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Action Urbanisme PATRICK BAGGIO CONFÉRENCE-DÉBAT FORMES D’HABITAT, FORMES D’HABITER Strasbourg, amphithéâtre de l’INSA, le 3 mai 2013

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Retranscription complète de la conférence-débat de l'architecte Patrick Baggio, dans le cadre de l'élaboration du PLU communautaire.

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Page 1: Conférence Patrick Baggio

Action

Urbanism

e

PATRICK BAGGIO

CONFÉRENCE-DÉBAT

FORMES D’HABITAT,FORMES D’HABITER

Strasbourg, amphithéâtre de l’INSA, le 3 mai 2013

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Dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urbanisme communautairede la Communauté urbaine de Strasbourg, le service Prospective etplani fication territoriale de la Communauté urbaine de Strasbourg aorganisé, en collaboration avec Jean-Yves Chapuis consultant en straté-gie urbaine, un cycle de conférences-débat à partir de novembre 2011.Ces rencontres ont eu pour double objectif de sensibiliser les habitantsaux nouvelles dynamiques en matière d’aménagement du territoire etd’alimenter la réflexion des élus et des techniciens pour l’élaboration dece document cadre de la planification urbaine.Animées par des spécialistes de renom, ces conférences-débat ont ren-contré un incontestable succès public et font l’objet des présentesretranscriptions.

Document réalisé par la Ville de Strasbourg et la Communauté urbaine de Strasbourg Direction de l’urbanisme, de l’aménagement et de l’habitat, service Prospective etplanification territoriale ; crédits photo : Baggio-Piechaud ; CUS Contact : [email protected]© Ville de Strasbourg et CUS, mai 2014. www.strasbourg.eu

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OUVERTURE DE LA CONFÉRENCE

JACQUELINE TRIBILLON, CHEFFE DU SERVICEPROSPECTIVE ET PLANIFICATION TERRITORIALE

JEAN-YVES CHAPUIS, CONSULTANT EN STRATÉGIEURBAINE

Jacqueline Tribillon J’ai le grand plaisir de vous accueillir à la quatrième conférence quenous organisons dans le cadre de l’élaboration du Plan local d’urba-nisme [PLU] communautaire. Lors des précédentes rencontres, vousvous souvenez sans doute des interventions de messieurs Donzelot,Vanier et Peter. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir PatrickBaggio qui va vous parler non pas de l’habitat, mais de l’habiter, avecl’idée que le logement ne se résume pas à la question d’un abri oude mètres carrés à construire. Nous savons très bien qu’habiter –tout ce parcours résidentiel que l’on aura à faire dans notre vie – esttrès important. Il nous expliquera son idée, sa façon de réfléchir là-dessus. Je vais passer la parole à Jean-Yves Chapuis qui est consul-tant pour nous et qui nous accompagne depuis le début du PLUcommunautaire sur l’accompagnement en termes de concertation.Nos conférences sont faites pour échanger des idées et pour enri-chir la connaissance de la ville et de l’urbanisme. Je passe la paroleà Jean-Yves.

Jean-Yves Chapuis J’ai vu Patrick Baggio pour la première fois à Bordeaux, où je travailleaussi sur le PLU communautaire, et il avait fait une intervention trèsintéressante sur la façon d’habiter dans une ville. Donc, ce n’est pasuniquement les mètres carrés du logement, mais en fait les modesde vie. Comment est-ce que les logements aujourd’hui vont évo-luer ? Comment est-ce qu’on appréhende la dimension de « l’habi-ter » ? Ce qui revient donc à s’intéresser à la personne qui habitedans son logement, à penser le logement en fonction des modes devie, en fonction de la situation sociale, familiale ou de l’âge. Lessituations sont extrêmement diverses aujourd’hui, car la société estextrêmement diverse, tout comme les situations sociales ; l’intérêtde Patrick Baggio est qu’il travaille à partir de ces usages. Et il essayede faire des logements abordables, parce qu’on peut faire de trèsbeaux logements, mais s’ils ne sont pas abordables, s’il y a trop peu

FORMES D’HABITAT, FORMES D’HABITER

CONFÉRENCE-DÉBAT DE PATRICK BAGGIO :« FORMES D’HABITAT, FORMES D’HABITER »

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de ménages qui peuvent les acheter, ce n’est pas intéressant. Donc,c’est tout ce travail présenté à Bordeaux qui nous a amenés, en dis-cutant avec Jacqueline Tribillon, à dire que dans le sens des confé-rences que nous organisons, il faut des personnalités très différenteset qu’il puisse venir nous parler de l’habiter. De plus, c’est un per-sonnage qui fait une excellente cuisine. Je ne sais pas si cela a unlien – sans doute plus qu’on ne l’imagine –, mais si on fait bien lacuisine, on cuisine toujours pour plusieurs, pour partager quelquechose, et le logement, c’est aussi de partager avec d’autres. Sur inter-net, tapez Mylittlespoon et vous le verrez dans sa cuisine. On peutêtre un bon architecte et un bon cuisinier. Il y a toujours des gensjaloux qui disent « il vaudrait mieux que tu sois cuisinier », mais jecrois que c’est bien qu’il soit architecte et cuisinier. Nous lui passonsla parole.

CONFÉRENCE-DÉBAT DE PATRICK BAGGIO

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« FORMES D’HABITAT, FORMES D’HABITER »PATRICK BAGGIO

Il est vrai que nous avons des passions et que nous sommes tous, dansce métier, passionnés… Je vous remercie de m’avoir invité, parce queStrasbourg est une ville que j’aime beaucoup. J’ai eu l’occasion de veniry construire une maison pour des amis et cela m’a permis de découvrir,au-delà de l’architecture, au-delà des villes, la cuisine et le vin. Je suis ravià tous les niveaux puisque nos sens sont à chaque fois pris et c’est celaqu’on aime : avoir tous ses sens en éveil et les utiliser au maximum. C’estun peu le sujet de mon intervention.

Dans les années 1980 s’est déroulé un mouvement assez fort. Les socio-logues Henri Raymond ou Henri Lefebvre nous disaient : « Vous, les archi-tectes, vous ne vivez jamais dans les bâtiments que vous construisez,dans ces logements que vous faites… » C’est une phrase qui m’a com-plètement perturbé au moment d’exercer ma profession dans les années1980. Cette histoire de dire que construire pour les autres est quandmême difficile m’avait ennuyé, et c’est ce que je souhaite expliquer.Toute la démarche est partie de cette remarque qui m’a toujours trottédans la tête, à tel point qu’à un moment, j’ai failli arrêter complètementmon métier. Je suis parti au Canada, cela m’a permis de réfléchir, en par-ticulier sur cette notion de « Bâtir l’habiter : un architecte s’interroge » –(c’était le titre de ma thèse). Je me suis dit que je ne pouvais pas appli-quer tout cela tout le temps mais que, par doses homéopathiques, onpeut apporter un petit quelque chose dans les bâtiments qu’on construit.Cependant, il faut y penser constamment et au préalable. Et c’est là oùle travail est important : quand on dessine des logements, un plan, uneorganisation en urbanisme. Si l’on ne pense pas à l’évolutivité et aux gensqui vont y habiter, je pense qu’on fait des erreurs et qu’on part parfois surdes concepts catastrophiques, parce qu’on n’a pas laissé assez « demou », de malléabilité. C’est ce sujet-là que je viens aborder, d’où le titre« Formes d’habiter ». Pour moi, l’habitant n’est pas un occupant neutremais un être humain ; il ne peut pas être sans désir, sans affect. Donc,c’est vraiment pour moi quelque chose d’extrêmement important etnous allons voir comment cela s’est joué dans mon travail.

Je me suis associé à Anne Piechaud, d’où le nom de notre agence d’ar-chitecture Baggio-Piechaud. Cela fait presque trente ans que nous tra-vaillons ensemble, de l’école à ce jour, et notre agence va fêter sesvingt-cinq ans. Nous faisons à la fois du logement, du bâtiment public etde l’urbanisme.

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si l’on ne pense pas àl’évolutivité et aux

gens qui vont habiterles logements, on fait

des erreurs

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Je tiens à cette photo que vous voyez ici, car c’est un des derniers bâti-ments que nous venons de faire, qui est face à une rocade. On medemandait de faire des garages. Et moi, cela m’ennuyait de faire desgarages seuls. Donc, sur les 5 mètres de largeur, j’ai construit des loge-ments sur une bande très étroite de 3 niveaux. Nous verrons que cela segreffe ensuite sur des opérations qui se font derrière, qui sont des opé-rations de logement collectif. Donc, sur cette longueur-là, il y a trois cagesd’escalier qui desservent deux barrettes. C’est-à-dire que le travail était dedire que je ne veux pas faire de garages seuls et que nous allonsconstruire dessus. Les appartements sur cinq mètres sont atypiques ettrès intéressants, parce que nous en avons discuté ensuite avec les habi-tants pour savoir comment ils trouvaient et vivaient cela. Et c’est assezdrôle. C’est une réaction un peu anecdotique à une commande, mais,pour moi, c’est important.

