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CRIMINOLOGIE CLINIQUE. Cours enseigné en Licence et Maîtrise en Droit, à l’Institut Catholique d’Enseignement Supérieur – L’Ecole Universitaire, de La Roche sur Yon. par Jean MOTTE dit FALISSE, Docteur en criminologie U.C.L.

Réservé à votre usage personnel. Toute reproduction partielle ou totale de ce document par quelque procédé que ce soit (photocopie ou autre) est strictement interdite et sanctionnée de deux ans d’emprisonnement et de 150 000 Euros d’amende par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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CHAPITRE I. CRIMINOLOGIE GENERALE ET CRIMINOLOGIE CLINIQUE. A. Qu'est-ce que la criminologie ? La criminologie fait référence étymologiquement au terme latin de "crimen" signifiant la décision judiciaire. Ce terme latin désigne donc une accusation ou un chef d'accusation. Le crime ici visé n'est donc pas une action comme telle, mais bien plutôt une infraction pénale, un être juridique, plus encore un jugement de valeur particulier de type judiciaire porté sur un acte. À partir de cette définition préalable de la criminologie sur le plan étymologique, on peut relever quatre grandes caractéristiques de cette science. On peut ainsi dire que la criminologie prétend être tout à la fois une activité scientifique s'opposant en cela au monopole d'une démarche philosophique, une activité interdisciplinaire associant en sa démarche des sciences telles que la psychologie, la sociologie, la biologie.... La criminologie a également pour caractéristique d'être impliquée dans un débat fondé sur des jugements de valeur et des normes juridiques préexistantes à l'objet qui la constitue et qu'elle tend en permanence à redéfinir. Enfin, il faut prendre pour caractéristique de la criminologie le fait qu'elle est vouée à être socialement utile, dans une démarche reliant la théorie et la pratique. Pour ces diverses raisons, la criminologie constitue une démarche scientifique confrontée en permanence à la difficulté d'articuler la connaissance scientifique et la réflexion éthique ou philosophique, à la difficulté aussi d'articuler des connaissances pluridisciplinaires, en ce compris un savoir juridique, à la difficulté enfin d'articuler la théorie et la pratique. (Pour toute cette partie, cfr. Ch. DEBUYST, Françoise DIGNEFFE, Jean-Michel LABADIE, Alvaro PIRES : Histoire des savoirs sur le crime § la peine. 1. Des savoirs diffus à la notion de criminel-né. DE BOECK UNIVERSITE, Perspectives criminologiques. Bruxelles. 1995. Pp 20 et suivantes.) B. La genèse de la criminologie. On peut trouver l'origine de la criminologie dans la démarche de définition d'une rationalité pénale par Beccaria , dans cette période appelée période classique de la criminologie. Beccaria a voulu penser le système pénal comme un système de régulation autonome, se différenciant par conséquent et s'opposant par nature aux autres formes du droit, et en particulier aux doctrines médiévales qui associaient le délit à la notion de péché entraînant elle-même la notion de peine rétributive. À l'inverse, Beccaria marque son adhésion à la notion de "contrat social" déjà définie par Jean-Jacques Rousseau. Il s'inscrit en cela aussi dans la perspective des autres penseurs et philosophes du Siècle des Lumières tels que Voltaire, Diderot et D' Alembert, Montesquieu etc. Beccaria énonce comme fondement à la rationalité pénale trois idées fondamentales : - la légalité des incriminations et des peines.

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- l'utilité des peines pour la société. - la proportion nécessaire entre les délits et les peines.

Pour l'essentiel, on retiendra également que la démarche de Beccaria, et au-delà toute la période classique de la criminologie, s'inscrit sur la base de la notion de "libre-arbitre" et par conséquent de la capacité que détient l'être humain de se poser comme responsable à l'intérieur du choix entre le bien et le mal, et par conséquent aussi de manifester sa capacité à s'engager dans le contrat social en cause. (Cfr Jean IMBERT, Beccaria, le père de la justice moderne. In " le Crime : juges et assassins depuis 5000 ans ", L'HISTOIRE. Juillet-août 1993. Pp 68 à 71.) Le deuxième pilier fondateur de la criminologie est celui de l'école positive italienne regroupant en son sein les trois auteurs que sont Lombroso, Ferri et Garofalo. Ces auteurs sont en effet aux origines de la criminologie comme science moderne au début du XIXe siècle. (Cfr. H.N. BARTE et G. OSTAPTZEFF, Criminologie clinique. Ed. Masson. Coll. Abrégés. Paris 1992. Pp 4 – 5.) En ce qui concerne en premier Cesare Lombroso et sa théorie du criminel-né, on relèvera le fait que cet auteur s'inscrit dans la perspective des théories de Darwin et Lamarck, auteurs ayant mis en lumière les notions d'hérédité des caractères acquis et de sélection naturelle. Par ailleurs, Lombroso s'inscrit également comme disciple de Gall, scientifique allemand ayant théorisé une philosophie de l'esprit humain à partir de l'étude du crâne et de ce qu'on appellera la phrénologie ou crânioscopie, soit une étude des fonctions du cerveau et de leur localisation d'après la forme extérieure du crâne. Lombroso s'inscrit également dans la perspective des recherches des fondateurs de la psychiatrie que sont Pinel (notion de "manie sans délire"), Esquirol (monomanie homicide), Morel (notion de dégénérescence). Lombroso définit l'homme criminel comme le déchet de la sélection humaine, une victime de l'hérédité, un être affecté de stigmates anatomo-physiologiques. En conséquence de cet état de victime d'une transmission héréditaire de tares, le criminel-né présente, selon Lombroso, une absence de sens moral. Il présenterait également un fonds épileptoïde. Par conséquent, ce criminel-né n'est susceptible que d'une peine adaptée à sa personne et non plus comme le préconisait Beccaria, à une peine proportionnée à l'importance de l'acte commis. Lombroso distingue le criminel-né du fou moral et épileptique, du criminel par passion, du criminel d'occasion. Les théorie de Lombroso seront critiquées, d'une part, par l'École de Lyon avec à sa tête Lacassagne et, d'autre part, par un courant anthropologique guidé par le professeur Topinard. L'

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Ecole de Lyon affirme que le criminel n'est que le microbe dépendant du bouillon de culture qu'est la société. Le deuxième auteur à l'origine du courant positiviste italien est Raphaële Garofalo auquel est attribué la paternité du terme même de "criminologie" puisse qu'il constitue le titre de son ouvrage publié en 1885. Garofalo distingue deux catégories de crimes, en prenant pour critère la notion d'affect, à savoir les "crimes naturels" à l'intérieur desquels les affects prédominent et les "délits conventionnels" qui varient selon les lois du lieu où ils se produisent. Par ailleurs, Garofalo développe la "notion d'état dangereux", soit un état à partir duquel le sujet est porté au passage à l'acte en fonction de sa témibilité, laquelle tendance s'oppose à sa capacité d'adaptation ou à son adaptabilité aux lois de la société dans laquelle il vit. Ces notions placent par conséquent Garofalo au carrefour des sciences psychologique, biologique et sociologique. Le troisième et dernier auteur à la base du courant positiviste italien est Enrico Ferri. Cet auteur de l'ouvrage "La Sociologie Criminelle" paru en 1905 a été influencé par Quételet, statisticien et mathématicien belge. Ferri théorise une approche sociologique et a recours aux statistiques. Cette théorisation l'amène à définir la causalité du délit en fonction de trois éléments distincts, à savoir : une prédisposition biologique endogène, un environnement physique (climat, sol...), un environnement social (population, religion...) Ferry distingue cinq catégories de criminels, à savoir : les criminels-nés, les criminels aliénés, les criminel par habitude acquise, les criminels passionnels et les criminel d'occasion. Les trois dernières catégories seront fonction de facteurs sociaux exogènes. Ferry préconise d'évaluer la responsabilité sociale de ces diverses catégories. En fonction de cette proposition, il suggère l'individualisation de la peine, l'application de mesures de réadaptation sociale pour les criminels occasionnels, l'obligation de réparation pour les criminels passionnels, la neutralisation des criminels-nés ainsi que des criminels aliénés et des criminels par habitude acquise. On retiendra enfin que l'approche de l'école positive italienne se caractérise essentiellement par la notion de déterminisme absolu du comportement humain et qu'elle s'oppose en cela bien évidemment au principe du libre-arbitre soutenu par l'école classique. (Cfr à ce sujet Ch. DEBUYST. Acteur social et délinquance. Hommage à Christian Debuyst. Pierre Mardaga Editeur. Coll. Psychologie et Sciences Humaines. Pp 22 à 25.) C. La notion de "clinique". Le terme de "clinique" provient du terme grec "kliné" signifiant le lit. Cette notion renvoie dès lors au concept d'un soin concret à apporter à un problème de souffrance ou de difficultés vécues par un individu "alité". On fait ainsi référence à la secte religieuse des premiers temps du christianisme prônant le baptême sur le lit de mort. Ce sens deviendra exclusivement médical par la suite et prendra toute son importance à la fin du XVIIe siècle. En ce qui concerne le statut théorique d'une criminologie clinique, on peut comprendre que la théorie scientifique s'élabore ici à partir du constat de l'anormal. Ainsi, en psychologie, la

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psychologie de l'intelligence se développe à partir d'une catégorisation des problématique du développement de l'intelligence (cf. notions d'idiotie et de crétinisme,...). De la même manière aussi, la psychanalyse fait référence aux perversions pour fonder la théorie de la sexualité et tout le développement théorique de son corpus. Et, en ce qui concerne la criminologie, ont fait référence ici évidemment au terme de délit. La positivité de la clinique ressort donc des expériences négatives que l'homme a de lui-même et de ses rapports avec autrui. À partir de là, la notion de pathique s'oppose à la notion d'ontique, de la même manière que la pathologie s'oppose à l'ontologie. ( Pour toute cette partie relative à la notion de clinique, cfr Jacques SCHOTTE, Cours de Psychologie clinique. Université Catholique de Louvain.) 1. La méthode pathologique. Les phénomènes pathologiques donnent un accès privilégié aux lois générales du fonctionnement du vivant Ainsi, le sens du terme pathos en grec montre différentes dimensions de l'existence humaine, de ses modalités d'existence s'opposant à son essence ontologique. En premier lieu, on relève la notion d'événement ou de phénomène. En deuxième lieu, la notion d'épreuve ou de malheur. En troisième lieu, celle de souffrance ou de mort. En quatrième lieu, la notion d'affectation ou de souffrance physique ou morale. Enfin, la notion de sentiment ou de passion. Dans cette perspective, on peut comprendre également l'arrière-plan philosophique hérité de la philosophie des grecs anciens et concevant l'être humain comme engagé dans une histoire à l'intérieur de laquelle il est inéluctablement entraîné dans un destin et confronté à la souffrance de cette existence concrète. On retrouve donc la dichotomie ou la distinction très nette entre l'idéal du monde des idées et le caractère négatif de l'existence corporelle, de la matière, de la vie terrestre. 2. La notion d'être pathique. La maladie est un phénomène essentiel du vivant. Par ailleurs, la situation de laboratoire est pathologisante car elle met le vivant dans un contexte anormal. On fera ici référence aux citations portées sur les documents intitulés "la méthode pathologique et la situation pathique de l'homme". On retiendra en particulier les notions énoncées par HEGEL, MERLEAU-PONTY (psychologue de la phénoménologie), FREUD, Michel FOUCAULT, von WEIZSAECKER et NIETZSCHE. Dans les développement de von WEIZSAECKER, on retiendra l'importance des termes modaux de pouvoir, vouloir et devoir. On voit en effet que ces termes sont porteurs de sens éventuel des rapports de l'être humain à lui-même, au monde environnant et à autrui, ainsi qu'aux représentations véhiculées par la société. Ces diverses représentations, et par conséquent ces sens eux-mêmes varient bien évidemment dans le temps et dans l'espace. Ils sont en cela toujours particuliers et donc pathiques.

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3. La théorie du sujet et de la communication. La définition de l'homme qui sous-tend les logiques de pensée classique et positiviste aux origine de la criminologie, constitue une "fiction" en ce qu'elle réduit l'être humain d'une part à son seul champ de conscience et à son libre-arbitre et, d'autre part, à la seule réalité de son corps et à ses conditionnements biologiques, psychologiques et sociaux. En cela cette conception ne constituerait en elle-même qu'une image "centaurique" de l'être humain. Il est donc nécessaire de réinsérer le sujet dans un ensemble plus vaste. C'est pourquoi on peut élaborer une théorie du sujet et (à la suite de Jacques SCHOTTE, Vers une Théorie du Sujet, in " Acteur Social et Délinquance " Pierre Mardaga Editeur, pp 134 à 139.) envisager ce sujet comme constitué de deux composantes. D'une part, il faut prendre en compte sa pluralité interne. Cette pluralité, qui est celle de ses désirs en même temps que de ses capacités et de ses relations au monde extérieur, implique évidemment la contradiction. Par ailleurs, l'homme se compose aussi du vide interne de ses potentialités et ne se définit en cela que négativement. Il est en effet un potentiel permanent dès lors qu'il est à advenir. Ce vide interne est le lieu par conséquent d'une profondeur intérieure mais aussi d'une dialectique, d'un échange constant avec lui-même et avec le monde environnant. Cette profondeur et cette potentialité sont les fondements mêmes de la communication humaine qui est par conséquent aussi en elle-même un problème et une dialectique du contradictoire. On ne peut d'ailleurs comprendre la communication que comme un mécanisme dynamique s'intégrant dans une conception systémique ou circulaire de l'individu inséré dans son environnement et dans ses relations à autrui. En cela, on se détache d'une conception causaliste et linéaire de l'homme, conception ayant servi de référence à toutes les théories scientifiques antérieures, et principalement aux théories des sciences exactes, pour adopter un modèle d'explication dynamique et global. La question posée n'est plus celle du pourquoi ? mais bien du comment ?. 4. Le sujet de droit. Ces considérations nous permettent de définir le sujet de droit comme le lieu de référence non plus seulement au seul univers juridique mais comme en lui-même l'univers de la morale et de l'éthique. Il n'est plus question seulement d'une référence à la nature humaine mais bien de référence à la loi ou à la norme comme l'élément qui contredit le vide interne et qui, d'une certaine manière, emplit le sujet pour le constituer. Ainsi, la psychiatrie essentielle met en lumière les processus par lesquels, d'une part, le sujet se confronte à la problématique à se constituer et à constituer l'autre en tant qu'entité propre et, d'autre part, les processus par lesquelles l'individu établit ses rapports aux normes. On trouve donc là deux registres distincts se trouvant également en dialectique. (J. SCHOTTE. Id. p.139). 5. Culpabilité et responsabilité.

