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    I S B N : 2 - 8 4 5 9 7 - 1 2 7 - 3I S S N : 1 6 3 3 - 5 9 7 XNumro onzeseptembre 200419 e

    C O N T R e T e M P

    Daniel Bensad

    Olivier Besancenot

    Stphane Bou

    Robert Castel

    Cdric Colier

    Phil ippe Corc u f f

    Samuel Johsua

    P i e r re Kha lfa

    Eustache Kouvlakis

    S a n d ra Laugie r

    Stphane Lavignotte

    Michal Lwy

    Lilian Mathieu

    Joan Nestor

    S y l vai n Pa t t i e u

    Philippe Pignarre

    L a u rence Pri me

    Stphane Rozs

    Sophie Wahnich

    Penser radicalement gauche

    7 C o n t re Te m p s l a rgie pour une nou vell e gauc he ra d i c a l ePar D aniel Bensa d et Phili ppe C orc u f f

    1 1 Les radicalits en questions (dossier coordonn par Philippe Corc u f f )

    1 5 M O UV E ME N T S S O C I A U X E T A L T E R M O N D I A L I S M E E N D B A T1 6 S y l vain Patti eu Expriences et pratiques des nouvelles

    gnrations altermondialistes2 5 P i e r re Khalf a Le mouvement altermondialiste,

    nouveau mouvement dmancipation3 5 Philippe CorcuffQuelques repres communs

    pour la galaxie altermondialiste4 4 Michal Lwy Ngativit et utopie

    du mouvement altermondialiste5 1 Lilian Mathieu Notes provisoires sur lespace

    des mouvements sociaux Des nouvelles mobilisations Nous sommes la gauche

    6 0 Samuel Johsua Le parti est une dentellire Partis et mouvements sociaux

    7 1 L A G A U C H E R A D I C A L E , A P R S LE S L E C T I O N S7 2 Eustache Kouvlakis Un nouveau cycle politique8 3 Stphane Rozs Penser la radicalit de la priode

    9 5 E NJ EU X DE S O C I T

    9 6 entretien avec Olivier Besancenot Ma gnration et lindividualisme La gauche radicale face de nouveaux dfis

    1 0 6 entretien avec Robert Castel Le nolibalisme, linscuritsociale et lavenir dun individualisme social-dmocrate

    1 1 7 Philippe CorcuffNocapitalisme et individualisme:en partant du Nouvel esprit du capitalisme et dE m p i r e

    1 3 0 Stphane Lavignotte Nos vies valent plus que la seulecritique de leurs profits

    1 3 9 D E S T R A D I T I O N S R E V I S I T E S

    1 4 0 Sophie Wahnich La Rvolution franaiseau pays des trains fantmes

    1 5 1 S a n d ra Lau gie r Les voix de lordinaire:penser la dmocratie radicale partirde Wittgenstein et Cavell

    1 6 2 Philippe Pignarre Pragmatisme et politique marxiste:fabriquer les questions que nous sommes capablesde rsoudre

    1 7 1 Cdric Colier, Joan Nestor et Laurence PrimeLimprialisme, maladie chroniquedu capitalisme Retour critiquesur une tradition critique

    xHSMIOFy971271z

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    C O N T R e Te M P Snumro onze, septembre 2004

    Penser radicalement gauch

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    CO N T R eT e MPnumro onze, septembre 2004

    Penser radicalement gauch

    CONTRETEMPS

    numro un, mai 2001Le retour de la critique sociale Marx et les nouvelles sociologies

    numro deux,septembre 2001Seattle, Porto Alegre, Gnes Mondialisation capitaliste et dominations impriales

    numro trois, fvrier 2002Logiques de guerre Dossier: mancipation sociale et dmocratie

    numro quatre, mai 2002Critique de lcologie politique D o s s i e r : Pierre Bourdieu, le sociologue et lengag e m e n t

    numro cinq,septembre 2002Proprits et pouvoirs Dossier: Le 11 septembre, un an aprs

    numro six, fvrier 2003Changer le monde sans prendre le pouvoir? Nouveaux libertaires, nouveaux communistes

    numro sept, mai 2003Genre, classes, ethnies: identits, diffrences, galits

    numro huit, septembre 2003Nouveaux monstres et vieux dmons: Dconstruire lextrme droite

    numro neuf, fvrier 2004Lautre Europe : pour une refondation sociale et dmocratiquenumro dix, mai 2004LAmrique latine rebelle. Contre lordre imprial

    numro onze,septembre 2004Penser radicalement gauche

    Les ditions Textuel, 200448, rue Vivienne

    75002 Paris

    ISBN: 2-84597-127-3ISSN: 1633-597XDpt lgal: septembre 2004

    O u v r age publ i avec le

    du Centre national

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    C O N T Re T eM P S numro o

    CONTRETEMPS

    Directeur de publication:Daniel Bensad

    Comit de rdaction:Gilbert Achcar; Hlne Adam; Christophe Aguiton; Antoine Artous; Daniel Bensad; SophieBroud; Sebastian Budgen; Vronique Champeil-Desplat; Sbastien Chauvin; Karine Clment;Philippe Corcuff; Lon Crmieux; Jacques Fortin; Janette Habel; Michel Husson; Bruno Jetin;Samuel Johsua; Razmig Keucheyan; Sadri Khiari ; Eustache Kouvlakis; Thierry Labica;

    Sandra Laugier; Stphane Lavignotte; Ivan Lematre; Claire Le Strat ; Michal Lwy;Alain Maillard ; Lilian Mathieu ; Philippe Mesnard ; Braulio Moro ; Sylvain Pattieu ; Willy Pelletier ;Philippe Pignarre; Isabelle Richet; Violaine Roussel; Michel Rovre; Sabine Rozier;Ivan Sainsaulieu; Catherine Samary; Patrick Simon; Francis Sitel; Josette Trat; Enzo Traverso;Emmanuel Valat; Sophie Wahnich.

    C ON T R e Te M P Snumro onze, septembre 2004

    7 C o n t re Te m p s l a rgie pour une nou vell e gauc he ra d i c a l ePar D aniel Bensa d et Philippe Corc u f f

    1 1 Les radicalits en questions (dossier coordonn par Philippe Corc u f f )

    1 5 M O U VE M EN T S S O C I A U X ET A L T E R M O N D I A L I S M E E N D B A T

    1 6 S y l vain Patti eu Expriences et pratiques des nouvelles

    gnrations altermondialistes2 5 P i e r re Kha lfa Le mouvement altermondialiste,

    nouveau mouvement dmancipation3 5 Philippe CorcuffQuelques repres communs

    pour la galaxie altermondialiste4 4 Michal Lwy Ngativit et utopie

    du mouvement altermondialiste5 1 Lilian Mathieu Notes provisoires sur lespace

    des mouvements sociaux Des nouvelles mobilisati Nous sommes la gauche

    6 0 Samuel Johsua Le parti est une dentellire Partis et mouvements sociaux

    7 1 L A G A U C H E R A D I C A L E , A P R S L E S L E C T I O N S

    7 2 Eustache Kouvlakis Un nouveau cycle politique8 3 Stphane Rozs Penser la radicalit de la priode

    9 5 E NJ EU X DE S O C I T

    9 6 entretien avec Olivier Besancenot Ma gnrationet lindividualisme La gauche radicaleface de nouveaux dfis

    1 0 6 entretien avec Robert Castel Le nolibalisme,linscurit sociale et lavenir dun individualis o c i a l - d m o c r a t e

    1 1 7 Philippe CorcuffNocapitalisme et individualisme:en partant du Nouvel esprit du capitalisme et dE

    1 3 0 Stphane Lavignotte Nos vies valent plus que la seulecritique de leurs profits

    1 3 9 D ES T R A D I T I O N S R E V I S I T E S

    1 4 0 Sophie Wahnich La Rvolution franaiseau pays des trains fantmes

    1 5 1 S a n d ra Lau gier Les voix de lordinaire: penserla dmocratie radicale partir de Wittgenstein et

    1 6 2 Philippe Pignarre Pragmatisme et politique marxiste: fabrles questions que nous sommes capables de rsoudre

    1 7 1 Cdric Colier, Joan Nestor et Laurence Prime Limprialisme,maladie chronique du capitalisme Retour critiqusur une tradition critique

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    i n t r o d u c t i o n

    Daniel Bensad

    Phi lippe Corc u f f

    C o n t r e T e m p s largie,pour une nouvelle gauche radical

    C o n t re Te m p sest ne en mai 2001, au carrefour des ra d i c a l i t s disions-nous.velle gauche radicale commenait percer la vieille crote de la (non-)dominante du march, de la technocratie et du cynisme politicien. Lement ouvrier classique re p renait des couleurs depuis les grves de lhivDe nouveaux mouvements sociaux se dployaient (sans-papiers, Droitment, mouvements de chmeurs, Act Up, etc.). De Seattle Po rto Al galaxie altermondialiste dfiait, aux quatre coins du globe, les Puissamonde dargent triomphant et de guerres. Sur le terrain lectoral, ce qcoutume dappeler lextrme gauche inquitait une gauche du cena t t e n t i ve ses dividendes lectoraux qu lavenir de la cit et de la p

    Un carrefour de radicalitsSe voulant un accompagnement intellectuel ce processus de radicsociale et politique, ContreTemps sest prsente ds le dpart commdlaborations plurielles et dchanges sur un quadruple plan:

    une rencontre entre des penses critiques de cultures et de traditiorentes (notamment entre des marxistes non dogmatiques et des soccritiques inspirs du travail de Pierre Bourdieu) ;

    une rencontre entre des courants militants et des recherches univers une rencontre entre des gnrations formes dans des contextes inte

    diffrents; une rencontre avec des travaux trangers inconnus ou mconnus en

    En un peu plus de trois ans et dix numros, ce pari ambitieux a coms i n s c r i resur le papier. On y a mis en parallle Marx et Bourdieu (aveM a u g e r, Stphane Beaud et Michel Pialoux ou Bernard Lahire), les th

    critiques de lheure y ont t discuts et publis (le sous-commandant MMichael Hardt et Antonio Negri, John Hollow a y, Alex Callinicos, tienne

    Jean-Marie Vincent, Daniel Colson, Franois Chesnais, Jean-Marie Yves Salesse, etc.), les questions de lcologie politique, du re n o u vpense libert a i re ou des menaces de lextrme droite ont t dfriche

    C O N T Re T eM P S numro o

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    La politique se fait au jour le jour, vue de prsent crivaitMerleau-Ponty dans Les aventures de la dialectique (1955), au trcontradictions, face des circonstances, que nous navons pas vonest pas question pour ContreTemps de se dtacher de cet ancrage cvivant de la politique pour se rfugier dans le ciel pur des ides tendent nous y engager les logiques acadmiques ou des politiquesolu incapables daffronter les relativits du temps. Mais demeure leproprement intellectuelle, de refonder une boussole pour nous aide

    orienter sur les mers houleuses des luttes sociales et politiques. Lalectoraliste de la gauche officielle, les yeux rivs sur les sondle mdiocre court terme des luttes des places , se rvle inapte en charge cette exigence de moyen terme. Et pourtant! Les barbarniennes ont marqu dfinitivement leur impasse avec la chute duBerlin en 1989. La social-dmocratie europenne sest enlise dans llibralisme, en participant au dmontage de ltat social quelle avaitgr dans laprs Seconde Guerre mondiale. Lcologie politique, dpotentialits alternatives, a du mal merger comme nouvelle forcepatrice, dans la priorit accorde aux arrangements politiciens par rllaboration dun projet de socit.Lenjeu est bien, cependant, la renaissance dune politique dmanpour le XXIe sicle. On peut considrer que le socialisme , dbarrasmultiples scories totalitaires et platement gestionnaires, constituelhorizon dune telle mancipation. Ou on peut faire lhypothse qutuel avenir mancip sera ncessairement p o s t - s o c i a l i s t e , dans les donnes de nouveaux dfis. Cela participe de notre dbat, plurcontradictoire. Mais une boussole renouvele pour la gauche radicalerefour des marxismes htrodoxes, des sciences sociales critiques, dvelles interrogations philosophiques et dune inspiration libert asadosser cet enjeu de civilisation.

