sociale. De ce fait, il est apparu alors indis-

pensable de les impliquer à tous les niveaux (iden-tification des besoins, planification, mise en œuvre,gestion, évaluation des projets) notamment à tra-vers un accès au droit de parole et à la prise dedécision. La participation des femmes, au mêmetitre que tous les autres acteurs, a été de plus enplus perçue comme une des conditions de réelleefficacité des efforts de développement.

Il semble donc que les conférences internatio-nales sur les femmes et tous les forums qui ont puen découler aient réellement eu une influence surles politiques et décisions concernant l’implicationdes femmes et la prise en compte du genre dansles processus de développement. Ceci est particu-lièrement flagrant pour les rencontres sur l’eau, l’en-vironnement, qui, depuis la Décennie des NationsUnies pour la femme, abordent cette thématiquecomme indissociable du développement durable.

Si le processus de prise de conscience est bienenclenché, en revanche, les moyens à mettre enœuvre, les modalités pratiques des décisions votéeslors de ces conférences, ne sont pas encore claire-

A l’analyse statique et séparée par sexes, l’ana-lyse basée sur le « genre » oppose une vision dyna-mique des rapports sociaux. Les relations entre lessexes constituent un ensemble de processus sociauxcomplexes, instables, issus de l’interaction et del’interdépendance entre les diverses composantesde la société. Ces relations s’assimilent à des rap-ports de pouvoir, qui ne sont pas définis une foispour toutes, mais évoluent tel un processus au seinduquel les partenaires sont en perpétuelle négocia-tion (G. Mianda - 1990). Cette analyse tient comp-te aussi bien de la variabilité des rapports existantsque de la non-homogénéité des groupes. Celui desfemmes, au même titre que les autres groupessociaux, évolue dans un système hiérarchique declasses, de races et d’ethnies.

Si un élément important de cette approche restel’analyse de la division sexuelle du travail, des

capacités, des compétences de chacun des sexes,et des rôles s’y référant, elle prend étroitement encompte les clivages et les mécanismes d’interdé-pendance de tous ordres qui conditionnent cettedivision. L’approche « genre et développement »prend donc en compte les hommes et les femmesdans le contexte des solidarités auxquelles ilsappartiennent, qu’elles soient familiales, commu-nautaires, locales ou autres et c’est à partir de cecontexte que les hommes et les femmes s’engagentactivement dans la définition et la promotion deleurs intérêts sur la base de l’appréhension respec-tive qu’ils ont de la réalité. Et c’est parce que lesfemmes partent d’une situation souvent défavorisée,que l’approche « genre et développement » recon-naît la nécessité de prendre des mesures spécialesà leur bénéfice, au même titre que d’autres groupesdéfavorisés.

4. Conclusions

Page 23: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 2 3

Albert O., « La parole aux femmes rurales » : Desfemmes d’Afrique de l’Ouest expriment leurs préoc-cupations et leurs vraies attentes, Editions FPH,Paris, 1997.

Bisillat J., Face aux changements, les femmes duSud, L’Harmattan, Paris, 1997.

Mianda G., Femmes africaines et pouvoir, lesmaraîchères de Kinshasa, L’Harmattan, Paris, 1990.

Oakley A., Gender and Society, 1972.

Pitrou A., Problèmes de femmes et d’égalité : d’uneconférence à une autre, in « Du côté des femmes »,Revue Française, n° hors série, Paris, août 1995.

Poloni A., Anatomie d’une conférence internatio-nale : Dakar 1994, in « Du côté des femmes », Re-vue Française, n° hors série, Paris, août 1995.

Stamp P., La technologie, le rôle des sexes et lepouvoir en Afrique, CRDI, Canada, 1989.

Van Wijk-Sijbesma C., Gender in Water ResourcesManagement, Water Supply and Sanitation, Rolesand Realities Revisited, International Water andSanitation Centre, La Haye, Pays-Bas, 1998.

Réseau Femmes et Développement n° 21, in « Lalettre commune pS-Eau », mars 1996.

Les femmes et la gestion des ressources en eau,OCDE/CAD, 1995.

ment définis, alors qu’ils sont indispensables à l’ap-plication de ces nouvelles politiques. Cela étant, ilfaut donner aux acteurs, hommes et femmes, davan-tage les moyens de participer au développementpolitique, social et économique en tant que parte-naires à part entière dans tous les secteurs.

La recherche a également joué un rôle importantdans cette évolution, notamment à travers les ana-lyses de genre, qui ont largement contribué à l’amé-lioration des connaissances sur les problèmes et lesrôles de chaque sexe. Les chercheurs, en faisantévoluer la terminologie relative à la question desfemmes, mais surtout la connaissance des rapportsentre les hommes et les femmes, ont permis de redé-finir les cadres des réflexions et des actions menéespar l’ensemble des acteurs du développement.

On peut toutefois déplorer le cloisonnement exis-tant entre les disciplines techniques et les sciencessociales, dont les recherches sur les relations degenre font partie. Une plus grande collaborationentre les différents acteurs rendrait sans doute lesanalyses et les actions plus efficaces, qu’il s’agisse

des chercheurs (spécialistes « genre et développe-ment » entre eux et avec les autres spécialités), oudes rapports entre la recherche et les autres secteurs.

Aujourd’hui, les bureaux « Femmes/Genre etDéveloppement », qu’il s’agisse d’organisationsinternationales, non gouvernementales, ou des gou-vernements nationaux, restent encore marginalisés.Excepté dans quelques pays, ces cellules ne dis-posent toujours pas d’un pouvoir et de moyensfinanciers suffisants pour mener à bien leur ambi-tion qui est d’assurer la transversalité nécessaire decette thématique au sein des autres services et d’in-tégrer la prise en compte du genre dans tous lessecteurs (« mainstreaming ») en vue d’instaurer undéveloppement durable.

Tout comme une connaissance intégrée desrelations de genre ne pourra résulter que du décloi-sonnement des différentes disciplines scientifiques,la prise en compte du genre ne pourra être garan-tie que lorsque cette exigence sera introduite demanière systématique dans les politiques des diffé-rents secteurs.

5. Bibliographie du chapitre 1

Page 24: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

2 4 Eau, genre et développement durable

Le principal instrument international qui s’impo-se aux Etats en matière de respect des droits etlibertés individuelles des femmes est la Conventionsur l’élimination de toutes les formes de discrimina-tion à l’égard des femmes adoptée par l’Assem-blée générale des Nations unies en 1979 et rati-fiée par 165 états, dont la France. Selon les atten-dus de la Convention, « la discrimination à l’en-contre des femmes viole les principes de l’égalitédes droits et du respect de la dignité humaine,[qu’elle] entrave la participation des femmes, dansles mêmes conditions que les hommes, à la vie poli-tique, sociale, économique et culturelle de leurpays, [qu’elle] fait obstacle à l’accroissement dubien-être de la société et de la famille et [qu’elle]empêche les femmes de servir leur pays et l’huma-nité dans toute la mesure de leurs possibilités ».

Les Etats s’engagent à prendre « dans tous lesdomaines, notamment dans les domaines politique,social, économique et culturel, toutes les mesuresappropriées, y compris des dispositions législa-tives, pour assurer le plein développement et le pro-grès des femmes, en vue de leur garantir l’exerciceet la jouissance des droits de l’homme et des liber-tés fondamentales sur la base de l’égalité avec leshommes ». La Convention incrimine les situationsde pauvreté qui limitent l’accès des femmes auxbesoins essentiels que sont l’alimentation, la santé,l’éducation, la formation et l’emploi.

L’aboutissement du long processus d’élabora-tion de cette convention depuis l’adoption, en

1948, de la Déclaration universelle des droits del’homme, doit à la tenue de la première de cinqconférences mondiales sur les femmes organiséespar les Nations Unies de 1975 à 2000.

La conférence de Mexico en 1975, a adoptéun Programme mondial d’action à mettre enœuvre, au cours de la décennie suivante, autourde trois objectifs prioritaires : une égalité complèteentre les hommes et les femmes et l’élimination dela discrimination fondée sur le sexe, l’intégration etla pleine participation des femmes au développe-ment, une contribution croissante des femmes aurenforcement de la paix internationale.

La Conférence de Copenhague, en 1980, amis l’accent sur l’adoption d’actions en faveur del’égalité d’accès des femmes et des hommes plusspécifiquement orientées dans trois domaines,l’éducation, l’emploi et les soins médicaux.

En 1985, la Conférence de Nairobi, au vu dubilan de la décennie écoulée, a adopté une nou-velle approche mettant l’accent sur le fait que laparticipation des femmes aux processus de déci-sion et à la gestion dans tous les domaines tou-chant à l’activité humaine était non seulement undroit mais aussi une nécessité pour résoudre lesproblèmes de la société, et pas seulement ceux desfemmes. L’accent est alors mis sur la nécessitéd’adopter des mesures constitutionnelles et légalesau sein des pays membres afin de favoriser l’éga-lité d’accès à la vie politique et la participation àl’ensemble de la vie en société.

Politique de l’ACDI en matière d’égalité entre lessexes, ACDI, Canada, 1999.

Analyse comparative entre les sexes, Guide d’éla-boration des politiques, in « Politiques de l’ACDI enmatière d’égalité entre les sexes », 1996.

Eau et Développement durable, Témoignages de

la société civile, Conférence Internationale de

Paris, Programme Solidarité Eau, Editions du GRET,

mars 1998.

L’eau et la santé dans les quartiers urbains défavo-

risés, Programme Solidarité Eau, Editions du GRET,

Paris, mai 1994.

6. Annexe. Les conférences onusiennes

Page 25: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Histoire de l ’ intégrat ion des femmes dans le développement 2 5

La Conférence de Pékin (1995) a soulignédans la Déclaration et le Programme d’action quien ont émané que la promotion des femmesdépend d’une profonde restructuration des relationssociales et économiques et devrait résulter d’uneintégration de la problématique du genre quiimplique à la fois des changements pour leshommes et pour les femmes, dans les politiques dedéveloppement.

Ces principes ont été réaffirmés à New York enjuin 2000 lors de la session extraordinaire de l’As-semblée Générale des Nations Unies chargée demesurer les progrès accomplis depuis la Confé-rence de Pékin (Pékin + 5), dans la Déclaration sur« Les femmes en l’an 2000 : égalité entre les sexes,développement et paix pour le XXIe siècle » qui

rappelle la nécessité de lever les obstacles quis’imposent aux femmes dans douze secteurs clés :la pauvreté, l’éducation et la formation, la santé,la violence, les conflits armés, l’économie, le pou-voir et la prise de décision, les mécanismes institu-tionnels, les droits humains, les médias, l’environ-nement et les problèmes spécifiques aux filles.

Entre temps, les conférences sectorielles qui ontémaillé les deux dernières décennies dans lesdomaines de l’eau, du développement durable, dudéveloppement social, de l’habitat, de l’éducationet de la santé, de l’emploi, de la population ontaussi souligné que le succès des recommandationsqu’elles promouvaient dépendait de la pleine par-ticipation des femmes à leur mise en œuvre.

Page 26: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection
Page 27: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Au sein d’une collectivité concernée par un pro-jet de développement, la distribution du pouvoirentre les groupes sociaux nous intéresse à deuxtitres. D’une part, parce que le contexte social localconditionnera la participation des usagers au pro-jet ainsi que leur implication à la gestion des équi-pements, d’autre part parce qu’à l’inverse, les pro-jets de développement ont un impact sur l’organi-sation sociale existante. Tout en ayant comme fina-lité l’amélioration des conditions de vie de la col-lectivité, le projet peut, si des précautions ne sontpas prises, contribuer indirectement au renforce-ment des inégalités en consolidant le pouvoir desgroupes dominants. A contrario, une bonneconnaissance du milieu doit permettre de limiter cesinégalités en adoptant une démarche adaptée.

Au sein des sociétés traditionnelles africaines,l’appartenance à un groupe social, caractérisé pardes différences ethniques, de sexe, d’âge, de sta-tut (castes, nobles, esclaves), de croyances, oud’autres variables selon les cas, explique largementles rapports de force. Ainsi, des règles précisesdéterminent le rôle et la place de chacun dans lacommunauté ainsi que l’étendue de ses pouvoirs.

A titre d’exemple, et comme l’explique Reverdyà propos des assemblées générales des coopéra-tives, la marge de manœuvre dont dispose un indi-

vidu en position de « cadet » vis-à-vis du reste de lacollectivité est faible : « Un coopérateur n’a de voixque celle que veut bien lui donner son aîné, pèreou frère aîné et il ne peut en aucun cas songer àl’utiliser contre celui qui l’a invité à exprimer sonavis. » (Reverdy - 79).

Toutefois, alors qu’une certaine évolution de lasituation des cadets a pu être reconnue, il n’en estpas de même pour les femmes en secteur ruralparce que la complémentarité des rôles deshommes et des femmes « reste le fondement mêmede la production agricole » : « Le fait saillant est (…)la permanence de la division sexuelle du travail etla stabilité, malgré l’ampleur des changementsambiants, du rapport homme/femme en tant querapport de production (base du procès de produc-tion agricole)… La division sexuelle du travailapparaît ainsi comme ”la” condition ”technique”de toute production agricole, l’inégalité et lacoopération entre hommes et femmes s’inscrivant àl’intérieur du système de production » (Olivier deSardan, 1984).

Cependant, depuis quelques décennies, sousl’effet conjugué d’un certain nombre de facteurscomme la baisse de la mortalité, les nouveauxmodes de production, l’urbanisation, la scolarisa-tion, les nouveaux modèles familiaux importés et

La place des femmes dans les projets d’hydraul ique 2 7

2. Distribution du pouvoiret changement social

1. Introduction

Page 28: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

enfin les migrations, le changement social est rapi-de, laissant la place à une grande variété decontextes (Locoh - 95).

Ces facteurs sociaux, économiques et culturelspeuvent affecter le rôle des femmes dans la priseen charge des équipements en matière d’alimenta-tion en eau et d’assainissement et notamment dansleur gestion domestique ou collective. L’objectif decette partie consiste donc à les décrire brièvement

et à examiner comment ils peuvent limiter ou aucontraire favoriser la place qu’elles tiennent oupourraient tenir dans cette prise en charge.

Aussi serons-nous amenés à présenter dans sesgrandes lignes, la distribution traditionnelle du pou-voir entre les groupes sociaux, les facteurs de chan-gement social que sont, d’une part, les migrationset l’accès à l’éducation et, d’autre part, le déve-loppement de la dynamique associative.

2.1. La famille, une entité multiforme

Si la famille est l’institution de base, ce terme de« famille » recouvre en Afrique plusieurs acceptions(Locoh - 95) :

– la famille biologique, lieu privilégié de repro-duction et de solidarité entre générations, est conçuecomme une alliance entre deux familles. Du fait dela polygamie et des migrations, les membres d’unemême famille biologique ne partagent pas toujoursla même unité de résidence. Par ailleurs, la polyga-mie, qui place souvent chacune des coépousesdans un rapport de défiance vis-à-vis de leur mari,implique la séparation des biens entre les époux ;

– le ménage prend en compte des groupes depersonnes ayant des arrangements résidentielscommuns. C’est le concept qui rend compte du rôledes familles dans la production et la répartition desrevenus produits. Même en ville, les ménages regrou-pent un grand nombre de personnes (de différentesgénérations) dans la même habitation ;

– les institutions familiales recouvrent les normeset valeurs qui régissent les modes de vie en famil-le : définition des rôles familiaux selon le sexe etl’âge, normes d’échange matrimonial, règles derésidence, etc. ;

– le lignage correspond à un groupe d’indivi-dus qui se reconnaissent comme descendants d’un

ancêtre commun connu. Il peut être extrêmementétendu et impliquer un nombre considérable de col-latéraux, la famille dite élargie ayant intégré au fildes générations un nombre élevé d’alliés sociauxdont les descendants faisaient partie de la famille :enfants confiés en gage, adoptions, esclaves,dépendants, etc. (Coquery-Vidrovitch - 94.1).

2.2. Les « aînés », gardiens formels de la conformité

Au sein de la société africaine « traditionnelle »,les rapports de solidarité et d’émulation s’organi-sent au sein d’une classe d’âge.

Une classe d’âge se réfère à la fois au mondephysique et au monde sacré, les « vieux » jouant lerôle de « passerelle entre ces deux mondes »(Guengant - 85). L’organisation sociale est en par-tie fondée sur cette fonction d’intercesseur qui per-met aux « vieux » de contrôler une zone d’incertitu-de importante : l’espace physique.

Il s’agit donc d’une gérontocratie où lesnotables et les chefs traditionnels sont chargés de« relier la communauté au monde des ancêtres, desesprits ou servir de courroie de transmission pourfaire appliquer les décisions du pouvoir central

2 8 Eau, genre et développement durable

2. Les femmes dans l’organisation sociale

Page 29: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

dans les villages » (Henry - 88), où l’ordre collectifprévaut sur l’identité individuelle.

Les décisions sont prises en commun par leconseil restreint des anciens et notables, qui choisitle chef de village.

Outre ses fonctions de gestionnaire et l’autoritéqui en découle, le principal moyen dont dispose ledoyen pour maintenir la cohésion de la commu-nauté est de nature idéologique : la morale, la ter-reur superstitieuse, les interdits sexuels, la sublima-tion du père et des ancêtres (Meillassoux - 92).L’accession au rang d’adulte ou de père de famillesuppose de la part des cadets une « conformité auxrègles contraignantes de l’ordre social dont lesanciens sont les gardiens vigilants et sévères »(Coquery-Vidrovitch - 94).

Néanmoins, si les aînés constituent une classeexploiteuse, chacun des membres qui la composentne peut y parvenir qu’en ayant été au préalablemembre lui-même d’une classe d’âge inférieureexploitée. Les classes sociales se forment non pasà partir de relations de séniorité, mais par la domi-nation de communautés entières, organiquementconstituées, accordant à tous leurs membres quelsque soient leur âge ou leur sexe, des prérogativesou des privilèges par rapport à tous les membresdes communautés dominées (Meillassoux - 92).

Ce type de relations subsiste en ville, commel’illustre cette réflexion de J.F. Bayard lorsqu’ilemploie le terme de « tribaliste » : « Le tribalistepense plus ou moins consciemment que leshommes ou les femmes de son clan sont supérieursaux autres et qu’en conséquence les autres doiventles servir et leur obéir ».

2.3. De l’obligation de consensus à la captationcommunautariste du pouvoir

Les deux principes à la base de l’organisationsociale sont donc les principes de masculinité et deséniorité. En d’autres termes, ceux qui ont le pou-voir de décision sont les hommes, et le poids deleur parole sera d’autant plus grand qu’ils sont plusavancés en âge. Dans ces conditions, les opinionsexprimées reflètent-elles celles de l’ensemble desmembres et des différentes catégories de la com-munauté - et notamment lors des assemblées villa-

geoises convoquées par exemple à l’occasion desprojets ?

Peut-on tout d’abord affirmer que la minorité quia droit à la parole s’en sert à son bénéfice exclu-sif ? Comme l’affirme G. Belloncle, « pour quequelqu’un puisse prendre la parole en assemblée,il [faut] qu’il réunisse les qualités suivantes :connaissance approfondie des relations de paren-té, véracité des propos, respect de la parole don-née, souci du bien commun (…). La longueur mêmedes discussions prouve le souci réel de démocratiequi anime de telles réunions. Dans une assembléecoopérative africaine, un vote ne résoudrait rien. Ilimporte que chacun soit convaincu, que rien ne soitlaissé dans l’ombre. Mille fois les mêmes argumentssont repris, développés, nuancés jusqu’au momentoù l’unanimité se fait (…). Non seulement les prisesde décision de la société africaine ne sont pas unobstacle à la démocratie coopérative mais bien aucontraire elles en sont le garant le plus solide (…).Il n’est pas de moyen plus efficace de faire rentrerles choses dans l’ordre (lorsqu’il y a eu détourne-ment de fonds ou impayés sur le crédit parexemple) que de réunir une telle assemblée » (Bel-loncle - 93).

Dans le même esprit, P. Clastres explique que leleader traditionnel ne prend jamais de décision deson propre chef en vue de l’imposer ensuite à lacommunauté. Il lui semble que si la communauté lereconnaît comme porte-parole, c’est qu’elle le cré-dite d’un minimum de confiance garantie par lesqualités qu’il déploie précisément au service de lasociété. C’est ce qu’il nomme « le prestige confon-du avec le pouvoir ». En effet, l’attention particuliè-re dont on honore la parole du chef ne va jamaisjusqu’à la laisser se transformer en parole de com-mandement : le point de vue du leader ne seraécouté qu’autant qu’il exprime le point de vue dela société (Clastres - 80).

D’autres travaux de recherche et des rapportsde terrain tendent toutefois à montrer que dans denombreux cas, l’absence de prise en compte desbesoins de la population par les responsables tra-ditionnels est patente. Ainsi, l’exemple en GuinéeBissau des marabouts qui s’approprient, pour leurusage personnel et celui de leur famille, à l’exclu-sion des autres membres de la communauté, despostes d’eau destinés à alimenter toute une agglo-mération (BURGEAP - 96).

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 2 9

Page 30: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Examinant les logiques de pouvoir qui se nouentautour du service d’eau et d’assainissement dans lespetits centres urbains, J. Bouju et al. notent, à pro-pos des cas étudiés (Mopti et Bandiagara, Mali)que « les instances de pouvoir local (Chefferies devillage, commandants de cercle) n’ont pas étédémocratiquement élues et ne constituent en aucunemanière des représentations démocratiques de lapopulation (…). [Leurs] demandes servent prioritai-rement d’autres intérêts que l’intérêt général deshabitants des Communes concernées ».

L’auteur démontre comment les négociations etles décisions relatives à la gestion des systèmesd’eau et d’assainissement sont « phagocytées par lesréseaux clientélistes privés ou étroitement commu-nautaires qui structurent toujours l’essentiel de lapopulation » (Bouju et al. - 98). Les auteurs démon-trent ainsi comment, à Bandiagara, un « grin », c’est-à-dire un réseau personnel de relations de dépen-dance et de recours, semble avoir pour principalobjectif la captation des ressources dont sont por-teurs les projets de développement locaux. En parti-culier, plusieurs témoignages sont recueillis auprèsdes cadets sociaux, des femmes, des « étrangers »qui, tous, stigmatisent la confiscation du pouvoir parquelques individus, groupes, clans, ethnies.

Une femme lui déclare ainsi : « Nous les femmes du quartier organisonschaque mois le curage des caniveaux (…). Personne d’autre que lesfemmes du quartier n’est derrière cette initiative. Il faut vous dire queles femmes ne sont jamais associées aux affaires des hommes. Entreautres, elles ne sont pas parties prenantes des arrangements ou descombines entre certains notables et les autorités administratives de laville » ; un jeune marchand ambulant : « Moi, je ne fais pas partie des« suddu baba »1 (…). Ici, si l’on veut rester tranquille on doit pratiquerl’hypocrisie et l’escroquerie. Les notables des suddu baba sont prêts àintervenir à tout propos afin de protéger leurs intérêts. C’est ainsi quel’initiative d’assainissement de la ville prise par les jeunes a été décou-ragée par les notables autochtones sous prétexte que « le travail ne faitpas honneur ». Ce sont ces mêmes personnes qui travaillent à la divi-sion des jeunes de la ville2 ».

Bouju et al. éclairent cette dernière remarque enprécisant que la conception « néo-aristocratique »du pouvoir a souvent pour corollaire le mépris dutravail, « qui est conçu comme une activité indigne3

de celui qui peut se servir (il a le pouvoir de le

faire) et se faire servir (il a de nombreux dépen-dants) : le travail est considéré comme un effortpénible qui est attribué aux statuts sociaux domi-nés : paysans, classes serviles et, de manière plusgénérale, tous les cadets sociaux ». A propos desprogrès que l’on peut attendre du processusd’émergence de municipalités élues, à l’œuvredans de nombreux pays d’Afrique Subsaharienne,J. Bouju remarque que « leur autorité et leur indé-pendance vis-à-vis des réseaux de pouvoir locauxsont ardemment attendues par certaines éliteslocales mais elles seront très délicates à mettre enœuvre étant données l’ancienneté et la généralisa-tion du clientélisme politico-électoral local ».

2.4. Les femmes et la sphère publique

Même si les femmes connaissent, dans lessociétés anciennes, des espaces de liberté grâce àune vie collective séparée des hommes, elles res-tent soumises, dès leur plus jeune âge, à l’obéis-sance au sexe masculin.

Le mariage, à partir de onze ou douze ans pourles filles, est décidé par les familles. Comme ledémontrent les dots, souvent élevées, il s’agit d’unealliance politique et d’une affaire économique.

Les vieilles femmes reproduisent, à l’intérieur deleur communauté, les rapports hiérarchiques quirégentent d’une façon plus générale les relationsentre les maîtres du lignage (les aînés) et leursdivers dépendants : cadets, femmes, esclaves. Demanière générale, la femme est assimilée à labrousse, au « dehors » ; elle n’est pas associée auxancêtres et au savoir transmis par eux. Elle est liéeaux forces incontrôlables du monde non humanisé(sorcellerie ou magie d’agression) (Droy - 1990).

Certaines régions ou zones font exception. C.Coquery montre par exemple comment les femmes

3 0 Eau, genre et développement durable

1 Les autochtones : littéralement, la « maison du père ».2 J. Bouju rapporte ailleurs des propos qui tendent à montrerque les notables auraient saboté de diverses manières l’entre-prise montée par ces jeunes faute d’avoir pu obtenir d’eux unecontrepartie financière à leur appui.3 A fortiori, précisons-le, dans le cas de la citation où le travailen question consiste à nettoyer des déchets !

Page 31: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

d’Afrique occidentale forestière ont su résister dansune certaine mesure, en raison d’une autonomieéconomique réelle due à leurs pratiques commer-ciales ancestrales (Coquery-Vidrovitch - 94.1).

C. Mandjou, auteur d’une monographie surl’histoire politique des femmes en Afrique du XVIIè-me au XIXème siècle, affirme qu’« il est faux dedire que la femme africaine est soumise, qu’ellene prend pas part aux décisions. Ceux qui ontécrit sur l’Afrique, dès le XIXème siècle, étaientdes fils de famille, qui apportaient avec eux leurspréjugés de classe. Ils avaient pour interlocuteursles chefs de village, et comme ils ne voyaient pasles femmes, en déduisaient qu’elles n’avaientaucun pouvoir. Or, dans les sociétés africaines tra-ditionnelles, on demande toujours l’avis desfemmes avant de prendre une décision, même sicelles-ci ne parlent jamais en public » (Mandjou -2000).

En revanche, son constat porté sur la situationactuelle rejoint notre analyse : « Aujourd’hui, (…)les hommes se sont accaparé le pouvoir, et lesfemmes sont obligées de se battre sur tous lesplans. D’autant qu’il y a très peu de mouvementsde femmes et qu’ils sont en général inféodés auxpartis politiques ».

D’autres facteurs, relevant ou aggravés par lesdespratiques du monde moderne ou aggravés par elles,contribuent à maintenir les femmes à l’écart des cir-cuits des décisions engageant la collectivité :

– le moindre accès au savoir, aux formationsscolaires et professionnelles. Les mères gardent lesjeunes filles auprès d’elles, plus que les garçons,pour que celles-ci les aident aux taches ménagèreset parce que l’école, surtout lorsqu’elle n’est pas

située dans le village, est parfois ressentie commeun lieu « de perdition » où les jeunes filles échap-pent au contrôle des parents4 ;

– les règles de résidence liées à la pratique del’exogamie, qui contraignent les femmes à quitterleur lignage pour celui du mari et limitent leur par-ticipation aux décisions car elles sont toujours étran-gères dans le lignage de leur époux5. Pour I. Droy,la femme est assimilée à la brousse, au « dehors » ;elle n’est pas associée aux ancêtres et au savoirtransmis par eux. Elle est liée aux forces incontrô-lables du monde non humanisé (sorcellerie oumagie d’agression) (Droy - 1990).

Cette marginalisation des femmes trouve sa tra-duction dans :

– un accès limité au marché du travail : le faibleniveau de scolarisation, qui limite l’accès à l’infor-mation et à la capacité de gestion, est en effet unobstacle à la présence de femmes à des postes dedécision (Tableau 1), et explique aussi en partieleur présence très minoritaire dans les emplois dusecteur formel. En 1970, l’Afrique Subsaharienneétait déjà la région du monde qui comptait la plusfaible proportion de femmes employée dans le sec-teur formel. Or, cette proportion n’a gagné que 1,6point en pourcentage entre 1970 et 1990. Enrevanche, elles sont largement présentes dans lesecteur informel ;

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 3 1

TABLEAU 1. Répartition des cadres nigériens par genre en 1997..

NIAMEY NIGER

Masculin Féminin Global Masculin Féminin Global

Cadres supérieurs 81,6 % 18,4 % 100 % 86,1 % 13,9 % 100 %

Cadres moyens 80,1 % 19,9 % 100 % 72,4 % 27,6 % 100 %

Cadres de l’administration 81,1 % 18,9 % 100 % 78,1 % 21,9 % 100 %

Source : Sékou et associés

4 Voir ci-après 3.3 « Alphabétisation et formation : un facteurd’émancipation progressive »5 Ce qui ne signifie pas bien sûr que l’endogamie suffit à garan-tir définitivement les femmes de la précarité, cf. par exempleFrançoise Puget, Femmes peules du Burkina Faso, Stratégiesféminines et développement rural, L’Harmattan, 1999, p. 65.

Page 32: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

3 2 Eau, genre et développement durable

– une inégalité des revenus du travail entrehommes et femmes : analysés sur un échantillonde divers pays d’Afrique subsaharienne, les reve-

nus des premiers sont en moyenne sensiblementdeux fois plus élevés que ceux des secondes(Figure 1).

3.1. La responsabilité croissante des femmessous l’effet des migrations

L’exode qualifie les migrations massives queconnaît l’Afrique depuis une trentaine d’années,des villages vers les grands centres urbains et dansune moindre mesure vers les petites villes.6

Ces migrations, qui concernent majoritairementles hommes, ne sont pas sans conséquences surl’organisation économique et sociale.

« Peu de femmes ont leur mari ici. Certaines sont seules depuis dix ans,avec les vieux pères et les vieilles mères » (Propos rapporté de la 6e

région de Tombouctou par Monimart - 91).

A Mokko, centre semi-urbain nigérien de 3300habitants, les deux tiers des chefs de ménage quit-tent le village après la récolte pour chercher unemploi et nourrir ainsi leur famille. La plupart revien-nent juste avant le début de l’hivernage. Désor-mais, les jeunes gens (garçons ou filles) sont attiréspar la ville, qui représente réussite économique etlibération des contraintes sociales (InterAction Design- 91).

6 Ces migrations, qui concernent majoritairement les hommes, nesont pas sans conséquences sur l’organisation économique etsociale.

FIGURE 1. Répartition des revenus monétaires selon les genres en Afrique subsaharienne..

Source : PNUD, 1998

3. Migrations et éducation : la nouvelle donne

Page 33: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Conséquences visibles de ces migrations : ledéséquilibre des rapports traditionnels entre hommeset femmes, entre jeunes et vieux, ainsi que la déstruc-turation de la cellule matrimoniale. Les femmes res-tées au village, qu’elles soient ou non placées sousla tutelle d’aînés ou de parents, voient croître leursresponsabilités domestiques et collectives.

La migration des femmes rurales n’est toutefoispas exclue, qu’elles accompagnent ou rejoignentleurs maris ou qu’elles partent à titre individuel.

La migration des jeunes femmes comme moyend’échapper aux conditions de vie rurales et aux con-traintes qui y sont liées n’est pas un phénomène ré-cent : à la fin du XIXe siècle, des jeunes femmes par-taient déjà pour la ville. Ces migrations, que ni lesmilieux traditionnels ni les colonisateurs n’encoura-geaient, étaient plus ou moins assimilées à la prosti-tution (Coquery-Vidrovitch - 94.1). Aujourd’hui lesmigrations féminines sont toujours connotées négati-vement et un grand nombre de femmes en ville sontcélibataires, veuves ou divorcées. Au cours d’uneenquête sur un groupe de jeunes femmes employéesde maison au Sénégal et issues de centres ruraux del’intérieur du pays, celles-ci avancent ainsi les raisonssuivantes pour justifier leur migration (Diaw - 97) :

– les activités au village, peu rémunérées, nepermettent pas de couvrir certaines dépensescomme l’habillement, l’éducation, la préparationdu trousseau, etc. ;

– les revenus des parents ne suffisent pas à sub-venir aux besoins de la famille ;

– la ville est synonyme de loisir, de travail moinsdur, etc.

Ce qui conduit à mettre en évidence l’impor-tante proportion de femmes chefs de famille, parti-culièrement en ville (Tableau 2). Au Burkina Faso,au Niger et au Sénégal, cette proportion est deuxfois plus élevée en ville qu’en milieu rural.

Ce phénomène est aggravé par l’extrême insta-bilité des mariages dans les milieux populaires sou-lignée par C. Coquery-Vidrovitch. Elle l’attribue aucontexte de crise économique et de déséquilibredémographique : les maris n’ayant plus les moyensde s’offrir plusieurs femmes à la fois et les femmesdevant retrouver au plus vite la protection d’un nou-vel époux, une sorte de « polygamie successive »s’est mise en place. Aussi cette mobilité des femmes,si elle entraîne de profonds changements des modesde vie, conduit au développement de l’entraideféminine - lorsque l’une d’elles acquiert une maisonpar exemple, elle y accueille ses filles divorcées(Coquery-Vidrovitch - 94.1).

3.2. Diversité des ménages et pauvreté

Les recompositions familiales qu’entraînent no-tamment les migrations ne sont pas dénuées deconséquences sur la pauvreté ou sur les modèlesde consommation. Une analyse de genre menéesur les données recueillies par enquêtes ménages

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 3 3

TABLEAU 2. Proportion de chefs de ménage féminins (en %)

PAYS DATE MOYENNE DU PAYS MILIEU RURAL MILIEU URBAIN

Burkina Faso 1993 6.5 5 12.8

Ghana 1988 32.2 30.7 34.9

Guinée 1983 12.7 12.6 13

Mali 1986 14 1 4.4 18.4

Niger 1987 9.2 7.9 15.5

Nigeria 1992 14.3 12.9 18

Sénégal 1990 15.8 10. 5 23

Togo 1993 26.4 24.8 29.9

Ensemble 16.4 14.9 20.7

Source : Locoh 1995

Page 34: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

3 4 Eau, genre et développement durable

TABLEAU 3. Education et illettrisme de la population selon le genre en Afrique subsaharienne..

NIVEAU D’ÉDUCATION PRIMAIRE OU SUPÉRIEURE TAUX D’ILLETTRISSME CHEZCHEZ LES 15 ANS ET + (%) LES 15 ANS ET + (%)

Pays Date Hommes Femmes Ratio Hommes Femmesde l’enquête femmes/hommes

Burkina 94 17,8 8,5 47,8 82,2 91,5

Djibouti 96 55,0 27,3 49,6 45,0 72,7

Ethiopie 96 16,1 9,7 60,2 83,9 90,3

Gambie 92 26,2 12,4 47,3 73,8 87,6

Ghana 91 18,2 10,4 57,1 81,8 89,6

Guinée 94 22,2 8,2 36,9 77,8 91,8

Côte d’Ivoire 95 50,0 28,1 56,2 50,0 71,9

Kenya 94 47,8 36,3 75,9 52,2 63,7

Madagascar 93 28,8 23,0 79,9 71,2 77,0

Nigeria 92 55,3 39,2 70,9 44,7 60,8

Niger 95 20,9 10,2 48,8 79,1 89,8

Mauritanie 95 17,4 11,6 66,7 82,6 88,4

énégal 91 18,7 10,9 58,3 81,3 89,1

Tanzanie 93 17,7 9,2 52,0 82,3 90,8

Ouganda 92 33,4 21,0 62,9 66,6 79,0

Afrique du Sud 93 47,2 46,3 98,1 52,8 53,7

-60%-50%

-40%

-30%

-20%

-10%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

Garçons Filles Écart relatif

Djib

outi

Gha

na

Keny

a

Gam

bie

Côt

ed'

Ivoi

re

Mad

agas

car

Mau

ritan

ie

Oug

anda

Burk

ina

Tanz

anie

Gui

née

Séné

gal

Nig

er

Ethi

opie

FIGURE 2. Taux de scolarisation primaire des 6-11 ans en Afrique subsaharienne

Page 35: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

dans un groupe de 19 pays d’Afrique subsaha-rienne a non seulement confirmé la très grandediversité des structures et des compositions fami-liales (Banque mondiale - 99) mais a aussi montréle lien entre pauvreté et systèmes familiaux. La taillemoyenne des ménages dont le chef est une femmeest significativement inférieure à celle des ménagesdont le chef est un homme. Alors que la majoritédes femmes chefs de famille sont veuves, divorcéesou séparées de fait, une écrasante majorité deshommes chefs de famille sont, eux, mariés. Cecisuggère que les femmes se retrouvent chefs deménage suite à des bouleversements affectant leurvie. Ces ruptures manifestent une instabilité desstructures et des compositions familiales et accrois-sent la vulnérabilité des ménages.

La tradition leur donnant moins de pouvoir dedécision et de contrôle sur les biens qu’auxhommes, les femmes (et leurs enfants) sont plus vul-nérables que ces derniers, alors même que lesopportunités s’offrant à elles pour s’engager dansdes activités rémunératrices qui pourraient leur per-mettre d’acquérir ces biens sont plus limitées.

Il n’a cependant pas été prouvé de façon clai-re que l’incidence de la pauvreté est plus impor-tante parmi les ménages dont le chef est unefemme. Des analyses de données régionales(Banque mondiale, 1999) ont ainsi montré que l’in-cidence de la pauvreté est la plus élevée :

– en Afrique de l’Ouest : chez les ménagesdont le chef est polygame ;

– en Afrique de l’Est et en Afrique australe :parmi les familles dont le chef est une femme.

Ainsi, le genre du chef de ménage ne permet pasà lui seul de préjuger de la pauvreté de ce dernier.

En revanche, il est intéressant de savoir qu’il aété possible de montrer que les modèles deconsommation diffèrent sensiblement en fonctionde l’autonomie dont disposent les femmes, à bud-get égal, dans la gestion des dépenses familiales.En particulier, lorsque la femme a davantage decontrôle sur les revenus monétaires globaux duménage, la consommation tend à s’orienter davan-tage vers la satisfaction des besoins « de base » duménage et vers l’éducation et la santé des enfants.

