dans la genÈve du xvie siÈcle un bien mystérieux alchimiste

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L e 2 septembre 1552, d’étranges cava- liers entraient à Genève par la porte de Saint-Léger. Une fois dans la ville, ils se rendirent à l’Orangier, une auberge du Bourg-de-Four. Celui qui paraissait être le chef de la troupe déclara se nommer George De Laye et venir du Languedoc avec un ami et deux serviteurs. Dès le lendemain, ils louèrent une maison rue du Boule (au- jourd’hui rue de la Fontaine), puis se mirent à acheter des outils et du matériel. Comme De Laye semblait malade, il fut rapidement «suspicionné (sic) de peste» et discrètement surveillé. Peu de jours après, un artisan genevois dé- clara aux autorités que ces curieux étran- gers l’avaient payé avec de fausses pièces de monnaie. Celles-ci réagirent immédiatement en investissant la maison où l’on trouva un véritable atelier: un four allumé avec des moules qui rougissaient au feu. De Laye dé- clara qu’il se préparait à faire de la «vraye et bonne monnoye» pour le comte Michel de Gruyère. Malheureusement pour lui, Jehan Droz, graveur attitré du comté de Gruyère, résidait à Genève. Il dénonça aussitôt la su- percherie, déclenchant ainsi une enquête approfondie. Les autorités judiciaires découvrirent d’abord que cet étrange personnage, origi- naire de Vienne en Dauphiné, possédait plu- sieurs noms: De Laye, Battonat et vicomte de Bourges. Interrogé, l’accusé prétendit être un alchimiste capable d’effectuer la trans- mutation du plomb en or, ainsi que docteur en médecine. Battonat semblait être son vrai nom, mais il tenait particulièrement au titre de vicomte. Précisons qu’à cette époque, les autorités genevoises étaient encore échau- dées par une récente affaire de fausse mon- naie. En avril 1551, un certain Gaspard de la Barde, convaincu de faux-monnayage, avait été décapité à Champel. Sa tête avait ensuite été exposée au Pont d’Arve, ornée d’un col- lier de fausses pièces de monnaie. Polygame Poussant leurs investigations, les juges ge- nevois découvrirent que Battonat n’avait pas seulement plusieurs noms, mais aussi plu- sieurs femmes… En effet, il était marié à une «damoyselle Jacquete du Mazour» dans la ville d’Alès, à Louise de la Croix à Bordeaux, à Isabeau Le Gendre à Avignon et à Made- moiselle des Asses à Paris. Pire encore, il aurait égorgé cette dernière après avoir em- poisonné son père! De plus, on le suspectait d’avoir mise enceinte une autre femme près de Lyon, à laquelle il aurait promis le ma- riage. Battonat ne reconnut que le mariage avec Jacquete et nia tout le reste, y compris d’avoir fait de la prison à Paris et d’avoir été condamné aux galères à Lyon. Dans ses ba- gages, on trouva également un grimoire, des invocations au Diable, ainsi que de nom- breuses drogues comme de l’arsenic. On se demanda si ce «vicomte» n’était pas aussi un empoisonneur. Marqué au fer rouge Comme les semaines passaient et que Bat- tonat s’obstinait à nier, les juges décidèrent d’en venir à la «question extraordinaire», c’est-à-dire la torture. Rapidement, la douleur associée au parfum du bûcher le conduisit à avouer qu’il avait bien eu l’inten- DANS LA GENÈVE DU XVI e SIÈCLE Un bien mystérieux alchimiste Faux-monnayeur, polygame et escroc, voici l’histoire de Georges Battonat, jugé et condamné à Genève en l’an 1553. 14 HISTOIRE TOUT L’IMMOBILIER • N O 1028 • 15 MARS 2021 Route de la Maison-Carrée 27 – 1242 Satigny – [email protected] www.tuyoservices.ch Tél. 022 552 90 16 Intervention 7/7 24/24 Toilettes ou écoulements bouchés, problèmes de canalisations, dégâts d’eau

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Page 1: DANS LA GENÈVE DU XVIe SIÈCLE Un bien mystérieux alchimiste

