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  • CONTES ET LÉGENDES

    DU DAUPHINÉ

  • D A N S L A M Ê M E C O L L E C T I O N

    Contes et Légendes de Babylone et de Perse, par Pierre GRIMAL. Contes et Récits du temps d'Alexandre, par Pierre GRIMAL. Récits tirés de l 'Histoire de Rome, par Jean DEFRASNE. Contes et Légendes tirés de l 'Histoire grecque, par M. DESMURGER. Épisodes et Récits bibliques, par G. VALLEREY. Contes et Légendes mythologiques, par E. GENEST. Légendes du Monde grec et barbare, par L. ORVIETO. Contes et Légendes de la Naissance de Rome, par L. ORVIETO. Contes et Légendes de l 'Égypte ancienne, par M. DIVIN. Contes et Récits tirés de l 'Énéide, par G. CHANDON. Contes et Récits tirés de l 'Iliade et de l'Odyssée, par G. CHANDON. Contes et Légendes d'Israël, par A. WEIL. Contes et Récits tirés du Théâtre grec, par G. CHANDON. Contes et Légendes du Moyen Age, par Marcelle et Georges HUISMAN. Épisodes et Récits de la Renaissance, par Jean DEFRASNE. Contes et Légendes du Grand Siècle, par Ch. QUINEL et A. de

    MONTGON. Récits et Épisodes de la Révolution française, par Marcelle et Georges

    HUISMAN. Contes et Légendes des Croisades, par M. TOUSSAINT-SANAT. Contes et Légendes du Pays niçois, par Jean PORTAIL. Contes et Légendes des Charentes, par Madeleine-J. MARIAT. Contes et Légendes du Berry, par M.-L. et J. DEFRASNE. Contes et Légendes du Pays toulousain, par M. MIR et F. DELAMPLE. Contes et Légendes de la Marche et du Limousin, par Jean PORTAIL. Contes et Légendes de Lorraine, par L. PITZ. Contes et Légendes d'Alsace, par E. HINZELIN. Contes et Légendes d'Anjou, par Jacques LEVRON. Contes et Légendes d'Armorique, par J. DORSAY. Contes et Légendes d'Auvergne, par Jacques LEVRON. Contes et Légendes de Bourgogne, par PERRON-LOUIS. Contes et Légendes de Corse, par Ch. QUINEL et A. de MONTGON. Contes et Légendes du Dauphiné, par Luce BOSQUET. Contes et Légendes de Flandre, par LAUWEREYNS DE ROOSENDAEL. Contes et Légendes de Franche-Comté, par J. DEFRASNE. Contes et Légendes de Gascogne, par F. PEZARD. Contes et Légendes du Languedoc, par M. BARRAL et CAMPROUX. Contes et Légendes de Normandie, par Philippe LANNION. Contes et Légendes de Paris et de Montmart re , par Ch. QUINEL et

    A. de MONTGON. Contes et Légendes du Pays Basque, par R. THOMASSET. Contes et Légendes du Poitou, par Jean-Robert COLLE. Contes et Légendes de Provence, par M. PEZARD.

    (suite page 255)

  • COLLECTION DES CONTES ET LÉGENDES DE TOUS LES PAYS

    CONTES ET LÉGENDES D U

    DAUPHINÉ PAR

    L U C E B O S Q U E T

    ILLUSTRATIONS DE BEUVILLE

    F E R N A N D N A T H A N , É D I T E U R - P A R I S

    18, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE, 18 ( V I

  • © 1963 Femand Nathan

  • CONTES ET LÉGENDES DU DAUPHINÉ

    Ufon le D a u p h i n e t ses f rères

    I y avait une fois un roi qui s'appe- lait Gothard et une reine qui s'ap-

    pelait Furca. Ils s'aimaient tendre- ment, mais les années passaient et un enfant manquait à leur bon- heur. Comment être heureux sans

    un petit enfant qui joue près de vous sur le tapis, vous questionne sans cesse et veut découvrir le monde?

    Ils se décidèrent enfin à aller consulter en cachette le docte Renaud, très instruit en sciences occultes. Ils se vêtirent en paysans, puis, de nuit, munis chacun d'une lanterne et d'une boussole, par une porte dérobée du palais, ils gagnèrent le bois tout au fond duquel habitait Renaud. Au petit matin, les pieds en sang, transis, apeurés par les loups croisés en chemin, ils atteigni- rent la cabane de branchages où habitait l'ermite.

  • A leur arrivée, le saint homme était en prière. A genoux, tournant le dos à l'entrée, il baissait la tête. Gothard et Furca ne virent que de longs cheveux le couvrant jusqu'à la ceinture, deux mains maigres et longues aux veines très bleues. Les mains parfois mon- taient vers le ciel. L'ermite marmonnait des paroles que les visiteurs ne comprenaient pas, probablement de l'hébreu.

    Silencieux, Furca et Gothard attendaient, debout à l'entrée de la cabane, la fin des oraisons.

    Au bout d'une heure, Renaud se retourna enfin et se mit à sourire :

    «Pourquoi ces pauvres vêtements? Je devine bien qui vous êtes», dit-il, « et je sais pourquoi vous venez.»

    Il les fit asseoir sur un tronc d'arbre et leur tint lon- guement la main.

