côte des somalis, réunion, inde

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CÔTE DES SOMALIS RÉUNION, INDE

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LES AUTEURS PAR RAPPORT AU SUJET

Hubert DESCHAMPS Gouverneur de la Côte des Somalis de 1938 à 1940.

Raymond DECARY Ancien directeur de la Recherche scientifique à Madagascar,

Plusieurs missions à la Réunion, Membre correspondant de l'Académie de la Réunion.

André MÉNARD Précédemment administrateur de Chandernagor

et Inspecteur du travail dans l'Inde Française.

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L ' U N I O N F R A N Ç A I S E Collection publiée sous la direction de M. Albert CHAR TON

HUBERT DESCHAMPS Ancien Gouverneur des Colonies,

Docteur ès léttres

CÔTE DES SOMALIS RAYMOND DECARY

Administrateur en chef des Colonies, Membre de l'Académie des Sciences coloniales

ANDRÉ MÉNARD Administrateur des Colonies

Résident de France aux Nles-Hébrides

REUNION INDE Avec 6 cartes

et 16 photographies hors texte

PARIS ÉDITIONS BERGER-LEVRAULT

5, rue Auguste-Comte (VIe) 1948

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE SUR VÉLIN PUR CHIFFON DE LANA 25 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE I A 25 ET 5 EXEMPLAIRES HORS COMMERCE

MARQUÉS H. C.

Copyright, by Éditions Berger-Levrault, Paris 194S Tous droits de traduction et reproduction réservés pour tous pays

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AVANT-PROPOS

Les trois territoires réunis dans ce volume pourraient paraître disparates et réunis seulement par le hasard : d'un côté, un morceau de désert africain, d'occupation récente ; de l'autre, les débris épars et surpeuplés de notre empire asiatique du XVII le siècle ; enfin, cette île australe si incorporée à la pensée et à l'existence françaises qu'on en a fait un département. Pourtant, ce groupement n'est pas artificiel. Avant tout, il reconnaît une réalité géographique très forte : l'Océan Indien. De plus, il est aisé de discerner entre nos trois territoires des liens historiques et une similitude de fonc- tion.

Les géographes, traditionnellement, groupent leurs connais- sances par continents. Mais les océans n'ont pas une existence moins personnelle. La Méditerranée a justement suscité des études d'ensemble ; son individualité géographique, historique, ethno- graphique et économique a été bien dégagée. L'Océan Indien possède une cohésion presque aussi marquée.

Géologiquement, ses rives africaine, indienne, malgache, austra- lienne sont les fragments d'un même continent ancien. L'alternance des moussons a imposé son rythme aux climats et aux navigations.

Ethnologie et linguistique retrouvent, à ses deux extrémités, à Madagascar et en Indonésie, des peuples malayo-polynésiens.

Historiquement, Hindous et Arabes ont parcouru et marqué de leur influence cette « Mer Êrythrée » des anciens. De l'Inde à Djibouti, de la Perse aux Comores, s'étend une civilisation parti- culière dont les aspects communs sautent aux yeux. Les Arabes ont poussé jusqu'à Madagascar. On retrouve des Hindous à la

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Réunion, à Maurice et jusqu'au Cap. Certains d'entre eux, depuis l'indépendance, considèrent déjà l'Océan Indien comme leur espace vital.

Cependant, à la fin du XVe siècle, Vasco de Gama avait passé le Cap et établi la route des Indes. Après les Portugais, les Hol- landais s'y élancent, puis les Anglais, les Français. Ceux-ci songent à établir des relais le long de la route. C'est d'abord la côte malgache, puis la Réunion et Maurice, îles désertes. Au XVIIIe siècle, La Bourdonnais fait de Maurice, « l'Ile de France », le centre et la forteresse de nos établissements. Ceux-ci comprennent les Mascareignes, les Seychelles, les comptoirs malgaches et cette immense péninsule de l'Inde où Dupleix et Bussy ont fait de la France la puissance principale. Nous sommes alors les maîtres au centre de l'Océan. Moment bref. Après Suffren, les flottes anglaises vont remplacer les nôtres. En I763, nous perdons l'Inde, en 1815, l'Ile de France et les Seychelles. Nous nous trouvons réduits à la Réunion, une île sans port, et aux cinq comptoirs de l'Inde, étroitement ligotés par l'occupation anglaise de l'intérieur.