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Ces notions nous conduisent à distinguer en premier lieu la responsabilité de la culpabilité. (J. SCHOTTE, id. p. 141). La culpabilité est une notion dérivant du terme grec de aitia signifiant la cause. Elle enferme donc le sujet, en tant que cause d'un agir, dans une chronologie linéaire et plus particulièrement dans son passé. À l'inverse, le terme de responsabilité découle de la notion latine de respondere signifiant répondre, ce qui implique le fait de se reconnaître comme acteur ou cause d'un fait ou d'un acte, mais également de dire ce qu'on "fera" de cet acte et par conséquent de s'engager dans le futur, dans la relation et dans la situation. (Cfr aussi à ce propos L M VILLERBU, Responsabilité et culpabilité dans l'accompagnement psycho-pénal des auteurs d'agressions sexuelles. Communication au 1er Congrès Francophone sur l'Agresion Sexuelle. Québec Février 2001.) Cette compréhension du sujet engagé dans une responsabilité permet par ailleurs d'illustrer le lien sémantique et symbolique manifeste entre la délinquance et le deuil. 6. Délinquance et problématique du deuil. Le terme de délinquant provient étymologiquement du terme latin de relinquere signifiant laisser, lâcher, rompre. Cela signifie par conséquent aussi ne pas faire, s'abstenir, ne pas s'investir ou ne pas prendre pour soi. On retrouve sémantiquement les termes de relique (ce qui reste au délà de la disparition formelle), de reliquat ou de dette persistante, de déréliction ou d'état d'abandon. (Cfr Jean KINABLE, Le sens de la délinquance. In " Acteur social et Délinquance ". P Mardaga Editeur, pp 380 – 382.) Ce terme de délit présente un lien sémantique avec celui de deuil signifiant la capacité à rompre avec ce qui se dérobe, à abandonner ce qui manque ou à laisser ce qui doit se perdre. L'idée de délit est par conséquent aussi celle de la persistance d'un manque en souffrance, d'une problématique d'abandonnisme, d'une faute par abstention ou du fait de faire défaut et de faillir. Le mot de "délinquant" conjugue donc les notions de faire défaut et d'être en faute. Ainsi que cela ressort par exemple de l'expertise, le délinquant fut initialement l'objet ou le patient (celui qui patit) d'un défaut subi par exemple de soins, d'affection, de bien-être matériel... En commettant son acte délictueux, il devient ensuite l'agent et le sujet d'une activité qui le met en défaut en regard des attentes extérieures et de la loi, qui témoigne de ce qu'il est incapable par conséquent d'effectuer un travail de deuil. Ainsi, le voleur se montre incapable accéder à la dialectique de l'échange et du désir. Il se refuse à demander et à s'engager dans un rapport le liant à autrui. En cela, il se soustrait à une loi de propriété impliquant d'être reconnu comme légitime possesseur. Il y a donc là le refus de la mise à distance permettant la réciprocité. Par conséquent aussi, on voit s'illustrer l'incapacité à faire son deuil la jouissance fusionnelle ou primale, à accepter la nécessité d'accès à un ordre symbolique qu'est la loi dans sa verbalisation. De l'acte même du vol ressort donc le fait de l'économie d'un deuil du "tout tout de suite" et l'absence de modifications du moi.

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Par l'effet de la sanction pénale, telle par exemple que celle de l'incarcération, le délinquant redevient enfin l'objet passif d'un défaut de réalisation personnelle et d'une absence sociale.

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D. Tentative de définition symbolique de la Loi. Dans le prolongement de ce qui vient d'être dit quant à la problématique du rapport au manque et au deuil comme base de définition de la délinquance, on peut tenter de préciser la compréhension de la Loi en regard des notions de symbole et de signe articulant dans l'esprit humain le rapport au subjectif et à l'objectif On peut ainsi comprendre le symbole comme l'expression unicitaire d'un élément concret et de notions plus ou moins abstraites mais généralement affectives. Ainsi, l'expression du terme "soleil" désigne en elle-même l'astre solaire lui-même en sa dimension très concrète, mais également toutes les images de chaleur, de lumière ou de puissance qui y sont attachées. Le symbole est en cela une puissance d'unité. Il peut donc être rattaché à toute l'expérience humaine du sujet à son propre désir et, au-delà, à toute expérience relative au plaisir, au "tout tout de suite" qui fait écho à la relation fusionnelle. Mais le terme de relation montre également que le symbole devient aussi en lui-même le lieu d'articulation ou de passage à la dimension de l'autre et, par conséquent, à la reconnaissance en soi-même d'un manque, d'une limite, d'un défaut. Cf. à ce sujet la notion de deuil. En cela, la définition de la relation passe par celle de la notion de signe en tant que code ou que convention articulant un signifiant et un signifié. Le signe est donc porteur de la notion de dualité. Il est également le support ordinaire de la loi humaine dès lors que cette loi généralement écrite impose une limitation ou une séparation entre le sujet et l'objet du désir. Le signe est donc en sa dualité également l'expression normale de la loi. On voit ainsi s'instaurer une relation symbolique mais aussi significative entre le désir et la Loi. C'est à l'intérieur de cette relation que s'inscrira toute la problématique de la délinquance déjà évoquée. À la suite de Jean KINABLE, ( Cours de criminologie psychologique. Université Catholique de Louvain, pp 10 à 23.), nous pouvons maintenant nous poser la question de : E. La signfication d'une étude psychologique des phénomènes délinquants. Il faut en premier lieu considérer l'extension du champ du phénomène à étudier et comprendre que si la psychologie criminelle ou la criminologie clinique est l'étude du comportement délinquant, elle vise également à saisir ce comportement en fonction de sa signification pour le sujet et en référence à la vie mentale. On va par conséquent considérer des faits psychologiques différents de ceux qui aboutissent à des actes réels. On peut par exemple faire référence à la délinquance inhibée, ou à celle qu'on rêve, ou à celle qui constitue l'éventualité d'un destin. L'approche clinique nécessite également de rediscuter la tendance à distinguer ou à opposer le délinquant et le non délinquant. On peut ici faire référence, à titre d'exemple, à la vie de Jean GENET et en cela montrer que la délinquance constitue tout à la fois un fait sociologique et une possibilité personnelle fondamentale.

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La criminologie clinique doit également prendre en compte la pluralité des catégories d'actes , de conduites et de comportements condamnables. Enfin, il faut se poser la question de la prétention d'une définition psychologique de la délinquance et comprendre qu'il existe ici le risque d'une réduction du sujet à son acte. Ce risque a déjà été évoqué dans la distinction entre les notions de culpabilité et de responsabilité. On peut en effet facilement passer naturellement de la qualification du comportement à celle de l'acteur. C'est pourquoi, il faut distinguer l'acte délinquant et l'acte de délinquant. Le premier peut être le fait d'un sujet non récidiviste tandis que le second peut n'être qu'une conduite non délictueuse. Mais en cela, elle fait aussi référence à un ensemble d'attitudes, de sentiments ou de modes de réaction considérés péjorativement. Cela montre par conséquent le risque second d'attribuer la qualité de délinquant à un type de personnalité et de fonder ainsi scientifiquement une pratique sociale, judiciaire ou policière, de discrimination dès lors que ce type de personnalité est opposé à un type de personnalité qui serait qualifié de non délinquant. En guise de solutions à ces risques, il faut faire référence aux processus impliqués dans l'adoption d'un comportement délinquant. Cette référence implique d'envisager la dynamique de dialectique entre d'une part la situation contextuelle et, d'autre part, l'intention du sujet ainsi que la fonction que revêt le comportement pour ce sujet en question. F. Signification de la délinquance. Il faut reprendre ici les deux dimensions à la fois transitive et intransitive de la notion de "signification" pour comprendre comment le délinquant s'engage dans un agir en vue de signifier un sens particulier. Le premier sens, en sa dimension transitive, est donc celui de la teneur de cet agir, de son contenu descriptif. En cela, le signe est plus ou moins adéquat de ce que l'acte veut exprimer. On envisage en cela le point de vue du sujet lui-même : quel sens prend son comportement pour lui-même. On envisage également les conséquences de l'agir du point de vue du fonctionnement psychique. Le deuxième sens de la signification est celui de sa dimension intransitive. On parle donc ici d'un message à faire passer, du fait de communiquer ou de notifier quelque chose à quelqu'un. Il y a donc l'idée d'un enjeu qui est celui de la reconnaissance par l'autre. Cette reconnaissance est celle de l'intention du sujet, en référence à son acte mais également au besoin de reconnaissance de ce qu'il est lui-même. Se pose ici le problème de la connaissance du délinquant en appelant à une reconnaissance et le problème de la connaissance scientifique de son rapport à l'objet d'étude. On doit par conséquent aussi tenter de décoder les intentions du délinquant qui réclame ou qui signifie son rapport à la Loi. En troisième lieu enfin, on s'interrogera sur la signification d'une conduite du point de vue d'une théorie scientifique. Le sens du comportement sera alors celui d'un signe révélateur

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scientifiquement d'un mode de fonctionnement de la personnalité, d'un moment de déroulement des processus psychiques. On examinera par cette étude les facteurs qui conduisent aux faits commis, et en quoi les comportements sont signes de transgression du point de vue de l'auteur lui-même. Cette dernière approche implique cependant qu'on se pose de la question de savoir si les théories sont elles-mêmes de portée suffisante en regard de la signification de cette délinquance et si l'on n'est pas là influencé par certains préjugés pré-scientifiques induits socialement.

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CHAPITRE II. MORALE ET PASSAGE A L'ACTE. A. CONCEPTIONS HISTORIQUES DE L'HOMME ET DU BIEN MORAL. La compréhension du rapport à la loi et, plus largement, des processus impliqués dans la formation de la conscience morale, nécessite de prendre en compte l'évolution historique des notions de bien et de mal et, par conséquent, l'évolution aussi des notions relatives à la place de l'homme dans l'univers et dans la société. On comparera à ce propos, de façon schématique, les conceptions issues de deux traditions à l'origine de notre civilisation, soit les traditions hellénique et hébraïque. ( Cfr notre thèse Loi religieuse et Loi morale dans la tradition juive : contribution à l'étude de la personnalité morale de délinquants juvéniles selon la théorie mytho-empirique de S.G. Shoham. Vol. I : Théorie. Université Catholique de Louvain. Ecole de Criminologie. Pp 37 et al.) 1. La conception de l'univers. Les grecs avaient de l'univers une conception cyclique, incluant l'alternance du mouvement sur le mode de la répétition et du retour à un équilibre observable dans le mouvement des planètes et dans l'alternance des saisons. La notion de juste milieu entre forces antagoniques fondait ainsi l'idée d'un mouvement idéal, d'une perfection. La pensée grecque se caractérise ainsi par l'importance accordée à la dualité, opposant par exemple la forme et la matière , l'unité et le multiple, le pur et l'impur, l'âme et le corps. On retrouve pourtant ce schéma de pensée dans toutes les philosophies antiques et archaïques à l'intérieur desquelles l'organisation du cosmos sert de modèle à l'ordre social. C'est en cela que la réaction sociale vise à retrouver l'harmonie initiale, l'ordre social n'étant que le reflet de l'ordre cosmique. Cette dualité et cette alternance de mouvements se retrouve notamment aussi dans l'idée du sacrifice visant à autoriser le retour des saisons et la fertilité du sol. On observe par ailleurs dans les philosophies antiques des modèles d'antagonisme entre forces bénéfiques et maléfiques. La force bénéfique est représentée par le pouvoir temporel, par le souverain, tandis que le pouvoir maléfique appartient au sorcier. Certains individus sont ainsi autorisés à poser des actes à rebours, des rituels de rebellion, des comportements contraires aux règles habituelles de conduite et remettant en cause l'ordre social, de telle sorte à renforcer la validité de cet ordre par l'effet du contraire. En ce sens, le désordre ainsi causé vise à montrer mieux encore la nécessité de l'ordre. L'exemple en est donné dans le comportement de certains individus dans la société comanche. On peut voir dans ces modes de pensée un mécanisme de croyance visant à préserver un désir personnel de sécurité. Il s'agit donc d'un mode de pensée pré-scientifique, de démarches visant à s'attirer les faveurs de puissances divines et telluriques dont dépend semble dépendre l'existence humaine. Les sacrifices visent ainsi à s'attirer les faveurs des puissances naturelles afin de bénéficier de leur influence bénéfique et de conjurer les puissances maléfiques, dans des sociétés