Ainsi, une étude comparative menée auprès deménages ayant des revenus semblables dans septpays d’Afrique subsaharienne a montré que lesenfants des ménages dont le chef est une femme

sont non seulement relativement plus nombreux àêtre scolarisés mais aussi à achever leur cycled’études primaires. En Côte d’Ivoire, il a été mon-tré qu’un doublement de la part des revenus moné-taires dévolus aux femmes -– à budget total duménage constant -– se traduit par un accroissementdes dépenses alimentaires de 2 % et une réductiondes dépenses d’alcool et de cigarettes de 14 et26 % respectivement (Banque mondiale, 1999).

3.3. Alphabétisation et formation : un facteurd’émancipation progressive

« La scolarité des enfants, les maigres récoltes qui font toujours acheterles vivres, l’achat de médicaments sont des difficultés insurmontables ».(Commentaire d’une femme de Samnatenga, au Burkina Faso, Moni-mart - 91)

Le niveau global de formation des populationsafricaines est faible et les filles sont encore moinsscolarisées que les garçons. Le tableau ci-dessous,qui récapitule les données concernant les taux descolarisation des filles et des garçons dans différentspays d’Afrique subsaharienne, met en évidence lagrande proportion d’illettrés, avec des écarts impor-tants entre garçons et filles, et le fait que les femmesadultes sont souvent moitié moins nombreuses queles hommes à avoir au moins suivi un cycle completd’enseignement primaire (Tableau 3).

Les petites filles continuent à fréquenter moinssouvent l’école primaire que leurs frères et cet écartrelatif en leur défaveur est d’autant plus grand quele taux de scolarisation est faible (Figure 2).

L’inégalité de l’accès à l’école entre garçons etfilles est évidemment plus prononcée en milieu rural,comme l’illustre le tableau 4 de la page suivante surle cas du Niger.

Quelles sont les perspectives d’évolution de l’in-égalité d’accès des filles à l’éducation ? Des progrèsont certes été réalisés, mais ils sont lents (Figure 3page suivante) : si l’écart relatif d’éducation secon-daire entre les sexes a effectivement connu uneréduction marquée pendant les années 80 en faveurdes filles, l’inégalité de l’accès à une formation pri-maire ne s’est que très timidement réduite ces vingt-

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 3 5

Page 36: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

3 6 Eau, genre et développement durable

cinq dernières années : pour cent garçons scolarisésdans le primaire, le nombre de filles est passé de 68à 82 entre 1970 et 1994 (Banque mondiale - 99).Il est donc raisonnable de penser, à l’instar de nom-breux experts, qu’il faudra encore au moins unegénération avant de combler cette inégalité.

Cet état de discrimination risque d’être aggravépar le fait que la croissance de la population impo-se un rythme d’efforts incompatible avec les res-sources financières disponibles, à moins que desefforts importants soient faits en faveur de ce secteur.

Ainsi, sur la période 1995-2020, il est prévuque la population d’Afrique Subsaharienne d’âgescolarisable augmente de 52 %7, de sorte que,pour atteindre l’objectif d’une scolarisation de tousles enfants à l’horizon 2020, le nombre total

d’élèves à scolariser devra être porté à 91 millions,alors qu’il n’est que de 71 millions aujourd’hui8(Banque mondiale - 1999).

Ces chiffres masquent néanmoins une réalitéimportante : les progrès réalisés n’ont pas autantbénéficié aux pauvres qu’au reste de la population.La pauvreté en effet renforce les inégalités exis-tantes, même si elle n’en est pas le seul facteur decausalité : les pays qui recèlent de fortes inégalitésde revenus sont ceux où l’on rencontre le plus sou-vent les plus fortes inégalités en matière d’accès desfemmes à l’éducation (Banque mondiale - 2001).

FIGURE 3. Evolution de la proportion relative de l’éducation des hommes et des femmes..en Afrique Subsaharienne de 1970 à 1994..

Source : Banque Mondiale, 1999

7 Alors que cette proportion sera en décroissance dans presquetoutes les autres régions du monde.8 63 % de cette augmentation étant imputable au seul accrois-sement démographique.

TABLEAU 4. Taux de scolarisation et d’alphabétisation au Niger en 1997..

NIAMEY NIGER

Masculin Féminin Global Masculin Féminin Global

Scolarisation 51,81 48,75 50,32 18,18 11,54 4,90

Alphabétisation 67,00 53,00 60,00 22,00 12,00 17,00

Source : Cabinet Sékou et Associés - 2000

50%

60%

70%

80%

90%

100%

1970

1975

1980

1985

1990

1993

1994

Primaire Secondaire

Page 37: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Mais les écarts qui subsistent à tous les niveauxde revenus soulignent aussi le poids des facteurssociaux et culturels sur l’accès des filles à l’éduca-tion. Selon un rapport du PNUD concernant la par-ticipation des femmes au développement9, l’édu-cation des filles se heurte encore, en dépit des pro-grès mentionnés plus haut, à des obstacles consi-dérables du fait de leur enracinement socioculturel :« Le taux de scolarisation dans l’enseignement pri-maire est en hausse mais l’abandon des filles, quiest supérieur à celui des garçons reste préoccu-pant. (…) Les traditions et conventions socialesamènent souvent à considérer que l’éducation desfilles est inutile et qu’il est préférable de garder lesfilles à la maison jusqu’au mariage. (…) Lorsque lascolarité est payante et que des uniformes sont exi-gés, les parents préfèrent faire cet effort financierpour assurer l’éducation des garçons ». Les gouver-nements se doivent d’améliorer « l’éducation desfilles et des femmes pour optimiser la contribution deces dernières au développement. L’éducation est eneffet déterminante pour réaliser des progrès enmatière de santé, d’assainissement, d’alimentation ».

Parler de l’émancipation et de la promotion dela femme n’a de sens que si un certain nombre demesures concrètes sont prises, notamment desmesures concernant l’accès à l’éducation et à laformation : « Sur quelles compétences féminines lespays pourront-ils compter ? Il est indispensable debriser le cercle de la soumission, de la dépendan-ce et de l’ignorance si l’on veut faire avancer leschoses » (Monimart - 91).

Aussi l’élément essentiel aujourd’hui est-il l’édu-cation des filles, qui demeure la condition néces-saire pour qu’elles puissent faire reconnaître leurrôle dans l’activité économique du pays car « ladistorsion est évidente entre leur action écono-mique et sociale et la place qui leur est faite dansles valeurs de la société ». Toutefois, ceci serait entrain de changer très rapidement et « à côté d’unnombre minime mais agissant de jeunes intellec-tuelles, éminentes dans la vie politique ou littéraire,on pressent aujourd’hui un mouvement de fond quidevrait conduire à une individualisation desfemmes allant de pair avec leur autonomisationéconomique » (Coquery-Vidrovitch - 94.2).

Les intéressées sont conscientes des obstaclesque constitue l’analphabétisme et celles qui veulentconduire leurs activités sont souvent les premières àvouloir accéder aux formations nécessaires (Mas-son et al. - 97).

Dans les projets de développement et tout particulièrement dans leurphase d’animation de même que dans les volets de formation et de sen-sibilisation à l’hygiène, il convient de prendre en compte ces inégalitésd’éducation entre hommes et femmes, riches et pauvres, urbains etruraux, adultes et enfants, même si dans certains cas, une organisationcollective peut tenter de pallier ces carences, notamment pour lestranches d’âge plus âgées qui doivent assurer des tâches de gestion. EnGuinée- Bissau durant la mise en œuvre du programme d’approvision-nement en eau de la région de Cacheu10, les femmes analphabèteschargées d’une responsabilité au sein d’une association ou d’un comitéde gestion de l’eau se déplacent avec leurs maris scolarisés pour pou-voir assumer leur fonction. Il peut en être de même pour des chefs devillage auxquels des responsabilités ont été confiées dans le cadre deprojets similaires et qui se déplacent avec un de leurs enfants scolariséslorsqu’ils ne sont pas alphabétisés11.

Les progrès de la scolarisation, les mouvementsde migration et l’urbanisation rapide qui ont mar-qué les trente dernières années conduisent à uneérosion des pouvoirs des anciens dans les entitésfamiliales. Les mouvements migratoires vers lesvilles, essentiellement de jeunes en quête d’emploiet de formation, ouvrent de nouvelles perspectives.L’emploi urbain, souvent monétarisé, se substitue àl’emploi agricole dont les revenus étaient contrôléspar les anciens. Mais, bien souvent, « plus qu’àune émancipation des jeunes, avec tout ce que ceterme comporte de positif, c’est à un abandon desjeunes à eux-mêmes que l’on va assister et lesjeunes de demain vont subir de plein fouet la failli-te des Etats (moins d’école, moins de soins), l’ef-fondrement des économies, etc. » (Locoh - 95).D’autant que pour les femmes, cela signifie le plussouvent « qu’elles ont quitté leur milieu d’originedans une situation déjà critique et ne peuvent plusrecourir à leur entourage familial » (Locoh - 2000).

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 3 7

9 Etude d’évaluation n° 13, Programme des Nations unies pourle développement.

10 Projet d’alimentation en eau potable de la région deCacheu, 1996, Agence française de développement.11 Les recommandations méthodologiques qui découlent decette contrainte sont développées dans le chapitre 5.

Page 38: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

A l’image des tontines, pratiquées depuis long-temps, ou d’autres formes traditionnelles de regrou-pement, le mouvement coopératif et associatifconnaît ces dernières années en Afrique un déve-loppement sans précédent. Groupements paysans,associations de femmes, coopératives de produc-tion, etc., sont devenus de véritables lieux d’échan-ges, de solidarités… et le moyen d’accéder à desfinancements ou aides extérieures.

Mais offrent-ils l’occasion d’une réelle redistri-bution du pouvoir au sein de la collectivité ou favo-risent-ils la consolidation du pouvoir des « aînés »sociaux ? La dynamique créée par le groupementmodifie-t-elle la relation entre les femmes et la sphè-re publique, que ce soit à travers l’expression dugroupement vis-à-vis de l’extérieur ou par des modi-fications suscitées à l’intérieur de celui-ci. L’examende groupements et associations pris dans descontextes très différents (pays, objet, échelle, etc.)tente d’y répondreà notamment par l’analyse deleur structure (mixité, organisation par groupessociaux) en liaison avec leur finalité (intérêt collec-tif, relation économique, etc.).

4.1. L’exemple d’associations en milieu semi-urbain au Bénin

L’appartenance à une association, quels qu’ensoient l’importance et l’objet, a été étudiée fait l’ob-jet d’une enquête dans le cadre d’une enquêted’une étude portant sur quatre petits centres urbainsbéninois (BURGEAP - 96). Les résultats sont signifi-catifs : 37 % des personnes enquêtés font partied’une association à Toffo, 30 % à So-Zounko,26 % à Béroubouay et 17 % à Ouegbo (le plusdéveloppé des quatre centres).

Une analyse détaillée des organisations exis-tantes à Toffo a permis une classification en fonc-tion de l’origine de leur constitution :

1) L’époque révolutionnaire. Certains groupe-ments et coopératives, créés sous l’impulsion du pou-voir alors en place, ont perduré après la révolution.

C’est le cas du Groupement des agriculteurs et fer-miers (GAF), créé dans le but de réaliser des éco-nomies d’échelle en se regroupant pour la culture etl’élevage. Au moment de l’enquête, 4 hectares demaïs et 4 autres de manioc avaient été semés dansdes champs collectifs. La terre cultivée se trouve dansdes zones d’utilité publique affectées gratuitement àl’association après autorisation de l’Etat.

2) Les projets de développement. L’Union desgroupements de Toffo, créée sur l’initiative d’unvolontaire des Nations unies, a pour vocation decoordonner les actions des associations de déve-loppement et regroupe 20 des 36 associations dela commune.

3) L’initiative villageoise. L’exemple d’associa-tions créées dans des villages voisins incite parfoisà se regrouper dans l’espoir de bénéficier, commeelles, d’aides extérieures. Ces associations sontgénéralement plus récentes. C’est le cas de « Forcepaysanne », une association de femmes qui trans-forment l’huile de palmiste vendue aux commer-çantes. Avec l’huile, celles-ci fabriquent le savonqu’elles vendent à leur tour sur les marchés de Toffoet de Ouegbo. La fondatrice de Force paysanne aeu l’idée de sa création (en 1992) grâce à l’exis-tence d’une association similaire à Ouegbo.

Toutes ces associations sont organisées sur lemême modèle et comprennent au moins : un(e) pré-sident(e), un(e) secrétaire et un(e) trésorier(e). Lemontant des droits d’adhésion varie entre 25 et2000 F CFA. L’autorité est exercée par des respon-sables choisis par les membres de l’association.

Les associations ayant pour objet la réalisationd’une activité marchande ne perçoivent générale-ment pas de cotisations périodiques. Le Groupementdes agriculteurs et fermiers de Toffo est une excep-tion. Les cotisations individuelles, de 100 F CFA parmois, permettent à ses adhérents d’acquérir desparts sociales d’un montant de 10 000 F CFAqu’ils pourront revendre quand ils cesseront leuractivité.

3 8 La place des femmes dans les projets d’hydraul ique

4. Le rôle des associations dans l’évolution de l’organisation sociale

Page 39: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Le nombre d’adhérents est très variable mais engénéral, chaque personne concernée par l’objetde l’association en est membre : toutes les femmesqui fabriquaient de l’huile de palmiste avant lacréation de Force paysanne, en sont ainsi deve-nues membres.

Plusieurs des associations de Toffo financentégalement des travaux collectifs. Ont ainsi été réa-lisés un hangar pour le marché, des latrines et uncentre d’éveil pour les enfants. Mais le bénéficeimmédiat de l’action menée par les associations estgénéralement individuel : revenus et appui auxfamilles lorsqu’elles sont dans le besoin par desprêts ou par des dons.

Témoin de leur succès, les nombreuses réunionsorganisées par ces associations connaissent destaux de participation habituellement élevés. Et lepassage du statut de « projet véhiculé par l’exté-rieur » à celui, progressivement, « d’initiative loca-le », confirme l’enthousiasme qu’elles suscitent.

4.2. Les associations de femmes au Sénégal

D’une façon générale au Sénégal, les femmescumulent deux fonctions, politique et associative,car les représentantes des associations fémininesen milieu rural sont des responsables politiques,choisies en fonction de ce critère par les villageoi-ses. Pour les représenter dans les associations fémi-nines, les villageoises du Sénégal choisissent géné-ralement des femmes qui assument déjà une fonc-tion politique (Riss - 89).

Les associations de femmes se distinguent selonleur mode de cotisation, en deux types :

• Celles dont le but est de permettre auxfamilles, ponctuellement dans le besoin, d’assumerdes dépenses importantes occasionnées par desévénements tels que les mariages ou les deuils. Lemontant des cotisations varie selon la nature del’événement. Par exemple, dans le village de KeurMama Lamine, où 70 % des femmes adhèrent aumoins à l’une des deux associations existantes, lacotisation s’élève à 150 F CFA, ou à un apport deriz. Lorsque les femmes cultivent les champs collec-tifs, le produit de la récolte est stocké et redistribuélors des fêtes ou vendu. Le bénéfice des ventes rem-place alors les cotisations.

• Celles dont les cotisations régulièrement ver-sées par les membres sont investies dans l’achat dematériel collectif ou prêtées aux femmes nécessiteuses.

Proches des tontines, ces deux types d’associa-tions assurent une fonction de caisse de solidarité.Leur rôle est de permettre aux ménages ne dispo-sant pas d’épargne de pouvoir régler desdépenses inattendues. La motivation des femmesmembres de ce type d’associations réside d’ailleursavant tout dans le bénéfice individuel qu’ellescomptent en tirer.

Toujours au Sénégal, les nombreux Groupe-ments de Promotion Féminine (GPF), mis en placedans le prolongement de la Décennie onusiennede la femme par les autorités sénégalaises, ont étéconstitués le plus souvent à partir des organisationstraditionnelles de femmes qui préexistaient dans lesvillages (Badiane - 95).

A l’inverse de celles-ci « dont la finalité ne sem-blait pas s’attacher à la réalisation d’activités col-lectives de développement économique », la spéci-ficité des GPF réside dans le fait que c’est à traverseux que les villageoises ambitionnent désormais depromouvoir un développement collectif. Les GPF ontconnu un vif succès ; en 1995, il en existait plus de3 600 mobilisant au total plus de 400 000 adhé-rentes sur l’ensemble du territoire national.

« Plus que l’efficacité de cette participation, quin’a pour l’instant aucune influence sur les grandesdécisions, il convient de considérer ce principe (…)comme une formidable opportunité d’apprentissageet de formation qui sont des étapes nécessaires versla maîtrise des voies d’accès à la décision. (…) Tan-dis qu’il y a quelques années encore, aller au mar-ché hebdomadaire voisin constituait pour nombrede femmes rurales une des rares possibilités de quit-ter le village et d’entrer en contact avec d’autresfemmes, l’avènement des groupements féminins abousculé les traditions et ouvert les femmes sur l’ex-térieur. De nouvelles attitudes et pratiques (…) sontdorénavant courantes : absence des femmes du vil-lage pendant quelques jours pour assister à un sémi-naire, gestion par les femmes d’activités commu-nautaires génératrices de revenus, prise de parolepublique dans des assemblées mixtes, etc., sontautant de choses rendues possibles par les groupe-ments féminins qui disposent de plus en plus de légi-timité en agissant comme force de négociation auprofit des femmes » (Badiane - 95).

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 3 9

Page 40: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

4 0 Eau, genre et développement durable

Le contrôle de ces GPF constitue un enjeu poli-tique considérable, et un relais potentiel pour lesopérateurs de projets.

4.3. Les associations liées à l’amélioration del’environnement à Ouagadougou

La ville de Ouagadougou a bénéficié ces der-nières années de l’appui de nombreux projets, dontbeaucoup ont servi de modèles dans d’autrespays. Trois projets pilotes, réalisés dans différentsquartiers de la capitale, constituent des expé-riences réussies, semble-t-il, de participation deshabitantes à l’amélioration de leur cadre de vie :

• Collecte des ordures ménagères dans le quar-tier Wogodogo, secteur 10 de Ouagadougou112.Il s’agit d’un quartier à faibles revenus comptant3000 ménages pour une population totale de25 000 habitants. La collecte des ordures y estassurée par les femmes de l’association LagemYam (Unissons nos intelligences), qui compte 12membres. Après un an de fonctionnement, 850ménages sont abonnés au service proposé par l’as-sociation. Le transport des ordures ménagères estassuré par des charrettes tirées par des ânes. Lematériel de collecte des déchets solides est consti-tué de râteaux, fourches, pelles, seaux, balais, etc.Les femmes sont équipées de blouses, gants, botteset masques. La difficulté aussi bien physique quepsychologique des tâches à effectuer ne semblepas poser de problèmes aux préposées. Le bilande la première année de fonctionnement indiqueque la rentabilité est atteinte, et le succès de l’as-sociation a incité d’autres quartiers de Ouagadou-gou à adopter la même organisation.

• Participation communautaire à l’améliorationde l’assainissement13 dans le secteur 7 de Ouaga-dougou. L’assainissement des concessions et desrues est réalisé par un groupement de femmes quibalayent et ramassent les ordures, lesquelles sont

vidées dans des bacs dont l’enlèvement est assurépar la division économique du Haut Commissariat,ou directement enlevées par l’Express Coopérativedu Faso (Ecofa). Ce service d’enlèvement desordures est facturé 500 Fcfa par mois, à la portede la concession, et 350 Fcfa lorsque les orduressont déposées dans un bac de transit.

• Amicale des femmes de la Socogib : regrou-pant une centaine de femmes d’un quartier moder-ne du secteur 13, cette association a pour objec-tifs l’aménagement des espaces collectifs et lesmanifestations de solidarité à l’occasion des céré-monies (mariages, décès, etc.).

Ces trois associations ont induit la créationd’emplois réservés aux femmes, leur formation pro-fessionnelle ainsi que la perception de revenus per-mettant une certaine autonomie financière. Desexemples développés ci-avant se dégagent enconclusion trois grands traits communs :

• Des exemples développés ci avant se déga-gent en conclusion trois grands traits communs : Lesassociations, au-delà d’un regroupement par acti-vité, sont l’occasion d’un regroupement par sexe.En effet, elles sont souvent attachées à un groupesocial : celui des hommes, pour les coopérativesagricoles par exemple, ou celui des femmes, confir-mant la différenciation entre les sexes jusque dansla mise en place de structures d’appui aux activitésde la collectivité. Notons à ce propos que les grou-pements qui ont pour objet la solidarité financièreentre leurs membres - objet proche des tontines -sont généralement des groupes de femmes.

• Ces associations fédèrent souvent l’ensembledes membres d’un groupe autour d’une fonctionproductive ou commerciale – par exemple, l’en-semble des femmes qui transforment l’huile de pal-miste (cf. ci-dessus l’exemple du Bénin). A cetégard, ces associations peuvent avoir un poidsimportant et contribuer à une redistribution du pou-voir au sein de la collectivité ;

• Enfin, notamment aux niveaux national et régio-nal, elles sont souvent associées aux pouvoirs poli-tiques locaux, ce qui en constitue la principale limite.

12 Projet pilote du centre régional pour l’eau potable et l’assai-nissement à faible coût (CREPA) et de l’Institut africain de ges-tion urbaine (IAGU).13 Projet d’amélioration des conditions de vie urbaine. Finance-ment UNICEF/Banque mondiale.

Page 41: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Distr ibut ion du pouvoir et changement social 4 1

• Les exclus d’hier, femmes et cadets sociaux,développent aujourd’hui des stratégies pour évo-luer au sein de la société (migrations, activitéslucratives, implication dans des associations, etc.)qui obéissent aux principes suivants, les rapportsentre les groupes restant néanmoins très complexeset les situations variables d’un site à l’autre sur leplan de l’évolution des structures sociales tradition-nelles : les usagers potentiels d’un programme dedéveloppement représentent un ensemble degroupes sociaux ayant des intérêts parfois diver-gents mais surtout un pouvoir de décision au seinde la collectivité très différent. Ils ne forment pas untout homogène et sur le plan méthodologique nepeuvent être traités comme tel ;

• le contexte social est en pleine mutation et ilest difficile de présager de ce qu’il peut être sansune analyse fine de terrain ;

• les associations et groupements existants sontsouvent structurés par groupes sociaux (jeunes,femmes, personnes ayant une même activité). Ilspeuvent apporter une réponse aux difficultés dechaque individu à se faire entendre mais ont pourlimite leur fréquente intégration aux partis politiques.

Pour les exclus, les programmes d’approvisionne-ment en eau constituent une opportunité de redistri-bution des rôles en leur faveur au sein de la commu-nauté. A cet égard, l’implication des femmes dansles projets ne peut être isolée de l’implication de l’en-semble des groupes constituant la communauté.

(Badiane - 95)Badiane C., «Réseaux et accès à la décision :l’exemple des groupements féminins au Sénégal, inFemmes, villes et environnement. UNESCO, IUED,DDACE, 1995.

(Banque mondiale - 99)Banque mondiale : Gender, Growth, and PovertyReduction, In Africa Region Findings, n°129,février 1999.

(Banque mondiale - 2001)Banque Mondiale : Engendering Development, AWorld Bank Research Paper, 2001.

(Belloncle - 93)Belloncle G., Anthropologie appliquée et dévelop-pement associatif : trente années d’expérimentationsociale, L’Harmattan, 1993.

(Bouju et al. - 98)Bouju J., Tinta S. et Poudiougo B., Approche anthro-pologique des stratégies d’acteurs et des jeux de pou-voir locaux autour du service de l’eau à Bandiagara,Koro et Mopti (Mali), SHADYC, EHESS/CNRS,Ministère de la Coopération, Paris, 1998.

(BURGEAP - 96)BURGEAP : Etude d’évaluation et de formulationdes actions à entreprendre pour le programmed’hydraulique rurale et semi-urbaine, VIIIe FED,République de Guinée Bissau, 1996.

(Clastres - 80)Clastres P., Recherches d’anthropologie politique,Le Seuil, 1980.

(Coquery-Vidrovitch - 94.1)Coquery-Vidrovitch C., Les Africaines : histoire desfemmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle, Ed.Desjonquères, 1994.

Conclusions

Bibliographie du chapitre 2

Page 42: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

4 2 Eau, genre et développement durable

(Coquery-Vidrovitch - 94.2)Coquery-Vidrovitch C., Femmes africaines : Histoireet développement in Questions de développement :nouvelles approches et enjeux, L’Harmattan, 1994.

(Diaw - 97)Diaw B., Filles et employées de maison au Séné-gal : une double vie ardue, Environnement Africain,n° 39-40, ENDA, Dakar, 1997.

(Droy - 1990)Droy I., Femmes et développement rural, Karthala,1990.

(FemConsult - 90)FEMCONSULT, BMB., Evaluation thématique del’intégration des femmes dans le développementrural, novembre 1990.

(Guengant - 85)Guengant P.P., Etude des enjeux des aménage-ments hydrauliques dans l’Ouest du Burkina Faso,ou comment les modèles culturels des ONGconduisent les paysans à jouer au jeu de l’oie », in« L’eau, quels enjeux pour les sociétés rurales ?»,Ed. L’Harmattan, 1985.

(Henry - 88)Henry A., Le développement économique est-il res-pectueux de la parole des ancêtres ?, Annales desMines, série Gérer et comprendre, n° 12, septembre1988.

(InterAction Design - 91)Résultats des études socio-économiques et de laconsommation d’eau potable dans les trois grandsvillages Mokko, Dogon Kiria et Koré Mairoua(Niger), Conseil de l’Entente / Pays-Bas, 1991.

(Locoh - 95)Locoh T., Familles africaines, population et qualitéde la vie, CEPED, n° 31, mars 1995.

(Locoh - 2001)Locoh T., Genre, population et développementdans les pays du Sud, état des lieux et perspec-tives, in Bozon M. et Locoh T. (dir.), Rapports degenre et questions de population. II. Genre, popu-

lation et développement, INED, Dossiers et Recher-ches n° 85, août 2000.

(Mandjou - 2000)Mandjou C., citée par Lequeret E, in Le mondediplomatique, janvier 2000.

(Masson et al. - 97)Masson J.L., Segbenou R. et Zahiri N., Réussir laformation des femmes, INADES Formation.1997.

(Meillassoux - 92)Meillassoux C., Femmes, greniers et capitaux,L’Harmattan, 1992.

(Monimart - 91)Monimart M., Les femmes et la restauration del’équilibre socio-écologique au Sahel, in ”Femmesdu Sahel : la désertification au quotidien”, Karthala,OCDE/Club du Sahel. 1991.

(Olivier de Sardan - 84)Olivier de Sardan J. P., Les sociétés songhai-zarma(Niger-Mali).Chefs, guerriers, esclaves, paysans…,Karthala, 1984.

(Riss - 89)Riss M.D., Femmes africaines en milieu rural, L’Har-mattan, 1989.

(Reverdy - 79)Reverdy P., Coopérative et développement enAfrique sahélienne, Université de Sherbrooke, 1979.

(Sékou et Associés - 2000)Cabinet Sékou et Associés, Etude de base sur l’étatsanitaire des populations de la Communauté Urbai-ne de Niamey. Programme de réhabilitation desinfrastructures, Bureau national de coordination,cabinet du Premier ministre, Niamey, 2000.

Page 43: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

L’analyse de la production domestique, auregard des théories économiques, débouche surune opposition entre le travail dit « improductif -reproductif » pour les anglophones, qui concernel’entretien et la reproduction de la cellule familiale,et les activités productives.

Marquées d’une dimension culturelle et symbo-lique, les tâches domestiques établissent clairementla séparation entre le groupe des hommes et celuides femmes. Les activités des femmes, assimiléesau travail ménager « improductif » et donc dévalo-risées, entérinent la coupure entre sphère producti-ve et sphère domestique.

Une grande part de leur travail échappe ainsiaux enregistrements comptables effectués par lessystèmes de comptabilité nationale. Il a par exem-ple été estimé que près de 60 % des activités fémi-nines ne sont pas comptabilisées par le systèmekenyan, contre 24 % seulement des activités mas-culines (Banque mondiale - 99). Pourtant, de nom-breuses études ont montré que les femmes tra-vaillent davantage que les hommes dans l’en-semble des pays d’Afrique Subsaharienne (voirfigure 1 ci-après).

De surcroît, les enfants sont étroitement intégrésaux systèmes de production domestique et lesmodèles qui désavantagent les petites filles débu-tent très tôt. Les ménages pauvres mobilisent la

force de travail de leurs enfants et, si les garçonssont aussi mis à contribution, il n’en reste pas moinsque les corvées domestiques, notamment le trans-port de l’eau et du combustible, représentent l’undes facteurs limitant la scolarisation des filles(Banque mondiale- 1999).

Pourtant, les tâches domestiques consommentbeaucoup de temps et d’énergie. En milieu rural etdans certains centres semi-urbains, quatre activitésmobilisent le « budget temps » qui leur est consa-cré : la collecte de l’eau, la recherche de bois dechauffage, le pilage des céréales ou des tuberculeset la préparation des repas. Parmi ces quatre acti-vités, les deux premières, qui représentent les tâchesde transport, sont les plus lourdes. L’inégalité de leurrépartition selon le genre peut être appréciée à tra-vers la figure 2 ci-dessous (Barwell - 96).

Celle-ci montre ainsi à partir d’études de cas(Zambie, Ouganda et Burkina Faso) que chaquefemme transporte en moyenne chaque année,selon les pays, l’équivalent de 10 à 40 tonnesd’eau et de bois de chauffage sur un kilomètre, soit3 à 7 fois plus que la charge de transport dévolueaux hommes.

D’autres enquêtes menées en milieu rural auGhana et en Tanzanie ont montré que les femmespassent presque trois fois plus de temps que leshommes aux activités de transport et que les

La place des femmes dans les projets d’hydraul ique 4 3

3. Gestion domestiquede l’eau et de l’assainissement

1. Introduction : économie domestique et genre

Page 44: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

4 4 Eau, genre et développement durable

FIGURE 1. Nombre d'heures productives par jour selon le sexe.

FIGURE 2. Comparaison des charges de transport hommes-femmes (en t/km par an)

Sources : Brown et Haddad, 1995 ; Banque mondiale, 1993b ; Saito et al, 1994

0

5

10

15

20

25

30

35

40

Zambie I

Zambie II

Ouganda

Burkina I

Burkina II

Femmes Hommes

0

3

6

9

12

15Bo

tsw

ana

Burk

ina

Cen

traf

riqu

e

Côt

ed'

Ivoi

re

Nig

eria

Keny

a

Tanz

anie

Oug

anda

Zam

bie

Femmes Hommes

Source : Barwell, 1996

Page 45: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

charges transportées sont en moyenne quatre foissupérieures.

Pour donner un aperçu plus concret de la répar-tition quotidienne des tâches domestiques, exami-nons le tableau 1 (cf. double page suivante). Celui-ci rend compte de l’emploi du temps d’un ménagepolygame1 dans un centre semi-urbain burkinabépendant la saison sèche et l’hivernage (Zuidburg -96) : la corvée d’eau, qui ne concerne que lesépouses du chef de ménage, occupe une placeimportante, même si ces dernières s’organisententre elles pour répartir les tâches domestiques.

Notons au passage que, pendant l’hivernage,les femmes se lèvent très tôt pour cultiver leurschamps personnels avant d’aller cultiver celui deleur mari. Les revenus provenant de cette activitésupplémentaire (champs personnels) contribuent àun certain nombre de dépenses telles que l’alimen-tation, l’eau, le bois, etc.

L’approvisionnement en eau de la famille et l’as-sainissement de son habitat tiennent donc une gran-de place dans les activités des femmes d’Afriquesubsaharienne. De sorte que tout projet relatif à cesecteur doit être à l’écoute des demandes d’amé-lioration exprimées par ces dernières, qu’il s’agissedes activités domestiques ou collectives.

• Les activités domestiques circonscrites auxusages de l’eau sont le puisage et le portage del’eau, la cuisine, la vaisselle, la toilette, la lessive(généralement effectuée hors de la concession) etl’abreuvement des animaux.

En matière d’approvisionnement en eaupotable, plusieurs recherches, à travers des étudesde cas et des enquêtes quantitatives auprès desménages, hommes et femmes, se sont penchéesces dernières années sur les pratiques, les compor-tements, les attitudes, les opinions et la demandedes ménages et des individus.

Deux programmes en relèvent notamment, l’unentrepris par une équipe de la Banque mondialeentre 1987 et 1990 sur les déterminants de lademande en eau dans des régions rurales d’Amé-rique latine, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est (WaterDemand Research Team - 93), le second par leCERGRENE et le BURGEAP entre 1994 et 1996sur différents petits centres et villes de cinq paysd’Afrique de l’Ouest : le Niger, la Guinée, leBénin, le Mali et le Burkina Faso2. Ce sont les prin-

cipaux résultats acquis par ces recherches du pointde vue de l’analyse « genre » qui, pour l’essentiel,illustrent les propos du § 2.

• Davantage liées à l’environnement collectif,d’autres tâches (qui n’apparaissent pas dans letableau 1) sont assumées par les femmes. Il s’agitnotamment de l’entretien des périmètres bordantles concessions, ainsi que la collecte et la vidangedes déchets solides (ordures ménagères) ouliquides (eaux usées). Au contraire de l’approvision-nement en eau potable, l’assainissement domesti-que des eaux usées et des excrétas est rarementressenti comme un besoin prioritaire. La plupart desgens ignorent que de médiocres conditions d’as-sainissement sont sources de nombreuses mala-dies. De ce fait, les méthodes recommandées enmatière de traitement des excrétas sont mal accep-tées et appliquées, tant au plan national que com-munautaire.

La mobilisation des politiques nationales, desbailleurs de fonds et de la communauté scienti-fique internationale, n’a pas non plus été aussiintense dans ce secteur que dans celui de l’ali-mentation en eau potable, ce qui se traduit par undéficit d’études, de rapports et de données chif-frées concernant les pratiques, les comportementset les attitudes individuelles et domestiques en lamatière.

Le § 3 explorera les connaissances acquises, ens’appuyant essentiellement sur quelques mo-nographies réalisées, notamment à partir d’entre-tiens et d’enquêtes ménages entreprises à l’occa-sion de projets d’amélioration de l’assainissementou de l’environnement urbain, et qui offrent l’avan-tage de fournir des données quantitatives ventiléespar sexe notamment, mais aussi par âge, par caté-gories sociales, etc.

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 4 5

1 Pour la définition à laquelle nous nous référons quant au terme”ménage”, se reporter au chapitre 2, § 2.1. « La famille, uneentité multiforme ».2 Voir BURGEAP - 96, Morel à l’Huissier et Verdeil - 96, Etienneet Morel à l’Huissier - 97, Morel à l’Huissier et al. - 97 et Etien-ne - 98. Les villes et petits centres étudiés dans ces recherchesBURGEAP/CERGRENE sont les suivants. Au Bénin : Ouegbo,Toffo, So-Zounko et Béroubouay. Au Niger : Foulan Koira, Gui-diguir et Bagueye. En Guinée : Mali, Labé, Koundara et Beyla.Au Mali : Kayes, Ségou et Mopti. Au Burkina Faso : Bobo Diou-lasso.

Page 46: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

4 6 La place des femmes dans les projets d’hydraul ique

TABLEAU 1. Emploi du temps d’un ménage polygame en zone semi-urbaine burkinabé

Homme

Femme 1

Femmes 2 et 3

Femme 4(tour de cuisine)

Homme

Femme 1

Femmes 2, 3 et 4

4 - 5 h

• Réveil• Libération du bétail et

des animaux

• Réveil• Balayage de la cour• Vaisselle

• Réveil• Préparer le dolo

• Réveil• Corvée de bois

• Réveil

• Réveil• Alimentation des porcs• Travaux champ

personnel

• Réveil • Travaux champ

personnel• Bain enfants

6 - 7 h

• Recherche de bois de chauffe pouralimenter la forge

• Puisage de l’eau• Nettoyage des jarres,

calebasses gobelets• Alimentation des porcs

• Préparer le dolo• Alimenter les porcs

• Corvée de bois

8 - 9 h

• Recherche de bois de chauffe pouralimenter la forge

• Cuisine

• Marché pour achats / ou lessive

• Retour corvée de bois• Marché pour achats

10 - 11 h

• Recherche de bois de chauffe pouralimenter la forge

• Repas• Pilage du mil• Corvée de bois

• Marché

• Retour marché

• Travaux champêtres

• Travaux champ époux

• Travaux champ époux

• Travaux champêtres

• Travaux champ époux

• Travaux champ époux

• Travaux champêtres

• Travaux champ époux

• Travaux champ époux

Pendant une journée en hivernage

Pendant une journée en saison sèche

Page 47: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 4 7

(suite tableau 1)

Sources : L. Zuidburg, 1996

12-13 h

• Retour corvée de bois• Repas

• Retour corvée de bois• Mouture de grains

• Marché

• Corvée d’eau et cuisine

14-15 h

• Allumage de foyer afin de produire du charbonde bois pour la forge

• Mouture de grains

• Marché

• Corvée d’eau

16-17 h

• Retour du travail du charbon

• Douche• Repas

• Corvée d’eau • Préparation de la sauce

et du tó• Vaisselle• Trempage du tamarin

• Marché

• Cuisine

18-19 h

• Entrée du bétail et de la volaille

• Repas

• Bain des enfants• Repas• Balayage de la maison• Causerie

• Bain des enfants• Bain • Repas

• Bain de l’époux et des enfants

• Bain • Repas

Nuit

• Causerie

• Causerie• Couchage des enfants

• Causerie

• Causerie

• Retour du champ• Repos• Douche

• Cuisine• Corvée d’eau• Bain enfant• Douche• Repas

• Corvée d’eau• Bain enfants• Douche

• Repas• Repos

• Repos• Repas• Travaux champ époux

• Repas• Repos

• Travaux champêtres

• Travaux champ époux

• Travaux champ époux

• Travaux champêtres

• Retour pour cuisine et corvée d’eau

• Travaux champ époux• Retour maison

• Repas

• Nettoyage maison• Coucher les enfants• Causerie

• Repas• Causerie

en hivernage

en saison sèche

Page 48: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

La « corvée d'eau » s’impose aux ménages nonraccordés à un réseau d'eau, dans un contexte oùles critères de choix d'une source d'approvisionne-ment en eau, qu’elle soit moderne ou traditionnelle,s’avèrent complexes, mais où deux facteurs déter-minants méritent d’être particulièrement analysés :le paiement de l'eau et la perception des relationsentre l’eau et la santé par les usagers.

2.1. La corvée d’eau

Les services de desserte d’eau courante à domi-cile se limitent, en Afrique de l’Ouest, aux grandeset moyennes agglomérations, et encore ces ser-vices ne touchent-ils généralement que la minoritédes ménages suffisamment aisés pour se permettrede débourser les frais nécessaires au raccordementde leurs habitations au réseau, qui représentententre deux et cinq mois de revenus moyens (Colli-gnon et Vézina - 2000).