Mais la France, dans la mer des Indes, ne disparaît pas pour autant. Elle repart de la souche. La Réunion et même Maurice restent des centres actifs de culture française. C'est vers Madagascar maintenant que se portent les regards. On occupe les petites îles qui la bordent : Sainte-Marie, Nossi-Bé, les Comores. Puis, c'est l'ouverture de Suez. Sur la nouvelle route des Indes, on installe un dépôt de charbon à Obock, puis à Djibouti. Madagascar, prospectée déjà. par nos missionnaires, nos colons, nos savants, devient un protectorat, puis une colonie. Lagarde à la côte Somalie, Gallieni dans la grande Ile, établissent notre influence, l'un paci- fiquement, l'autre avec les armes, mais tous deux par leur génie méthodique et leur compréhension des indigènes. A la fin de ce XIXe siècle, qui avait débuté en catastrophe, l'Océan Indien est peut-être un lac anglais, mais la France y occupe une belle place.

Madagascar en est la pièce essentielle. Cependant, les petites colonies sont loin d'être négligeables. La Réunion a son sucre,

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l'Inde ses usines textiles, Djibouti son sel. Elles ne sont pourtant qu'accessoirement des « colonies d'exploitation ». Leur caractère essentiel et commun est de former des colonies « de position », comme disait Hardy, nous dirions plutôt des colonies « de relation ». Leur valeur, en effet, vient moins de leur position même (le rôle d'escale de Djibouti, quoi qu'il en semble, est secondaire), que des rapports qu'elle les amène à entretenir avec les pays voisins.

L'Inde française, reconnaissait récemment le pandit Nehru, est une fenêtre pour la France sur la culture hindoue, une fenêtre pour l'Inde sur la culture française. La côte des Somalis a été conçue par La garde comme un lien d'amitié avec l'Éthiopie. Elle en est l'exutoire principal. Djibouti, centre musulman, entretient aussi des rapports de bon voisinage avec l'Arabie. Plaque tournante entre deux continents, notre petit territoire peut constituer une base de départ pour nos sociologues et nos linguistes, pour les initiatives économiques et culturelles françaises facilitées par notre désinté- ressement politique qui, ici, est absolu.

De ces relations, de ces influences françaises, la Réunion a été le centre de rayonnement le plus continu et le plus ample. Elle a suppléé à la perte des Indes et de Maurice. Depuis 1815, elle n'a cessé d'affirmer énergiquement la présence française sur les rives de l'Océan Indien dans toutes les directions, en en dépas- sant même les limites. C'est à elle, « la colonie colonisatrice », à ses parlementaires, ses marins, ses planteurs, qu'est due la cam- pagne incessante menée en France pour attirer l'attention sur Madagascar et pousser à sa conquête. C'est d'elle que sont partis les premiers colons vers la côte malgache, vers la Cochinchine, vers la Nouvelle-Calédonie. Elle n'a même pas négligé les îles australes les plus désertes, Saint-Paul et Amsterdam qu'elle a annexées de son propre chef, Kerguelen sur laquelle elle nous a rappelé nos droits. On sait qu'elle a aussi entretenu jalousement sous la Croix du Sud le culte de notre littérature. Il serait trop long d'énumérer ici ses prosateurs et ses poètes. Les noms de Parny et de Lecomte de Lisle y suffisent, comme celui de Bernardin de Saint-Pierre

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marque à jamais Maurice, Vile sœur, où les lettres françaises sont toujours chéries.

Il y a donc une France de l'océan Indien, bien vivante, quoi- que d'une diversité aimable. Si nous en avons réparti l'étude en deux volumes, c'est que Madagascar revêt une importance incom- parable et présente une physionomie à part. Les Comores et les terres australes, ses dépendances administratives, lui ont été jointes dans le précédent tome. Nous ne pouvons qu'évoquer et saluer ici au passage Maurice, Rodrigue et les Seychelles, terres demeurées fidèles à la langue française et aux traditions charmantes du plus français de tous les siècles, le XVIIIe.

Lé présent volume groupe la Côte des Somalis, la Réunion et les comptoirs de l'Inde. Si le premier de ces territoires y tient la plus grande place, ce n'est pas en raison de son importance. A tous égards, population, histoire, économie, la Réunion et l'Inde eussent eu à bon droit le pas sur elle. Mais ces colonies anciennes ont déjà suscité bien des travaux, alors que la Somalie française (malgré le titre de l'excellent livre de voyage de M. Aubert de la Riie) n'avait pas encore fait l'objet d'un exposé d'ensemble.