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à l'intérieur desquelles l'homme se perçoit comme dépendant et dominé par la nature. La crainte du retour d'un chaos est associée à une crainte de mort. Il existe donc un état de fusion intime entre le pouvoir politique et le pouvoir sacré. Le premier dépend en effet du second. C'est avec l'arrivée de la science que s'instaurera une distinction entre le deux. Nous renvoyons à ce propos à la lecture de Jean DELUMEAU, le Péché et la Peur : la culpabilisation en Occident, XIIIe – XVIIIe siècles. Ed. Fayard. Paris, 1983. C'est pourtant dans la Grèce antique que s'instaurera une première différenciation entre le temporel et le spirituel. Socrate amène ainsi l'individu, par une démarche d'interrogation sur lui-même (la maïeutique) afin d'opérer une distinction entre "ce que je suis et ce que je crois être". Cette distinction s'inscrit cependant déjà dans le contexte d'une société civile et démocratique. Cette démarche philosophique avait par ailleurs été initiée auparavant par l'évolution de la philosophie et par une interrogation quant à la réalité des choses, à l'exemple de Zénon d'Elée. Mais on retrouve pourtant encore dans ce mode de pensée certaines constantes avec une pensée primitive, par exemple dans le fait de la conception de l'intemporalité d'un cosmos à l'intérieur duquel l'Histoire humaine se pose au-délà des contingences du temps. Cette Histoire humaine et sociale doit en effet correspondre, au regard de ce modèle philosophique , à un modèle idéal préservant de l'angoisse du chaos. La conception biblique de l'Histoire humaine accorde au contraire une importance au déroulement chronologique dans le cours duquel se positionne un rapport spécifique entre un peuple, une terre et son Dieu. Dans cette perspective, alors que la pensée grecque se révèlait essentiellement dualisante, la pensée sémitique est unitarisante. On en retrouve la trace dans le fait direct du monothéisme accordant la primauté à l'unité sur la pluralité. On retrouve également en cela une forme de pensée synchrétique, confondant parfois la transcendance et l'immanence. On constate une autre différence entre la pensée hellénique et la pensée biblique dans le fait, aux yeux de cette dernière, le divin s'engage dans l'histoire humaine immanente alors que, aux yeux de la pensée hellénique, ce même divin se servait de l'humain pour atteindre des objectifs particuliers ou régler des querelles internes. C'est ce qu'explicite d'ailleurs le récit mythologique de la guerre de Troie. 2. La compréhension de l'Homme. Au terme de cette première approche comparative, il apparaît que les sociétés anciennes n'accordent à l'Homme dans l'univers que la place d'un élément de la création parmi d'autres, sans lui conférer pas conséquent une valeur spécifique et supérieure en tant qu'individu. De la même manière, dans la tradition biblique, l'Homme n'est que le membre d'un peuple à l'intérieur duquel il ne détient a priori aucune place privilégiée et aucune valeur inconditionnelle. Cette valeur lui est cependant accordée dans la mesure où il se trouve lui-même au service d'un projet collectif et de l'intérêt commun. On retrouve ici la caractéristique de pensée des sociétés anciennes donnant le primauté au personnage social sur la réalité individuelle, au rôle social sur la personne.

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3. La compréhension de la Loi. L'approche de la notion de Loi permet cependant de différencier la tradition hellénique de la tradition biblique, dans la mesure où, aux yeux de cette dernière, cette loi revêt une valeur transcendentale découlant de sa révélation. La pensée grecque ancienne n'accorde aucune caractéristique religieuse de la sorte à la loi. Mais elle distingue par contre le caractère pénal et civil de cette loi dès lors qu'elle distingue également les représentations de l'acte et l'organisation des fonctions du droit dans la société. À l'inverse, dans le judaïsme biblique, l'autorité religieuse détenait tout à la fois le pouvoir civil et pénal. À la période classique , la Grèce connaît encore cette même distinction entre le pénal et le civil de même qu'elle distingue, à l'intérieur de la matière pénale elle-même, le registre des matières laïques de celui des matières religieuses. Ainsi, le pouvoir laïc se trouvait compétent en regard d'actes ne remettant pas en cause le principe du cosmos. 4. La compréhension du pur et de l'impur. À l'intérieur de la notion de Loi, on retrouve l'importance de la désignation du pur et de l'impur. Cette idée était déjà présente dans la tragédie grecque. Dans la tradition hébraïque, cette distinction du pur et de l'impur procède d'un souci de maintenir le contact entre l'humain et le divin. Pour la pensée hellénique, il est surtout question de préserver l'intégrité de la communauté elle-même et de rejeter tout ce qui peut la contaminer. De même, la pensée sémitique accorde une importance au souci de préserver la pureté du canal entre l'humain et le divin. L'obligation de pureté se retrouve ainsi dans de multiples pratiques telle que celle des bains rituels ou dans des interdits tel que celui du contact avec le cadavre, les détritus, la femme en période de menstruation... On retrouve ainsi, dans l'origine sémitique de la loi , une conception du bien et du mal attachée à cette notion de pureté. Cette notion s'avère cependant pré-morale en ce qu'elle ne constitue pas un véritable jugement de valeur. Elle revêt en effet un caractère véritablement fonctionnel dès lors qu'il est question de protéger la communauté ou la cité du danger de la souillure et de l'impureté autant que de la contamination de la violence, pour préserver ainsi le pouvoir sacré. On voit ainsi la société archaïque animée par une notion de responsabilité matérielle et objective principalement. On observe cependant, dans les courants de pensée les plus anciens de la Grèce classique, la simultanéité des mécanismes de responsabilité subjective et de responsabilité matérielle, dans la mesure même où se trouve affirmé le souci d'écarter de la société le danger de la souillure attachée au délit. Ainsi, Platon conseille de bruler le couteau meurtrier porteur de la souillure du meurtre. De la même façon, les jugements se tenaient en plein air à Athènes par crainte de la contamination. Dans la société comanche, un meurtrier banni ne pouvait rentrer dans le territoire

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du clan sans effectuer des rites de purification. Dans nos sociétés anciennes, il était interdit de toucher le bourreau. La notion de contamination se retrouve à l'âge classique de la société occidentale, à l'intérieur de mécanismes de responsabilité purement matérielle ayant conduit à la nécessité de juger des animaux. Les notions de péché et de souillure se trouvaient ajoutées l'une à l'autre et conduisaient à sanctionner les victimes de viol autant que leurs auteurs. le besoin de se préserver l'impureté découle par conséquent de ce que le groupe en est la première victime. Ainsi, le double crime d'Oedipe en raison de son union à sa mère et du meurtre de son père constitue une infraction à deux tabous fondamentaux et la remise en cause principalement de l'ordre social. C'est d'ailleurs par référence à ceux deux crimes que s'expliquera la peste ayant atteint Thèbes dont il est le roi. Le sacrifice d'Iphygénie par Agamemnon revêt la même signification d'un rite de purification dans la mesure où il vise à réparer l'exécution de la biche sacrée par Agamemnon, cause explicative de l'arrêt du vent empêchant le départ de la flotte grecque. 5. La compréhension du sacrifice. Les rites de purification revêtent un caractère purement magique en ce qu'il visent à permettre "que ce qui a été n'ait pas été". En cela, ils procèdent du déni de la réalité. Cela se retrouve dans la décision judiciaire autorisant la famille de la victime à prendre le meurtrier pour lui faire occuper la place de cette victime. L'abandon de l'auteur à la famille de la victime porte le nom d'abandon noxal. Dans cette perspective, les mécanismes de sacrifice sont cependant les plus fréquents : la coupe d'une mèche de cheveux, le sacrifice d'un animal ou d'un être humain, l'application du fouet ou la mise à mort, le sacrifice du pharmacos en cas d'atteinte grave à la cité athénienne. Dans la société des aztèques, un jeune homme de classe inférieure mais revêtant une beauté physique, était entretenu pendant un an au titre du dieu sur terre, pour être exécuté à la fin de l'année afin de redonner force au soleil. Dans la tradition biblique, le contact avec le divin aboutissait immédiatement à la mort. Dans le sacrifice d'Isaac, on ne retrouve pas cette idée de purification ressortant du registre de la réparation et de la lutte contre la contamination visant la société, mais bien plutôt le registre de l'échange. Le sacrifice du Christ mettra, dans cette perspective, un terme à la pratique sacrificielle. Dans la pensée antique, on observe plutôt un glissement progressif dans le sens de l'atténuation de la gravité du sacrifice à partir du moment où le sacrifice humain se trouve progressivement abandonné au bénéfice d'actes de substitution, tels que la coupe d'une boucle de cheveux. Néanmoins, on observe toujours le sacrifice de ce qui est en apparence l'objet le plus pur, comme c'est le cas dans le sacrifices d'Iphigénie. Mais on voit, en fonction de cette progressive dérive, une démarche sacrificielle à l'encontre des êtres en apparence les moins utiles (les esclaves) en même temps que décroît la dimension sacrée de ces sacrifices. Il s'agit donc là d'une négociation avec la règle. On peut ici faire référence aux études de FRASER, telle que "Le Rameau d'Or et le Bouc Émissaire". Les études de René GIRARD (la Violence et le Sacré, Ed. Grasset, 1972, et Des Choses Cachées depuis la Fondation du Monde, Le Livre de Poche Ed., 1983) montrent que la sanction - sacrifice

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a pour effet d'emporter l'impureté en même temps que le meurtrier sacrifié. Il s'agit donc d'un transfert de culpabilité par laquelle la cité vise à se purifier complètement. La peine de mort lave ainsi la société de toutes ses souillures, en même temps qu'elle fait du délinquant sacrifié une sorte de martyr et de bouc émissaire. D'autre part, c'est dans cette notion de bouc émissaire qu'on peut voir le moyen d'éviter la contamination de la vengeance qui aurait pour effet d'aboutir à la destruction de la communauté par l'engrenage incessant de la violence réciproque. Ainsi, la vengeance privée s'est transformée en justice privée pour devenir enfin justice publique. 6. La compréhension de la vengeance. Ce schéma n'est cependant pas véritablement explicatif de la réalité car si la vengeance privée avait été véritablement la loi naturelle, plus personne ne pourrait à présent en parler. Il reste cependant que toute société a mis en place des mécanismes visant à enrayer la justice privée et à réguler les rapports de force entre individus. On retrouve ces mécanismes dans la loi du talion, dans la vendetta et dans les représailles mortelles. Il apparaît cependant que la société intervient pour mettre un terme à une vengeance privée qu'elle a autorisée dès lors que cette dernière irait au-délà d'un acte proportionnel à la gravité initiale du fait subi. On voit ainsi se juxtaposer des mécanismes officiels ("si tu as tué, tu seras tué") et des mécanismes officieux ("si tu réussis à te réfugier dans une église, tu seras sauvé"), illustrant la complexité des règles sociales et pénales en regard de la complexité des situations. Cette relativité de la règle s'observe par exemple dans l'interprétation de la loi du talion par la tradition talmudique, laquelle insiste sur la nécessité de rembourser en fonction de la valeur initialement détruite. Cette loi du talion devient alors un mécanisme de réparation civile qu'on peut lire "oeil selon l'oeil " plutôt que selon la formule traditionnelle. (cf. Raphaël DRAÏ, Le mythe de la loi du talion, Alinéa, 1991.) Il s'agit donc clairement d'un mécanisme de réparation et de compensation plutôt que de répression. Ainsi, la "Loi des Douze Tables" connaissait également le principe de la loi du talion au titre d'une mesure conservatoire et supplétive, ne s'appliquant qu'à défaut d'entente entre les parties sur la nature de la compensation d'un dommage. Cette loi du talion revêtait alors le caractère d'une incitation à la transaction. ( Cf. Michel FOUCAULT. Surveiller et punir. Gallimard. Paris 1975). On constate ici que la sanction, initialement fondée sur la gravité de l'acte commis, sera progressivement décidée en tenant compte de la personnalité de l'auteur et de la victime, de telle sorte à lui conférer une utilité différente, en termes de traitement et de rentabilité de la peine.