Dans une grande partie des villes et à leur péri-phérie, en zone semi-urbaine et a fortiori en milieurural, les équipements modernes d’approvisionne-ment en eau n’offrent généralement qu’un niveaulimité de services collectifs (puits collectifs bétonnés,forages équipés de pompe manuelle ou à pied,bornes-fontaines sur réseau ou mini-réseau d’ad-duction, etc.). D’où le terme de « corvée d’eau »qui s’applique aux fréquents et parfois longs dépla-cements que nécessite le transport de l’eau.

Dans la majorité des cas, ce sont les femmeselles-mêmes ou les jeunes filles, plutôt que lesjeunes garçons, qui sont chargées de la collecte etdu transport de l’eau domestique. Elles se dépla-cent à pied et transportent des récipients souventtrès lourds sur leur tête.

En dehors des porteurs ou revendeurs d’eau,les hommes ne se rendent généralement au pointd’eau que pour répondre à des besoins nondomestiques : fabrication de briques ou alimenta-tion en eau du troupeau par exemple. Commel’illustre ce commentaire d’un usager3, ils disposentalors généralement d’un moyen de transport :

« C’est ma belle-fille qui est chargée du transport des seaux, mon filsva avec l’âne chercher l’eau pour les briques avec des bidons » (Guidi-guir, Niger).

Les éléments constitutifs de la corvée d’eau sontessentiellement :

• Le poids, les récipients utilisés pour transpor-ter l’eau domestique étant le plus souvent des seauxde 18 à 20 litres en matière plastique et démunisde couvercle. Les femmes utilisent aussi des bas-sines dont le volume peut aller jusqu’à 35 litres. Lesenquêtes ménages menées par J. Etienne et A.Morel à l'Huissier auprès de 1106 ménages répar-

4 8 Eau, genre et développement durable

2. Les pratiques d’approvisionnement en eau des ménages

La corvée d’eau à Mokko (Niger)

A Mokko, au Niger, la corvée d’eau pour la consommation duménage repose uniquement sur les femmes. L’homme djerma nepuise jamais. Les hommes peul le font seulement pour abreuver lebétail ou pour échanger l’eau contre du son de mil avec les femmesde Mokko. Les hommes sont responsables de l’entretien des puits,en particulier du désensablement. Les femmes payent elles-mêmesla puisette, la corde et les récipients pour le transport de l’eau pui-sée ainsi que les canaris pour le stockage.

La corvée consiste à hisser l’eau du puits qui se trouve à 55 mètresde profondeur et la transporter dans un récipient d’environ 25litres. Le puisage de cette quantité, qui correspond à l’utilisationjournalière d’une seule personne, prend entre 15 et 25 minutes. Lepuisage pour un ménage, qui comprend en moyenne 6 personnes,peut prendre 2,5 heures par jour, et ce uniquement pour une utili-sation domestique !

Source : InterAction Design - 91

3 La majorité des commentaires cités dans ce chapitre a étérecueillie par J. Etienne. Un certain nombre concernant le Maliest extrait de Bouju et al. - 98.

Page 49: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

tis dans quatre pays montrent que la moitié desfamilles ramène plus de six récipients par jour. Leurvolume moyen s’établissant à 30 litres, ce sont doncprès de 200 kg qui sont acheminés quotidiennementau foyer par les femmes et les jeunes filles.

• Les distances parcourues4 : elles sont de 200mètres en moyenne sur l’ensemble des petitscentres nigériens, guinéens et béninois et de 115mètres pour les ménages non raccordés des troisvilles maliennes, mais les valeurs varient par site (de65 m à Mopti jusqu’à 400 m à Ouegbo) en fonc-tion de la densité des bornes-fontaines5. La moitiédes distances parcourues est toutefois supérieure à100 mètres environ. En milieu rural, ces distancessont fréquemment plus longues, surtout en fin de sai-son sèche lorsque les puits tarissent. Les distancesparcourues peuvent alors dépasser plusieurs kilo-mètres par jour. De plus, le faible débit de certainspoints d’eau occasionne de longues files d’attente.Dans le cas où le village dispose d’une pompe, l’ap-provisionnement en eau peut être plus régulier et lesdistances à parcourir sont souvent sensiblementréduites. Le temps libéré par une attente et un tempsde portage moindre permet aux femmes de se consa-crer à d’autres activités, rémunératrices ou pas6.

• Le temps d’attente : dans les centres urbains,il peut également être important aux bornes-fon-taines, les pratiques domestiques (toilette, prépara-tion des repas, etc.) conduisant les ménagères às’approvisionner aux même heures : le matin, géné-ralement entre 7 h et 9 h et le soir après 17 h. Letemps d’attente sur l’ensemble des petits centres etvilles étudiés s’établit à 10 minutes pour plus de lamoitié des ménages. Comme pour les distancesparcourues, le temps d’attente moyen, de 23minutes pour l’ensemble des sites, est beaucoup

plus long dans les petits centres (42 mn) que dansles villes (11 mn) du fait d’une moindre densité desbornes-fontaines.

Contrairement à l’idée fréquemment avancéeselon laquelle les femmes chercheraient à se retrou-ver au point d’eau pour sortir de leur isolement etdiscuter loin de leurs maris, les longs temps d’at-tente sont à l’origine de conflits voire de bagarresdans les files d’attente, plus souvent d’ailleurs enville, où les femmes se connaissent moins bien etdisposent de moins de temps, que dans les centressemi-urbains. Le tableau 2 page suivante reprendles commentaires de ménagères à propos desinconvénients de la corvée d’eau tels qu’ils ont étérapportés lors d’une enquête effectuée dans descentres semi-urbains nigériens (InterAction Design -91). Dans cet exemple, les femmes vont chercherl’eau aux puits mais les inconvénients cités se rap-portant au transport de l’eau demeurent vrais pourla collecte de l’eau aux bornes-fontaines.

• En milieu urbain, et de façon beaucoup plusoccasionnelle dans les centres semi-urbains etruraux, certains foyers recourent à un « porteur » ouà un « revendeur »7 (voir tableau 3 page suivante).

« Quand je sens la paresse, ce sont les revendeurs qui m’apportentl’eau » (commentaire recueilli à Guidigir, Niger).

Les foyers aisés et les femmes commerçantes(occupées à la vente des produits alimentaires sur lesmarchés) ou qui n’ont pas d’enfants pour les aider,ont principalement recours aux porteurs d’eau. Dufait qu’elles ne peuvent sortir de chez elles, lesfemmes cloîtrées (cas particulièrement répandu auNiger) font également appel à leurs services.

En moyenne, dans les petits bourgs et les quar-tiers périurbains étudiés au Niger, au Bénin et enGuinée, 80 % des usagers des points d’eau ne fontjamais appel aux porteurs d’eau, 13 % de tempsen temps et 7 % de façon régulière (J. Etienne -1997).

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 4 9

4 Toutes les distances mentionnées dans ce chapitre correspon-dent à celles qui séparent le domicile du point d’eau. Les dis-tances effectivement parcourues sont donc deux fois plus éle-vées.5 Le calcul des charges d’eau transportées, compte tenu des élé-ments obtenus sur ces études de cas (200 kg/jour sur une dis-tance de 230 à 400 mètres aller-retour soit 18 à 29 tonnes/kmpar an) confirme les ordres de grandeur cités par l’étude men-tionnée en introduction (Barwell - 96, voir figure 2).6 IRC. Dédougou,1992.

7 A ce terme fréquemment employé, nous préférons celui de« revendeur livreur », de façon à ne pas le confondre avec celuidésignant les revendeurs de voisinage, abonnés connectés auréseau de distribution revendant l’eau à leurs voisins qui viennents’approvisionner chez eux.

Page 50: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

TABLEAU 2. Inconvénients et conséquences.de la corvée d’eau évoquéspar les femmes en milieu semi urbain au Niger

TABLEAU 3. Ménages recourant aux revendeurs livreurs selon le type d'urbanisation

Dans les trois villes maliennes précitées, ces pro-portions moyennes se montent respectivement à66 %, 21% et 13 %. En fonction de la distancequ’ils parcourent et du degré de pénurie d’eau, lesporteurs d’eau multiplient jusqu’à dix fois le prix del’eau à la borne-fontaine. Ce surcoût explique quela distribution d’eau par porteur demeure un servi-ce réservé aux foyers les plus aisés, à condition tou-tefois que ceux-ci ne disposent pas de femmes dis-ponibles en nombre suffisant pour assurer la corvéed’eau9.

« Les porteurs d’eau vendent 50 F les deux touques (2 x 18 litres) maisquand il y a une coupure d’électricité, ils les vendent 75 F. Les porteurs ven-dent 50 F ou 75 F selon la distance qui te sépare du point d’eau. Les prixpratiqués par les porteurs sont très chers : ils achètent l’eau à 5 F pour larevendre 25 F ; le mercredi (jour de marché) les deux jerricanes coûtent50 F » (différents commentaires recueillis à Foulan Koira et à Guidiguir, auNiger).

5 0 Eau, genre et développement durable

Recours à des revendeurs

Type d'urbanisation Jamais Parfois Régulièrement

Petit centre 91 % 4 % 5 %

Ville/Quartier central 68 % 21 % 10 %

Ville/Quartier périphérique 57 % 26 % 18 %

Ensemble : effectifs 750 192 110Ensemble : pourcentages 71 % 18 % 11 %

INCONVÉNIENTS % DE FEMMES CONSÉQUENCES % DE FEMMES

Pendant le puisage

La grande profondeur 64 Perte de temps 30

Le tarissement 38 Insuffisance d’eau 29

Le manque de puisette 30 Fréquemment malade de « la corvée » 21

Le poids de l’eau 27 Mains déchirées 20

Le temps d’attente 2 Fatigue 14

Pendant le transport

Le poids sur la tête 38 Maux de tête, de dos 13

(Dé)charger la charrette 2 Perte de temps et d’énergie 15

La pollution de l’eau 2

Source : InterAction Design - 1991

BURGEAP - 1996 et A. Morel à l'Huissier et al. - 1997 8

8 Cf. la note n° 2 pour la liste des zones d’étude.9 Voir infra chapitre 3, § 2.3. “Le paiement partagé de l’eau”.

Page 51: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

2.2. Les critères de choix d'une sourced'approvisionnement en eau potable

Les populations recourent encore fréquemmentaux sources d’approvisionnement traditionnellescomme les puits, les rivières, les marigots ou bienencore le recueil des eaux de pluie, y compris dansles villes. Ces modes d’approvisionnement, parfoisqualifiés d’alternatifs, sont cependant plus ou moinsrépandus ou sollicités selon les conditions hydro-géologiques et climatiques locales qui peuventinfluer sur leur plus ou moins grande abondance etleur disponibilité au long de l’année.

En remplacement ou en complément de cesmoyens traditionnels, de nombreux équipementsmodernes (puits modernes, forages équipés depompes à motricité humaine ou motorisées, bornes-fontaines...) ont été installés. Les familles ont ainsithéoriquement le choix entre maintenir leurs pra-tiques anciennes d’approvisionnement en eau ouutiliser le nouveau système, généralement payantlorsqu’il est mécanisé, sauf bien entendu lorsquel’accès aux points d’eau traditionnels est trop diffi-cile ou trop aléatoire, la question du choix, alors,ne se posant pas :

« L’eau de la borne-fontaine est la seule que l’on puisse avoir facilementcar les puits tarissent pendant la saison sèche et les mares les envahis-sent pendant la saison des pluies » (Propos recueillis à Bagueye auNiger).

De multiples critères fondent, en réalité, leschoix individuels vis-à-vis de l’approvisionnementauprès des équipements modernes,

– qu’ils tiennent à l’offre : on peut citer la régu-larité de l’approvisionnement mais aussi la qualitéde l’eau, et les facteurs touchant à la corvée d’eaucomme l’éloignement et le temps d’attente au lieud’approvisionnement,

– ou à la demande : on peut constater l’agré-gation de divers facteurs tels que le niveau de sco-larisation, la conception qu’on se fait de son rangsocial, le type d’activité socioprofessionnelle prati-quée, l’intériorisation des valeurs d’hygiène, legoût, les conceptions culturelles associées à la pro-preté et les moyens financiers dont on disposeeffectivement (Bouju et al. - 98) :

« S’il y avait des puits collectifs ou des mares, je prendrais toute moneau sur ces points d’eau car je n’ai pas d’argent » (commentairerecueilli à Foulan Koira au Niger).

Une étude menée en Guinée Conakry10 et enmilieu rural montre que certains groupes refusentd’utiliser l’eau du forage parce qu’ils se sententexclus de sa gestion ou qu’ils s’estiment victimesd’une discrimination. Conscients des consé-quences d’un tel refus sur leur santé, ils affirmentavec force « que le comportement de ceux quicontrôlent le point d’eau fait que nous boirons avecnos familles de l’eau qui nous rendra malade ! ».

Cette discrimination est vécue de différentesfaçons. Certaines femmes, arrivées pourtant lespremières, doivent d’une part attendre que cellesqui font partie du groupe contrôlant le point d’eauaient terminé de puiser pour s’approvisionner àleur tour ; pour des raisons de préséance similaire,les enfants de certaines familles n’ont pas le droitd’aller seuls puiser l’eau.

D’autre part, n’ayant pu participer aux déci-sions prises lors de l’implantation du nouveau pointd’eau, une grande partie de la population en estde fait exclue à cause de son éloignement. Audébut des enquêtes, le goût de l’eau de forage(considérée comme salée, ou moins douce quel’eau d’un puits) était souvent cité comme respon-sable de la non-utilisation du nouveau point d’eauou de la non-volonté de participer à son finance-ment. Cette assertion a été contredite par la suite,une fois les véritables raisons identifiées.

• Pour ce qui concerne l’offre, plusieurs étudesont tenté d'analyser et d'établir une typologie desprincipaux critères de choix entre différentessources d’approvisionnement en eau.

A Bandiagara et Koro, au Mali (Bouju et al. -98), le temps d’attente est majoritairement présentécomme l’un des premiers critères.

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 5 1

10 P. Revaud.

Page 52: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

« Avec la borne-fontaine nous sommes moins fatiguées, c’est vrai, maisavec le robinet11 c’est le rang12 et souvent la rupture13 qui fatiguent.Surrtout en cette période de chaleur, ce n’est pas facile d’avoir de l’eauau robinet : il faut faire le rang la nuit, avant le lever du jour ».

Mais le choix d’une source d’approvisionne-ment en eau dépend aussi souvent de l’usage quiva en être fait, alimentaire ou non. Les propos sui-vants, qui illustrent en outre l’importance accordéeà la qualité de l’eau de boisson14, abondent dansce sens :

« Je ne vais jamais à la borne-fontaine : je vais au puits pour la lessi-ve, la cuisine et la toilette et le porteur d’eau nous amène chaque matinquatre jerricans pour la boisson. L’eau de la borne-fontaine, c’est sur-tout pour la boisson, mais pour le bétail et la lessive, on utilise l’eau dupuits ».15

« Il paraît que l’eau du robinet est meilleure et traitée. Mais si tu faisattention il y a des débris, on dirait que l’eau devient « rouge » : ça veutdire que dans cette eau il y a de l’impropreté ! » .16

Notons dans ce dernier commentaire que l’em-ploi du « il paraît » pour signifier que l’eau de laborne-fontaine est de bonne qualité illustre le faitque si les ménages sont informés des avantagessanitaires à consommer l’eau des bornes-fontaines,ils n’en sont pas forcément convaincus.

Le critère de qualité, associé à la notion d’usage,ne vaut pas que pour la boisson. En matière de les-sive par exemple, l’eau de certaines bornes-fontainesest jugée impropre, car elle ne « mousse » pas :

« Pour faire la lessive, nous allons ailleurs chercher une eau à un puitsd’une extrême douceur. Pour la lessive, l’eau de notre puits est un peu

comme celle du robinet : elle coupe les mousses et donc elle consommeplus de savon que celle que nous cherchons ailleurs » (propos recueillisà Koro).

En fait, l’alternance entre différents points decollecte de l’eau est fréquemment de mise, notam-ment en fonction des saisons ou des disponibilitésfinancières :

« Moi, je prends l’eau tantôt à la borne-fontaine (en saison sèche), tan-tôt au puits. Mais pendant l’hivernage, quand les premières pluies ontévacué toutes les saletés et petites maladies du marigot, je me sers là-bas et puis après les pluies, quand l’eau commence à « se sécher » à larivière, nous creusons des séanes (les « boy boy »). Leur eau est tout àfait claire sans saleté » (propos recueillis à Bandiagara).17

En apportant quelques nuances, moins surl’énoncé des critères que sur leur ordre de priorité,l’étude menée dans quatre centres semi-urbains auBénin (BURGEAP - 96) corrobore les analyses pré-cédentes et les réponses des personnes interrogéessur les raisons du choix des points d’eau qu’ils uti-lisent sont assez homogènes. Outre la question dela qualité de l’eau déjà évoquée, le problème dela distance des bornes-fontaines aux habitations estévoqué systématiquement :

« Pendant la saison sèche, nous prenons l’eau de la pompe mais pen-dant la saison des pluies, nous n’utilisons que l’eau de la citerne parceque la borne-fontaine est très loin de nous et très sale » (commentairerecueilli à Toffo).

En revanche, le prix de l’eau aux bornes-fon-taines, qui varie de 200 à 550 F CFA/m3 selonles sites (parfois aussi selon les récipients), ne paraîtpas ici une entrave au recours à la borne-fontaine.Le prix est considéré comme normal ou bon marchépar la majorité des ménages, bien que l’opinion àcet égard diffère suivant le genre18.

Le temps d’attente au point d’eau, et plus préci-sément la disponibilité de la ressource, concernenotamment les réseaux équipés d’un générateursolaire, lorsque la demande est importante : cer-

5 2 Eau, genre et développement durable

11 La borne-fontaine.12 La file d’attente.13 Les arrêts de distribution dus vraisemblablement à un mauvaisdimensionnement du système solaire d’approvisionnement en eau.14 La perception traditionnelle de la qualité de l’eau par les usa-gers est analysée plus loin § 2.4.15 Propos recueillis par J. Etienne respectivement à Guidiguir età Bagueye au Niger.16 Propos recueillis à Bandiagara par Bouju et al. - 98.

17 J. Bouju remarque que cette attitude réduit considérablementl’impact sanitaire du point d’eau moderne.18 Voir infra § 2.3. « Le paiement partagé de l’eau ».

Page 53: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

taines utilisatrices regrettent la pompe manuelle quipermettait de choisir l’heure de collecte.

S’agissant des variations saisonnières, l'exemplede Béroubouay confirme les pratiques d'alternanceentre les sources d'approvisionnement en eau : lebourg dispose de deux mini-adductions d’eau ali-mentées par l’énergie solaire totalisant sept bornes-fontaines, une pompe manuelle, trois puits cimentésde grand diamètre ainsi que quelques puits priva-tifs. En saison sèche, presque tous les ménagess’approvisionnent aux bornes-fontaines (86 %) pourla boisson, et la moitié d’entre eux utilise aussi l’eaudes bornes-fontaines pour la lessive. En saison despluies, 53 % seulement continuent à s’alimenter auxbornes-fontaines pour la boisson.

Les autres collectent l’eau aux puits (31 %) ourecueillent l’eau de pluie dans des fûts ou des bas-sines (10 %), les citernes étant très peu dévelop-pées dans cette région (2 %) ; 4 % continuent des’approvisionner au marigot.

• Pour ce qui concerne la demande, desrecherches ont tenté de hiérarchiser les facteursdéterminant le choix d’un mode d’approvisionne-ment en eau domestique.

Ainsi, l’analyse des modes d’approvisionne-ment en eau à Ukunda (Kenya) illustre la manièredont une famille de ce village décide d’acheterl’eau à une borne-fontaine plutôt qu’à un revendeurlivreur à domicile, ou plutôt que de la tirer d’unpuits (Mu et al. - 90). Les familles plus aisées, d’unmeilleur niveau d’éducation ou comptant davanta-ge de femmes, utilisent plus volontiers la borne-fon-taine. Les bornes-fontaines sont davantage utiliséeslorsque les sources alternatives (puits et revendeurslivreurs) sont plus chères, plus éloignées, ou four-nissent une eau de moins bonne qualité ; elles sontmoins utilisées lorsque la distance à parcourir pours’y approvisionner ou le prix de vente qui y est pra-tiqué augmentent et lorsque le goût de l’eau qu’ony délivre est moins apprécié.

Dans le même programme de recherche de laWater Demand Research Team de la Banque mon-diale, une étude similaire a été menée à Onitshaau Nigeria (Whittington et al. - 89) :

L’analyse du comportement des habitants de cepetit centre, face au choix de s’approvisionner à unpuits, à un kiosque ou auprès d’un revendeur,montre que :

– un goût de l’eau du puits jugé acceptable faitdiminuer significativement la probabilité d’acheterl’eau aux revendeurs ou à la borne-fontaine ;

– les revenus n’ont pas d’effet significatif sur laprobabilité de choix ;

– plus le niveau de scolarité est élevé, moins ilest probable que le ménage utilise le puits ;

– plus le temps de collecte (de parcours) estimportant pour une source d’approvisionnement,moins il est probable qu’un ménage l’utilise ;

– plus le nombre de femmes dans le ménageest élevé, moins il est probable que ce dernierachète l’eau à un revendeur livreur.

Dans ces deux études sur Ukunda et Onistsha,seules deux variables communes se révèlent significa-tives dans le choix du mode d’approvisionnement :

– l’une relative aux caractéristiques des pointsd’eau : le temps de parcours, c’est-à-dire l’éloigne-ment relatif des sources d’approvisionnement lesunes par rapport aux autres ;

– l’autre liée aux caractéristiques du ménage :le nombre de femmes dans le ménage.

La main-d’œuvre féminine disponible pour lacorvée d’eau est un critère de segmentation19 de lademande. L'étude Burgeap/Cergrene, sur la based’enquêtes portant sur des villes et petits centresdans quatre pays (cf. supra), montre que la proba-bilité de recourir à des revendeurs livreurs augmen-te significativement avec les revenus du ménage20

ou lorsque le recours aux autres modes d’approvi-sionnement (bornes-fontaines ou sources tradition-nelles) est plus difficile (faible pluviométrie, pasd’autres alternatives que les bornes-fontaines,bornes-fontaines éloignées), ou bien encore lorsquele chef de ménage est veuf(ve) ou célibataire.Comme dans les études de la Water ResearchTeam, elle met aussi en évidence la diminutionsignificative de cette probabilité avec le nombre defemmes dans le ménage. Elle montre enfin quecette probabilité est plus élevée dans les quartierscentraux des villes que dans les petits centres, et

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 5 3

19 Le concept de « segment », issu du marketing, désigne ungroupe socio-économique homogène du point de vue de lademande. Ainsi, « segmenter un marché » consiste à déterminerles catégories de population ayant des demandes distinctespour un bien ou un service.20 Mesuré par un indicateur de richesse construit à partir dedivers biens de consommation et d’équipement.

Page 54: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

s’accroît encore dans les quartiers périurbains(source : données enquêtes A. Morel à l’Huissier -J. Etienne).

L’analyse des données d’une enquête menée surBobo Dioulasso (Burkina Faso) en 1997 (Morel àl’Huissier - 1998) a permis d’établir que la présencede deux femmes ou de deux enfants supplémentairesdans le ménage diminue de 1,5 point la probabili-té que ce dernier recourt aux services d’un transpor-teur livreur, régulièrement ou non. Cette enquêteconfirme également que les ménages recourant plusvolontiers à ces services ne sont pas seulement plusdémunis en main d’œuvre disponible pour la corvéed’eau, mais aussi plus aisés : une augmentation de10 000 F CFA du revenu mensuel moyen d’unménage de Bobo accroît de deux points la proba-bilité que ce dernier recourt aux services d’un trans-porteur livreur, régulièrement ou non.

Ainsi, que ce soit en ville ou dans les petitscentres, l’influence de la main d’œuvre féminine estdéterminante dans le choix des habitants non rac-cordés de se faire livrer l’eau à domicile plutôt qued’aller s’approvisionner à la borne-fontaine.

Les ménages sont donc généralement confron-tés au choix parmi plusieurs sources possibles d’ap-provisionnement en eau et se déterminent en fonc-tion de trois ensembles de critères :

1. L’usage (ou les usages) auquel l’eau de cettesource d’approvisionnement est destinée ;

2. Les caractéristiques des sources d’approvi-sionnement disponibles (éloignement, prix de venteunitaire, qualité de l’eau délivrée) ;

3. Les caractéristiques du ménage et desmembres du ménage associés au choix, notam-ment de ceux qui en supportent le coût (les femmeschargées de la corvée d’eau et le chef du ménagesi celui-ci participe au paiement).

2.3. Le paiement partagé de l’eau

Coût de l’eau et budget domestique

A l’intérieur des communautés rurales, leséchanges économiques entre les hommes et lesfemmes sont complexes. Par exemple, les femmesreçoivent une part de mil en échange de leurs tra-vaux aux champs, qu’elles transforment et vendent

pour acheter des « condiments »21. Du fait de lapolygamie (entre autres), il n’y a pas de budgetdomestique commun : maris et femmes assumentséparément la charge de certaines dépenses, selonune répartition qui dépend de l’activité de chacun.

Le mari participe généralement aux dépenseseffectuées par sa (ses) femme(s) en leur donnant àchacune une somme hebdomadaire destinée àl’achat des condiments, du bois et de l’eau.

« Chaque semaine mon mari me donne 1 000 F CFA pour les condimentsparce que nous avons notre stock de mil pour l’année. Pour le bois, ilva en brousse et charge son âne. - Chaque matin mon mari me remet200 F CFA pour la nourriture et le pétrole. - Je soustrais l’argent del’eau dans les frais du condiment que mon mari me donne » (Proposrecueillis à Guidiguir au Niger).

Par ailleurs, dans la plupart des cas, le mari estchargé de l’achat des sacs de mil ou de maïs (unsac par mois pour une famille moyenne).

Notons que depuis plusieurs années les migra-tions, masculines surtout, bouleversent la répartitiondes obligations familiales. A Bagueye (au Niger)par exemple, les hommes valides partis travaillerdans les grandes agglomérations les plus prochesenvoient plus ou moins régulièrement de l’argent àleur famille :

« Mon mari est parti en exode, il m’envoie tous les trois mois la sommede 10 000 F CFA que je répartis entre les dépenses » (Propos recueillisà Foulan Koira au Niger).

Les budgets féminins et masculins sont donc leplus souvent clairement délimités dans le couple : àl’homme de fournir la nourriture de base, les vête-ments, les médicaments modernes. De son côté lafemme, lorsqu’elle a des ressources propres (dons,petit commerce, maraîchage, vente de produits decueillette…) les utilise selon les priorités qu’elle aelle-même définies.

L’installation dans les villages de points d’eaumodernes avec pompage mécanisé a nécessité lamise en place d’un système de recouvrement descoûts engendrés par le nouveau service d’approvi-

5 4 Eau, genre et développement durable

21 Le terme de « condiments » inclut tout ce qui permet de fairela sauce qui accompagne le mil ou le maïs.

Page 55: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

sionnement en eau. Tandis que la vente de l’eau,en zones urbaine et semi-urbaine, se pratiquegénéralement au volume, les villages connaissentaussi un système de cotisations par individu, parfoyer ou par famille. Dans ce dernier cas, ce sonten principe les hommes qui assurent le paiement,mais ce principe souffre de nombreuses exceptions(voir exemple du Niger ci-après).

A la question « qui paye l’eau », les quelquesexemples suivants, empruntés à diverses étudesmenées chacune sur un grand nombre de petitscentres d’un pays donné, montrent clairement…qu’il n’y a pas de règle générale :

Au Bénin, dans les petits centres équipés deréseaux d’adduction d’eau potable, les dépensespour l’achat de l’eau sont financées dans 40 % descas par la femme sur son budget propre, pour38 % des enquêtés par le mari seul et, dans les22 % des cas restants, l’eau est aussi bien payéepar l’homme que par la femme (BURGEAP - 96).

Au Niger, parmi 19 villages du département deTillabéri ayant bénéficié d’un programme de réha-bilitation des pompes à motricité humaine (PEM) audébut des années 90 avec le PRT22, trois modes depaiement de l’eau coexistent : cotisations23, paie-ment au seau en monnaie et paiement au seau ennature24.

La forme du paiement intervient dans le moded’imputation de la dépense : la cotisation est engénéral payée par les chefs de familles, le paie-ment du seau en numéraire est le plus souvent sup-porté par la femme sur son propre budget. Enfin lemil exigé en paiement est pris sur les rations jour-nalières données par le mari à son épouse (Olivierde Sardan et ElHadji Dagobi - 2000).25

En fait, notent les auteurs de cette étude, « le prixde l’eau prend place dans un espace intermédiaire(déjà existant pour les « condiments » qui améliorentune sauce de base), où, d’un village à l’autre, et

même d’une famille à l’autre, les usages diffèrent, etoù la marge de négociation est réelle. On retrouvela même indétermination sur la question du « prix dela farine », dans les villages où il y a des moulins :parfois le mari paye, parfois c’est la femme ».

En Guinée, les femmes, plus impliquées dansles activités agricoles et de commerce que dansl’Ouest du Niger, sont plus souvent mises à contri-bution pour le paiement des cotisations (Olivier deSardan et Diallo - 2000) :

« L’homme ne paye que quand sa femme n’a pas d’argent. Ce sont lesfemmes qui travaillent avec l’eau. Nous avons commencé par 500 F,ensuite 1 000 F et maintenant 2 000 F » (K.D., hygiéniste du forage deMadina Badiar).

« Ma femme paie plus régulièrement, moi je ne paie que de temps entemps, je suis cultivateur éleveur, ma femme vend des condiments pourla sauce » (M.K.D.trésorier du forage 1 de Kamabi).

« Nous payons 100 ou 200 F de temps en temps. Ce sont les femmesqui payent. C’est moi qui paie dans ma famille. Je vends des gâteaux,comme ce n’est que 100 ou 200 F, je n’ai pas besoin de demander àmon mari. » (R.D., trésorière du forage 3 de Kamabi).

Cependant, les hommes contribuent parfois,soit en même temps que les femmes, soit seuls :

« Quand le prix de la pièce est élevé, l’homme et la femme doiventpayer, sinon les pères de famille payent, cela ne dépasse pas 1 000 F parpère de famille » (O.B., président du CPE de Dow Saré à Foulamori).

« Pour la réparation de la première panne, nous les femmes, nousavions participé au paiement en cotisant 100 FG chacune. Mais pour ladeuxième panne, ce sont les hommes qui s’en sont occupés » (xx, Sin-thian Mody).

A Kamabi « l’instituteur et les fonctionnaires cotisent de 1 000 à 2 000 FGen cas de panne, alors que les autres villageois cotisent en moyenne400 FG… Des moments, on réclame 500 FG par personne. Si tu asdeux femmes, tu paies 500 FG et 1 000 FG pour les deux femmes, soit1 500 F » (M.F., instituteur).

La cotisation régulière à Fandadji est de 100francs par semaine et par femme. Si, en cas depanne, l’argent obtenu par les femmes n’est passuffisant pour réparer la pompe, alors les hommescotisent exceptionnellement.

Parfois aussi les hommes, initialement contribu-teurs, se sont ravisés et ont obligé les femmes àprendre leur relais :

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 5 5

22 Projet de Réhabilitation des pompes du département de Tilla-béri (1993-1997).23 Soit à l’avance (c’est-à-dire pour constituer une caisse demaintenance), soit après coup, « à la panne », lorsque celle-cisurvient.24 Un épi de mil ou une mesure de grains de mil (boite deconserve) pour un seau.25 Les citations qui suivent sont extraites de cette étude (Olivierde Sardan et Diallo - 2000).

Page 56: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

A Madina Badiar, les hommes versaient la coti-sation pour les réparations de la pompe puis ils ontdécidé que les femmes, étant plus nombreuses etprincipales utilisatrices du forage, devaient cotiserentre elles et ils ont cessé de cotiser. Deux groupesde cotisations, composés de femmes, ont été orga-nisés, l’un, à l’est du forage, l’autre, à l’ouest. Leprésident de district déclare que ce fut lui qui a eul’initiative de cette organisation.

« C’est 2 000 F par panne, ma femme paye. Elle fait la culture d’oi-gnons. Les hommes payaient au départ 2 000 F par personne aumoment des pannes. Mais ce sont les femmes qui utilisent plus l’eau, etcomme elles sont plus nombreuses que les hommes, nous nous sommesdit de laisser les femmes cotiser seules » (A.K.B., président du CPE deMadina Badiar).

En conclusion, parce que le principal intérêt del’achat de l’eau pour les femmes consiste en uneéconomie de temps et de fatigue, le rapport deforce conduisant à faire supporter le coût de l’eaupar la femme ou l’homme ou bien à le partagervarie selon les couples et selon les revenus de cha-cun (Olivier de Sardan et Diallo - 2000).

La volonté de payer varie selon le genre

Dans la recherche menée par la WaterDemand Research Team de la Banque mondiale,hommes et femmes ont été enquêtés dans quatreétudes d’évaluation contingentes26 de façon à tes-ter l’effet du sexe de l’enquêté sur le consentementdu ménage à payer pour des services en eau amé-liorés. Parce que les femmes supportent presqueuniversellement la tâche de la quête de l’eau, lessociologues qui étudient la gestion domestique del’eau supposent que les femmes attachent davanta-ge d’importance à la fourniture d’eau amélioréeque les hommes, et qu’elles seraient donc dispo-sées à payer plus pour de telles améliorations.Cependant, dans de nombreuses cultures, lesfemmes n’ont pas un contrôle équivalent à celui deshommes sur les ressources financières du ménageou y accèdent moins aisément.

Lorsqu’elle est interrogée sur ce que son ménageconsentirait à dépenser pour un approvisionnementamélioré, une femme peut être réticente ou inca-pable d’engager ainsi le ménage dans une obliga-tion financière substantielle, même si, à son avis,l’amélioration en vaudrait la dépense. De ce fait, lesens dans lequel le sexe peut influencer le consen-tement à payer des individus pour des services amé-liorés n’est pas ressorti clairement des enquêtes dela Water Demand Research Team de la Banquemondiale (Water Demand Research Team - 93).

Dans les quatre études d’évaluation contingenteoù cet effet a été testé, le sexe de l’enquêté s’estcependant avéré être un déterminant statistique-ment significatif. En Tanzanie et en Haïti, les enquê-tées se déclaraient disposées à payer davantagepour accéder aux bornes-fontaines que les enquê-tés, mais c’était le contraire au Nigeria et en Inde.

Au Nigeria, le consentement à payer desfemmes pour les bornes-fontaines et les branche-ments privatifs était inférieur de moitié à celui deshommes.

En d’autres termes, le sexe de l’enquêté paraîtavoir une influence importante dans le consentementà payer qu’expriment les ménages, mais le sens decet effet dépend du contexte culturel spécifique.

Le coût de l’eau pour les ménages, une appréciation différente suivant le genre

Le croisement entre le revenu des femmes etl’opinion de ces dernières concernant le prix nedonne pas de résultats significatifs, ce qui peut s’ex-pliquer de deux façons :

– la participation fréquente de l’époux au paie-ment de l’eau (voir ci-dessus) ;

– la fiabilité discutable des revenus déclaréspar les femmes, dont une partie notable est d’ori-gine non-monétaire.

En revanche, on observe une dépendance forteentre les revenus des hommes et leur opinion : au-delà d’un revenu mensuel de 50 000 F CFA, eneffet, les enquêtés masculins sont presque unanimesà considérer le prix de l’eau comme « normal » ou« bon marché », alors qu’en deçà de ce seuil,40 % d’entre eux le trouvent « cher » (Morel àl’Huissier - 97).

Il est par ailleurs intéressant de relever qu’à par-tir d’un revenu de l’ordre de 30 000 F CFA, le

5 6 Eau, genre et développement durable

26 On parle d’évaluation « contingente » de la demande lorsque leservice n’est pas encore disponible, c’est-à-dire « hypothétique ».

Page 57: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

montant des dépenses affectées à l’eau, et donc lesconsommations, augmente notablement. En deçà,on ne trouve pas de lien entre classes de revenus etclasses de dépenses. On peut donc considérerque, pour la moitié de la population la pluspauvre27, les dépenses consacrées à l’eau et lesconsommations sont indépendantes des revenus28.

Le pourcentage des revenus affecté à l’achat del’eau, encore appelé « taux d’effort », est enmoyenne égal à 3,6 % du revenu sur l’ensembledes quatre pays étudiés (Morel à l’Huissier et al -97). Il est plus important au Mali (4,3 %) où l’on atravaillé seulement sur des quartiers urbains et oùles consommations moyennes (donc les dépensesmensuelles pour l’eau) et les prix de vente unitairesde l’eau sont les plus élevés (tableau 4).

On a recherché le pourcentage du revenuaffecté à l’eau au-delà duquel, en moyenne, lesménages considèrent que le prix de vente de l’eauest « cher ». On a pu montrer que lorsque ce taux

d’effort dépasse 6,5 %, le prix est considérécomme cher (voir tableau 5).

Recherché sur l’ensemble des petits centres, cetaux d’effort maximum admissible y est sensible-ment plus élevé : 7,5 %, mais il est de l’ordre de4,5 % sur l’ensemble des villes maliennes.

Remarquons qu’on retrouve là une sorte deconfirmation a posteriori de l’idée courammentadmise et généralement érigée en norme, suivantlaquelle le taux d’effort maximal admissible pourl’eau serait de l’ordre de 5 % des revenus.

Cependant, selon que la personne enquêtée estun homme ou une femme, et ceci indépendammentdu fait que ce soit le mari ou l’épouse qui payel’eau, les résultats sont très différents : en moyenne,les hommes sont significativement plus nombreuxque les femmes (51 % au lieu de 31 %) à considé-rer que le prix de l’eau aux bornes-fontaines est bonmarché. Cela s’explique sans doute par les diffé-rences de revenus entre les hommes et les femmes,mais il est important de souligner que ce résultat estindépendant du payeur. P. Bussone, sociologue spé-cialiste du secteur AEPA en Afrique, suggère deuxéléments vraisemblables d’explication :

– même lorsqu’une certaine somme lui est verséepar son mari pour l’achat des « condiments » ou del’eau, c’est la femme qui demeure la gestionnaire desdépenses quotidiennes de la famille, confrontée auxarbitrages et à la rigueur comptable qu’impose l’étaudes faibles ressources monétaires et des multiplesbesoins à satisfaire. Cet élément d’explication suggè-rerait que l’on obtienne la même distorsion des opi-nions entre hommes et femmes vis-à-vis d’autres prixde biens ou services de consommation courante ;

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 5 7

27 La médiane des revenus s’établit pour l’ensemble des petitscentres et quartiers périurbains étudiés à 30 000 FCFA/mois28 Ces résultats concordent avec ceux de l’étude, courammentcitée comme référence sur la fonction de demande en eau dansles pays en développement (Katzman - 77), menée sur lesménages de Penang Island (Malaisie). Examinant l’effet du reve-nu sur les consommations en eau des ménages, à la fois sur dessites urbains et ruraux, tous connectés à un réseau d’alimentationen eau potable, Katzman établissait :– une élasticité nulle aux revenus pour les classes très pauvres etpauvres, soit pour les revenus inférieurs au revenu médian ;– une élasticité de 0,24 à 0,30 en passant des ménagespauvres aux ménages de revenus moyens supérieurs ;– une élasticité de 0,32 à 0,39 des revenus moyens supérieursà supérieurs.