    Un pluralisme sans confusionQui dit pluralisme ne dit pas obligatoirement confusion et clectismlespace de ceux qui se rclament de la gauche radicale, C o n t re Te m p une position singulire. Lexigence radicale de pre n d re les choses la

    comme notre connexion aux luttes politiques concrtes nous conduisenser certaines des voies aujourdhui pra t i q u e s:

    nous nous dfions de lhumeur anarcho-syndicaliste active dans vements sociaux pour des raisons fort comprhensibles de dsenments successifs vis--vis des forces politiques traditionnelles , car

    C O N T Re T eM P S numro o

    Un comit de rdaction ouvert de nouvelles sensibilitsCes dbats initis par ContreTempsont toujours t conus comme pluralistesdu point de vue des positionnements politiques et intellectuels de leurs pro-tagonistes. Toutefois, jusqu prsent, la revue tait principalement animepar des membres de la Ligue Communiste Rvolutionnaire, se reconnaissantdans la tradition marxiste (Gilbert Achcar, Christophe Aguiton, Antoine Artous,Daniel Bensad, Janette Habel, Michel Husson, Samuel Johsua, Michal Lwy,Catherine Samary, Josette Trat, Enzo Traverso, etc.) ou dans une filiation socio-

    logique critique (Philippe Corcuff, Claire Le Strat, Lilian Mathieu, Willy Pelletieret Patrick Simon). De nouveaux membres nous ont rejoints en chemin, commela politiste Sophie Broud ou lditeur Philippe Pignarre. Mais, avec ce onzimenumro, le comit de rdaction slargit de manire plus systmatique douzen o u velles personnes (la syndicaliste Hlne Adam, la juriste V ro n i q u eChampeil-Desplat, le militant altermondialiste tunisien Sadri Khiari, le spcia-liste de Marx Eustache Kouvlakis, la philosophe Sandra Laugier, le journa-liste colo-libertaire Stphane Lavignotte, les sociologues Alain Maillard etI van Sai nsaulieu, le chercheur en littra t u re moderne et contempora i n ePhilippe Mesnard, les politistes Violaine Roussel et Sabine Rozier, lhisto-rienne de la Rvolution franaise Sophie Wahnich). Et, trait significatif, la plu-part dentre eux ne militent pas la LCR; la majorit ne se reconnaissantdailleurs pas dans les outils marxistes. La radicalit politique et intellectuelleincarne par ContreTemps sefforcera de snoncer de manire plus radicale-ment pluraliste encore, dans les rfrences intellectuelles prises en compte.Cest dans cette perspective que ce onzime numro propose dvaluer lesenjeux intellectuels de la nouvelle gauche radicale mergente.

    Un contexte passionnant et difficileLa possibilit mme dune nouvelle gauche radicale constitue un pari ard u ,dautant que le contexte sest quelque peu dplac. Le mouvement alter-mondialiste sest consolid et largi. La pense unique nolibrale nergne plus sans partage, ses vidences se sont effrites, dautres voix sefont entendre. La traduction politique de la radicali t sociale res te pourt a n ten suspens. En France, lextrme gauche sest rvle fragile sur le plan l e c t o ral. Lhgmonie sociale-librale incarne par le PS connat une nou-velle embellie dans les urnes, malgr le discrdit que sa po litique ava i t

    connu il y a encore peu. Lextrme droite est toujours en embuscade de pro-bables dsillusions. Sur le plan international des nuages samoncellent. Lapolitique impriale a mricaine est devenue plus ag re s s i ve depuis le 11 s e p-t e m b re 2001. Face elle, des drglements ethnicistes et religieux se pro-pagent dangere u s e m e n t .

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    1 0 C O N T Re TeM P S numro on

    Les radicaliten questio

    Dossier coorpar Philippe C

    limpasse sur le rle des partis comme sur le rapport ltat, dans une logiquetrop exclusive d anti-pouvoir ou de contre-pouvoir ;

    nous ne pensons pas que le rattachement de lesquisse de gauche radicale une ex(ou future) gauche plurielle , toujours sous hgmonie sociale-librale, puisse tre autre chose quun supplment dme pour la seconde etun baiser mortel pour la premire.Mais nous voulons continuer dialoguer avec ces diffrents points de vue, carpersonne ne possde les clefs dun avenir autre et parce que le dbat ration-

    nellement argument demeure le meilleur moyen doprer des dmarcationsprovisoires entre courants intellectuels et politiques, dans la tradition dunrationalisme critique.

    Il est urgent de changer radicalement la socit.Il est urgent de redfinir les cadres intellectuels et politiques de la gauche duXXIe sicle.Il est urgent dapprendre la patience. contretemps.

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    i n t r o d u c t i o n

    Phi lippe Corc u f f

    Les radicalits en questions

    L es radicalits so c i a l es, inte l l ec t u e l l es et politiques se sont rveilles en Francele monde au cours des annes 1990. La galaxie altermondialiste en est sion ttonnante, fragile, multiforme et exubrante. travers ces rsistces nouvelles graines dutopie se cherche peut-tre un nouveau type dlit. Une radicalit qui aurait dfinitivement rompu avec les totalitariXXe sicle comme avec les vaines postures gauchistes pour se coltiner pquement la transformation du monde, en tant conscient des faiblessetion humaine. Cette radicalit, en germe dans le mouvement altermondiapas grand-chose voir, dans sa diversit mme, avec la caricature quef a i reun Alain Finkielkraut, qui lassocie ncessairement au manichismeplisme et la violence arbitraire1. Notre radicalit est plutt du ct de lacation du monde et de la fragilit des humains en lutte contre les oppqui tendent les craser. tre radical, pour Marx, ctait tymologiquemsir les choses la racine 2. Or, il y a plusieurs racines emmles dans miques sociales et historiques des relations humaines. Do le soucomplication, contre les rhtoriques simplificatrices empruntant, par eles voies intellectuellement pauvres du complot (du type les dfamilles , cest la faute aux mdias , etc.).Sur la voie de la complication, nous nous sommes dabord intresss calit sociale, telle quelle sexprime dans laltermondialisme et plus lales mouvements sociaux actuels. Dans cette partie intitule M o usociaux et altermondialisme en dbat , des points de vue divers sontts (ceux de Sy l vain Pattieu, Pierre Khalfa, Philippe Corcuff et Michal Lquestionnement dbouche sur le di fficile problme des ra p p o rts entre vements sociaux et les partis politiques, avec les textes de Lilian MathSamuel Johsua.Des partis politiques nous passons la sphre lectorale dans la seco

    tie consacre La gauche radicale, aprs les lections . Deux lectiques des rsultats dcevants des listes LCR-LO lors des dernires rgionales sont proposes par Eustache Kouvlakis et Stphane Rozdeux extrieurs ces organisations. Nos deux critiques tentent uneperspective historique des spcificits de la conjoncture politique.

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    M o u vements sociaet altermondialis

    en db

    1 Voir Alain Finkielkraut et Peter Sloterdijk,Les Battements du monde Dialogue,Paris, Pauvert, 2003.

    2 Dans Karl Marx, Pour une critiquede la philosophie du droit de Hegel

    (1e d.: 1844), trad. fran. dans uvres III,d. tablie par Maximilien Rubel,Paris, Gallimard, coll. Bibliothquede la Pliade , 1982, p.390.

    Mais une politique radicalement autre ne pourrait avoir de sens si elle n t a i tpas branche sur des Enjeux de socit , selon le titre de la troisime part i edu dossier. La question individualiste et lcologie politique se prsententcomme deux dfis majeurs. Dans un entretien, Olivier Besancenot sexprimesur les problmes de lindividualisme tra vers un point de vue gnra t i o n n e l .Il se risque une rflexion plus personnelle que ne lui permet pas habituelle-ment son rle de port e - p a role de la LCR. Ensuite, un entretien avec le socio-logue Ro b e rt Castel nous introduit aux dgts sociaux du nolibra l i s m e

    comme aux ra p p o rts complexes entre tat social et individualisme, en dessi-nant la possibilit dun individualisme social-dmocrate. Ce qui est alors endbat avec Castel, cest le degr de r f o r m i s m e ou de ra d i c a l i t dun telp rojet politique. Puis, Philippe Corcuff sintresse aux ra p p o rts entre indivi-dualisme et nocapitalisme, en partant du N o u vel esprit du capital isme (de Lu cBoltanski et Eve Chiapello) et dE m p i re (de Michael Hardt et Antonio Negri).Enfin, Stphane Lavignotte pointe les questions pro p rement civilisationnellesp o rtes par lcologie politique.Pour conclure ce dossier, on a voulu montrer comment des radicalits nou-velles ne peuvent pas tre cres ex nihilo, mais sont amenes puiser dansdes traditions intellectuelles et politiques souvent oublies. Do une qua-trime partie centre sur Des traditions revisites . Sophie Wahnich, pourla Rvolution franaise; Sandra Laugier, pour un fil dmocratique amricainqui va de Thoreau et Emerson Wittgenstein et Cavell; Philippe Pignarre, pourla philosophie pragmatiste de lAmricain John Dewey; et Cdric Colier, JoanNestor et Laurence Prime, pour le corpus des critiques de limprialisme, quise sont efforcs de les relire la lumire de notre prsent.Ce dossier livre seulement des pistes, partielles, prov i s o i res, plurielles,controverses et controversables, afin de penser radicalement gauche. Levide politico-intellectuel gnr par llectoralisme de la gauche social-librale, les langues de bois dorganisations, les simplismes gauchistes deceux qui font perdurer des petites boutiques de dnonciation ou les dogma-tismes paresseux nont gure de place dans cette perspective. Nous noussituons pleinement dans la tradition du rationalisme critique supposant lamise en dbat darguments contradictoires, pas de formules de marketing l e c t o ral, ni dinsulte s diabolis antes. Dautres numros de C o n t re Te m p sseront amens prolonger cette inspiration.

