conférence argus assurance digitale - allocution axelle lemaire

6
Mesdames et Messieurs, Je suis honorée de pouvoir ouvrir ce matin cette 8ème édition du Congrès Assurance Digitale organisée par l’Argus de l’Assurance. Votre programme de la matinée est extrêmement riche et complet et vous permettra d’échanger sur de nombreux aspects de la révolution numérique qui touche vos métiers. Ce terme meme de révolution numérique est aujourd’hui commun. Mon objectif est que cette Révolution ne débouche pas du côté obscur, sur un empire, mais bien sur une République numérique. C’est-à-dire une transformation politique au service des citoyens. Une transformation au service de la liberté des libertés publiques et de la liberté d’entreprendre – de l’égalité entre les hommes et les femmes, entre les territoires, entre les plus connectés et ceux qui le sont moins parce qu’in fine, le numérique doit renforcer notre société, développer la fraternité et le vivre ensemble. Mon ambition d’une République numérique est une ambition pour une France entreprenante parce que réconciliée avec elle-même, confiante parce qu’inclusive, bref, une France « rassurée » par le numérique. Qui sache « mutualiser » ses risques pour continuer à en prendre. Vous l’avez compris, ma vision d’une République numérique, c’est aussi une vision pour l’assurance. * * * Le numérique c’est la donnée, BEAUCOUP de données et cela change vos métiers. Au fond, c’est le métier de l’assureur depuis longtemps que d’utiliser au mieux les données dont il dispose sur son client pour optimiser sa couverture du risque. Ce qui change, c’est à la fois la nature de ces données et leurs utilisations possibles, tout au long de la chaine de valeur : acquisition de clients, souscription et personnalisation des services, gestion de risques dans le temps et enfin gestion des sinistres. Comme toutes les industries de service, l’assurance doit négocier aujourd’hui un deuxième tournant numérique dans la relation client : passer du multicanal à l’omnicanal : passer d’avoir une offre en ligne et une offre téléphonique ou en agence à avoir une offre unifiée et reliée de manière fluide d’une plateforme à l’autre. Ces défis supposent de savoir identifier ses clients, ses prospects

Upload: ronan-di-belleco

Post on 06-Apr-2016

214 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

 

TRANSCRIPT

Page 1: Conférence Argus Assurance Digitale - Allocution Axelle Lemaire

Mesdames et Messieurs,

Je suis honorée de pouvoir ouvrir ce matin cette 8ème édition du Congrès

Assurance Digitale organisée par l’Argus de l’Assurance. Votre programme de

la matinée est extrêmement riche et complet et vous permettra d’échanger sur

de nombreux aspects de la révolution numérique qui touche vos métiers.

Ce terme meme de révolution numérique est aujourd’hui commun. Mon

objectif est que cette Révolution ne débouche pas du côté obscur, sur un

empire, mais bien sur une République numérique. C’est-à-dire une

transformation politique au service des citoyens. Une transformation au service

de la liberté – des libertés publiques et de la liberté d’entreprendre – de

l’égalité entre les hommes et les femmes, entre les territoires, entre les plus

connectés et ceux qui le sont moins parce qu’in fine, le numérique doit

renforcer notre société, développer la fraternité et le vivre ensemble.

Mon ambition d’une République numérique est une ambition pour une France

entreprenante parce que réconciliée avec elle-même, confiante parce

qu’inclusive, bref, une France « rassurée » par le numérique. Qui sache

« mutualiser » ses risques pour continuer à en prendre.

Vous l’avez compris, ma vision d’une République numérique, c’est aussi une

vision pour l’assurance.

* * *

Le numérique c’est la donnée, BEAUCOUP de données –et cela change vos

métiers.

Au fond, c’est le métier de l’assureur depuis longtemps que d’utiliser au mieux

les données dont il dispose sur son client pour optimiser sa couverture du risque.

Ce qui change, c’est à la fois la nature de ces données et leurs utilisations

possibles, tout au long de la chaine de valeur : acquisition de clients,

souscription et personnalisation des services, gestion de risques dans le temps et

enfin gestion des sinistres.

Comme toutes les industries de service, l’assurance doit négocier aujourd’hui un

deuxième tournant numérique dans la relation client : passer du multicanal

à l’omnicanal : passer d’avoir une offre en ligne et une offre téléphonique ou en

agence à avoir une offre unifiée et reliée de manière fluide d’une plateforme à

l’autre. Ces défis supposent de savoir identifier ses clients, ses prospects –

Page 2: Conférence Argus Assurance Digitale - Allocution Axelle Lemaire

parfois de marier des données internes et des données externes comme les

données publiques ou les données des réseaux sociaux…

L’acquisition de clients passe aussi maintenant par de nouveaux acteurs,

notamment les comparateurs entre assureurs – sujet complexe car les critères de

comparaison peuvent être fortement contestés par les uns ou les autres et la

confiance n’est pas évidente à établir entre acteurs. Pour ne vexer personne dans

la salle, je citerai un exemple américain passé, la société Leaky.com – dont le

nom lui-même joue avec le caractère supposé confidentiel des données utilisées.

