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COSMOGONIE A propos de la peinture de Stéphane Blondeau Pour Stéphane Après « la naissance est dans le geste», l’œuvre picturale de Stéphane Blondeau ouvre une sorte de cosmogonie, une ère qui augure un nouveau monde, qui inaugure en tous cas un monde sans représentativité. Il fallait peut-être opérer un saut, un saut dans un autre monde, faire du monde de la peinture un univers qui rejoint la science-fiction voire l’horreur pour offrir au regard de nouveaux affects, de nouvelles expressivités, celle des êtres filaires, celle d’une matière presque magmatique et pourtant animée d’une vie presque organique et végétale. C’est ce nouveau monde que nous allons décrire. A la fin de son article sur « la naissance est dans le geste », Philippe Roy parlait de l’œuvre de l’artiste, des trois groupes d’encre qui la composaient alors, comme d’une boucle qui tout en se déroulant ferait allusion à elle-même dans une sorte de quasi-narrativité. On pourrait donc dire de la peinture de Stéphane Blondeau qu’elle est une sorte d’écriture où les signes dans la matière ne sont plus référés à « notre » monde et ne renvoient donc plus qu’à eux-mêmes. Ce ne sont pas, pour autant, des signes de rien, mais plutôt des quasi-signes (puisque l’idée de signe est maintenant trop chargé de sens) qui ne révèlent rien de notre monde, mais nous préparent à la « rencontre » avec un monde autre. Tout serait alors un peu comme la rencontre du troisième type, si celui-ci n’avait déjà reçu de la science-fiction une autre destinée. Ce que la peinture de Stéphane Blondeau donne à voir et aussi à entendre, ce n’est donc pas la rencontre scabreuse avec un monde inconnu, forcément toujours un de nos doubles, ou le miroir d’une humanité ayant subi une autre évolution, mais le fragile lien d’un peintre avec le geste de la création. A sa façon Stéphane Blondeau nous dessine un monde qui pourrait être le nôtre, mais qui ne peut l’être que sur le mode du vœu, ou de l’action politique, monde où la créativité se dégage de tout le poids de la représentation qui l’a comme emprisonné (camera obscura).

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Après « la naissance est dans le geste», l’œuvre picturale de Stéphane Blondeau ouvre une sorte de cosmogonie, une ère qui augure un nouveau monde, qui inaugure en tous cas un monde sans représentativité. Il fallait peut-être opérer un saut, un saut dans un autre monde, faire du monde de la peinture un univers qui rejoint la science-fiction voire l’horreur pour offrir au regard de nouveaux affects, de nouvelles expressivités, celle des êtres filaires, celle d’une matière presque magmatique et pourtant animée d’une vie presque organique et végétale. C’est ce nouveau monde que nous allons décrire.

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COSMOGONIE

A propos de la peinture de Stéphane Blondeau

Pour Stéphane  Après « la naissance est dans le geste», l’œuvre picturale de Stéphane Blondeau ouvre une sorte de cosmogonie, une ère qui augure un nouveau monde, qui inaugure en tous cas un monde sans représentativité. Il fallait peut-être opérer un saut, un saut dans un autre monde, faire du monde de la peinture un univers qui rejoint la science-fiction voire l’horreur pour offrir au regard de nouveaux affects, de nouvelles expressivités, celle des êtres filaires, celle d’une matière presque magmatique et pourtant animée d’une vie presque organique et végétale. C’est ce nouveau monde que nous allons décrire.

     A la fin de son article sur « la naissance est dans le geste »,

Philippe Roy parlait de l’œuvre de l’artiste, des trois groupes d’encre qui la composaient alors, comme d’une boucle qui tout en se déroulant ferait allusion à elle-même dans une sorte de quasi-narrativité. On pourrait donc dire de la peinture de Stéphane Blondeau qu’elle est une sorte d’écriture où les signes dans la matière ne sont plus référés à « notre » monde et ne renvoient donc plus qu’à eux-mêmes. Ce ne sont pas, pour autant, des signes de rien, mais plutôt des quasi-signes (puisque l’idée de signe est maintenant trop chargé de sens) qui ne révèlent rien de notre monde, mais nous préparent à la « rencontre » avec un monde autre.