Pour résumer, la pratique m’a fortement interpellé. Je vous ai expliqué lecas : un architecte ne construit pas pour lui, il construit pour les autres.Dans les années 1970-1980, c’était très important, parce qu’il y avait aussice mouvement social qui nous alertait. Il y avait par moments des excès,mais je crois que c’était intéressant de pouvoir revenir sur cette notion del’habitant qui doit habiter, doit pouvoir vivre dans un logement, et pas uni-quement cette notion de « se loger ». Il y aura une deuxième partie, « Unregard sur la vie quotidienne », un peu à la Perec, c’est-à-dire se poser lesbonnes questions au bon moment. Les gens comme Michel de Certeausur les inventions du quotidien et toutes ces choses-là m’ont toujours ins-piré et ont guidé mon crayon à chaque fois. La troisième partie s’intitule« La réalité pleine de contradictions interrogée ». Évidemment, on travailleavec des doutes. Pour moi, c’est extrêmement important d’avoir desdoutes, sans quoi je crois qu’on ne peut pas innover. Et il faut interrogerses doutes. Ce sont eux qui vont donner cette petite marque de l’aléatoire,c’est-à-dire le fait que quelqu’un va pouvoir prendre quelque chose devous et aller un peu plus loin. Concernant la place de la réflexion, je vousen montrerai quelques exemples pour illustrer mes propos.

Évidemment, la notion « d’habité/er » peut s’écrire avec un « é » ou un« er », comme on veut, mais c’est notre condition humaine. Une deschoses qui m’a toujours frappé, c’est que quand on est gamin, la pre-mière chose que l’on fait, ce sont des cabanes. Je me rappelle très bien– c’est une image que j’ai eue en permanence dans mon travail – quequand arrivait le frigo, son emballage était l’élément sur lequel on se ruait,

c’est extrêmementimportant d’avoir desdoutes, sans quoi jecrois qu’on ne peutpas innover

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Des logements au-dessus des garages,Eysines (Gironde).

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on découpait des fenêtres et on se faisait une vraie cabane, avec unetable où l’on mettait une nappe… Cela, c’est un acte que tout le mondea fait ou a eu envie de faire. Nous avons tous envie de construire, parceque c’est existentiel pour nous, et le fait que cela soit existentiel fait quel’architecte prend un petit peu de cela aux autres. Comment arriver àavoir ce dialogue et laisser la possibilité aux gens de se construire en tantque personne, mais aussi de construire l’espace et d’avoir des actions surl’espace ? C’est un peu la notion « d’appropriation ».Il y a des textes sur « l’être habité », sur tous ces termes un peu compli-qués. C’est pour cela que, en fin de compte, je préfère dire que chaquepersonne a envie de construire sa cabane et que c’est le premier réflexeque nous avons, et l’architecte lui vole un peu de sa créativité s’il lui four-nit un espace trop fini, trop fermé. Même s’il est le plus beau du monde,ce ne sera jamais exactement celui que souhaite la personne. C’est là oùil y a une petite porte à avoir.

Une autre chose qui m’a interpellé, c’est que la famille a bien sûr énor-mément évolué. Autrefois – je suis un peu du Pays basque –, vous aviezl’etxe, la grande maison, et toute la famille y vivait, l’agrandissait… Main-tenant, le parcours résidentiel est complètement chaotique : il y a l’effetdu divorce, le rapprochement de deux familles dont les enfants ne seretrouvent pas obligatoirement avec leurs deux parents. Donc, les notionsd’intimité et tous ces éléments-là, à mon avis, ne sont pas complètementpris en compte à l’heure actuelle dans les logements que l’on fait. Onreste encore extrêmement traditionnel et pourtant, quand une famillerecomposée se retrouve avec des enfants qui n’ont pas obligatoirementenvie d’être avec les autres, cela pose des problèmes, surtout s’ils ontune chambre de 9 mètres carrés. Là, on se retrouve avec quinze loge-ments possibles dans la vie d’une personne. Le parcours résidentiel estdonc extrêmement complexe et nous, architectes, il faut que nous pro-duisions des bâtiments, que nous dessinions des espaces qui soient liésà ce point, alors que, la plupart du temps, nous faisons quand même deslogements relativement stéréotypés. Donc, pour moi, quand on parle del’évolution des modes de vie, c’est au-delà des modes de vie, c’est vrai-ment la notion de la famille qui est différente.

Deux notions sont également très importantes : « se loger » et « habiter ».Pour moi, ce sont deux choses totalement différentes. « Habiter », celaveut dire que l’on a pris possession de son espace et qu’on agit sur sonespace ; donc, on est capable de faire quelque chose par soi-même. « Seloger », cela veut dire qu’on est abrité, qu’on paye un loyer… ; c’est trèsbien et il y a théoriquement les placards qu’il faut, mais on ne s’est pascomplètement approprié l’espace. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il est unpeu fermé ou encore parce qu’on n’en a pas envie. Mais la plupart desêtres humains ont quand même envie de s’approprier les espaces surlesquels ils ont envie d’agir. Rentrer chez soi tous les jours, cela paraît par-fois un peu rude. La vie n’est pas aussi facile que cela pour avoir desespaces qui sont vraiment trop fermés.

« Chaque être humain a besoin de se construire. » Cette phrase, j’y tiensbeaucoup et elle est pour moi fondamentale. Nous y retrouvons le mot« construire » et je crois que l’expérimentation de l’espace, c’est la façon

« habiter », cela veutdire que l’on a prispossession de son

espace et qu’on agitdessus

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les notions d’intimiténe sont pas

complètement prisesen compte dans leslogements que l’on

fait

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de se construire en tant qu’être humain. Nous en avons besoin. Cela com-mence par la cabane et cela va finir par le bricolage, par la cuisine, par desvoyages, par visiter des expositions, et toutes ces expériences cumuléesfont que vous vous construisez. Mais un des lieux dans lesquels vous vousconstruisez et construisez votre famille, c’est quand même votre foyer.C’est vraiment la notion de foyer qui est pour moi importante.

Nous parlions de la cuisine ; le goût d’habiter, je suis obligé d’en parlerun peu. Il y a un livre très intéressant de François Guichard qui s’appellePorto, une ville qui a du goût. À Strasbourg, il y a le vin, à Bordeauxaussi… Quand vous arrivez dans une ville, il y a quelque chose qui sepasse : vous salivez, vous regardez, il y a des odeurs, tout un ensemblede choses et je pense, en tant qu’architecte, qu’il est très important depouvoir saisir ces éléments-là pour pouvoir construire un peu différem-ment. Nous ne sommes pas obligatoirement dans de l’international sys-tématique. C’est ce petit goût que nous allons amener, peut-être parpetites touches, parce qu’évidemment, nous sommes pris par les ques-tions de coût, par les questions d’habitude, par les matériaux qui n’arri-vent pas directement de chez nous, qui sont importés. Nous allonsessayer de trouver le bon goût, ce petit goût qu’il peut y avoir et qui seradifférent dans un logement au Pays basque, à Strasbourg ou à Lille. C’estcela qui m’intéresse. Quand j’arrive à Strasbourg, je n’ai pas du tout lesmêmes sensations ou le même regard que si je vais dans une autre ville,même à l’étranger, même si parfois, malheureusement, on se retrouveavec des entrées de ville avec uniquement des franchises. Évidemment,cela pose problème parce qu’il y a une espèce d’internationalisation desespaces. Mais quand même, le goût d’une ville prend toujours un peu ledessus, si on y fait attention. Là aussi, évidemment, le sens et la mémoiresont des éléments de construction.

Ce qui est très important, c’est que nous, architectes, nous devons don-ner un peu d’espace pour cette prise par l’habitant de tout ce que nousconstruisons. Je vais prendre un exemple : si vous faites un mur enbéton, vous avez une certaine sensation – de protection ou autre. Maisla personne sait qu’elle ne pourra pas intervenir dessus. Faire une fenê-tre dans un mur en béton est très complexe, vous êtes obligé de faireintervenir une personne extérieure. Si vous faites un mur en bois, n’im-porte qui est capable d’aller chez Leroy Merlin, de prendre une scie, dedécouper, de créer une porte, une fenêtre, donc d’agir. Et la sensationque vous avez par rapport à ce mur est complètement différente. Un muren brique, c’est pareil. C’est là où intervient l’architecte : quand il conçoitun bâtiment, quel qu’il soit, et en particulier un logement, s’il commenceà se poser la question de savoir qu’est-ce qui pourrait bouger, qu’est-cequi pourrait évoluer, est-ce qu’on pourrait poser une fenêtre, il va à cemoment-là choisir une structure, un processus de construction qui ailledans cette philosophie-là.