Cette société avait désossé les algorithmes de fixation des prix des diverses

polices d’assurance – puis les avait déduit par inférence à partir des déclarations

à l’autorité prudentielle pour établir de prévisions de devis… elle a été rachetée

en juillet 2013 par un assureur et a depuis cessé toute activité, mais elle

démontre le potentiel du numérique pour secouer les relations clients

habituelles.

Au-delà de l’acquisition des clients, la souscription de polices d’assurances

et les services offerts peuvent évoluer grâce aux données. Les exemples les

plus connus sont ceux d’Allianz ou d’Axa autour de leurs solutions de «conduite

connectée», basées sur de la télématique embarquée dans le véhicule, afin de

proposer des services d’assistance et d’analyse du comportement au volant –

voire une tarification plus personnalisée (Pay how you drive).

La gestion des risques elle-même peut évoluer en intégrant des données

d’autres sources. L’Institut géographique national par exemple va

prochainement lancer un outil de prévision des crues et des inondations basé sur

un modèle de sols élaboré depuis plusieurs années. Des informations comme

celle-ci pourront améliorer les politiques publiques mais aussi les modèles de

risques des assureurs.

Enfin, dans la gestion des sinistres le numérique peut être un outil

d’amélioration de la qualité. C’est en effet un moment clé de la relation client

pour un assureur – c’est là que se niche l’éventuel « effet waouh » : mon

appartement est inondé mais mon s’assureur s’occupe de tout : j’ai l’information

pertinente sur mon téléphone, les références d’artisans pouvant intervenir dans

la journée, une estimation de la prise en charge grâce à de simples photos …

l’univers de services envisageable est infini.

Page 3: Conférence Argus Assurance Digitale - Allocution Axelle Lemaire

Le monde de l’assurance doit se transformer numériquement pour saisir

ces opportunités

Trois défis attendent le monde de l’assurance face au numérique: maitriser les

technologies du Big Data, faire alliance avec l’innovation où qu’elle se trouve

et conduire leurs transformations internes pour s’en saisir.

A - Prendre le tournant de l’économie de la donnée va supposer des

transformations majeures des organisations – or seuls 10% des assureurs

ont une stratégie « Big data » (étude BearingPoint de mai 2014). Ainsi,

paradoxalement, si les assureurs déclarent très largement (71%) que le Big data

est une» priorité majeure à horizon 2018, seulement un quart d’entre eux

estiment que le niveau de préparation de leurs entreprises est satisfaisant et seuls

10% des assureurs européens et américains mènent une stratégie Big data. Les

défis ne sont pourtant pas négligeables : Faire du « big data », cela veut dire

traiter des données en grande quantité, structurées ou non structurées, internes

ou externes, bref, c’est relever le défi des 4 V : Volume / Variété / Vélocité /

Véracité douteuse des données

La bonne nouvelle si l’on veut, c’est que le monde de l’assurance n’est pas seul

dans cette situation. Diverses études sur la transformation numérique de

l’économie qui m’ont été remis soulignent ce constat à travers les secteurs de

l’économie. Mais pour une industrie fondée sur l’analyse du risque et portée sur

le long terme, c’est étonnant !

Je reçois demain les conclusions de la mission confiée à Philippe Lemoine sur

la transformation numérique de l’économie et à laquelle certains d’entre vous

ont participé – j’attends de ce travail qu’il nous donne collectivement un cadre

de pensée commun sur les enjeux de la numérisation de notre économie.

J’en tire d’ores et déjà – en avant-première – deux conclusions de méthode :

B - Premièrement, il ne sert à rien d’opposer une politique d’écosystème et une

politique industrielle de champions nationaux : les start-up et les grands groupes

internationalisés doivent travailler ensemble ou, comme le dirait Philippe

Lemoine « il faut savoir tirer le miel d’une économie-pollen », ce que savent

faire les géants californiens.

C’est dans cet esprit que je soutiens et continuerai à soutenir les initiatives de

rapprochement entre les mondes : des pôles de compétitivité comme Finance

Innovation bien sûr, des fonds d’investissements corporate comme Axa Seed

Page 4: Conférence Argus Assurance Digitale - Allocution Axelle Lemaire

Factory, qui a été monté en lien avec le fabricant d’objets connectés Withings,

pour soutenir des startups qui développent des projets innovants sur les objets

connectés dans les secteurs de la médecine individualisée, de la Silver Economy

et du big data, ou des rapprochements à construire entre univers,

notamment avec l’économie collaborative – je crois que le DG de la MAIF

interviendra la semaine prochaine à une table ronde autour de l’économie

collaborative à l’AFDEL et je m’en réjouis.