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    nous appart i e n t, en comparant avec les mouvements de jeunes de lannes 1960 et du dbut des annes 1970, la ncessit dun tempssion pour quun mouvement porte universelle () parti, tous les pvue, du centre : centre des villes, centre du savoir (les grandes univc e n t redu pouvoir (les enfants de la bourgeoisie), touche toutes les cola socit 3. Tandis que les activistes de Aarrg ! exprimentaient des pmilitantes fondes sur la dsobissance civile, des collectifs altermonse sont aussi forms dans la perspective du G8 de Gnes, en juillet 2

    collectifs re g roupaient organisations, groupes jeunes dAttac, Aarrg!ments politiques de jeunesse (JCR, Socialisme par en bas) et indivc o n t re-G8 de Gnes a constitu un vnement fondateur dans la dcpour beaucoup, des modes daction des Dsobissants italiens, et aula confrontation la rpression dtat. Les collectifs Va m o s ! (Vi ve lactune mondialisation des solidarits) et CLAG (Collectif lyonnais aprssont ns de cette mobilisation, et ont perdur par la suite, en panotamment aux contre-sommets de Bruxelles, de Sville, au contre-G8ou aux forums sociaux europens de Florence et de Saint-Denis.Ces collectifs crs autour dchances sont soumis un dcalage esphre dinfluence, notamment lors dchances qui mobilisent desde jeunes, et leur ralit militante, qui repose sur un nombre trs limitsonnes. Ces collectifs ont eu du mal structurer une activit permdurable et locale, dans les universits par exemple, sauf quand la bas

    lectif tait par exemple un collectif Attac-universit. Malgr quelquerussites militantes, ils ne sont pas parvenus faire natre un mosemblable celui des Dsobissants en Italie, mais plusieurs rsens qui peuvent catalyser des mobilisations importantes lors de prochances. Si les collectifs semblent aujourdhui marquer le pas, ce ndoute que provisoire. Les chances sont tout dabord moins nombreles grandes institutions internationales type G8 ou OMC essayent dautant que possible de se runir dans des lieux isols, du dser t du Qmontagnes canadiennes, qui rendent des manifestations dampleur dDautre part, la rptition des forums sociaux et des contre-sommconduire un sentiment de routine. Il faut cependant noter que des tlits et des rythmes trs divers coexistent: certains ont derrire eux unde plusieurs forums sociaux, voire mondiaux, tandis qu chaque

    chance de nouveaux participants vivent leur Seattle ou leur Ces rythmes diffrents entranent des questionnements et des attenrents selon lanciennet de la participation. Certains des anciens, sviennent moins dans les collectifs altermondialistes, ont diversinvestissement militant, et participent aux actions antipubs, aux c

    C O N T Re TeM P S numro on1 6

    M o u v e m e n t s s o c i a u x e t a l t e r m o n d i a l i s m e e n d b a t

    S y l vain Pa t t i e u

    Jeun e milit ant alter mond iali ste, h i s t o r i e n .

    Expriences et pratiquesdes nouvelles gnrationsa l t e r m o n d i a l i s t e s

    Dix ans aprs la rvolte zapatiste du Chiapas et lapparition du personnage du sous-com-mandant Marcos, six ans aprs Seattle et son alliance des dfenseurs des tor-tues et des syndicalistes, quatre ans aprs le procs de Jos Bov Millau ettrois ans aprs Gnes, le mouvement altermondialiste est confront un cer-tain nombre de questions sur ses perspectives. En France, ces interrogationssont particulirement visibles dans les remous qui ont travers lassociationATTAC, travers notamment la tentative de constitution de listes 100 % alter-mondialistes lors des lections europennes.Dans lHexagone, le mouvement altermondialiste, malgr la dimension inter-nationale dAttac, na jamais pris autant dampleur quen Italie. La jonction ave cles grandes confdrations syndicales na jamais t compltement ralise.S u rtout, il ny a pas eu, en comparaison avec lEspagne et lItalie, de mouve-

    ment large et durable dans la jeunesse, comme les Dsobissants italiens,mme sil ne faut pas par contrecoup surestimer les exemples italien et espa-gnol. Il faut aussi garder lesprit quen Italie, le mouvement altermondialistereposait sur des processus politiques antrieurs constitutifs didentits collec-t i ves fortes, fondes sur la mise en place des centres sociaux, et sur limpor-tance du courant a u t o n o m e . Le militantisme altermondialiste en France nep a rtait pas sur les mmes bases ni avec les mmes acquis ; il a pourtant permis de jeunes militants dentrer en politique, au sens non partisan du terme, etde faire leurs pre m i res expriences au sein du mouvement. Si le mouve m e n taltermondialiste tro u ve indniablement ses racines dans une histoire quiremonte au-del de 19942, il a constitu nanmoins une exprience fondatricepour ses plus jeunes participant(e)s, mme si certains dentre eux ava i e n tfourbi leurs pre m i res armes militantes lors du re n o u veau des mouve m e n t s

    sociaux des annes 1990 (Ras L Front, AC!, SUD, Act up, le DAL). Les pionniersen ce domaine ont t sans doute les militants dAarrg! (Apprentis agitateurspour un rseau de rsistance globale), rseau cr au dbut de 2001, principa-lement compos au dpart dtudiants de lcole normale suprieure deFontenay (actuellement Lyon). Christophe Aguiton notait, dans Le Monde

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    aussi en France par la dception engendre par la gauche de gouverde Mitterrand Jospin. De cette mfiance dcoule une volont de netenir aux discours et aux promesses, et de donner dans la pratique dede sa volont de changer les choses. Cest en ce sens quon peut comune exprience comme celle du Village intergalactique dAnnemasscontre G8 dEvian en juin 2003, qui a rassembl prs de 5000 persondant plusieurs jours. Lide tait de sopposer au G8 en proposant urience de vie collective, dans un village de tentes au milieu desafin de ne pas seulement sopposer par des modes traditionnels lades puissants de ce monde, mais de dessiner des pistes de vie alternavillage intergalactique reposait sur des principes dautogestion, dedes tches collectives, avec lorganisation de dbats et la prparattions anti-G8 en son sein. Des cantines militantes proposaient de la nbiologique prix cotant, un service dordre collectif tait organis.Une telle dmarche peut sembler nave, illusoire dans son efficacit, nop a rce quelle accrdite lide quil est possible de construire des esl i b e rt lintrieur mme du capitalisme sans re n verser ce systmevillage intergalactique tait compris comme un espace prov i s o i re, co zones dautonomie tempora i re s mises en place par les activistesaxons. Si une telle dmarche laisse cra i n d re le risque dun espoir troplac dans des l o t s de socit idale perdus au milieu dun mopiti, elle prsente lavantage dviter lautre face de la mdaille, qui me

    r vo l u t i o n n a i res et plus largement ceux et celles qui veulent changer lec e s t - - d i rele millnarisme, le mythe du g rand soir , seul momenlequel tout sera possible. Elle marque une volont radicale de changeet maintenant, dans les esprits et dans les corps, et veut pro u ver qudans le monde capitaliste il est dores et dj possible dagir selon unequi ne soit pas la logique folle du profit, du productivisme, de lautority a bien sr loin entre lidal et la ralit: des douches froides, des toilemiques fournies par les pouvoirs publics, des objets drobs dans ledes tches qui sont rparties plus ou moins bien et qui re p roduisent prles sexus issus de la domination masculine. Il est bien difficile de sede la socit dans laquelle on vit, mais ce qui compte est la volont de psymboliquement, un autre mode de fonctionnement, effectif ne seralespace dune semaine, et de s auto-org a n i s e r. Lide est aussi de co

    changer les choses par en bas, son chelle, ce qui peut tre pro b l m asi on en reste l, mais la gauche radicale doit rflchir concilier ces asplgitimes au re g a rddu bilan du sicle, avec lide de rupture, de rvo l u t Une telle volont sest retrouve lors du FSE de Paris-Saint-Denisvembre 2003, travers la constitution du GLAD (Globalisons nos lutt

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    dintermittents du spectacle, au rseau des No Vox (DAL, Droits devant),voire des partis politiques.Les considrations qui suivent ne sauraient donc prtendre rendre compte deltat desprit, si telle chose tait possible, de lensemble du mouvement alter-mondialiste. Elles consistent seulement tenter de retirer des expriences demilitantisme au sein de ces collectifs quelques lments utiles dans larflexion pour un nouveau projet anticapitaliste, pour le chantier dune nou-velle force, dun nouveau parti, la gauche de la gauche. Un certain nombrede militants politiques participent ces mouvements, y apportent un savoir-faire indniable, participent nourrir la repolitisation introduite par de telsmouvements, aprs la fin de lhistoire dcrte au dbut des annes 1990.Mais ils doivent enrichir galement leur rflexion de leur investissement ausein des mouvements altermondialistes, et tenter den faire profiter demanire collective leurs organisations respectives. crit par un militant de laLCR investi dans lassociation Vamos!, cet article vise dgager quelques-unsde ces aspects, sans prtendre la nouveaut: de nombreux thmes etaspirations remis au got du jour par le mouvement altermondialiste appar-tiennent des traditions plus anciennes. Cest le cas par exemple pour ladimension festive qui tient une place importante dans ces collectifs, qui ontorganis des festivals liant politique et concerts, lors du festival Charivari Paris ou de Traboulons le G8 Lyon: de telles aspirations lier aspects fes-tifs, sociaux et politiques taient dj prsentes dans les annes 1970. Du fait

    de leur dcouverte par de jeunes activistes, ces traditions exhumes appa-raissent parfois abusivement comme du bois neuf. Leur exhumation traduitcependant un esprit du temps sur lequel les organisations politiques de gaucheradicale auraient tort de faire limpasse, quelles ne doivent pas observer enspectateurs blass: elles doivent au contraire sen inspirer pour renouvelerleurs formes dorganisation et repenser leur stratgie et leurs thmatiques.Les remarques suivantes laissent de ct la prise de conscience globale (mar-chandisation, guerre, cologie, ingalits, questions de genre) lie aux th-matiques abordes par le mouvement altermondialisation, qui doivent biensr tre prises en compte par la gauche radicale, et se concentrent sur larti-culation entre thorie et pratique, sur les rapports la reprsentation et lahirarchie, sur le fonctionnement en rseau et sur les questions stratgiques.