La première maison que j’ai construite avec mon client était en bois ; là,nous allons l’agrandir. Nous n’avons plus du tout envie de la construire,nous n’avons plus le temps. Par contre, elle est modulable, nous allonsretravailler la structure en fonction de cette nouvelle donne et noussavons que nous pouvons le faire. Cette notion d’évolutivité me paraît

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saisir « le goûtd’habiter » pour construiredifféremment selon les régions

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extrêmement importante. Je pense que les vieilles maisons ont beau-coup de choses à nous donner.Je vais donner un autre exemple qui n’est pas du ressort du constructi-ble. Vous dessinez une chambre. Si l’architecte ne se pose pas la ques-tion, il dit qu’elle fera 9, 10 ou 12 mètres carrés. Si, en fonction dupositionnement, il dit « au pied du lit, il faudra une prise pour mettre lalampe de chevet », on se retrouve souvent dans la situation où danschaque chambre il n’y a qu’une place pour mettre le lit. C’est terrible,parce que vous ne pouvez même pas réaménager la pièce d’une façondifférente. Chez moi, je me suis débrouillé – cela coûte un peu plus cher,mais on peut le faire différemment – pour pouvoir dire que pendant unan ou deux, je mets le lit dans ce coin. Vous avez donc une vue différentesur l’extérieur et si, deux ans après, vous en avez ras le bol, vous pouvezmettre votre lit d’une autre façon. Cela paraît complètement idiot, mais sivous regardez les plans, c’est souvent infaisable. Je trouve que c’est extrê-mement dangereux parce que justement, on empêche même l’aména-gement différent de ces espaces.

Sur ces images, vous voyez de grandes tours construites par Émile Ail-laud. Il y a la possibilité d’aménager les logements de façon différentedans le même espace. Voici deux familles et deux ambiances totalementdifférentes : ici, le réfrigérateur customisé est devenu un objet de la sallede séjour avec un peu plus de bazar, une famille très colorée… On sentune vie totalement différente. Ce qui est important, c’est que les genspuissent aménager, changer leur tapisserie, etc. C’est un peu anecdo-tique, mais il est important de montrer comment, dans un même espace,des vies peuvent s’arranger et s’épanouir aussi différemment. Souvent,les architectes n’aiment pas trop qu’on leur modifie les choses et je croisque c’est un tort, parce que quand vous voyez vos bâtiments évoluer,même si c’est parfois de mauvais goût et que cela vous gêne, au moins,ils ont été accaparés par les gens qui y vivent. Je trouve que c’est unegrande satisfaction.

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dans un même espace,des vies peuvent

s’arranger ets’épanouir

différemment

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Je vous parlais de Perec. Quand on me demande de venir faire des loge-ments ou un projet d’urbanisme à tel endroit, les premières questionsque je me pose sont : pour qui ? Comment ? Qu’est-ce qui se passe ?Qu’est-ce qu’il y a autour ? Et à la Perec, on se pose de telles questions,et on se les pose dans les deux sens, en tant qu’architecte, mais aussi entant qu’habitant : est-ce que j’aimerais habiter ici ? Est-ce que l’école n’estpas loin ? Je me rappelle très bien mon épouse en train de chercher unappartement à Bordeaux. Elle prend un compas, un plan et elle fait uncercle en disant : « Il faut que tu trouves dans ce cercle. » « Et pourquoidans ce cercle ? C’est hyper contraignant. » Elle répond : « Parce que là, ily a l’école maternelle, là il y a le collège et là il y a le lycée, et jamais jen’amènerai moi-même les enfants à l’école. Nous serons tous très libresparce que nous aurons tout à proximité. Nous pourrons faire les courseslà. Les vélos seront là, etc. » Ce sont des réflexions qui m’ont profondé-ment marqué dans mon travail, et tout le monde a le droit de se poserces questions. Il y a des gens qui aiment la campagne, d’autres dirontqu’ils ont besoin d’un balcon. Ce sont des questions idiotes, mais pournous, c’est important de se les poser quand nous faisons nos projets.Tout à l’heure, sur la diapositive, il y avait marqué « la sécurité du vélo » ;c’est un élément fondamental, c’est-à-dire que quand vous avez un vélo,vous n’avez pas envie qu’il soit dégradé. Il faut que nous y pensions : sinous faisons un local à vélo sous un escalier inaccessible, personne neviendra l’utiliser, de même s’il est à l’autre bout ou au deuxième sous-sol.Ce sont des questions idiotes comme cela que nous nous posons, quivont à toutes les échelles, de la ville en passant par le quartier et par tousces effets de proximité. Ce sont des petits jeux que nous nous sommesdonnés.

« Quand les enfants vont partir, est-ce que je voudrai rester là ? » Là aussi,c’est idiot, mais on s’endette pour 20, 25 ou 30 ans. On peut se poserces questions-là. Pour les bâtiments, il y a par exemple la possibilitéd’avoir des espaces un peu plus tournés vers l’extérieur, ce qui permetpeut-être de les louer à des étudiants… Nous nous imaginons l’avenir etnous imaginons comment tout va évoluer dans le temps de vie de cesfameux 20 ans qui passent d’ailleurs très vite.

J’aime bien la phrase : « Si mes amis viennent chez moi, c’est un vrailabyrinthe. » C’est vrai qu’il y a certains lotissements dans lesquels on nes’y retrouve pas. Tout à l’heure, en nous baladant en voiture, nous noussommes retrouvés bloqués en permanence dans des impasses. S’il y ades amis qui viennent dîner, pour leur expliquer où c’est, il faut vraimentleur envoyer un plan. C’est peut-être très intéressant pour les gens qui yvivent, mais on peut se poser la question.

Toutes ces questions, nous avons essayé d’en faire une liste non préten-tieuse, mais un peu pense-bête. C’est un permis de construire qui com-prend différentes phases. On coche en disant « ça, on l’a fait, ça, on l’afait… ». Là, c’est un peu pareil et nous partons du principe que tous lesespaces que nous allons faire doivent être appropriables, d’une certainefaçon. L’appropriation est le terme que je place à côté d’un certain nom-bre de mots qui me paraissent importants dans la vie de tous les jours :liberté, confort, intimité. Il y a un très bon livre de Pascal Chombart de

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en tant qu’architecte,mais aussi en tantqu’habitant : est-ce que j’aimeraishabiter ici ?

tous les espaces que nous allons fairedoivent êtreappropriables

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Lauwe sur la notion d’intimité : c’est fondamental, et de plus en plus. Parrapport aux familles recomposées, aux problèmes de voisinage, de lapeur de l’autre, tous ces éléments-là entrent en compte, ainsi que lanotion des vis-à-vis, la notion du bruit, etc. Demain, nous allons visiter desopérations et nous avons vu qu’il y avait des brisures, que cette notiond’intimité avait été perçue, et cela me paraît extrêmement important pourpouvoir vivre ensemble. Nous voyons que cette intimité peut être aussibien dans le collectif que dans l’intermédiaire ou dans l’individuel. Je n’aipas voulu me cantonner à une notion purement soit de l’habitat indivi-duel, soit de l’habitat collectif ou de l’habitat intermédiaire. Nous pouvonspasser au travers de ces trois formes, de ces trois typologies, et il y en ad’autres.

La modularité me paraît extrêmement importante. Elle peut être spatiale,comme je l’ai expliqué dans la notion de l’organisation même d’unepièce. On voit très bien que sur certains garages, une pièce pourrait êtreajoutée. Nous pouvons dire aux gens qui vont acheter que dans deux outrois ans, quand ils auront un enfant supplémentaire, ils pourront rajouterune pièce ; elle peut être en bois, elle peut être très légère, elle peut êtreen maçonnerie, mais ils savent qu’ils ont la possibilité de s’agrandir. Enfin de compte, nous ancrons un peu plus les gens dans le quartier, parcequ’ils savent qu’ils vont pouvoir changer. Le fait de savoir que l’on peutchanger des choses dans son espace, qu’on peut faire évoluer son habi-tat, ce sont des éléments qui sont à mon avis intéressants à mettre dansnos projets. L’adaptabilité, c’est pareil. C’est très amusant puisque quandvous faites une maison individuelle avec un garage, il n’est jamais utilisécomme garage : c’est soit du rangement, soit un atelier, soit quelquechose d’autre. Cela veut dire que nous avons de toute façon besoin d’unespace supplémentaire à ces espaces qui sont dits génériques. Nous,nous proposons des petites solutions.

Vous voyez ici une opération de l’architecte américain Breuer située àBayonne, sur laquelle on m’avait demandé de travailler. C’est une opéra-tion de presque 1 000 logements situés plein sud, face aux Pyrénées. Ilssont thermiquement à 90 kilowatt/heures au mètre carré, ce qui est trèspeu pour de vieux bâtiments. Ils ont beaucoup de qualités et ont une vuemagnifique. Le problème est qu’à l’intérieur, les espaces étaient un peucontraints. En cassant deux cloisons et en mettant un bout de plancher,

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réhabiliter pourmieux répondreà l’évolution du

cadre de vie

ancrer les gens dansleur quartier parce

qu’ils savent que leurlogement pourra

évoluer

la notion d’intimitéest fondamentale

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j’avais calculé qu’on pouvait augmenter l’habitabilité et l’adapter complè-tement au mode de vie de jeunes ménages qui auraient à ce moment-là – et à bas coût car les loyers sont très peu chers – un espacecontemporain vaste, avec une vue magnifique et des économies auniveau thermique. Tout cela pour dire que même des immeubles decette époque-là construits par de très grands architectes ont la possibilitéd’évoluer. Je n’invente rien, je ne fais que constater et regarder.