Pays Bénin Niger Guinée Mali Ensemble

Taux d’effort moyen 2,2 % 1,4 % 2,4 % 4,3 % 3,6 %

Source : enquêtes Cergrene/Burgeap ; Morel à l’Huissier et al. - 97

Source : enquêtes Cergrene/Burgeap ; Morel à l’Huissier et al. - 97

TABLEAU 5. Seuil maximum admissible pour le paiement de l'eau aux points d’eau collectifs privés..ou publics

Petits centres (Niger, Bénin, Guinée) Villes maliennes Ensemble

Seuil miximal admissible 7,5 % 4,5 % 6,5 %

TABLEAU 4. Taux d’effort financier moyen par pays pour le paiement de l’eau aux points d’eau collectifs privés ou publics..

Page 58: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

– les femmes étant le plus souvent celles qui sontchargées de la corvée d’eau, l’appréciation qu’ellesportent sur le prix unitaire de l’eau vendue au pointd’eau intègre vraisemblablement d’autres élémentsconstitutifs du coût global d’accès à l’eau que leshommes n’ont pas à supporter, à savoir le tempspassé à la collecte et les efforts consacrés à trans-porter les récipients sur une certaine distance.

2.4. Perception traditionnelle des relations entrel’eau et la santé

Malgré les nombreux programmes d’aménage-ment hydraulique menés en Afrique subsaharienne,la perception traditionnelle des relations entre l’eauet la santé, de même que la terminologie dialecta-le ayant trait à l’eau, ont été peu étudiées. Mécon-nus, les termes locaux sont rarement traduits et lesenquêtes portant sur les comportements, les atti-tudes et les pratiques relatifs à la santé, se conten-tent le plus souvent de généralités. De même, laperception des nouveaux concepts introduits parles programmes de développement n’a jusqu’icifait l’objet d’aucune investigation. Les conclusionsdes rares études menées sur les relations entre l’eauet la santé aboutissent généralement à ces deuxseules considérations :

1) les populations souffrent d’un déficit deconnaissances sur le lien eau et santé29 ;

2) une éducation à l’hygiène, au niveau desfemmes notamment, s’impose. La réalité est bienentendu plus complexe.

D’abord, il n’y a pas une attitude, mais des atti-tudes, variables selon les groupes d’individus. Parexemple, des différences de comportement existent

entre générations et il est difficile d’affirmer quecelles-ci sont dues à une sensibilisation des plusjeunes, notamment dans les régions isolées quin’ont pas bénéficié d’animation sanitaire.

Ensuite, le manque d’analyse conduit à desinterprétations hâtives. Une enquête réalisée enGuinée30 en 1997 montre ainsi que, contraire-ment aux idées reçues, les femmes parlent plusvolontiers et de façon plus exhaustive des tech-niques de traitement de l’eau que les hommes.Cela ne signifie pas que les hommes ne lesconnaissent pas, mais plutôt qu’ils n’en sont pasdirectement responsables. Autre exemple, dans lecas d’épidémies liées à l’eau, les hommesconnaissent aussi bien que les femmes les mesuresà prendre et se sentent même parfois plus concer-nés par la nécessité par exemple de financerl’achat d’eau de Javel. Les mécanismes de conta-mination d’un point d’eau, notamment par le ruis-sellement d’une eau polluée, sont connus et rap-portés. Partout un vocabulaire précis sert à quali-fier l’eau, potable ou non31, d’abord en fonctionde son aspect visuel, et aussi d’après sa prove-nance. En Guinée encore, plusieurs termes dési-gnent différents aspects de l’eau, variant de l’eaulaiteuse, impropre à la consommation, à l’eau clai-re, considérée comme potable.

De nombreux éléments conduisent à la nécessi-té de reconsidérer les campagnes « d’éducation àla santé », focalisées le plus souvent sur la trans-mission d’informations déjà connues.

Dans les centres semi-urbains ou les quartierspériurbains, les caractéristiques visuelles et organo-leptiques (turbidité, goût, odeur) revêtent pour lespopulations une réelle importance. La présenced’un goût ferreux ou d’une couleur qui risquerait detacher le linge, ont parfois conduit à l’abandond’un point d’eau ; la turbidité de l’eau d’un foragepeut le condamner32.

5 8 Eau, genre et développement durable

29 Une enquête socio-économique réalisée dans le cadre de latroisième phase du Programme d’hydraulique villageoise duConseil de l’Entente financée par l’AFD au Niger, 1996-2001,citée par (Verdelhan-Cayre - 1998), relève qu’à la question « àquoi sont dues les maladies hydriques ? », posée dans un can-ton de l’arrondissement de Dosso :– pour le secteur de Mokko, une majorité a répondu au “vent”,à “la poussière”, à “Allah”, aux “génies”, une seule réponse (sur49) les imputant à l’eau ;– pour le secteur de Tiangalla, un grand nombre en ignore lescauses, mais 8 personnes (sur 43) les imputent à l’eau, 8 auxaliments, 3 au soleil, 3 à l’hygiène, 3 aux mouches et aux mous-tiques.

30 Programme d’hydraulique villageoise dans le Fouta Djallon,préfectures de Tougué et Labé, FED/SNAPE.31 Idem et Programme d’hydraulique villageoise au nord Bénin(Parakou, Atacora), Conseil de l’Entente / Direction régionalede l’hydraulique, 1996.32 L’opération qui consiste à souffler celui-ci (opération de décol-matage), voire à le désinfecter si cela est nécessaire, conduitgénéralement à sa réutilisation. Cela montre bien l’importanceaccordée à la qualité de l’eau d’un forage.

Page 59: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Au niveau du goût, depuis fort longtemps enAfrique de l’Ouest, des herbes odoriférantescomme le vétiver sont employées. Au-delà dusimple goût, il s’agit aussi de fournir des propriétésqui renforcent « la santé, voire la fertilité de l’eau ».

Certaines pratiques traditionnelles attestentd’une volonté de contrôler, pas seulement le goûtde l’eau, mais aussi sa qualité. En Afrique de l’Est,la graine de Moringa Oleifera est pilée puis immer-gée à l’aide d’un tissu pour accélérer la décanta-tion de l’eau. Les femmes, responsables de cetteopération, tournent une cuillère dans l’eau en répé-tant : « eau, purifie-toi ! ».

Des études ont mis en évidence l’activité bacté-riostatique (inhibant le développement des bacté-ries) de ce végétal. Malgré une large distributiondu Moringa sp. en région soudano-sahélienne, ilest à regretter que cette plante, de même quel’alun, également utile à la décantation, soit aussipeu utilisée.

En revanche, le filtrage avec un foulard, spé-cialement des eaux troubles et boueuses, est bienconnu des hommes et des femmes du Sahel. Sicette technique de lutte s’avère suffisante contre ladracunculose (et non contre les maladies diar-rhéiques), elle demeure une tâche particulièrementcontraignante et de ce fait irrégulièrement utilisée.

En cas d’épidémies de choléra ou de maladiesdiarrhéiques graves (shigellose par exemple),l’ajout d’eau de Javel recommandé par les minis-tères de la santé est généralement accepté malgrél’altération du goût, qui n’apparaît plus comme unfacteur limitant lorsqu’il s’agit d’éviter d’être conta-miné. Le non-respect des consignes provient plutôtdu fait que le produit n’est pas toujours disponible.

Savoirs profanes et savoirs symboliques

En matière d’animation sanitaire, une des prin-cipales erreurs commises par les enquêteurs concer-ne le type de question posée : parle-t-on de l’origi-ne de la contamination (le pourquoi), ou parle-t-onde son mode (comment l’eau devient non potable),ou du mécanisme biologique (comment les agentsbiologiques agissent sur le corps humain et sedéveloppent dans l’environnement) ? Les réponsesdiffèrent selon que l’on se réfère à un savoir popu-laire - dit profane - ou à un savoir spécialisé - celuides guérisseurs par exemple. Dans les deux cas,

l’étiologie (le pourquoi) établira une associationentre causes dites magico-religieuses et causesbiomédicales, mais ceci ne signifie pas que lesmodes de contamination de l’eau - la pollution del’eau par les latrines par exemple - ne sont pasconnus.

J. Bouju, dans son étude en milieu dogon (Boujuet al. - 98), rapporte ainsi une différenciation despuits utilisés en fonction d’une interprétation symbo-lique liée au contexte social (pourquoi un sacrificeest nécessaire, et pourquoi à ce moment ?). Pourdes raisons similaires, les points d’eau proches descimetières sont peu utilisés.

Ces éléments ne sont pas assez pris en compteet discutés avec les groupes concernés lors desétudes préalables à l’implantation des pointsd’eau, le plus souvent laissée à la seule apprécia-tion des hydrogéologues.

La chasse aux coliformes

Il est vrai que certaines pratiques contaminantesde l’eau au cours de son puisage, de son transportet de son stockage, existent et qu’il faut les repérerpour y remédier. Une étude récente sur la qualité del’eau décrit l’augmentation progressive (déjà connue)de la contamination par des coliformes thermo-tolé-rants (indicateurs d’une contamination fécale) entre lemoment de l’exhaure de l’eau jusqu’à son utilisationlors du lavage du riz. Ces taux ont ainsi été établis :près de 0/100 ml au forage, puis quelques dizainesdans le récipient de transport, quelques centainesdans le récipient de stockage, enfin près de 1 000,voire plus lors du lavage du riz.

L’absence d’utilisation de savon pour le net-toyage des mains avant de manipuler l’eau et lanon-diffusion de produits désinfectants et facilesd’emploi comme l’eau de Javel34, sont probable-ment responsables de la majeure partie de cettecontamination. Le nettoyage des récipients de stoc-kage de l’eau et des ustensiles de cuisine à l’aidede fibres végétales ou de gravier se révèle aussifortement contaminant.

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 5 9

34 Bien connu, notamment pour les activités de blanchisseriedans les centres urbains et même les villages, le problème deson titrage non garanti à cause des difficultés de conservation,(chaleur, et lumière dégradent le chlore actif) des contrefaçons(dilution et vente) est à souligner ici.

Page 60: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

D’autres éléments, jusqu’ici souvent considéréscomme plus importants que les précédents, inter-viennent dans la contamination.

Il s’agit de l’utilisation de stabilisateurs pendantle transport (pour ne pas verser l’eau), du stockagede l’eau dans des récipients posés à même le sol(ce qui favorise l’écopage), la non-protection desrécipients de stockage et de transport, l’utilisationcollective du même gobelet, la conservation de

noix de cola dans les mêmes récipients. Il est assezillusoire et pas nécessairement efficace de vouloirmodifier d’un seul tenant toutes ces pratiques.

C’est pourtant ce que la majorité des pro-grammes d’animation sanitaire s’attachent à obte-nir, en mettant les femmes dans une situation oùelles seront inévitablement rendues responsables dela contamination du foyer, sans impliquer leshommes.

3.1. Une situation alarmante

On a assisté ces dernières années à une gran-de évolution de la place de l’assainissement dansles préoccupations de développement urbain, dontun bref rappel est utile pour comprendre les évolu-tions comportementales majeures de notre époque.L’assainissement a d’abord été la « bête noire » desurbanistes, la « dernière roue de la charrette » deleurs réflexions et productions en matière de déve-loppement urbain.

Un regain d’intérêt est arrivé avec la Décennieinternationale de l’eau potable et de l’assainisse-ment, mais cette décennie a finalement produit80 % de ses résultats en approvisionnement en eauet 20 % en assainissement.

L’assainissement trouve son heure de gloire à lafaveur de l’intérêt mondial des années 1990 pourl’environnement.

De façon générale, on estime que malgré lesefforts réalisés, la situation sanitaire d’aujourd’hui estau niveau de celle qui prévalait au démarrage de laDIEPA (Décennie internationale de l’eau potable etde l’assainissement), donc en 1980, avec cepen-dant une meilleure prise de conscience des pouvoirspublics. La situation se dégrade donc progressive-ment, en raison de la croissance démographiqueforte et continue, surtout en zone urbaine, le « périlfécal » est de plus en plus souvent évoqué.

Les gouvernements des pays en développementet les autorités municipales sont confrontés à unesituation de crise de l’assainissement qui devient deplus en plus critique chaque année (Wright - 97).

En 1990, à la fin de la DIEPA, 453 millions decitadins, soit 33 % de la population urbaine despays en développement, n’avaient pas accès àl’assainissement. Pendant les quatre années sui-vantes, des programmes d’investissement ont per-mis de faire bénéficier de ce service à 70 millionsd’habitants supplémentaires dans les villes dumonde, c’est-à-dire à 48 000 personnes chaquejour. Cependant, dans le même temps, la popula-tion urbaine totale des pays en développementpassait de 1,4 milliards à près de 1,6, de sorteque la population privée de ce service s’élevait en1994 à 589 millions, soit 37 % (voir tableau 6).

Bien que le taux de couverture global en assai-nissement (63 %) puisse paraître élevé et que degrands pas aient été faits pendant les deux der-nières décennies, les taux sont beaucoup plusfaibles pour les pauvres des villes. Un assainisse-ment inapproprié est l’un des indicateurs clés de lapauvreté urbaine, et l’absence de système adéquatd’élimination des déchets humains rendent leursconditions de vie encore plus précaires et plusmenaçantes pour leur santé (voir encadré).

Dans les villes et petits centres d’Afrique subsa-harienne, les formes particulières d’urbanisme et de

6 0 Eau, genre et développement durable

3. L’assainissement : un domaine négligé

Page 61: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

production de l’habitat constituent un frein supplé-mentaire à un assainissement correct :

• Le modèle de la vaste « concession » aveccour participe à maintenir les densités brutes depopulation à un niveau si bas que le coût desréseaux d’assainissement est prohibitif. C’est ainsique seules quelques capitales de pays moins dému-nis que la plupart des autres ont pu se doter d’unréseau d’assainissement des eaux usées36, ailleurscantonné au mieux à quelques quartiers privilégiés(lotissements ou « cités » de standing, le plus sou-

vent réservés aux fonctionnaires ou aux salariésd’une grosse entreprise), au centre-ville ou à lazone industrielle.

• Ce même modèle favorise le développementd’un système d’assainissement autonome (latrines,puisards) fait d’installations constituées de maté-riaux précaires, le plus souvent mal dimensionnées,mal entretenues et défaillantes, dont il est presqueimpossible d’assurer le contrôle a posteriori. Géné-ralement construites par les ménages eux-mêmes,souvent aidés par des « tâcherons » ou des puisa-tiers, elles ne répondent à aucune norme de sécu-rité, d’hygiène et de longévité. Ce mode d’autoconstruction et cette implication quasi exclusive dusecteur informel rendent très difficile leur normalisa-tion technique37.

• La présence et la dissémination sur l’ensembledu territoire urbain d’un grand nombre « d’espacesindifférenciés », terrains vagues, réserves foncières ouparcelles non mises en valeur, ajoutées aux vastesemprises des voies de circulation et de leurs accote-ments, sont une puissante incitation aux pratiquesdénoncées sur un mode volontiers incantatoire parles autorités comme la marque de « l’incivisme despopulations » : le rejet sur ces espaces des eaux

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 6 1

TABLEAU 6. Desserte globale en assainissement 1990-1994..

Source : OMS - 96

1990 (POPULATION EN MILLIONS) 1994 (POPULATION EN MILLIONS)

Assainissement Total Desservie Non desservie Desserte (%) Total Desservie Non desservie Desserte (%)

Urbain 1389 936 453 67 1594 1005 589 63

Rural 2682 536 2146 20 2789 505 2284 18

Ensemble 4071 1472 2599 36 4386 1510 2873 34

L’impact sanitaired’un assainissement déficient

L’impact d’un assainissement inapproprié sur la santé est illustrépar les résultats d’une étude effectuée par le Projet Eau et Assai-nissement pour la Santé (désormais Projet de Santé Environne-mentale) de l’USAID35. Six pathologies ont été examinées, choisiesparmi celles qui sont soit largement répandues dans les pays endéveloppement, soit y causent des problèmes sérieux là où ellessévissent.

Les résultats montrent qu’il y a chaque année :

– 875 millions de cas de maladies diarrhéiques, dont 4,6 millionscausent le décès de ceux qui en souffrent, principalement parmiles enfants ;

– 900 millions de cas d’ascaridiose, causant 20 000 morts ;

– 500 millions de cas de trachome, à l’origine de 8 millions decas de cécités.

S’y ajoutent 800 millions de cas annuels d’ankylostomiase, 200millions de cas de schistosomiase (bilharziose), et 4 millions de casde ver de Guinée.

Source : Esrey et al. - 90

35 U.S. Agency for International Development.36 Dont le fonctionnement est d’ailleurs toujours problématique :voir le cas d’Abidjan par exemple.37 Seul le Burkina Faso, dans le cadre du Plan Stratégique d’As-sainissement de Ouagadougou (PSAO) en cours de réplicationsur les autres villes du pays, s’est attaqué à cette tâche. Pourcela, l’opérateur national de l’assainissement, l’Office Nationalde l’Eau et de l’Assainissement, a mis sur pieds une procédurede formation et d’agrément des artisans traditionnels du secteur.Vis-à-vis de cet objectif d’amélioration des dispositions construc-tives, l’évaluation récente du programme montre cependant quele succès est mitigé (Manou-Savina et al. - 2000).

Page 62: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

usées ménagères et de façon plus générale de l’en-semble des déchets domestiques, liquides et solides.

3.2. Le rôle prédominant des femmes

Partout dans le monde, le rôle des femmes enmatière d’assainissement est très important et abon-damment documenté. Elles éduquent leurs enfants, àqui elles transmettent leurs connaissances en matièred’eau, de santé et d’hygiène. Elles sont aussi plusfréquemment que les hommes ou les enfants char-gées du nettoyage des latrines (tableau 7) et del’évacuation des déchets solides (ordures ména-gères) ou liquides puisque, à l’exception de la toi-lette, les activités domestiques génératrices d’eauxusées sont des tâches quasi exclusivement dévoluesaux femmes (lessive, vaisselle, nettoyage).

De surcroît, les latrines sont nettoyées d’autantplus fréquemment que ce sont les femmes qui enassument la tâche (figure 3).

Les travaux lourds, comme le creusement d’unpuits ou d’une fosse pour les latrines, sont généra-lement assurés par les hommes. Mais en Afrique de

l’Ouest et de l’Est, les femmes participent aussi à laconstruction des latrines. Certaines tâches, commele creusement ou la construction de la toiture,importantes pour éviter l’effondrement en cas delongue saison des pluies, sont des tâches mascu-lines. Mais l’application du plâtre par exemple estréservée aux femmes (van Wijk Sijbesma - 1998).

Une autre fonction fréquemment assurée par lesfemmes, au Sahel comme dans la plupart desrégions arides du Moyen-Orient et d’Asie du Sud,

6 2 Eau, genre et développement durable

Source : A. Morel à l’Huissier à partir des données de l’enquête ménage réalisée par MAB Conseil :Projet de réhabilitation des insfrastructures (MAB - 2000).

FIGURE 3. Fréquence de nettoyage des latrines à Niamey en fonction des membres du ménage chargés de cette tâche.

TABLEAU 7. Qui, dans les ménages, s’occupe du nettoyage des latrines à Niamey ?

Source : MAB - 2000

Les femmes 55 %

Les enfants 14 %

Les hommes 4 %

Les femmes ou les hommes de ménage 24 %

Autre(s) 3 %

Total 100 %

0%

20%

40%

60%

80%

100%

49%

24%19% 6% 2%

7%24% 38%

17%14%28%

29% 36%

5%

2%40% 27% 27%

5%0%

Femmes Enfants Hommes Femme de ménage

Tous les jours Tous les 2 jours Hebdomadaire A l'occasion Moins d'une fois par semaine

Page 63: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

consiste à collecter et trier les excréments animauxpour le chauffage ou pour la vente.

En Inde, où les emplois féminins saisonniers etnon qualifiés dans le secteur du bâtiment sont fré-quents, des programmes périurbains et urbainsont pour but de former les femmes à l’assainisse-ment du milieu et à l’amélioration de l’habitatinsalubre.

En Inde, au Rajasthan, en Thaïlande et au Bots-wana, les hommes et les femmes de certaines com-munautés ont été formés à la construction delatrines. Aux îles Tonga, des femmes maçons sontemployées dans le secteur public à l’assainisse-ment du milieu. Toujours aux îles Tonga, comme auMozambique, des femmes réunies en coopérativefabriquent des dalles de latrines et les vendent(Cairncross - 1982).

3.3. L’évacuation des eaux usées ménagères :pratiques et comportements38

Des pratiques distinctes selon la nature des effluents

Le seul équipement domestique spécifiquementréservé à l’assainissement des eaux usées est le pui-sard, qui peut être couvert ou non, rempli ou non dematériaux filtrants, situé dans un coin de la cour ouimplanté à l’extérieur en bordure de parcelle. La fai-sabilité technique des puisards variant selon la natu-re du sol, certaines villes ou quartiers en comptentplus que d’autres : ainsi plus de la moitié desménages de Bobo Dioulasso en dispose sur leur par-celle et seulement 20 % à Conakry, où le substratumrocheux ou la nappe phréatique sont globalementbeaucoup plus proches de la surface du sol.

Cependant, on notera que les habitants d’uneparcelle riveraine d’un caniveau trouvent souventplus commode et moins coûteux d’y rejeter leurseaux usées plutôt que de construire un puisard : surl’ensemble des deux villes citées, la proportion de

parcelles munies d’un puisard passe de 32 à 41 %selon qu’un caniveau les jouxte ou non.

Parmi les dispositions prises par les ménagespour évacuer leurs eaux domestiques, il est doncimportant de distinguer ceux qui s'en débarrassentà l'extérieur de leur concession (répandues à lavolée dans la rue, ou bien dans les caniveaux ouencore dans des rigoles en terre creusées à partirde la concession), et ceux qui les rejettent à l'inté-rieur de leur parcelle (déversées dans la mêmefosse que les WC, ou dans un puisard, ou encorerépandues dans la cour). Lorsqu’une rigole est amé-nagée, elle part de l’un ou l’autre des lieux d’acti-vités génératrices d’eaux usées aménagés dans lacour (douche par exemple) ou simplement réservésà ces activités (lessive ou vaisselle). Le plus souvent,cette rigole traverse la clôture de la parcelle etdébouche sur la voie publique non bitumée où leseffluents se répandent sans autre forme de traite-ment, éventuellement dans le caniveau si celui-ciexiste.

Enfin, il n’est pas rare que la rigole aboutisse àun puisard extérieur, généralement construit par leménage occupant la parcelle, parfois partagé pardes voisins, mais demeurant toujours privatif.

Ses utilisateurs sont dans tous les cas supposésl’entretenir, comme les y astreignent presque tou-jours les lois nationales ou réglementations munici-pales. Cependant, si leurs propriétaires les munis-sent souvent d’un couvercle de fortune pour la sécu-rité des enfants, les puisards extérieurs sont plus malentretenus que ceux des cours : les enquêtesmenées à Bobo Dioulasso et à Conakry ont ainsipermis de constater que la stagnation d’eaux uséesà l’endroit des puisards, signe d’un colmatage dûà un mauvais entretien, affecte 12 % de ceux quisont situés à l’intérieur de la cour mais 23 % deceux qui sont à l’extérieur.

Les destinations sont presque toujours différentessuivant l'origine des eaux usées, en raison desvolumes et de la nature de ces effluents domes-tiques, plus ou moins gênants ou plus ou moinsréutilisables.

En particulier, les eaux de toilette, canaliséesdepuis la « douchière » vers la fosse de la latrineou vers le puisard, sont beaucoup plus souvent infil-trées dans le sol que les autres eaux usées, plusvolontiers jetées à la volée dans la cour ou dans larue (voir figures 4 et 5 ci-après).

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 6 3

38 Les résultats de deux enquêtes ménages que nous avons réa-lisées à Conakry (Guinée) et à Bobo Dioulasso (Burkina Faso),respectivement en 1992 (Durany-Jacob et Morel à l’Huissier -94) et en 1997 (Morel à l’Huissier - 98), nous servirontd’exemples quantifiés pour illustrer les propos de ce chapitre.

Page 64: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

6 4 Eau, genre et développement durable

FIGURE 4. Destination des eaux de toilette à Conakry et à Bobo Dioulasso..

FIGURE 5. Destination des eaux de vaisselle à Conakry et à Bobo Dioulasso..

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

Conakry Bobo Dioulasso Ensemble

Extérieur de la parcelle par rigole

Fosse de la latrine Puisard Autre

0%

10%

20%

30%

40%

50%

Conakry Bobo Dioulasso Ensemble

Jetées dans la rue

Jetées dans la cour

Jetées dans le caniveau

Extérieur par une rigole

Fosse de la latrine

Puisard

Page 65: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Une gêne pour le voisinage

Suivant les résultats des enquêtes, la stagnationou le déversement des eaux usées ne constitueraientqu'une gêne marginale dans la concession : envi-ron 12 % seulement des ménages s'en plaignent àConakry et 8 % à Bobo Dioulasso, qu'il s'agissedes eaux de toilette, de vaisselle ou de lessive.

C'est surtout dans les parcelles multi familialesdes anciens quartiers denses que se pose le pro-blème du rejet des eaux usées, problème parfoistellement aigu que les habitants doivent restreindreles quantités utilisées ou accomplir de nombreusesactivités à l'extérieur de leur cour : lessive, vaissel-le, toilette des enfants et parfois toilette des adultes.En effet, la saturation du bâti permet difficilementde déverser ces eaux dans la cour, et les puisardsd'eaux usées ou la fosse des WC débordent vite siles femmes se permettent d'y déverser les eauxusées de la lessive ou de la vaisselle.

Lorsque le puisard d'eaux usées des douchesdéborde, il arrive que le responsable de la conces-sion interdise l'utilisation de la douche tant que lavidange n'a pas été faite. L'interdiction des chefsde quartier de déverser ces eaux sur les voies bitu-mées et celle plus récente de faire la lessive auprèsdes bornes-fontaines, obligent les femmes de Kaloum- la commune centrale et la plus densément peupléede Conakry - qui ne disposent d'aucune alternativemoins contraignante, à se déplacer hors de leurconcession pour y déverser leurs bassines d'eauxusées.

En revanche, près de la moitié des ménages deConakry et près de 40 % des ménages de BoboDioulasso, ressentent comme une grave nuisance,pour leur environnement et leur confort, la stagna-tion ou le ruissellement des eaux usées domestiqueset de celles débordant des fosses des WC dansleur quartier. Dans certaines zones, ces problèmesentraînent des conflits de voisinage.

« Nous sommes gênés dans la cour parce quand nous voulons jeter leseaux ménagères dans la rue ou dans les caniveaux, il y a toujours desproblèmes avec les voisins et avec les autorités » (Une enquêtée deDixinn - Conakry)

« Nos voisins ne nous écoutent pas quand on leur dit de ne pas jeter leseaux de vaisselle dans la rue. L'accumulation des eaux de vaisselle estsource de polémique entre voisins ». (Un enquêté de Matam - Conakry).

Le degré de gêne varie suivant la densité desquartiers. Dans les quartiers périphériques, lesespaces non construits, les parcelles moins denseset les voies en latérite permettent un rejet des eauxusées qui, sans être une solution à long terme, neconstituent pas de gêne majeure, tandis que dansles quartiers plus denses ou plus centraux, le rejetdes eaux usées est vécu comme un problème quo-tidien par les femmes qui ne savent pas comments'en débarrasser et par les habitants qui déplorentles nuisances qu’il entraîne :

« Si les cabinets débordent, c'est la souffrance, les odeurs des excrétassont abominables, ces liquides circulent partout » (Un enquêté de Boul-binet - Conakry).

« On ne peut pas marcher la nuit dans le quartier : on risque d'êtrenoyé dans les eaux usées et les eaux des WC » (Un enquêté de Carriè-re Centre - Conakry).

3.4. Attitudes et demandes d’amélioration

Assainissement et propreté : une questiond’image ou de santé ?

En matière de latrines, les motivations expri-mées quant à leur construction varient d’un endroità l’autre ; ici le facteur déterminant sera la santé,ailleurs les motivations socioculturelles primeront.

La plupart du temps cependant, les latrines nesont pas associées à la prévention des maladies

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 6 5

Source : ONEA, GREA/AO - 2000

Avantages des ouvrages d’assainissement pour la famille (en dehors de la santé) % des réponses

Meilleure image dans le quartier Plus de respect 47 %

Faciliter les tâches domestiques 21 %

Meilleurs rapports avec les voisins (moins de conflits) 26 %

Autres 6 %

Total 100 %

TABLEAU 8. Avantages..des installations d'assainissement perçus..par les ménages de Ouagadougou au Burkina-Faso

Page 66: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

mais à la convenance personnelle, au statut et à l’es-thétique. En témoigne le tableau suivant, indiquantque près des trois quarts des habitants de Ouaga-dougou accordent à l’assainissement une fonctionsurtout sociale, que ce soit pour préserver ou amé-liorer leur image (47 %) ou pour éviter des conflitsavec leurs voisins (26 %).

Dans de nombreux cas, le rejet d’installationsd’assainissement améliorées est attribué au manqued’intérêt, aux barrières culturelles, au manque d’édu-cation et au conservatisme inhérent aux populationspauvres. Dans les cultures qui prescrivent l’isolationdes femmes, les latrines situées dans des lieuxpublics leur sont interdites.

Les latrines, source d’inconfort pour tous

Invités à citer les trois principaux reproches qu’ilsadressent à leur installation d’assainissement desexcrétas, les enquêtés des capitales guinéennes etburkinabé se plaignent surtout des odeurs et desmouches (figure 6). Notons que les femmes sontsignificativement plus nombreuses que les hommesà avancer ces sources d’inconfort, tandis que leursmaris, qui n’ont pas à en supporter la corvée, seplaignent plutôt de ne pas trouver assez d’eau dansla latrine pour leur toilette après défécation39.

Les autres motifs de plainte sont moins fréquentset ne varient pas selon le genre, à l’exceptionnotable des vidanges : parce qu’ils en supportentgénéralement le coût, les hommes sont presquedeux fois plus nombreux que les femmes à regretterqu’elles soient trop fréquentes.

D’autres études de cas ont cependant montré(voir ci-après) que les femmes se plaignent davanta-ge que les hommes du manque d’intimité des latrineset que nombre d’entre elles évitent même d’utiliserles latrines qui leur occasionnent cette gêne.

Les contraintes socioculturelles

Des expériences conduites au Nigeria, auKenya et en Zambie suggèrent que l’échec ou lesuccès du partage de blocs sanitaires collectifsdépendent largement de l’étendue du consensus

sur l’identité des utilisateurs, sur les conditions d’uti-lisation, sur ce qu’il convient de faire si des utilisa-teurs voisins sont privés d’installations et sur lecontrôle de l’usage abusif.

D’une manière générale, lorsque les équipe-ments existent, les femmes issues des minorités n’ontpas accès aux latrines parce qu’elles n’ont tout sim-plement pas le droit d’utiliser les installations com-munes. Ce phénomène a notamment été observéen Inde, au Soudan et en Egypte. L’absence de toutmoyen adéquat d’évacuation des excrétas consti-tue pourtant un désagrément majeur, en particulierpour les femmes et les filles qui sont confrontées àdes problèmes de distance, de manque d’intimitéet d’insécurité.

Lorsque des latrines sont disponibles, le manqued’intimité des utilisateurs, notamment des femmes,

6 6 Eau, genre et développement durable

Disposer de latrines :avantages et inconvénients

La population de Dosso (au Niger) a ainsi énuméré les avantages des latrines :

– elles sont hygiéniques (pas de risques de contamination) ;

– elles évitent de parcourir de longues distances ;

– elles permettent de gagner du temps ;

– elles permettent la discrétion.

Pour les familles, les raisons de construire des latrines sont :

– la propreté de la concession ;

– l’économie de temps ;

– la discrétion ;

– la sécurité contre les serpents, les scorpions, etc.

Quant à ceux qui n’utilisent pas les latrines, ils disent que « dans labrousse, il y a suffisamment d’espace pour aller se soulager ». Poureux, « ce sont les gens de la ville qui n’ont pas assez d’espace librequi ont besoin de latrines ».

Cependant, tous les habitants reconnaissent l’intérêt des latrines àdomicile à cause de leur discrétion, des besoins urgents (diarrhées),des femmes cloîtrées et du fait que les hôtes de marques n’ont pasà aller au loin pour chercher un buisson ou un trou, tout en risquantd’être aperçus.

39 Dans ces villes à vaste majorité musulmane, la toilette analeest une pratique beaucoup plus courante que l’essuyage.

Page 67: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

constitue un frein à leur acceptation. Ce frein estd’autant plus important lorsque la ventilation au basdes portes ne masque pas complètement l’utilisa-teur (a fortiori l’utilisatrice), ou que l’hygiène intimeet le nettoyage ultérieur des latrines nécessitent detransporter avec soi un seau d’eau.

« Dans un pays d’Afrique de l’Est, l’inspecteur dela santé publique a ordonné à chaque foyer de sazone de responsabilité de construire des latrines,sous peine d’une lourde amende. Pour faciliter lesinspections, les latrines devaient être construites lelong de la route. En conséquence, toutes les latrinesont bien été construites, mais elles n’ont pas été uti-lisées parce que les usagers n’aimaient pas êtreaperçus par les passants alors qu’ils y entraient ouen sortaient » (Barrow - 81).

Les besoins spécifiques en matièred’équipement

Au sein d’un même foyer, de nombreux auteursfont état des contraintes culturelles liées au partagedes latrines par les hommes et les femmes, par lespères et leurs filles (Agarwal - 82), et ne pas tenircompte, lors de la conception des installations, des

besoins particuliers de chacun (hommes, femmes,garçons et filles), conduit de nombreux projets d’as-sainissement à l’échec : des mères rejètent l’utilisa-tion des latrines, parce qu’elles n’ont pas conscien-ce du caractère nuisible des excrétas des enfantsmais aussi à cause de leur éloignement de la mai-son, du risque de chute (il est vrai que certainsmodèles sont trop grands pour que les plus petitspuissent s’y accroupir), de la présence éventuellede serpents et de la peur de nombreux enfants faceà l’obscurité du trou.

Au Pakistan, un programme de construction delatrines a été ainsi la cause de conflits. Les hommesvoulaient que les latrines se situent à quelque dis-tance de la maison ou dans la chambre d’amis. Lesfemmes, pour leur part, préféraient que les latrinessoient attachées à la maison et ne voulaient surtoutpas qu’elles soient dans la chambre d’amis caralors, elles ne pourraient pas les utiliser.

La facilité d’utilisation et d’entretien est égalementun facteur important : lorsque le matériau de construc-tion utilisé (comme le béton brut) ou une conceptioninadaptée rendent leur entretien difficile, les latrinesdeviennent des sources d’infections, accrues dans lecas de grande utilisation. Les femmes et les enfants,

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 6 7

FIGURE 6. Motifs de plainte vis-à-vis des latrines.selon le genre dans trois villes d’Afrique subsaharienne..

Source : Morel à l’Huissier - 2000

0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40%

Manque d'intimité

Vidanges fréquentes

Coût entretien élévé

Pas pratique

Entretien difficile

Cafards

Manque d'eau

Mouches

Odeurs

Femmes Hommes

Page 68: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

qui nettoient généralement les latrines, sont davanta-ge soumis aux risques de contamination.

Surtout, l’augmentation des corvées de collected’eau pour la vidange et le nettoyage est à éviter.Dans certains cas où l’eau n’était pas facilement dis-ponible ou à proximité, l’équipement en latrines àsiphon d’eau a été rejeté. L’expérience du Plan Stra-tégique d’Assainissement de Ouagadougou (PSAO)l’illustre bien et la richesse des enseignements qu’el-le a permis de tirer, y compris du point de vue del’approche selon le genre, justifie que nous la décri-vions à présent de façon plus détaillée.

Le rôle des femmes dans la décision d’investirpour une amélioration de l’assainissement

Au cours des études préliminaires du PSAO en1991/1992, une enquête de volonté de payeravait permis de déterminer les préférences desménages parmi deux types d’installations amélio-rées d’assainissement des excrétas, la latrine àsiphon (encore appelée latrine à chasse manuelle)et la latrine à fosse ventilée (ou VIP40). Les chefs deménages, cible exclusive de l’enquête, avaient trèslargement exprimé leur préférence pour la premiè-re41, à 64 % (contre 30 % pour la seconde). Cetteproportion correspondait justement à celle desménages utilisant de l’eau pour le nettoyage anal,ce qui semblait cohérent.

Lorsque les deux solutions ont été effectivementmises à disposition des ménages par l’ONEA,d’abord au cours d’un projet pilote sur deux sec-teurs de Ouagadougou puis sur l’ensemble de laville à partir de 1994, les préférences se sont révé-lées au contraire très largement en faveur deslatrines ventilées à fosse sèche (VIP) : pour 1 latrineà chasse manuelle réalisée, plus de 10 latrines VIPl’ont été pendant le projet de démonstration et 40pendant les six années suivantes.

De surcroît, les installations améliorées pourl’évacuation des eaux usées ménagères ont étébeaucoup plus fréquentes que ne le laissaient pré-sager les résultats de l’enquête préalable de volon-té de payer. S’appuyant sur des entretiens avec desbénéficiaires et des réflexions des animateurs du

projet, les causes de ce changement de choix sontainsi analysées : « Il apparaît clairement que lesfemmes ont joué un rôle non négligeable dans leprocessus de décision. Ce sont elles qui sont direc-tement confrontées aux problèmes quotidiens géné-rés par l’évacuation des eaux usées ménagères.Ce sont elles qui ont généralement la charge demaintenir les sanitaires propres. Enfin, c’est souventaux femmes que le voisinage adresse des repro-ches et remarques désagréables sur l’écoulementmalodorant des eaux usées dans la rue. Au coursdu projet de démonstration, les femmes ont aussiété des interlocutrices privilégiées pour les anima-teurs car plus présentes au domicile. Elles ont ainsiexercé une influence importante sur leur mari pourqu’il finance le ou les aménagements » (Couret etal. - 95).

