colloque le polar en allemagne, en france et...
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Berlin-Brandenburgisches Institut für Deutsch-Französische Zusammenarbeit in Europa Institut de Berlin-Brandebourg pour la coopération franco-allemande en Europe – BBi
Colloque Le Polar en Allemagne, en France et en Pologne : reflet de la société ?
3ème rencontre
Les 9 et 10 mars 2007
au Château de Genshagen
Programme et rapport
Berlin-Brandenburgisches Institut für Deutsch-Französische Zusammenarbeit in Europa Institut de Berlin-Brandebourg pour la coopération franco-allemande en Europe – BBi
Programme du colloque
VENDREDI 9 MARS 2007
14h00 Discours de bienvenue et introduction
- Philippe Meyer, Membre du directoire de la Fondation Genshagen - Katrin Schielke, Directrice de projets Culture, Fondation Genshagen
14h15 Le polar en Allemagne, en France et en Pologne : les tendances actuelles Discussion - Claude Mesplède, Co-auteur du « Dictionnaires des littératures policières », Ed. Joseph K., 2003, Toulouse - Tobias Gohlis, Critique littéraire, Hambourg - Thomas Wörtche, Critique littéraire, Berlin - Piotr Bratkowski, Critique littéraire, Varsovie Discussion animée par : Gérard Meudal, journaliste au Monde des Livres, Paris
15h30 Lecture - Michel Quint, Auteur, Lille lira un extrait de « Billard à l’étage », Rivages 2002 - Wolfgang Schorlau, Auteur, Stuttgart, lira un extrait de « Fremde Wasser », Kiepenheuer und Witsch 2006 Discussion animée par : Mateusz Hartwich, Germaniste, Berlin
16h30 La Grande Histoire : les guerres du XXème siècle dans les romans policiers Table ronde
- Richard Birkefeld, historien, auteur, Hannovre - Göran Hachmeister, historien, auteur, Hannovre - Christian v. Ditfurth, historien, auteur, Ahrensbök - Jean-Bernard Pouy, auteur, Paris - Malgorzata Saramonowicz, auteur, Pologne
Discussion animée par : Elfriede Müller, Historienne, Berlin
18h00 Lecture - Artur Gorski, auteur, Varsovie, lira un extrait de « Puma », Dom pod Krakowem, 2005 - Laurence Biberfeld, auteur, Pernes-les-Fontaines, lira un extrait de « Le chien de Solférino », Gallimard 2004
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Discussion animée par Ursula Kiermeier, traductrice, Cracovie
18h30 Apéritif avec les auteurs Thierry Crifo, Małgorzata Saramonowicz et Birkefeld /Hachmeister dans le Marmorsaal (R.d.C) ainsi que Jean-Bernard Pouy, Irek Grin et Christian v. Ditfurth dans la salle des médias (1er étage).
21h00 Concert de Jazz avec Alexander Archangelskij Projection du film « Je est un autre » (Court-métrage de Sabine Zimmer, Scénario de Thierry Crifo) en salle des médias
SAMEDI 10 MARS 2007 9h30 Petites gens, grandes histoires
De quelles histoires parlent les romans policiers? Les petits-bourgeois de gauche, seuls lecteurs de romans policiers ? Y a-t-il encore des polars « populaires » ? - Thierry Crifo, Auteur, Paris - Irek Grin, Auteur, Directeur des éditions EMG, Pologne -Prof. Dr.Jochen Vogt, Germaniste, Université Duisburg-Essen, Allemagne Discussion animée par : Jean-Claude Tollet, animateur culturel, Valenciennes
11h00 Groupes de réflexion
- 1. Le polar dans la critique – Animé par : Tobias Gohlis
Quel rôle jouent les recensions littéraires ? Sur quel plan se situe la critique ? Vers un
réseau européen de critiques de polars ?
- 2. Le polar dans les écoles – Magali Tardivel-Lacombe, Etudiante en sciences politiques,
Aix-en Provence
En quoi les projets réalisés autour des polars dans les écoles incitent-ils les élèves à lire?