    Un refus du dcalage entre thorie et pratiqueLes jeunes militants altermondialistes pro u vent une mfiance pre s q u e gnrationnelle envers la politique. Sans vouloir sillusionner et croire queles autres poques furent forcment plus p o l i t i q u e s , il sagit de compre n d recette mfiance, nourrie par la faillite des rgimes dits communistes , et

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    du plus de capital social ou culturel qui se proposent, et plus souvhommes que des femmes), la dcision fut prise de tirer au sort les dchaque jour! Ce type de fonctionnement peut faire sourire au premiemais tmoigne dune rflexion laquelle la gauche radicale doit se sosur les mcanismes de slection des reprsentants et des dirigeexemple. De tels rflexes de mfiance conduisent cependant des dds quil sagit de produire une parole collective, chacun ntant, dalogique, que le porte-parole de soi-mme. Ils permettent pourtant dune place aux individus, notamment ceux qui ne sont pas encartun syndicat, une association ou un parti, au sein du collectif: la plucollectifs type Vamos! ou le CLAG, crs au dbut comme des collectganisations, ont acquis une autonomie et ont permis dagrger de s iqui ne se sentent pas crass par le poids des orgas . Ils nvitenphnomnes de leaders naturels non lus qui parviennent sparce quils sont reconnus par tous. Reste quil y a nanmoins quelqde fondamentalement sain dans cette aspiration libertaire une dradicale, la rotation des tches danimation (avec la mise en place dtifs danimation tournants) ou de direction (mme si le termebonne presse), dont pourraient sinspirer la plupart des partis de gamme dextrme gauche, o les responsabilits importantes sont peges, o lide de limitation des mandats est prconise en ce qui conmonde parlementaire mais pas dans les directions des organisations

    Recherche du consensus, fonctionnement en rseauLorganisation du village intergalactique par barrios, par ples affcorrespond un fonctionnement qui a fait ses preuves lors dessommets. Le principe consiste rpartir lespace selon des regroupqui partagent les mmes objectifs et les mmes modes daction. Cepeut valoir pour le village intergalactique comme pour une manifestatde lencerclement dune zone rouge par exemple, il sagit de se partrues occuper en fonction du degr de confrontation avec les forces deou du type dactions symboliques envisages. Un tel fonctionnemendassocier des groupes ayant des modalits daction et des basesgiques trs diffrentes. La recherche du consensus est de mise lors dparation des initiatives, sans jeter danathmes et sans sectarism

    stendre plus longuement sur ce fonctionnement qui a t anaailleurs, et qui caractrise lensemble du mouvement altermondialisseulement les collectifs jeunes, il faut insister sur le fait quil permettravailler ensemble des groupes forts diffrents, des libertaires aux Otiennes, dans le rseau G8 Illgal qui a prpar la mobilisation d

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    actions de dsobissance!), espace qui devait fonctionner selon les mmesprincipes que le village intergalactique dAnnemasse. La ralit est bien diff-rente entre des champs savoy a rds ensoleills et un froid gymnase dupriphrique parisien en automne, et le GLAD na pas t un lieu de vie aumme titre que le village intergalactique : lautogestion y a t limite au petitnombre des organisateurs. Avec lide de participer au travail de rflexion duFSE mais den faire galement, comme cela avait t le cas au moment deFlorence, un lieu de luttes, il a constitu un cadre permettant dallier rflexionglobale et action locale, toujours dans lide de ne pas dissocier thorie etpratique. Parmi ces actions, loccupation de locaux dAir France pour protestercontre lexpulsion des sans-papiers dans les avions de la compagnie, et leblocage du MacDonald des Champs Elyses en soutien aux salari(e)s duMacDonald Strasbourg-Saint-Denis en grve depuis plusieurs mois. De tellesactions de dsobissance civile permettent, comme lencerclement des zonesrouges lors des contre-sommets, de faire la preuve, mme si elles ne sont quesymboliques puisque non-violentes, de notre dtermination, dune volontden passer sil le faut par lillgalit pour dnoncer lillgitime, de ne pas sentenir aux discours ou au rituel habituel de la manifestation. Leur caractreinternational, pendant les FSE ou les contre-sommets, dessine dailleurs denouveaux espaces de la manifestation4.

    Une mfiance de la reprsentation et de la dlgation

    Autre caractristique de ces collectifs altermondialistes, qui va de pair avec lamfiance pour la politique partisane : lexistence de fortes rticences vis--visde la reprsentation et de la dlgation. Daniel Bensad note souvent que lescontre-pouvoirs eux-mmes nchappent pas la question du pouvoir, linstauration de phnomnes de domination, voire de bureaucratisation. Untel rejet de la dlgation et de son possible pouvoir oppressif se comprendaisment, mais ne va pas sans poser de vritables problmes, ds lors quedlgation et hirarchie sont parfois confondues dans la mme dnonciation.Ainsi, la premire Assemble gnrale au dbut du village intergalactiquereste un souvenir mmorable pour beaucoup de participants. Le village taitp a rtag en b a r r i o s , quartiers qui reprsentaient des ples affinitairesdiffrents (cologistes, dsobissants, anti-guerre, ONG). Chaque jour lesbarrios devaient envoyer des dlgus qui se runissaient pour discuter

    de lorganisation du village et pouvaient prendre des dcisions. Dans le barriodsobissant, la premire runion pour lire des dlgus a tourn auburlesque quand il sest agi de dsigner les dlgus, qui devaient tournertous les jours. Afin dviter la reproduction de mcanismes de domination luvre dans les processus de dlgation (ce sont souvent ceux qui disposent

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    tions, et pour laquelle le modle de courroie de transmission imposPCF ses organisations de masse est devenu un repoussoir Argumenter dans ce cas strictement pour la rvolution contre le rfrevient tomber dans le hors sujet, mme si la radicalis des thcontre-pouvoir peut dboucher sur un ralisme lectoral. Jos Bov, le respect quon lui doit, a, malgr ses diatribes contre la vieille formen coma dpass selon ses dclarations de lt 2003, soutenu lapolitique de Georges Frche, baron du PS Montpellier, ds le premdes lections rgionales en 2004. Bien entendu cette position a tuelle, et lors des europennes Bov a exprim sa sympathie la fGrard Onesta, candidat des Verts dans le Sud-ouest, et Francis Wurdat PCF en Ile-de-France. Mais, plus gnralement, et sans prtendquer cette explication au cas de Jos Bov, le soutien lectoral de partisans de lanti-pouvoir aux formations politiques les plus comdans la gestion gouvernementale peut ne pas apparatre illogique:de toute faon il ny a rien esprer de la politique partisane, autapour le moins pire en esprant faire pression de lextrieur, par le mosocial. Cest sur la base de cette dsillusion par rapport au politiquencessaire et utile dargumenter pour la nouvelle gauche anticapitalque dans laffirmation dune identit rvolutionnaire (qui pose dbamme de la LCR6) face des rformistes qui de toute faon se sontde vraies rformes depuis bien longtemps. Si la gauche radicale doit

    son argumentation au dplacement des clivages, celui entre sociauxet anticapitalistes va certainement reprendre de la vigueur suite aux des dernires lections rgionales, qui permettent lex-gauche aprs la dfaite du mouvement des retraites et la politique de combpar le gouvernement Raffarin-Sarkozy, de se prsenter nouveau comdidate lalternance. Quoi quil en soit, sil y a un dbat avoir tenants de la thse de lanti-pouvoir, il est ncessaire de construire lement avec eux. Dans la pratique, il y a accord sur la ncessit de cole capitalisme, sur limportance des luttes et de leur autonomie. Dcollectifs comme G8 Illgal se ctoient et travaillent ensemble des mpolitiques et des adeptes des thories dHolloway. Un certain modetantisme hrit des annes 1970, o la moindre divergence prenait portions dramatiques et empchait tout travail en commun, est, d

    collectifs, largement dpass.Ces remarques ne constituent nullement une analyse exhaustive desdu mouvement altermondialiste, mais permettent seulement de mavant quelques principes sur lesquels se pencher pour apporter des pchantier de la construction dune nouvelle gauche anticapitaliste. Ces p

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    exemple, transform depuis en Rseau intergalactique. Bien entendu, il nefaut pas avoir une vision idyllique dun consensus qui stablit bien souventsur la base dun rapport de force implicite. De mme le fonctionnement enrseaux peut permettre la souplesse comme la dsorganisation et limpro-visation permanente. Reste que le modle des groupes affinitaires a unecertaine efficacit: lors des tentatives de blocage des routes qui menaient vian pendant le G8, un groupe affinitaire soccupait de constituer une chane traditionnelle tandis que des groupes plus mobiles tentaient decontourner le barrage policier. En cas de charge policire ou de jets de gazlacrymognes, ces groupes pouvaient se regrouper derrire la chane qui lesprotgeait. Tous ceux qui le souhaitaient pouvaient participer: autant ceux quidsiraient aller au plus prs des forces de lordre quun orchestre de sambaqui, derrire la chane, permettait de danser plus pacifiquement sa guise.Dans de tels mouvements, la figure du donneur de leon est juste titretrs mal accepte et mal comprise. Si une telle posture critique peut conduire une dispersion voire un clatement, elle constitue nanmoins un garde-foucontre les prtentions possder la vrit rvle et la seule ligne juste ,elle laisse une place salutaire au doute et aux exprimentations.

    Un renouveau des questions stra t g i q u es: le dplacement du clivage rforme-rvolutionvers le clivage pouvoir-antipouvoir

    La tentation de ceux qui regardent de loin les mouvements altermondialistes

    consiste les classer selon leur degr de radicalit, selon le clivage tradition-nel entre rformistes et rvolutionnaires . Une telle faon de voir leschoses r isque de plaquer des dive rgences l o elles nexistent pas, de ra b a t t rele dbat stratgique, qui existe dans les collectifs, l o il ne se place pas. Laconviction quun autre monde est non seulement possible mais aussi nces-saire constitue un point daccord gnral. La divergence porte sur les modali-ts prconises pour changer le monde, et sur la question de la politiquepartisane, du pouvoir comme lieu dont semparer. ce titre, rformistes etrvolutionnaires risquent fort dtre rangs dans le mme sac partisan ,face aux thories de John Holloway, par exemple, qui prconise de changerle monde sans prendre le pouvoir , et de multiplier les contre-pouvoirscomme autant danti-pouvoirs5. Bien sr, cette approche intellectualise etthorise ne touche quune minorit dactivistes, mais sa traduction quoti-

    dienne est largement rpandue: prendre le pouvoir ne sert rien, car cest lepouvoir qui vous prend. Cette thorie se nourrit de lchec des expriencescommunistes et de la dception des expriences sociales-dmocrates de typeLula au Brsil. Elle se nourrit aussi, en France, dune certaine tradition anar-cho-syndicaliste, dont la Charte dAmiens en 1906 a t lune des manifesta-

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    M o u v e m e n t s s o c i a u x e t a l t e r m o n d i a l i s m e e n d b a t

    P i e r re Khal fa

    S y n d i c a l i s t e , Conse il Sci enti fique dAT TA C .

    Le mouvement altermondialiste,nouveau mouvement dmancipation

    Lhypothse de ce texte est que le mouvement altermondialiste est la forme nouprend aujourdhui lorganisation de la lutte plurisculaire de lhumanson mancipation, cest--dire le combat contre toutes les formes detion des tres humains. Aprs avoir indiqu brivement le sens quil fner sa naissance, nous indiquerons les ruptures dcisives quil a accavec le mouvement dmancipation qui la immdiatement prcd, lement ouvrier. Enfin nous essaierons de voir dans quelle situation il saujourdhui.