Le 2 septembre 1552, d’étranges cava-liers entraient à Genève par la porte de Saint-Léger. Une fois dans la ville,

ils se rendirent à l’Orangier, une auberge du Bourg-de-Four. Celui qui paraissait être le chef de la troupe déclara se nommer George De Laye et venir du Languedoc avec un ami et deux serviteurs. Dès le lendemain, ils louèrent une maison rue du Boule (au-jourd’hui rue de la Fontaine), puis se mirent à acheter des outils et du matériel. Comme De Laye semblait malade, il fut rapidement «suspicionné (sic) de peste» et discrètement surveillé. Peu de jours après, un artisan genevois dé-clara aux autorités que ces curieux étran-gers l’avaient payé avec de fausses pièces de monnaie. Celles-ci réagirent immédiatement en investissant la maison où l’on trouva un véritable atelier: un four allumé avec des moules qui rougissaient au feu. De Laye dé-clara qu’il se préparait à faire de la «vraye et bonne monnoye» pour le comte Michel de Gruyère. Malheureusement pour lui, Jehan Droz, graveur attitré du comté de Gruyère, résidait à Genève. Il dénonça aussitôt la su-

percherie, déclenchant ainsi une enquête approfondie. Les autorités judiciaires découvrirent d’abord que cet étrange personnage, origi-naire de Vienne en Dauphiné, possédait plu-sieurs noms: De Laye, Battonat et vicomte de Bourges. Interrogé, l’accusé prétendit être un alchimiste capable d’effectuer la trans-mutation du plomb en or, ainsi que docteur en médecine. Battonat semblait être son vrai nom, mais il tenait particulièrement au titre de vicomte. Précisons qu’à cette époque, les autorités genevoises étaient encore échau-dées par une récente affaire de fausse mon-naie. En avril 1551, un certain Gaspard de la Barde, convaincu de faux-monnayage, avait été décapité à Champel. Sa tête avait ensuite été exposée au Pont d’Arve, ornée d’un col-lier de fausses pièces de monnaie.

Polygame

Poussant leurs investigations, les juges ge-nevois découvrirent que Battonat n’avait pas seulement plusieurs noms, mais aussi plu-sieurs femmes… En effet, il était marié à une

«damoyselle Jacquete du Mazour» dans la ville d’Alès, à Louise de la Croix à Bordeaux, à Isabeau Le Gendre à Avignon et à Made-moiselle des Asses à Paris. Pire encore, il aurait égorgé cette dernière après avoir em-poisonné son père! De plus, on le suspectait d’avoir mise enceinte une autre femme près de Lyon, à laquelle il aurait promis le ma-riage. Battonat ne reconnut que le mariage avec Jacquete et nia tout le reste, y compris d’avoir fait de la prison à Paris et d’avoir été condamné aux galères à Lyon. Dans ses ba-gages, on trouva également un grimoire, des invocations au Diable, ainsi que de nom-breuses drogues comme de l’arsenic. On se demanda si ce «vicomte» n’était pas aussi un empoisonneur.

Marqué au fer rouge

Comme les semaines passaient et que Bat-tonat s’obstinait à nier, les juges décidèrent d’en venir à la «question extraordinaire», c’est-à-dire la torture. Rapidement, la douleur associée au parfum du bûcher le conduisit à avouer qu’il avait bien eu l’inten-

■ DANS LA GENÈVE DU XVIe SIÈCLE

Un bien mystérieux alchimiste Faux-monnayeur, polygame et escroc, voici l’histoire de Georges Battonat, jugé et condamné à Genève en l’an 1553.

14 H I S T O I R E

T O U T L ’ I M M O B I L I E R • N O 1 0 2 8 • 1 5 M A R S 2 0 2 1

Route de la Maison-Carrée 27 – 1242 Satigny – [email protected] – www.tuyoservices.ch

Tél. 022 552 90 16

Intervention 7/7 24/24

Toilettes ou écoulements bouchés, problèmes de canalisations, dégâts d’eau

Page 2: DANS LA GENÈVE DU XVIe SIÈCLE Un bien mystérieux alchimiste

tion de fabriquer de fausses pièces de mon-naie. Il s’agissait de «Nobles à la Rose», une monnaie anglaise qui avait cours en Europe. Heureusement pour lui, cela ne mettait pas directement en cause les intérêts de Genève comme dans l’affaire Gaspard de la Barde. C’est probablement ce qui lui sauva la vie. En revanche, il niait tout acte satanique. En janvier 1553, certains magistrats, consta-tant des «vacillations et évidentes mente-ries» de la part du prisonnier, préconisèrent de le condamner à mort. Compte tenu des soupçons de sorcellerie qui pesaient sur lui, ils proposèrent de le brûler vif… En fi n de compte, Battonat s’en sortit plutôt bien, puisqu’il fut condamné à être fouetté et bat-tu jusqu’au sang. De plus, on lui marqua sur le front les armoiries de Genève au fer rouge, avant de le jeter hors de la ville avec pro-messe de la peine de mort s’il y remettait un jour les pieds. ■

Frédéric Schmidt

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De Laye déclara qu’il se préparait à faire de la «vraye et bonne monnoye» pour le comte Michel de Gruyère.