12h15 Conclusions des groupes de réflexion
Discussion animée par: Jacques Lindecker, Auteur, Soultz
13h00 www.Europolar.com - un site Internet pour le polar européen Comment est né, après le dernier colloque de Genshagen sur le polar, un forum du polar sur Internet… Discussion animée par : Elfriede Müller et Raphael Villatte, Spécialistes littéraires, Amiens
13h30 Clôture: Katrin Schielke
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Rapport
Vendredi 9 mars 2007
Dans son discours de bienvenue, l’organisatrice de ce troisième colloque de Genshagen
consacré au polar, Katrin Schielke, s’est elle-même qualifiée de « junkie du polar ». Ce sont les
polars qui l’ont séduite en premier et l’ont amenée dans un premier temps à la lecture en général,
puis, par la suite, à la lecture d’une littérature peut-être « plus sérieuse ». Cette séduction qu’exerce
le polar, nommée de manière moins compromettante « incitation à la lecture » en pédagogie, est
un aspect qui n’avait pas encore été abordé lors des deux colloques précédents.
Quand on parle du troisième colloque de Genshagen consacré au polar, ceci ne vaut cependant
pas pour les participants polonais qui assistent à leur deuxième colloque. Le premier colloque
organisé en novembre 2003 avait en effet été une manifestation purement franco-allemande. Ceci
explique donc le grand intérêt porté à l’analyse des évolutions du polar en Pologne. Lors de la
première table ronde animée par le critique littéraire français Gérard Meudal, les intervenants se
sont interrogés sur les tendances
actuelles du polar dans les 3 pays. En
ce qui concerne la Pologne, il a tout
d’abord évoqué le cas problématique des
régimes totalitaires. Dans ces régimes, le
polar a beaucoup de mal à se développer.
Il est déjà tenu – du moins dans sa forme
« classique » de recherche du coupable –
à certaines règles de composition, et,
quand à ces prescriptions s’ajoutent
encore les contraintes de la censure, la
tâche devient presque impossible. Dans
l’Italie de Mussolini, la censure a par exemple interdit que le criminel soit italien. Cela a de fait
Piotr Bratkowski, Tobias Gohlis et Gérard Meudal
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conduit à l’interdiction complète du polar dans l’Italie fasciste. (Le roman policier sous le
national-socialisme pourrait être à ce propos un thème intéressant pour un prochain colloque).
Dans le « roman de la milice » (Milizroman) de la Pologne socialiste, l’assassin devait de façon
similaire (selon le politiquement correct) appartenir à la bourgeoisie, et mieux encore, à la
bourgeoisie occidentale. La victime, par contre, se devait d’appartenir à la classe ouvrière. Pour le
journaliste Pjotr Bratkowski, le polar s’est heurté à une deuxième difficulté dans la Pologne
socialiste : le présent ne fournissait aucun héros classique de polar, aucun enquêteur qui aurait
suscité la sympathie du lecteur. Il n’y avait en effet évidemment pas de détectives privés, et la
milice d’Etat était tombée dans un trop profond discrédit pour qu’un enquêteur issu de ses rangs
ne soit pris au sérieux. Tout ceci explique que la littérature policière soit apparue en Pologne
après les bouleversements politiques de 1989 comme une terra incognita. Et contrairement à l’ex-
RDA, la troisième république de Pologne ne pouvait compter socialement et linguistiquement
que sur elle-même. Comme il n’existait en Pologne aucune tradition et surtout aucun bon auteur
dans le domaine du polar, la demande a dans un premier temps été satisfaite par les polars
traduits de l’anglo-saxon.
Le soupçon envers toutes les formes de
littératures de divertissement, particulièrement
marqué en Pologne selon Bratkowski, a constitué
un obstacle supplémentaire au développement du
polar polonais dans l’après 1989. Ceci a eu pour
conséquence que la majorité des polars qui ont été
publiés alors étaient produits par des représentants
de la grande littérature et ne ressemblaient
finalement que peu à de vrais polars. Comme si ce
genre ne pouvait trouver grâce aux yeux des
connaisseurs que sous une forme anoblie. Les amoureux du « Nur-Krimi » (« simple polar »),
c’est-à-dire d’un polar recentré sur l’intrigue policière et sans prétentions littéraires, préfèrent
toutefois, selon Bratkowski, lire des traductions de l’anglais. Bratkowski voit dans l’historicisation,
dans la transposition des scénarios dans des temps antérieurs, une autre forme de cette tentative
Les interprètes allemandes et polonaises
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d’anoblissement du polar polonais. L’exemple le plus connu est celui du policier enquêtant dans
le Breslau allemand des années 20 et 30, Eberhard Mock, une créature du philologue classique de
Breslau, Marek Krajewski.