Le contexte est également très important. J’ai toujours été intrigué par lescours de fermes et la façon dont l’organisation est faite dans les villagesen Alsace. Si j’avais une opération à faire, je m’interrogerais sur ces imbri-cations en forme de cour. J’ai l’impression que cela pourrait faire un col-lectif extrêmement agréable. Je trouve qu’aller rechercher dans lesformes qui existent, c’est aussi une façon de reconnaître ce qui a été bienfait en le faisant évoluer et en devenant innovant, parce qu’on peut trèsbien devenir innovant en travaillant sur ce qu’ont bien fait nos aînés.

Dans les Landes par exemple, vous avez ces maisons qui sont démonta-bles, qui ont été faites par des charpentiers de marine, avec des toits trèsbien proportionnés et une orientation parfaite par rapport au climat. Jetrouve que c’est important de pouvoir le regarder, le constater, d’en reti-rer un certain nombre de règles et de pouvoir les appliquer ensuite. C’estpeut-être aussi une façon d’attraper ce goût du lieu. L’histoire et lamémoire, c’est pareil : je crois que nous avons besoin de nous référer àdes choses. Les meilleurs plats, c’était ma mère qui les faisait et je mesouviens de ses tomates farcies ; jamais je ne les reproduirai, parce quejamais je n’aurai ce goût-là. Ce qui est intéressant, c’est de s’en souveniret d’avoir envie d’en faire ou d’en partager. Ma mère faisait des œufs engelée ; j’ai appris à ma fille à en faire et maintenant, à mon anniversaire,elle me les cuisine, comme ma mère, et c’est formidable parce que c’estcela qui continue l’histoire. Et je crois que dans l’habitat, c’est pareil. Jesuis sûr que vous avez tous des lieux que vous auriez envie de revivre. Sivous aviez un grenier… C’est formidable d’aller dans un grenier ou dansun jardin, il y a des recoins. Je trouve que c’est très important de pouvoirreconstruire ces espaces où l’appropriation est possible.

Une anecdote concernant la culture : Bordeaux est une ville dans laquelleil y a énormément de culture et un fort pourcentage de logementssociaux. Nous sommes en train de faire un projet pour le vivre ensem-ble, pour lequel nous avons demandé à toutes les mères de famille quile souhaitaient de nous donner une recette. Avec ces recettes, nousallons faire un livre en espérant que les enfants diront « tiens, ma mèrea fait la recette de ta mère », et ainsi de suite. Et notre travail d’architecte,d’urbaniste, passe aussi par ce genre d’exercices passionnants, d’abordparce que nous rencontrons des mères de famille qui vont être valoriséespar le fait qu’elles seront publiées. Tout cela pour vous dire que ce n’estpas uniquement l’acte de bâtir qui fait que notre métier est si passion-nant ; nous pouvons le faire évoluer et construire des espaces un peuplus agréables pour les gens qui vont y vivre.

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rechercher dans lesformes qui existent,c’est aussi une façonde reconnaître ce quia été bien fait en lefaisant évoluer et endevenant innovant

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Et puis, il y a le temps. C’est ce qu’il y a de plus compliqué pour nousparce qu’actuellement, il y a des accélérations que nous ne maîtrisonspas du tout. C’est un peu comme la température, un divorce ouquelqu’un qui se trouve brutalement handicapé par un accident. Cesmodifications, il faut que nous sachions les intégrer.

Je suis assez étonné que les plans d’appartements adaptés soient tousquasiment identiques ; on peut le voir dans les livres, en particulier ceuxédités par le gouvernement. Il est vrai que la notion de handicap doit êtreprise en compte et qu’elle pose aussi un problème de coût ; actuelle-ment, le gouvernement est en train d’y travailler, d’y réfléchir et peut-êtred’être un peu plus pragmatique et un peu moins dogmatique par rapportà cela. Mais ce genre de plan, c’est celui que l’on retrouve presque sys-tématiquement. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas cinquante mille façonsde faire fonctionner une chambre de handicapé. C’est un peu dommageque par des règles, par des normes, on se retrouve avec des espaces quisont devenus génériques. Le fait d’avoir le même appartement que celuidu voisin, à mon avis, pose problème. Alors, dans certains immeubles, jeme débrouille pour dessiner des appartements sur le même espace defaçon différente. Ainsi, les gens peuvent se dire « on va aller visiter l’ap-partement de l’autre parce qu’il n’est pas le même » et les relationshumaines ne sont pas pareilles. Il y a des appartements qui vont être plusadaptés à un type de personne. Cela peut se jouer sur des espacescomme la cuisine positionnée de façon différente, la salle de bain avecou sans baignoire, etc. Les gens ont le choix, et le fait d’avoir le choix meparaît extrêmement important. Faire 25 logements tous identiques, à partla vue qui change selon l’endroit, je trouve cela un peu triste.

Je me moque un peu des lobbyistes parce qu’actuellement, noussommes terriblement liés, en particulier sur le problème du développe-ment durable et de tout ce qui est d’ordre normatif. On a maintenant desmaisons en kit. Je trouve que c’est un peu dangereux de tomber là-dedans et il faut faire très attention en tant qu’architecte de ne pas avoirla notion de concept : « Moi, j’ai trouvé un concept et cette maison-là, onla met en Chine, on la met à droite, à gauche… » Je dis attention à cela,parce qu’il vaut mieux avoir un grand bon sens qu’appliquer uniquementtel ou tel type de produit. C’est pour cela qu’au bas de la diapo se trouvela mention « des maisons sous assistance respiratoire ». Cette phrasen’est pas de moi, mais elle est extrêmement vraie. C’est-à-dire qu’àl’heure actuelle, avec les systèmes de double flux consistant à prendrel’air d’un côté sans le perdre, on n’ouvre plus les fenêtres et on seretrouve avec des maisons complètement hermétiques, avec un effetthermos. Je me suis retrouvé ainsi dans une maison BBC devant laquelleil y avait un coq qui chantait, et je n’entendais rien parce qu’il y avait untriple vitrage, alors que j’étais à la campagne. Pour moi, c’est terrible, c’estcatastrophique. Et pas d’odeurs ! Le matin, si vous ouvrez votre fenêtre etque vous faites baisser la température, il n’y a plus un acarien ; avec leseffets de mode, on trouvait des produits anti-acariens à mettre sur lesmoquettes, puis des chemises anti-moustiques… Tout cela me choque.

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par des règles, par des normes,

on se retrouve avecdes espaces qui sontdevenus génériques

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plus on a plaisir àpratiquer des espacesdans la ville, plus on aun certain équilibrepermettant de vivreensemble

Je voudrais aborder la question du low cost avec l’exemple du conceptLogan que je trouve génial parce que maintenant, c’est presque devenuun snobisme. C’est comme allez chez Lidl alors que pendant un temps,tout le monde se cachait pour aller au discount. Maintenant, on dit : « Tuas vu ce bon produit ? Je l’ai acheté chez Lidl. » Maintenant, l’on parlebeaucoup de logements low cost, mais ce ne sont pas des maisons aurabais, c’est simplement qu’on va essayer de réfléchir sur l’indispensableet le superflu. Vu ce que coûte le superflu, on commencera peut-être àréfléchir à d’autres choses et à avoir un peu plus de mètres carrés quece qu’on est en train d’offrir en mettant des VMC [ventilation mécaniquecontrôlée], ou d’autres systèmes dans tous les sens. J’ai un copain qui aacheté une Logan, cela m’a fait rire et il m’a dit : « Pourquoi ? Toi, tu asune voiture gadget, avec des machins dans tous les sens. » Ma vitre étaittombée et le moteur électrique pour la remonter coûtait une sommefolle. Il m’a dit : « Moi, avec ma Logan, c’est juste un câble qui tourne pourremonter la vitre. Cela va me faire un exercice du poignet et je sais queje n’aurai jamais une telle somme à dépenser. » Est-ce vraiment indispen-sable d’avoir des vitres électriques dans une voiture ?

Concernant le potentiel des espaces, je crois qu’il est important de regar-der non pas uniquement la surface, mais le potentiel de ces espaces àêtre aménagés de façon différente. Maintenant, nous sommes tous obli-gés d’avoir des meubles Ikea parce que les surfaces sont tellementréduites qu’on ne peut plus mettre un meuble de famille. C’est quandmême invraisemblable. Ce qui est fondamental, c’est la notion d’appro-priation. Il s’agit donc de s’approprier son espace, mais il faut que sonespace le permette. Autrement, c’est de la démolition et de l’agression.