    Tout serait alors un peu comme la rencontre du troisième type, si celui-ci n’avait déjà reçu de la science-fiction une autre destinée. Ce que la peinture de Stéphane Blondeau donne à voir et aussi à entendre, ce n’est donc pas la rencontre scabreuse avec un monde inconnu, forcément toujours un de nos doubles, ou le miroir d’une humanité ayant subi une autre évolution, mais le fragile lien d’un peintre avec le geste de la création. A sa façon Stéphane Blondeau nous dessine un monde qui pourrait être le nôtre, mais qui ne peut l’être que sur le mode du vœu, ou de l’action politique, monde où la créativité se dégage de tout le poids de la représentation qui l’a comme emprisonné (camera obscura).

    C’est comme si le peintre était saisi par une responsabilité (la décision disait déjà Philippe Roy), et que de celle-ci jusqu’ici « geste de soustraction », pour abolir le monde dans sa représentativité même, devait retentir du « geste de mutilation ». Ce geste est comme un degré supplémentaire dans la conjuration de notre monde, puisqu'il y va d'une sorte de quête, celle de parvenir à montrer le déchirement profond de la matière et des êtres - celle d'un engendrement, donc, où la peinture ne séparerait plus la figure du fond (comme elle l'a toujours fait), mais montrerait l'espèce de

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vampirisme qui la travaille. Mais c'est aussi un geste salvateur puisqu’il est empreint d’une sorte de clarté, presque « révolutionnaire », où se font entendre des sifflements, des grincements de tout une légion d’êtres filaires, qui envahissent les encres en s’y détachant et s’en nourrissant tout à la fois, comme une espèce de « faune marécageuse ».         « Cosmogonie » serait le nom que l’on pourrait donner à ce déchirement, à cette béance du ruban qui le fait au fond aussi rentrer dans une mondanité, une mondanité recréée aussi perpétuellement par les mains mêmes de l’artiste.

D’un geste à l’autreOn1 pouvait marquer chacun des trois groupes de «

la naissance dans le geste » d’un affect particulier : une inquiétude, pour le premier, une hantise pour second, et une jubilation pour le dernier. C’est ainsi que chacun a été doté d’une sorte de note atmosphérique, car s’il s’agissait bien d’un geste de soustraction opérant dans cette peinture, il ne pouvait se faire qu’avec une sorte de retrait dans la sensation, de l’expérience mondaine elle-même vers le virtuel. Pour chaque encre dès lors une certaine « gravité » concernant notre monde ne tenait plus.Il fallait se délester de tout le poids de ce que la phénoménologie avait encore, malgré tout ses efforts, eu de la peine à se défaire : une sorte de jugement intellectuel de la peinture ou une certaine tendance à parler de son goût pour les choses traduites en images (assimilant ainsi la peinture au régime de la doxa). Il fallait rompre avec une certaine pesanteur qui nous fait regarder la peinture avec une sorte d’évidence et de légèreté (de ton) tout à la fois et qui symbolise bien l’idée que l’on s’en fait, celle d’un art mimétique.

Ces trois phases non chronologiques qui marquaient comme le point de départ d’une grande aventure nous ont délestés progressivement de notre attache à un monde d’habitudes et de certitudes pour nous faire glisser d’abord avec le premier groupe dans l’inquiétude d’une rupture, d’un retrait dont l’effacement des traits des visages témoignaient. Ce qu’on nomme « fond » (photographique) s’est lui-même désajusté pour laisser place à des matériaux en fusion les uns dans les autres, pris dans une sorte de « variation continue » (l’expression est de Deleuze). Signe de l’« agitation du peintre » (dit Philippe Roy) à créer, ce premier groupe trahissait une note atmosphérique de « décompression » des corps et des matériaux . Dans le second groupe, c’étaient des espèces de lacs de sang qui s’époumonnaient et se gonflaient maintenant comme des figurines, des « humanoïdes ». L’inquiétude laissait la place à la hantise, la peur. Que dire de ces figures à moitié humaines à moitié végétales ? On dirait qu’elles cherchaient leur place dans ce retrait du monde, empiétant, glissant sur cette matière, donnant maintenant l’idée d’un « temps pulsatile », d’ une 1 Nous renvoyons au travail remarquable de Philippe Roy : « la naissance est dans le geste » qui, philosophe et ami du peintre, a su tracer le premier chemin dans l’exploration de son oeuvre.