Nous ajouterons que le choix d’une latrine àchasse manuelle impose certaines suggestions quipèsent tout particulièrement sur les femmes duménage :

– une augmentation des quantités d’eau àacheter, transporter ou puiser, car ces latrines fonc-tionnent avec un peu d’eau jetée dans le siphonaprès chaque usage (1 à 2 litres) ;

– une surveillance des enfants ou une disciplinecontraignante à leur imposer car ces latrines n’ad-mettent aucun déchet solide risquant de bloquer lesécoulements dans le siphon.

L’influence des femmes dans le processus dedécision domestique peut aussi être appréciée àtravers l’enquête réalisée pour l’évaluation du pro-gramme en 2000, au cours de laquelle 10 % deschefs de ménage ont admis que leur épouse avaitinfluencé leur décision de réaliser un ouvrage d’as-sainissement amélioré (ONEA - 2000).

Capacité et volonté de payer pour améliorerl’assainissement : une analyse selon le genre

Les femmes semblent plus motivées que leshommes à résoudre les problèmes d’assainissementauxquels elles sont confrontées. Nombre d’entre elles,qui disposent de revenus personnels, investissentmême leurs deniers dans ce domaine (Evans et Appel-ton - 93). Mais si la grande variété d’options pos-sibles permet au plus grand nombre d’accéder à demeilleurs moyens d’assainissement, l’investissementrequis n’est pas à la portée de tous42. En matière de

6 8 Eau, genre et développement durable

40 Pour Ventilated Improved Pit latrine.41 À coût égal d’investissement pour le ménage.

Page 69: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

construction il est fréquent que les femmes, qui n’ontpar ailleurs pas le savoir-faire requis pour procéder àde réelles installations43, récupèrent des matériaux dis-ponibles sur place pour réduire les coûts.

Ainsi, parmi les quelque 17 000 ménages deOuagadougou ayant investi depuis 1992 dans l’unedes installations d’assainissement amélioré del’ONEA44, l’épouse du chef de ménage a partici-pé au financement dans 18 % des cas, pour unapport de 22 000 F CFA. Cet investissement cor-respond à 15 % seulement du coût moyen d’unelatrine améliorée (type VIP), mais est sensiblementdu même ordre de grandeur que celui du dispositifd’assainissement des eaux usées ménagères pro-posé par l’ONEA, constitué d’un puisard muni d’unbac à lessive (ONEA - 2000).

Est-ce un hasard ou cela signifie-t-il que l’effortfinancier des ménagères ouagalaises a été princi-palement consacré à améliorer ce qui, après l’ap-provisionnement en eau, constitue pour elles le pre-mier problème quotidien ? Les enquêtes réalisées àOuagadougou ne permettent pas de répondre àcette question45.

Les enquêtes menées à Bobo Dioulasso en1997 pour la réplication du programme d’amélio-ration de l’assainissement dans la deuxième villedu Burkina Faso démontrent en revanche46:

1. Que les femmes n’ont pas manifesté de pré-férences réellement différentes de celles des hommesquant aux types d’aménagements souhaités47.

2. Que le consentement à payer des femmespour chaque type d’aménagement préféré n’estpas non plus significativement différent de celui deshommes (figure 7 page suivante).

Cependant, on sait que les revenus des femmessont très sensiblement inférieurs à ceux de leur mari

et l’on peut dès lors se demander si cette apparen-te égalité de la volonté de payer ne masque pasune différence de motivation selon le genre. Defait, la modélisation du consentement à payer desenquêtés de Bobo Dioulasso montre que, touteschoses égales par ailleurs, les femmes ont une moti-vation plus importante que les hommes pour amé-liorer tant l’assainissement des excrétas que leseaux usées ménagères. (Le tableau 9 page suivanteconcerne l’amélioration de l’assainissement des excré-tas, le tableau 10 l’amélioration de l’assainissementdes eaux usées du ménage48.)

Cependant, ces tableaux montrent aussi quel’effet du genre sur le consentement à payer estmoindre que celui de la plupart des autres variablesretenues dans l’analyse. La capacité d’épargne duménage49 a la plus grande influence sur le consen-tement à payer, pour améliorer l’assainissement desexcrétas comme pour améliorer celui des eauxusées ménagères. Pour chacun des deux types d’as-sainissement, les caractéristiques suivantes font éga-lement augmenter le consentement à payer davan-tage que le fait d’être une femme :

– l’absence de tout dispositif sur la parcelle ;– le fait d’être informé des dispositifs améliorés

proposés par l’ONEA50 ;

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 6 9

42 Meyer, 1993.43 Green, 1982.44 Environ 20 000 ouvrages ont été construits ou améliorés (partransformation et réhabilitation) sur environ 11 000 parcellesoccupées en moyenne par 1,5 ménage. Ainsi, environ 15 % desparcelles et 14 % de la population de Ouagadougou ont béné-ficié de ce programme depuis son lancement jusqu’en 2000.45 Comme nous l’avons vu précédemment, l’enquête de l’étudepréliminaire ne s’adressait en effet qu’aux chefs de ménage.Celle menée en 2000 pour l’évaluation ex-post du programmen’a pas inclus de question sur ce point.46 Contrairement à l’étude de volonté de payer réalisée à Oua-gadougou, il a été fait ici le choix de ne pas interroger les seulschefs de ménage mais aussi leur épouse.

47 Les enquêtés se voyaient interrogés sur leur consentement àpayer pour six propositions d’aménagements ou services d’as-sainissement : (1) une transformation de leur latrine existante enlatrine VIP (sans odeurs et sans mouches), (2) la constructiond’une nouvelle latrine de type VIP, (3) la construction d’un puisardrecevant les eaux usées du ménage couplé avec un bac à lessi-ve et vaisselle, (4) la combinaison (1) + (3), (5) la combinaison(2) + (3), (6) le raccordement à un réseau d’assainissement.48 Dans ces tableaux figurent les coefficients du modèle de régres-sion aux moindres carrés partiels (PLS) sur les variables centréesréduites. Le signe de chaque coefficient indique le sens de l’effetspécifique de chaque variable ou modalité sur le consentement àpayer, sa valeur absolue permet quant à elle de mesurer l’impor-tance relative de cet effet. Soulignons que la régression PLS a étéemployée de préférence à la régression aux moindres carrés ordi-naires du fait de l’interdépendance de plusieurs des variablesexplicatives (auto corrélations). Dans les deux modèles, les troispremiers facteurs, résumant le mieux les variables explicatives, ontété retenus. Le premier modèle « explique » ainsi 26 % de lavariance du consentement à payer, le second près de 70 %.49 Mesurée par le nombre de mois que le ménage estime néces-saire pour financer une installation d’assainissement coûtant100 000 FCFA, soit par épargne préalable, soit par repaie-ment d’un emprunt.50 Presse, radio et télévision ont diffusé des messages publici-taires pour ces dispositifs.

Page 70: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

FIGURE 7. Consentement à payer pour une amélioration des dispositifs d'assainissement selon le genre à Bobo Dioulasso..

7 0 Eau, genre et développement durable

0

20 000

40 000

60 000

80 000

100 000

FemmesHommes

Amélioration latrine

existante (1)

Nouvelle latrine

améliorée (2)

Dispositif améliorée eaux usées

(3)

(1) + (3) (2) + (3) Ensemble

Source : Morel à l’Huissier - 1997

Source des tableaux 9 et 10 : Morel à l’Huissier - 2000

TABLEAU 9. Déterminants du consentement à payer pour améliorer l'assainissement des excrétas à Bobo Dioulasso..

Variables Effet spécifique sur le consentement à payer

Pas de latrine 0,10

Latrine traditionnelle (fosse simple – 0,007non revêtue)

WC à fosse septique 0,11

Propriétaire 0,10

Chef ménage 0,06

Ecole coranique – 0,10

Femme 0,06

Latrines de +15 ans 0,10

Info ONEA 0,23

Index de richesse 0,05

Capacité d’épargne 0,24

Age – 0,23

Nombre de ménages sur la parcelle = 1 0,08

Nombre de ménages sur la parcelle = 3 ou plus 0,10

TABLEAU 10. Déterminants du consentement à payer pour améliorer l'assainissement des eaux usées à Bobo Dioulasso

Variables Effet spécifique sur le consentement à payer

Pas de puisard 0,11

Mode d’approvisionnement en eau : puits 0,04

Mode d’approvisionnement en eau : borne-fontaine 0,09

Mode d’approvisionnement en eau : BP (+ d’1 robinet) – 0,13

Caniveau riverain de la parcelle – 0,07

Propriétaire – 0,07

Chef de ménage 0,11

Ecole coranique – 0,12

Femme 0,02

Info ONEA 0,07

Index de richesse 0,14

Capacité d’épargne 0,60

Age – 0,11

Nombre de ménages sur la parcelle = 1 0,03

Nombre de ménages sur la parcelle = 3 ou plus 0,1

Page 71: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

– le fait d’être le seul ménage à occuper la par-celle (la décision sera plus aisée) ou bien aucontraire de la partager avec au moins deux autresfamilles (les parcelles locatives de type « célibato-riums » sont particulièrement sous-équipées) ;

– les moyens financiers, mesurés par un indexde richesse51 ;

– enfin, le fait d’être chef du ménage.A l’inverse, l’âge et l’analphabétisme sont deux

facteurs d’aversion à l’innovation : les individus plusâgés ou qui n’ont reçu d’autre éducation que celledispensée par l’école coranique sont plus réticentsà payer pour un assainissement amélioré. Cette réti-cence est bien supérieure à celle des hommes.

Pour l’assainissement des excrétas, les posses-seurs d’une latrine de plus de 15 ans, anticipantainsi une dépense rendue nécessaire par son

ancienneté, consentent à payer significativementdavantage pour un dispositif amélioré de mêmeque les propriétaires52.

Enfin, confirmant une attitude déjà mentionnéeprécédemment53, la présence d’un caniveau auxabords de la parcelle est un frein à la volonté depayer pour un dispositif spécifique d’assainisse-ment des eaux usées ménagères à la parcelle.

Dans la sphère domestique, les femmes ont unrôle prépondérant dans la gestion de l’eau et del’assainissement. En effet, elles consacrent unegrande partie de leur temps et de leurs efforts àapprovisionner la famille en eau, à utiliser cette eaupour les diverses tâches qui leur incombent commela lessive, la préparation des repas, la vaisselle oule nettoyage, à faire leur affaire de l’évacuationdes eaux sales qui en résultent et à maintenirpropres les latrines ou les WC.

Elles ont aussi, bien davantage que dans lasphère publique, les moyens d’exprimer leurs préfé-rences et de faire entendre leur voix. Parce que lepoids de leur infériorité sociale y est tempéré par lesrapports propres à chaque couple, parce qu’ellesdisposent aussi souvent de leurs propres revenus,elles peuvent orienter les décisions de leur mari.

Les pratiques et les comportements de gestiondomestique que nous avons décrits dans cette par-tie sont bien sûr éminemment variables d’un ména-ge à l’autre, d’un quartier ou d’un village à l’autre.Leurs déterminants ne sauraient être réduits à laseule dimension du genre. Nous avons cependantmontré que les femmes ont généralement une atti-tude et une demande spécifiques vis-à-vis de l’amé-lioration de l’approvisionnement en eau de leurfamille et de l’assainissement de leur habitat.

Les chiffres et les tendances qui illustrent nos pro-pos, tirés d’études de cas spécifiques, ne sontcependant que des repères et ne sauraient enaucun cas se substituer, dans la conduite desétudes préalables à un projet donné, à une véri-table analyse spécifique de la demande selon legenre.

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 7 1

51 Ayant choisi de ne pas poser de questions sur les revenus duménage, un index a été construit sur la base de la possessionou non par le ménage d’un certain nombre de biens d’équipe-ment, de confort ou de consommation courante.52 Les locataires quant à eux considèrent généralement que l’in-vestissement en incombe au propriétaire.53 Voir supra § 3.3 « L’évacuation des eaux usées ménagères :pratiques et comportements ».

4. Conclusions

Page 72: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

(Banque mondiale - 99)Banque mondiale, Gender, Growth, and PovertyReduction, in ”Africa Region Findings”, n°129,février 1999.

(Bouju et al. - 98)Bouju J., Tinta S. et Poudiougo B., Approche anthro-pologique des stratégies d’acteurs et des jeux depouvoir locaux autour du service de l’eau à Ban-diagara, Koro et Mopti, Mali, SHADYC, EHESS/CNRS, Ministère de la Coopération, Paris, 1998.

(Collignon B. et Vézina M. - 2000)Collignon B., Vézina M., Independant Water andSanitation Providers in African Cities, Full Report of aTen-Country Study, Water and Sanitation Program,PNUD/Banque mondiale, IRC-Hydro Conseil. 2000.

(Olivier de Sardan et El Hadji Dagobi - 2000)Olivier de Sardan J.P. et ElHadji Dagobi A., La ges-tion des points d’eau dans le secteur de l’hydrau-lique villageoise au Niger, Rapport provisoire,Agence Française de Développement, 2000.

(Olivier de Sardan et Diallo - 2000)Olivier de Sardan J. P. et Diallo Y., La gestion despoints d’eau dans le secteur de l’hydraulique villa-geoise en Guinée, Rapport provisoire, AgenceFrançaise de Développement, 2000.

(BURGEAP - 96)BURGEAP, Analyse de systèmes de desserte en eaupotable par postes autonomes ou bornes-fontaines :synthèse des études de cas au Bénin, au Niger eten Guinée, Ministère de la Coopération, Paris, 22pages + annexes. 1996.

(Couret et al. - 95)Couret D., Dembélé O. et Manou Savina A., Eva-luation de la demande : étude de cas à partir duprojet d’assainissement autonome de Ouagadou-gou, Programme d’Alimentation en Eau Potable etd’Assainissement PNUD/Banque mondiale, Grou-pe régional de l’eau et de l’assainissement/Afriquede l’Ouest, Abidjan, 1995.

(Durany-Jacob et Morel à l’Huissier - 94)Durany-Jacob J. et Morel à l’Huissier A., L'environ-nement urbain à Conakry : comportements, atti-tudes et pratiques des ménages. Groupe régionalde l’eau et de l’assainissement/Afrique de l’Ouest,Programme d'alimentation en eau et d'assainisse-ment-PNUD-Banque mondiale, Abidjan,1994.

(Esrey et al. - 90)Esrey S. A., Potash J. B., Roberts L. et Shiff C.,Health Benefits from Improvements in Water Supplyand Sanitation: Survey and Analysis of the Literatu-re on Selected Diseases, WASH Technical Report66, Arlington, Virginie : Water and Sanitation forHealth Project,1990.

(Etienne et Morel à l’Huissier - 97)Etienne J. et Morel à l’Huissier A., Les déterminantsde la demande en eau des centres secondaires etquartiers périurbains d’Afrique, in ”Actes du sémi-naire sur les fonctions de demande” 16 juin 1997,Centre d’Enseignement et de Recherche sur la Ges-tion des Ressources Naturelles et de l’Environne-ment, Marne La Vallée, p. 47-61, 1997.

(Etienne - 98)Etienne J., Amélioration des services d'approvision-nement en eau potable en milieu semi-urbain afri-cain : intégration de la demande sociale. Thèse dedoctorat en sciences et techniques de l’environne-ment, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées,Marne La Vallée, 294 pages + annexes. 1998.

(InterAction Design - 91)Résultats des études socio-économiques et de laconsommation d'eau potable dans les trois grandsvillages Mokko, Dogon Kiria et Koré Mairoua(Niger). Conseil de l'Entente / Pays-Bas. 1991.

(Katzman - 77)Katzman M. T., Income and Price Elasticities ofDemand for Water in Developing Countries, In”Water Resources Bulletin”, vol. 13, n° 1, p. 47-55, 1977.

7 2 Eau, genre et développement durable

5. Bibliographie du chapitre 3

Page 73: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

(MAB - 2000)MAB Conseils Inc., Étude de Base sur les pratiquesdes Ménages en assainissement urbain et enquêtesménages sur leurs comportements et attentes, Répu-blique du Niger, Cabinet du Premier Ministre, Pro-jet de Réhabilitation des Infrastructures, BureauNational de Coordination, Niamey, 2000.

(Morel à l’Huissier et Verdeil - 96)Morel à l’Huissier A. et Verdeil V., Gestion debornes-fontaines : Etude comparative et évaluationde projets réalisés ou en cours de réalisation - Villesde Mopti, Ségou et Kayes (Mali),Centre d’Ensei-gnement et de Recherche sur la Gestion des Res-sources Naturelles et de l’Environnement, Program-me Solidarité Eau, Paris, 1996.

(Morel à l’Huissier - 97)Morel à l’Huissier A., La demande en eau desménages dans les villes et centres secondaires auSud du Sahara : modélisation en situation d’ap-provisionnements concurrentiels, in ”Actes du sémi-naire sur les fonctions de demande”,16 juin 1997,Centre d’Enseignement et de Recherche sur la Ges-tion des Ressources Naturelles et de l’Environne-ment, Marne la Vallée, p. 62-73, 1997.

(Morel à l’Huissier - 98)Morel à l’Huissier A., Assainissement domestique àquel prix ? Une étude sur la volonté de payer desménages, Office National de l'Eau et de l'Assainis-sement, Banque mondiale, Plan Stratégique d'Assai-nissement de la Ville de Bobo Dioulasso, Ouaga-dougou, Burkina Faso, 87 p. + annexes, 1998.

(Mu et al. - 90)Mu X., Whittington D. et Briscoe J., Modeling Vil-lage Water Demand Behavior : A Discret ChoiceApproach, in ”Water Resources Research”, Vol.26No.4, pp. 521-529. 1990.

(OMS - 96)Organisation Mondiale de la Santé, Water Supplyand Sanitation Collaborative Council, UNICEFWater Supply and Sanitation Sector MonitoringReport 1996, Sector Status as of 31 December1994, Genève. 1996.

(ONEA, GREA /AO - 2000)Office National de l’Eau et de l’Assainissement,Scaling Up : Lessons Learned - The OuagadougouStrategic Sanitation Program, ONEA, Grouperégional Eau et Assainissement Afrique de l’Ouest,PNUD / Banque mondiale, 2000.

(Water Demand Research Team - 93)The World Bank Water Demand Research Team,The Demand for Water In Rural Areas: Determi-nants and Policy Implications, in ”The World BankResearch Observer”, vol.8, no.1; pp. 47-70 ;1993.

(Whittington et al. - 89)Whittington D., Lauria D. et Mu X. Paying forUrban Services. A Study of Water Vending andWillingness to Pay for Water in Onitsha, Nigeria.The World Bank. Washington D.C. 1989.

(Wright - 97)Wright A. M., Toward a Strategic SanitationApproach: Improving the Sustainability of UrbanSanitation in Developing Countries, ProgrammeEau Potable et Assainissement de la Banque mon-diale/PNUD, Publication International Bank forReconstruction and Development/The World Bank,Washington D.C.,1997.

(Zuidburg - 96)Zuidburg L., Les perceptions des groupes cible dela coopération Burkina Faso/Pays-Bas en matièrede développement dans la province de Boulliende,Synthèse sur le village de Rama, 1996.

Gest ion domest ique de l ’eau et de l ’assainissement 7 3

Page 74: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection
Page 75: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Eau, genre et développement durable 7 5

L'objectif de cette partie est d'analyser commentsont effectivement pris en compte les usagers engénéral et les femmes en particulier aux différentesétapes des projets d'hydraulique villa-geoise ousemi-urbaine, dans la définition des objectifs assi-gnés à ces projets jusqu’à la place qu’ils tiennentdans la gestion du service, en passant par lesphases d’identification et de choix des optionstechniques, niveaux de service, modalités de paie-ment ou recouvrement des coûts.

Plus précisément, l’analyse tente de répondre àplusieurs questions :

1. Quelles sont les attentes des différents acteurs,partenaires et intervenants au moment de l'identifi-cation et de la programmation du projet ? La mobi-lisation et la responsabili-sation de toutes les caté-gories d'usagers sont-elles un véritable enjeu ?(sous-chapitre 2).

2. Sur quelles bases la demande des populationsest-elle évaluée ? Les futurs usagers ont-ils la possibili-té d'intervenir pendant les phases de conception, dedéfinition des choix techniques : type de service(pompe à main ou borne-fontaine), niveau de servi-ce, densité des bornes-fontaines, mise en œuvre duprojet, emplacement des points d'eau ? Les femmesont-elles l'occasion d'exprimer leurs attentes durantcette phase ? Qui sont les interlocuteurs des opéra-teurs du projet ? (sous-chapitre 3)

3. Quelle est la démarche adoptée pour favo-riser la participation de la population en géné-ral,des usagers en particulier, à l'organisation et à lagestion des équipements et du ser-vice ? Les diffé-rentes catégories sociales (jeunes - vieux, hommes -femmes, etc.) sont-elles prises en considération etles méthodes d'animation tiennent-elles compte deleurs particularités ? (sous-chapitre 4)

4. S'agissant des évaluations en cours de projetet post-projet, quels sont les critères et les indicateursretenus pour apprécier la participation des diffé-rentes catégories d'usagers aux différentes phasesdu projet ? Quelles leçons peut-on tirer de l’appli-cation de ces indicateurs ? (sous-chapitre 5)

Pour déduire de l’analyse des enseignementsopérationnels susceptibles d’améliorer l’efficacitédes projets et la pérennité des services, il est impor-tant de savoir faire la part des choses entre lesintentions d’une part, telles qu’elles sont volontiersaffichées et abondamment déclinées dans lestextes et les discours, et la réalité d’autre part, tellequ’elle ressort de la mise en œuvre et de la condui-te des projets sur le terrain, des retours d’expé-riences et des évaluations.

L’analyse s’appuie par conséquent sur des étudesde cas1, projets clos – toutefois les phases ultérieures

4. Place et rôle des usagerset des usagères

1. Introduction

1 S'agissant d'une analyse bibliographique, les documents ana-

Page 76: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

des programmes cités pourront être évoquées – quisoient les plus différenciés possi-bles vis-à-vis detrois critères susceptibles d’avoir un effet sur ce quel’on cherche à mesurer. Elles diffèrent ainsi du pointde vue du pays concerné, du maître d’œuvre etdes objectifs qui leur ont été assignés :

– réhabilitation et mise en place d'une politiquede maintenance des pompes manuelles pour le pro-jet réalisé dans le département de Tillaberi au Niger(1993-1997) et le projet FAC 94 (CEH SIDI-1994),conduit dans le même pays à Maradi ;

– réalisation de puits, forages équipés depompes manuelles et réseaux simplifiés à pom-page thermique dans la région des Koros au Suddu Tchad pour une deuxième phase du projet(1994-1997) ;

– réalisation de forages, équipés de pompesmanuelles et de pompes solaires avec un ré-seau

de distribution par bornes-fontaines (pour troisd'entre eux) dans les préfectures de Gaoual etKoundara en Guinée (1992 - 1996)2. Ce projetintègre en outre une compo-sante animation dansle domaine de la santé qui sera renforcée lors dela phase suivante (IV).

2.1. L’EtatEn matière d'approvisionnement en eau, l'ob-

jectif général des stratégies nationales est l'amélio-ration cohérente et planifiée des conditions d'ap-provisionnement en eau potable, approvisionne-ment qui est une priorité mise en œuvre avec leconcours des bailleurs de fonds.

L'atteinte de cet objectif revêt des conditionsspécifiques selon les pays, notamment au regarddes exigences de durabilité des équipements et depérennité du service. Elle implique toujours, à undegré plus ou moins important, l’implication descommunautés bénéficiaires, voire celle de catégo-ries spécifiques de celles-ci :

En Guinée, par exemple, les principes directeursde la Lettre de politique de développement agrico-le (LPDA) ont comme objectif de « rechercher l'adé-quation entre l'offre (service donné à un coût donné)et une demande, et non de confronter des besoinsen eau, fixés selon des normes théoriques, avec desressources à l'évaluation aléatoire (…). Les respon-

sabilités dévolues aux communautés impliquent, encontrepartie, qu'elles puissent participer au proces-sus de décision, depuis la conception jusqu'à lamise en œuvre. Ceci concerne en particulier lesfemmes à qui échoit la responsabilité de l'AEP ».

Le même document énumère les objectifs géné-raux du secteur :

– social (eau potable en quantité et qualité suf-fisante) ;

– économique (avec, comme effet indirect laréduction des corvées d'eau, du temps pour lesfemmes à affecter à d'autres activités) ;

– politique (notamment l'organisation des com-munautés et la promotion des collectivités).

Le projet Koros II s'appuie sur les grands prin-cipes de la politique nationale tchadienne, et sedonne comme priorité, telle que définie dans l'étu-de de faisabilité, de « responsabiliser et impliquerles utilisateurs et décharger, en contrepartie, l'ad-ministration de la gestion technique et financière duservice de l'eau. » (BRGM - 93).

7 6 Eau, genre et développement durable

lysés (rapports d'évaluation pendant la phase d'identificationdes projets, études de faisabilité, rapports intermédiaires etfinaux de mise en œuvre des projets, évaluations à mi-parcourset post-projet, etc.) ne donnent qu'une vision partielle de la réa-lité au regard des expériences et difficultés vécues par lesacteurs de ces projets. Voir bibliographie.2 L’AFD est intervenue à Coyah, Dubreka, et Kindia dans laphase 1, à Gaoual et Koundara dans la phase 3 et intervientde nouveau à Coyah et Dubreka dans la phase 4 du projet. Lesforages de Coyah et Dubreka ont été mis en place entre 1990et 1992, ceux de Gaoual entre 1994 et 1996, ceux de Koun-dara entre 1995 et 1998.

2. Objectifs des projets et attentes des acteurs

Page 77: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Au Niger, le Guide national d'animation desprogrammes d'hydraulique villageoise (Niger - 92)précise « qu'il s'avère aujourd'hui plus que jamaisnécessaire d'intégrer et de responsabiliser davanta-ge les femmes » dans les comités de gestion char-gés de gérer les équipements. Le maître d’œuvre duprojet a intégré ces recommandations nationales etadopte comme objectif spécifi-que du projet « uneparticipation active des femmes », qu'il justifie parle fait que les décideurs ou notables auxquels lesopérateurs de projets s'adressent habituellement nesont qu'indirecte-ment concernés par l'améliorationdes conditions d'AEP et moins sensibles, du fait deleur âge, aux bénéfices sanitaires (Vergnet - 97).

Recommandant toutefois de « ne pas trop heur-ter le mode de vie en milieu rural, qui enjoint lafemme de ne pas se mettre trop en avant, surtoutpour des opérations collectives », il traduit le prin-cipe de participation des femmes en une prescrip-tion opérationnelle pour le projet, demandant que« les femmes (…) fassent partie intégrante du comi-té, non seulement pour le poste d'hygiéniste maisaussi pour le poste de trésorière ».

2.2. Les usagers

L'expérience rapportée de la majorité des projetsd'AEP montre que les attentes des populations sontavant tout des effets directs, qui se traduisent en termed'amélioration du niveau de service d'approvision-nement en eau. Pour les autorités traditionnelles, cesprogrammes, lorsqu'ils les impliquent, sont souventl'occasion d'une consolidation de leurs pouvoirs.

En revanche, on ne dispose pas d'élémentspour dire, par exemple, si les femmes espèrent àtravers eux acquérir plus d'autonomie ou de pou-voir. Elles sont cependant nombreuses à s'intéres-serà la gestion des systèmes. Une enquête portant sur1. 00 centres maliens (Monimart M., RochetteR.M. et Walraevens P., 1991) a montré que l’atti-tude et l'intérêt des hommes et des femmes peuventà cet égard être très différents : 38 % seulementdes hommes déclaraient qu’ils souhaitaient contri-buer à la gestion des installations, bien que 77 %d'entre eux demandaient à être associés au choixdu type d'équipement. En revanche, les femmesétaient plus nombreuses à vouloir participer à la

gestion des équipements (47 %), mais elles s'inté-ressaient moins que les hommes au choix du typed'équipement (64 % d'entre elles).

2.3. Le bailleur de fonds

Du point de vue du bailleur de fonds, ces pro-jets revêtent un caractère social (y compris sani-taire), économique et institutionnel.

Dans le cadre du projet Koros II au Tchad, parexemple, les objectifs sont de :

– contribuer à améliorer l'état sanitaire despopulations ;

– réduire les coûts d'achat d'eau sur la zonedes Koros ;

– réduire la charge de travail des femmes ;– faciliter la mise en valeur de zones peu habi-

tées faute d'eau ;– généraliser la vente de l'eau des stations

solaires et thermiques, dans l’objectif de générerdes ressources qui pourraient permettre l'extensionde la desserte en eau des populations ;

– contribuer à désengager l'Etat de la gestion etde la maintenance des équipements en pro-mou-vant des organisations villageoises responsablesayant à gérer une caisse mutuelle.

En termes d'impacts attendus, l’amélioration desconditions de vie des femmes occupe une placeimportante parmi ceux qui sont identifiés :

– impact sur les femmes : amélioration desconditions sanitaires, allégement de la charge desfemmes consacrée aux soins, réduction des dis-tances d'accès aux points d'eau ;

– impact sur l'environnement : meilleure utilisa-tion des ressources hydrauliques, amélioration del'équilibre écologique en facilitant sa mise envaleur agricole ;

– autres effets : contribution au désengagementde l'Etat dans la gestion directe des points d'eau,la maintenance et la fourniture de pièces détachées(Felix - 93).

Dans le cas du projet nigérien, les effets atten-dus sont les suivants :

– satisfaction des besoins en eau potable ;– amélioration de la santé ;– diminution de la corvée des femmes et leur

gain de temps pour des activités productives ;

Place et rôle des usagers et des usagères 7 7

Page 78: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

– consolidation du dispositif de maintenance ;– émergence d'acteurs privés et le désengage-

ment de l'Etat (organisation d'une logistique fiableet auto-entretenue de la maintenance des pompesà motricité humaine basée sur les règles du secteurprivé) (Pin Yathay - 92-2).

Pour la troisième phase du projet d'hydrauliquevillageoise en Guinée, le rapport d'évaluation pré-voit que le projet aura un impact direct sur la cor-vée des femmes et se traduira par un gain detemps permettant aux habitants de mieux se consa-crer à d'autres activités productrices. Une anima-tion soutenue est prévue de façon à renforcer l'im-pact du projet sur l'état sanitaire des populationsbénéficiaires. Il doit aussi contribuer au renforce-ment des structures de développement en créant,au niveau de chaque village, une organisation etune prise de responsabilités dans le domaine de lagestion des recettes et de l'entretien des pompes(Pin Yathay - 92-1).

L'accumulation de l'expérience de la coopéra-tion française dans le secteur tout au long des an-nées 80 et 90, ainsi qu'une série d'évaluationsrétrospectives menées par l'AFD sur cinq de sesprogrammes, ont conduit cette dernière à élaborerune Note d'orientation opérationnelle en matièred'hydraulique de proximité (janvier 2000)3. Unbref rappel de cette note montre son souci depérenniser les services.

Cette stratégie d’intervention a pour finalité de contribuer à l’améliora-tion durable des conditions de vie des populations, en mettant l’accentsur deux objectifs interdépendants :

– la pérennité des équipements et des ouvrages périphériques : il faut queles équipements financés aient la plus longue durée de vie possible ;

– la pérennité du service de l’eau : il est nécessaire que les usagerssoient assurés de disposer d’un accès durable à une eau potable.

Ces objectifs devraient être atteints par la mise en œuvre des grandesorientations et des princi-pes directeurs suivants :

– priorité d’une approche « par la demande » : pour accroître leurchance de pérennité, les équipements devraient, dans la mesure du pos-

sible, être adaptés à la demande des usagers, à partir d’un choix entreplusieurs moyens d’exhaure défini en fonction de leurs besoins et pos-sibili-tés. Cette approche par la « demande » permet ainsi de tenircompte des capacités « d’appropriation » des équipements par les com-munautés. La participation initiale des bénéficiaires aux coûts d’inves-tissement, à un niveau « supportable » permet également de tester l’in-térêt des populations pour le point d’eau ;

– adoption et mise en application par l’Etat d’une politique claire iden-tifiant les divers niveaux de responsabilités : régulation (Etat et collec-tivités locales), maîtrise d’ouvrage (Etat, collectivités locales), gestion(association d’usagers, comités de gestion des points d’eau, privés),exploitation et maintenance (en régie, affermée à des associations ouà des privés) ;

– création et pérennisation de structures de gestion et d’exploitationcollective des points d’eau décentralisés ; l’absence de ces structuresconstitue la principale insuffisance des programmes mis en œuvre jus-qu’ici. Un statut des associations d’usagers de l’eau (AUE) devrait êtreélaboré par la puissance publique et son adoption par les responsablesdes comités de points d’eau décentralisés (CPE) fortement encouragés àtravers une politique active d’animation et d’incitation ;

– implication de ces associations, le plus en amont possible, dès ledémarrage des programmes, et avec une meilleure prise en compte desintérêts et du rôle des femmes dans la gestion des points d’eau ;

– adoption, dans le cadre de la maîtrise d’œuvre sociale chargée depromouvoir la réforme, d’une politique d’animation innovante fondéesur des méthodes participatives classiques dans les mi-lieux du déve-loppement, mais encore peu utilisées en hydraulique de proximité, avecun abandon progressif des méthodes didactiques autoritaires et « des-cendantes » ;

– généralisation du principe du paiement du service de l’eau, au niveaurequis pour couvrir au minimum le coût de la maintenance à longterme. Dans les zones les plus favorisées, utilisation des surplus et del’épargne générée par la vente de l’eau comme facteur de développe-ment local à travers des structures financières décentralisées ;

– implication accrue du secteur privé et adoption d’une politique forted’incitation à la contractualisation de la fourniture de services entre(selon les cas) l’Etat, les collectivités locales, et surtout entre les asso-ciations d’usagers (AUE) et le secteur privé à travers des contrats typesà caractères commerciaux (contrats d’entretien préventif, de mainte-nance totale, d’affermage ou d’appui conseil à la gestion financière ;

– d’une manière générale, définition d’une stratégie reposant sur des« programmes processus » qui semblent plus appropriés au nouveaumode de gestion envisagé pour le secteur de l’hydraulique de proximité.

7 8 Eau, genre et développement durable

3 L’hydraulique de proximité regroupe l’hydraulique villageoise etd’approvisionnement des populations dispersées en zone ruraled’une part, et les systèmes de distribution autonomes installésdans les bourgs ruraux ou les centres secondaires (et le caséchéant les quartiers péri-urbains) d’autre part.

Page 79: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Pour l’Etat comme le bailleur de fonds, l’un desobjectifs indirects des projets d’alimentation en eaupotable est ainsi la responsabilisation des usagerset la promotion des organisations villageoises. Peut-

on conclure, à la lumière des développements etexemples précédents, que la mobilisation de toutesles catégories d’usagers - y compris les femmes -constitue un véritable enjeu ?

Les principes de programmation du projet KorosII au Tchad (BRGM - 93-2) se sont fondés sur desrecommandations formulées à l'issue d'une tableronde entre l'administration et les bailleurs defonds, organisée par l'ONHPV en 1987 :

– le choix d'équiper ou non un village est fonc-tion de la distance entre le village et le premierpoint d'eau disponible. Par ailleurs, deux niveauxde desserte (10 et 20 litres par personne et parjour) sont définis et correspondent à deux phasesd'équipement dans le temps ;

– en matière de contribution financière des com-munautés bénéficiaires à l’investissement, les condi-tions d'octroi des équipements sont les suivantes :100 000 F CFA pour une pompe manuelle et500 000 F CFA pour une station de pompage.

Lorsque la demande n'émane pas des villages,une première sélection est effectuée sur la base desbesoins estimés à partir de la base de donnée dela Direction de l'Hydraulique et validée par desenquêtes de terrain :

Au démarrage du projet, « la programmation sebase sur l'utilisation du logiciel (…) qui permet unesélection des villages les plus nécessiteux. Aprèsactualisation du fichier des points existants (…) uneenquête préalable de la direction de l'hydrauliquea permis de vérifier la situation et l'urgence desbesoins dans 156 villages. Par ailleurs, plus de 65villages non enquêtés ont spontanément présentédes demandes d'équipement (…). Des enquêtesplus détaillées seront reprises en début de secondephase sur l'ensemble de ces villages pour vérifierleurs motivations, ainsi que leur adhésion aux orien-tations et conditions de réalisation du programmeproposé, afin de sélectionner définitivement lessites d'implantation » (Felix - 93).

Différentes phases d'animation et de sensibili-sation des populations sont ensuite prévues, dont :

– une enquête socioéconomique destinée àdéterminer les priorités et réaliser une préinfor-mation ;

– l'information des villageois sur le projet et lesconditions d'octroi du point d'eau.

La programmation de la troisième phase du pro-jet d'hydraulique villageoise en Guinée (Burgéap -96) s'est appuyée sur trois niveaux d'urgence, défi-nis par le SNAPE, en fonction de la distance sépa-rant le village du premier point d'eau disponible etles variations saisonnières des conditions d'accès àl'eau (pas d'eau à moins de 1 km en fin de saisonsèche). Le programme avait pour but de fournir à100 % de la population rurale résidant dans desvillages de plus de 150 habitants, 10 litres d'eaupotable par jour et par habitant. Les objectifs géné-raux des enquêtes socio-économiques et de l'ani-mation étaient :

– de préciser les besoins en eau des popula-tions ;

– d'assurer la pérennité du fonctionnement de lapompe ;

– d'assurer la conservation de la qualité de lachaîne de l'eau, du bec de la pompe au gobelet.

Les villageois s'engagent au versement d'uneparticipation financière de 150 000 francs gui-néens, à la constitution d'un comité de gestion dupoint d'eau (CGPE) de sept membres et à la parti-cipation des membres aux séances de formation. Ils« prennent le temps de se concerter pour mettre enplace le CGPE et donner leur réponse définitive ».

Dans le cas du projet Tillaberi au Niger, projetde réhabilitation de pompes à motricité humaine,l'innovation réside dans le dispositif de maintenan-

Place et rôle des usagers et des usagères 7 9

3. L’évaluation de la demande dans les études préalables

Page 80: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

ce : réactivation ou mise en place de comités degestion, constitution d'un service après-vente, appuiaux artisans réparateurs, mise en rela-tion des dif-férents intervenants. Les relations entre les interve-nants sont bien organisées par l'opérateur du pro-jet et la collectivité peut les accepter ou non, maisdifficilement modifier le schéma organisationnel :« l'adhésion au programme est libre, les villageoisse déterminent après une session d'animation et deformation complète à l'issue de laquelle ils saventparfaite-ment quelles sont les conditions d'entrée auprojet et quels sont les engagements qu'ils devrontremplir » (Vergnet - 97).