Je reviens à la notion de jeu de construction : plus c’est découpé, plusc’est facile, plus vous pouvez agir sur votre espace. C’est bien ! Donc,nous, il faut que nous pensions à découper les espaces. Tout cela vientd’un livre du philosophe Simondon qui expliquait qu’autrefois, il y avaitles moteurs à explosion avec la chambre de combustion, les pistons etles ailettes qui faisaient le rafraîchissement et qu’on enlevait pour trans-former le moteur ; souvent, on pouvait le faire en mettant des circuitsd’eau et cela devenait un moteur marin. Maintenant, tout est complète-ment compacté, les ailettes qui rafraîchissent la chambre sont soudées,c’est-à-dire que les objets sont devenus tellement compacts qu’on nepeut plus les réparer. Donc, on les jette, et cela, c’est anti-durable. EnAfrique, les gens prennent deux ordinateurs pour en faire un ; ils sonthyper malins et savent le faire parce qu’ils en ont besoin. Je crois quenous devons revenir à la notion que nos maisons ne soient pas complè-tement figées et que nous puissions intervenir dessus. En urbanisme,c’est pareil : c’est le fait d’avoir des espaces ouverts aux autres. Le plaisird’habiter me paraît aussi fondamental, parce que plus on a plaisir à pra-tiquer des espaces sur la ville ou sur le quartier, plus on a un certain équi-libre permettant de vivre ensemble. Si vous êtes déséquilibré ou maldans votre peau, vous ne pouvez pas vivre ensemble. Donc, l’importantest de pouvoir donner ces espaces où chacun se sentira de plus en pluschez soi pour être mieux avec l’autre.

CONFÉRENCE-DÉBAT DE PATRICK BAGGIO14

réfléchir surl’indispensable et le superflu

s’approprier sonespace… mais il fautqu’il le permette

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Ce n’est pas parce qu’on construit du logement qu’on ne pense pas auquartier et qu’on ne pense pas à la ville. Je ne comprends pas qu’on medise : « Voilà, vous avez un terrain, faites cinquante logements dont 20 %de 2 pièces, 40 % de 3 pièces… » Cela s’appelle un programme. Moi, cequi m’intéresse, c’est que la personne me dise : « Voilà le type de popu-lation qu’il y a, voilà comment nous voulons voir évoluer le quartier. » Ça,c’est une vraie commande. Je me bats à l’heure actuelle pour avoir unevraie commande. Quand quelqu’un vous demande une maison, il va vousexpliquer, vous le regardez vivre, c’est vous qui constituez un peu cettecommande. Mais je trouve que très souvent, on n’a pas de commandemais un programme qu’on nous balance et il faut qu’on entre dedans. Cen’est pas comme cela que nous ferons de bons projets. Savoir si le quar-tier va évoluer, comment il sera desservi, quels sont les voisins, s’il y a unevie sociale différente, s’il y a des associations, cela me paraît important.C’est cette notion d’échelle que je voulais mettre en avant.

Quant à la notion de technologie, je pense qu’elle ne doit pas être la cléde tout. Actuellement, on ne peut pas avoir de subventions si on n’estpas HQE [haute qualité environnementale] ou autres trucs dans le genre.Mieux isoler les maisons, bien les éclairer, avoir de la lumière naturelle,pouvoir les ventiler, cela me paraît fondamental. Après, si cela devient desusines à gaz… Un de mes clients m’a dit : « Entre ma chaudière, les pan-neaux solaires pour mon eau chaude, la pompe à chaleur… c’est uneusine à gaz. J’ai une espèce de tableau informatique et en cas de panne,cela me coûte une fortune. » Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Là, pourmoi, ce n’est pas obligatoirement du progrès ni de l’innovation.

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voilà le type depopulation qu’il y a,voilà comment nous

voulons voir évoluer lequartier : ça, c’est une

vraie commande

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Je vais vous citer quelques pistes que nous avons définies à l’agence.Vous voyez ici du logement très social de gens qui avaient vécu dans destours sans balcons, avec des problèmes de voiture dessous et des épais-seurs de bâtiment de 17 mètres. Avec 17 mètres, vous ne faites pas delogement traversant et l’important pour moi était d’avoir un logement tra-versant : à partir du 3 pièces, cela me paraît fondamental que quandvous traversez votre logement, vous soyez à un moment au sud et à unautre moment au nord, pour avoir des sensations différentes. Nous avonscréé pour les habitants non pas des balcons, mais des espèces de piècesextérieures qui ne coûtent pas plus cher qu’un balcon ; simplement, elless’accrochaient au séjour ou à la cuisine, et cette réalisation a fait qu’ils sesont tous approprié leur nouvelle pièce… si bien que j’ai eu des plaintesde la part d’immeubles d’en face, car certains avaient fait des tôles oudes choses plus ou moins esthétiques. Mais ils en ont eu besoin et nousleur avons donné la possibilité d’avoir ces pièces extérieures ; en lescamouflant et en évitant les vis-à-vis, cela permettait aussi de cacher unpeu le bazar qu’on voit souvent sur les balcons. Sur cette image, on voitque c’est fermé d’un côté et ouvert de l’autre. Plus tard, à mon avis, il yaura tout à fait la possibilité de mettre des vitres et cela va faire une piècesupplémentaire. Je n’avais pas l’argent pour le faire, mais je pense quedans l’avenir, cela se fera.

Voici des maisons à patio (page de droite, en haut) : c’est une façon detravailler sur des espaces très étroits et d’avoir un éclairage, et on a l’im-pression à ce moment-là de créer un parcours dans la maison. Le faitd’avoir ces patios nous permet de faire des chambres dans une largeurassez étroite, mais aussi d’avoir des espaces différents et une lumière quiarrive différemment. En guise d’anecdote, j’avais fait des maisons à patioà Nantes, et les clients venant visiter les lieux trouvaient que les espacesétaient trop restreints. Le promoteur a eu une idée : « Si nous mettionsde grands Velux au-dessus, nous pourrions travailler cela comme unloft. » Ainsi, en cours de chantier, nous avons modifié cela et beaucoupont préféré cet effet de loft avec de grands Velux au-dessus de la cuisine.La lumière était différente, l’espace était différent, et cela répondait à la

CONFÉRENCE-DÉBAT DE PATRICK BAGGIO16

Des logements traversants avec une pièce extérieure qui pourra êtrefermée à l’avenir, Bègles (Gironde).

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demande faite par les acheteurs au début. Je trouve cela très intéressantet j’y ai réfléchi pour d’autres opérations. Comme quoi on apprend tou-jours sur les chantiers…

Voilà une petite opération dans laquelle nous sommes descendus endessous des 1 000 euros (ci-dessous). Le PLU exigeait des garages enrez-de-chaussée. Les balcons, nous les avons faits assez grands et ilscomprennent des celliers de balcons parce qu’actuellement, la plupartdes appartements en location ou en vente ont très peu de placards.Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois que vous faites 1 mètre carré, c’est1 200 euros et cela fait très cher. Donc, on a supprimé les placards, maiscomment pouvez-vous vivre sans espace de rangement ? C’est impossi-ble et il faut essayer de récupérer des espaces de rangement sur deszones qui sont moins chères que d’autres. Je ne suis pas le seul à le faire,il y en a beaucoup d’autres qui le font. Ce sont donc des appartementstraversants, accessibles, tous différents, avec une terrasse extérieure. Làaussi, l’expérience m’a montré que les gens allaient voir l’appartement duvoisin. Il existe un hôtel à Madrid où chaque étage a été fait par un archi-tecte différent, et les gens vont voir les chambres des uns et des autres ;cela met une ambiance formidable dans l’hôtel.

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Des maisons à patiopour créer des parcours.

Bègles (Gironde)

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L’etxe – la maison basque – est un peu comme vos fermes alsaciennes :c’est une grande maison qui peut évoluer en fonction de la famille, et cesont de grands ensembles. Je suis parti de cela en disant que si je faiscréer un comble, je laisse un trou dans la toiture pour pouvoir ensuitefaire un grenier habité ; un adolescent vivant sous les combles avec deuxVelux aura une chambre formidable. C’est bien mieux que la fermetteaméricaine avec du vide couvert, ce qui est complètement idiot, et moi,je préfère travailler avec ce vide occupable. Quant au garage, si on aprévu à l’avance la trémie, il deviendra peut-être une chambre, unbureau, un atelier…

Voici un exemple de maison dans l’immeuble. La plupart du temps, onmet les grands appartements en haut, mais j’ai fait l’inverse. J’ai mis lesgrands appartements en bas avec une porte, un petit sas pour les véloset une petite cour devant l’immeuble. Cela fait qu’il y a des portes d’en-trée sur la rue, parce que la plupart du temps, il n’y a qu’une seule ported’entrée pour tout l’immeuble collectif. Ainsi, je recrée de la vie au pieddes immeubles. Les enfants se retrouvent en fait dans une maison dansl’immeuble et ne sont plus dans les cages d’escalier en train de faire lesfous parce qu’évidemment, dans les familles nombreuses, les enfantsont besoin de bouger. Donc, j’ai mis les petits appartements en haut etles grands appartements en bas en duplex, comme une maison, avec unhaut, un bas, un avant, un arrière et une petite cour.