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espèce de « première peau diaphane », peau d’une naissance encore à faire.La troisième phase, celle du « geste de soustraction » inaugurait l’appel de l’événement.Philippe Roy a bien marqué ce geste du sceau de l’événement, le faisant tenir non d’un choix mais d’une décision qui engage comme depuis toujours celui qui s’y détermine. La décision de l’artiste, c’est l’écho du Temps lui-même appelant l’artiste dans un « faire ». C’est pourquoi dans cette dernière phase, les humanoïdes se cherchaient comme la matière en se mettant à danser, et la matière semblait elle-même résonner avec « eux », à moins que ce fût la matière qui donnait le rythme. C’était le ton d’une jubilation unique.

Ces trois phases au fond nous donnaient bien le goût de quelque chose, mais certainement pas de la peinture, du moins avec l’idée qu’on s’en fait. Plutôt : un goût pour la naissance. Dans les mains de Stéphane Blondeau, la peinture était annonciatrice d’un grand jour, elle portait (comme on dit de la femme)l’événement lui-même avec son monde. Il fallait juste lui donner le temps, pour la voir « selon sa profondeur », ou « à toutes profondeurs » (pour reprendre le mot de Nicolas de Staël).

Aussi bien porter le geste, c’était le mener jusqu’à sa pleine mutilation, faire une béance dans « l’arc en ciel de gravité »2 qu’était encore malgré tout ce que montrait le peintre. Il fallait plus qu’une danse de la matière et des corps, plus qu’une jubilation pour percer ce qui restait encore nos corps lestés dans la mondanité. La matière était encore un matériau trop plein, où la virtualité du geste soustractif avait encore peine à offrir tout l’espace d’une décision, à semer les germes d’une vraie politique.

« Le geste de soustraction, dit Philippe Roy, fait (..) travailler conjointement une extraction dans le plein d’une matière et ce qui se soustrait à toute matière, ce qui se tire en dessous : le vide. Le vide occupe virtuellement le site de l’extrait ».3 C’est cela la décision du troisième groupe que l’artiste allait chercher plus loin encore dans la matière et dans les corps. Mais on pouvait encore avoir avec le troisième groupe comme la trace d’une illusion, celle d’un monde miroir, encore trop fantômatique, qui semblait encore de loin mimer nos gestes tout en les effaçant. Il fallait renouer et approfondir ce « geste de soustraction », montrer qu’il est plus encore : un geste vampire. Il fallait aller encore plus à rebours du temps et de l’espace ; et manifester presque sensuellement comment le monde fantômatique bascule dans l’horreur. Un autre ton, un autre geste (et en même temps le même).

VampirismesL’entrée dans un autre groupe, ou une autre série, était

imminent. Il ne pouvait marquer et signifier un retour au monde « réel » (sans les virtualités acquises par le « geste de

2 C’est le titre d’un livre de Thomas Pynchon dont les engendrements sont aussi très prometteurs depuis une bonne trentaine d’années. 3 Extrait de « la naissance est dans le geste » de Philippe Roy, p.9

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soustraction »), il ne pouvait signer ou marquer l’abolition de la soustraction elle-même (vide qui au fond réveillait la peinture à la vie). C’était un approfondissement ; c’était le début, une sorte de commencement. Entête. Qu’allaient-ils donner, ces nouveaux engendrements du peintre ? L’idée d’appeler ce groupe les « Toits » (peut-être par réminiscence de l’ancien monde et des tentatives d’un Nicolas de Staël) suggérait sans commune mesure avec ce peintre éminent que ce mot devait désigner plutôt qu’une profondeur byzantine une sorte d’habitation, d’architecture en train de naître, de monde « plat », de peau diaphane en train de se créer, et de se donner une densité. Les corps humanoïdes eux-mêmes semblaient en accord avec cette matière ; ils se rattachaient à ses oripeaux, ses mues. N’était-ce donc pas la naissance d’un « milieu » ? Ce nouveau monde ouvert par cette nouvelle série semblait offrir un lien ombilical, un milieu où chacun (matière ou corps) paraissait « s’effectuer » à partir de l’autre, comme une sorte de vampirie partagée. Un festin nu auquel le peintre nous conviait de participer en in-scrutateur.