H. D.

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La Côte française des Somalis

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CHAPITRE I

LE PAYS

SITUATION, LIMITES, ÉTENDUE

Les écrivains en quête de périphrases nomment parfois la Côte française des Somalis : « notre colonie de la mer Rouge ». Cela ne constitue pas un très gros péché géographique. Cependant, c'est seu- lement par son extrême nord que la colonie vient affleurer l'extrême sud de la mer Rouge. Sa côte borde à cet endroit la grande passe du détroit de Bab el Mandeb, la « porte des lamentations », qui s'ouvre entre Doumeira et Périm. Cette passe de l'ouest, beaucoup plus large et fréquentée que la petite passe de l'est, entre Périm et Cheikh Saïd, contrôle une des plus grandes voies maritimes du monde et c'est d'elle que notre colonie tire son origine et une partie de son importance.

Mais c'est au sud du détroit, sur le golfe d'Aden, que se développe la plus grande longueur de côtes de la colonie. Elles encadrent, dans leur partie centrale, une longue baie profonde, le golfe de Tadjoura.

Les frontières de notre territoire résultent de trois séries d'accords. 1° La frontière nord, avec l'Érythrée ex-italienne, a été délimitée

par le protocole du 10 juillet 1901 : elle part du ras Doumeira, sur la côte, et rejoint la vallée de l'oued Weïma, qu'elle Fuit jusqu'à Daddato. Les accords Laval-Mussolini de 1935, qui abandonnaient à l'Italie la possession de l'île de Doumeira et du nord de la colonie jusqu'à une ligne Daddato—Der Eloua, ont été dénoncés par l'Italie en 1938 et n'ont en fait jamais été exécutés;

20 Au sud-est, la frontière avec le Somaliland britannique a été définie par le traité de Londres de février 1888 et délimitée par l'ac- cord de Mordalé, du 19 avril 1934. C'est une ligne droite joignant Loyada à Djalelo.

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3° Quant à la frontière avec l'Éthiopie, elle résulte de la convention passée à Addis-Abeba le 20 mars 1897 entre l'empereur Ménélik et le gouverneur Lagarde. Elle consiste en « une ligne partant de la frontière franco-anglaise à Djalelo, passant à Rahalé, le mont Daguen, Sablola, Gobad, Airoli, le bord du lac Abbé, Mergada, le bord du lac Alli et, de là, remontant par Daïmoli et Adgheno Marci, puis gagnant Doumeira par Ettaga, en côtoyant Raheitah (voir la carte de Chau- rand, 1894) ». L'incertitude de cette toponymie nous a valu de nom- breuses difficultés avec les Italiens lorsqu'ils occupaient l'Ethiopie. Une convention franco-éthiopienne du 5 juin 1947 a enfin fixé une frontière précise.

Le territoire ainsi limité est compris entre 12° 43' et ioo 55' de latitude nord, 410 38' et 450 25' de longitude est de Greenwich. Ses dimensions maxima, sensiblement égales en longueur et en largeur, n'excèdent guère 175 kilomètres. On lui attribue généralement 23.000 kilomètres carrés, soit environ la superficie de quatre dépar- tements français.

VUE D'AVION

Elle est loin d'en avoir la fertilité. A qui l'aperçoit d'avion pour la première fois, l'intérieur du pays présente un aspect uniformément désolé, impressionnant de nudité sévère. A perte de vue s'étendent des champs de lave noire, plus ou moins profondément burinés d'oueds à sec, coupés parfois par une plaine de sable fauve dont l'éblouissement ajoute encore à la rudesse de l'ensemble. Devant ces paysages lunaires où semble être consommée déjà la mort de notre planète, on ne peut songer sans amusement à nos écrivains policés du xviie siècle, qui qualifiaient « d'affreux déserts » des contrées aussi riantes que les Alpes ou les Pyrénées, où la végétation abonde, où des ruisseaux coulent à chaque pas dans l'herbe verte. Ici le vert semble avoir disparu du monde en même temps que l'eau. L'étendue se déroule comme un film en deux couleurs, noir et sable, sous le projecteur éclatant du soleil.

Bientôt cependant, le premier accablement se dissipe, l'œil s'ha- bitue à un paysage si différent des nôtres et commence à percevoir une curieuse diversité. De l'avion même, en un tour rapide, on découvre d'extraordinaires spectacles.