Ce n’est que depuis récemment, même très récemment, que se produit, selon Bratkowski, une
normalisation esthétique. Beaucoup aspirent maintenant à un « simple polar », à un polar de
qualité artisanale, bien fait et pas trop expérimental. Lors du dernier colloque de Genshagen
consacré au polar de décembre 2004, il avait déjà été constaté qu’une période d’au moins quinze
ans est nécessaire pour que puisse s’établir une littérature policière « saine » après la chute d’un
régime totalitaire, comme le montrent les exemples de l’Italie post-fascistes et de l’Espagne post-
franquiste. Cela n’a donc pas surpris quand Thomas Wörtche, peut-être le plus connu des critiques
allemands de polar, a fait part de sa difficulté à trouver des polars est-européens pour sa
collection mutlticuturelle Metro. Wörtche – approuvé du côté français par l’expert en polar Claude
Mesplède – a montré par ailleurs qu’il se dessine en Allemagne et dans les autres pays ouest-
européens une tendance à l’expérimentation et que la grande littérature y manifeste le désir de
faire du polar. Wörtche a cependant qualifié ces expérimentations de « bizarres » et a donné
comme exemple le roman d’espionnage de Martin Walser Dörle und Wolf ou le livre de Thomas
Hettche Fall Arbogast. Bratkowski a pu alors développer la thèse
intéressante selon laquelle la Pologne – comme d’ailleurs les
autres pays de l’ancien Pacte de Varsovie – suit une tendance
inverse au « reste du monde » : dans le monde occidental se
manifeste une lassitude par rapport au polar sous sa forme
traditionnelle, qui se traduit par des tentatives visant à conférer
au polar des lettres de noblesse littéraires. En Pologne, au
contraire, domine l’envie de produire enfin des polars
conventionnels, bien racontés et bien construits.
Celui qui connaît Wörtche sait que celui-ci n’a aucunement une
trop haute opinion du polar allemand. Il le compare en effet au
hockey sur glace en Papouasie-Nouvelle-Guinée (un sport que l’on ne peut pas exactement
Le public
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qualifier de très performant) et met ce manque de qualité au compte du sous-développement de
la tradition narrative réaliste dans la littérature de langue allemande. Il n’y a en effet pas eu de
Balzac, ni de Dickens, ni de Faulkner allemands. Beaucoup reçoivent la vocation mais peu sont
élus : le critique Tobias Gohlis a remarqué à ce propos qu’écrire des romans policiers est devenu
une mode en Allemagne et que beaucoup trop de gens écrivent des polars pour un résultat
finalement médiocre. Selon lui, il manque de plus aux auteurs le courage d’aborder les sujets
brûlants de l’actualité sociale – malgré toute la productivité de la scène littéraire, le lecteur attend
toujours, jusqu’à présent en vain, un polar sur Hartz IV. Mesplède a souligné le fait que le polar
français en revanche ne craint pas de faire des références à l’actualité. Il a cité en exemple le
roman French Tabloïd de Jean-Hugues Opel, récompensé par le prix de la critique « Prix Mystère »
en 2006, qui enquête – entre fiction et documentaire – sur les jeux de pouvoir et les intrigues qui
ont permis au candidat d’extrême droite Le Pen d’affronter seul Chirac au deuxième tour des
élections présidentielles en 2002. Une question à laquelle l’opinion publique ne recevra
évidemment pas de réponse satisfaisante avant quelques décennies – si tant est qu’elle en reçoive
une un jour. La fiction peut ainsi accomplir à cet endroit quelque chose qui reste fermée au
journalisme d’investigation. Le polar peut exposer des hypothèses plausibles sans devoir aussitôt
les prouver.