Et c’est tout naturellement que la démarche suivie par Stéphane Blondeau répétait cette création par le milieu, l’effectuait autant que la réalisait. A partir d’une ébauche de milieu que figurent les virtualités du geste circulatoire autour d’une matrice, ou d’un « tableau », l’artiste semble avoir constitué, « engendré » toute la série. Elle est née par le milieu, au milieu de « prises de vue » (photographiques) de cet espace, - qui rappellent  le procédé du premier groupe, et qui sont comme des zooms découpés dans ce « milieu ». Chaque tableau devenant ainsi un fragment, une « prise de vue » de la vie de ce milieu, à la fois partie et tout lui-même, tabloïde parmi ses engendrements.

Cette série, née d’une sorte de perdition dans le lieu de la toile (d’une toile), est devenue le nouveau monde, un monde donné par fragments, émietté, perpétré précisément comme une mutilation. Et dans chaque engendrement (chaque toile) pouvait poindre une matière plus différenciée et des corps eux-mêmes plus autonomes, mais reliés presque organiquement.

C’est donc par zooms successifs que le peintre a repénétré la matière et les corps de cette matrice, mais le geste de soustraction devait aussi devenir autre par son prolongement : donnant ainsi à la matrice originelle, des qualités de projection, d’abord et d’ « anticipation » (au sens de la science-fiction) ensuite. L’idée de ne zoomer que l’espace de la matrice aurait ainsi recréé les conditions d’un monde fermé, d’une simple projection optique sans création, une sorte de mimesis. Non, il fallait transformer l’ancrage de la matière avec ses filages, et montrer les mutiples agencements « texturés » que le geste-vampire avait engendré : un horizon nouveau s’offrait ainsi dans le devenir de chaque prise.

De là aussi l’importance à donner aux êtres humanoïdes qui sont maintenant devenus plus émaciés, plus longilignes, plus filaires, en un mot. L’horreur ne pouvait venir que de ce qu’ils sont

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maintenant en prise sur la matière comme l’artiste avec son appareil photographique. Morsure qui donnait une sorte de déchiquetement de la matière, la faisait fusionner, dans le même temps que la matière se nourrissait aussi de ce que les êtres filaires la parasitaient. Nouvelle peau que donnait à voir Stéphane Blondeau, plus encore : celle d’un geste-naissance, d’un geste qui tout à la fois mutile et donne la vie en vampirisant. Chaque être filaire constituant à partir du milieu partagé la peau, les énergies nécessaires à son épanouisssement et la matière aussi vorace, se délectait de sa transformation. « Les toits » aussi bien étaient des indices de sa construction, de sa génération, les dessins d’un tissu bien à elle, mais « crevés ». Les êtres filaires prolongeaient ainsi la matière et vice versa, selon un geste qui est précisément un geste vampire.

Ce geste n’est donc pas tout à fait un autre geste que le geste de soustraction, c’est le même geste, au fond, mais sur un palier de réalité plus profond dans le creusement même de ce monde, c’est-à-dire, paradoxalement vu de nôtre du monde, son engendrement. C’est dire que le trou de la béance est ce qui responsabilise et rend possible l’exécution tout autant que l’expressivité du monde par le peintre. Le geste vampire est donc ce qui précisément nous ouvre à l’exploration d’un monde qui jusqu’alors ne se donnait que comme appel vers le vide, comme ouverture de virtualités au sein du tableau. Précisément, le geste vampire soustrait : il retire de la matière mais aussi il la montre dans sa nudité ontologique, dans son espèce de magma, de blocs d’intensités qui se creusent et fait que la matière n’est pas une chose, mais un processus, n’est pas seulement minérale ou biologique ou végétale, mais une « transition de phase » où l’on ne saurait discriminer la matière sous l’appellation d’un signe (donc le référer, toujours et encore, à une chose mondaine)  - ce que les lettres-signes inversées des toiles nous défendent expressément ! – mais plutôt l’appréhender comme « forces explosantes ».