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B. RÈGLES MORALES ET INFRASTRUCTURES PSYCHOLOGIQUES. Nous allons tenter à présent de dégager les processus par lesquels un sujet peut intérioriser les notions de permis et d'interdit, de bien et de mal, et par conséquent celle de la Loi en fonction de mécanismes psychologiques ordinaires. Les processus étudiés permettront de comprendre, en fonction du stade d'évolution et de leur nature, l'émergence d'une morale "fonctionnelle" et d'une morale "valorielle". 1. La morale fonctionnelle. Les premiers mécanismes que nous examinerons comme aboutissant à l'émergence de comportements dans le registre fonctionnel ont trait au conditionnement. a. Le conditionnement. Il existe deux types de conditionnement, à savoir le conditionnement classique et le conditionnement opérant. -. Le conditionnement classique. Le premier théoricien du conditionnement classique est Pavlov, connu par son expérience sur le chien dans laquelle il associe un stimulus inconditionnel, la nourriture, à un stimulus conditionnel, la sonnerie. La substitution du stimulus conditionnel au stimulus inconditionnel aboutit à ce que la simple sonnerie fasse saliver le chien. Dans cette perspective, Eysenck affirme que le conditionnement classique explique la vie morale dès lors que le fait d'adopter tel comportement est lié selon lui, par le canal de la punition, à l'angoisse et par conséquent à l'évitement du comportement sanctionné. Il établit à ce propos la nécessité d'insérer la notion de constitution (C) à l'intérieur du schéma de l'arc réflexe S - R. ou stimulus - réflexe. Il montre en effet que le sujet introverti se conditionne plus facilement et intériorise dès lors plus facilement aussi la règle ou la loi. À l'inverse, le sujet extraverti se conditionne plus difficilement dès lors qu'il est plus rapidement sollicité par la variété des stimulations externes. Se conditionnant moins facilement, il deviendra par conséquent aussi plus facilement délinquant. -. Le conditionnement opérant. Le théoricien du conditionnement opérant est B. F.SKINNER ( L'analyse expérimentale du comportement : un essai théorique. Ed. Dessart et Mardaga. Coll. Psychologie et Sciences Humaines. Bruxelles. 1971). Il montre que le sujet de ce conditionnement, à l'inverse de celui du conditionnement classique, peut ici se percevoir comme agent et non plus comme simple objet, parce qu'il est amené à choisir entre deux solutions à l'intérieur d'une situation apparaissant au départ comme parfaitement neutre ou indifférente. C'est donc en fonction de la réponse ou du renforcement, positif ou négatif, de son choix et de son comportement que cette situation prendra

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une signification. Le comportement le plus probable deviendra donc celui qui aura été le plus gratifié. Skinner comprend dès lors la personnalité comme un réservoir d'unités réflexes ou de comportements gratifiés positivement. Les projets ne sont par conséquent dans cette perspective qu'une chaîne comportementale influencée par des conditionnements successifs. Il n'y a pas ici de concept de conscience en tant que telle. On peut dès lors devenir délinquant ou non délinquant suivant les conditionnements auparavant subis. Skinner fait donc référence à l'histoire du sujet et, en cela, il montre le caractère variable des réponses possibles. On peut ici faire référence par ailleurs à la notion d'imitation et de comportement vicariant, à savoir un comportement visant à l'obtention du bénéfice retiré par l'attitude de la personne imitée. b. La théorie de Mc Cord et Mc Cord relative à la hiérarchie des désirs. Cette théorie, dans la perspective de la compréhension de l'accès à une morale fonctionnelle, complète l'approche illustrée par le processus du conditionnement. Elle place au centre du comportement humain de la notion d'anxiété comme constitutive de valeurs. En effet, cette théories montre qu'il existerait quatre formes d'anxiété à l'origine du choix de comportements ou d'attitudes. En premier lieu, l'anxiété hédonique est assimilée à la peur d'un déplaisir immédiat. En deuxième lieu, on peut faire référence à la notion d'anxiété allocentrique, d'une peur de perdre l'estime des pairs. En troisième lieu, il est fait référence à l'anxiété d'autorité ou la peur de faire l'objet d'une réprobation de la part d'une autorité. Enfin, on parlera de l'anxiété d'intégrité, à savoir la peur de perdre l'estime de soi-même, et le désir par conséquent aussi de préserver une image de soi. Cette dernière notion d'anxiété d'intégrité nous conduit par conséquent à passer déjà très naturellement au registre d'une morale valorielle puisque cette image de soi paraît déjà en elle-même supérieure à la seule notion d'influences externes sur l'individu, qu'il s'agisse du conditionnement ou de l'anxiété, et conduit dès lors à comprendre l'engagement au service d'une valeur reconnue pour elle-même. Cette approche fonctionnelle montre également, dans la théorie de Mc Cord et Mc Cord, qu'il serait possible par conséquent d'être délinquant ou non-délinquant selon qu'on serait plus fortement influencé par l'anxiété hédonique ou allocentrique dans le cas de la délinquance, par l'anxiété d'autorité ou d'intégrité dans le cas de la non-délinquance. Ce type d'explications montrerait par conséquent aussi qu'un même processus expliquerait le choix d'une orientation comme de l'autre. 2. La morale valorielle. La compréhension d'une morale valorielle amène à examiner le comportement qui vise à protéger une valeur pour elle-même, en ce qu'elle a sa propre signification. On peut faire ici référence aux différents sens de la notion de fidélité. On va donc faire l'analyse du lien entre le sujet et l'objet

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déterminé auquel il est lié, indépendamment de sa propre sécurité. On fait par conséquent ici référence à la notion d'attachement notamment développée par Bowlby. Il s'agit d'étudier un comportement qui prend un sens ou une signification commandée par la valeur plus que par ce que le sujet éprouve. Dans cette perspective d'une morale valorielle, nous allons distinguer une approche cognitive d'une approche affective. a. La perspective cognitive. C'est à la suite de PIAGET (Le jugement moral chez l'enfant. Ed. Alcan. Paris, 1932.) qu'on peut établir une distinction chronologique et d'évolution entre l'accès à une morale hétéronome et une morale autonome. Dans la perspective de Piaget, l'enfant se perçoit initialement comme vivant dans un monde sursaturé de règles qui lui sont imposées de l'extérieur et qui font partie inhérente de son expérience. Le respect de ces règles s'impose donc d'autorité. À ce stade, il est question d'une morale hétéronome qui trouve sa justification dans la volonté des autres, lesquels imposent alors la règle. En raison de son accession progressive à un milieu de vie plus élargi, notamment en milieu scolaire, l'enfant d'une dizaine d'années va être placé dans le cadre de jeux de groupe avec des pairs. À cette occasion, il constate tout d'abord que la règle est indispensable à la réalisation du jeu et à sa poursuite. La règle est en cela aussi à la source de la création du groupe. Il constate par la suite également qu'il peut à son tour devenir "législateur" avec les autres comme partenaires et être amené à modifier la règle pour permettre la poursuite du jeu. Il apprend en cela également qu'on doit accepter les inconvénients pour pouvoir bénéficier des avantages de ce jeu. Piaget désigne, dans ce stade d'une morale qualifiée d'autonome, la naissance de l'esprit démocratique : les règles ne sont pas imposées de l'extérieur mais ont une valeur en elles-mêmes parce qu'elles sont le produit d'un consensus. Cela suppose évidemment le fait d'une reconnaissance mutuelle des membres du groupe. Dans le fait de cette reconnaissance, on passe très naturellement au registre d'une perspective affective. b. La perspective affective. Anna FREUD (Le moi et les mécanismes de défense. P.U.F. Paris, 1949) est à l'origine de cette perspective dès lors qu'elle fait le constat de ce que, durant la petite enfance, l'intériorisation des règle est principalement la conséquence d'une réaction de peur face à l'aspect menaçant de l'autorité. Elle évoque à ce sujet un premier processus de défense automatique par identification à la personne menaçante. Ce mécanisme permet à l'enfant de se percevoir comme étant "comme l'objet/personnage menaçant", ainsi qu'on peut le voir dans la réaction de la petite fille sanctionnant sa poupée à la manière dont sa mère l'a elle-même sanctionnée. Nous nous trouvons encore à ce niveau face à des réactions de morale essentiellement fonctionnelle. En un deuxième temps, l'enfant peut vivre l'importance d'une relation à l'intérieur de laquelle il se perçoit comme l'objet d'une sécurité et d'une affection, comme étant par conséquent lui-même revêtu d'une valeur et d'une signification particulière. Il cherche donc à protéger la qualité de ce lien lui permettant d'être reconnu comme une personne. L'imitation de l'autorité parentale revêt

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alors le sens de cette démarche d'adhésion à une relation chargée de signification affective et structurante. L'imitation et l'identification à l'image parentale constitue par conséquent la réponse à la reconnaissance parentale de l'enfant, en même temps qu'elle constitue le moyen d'accès à une morale valorielle en ce sens que l'enfant adhère véritablement à la valeur représentée et défendue par la loi. CHAPITRE III : LA CONSCIENCE MORALE ET L'INCONSCIENT. A. Freud et la psychanalyse. Né à Freiberg en Moravie en 1856 et autrichien de nationalité, Sigmund FREUD est mort à Londres en 1939. Créateur génial de la science psychanalytique, il est l'auteur d'une œuvre monumentale aux innombrables prolongements et qui influence de plus en plus profondément l'ensemble des sciences humaines. On fera donc ici référence à l'ensemble de cette œuvre et, en particulier, aux ouvrages suivants : • Introduction à la Psychanalyse. • Essais de Psychanalyse. • Cinq Leçons sur la Psychanalyse. • Totem et Tabou. • Contribution à l'Histoire du Mouvement Psychanalytique. • Psychopathologie de la Vie Quotidienne. •- Moïse et le Monothéisme. La psychanalyse peut se définir en fonction de trois objets essentiels, à savoir : - la recherche d'une vérité qu'on peut comprendre comme le contraire de l'oubli, du sommeil ou de la mort, ainsi que cela ressort du terme grec d'"alétheïa". - la psychanalyse est également une technique ou une méthode de traitement visant à la libération de l'individu de ses affects ou passions, à travers certaines méthodes, permettant par conséquent aussi l'accès à la liberté. - la psychanalyse se veut enfin la systématisation d'un savoir, une théorie ou un corps de doctrine. En cela, la psychanalyse constitue une démarche cathartique, de purification des passions et affects. Cela renvoie à la conception grecque antique de l'existence humaine comme tragédie et au sens de ce thèatre et de la tragédie comme représentation artistique. Cette purification - ou catharsis - est effectuée par l'intermédiaire de la parole, les mots et leur cohésion donnant lieu à une recherche de sens au travers l'écoute. Les concepts essentiels de la psychanalyse peuvent dès lors être compris comme étant : - 1. La réminiscence ou le moyen de réinstaller le sujet dans son histoire par la cure parlante, au travers une démarche visant à lutter contre l'oubli du sens obscurcissant l'objet, par une

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conjonction de la mémoire et de cet oubli afin de "boucher les trous". - 2. L'affect, les sentiments ou représentations à l'origine de blocages. On va donc viser à une remise en mouvement par la dialectique inhérente à la situation psychanalytique. - 3. L'inconscient, soit ce lieu d'une présence bizarre ou ambiguë de symptômes. Ces mêmes symptômes sont définis comme étant les mécanismes primaires se caractérisant par l'absence de contradiction logique et par l'intemporalité. La psychanalyse se caractérise également par sa méthode qu'on peut définir en trois critères, à savoir : 1. La catharsis autorisée par l'effet de la suggestion restaurant la capacité de parole. 2. Les associations libres fondées sur l'invitation à suivre ses idées et à pouvoir ainsi dépasser les blocages psycho-affectifs. 3. La situation analytique à l'intérieur de laquelle le patient pose ce qu'il ignore et laisse émerger les formations de l'inconscient, à savoir les rêves, les actes manqués , les lapsus, les symptômes névrotiques. 1. La Théorie de l'Inconscient. Le premier constat à ce propos est celui de résistances qu'il faut ici comprendre comme des difficultés à la remmémoration ou à l'expression. Il s'agit de "trous de mémoire", de "blancs" ou de "répétitions", autant que d'"actes manqués", actes posés à l'encontre du désir conscient. On voit ici apparaître le jeu de forces contradictoires qui dépassent l'intention consciente et qui "bloquent" le sujet à l'intérieur du clivage dualiste entre le bien et le mal, la volonté et l'incapacité. Ceci apparaît particulièrement claire dans les troubles obsessionnels compulsifs et dans les phobies. Les forces contradictoires en jeu paralysent ainsi le vouloir du sujet et son agir. En effet, les souvenirs et les expériences refoulées sont agissantes au travers de telles résistances, lesquelles laissent voir que le refoulement sert à maintenir dans l'inconscient des idées non acceptées par la conscience. L'Inconscient génère ainsi lui-même des phénomènes résultant de ses conflits avec le conscient, et qui sont par conséquent autant de compromis entre des forces opposées. Il s'agit des formations de l'Inconscient qui regroupent les rêves, les lapsus , les actes manqués, les mots d'esprit, soit autant de phénomènes qui ne sont pas en eux-mêmes psychopathologiques ainsi que le sont les symptômes névrotiques ressortant de la même catégorie l'des formations de l'Inconscient. de la conscient. Ces formations de l'Inconscient revêtent une nature essentiellement symbolique dès lors que le symbole caractérise principalement l'Inconscient lui-même. Ce dernier présente en effet, dans les images et dans ses formations, une face de concrétude et une fonction de synthèse entre diverses représentations ressortant d'un même terme. À l'inverse, le langage permet à l'Inconscient de passer du registre du symbole à celui du signe, de "mettre des mots sur les maux". L'objectif est ainsi de faire rentrer ces maux, qui sont du registre de l'agir, à l'intérieur des mots et de la parole, de telle sorte à permettre au sujet de sortir de cette paralysie dans laquelle il est maintenu par le jeu de forces contraires. Par ailleurs, on se rappellera que la parole est aussi le lieu de l'accès à la Loi. À travers cette compréhension de productions de l'Inconscient, il est donc possible de faire l'approche du sens des articulations entre le désir et l'interdit, entre la