C - Deuxièmement, la transformation numérique suppose une manœuvre RH

compliquée. Il vous faut parfois annoncer parallèlement de nouveaux moyens

pour développer le numérique et des réductions de cout drastiques. Je sais que

l’assurance a eu à le faire – d’autres industries, plus cycliques encore peut-être le

savent aussi, je pense à l’automobile par exemple.

Le jeu en vaut toutefois la chandelle : une récente étude de Roland Berger

montrait que l’ambiance de travail et le bien-être des salariés était 1,5 fois

supérieur dans les entreprises fortement numériques que dans les entreprises

moins matures

Ce que le Gouvernement fait et les prochaines étapes

Enfin, permettez-moi de vous dire quelques mots de l’action gouvernementale

dans votre secteur

Plusieurs plans industriels poussent pour le développement d’une économie de

la donnée : pour n’en citer que quelques-uns, celui sur les objets connectés, sur

la santé numérique qui se retrouvera traduit dans la prochaine loi de santé

publique, ou encore le plan « Big data » mentionne explicitement les initiatives

de certains assureurs pour s’appuyer sur ces technologies pour améliorer leur

service.

La transformation numérique de votre secteur, de toute l’économie même,

est également un axe fort de l’action gouvernementale. Tout d’abord en

développant les compétences numériques de toute la population : depuis le code

à l’école jusqu’aux formations tout au long de la vie. Ensuite en déployant

partout en France des infrastructures d’une qualité unique au monde. Un

classement récent dévoilait qu’avec 13 millions de hot spots contre 10 seulement

aux Etats Unis, la France était championne du monde. Avec le plan très haut

débit, notre ambition est encore plus forte. En accompagnant les PME dans leur

propre transition numérique enfin, à travers les conseils des réseaux consulaires,

Page 5: Conférence Argus Assurance Digitale - Allocution Axelle Lemaire

des acteurs de terrain, des régions et des territoires et de la dynamique des

métropoles French Tech dont la première vague de labellisation interviendra la

semaine prochaine.

Enfin nous avons à établir un cadre réglementaire concerté en France et en

Europe: la CNIL et l’Autorité de Contrôle Prudentiel (régulateur du secteur de

l’Assurance), ont instauré un dialogue avec la profession et depuis 2012, afin de

formuler des propositions pour un cadre réglementaire lisible et partagé. La

concertation engagée par le Premier ministre et animée par le conseil national du

Numérique (contribuez.cnnumerique.fr) doit également être un lieu de débat sur

les équilibres à trouver entre protection des données personnelles, égalité de

traitement et innovation et personnalisation du service. Les négociations

actuellement en cours au niveau Européen sur le règlement de protection des

données personnelles seront essentielles à ce titre.

Je voudrais conclure sur ce point, essentiel. Nous avons, nous Français et nous

Européens, une responsabilité historique dans ce domaine pour définir un

cadre protecteur des libertés individuelles qui inspire la confiance.

L’affaire PRISM/Snowden a mis en lumière à la fois le risque pour les individus

d’être surveillés par leurs Etats mais aussi l’ampleur des informations que

détenaient sur eux les grandes plateformes de l’Internet. Les effets de cette

affaire sont loin d’être épuisés aux Etats unis. C’était très frappant à la

conférence du Wall Street Journal en Californie la semaine dernière : Tim Cook

expliquait à quel point le métier d’Apple était de vendre des produits

fantastiques et pas de collecter des données sur les paiements des utilisateurs

d’Apple Pay, ou encore lorsque je débattais avec le directeur des affaires

juridiques de Microsoft qui convenait qu’une réglementation européenne,

sereine et apaisée de la protection des données de leurs clients les sécuriserait

davantage que la situation actuelle. Je vous parle des Etats unis, mais l’autre

modèle pour Internet, c’est la Chine, dans laquelle on ne peut pas réellement

parler de libertés de l’Internet.

La confiance est l’élément clé dans l’économie numérique, dans le modèle de

croissance et la vision de la société que nous voulons construire demain. Si ce

sont les assurances sociales qui ont solidifié l’Etat providence, ce sont les

assurances sur les libertés numériques qui consolideront la République

numérique de demain.

Page 6: Conférence Argus Assurance Digitale - Allocution Axelle Lemaire

Clemenceau disait de la France qu’elle sera toujours le soldat de l’idéal. Jaurès

nous rappelait qu’il fallait aller vers l’idéal en passant par le réel. Si j’osais

conclure par une synthèse toute socialiste entre ces deux pensées, je dirais que

notre ambition est réelle et que j’espère qu’elle est mutuelle !