    Le roi et la reine pouvaient à peine soutenir l'éclat des yeux du vieillard, des yeux si aiguisés et si pers- picaces qu'ils lisaient votre âme comme un livre, qu'ils lisaient aussi les desseins de Dieu.

    Enfin l'ermite dit solennellement : «Votre désir sera exaucé trois fois : des trois fils qui

    vont vous naître, l'un régnera sur les airs, l'autre sur la terre, le troisième sur les eaux. Retournez dans votre royaume, mais prenez garde aux mauvaises rencontres qui cachent peut-être des génies malfaisants.»

    Puis il les baisa au front et leur donna congé. Tout réjouis par cette heureuse prédiction, le roi et

  • la reine gambadaient sur le chemin du retour. C'était si bon de pouvoir s'ébattre librement à l'abri des courti- sans, sans cette pesante couronne.

    Mais la reine Furca, peu habituée aux longues marches, tomba vite de lassitude et le palais était encore à six lieues. Alors le roi lui prépara avec soin un lit de feuilles sèches.

    A peine allongée, la reine souffrit de morsures cruelles. Hélas! Une fourmilière était dissimulée sous les feuilles. Le roi extermina du talon autant de fourmis qu'il put, mais les bestioles revenaient toujours, si bien qu'ils durent repartir.

    L'heure passait et la reine ne tarda pas à avoir faim. Le roi battit les broussailles et ne trouva qu'un roitelet qu'il pluma sur-le-champ. Dans la rivière il ne put qu'attraper un minuscule poisson. Mal rassasiés, ils reprirent tous deux le chemin du château et regagnèrent la chambre royale.

    La prédiction de l'ermite se réalisa. Peu après son voyage, la reine attendit un enfant. Déjà le peuple se réjouissait de la venue d'un héritier royal et des festins qui accompagneraient un tel événement. La délivrance de la reine approchait chaque jour et les cadeaux affluaient au palais. Le roi d'un état voisin offrit un berceau richement sculpté de visages d'anges. Les yeux des anges étaient figurés par des pierres précieuses, leurs cheveux par des rayons d'or. Les bonnets riche- ment brodés, les petites chemises de toile transparente

  • comme un rêve, les médailles finement gravées s'accu- mulaient.

    Hélas! Le prince royal tant attendu ne fut qu'un aiglon pas plus gros que le poing, un aiglon tout crochu qui becquetait méchamment sa mère. Le roi et la reine pleurèrent. Ils comprenaient le sens des paroles du magicien : «le premier régnera sur les airs». Ils l'appe- lèrent « Édouard l'Aigle ».

    On fut obligé de mettre Édouard en cage car il était vraiment trop turbulent. Et même en cage, il ne donna aucune satisfaction à ses parents. D'un coup de serre il déchirait les robes des dames qui passaient et déplu- mait les chapeaux des courtisans. Furca se désolait. Elle se décida enfin à reléguer Édouard en pleine mon- tagne dans un vieux château fort.

    Dans le cours de l'année qui suivit, la reine donna encore des espérances de maternité. Le peuple attendait avec impatience la naissance d'un enfant royal, normal cette fois. Furca se voyait déjà mère d'un petit humain aux joues roses, affectueux et joueur, un petit humain qui se laisserait bercer avec de douces chansons.

    Hélas! Elle fut une seconde fois déçue! Alors que les plus doctes médecins entouraient l'alcôve royale, un grognement en sortit et la reine mit au monde le plus bel ourson de la création.

    Le roi et la reine pleurèrent. Ils comprenaient le sens des paroles du magicien : « le second régnera sur la terre ». Ils l'appelèrent «Albert l'Ours ».

  • Albert avait un pelage lustré et un amour excessif du miel. A peine né, il mit à sac toutes les ruches du palais. C'était une bonne nature, mais un peu voleuse et grognonne. Furca était inconsolable. Bientôt elle ne put supporter la vue d'un fils chapardeur et le relégua dans la montagne avec Édouard l'Aigle.

    L'année suivante, comme la reine annonçait timi- dement au roi qu'elle allait être mère pour la troisième fois, personne n'osa se réjouir. En effet, le troisième enfant parut sous la forme d'un gentil cétacé de l'espèce Delphinus, qui était fort réussi pour un poisson.

    Le roi et la reine pleurèrent de plus belle. Ils comprirent le sens des paroles du magicien : « le troisième régnera sur les eaux». Ils l'appelèrent « Ufon le Dauphin».

    Ufon évoluait joyeusement dans le bassin, faisant peur aux poissons rouges qu'il ne dévorait que très rarement. Les sept couleurs de l'arc-en-ciel jouaient sur ses écailles et la reine, malgré sa déception, ne se lassait pas de le contempler. Parfois, au moment de son repas, il se cachait sous une grosse pierre et les dames d'honneur le cherchaient en vain.

    «Ufon! Ufon! Où es-tu?» Et quand Furca commençait à être inquiète, le dau-

    phin sortait de sa cachette en exécutant une cabriole qui éclaboussait un peu les Dames, mais les faisait beaucoup rire.

    Malheureusement, Ufon grandit et, de minuscule dauphin, devint un énorme poisson qui était aussi peu

  • à l'aise dans un bassin qu'une daurade dans une cuvette. A regret, sa mère le relégua dans un lac montagnard près du château de ses frères.

    Après le départ d'Ufon, le roi Gothard et la reine Furca allèrent trouver à nouveau le docte Renaud et lui contèrent leurs malheurs.