La béance du rubanLa seconde série, à laquelle nous convie « cosmogonie », -

que nous nommerons « Villes » ou « chambre » - va déployer ce geste vampire au plus point, à sa limite précisément. On bascule vers une anti-chambre. Précisément elle nous montre encore plus qu’ « auparavant » combien la matière est à rebours : qu’elle ne saurait se prêter à aucune évolution qui pourrait faire que la décision s’abolirait en un choix. Ce geste de la première série qui est tout autant un « tourner autour » du peintre qui attire, crée l’extraction autant que son engendrement, qu’un « tourner autour » de l’œuvre elle-même, va en quelque sorte se replier en lui-même pour lever une sorte de nouvelle pâte, où la matière va entrer cette fois en circulation, dans les toiles, avec les êtres filaires qui sont attachés à elle, et qui s’en nourrissent. Ainsi va naître une danse de

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la renaissance. Cette danse affleure sur le point-milieu (de rencontre) : comme ici un sol glacé, une patinoire ; là, dans les tons croisés de couleurs qui font écho aux entrelacements maintenant plus fébriles des êtres filaires. On assiste au grondement, à l’éclosion d’une sorte de virtualité plus grande, de béance capable de soutenir, de connecter toutes les nouvelles « dispositions » (comme dit Philippe Roy) de la matière et des filaires. Ce creusement c’est un creusement topologique, une sorte de mobilité des matières, qui se mettent à claquer comme des fouets, et les êtres filaires - qui se font de plus en plus envahissant, comme la levée d’une ethnie révolutionnaire. L’espace des tableaux est comme une sorte de grande « enveloppée contrapuntique ».

La béance s’affirme par les trouées noires qui dévorent et mettent en branle le milieu, comme l’aspirant et générant tout une électricité qui parcourt les échines des filaires et qui irriguent les cloisons d’une « ville » qui se met à flamber dans une allégresse et horreur tout à la fois.

La matrice elle-même s’en est allée puisque le tableau qui devait nous plonger dans cette vision de « Villes », qui est la dernière série de tableaux que nous commentons, le peintre s’en est servi comme point de départ d’une entrée dans « Villes » (avant de la détruire) : elle avait, cette toile, l’irisation intense d’un rose qui illuminait toute la matière et les corps filaires, avant la grande danse. Matin de fête avant l’heure. « Villes », c’est aussi bien une sorte de trouée vers autre chose qu’une simple membrane, c’est le creusement de cette membrane où les corps et les matières se sont employés à naître par le milieu, ou se différencier par leur parasitisme réciproque. On comprend dés lors en quoi il fallait sortir de toute matrice, entrer dans une « niche », une « chambre » où le geste de création se déroulerait autrement, de manière plus approfondie peut-être. En tous cas cela explique ces tranchées noires des toiles, cet « autre côté » de la membrane, là où la vie parasite la matière en menant une danse, laquelle matière à son contact « s’architexture »4. C’est comme le pli d’un drapé, l’appel d’une envolée.

C’est donc bien une béance qui fait jour au bout du compte dans ce « monde », non pas à proprement parler un trou, mais une profondeur qui topologise la matière et qui donne à la vie sa vitalité vampirique qui est peut-être son trait essentiel. C’est sous ses augures que les développements virtuels de la matière passés sous le régime du vampire vont peut-être engendrer d’autres niveaux de réalités. Peut-être, doit-on s’attendre à ce que le peintre inaugure quelques laboratoires monstrueux?

Joachim Dupuis

4 Selon l’expression de Philippe Roy dans « Pour une mémoire de la matière » .