3.1. Une appréciation des besoins

L’examen comparé de la programmation de cesprojets montre que le principal critère d’identifica-tion et de présélection des sites bénéficiaires a étél'estimation des besoins à partir des ressources eneau existantes ; c’est leur plus ou moins grande dis-ponibilité (accessibilité) qui détermine différents ni-veaux d'urgence et de priorité d’intervention.

Bien que ce critère se fonde non pas sur l’ex-pression d’une demande mais sur la notion norma-tive de besoins, on notera cependant qu’il est cohé-rent avec les connaissances acquises concernantles déterminants de la demande4.

Une fois que les sites potentiellement bénéfi-ciaires du projet ont été identifiés, la motivation descommunautés correspondantes est ensuite évaluéeà partir d'enquêtes de terrain, généralement aucours de l'étude de faisabilité.

Les indicateurs utilisés a priori pour apprécier lademande (tels qu’ils sont énoncés dans les rap-ports, ce qui n'exclut pas que d'autres élémentsinterviennent) ont souvent été limités à l’adhésiondes communautés vis-à-vis du projet, c'est-à-dire àleur acceptation des conditionnalités du projet entermes de participation financière et d'organisationselon un schéma déterminé.

L’évaluation de la demande se résume souventà la validation d’une demande présupposée : sur

la base de besoins pressentis (points d'eau exis-tants), une offre technique (un type de service oud’équipement) et financière (participation à l’inves-tissement) est présentée aux communautés qui n’ontpratiquement d’autre choix que de l’accepter ou dela refuser. Dans cette approche des projets, orien-tée par l’offre et la réponse technique qui lui estfaite, la question qui se pose finalement n’est pasvraiment de savoir si les femmes interviennent ounon dans le processus, mais bien plutôt si les popu-lations en général ont l’opportunité d’exprimer leurspréférences.

Les actions d'animation et les enquêtes de ter-rain sont alors davantage orientées vers l'informa-tion et la formation que vers un véritable échangeet la possibilité de réorienter les actions en fonctiondes demandes des usagers.

A l’exception de certains cas où les commu-nautés présentent spontanément des demandesd'équipement (projet Koros II au Tchad), les phasesd'identification et de faisabilité du projet ne per-mettent généralement pas aux populations d’inter-venir dans le choix des équipements.

3.2. Un contexte peu favorable à uneparticipation large de la population, etnotamment des femmes

Dans la seconde phase du projet conduit àMaradi (Niger), le processus suivi ménageait toute-fois la possibilité pour les communautés de choisirle type d’aménagement qui leur convenait. L’éva-luation de la première phase du projet avaitdémontré que les choix exprimés reflétaient prati-quement toujours les préférences des chefs de vil-lage ou - au mieux - d’un groupe d’hommes et nonpas celles de l’ensemble des villageois, encoremoins celles des femmes : sur 100 sites enquêtésau cours de l’étude préalable, aucun n’avait impli-qué de femmes dans le choix du type d’ouvrage.

Pour pallier cette insuffisance, les animateurs duprogramme ont procédé à une nouvelle analyse ducontexte hydraulique et socioéconomique dechaque site demandeur, en associant cette fois lesfemmes à la réorientation des choix et en prévoyantde surcroît de mettre en place des équipes mixtesd’animateurs (un homme, une femme), de façon à

8 0 Eau, genre et développement durable

4 Voir chapitre 2, où l’on a montré que la demande est large-ment dépendante des ressources en eau existantes.

Page 81: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

favoriser l’émergence des préférences féminines.Cependant, malgré leur présence et leur participa-tion aux réunions (comme à Sarkin Yaki Oumarouoù elles exprimaient clairement leur préférence pourune pompe à motricité humaine, tandis que leshommes voulaient un puits en ciment), les femmesn'ont presque jamais pu faire valoir leurs choix.

La contribution financière des usagers s'élevait,dans le cadre de ce programme, à 250 000 FCFA pour la réalisation d'un puits neuf. En respectdes objectifs fixés, une participation finan-cièrelibre des femmes était requise dans chaque site.Dans neuf sites sur les dix concernés, la contributioneffective des femmes a varié de 10 000 à50 000 F CFA, ce qui représente selon les sitesentre 5 et 30 % du montant de la participationfinancière globale.

Sur les trente représentants villageois chargés,au nom de leur communauté, de plaider les de-mandes d'octroi de subventions, on comptait seu-lement quatre femmes, soit 13 % de l'effectif. Mal-gré leur petit nombre et un public qui leur était com-plètement étranger, ces dernières ont surmonté leurréserve et répondu aux questions qui leur étaientparfois directement posées.

Mais leur difficulté à s’exprimer publiquementn’en était pas moins réelle5 et les représentantsmasculins, qui ont montré plus de dynamisme dansla défense des dossiers, l’ont emporté.

La quasi absence des femmes dans les ins-tances décisionnelles s'expliquait par :

– les critères de sélection retenus : pour êtremembre du jury, l’une des règles imposait d'être let-tré(e) ou alphabétisé(e) en français, haoussa, tama-chèque ou arabe. Or, en matière d'éducation, lesfemmes de cette région (à l'image de la situationgénérale du pays) demeurent très en retard et seulun petit nombre pouvait répondre à ce critère ;

– le refus des maris : les quelques femmes let-trées ou alphabétisées qui auraient pu se présenterétaient relativement jeunes et leurs maris ontpresque toujours refusé qu’elles s’absentent dufoyer pendant les deux ou trois jours nécessaires.

Bien que ce projet se soit donné comme objec-tif la participation des femmes à ces différentes

étapes, il montre bien toute la difficulté de l'exerci-ce qui nécessite temps, technicité, connaissance ducontexte social, etc.

3.3. Une connaissance insuffisante de lademande

Malgré les précautions prises par les projetsanalysés pour s’efforcer d’associer les futurs bénéfi-ciaires - et les femmes en particulier - aux choix desmodalités de service, on ne peut que constater quela participation des usagers à ce stade se résumesouvent à l'adhésion ou non à une offre prédéter-minée.

Dans le meilleur des cas, la demande prise encompte n’est pas celle de l’ensemble de la com-munauté mais d’un groupe social ou d’une factionparticulière. De Sardan et al. rapportent ainsi,qu’en Guinée, « les rivalités interlignagères et inter-ethniques au niveau des points d’eau se sont expri-mées dès le choix des emplacements. Les techni-ciens ont négocié avec les autorités villageoisespour aboutir à des résultats variés. Souvent le li-gnage dominant ou l’ethnie principale ont fait pré-valoir leur point de vue, parfois un site neutre a étéchoisi, mais sans que cela évite toujours que leforage ne soit boycotté par ceux qui s’estimentlésés » (De Sardan et al. - 2000).

Les mêmes auteurs fournissent un argument sup-plémentaire pour mettre en question la capacitédes projets à répondre à une réelle demande col-lective pour un service amélioré, en faisant remar-quer que ces projets « interviennent assez réguliè-rement dans de nombreux villages et sont considé-rés par les populations comme une opportunité deressources qu’il ne faut pas laisser passer (…).Quand plusieurs projets interviennent ou sont inter-venus dans un village, ils sont souvent confondusdans les perceptions ou les souvenirs des habitants,qui, en dehors des quelques personnes qui ont étéles interlocuteurs directs des agents de chaque pro-jet et sont en général les piliers des « comités » misen place, ne connaissent clairement ni les noms, niles objectifs, ni les méthodes particulières dechaque projet ».

Les démarches adoptées par les projets décritsne permettent pas, au stade de la faisabilité du pro-

Place et rôle des usagers et des usagères 8 1

5 Citons le cas de la déléguée peuhle de Dan Gagéré qui a dûêtre remplacée après s’être avérée incapable de s'exprimer lorsde l’assemblée villageoise.

Page 82: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

jet, de réaliser une véritable évaluation de lademande, au sens économique et sociologique,c'est-à-dire qui privilégie la somme ou la résultantedes demandes individuelles. Pour des questions detemps, de moyens humains et financiers, on est con-duit à se limiter à l’expression des demandes« communautaristes » qui sont celles d’une faction,

d’une lignée, d’une ethnie, d’un groupe social par-ticulier, alors qu’évaluation de la demande etapproche participative nécessitent une analyse desstructures socio-politiques villageoises et du fonc-tionnement des « arènes locales » dès le stade dela faisabilité pour asseoir des systèmes de gestionreprésentatifs de l’ensemble des la communauté.

4.1. Le Comité de Gestion, modèle issu del’ingénierie sociale « participative »

En matière d'approvisionnement en eau potableen milieu rural, le mode de gestion privilégié mis enplace dans la plupart des pays d'Afrique franco-phone est collectif et prend la forme d’un comitévillageois, dit CGPE (Comité de Gestion des Pointsd’Eau).

La plupart des Etats, parfois sous l'impulsion desbailleurs de fonds, a adopté le principe de l'auto-nomie des bénéficiaires des installations vis-à-vis deleur entretien et de leur renouvellement6. En l'ab-sence de collectivité locale élue, les comités degestion des points d’eau sont censés représenter lacommunauté et agir pour elle et en son nom.

Avec le développement des systèmes modernes(en particulier des pompes à motricité humaine etdes adductions d’eau potable), et face aux nou-velles politiques mises en place par les Etats dansce domaine, les CGPE doivent aujourd’hui :

1) gérer techniquement les ouvrages, c’est-à-dire assurer la production et la distribution de l'eau,ainsi que la maintenance des équipements ;

2) recouvrer, au moins en partie, les coûts récur-rents liés au fonctionnement et au renouvellementdes installations, par le biais de la vente de l’eauaux usagers.

Ces comités de gestion prennent des formesspécifiques selon les pays :

– au Niger, les premières pompes à motricitéhumaine (PMH) sont déjà anciennes (début desannées 80) mais étaient dépourvues au départ decomités de gestion. Au début des années 90, avecle projet de réhabilitation des pompes du départe-ment de Tillabéri (PRT), un réseau d’animateurs a eupour tâche d’appuyer la mise en place de comitésde gestion et leur suivi pendant quelque temps,avant d’être relayé par un second réseau d’anima-teurs dépendant de la cellule de suivi-évaluation-appui du projet ;

– en Guinée, l’implantation massive de pompesà motricité humaine est beaucoup plus récente(début des années 90) et est allée de pair avec laconstitution de comités de gestion, dont l’encadre-ment relève d’un service officiel spécialisé, leSNAPE ; en outre, une réorganisation (dite phase 4)des comités de gestion est en cours dans une deszones concernées du pays.

Dans ces deux pays, la mise en pratique sur leterrain de la gestion collective de l’eau par descomités de gestion a suscité diverses interrogationsquant à son efficacité et sa viabilité :

Au Niger, deux rapports d’évaluation relèvent àce propos que :

– « l’appropriation des points d’eau par lescomités de gestion et, plus globalement, par les vil-lageois, reste probablement le point le plus délicatdu montage et de la viabilité de ces projets »(Coquart et Verdelhan-Cayre - 98) ;

– « le milieu rural et notamment les villageois dudépartement de Tillabéri ne paraissent pas aptesdans leur ensemble à gérer dans de bonnes condi-

8 2 Eau, genre et développement durable

4. Modes de gestion et participation des usagers

6 Le renouvellement des forages reste généralement à la chargede l'Etat.

Page 83: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

tions et sur le long terme un parc de pompes »(Gageonnet - 99).

En Guinée (avant la phase 4), plus encorequ’au Niger, le fonctionnement des comités de ges-tion suscitait des réserves analogues : « Les éva-luateurs restent très réservés sur le rôle et la respon-sabilité de ces comités de gestion des pointsd’eau » (Coquart et Vaillant - 99).

Ces interrogations ont conduit l’AFD à com-manditer une étude destinée à analyser les formesconcrètes de la gestion des points d’eaumodernes, d’une part au Niger dans le départe-ment de Tillabéri, d’autre part en Guinée occi-dentale (préfectures de Kindia, Coyah, Dubreka,Gaoual, et Koundara), dans le but de mettre enévidence les dysfonctionnements éventuels, leursorigines et les perceptions des acteurs concernésainsi que de formuler un diagnostic global (DeSardan et al. - 2000)7. Un certain nombre deconstats rapportés ici sont extraits de cette étude,ainsi que d’une analyse menée par J. Etienneentre 1996 et 1998 également au Niger et enGuinée (Etienne - 98)8.

4.2. La participation des usagers à la gestiondes systèmes d'AEP

Le mode de gestion des CGPE, dit « commu-nautaire », est fondé sur l'hypothèse de la volontédes usagers de participer à la gestion des installa-tions. L'enquête de Monimart et al. portant sur1000 centres maliens (Monimart M., RochetteR.M. et Walraevens P.- 1991) a montré que l’atti-tude et l'intérêt des hommes et des femmes peuventà cet égard être très différents. En dépit de cette dif-férence sensible de motivation selon le genre, il estimportant de souligner qu’elle est globalement éle-vée et intéressant de remarquer qu’elle reproduit auniveau collectif le schéma traditionnel de partagedes tâches domestiques.

Comment se traduit-elle dans les faits lors de lamise en place des structures de gestion et dans lasuite du projet ?

Fonctions et attributions des membres des comités de gestion

Le Guide national d'animation des programmesd'hydraulique villageoise du Niger (Niger - 92),proche des textes également adoptés par les Etatsvoisins, est un bon exemple des dispositions prisespar les autorités nationales concernant le rôle et lesattributions des membres des comités d’eau :

Le CGPE a pour principales attributions :– d’organiser la participation financière et phy-

sique du village pour la réalisation du systèmed'adduction d’eau ;

– de veiller à l'approvisionnement régulier et àla gestion de la « caisse eau » ;

– de veiller à l'entretien et à la maintenance dupoint d’eau ;

– de veiller à l'application du règlement d'usa-ge du point d'eau ;

– de tenir des réunions villageoises périodiques ;– de rémunérer l'artisan réparateur ;– de développer des actions liées à l'eau (plan-

tations d’arbres, développement de cultures maraî-chères et fruitières) (Niger - 92).

Le CGPE comprend cinq membres dont un pré-sident, un secrétaire, un(e) trésorier(e), un(e) hygié-niste, un réparateur villageois. « La fonction demembre du comité est bénévole sauf sur l'ini-tiativedes populations ».

Afin de s'assurer que chacun des groupes com-posant la communauté est bien représenté, « il estrecommandé que l'élection des membres du comi-té de gestion se fasse de manière libre et démo-cratique et sur la base de certains critères tels qued'habiter dans le village, être dynamique, respec-té, etc. ». Les membres du comité d'eau sont élusen principe par l'assemblée villageoise, convo-quée à cet effet.

Il est également souvent recommandé (de façonplus ou moins précise selon les pays) que les ins-tances du comité intègrent un certain nombre defemmes. Au Niger, la direction de l’Hydrauliqueindique que « les femmes étant les premièresconcernées, leur représentation à des postes impor-tants, notamment celui de trésorier, sera avanta-

Place et rôle des usagers et des usagères 8 3

7 En particulier, les témoignages d’usagers, d’usagères ou demembres des CGPE cités dans la suite sont rapportés de l’uneou l’autre étude.8 Voir chapitre 2 « Distribution du pouvoir et changement social »,§ 4. « Le rôle des associations dans l’évolution de l’organisationsociale ».

Page 84: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

geuse pour la gestion, vu aussi qu'elles sont plusstables dans les villages ».

Une légitimité contestée

« Nous ne sommes pas contents des gérants, au début ils ont fait celacollectivement, maintenant ce sont les gens d'un seul village qui fontleurs choix » (Un habitant de Bagueye - Niger).

Au Niger, si selon les directives nationales lesmembres du comité sont élus par la population, lechoix est en réalité la plupart du temps établi encomité restreint de notables ou de conseillers deschefs traditionnels.

De Sardan et al. montrent que les comités de la« première génération » ont souvent été « élus » dansla foulée de la réhabilitation des pompes et sous lapression forte des animateurs du projet lors d’uneassemblée plus ou moins officielle. Là où elles ontréellement eu lieu, les élections ont très souvent étéune formalité pour satisfaire les exigences des ani-mateurs du projet. Parfois les noms ont fait l’objetd’un accord préalable (souvent sur proposition duchef), auquel cas il s’agissait d’une simple ratifica-tion publique. Parfois aussi la procédure électoralea été plus conflictuelle. Pour permettre au comité dejouer pleinement son rôle, la doctrine a été d’écar-ter les chefs de village, devenus indésirables, de lagestion et de les confiner à un rôle de conseil etd’arbitrage en cas de conflit au sein du comité. Ilssont alors devenu un important point de blocagedans le fonctionnement des comités et une sourcepotentielle de conflit, au sein des arènes localescomme avec les intervenants extérieurs.

Les modes de désignation des « comités deseconde génération » sont plus obscurs et variés.Ceci témoigne de ce que le plus souvent un modeformel de nomination n’a pas eu lieu, à plus forteraison une élection. Au mieux, on a affaire à uneréunion de notables locaux avalisant les nomsavancés par le chef de quartier ou de village. Il ya une nette tendance au retour des chefs avec des-titution plus ou moins « en douceur » des élus ini-tiaux. Les nouveaux responsables di-sent toujoursavoir été « désignés par le village » (ou le quartier),mais il faut sans doute voir là plus une quête delégitimation qu’une réalité objective.

8 4 Eau, genre et développement durable

Les fonctions des membres du comité (d’après Niger 92)

Le Président représente le comité devant l'administration et

les autres partenaires du point d'eau. Il prépare l'ordre du jour

des réunions, convoque et préside les réunions, règle les litiges,

coordonne et contrôle les tâches et les activités dévolues au Comi-

té de Gestion de Point d’Eau (CGPE) , rend compte aux villageois

une fois par trimestre.

• Profil requis : « Le président doit être un homme de consensus,

de dialogue, ayant une autorité et une ouverture d'esprit ».

Le Secrétaire doit tenir les documents de gestion, tenir le

cahier de la pompe (interventions tech-niques), rédiger si possible

les procès-verbaux des réunions (dates, objets, décisions)

• Profil requis : « Le poste de secrétaire ne peut être tenu que par

une personne lettrée ou al-phabétisée, que se soit en français, ou

dans une des langues nationales. Il doit être ordonné et soigné. »

Le (la) Trésorier(ère) est chargé(e) de garder la « caisse

eau ». Il ou elle présente la caisse chaque fois qu'on le lui demande.

« Il/elle ne doit ni prêter cet argent, ni le monnayer sans l’auto-

risation des autres membres du comité. »

• Profil requis : « Le poste de trésorier ne peut être tenu que par

une personne responsable, sta-ble, digne de confiance et d'une

bonne intégrité morale. Il est recommandé que ce poste soit oc-

cupé par une femme. »

L’Hygiéniste assure la propreté de l'ouvrage et de ses

abords, veille à l'utilisation correcte de la pompe, conseille les usa-

gers sur la conservation de l'eau.

• Profil requis : « L'hygiéniste doit être une personne respectée et

écoutée par l'ensemble des villa-geois. Autant que faire se peut,

elle doit être un modèle de propreté ».

Le réparateur villageois doit veiller à la bonne

marche de la pompe, assurer le graissage périodique et l'entretien

courant, procèder à l'ouverture et à la fermeture de la pompe.

• Profil requis : « Femme ou homme stable au niveau du village ».

Page 85: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Dans la plupart des cas étudiés par Sardan etal., les chefs interviennent ou sont intervenus dansla gestion des points d’eau, soit en nommant « leursgens » dans les comités, soit en organisant unecontestation des comités en place qui leur échap-paient : sur 28 comités de gestion, 19 ont commeresponsables des proches directs du chef et 15 ontconnu des conflits directement liés à la chefferie(par exemple querelles dynastiques intervenant surla gestion des points d’eau ou affrontement directde factions sur la gestion du point d’eau).

En Guinée, des comités de points d’eau (CPE)ont partout été mis en place à la demande duSNAPE (Service National d’Aménagement desPoints d’Eau), même là où l’eau n’est pas ven-due etoù l’on recueille des cotisations au moment despannes. En de tels cas, les plus nom-breux, les fonc-tions réelles du comité sont assez réduites. Lesmembres ont été à peu près par-tout choisis par lesnotables du village, anciens des lignages domi-nants, imams, présidents de CRD (Communautésrurales de Développement), chefs de district ou desecteur, présidentes des femmes, parfois sous-pré-fets. Dans ce contexte, la « notabilité décisionnellelocale » ne se limite pas aux « aînés de lignages »mais inclut aussi les deux composantes de la bureau-cratie moderne rurale, les élus (issus du milieu localet souvent eux-mêmes notables lignagers) et les fonc-tionnaires (secrétaires de CRD, sous-préfets), qui sesaisissent parfois de la question des forages.

Etre désigné par des notables n’est pas néces-sairement le signe qu’il y ait là pour les acteurs lo-caux un enjeu symbolique et économique impor-tant. Cela peut être aussi dû au fait qu’on consi-dèreces fonctions comme des corvées dont personne neveut… C’est en effet une position difficile, dans unesociété d’inter connaissance, que d’être chargé defaire appliquer des règles et plus encore d’infligerdes sanctions. De plus, si le passage de la gratuitéà l’eau payante diminue les conflits entre usagers(vol des bidons, problèmes dans la file d’attente),elle fait naître d’autres conflits entre les usagers etles membres du comité de gestion.

« Une femme nommée A. a insulté le vieux fontainier. Les conseillers,en attendant le jugement, lui ont interdit la pompe. Une autre femmes’est jetée sur la trésorière N.S. dont les habits ont été déchirés. Moi-même, j’ai été victime de N.K. qui m’a insulté à la pompe ici. Une filledu nom de A. s’est aussi jetée sur la présidente du comité. Tous ces

conflits ont été réglés par les con-seillers » (le secrétaire du comité deMangata - Guinée).

« Le chef secteur a voulu favoriser un de ses frères. L’élection a permisd’élire une autre personne » (A.D., boulanger à Kamabi - Guinée).

Lorsque des difficultés se présentent dans l'ex-ploitation du système, la légitimité des comités degestion est fréquemment mise en cause par les usa-gers, mais en réalité, si les commentaires sont par-fois virulents, la revendication prend rarement uneforme organisée, qui viserait par exemple à rem-placer les membres des comités. La difficulté durecours - à qui s'adresser lorsque les auto-rités tra-ditionnelles sont impliquées - et l'organisation socia-le justifient largement cette attitude (cf. § 2).

Le rôle subalterne des femmes au sein desComités de Points d’Eau

« Ici, les femmes sont reléguées au second plan (...). Je ne sais rien ducomité de gestion car ce sont les hommes les gestionnaires » (commen-taire recueilli à Bagueye au Niger).

Dans le cadre de l’étude menée sur onzecentres et quartiers semi-urbains, on ne relève qu'unseul cas où les femmes ont un réel pouvoir de déci-sion dans la gestion du service d'eau potable : ils'agit d’une installation à la périphérie de Niameyoù deux postes d'eau sont gérés par les représen-tantes de l'Association des Femmes du Niger (AFN)(Etienne - 1996). Cette association, statutairementapolitique mais sous tutelle de l'Etat, intervient àl'échelle du pays tout entier.

La place des femmes au sein des comités degestion reste mineure, et souvent équivoque :

– ainsi, les hygiénistes, chargées en fait d’ani-mer des corvées de nettoyage, ne sont parfois quedes noms (féminins) fictifs ;

– les fontainières jouent certes un rôle central,mais de type subordonné (une fonction d’employéeen quelque sorte), bien qu’elles puissent, dans cer-tains cas, utiliser à leur propre profit leur marge demanœuvre (et par exemple garder pour elles-mêmes une part des recettes).

– quant à la fonction de trésorière, elle sembleliée à une idée généralement répandue dans lemonde du développement (et dont il est difficile desavoir jusqu’à quel point sa reprise dans les dis-

Place et rôle des usagers et des usagères 8 5

Page 86: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

cours villageois est liée ou non à cette influence desprojets) selon laquelle les femmes se-raient demeilleures gestionnaires, succombant moins auxtentations des détournements.

Dans le cadre du projet de Tillabéri, les anima-teurs ont ainsi fortement préconisé la nomination defemmes comme trésorières. Ils ont bien sûr été par-fois suivis, mais non sans quelques effets pervers :plusieurs trésorières semblent ainsi être de quasiprête-noms.

« Nous avons choisi des vieilles femmes pour être fontainières. Il est dif-ficile de placer un homme à un poste où il y a de l’argent qu’il n’hési-tera pas à dépenser en un jour. C’est pour cela aussi que nous avonsdésigné une femme au poste de trésorier. Mais elle ne continue pas àgarder l’argent avec elle » (S.A., Logaïzaydo - Niger).

« La trésorière était F.B. au début. Mais en fait on ne peut pas vraimentdire que c’est encore elle. Il a dû y avoir des incompréhensions, et ellea remis la caisse au chef de village » (H.G. Gorou Koufeïzeydo - Niger).

Il faut aussi ajouter qu’un mode de discussionhabituel des principales affaires publiques dans lesvillages (y compris donc les problèmes éventuels deréparation d’une pompe ou de gestion des fonds)exclut de fait les femmes du débat, au moins souscette forme publique : c’est en effet souvent le ven-dredi à la sortie de la mosquée que les principalescommunications et propositions sont faites.

Ceci n’empêche pas certaines femmes de refu-ser de se plier aux injonctions du chef ou du prési-dent du comité : dans tel village nigérien, la fon-tainière d’un des deux forages a décidé de ne plusremettre les fonds qu’elle recueille au chef de villa-ge, qui a fait main basse sur le comité de gestionaprès avoir obtenu la démission des anciens res-ponsables. Désormais elle gère toute seule le fora-ge, et entend s’occuper elle-même du financementde la maintenance.

Dans le projet guinéen, il a également étéconstaté que les femmes sont également canton-nées dans les tâches subalternes bien qu'indispen-sables. Elles sont souvent fontainières et organisentla perception auprès des utilisatrices en cas decotisation régulière ou de cotisation à la panne.Elles occupent aussi presque toujours le rôle ”d’hy-giéniste” (l’hygiéniste faisant parfois fonction defontainière), c'est-à-dire qu’elles ont pour tâche de

balayer l’enceinte, nettoyer la margelle et lapompe, désherber à la saison des pluies, en recou-rant pour cela à l’aide des utilisatrices. Certaines s’yemploient, d’autres sont découragées ou renoncent.

« Je m’occupe de l’entretien et de l’hygiène. Nous avions dit au débutque les femmes viennent pour le nettoyage mais aucune n’est venue.J’étais obligée de m’en occuper avec F. B., elle est la seule à laverchaque jour, je l’aide rarement » (F.S., présidente des femmes du sec-teur de Ley-Saré à Foulamori - Guinée).

« Les femmes qui refusent de nettoyer sont les plus nombreuses. Pourpuiser, elles viennent, pour nettoyer, elles ne viennent pas. Elles sonttrop orgueilleuses pour venir laver parce qu’elles sont femme d’unpatron, femme d’un fonctionnaire. Les femmes vendeuses ne s’occu-pent que de leurs marchandises dès le matin, elles sortent pour le mar-ché » (S.D., hygiéniste du forage du camp de Foulamori - Guinée).

Parfois, l’entretien est assuré par une mobilisationcollective des femmes, qui peut être le fait de l’hy-giéniste, d’une femme influente, ou des notables.

« Nous avons quatre groupes. Chaque groupe est composé de troisfemmes. Si, dans un foyer, les coépouses sont au nombre de trois, ellesforment un groupe. Si elles sont deux et qu’il y ait une femme du jeunefrère du mari, elles aussi constituent un groupe de lavage. Si un grou-pe lave aujourd’hui, demain nous ajournons et après-demain, c’est unautre groupe. C’est comme cela que nous faisons jusqu’à atteindre lesquatre groupes » (une utilisatrice, Fandadji - Guinée).

« Le travail des femmes est plus important que celui des hommes. Elless’occupent de la propreté de l’enceinte du forage, elles sont là-bas tousles jours. Elles balaient l’enceinte et lavent la pompe. Ce sont les deuxfemmes (du comité de gestion du point d’eau) qui mobilisent les autresfemmes pour nettoyer ou désherber aux alentours » (M.T., président duCPE du forage 3 de Kama-bi - Guinée).

Les femmes ne gèrent pas réellement la caissede l’eau lorsqu’elles en ont nominalement la char-ge : elles remettent le plus souvent l’argent à unhomme, mari, fils, trésorier ou président du comitédu point d’eau. Lorsqu’elles sont membres du comi-té de gestion, elles ignorent souvent le montant quiest en caisse. Lorsqu’elles sont trésorières, cela peutsignifier que le comité du point d’eau n’a pas decaisse à proprement parler et qu’il n’y a pas beau-coup d’argent à garder.

8 6 Eau, genre et développement durable

Page 87: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

« Les femmes payent l’eau, mais l’argent est la propriété exclusive des

hommes, c’est eux qui se lèvent pour aller chercher l’artisan-répara-

teur » (T.C., belle-sœur du chef secteur de Sabouya, et membre du

comité de gestion du point d’eau - Guinée).

« Les vieux se réunissent, les femmes ne sont pas impliquées, on

implique les femmes pour une réception mais pas pour la gestion cor-

recte de l’eau » (M.B., présidente des femmes de Sabouya - Guinée).

Le manque de participation effective aux assemblées villageoises

Les assemblées villageoises ne regroupent sou-vent qu'une petite partie de la population, occupéeà ses activités, insuffisamment motivée, ou noninformée de la tenue des réunions.

Pour De Sardan et al., « l’architecture de ges-tion mise en place (l’ingénierie sociale à base departicipation des populations) suppose une sortede « militantisme associatif » qui ne motive pas toutle monde, loin de là », (…) « le sens de l’apparte-nance à un comité de gestion est donc trèsvariable. Si parfois il peut s’agir de « dévouementà l’intérêt commun », parfois aussi on y verra une« corvée », dont on se plaint qu’elle ne soit pasrémunérée, parfois un ticket d’accès à des res-sources (si les fonds recueillis sont devenus unenjeu), parfois une formalité dépourvue de toutcontenu ». (De Sardan et al - 2000).

« … Quand on parle de réunions pour le forage, elles ne viennent pas.

Dès que nous parlons du forage, elles sabotent. Mais dès qu’il s’agit de

réunions pour l’argent, elles viennent toutes, et puis à l’heure indiquée »

(une utilisatrice de Kakoni - Guinée).

« Chez les femmes il y a une jalousie. Elles disent : ah, le forage est

proche de chez elle, elle n’a qu’à s’en occuper si elle veut. Alors qu’elles

oublient que le forage est un avantage pour toute la population »

(M.M., cultivateur, Bensané Pont-Guinée).

A ces assemblées, les femmes participentd’ailleurs moins que les hommes. Au Niger, à Gui-diguir par exemple, 5 % seulement des femmesaffirment connaître la manière dont le comité a étéchoisi, contre 80 % des hommes (Etienne - 98).

Outre le manque d'information, plusieurs fac-teurs expliquent cette faible participation féminine :

– dans certains cas, le besoin d’un point d’eaumoderne n’est pas clairement ressenti car des alter-natives au nouveau réseau existent ;

– ailleurs les usagers, satisfaits ou non, s'enremettent aux autorités traditionnelles impliquéesqui sont censées agir en leur nom. Bien souvent eneffet, les utilisatrices estiment illusoire la revendica-tion d’une gestion transparente, et se contentent dece que le forage soit en état de marche.

« Quand la pompe marche, je prends mon eau et je m’en vais. Le restene me regarde pas » (une femme de Sansanné Haoussa - Niger).

Le premier facteur est clairement lié à l’absenced’enjeu : lorsque la demande pour le service gérépar le Comité est faible, le désintérêt des usagèrespotentielles s’étend du service à l’organe mis enplace pour le gérer.

Le second facteur témoigne surtout de l’effet limi-té de l’ingénierie sociale « participative » sur la viesociale et politique du village.

D'autres facteurs ont été développés chapitres 2et 3. Il s’agit de :

– la charge de travail domestique pesant sur lesfemmes, qui ne leur permet pas toujours de seconsacrer à des tâches collectives, comme la par-ticipation à des réunions ;

– l’organisation sociale et les interdits religieux,qui placent souvent les femmes dans une situationde retrait par rapport à tout ce qui relève de la« sphère publique » ou reconnue du domaine deshommes.

« On ne peut rien faire sans l'accord de nos maris ; nous sommes malplacées pour leur parler de ça ; aussi, il faut associer nos maris aux cau-series. » (propos recueillis à Samnatenga, au Burkina Faso).

Remarquons cependant que les situationsvarient de manière importante en fonction dessites. Le dynamisme des femmes et les obstaclesculturels et religieux diffèrent d'un village àl'autre, d’un centre à l’autre. En milieu urbainsurtout, les femmes participent de plus en plusnombreuses à des activités collectives grâce àdes associations9, prennent des responsabilités

Place et rôle des usagers et des usagères 8 7

Page 88: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

à tous niveaux et s'expriment devant des groupesd'hommes et de femmes.

La phase d’animation

Pour le projet Tillaberi (Niger), la phase II del'animation correspond à la pose des pompes :« c'est une animatrice qui intervient au cours de lapose des pompes. Elle a pour tâche d'intervenir

auprès des femmes du village. En effet, lors despremières réunions, les femmes sont parfois réti-centes à s'exprimer devant un auditoire en majo-rité masculin. Lors de la pose, les hommes sontoccupés au montage et les femmes se retrouventalors avec les notables et l'animatrice. Ellespeuvent facilement exprimer leur point de vue »(Vergnet - 97).

La phase III correspond à une campagne média-tique avec messages informatifs et émissions théma-tiques (santé, développement). Il est constaté un plusgrand nombre de femmes aux réu-nions après la dif-fusion de messages insistant sur l'importance de laparticipation des femmes. Les animatrices ont étéremplacées par des animateurs lors des deux der-

8 8 Eau, genre et développement durable

Afin d’assurer la présence de femmes dans les instances de décision etde gestion, une politi-que volontariste s’est efforcée de conditionner lamise en place des programmes à la présence d’un certain pourcentagede femmes dans les structures communautaires. Or, comme nousl’avons montré précédemment, il arrive parfois que l'implication desfemmes dans la gestion des points d'eau se présente davantage commeune obligation entraînant des contraintes que comme une réelle parti-cipation à cette gestion.

L’évolution du projet d’hydraulique villageoise en Guinée (phase IV) quiprévoyait que 50 % des comités d’eau soient exclusivement fémininsmontre les limites d’une telle prescription. En l’espèce, la structure degestion des équipements, à deux niveaux, était soumise à des critè-resde représentation par genre :

– une commission villageoise de contrôle (CVC), composée de quatre àhuit sages du village avec autant de représentants masculins et fémi-nins, chargée du contrôle de la gestion ;

– un comité d’exploitation de la pompe (CEP) composé de cinqmembres, dont au moins trois femmes, pour occuper les postes de chefd’exploitation, trésorier, secrétaire, hygiéniste et répa-rateur villageois.

Les premières animations (évoquées ci-dessous) ont conduit à réviserces objectifs : d’une part les femmes assumant une charge au sein descomités ont réclamé la présence d’un ou deux hommes pour permettrede gérer plus efficacement les éventuels conflits entres les usagers auniveau du point d’eau, d’autre part, le très faible niveau d’instructiondes femmes s’est opposé à la féminisation totale des comités : la trans-parence dans la gestion de l’exploitation du point d’eau nécessite en

effet des documents écrits (ce qui explique la proportion élevée de

secrétaires masculins).

L’objectif global (50 % des comités d’eau exclusivement féminins) n’a

pas été atteint, mais l’approche adoptée a permis d’impliquer plus lar-

gement les femmes, ce que confirme la situation de leur participation

dans les organes de gestion des points d’eau (au 30.04.99) :

– 50 % des membres des CVC (commissions villageoises) et 64 % des

membres des CEP (comités d’exploitation) sont des femmes ;

– 81 % des CEP sont composées de 3 femmes, 17 % de 4 femmes, 2 %

sont exclusivement féminins ;

– sur les 75 CPE déjà constitués, 100 % des postes de chef d’exploita-

tion, 92 % des trésoriers, 95 % des hygiénistes et 23 % des réparateurs

villageois, sont occupés par des femmes.

L’option des quotas reste largement fictive si elle n’est pas soutenue par

un réel appui à la participation des femmes à la vie communautaire,

qu’elle soit prise à travers la gestion d’équipements publics ou dans son

ensemble : ainsi au sujet des quotas et de l’implication des femmes dans

les instances municipales : « Il faudrait d'abord les aider, surtout dans

les campagnes, à faire accepter par les hommes leur droit à participer

au pouvoir de décision. Il ne suffit pas de les faire entrer dans les ins-

tances communales, encore faut-il qu'elles y soient entendues, et cela

ne dépend d'elles qu'en partie. (…) Il faut une réelle dose de volonté

pour s'inscrire aussi publiquement contre les usages établis de la pres-

sion sociale et politique » (Coquery-Vidrovitch - 94).

La représentation des femmes par les quotas

9 Voir chapitre 2 « Distribution du pouvoir et changement social »,§ 2.4. « Un nombre croissant d’associations villageoises et dequartiers ».

Page 89: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

nières phases (suivi) en raison du mode de transportchoisi (motos). Notons à cet égard que le projetConseil de l'Entente (3e phase du programme d'hy-draulique villageoise du Conseil de l'Entente au Niger- 1995) a judicieusement introduit des animatricestout le long du processus.

Dans le cadre du projet Maradi, toujours auNiger, une des tâches des membres de la cellu-le d’animation était d’inciter les femmes à parti-ciper aux réunions qu’ils organisaient. Dans unpetit nombre de cas, l’objectif a été atteint. Cer-tains sites ont ainsi connu une participationimportante des femmes, égale parfois à celledes hommes. C'est le cas de Garin Malam etGarin Labo, où les femmes représentaient plusde 50 % de l’auditoire lors des deuxième et troi-sième séances.

Il a également été noté une participation fémi-nine plus importante aux réunions portant sur lechoix des membres des structures de gestion despoints d'eau, confirmant l’intérêt plus élevé que lesfemmes accordent à la gestion par rapport auchoix des équipements : de 26 % en moyenne, le

pourcentage de femmes présentes à ces séancesa atteint 57 % à Garin Ali.

Ce dernier chiffre relève cependant de l’excep-tion. D’une manière générale, peu de femmes ontparticipé aux réunions. Outre les raisons évoquéesplus avant (chapitre 2), ceci s’explique par le faitque les réunions se sont tenues en période de sur-charge de travail, domestique et cultural. A côtédes champs familiaux, rappelons que les femmescultivent parfois quelques lopins de terre pour leurpropre compte et que ces activités requièrent plusde temps à certaines époques de l’année. Comptetenu de ces difficultés, des réunions séparées ontpar la suite été organisées pour les femmes, à desheures plus commodes pour elles (par exemple versmidi ou en fin de soirée).