    « N'avez-vous pas écrasé une fourmilière, tué un oiseau, mangé un poisson? Pour ces trois raisons, un génie malfaisant vous a donné pour fils un ours, un aigle, un dauphin.

    « Je ne puis tout seul rompre les enchantements per- fides qui ensorcellent vos trois enfants », dit Renaud, « mais ceux-ci reprendront leur forme humaine quand une princesse jeune et belle leur dira : Je vous aime».

    En attendant, les trois bêtes royales vivaient toujours reléguées dans ce château perdu. Elles y passèrent leur enfance sous la surveillance de sévères gardiens.

    Édouard l'Aiglon, de plus en plus vigoureux, cognait de la tête et des ailes contre les barreaux de sa cage. Il aurait tant voulu connaître les hautes cimes et fendre l'air à tire-d'aile!

    Albert l'Ours était las de sa corde qui n'avait que deux mètres de jeu. Il se rongeait les pattes en songeant avec mélancolie aux belles promenades en forêt, aux fourmis si tentantes, au miel sauvage dont les grosses pelotes sont cachées sous la mousse.

    Ufon s'ennuyait dans ce lac montagnard dont il connaissait la moindre pierre. Il savait par cœur le

  • nom de tous les poissons qui l'habitaient. Il avait maintes fois exploré les gouffres. Au printemps, il avait bien un peu courtisé une truite, mais il s'en lassa, car elle manquait par trop de conversation.

    Le désir de liberté des trois frères se faisait chaque jour plus pressant et c'est Édouard l'Aigle qui, le premier, eut l'audace de briser les barreaux de sa cage et de s'envoler.

    Un matin, ivre de liberté, il survola les cimes de la chaîne Belledone et fit connaissance avec tous les grands oiseaux carnassiers de la montagne. Malheureusement, il ne tarda pas à avoir des démêlés avec un grand aigle qui voyait ce touriste d'un mauvais œil. Ce grand aigle lui administra une terrible correction. Alors le pauvre Édouard passa sa convalescence

    dans la vallée, où les oiseaux de cette espèce ne se ren- contrent guère. La plus grande partie de la journée, il se chauffait au soleil sur les bords de l'Isère. Les plumes arrachées par le grand aigle commençaient déjà à re- pousser, les plaies étaient cicatrisées, quand un oiseleur qui se promenait sur les bords du fleuve eut tôt fait de l'attraper dans son filet.

    «Hélas!», dit Édouard, «c'est une seconde captivité qui commence!» En effet, le pauvre aigle resta quelques jours en cage à Grenoble dans la boutique malodorante de l'oiseleur. Et puis le voisinage des perruches et des serins était fort humiliant pour un aigle!

    Édouard souffrit mille maux jusqu'au jour où un

  • puissant monarque, amateur d'oiseaux, acheta Édouard tout content de changer d'air.

    Transporté à la cour du monarque, Édouard fut installé dans les jardins du château. Sa cage dorée, entourée des fleurs les plus rares, était très spacieuse. Argovie, la fille du monarque, s'était prise d'une grande passion pour le bel oiseau qu'elle caressait sans cesse.

    « Que ce bel oiseau n'est-il un prince, je serais contente de l'épouser», dit-elle un soir.

    A ces mots le prince Édouard prit forme humaine. Un chevalier de belle prestance, au corps bien moulé,

    s'inclina devant Argovie et lui demanda sa main. Le mariage fut célébré le mois suivant et le premier soin d'Édouard fut de bâtir une ville appelée Aarburg ou ville de l'Aigle.

    Albert l'Ourson devenu ours prit la clé des champs comme son frère, mais fut vite capturé par un montreur de bêtes savantes. Albert était fort, agile, savait saluer et danser. Un jour que le montreur de bêtes exhibait son ours à la cour d'un Rhingrave qui s'ennuyait à mourir :

    « Cet ours n'a d'une bête que l'apparence », dit Constance, la fille du Rhingrave, « quelque prince aimable ne serait-il caché sous la fourrure?»

    Alors Albert prit forme humaine et épousa vite la belle Constance. Son premier soin fut de bâtir une ville appelée Berneburg, ou ville de l'Ours.

    Ufon le Dauphin, ses deux frères partis, fut en proie

  • à un grand désespoir, un désespoir à s'en arracher les écailles. Il suffoquait de rage sous la surveillance des gardiens, qui redoublaient de vigilance autour du lac et commençaient même à planter des piquets.

    Enfin, muni de provisions laborieusement amassées, du lac montagnard, Ufon gagna une cascade puis un grand fleuve dont les eaux bondissaient vers la mer. Le dauphin se prélassait dans le cours tranquille du fleuve, mais il se demandait comment lui, pauvre jouet des vagues, arriverait à se faire aimer d'une princesse.

    Le long du fleuve le paysage était très doux. La vigne courait sur les côteaux, alternant avec des jardins en terrasses plantés de fleurs merveilleuses. On apercevait des maisons blanches et spacieuses. Sur le fleuve même des barques pavoisées glissaient.

    Ces barques étaient pleines de musiciens et de jeunes filles. Une des jeunes filles était plus belle que les autres, plus douce et plus gracieuse. C'était la princesse Vienne, dont on fêtait l'anniversaire.

    «Vive notre princesse, la belle Vienne! Qu'elle vive! Qu'elle vive!» criait-on de tous côtés.