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loi et l'agir délictuel. 2. La théorie des instances du sujet. Cette théorie s'inscrit dans le prolongement de celle de l'Inconscient défini comme la première topique. On tiendra cependant compte de ce que, dans une deuxième théorie de l'inconscient et dans la description théorique d'une deuxième topique, Freud revient sur sa conception première d'une nette délimitation entre la conscience et l'inconscient, pour souligner au contraire le fait que chacune des trois instances dynamiques que sont le ça, le moi et le surmoi se trouve présente en chacun des deux registres (conscience/Inconscient) et selon une économie diverse. Le ça représente le réservoir des pulsions, le lieu du désir. Il fait écho à la notion de plaisir. Il est le lieu de la spontanéité, du naturel. On distinguera cependant ici la notion de pulsion et celle d'instinct. Par instinct, il faut comprendre le fait d'un savoir automatique et efficace. Il ressort du registre animal en cela qu'il concerne les questions du territoire, de la survie et de la reproduction de l'espèce. Pour une même espèce animale, dans une situation donnée, le comportement de l'individu sera toujours identique et prévisible. On est en présence d'un schéma corporel automatique et lié à la constitution biologique du sujet. Le comportement peut être éventuellement modifié par le conditionnement, mais on ne peut modifier la présence ou l'absence même de la réponse. En ce qui concerne la pulsion, il faut la comprendre, dans le registre analytique, comme l'existence d'une énergie en direction d'un but inconnu du sujet mais le portant à un devenir personnel, à une réalisation de soi-même, à sa propre cohérence intérieure. En effet, il n'existe chez l'être humain aucune réponse prévisible face à une situation donnée. Les interprétations que donne l'individu à cette situation sont en effet toujours différentes d'un individu à l'autre, d'une circonstance à l'autre. La notion de pulsion porte donc sur un registre beaucoup plus vaste que celui de l'instinct. Elle est en cela liée à la spécificité individuelle tandis que l'instinct se comprend plus logiquement en regard de l'espèce. Ceci n'empêche pas qu'on puisse parler d'un "instinct humain", mais il faut alors veiller à en délimiter très clairement le sens en regard de ce qu'on peut qualifier comme étant le genre humain. Cette distinction entre la pulsion et l'instinct revêt un intérêt particulier au regard de la question de l'apprentissage. S'il l'instinct est en effet un savoir mécanique et automatique, les formes d'apprentissage qui y sont liées sont celles de l'imitation et de l'essai-erreur. Chez les animaux, on parle d'imprinting, d'une forme de marquage neuronal préférentiel et ressortant du registre biologique. À l'inverse, l'apprentissage humain fait aussi référence à l'abstraction et aux registres affectifs ou culturels. Le surmoi représente la loi et l'interdit. Il se traduit donc en termes d'injonctions telles que "il faut", "tu dois", "il est interdit de", "nous sommes sensés"... Il s'agit de l'héritage de l'éducation parentale ou, plus précisément, des limites et interdits en provenance de toute image parentale. Le surmoi ressort en cela non seulement du discours parental, mais également des valeurs transmises par l'Histoire et la culture. On peut ici faire référence au concept jungien d'un surmoi collectif

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traduisant un interdit primal, originel ou absolu. On peut également faire référence à la notion de tabous essentiels que sont l'inceste et le meurtre, deux interdits universels. Les limites et les portées de ces interdits varient selon les cultures. Par ailleurs, si la notion d'interdit fonde le surmoi, elle instaure en cela la distance et la différence permettant le mouvement de l'identification. C'est en cela qu'on parle d'imago parentale en tant que modèle d'identification constitué. Le moi est le lieu d'une articulation entre le ça, le surmoi et la réalité. Il est par conséquent le lieu du compromis autant que de la prise de conscience et de l'analyse. Il est aussi le lieu d'accès à la parole et à la prise de parole. Il se construit sous l'influence conjuguée des trois éléments que sont le surmoi, le ça et la réalité, de telle sorte qu'il aura pour fonction de donner des réponses à des situations intérieures conflictuelles. Il est important de rappeler ici que, dans sa deuxième théorie de l'Inconscient, Freud illustre le fait que chaque instance relève diversement de la conscience et de l'Inconscient simultanément, de telle sorte que l'individu n'est jamais totalement enfermé dans son inconscient. Si cela était le cas, il n'existerait aucun libre-arbitre mais une fatalité liée à la cécité de la conscience. La 2e topique dès lors définie par Freud est celle de besoins ou facteurs correspondant à la féminité ou à la tendresse en rapport avec le ça, au sadomasochisme, à la conduite éthique en rapport avec le surmoi, au besoin de se montrer ou de se cacher , au narcissisme, à la création et à la dilatation, à l'acquisition et à la nouveauté, à la sécurité et à l'accrochage. La 2e dynamique est celle de la pulsion ou vecteur. Ce propos, Freud distingue la pulsion sexuelle, la pulsion de protection du moi, la pulsion du moi et la pulsion de contact. Ces pulsions ou énergies disponibles sont réparties et distribuées en termes d'économie en chacune des instances du sujet que sont le ça, le moi et le surmoi. Par ailleurs, à chaque groupe de facteurs pulsionnels correspondent des troubles mentaux spécifiques. Ainsi, les troubles sexuels font référence au sadisme, à la perversion ou à l'homosexualité. Les troubles de la pulsion de protection du moi sont appelés troubles paroxystiques et correspondent à l'hystérie ou à l'épilepsie. Les troubles de la pulsion du moi sont les troubles maniaco-dépressifs s'exprimant par la manie et la dépression. Enfin, les troubles de contact sont les troubles schizophréniques s'exprimant au travers la paranoïa ou la catatonie. La distinction entre les instances de l'inconscient que sont, d'une part, le ça et le surmoi et d'autre part le moi correspond par ailleurs à une distinction entre processus primaires et processus secondaires. Les processus primaires se caractèrisent, en raison de leur nature inconsciente, par un besoin de décharge et de satisfaction immédiate, par le passage d'une représentation à une autre selon des mécanismes de déplacement et/ou de condensation, par l'hallucination de l'objet qui est source de satisfaction primitive, par l'absence de cohérence ou de relation logique entre les représentations, par la méconnaissance des relations temporelles et du principe de réalité, par la compulsion de répétitions répondant aux principes d'identité de la perception. À l'opposé, les

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processus secondaires inhérents au fonctionnement du moi ont pour but de modérer les processus primaires. Ils obéissent pour leur part au principe de réalité, de logique et de cohérence, ainsi qu'aux principes d'identité de pensée et non plus de perception. En ce qui concerne la notion d'Inconscient, on peut aussi faire référence à celle d'un inconscient collectif énoncée par Jung. Il s'agit de formes symboliques, de notions transmises de génération en génération et portant sur les représentations que l'homme se fait de lui-même et du monde. Un exemple de telles formes symboliques est celle du mandala correspondant à une figure géométrique présente dans les représentations graphiques de nombreuses cultures. Selon Jung, il existerait ainsi des formes universelles de représentation. 3. La théorie de la sexualité infantile. Pour Freud, les différentes pulsions existent initialement dans un rapport peu organisé avec le corps dans son ensemble et, en particulier, avec des zones corporelles non nécessairement génitales. C'est au fil de l'évolution que va s'opérer une spécification de ces zones qui seront investies de manière privilégiée par l'énergie libidinal. Elles prendront par conséquent une importance successive dans le déploiement de l'identité, laquelle correspond par conséquent fondamentalement à une identité sexuelle dans la théorie freudienne. Dans cette perspective, il faut distinguer le sexe anatomique, qui est du registre de l'inné, du sexe bio-psychologique relevant du registre de l'acquis. C'est dans ce contexte que s'inscrit la théorie des étapes de la libido opérant une distinction entre les stades oral, anal et oedipien. Les deux premiers stades sont appelés stades pré-génitaux. Le premier stade, le stade oral, fait référence à la bouche comme premier mode de contact de l'enfant au monde, donc aussi comme premier lieu d'accès au plaisir. Il s'agit en effet, par le fait de l'allaitement, du mode de contact au sein maternel, lequel est représentatif de l'objet maternel dans sa totalité englobante, objet duquel il va progressivement se différencier par l'effet des interventions parentales normatives et par l'effet de l'expérience du réel. Le stade oral est celui de la constitution de soi par l'ingestion, le remplissage, l'acquisition. On peut à ce propos faire référence au mode de l'AVOIR. Ce mode est par conséquent aussi le premier temps de la constitution du moi. C'est dans cette perspective que se comprennent les comportements d'accaparement propres aux conduites infantiles en bas âge. Mais c'est dans ce même contexte aussi qu'on peut comprendre certains vols témoignant d'un défaut de structuration initiale, d'une régression ou fixation à ce stade oral. Une telle fixation - régression évoque d'ailleurs l'importance de la passivité et d'un état de dépendance à l'égard de l'objet extérieur. Cette problématique est connexe à celle de l'incapacité au deuil déjà évoquée. Le stade anal conduit l'enfant, au cours de son processus d'individuation, à la capacité de "laisser partir", de "donner". Se pose ici la question de perdre ou de se vider tout en subsistant. Le mode est celui de FAIRE ou agir. On peut aussi comprendre ce stade comme l'entrée dans la relation dès lors que s'opère un premier échange, l'accès à la demande de l'autre. C'est à l'intérieur du stade anal que peut également se poser la question de la souffrance et, par l'effet du passage d'un mode passif à un mode actif, la question de souffrir ou de faire souffrir. La symbolique propre au

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stade oral évoquait en effet la position passive d'une souffrance de perte de l'objet tandis que, à l'intérieur de la symbolique anale, le sujet s'inscrit dans une perspective interactive le rendant en mesure de faire souffrir l'autre ou de se faire souffrir lui-même. Par conséquent aussi, la dimension symbolique du stade anal donne en elle-même accès au registre de l'interdit et du permis. Le troisième stade est celui du complexe d'Oedipe, parfois aussi appelé stade phallique. Alors que les termes des stades pré-génitaux se comprenaient à l'intérieur d'une relation duelle mère - enfant, le stade oedipien est aussi celui de l'accès à la triangulation incluant l'intervention du père. Freud reprend à ce propos le mythe d'Oedipe pour en tirer l'inférence de l'expression des deux tabous universels de l'inceste et du meurtre. Ce mythe contient en effet, selon lui, la représentation symbolique du désir de tuer le père pour préserver l'union à la mère. Cependant, l'intervention du père est également génératrice de l'angoisse de castration génératrice son tour, par l'effet du mécanisme de défense du retournement en son contraire, du processus d'identification à ce père. En cela, le père apparaît, dans la théorie freudienne, comme à l'origine de la loi, posant la limite et l'interdit de la poursuite d'une relation de fusion - confusion à la mère. C'est ainsi mettre un terme à la croyance de la toute-puissance du désir. Par ce mécanisme, l'enfant passe progressivement du principe de désir au principe de réalité, en même temps qu'il accède au langage, à la symbolique et à la socialisation. Faisant pendant au complexe d'Oedipe, Freud évoque la notion de complexe de Jocaste en ce qui concerne la relation de la fille à son père. La fille est ainsi amenée à renoncer à ce père pour s'identifier à sa mère, de la même manière que le garçon était amené à renoncer à sa mère pour s'identifier à ce père, pour devenir et "être comme" ce père dès lors qu'il porte la culpabilité du désir meurtrier. 4. Les mécanismes de défense. Nous connaissons les mécanismes de défense tels qu'ils ont été analysés par Anna Freud. Par le refoulement, le sujet cherche à repousser ou à maintenir dans l'inconscient des représentations liées à une pulsion. La régression est un retour à des formes antérieures du développement de la pensée, des relations d'objet et de la structuration du comportement. Elle peut être au service du moi, mais elle est alors une fonction plus positive. La formation réactionnelle est une attitude psychologique de sens opposé à un désir refoulé et constituée en réaction contre celui-ci. L'isolation consiste à isoler une pensée ou un comportement de telle sorte que leur connexion avec d'autres pensées ou avec le reste de l'existence du sujet se trouve rompue. Les comportements sont coupés de leur réaction émotionnelle, objets d'intellectualisation et de rationalisation. On peut parfois l'observer dans les arrêts du cours de la pensée, les sauts "du coq à l'âne ", etc.. L'annulation rétroactive : le sujet s'efforce de faire en sorte que des pensées, des paroles, des gestes, des actes passés ne soient pas advenus : il utilise pour cela une pensée ou un comportement ayant une signification opposée. On voit là une manifestation de type magique, rituel. La projection, vue ici en tant que mécanisme de défense, où le sujet expulse de soi et localise dans l'autre, personne ou choses, des qualités, des sentiments, des désirs, même des objets, qu'il

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méconnaît ou refuse en lui. L'introjection : le sujet intériorise fantasmatiquement les qualités des objets extérieurs. Elle joue dans la formation du surmoi. Le retournement sur soi : ici, la pulsion remplace un objet indépendant par la personne propre. Par exemple, ce qui pourrait être pulsion agressive devient contre soi-même. Le renversement en son contraire : le but d'une pulsion se transforme en son contraire, dans le passage de l'activité à la passivité. Le mécanisme précédent concerne le sujet, le renforcement en son contraire concerne le but de la pulsion. La sublimation : c'est la transformation des pulsions en accord avec la réalité extérieure et, par voie de conséquence, avec la loi et ce qui est socialement permis. C'est la défense réussie par excellence pour le moi. Freud y voit le moyen souhaitable d'expression des pulsions refoulées et inconscientes comme c'est le cas par le biais de l'expression artistique, de la recherche scientifique ou philosophique, de l'activité philanthropique.... La négation est le mécanisme par lequel le sujet formule un de ses désirs, de ses pensées ou sentiments tout en continuant à s'en défendre et en niant qu'il lui appartienne. Le déni du réel : il y a là un refus pour le sujet de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante. Si la négation est d'ordre névrotique, le déni du réel confine à la psychose. Freud désigne ce mécanisme par le terme de Verleugnung. Il le situe à l'origine du fétichisme et, plus largement, de toute perversion. Il montre qu'il s'agit en effet là d'un mécanisme de juxtaposition d'une reconnaissance de la réalité (le constat de l'absence de pénis maternel, évocateur de l'angoisse de castration) et la réaffirmation conjointe de la primauté du désir (la croyance en l'existence du pénis maternel signifiant l'abolition de l'angoisse de castration et de la différenciation sexuée). On peut également faire référence à ce mécanisme pour y trouver l'expression sociale de l'initiation adulte, ainsi que cela ressort de l'article d'Oscar Mannoni (Je sais bien... mais quand même...). La rationalisation : le sujet cherche à donner une explication cohérente ou acceptable du point de vue logique ou moral à une attitude, une action, une idée, un sentiment... L'intellectualisation : prépondérance donnée à la pensée abstraite sur l'émergence et la reconnaissance des affects et des fantasmes. B. Shoham et le mytho-empirisme. C'est dans la perspective de la théorie analytique, et en particulier à la suite des théories de Mélanie KLEIN (Essais de Psychanalyse, Payot. Paris, 1967), que Shlomo SHOHAM (Le sexe comme appât. L'Age d'Homme/Essai. Lausanne. 1990.) a énoncé les termes d'une théorie de la personnalité qualifiée de mytho-empirique. À l'origine de son propos, on trouve notamment une interrogation sur les origines de la Loi et une remise en question de l'intervention originelle du père à ce sujet. À la suite de Mélanie KLEIN, SHOHAM pose le principe de l'origine maternelle de la Loi, en raison même de l'accès qu'elle donne au réel au travers des processus successifs de séparation. Ces étapes chronologiques que sont la naissance, le sevrage, les séparations physiques consécutives à l'entrée dans le milieu scolaire... constituent par conséquent autant d'étapes dans la structuration du moi et dans l'intériorisation d'une loi, antérieurement à toute intervention paternelle lors du stade de l'Oedipe.

