décembre noir · je collabore à un journal qui se nomme œle chat noir–, avec tout ce que cela...

4
PRIX : 3 EUROS DÉCEMBRE 2019 138 E ANNÉE. Nouvelle série Õ N°19 FONDATEURS Rodolphe SALIS Emile GOUDEAU DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Romain NOUAT (Bleu dégradé) SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION BLEU Label ABONNEMENTS 1 An ........ 35 a Europe ....... 50 a Monde ....... 55 a Envoyez votre lettre de motivation ainsi qu“un chèque » l“ordre de : Romain Nouat, Journal Le Chat Noir. Rédaction et Adiministration, 6, rue Cortot, 75018 Paris. [email protected] TIRAGE LIMITÉ 1.000 Exemplaires numérotés (Paraissant un samedi) RÉDACTRICE EN CHEF SCHTROUMPFETTE RELECTEUR GÉNÉRAL L“·NE LOLO ASSISTÉ DE ENKORHECTOR Académicien AU PINCEAU Monsieur Binu BLEU KLEIN ENLUMINEUSE CAMILLE BROQUET » LA PLUME Champo, Myriès La Prédiction Franck Balandier Rodolphe Trouilleux Mathias Pizzinato Virginia Ennor pour réclames et annonces s,adresser– E. Satie [email protected] Maison recommandée......... 150 Réclame.............................. 300 Grand encart...................... 500 NE

Upload: others

Post on 20-May-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Décembre noir · Je collabore à un journal qui se nomme œLe Chat noir–, avec tout ce que cela comporte de superstitions autour de ce pauvre animal qu“il faudrait teindre en

P R I X : 3 E U R O S DÉCEMBRE 2019138E ANNÉE. Nouvelle série Õ N°19

F ON DAT E U R S

Rodolphe SALISEmile GOUDEAU

DI R E C T E U R DE L A P U B L IC AT ION

Romain NOUAT(Bleu dégradé)

SE C R É TA I R E DE L A R É DAC T ION

BLEULabel

A B O N N E M E N T S

1 An . . . . . . . . 35 a ≈Europe . . . . . . . 50 a ≈Monde . . . . . . . 55 a ≈

Envoyez votre lettre demotivation ainsi qu“un chèque» l“ordre de : Romain Nouat,

Journal Le Chat Noir.

Rédaction et Adiministration,6, rue Cortot, 75018 Paris.

[email protected]

TIRAGE LIMITÉ

1.000 Exemplaires numérotés

(Paraissant un samedi)

R É DAC T R IC E E N C H E F

Schtroumpfette

R E L E C T E U R G É N É R A L

L“·ne LoLo assisté de

enkor“ HectorAcadémicien

AU P I NC E AU

Monsieur BinuBleu Klein

E N LUM I N E U SE

CamiLLe Broquet

» L A P LUM E

Champo, MyrièsLa Prédiction

Franck BalandierRodolphe Trouilleux

Mathias PizzinatoVirginia Ennor

pour réclameset annonces

s,adresser– e. [email protected]

Maison recommandée.........150

Réclame..............................300

Grand encart......................500

NE

Page 2: Décembre noir · Je collabore à un journal qui se nomme œLe Chat noir–, avec tout ce que cela comporte de superstitions autour de ce pauvre animal qu“il faudrait teindre en

L E C H A T N O I R

Petite Fée ChristelleTristement, dans la nuit du 18 novembre 2019, Christelle, notre petite fée de Montmartre s'est éteinte sur un bout de trottoir situé au 36 de la rue Hermel, dans le 18ème arrondissement.