    La princesse plongeait ses mains dans un vaste coffre rempli d'or et d'argent, puis faisait pleuvoir les piè- cettes sur les musiciens et sur la foule massée sur la rive.

    Elle s'amusait beaucoup, souriant aux convoitises des uns, aux déceptions des autres. Elle se penchait pour suivre leur mimique.

  • Elle se pencha tant et si bien, que tout à coup on l'entendit tomber dans l'eau avec un grand cri. L'effroi était général. Rhodanus, le père de la princesse, jura qu'avec la main de Vienne il donnerait son royaume à quiconque, prince, chevalier ou manant, sauverait sa fille des eaux.

    Deux princes quittèrent vivement leur armure et fouillèrent le fleuve... vainement. Les chevaliers et leurs hommes d'armes les imitèrent... vainement.

    Rhodanus pleurait, silencieux, quand il aperçut au loin sur le fleuve une forme blanche et vaporeuse. Cette forme remontait le fleuve sur une barque légère, accom- pagnée par un magnifique dauphin aux nageoires écar- lates, son sauveur.

    Vienne se jeta dans les bras de son père et lui rappela la promesse faite devant tout son peuple.

    «Cependant, ma fille, tu ne peux épouser un poisson», dit Rhodanus. Alors Ufon prit forme humaine et épousa vite la belle Vienne. Son premier soin fut de bâtir une ville à laquelle il donna le nom de Vienne.

    Il acquit par la suite une vaste contrée qu'on appela Dauphiné.

    Vous connaissez les armes de cette province? Un petit dauphin d'or et d'argent qui rappelle pour l'éter- nité la forme première du fils de Gothard et de Furca.

  • Le désert de Misoen

    C le désert de Misoen? Ses montagnes sont toutes nues et pelées, ses plateaux couverts de pier- railles et d'arbustes chétifs. Le voyageur peut y marcher de longues heures sans ren- contrer un être humain et les grailles ( elles-mêmes y meurent de solitude.

    Mais ne croyez pas que ce pays ait toujours été si désolé. Du temps des Gaulois il était riant, avec de gros pâturages et des cascades un peu folles. Les lacs miraient les chamois. Les haies offraient des baies rouges aux enfants et des prunelles, des mûres, des noisettes selon la saison. Il y avait même une belle forêt sacrée pleine de chênes noueux que les Gaulois adoraient.

    ( Corneille, en langue dialectale.

  • Ces G a u l o i s é t a i e n t d e b e a u x h o m m e s s o l i d e m e n t

    t a i l l é s . I ls s e t e n a i e n t t r è s d r o i t s e t a v a i e n t l e r e g a r d

    f a r o u c h e . I ls é t a i e n t v ê t u s d ' u n e s o r t e d e p a n t a l o n ,

    les b r a i e s , d ' u n e c o u r t e t u n i q u e e t d ' u n m a n t e a u é c a r -

    l a te . L e u r g r a n d e c h e v e l u r e , q u ' i l s t e i g n a i e n t e n r o u x

    e t l a i s s a i e n t f l o t t e r s u r les é p a u l e s , l e u r d o n n a i t e n c o r e

    p l u s d e n o b l e s s e .

    A u - d e l à d e l a f o r ê t s a c r é e v i v a i t u n e p e u p l a d e d e

    n a i n s , d e p a u v r e s p e t i t s ê t r e r a b o u g r i s e t ché t i f s , p a s

    p l u s h a u t s q u ' u n e c o u r g e .

    Les G a u l o i s n ' a i m a i e n t p a s les n a i n s . Les n a i n s n ' a i -

    m a i e n t p a s les G a u l o i s . P o u r q u o i ? L ' h i s t o i r e n e le

    d i t pa s , m a i s les D a u p h i n o i s p e n s e n t q u ' i l s se j a l o u -

    s a i e n t m u t u e l l e m e n t . Les G a u l o i s e n v i a i e n t l ' a g i l i t é ,

    l ' a d r e s s e e t l ' i n t e l l i g e n c e d e s n a i n s , t a n d i s q u e ces

    d e r n i e r s e n v i a i e n t l e u r h a u t e t a i l l e e t l e u r force .

    C ' é t a i t m e r v e i l l e q u e d e c o n t e m p l e r ces p e t i t s ê t r e s

    m a l i n s e m p r e s s é s à s a t i s f a i r e t o u s les d é s i r s d e l e u r

    R e i n e B a r a c a , l a d o u z i è m e d e ce n o m .

    L a R e i n e a v a i t - e l l e e n v i e d e m a n g e r d u l i è v r e ?

    A u s s i t ô t t r o i s d e ses p e t i t s su j e t s p a r t a i e n t p o u r la

    c h a s s e .

    T a n d i s q u e d e u x n a i n s a r m é s j u s q u ' a u x d e n t s su r -

    v e i l l a i e n t les i s s u e s d ' u n t e r r i e r , u n t r o i s i è m e l a r r o n

    v e n a i t a u b o n m o m e n t d o n n e r ce q u ' o n a a p p e l é p l u s

    t a r d « l e c o u p d u l a p i n » . P u i s l a b ê t e é t a i t t r i o m p h a l e -

    m e n t p o r t é e a u p a l a i s e t d é p e c é e d e v a n t u n e f o u l e a d m i r a t i v e .