Cette photo montre un autre type de maison, avec un mur fermé et troiscôtés ouverts ; la plupart du temps, cela évite des systèmes de vis-à-viset permet d’avoir un jardin dont on a l’impression qu’il est beaucoup plusgrand. Il y a un système de coursives tout autour et dessous. Comme leterrain était en pente, j’ai fait dessous une dalle de béton, les gens ontfermé par du bois et c’est devenu soit une chambre d’adolescent, soit unatelier, soit un système de rangement. Mais il faut penser tout cela avant,

CONFÉRENCE-DÉBAT DE PATRICK BAGGIO18

s’adapter à la pentepour renforcer laqualité des espacesextérieurs et permettrela modularité

Artigues-près-Bordeaux (Gironde)

Une maison dans l’immeuble,quartier Saint-Jean,Bordeaux (Gironde).

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parce qu’après, c’est trop tard ; cela veut dire qu’il faut faire venir de l’eauou au moins avoir des fourreaux, etc. Une anecdote : dans une maison,j’avais trouvé qu’il y avait beaucoup trop de cloisons. Plus tard, je l’ai visi-tée, l’occupant avait cassé tout ce que j’avais fait – j’en étais persuadé –et a refait l’aménagement, alors que si nous avions conçu cette maisondifféremment, il aurait gagné de l’argent.

Sur ces images, vous voyez qu’un garage pour voitures peut être trans-formé en patio pour vélos. Cet espace juste devant la maison peut avoirdifférents usages, ce qui en fait d’ailleurs l’esthétique. Ici, un pont levantpermet de garer deux voitures ; on gagne l’emplacement d’une voituregrâce à un pont qui se lève – on peut en trouver d’occasion. Il suffit sim-plement d’avoir une hauteur un peu plus grande ou de creuser légère-ment.Un choix tout bête concerne par exemple les WC pour handicapés. Si onconçoit des WC classiques un peu plus grands ou différemment, on peutfaire un cellier. Le jour où vous êtes handicapé, pour avoir de l’eauchaude, vous faites les évacuations et vous installez votre machine à laverou votre sèche-linge dans les WC pour handicapés. Puis vous mettez unrideau, et voilà.

Dans une ville, j’ai fait avec un designer des potelets pour empêcher lesvoitures de passer, mais nous en avons fait des tabourets. Ainsi, nousavons offert un potentiel différent et les personnes, en particulier les per-sonnes âgées, s’asseyaient sur les bornes de voitures parce que nousavions mis un dessus en bois. Donc, c’était un vrai tabouret de ville et laborne prenait le sens d’un mobilier urbain. Maintenant, le problème estqu’avec la réglementation, il faut que cela soit très haut, ce qui en fait destabourets de bar, c’est un peu dommage. Mais voilà un exemple de ceque peut donner un objet avec un certain nombre de potentiels.

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donner du sens aumobilier urbain

Transparence des patios et des garages, Amsterdam (Pays-Bas).

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mieux interroger notre pratique pour offrir des chosesdifférentes

Voici les fameux logements que je vous ai montrés au début de monexposé. Il y a un coin internet, c’est-à-dire que j’ai élargi très légèrementle palier de l’arrivée au premier niveau pour pouvoir installer une petiteconsole, une prise et une bibliothèque. Cet espace internet est fonda-mental parce que dans une famille, tout le monde se bat et le salon n’estjamais assez grand du fait que l’un veut utiliser internet et que l’autre aenvie de regarder la télé. Donc, en élargissant très légèrement un espace,on peut en faire un coin bibliothèque et un coin internet. Concernant lesbalcons, si vous entrez chez vous par un balcon ou un jardin sans passerpar un couloir, vous avez presque l’impression d’entrer dans une maison.Je suis en train de travailler sur cette idée d’entrer sur des balcons jardinscomme si vous entriez dans votre petit pavillon ; ce n’est pas du tout lamême sensation que de prendre un couloir avec une série de portes.

Un autre exemple concerne les chambres d’enfants. Si vous avez desenfants en bas âge, pendant un certain temps, vous n’êtes pas obligé deles séparer. Si vous enlevez la cloison du milieu tout en laissant les deuxportes et les deux fenêtres, je pense que les enfants sont mieux et ontun espace de jeu plus important dans 19 m2 que dans deux fois 9,5 m2.Et lorsqu’ils deviennent adolescents, la cloison peut être remise en place.Le Corbusier, à l’époque, faisait une cloison coulissante au milieu desdeux. Ce sont des choses que l’on a du mal à faire parce qu’il y a lanotion de 2, 3, 4 pièces ; cela m’énerve copieusement, parce que j’aiassisté à des démolitions de cloisons neuves pour pouvoir faire de telsespaces, d’où l’idée de travailler de cette façon-là.

Concernant la créativité et l’innovation, je pense que ce travail sur lenécessaire et le superflu nous permet d’être plus riches et de mieux inter-roger notre pratique pour offrir des choses différentes. Cela nous permetaussi de prendre le temps de vivre. C’est ce que j’explique avec « la priseen compte de la complexité des usages ». Le fait que nous nous posionsla question de l’usage ne nous fait pas dessiner de la même façon et ilfaut se mettre à la place de l’habitant. Moi, je passe beaucoup de temps

entrer par la terrasse comme dansune maison, Eysines (Gironde).

CONFÉRENCE-DÉBAT DE PATRICK BAGGIO20

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dans la cuisine, comme nous le disions tout à l’heure. Je ne vais pas des-siner une cuisine de la même façon que beaucoup de gens, parce queje sais qu’une poubelle se met à un endroit, que telle machine se met àtel endroit et qu’il y a plein de détails qui vont vous faciliter la vie. C’estpareil quand vous entrez chez vous : il faut que vous enleviez vos bottess’il a plu, que vous déposiez votre imperméable, etc. Plus le systèmeconstructif est découpé, plus vous savez que votre bâtiment pourra évo-luer dans le temps. Je crois que c’est extrêmement important. Nous,architectes, avons la responsabilité de penser au long terme et pas uni-quement au court terme dans nos projets.

Je refais un aparté sur le philisophe Simondon, à propos de la concréti-sation des formes et sur le fait qu’on puisse déformer. Il me paraît fon-damental de ne pas donner des formes fermées, et en urbanisme, c’estpareil. Ce qui marche très bien en urbanisme, c’est souvent la trame diteaméricaine qui a été inspirée des bastides et des villes militaires où, dansun carré ou un rectangle, l’on peut tout faire : vous pouvez mettre desimmeubles très haut, vous pouvez mettre des éléments très bas et joueravec cela. Ce qui est important est d’avoir une règle simple, non contrai-gnante, qui puisse être suivie sur des années, et c’est dans cet esprit-làque j’aime travailler. Le Lego et le Kapla, c’est un peu le retour enenfance : mes enfants y jouaient et cela leur permettait d’appréhenderl’espace, de construire des choses et de les reséparer. Je trouve que c’esttrès intéressant parce que cela veut dire qu’avec des petits modules quis’additionnent, on peut faire de grands bâtiments.Je ne suis pas contre le béton parce que j’en fais aussi, mais si je metsdu béton, il faut que je sois conscient que je ferme mon espace. Après,je mets autre chose. En décortiquant des friches industrielles et desusines, on peut faire de grands appartements, des lofts. Donc, une struc-ture très simple peut permettre beaucoup d’évolution.

il est fondamental de ne pas donner

des formes fermées

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quelle place pourl’autopromotion ?