    Une rupture dans les rapports de force mondiauxLe mouvement altermondialiste1 est apparu sur la scne politique innale lors de la confrence ministrielle de lOrganisation mondiale merce (OMC) Seattle la fin de lanne 1999. Cette apparition na pcoup de tonnerre dans un ciel serein e t, depuis le milieu des annes

    signes navaient pas manqu qui indiquaient un vritable tournant mobilisations contre le libralisme: 1994 au Chiapas, dcembreFrance, manifestation contre la dette Birmingham en 1998, manifeeuropennes contre le chmage, victoire sur lAccord multilatral sutissement (AMI) en 1998, etc. Spectaculairement concrtise Seatlalliance apparemment incongrue des sidrurgistes et des dfensetortues, lapparition politique de ce mouvement change la donne surfondamental: le systme fait dsormais lobjet dune remise en causesur une large chelle. Nous entrons donc dans une priode nouvelle2

    par la prsence politique lchelle mondiale dun mouvement qui pas sen prendre aux fondements mmes du capitalisme nolibrcontestation est en fait le produit de deux proccupations et dune eLexigence est dord re dmocratique. Lidologie librale se prsente a

    comme une naturalisation des processus conomiques. Le march et larence sont prsents comme un tat de nature que les gouverneles institutions internationales ont pour fonction de maintenir ou deselon le cas. Raffirmer, dans ce cadre, le fait que ce sont les peuplc i t oyens qui doivent dcider de leur avenir remet en cause les fon

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    1 Merci Cdric Durand, Vincent Gay,Ingrid Hayes, Florence Johsua, JeanKrivine, Lilian Mathieu et Julien Rochedypour leur relecture critique etbienveillante. La teneur de larticlenengage cependant que son auteur.

    2 ce propos, voir Jean-Gabriel Contamin, Les mobilisations altermondialistesavant les mobilisations altermondialistes:rflexions autour de lalignement descadres dinterprtation , et ricAgrikoliansky, De lanticolonialisme

    laltermondialisme: gnalogie(s)dun nouveau cadre daction collective ,textes pour le Colloque Les mobilisationsaltermondialistes , AssociationFranaise de Science Politique, Paris,3-5dcembre 2003.

    3 Christophe Aguiton, Le monde nousappartient, Paris, Plon, 2001, p. 173.

    4 Voir Danielle Tartakowsky, Le pouvoirest dans la rue, Crises politiques etmanifestations en France, Paris,Aubier, 1998, p. 229.

    5 Lire ce propos ContreTemps n6, Changer le monde sans prendrele pouvoir? Nouveaux libertaires,nouveaux communistes , fvrier2003,et la poursuite du dbat entre DanielBensad et John Holloway dansContreTemps n 8, septembre2003.

    6 ce propos, lire Florence Johsua,

    La dynamique militante lextrmegauche: le cas de la LCR , Cahiersdu CEVIPOF, n37, mai2004.

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    prexistaient au mouvement altermondialiste qui les a peut-tre remis au gotdu jour, au point que ces exigences sont ancres dans ltat desprit dunefraction significative des jeunes investis dans ces mouvements. Il est possiblede les regarder avec le regard blas de militants revenus de tout, comme desvieilles lunes ou des illusions naves et rcurrentes. Il est galement possiblede prter attention ces aspirations en les reconnaissant comme lgitimes,en interrogeant nos propres pratiques et habitudes, et en tenant compte dufait quelles constituent, avec tous leurs paradoxes, leurs ambiguts, incoh-rences et caricatures, les bases sur lesquelles une partie de la jeunesse sepolitise aujourdhui. Il serait dommage de ne pas tenir compte de ces exp-riences et de ces ttonnements dans nos modes de fonctionnement et nospratiques quotidiennes.

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    qui la prcd, le mouvement ouvrier, dont il intgre pourtant une gratie des proccupations et une partie des composantes.

    Un mouvement non classiste C o n t ra i rement au mouvement ouvrier, il ne sagit pas dun mouve c l a s s e , mais dun mouvement, se dnommant lui -mme c i t oye n,reprsenter lensemble de la socit. Cette situation sexplique dalchec historique du mouvement ouvrier que leffondrement de lURen vidence. Non seulement les salaris subissent cette poque dessociales considrables, mais celles-ci saccompagnent dune crise prop rojet de transformation sociale. Le capitalisme apparat triomphant ede lhistoire est officiellement proclame, le ralliement de la social-tie au social-libralisme actant cette situation. Le mouvement ouvrier adfait, non seulement socialement, mais aussi idologiquement. Lement altermondialiste se construira donc sur de nouvelles bases.Celles-ci sont donnes par la logique mme du dveloppement du capLe ra p p o rt conflictuel entre le capital et le tra vail na aucunement perdi m p o rtance et reste le moteur de luttes sociales dcisives. Cependanveaux terrains daffrontements apparaissent, lis lextension appare msans fin du rgne de la marchandise. Ce phnomne nest certes pas nomais cest son ampleur qui est ici re m a rquable. En effet, aprs la G u e r remondiale, laction du capital avait t borne et de nombreus

    ts sociales lui avaient, de fait, chapp. Pensons simplement au dve ment des services publics. La mondialisation librale, sur la base de lm o u vement ouvrier, apparat dabord comme la destruction des limiteslactivit du capital et la reprise, sur une chelle plus vaste, dun procm a rchandisation qui veut embrasser tous les aspects de la vie socialeelle-mme. La domination du capital ne se rduit pas la sphre des ra de production, mais vise la socit toute entire3. Cest ce phnomexplique largement le cara c t re non classiste du mouvement actueCe phnomne est rentr en rsonance avec le dveloppement de linlisme contemporain qui prsente des aspects minemment contradMarqu certes par le sceau du libralisme qui en dveloppe les aspplus rgressifs repli sur soi, cocooning, indiffrence aux autres, rengagements collectifs , il est porteur dune volont dmancipatio

    duelle qui pousse la responsabilit personnelle, un engagement qui se reconnat difficilement dans un appartenance collective, fut-classe . Cet individualisme, qui pose des dfis normes aux formes tnelles de militantisme, favorise une reprsentation non classiscombats sociaux et une implication personnelle citoyenne .

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    mmes du systme. La pre m i re proccupation est dord re social. Face uncapitalisme de plus en plus sauvage, qui aggra ve considrablement les inga-lits entre pays du Nord et du Sud et les ingalits dans les pays du Nord, laquestion sociale que le libralisme croyait avoir enfouie sous les dcombres dutotalitarisme sovitique refait surface. La seconde proccupation est dord recologique. Il apparat de plus en plus vident que le capitalisme laiss lui-mme, pouss par la logique du profit maximum, remet en cause les conditionsmmes de survie de lhumanit et de la plante. La crise cologiste nest plusre p o rte dans un futur lointain mais devient une donne immdiate. La conve r-gence de ces deux proccupations permet la naissance dun mouvement quia p p a rat demble htrogne. Il est le produit de la prise de conscience qu la racine de ces situations se t ro u vela mondialisation l ibrale qui pousse lestendances du capitalisme au maximum et enclenche un nouveau cycle de lam a rchandisation laquelle dsormais rien ne doit chapper.Htrogne dans sa composition, ce mouvement lest aussi politiquement.Schmatiquement, trois grandes orientations sy entremlent. La premire faitde ltat-nation le rempart contre les processus en cours. Elle insiste sur lecaractre politique des dcisions qui ont permis la mis en uvre de la mon-dialisation librale et sur le fait que les tats, notamment les plus dvelopps,ont encore des marges de manuvre non ngligeables. La seconde sefixe comme objectif une nouvelle gouvernance mondiale. Face des grandsgroupes dont la stratgie est demble mondiale, face la dimension globale

    des marchs financiers, il sagit de trouver les voies et les moyens dune rgu-lation lchelle de la plante. Cette orientation met laccent sur la rformede lONU et des institutions financires internationales. Enfin, une troisimeorientation souligne la ncessit de construire des rapports de force lchelle de la plante pour peser sur les politiques concrtes des gouverne-ments et des institutions internationales.Il est important de comprendre que ces trois orientations ne sont pas contra-dictoires et ne correspondent pas des courants politiques dlimits. Ellescohabitent souvent au sein de la mme organisation, voire dans chaque mili-tant. Selon les circonstances, laccent est mis sur tel ou tel aspect, sur telle outelle cible. Cest par exemple le cas dATTAC France qui peut la fois agir pourdes taxes globales et une rforme des institutions financires internationales,participer des mobilisations contre le G8 et mener une campagne contre le

    gouvernement sur la question des retraites.

    Un mouvement en rupture avec le passLe mouvement altermondialiste prsente des caractristiques indites qui lefont apparatre comme profondment diffrent du mouvement dmancipation

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    Il en va tout autrement du mouvement actuel dans lequel les dlimstratgiques ne constituent plus un objet de clivage et il est significces dbats aient sinon totalement disparu, du moins soient relsecond plan. Tentons une hypothse: cette situation signifie que lement a renonc, de fait, se poser la question du pouvoir et situe avson action dans la sphre des contre-pouvoirs. Il sagit par l, en codbats dides, campagnes dopinion et construction de rapports de peser sur les politiques menes, de faire en sorte que les socits tranales, les gouvernements et les institutions internationales soient otenir compte des exigences des mouvements sociaux. Bref, il sagit dformer la ralit sans passer par lpreuve de lexercice de respongouvernementales. Lobjectif est donc de mobiliser la socit pour des alternatives ou dfaut de faire en sorte de mettre un coup daoffensives librales. Dans ce cadre, des orientations et des pratiqurentes peuvent tout fait cohabiter, des voies multiples tre explorterrains disparates occups. Lutter par exemple pour le dveloppecommerce quitable, labolition de la dette, les taxes globales, lesociaux, les normes cologiques nest pas en gnral le fait desacteurs, mais ces combats apparaissent comme complmentaires, copour remettre fondamentalement en cause le modle nolibral et padun mouvement rel qui abolit ltat actuel des choses 5.On le voit, le mouvement altermondialiste fait donc de la politique ma

    terrain diffrent de celui des partis politiques, ce qui rend compliquports avec eux, y compris avec les partis qui se considrent comme pnante du mouvement et en dfendent publiquement les ides. La ppartis est dailleurs lobjet dun dbat sans fin dans le mouvemepose chacune de ses initiatives. Choisir le terrain du contre-pcependant un prix politique. En se contentant de ce rle, le mouvememondialiste fait la part belle aux partis qui, implicitement ou explicsopposent lui. Il ne se donne pas les moyens de sortir de lalternatique entre sociaux-libraux et ultra-libraux qui occupe la scne pdepuis un quart de sicle. Le dbat sur la traduction politique daltermondialistes est dailleurs rcurrent et les positions extrdiverses. Le mouvement altermondialiste pourra-t-il chapper unedclatement si cette question devient centrale? Rien nest moins s

    unit dans sa diversit sera probablement une question clef pour lav

    Un fonctionnement nouveauLa prise de dcision au consensus et le fonctionnement en rseau pede respecter la diversit du mouvement et de construire son unit. La re