Christelle vivait sur les marches de la mairie du 18ème, devant le G20 et sur un banc devant l'église de Notre Dame de Clignancourt. Pas facile de s'épanouir en vivant ainsi. Pourtant, Christelle avait toujours le sourire et ne manquait pas de vous faire hurler de rire chaque fois qu'elle en avait l'occasion. Déconner, c'était d'ailleurs son passe-temps préféré œOn n'est pas là pour s'emmerder– disait-elle souvent. Le comble dans tout ça, c'est que c'est auprès d'elle - qui dormait dehors - que les gens du quartier venaient chercher du réconfort. J'aimais aussi sa compagnie, on papotait ensemble quasiment tous les jours. Jusqu'à ce matin du 19 novembre où, en passant devant la mairie je ne la vis point. Mais je vis des fleurs, beaucoup de fleurs. Et un petit mot du œCollectif Les Morts de La Rue– qui informait de son décès. Outre du chagrin, j'ai aussi ressenti beaucoup de colère. Car Christelle, en plus d'être SDF, était atteinte d'un cancer. Et il arrivait souvent qu'elle passe la nuit dehors après avoir subi une séance de chimiothérapie - la cause probable de son départ prématuré, elle n'avait que 49 ans. Son nom s'est ainsi ajouté à la liste macabre établie par le œCollectif Les Morts de La Rue–, qui a déjà recensé, depuis janvier 2019, 447 personnes (entre 8 et 10% de femmes) décédées dans la rue en France. Ils soulignent cependant que œle nombre réel de décès de personnes sans domicile pourrait être six fois plus important si l'on se réfère à l'étude du CépiDe2)–. 447 décès depuis janvier, c'est beaucoup, surtout que Monsieur le président, nous avait promis que, d'ici la fin 2017, plus personne ne dormirait dans la rue. Force est de constater qu'il nous a bien embobinés. De surcroît, à Paris le nombre de personnes vivant dehors (hors recensement des réfugiés) a augmenté, passant de 3 035 en 2018 à 3 622 en début 2019*. Enfin bref, je ne suis pas là pour faire la leçon à nos politiques, mais pour rendre hommage à notre chère Christelle et à tous ces malheureux qui risquent de finir leur vie de la même manière si les parlementeurs et les maires de nos régions, ne se sortent pas vite les doigts du derrière pour endiguer le carnage.

Christelle est certes partie dans l“indifférence totale de nos politichiens, mais pas dans celle des gens du quartier qui n'ont jamais cessé de veiller sur elle. Le 3 décembre, une messe a été donnée, à la paroisse de Notre Dame de Clignancourt, pour lui rendre hommage. L'église était bondée. Et malgré notre tristesse, Christelle a, jusque dans la mort, réussi à nous faire glousser œUn jour, elle m'a offert des chaussettes car elle ne supportait pas de me voir pieds nus dans mes sandales. Je lui ai répondu que, tant qu'elle dormirait dans la rue, je ne les porterai pas– nous a raconté le prêtre. Tu peux partir en paix ma belle Christelle. Le curé avait mis tes chaussettes.

Virginia Ennor

*Recensement Nuit de la solidarité février 2018, ville de Paris

L'automate amoureuxPupilles saphirAlizés, ouragans,Iode et vertiges,Aux chÃurs insolites.

Les voiles de minuitDé⁄lés, sentiments,Sombres âmes marinesAux ombres cyan.

Parades maritimesChavirent navires,Sang médusé,Lapis-lazuli.

Regards abyssaux,Tournois silencieux,Le ciel aux étoiles,Amour céruléen.

Rétines lunaires,CÃur à l“étouffée,Émotions Cobalt,Indigo soupiré.

Triste paresse,Perte, envolée,Amoureux d“ivresseEt de mers électriques.

Décembre noirJ“ai toujours détesté la bande dessinée des Schtroumpfs, ces affreux et ridicules petits lutins bleus dont la stupidité et la gentillesse n“égalent, peut-être, que l“af¤igeante médiocrité de l“incroyable Hulk qui n“est pas bleu, rappelons-le, mais vert.Je n“aime pas le bleu. Il ne me va pas au teint. Ma beauté naturelle s“en trouve amoindrie lorsque j“en suis affublé, qu“il s“agisse d“un pull ras du cou, en Shetland des années 70, ou d“un caleçon molletonné qui ne met absolument pas en valeur mes parties génitales.Je n“aime pas le bleu. C“est tout.Alors, quand le directeur de publication demande à ses collaborateurs sous-payés et pour tout dire pas payés du tout de lui soumettre des papiers à dominante bleue, me vient juste l“idée d“un papier toilette de la même couleur dont je tairai, par souci de discrétion, la marque.