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C'est d'abord la profonde coupure bleue du golfe de Tadjoura. A son entrée, les îles Moucha et Maskali sont serties entre des hauts fonds aux tons intenses de vert-de-gris et de jade. Peu à peu, vers l'ouest, les deux rivages du golfe se rapprochent sans se rejoindre. Derrière un goulet s'ouvre une baie immense, de forme bizarre, entre de hautes falaises noires à pic; c'est le Gubbet-el-Kharab, le K golfe de la Désolation » au fond duquel se dressent deux anciens cratères, les « îles du Diable ».

Bientôt apparaît un cirque sans doute unique au monde. Dans le fond d'une immense cuvette, au pied de montagnes noires, de plus de 1.500 mètres, une gigantesque nappe de sel s'étale comme une banquise, léchée par une eau glauque, mourante, promise elle aussi au desséchement. C'est le lac Assal, situé en contre-bas du niveau de la mer et dont aucune photo n'a réussi à rendre l'éblouissement et la grandeur.

En continuant vers l'ouest, on franchit une succession de chaînes et de fossés parallèles, rectilignes comme des sillons : les monts Garbi, la plaine de Gagadé, la plaine du Henlé, prolongée au nord par la dépression du lac Alli; enfin la table noire, gigantesque, des plateaux de Gamarré. Elle s'arrête à pic, vers l'ouest, sur la plaine de l'Aoussa et ses petits lacs d'eau douce où vient se perdre le dernier filet de la rivière Aouache, bue par le soleil et les sables depuis sa descente du plateau abyssin.

Après cette perspective centrale de la colonie, deux autres voyages est-ouest, l'un dans la partie nord, l'autre dans la partie sud, en achèveront rapidement la découverte.

Au nord, c'est d'abord la monotonie d'une plaine de sables nus longeant la côte, à laquelle succède une étendue de basaltes noirs, plus mornes encore. Seul, le pic du Moussa-Ali s'isole dans sa grandeur et son aridité.

Le long du golfe de Tadjoura court une chaîne de montagnes conti- nue : les monts Mabla à l'est, le massif du Gouda à l'ouest. Après l'hostilité des tables de basalte, ces montagnes paraissent plus humaines, avec des vallées profondes, des plateaux dont certains verdoient, et même au fond d'une gorge, miracle invraisemblable, un filet d'eau qui coule véritablement, une cascade!

Dans la partie sud de la colonie, on retrouve une étroite plaine

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côtière, couverte par places d'épineux. Au delà recommence la grande étendue noire des plateaux basaltiques, coupée seulement par les plaines des deux Bara couleur de sable, sans un brin d'herbe, et le complexe des pitons fauves et bigarrés de la région d'Ali-Sabieh. A l'est, la plaine du Gobad s'ouvre jusqu'à l'immense lac Abbé, pourrissant, bordé d'orgues colossales, résidus de sources sulfureuses. Au-dessus de la fermentation des eaux glauques s'élèvent, en nuances mourantes, des nuées tourbillonnantes de flamants roses.

Variété de spectacles infernaux, dignes du Dante! Grâce à l'avion, ils peuvent émouvoir en quelques heures les voyageurs les plus blasés sur la monotonie du monde.

HISTOIRE GÉOLOGIQUE

L'aspect du pays révèle les convulsions qui l'ont bouleversé au cours des âges géologiques. Il appartient à la plus vaste peut-être des zones d'effondrement terrestre, celle qui part des Grands Lacs pour aboutir à la Syrie en passant par la région des lacs Abyssins et la mer Rouge. La Côte des Somalis est située dans cette partie de la grande dépression que les géologues nomment Afar, et qui forme un triangle de terrains volcaniques effondré entre le plateau somali au sud, le plateau abyssin à l'ouest, le gclfe d'Aden et la mer Rouge à l'est. Les partisans des théories de Wegener ont conjecturé que les effondrements et les phénomènes volcaniques de cette région prove- naient de l'écartement progressif de l'Arabie et du continent afri- cain dont les formes paraissent s'emboîter dans leur ensemble. Cette région de l'écorce terrestre semble d'ailleurs encore mal consolidée. Les secousses sismiques sont relativement fréquentes.

Bien que les phénomènes volcaniques y tiennent de loin la plus grande place, on trouve cependant à la Côte des Somalis les traces de formations plus anciennes. La région d'Ali-Sabieh est constituée de terrains jurassiques et crétacés, principalement de grès, déchi- quetés par l'érosion en pitons uniformes.