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Question salle J’aurais aimé avoir votre avis sur l’autopromotion dont nous sommes

un peu pionniers ici. L’autopromotion, ce sont des groupes d’habitantsqui se réunissent pour concevoir leur habitat. La Ville de Strasbourg amis à leur disposition des terrains pour les laisser imaginer, financer etconstruire en fonction de leurs rêves et de leurs besoins. Est-ce que c’estl’idéal ? C’est a priori une forme achevée, mais comment pérenniser cesystème lorsqu’il y a un accident de la vie, un divorce, un déménage-ment, une mutation professionnelle ? »

Patrick BaggioC’est vrai que je n’ai pas trop parlé de l’autoconstruction. Actuellement,nous sommes en train de travailler sur des plateaux aménagés. C’est unsystème dans lequel nous offrons une surface brute qui fait baisser lecoût, mais vous ne pouvez pas en faire cinquante. C’est comme les éco-citoyens, l’autoconstruction ou l’autopromotion : leur nombre est res-treint. Par contre, il me paraît important que nous puissions proposercette diversité-là. Nous sommes actuellement en train d’étudier une opé-ration de cinq ou six plateaux aménagés à Bordeaux, mais nous pourronstrès rapidement, si nous voyons que cela ne marche pas, les aménager.J’ai fait par exemple, pour un jeune couple, une maison en bois sur pilo-tis que nous avons montée très rapidement, avec une surface de 110 m2

pour 110 000 euros. Ils ont pu y camper et faire leur aménagement enallant chez Castorama ou chez Leroy Merlin, et ils ont gagné à peu près90 000 euros sur cette opération, mais cela est exceptionnel et on nepeut pas en faire une règle. C’est comme les coopératives d’habitants :nous avons essayé d’en monter et cela peut marcher, mais dans les sixannées se posent souvent des problèmes familiaux et autres. Ce que jepense, c’est qu’il faut pouvoir réfléchir à cette évolutivité, laisser la possi-bilité, avoir un potentiel et un choix. Maintenant, vous avez le choix deprendre un vélo, une voiture, un tram, un vélo électrique ou une moby-

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lette, c’est la plus grande liberté qu’on puisse avoir ; le logement, c’est unpeu cela, c’est d’essayer de trouver la possibilité d’avoir plus de choix. Delà à passer dans de l’autopromotion, je n’y crois que très ponctuellement,tout comme les Castors qui fabriquaient pendant un temps leurs maisonstous ensemble. J’ai vécu l’autoconstruction à Montréal, mais cela a fini endrame parce qu’à un moment, on aidait le copain, le copain revendait lamaison, on avait l’impression d’avoir perdu son temps et son argent. Jecrois que les solutions sont moins radicales que cela.

Jean-Yves Chapuis Vous expliquez bien qu’il peut y avoir de l’autopromotion, mais ce seratoujours un pourcentage restreint. En fait, il faut avoir des solutions extrê-mement multiples et ce qui est important, c’est que les architectes, urba-nistes et promoteurs soient capables de faire des logements plus adaptésaux modes de vie.

Jacqueline Tribillon Je crois qu’actuellement, un des principaux enjeux pour l’habitat est laquestion de la réhabilitation des bâtiments existants et de leur évolution.J’en profite pour poser quelques questions sur nos pratiques. Dans lecadre de l’élaboration de notre Plan local d’urbanisme, nous essayons defaire en sorte que le bâti existant – que ce soient les anciennes fermesalsaciennes ou les maisons de lotissement –, à travers le règlement,puisse évoluer, parce que nous pensons en effet qu’une maison ne peutpas conserver éternellement sa forme et qu’il faut lui donner la possibi-lité d’évoluer. Mais souvent, il nous est avancé comme argument un despoints de votre liste qui est la notion d’intimité, notamment dans les lotis-sements, parce qu’agrandir sa maison veut dire qu’on s’approche de sonvoisin. Donc, nous avons beaucoup de difficultés à faire évoluer cesformes urbaines souvent très rigides et à faire comprendre que ces mai-sons-là, parfois, ne sont plus pérennes. Je crois aussi qu’une questionfondamentale est de savoir ce qui fait un habitat pérenne : il est pérenneparce qu’il a une valeur intrinsèque à travers le temps, à travers lesmodes d’habiter, mais également parce qu’il a la capacité d’évoluer.Comment concilier ces besoins d’évolution du mode de vie, de respectde l’intimité, tout en ayant un habitat qui réponde aux exigences d’éco-nomie d’énergie et de confort ?

Jean-Yves Chapuis Oui, parce que dans votre démarche qui est intéressante, vous avezbeaucoup parlé d’opérations neuves. Mais comment faire par rapport àdes lotissements où l’on voit que ce sont des quartiers extrêmementrigides dans leur évolution, entre autres par rapport à l’intimité ?

Patrick Baggio Là, il faut énormément de souplesse dans la règle, et il faut égalementnégocier. Toutes les fermes sont différentes, et elles ne donnent pas surles mêmes espaces. Il est vrai qu’il sera très difficile de donner une règlecommune. Je crois beaucoup à la réhabilitation. À Bordeaux, nous avonsun tissu d’échoppes formidable que nous sommes en train de figer, alorsque c’est un type d’habitat qui a toujours évolué dans le temps : on fai-sait un comble, on agrandissait derrière… Une chose que je trouve très

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un choix pertinentmais difficilement

généralisable

comment permettrel’évolutivité desformes urbaines

tout en préservantl’intimité ?

il faut énormémentde souplesse dans la

règle, et il fautégalement négocier

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comment gérerdemain les conflitsen urbanisme ?

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intéressante, par exemple, est d’avoir des fonds de jardin habités ; en tantqu’adolescent, j’aurais rêvé d’avoir ma chambre en fond de jardin. Jepense qu’il faut être très précis, faire quelques simulations sur deux outrois exemples pour voir si la règle n’est pas bloquante, et cela me paraîtfondamental. La notion d’intimité est évidente aussi. C’est comme le pro-blème de la voiture, parce que vous aurez des difficultés à imposer deuxplaces de parking dans ce genre d’endroit. Là, il va falloir, à un momentou à un autre, que l’État et les collectivités réfléchissent au fait qu’il y apeut-être des zones de parking de proximité. Actuellement, je travaille surdes secteurs sur lesquels je dis au maire que certaines parcelles ne sontparfois pas évidentes et qu’on peut y faire dix places de parking. C’est unpeu à la collectivité de dire que dans certains cas, il est impossible defaire deux places de parking par logement mais que, par contre, la qua-lité de vie s’en trouve améliorée. C’est donc à la collectivité d’anticiper etde dire que dans telle dent creuse, un parking de proximité pourra êtreaménagé. Je crois que le problème de la voiture est extrêmement impor-tant, même si on pense qu’elle va partir, ce que je ne crois pas, mais ellesera utilisée différemment. Pour les vélos, c’est pareil : si vous faites deslocaux tellement exigus que vous ne pouvez pas y entrer votre vélo ni l’ensortir, vous ne l’y remettrez plus. Je pense qu’il faut faire très attention àla règle, qu’il faut bien réfléchir et que dans ces cas précis, c’est presquede l’architecture négociée.

Jean-Yves Chapuis Je pense que votre réponse est très importante, c’est qu’il faut avoir unerègle simple et après, il y aura un travail très précis – qui ne peut pas êtredans les documents réglementaires – entre l’architecte et des spécialistesen sociologie pour faire un travail très subtil sur des projets particuliers lejour où il y aura une évolution. Mais il va falloir adopter de nouvellesmanières de faire, sinon nous n’allons pas nous en sortir. Et nous ne pou-vons pas tout prévoir dans le document du PLU.

Jacqueline Tribillon La difficulté que nous avons, c’est que nous devons écrire des règles quine sont pas obligatoires du tout – nous pouvons n’en écrire que deux –,mais je crois qu’il n’est pas encore compris de la part des habitantscomme des élus que l’urbanisme et l’architecture, cela se négocie. Celapeut se faire sur la base d’une espèce de contrat qui peut être relative-ment simple, et le reste, c’est de la négociation. Je pense que nous n’ensommes pas encore là, mais je crois que nous devrons arriver à cela. Eneffet, c’est ridicule de faire une règle en disant « je me mets à 50 cm ouà 1 mètre », cela ne veut rien dire. Donc, nous sommes bien à unmoment où l’habitant comme l’élu doivent accepter de négocier la formed’un projet.

Je suis élue et je voudrais compléter les propos de madame Tribillon.Notre gros problème aujourd’hui, c’est que les gens ne sont pas prêtsà faire cette démarche. Votre démonstration est parfaite. Nous avonsencore au minimum quinze ou vingt ans de formation, aussi bien pourles élus que pour les habitants, les architectes et les promoteurs. C’estla raison pour laquelle vous avez ces difficultés pour écrire les règles.Je vais plus loin : en cas de recours demain ou après-demain sur de tels

il n’est pas encorecompris de la part deshabitants comme desélus que l’urbanismeet l’architecture, celase négocie

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permis, comment vont réagir les tribunaux ? Quelle va être leurapproche de négociation entre les services instructeurs et les pétition-naires ? »

Patrick Baggio Il ne faut pas non plus mettre à mal les instructeurs ; j’en connais et jesais que les règles d’urbanisme sont parfois compliquées à instruire. Il estvrai que souvent, pour faciliter leur travail, ils ont des règles qui sont extrê-mement précises. Mais je trouve qu’il y a des lieux à risques avec desorganisations urbaines extrêmement fragiles, et là, je crois qu’on peut sepermettre d’avoir cette négociation. Il s’agit de quoi ? D’une commissionavec un pré-permis sur lequel on discute, mais vraiment en amont. Deplus en plus, je me rends compte qu’on ne va plus voir l’élu avec un pro-jet ficelé et en ce qui me concerne, je refuse d’y aller en disant « voilà cequ’on va faire ». Nous allons voir l’élu, nous rediscutons, nous obtenonscette fameuse commande dont je parlais et nous ne travaillons pas pourrien. Autrefois, on était un peu plus poussé à ficeler un projet, puis onprenait une grande claque, on recommençait, on reprenait une grandeclaque… Je crois que c’est complètement stérile, surtout sur des lieux surlesquels il faut vraiment travailler et discuter.