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SHOHAM pose dès lors l'hypothèse d'une structuration de la personnalité selon un mode vectoriel, sur un continuum aux deux termes duquel se trouveraient les modèles type d'une personnalité séparative ou participative. La personnalité participative se caractériserait par l'intériorisation d'une image de soi négative et d'une image positive du monde extérieur (bad me - good object), tandis qu'une personnalité séparative se définirait par la perception positive du moi et la perception négative de l'objet externe (good me - bad object). Afin d'expliciter les dynamiques sousjacentes à la construction de tels modèles de personnalité, SHOHAM fait référence au contenu symbolique de différents récits mythologiques. Ainsi, il associe la personnalité participative à un modèle mythologique tantalien : Tantale, sanctionné par les dieux, est attaché à un arbre, les pieds baignant dans l'eau et la tête proche de branches chargées de fruits. Mais lorsqu'il veut se désaltérer, le niveau de l'eau s'abaisse tandis que les branches et les fruits se soulèvent par l'effet du vent lorsqu'il veut s'alimenter. On voit ici l'importance de l'absence et du manque, de l'écart entre les objets de satisfaction des besoins d'un individu n'ayant avec eux aucun contact physique mais aspirant à les rejoindre dans un inatteignable au-délà. À l'inverse, la personnalité séparative est associée à un modèle symbolique sisyphéen : Sisyphe, lui aussi puni par les dieux, est contraint de pousser sans cesse au sommet d'une montagne un rocher qui en retombe une fois parvenu au sommet. La dimension symbolique est ici celle d'un investissement du sujet dans le monde réel et de l'échec à parvenir à la réalisation d'un désir dont l'objet est toujours à portée de main et "manipulable". En fonction même de l'importance accordée à la question de la séparation comme génératrice de la Loi, c'est aussi la question du manque qui est placée au centre de cette théorie de la personnalité. C'est en fonction d'un mode de réaction à ce manque et à la séparation que le sujet va donc se positionner sur le vecteur continu reliant la séparation à la participation. SHOHAM distingue à son tour trois étapes fondamentales dans la structuration de la personnalité, trois stades de développement chronologique correspondant à la rupture de l'indifférenciation soit : 1. La séparation ontologique (la naissance), 2. La cristallisation existentielle d'un moi distinct (le sevrage), 3. Le stade de la normativité séparative (ou le complexe d'Oedipe et le syndrome d'Isaac). Le rapport à soi-même et au monde qui sous-tend la structuration de la personnalité sur un mode préférentiel s'observe par conséquent lors de ces trois étapes essentielles. pour expliciter ce type d'orientation dès les origines de l'existence, SHOHAM évoque en premier lieu l'importance dramatique de la naissance dont il rapproche la dimension symbolique de celle de la création du monde dans le récit mythologique de "la brisure des vases", récit énoncé par Isaac LURIA, maître de la cabale au XVIIième siècle. Selon ce récit, la lumière de la présence divine se trouvait tout entière contenue dans les vases sacrés entourés par l'obscurité du néant. Ces vases se fissurèrent et éclatèrent alors pour libérer les particules de lumière qui seront contenues en chacune des âmes humaines. Chaque être humain a dès lors mission de réparer cette dispersion du divin en permettant à la particule qu'il détient de rejoindre l'ensemble de ses origines. SHOHAM traduit ce récit par l'expression du besoin humain de retrouver la plénitude perdue à la naissance, plénitude expérimentée notamment dans le vécu fusionnel de la vie utérine. Deux

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réactions distinctes s'observent cependant à ce premier stade. Si la relation initiale à la mère, depuis le stade de la séparation ontologique (naissance) jusqu'à celui de la formation existentielle d'un moi séparé (sevrage et accès au stade oedipien), est suffisamment gratifiante et durable pour permettre à l'enfant de se constituer et de se percevoir comme un être distinct et ayant en cela une valeur propre, il lui sera donné de développer une image positive de lui-même; tandis que le monde extérieur qui lui est source de frustrations revêtira une dimension négative. Le sujet se sentira alors justifié, durant toute son existence, de puiser dans cet univers négatif les éléments concrets faisant défaut, en son être concret, à l'unité perdue. Dans cette perspective, le sujet se structure effectivement sur un mode séparatif. À l'inverse, si la relation à la mère ne fut pas suffisamment durable et gratifiante pour permettre un accès à la capacité de différencier consciemment le moi de l'objet externe (cf. le sein maternel chez Mélanie Klein) et pour reconnaître par conséquent la réalité externe comme facteur causal des frustrations endurées, le sujet sera porté à s'attribuer à lui-même la responsabilité et la causalité de sa souffrance et de son manque. Il développera par conséquent une perception négative de lui-même, associée à la perception positive du monde extérieur. On voit en cela se dessiner la dynamique participative en fonction de laquelle le sujet tend à s'annihiler, à annuler la réalité de son existence concrète pour s'efforcer de rejoindre une perfection idéale perdue et se situant dans l'au-delà de l'abstraction. SHOHAM opère le parallélisme entre ces dynamiques d'identification et les modes préférentiels d'identification chez le garçon et la fille. Il avance en effet l'idée que, elle-même soumise au tabou de l'inceste, la mère serait portée à mettre plus rapidement un terme au caractère fusionnel de sa relation à l'enfant, notamment lors de l'allaitement, de telle sorte qu'elle provoquerait, par un mouvement de distanciation, le déclenchement d'une dynamique d'identité participative chez ce dernier. À l'inverse, en autorisant le prolongement du contact physique à la fille avant d'y mettre un terme par le sevrage, elle autoriserait à celle-ci l'obtention d'une image positive d'elle-même et l'entrée dans la dynamique séparative. Cette différenciation se retrouverait d'ailleurs à l'âge adulte, dans les processus d'entrée dans la vie de couple et dans la sexualité. En effet, animée par le besoin de réaliser sa fonction génitrice, la femme tendrait à "appâter" ou sélectionner un partenaire sexuel afin d'en faire le géniteur et père de ses enfants. Cette démarche sera donc typiquement séparative. A l'inverse, l'homme serait porté à chercher dans le lien sexuel, la réalisation d'une unité - fusion ayant valeur pour elle-même. Cette démarche revêtirait par conséquent un caractère participatif. Dans cette théorie de la personnalité, le syndrome d'Isaac est pendant au concept freudien du complexe d'Oedipe. Il s'inscrit en cela dans le contexte de la transmission de la norme paternelle et de l'engagement dans les liens sociaux et culturels. Alors que le complexe d'Oedipe explicitait l'identification au père par l'effet de l'angoisse de castration consécutive au désir meurtrier à l'encontre de ce même père, le syndrome d'Isaac se veut explicatif de l'insertion dans les liens sociaux par le fait que le désir meurtrier du père à l'encontre du fils n'a pas été réalisée. Le

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syndrome d'Isaac illustre en effet la réalité du désir paternel de n'être pas dépassé et remplacé par ce fils qu'il peut par conséquent désirer supprimer. Mais un tel désir fait aussi l'objet d'un tabou et d'un interdit social permettant la succession des générations. Il est en cela aussi révélateur d'un rite de passage, de même qu'il est porteur de la dimension coercitive et contraignante du sacrifice. C. Szondi et la théorie des pulsions. Léopold SZONDI (dont l'exposé de la théorie s'inspire ici des propos de Jacques SCHOTTE, De la Schicksanalyse à la Pathoanalyse. In Cahiers du CEP n°3. Revue du Centre d'Etudes Pathoanalytiques. Decembre 1993) organise les pulsions en fonction de quatre vecteurs et de huit facteurs. Les vecteurs sont respectivement dénommés : C - Contactuel, S - Sexuel, P - Paroxysmal, Sch - Schizophrénique. Chacun de ces vecteurs est porteur de deux facteurs, soit : - en C : d : dépression. m : manie. - en S : h : homophilie. s : sadisme. - en P : e : épilepsie. hy : hystérie. - en Sch : k : katatonie. p : paranoïdie. Chacun des vecteurs semble dès lors porteur, en fonction des facteurs qui le caractérisent et des interactions entre ces facteurs, de l'expression possible de troubles pulsionnels spécifiques. Par ailleurs, les quatre vecteurs se trouvent également agencés, en fonction de leurs dimensions propres et de la signification des troubles qui les caractérisent, en un ordre susceptible de refléter une possible hiérarchisation chronologique du développement psychique. Les quatre vecteurs peuvent alors être agencés et définis de la sorte : 1. Le vecteur C - contactuel et les thymo-psychopathies ou troubles de l'humeur. Pour reprendre le propos de Jacques SCHOTTE, l'humeur apparaît ici en sa dimension de contact au monde et à l'existence. Il s'agit par conséquent d'une dimension esthétique de l'existence. "Aïsthésis chez les Grecs, c'est la vie sensible sensori-motrice, c'est le registre de la participation à la fois active et réceptive à la vie ambiante et universelle"... Il est donc question d'une "approche phénoménologie de l'humeur qui est aussi celle de la sensorimotricité rythmique primordiale". L'état dépressif, dans cette perspective, apparaît comme la perte de l'élan productif de la vie et de la participation à cet élan, la perte aussi de la possibilité réceptive d'avoir du plaisir, la perte enfin de la rythmicité même de la vie. Pour illustrer cette dimension esthétique véhiculée par le vecteur contactuel, SCHOTTE faire référence à la formule d'Henri MALDINEY

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: "l'art nous donne la vérité du sentir ". Il souligne par ailleurs le fait qu'il s'agisse d'un stade antérieur à la distinction entre objet et sujet, d'un mode d'être au monde en deçà de l'objet et du sujet. SCHOTTE affirme dès lors qu'il s'agit à ce propos d'une modalité d'être au monde qu'on peut appeler participative ou symbiotique, dans le "pré-objecto-subjectal". 2. Le vecteur S - sexuel et les perversions ou troubles de la sexualité. Le registre sexuel correspond ici à l'émergence de structures dualisées dès lors que "l'individu commence à sortir de l'indivis". Il y a là, selon SCHOTTE, une dualisation objectivante : "en face d'un objet se constitue d'une certaine manière un sujet". Il y voit la dimension pratique que l'existence. C'est en effet le stade au cours duquel le sujet se distingue de l'objet, de même que c'est le stade du dialogue au sens grec de "scission" et "remise ensemble". SCHOTTE observe que la séduction objective l'autre et me constitue moi-même aussi en objet. Dans cette perspective, il explique que cette structure ambivalentielle avec renversement est typique pour les perversions. 3. Le vecteur P - paroxysmal et les névroses ou troubles des relations à la norme. Selon SCHOTTE, on trouve au centre de ce vecteur " le sujet en proie à ses affects, par exemple celui qui s'éprouve subjectivement, ou aussi celui, comme on dit, qui est "sujet à..." la loi ou à l'impératif catégorique auquel il doit se soumettre. On retrouve par conséquent la notion de norme en relation avec celle de sujet à la loi et aux affects. Ce vecteur se caractérise par la dimension éthique de l'existence. À ce propos, SCHOTTE fait observer que la suicidalité des mélancoliques dépend de la combinaison entre dépressivité et un élément paroxysmal. 4. Le vecteur Sch - schizophrénique et les psychoses ou troubles de la relation à l'autre et du dialogue. Le dialogue correspond en effet ici à la capacité à se séparer de soi-même pour se retrouver par la suite. Ce vecteur correspond par conséquent à la dimension historique ou dialogique de l'existence. Pour reprendre les termes de Jacques SCHOTTE, c'est le "registre qui est originaire, aussi bien des psychoses que de l'histoire et de la capacité de dialogue. C'est donc le registre du mouvement originaire qui fait la dualisation et la recombinaison. " C'est l'incapacité d'opérer ce double mouvement qui caractérise la psychose. CHAPITRE IV. PROCESSUS PSYCHOLOGIQUES GÉNÉRAUX A DES COMPORTEMENTS PROBLÉMATIQUES. A. Agression et sensibilité - insensibilité à autrui. 1. Agression et défense. a. Instinct et mode de rattachement à autrui selon DE GREEF.