Les basaltes anciens forment la base des monts Mabla et une partie du Gouda; on les retrouve également dans divers points du sud. Les rhyolites, de couleurs variées, généralement brunes, s'étendent sur le Gouda, une partie de la région nord jusqu'au ras Doumeira, l est

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du Henlé, la côte orientale du Gubbet el Kharab. Les formes qui en résultent sont plus découpées que celles des basaltes.

Les basaltes récents couvrent la plus grande partie de la colonie. Leurs couches noires, sensiblement horizontales, forment parfois des empilements de plus de 1.000 mètres. Les volcans du Moussa Ali, et peut-être du Garbi, ont pu donner naissance à une partie des champs de lave. Mais Aubert de la Rue conjecture que la plus grande masse de ces épanchements a dû être émise par un énorme centre éruptif, aujourd'hui effondré, qui occupait le golfe de Tadjoura. De là pro- viendraient les coulées du Gouda au nord, de l'Arta au sud.

Ces basaltes forment d'immenses régions tabulaires. La chaleur les fait éclater en profondes fissures que l'érosion travaille en surface. Ainsi se forment souvent ces étendues désolantes de grosses pierres noires appelées vulgairement « parpaings », où la marche constitue un beau problème sportif.

Par la suite, ces gigantesques champs de lave qui couvraient presque toute la colonie furent profondément disloqués par des effondrements. Certains de ces fossés furent envahis par la mer, tels le golfe de Tadjoura et le Gubbet el Kharab. Les autres formèrent des dépressions intérieures, d'orientation généralement nord-ouest— sud-est. *>

Pendant une période de climat humide, correspondant peut-être à nos périodes glaciaires, toutes ces dépressions furent remplies par des lacs, de plus en plus saumâtres à mesure que gagnait la séche- resse. Finalement, la plupart de ces lacs ont été asséchés, colmatant le fond des plaines de dépôts divers : vase calcaire, argile, sable, gypse, sel. Ainsi ont été formées, entre autres, les plaines du Henlé et de Gagadé. L'ancien lac du Gobad est encore en voie d'assèche- ment; le lac Abbé, aux eaux sursalées, abandonne chaque année à la plaine du Gobad de nouveaux espaces de vase molle. Le lac Assal, autrefois lac d'eau douce, occupait un espace beaucoup plus vaste. Salé par la décomposition des roches environnantes et proba- blement des infiltrations d'eau de mer, il est devenu plus qu'à moitié une immense nappe de sel. D'autres lacs asséchés n'ont plus d'eau qu'en saison des pluies. C'est le cas du lac Alli, de la plaine de Doda, des lacs Alol.

Les côtes du golfe d'Aden sont formées de dépôts marins, madré-

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pores et sables madréporiques, parfois disposés en terrasses et qui indiquent un exhaussement du sol. Dans les vallées inférieures des grands oueds, on trouve des couches parfois importantes de cail- loutis et de sables.

Le volcanisme actif n'a cessé qu'à une époque toute récente. La région entre le Gubbet-el-Kharab et le lac Assal est parsemée de petits cônes volcaniques intacts. Sur la côte, le ras Syane et les îlots des Frères sont des cônes de scories. On rencontre encore, en de nombreux points du territoire, des manifestations volcaniques : fumerolles et surtout sources thermales. Sur la rive est du lac Abbé, à Asbahalto, les sources chaudes ont déposé des travertins dont les alignements prennent l'aspect d'orgues gigantesques. Des sources chaudes jaillissent également dans le nord du Henlé. Celles d'Obock sont célèbres et les indigènes viennent y faire des cures.

Quant aux ressources minérales de la Côte des Somalis, si l'on excepte le sel, elles semblent assez pauvres. Aubert de la Rtie a signalé des traces de cuivre et de manganèse, inexploitables. Les calcaires coralliens de la région d'Obock et de Tadjoura servent depuis longtemps à la fabrication de la chaux.

RELIEF

De ces événements géologiques est résulté un relief assez chaotique où l'on peut distinguer quatre régions : côtes du golfe d'Aden, région Nord, effondrements du Centre, région Sud.

10 Les côtes du golfe d'Aden, situées entre Obock et la frontière, forment une plaine de sable complètement plate, d'une vingtaine de kilomètres de large environ, barrée en deux endroits d'une manière assez lâche pàr des alignements basaltiques. La côte madréporique est parfois basse comme à Khor Angar. Parfois elle s'élève en terrasse comme au ras (cap) Bir, comme au mouillage d'Obock abrité par des récifs. Les seuls accidents notables de la côte sont des reliquats de l'activité volcanique : le ras et l'île Doumeira, le ras Syan et les six îlots des Frères.