Le polar français serait-il plus fortement critique et engagé dans les débats de l’actualité politique
tandis que le polar allemand serait plutôt apolitique ? Les lectures qui ont suivi ont cependant
montré que l’on ne pouvait pas généraliser cette thèse. L’Allemand Wolfgang Schorlau et le Français
Michel Quint ont lu des extraits de leurs romans respectifs, tous les deux récompensés par des prix,
Fremde Wasser (Deutscher Krimipreis 2006) et Billard à l’étage (Grand Prix de la littérature policière
1989). Tandis qu’il est question dans Billard à l’étage d’un meurtre dans une petite ville reculée du
Sud de la France, l’action de Fremde Wasser se joue dans le Berlin politique et aborde le thème très
actuel de la privatisation des réseaux de distribution d’eau.
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La table ronde suivante consacrée à la question de
la représentation des guerres du vingtième
siècle dans le polar a montré que le genre du
roman policier est très bien adapté pour aborder
des thèmes de politique et d’histoire
contemporaines. Elfriede Müller, qui a modéré la
discussion, a demandé à Christian von Ditfurth et au
duo d’auteurs Richard Birkefeld et Göran Hachmeister,
tous trois historiens et auteurs de romans policiers à
succès, en quoi consiste – par exemple par rapport
au traitement de la Seconde Guerre mondiale – l’avantage d’une approche littéraire de l’histoire
par rapport à une approche scientifique et factuelle. Birkefeld a tout d’abord donné la réponse la
plus évidente : on atteint tout simplement un lectorat plus vaste avec un polar qu’avec de la
littérature spécialisée aride. Von Ditfurth a ajouté qu’il atteint avec ses romans un public qui ne
s’intéresse pas forcément à la thématique historique en tant que telle. Les livres spécialisés sont la
plupart du temps lus au contraire par des gens qui sont déjà de toute façon familiarisés avec le
sujet et qui cherchent en fait une confirmation de leur propre point de vue.
Von Ditfurth a cependant donné un deuxième
argument, plus intéressant : le polar autorise
l’expérience de pensée, la spéculation à
l’indicatif, une possibilité dont ne dispose pas
l’historien. Bien sûr, l’historien peut dire :
« Que se serait-il passé si… ». Cependant, il
met sa réputation en jeu s’il abuse de ce
genre de questions hypothétiques. La science
historique n’a jamais – et à vrai dire
heureusement – changé dans son éthique, et
le « comme cela s’est-il réellement passé » de
Leopold von Ranke est toujours valable. Dans deux romans prenant une grande liberté à l’égard
M. Saramonowicz, E. Müller, C. v. Ditfurth, R. Birkefeld et G. Hachmeister
Les libraires: Cornelia Hüppe-Binder (Miss Marple), Bernd Binder, Patrick Suel (Zadig)
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des faits réels, Von Ditfurth spécule (d’une certaine manière en opposition avec la maxime de
Ranke, mais aussi en la dépassant) sur ce qui aurait pu se produire si Hitler avait pu être éliminé.
Dans son roman Le 21 juillet, l’attentat de Stauffenberg contre Hitler réussit – toutefois avec des
conséquences catastrophiques : l’Allemagne lance une bombe atomique sur la capitale biélorusse
Minsk et devient la troisième super-puissance. Pour von Ditfurth, ce genre de spéculation est aussi,
comme il l’a reconnu, un moyen de démythifier la résistance du 21 juillet.
Naturellement, le scepticisme de von Ditfurth par rapport aux résistants s’étant regroupés autour
du Comte Stauffenberg n’a pas rencontré l’unanimité. Ceci a alors conduit à une question d’ordre
plus général : un genre que l’on continue de classer comme littérature de divertissement peut-il
aborder des thèmes comme la Seconde Guerre mondiale ou encore comme le génocide des
Juifs ? A-t-on le droit d’utiliser les pires crimes de l’histoire de l’humanité comme prétexte pour
un scénario divertissant ? L’auteur polonaise Malgorzata Saramonowicz, dont le roman Sanatorium
déjà traduit en allemand aborde le problème de l’euthanasie pendant la période nazie, a réclamé
pour elle et pour tous les auteurs le droit d’écrire sur la Seconde Guerre mondiale. Cependant,
elle a ajouté que des thèmes tel le génocide dans les camps de concentration ne sont pas des
thèmes littéraires et encore moins des sujets de romans policiers.