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DE GREEF (Les instincts de défense et de sympathie. P.U.F. 1957.) affirme que l'individu se situe dans un rattachement au monde extérieur par la vie instinctive, laquelle est tantôt axée sur la menace générant des attitudes défensives, tantôt axée sur le mode de la sympathie. Selon lui, l'instinct correspond par conséquent à une sensibilité préétablie à un certain nombre de stimuli aboutissant à un rapprochement ou à son opposé. Une telle définition de l'instinct se différencie par conséquent de celle de l'instinct animal selon laquelle il existe des schémas moteurs préétablis en réponse à divers stimuli. De Greef affirme que chez l'être humain, tout schéma moteur est postérieur à l'expérience d'une émotion, de telle sorte que l'instinct sur le mode animal n'existe pas chez lui à l'état pur. Par ailleurs, les modes de rattachement constituent des manières de connaître autrui. Ainsi, dans le cadre du lien de sympathie, on projettera sur cet autrui une image positive, ce qui provoquera par conséquent un mode de réaction également positif. On constate ainsi qu'un état de sympathie annule les capacités de défense, de la même manière que la position de défense annule le mouvement de sympathie. b. La théorie de la frustration - agression selon DOLLARD. J. DOLLARD (et consorts Frustration and Aggression. Yale University Press. 1947.) fait le constat initial que l'agression constitue une réponse normale à la frustration, de telle sorte qu'il existe, selon lui, une relation directe entre les deux phénomènes. Il en tire pour règle la double proposition selon laquelle toute frustration donne lieu à une agression et toute agression résulte d'une frustration. La frustration est ici définie comme une interférence, une entrave dans une séquence d'activités orientées vers un but. On peut cependant observer ici l'exclusion de tout variable psychosociale. Quant à l'agression, on peut la définir comme une séquence comportementale dans le but de porter atteinte à une personne. Toujours selon Dollard, un sujet peut connaître quatre types de frustrations, à savoir : une barrière physique, l'exigence d'un délai entre le début et la fin de la séquence comportementale, l'omission ou la réduction de la récompense habituelle et attendue, la tendance à répondre de manière incompatible en regard d'une solution normale.

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c. Les frustrations imaginaires et statutaires : les critiques de BERKOWITZ. L. BERKOWITZ (Aggression. A social psychological analysis. Mc Graw-Hill, N.Y. 1962.) critique en premier lieu la proposition de Dollard selon laquelle toute agression résulte d'une frustration. Il fait à ce propos le constat et la description d'agressions ne provenant pas d'une frustration. Faisant référence aux observations de Bowlby et à la description de combats d'enfants, il observe l'influence de trois causes différentes, à savoir : le fait de disputes pour la possession d'un objet extérieur et l'influence par conséquent à ce propos du désir de possession; la venue d'un étranger dans le groupe et le sens des conflits liés à la question d'un équilibre compromis de ce même groupe; l'existence enfin de frustrations. Berkowitcz en tire la conclusion qu'il est nécessaire d'élargir le concept de frustration à ses dimensions imaginaires ou virtuelles d'une part, statutaires d'autre part. En ce qui concerne tout d'abord les frustrations imaginaires, il fait observer que la lutte pour la possession d'un objet répond à la notion de désir de possession, laquelle notion n'est pas directement observable et constitue par conséquent une variable intermédiaire dans le schéma explicatif. En ce qui concerne ensuite les frustrations statutaires, Berkowitz observe que l'arrivée d'un étranger au sein d'un groupe provoque une modification de la situation obligeant au partage du pouvoir et des avantages, de telle sorte que le statut de chacun se trouve potentiellement modifié et mis en péril. Berkowitz fait aussi observer que ces frustrations statutaires revêtent un caractère virtuel dans la mesure même où l'agression est liée à la lutte contre le danger d'un statut social seulement compromis. Berkowitz fait enfin observer l'importance d'une notion d'agression instrumentale, tenant compte de ce que l'agressivité constitue un moyen naturel d'obtenir un bien. Il observe à ce propos que l'être humain a un besoin naturel de s'affirmer et de s'imposer sous peine d'être écrasé, de telle sorte que toute agressivité est d'une certaine manière nécessairement liée à l'existence d'un instinct de vie. Elle constitue en effet un mode d'affirmation de soi et une nécessité liée à la survie, mais non nécessairement synonyme d'agression. Critiquant ensuite la proposition de Dollard selon laquelle toute frustration déclenche une agression, Berkowitz fait observer que Dollard, en raison même du courant behavioriste auquel il appartient, ignore le fait des variables cognitives propres à l'être humain. Il fait ainsi remarquer l'absence d'agression lorsque la frustration apparaît comme justifiée ou dénuée d'arbitraire. Ainsi, l'enfant semble accepter les frustrations imposées par les parents dès lors qu'il les perçoit comme justifiées et motivées par la raison de son bien. Berkowitz fait aussi observer que la frustration entraîne naturellement un sentiment d'impuissance et de peur ayant pour effet d'annuler l'agression. Ainsi, dans les camps de concentration, l'intensité de frustrations générait un total sentiment d'impuissance. Mais lorsque ce sentiment d'impuissance tend à diminuer en raison de la décroissance des frustrations, les réactions d'agression peuvent à nouveau réapparaître. C'est ce qui fut observé à l'occasion de périodes de troubles dans des prisons dont la population venait pourtant de bénéficier de réformes en sa faveur. Berkowitz en tire la conclusion que l'angoisse constitue dès lors une variable cognitive influant sur le rapport direct entre la frustration et l'agression.

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d. L'approche situationnelle : l'équation de MEGARGEE. Dans le prolongement de ces études, on peut mettre l'accent sur des éléments situationnels ayant une importance dans l'expression de l'agression et susceptible de la favoriser ou de la limiter. Ainsi, MEGARGEE E.I. ( and HOKANSON J. The Dynamics of Aggression. Harper. 1970.) relève que le fait de se trouver au sein d'une foule, en face d'une personne d'un statut inférieur, ou dans un milieu connu, a pour effet naturel de favoriser le passage à l'acte agressif. Il en tire l'équation selon laquelle le passage à l'acte se trouve provoqué par l'addition de l'intensité du mouvement qui pousse à l'agression et des éléments situationnels le poussant également à cette même agression, à condition que ces deux éléments soient supérieurs aux inhibitions personnelles et aux éléments situationnels inhibants. Ceci permet de souligner que l'explication du comportement agressif oblige à tenir compte de la complexité de la situation dans laquelle il se produit, en même temps que de la variété des types de personnalités agressives. Par ailleurs, on ne peut établir un lien direct entre des frustrations antérieures, par exemple durant l'enfant ou l'adolescence, et des réactions postérieures d'agression. On doit en effet tenir compte de facteurs culturels provoquant des types spécifiques d'expression, en fonction de l'influence du niveau socioculturel et de la classe sociale d'appartenance, mais également en fonction de l'influence de facteurs physiologiques ou neurologiques. Il existe à ce propos une neurophysiologie de l'agression à l'intérieur de laquelle l'observation du système cortical inhibiteur et de ses troubles conduit au constat d'excitations des centres déclencheurs de réactions agressives. 2. Sensibilité affective et perversion constitutionnelle. A la suite de DUPRÉ , on fait ici référence à la dimension constitutionnelle et à l'existence de différentes tendances instinctives visant à favoriser l'intégration au groupe social. À ce propos, Dupré parle de tendances constitutionnelles englobant les instincts de conservation, de reproduction et d'association. Selon lui, cet instinct d'association favorisant la collaboration et l'adaptation au groupe social, suppose une sensibilité préexistante à l'autre et par conséquent la possibilité de l'empathie, de ressentir les sentiments de l'autre. Ces tendances constitutionnelles ou instinctives peuvent par conséquent faire l'objet d'anomalies par excès ou par défaut. Dans le cas de l'instinct d'association, la criminologie est principalement intéressée par l'existence d'anomalies par défaut. On parle en cela d'agénésie ou d'insensibilité affective à l'égard d'autrui. Selon Dupré, la perversion constitutionnelle associe cette agénésie affective au plaisir tiré de la souffrance d'autrui, au plaisir sadique. C'est donc le comportement lui-même qui est ici significatif de cette problématique. Dans cette perspective, la sensibilité à autrui est considérée comme une donnée constitutionnelle. Les études de Pinatel s'inscriront dans le prolongement de cette perspective. Par ailleurs, tout un courant de la psychologie sociale a tenté d'apporter d'autres explications à la

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question de l'insensibilité affective. Ainsi, des études ont été menées sur la tendance à porter ou non secours à une personne en difficultés. La mesure de cette démarche de secours découlant effectivement de la sensibilité à la souffrance d'autrui fut effectuée en faisant varier le cadre de l'expérience. Il fut ainsi observé qu'en présence de la seule victime, 70 à 80 % des sujets observés eurent une réaction de secours. Dans le cadre d'un entourage passif, ce pourcentage se trouva ramené à 31 %. De telles expériences ont permis d'illustrer la pluralité des facteurs influents sur la réactivité et l'expression de l'insensibilité à autrui. Ainsi, le fait d'être en groupe ou de se trouver dans un milieu mal connu, de même que le souci d'adopter un comportement concordant avec celui du groupe environnant ont généralement une influence inhibitrice. En tout état de cause, les facteurs situationnels influencent beaucoup la conception qu'on peut avoir de l'insensibilité affective. B. Processus psychologiques aboutissant à une modification temporaire du rattachement à autrui. 1. Processus psychologiques généraux. a. Hasard ou sentiment d'injustice subie. La référence à la notion d'injustice subie est centrale dans le discours de nombreux délinquants comme justification au passage à l'acte. Cette notion se trouve par ailleurs présente dans le développement psychologique ordinaire de l'enfant. Ce dernier présente en effet une tendance naturelle à projeter sur l'objet étant cause d'une douleur ou d'une frustration, une intention hostile supportant sa tendance à se défendre. Ainsi, le jeune enfant frappe la table qu'il a heurtée. Dans cette mesure, l'involontaire et le hasard n'existent pas à ses yeux. Mais tout peut au contraire procéder d'une volonté hostile ou bienveillante qu'il projettera sur les objets et le milieu environnant. Ce n'est que progressivement qu'il dissociera le fait commis de l'intention du sujet. Cette dissociation découlera d'une série d'événements et d'intentions l'ayant favorisée, comme c'est par exemple le cas lorsqu'un proche explique le caractère involontaire d'un geste ayant porté préjudice. L'enfant peut alors dissocier le comportement préjudiciable de l'intention initialement projetée et inhiber cette dernière. Cependant, cette dissociation autorisant l'accès à la notion de hasard est tardive. D'autre part, elle illustre à ce propos les différences individuelles. Ces différences individuelles peuvent être inter- ou intra- individuelles. Dans le cas de différences entre individus, on est amené à poser le problème en terme de seuil quant à l'aptitude à dissocier le fait et l'intention. Etienne DE GREEF (Amour et Crimes d'Amour. Dessart et Mardaga. Bruxelles, 1973.) fait à ce propos la description d'individus ayant une grande susceptibilité à toute injustice subie. Ces individus vivent un effet une relation au monde perçu comme voulant leur nuire. Ils sont en cela aussi centrés sur la revendication de leurs droits. Les relations humaines sont alors fonction de cette sensibilité centrée sur le souci de la préservation des droits personnels, fonction par conséquent aussi d'une sensibilité préexistante au sentiment de bien et de mal. La dimension pathologique et psychiatrique de cette problématique est celle de la paranoïa, maladie par laquelle le sujet perd le contact au réel dès lors que son agir est de plus en

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plus motivé par la contrainte d'une logique rationnelle dépendant de la conviction intime d'une injustice subie. Par ailleurs, un même sujet peut présenter des différences de sensibilité à cette notion d'injustice subie en fonction des périodes de son existence. Certaines périodes telles que le stade oedipien ou l'adolescence sont à ce sujet critiques. Elles peuvent constituer des périodes de déséquilibre générant une sensibilité anormale à un type de frustrations. Par exemple, à l'adolescence, la question des permissions de sortie en fonction de limites d'heures peuvent amener à la reconstruction de l'image parentale autour de cette question. Le périodes de menstruations ou de la ménopause pour la femme, l'accès à la cinquantaine pour l'homme, des états de fatigue..., constituent aussi autant de périodes critiques au cours desquelles peuvent apparaître des variations du seuil de sensibilité. b. Sentiment et complexe d'infériorité. À la suite d' Alfred ADLER ( Le tempérament nerveux - 1912, La Connaissance de l'Homme - 1927, La Compensation Psychique de l'Etat d'Infériorité des Organes - 1933.), on différenciera ici les notions de sentiment et de complexe d'infériorité. En ce qui concerne tout d'abord le sentiment d'infériorité, on fait référence à la normalité de la situation humaine face au monde environnant et, en particulier, à la situation de l'enfant dans un lien de dépendance à l'égard de l'adulte. Cette infériorité est normalement acceptée et vécue de façon passagère, de telle sorte qu'elle ne génère aucune angoisse. Néanmoins, certains enfants et, ultérieurement, certains sujets adultes peuvent craindre d'être l'objet de comparaisons ou de se trouver en situation de compétition avec d'autres en raison des doutes qu'ils éprouvent sur leur capacité et de l'insatisfaction qu'ils ressentent à leur propre sujet. Il est alors question effectivement d'un sentiment d'infériorité correspondant à l'existence d'un vécu d'angoisse et de malaise. Néanmoins, ce sentiment d'infériorité correspond à un état conscient que le sujet peut évoquer et décrire. À l'inverse, le complexe d'infériorité correspond à un processus inconscient. Il peut se comprendre comme la conséquence d'un ou de plusieurs sentiments d'infériorité accumulés et ayant généré des mécanismes compensatoires, lesquels sont à leur tour plus ou moins conscients. On observe ainsi deux situations possibles : - en premier lieu, on peut voir le sujet déployer des efforts pour devenir consciemment plus fort ou meilleur que d'autres dans un domaine précisément où ils se sent faible. Ses efforts sont alors nécessairement continus et peuvent avoir une influence bénéfique. - dans un deuxième cas, les réactions compensatoires peuvent se limiter au registre de l'Inconscient et revêtir à leur tour deux formes distinctes : a. - l'infériorité devient un instrument permettant d'exercer un pouvoir sur l'autre ou de se venger de ce dernier. C'est par exemple le cas de l'enfant infirme devenu despote d'une mère se culpabilisant de son état. b. - mais il arrive également que face à une infériorité vécue, le sujet se construise une personnalité factice se caractérisant par l'accentuation des qualités positives qu'il possède et une minimisation de ses difficultés dans tel ou tel autre domaine. Ce sujet est alors amené à jouer un personnage fictif à l'égard d'autrui comme à son propre égard. Il risque alors de manifester une