A l'entrée du golfe de Tadjoura, les îles Maskali et Moucha émergent d'un immense banc madréporique.

Au sud du golfe, entre Djibouti et la frontière, la plaine de sable

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CARTE PHYSIQUE NOTA : cette carte n'est qu'un schéma. Pour plus de détails, voir la carte Du four indiquée

à la bibliographie.

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reprend, mais sur quelques kilomètres seulement, coupée de dunes et d'embouchures de nombreux oueds. Le seul point notable de la côte est Djibouti, ensemble d'îles, de presqu'îles madréporiques et de récifs abritant un mouillage vaste, d'accès facile.

2° La région Nord est presque entièrement formée d'épanchements volcaniques. En arrière de la plaine côtière, on rencontre d'abord un complexe de hautes collines déchiquetées dont les parties les plus notables sont la chaîne d'Ado-Alé, au nord, et le plateau de Dalha, au sud, raviné de profonds canons et dont l'altitude dépasse parfois 900 mètres.

A l'ouest, les basaltes récents forment au contraire un plateau bas d'une remarquable monotonie comprenant le bassin de l'oued Weïma, vaste étendue de pierres noires et le plateau de l'Alta dont le centre forme la cuvette de Doda occupée par les eaux une partie de l'année. Les 2.010 mètres du Moussa-Ali, aigu et stérile, dominent au nord cette platitude. La zone des plateaux se termine par un à pic impres- sionnant sur la dépression d'Alol qui marque le début de la zone centrale d'effondrements.

Le long du golfe de Tadjoura se dresse un haut pays infiniment plus varié et pittoresque. C'est la chaîne que forment les monts Mabla, à l'est, et Gouda, à l'ouest. Les Mabla, séparés des hautes collines du nord par le sillon de l'oued Debeneh (haute partie de l'oued Sadaï), sont des montagnes assez confuses, dépassant en certains endroits 1.200 mètres. Le Gouda, ou Goda, dont la silhouette tabulaire domine le golfe de Tadjoura, dresse sa chaîne culminante (Barabairé), à plus de 1.700 mètres (pic Lagarde : 1.750 mètres; pic Deloncle : 1.715 mètres). En contrebas de cette chaîne, du côté du nord, s'étend le plateau du Daï, situé à 1.500 mètres, assez facile- ment accessible par le lit rocailleux de l'oued Aïboli.

30 La zone centrale cf effondrements commence à l'est par le golfe de Tadjoura, profond parfois de près de 1.000 mètres, bordé de falaises noires, abruptes comme celles du plateau de Rouaïli, ou de plages frangées de récifs comme celles de Tadjoura. Dès qu'on quitte la côte, on trouve des fonds de 100 mètres. Les mouillages sont rares; le meilleur est celui d'Ambabo, à l'ouest de Tadjoura.

Le Gubbet-el-Kharab accentue encore ce caractère de fosse tectonique récente. On y accède par un goulet, divisé en deux, inéga-

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lement, par un îlot et dont la petite passe est praticable aux heures de mer étale. Les falaises noires, au sud, plongent dans le golfe de près de 700 mètres de haut. Les profondeurs presque partout dépassent 100 mètres. Un des abris qu'on y trouve s'appelle la « Baie sans fond ».

La partie ouest du Gubbet-el-Kharab affecte déjà l'orientation nord-ouest—sud-est. Tout le reste de la colonie entre le golfe de Tad- joura et la frontière est formé d'une alternance de fossés d'effondre- ment et de lignes de crêtes bordées de failles rectilignes. Fossés et lignes de crêtes ont tous rigoureusement cette orientation nord-ouest —sud-est. On rencontre ainsi successivement, en allant vers l'ouest :

a) Le fossé Gubbet-el-Kharab—lac Assal—lac Alol. On descend du golfe vers la dépression du lac à travers une région n-che en mani- festations volcaniques : fumerolles et petits cratères. La surface d'j lac est à 150 mètres au-dessous du niveau de la mer. Toute la partie ouest est une immense saline. Au nord, dans un alignement plus oriental, la dépression d'Alol (— 20 mètres) est occupée par quatre lacs temporaires bordés d'une multitude de sources chaudes et froides, douces ou salées, dans un curieux mélange.