  • A l o r s les c u i s i n i e r s p r é p a r a i e n t d e s a v o u r e u x g i g o t s

    d e l i è v r e à l a b r o c h e .

    Q u e l p l a i s i r d e v o i r t o u t ce p e t i t m o n d e c h a n t a n t

    j o y e u s e m e n t a u t o u r d u f e u d e b r i n d i l l e s t a n d i s q u e

    le g i g o t r é p a n d a i t u n f u m e t d é l i c i e u x ! E t p u i s o n

    m o r d a i t à b e l l e s d e n t s e n f a i s a n t g i c l e r l e j u s d a n s l ' œ i l

    d u v o i s i n .

    Le l e n d e m a i n , les r e s t e s d u g i g o t é t a i e n t a c c o m m o d é s

    e n b e i g n e t s . Les e n f a n t s s ' e n r é g a l a i e n t a u r i s q u e d ' a v o i r

    d e s a i g r e u r s d ' e s t o m a c . A u d e s s e r t o n p a r t a g e a i t u n e

    b a i e e n q u a t r e , e n o f f r a n t t o u j o u r s a u x p a r e n t s o u

    a u x f r è r e s a î n é s le c ô t é d e l a q u e u e . I ls n e b a d i n a i e n t

    p a s a v e c les b o n s u s a g e s .

    U n j o u r , u n s u j e t m a l a d r o i t e n v o y a p a r m é g a r d e

    u n p é p i n d a n s l ' œ i l d e l a R e i n e B a r a c a . I l f u t b a n n i

    p o u r t ro i s l u n e s e t f o u e t t é j u s q u ' a u s a n g a v e c u n b a l a i

    d e m y r t i l l e . La p a u v r e R e i n e e u t l ' œ i l v i o l a c é e t d u t

    p o r t e r d e l o n g s m o i s u n b a n d e a u h u m i d e .

    La R e i n e B a r a c a é t a i t a i m é e e t r e s p e c t é e d e c h a c u n .

    E l l e a v a i t à v r a i d i r e fo r t p e u à g o u v e r n e r . Les c h a m p s

    é t a i e n t à t o u s e t c o m m e les n a i n s n ' é t a i e n t p a s a s s e z

    c iv i l i sés p o u r c o n n a î t r e l ' a r g e n t e t l es d e t t e s , ils n e se

    d i s p u t a i e n t pas . N e l a i s s a n t p o u r t o u t b i e n q u e l e u r

    c o r p s à l e u r s h é r i t i e r s , j a m a i s d e q u e r e l l e n e s ' é l e v a i t

    e n t r e eux . D e m é m o i r e d e n a i n o n n ' a v a i t p a s c o n n u

    d e g u e r r e . Ces p e t i t s h o m m e s é t a i e n t t r o p f a i b l e s p o u r

  • a t t a q u e r q u i q u e ce f û t e t t r o p m a l i n s p o u r q u ' o n les

    a t t a q u â t .

    Les f e m m e s a v a i e n t t o u j o u r s g o u v e r n é c h e z les n a i n s .

    E l l e s c o m m a n d a i e n t les c h a s s e s , p r é s i d a i e n t les b a n -

    q u e t s . L e u r s m a r i s s e c o n t e n t a i e n t d e b e s o g n e s p l u s

    b a s s e s , o ù l ' i n t e l l i g e n c e n ' e n t r a i t p a s e n j e u , t e l l es q u e

    b a l a y e r , f u m e r l a t e r r e o u sa rc l e r .

    G u e l s h , l e P r i n c e c o n s o r t , s e c o n d a i t l a R e i n e B a r a c a

    d e s o n m i e u x . C ' é t a i t u n ê t r e d o u x , d i s c r e t , effacé, q u i

    n ' a p p a r a i s s a i t g u è r e q u ' a u x c é r é m o n i e s off ic ie l les . Ces

    j o u r s - l à , il a r b o r a i t , c o m m e l a R e i n e , u n e l o n g u e p e l i s s e

    f a i t e d ' u n e s e u l e p e a u d e l a p i n b l a n c é l e v é s p é c i a l e m e n t

    à ce t u s a g e .

    D e l ' u n i o n d e B a r a c a X I I e t d e G u e l s h , t r e n t e - s e p t

    p e t i t s p r i n c e s é t a i e n t nés . H é l a s , ils n e f a i s a i e n t p a s

    l ' o r g u e i l d e l e u r s p a r e n t s . I ls é t a i e n t si m a i g r i o t s , si

    p â l e s , s i r i d i c u l e m e n t p e t i t s q u e , l o r s q u e la R e i n e o u

    le P r i n c e c o n s o r t l es c o n t e m p l a i e n t , ils n e p o u v a i e n t r e t e n i r l e u r s l a r m e s .

    Q u a n d les t r e n t e - s e p t f r è r e s e t s œ u r s s ' é b a t t a i e n t

    d a n s le b o i s sac ré , c ' é t a i t t o u t e u n e h i s t o i r e p o u r les

    r a s s e m b l e r . Les s e r v i t e u r s a v a i e n t b e a u s ' é p o u m o n e r

    à c r i e r :

    « R a t a g o n ! B a r t o k ! B r i s c a ! M a r j o l a i n e ! P a t a ! W i t t ! M e n o u l a ! A s t é r i e ! J è m i n a ! . . . »

    Il y a v a i t t o u j o u r s u n p e t i t p r i n c e c a c h é s o u s u n e

    f e u i l l e d e f r a i s i e r o u u n a u t r e q u i c h e v a u c h a i t u n e

  • g r a m i n é e e t se f a i sa i t p a s s e r p o u r u n h a n n e t o n . J a m a i s

    o n n e v i t si m a l i n s p e t i t s p r i n c e s .