œLe ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme– prétendait Verlaine. Et Apollinaire de lui emboîter le pas, avec son œLe ciel est bleu comme une chaîne– poème qu“il écrivit lors de sa villégiature à la prison de la Santé, en 1911.

Le bleu me semble trop consensuel. Trop mer, trop ciel, trop soleil, trop tout.Le bleu, c“est l“éphémère, comme l“éclaircie inattendue dans

l“Ãil du cyclone.Je n“aime dé⁄nitivement que le noir, par nostalgie de mes anciennes idées que je cultive comme je peux, à grands renforts de Soulages pour me donner bonne conscience, rapport à mon inculture notoire.Le noir, c“est le charbon des mines et des gueules noires, mortes avant l“âge légal de départ à la retraite.Le noir c“est sous les ongles des gens qui travaillent.Le noir c“est un lointain, des voyages à fond de cale pour des destinations de rêve sous les tropiques.Le noir c“est une idée, un roman policier, un café pris au bar des habitués, petit ou allongé.Le noir, c“est le monde des rêves et des utopies. Celui de la nuit. Celui de quand j“écris.Le noir. Couleur de l“anarchie.Je collabore à un journal qui se nomme œLe Chat noir–, avec tout ce que cela comporte de superstitions autour de ce pauvre animal qu“il faudrait teindre en bleu, comme les mémères sorties de chez le coiffeur, pour le rendre plus conforme à la mode du moment. » l“approche des fêtes de ⁄n d“année, je milite donc ouvertement pour le boycott de la couleur bleue au pro⁄t d“un noir conquérant.Et j“en appelle à l“élection d“un Père-Noël à la barbe et à la houppelande noires, comme il se doit. Bonnes fêtes à toutes et tous.

Franck Balandier

Jamais en grève ! Toujours sur les rails

Départs Place Blanche et Place du TertreDépart ttes les 30mn, de 10h– 19h.

L“ÉTRANGE AFFAIRE DE LA TOMBE QUI PUE

(Feuilleton)

Sans doute par souci d“exemplarité, faute de pouvoir se donner à sa femme entièrement, pour la satisfaire, l“inspecteur Frappard s“était donné entièrement à son travail qui ne le lui avait pas mieux rendu. Malgré des résultats bien supérieurs à ceux de ses collègues. Son pourcentage d“affaires résolues ayant été évalué à près de 89%, quand celui du brigadier Fourmette, qui briguait sa place, pourtant réputé pour sa hargne à traquer le voyou, n“atteignait que péniblement les 65%, il n“avait obtenu aucune considération particulière de sa hiérarchie, sinon, celle d“être inscrit, comme chez Mac Donald's , au tableau d“honneur des agents méritants. Il en occupait la première place depuis plusieurs années, ce qui lui avait valu l“inimitié de tous ses camarades, évidemment, et de voir sa photo af⁄chée, derrière le comptoir, en bonne place, à côté de celle de la Déclaration des droits de l“Homme, là où les plaignants venaient déposer leurs gémissements sans intérêt.Sur la photo en question qui remonte aux années soixante, alors qu“il n“est encore qu“une pâle copie de lui-même, ce qui n“est déjà pas beau à voir, il arbore le sourire faussement carnassier et la mine inquiétante du winner perdu d“avance,

un tantinet timide, tout cela sent le préparé, le coup monté, la posture maladroite. Il est immortalisé en plan poitrine, unechemise blanche ouverte sur quelques poils ridicules dont il apris visiblement soin, jusqu“à leur donner l“apparence d“un bouquet de persil, mais alors un bouquet en stade terminal de poésie. Visiblement, Timothée n“a pas les moyens de ses poils. Timothée n“a les moyens de rien, sinon de ses éventuelles intuitions.Timothée n“avait, en effet, les moyens de rien. Il se traînait de Lucille à la salle de bains, tôt le matin, pour tenter de maquiller au miroir les outrages qu“elle venait de lui faire subir. En bon ¤ic, il prenait soin, à chaque fois, avec son Instamatic 50 de chez Kodak de conserver les traces de ses coups. Il les préférait en noir et blanc parce que, pensait-il, ils n“en auraient que plus de valeur, plus de force, lorsque, excédé, suf⁄samment tumé⁄é, sur le point de défaillir, il déciderait, en⁄n, de porter plainte contre elle. Si possible, pas dans le même commissariat, parce que sinon∆Sans désemparer, malgré la rouste qu“il venait de se prendre, à cause de Lucille qui, de retour de Pologne où elle s“était fait siphonner le réservoir par des gens du voyage, sur une aire d“autoroute, et qui était de très mauvaise humeur, forcément, qu“elle n“avait rien entendu et pour cause, vu qu“elle était en train de se faire en⁄ler par un routier de retour d“Afghanistan avec un chargement d“acide diéthyllysergamide dissimulé habilement dans des serviettes périodiques made in China, Timothée Frappard se rendit sur les lieux du crime.