b) Une série de crêtes qui, partant du Dolad (1.100 mètres), au sud du Gubbet-el-Kharab, culmine dans le massif du Garbi. Celui-ci domine le lac Assal de ses 1.600 mètres et se prolonge au nord par les hauts plateaux de Si-Yaro.

c) Un fossé d'effondrement qui forme, du sud au nord, la vallée de l'oued Kori, la plaine de sable de Gagadé, la plaine de Daou- daouya, séparée de la première par des collines basses.

d) Les deux massifs du Baba Alou (987 mètres) au sud, et du Yaguéré (1.300 mètres), au nord, séparés par la passe de Yoboki.

e) Le plus important des fossés d'effondrement forme la plaine du Henlé, au sud, et la cuvette du lac Alli, au nord. Le Henlé, la plus vaste des plaines de la colonie, est bordée de falaises rigoureu- sement rectilignes. Le vent y soulève des colonnes de sable qui tour- noient tout le long du jour. L'oued Henlé y creuse sa vallée, venant de la frontière sud de la colonie où il porte successivement les noms d'oued Dabadera et d'oued Cheikhetti. La plaine s'abaisse en pente douce du sud (300 mètres) à la partie nord-est (100 mètres). Celle-ci, plus étroite que la plaine elle-même, est généralement nommée : le petit Dobi. De là on passe, par un étranglement médiocre, à la

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cuvette du grand Dobi, dont la dépression centrale et orientale forme le lac temporaire d'Alli ou de Goum (altitude : Ioo mètres).

/) Une région de plateaux assez larges, hachés de vallées profondes qui suivent l'orientation générale. Les Dakka,, au. sud, ne dépassent guère 600 mètres. Au nord, la table immense des Gamarré, profon- dément découpée par des failles et par l'érosion fluviale, surplombe la plaine du Henlé par une gigantesque falaise rectiligne de plus de 1.000 mètres. La masse des Gamarré est coupée en deux par la passe d'Ogag.

A l'ouest, les plateaux tombent brusquement sur la plaine maré- cageuse de l'Aoussa où l'Aouache vient se perdre dans de petits lacs d'eau douce (Oddoumi-Bada, Iita-Bada) et dans l'immense lac Abbé.

g) La dépression lac Abbé—plaine du Gobad, bordée au sud-ouest par la faille basaltique de Aïroli. Le lac Abbé, carré presque régulier de 25 kilomètres de côté, est situé à 265 mètres d'altitude. Ses eaux sursalées et putrides sont bordées à l'est de boues inconsistantes auxquelles succède la plaine du Gobad, traversée par un oued presque verdoyant.

40 La région Sud est plus confuse que les précédentes, sans unité géologique ni orientation de relief. Au sud du golfe de Tadjoura, quelques plateaux balsatiques, comme celui de l'Arta (750 mètres), ont encore des bords abrupts témoignant d'effondrements. A l'extrême sud de la colonie, la région d'Ali-Sabieh et de Daouenlé présente un aspect très particulier, avec ses massifs gréseux (Arré, 1.200 mètres; Daguen, 1.000 mètres) aux teintes ocres et vertes, avec ses pitons déchiquetés et chaotiques. Entre les deux, de Djibouti aux Dakka, s'étend une contrée basaltique monotone, coupée par les vallées de grands oueds : l'oued Ouéa, qui se jette dans la mer près de Djibouti sous le nom d'oued Ambouli; l'oued Beyde et l'oued Hol-Hol, égale- ment affluents du golfe d'Aden; l'oued Cheikhetti qui aboutit au Henlé. Quelques grandes plaines substituent par endroits la monotonie du sable et de l'argile à celle du basalte. Tels le petit Bara, où le vent soulève des montagnes de sable, et le grand Bara, dont les 25 kilomètres d'argile ocre et dénudée ont l'horizontalité absolue d'un lac par temps calme. De la région basaltique de Dikhil, on passe, sans élévation sensible de terrain, à la plaine du Gobad.

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CLIMAT Le voyageur qui longe les côtes de Port-Saïd à Mombaz ne con.

temple, en cours de route, que des paysages minéraux, uniformément désolés et brûlants. C'est la grande zone côtière torride et déser- tique de l'Afrique orientale, à laquelle appartient notre colonie. Djibouti est l'un des points les plus chauds du globe, mais partage ce peu enviable privilège avec tous les bords de la mer Rouge et du golfe Persique.