La guerre dans le polar ? Jean-Bernard Pouy a
défendu, dans la lignée de Jean Baudrillard, le
point de vue selon lequel la société (capitaliste)
actuelle se trouve, même en temps de paix, dans
une situation de guerre permanente, même si
celle-ci ne se manifeste pas ouvertement. C’est
une guerre des riches contre les pauvres, des
gens qui connaissent le succès contre ceux qui
n’en ont pas. Une généralisation voire une
extension du concept que beaucoup ont contesté
dans le public. Pouy a également surpris en déclarant qu’il n’écrit « pas de polars » parce que le
polar classique centré sur un policier enquêtant et représentant l’autorité de l’Etat abrite en soi
Jean-Bernard Pouy et Malgorzata Saramonowicz
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une tendance conservatrice. Dans les textes que l’auteur polonais Artur Górski et la Française
Laurence Biberfeld ont lus, il était question de la violence sexuelle et de la prostitution. Ceci allait
donc dans le sens de la thèse de Pouy, dans la mesure où la sexualité est utilisée comme arme dans
les guerres.
Un des points forts de l’apéritif du vendredi soir où différents auteurs étaient invités à lire de
courts extraits de leurs œuvres a été le court-métrage policier « Je est un autre » réalisé par
Sabine Zimmer et né d’une coopération avec la Fondation Genshagen. Le scénario avait été écrit
par Thierry Crifo, qui avait reçu une bourse au printemps 2006 dans le cadre des Semaines
littéraires de Genshagen. Dans ce film, un commissaire à la Colombo dépravé est tenté d’imiter
un suicidé dont il découvre qu’il était né le même jour que lui. Malgré certaines imperfections
techniques, un court-métrage très prometteur et qui dépassait le cadre du simple polar.
Samedi 10 mars 2007
Jean-Claude Tollet, chargé de mission culturel
dans le Valenciennois qui a modéré la
discussion, a raconté lors de la table ronde
du samedi Petites gens, grandes histoires
qu’on lui avait une fois conseillé de lire de
« vrais livres » plutôt que des polars. Cela a
conduit à la question suivante : dans quelles
couches sociales lit-on le plus de polars ? La
sociologie est de ce point de vue – du moins
en Allemagne et en Pologne – un peu en
retard. Jochen Vogt, germaniste à l’université de Duisburg-Essen, a souligné qu’il n’existait
quasiment pas dans l’espace germanophone d’étude scientifique sur les lecteurs de polars. Il n’a
ainsi pu se référer qu’à une enquête de l’EMNID, l’équivalent de l’INSEE en Allemagne, réalisée
dans les années 70 et qui avait montré qu’un tiers des Allemands consommaient des polars.
Jean-Claude Tollet, Irek Grin et Thierry Crifo
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L’étude n’avait pas permis d’établir de lien avec l’appartenance politique. Ainsi, les électeurs de la
CDU et du SPD liraient des polars dans une proportion semblable. L’étude avait également
révélé que les femmes et les hommes lisent des polars dans des proportions semblables. Vogt a
cependant émis un doute à ce propos, fermement convaincu que les lecteurs de polars sont
majoritairement des femmes. Du côté français, l’auteur parisien Thierry Crifo a mentionné l’étude
Lire le noir d’Annie Collovald et d’Erik Neveu, une analyse détaillée de la consommation de polars
en France publiée en 2004. Les conclusions auxquelles cette étude est parvenue sont vraiment
étonnantes, voire carrément étranges. Ainsi, Collovald et Neveu ont démontré que ce sont en
particulier les personnes sexuellement désorientées, c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas
sûres de leur identité féminine ou masculine, qui se sentent attirées vers le roman policier. En ce
qui concerne la Pologne, l’écrivain et directeur d’une maison d’édition Irek Grin a expliqué que
l’on ne possédait aucune information sur l’origine sociale des lecteurs de polars. Grin a cependant
rejoint l’opinion de Piotr Bratkowski (développée ci-dessus) qui ne comprenait que trop le désir du
lecteur polonais moyen de lire enfin un polar « tout à fait normal », un « simple polar ». Un tel
polar qui n’aurait pas de trop grandes ambitions littéraires et spirituelles permettrait ainsi de
« surmonter les barrières littéraires » pour reprendre l’expression de Jochen Vogt, qui s’appuie sur le
concept de « barrières linguistiques » du linguiste Basil Bernstein. Autrement dit : il s’agit d’un
vaste et important projet pédagogique du nom d’ « incitation à la lecture ». Tous ceux qui ont lu
dans leurs jeunes années la série des Trois jeunes détectives d’Alfred Hitchcock ou les romans
d’Enid Blyton savent bien que les polars peuvent être un bon moyen pour atteindre cet objectif.