    U n soir , a p r è s a v o i r d é p o s é u n b a i s e r s u r les t r e n t e -

    s e p t p e t i t s v i s a g e s c a m u s , c o m m e l a R e i n e e t l e P r i n c e

    c o n s o r t s ' a p p r ê t a i e n t à q u i t t e r l e u r c h a m b r e : « n o t r e

    r ace d é g é n è r e , m a p a u v r e B a r a c a » , d i t G u e l s h les y e u x

    v o i l é s d e l a r m e s . La c o u r o n n e e n a r r i è r e , l es v ê t e m e n t s

    e n d é s o r d r e , il s ' é t a i t l a i s s é a l l e r s u r u n coff re . T o u t

    e n l u i e x p r i m a i t le d é c o u r a g e m e n t , l a l a s s i t u d e .

    « Hélas! m o n p a u v r e a m i » , d i t B a r a c a XI I . « C'est

    p o u r m o i u n t o u r m e n t p e r p é t u e l , c o m m e si t r e n t e -

    s e p t j a v e l o t s m e p e r ç a i e n t l e c œ u r . D e p u i s l o n g t e m p s ,

    d 'a i l leurs, j e v e u x te p a r l e r d ' u n p r o j e t q u i r e d o n n e r a

    v i g u e u r à n o t r e race . E t N e n u p h a r e ( e n s o n i m m e n s e

    sagesse , m e l ' a d ' a i l l e u r s c o n s e i l l é . »

    « Q u e l p r o j e t ? » i n t e r r o g e a G u e l s h .

    « J e v e u x é c h a n g e r P a t a , l a p l u s m a l i n g r e d e m e s

    filles, c o n t r e u n e b e l l e p e t i t e G a u l o i s e q u e n o u s é d u -

    q u e r o n s à n o t r e m o d e . E l l e s e r a R e i n e a p r è s m o i e t s o n s a n g r é g é n é r e r a l a t r i b u d e s nains . . . »

    « C o m m e n t f a i r e ? » d i t l e P r i n c e c o n s o r t , e n

    s ' a r r a c h a n t les p o i l s d e b a r b e q u i c o m m e n ç a i e n t à b l a n c h i r .

    « F a i s - m o i c o n f i a n c e e t s u i s - m o i » , r é p o n d i t l a R e i n e .

    A l o r s ils e n v e l o p p è r e n t l a p e t i t e P a t a d a n s u n e p e a u

    d e d a i m , e t à l a f a v e u r d e l a n u i t , i ls q u i t t è r e n t l e p a l a i s

    ( Déesse adorée par les nains.

  • à p a s d e c h a t . A l ' é c u r i e i l s s e l l è r e n t V é l o c e , l e p l u s

    r a p i d e d e l e u r s l é v r i e r s , l ' e n f o u r c h è r e n t e t t r a v e r s è r e n t

    l e b o i s s a c r é . U n h u l u l e m e n t g l a ç a l e u r s a n g e t V é l o c e

    a c c é l é r a s o n t r o t .

    Q u a n d i l s e u r e n t t r a v e r s é l e b o i s , l e s m a i s o n s

    d e s G a u l o i s s e p r o f i l a i e n t à l a c l a r t é d e l a l u n e .

    B a r a c a s a u t a d e s o n l é v r i e r a v e c l ' e n f a n t . « G u e l s h » ,

    d i t - e l l e , « a t t e n d s - m o i , e t s i t u n e m e v o i s p a s r e v e n i r ,

    n e m e c h e r c h e p a s . T u d i r a s à n o s f r è r e s q u e j ' a i

    d i s p a r u . »

    A l o r s , t r è s d o u c e m e n t , s a n s f a i r e p l u s d e b r u i t q u ' u n e

    p e t i t e s o u r i s , e l l e c o u r u t à l a p l u s p r o c h e c a b a n e . S o n

    c œ u r b a t t a i t f o l l e m e n t . P o i n t d e p o r t e . E l l e p o u v a i t

    e n t r e r . D e s c o r p s j o n c h a i e n t l e s o l .

    U n v i e i l l a r d p u i s s a n t r o n f l a i t s u r u n e l i t i è r e , s e s

    l o n g u e s m o u s t a c h e s e n c o r e d é g o u l i n a n t e s d e j u s d e

    s a n g l i e r . U n g r a n d h o m m e r o u x r e p o s a i t p r è s d ' u n e

    j e u n e f e m m e a u x l o n g u e s t r e s s e s . S u r u n e m i g n o n n e

    l i t i è r e à l a p a i l l e f r a î c h e , l e p o u c e e n g a g é t r è s l o i n d a n s

    l a b o u c h e , u n b e a u b é b é t o u t r o n d , t o u t b l o n d , t o u t

    r o s e , d o r m a i t p a i s i b l e m e n t .