» suivre.

Myriès.

1. Pour le chèque, voir directement avec le directeur de publication.2. Note de la rédaction : Pour le chèque, ⁄nalement, voir plutôt directement avec l“auteur de ce feuilleton de merde.

Deux Montmartroises ont retrouvé dans un vieux grimoire la technique oubliée du collodion et vous font vivre

une séance photo authentique dans leur studio de Pigalle

Réservez votre séance au 07.56.92.58.28ou sur www.lacageauxfauves.fr

Since 1851

Domptez votre image !

La Cage aux Fauves

INVENTEUR DU NAGUÈREOTYPE©

PHOTOGRAPHIE SUR PLAQUE DE VERRE OU DE FER

6,5 EUROS 6,5 EUROS

Page 3: Décembre noir · Je collabore à un journal qui se nomme œLe Chat noir–, avec tout ce que cela comporte de superstitions autour de ce pauvre animal qu“il faudrait teindre en

L E C H A T N O I R

Page 4: Décembre noir · Je collabore à un journal qui se nomme œLe Chat noir–, avec tout ce que cela comporte de superstitions autour de ce pauvre animal qu“il faudrait teindre en

Très Très BrèvesProphéties par Mathias Pizzinato

Ä 1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le SIDA. La Manif pour Tous se retient très très fort mais craque au bout de dix minutes, 2000 pulls sur les épaules se lâchent et crient : œc“est bien fait !–

Ä 1er décembre : Dernière parisienne de œDans ma chambre– au Théâtre du Petit Saint-Martin. Jolie pièce, bien éclairée mais un peu fouillie.

Ä 2 décembre : Début de la COP25 à Madrid. Même des COPs le monde en produit plus qu“il ne faudrait.

Ä 3 décembre : Concert de Saez à Paris Bercy. Échec retentissant pour le musicien face à une salle à moitié vide. C“est le problème d“avoir un public qui vieillit, il apprend à lire.

Ä 4 décembre : Nouvelle tentative d“assassinat de John Connor. Le meurtre est évité grâce au sacri⁄ce d“un T-800 reprogrammé, le cours de l“Histoire en est changé mais on ne le saura jamais.

Ä 5 décembre : Mouvement de grève pour défendre le régime des retraites. Déclaration de la ministre du travail Muriel Pénicaud : œS“ils passaient moins de temps à faire grève et plus à être élus députés, ils ne s“inquiéteraient pas pour leurs retraites.–

Ä 5 décembre : Procès de l'artiste Deborah de Robertis pour s'être dénudée au sanctuaire de Lourdes. Elle aurait eu

moins de problèmes si elle avait violé sa femme.

Ä 6 décembre : Fête des Lumières à Lyon. L“équipe entière des Grandes Gueules de RMC est interdite d“accès dans la ville sous peine d“amende pour œincohérence aggravée–.

Ä 6 et 7 décembre : Téléthon. Pour contrer une première journée trop faible en promesse de dons, Sophie Davant et Nagui décident de remettre le feu à Notre-Dame.

Ä 8 décembre : Salon Nautique de Paris. Tous les gens de la mer sont là, les amateurs de yacht monégasque comme ceux d“escapades dans le golfe d“Arcachon. Manquent seulement ceux qui n“ont pas réussi à traverser la Méditerranée. Ä 8 décembre : Journée Mondiale du Climat. Pro⁄tons-en, c“est l“avant-dernière.

Ä 9 décembre : Jugement de Jean-Luc Mélenchon pour œrébellion–. Cet homme est vraiment prêt à tout pour être dans le prochain Star Wars.