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sensibilité excessive à tout ce qui touche son équilibre intérieur qu'il veut ainsi préserver à partir de la valorisation de ses capacités dans un domaine particulier. Il risque par conséquent aussi de connaître des échecs successifs dans ce même domaine, dès lors que sa croyance en ses capacités ne correspond pas à la réalité. D'autre part, son équilibre intérieur finit par dépendre de façon croissante d'éléments purement formels ou extérieurs. L'acquisition de signes extérieurs de richesses ou de compétences deviennent en effet d'autant plus indispensables à ses yeux qu'ils sont nécessaires à la confirmation de l'accès un statut supérieur. D'autre part, la personnalité reste vulnérable dès lors que le sujet se trouve logiquement entraîné dans d'incessantes situations de compétition pour prouver sa compétence dans le domaine précis qu'il a surinvesti. Le passage à l'acte délictueux peut alors se comprendre comme la réaction inconsciente à une remise en cause ou à un échec de ce mécanisme de défense que constitue le complexe. c. Insensibilité affective et désengagement actif. Le désengagement affectif correspond à une abolition des engagements sympathiques à l'univers, à un phénomène de rupture et de régression ayant valeur de défense à la suite d'un échec vécu dans un domaine essentiel. À la suite de cet échec personnel, la situation ou l'existence semble perdre tout sens au regard d'un sujet s'engageant par conséquent dans un processus à caractère suicidaire. Ce sujet risque alors de ne plus prendre garde aux conséquences de ses actes et de ce désengagement que peut ainsi constituer un comportement délinquant. Par ailleurs, on peut observer que certains processus de désengagement revêtent une dimension plus globale, dès lors qu'ils signent l'échec de l'insertion socioprofessionnelle par exemple. Là aussi, l'engagement dans la carrière délinquante peut avoir valeur de désengagement affectif. Néanmoins, de façon générale, le désengagement affectif constitue un phénomène passager. À l'inverse, le sujet confronté à une situation durable de souffrance personnelle s'engagera dans un processus d'adaptation par lequel il se mutilera de sa sensibilité affective à la source de cette souffrance. C'est là le processus d'insensibilisation affective dont la nature est généralement inconsciente, à la différence de l'expérience du sentiment de désengagement. Le sujet devient ainsi autre sans s'en rendre compte. Sa personnalité se durcit progressivement pour lui permettre de s'adapter à un situation pénible. Les barrières affectives qui empêchaient la commission de certains actes sont alors levées et la personnalité se trouve modifiée en profondeur. 2. Processus directement liés à la commission d'un acte délinquant grave. a. Processus associés au crime de libération. À la suite d'Etienne DE GREEF (Introduction à la Criminologie. P.U.F.), il faut ici distinguer les crimes de libération des crimes passionnels. Dans ce dernier cas, c'est pour conserver un partenaire affectivement favorisé mais échappant à l'emprise du meurtrier que ce dernier le tue. Dans le crime de libération, autrui constitue un obstacle au projet du sujet. Le meurtre constitue alors le moyen de supprimer cet obstacle, comme c'est le cas dans certains parricides, dans l'euthanasie ou dans le meurtre d'un conjoint afin d'autoriser une relation extraconjugale dans la durée.

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De Greef distingue trois étapes dans préparation et l'exécution du crime de libération. La première étape est celle de l'assentiment inefficace. C'est l'étape durant laquelle autrui est effectivement perçu comme un obstacle et le sujet a de ce fait parfois l'idée de sa disparition comme d'un évènement heureux On voit alors l'émergence de petits actes manqués, de traits d'esprit avec allusion à cette éventualité,.... Le point de départ de cette idée se retrouve parfois dans le rêve. Mais cette idée est le plus souvent rapidement réprimée et censurée. La deuxième étape est celle de l'assentiment formulé, au cours de laquelle l'idée de meurtre prend corps et s'installe dans le psychisme du sujet qui devient capable de la formuler clairement. Ce souhait de mort est soutenu par deux processus conjoints : - la réduction de l'autre-obstacle à tous ses éléments négatifs. On assiste en cela à une reconstruction de l'image de la future victime à partir des instincts de défense, cet autre se trouvant ainsi déjà détruit dans l'imaginaire et sa suppression se trouvant justifiée en raison de ses propres caractéristiques. L'importance de la symbolique des mots est ici centrale. - la modification du milieu avec lequel le sujet établit des liens, de telle manière à ce que le passage à l'acte ne fasse plus l'objet d'une réprobation morale et d'un isolement ou d'un rejet de son auteur. Celui-ci fréquentera alors de préférence des milieux présentant des déficiences morales et une possible compréhension pour un comportement ordinairement désapprouvé. Dans l'ensemble, durant cette étape, on assiste à une levée d'obstacles affectifs et sociaux et à une justification de la suppression de l'autre. La troisième étape est celle de l'état de crise. À ce stade, le problème de la disparition effective de l'autre est posée de manière concrète. Le sujet peut alors envisager le recours à des moyens extérieurs, à des intermédiaires, ou sa propre intervention. Il connaît un état de tension émotionnelle grandissante, tension qui sera soulagée par l'acte lui-même. D'autre part, des omissions susceptibles d'avoir une issue fatale (omission de médicaments à un cardiaque) ou l'incitation de la victime à des activités à hauts risques peuvent précéder le passage à l'acte en lui-même. Il s'agit là d'une série de situations homicides susceptibles en effet de s'y substituer. En tout état de cause, le sujet connaît un état manifeste d'ambivalence, de même qu'il est le lieu de résistances internes susceptibles de provoquer l'échec du passage à l'acte. En raison même de cette ambivalence, il manifestera une grande énergie et une forme d'acharnement dans la commission de l'acte. Ceci témoigne de ce qu'il n'a pu s'identifier entièrement à cet acte. b. Problème du concept de préméditation. Ce tableau clinique conduit donc logiquement à poser le problème du concept juridique de préméditation qui suppose en effet qu'on ait accepté la réalisation de son acte et mis en place différents moyens en vue de le réaliser. Dans cette perspective, le seul fait de l'idée du crime et de son aveu par le sujet ne signifie pas la prémédication dès lors aussi que ce même sujet a pu résister aux différents processus le poussant au passage un acte. L'écoulement d'un laps de temps plus ou moins long peut être par conséquent significatif de la lutte que le sujet mène contre les différentes "tentations" sur le plan moral. Ainsi, le constat de ce laps de temps entre l'idée et la

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réalisation de l'acte ne peut conduire à poser le fait de la prémédication qui est souvent déduite de cette situation par les juristes. Au contraire, le passage à l'acte de manière directe montre l'absence de ces différentes barrières psychologiques et morales. Par ailleurs, il est important de reconnaître les périodes durant lesquelles ces processus de résistance sont en cours afin d'éviter qu'une intervention trop directive ne précipite des réactions violentes contre l'intervenant. Toujours à la suite de De Greef, on fera une distinction entre les homicides avec crise, tels que décrits ci-dessus, et les homicides non précédés de crise. C'est dans cette deuxième catégorie que se rangent par exemple les actes des tueurs professionnels. On y observe la possibilité d'une structuration de la personnalité sur le mode de l'homicide, avec évolution possible d'un processus de maturation criminelle. En troisième lieu, on citera les homicides pathologiques signant l'existence de l'épilepsie ou l'entrée dans une forme de schizophrénie. Ces formes homicides se traduisent par un passage à l'acte direct. Annexe. La théorie de la stigmatisation. (Résumé de la conférence du professeur SHOHAM à la Faculté de Droit de l'Université de Poitiers le 21 février 2001.) Pour comprendre les rapports entre la criminologie et le droit, on peut en premier lieu comprendre le juridique en termes d'herméneutique ou d'explication de termes constitutifs des normes et des codes. Par ailleurs, tandis que la psychologie s'attache à l'examen de l'individu, la criminologie s'efforce de comprendre la relation dynamique entre la norme et le comportement individuel. Dans cette perspective, on peut remettre en cause le caractère absolu de la définition pénale et, selon SHOHAM, considérer que la notion de délit naturel telle qu'énoncée par GAROFALO constitue une erreur. SHOHAM insiste en effet sur la relativité de la notion de délit, prenant pour cela en exemple les cas de l'injonction au parricide, de la prostitution sacrée ou du lien incestueux lors du mariage pharaonique. Cette approche met en lumière l'importance de l'étiquetage et de la stigmatisation, et la permanence du changement dans la référence juridique au permis ou à l'interdit. Dans le passé, le criminel était associé au pécheur aux yeux d'un pouvoir religieux. Cela impliquait la notion de pollution, de telle sorte que la sanction revêtait en elle-même une vertu purificatrice. Selon l'étymologie sanskrite, la "peine" a d'ailleurs pour sens de "nettoyer". Dans cette même perspective, le pouvoir au Moyen Âge s'attachait à expulser les déviants ainsi confondus avec les pécheurs, comme c'était le cas dans les "bateaux de fous". Le changement intervient à la suite de LOMBROSO qui ne considère plus le délinquant comme un être pollué mais comme atteint par l'atavisme et présentant de ce fait un défaut d'évolution. Le criminel est ainsi stigmatisé en tant que monstre biologique, de même qu'il deviendra un monstre psychologique au regard de la théorie freudienne. On voit ici émerger la notion de culpabilité

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psychologique. Enfin, des auteurs tels que SUTHERLAND, OHLINE et SELLIN posent le principe de la normalité humaine du criminel et la définition de la criminalité en tant que métier. Ceci n'empêche cependant pas la stigmatisation des drogués en tant que criminels alors que se pose en réalité la question de la santé mentale à leur sujet. La décriminalisation, telle qu'elle ressort de la question de la dépénalisation des drogues, constitue par conséquent une démarche de déstigmatisation aboutissant à la perspective et à la possibilité de soigner des malades n'étant plus considérés comme délinquants, ainsi qu'à libérer le système pénal. La stigmatisation de la maladie mentale constitue une démarche de dépersonnalisation et de déni de l'individu. Cette stigmatisation a pour conséquence que ses symptômes revêtent une gravité plus grande encore que celle de la maladie mentale en elle-même. Ce phénomène découle de ce que toute définition de notre propre existence s'effectue par le jugement contrastant du regard de l'autre dont nous dépendons. L'être humain a ainsi besoin de la présence d'autrui pour exister par ce contraste. La stigmatisation revêt dès lors une grande importance dans une société arriviste, dès lors qu'elle sert à déterminer la dégradation cet autrui et à conforter, par ce phénomène de contrastes, la validité de l'existence de celui qui porte ce jugement. Cette stigmatisation a donc pour effet de créer des "monstres sociaux", pour reprendre ici les termes de Jean GENET. L'idée fondamentale est ici celle du besoin et du désir d'être accepté par un entourage social, à défaut de quoi le sujet crée son propre univers. Dans cette perspective, le juge en sa fonction dépend de la définition stigmatisante du criminel. Le rejet social du criminel aboutit par conséquent à la création d'un univers criminel se traduisant par l'apparition de sous-cultures criminelles, du crime organisé... Le fait de minimiser la stigmatisation aboutit donc à des conséquences pires encore que celles du processus lui-même. Par ailleurs, la permanence des étiquetages semble constante et constitue un frein réel aux tentatives de réhabilitation. Il est en effet plus aisé de considérer le délinquant en tant que membre d'un groupe plutôt que comme individu, de telle sorte à lever les barrières de la stigmatisation et à le soulager du poids des préjugés. Par ailleurs, le problème de la stigmatisation revêt un caractère plus sociologique que juridique. Le besoin est en effet permanent de discriminer, de créer l'image du mauvais permettant à celui qui l'a créée d'exister comme bon. Cette problématique ressort du fonctionnement du système de la justice criminelle fondée sur le principe de la mens rea, de la volonté criminelle ou de l'insouciance, et laissant entendre l'existence d'un libre-arbitre et la possibilité du choix délibéré d'être mauvais. La justice criminelle stigmatise ainsi cette liberté ou ce choix que ne reconnaît pas la psychologie comme un donné immédiat. De même, les médias sont vecteurs de stigmatisation lorsqu'ils recourent au verbe "être "en sa dimension inconditionnelle pour représenter le délinquant comme tel. On relèvera enfin que la stigamtisation relève d'un processus de séparation dès lors qu'elle vise à séparer le sujet visé du monde extérieur pour en constituer le complément nécessaire mais absent à un idéal de complétude.