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    Un mouvement de contre-pouvoir profondment htrogneDs sa naissance, le mouvement altermondialiste apparat compos dac-teurs qui dbattent et agissent ensemble partir de leurs proccupationsp ro p res. Il agglomre des organisations et mouvements ayant de s terra i n sd i n t e rvention clats, des histoires et des orientations politiques diff-rentes. Il sagit dun m ouvement profondment htrogne. Cette htro g -nit, loin dtre une faiblesse, est au contra i re une force. Il permet aum o u vement altermondialiste doccuper un large espace politique et dtrecapable dtre prsent sur de nombreux terrains de mobilisation sociale.Cette diversit est dautant moins un obstacle que le mouvement est uni surdeux ides forc e : les droits des tres humains les droits conomiques,sociaux, cologiques, c ulture l s , doivent lemporter sur le droit duc o m m e rce, de la concurre nce et plus global ement sur la l ogique du pr o f i t ;ce nest ni aux marchs ni aux institutions financires, mais aux peuples dedcider de leur ave n i r.Par certains cts, le mouvement altermondialiste ressemble lAssociationinternationale des travailleurs (AIT) qui regroupait des acteurs trs divers,organisations politiques, mutuelles, associations de prvoyance, syndicats.LAIT clatera sous limpact de la Commune de Paris et du dbat entre Marx etBakounine. Plus gnralement, le mouvement ouvrier sest constitu sur labase de dlimitations stratgiques fortes, lies plus ou moins de grandsvnements historiques : Commune de Paris, guerre de 1914 et rvolution

    russe, triomphe du stalinisme, rvolution cubaine, chinoise. Ces dlimitationsstratgiques ont entran le mouvement ouvrier dans une suite de divisionssuccessives entre marxistes et anarchistes, sociaux-dmocrates et commu-nistes, trotskistes et staliniens, maoistes et rvisionnistes, etc.Ces divisions taient loin dtre artificielles et ont correspondu des orienta-tions politiques profondment diffrentes et probablement inconciliables carelle se concentraient sur la question du pouvoir. Le mouvement ouvrier visaitexplicitement la conqute du pouvoir ou tout au moins son occupation4.Do limportance prise historiquement par les dbats stratgiques sur laquestion du rapport ltat et aux institutions, sur la place des processuslectoraux, etc. Ces dlimitations stratgiques, notamment le dbat autour de rforme ou rvolution, taient structurantes et ont produit une culture poli-tique de laffrontement dans laquelle les divergences au sein du mouvement

    taient souvent considres plus importantes que la lutte contre lennemicommun. Faire du pouvoir politique le point nodal oblige soumettre toutesles autres activits politiques cet objectif. Se met ainsi luvre une logiquedhomognisation politique porteuse dclatement, car correspondant desdlimitations stratgiques antagoniques.

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    O en est-on?Nous sommes aujourdhui dans une situation paradoxale. Loffensiverale se poursuit. Quelle que soit la couleur politique des gouvernemmme logique librale est mise en uvre: attaqu e sur les droits baisse du cot du travail, dveloppement de la prcarit, drglemenprivatisations des services publics, remise en cause de la protectionrestructuration permanente des entreprises, etc. Mais cette offedploie dans une situation o le capitalisme nolibral traverse aujune triple crise de lgitimit.Une crise du modle dabord. Lclatement de la bulle financire et lement de la nouvelle conomie ont dtruit de fond en comble le paradlequel stait construit la mondialisation librale: nouvelles technmonte continue des cours de la Bourse, ouverture des marchscenses permettre un enrichissement permanent au bnfice du plunombre. On voit ce quil en est advenu. Cette crise du modle nolidouble ensuite dune crise spcifique du type de dveloppement prninstitutions financires internationales, que ce soit le FMI ou la Banqdiale: la situation en Argentine et plus globalement dans toute lAlatine, sans mme parler de rgions totalement laisses pour compteen Afrique, a mis en vidence lchec des politiques dajustement strudun modle de dveloppement bas sur limmersion totale dans lemondial. Une crise de gouvernance enfin avec le comportement d

    des diffrents acteurs du systme nolibral, rvl lors daffaires tdes entreprises prsentes comme des fleurons du capitalisme triomlchec de la runion de lOMC Cancun.Cette crise de lgitimit commence produire ses effets au sein mclasses dominantes. Les fondements du capitalisme nolibral dodu capital financier bas sur la libert totale de circulation des clouverture des marchs et le dveloppement du libre-change , ne c e rtes remis en cause, mais le dbat est ouve rt sur une re c o n f i g u ration de son fonctionnement8. La mondialisation librale sest effectuedirection des tats-Unis. Lintervention en Irak visait, au-del de cotions gostratgiques, mainmise sur le ptrole irakien, remodelargion , raffirmer le droit des tats-Unis conduire les affaires duElle a, de fait, aggrav les contradictions entre les grandes puis

    Limpasse dans laquelle elle se trouve entame srieusement la crdlhyperpuissance amricaine.Des transformations en profondeur sont donc luvre. Loin dtrem o u vement actuel de lutte contre la mondialisation librale nest que la plus avance des volutions en cours dans les socits produites pa

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    du consensus ne doit pas tre comprise comme celle de lunanimit ou du pluspetit dnominateur commun. Il sagit au contraire dun processus dynamiquequi privilgie la confrontation des points de vue pour dboucher, partir despositions en prsence, une position satisfaisant le plus grand nombre. Alorsque le vote implique lexistence dune majorit et dune minorit et aboutit engnral cristalliser les clivages, le fonctionnement au consensus permet deles dpasser.Mais ce type de fonctionnement suppose que deux conditions soient rem-plies. Il faut dabord accepter de perdre du temps, car le dbat politique prenddu temps et ici lefficacit nest pas synonyme de rapidit. Il faut aussi tre lcoute des positions des autres et dune certaine faon tre en empathieavec elles pour pouvoir construire le compromis ncessaire qui na pas seu-lement trait une position intellectuelle, mais une prdisposition dme,une position qui met en jeu le domaine thique et motionnel 7. La recherchede convergences suppose non seulement la volont politique dy arriver, maisaussi le fait de dbattre de bonne foi. Cest donc une culture politique nouvellequi se construit voulant favoriser le fait que tout le monde puisse avancerensemble plutt que la reproduction des clivages et laffirmation des posi-tions. Ce nouveau mode de comportement nest cependant jamais dfinitive-ment acquis et repose pour beaucoup dans la confiance que peuvent avoirentre eux les acteurs participant au processus. Il sagit donc par dfinitiondune chose fragile.

    Ce mode de fonctionnement permet de faire cohabiter des organisationsreprsentant des ralits diverses allant de plusieurs centaines de milliersdadhrents dautres de taille plus modeste. Cependant, il ne faut paslidaliser lexcs. La recherche du consensus ne fait pas disparatre les rap-ports de forces et souvent il se construit entre les organisations les plusimportantes prsentes dans le mouvement. Il peut tre donc porteur dunrisque de frustration et de marginalisation de ceux qui peuvent estimer queleur point de vue nest pas pris en compte. Le consensus peut donc avoir lef-fet inverse celui recherch, exclure au lieu dintgrer. L aussi, il ny a pas desolution miracle. Seuls le dbat politique et la volont dinclure tout le mondepeut permettre de dpasser les situations difficiles.Des remarques similaires peuvent tre faites au sujet du fonctionnement enrseau. Si celui-ci permet le dveloppement dactions autonomes et une plus

    grande capacit dinitiatives du mouvement, cette souplesse se paie dunfonctionnement souvent peu lisible, peu transparent quant aux lieux de dci-sions et donc porteur dune insatisfaction rcurrente. Il apparat souvent peudmocratique notamment des organisations habitues un mode de fonc-tionnement bas sur le mandatement et le vote majoritaire.

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    1 Nous employons volontairement icile terme altermondialiste mme si ce

    terme est dutilisation plus rcenteet que le mouvement tait, lpoque,dfini, surtout dailleurs par sesadversaires, comme antimondialiste.Sur la signification du passage de lanti lalter, voir plus loin.

    2 La naissance dATTAC France enet la croissance exponentielle d

    effectifs pendant quelques annparticipent de ce changement d

    3 On voit par l combien tait (faunave lanalyse de Lionel Jospindistinguant conomie de marchet socit de march.

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    et lespoir quun autre monde est possible. Mais il na pu peser fondlement sur les politiques des gouvernements et sur celles des insinternationales. Mouvement de protestation lorigine, il na pas tde transformer rellement la situation existante alors mme quil reune sympathie grandissante dans les opinions publiques. Cette nourrit la tentation des raccourcis, notamment lectoraux.Contrairement une opinion souvent rpandue, ce ne sont pas les tions alternatives qui manquent. Elles existent dans nombre de domme si un travail de cohrence reste faire et sil y a ncessit

    deviennent un corpus accept par lensemble du mouvement. Le probcelui de la stratgie du mouvement ou plutt de sa capacit en sec e s t - - d i redtre capable de focaliser son action sur des cibles qui peles mobilisations les plus larges. Un bilan de lAssemble des mouvsociaux11 qui sest tenu dans le prolongement du deuxime Forum socpen permet la fois de noter les avances et den mesurer les limides discussions de prparation du FSE, un accord avait t trouv surdonner une place importante aux questions europennes. Cela sest la fois dans le programme du FSE et dans lappel de lAssemble desments sociaux qui contenait une prise de position sur le projet de consMalgr cette avance, il a t impossible de mener rellement une caeuropenne sur ce point et encore moins de construire une mobillchelle du continent.