Celui qui se lance à la recherche du meurtrier avec une curiosité d’enfant, mais même aussi avec
une curiosité d’adulte, lira presque sans même s’en rendre compte. Et, selon Vogt, ce sont
précisément les jeunes qui sont particulièrement ouverts à la littérature policière car ils sont déjà
familiarisés à ce type d’action et de scénario par le biais de la télévision. Nous serions donc ici en
présence – une fois n’est pas coutume – d’un cas où la télévision serait au service de la lecture.
Un membre du public a demandé à Irek Grin si depuis le tournant de 1989, donc depuis la fin du
« roman de la milice » socialiste en Pologne, l’orientation pédagogique du polar a changé, voire
même si la tendance s’est inversée. Autrement dit, si ce sont toujours les capitalistes ou les
Allemands de l’Ouest qui continuent d’occuper le rôle de l’assassin. Grin a répondu (avec regret)
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qu’il existait au contraire une tendance régressive, tournée vers le passé, comme c’est le cas en
Allemagne avec l’Ostalgie et en Russie où beaucoup de Russes souhaiteraient revenir à l’état
antérieur, celui d’avant la Perestroïka.
Deux groupes de travail ont été
constitués : l’un sur le thème critique
littéraire et polar et l’autre sur le thème
central de ce colloque, l’école et
l’incitation à la lecture grâce au polar .
Le groupe travaillant sur la critique a
remarqué que les critiques ont tout
d’abord étonnamment peu d’influence
sur le comportement des consommateurs
dans leurs achats. Le groupe de réflexion
sur le thème du « polar à l’école » est
parvenu à des résultats semblables aux thèses de Jochen Vogt mentionnées plus haut. Il a été fait
mention à ce propos d’un numéro du magazine spécialisé « Praxis Deutsch » consacré au polar en
cours d’allemand. Il a également été remarqué que le polar est au programme dans les écoles en
France, tandis que l’Allemagne est encore en retard dans ce domaine.
En conclusion, Elfriede Müller, Claude
Mesplède, Raphael Villatte et Kerstin Schoof
ont présenté le site Internet
www.Europolar.com dont ils sont les
initiateurs, un projet unique grâce
auquel la littérature policière de toute
l’Europe peut être présentée en
différentes langues (6 pour le moment)
et soumise à la discussion. Müller a
qualifié le « format » de cette page
Internet de mélange entre fanzine et
Groupe de travail : « le Polar à l’école »
Présentation du site « Europolar » : Kerstin Schoof, Claude Mesplède, Elfriede Müller, Raphael Villatte
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journalisme sérieux. Le problème de ce site est sa « lenteur », étant donné qu’il est renouvelé
seulement quatre fois par an à cause du nombre de langues représentées et des traductions
nécessaires faites par des bénévoles. « Cela va trop lentement » a dit alors Thomas Wörtche, malgré
les compliments qu’il a adressés aux co-fondateurs de ce site, dans lequel ont d’ailleurs déjà été
abordés des thèmes politiques comme la question de la constitution européenne. Une
commercialisation à terme de ce site n’a pas été envisagée.
Ce fut donc à nouveau un colloque réussi. Comme il reste de nombreux aspects du polar qui
n’ont pas encore été explorés, l’organisatrice Katrin Schielke a annoncé en conclusion la poursuite
de ces colloques de Genshagen consacrés au polar. Le prochain est prévu pour 2009.
Rapport, avril 2007 : Matthias Drebber Photos : Norbert Krahlenburg Traduit de l’allemand par Elisabeth Gras
Avec l’aimable soutien du Délégué du gouvernement fédéral pour la Culture et les Médias