Le caractère répétitif, éphémère et stéréotypédes réunions villageoises10, auxquelles se bornenttrop souvent les méthodes d’animation, explique

Place et rôle des usagers et des usagères 8 9

Si les hommes disposent de moments de repos dans la journée, il n'en

est rien pour les femmes dont la quasi totalité du temps est consacré

aux travaux champêtres et domestiques, auxquels s'ajoutent de mul-

tiples activités complémentaires de subsistance. Dans le second chapitre,

nous avons vu en effet que leur charge de travail explique largement

le manque de disponibilité des femmes pour participer aux assemblées

villageoises (qu’elles soient mixtes ou séparées).

Comment donc prendre en compte l’emploi du temps des femmes, et

des usagers en général, au moment où leur présence est sollicitée pour

s’impliquer dans le choix et la gestion des équipements ?

Les cycles de projets imposent une programmation rigide de leurs dif-

férentes phases (notamment celles de l’animation). Comme le consta-

tent les opérateurs du projet FAC 94 au Niger « en raison de contraintes

de moyens (matériel et humain) et surtout de temps, il est difficilement

envisageable de systématiser des séances d'animation séparées

hommes/femmes dans chaque site » (CEH-SIDI - 94). Le temps et les

moyens manquent souvent pour adapter la programmation des

réunions à la disponibilité des femmes.

Il est pourtant important :

– de prévoir en amont (avant le démarrage des travaux) un temps suf-

fisant dédié aux activités d’animation pour que celles-ci ne soient pas

limitées par l'avancement des opérations. Forages, installation des

adductions d’eau, etc. font en effet l’objet, pour des raisons écono-

miques tout à fait compréhensibles, d’une programmation serrée. M.

Siri considère qu’intégrer dès le départ la participation des communau-

tés et des femmes, ainsi que les résultats qui en découlent, dans le plan

des activités du projet, limite les coûts résiduels (Siri - 89) ;

– de bien connaître la disponibilité des femmes, avant d'engager un

programme de formation, afin de ne pas leur imposer des horaires

impossibles à respecter ;

– de rémunérer (sous forme de prime ou de salaire) les activités trop

consommatrices de temps, comme certaines fonctions au sein des comi-

tés de gestion. Certains auteurs ont constaté qu'une amélioration tech-

nique peut être rejetée si elle entraîne pour les femmes une surcharge

de travail sans une amélioration sensible du revenu (Droy - 1990).

Notons qu’un effet indirect d’une rémunération des participants à la

structure de gestion est l’intérêt plus grand qu’y porteront les hommes.

Tenir compte de l’emploi du temps des femmes

10 Les animateurs procèdent par « réunions villageoises », convo-quées par le chef de village (ou, quand un comité a été mis enplace, par le président de ce comité).

Page 90: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

9 0 Eau, genre et développement durable

Lors de la première réunion avec le village, l’animation tient deuxentretiens séparés, l’un avec les femmes du village, l’autre avec leshommes, suivis, lors d’une réunion ultérieure, d’une mise en commundes constats des unes et des autres et de leur synthèse au niveau del’ensemble du village.

Chaque entretien se déroule selon une trame commune, composée dedeux parties : la première est consacrée à une reconnaissance par lesvillageois de leur organisation sociale interne, de leur organisation tra-ditionnelle en matière d’alimentation en eau et à la percep-tion qu’ilsont de leur situation sanitaire, la seconde aux propositions des villa-geois en matière de gestion et de contributions financières au regarddes différents équipements proposés par le projet.

La première partie de l’entretien avec les groupes doit permettre auxvillageois de s’approprier le projet à partir de leur propres pratiques...

L’organisation de deux séances différentes selon le sexe permet d’ap-

porter une réponse convaincante aux critiques adressées aux assem-

blées villageoises destinataires en général de l’animation d’un projet

d’hydraulique villageoise et qui restent dominées par les anciens. Mal-

gré les résistances exprimées de part et d’autres, le fait que les femmes

puissent s’exprimer en tant que telles constitue une reconnaissance

publique de leur rôle, une source de contre information possible à côté

de la parole des hommes et vice versa : assez naturellement par

exemple, les hommes ont une perception moindre que les femmes de

la durée de la corvée d’eau et de sa pénibilité...

Il apparaît dès cette phase, pour les deux composantes de la commu-

nauté, que la gestion des points d’eau traditionnels est assurée par les

femmes, y compris parfois pour les travaux qui sont normalement du

ressort des hommes, comme le surcreusement de puisards. Cette mise à

jour devrait faciliter par la suite l’acceptation par les hommes qu’elles

soient majoritaires dans les CPE. (Verdelhan-Cayre - 1999).

Le déroulement du diagnostic villageois

en partie leur efficacité limi-tée, les nombreux dys-fonctionnements des comités, et l’écart importantentre le schéma prévu et les pratiques effectives.Le système de la visite ou de la tournée, qui faitqu’un animateur en charge de toute une série depoints d’eau passe quelques heures dans un vil-lage à un intervalle qui peut être de plusieursmois, consacrées soit à un contrôle sommaire dela caisse et du point d’eau, soit à des discussionsavec les notables et le comité de gestion, soit àune réu-nion collective organisée par ceux-ci, nesemble donc pas avoir de réelle « prise » sur lavie so-ciale et politique du village, les enjeux liésà la pompe, et les formes « réelles » de la gestionquotidienne.

Notons enfin que, bien que les agents de santéaient parfois un rôle important dans la sensibili-sation des populations, lors des épidémies de cho-léra ou des activités quotidiennes des services desanté, de même sans doute que les instituteurs dansleur enseignement auprès des élèves, les projetsmobilisent peu les fonctionnaires résidant dans lesvillages (infirmiers, instituteurs, agents de l’élevageou de l’agriculture), au chef lieu de canton ou à lasous-préfecture, de même que les agents des autresprojets intervenant sur la même zone.

Compte tenu de l'expérience des projets précé-dents, l'Agence française de développement a dé-cidé, dans le cadre de la phase IV du programmed'hydraulique villageoise qu’elle finance en Gui-née, d’assurer une animation plus rapprochée etplus active (pour un temps) des comités de gestionet de faire en sorte que les CGPE seraient consti-tués en majorité sinon en totalité de femmes.

L’intérêt majeur de cette démarche est l’établisse-ment d’un « Diagnostic villageois des problèmes del’eau » permettant une analyse différenciée parsexe des pratiques liées à l’eau et sa reconnais-sance par la communauté (cf. encadré ci-dessus) :« Cet objectif ambitieux vise à leur donner un véri-table rôle à responsabilité sociale, rôle qu'ellesassument déjà entièrement dans l'entretien du pointd'eau mais qui n'est pas reconnu dans la distribu-tion des responsabilités au niveau de la constitutiondu CGPE. Leur faible niveau scolaire est compensépar la présence d'un lettré - qui peut être un homme »au sein du CGPE (Coquart et Vaillant - 99). Pour deSardan et al., cette réorientation « devrait bien sûravoir des conséquences positives au moins à courtterme. Mais on peut émettre quelques doutes sur ceque deviendra la gestion une fois après la fin del’animation et du projet ».

Page 91: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

L’évaluation des résultats de la troisième phasedu projet d'hydraulique villageoise en Guinée11

montre que :– une organisation de femmes pour l'entretien

du point d'eau existe dans plus de 80 % des cas ;– le taux d'utilisation de récipients fermés oscil-

le entre 39 et 45 % (élevé pour les utilisatrices éloi-gnées du point d'eau) ;

– la connaissance du risque fécal est généraleauprès de la population féminine jeune (résultatsd'une enquête auprès de 36 femmes réparties sur18 points d'eau) ;

– le lavage des mains au savon après une acti-vité contaminante est cité spontanément par lamajorité des femmes.

Les actions d'éducation et de suivi sanitaire ontété réalisées par deux animatrices formées à ceteffet. Les actions ont concerné environ 10 % de lapopulation des sites concernés. En outre plus de lamoitié des écoles ont bénéficié d'une sensibilisationsur l'eau et la santé (projection de diapositives) tou-chant près de 9 200 élèves.

Un examen critique de la pertinence des indi-cateurs utilisés pour l’évaluation montre que ceuxqui se fondent sur une estimation des pratiques etconnaissances déclarées par les femmes, interro-gées pour l’occasion, permettent raisonnablementde conclure que le projet a permis d’atteindre uncertain nombre d’objectifs fixés vis-à-vis des chan-gements de comportement et d’attitudes. Tel estnotamment le cas, ici, du taux d’utilisation de réci-pients fermés pour le stockage de l’eau, du taux deconnaissance du risque fécal et de la proportionde femmes déclarant se laver les mains après uneactivité contaminante. Encore faut-il, pour permettrede conclure à un effet direct du projet, rapprocherces indicateurs de ceux qui avaient été calculés àpar-tir des études d’avant-projet.

En revanche, l’indicateur fondé sur la propor-tion d’organisations féminines affectées à l’entre-

tien des points d’eau, au même titre d’ailleurs quela proportion de femmes choisies pour occupertelle ou telle responsabilité au sein des comités degestion ne dit rien du pouvoir réel octroyé auxfemmes à travers ces fonctions. Le risque de malinterpréter cet indicateur est d’autant plus grandque le projet a préalablement fixé des quotascomme conditionnalité.

Comme le rôle d’hygiéniste n’est désormaisplus guère contesté aux femmes (Verdelhan-Cayre- 1998), la question se pose surtout pour les pos-tes de trésorière ou de présidente. Responsabili-téeffective ou bien prête-nom ? Le simple dénom-brement de l’affectation de ces postes par genre,s’il a l’avantage de la rapidité et de la simplicité,ne saurait en aucun cas suffire à mesurer la réussi-te du projet en termes d’ « empowerment » et seulsdes entretiens soigneux menés dans le cadre desétudes d’évaluation peuvent permettre de conclure.

De même, l’évaluation comptable des effectifstouchés par les actions d’éducation et de sensibi-lisation, en termes de proportion de la populationayant assisté aux séances ou d’élèves concernés,ne préjuge en rien de l’efficacité des messagestransmis. Comme nous l’avons vu précédemment,les méthodes d’animation procèdent bien souventde façon trop rapide, trop superficielle et trop sté-réotypée pour laisser des traces durables dans lesesprits et l’évaluation de leur impact ne peut fairel’économie d’entretiens ou enquêtes approfondiesdestinées à apprécier l’évolution de l’attitude desbénéficiaires du projet.

Enfin, si la réduction de la pénibilité de la cor-vée d’eau et du temps qui y est consacré ne semblepas contestable et peut être portée au crédit desprojets, ajoutons cependant qu’aucune étuded’évaluation ou de suivi n’a examiné systématique-ment, jusqu’à présent, l’impact des projets d’hy-draulique sur les activités économiques des villa-geois en général ni, en particulier, sur les revenusdes femmes concernées par le projet (Verdelhan-Cayre - 1998).

Place et rôle des usagers et des usagères 9 1

5. Résultats et évaluation des projets

11 Il s’agit de l’évaluation menée par l'opérateur dans son rap-port final, à partir des indicateurs de suivi sanitaire qui a portésur 51 villages, Burgeap – 96).

Page 92: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Au stade de définition des objectifs des projetsd'AEP, l'analyse des stratégies nationales et desorientations du bailleur de fonds montre qu'ils sontfondés sur une participation active des usagers,l'importance de l'implication des femmes aux diffé-rents stades des projets étant clairement affichée.

En revanche, les moyens généralement affectés(temps, ressources humaines, etc.) et les techniquesmises en œuvre aux stades de la faisabilité et notam-ment l’évaluation de la demande, ne sont pas à lahauteur de ces objectifs. L'évaluation des demandes« communautaristes » - lors de réunions supposéesrassembler « la population » - est alors privilégiée parrapport à l'évaluation des demandes individuelles.

Lors de la mise en œuvre du projet, dans lecadre de l'animation, des actions spécifiques sontmenées dans le but d’impliquer plus spécifiquementles femmes (postes réservés au sein des comités,présence d’animatrices, adaptation des horaires deréunion, messages radios, etc.). Malgré des indi-cateurs de participation plutôt encourageants danscertains cas, les difficultés rencontrées dans lesexemples cités montrent la complexité de l'exercice.

Les limites de la gestion par comités de pointsd'eau, mises en évidence par de nombreux au-teurs, ont conduit les opérateurs de projet à propo-ser d’autres modes de gestion du service de l’eau,qui se sont d’abord appliquées aux petites adduc-tions d'eau. Deux tendances se dessinent actuelle-ment, permettant d'élargir « l'offre » en terme d'or-ganisation et répondant aux dysfonctionnementsobservés : la gestion par des associations d’usa-gers et celle assurée par des opérateurs privés.

• Les associations d'usagers de l’eau (AUE) :celles-ci se distinguent des comités de point d'eau ence sens que l'assemblée générale des usagers est iciun organe constitutif et décisionnaire de l’associa-tion, laquelle existe au plan juridique. Elle passecontrat avec le maître d'ouvrage, qui lui confie l'ex-ploitation des installations moyennant le respect d'uncahier des charges.

Cette forme d'organisation devrait assurer unemeilleure représentativité des usagers, à conditioncependant que l'assemblée générale parvienne à

en mobiliser les différentes catégories. Au Mali des« robinets tons » - représentants des usagers d'uneborne-fontaine donnée - ont été chargés de repré-senter les usagers aux assemblées générales. Danscertains cas, une représentativité géographique aété préconisée, afin d'éviter les « arrangements »entre notables.

Pour les petites adductions d'eau solaires misesen place dans le projet d’hydraulique villageoiseen Guinée, une association d'usagers, ayant unstatut juridique d'association locale de dévelop-pement, a été créée. Chaque association disposed'un règlement intérieur, d'un conseil d'administra-tion, au sein duquel sont élus, un président, undirecteur technique et un comptable. Il faut êtremembre de l'association pour avoir accès au servi-ce de l'eau et de l'électricité. La représentation desmembres de l'association au sein du conseil d'ad-ministration est assurée par un homme et unefemme pour chaque point de distribution, désignéspar les usagers qu'il dessert. La représentation desfemmes est obligatoire. Les usagers sont majori-taires au sein du conseil d'administration, où l'ontrouve aussi des représentants de l'administration(sous-préfet, CRD, SNAPE).

• Les opérateurs privés : lorsque, sur la based'enquêtes auprès des ménages, il s'avère que lesusagers ne souhaitent pas s'impliquer dans la ges-tion des équipements d'AEP, l'exploitation des ins-tallations peut être confiée à des opérateurs privéssous contrat. Lorsqu'une partie des prérogatives dumaître d'ouvrage (Etat ou municipalité) leur a étédéléguée, les usagers ne sont alors chargés que ducontrôle de l'exploitation. Les opérateurs privés inté-ressés par ces marchés sont la plupart du tempsdes hommes, commerçants, entrepreneurs, artisansou jeunes diplômés.

Même s'il apparaît que ces modes de gestionsont plus adaptés à la demande des usagers, il n'endemeure pas moins qu'une grande importance doitêtre accordée au déroulement de l'animation et àl'évaluation de ces demandes. Le chapitre suivanttentera de faire le point sur ces techniques et endégager des recommandations méthodologiques.

9 2 Eau, genre et développement durable

6. Conclusions

Page 93: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

1. Etudes de cas

Région des Koros - Tchad

(BRGM - 93-1)BRGM, Rapport final Projet Koros, Ministère desmines, de l'énergie et des ressources en eau, mars1993.

(BRGM - 93-2)BRGM, Etude de faisabilité de la phase II, ProjetKoros, Ministère des mines, de l'énergie et des res-sources en eau du Tchad, mars 1993.

(Felix - 93)Felix A., Rapport d'évaluation des projets d'hy-draulique villageoise dans le BET et dans la régiondes Koros, AFD, avril 1993.

(ADRET - 93)ADRET, Projet d'hydraulique villageoise et pastora-le de la zone des Koros, Mission d'appui à l'ani-mation et à la maintenance, mai-juin 1993.

Département de Tillabéri et Maradi - Niger

(Pin Yathay - 92-2)Pin Yathay, Rapport d'évaluation du projet de remi-se en état des pompes et de consolidation du dis-positif de maintenance de l'hydraulique villageoisedans le département de Tillaberi (Niger), CFD,octobre 1992.

(Niger - 92)Guide national d'animation des programmes d'hy-draulique villageoise, Ministère de l'Hydraulique etde l'Environnement, Programme du Haut Conseilde l'Entente, édition 1992.

(CEH SIDI - 94)Appui aux opérateurs du secteur hydraulique auNiger, volet Intégration de la femme aux activités

du projet, FAC 94, CEH, SIDI, République du Niger,1993-1997.

(Vergnet - 97)Vergnet, Réhabilitation des pompes à motricitéhumaine du département de Tillabéri et consolida-tion de leur dispositif de maintenance, Rapportfinal, Ministère de l'hydraulique et de l'environne-ment du Niger, juillet 1997.

(Coquart et Verdelhan-Cayre - 98)Coquart P., Verdelhan-Cayre G., Evaluation rétros-pective de projets d'hydraulique villageoise réalisésau Niger, Agence française de développement,décembre 1998.

(Gageonnet - 99)Gageonnet M., Mission d’appui à la cellule desuivi-évaluation-appui (CSEA) du projet PRT, Antea,octobre 1999.

(De Sardan et al. - 2000)Olivier de Sardan J.P., Diallo Y., Elhadji Dagobi A.,La gestion des points d’eau dans le secteur de l’hy-draulique villageoise au Niger et en Guinée, Rap-port pour l’Agence Française de Dé-veloppement.mai 2000.

(Verdelhan-Cayre - 98)Verdelhan-Cayre G., Les femmes dans les projets d’hy-draulique villageoise financés par l’AFD au Niger,Agence française de développement, juin 1998.

Départements de Gaoual et Koundara - Guinée

(Pin Yathay (92-1)Pin Yathay, Rapport d'évaluation du projet hydrau-lique en Guinée - 3e phase, CFD, juillet 1992.

(Burgeap - 96)Programme d'hydraulique villageoise en moyenneGuinée 3e phase, Rapport final, BURGEAP, SNAPE,novembre 1996.

Place et rôle des usagers et des usagères 9 3

7. Bibliographie du chapitre 4

Page 94: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

(Etienne - 98)Etienne J., Formes de la demande et modes de ges-tion des services d’eau potable en Afrique subsa-harienne : spécificité des « milieux semi-urbains »,Thèse de doctorat de l’Ecole natio-nale des pontset chaussées. décembre 1998.

(Coquart et Vaillant - 99)Coquart P., Vaillant M., Evaluation rétrospective deprojets d'hydraulique villageoise réalisés en Guinée,Agence française de développement, mai 1999.

(Verdelhan-Cayre - 99)Verdelhan-Cayre G., Rapport de suivi : prise encompte du genre et de la santé, phase IV du pro-gramme d’hydraulique villageoise du SNAPE enGuinée, AFD, mai 1999.

(De Sardan et al. - 2000)Olivier de Sardan J.P., Diallo Y., Elhadji Dagobi A.,

La gestion des points d’eau dans le secteur de l’hy-draulique villageoise au Niger et en Guinée, Rap-port pour l’Agence Française de Dé-veloppement.mai 2000

2. Etudes générales

(Etienne J.- 1996)Etienne J., Les femmes aussi savent s'organiser, in”Lettre commune Programme Solidarité Eau RéseauFemmes et Développement”, mars 1996.

(Monimart M., Rochette R.M. et Walraevens P. -1991) Monimart M., Rochette R.M. et Walraevens P.,Enquêtes socio-économiques sur l'eau et l'as-sainis-sement en milieu rural et urbain au Mali, Directionnationale de l'Hydraulique et de l'Energie, PNUD,décembre 1991.

9 4 Eau, genre et développement durable

Page 95: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

La place des femmes dans les projets d’hydraul ique 9 5

Dans les premiers chapitres, nous avons vu quel’évolution de l’attitude des acteurs du développe-ment par rapport aux femmes a conduit à la néces-sité de prendre en compte et d’impliquer l’en-semble des usagers, non plus en considérant cetensemble comme un tout vaguement homogènesommairement désigné par « la communauté »,mais d’y distinguer différents groupes ayant chacundes préférences ou des intérêts distincts, voirecontradictoires.

Parallèlement, s’est affirmée de manière crois-sante la nécessité de développer des projets d’ali-mentation en eau et d’assainissement répondant àla demande - ou plutôt aux demandes - des usa-gers. Comme nous allons le montrer dans la suite dece chapitre, approche selon le genre et approcheselon la demande se rejoignent du point de vue desméthodes à mobiliser pour l’analyse. La compré-hension de l’enrichissement méthodologique quepeut apporter l’approche selon la demande à l’ana-lyse selon le genre exige de préciser ce que l’onentend par « la demande ».

1.1. Qu’est-ce que la demande ?

La « demande » pour des services d’approvi-sionnement en eau ou d’assainissement améliorésn’est pas un concept simple et les facteurs qui l’in-fluencent sont relativement complexes (WaterDemand Reserch Team - 93).

On ne peut pas se contenter de la corréler auxseuls revenus des ménages, comme les études etrecherches économétriques l’ont couramment faitpar le passé. Les trois grandes catégories de fac-teurs qui affectent la demande individuelle sont lessuivantes (Garn - 98) :

– les revenus des ménages, le genre, le niveaud’éducation, de même que d’autres caractéris-tiques socio-démographiques ;

– le coût, la disponibilité, l’accessibilité et lacommodité des différents services proposés, ou, ence qui concerne l’approvisionnement en eau, dessources d’approvisionnement disponibles ;

– enfin, l’attitude des ménages envers la poli-tique sectorielle menée par les institutions en char-ge du secteur et vis-à-vis des opérateurs du service.

5. Aspects méthodologiques

1. L’approche selon le genre relève d’une stratégie impulsée par la demande

Page 96: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Le tableau 1 brosse à grands traits les princi-pales caractéristiques qualitatives de la demande etillustre toute la complexité potentielle de sa nature.

Le débat sur la nature de ce qu’il convient d’en-tendre par « la demande » est singulièrement com-pliqué par le fait que les professionnels du secteuren ont une compréhension différente selon leur dis-cipline.

Ainsi, les économistes l’assimilent au consente-ment à payer (ou volonté de payer) et mettent l’ac-cent sur les facteurs économiques et financiers, telsque revenus, dépenses ou subventions. Pour lesingénieurs, la demande représente la quantitéd’eau qu’il s’agit de distribuer à la population, carc’est elle qui permettra de dimensionner le système.Pour évaluer la demande initiale et son évolutiondans le futur, de façon à élaborer le projet tech-nique et à prévoir les tâches d’exploitation et lestravaux éventuels d’extension ou de renforcementde capacité, ils ont besoin de collecter des don-nées sur les modes de consommation existants, lenombre et le type d’installations correspondant àchaque niveau de service individuel ou collectif.

Pour les sociologues, il s’agit d’un besoin debase ou d’un droit qu’il s’agit d’étudier à partir dedonnées concernant les besoins et priorités desindividus et des groupes, les conflits potentiels entreusagers, les pratiques culturelles, les opinions etcroyances.

Ces approches différentes se traduisent naturel-lement par la mise en œuvre de méthodes d’ana-lyse elles-mêmes différentes pour mesurer ou éva-luer la « demande », dont les avantages et incon-vénients seront brièvement examinés ci-dessous.

Pour les raisons développées ci-après, il s’avèrenécessaire de dépasser le strict cadre « monodisci-plinaire » de l’analyse et d’adopter une approche« intégrée », multidisciplinaire, dans laquelle l’ap-port de chaque spécialité contribue à résoudre plusefficacement les problèmes posés.

1.2. Justifications d’une approche par lademande

Il existe aujourd’hui un faisceau de présomptionssuffisamment fortes pour affirmer que le manqued’attention accordée à la demande, considéréedans son acception la plus large, est largement res-ponsable des échecs que rencontrent les projetsd’approvisionnement en eau et d’assainissementdans les pays en développement, et plus générale-ment des performances médiocres du secteur. Cesprésomptions sont utilement complétées par le résu-mé de l’approche participative (MEP) testée par leProgramme Eau potable et Assainissement.

Il est possible de multiplier à l’envie les exemplesde projets qui ont conduit à des échecs parce qu’ilsont été planifiés et mis en œuvre sans prendre cor-rectement en considération les préférences de cequ’il est convenu d’appeler les « bénéficiaires ».

A cet égard, les résultats d’une recherche récen-te menée par le Programme Eau Potable et Assai-nissement du PNUD/Banque mondiale (Sara etKatz - 98), auprès de 125 communautés ser-viespar dix projets répartis dans six pays (Bénin, Boli-vie, Honduras, Indonésie, Ouganda et Pakistan),

9 6 Eau, genre et développement durable

La demande peut être La demande est toujours La demande n’est pas toujours

• exprimée • propre à chaque site de projet • prise en compte

• révélée (effective) • dépendante des options alternatives existantes • équivalente au choix effectif

• latente • dynamique (c’est-à-dire évoluant dans le temps) • identique à ce que les individus expriment

• non informée • différente pour l’eau et l’assainissement • satisfaite par les solutions considérées

• irréaliste • dépendante du consentement à payer des individus comme optimales par les professionnels

• biaisée pour chaque option spécifique du service

• créée ou suscitée

TABLEAU 1 : Caractéristiques de la « demande » pour l'eau et l'assainissement

Source : Parry Jones - 99.

Page 97: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

La méthodologie MEP développéepar le Programme Eau Potable et Assainissement

Aspects méthodologiques 9 7

Au cours des années 90, le Programme pour l’eau potable et l’assainis-sement, entre autres acteurs, a réalisé que la concentration exclusivedes efforts sur les femmes n’était pas suffisante en soi et a opté pourune approche portant sur les rôles et responsabilités des hommes et desfemmes. Un meilleur équilibre a été recherché dans la compréhensiondes perceptions, souhaits, charges et avantages induits par les équipe-ments des hommes et des femmes dans le cadre de l’AEPA. L’analyse desrésultats obtenus montre que les investissements dans l’AEPA qui tien-nent compte de la demande locale ont plus de chance d’être durables.Cette approche nécessite de nouvelles méthodes et de nouveaux outilsqui permettent aux planificateurs des projets et aux prestataires desservices de prendre des décisions associant tous les consommateurs ens’assurant que les groupes les plus fréquemment exclus - notamment lesfemmes et plus particulièrement les femmes pauvres - ne sont pas négli-gés dans ce processus.

La Méthodologie d’évaluations participatives (MEP)1 est un nouvel outilqui peut être utilisé à ces fins. La MEP a été développée par la cellule« Apprentissages participatifs et actions » (AAP) du Programme pourl’eau et l’assainissement. Les évaluations de 18 importants projets dans15 pays ont permis d’étudier les interactions entre les approches par lademande, celles sensibles aux rôles et responsabilités des hommes etdes femmes, et celles axées sur la durabilité des infrastructures d’AEPA.Les évaluations ont conforté l’idée suivant laquelle les projets qui tien-nent compte des rôles et responsabilités des hommes et des femmes etde la pauvreté ont de meilleurs résultats.

La MEP a principalement apporté trois éléments nouveaux :

• Elle a montré que les indicateurs relatifs aux rôles et responsabilitésdes hommes et des femmes et à la pauvreté peuvent être largement etutilement utilisés dans les analyses de durabilité.

• Elle offre ensuite aux parties prenantes à différents niveaux - com-munautés, personnel de projets, prestataires de services et décideurs -un moyen de visualiser clairement la façon dont leurs actions peuventcontribuer à la durabilité des actions entreprises.

• Elle montre enfin que des méthodes statistiques quantitatives peuventêtre utilisées pour analyser les données qualitatives obtenues auprèsdes communautés par des méthodes participatives.

La MEP, utilisée judicieusement, donne aux consommateurs une plusgrande possibilité de s’exprimer sur les processus de prestations de ser-vices. Elle aide les projets et les responsables de projets à tenir comptede tous les membres de la communauté et pas seulement de ses diri-geants et des membres qui se font le plus entendre. Les communautésapprofondissent leurs connaissances sur le fonctionnement de leurs ser-vices, sont en mesure de cerner les problèmes et de convenir de solu-tions. Cette méthodologie et les indicateurs qu’elle utilise s’appliquentnon seulement au suivi mais aussi à la préparation de projets. En fait,son utilisation potentielle va bien au-delà du secteur de l’eau et de l’as-sainissement, et peut s’appliquer à tout service qui nécessite la partici-pation active des populations pauvres. La méthodologie des évaluationsparticipatives, en rassemblant des indicateurs sociaux essentiels et desindicateurs de durabilité, est un premier pas important vers un outild’évaluation unique et facile à utiliser.

Conclusions principales des évaluations

L’analyse statistique a confirmé d’une manière générale les conclusionsdes évaluations des 18 projets concernant au total 88 communautés etdémontré l’importance des approches par la demande basée sur desindicateurs tenant compte des aspects genre et pauvreté pour la péren-nisation et la qualité des services. L’équipe AAP définit un « service d’ap-provisionnement en eau durable » comme un service qui fournit d’unefaçon régulière et fiable une eau en quantité suffisante et d’une quali-té acceptable pour l’usage domestique. Les pannes sont rares et lesréparations rapides (moins de 48 heures), le financement local couvreau moins les coûts réguliers de l’exploitation et l’entretien (O&M) et lesréparations. Les conclusions2 suivantes ont été dégagées de l’analyse :

• Un niveau élevé de participation à la mise en œuvre et l’exploitationd’un service d’approvisionnement en eau potable (AEP) en milieu ruralgéré par la communauté est fortement lié à la pérennité de celui-ci.Dans ce contexte, la participation montre que la communauté se chargede la maintenance et de la gestion, et que ce travail qualifié est rému-néré et effectué par les hommes comme par les femmes.

• Contrairement aux attentes, une forte demande en approvisionne-ment en eau, traduite par des paiements initiaux en espèces ou en natu-re, n’apporte pas de durabilité aux services d’AEP. Les facteurs associésà la durabilité des systèmes sont plus la participation communautaire à

1 Mehtodology for Participatory Assessments with communi-ties, institutions and policy Makers, Dayal, van Wijk &Mukherjee, March 2000.

2 Linking Sustainability with Demand, Gender and Poverty.A study in community managed water supply projects in 15countries, Gross, van Wijk & Mukherjee, January 2001.

Page 98: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

montrent que la pérennité des systèmes3 est plusélevée dans les communautés où une approcheimpulsée par la demande a été adoptée.

Cependant, ces principes ne sont pas systémati-quement appliqués dans les communautés où les pro-jets ont été mis en œuvre. Il ressort de l’étude que :

– la pérennité est nettement plus élevée dans lescommunautés où les ménages se sont prononcésen connaissance de cause sur l’opportunité deconstruire un système, ainsi que sur le type d’instal-lation et le niveau de service qu’ils souhaitaient.Cette relation s’est révélée significative sur le planstatistique, même compte tenu de variables indé-pendantes, comme le niveau de pauvreté et l’éloi-gnement par rapport à un centre urbain, et de

variables propres à chaque projet, comme la for-mation, le type de technologie et le coût du systè-me par habitant ;

– bien que la pérennité soit plus élevée dansles communautés où l’équipe du projet a recouru àune approche impulsée par la demande, celle-cin’est pas appliquée de manière cohérente. Lesenquêtes auprès des communautés et desménages font apparaître que les projets sont tantôtimpulsés par l’offre (dans ce cas, les membres dela communauté n’ont pas le choix entre plusieursoptions ou ne sont pas informés des coûts ou desresponsabilités prévus), tantôt impulsés par lademande (auquel cas on prend le temps d’infor-mer les communautés des diverses formules pos-sibles et on leur confie un rôle prépondérant dansle processus décisionnel) ;

– la pérennité est plus élevée lorsque la deman-de est exprimée directement par les ménages, etnon par l’intermédiaire des chefs traditionnels ou

9 8 Eau, genre et développement durable

l’entretien et à la gestion, la bonne gestion de cette participation et duservice, et la satisfac-ion de toutes les catégories d’usagers : hommes,femmes, riches, pauvres, vis-à-vis de ce service d’AEP et de ses avan-tages directs et indirects.

• Une bonne gouvernance au niveau communautaire pendant le cycledu projet est positivement corrélée à un approvisionnement en eau plusdurable. Dans ce cas, la « bonne gouvernance » possède les caractéris-tiques suivantes : une organisation locale qui assure le suivi des contri-butions à la construction et de ceux qui ne participent pas, la participa-tion des femmes au suivi et au contrôle, la formation des hommes etdes femmes membres de la communauté aux aspects techniques, à lagestion, au financement à l’hygiène et au partage des comptes avecl’ensemble de la communauté, femmes et hommes.

• Les services d’AEP financés par des bailleurs de fonds bilatéraux sontsignificativement plus durables que les services financés autrement.

• Plus les agences d’exécution ont tenu compte des questions de parti-cipation, genre et pauvreté, plus les indicateurs de durabilité du systè-me d’AEP sont positifs au sein des communau-tés bénéficiaires.

Un « service utilisé efficacement » était défini comme étant le pourcen-tage de ménages disposant d’un accès facile à un approvisionnementamélioré en eau, combiné à celui utilisant réellement le service amélio-ré de manière constante, au moins pour la boisson, et celui de la salu-brité de l’environnement (présence de drainage et absence d’eaux stag-nantes). Les résultats obtenus récemment ont montré que :

• Les projets qui se soucient le plus des questions liées au genre et à lapauvreté sont aussi ceux qui obtiennent les meilleurs résultats en termed’efficacité. Par contre, le lien avec la durabilité des services n’est pasdémontré. Ceci semble indiquer que les projets qui ne tiennent pas comp-te des questions genre ou pauvreté, s’ils peuvent avoir de bons résultatstechniques et financiers, laissent un segment important de la populationnon desservie et ont un impact moindre sur l’extension de l’utilisation del’eau potable. La généralisation de l’accès à l’eau potable et son utilisa-tion sont cependant deux facteurs importants – même s’ils ne sont pasles seuls – contribuant à l’amélioration de la santé publique.

• Plus le projet a une approche par la demande, plus l’accès au serviceet son utilisation seront facilités. Les projets qui ont cette approcheoffrent aux usagers hommes et femmes de toutes les couches écono-miques des informations et des possibilités de choix de technologies, deniveaux de services, d’emplacement des installations, de type de gestionlocale, d’entretien et de systèmes de financement. Plus les opinions et leschoix s’exprimeront, meilleurs seront l’accès et l’utilisation du service.

• Les communautés disposant de niveaux plus élevés de services etd’améliorations consé-quentes de leur approvisionnement en eau,assainissement et hygiène (même s’il ne s’agit pas nécessairement dumême projet) utilisent mieux ces services que les communautés dispo-sant seulement de projets d’eau ou d’un niveau de services inférieur.

Suzanne REIFF, Water and Sanitation Program

3 Appréciée à travers cinq indicateurs mesurant la performancedu système, à savoir : l’état des équipements physiques, la satis-faction des consommateurs, l’exploitation et l’entretien, la ges-tion financière et la volonté d’assurer la pérennité du système.

Page 99: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

des représentants communautaires. Il s’agit là d’undes résultats fondamentaux de l’étude précitée duProgramme Eau Potable et Assainissement (Sara etKatz - 98).

D’après cette étude, c’est lorsque les ménages –et non les représentants communautaires (comités del’eau, chefs traditionnels ou administration locale) –participent à l’amorce du projet et à la prise dedécisions concernant le système, que la relationentre une approche impulsée par la demande et lapérennité du projet est la plus forte. L’étude révèleque la perception des ménages et celle desnotables de la communauté avec qui travaillentl’équipe du projet ou les intermédiaires sont souventtrès différentes.

Nombreux sont les exemples de projets confis-qués par des représentants communautaires à leurprofit, que ce soit en plaçant le système sur leur pro-priété, privant ainsi certains segments de la popu-lation de la possibilité d’y accéder, ou en optantpour une formule rejetée par d’autres membres dela communauté. Il est encore d’autres cas où, les

représentants communautaires n’ayant pas tenucompte de la demande émanant de certainsgroupes de population, comme les femmes ou lespauvres, le projet a abouti à des aménagementsqui n’étaient pas conformes aux souhaits de l’en-semble de la communauté.

Souvent, les membres de la communauté décla-rent alors ne pas être satisfaits du service, ne se sen-tent guère maîtres du projet et se montrent peu dis-posés à en financer l’entretien. Il ressort de l’étudeque la qualité s’améliore dès lors que les projets, lesONG, ou les autres intermédiaires emploient desagents de vulgarisation bien formés, de sorte quetous les membres de la communauté aient l’occa-sion de participer au processus décisionnel.

De ce point de vue, chacune des trois catégo-ries de méthodes décrites ci-dessous offre l’avanta-ge de pouvoir non seulement évaluer la demandedes ménages, mais aussi, pourvu que des précau-tions soient prises dans la mise en œuvre de cesméthodes, celle des femmes en particulier et leurspréférences spécifiques.

Aspects méthodologiques 9 9

2.1. Les méthodes disponibles

Le tableau 2 (page suivante) présente une syn-thèse des outils d’évaluation de la demande qui ontla faveur des différentes professions intervenantdans le secteur de l’eau et de l’assainissement, cesméthodes étant en réalité le plus souvent combinéesentre elles.

Le tableau 3 montre les stéréotypes qui sontgénéralement attribués aux trois grandes catégoriesde méthodes d’évaluation de la demande. Bienqu’il tende à caricaturer le trait en exagérant les dif-férences, il s’agit à présent de dépasser l’opposi-tion stérile de ces trois catégories de méthodes pourexaminer dans quelle mesure, en fonction de leursavantages spécifiques mais aussi des limites etcontraintes inhérentes à chacune, elles peuvent êtremise en œuvre dans le cadre d’une analyse de la

demande en général, et d’une approche selon legenre en particulier.

En effet, l’analyse de la littérature disponiblemontre que les différentes techniques d’évaluationde la demande n’ont pas le même domaine d’ap-plication potentiel.

En milieu rural, la demande pour l’eau et cellepour l’assainissement sont souvent évaluées ensembleet simultanément, et cette évaluation mobilise unegamme assez large de méthodes, avec toutefoisune préférence assez nette pour les méthodes par-ticipatives.

En milieu urbain au contraire, l’une et l’autresont généralement évaluées séparément, dans lecadre de projets sectoriels spécifiques.

Toutefois, deux champs d’application sont enco-re rarement et peu documentés : il s’agit d’une partde l’évaluation de la demande pour un assainisse-

2. Evaluer la demande

Page 100: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

ment amélioré en milieu rural, et d’autre part del’application des méthodes participatives en milieuurbain ou périurbain.