    Le triomphalisme nest donc pas de mise. Le mouvement altermondiun mouvement jeune dont on ne peut attendre quil puisse rsoudrepar miracle des problmes dune grande complexit. Il a dj connu lutions notables, passant du refus toujours ncessaire du monde actufirmation de plus en plus nette de lexistence dalternatives. Il maintenant construire les stratgies ncessaires pour faire passerdans la ralit et tenir ses promesses dtre le mouvement dmandont lhumanit a besoin. Cest dire que le plus dur reste faire.

    de la dcennie glorieuse du libralisme dont lchec est maintenant patent.Cette prise de conscience amplifie par les grandes chances de mobilisationinternationale et limpact des Forums sociaux conforte la force critique du mou-vement et a permis lmergence dun espace de dbat public mondial. Est ainsien train de se constituer un embryon dopinion publique mondiale qui surd -termine sur certaines questions (cologie, dette, OMC, etc.) les volutions desopinions publiques nationales. Les thmes ports par le mouvement re n t re n tainsi en rsonance avec les proccupations des opinions publiques. Ce lien lopinion a t son succs le plus important. Les dogmes libraux ont t bat-

    tus en brche, mettant ainsi la pense dominante sur la dfensive. Le passagedel a n t i m o n d i a l i s a t i o n l a l t e r m o n d i a l i s a t i o n c o r respond cette phase nou-velle dun mouvement loffensive idologique et capable de commencer t reporteur dalternatives. Dans ce cadre, le rle central du mouvement alter-m o n d i a l i s t e9 dans la lutte contre la guerre a re n f o rc son lien des opinionspubliques massivement hostiles lave n t u re de ladministration Bush.Cette situation explique llargissement continu du mouvement et lagrga-tion de forces nouvelles. Ainsi par exemple, lors du deuxime Forum SocialEuropen Paris/Saint-Denis, des associations issues de limmigration, desorganisations appartenant lconomie sociale et solidaire et des associa-tions environnementalistes se sont, chose nouvelle, fortement impliques.Mais la prennit de leur prsence reste pose. La place du mouvement syn-dical traditionnel dans ce processus est incertaine. Ceux qui ont fait le choix

    clairement assum daccompagner les politiques nolibrales lui sont fonda-mentalement hostiles et risquent dentraner dans cette voie les forces quihsitent. Le positionnement de la Confdration europenne des syndicats(CES) est cet gard rvlateur. Si la CES participe aux Forums sociaux, encoreque de manire trs ingale, il a t impossible de discuter de la possibilitdorganiser des mobilisations communes10, ni mme davoir un dbat de fondavec elle. Cet largissement reste donc fragile et pose des problmes nou-veaux. Car plus le mouvement slargit, plus il devient difficile dlaborer unestratgie qui soit commune tous, plus le respect de la diversit peut aboutir la paralysie ou, au contraire, plus la tentation est forte de passer outre pourdes raisons defficacit avec le risque dclatement que cela entrane.Quoi quil en soit, ce dbut de reconqute des esprits, pour fragile quil soit,est dune importance considrable pour lavenir. Il est la base du dveloppe-

    ment du mouvement, de son enracinement, de son caractre durable et de lapossibilit de crer des rapports de force qui permettent de peser sur le rel.Car, et cest l le point fondamental, malgr les points marqus sur le planidologique, le mouvement na pas t capable denrayer vraiment loffensivelibrale. Le mouvement a exprim dabord le refus r adical de ltat du monde

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    4 La distinction entre occupationet conqute du pouvoir est faite en 1936par Lon Blum.

    5 Cest ainsi que Marx et Engelsdfinissaient le communisme dansLidologie allemande (1845-1846): Pour nous, le communisme nest pasun tat de choses quil convient dtablir,un idal auquel la ralit devra seconformer. Nous appelons communismele mouvement rel qui abolit ltat actueldes choses. Les conditions de ce

    mouvement rsultent des donnespralables telles quelles existentprsentement. (d. fran. tablie parM. Rubel, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque de la Pliade ,uvres III, 1982, p.1067).

    6 La prsence, aux lections europennes,de listes 100 % altermondialistesimpulses par une partie de la directiondATTAC France confirme cet te analyse.Au-del mme du fait que ces listes furentconcoctes en secret dans le dos delassociation, lintensit des dbatsquelles ont suscits montre quel pointla question lectorale peut tre porteusedune forte dynamique dclatement.

    7 Nadia Demond, dans louvrage collectifO va le mouvement altermondialisation ?

    Paris, La Dcouverte, 2003, p. 52.8 Au-del des positions dun Georges Soros

    ou dun Joseph Stiglitz qui peuventapparatre comme des marginaux dansleur propre camp, la politique rcentede Tony Blair mrite lattention. Sans ledire, il a appliqu depuis trois ans desrecettes keynsiennes classiques avecun bond fantastique des dpensespubliques, une consommation desmnages soutenue par des haussesde salaires nettement suprieures lazone euro et un taux dpargne en baisse,beaucoup plus faible quen France eten Allemagne (voir lexcellent dossierdAlternatives Economiques de mai2004).De mme, les critiques rgulires demondialisation librale faites par Jacques

    Chirac, ses propositions de taxes globalesne peuvent simplement tre rduites la dmagogie (indniable)du personnage.

    9 Rappelons pour mmoire que la datede manifestation mondiale du15 fvrier 2003 fut discute lors duprocessus de prparation du ForumSocial Europen de Florence, acte lorsde celui-ci au niveau europen et adoptdfinitivement Porto Alegre lorsdu Forum Social Mondial qui a suivi.

    10 En Allemagne cependant, le mouvementsyndical et le mouvement altermondialiste,et notamment ATTAC Allemagne,ont organis ensemble des fortes

    mobilisations contre la politiquegouvernementale.11 LAssemble de mouvements sociaux

    regroupe, lors dun Forum social,les organisations qui veulent dciderde mener ensemble un certain nombrede campagnes.

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    M o u v e m e n t s s o c i a u x e t a l t e r m o n d i a l i s m e e n d b a t

    Phi lippe Corc u f f

    Po l i t i s t e , Institu t dtudes politiq ues de Ly o n , Consei l scien tifique dAT T

    Quelques repres communspour la galaxie altermondialiste

    Ce qui fait lune des riches s es principales du mouvement alte r m o n d i a l i s te en gd ATTAC en part i c u l i e r, cest la diversit. On ne peut craser cette divele mot dord re de l u n i t , sans risquer de sombrer dans la vieille homognisante, comme avant, et dtre alors emports, comme les aula dlgitimation des anciennes faons de faire du collectif. Aujourdhutage que du vo c a b u l a i re de l u n i t et de l u n i f i c a t i o n , nous avondu vo c a b u l a i re plus souple de s c o n ve rg e n c e s et des c o o rd i n a t i o n s, metcent sur le tra vail ncessaire pour ra p p rocher les analyses, les identiintrts, sans craser les diffrences, plutt que dimposer une ligne(une anti- pense unique unique). Dans cette perspective, on ped a vancer vers des formulations communes quant au dcryptage des ela priode et vers des re p res partags afin de sorienter pratiquement luttes et les exprimentations) sur des chemins conve rg e n t s .

    Les quelques lments que je livre ici constituent ma contribution au Conseil Scientifique dATTAC France propos de la question Quelledynamique pour ATTAC? . De cette discussion du Conseil Scientifiqunatre des propositions collectives faites aux instances dlibratives dans le cadre gnral dune interrogation sur le contenu dune v nouvelle dynamique qui concerne plus largement lensemble dessantes de lassociation. Cette version de ma contribution tient comchanges qui se sont drouls lors du sminaire du Conseil Scientsamedi 27 mars 20041.

    Je proposerai donc quelques pistes schmatiques afin de nourrir unetion collective. Je partirai dun entretien accord par Bernard Cassedent dhonneur dATTAC France) au Figaro et publi le 8 octobre 200titre Socialistes et communistes ont puis leur force propulsive

    semble constituer un des textes disponibles les plus synthtiquesla caractrisation des artes de notre situation politique. Bernard Cavance une srie de propositions fondamentales, lcart des polpoliticiennes2, susceptibles de constituer des coordonnes communchoisi un texte de Bernard Cassen, cest quen dehors des qualits de

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    ce document, son auteur occupe aujourdhui une position dans lespace poli-tico-intellectuel assez loigne de la mienne3. Cet loignement est justementun bon test pour formuler des repres communs, malgr les divergences.Reprenons donc les axes de lentretien de Bernard Cassen:

    1) L es grands mouvements mancipateurs du XXe sicle,la s o c i a l - d m o c ratie et le communisme, semblent avoir puis leur forcep ropulsive et perdu leur assise populaire .

    Un tel constat ouvre une nouvelle priode politique post-socialiste et post-

    communiste, et mme post-rpublicaine (si on prend en compte lpuisementde la force propulsive de lmancipation rpublicaine qui a germ partir duXVIIIe sicle), du point de vue de lmancipation individuelle et collective (cest--dire de larrachement aux diverses oppressions). Pourtant, une nouvellefigure de lmancipation ne pourra tre cre ex nihilo, et devra alors puiserdes ressources dans les traditions existantes:

    dune part, dans la tradition rpublicaine: autour des questions de la citoyen-net, de la volont populaire, de lespace public et de la lacit, bref des exi-gences dmocratiques;

    et, dautre part, dans les traditions social-dmocrate et communiste: autourde la question sociale (et donc du combat contre les ingalits et pour la jus-tice sociale, et ce galement dans les rapports internationaux en hritant descombats tiers-mondistes) comme de lorientation anticapitaliste (qui associait

    au dpart les deux traditions, mais qui a souvent t perdue en chemin par lapremire et frquemment dvoye par la seconde).Mais les ressources puises dans ces deux traditions devront tre passes aucrible de la critique, tout en innovant face aux dfis renouvels du temps. Onpeut retenir, de manire non exclusive, au moins cinq de ces principaux dfisrenouvels:

    La question individualiste(cest laspect le plus tra vaill dans ma pro p re acti-vit de re c h e rche, la croise de la sociologie, de la philosophie et de la poli-t i q u e4, et donc sur lequel jai davantage dclairages apport e r ): les socitsoccidentales connaissent un long processus dindividualisation depuis laRenaissance notamment. Cette individualisation sest acclre et a pris desformes nouvelles depuis les annes 1960, dabord aux tats-Unis, puis dans lessocits europennes, en touchant aussi de faon contraste les socits du

    Sud. Cet individualisme contemporain est le produit dune pluralit de logiquessociales en intera c t i o n: logique conomique de lindividualisme marc h a n dapprofondie par le nolibralisme et le management nocapitaliste ces dernire sannes, logique politique de lindividualisme dmocratique, dynamique juri-dique des droits individuels ou logiques socitales associes aux tra n s f o r m a-

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    tions de la famille et de lintimit, notamment. Cet individualisme corain rvle tout la fois des aspects rgressifs (corrosion du lien sociavelles pathologies narcissiques) et des aspects mancipateurs (larg des marges de libert des individus dans la vie quotidienne ou dve l odune intriorit personnelle). Il constitue alors un dfi pour le mouvealtermondialiste (part i c u l i rement en Eu rope) un triple nive a u:

    a) dans le combat contre lindividualisme nolibral (dans les nouveauxtifs dentreprise comme dans lunivers de la consommation ou du rapculture);

    b) p a rce que lindividualisation affecte les nouvelles formes dengcomme celles luvre dans le mouvement altermondialiste; ce quiinnover du ct des modes de militantisme;

    c) parce que cest aussi pour promouvoir lindividualit, mais une indsociale (fabriqu dans et par des relations sociales) et non pas mo(dans lisolement), que doit tre mis en cause le nolibralisme. Dede vue, un effort particulier doit tre fait pour que la critique altermodu monde libral ne snonce pas uniquement au nom des solidarittives dfaites (ce qui est juste, mais insuffisant), mais galement dune singularit individuelle crase par lhgmonie de la meschande des activits humaines. Lindividu ne doit pas tre laiss au nlisme. Lmancipation dont nous nous efforons de retrouver le cheindissociablement collective etindividuelle.