    A l o r s B a r a c a X I I p o s a s a f i l l e d a n s l a m i g n o n n e

    l i t i è r e e t s e s a i s i t d u p e s a n t b é b é g a u l o i s q u i n e s e

    r é v e i l l a p o i n t . C o m m e i l é t a i t l o u r d , c e b é b é ! I l r o m -

    p a i t l e s b r a s d e l a R e i n e . E l l e e u t b i e n p e u r e n q u i t t a n t

    l a c a b a n e ; s o n p i e d h e u r t a u n o b j e t r o n d e t m é t a l l i q u e ,

    s a n s d o u t e u n b o u c l i e r q u i t r a î n a i t p a r l à , e t e l l e f a i l l i t

    t o m b e r . L e b r u i t f i t m u g i r l e v i e i l l a r d . P a r u n m i r a c l e

  • de volonté, la Reine se redressa et le vieillard, se retournant sur sa litière, continua des rêves agités.

    Épuisée, à demi étranglée par les bras du bébé gaulois, Baraca rejoignit Guelsh, fou d'anxiété, à l'orée du bois.

    Le malheureux labourait la mousse du talon et se rongeait l'ongle jusqu'à la lunule.

    « Te voilà. Enfin!» dit-il, la voix étranglée de sanglots. Après avoir attaché l'enfant sur l'arrière-train du

    lévrier, le couple royal s'en revint au petit trot. La petite Gauloise, car c'était bien une fillette, ne

    se réveilla qu'au Palais. Elle souriait avec une jolie fossette et faisait l 'admiration de ses trente-six nouveaux frères et sœurs qui l'appelaient « le Bébé Géant ».

    «C'est curieux», disait Witt, « elle est presque aussi grosse que le Prince consort, notre père, et elle ne marche pas. »

    « Quel appétit ! » disait Marjolaine. « Elle boit plus de lait que nous trente-six réunis.»

    Cette petite Gauloise était vraiment facile. Elle gazouillait sans cesse, tendait la main vers les fleurs et les oiseaux et riait pour un rien. Quand ses nouveaux frères lui chatouillaient l'oreille avec un épi, sa gaieté n'avait plus de bornes.

    L'après-midi, à l'heure de la sieste, alors que bêtes, gens et cigales reposaient au Palais, la Reine Baraca crut entendre au-delà de la forêt sacrée des sanglots

  • sourds. D'abord ce ne fut qu'une plainte continue, monotone, étouffée, puis la plainte devint plus haute, précise, déchirante.

    « Guelsh, mon Prince, n'entends-tu rien?» « Non, ma Reine, je n'entends que les feuilles de chêne

    qui bruissent dans le vent. » La Reine, le visage baigné de pleurs, se dressa sur

    son séant. « Guelsh, mon Prince, n'entends-tu pas des pleurs au

    loin? » « Non, ma Reine, que le vent dans les feuilles de

    chêne, ou peut-être, une plainte très vague, très loin- taine. Le petit de quelque louve qui aura perdu sa mère. »

    « Guelsh! je souffre comme une louve. Guelsh! c'est mon petit que j'entends, c'est Pata qui nous appelle.»

    En effet, c'était bien la pauvre petite Pata qui se réveillait dans la cabane en poussant des cris affreux. Ces géants de Gaulois l'affolaient. La jeune femme aux longues tresses s'évanouit en voyant son gros bébé blond transformé en un petit être brun, rabougri et pleurard.

    Quand elle revint à elle, la pauvre Gauloise fut per- suadée que c'étaient les esprits qui lui envoyaient cette épreuve. Alors elle soigna l'enfant avec tendresse, lui fit sa toilette, changea sa litière et lui donna du lait.

    Le bébé vagissait si fort que tout le village en était assourdi. Le grand-père gaulois, celui qui ronflait la

  • nuit de l'enlèvement, persuada sa bru que des sorciers avaient métamorphosé son enfant. Il accusait les nains au pouvoir magique qui vivent au-delà de la forêt sacrée.

    Cependant, la journée avançait, et Pata, rouge et convulsée, criait de plus belle.

    A la tombée de la nuit, quelle ne fut pas la surprise des Gaulois en voyant sortir de la forêt un petit chariot traîné par six lévriers richement harnachés. Couchée sur des peaux de bêtes, la petite Gauloise reposait en gazouillant. Derrière elle, Baraca et Guelsh chassaient les mouches pour se donner une contenance.

    Baraca se jeta aux pieds de la Gauloise. « Redonne-moi mon enfant, reprends le tien et par-

    donne-moi. » La Gauloise riait et pleurait à la fois en cajolant sa

    petite fille. En voyant ses parents, Pata cessa de pleurer. On

    la hissa sur le chariot et les lévriers, ventre à terre, regagnèrent la forêt. Ils étaient arrosés d'une pluie de cailloux lancés par les femmes gauloises qui gron- daient : «voleurs d'enfants, sorciers...»

    Le soir, les Gaulois revinrent de la chasse par petits groupes d'une dizaine d'hommes. Tout le jour ils avaient chassé le sanglier, l'ours et le renard. Dans chaque groupe, les plus vieux, les plus respectés, marchaient en tête d'un pas lourd et égal. De part et d'autre de leurs lèvres pendaient de longues moustaches grises.

  • Ensuite venaient les plus jeunes qui portaient sur une civière les victimes sanglantes.

    Ils étaient fourbus, mais heureux. La chasse avait été bonne.