Ä 10 décembre : Naissance de Morgan Balista, inventrice de la hache pour séparer l“homme de l“artiste.

Ä 13 décembre : Début des Championnats du Monde de Fléchettes à Londres. Ils seront suivis par les championnats du monde de Gin Rami à Paris et de Yams à New-York. Tokyo propose d“organiser ceux de Uno.

Ä 14 décembre : Élection de Miss France. Nouvelle défaite de la Belgique.

Ä 17 décembre : Première rencontre entre Jodie et Claudia. Le coup de foudre est instantané. Dans 3 mois, elles

s“installeront ensemble au 9, rue de la Mare. Jodie angoissera à l“idée que c“est peut-être un peu rapide mais Claudia balaiera cette peur avec un sourire.

Ä 18 décembre : Léger débat entre Kader Aoun et quelqu“un qui respecte le droit d“auteur.

Ä 21 décembre : Début des vacances de Noël. Livres, ⁄lms, jeux de société ou podcasts, tout est bon pour éviter de parler avec ses cousins.

Ä 24 décembre : Veille de Noël. Grève des livreurs Amazon qui pénalisent ainsi des milliers de procrastinateurs.

Ä 25 décembre : Noël. Je ne vois pas l“intérêt de célébrer l'anniversaire de quelqu'un qui, de toute façon, va se faire cruci⁄er 4 mois plus tard.

Ä 26 décembre : Terrible accident de trottinette à l“angle du BHV et d“un Pop-Up Store. Bilan, une Stan Smith salie et une gourde en inox renversée. La mairie de Paris a ouvert une cellule psychologique pour tous ceux qui n“ont pas pu tweeter l“accident.

Ä 28 décembre : 75ème anniversaire de la création de la œparesse intellectuelle–. Cette année, c“est œJe n“ai lu que le titre de l“article– qui est à l“honneur. Ä 29 décembre : Incident Place du Tertre. Un badaud aurait repéré un tableau fait par un peintre français. La République de Montmartre a vite fait retirer le dit-tableau de la vente.

Ä 31 décembre : Réveillon. Ayons une pensée pour tous ceux qui feront l“amour dans vos lits grâce à AirBnB.

Mon amour, La seule cause de ton départ a provoqué cette lettre, qui te parviendra, je l“espère, dans les meilleurs délais. Tu sais que l“idée même de prendre la plume m“horripile mais je ne peux pas faire autrement pour conjurer le sort si douloureux de ton absence. Ta valise bleue est toujours dans l“entrée, attendant le bon vouloir d“un quelconque expéditionnaire. Elle ne me gêne pas, c“est un peu une partie de toi qui est demeurée ici.Deux ans, hein ? Je n“aurais jamais cru que ce si joli jour de juillet, au ciel si bleu, ma vie serait bouleversée à ce point. C“était rue∆ Bleue, je crois. Venant de m“acheter des cigarettes je me suis effacé pour te laisser passer à la porte du tabac. Ton allure si élégante et ta chevelure si noire qu“elle en paraissait presque bleue, m“avaient séduit, remué, chipé instantanément. Tu venais prendre un petit café au comptoir et je suis retourné sur mes pas pour en faire de même. Le patron du café et les quelques clients n“avaient pas tardé à te repérer aussi. Des boucles d“oreilles en forme de chat et un petit collier d“ambre soulignaient ta beauté peu maquillée. Ta robe bleue, digne d“un grand couturier, était ravissante. Le café avait un goût amer∆ J“en avais oublié le sucre∆ Le fond musical était bien médiocre mais, tout à coup, la radio diffusa œOh mon bateau– de Morena : œSur la route qui nous mène / Loin du monde et des problèmes / Je fuis / Comme la gazelle aimable / Aux grands cils de velours / Je bondis de vague en vague∆–C“était absolument crétin mais si drôle∆ Tu as commencé à chanter sur les paroles et j“ai fait de même∆ C“était si inattendu. Nous avons ri aux éclats, tu m“as payé mon café et je t“ai suivie dans la rue. C“était le début d“une amitié et de bien autre chose, sorte de délivrance d“un ticket commun pour nous embarquer vers une sorte de rêve, doux, bleu et ponctué d“escales heureuses. Quelques pas dans les rues de Paris si ensoleillées et nous sommes entrés chez Chartier bras dessus bras dessous. J“étais si ⁄er de pénétrer dans un tel lieu avec une si belle personne à mes côtés∆ Tous les regards étaient pour toi. Moi, je n“en menais pas large. Tu as commandé un steak œsurtout bien bleu– as-tu précisé au garçon∆ et moi j“ai préféré une truite au bleu. Ce repas fut magique : j“ai bu un peu trop et je t“ai dit plein de bêtises, parlé de mon enfance, de mes amis, de ma maison dans la Sarthe et de mon métier d“écrivain à la manque. Quant à toi, qui a toujours su m“écouter, tu avais évoqué ton quartier des Batignolles, les gens que tu y rencontrais, ton immeuble vieillot mais si sympathique∆ J“ai compris très vite que la solitude n“était pas ton fait mais que les aventures rapides tu en avais un peu marre. Touché. La voie semblait libre. J“eus vite fait de préciser que j“étais divorcé et père d“une ⁄lle que j“adorais, belle, entêtée et quelque peu insolite.Après ce repas si bien arrosé nous avons marché, assez longtemps, en passant par les boulevards, le Palais royal, les quais. Un ciel bleu de Provence se re¤était dans l“eau de la Seine. Il y avait