    La question cologiste: Il sagit en particulier de la ncessaire compte de la situation des gnrations futures comme des dgts plement irrversibles sur les conditions naturelles de la vie en communen jeu dans les choix daujourdhui. Ce qui nous oblige reformuler abandonner) lexigence de Progrs qui a marqu les traditionscaine et socialiste.

    La question fministe: Cela concerne la lutte pour lgalit des sexesproduit pour linstant que des avances partielles, et linvention de nrapports entre les genres.

    La question mondiale: Le cadre mondial est devenu plus opratoirecombat mancipateur quaux poques du cosmopolitisme des Lumilinternationalisme proltarien. Reste imaginer comment pourraiencer les relations entre les diffrents niveaux dintervention: local, n

    rgional et mondial. La question exprimentale: On est ici la re c h e rche dun nouvel quilila logique de la re vendication et celle de lexprimentation, ici et mainteformes nouvelles de vie, de tra vail et de dcision en commun. La traditiora t i ve du socialisme franais serait rinventer dans de nouvelles con

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    La hira rchie implique par le premier modle est devenue, fort heure u s einacceptable, aprs de multiples dconvenues historiques. Le second actuellement dune certaine humeur anti-institutionnelle luvre m o u vements sociaux. Mais un certain 21 avril 2002 a montr que, si lesles institutions politiques ne sont pas ncessairement le principal, on ade considrer quils ne sont plus rien. Au-del mme des enseignemec o n j o n c t u repolitique, une politique de la pluralit nexige-t-elle pas pcalement une mise en tension dune diversit dinstitutions non hira(syndicats, associations, formes dauto-organisation et partis). Po u vo n s

    alors nous mettre daccord sur le fait que la politique lectorale et insnelle re l ve rait encore exc l u s i vement des partis, mais pas la politiqueral (dont llaboration dun projet alternatif de socit)? Cette scne et institutionnelle ne doit certes plus tre envisage comme la principalpas dote dune position de s u p r i o r i t et de s u r p l o m b par ra pm o u vements sociaux, mais elle nest pas pour autant inutile. E t la redune nouvelle r u n i f i c a t i o n (par exemple, tra vers le lancement d a t u res lectorales altermondial istes se prsentant comme un pro l od i re c t des associations et des syndicats altermondialistes) ne mettraiten pri l le pluralisme institutionnel souhaitable au sein dun nouveau pd m a n c i p a t i o n ? Il faudrait peut-tre, de ce point de vue, redonner une Montesquieu : Pour quon ne puisse abuser du pouvo i r, il faut qudisposition des choses, le pouvoir arrte le pouvo i r 6. Se dessinerait, c

    un jeu infini de pouvoirs et de contre - p o u voirs, abandonnant dfin itivnostalgie de la construction dun grand t o u t prtendant englober ledes dimensions mancipatrices. De ce point de vue, on tro u ve ra davare s s o u rces intellectuelles dans la pense de l q u i l i b ratio n des ten siPro u d h o n7 ou dans le jeu infini des contradictions pro p res la dialectiM e r l e a u - Po n t y8 que dans le primat de l u n i t et de la synthse dans les traditions jacobine, hglienne, marxiste et lniniste.

    4) Donc, ou bien les partis hritiers du sicle dernier sauront capter ses idesou bien, terme, cette force trouvera obligatoirement une traduction politiquhors deux. () notre ambition, cest que nos ides soient au pouvoir. Et ces peuvent arriver au pouvoir par dautres que nous. Je ne pense pas une secondque nous allons nous transformer en parti politique. Cela ferait exploser ATT

    dont les membres ont dailleurs des engagements trs diffrents. ATTAC sefforce donc de faire v ivre un autre ra p p o rt la politiquersistance citoyenne, par la critique sociale, par la contre - p roposition, pcation populaire et par lexploration pluraliste dun nouveau projet dmtion. La politique ne re l ve pas du monopole des partis, qui nont aucu

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    2) Le mouvem ent cologiste na pas re mpli les pro m es s esque lon aurait pu fonder sur lui.

    Cette proposition re n voie aux limites sociologiques rencontres par le mouve-ment cologiste (qui na pu slargir aux milieux populaires), mais aussi au faitque le fil de lcologie politique nest pas en mesure dassurer seul la colonneve rt b rale de la nouvelle mancipation, qui doit pouvoir snoncer plus ra d i c a l e-ment comme une politique de la plura l i t . Il faut sans doute arrter denvisagerlmancipation, comme avant, autour dune colonne ve rt b rale exclusive oumme principale (le mouvement ouvrier, hier, ou lcologie politique, aujourdhui).

    3) Le mouvement altermondialiste, mme avec son aspect chaotique,pourrait bien tre lorigine dune dynamique historique et devenir le mouvementdmancipation du XXIe sicle.

    Si elle sait largir ses bases sociales du ct des milieux populaires, consoliderses liens avec les organisations du mouvement ouvrier classique, tendre sesrseaux internationaux vers dautres aires culturelles et nationales, garder sescapacits dinventivit malgr les tendances la bure a u c ratisation, la galaxiealtermondialiste pourrait constituer, lchelle mondiale, le creuset privilgide cette politique de la pluralit, de cette nouvelle figure de lmancipation,puisant de manire critique dans les traditions rpublicaine, sociale-dmocra t eet communiste, souvrant aux problmatisations de lcologie politique, sensibleaux exigences fministes, attentif lenjeu des processus dindividualisation

    (prenant des formes diffrentes dans les diverses aires culturelles et nationales),sachant exprimenter pratiquement tout en re ve n d i q u a n t .La dfinition des repres communs de cette politique indite dmancipationnappartient pas aux seuls partis politiques. Les mouvements citoyens commeATTAC, les syndicats, les associations, les formes plus provisoires dauto-organisation, etc. peuvent aussi participer la fabrication, pratique et intel-lectuelle, de cette politique rnove. En ltat de lexprience historique, seulela participation directe la reprsentation politique, au sein des institutionsdmocratiques du pouvoir politique, relve exclusivement des partis poli-tiques, mais pas llaboration dun projet alternatif de socit. Cela nousoblige rompre avec deux modles classiques au sein du mouvement ouvrier:

    a) le modle social-dmocrate/lniniste, qui donne a priori la direction poli-tique aux partis (sous la forme parlementaire ou de lavant-garde rvolu-

    tionnaire );b) le modle anarcho-syndicaliste, qui tend effacer la place des partis dansune hirarchisation inverse par rapport la premire (et qui aujourdhuipourrait dire : tout viendra du mouvement social, on na pas besoin des par-tis et des institutions politiques )5.

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    naires quant la perspective de lmancipation, mme sils se rvdiffrents quant leur porte. Car on ne peut pas mettre sur le mme exemple, les limites de ltat-providence social-dmocrate dans ucapitaliste maintenu et les violences totalitaires qui se sont rcla communisme . On peut alors faire lhypothse que la distinctionmes / rvolution ne sera plus opratoire pour une nouvelle flmancipation, sinscrivant davantage dans la perspective dun rfrvolutionnaire ou dun rformisme radical qui tait dj esquiun Jaurs. Cela ne veut pas dire qu partir de lancienne extrme

    ne pourrait pas natre une nouvelle gauche radicale, rompant avec le gauchistes et rvolutionnaristes . linverse, on peut mme peny a davantage dindices qui vont dans le sens dune transformatiopartie de lextrme gauche en force radicale etpragmatique que dpointant la possibilit dune refondation anti-librale du social-liblectoralement hgmonique gauche9.

    6) Dans la recherche pluraliste et contradictoire dune nouvelle politiquedmancipation, la tradition libertaire est redcouvrir et rvaluer.

    Sur deux plans associs, la tradition libert a i reapparat part i c u l i remc i e u s e:

    a) la critique des tendances la stabilisation de formes doppression spment politiques au sein des institutions, y compris au sein des institu

    lutte pour lmancipation; la critique sociologique de la domination ( p rofessionnalisation, monopolisation du capital politique, dpossesc i t oyens ord i n a i res, risques inclus dans la dlgation politique notesquisse par Pierre Bourdieu ayant donn un contenu contemporaini n s p i ration libert a i re10 ;

    b) la critique des tendances lcrasement des individualits par les calectifs (pouvoir tatique, hgmonie de la mesure marchande des humaines, discipline collective impose par les formes traditionnellenisation, etc.); cette critique trouvant une rsonance particulire au socits individualistes contemporaines.Cette prise en compte des hritages libertaires dans une perspectivecipation renouvele implique toutefois de rompre avec certaines teanarchistes:

    a) un anti-tatisme obsessionnel tendant diaboliser les institutions tce qui apparat en dcalage flagrant avec les luttes sociales dans un de remise en cause nolibrale des cadres publics;

    b) le risque de ftichisation dun individu monadique et narcissique, que lindividualit de chacun est tisse de relations sociales.

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    re vendiquer un rle privilgi dans le traitement des questions poli tiques.Toutefois, la politique lectorale et institutionnelle demeure leur domaine sp-cifique dintervention. Cest dans ce cadre, sur la scne lectorale et dans lamise en uvre de politiques publiques, quils peuvent chercher tra d u i relesa s p i rations altermondialistes. De ce point de vue, ATTAC ne peut que se fliciterque se dveloppe une comptition entre forces politiques pour tra d u i re ses pr-occupations. Et quant lissue de cette comptition, ATTAC peut difficilementd i reautre chose qu u n: que le meilleur gagne !Dans cette perspective, le Conseil dAdministration extraordinaire dATTAC du

    15 mai 2004, saisi du projet de listes pour les lections europennes 100 %altermondialistes, a raffirm lunanimitque lassociation ne suscite, neprsente ni ne soutient aucune liste ou candidature, et quaucun candidat nepeut se prvaloir de son appartenance ATTAC , mme sil reconnat le droitde chaque membre dATTAC exercer pleinement ses droits civiques, et enparticulier de se prsenter aux lections .ATTAC se rserve cer tes la possibilit de critiquer publiquement les organisa-tions qui mneraient des politiques, ou qui feraient des propositions, allant lencontre de ses orientations ( Nous critiquons les politiques conduites, tantpar la gauche hier que par la droite aujourdhui , rappelle Bernard Cassen).Mais ATTAC ne participe pas pour autant la dvalorisation en cours de la poli-tique partisane, ne des dsenchantements successifs du pass. On peutcomprendre une certaine humeur anarcho-syndicaliste active dans les

    mouvements sociaux, mais ATTAC doit armer la vigilance citoyenne de laconscience de ses dangers (dsengagement civique et monte de lextrmedroite notamment), qua bien mis en vidence le 21 avril.Par contre, je mettrai un bmol aux propos de Bernard Cassen sur la suppose obligation pour le mouvement altermondialiste de trouver une traductionpolitique institutionnelle. Contre loptimisme naf des progressismes clas-siques, supposant la victoire inluctable du Progrs , les tragdies duXXe sicle nous conduisent adopter un progressisme plus mlancolique, d