    En arrivant près du village, les femmes et les enfants venaient à leur rencontre. Les femmes parlaient avec de grands gestes et semblaient très excitées. Arrivées près des chasseurs, elles caquetèrent toutes à la fois.

    « Les nains en chariot... l'enfant retrouvé... ont demandé pardon... des sorciers... lancé des pierres... les lévriers couraient...»

    Il fallut les faire taire et une seule d'entre elles fut priée de raconter l'affaire.

    Alors les hommes écumèrent de rage. Oubliant les fatigues de la journée, ils fourbirent leurs armes. Ils entonnèrent de furieux chants de guerre, bran- dirent leurs glaives qui resplendissaient aux derniers feux du soleil et quittèrent au pas de course leur village.

    Baraca XII et Guelsh redoutaient bien la vengeance des Gaulois.

    Aussi postèrent-ils des sentinelles dans le bois, des nains vêtus de feuillage qui faisaient le guet à la cime des arbres. Leurs yeux vifs ne se distinguaient pas de ceux des oiseaux.

    Les sentinelles ne restèrent pas longtemps dans le

  • bois. Chacune chevauchant son écureuil, elles sautèrent jusqu'au palais annoncer l'arrivée des Gaulois.

    La Reine Baraca fit preuve d'une maîtrise de soi peu commune. Elle organisait tout, prévoyait tout, assignait à chacun sa tâche sans affolement. Il fallait faire vite. On entendait déjà le grondement des Gaulois. Les nains entassèrent jarres, provisions et vêtements sur les chariots attelés aux lévriers et coururent de toutes leurs petites jambes vers le bois sacré.

    Quand, fermant la marche, le chariot royal quitta le village nain, on apercevait déjà les casques pointus de l'ennemi.

    « Dispersons-nous », criait dans le bois la Reine Baraca. « Plus nous serons dispersés, plus nous serons difficiles à atteindre. Nous avons de la chance d'être petits. »

    Les Gaulois, furieux de ne trouver personne, éventraient du pied les maisons, saccageaient à plaisir les jardins en terrasse soigneusement entretenus par tous les enfants de la tribu des nains.

    « Ils sont dans le bois sacré », cria le vieux chef gaulois. « Tous au bois sacré. » A leur galop se mêlaient des hymnes guerriers.

    Le bois sacré était silencieux et leur fit croire un moment à l'absence des nains, quand un Gaulois tomba en arrière avec un grand cri. Une fléchette de très petite taille, mais combien acérée, l'avait atteint au cœur. Les Gaulois regardèrent autour d'eux. Nul bruit dans les branchages. Ils ne virent qu'un écureuil grimaçant

  • au faîte d'un arbre. Quand ils lui décochèrent une flèche, l'écureuil était déjà loin.

    Alors ces guerriers si audacieux devinrent craintifs et tremblants.

    « Ce sont les esprits qui nous attaquent», dirent-ils en pleurant. « Nous voulons bien lutter contre les nains, mais nous sommes impuissants contre les esprits.»

    A peine avaient-ils prononcé ces paroles qu'une pluie de projectiles leur meurtrit le visage et les épaules : des cailloux tranchants, des liquides brûlants, des

    branches épineuses mêlées à des orties. Chaque pro- jectile n'était pas meurtrier en lui-même mais l'inten- sité de l'avalanche les aveuglait, les abrutissait, les meurtrissait. En même temps, des crochets de fer, actionnés par des mains mystérieuses, soulevaient les casques des guerriers. Ces mêmes casques lancés avec violence de haut en bas sur les crânes roux y faisaient d'affreuses blessures. Alors les Gaulois déguerpirent à toutes jambes dans la direction du village nain saccagé.

    « Les esprits ! » bégayaient-ils, « les esprits ! » Un des Gaulois, qui n'avait pas été blessé, revint

    sur ses pas en direction de la forêt. Il fit un tas de brin- dilles, chercha deux silex et mit le feu au bois. Quand il rejoignit ses compagnons, une longue flamme léchait un sapin. Le vent soufflait. La forêt tout entière se mit à crépiter et les arbres, tordus par la chaleur, brû- laient comme des torches. Alors commença la lente

  • agonie des nains dont les petites âmes montaient, montaient toujours plus haut avec d'effroyables gémissements.

    De la forêt sacrée, le feu gagna les terres habitées par les Gaulois, et tout le pays de Misoen fut trans- formé en cette région pelée, pauvre et pierreuse.

    «Désert comme Misoen», disent les vieilles gens du Dauphiné, et leurs yeux expriment une grande détresse.

  • Ce recueil, dont le paysage du Dauphiné forme le fond, avec ses montagnes, ses forêts et ses

    torrents, réunit vingt-trois histoires faciles à lire,

    rapides, bien menées. Depuis la légende d'Ufon le Dauphin et celle d'Abdul Jeid, le dernier émir,

    car le Dauphiné connut la domination arabe !

    jusqu'à celle de l'Epicier de Grenoble, en passant

    par l'épisode des Mandrins, ces fameux brigands, Luce Bosquet déroule sans peine le fil de ces histoires ou légendes qu'elle a rajeunies sans en

    flétrir la grâce populaire, sans rien enlever à leur. richesse originale.

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    CouvertureDANS LA MÊME COLLECTIONPage de titreCopyright d'origineUfon le Dauphin et ses frèresLe désert de MisoenQuatrième de couvertureAchevé de numériser