Jean-Yves Chapuis Si nous ne le faisons pas, les opérations deviendront impossibles. Donc,cela obligera les gens à bouger et il faut que chacun prenne ses respon-sabilités. Je crois qu’il y a de plus en plus toute une pédagogie à mettreen œuvre. De toute façon, je suis plutôt optimiste parce que si personnene bouge, plus rien ne sera possible. Car le jour où vous bloquez tout, àun moment donné, ça explose. Sur le patrimoine historique, le fait d’avoirdes secteurs sauvegardés dépendant du ministère de la Culture est pourmoi une idiotie absolue. On coupe la ville en trois : il y a le patrimoinehistorique sauvegardé, il y a la ville normale avec l’histoire du développe-ment durable, et puis il y a la ville malade avec la politique de la ville.Donc, la notion de ville est complètement coupée par des structures quine correspondent pas à ce projet global. Si nous ne négocions pas, nousne nous en sortirons pas. Nous pourrons faire les PLU les plus réglemen-tés possible, cela ne tiendra pas.

Patrick Baggio Je crois que le PLU doit être le plus simple possible. Il faut qu’il soit lisi-ble par tout le monde, ce qui n’est pas le cas, et je me rends comptequ’à force d’avoir des zones et des zones, il y a des contradictionsénormes. J’ai vu par exemple des zones artisanales où les artisans sontravis de pouvoir vivre près de leur lieu de travail ; or, il y a des endroitsoù le PLU l’interdit parce qu’on n’est pas en zone d’habitation. Je croisqu’à force de tout bloquer, on continue à fabriquer du zoning. De plus, siles règles sont trop strictes, elles finissent par ne faire passer que des pro-jets moyens et là, vous n’avez plus du tout le droit à l’innovation. Nous leconstatons tous les jours. Un très bon architecte contemporain, mainte-nant âgé, m’a dit il y a quelques années : « Les maisons que tout lemonde regarde dans les catalogues sont impossibles à construire àl’heure actuelle. » Dans le bassin d’Arcachon par exemple, il y a mainte-nant la folie de la maison en bois ; on a l’impression d’être aux Antilles !

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le PLU doit être simpleet non contradictoire

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On a dit que la maison en bois s’intégrait très bien, ce qui est un peu vrai,mais pas complètement, car il y a des maisons en béton ou en briquequi sont remarquables. En architecture, c’est une question de dessin etune notion d’équilibre. Une maison dans la campagne faite par des gensqui n’ont jamais vu un architecte peut avoir des proportions magnifiqueset être équilibrée. De la même façon, un plat n’est pas équilibré s’il a tropde sel, trop de machins ou trop de trucs. En architecture, c’est pareil :c’est une notion d’équilibre. Dans le règlement, il va également falloirtrouver cette notion d’équilibre, et ce n’est pas facile parce que cela veutdire : simplifier, simplifier, simplifier.

Dans le cadre du manque de logements, on parle beaucoup de sur-élever des immeubles existants. Qu’en pense l’architecte ? Est-ce uneidée fantaisiste ou pourra-t-elle être réalisée un jour ? »

Patrick Baggio Moi, je suis tout à fait d’accord, mais le problème est que cela coûte cher.Je suis en train de doubler un immeuble en briques avec du bois et duverre, et je peux vous dire que c’est du luxe. Il est souvent plus faciled’aménager un comble ou de construire quelque chose à l’extérieur quede rajouter un étage à un bâtiment, parce qu’il y a des problèmes de fon-dations et de structure. À moins que, dans les nouvelles opérations, l’onne préconise des pré-permis où l’architecte aurait pensé ces élémentspour donner ce potentiel, mais cela veut dire que les murs et les canali-sations doivent être prévus pour cela. De toute façon, surélever l’anciencoûte toujours très cher, même s’il s’agit d’immeubles sociaux ; parfois,cela coûte le prix du neuf. Évidemment, il y a un problème social, dedéménagement des habitants, etc., mais il y a aussi un problème écono-mique qui est évident. Souvent, je préfère construire à côté, mais le PLUdoit le permettre parce que parfois, vous n’avez pas le droit.

Je suis étonné par la densification des villes. On construit de plus enplus, mais il y a moins d’espaces verts et d’espaces de liberté. Je trouveque nos jeunes n’ont plus de possibilités d’expression. Étant jeune, j’ha-bitais dans un quartier avec un jardin botanique à proximité. Actuelle-ment, je trouve qu’il n’y a plus rien. On parle de la délinquance desjeunes, mais je pense qu’on la provoque aussi comme cela.

Patrick Baggio Actuellement, nous sommes en train de retravailler pour essayer de sau-ver ces espaces, mais il y a eu de mauvaises interprétations en matièrede densité et de compacité. À force de donner des règles, elles ont étésouvent mal interprétées, on est allé construire sur des terrains et on n’aplus ces poumons que nous appelons des espaces de compensation etqui, dans dix ans, seront des lieux formidables. Actuellement, je travaillesur une ville en périphérie de Bordeaux, avec un grand territoire surlequel je n’ai pas voulu construire ; on m’a dit que je faisais une erreur,mais j’ai répondu que j’allais construire autour, parce que ce sera un jar-din ou un espace de compensation dans les vingt ans qui vont venir. Parailleurs, je travaille actuellement sur la réintroduction de la vigne dans desterritoires de ville. Pourquoi ? Parce qu’on crée ainsi un paysage en un anet demi ou deux ans. Ensuite, économiquement, c’est toujours valorisant,

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surélever lesimmeubles a-t-ilun sens ?

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et on remet au goût du jour un certain nombre de métiers parce quedans le Bordelais, nous n’avons plus personne pour tailler la vigne. En fai-sant cela, je revalorise du terrain et cela me permet de le conserver, maispar contre, il faut que le PLU me permette de le faire. Par exemple, dansune ville comme Anglet sur laquelle nous travaillons actuellement, onétait à 2 niveaux (rez-de-chaussée et un étage), alors évidemment, ontartinait tout sur de grands territoires. J’ai préconisé de garder ces grandsterritoires et d’y remettre du clairet, qui est du vin de table. On m’a dit« ah oui, c’est très bien ». Certes, mais en contrepartie, il faudra pouvoirmonter à 3, 4 ou 5 niveaux – pas partout, mais, au moins, nous allonscompenser. Pour moi, c’est une valeur d’intensité de la compacité, maisévidemment, cela ne signifie pas qu’il faut réduire les espaces verts,parce que nous en avons tous besoin, et de plus en plus.

Qu’est-ce que vous appelez “l’appartement traversant“ ? »

Patrick BaggioUn appartement traversant veut dire qu’il a une double orientation, avecun arrière et un avant. Je travaille beaucoup avec des sociologues : il fautpouvoir avoir un parcours. Si vous n’avez qu’une seule façade, pour peuqu’elle ne soit pas très bien orientée, votre appartement est plus mono-tone, à moins qu’il ne fasse 25 mètres de long et qu’un grand balconvous permette d’aller d’un bout à l’autre. Cette notion de parcours est trèsimportante. Dans ma maison, je me suis débrouillé pour qu’on puisse enfaire le tour, en passant par des endroits un peu insolites. C’est une vieillemaison dans laquelle – je ne l’ai pas fait exprès – il y a deux escaliers, etcela l’agrandit parce qu’il y a un effet de parcours ; dans le côté traver-sant, il y a un moment où la lumière n’est pas la même, et c’est un vraiconfort. Cela dit, sur toutes les opérations de logement, on impose ladouble orientation à partir d’un 3 pièces – c’est évident et ce n’est pasnous qui l’avons inventé. Mais en réfléchissant bien, vous allez le ressen-tir : il y a des appartements dans lesquels vous vous sentirez bien et d’au-tres dans lesquels vous vous sentirez mal à l’aise. Des fenêtresmoyenâgeuses vont très bien dans un château fort, mais moi, j’aime bienvoir l’extérieur. C’est comme dans les hôpitaux : imaginez que vous êtesmalade dans votre lit pendant un mois et que vous ne pouvez voir ni l’ex-térieur ni le sol ! C’est extrêmement dur de ne voir que le plafond. Il estvrai que parfois, nous faisons des fenêtres assez longues et les gens, pourne pas se voir, affichent un poster de Che Guevara… À la limite, je pré-fère cela parce qu’un jour ou l’autre, quelqu’un l’enlèvera. Mais quandvous vous promenez dans des espaces, réfléchissez à cela et vous verrezqu’il y a des choses que vous ne pourrez pas supporter. �

construire autour d’unvaste espace libre, de

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mais en contrepartie,il faut de la compacité

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