Dans ce climat exceptionnellement rude, deux saisons, été et hiver, sont cependant nettement sensibles. En hiver, de novembre à avril, souffle le vent d'est, assez frais, qui paraît résulter à la fois de l'alizé et de la mousson indienne. L'été, de juin à septembre, arrivent divers vents des gradients nord et ouest, souvent violents et chauds, entre autres celui qu'on désigne sous le nom de Khamsin. Provenant du nord-ouest, il apporte, parfois pendant trente jours, une tempé- rature de chaufferie et s'accompagna souvent d'une nuée de sables arrachée au désert. Les mois de mai et d'octobre forment la transition, avec de brusques sautes de vent dans la journée. Pendant le mois de septembre régnent des calmes plats, particulièrement pénibles.

Il existe à Djibouti une station météorologique, une des mieux outillées de l'Afrique orientale. Les moyennes de température et d'humidité sont les suivantes :

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La moyenne annuelle des températures s'établit ainsi à 30°, celle de l'humidité à 70%. Les maxima et minima absolus de tempé- rature ont été observés en 1934 : 40° 5 et 19°.

Les caractéristiques d'un tel climat sont évidentes : 1° il est tor- ride. Les quatre mois d'été sont particulièrement rudes avec de fortes montées du thermomètre l'après-midi et des nuits qui restent chaudes; 2° il est humide, avec un maximum en hiver et des minima pendant les coups de Khamsin d'été qui assèchent brus- quement l'atmosphère. La situation de Djibouti, entouré d'eau, avec une évaporation très forte, une nébulosité faible (0,4) explique ce caractère. Mais on le retrouve plus ou moins accentué tout le long de la côte.

A Tadjoura, les minima de température sont plus élevés, les vents de sable plus fréquents. A Dikhil, situé dans l'intérieur à 400 mètres d'altitude, la température est inférieure de 2° en moyenne à celle de Djibouti, avec un climat beaucoup plus sec. Le climat des mon- tagnes est encore mal connu. Des appareils placés pendant le mois de juin sur le plateau du Daï, dans le massif du Gouda, à 1.500 mètres d'altitude ont révélé une sécheresse remarquable et des moyennes de température de 19° pour les minima et de 330 pour les maxima, inférieures de plus de 10° à celles de Djibouti au même moment. En mars, Aubert de la Riie y a noté 90 la nuit, 20° le soir. Au cœur de l'hiver, une grande partie des indigènes quittent leurs villages du Gouda, où il fait trop froid, pour se réfugier en plaine.

La vie des Européens, dans un climat aussi différent du leur que celui de Djibouti, exige de nombreuses accommodations. Pendant l'hiver, bien ventilé, certaines heures rappellent parfois les belles journées d'été en France. Ce sont les instants les plus frais, bien courts. On ne cesse jamais de porter des vêtements de toile, mais du moins peut-on dormir dans un lit. En été, les draps sont brû- lants, le matelas insupportable. Il faut dormir à peu près nu sur une toile tendue (le « brande »), soit en plein air, soit sous un venti- lateur grand ouvert. Dans la journée on a un avantage certain à se vêtir le moins possible, la sueur constante sous les vêtements donnant une éruption, la « bourbouille », qui se généralise vite à tout le corps. Les douches froides fréquentes sont nécessaires, ainsi que les boissons fraîches. L'électricité, fournissant la glace et la

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ventilation, a considérablement transformé l'existence. Celle-ci reste assez rude. Le « coup de chaleur » frappe au début de l'été, chaque année, certains individus débilités ou insuffisamment acclimatés. Les êtres les plus fragiles : femmes, enfants, vieillards, malades, ont intérêt, pendant quatre mois, à rentrer en Europe ou à gagner les hauteurs.

Il serait difficile, à la Côte des Somalis, de parler d'un régime des pluies. La caractéristique de celles-ci, comme il convient dans un climat désertique, est une extrême rareté jointe à une totale irrégu- larité. Une moyenne ne donnerait à ce dernier égard aucune indi- cation. Il est plus édifiant de comparer les résultats pluviométriques de deux années à Djibouti :

1937 a été, grâce à un gros abat d'eau pendant deux jours en novembre, l'année la plus pluvieuse qu'on ait connue. 1938 est une année sèche. La plus sèche a été 1918 avec 10 mm 4 seulement. Parmi les années récentes, 1942 a reçu 45 mm 1 en quatorze jours; 1945 • 193 mm 7 en dix-sept jours. Ces quantités d'eau sent infimes pour une évaporation intense. Quant à l'époque des pluies, aucune prévision n'est possible. Tout au plus peut-on conjecturer dans l'en

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