2.2. Les enquêtes-ménage générales et enquêtesdes préférences révélées

Domaines d’application

Lorsque l’amélioration de l’approvisionnementen eau ou de l’assainissement d’une ville ou d’unensemble de centres fait l’objet d’un projet, lesétudes préalables incluent d’ordinaire une analysedes pratiques et des comportements actuels,

incluant notamment une enquête des préférencesrévélées, ainsi que des questions destinées à mesu-rer l’opinion que les ménages ont des services dis-ponibles et sur leurs souhaits d’amélioration.

Relativement peu flexible et nécessitant unegrande rigueur dans son administration, cette tech-nique convient assez mal aux projets à petite échel-le en milieu rural, où il est de surcroît importantd’assurer une participation active de la commu-nauté et d’engager avec elle un processus de dia-logue itératif.

Elle est davantage utile pour fournir une aide àla planification au niveau d’une ville ou d’unerégion, pour établir des priorités d’investissement,ou pour y ajuster « à la marge » l’offre de servicepour mieux répondre à la demande. En revanche,

1 0 0 Eau, genre et développement durable

Ingénieurs Sociologues Economistes

• Enquêtes-ménage des préférences révélées (RPS4) • Evaluation Participative (PRA5) • Méthode d’évaluation contingente (CVM6)

• Hypothèses associées à l’alternative la plus faisable • Réunions communautaires • Enquêtes ménages des préférences révélées (RPS)

• Estimations agrégées basées sur des normes ou « focus groups »

de desserte (« besoins »)

TABLEAU 2. Les outils d’évaluation de la demande

d’après Parry Jones - 99

4 RPS : Revealed Preference Surveys. On entend par « préférences révélées » les choix effectifs des individus ou des ménages, c’est-à-dire les pratiques effectives d’approvisionnement en eau ou d’assainissement compte tenu des solutions disponibles localement.5 PRA : Participatory Rapid Appraisal.6 CVM : Contingent Valuation Method. Au contraire des préférences révélées, l’évaluation porte ici sur les choix des individus ou desménages si des équipements ou des services d’AEPA étaient disponibles dans des conditions données, proposées aux enquêtés maishypothétiques.

TABLEAU 3. Comparaison des stéréotypes des trois outils d’évaluation de la demande

Source : MacGranahan G. et al. - 97

Enquête ménage générale Approche participative Enquête de consentement à payer

Date de développement 1920-1950 Depuis 1980 Depuis 1960

Discipline dominante Statistiques Multidisciplinaire Economie

Critère d’excellence Rigueur empirique « Politiquement correct » Rigueur conceptuelle

Opérateur type Bureau d’études ONG Universités

Champ d’application Programmes nationaux Initiatives de base Amélioration des marchés

Paradigme dominant Moderniste Post-moderne Néolibéral

Page 101: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

au cas où l’on cherche à mesurer la demande pourun nouveau service qui n’existe pas encore, oupour un service amélioré dont les caractéristiquesseraient très différentes des services existants. Il fautalors se tourner vers une autre méthode : celle del’évaluation contingente7.

Pourvu que l’on prenne soin d’enquêter non seu-lement les hommes (ou les seuls chefs de ménage)mais aussi les femmes (ou les épouses des chefs deménage), cette méthode permet de mesurer lesdivergences de la demande selon le genre, c'est-à-dire les différences entre les préférences, les prati-ques, les opinions ou les attitudes des hommes etdes femmes. Grâce à certaines techniques de modé-lisation, on peut aussi grâce à ces enquêtes mesu-rer l’impact que pourrait avoir sur la demande glo-bale ou sur la demande spécifique des femmes unemodification des caractéristiques des servicesactuellement disponibles, comme le prix de l’eauou l’espacement des bornes-fontaines8. La méthodepeut donc fournir également un outil d’aide à ladécision en matière de tarification.

Dans les phases de suivi d’évaluation d’un pro-jet, les enquêtes qui permettent d’apprécier l’adé-quation du projet aux attentes des usagers et desusagères ne sont pas aussi « lourdes » que cellesd’avant-projet. La mesure de la satisfaction desusagers est l’objectif prioritaire de ces enquêtes.Pour ce qui est de l’objectif de mesure des béné-fices apportés par le projet (en termes de prixd’achat et d’efforts consacrés à la collecte del’eau par exemple), la distinction selon le genrepermet de nuancer les résultats et d’orienter la stra-tégie de gestion du service dans le sens d’uneéquité optimale.

Genre et traitement statistique des données

La plupart des enquêtes menées dans le secteurAEPA sont dépouillées à l’aide de techniquessimples et éprouvées9. Toutefois, les variables socio-

économiques et démographiques susceptibles d’ex-pliquer la demande dépendant souvent les unes desautres. Il est dès lors très risqué de tirer des conclu-sions d’une série de croisement deux à deux de cesvariables.

Pour reprendre un exemple cité chapitre 3 :mesurée en terme de consentement à payer pour unassainissement amélioré, la demande des femmesest inférieure à celle des hommes. Cependant, la

Aspects méthodologiques 1 0 1

7 Voir chapitre 5 § 2.4. Les méthodes d’évaluation contingente ».8 Mentionnées dans l’encadré « Modéliser la demande : lestechniques disponibles », les modèles développés doivent êtrecalés sur un sous-échantillon aléatoire de l’enquête, puis validéset testés sur un autre sous-échantillon. Evaluer l’impact d’unemodification des variables explicatives sur la demande faitappel à la notion d’élasticité (calcul des dérivées du modèle).

9 Ces techniques incluent : les tris (à plat), les tableaux (ou tris)croisés, les calculs de moyennes de variables numériques (ouquantitatives), la régression linéaire multivariée, le calcul devariance.

Limites et contraintes desenquêtes ménages générales et des préférences révélées

1. Il peut être difficile de définir les « ménages », unités d’enquê-te, dans certains contextes de « familles élargies » ou lorsque plu-sieurs familles partagent les mêmes installations (branchements« semi-collectifs », latrines, etc.).

2. Ces enquêtes ne peuvent pas fournir de données sur le consen-tement à payer ou les préférences des ménages vis-à-vis d’inno-vations futures (lorsque un service ou un équipement améliorén’est pas encore disponible, c'est-à-dire en cas de situation dite« contingente »).

3. Etude relativement coûteuse (formation des enquêteurs, pré-enquêtes tests, saisie des questionnaires, traitement et exploitation).

4. L’enquête est un processus de consultation des individus. La col-lectivité locale ou la communauté en tant que telle n’est pas impli-quée dans le processus de décision par cette seule méthode. Celle-ci ne peut se substituer au dialogue avec le niveau de représenta-tion collectif.

5. Les préférences et la demande pour un assainissement amélio-ré sont plus difficiles à mesurer avec cette méthode.

6. Les variations saisonnières sont difficiles à capter avec ce typed’enquête à passage unique, qui ne fournit qu’un « instantané »des pratiques et des comportements.

7. Les questionnaires d’enquête et leurs résultats sont spécifiquesau site enquêté, difficilement transférables à un autre site, mêmeau sein de la même zone ou région.

Page 102: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

relation de cause à effet qui semble se dégager dece simple croisement est trompeuse : comme on l’amontré, les femmes consentent, à revenus égaux, àpayer davantage que les hommes.

Si l’on veut pouvoir apprécier l’effet du genretoutes choses égales par ailleurs, la prise en comp-te simultanée des revenus, mais aussi de nom-breuses autres caractéristiques de base des indivi-dus ou des ménages, est nécessaire : âge, statutfamilial (chef de ménage ou non), statut d’occupa-tion, taille, ancienneté, catégorie socioprofession-nelle, niveau d’éducation, etc.

Ces caractéristiques étant partiellement liéesentre elles, l’exploration des données d’enquêteet de la façon dont elles se structurent peut diffi-cilement se satisfaire de tris croisés. Les consul-tations classiques de ces tableaux de tris croiséssont redondantes.

Il est recommandé de recourir aux techniquesd’analyse des données (encore appelées ana-lyses descriptives multidimensionnelles)10.

1 0 2 Eau, genre et développement durable

10 Dans cette méthodologie, que permettent les outils logicielsdisponibles actuellement, l’analyse factorielle combinée avec lestechniques de classification (typologie) est l’outil élémentaired’analyse. Elle permet de définir des groupes d’individus les plushomogènes possibles vis-à-vis de leurs caractéristiques de base(ce qu’on appelle des « noyaux factuels »). Le tableau croisantune des variables nominales de l’enquête avec la partition ennoyaux factuels résume pratiquement tous les tableaux obtenusen croisant cette même variable avec chacune des caractéristi-ques de base. De plus, certaines interactions indécelables à par-tir de ces tableaux binaires peuvent être détectées.

11 Celle-ci impose que les variables explicatives soient indépen-dantes, c'est-à-dire décorrélées entre elles, ce qui est rarementvérifié, comme nous l’avons mentionné précédemment. L’analy-se factorielle peut cependant aider à choisir des variables indé-pendantes comme régresseurs.

12 Ou régression aux moindres carrés partiels (« Partial LeastSquares »). Voir (Tenenhaus et Morineau - 99).

13 Quatre types de modèles MNL (logit multinomiaux) peuventêtre distingués. Le premier, appelé « MNL cumulatif », sert àmodéliser une variable ordinale ou ordonnée, par exemple lasatisfaction des individus, mesurée sur une échelle à plusieursdegrés (exemple : Très satisfait / Moyennement satisfait / Pasdu tout satisfait). Dans l’étude du comportement des consomma-teurs ou des usagers, un ensemble d’alternatives (effectivementchoisies dans le cas d’une enquête sur les préférences révélées,ou bien contingentes lorsque certaines de ces alternatives sontprojetées et donc pas encore disponibles) est présenté à un indi-vidu et celui-ci choisit celle qu’il préfère ou indique celle qu’il uti-lise. Dans le modèle dit « MNL conditionnel », le choix est trai-té comme une fonction des caractéristiques des différentes alter-natives. Dans le modèle « MNL généralisé », il est fonction descaractéristiques de l’individu qui fait le choix. Enfin, un modèle« MNL mixte » inclut à la fois les caractéristiques des alternativeset celles des individus. Ce dernier modèle permettra donc d’éva-luer l’effet du genre sur la probabilité de choisir tel ou tel moded’approvisionnement en eau ou d’assainissement en fonction deses attributs (prix, distance, etc.).

14 Voir Chapitre 3.

15 Précisons que l’analyse discriminante neuronale (reposant surles réseaux de neurones et proposée par certains logicielsd’analyse) permet de dépasser les limites de l’approche statis-tique et devrait être désormais mobilisée de façon standard.

Modéliser la demande : les techniques disponibles

Dans l’analyse factorielle, la distinction entre variables actives et

passives permet déjà de construire un modèle, voisin de la régres-

sion linéaire multiple. L’explication d’une ou d’un ensemble de

variables par d’autres peut donc être explorée par les techniques

d’analyse des données. Des hypothèses peuvent être formulées.

Cependant, on souhaite généralement aller plus loin et mesurer

l’effet d’une variable sur la demande ou sur la satisfaction.

Dans le cas d’une variable quantitative à expliquer (par exemple

le consentement à payer ou la consommation d’eau), on préfére-

ra à la régression linéaire multiple11 la régression sur composantes

principales ou, mieux, la régression neuronale et la régression

PLS12.

Dans le cas d’une variable catégorielle à expliquer (par exemple :

les préférences, la satisfaction, le choix des modes d’approvision-

nement en eau ou d’assainissement), l’outil recommandé est la

modélisation MNL13 ou l’analyse discriminante. Cette dernière est

l’outil privilégié de la segmentation de la demande14. Elle permet

de définir des groupes socio-économiques homogènes (des « seg-

ments ») du point de vue de la demande c'est-à-dire des catégo-

ries de population ayant des demandes distinctes pour un bien ou

un service15.

Page 103: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

2.3. Les méthodes d’évaluation participative

Domaines d’application

Les méthodes d’évaluation participative sont leplus souvent utilisées dans le cadre de projets àpetite échelle, en particulier en milieu rural ou dansdes quartiers urbains défavorisés, lorsque laconstruction d’une relation et l’élaboration d’un dia-logue avec la communauté est un enjeu de pre-mière importance.

Les approches participatives permettent en effetde favoriser une circulation de l’information àdouble sens et peut développer la capacité desmembres de la communauté et de la communautétoute entière à s’organiser, à prendre des initiatives,à orienter et à maîtriser son propre développement.

Soulignons que les méthodes relevant de cetteapproche ne bénéficient sans doute pas, en tantqu’outils spécifiques d’évaluation de la demande,de toute la considération qu’elles méritent auprèsdes économistes et des ingénieurs. Parce que leschefs de projets ont souvent ce profil professionnel eten ignorent le potentiel, il y a assurément une oppor-tunité pour intégrer plus souvent ces techniques plusà l’amont du cycle des projets, pour les associer àd’autres techniques complémentaires dans lesphases de planification et d’étude préalable.

Mise en œuvre

A la différence des méthodes pédagogiquestraditionnelles qui s’appuient sur le transfert desconnaissances et sur des messages ou des pro-grammes préétablis par des spécialistes extérieurs,les méthodes participatives insistent sur le dévelop-pement de la capacité des personnes concernéesà évaluer, choisir, planifier, créer, organiser etprendre des initiatives.

Ainsi, l’objectif primordial des approches parti-cipatives en matière d’approvisionnement en eauet d’assainissement n’est pas simplement d’assurerla durabilité du système en créant des comités degestion ou en apprenant aux utilisateurs à réparerune pompe. Il consiste plutôt à aider les popula-tions à acquérir les attitudes, les compétences, laconfiance en elles et l’esprit d’engagement qui leurpermettront de devenir maîtres de leur développe-ment.

Une démarche fondée sur la réciprocité

La démarche participative, quels qu’en soientles outils, suppose un changement radical des rela-tions entre ceux qui jouaient traditionnellement lerôle d’enseignants ou de spécialistes détenanttoutes les réponses et ceux qui, en majorité illettrés,se voyaient assigner le rôle passif de bénéficiairesde l’instruction.

Cette approche oblige les agents externes àreconnaître et à respecter le fait que les commu-nautés disposent, elles aussi, de leurs propressavoir-faire et talents, auxquels il faut donner l’oc-casion de s’exprimer. Ce n’est qu’à cette conditionque « les participants » pourront réellement remplirleur rôle de partenaires du développement.

La démarche participative est un processus fondésur la réciprocité, un partenariat entre l’agent exter-ne et la communauté. Tandis que les méthodes misesen œuvre dans ce cadre aident les membres de lacommunauté à maîtriser de nouvelles compétences,l’agent externe (le formateur) apprend, grâce à leurutilisation, à mieux connaître l’environnement humainoù il doit intervenir.

De trop nombreux responsables de projets éprou-vent encore la crainte que l’emploi de méthodes par-ticipatives leur fasse perdre le contrôle de la situa-tion, les oblige à abandonner leur propre concep-tion, seule capable de faire avancer les choses. Lepassage du statut de spécialiste en position d’auto-rité à celui de partenaire n’est pas facile pour tout lemonde. Cela peut prendre du temps. Cet aspect dela question est exprimé en ces termes : « La premiè-re leçon que nous avons apprise était l’importancede prendre son temps. Cela veut dire qu’il faut avoirla patience de dialoguer et de consulter abondam-ment. Malheureusement, on définit souvent l’efficaci-té en terme de temps consacré à une tâche, de sorteque l’on a tendance à penser que la tâche la plusrapidement menée à son terme est la meilleure.Cependant, ce type d’efficacité conduit très souventà sacrifier le fait d’impliquer personnellement lesgens qui sont censés être la cible des efforts dedéveloppement » (J. M. Flavier, directeur de l’Institutinternational de construction rurale (IIRR) aux Philip-pines, in Srinivasan - 93).

En matière de démarche participative, et pourpeu qu’on l’utilise de façon appropriée, tout outilpeut revêtir un caractère participatif. La question clé

Aspects méthodologiques 1 0 3

Page 104: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

qu’il convient de toujours garder à l’esprit est la sui-vante : ce processus aide-t-il les opérateurs du déve-loppement à obtenir les informations nécessairespour résoudre les problèmes que les communautésont identifiés, en utilisant des méthodes qui amélio-reront la capacité de ces communautés à venir àbout de problèmes similaires à l’avenir ?

Respecter la diversité des situations

La question fondamentale reste celle-ci : « Est-ceque nous voulons vraiment la participation descommunautés et qu'entendons-nous par là ? » (Mel-chior - 89).

Les efforts entrepris dans le passé avaient unevision très étroite de la communauté, les considé-rant comme un tout homogène : « Parlez au chef devillage et vous saurez ce que la communauté veut,

ce dont elle a besoin et ce qu'elle peut faire ». Or,au sein de chaque communauté, il y a plusieursgroupes - jeunes et vieux, riches et pauvres, hin-dous et musulmans, hommes, femmes et enfants -qui ont leurs priorités, leurs points faibles et leurstalents. La participation était assimilée à une contri-bution en main-d'œuvre, en idées (éventuellement)et en matériaux. Elle n’était pas perçue comme ledroit, pour les participants, d’exprimer ou non lavolonté de s’intégrer au projet, de choisir les équi-pements, le moment et le lieu des réunions, de dési-gner les représentants de leur communauté. « Nom-breux sont ceux qui peuvent voir que l'approvision-nement en eau est une tâche de femme, mais il fautdéployer bien plus d'efforts pour prouver à tous quela prise de décisions en dehors du logis peut aussiêtre une tâche de femmes ».

Dix ans plus tard, la « participation » se résumeencore trop souvent au choix d’adhérer ou non àune offre de service (un forage, des bornes-fon-taines tous les 200 mètres, des branchementsdomiciliaires, etc.) et à un modèle de gestion sup-posé optimal. Il semble cependant que de nom-breux projets intègrent désormais la notion d’hété-rogénéité des usagers. Une nouvelle génération deprogrammes de développement voit le jour, plusaxés sur la demande, et un élargissement de l’offretechnique. Une abondante littérature traite de cesujet. Sont regroupées et classées ci-dessous lesprincipales « façons de faire » ou recommanda-tions, ainsi que les outils utilisés. Ces derniers sontdérivés de plusieurs méthodes, en particulier lesméthodes SARAR16 et PLA17 (cf. bibliographie).

A chacune des étapes de la mise en œuvred’un programme, de la phase préparatoire à sonterme, la démarche participative implique que lescommunautés concernées soient consultées et asso-

1 0 4 Eau, genre et développement durable

Conditions préalables à la mise en œuvre d’une démarche participative

Une fois admise comme base de travail, la mise en œuvre d’unedémarche participative suppose un certain nombre de conditions :

• En premier lieu, il est impératif que les intervenants acquièrentde nouvelles compétences liées à l’utilisation des outils participatifset que les responsables de projets adaptent leur rythme de travailà celui des communautés auprès desquelles ils interviennent.

• Il est également essentiel d’établir entre toutes les personnesconcernées des relations de confiance et de respect, ce qui deman-de temps et créativité. L’esprit d’ouverture et de transparence doitrégner, pour encourager les communautés à s’approprier le pro-cessus et à en faire une occasion commune d’apprendre (interve-nants d’un côté, population de l’autre).

• Les processus participatifs suscitant souvent des changementsdans les équipes dirigeantes et dans les institutions en place, ilfaut veiller à ce que les transitions s’opèrent sans incidents et dansle respect mutuel. Choisir de préférence des dirigeants « charis-matiques » capables d’assumer les nouvelles fonctions sans setransformer en bureaucrates ou en techniciens, ou en détruisantle respect dont ils jouissent.

• Le niveau de culture des différentes catégories de population etleur système de valeurs varient d’un lieu à l’autre. Les outils doi-vent être adaptés à chaque situation et à chaque culture, ce quirequiert une analyse et une approche appropriées.

16 SARAR : méthodologie participative reposant sur le renforce-ment des cinq caractéristiques suivantes dans la communauté :respect de soi (self-esteem), forces associatives (associativestrengths), ingéniosité (resourcefulness), planification des activités(activity planning) et responsabilité (responsibility).17 PLA : Participation Learning and Action. Méthodologie parti-cipative s’inspirant des méthodes SARAR et PRA pour améliorerles capacités des agences sectorielles à répondre auxdemandes des usagers en matière d’approvisionnement en eauet de services sanitaires, à partir de l’utilisation d’approches par-ticipatives intégrant la problématique hommes-femmes et cellede la lutte contre la pauvreté.

Page 105: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

ciées aux orientations et prises de décision. Deuxpoints dominent : organiser les réunions et instaurerun nouvel équilibre décisionnel :

– l’organisation de réunions est en effet incon-tournable. Lieux de rencontres et de débats, cesréunions ont pour but de susciter la prise deconscience et la prise en charge de leur devenirpar les « participants » ; ici peuvent aussi se révé-ler les blocages et les conflits à élucider. Préparerces réunions demande un soin particulier ;

– par ailleurs, pour réaliser les objectifs fixés, lanécessité de créer de nouvelles instances impliquesouvent un rééquilibrage des pouvoirs en place (auprofit des femmes notamment). Seul le consensus,établi grâce au dialogue, rendra l’organisationnaissante viable.

Assurer une participation équitable des femmeset des catégories défavorisées de la communautédemande que nombre d’obstacles soient levés etdes conditions de fonctionnement communautaires

respectées, pour ce qui concerne notamment l’em-ploi du temps et la disponibilité des participantsainsi que la participation des femmes à la gestiondes équipements.

2.4. Les méthodes d’évaluation contingente :domaines d’application

La méthode d’évaluation contingente (ou CVM)est une technique initialement développée par leséconomistes de l’environnement pour évaluer lavaleur attribuée aux biens publics et aménités envi-ronnementales (qualité de l’air, d’un paysage,etc.)18. Depuis ses balbutiements dans les années60, la méthode d’évaluation contingente a acquisune crédibilité scientifique attestée par une littératu-re de plus de 1500 études. Ces presque quaranteans de réflexion ont permis de faire progressercette méthode au point d’obtenir aujourd’hui desfondements théoriques faisant la quasi-unanimitédans le monde scientifique.

Le terrain d’investigation des chercheurs a cepen-dant été essentiellement composé jusqu’à la fin desannées 80 par des enquêtes portant sur des paysindustrialisés. Le passage à des études dans lespays en développement, notamment décrit par D.Whittington, initiateur de cette nouvelle vague derecherches, serait même plus facile à mener et don-nerait de meilleurs résultats (Whittington - 98).Cependant, bien que les sujets se diversifient dansles pays du Sud, les objectifs des études sont sou-vent différents de celles menées dans le Nord, et ilest donc difficile d’en comparer les résultats.

La plupart des évaluations contingentes effec-tuées dans les pays en développement sont com-mandées par des bailleurs de fonds afin d’analyserdes demandes en matière d'infrastructure ou pourmesurer les bénéfices de projets d’investissement.

Les enquêtes d’évaluation contingente ont pourobjectif d’analyser la demande pour des servicesaméliorés qui n’existent pas encore. Au sens strict,

Aspects méthodologiques 1 0 5

Limites et contraintes des méthodes d’évaluation participative

1. Les données obtenues à partir des méthodes d’évaluation par-ticipative ne peuvent pas être considérées comme statistiquementreprésentatives, car elles ne sont pas issues d’un échantillonnagealéatoire ;

2. Généralement considérées comme peu susceptibles de fournirdes données sur le consentement à payer des ménages et sur leurcomportement face à une amélioration future des services (bienque ce dernier point soit sujet à controverse) ;

3. Il y a peu d’expériences d’utilisation de ces méthodes pour éva-luer la demande dans le cadre de projets à grande échelle ou dansdes zones urbaines ;

4. Ces méthodes sont souvent appliquées par des spécialistes quimaîtrisent ou comprennent mal toutes les implications techniques,et ceci peut conduire à des résultats biaisés ;

5. La flexibilité de cette approche peut être assimilée à unmanque de rigueur ;

6. La nature qualitative des données obtenues peut rendre diffici-le leur valorisation pour le choix effectif d’une variante du projet,d’un niveau de service particulier.

18 Une des premières applications de cette méthode concernaitun projet de centrale thermique dans un site exceptionnel et tou-ristique de l’Arizona (USA). On a demandé aux visiteurs de larégion combien ils seraient prêts à payer pour que l’usine ne soitpas construite et l’on en déduisit ainsi la valeur que l’on pouvaitattacher à la beauté du paysage.

Page 106: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

il s’agit de demander aux populations le montantqu’ils seraient disposés à payer pour bénéficier dece(s) service(s) (enquêtes dites de « consentement àpayer », ou encore de « volonté de payer »). Onpeut aussi leur proposer différents services alterna-tifs en décrivant les conditions dans lesquelles ilsseraient mis à leur disposition (niveaux de serviceset prix) et leur demander lequel ils choisiraient ou

de les classer selon l’ordre de leurs préférences(méthode dite de « l’analyse conjointe »).

Les études d’avant-projet imposent parfoisd’ajouter cet objectif à celui de l’enquête-ménagegénérale ou des préférences révélées (étudier lespratiques actuelles). La poursuite simultanée de cesdeux objectifs en une seule et unique enquête estdélicate. En premier lieu, il peut y avoir une inadé-quation entre les améliorations souhaitées par leshabitants et celles que les ingénieurs considèrentcomme « souhaitables ». De surcroît, les équipe-ments ou services « améliorés » que les ingénieursjugent a priori faisables et pour lesquels ils souhai-tent mesurer la demande comportent le plus souventune part d’innovation. La demande est alors troppeu « informée » pour être mesurée de façon fiable.

Il est par conséquent recommandé de dissocierles deux types d’enquête et de n’entreprendre celled’évaluation contingente qu’à partir du moment oùl’on est sûr que les avantages et inconvénients desbiens ou services proposés et innovants sont suffi-samment connus et que ces propositions se fondentsur un diagnostic approfondi des pratiques et sou-haits d’améliorations actuels. Cela implique parfoisune phase préalable d’information et de sensibili-sation, voire même un projet pilote qui servira detest et de démonstration, en particulier dans les pro-jets d’assainissement.

Dans les enquêtes d’évaluation contingente,une approche strictement économétrique ne s’inté-resse qu’aux décideurs et privilégient donc leschefs de ménage dans la population à enquêter.Seuls les choix effectifs des ménages importentalors, même si les préférences des femmes diffèrentde celles de leur mari. Dans une approche selon legenre, hommes et femmes doivent être interrogés,de façon à déceler les différences éventuelles dedemandes selon le genre.

Les outils statistiques appropriés pour exploiterles données de ces enquêtes et pour déceler les dif-férences de la demande selon le genre ne sont pasdifférents de ceux décrits précédemment à proposdes enquêtes-ménages générales (ou des préféren-ces révélées).

1 0 6 Eau, genre et développement durable

Limites et contraintes desméthodes d’évaluation contingente

1. Cette technique s’est largement développée dans les paysindustrialisés. D’application encore trop récente, elle est encoreinsuffisamment connue, documentée et maîtrisée par les parte-naires locaux.

2. La nature hypothétique (« contingente ») de l’équipement oudu service proposés signifie que le risque est grand, si l’on neprend pas de précautions (au niveau de l’enquête ou bien en fai-sant précéder cette dernière par une phase d’opération pilote),d’interroger les enquêtés sur leur demande pour des services dontils ignorent trop les avantages et inconvénients pour donner desréponses fiables.

3. Etude coûteuse, davantage encore que les enquêtes-ménagegénérales (formation des enquêteurs, pré-enquêtes tests, saisiedes questionnaires, traitement et exploitation).

4. Comme pour les enquêtes-ménage générales, il s’agit d’un pro-cessus de consultation des individus. La collectivité locale ou lacommunauté en tant que telle n’est pas impliquée dans le proces-sus de décision par cette seule méthode. Celle-ci ne peut se sub-stituer au dialogue avec le niveau de représentation collectif.

5. Les questionnaires d’enquêtes et leurs résultats sont spécifiquesau site enquêté, difficilement transférables à un autre site, mêmeau sein de la même zone ou région.

6. Le consentement à payer résultant de ces enquêtes ne reflètepas le fait que ce sont normalement les femmes qui sont chargéesdes tâches de collecte de l’eau et d’assainissement, alors que leshommes ont souvent le contrôle des ressources financières. Dansle cas (fréquent) où le consentement à payer des hommes et desfemmes est différent, cette méthode ne permet pas de préjuger dela décision effective qui sera prise par le ménage, à moins peut-être de laisser du temps à l’enquêté pour consulter son épouse (ouréciproquement) avant de répondre.

19 Voir schapitre 5, § 2.2. « Les enquêtes-ménage générales etles enquêtes des préférences révélées ».

Page 107: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Destinées à évaluer la demande, ces méthodessont susceptibles de faire émerger les préférencesdes femmes, de les porter à la connaissance desdécideurs et, in fine, d’aider les femmes à « faireentendre leur voix ». En tant que telles, ces métho-des ne sont pas spécifiques à l’approche genre, et

les recommandations que l’on a pu formuler pourleur application dans le cadre de cette approcherelèvent surtout du bon sens. Si l’on veut que lesfemmes s’expriment, il semble naturel de s’assurerpar tous les moyens possibles qu’elles pourront par-ticiper et s’exprimer (choix des horaires de réunions

Aspects méthodologiques 1 0 7

3. Impacts attendus de ces méthodes

ACTIVITÉS MÉCANISME MIS EN ŒUVRE

Lancement du projet Les responsables du programme font comprendre aux dirigeants masculins la nécessaire participation des femmesaux responsabilités collectives ou obtiennent des autorités l’autorisation de mener une enquête sur un échantillonaléatoire de la population.

Information et dialogue Les programmes s’appuient sur les canaux d’information locaux susceptibles de toucher les femmes.Les enquêtes-ménage n’interrogent pas seulement des hommes mais aussi des femmes. Le choix d’enquêtrices favo-rise l’expression de ces dernières.

Réunions Les responsables du programme favorisent la prise de parole par les femmes lors des réunions de projets en :– choisissant les meilleurs lieux, dates et horaires pour les réunions ;– informant les femmes de la tenue des réunions et en les y invitant ;– recourant à des animatrices ;– veillant à installer correctement les participants dans l’espace de réunion (de façon par exemple à ce que les

femmes ne restent pas à l’arrière) ;– utilisant la langue ou le dialecte local ;– organisant des pauses dans les débats et, le cas échéant, des réunions uniquement avec les femmes.

Prise de décisions Les programmes permettent aux femmes de participer à la prise de décisions en matière de :– choix des agents (notamment d’entretien) et des mécaniciens ;– choix des membres des comités ;– conception et emplacement des installations ;– modalités de gestion locale.

Représentation Les femmes désignent elles-mêmes leurs représentantes, sur la base de critères de confiance, de facilité de contactsavec autrui, d’aptitude à diriger et de disponibilité. Les représentantes ont le soutien de leur famille.

Gestion Les programmes s’appuient sur les tâches et savoir-faire traditionnels pour attribuer de nouveaux rôles aux femmesdans le domaine hydraulique : gestion de l’eau, des déchets et de l’utilisation des terres, entretien et réparation despoints d’eau, sensibilisation à l’hygiène, entretien des latrines, gestion des fonds, etc.

Formation Les femmes sont également formées à des tâches techniques et de gestion.Le recours à des formatrices est préférable pour la formation des femmes.Le personnel et la direction des programmes sont formés à favoriser dans la pratique une participation égale deshommes et des femmes.

TABLEAU 4. Récapitulatif des moyens de lever les obstacles à la participation des femmes

Page 108: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

ou d’interview, les inclure dans l’échantillon d’en-quête, etc.) et d’éviter les situations qui pourraientles amener à se censurer (choix des enquêteurs, deréunions spécifiquement « féminines », etc.). Lesrecommandations plus techniques s’appuient surl’état de l’art le plus récent propre aux disciplinesdes différents spécialistes – ingénieurs, écono-mistes, sociologues, statisticiens – qui doivent tra-vailler ensemble dans le cadre des études d’avant-projet, d’animation ou de suivi-évaluation, en sui-vant une optique résolument multidisciplinaire.

D’une utilisation relativement nouvelle dans lechamp du développement, les outils d’analysede la demande ouvrent un champ très important

d’innovations aux responsables de programmesde développement. Ceci est particulièrement vrailorsque l’on cherche à caractériser des méthodesd’approche permettant de respecter les équi-libres hommes/femmes et de leur accorder res-pectivement les rôles et places nécessaires aubon fonctionnement et à la pérennité des ser-vices d’AEP.

Les recommandations qui suivent ne constituentpas une méthode (qui reste à développer et rendreeffective), mais le début d’une recherche d’efficaci-té et de respect des communautés dans lesquelless’inscrivent les programmes et projets d’équipe-ments en eau potable.

(Burtschy B. et al. - 94)Burtschy B. et al., Traitements statistiques desenquêtes. Grangé D. et Lebart L. Ed.. Dunod. Paris.1994.

(Coquery-Vidrovitch - 94)Coquery-Vidrovitch C., Femmes africaines : Histoi-re et développement, in ”Questions de développe-ment : nouvelles approches et enjeux”. L'Harmat-tan, 1994.

Lebart L., Morineau A. et Piron M., Statistique explo-ratoire multidimensionnelle. Dunod Paris. 1995.

(Garn - 98)Garn M., Managing Water as an EconomicGood. The Transition from Supply-Oriented toDemand-Responsive Services, in ”CommunityWater Supply and Sanitation. Conference Procee-dings”, may 5-8 1998, UNDP-World Bank Waterand Sanitation Program, Washington DC.

(MacGranahan G. et al. - 97)MacGranahan G., Leitmann J. et Surjadi C.,Understanding Environmental Problems in Disad-

vantaged Neighborhoods : Broad Spectrum Sur-veys, Participatory Appraisal and ContingentValuation, Stockholm Environment Institute en colla-boration avec SIDA, 1997.

(Sara et Katz - 98)Sara J. and Katz T., Making Rural Water SupplySustainable: Report on the Impact of Project Rules,UNDP-World Bank Water and Sanitation Program,Washington DC, 1998.

Tenenhaus M. et Morineau A., Les méthodes PLS -Symposium International PLS’99, CISIA - CERESTA,Paris, 1999.

(Water Demand Research Team - 93)The World Bank Water Demand Research Team,The Demand for Water In Rural Areas : Determi-nants and Policy Implications, in ”The World BankResearch Observer”, vol.8, n° 1, p. 47-70, 1993.

(Whittington - 98)Whittington D., Administering Contingent ValuationSurveys in Developing Countries, in ”World Deve-lopment”, vol. 26, n° 1, p. 21-30, 1998.

1 0 8 Eau, genre et développement durable

4. Bibliographie du chapitre 5

Page 109: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

Eau, genre et développement durable 1 0 9

Pour que les opérations dans le secteur de l’hy-draulique soient garantes d’un développementdurable, la participation de tous les intéressés àleur mise en place doit être favorisée.

L’une des orientations stratégiques du rapportZeller sur l’Environnement, le développement dura-ble et l’aide internationale recommande spécifi-quement, pour ce qui est du renforcement descapacités des Etats et de l’association des popula-tions à la conception des programmes visant audéveloppement durable, de « veiller [corollaire-ment] à l’appropriation des projets par les popula-tions, notamment en utilisant le vecteur des collecti-vités, en faisant participer ces populations à la stra-tégie, à la programmation, à la mise en œuvreainsi qu’à l’évaluation des projets ».

Les femmes ont été longtemps insuffisammentimpliquées dans les opérations de développement,tout comme les autres catégories de populationsmarginalisées, qu’il s’agisse d’hommes ou defemmes. Elles bénéficieront des recommandationssuivantes, qui devraient conduire à une meilleureprise en compte du genre dans les politiques et lesopérations dans le domaine de l’hydraulique.

La coopération française s’engage à :

1. Inclure la thématique du genre :

– dans l’appui institutionnel aux politiques secto-rielles de l’hydraulique des pays partenaires ;

– dans ses propres orientations stratégiques, touten participant à la coordination entre les bailleursde fonds.

2. Favoriser la participation des femmes à ladéfinition et à la mise en œuvre des politiquesconnexes qui concourent à la durabilité des opé-rations dans le domaine de l’hydraulique, notam-ment dans le cadre :

– du développement local et de la décentralisa-tion, afin qu’elle soient des acteurs véritables de ladémocratie locale. A cette fin, il s’agit notammentde renforcer la solidarité et la structuration despopulations au niveau communautaire, qu’il s’agis-se des femmes et des catégories défavorisées ;

– de l’éducation et de l’alphabétisation pour contri-buer à lever les obstacles d’ordre social, culturel,politique et économique qui s’opposent à l’accèsau savoir. L'accès inégal à l'éducation est en effetun frein majeur au développement et au renforce-ment de leurs capacités et de leur pouvoir ;

– de la santé dans le but de lutter contre les mala-dies hydriques, de contribuer à prendre en compte

6. Recommandations MAE/AFD

20 Rapport d’étape du groupe de travail interministériel « Envi-ronnement, développement durable et aide interna-tionale » ,CICID, Relevé de conclusions, mai-juin 2001

Ces recommandations ont été formulées par le ministère des Affaires étrangèreset l‘Agence française de développement.

Page 110: collection Études et Travaux - Africa Adapt...Eau, genre et développement durable Expériences de la coopération française en Afrique subsaharienne Ouvrage collectif collection

les exigences en matière d’assainissement, et demanière générale à renforcer la sensibilisation despopulations en matière de santé.

3. Baser l’analyse de genre sur une méthodolo-gie fondée sur la demande, ce qui implique :

– d’utiliser, parmi les méthodes disponibles (enquê-tes ménage, méthodes d'évaluation participative,méthodes d'évaluation contingente), celles qui s’avè-rent les plus pertinentes pour analyser les relationshommes-femmes et leur impact potentiel sur les pro-jets envisagés en fonction des contextes ;

– d'accorder plus de poids aux études prélimi-naires (temps, ressources humaines, financières,techniques) afin de tenir compte du contexte social,politique et culturel local et des demandes indivi-duelles (enquêtes auprès des ménages) dans ledimensionnement des projets, soit dans la phasede faisabilité, soit dans le cadre de programmesou de processus ;

– d’encourager la mise en place d’équipes pluridis-

ciplinaires (ingénieurs, économistes et sociologues)capables de développer une capacité d'analysefine des contextes dans lesquels s'inscrivent les opé-rations et pour procéder à des études différenciéesselon le genre ;

– de favoriser l'émergence des demandes locales enapportant aux collectivités les moyens nécessaires(développement de capacités en matière d’enquêtes,mise à disposition de données socio-démographi-ques, économiques, techniques et topographiques ;appui à l'élaboration des demandes par les direc-tions techniques régionales) ;

– de soutenir la représentation des femmes à tousles niveaux de décision ou de gestion ;

– de s’assurer que l’information sur les opérationsproposées est également diffusée auprès des caté-gories de population intéressées ;

– de mettre en place des processus de suivi-éva-luation permettant de s’assurer de l’équité dans lebénéfice des opérations, garante de leur réussite etde leur durabilité.

1 1 0 Eau, genre et développement durable