peu de monde sur le pont des Arts et j“ai senti alors que tu te lançais∆ Tu m“as embrassé alors avec une fougue désarmante, si bien que la tête m“en tournait, ce qui ne m“a pas empêché de te rendre la pareille. Émus l“un comme l“autre, nous nous sommes assis alors sur un banc de ce pont et nous avons ⁄xé ensemble le ¤euve et ses sinuosités bleues turquoises. Reprenant notre balade nous nous sommes dirigés vers Saint Germain de Prés et c“est là, devant la bouche de métro située contre l“église que tu m“as lâché brusquement. Tu regardais ta montre avec une sorte d“angoisse, tu me parlais d“un rendez-vous oublié que tu devais rejoindre et j“ai eu à peine le temps de te donner ma carte de visite que tu avais été engloutie par le souterrain. Là, je suis resté stupéfait : tu ne m“avais même pas donné ton numéro de téléphone, je ne connaissais pas ton nom, rien, ou si peu. Tu vivais aux Batignolles, tu travaillais dans la mode, c“était tout, c“était peu. La soirée se passa chez moi, seul, en compagnie de liqueurs diverses et de fumées trop bleues pour être honnêtes. J“ai ri en pensant à nous, j“ai pleuré en pensant à toi, et j“ai ⁄ni par m“endormir quelques heures après minuit. Puis, un jour passa, le crâne fracassé par les abus. J“ai commencé à écrire quand même le chapitre ⁄nal du livre que je devais rendre la semaine suivante. J“étais bien mauvais, troublé par des yeux bleus qui semblaient envahir mon écran. Je devais amuser mon lecteur mais je n“en avais nulle envie. Le soir, après dîner, j“errais dans les rues des Batignolles, guettant les balcons aux fenêtres ouvertes, surtout des immeubles œvieillots–∆ J“ai interrogé des garçons de café, une foule de garçons de café. Mon éditeur me trouvait plus triste que d“habitude, même si le texte rendu était fameux, selon ses propres termes. Ma concierge, si gentille, m“apporta de la soupe et des saucisses de son pays, me caressant la joue familièrement, comme son gosse : - Alors, on est tout remué, hein ? Elle s“appelle comment la femme de ton chagrin ?Elle avait bien deviné, elle, que bonhomme qui mangeait sa soupe étrangement bleue mais si délicieuse avec tant d“appétit, était torturé par une histoire d“amour∆Alors je m“en voulais, trouvant qu“à mon âge, s“emballer ainsi pour un amour de quelques heures c“était plutôt ridicule∆ Je ré¤échissais tout haut devant la bonne dame qui me questionna sans façon : - Elle a quel âge ? Elle est belle ? Je supportais ses questions et j“y répondais parce que Mirette, la concierge, m“avait élevé quand ma mère, terriblement occupée, ne pouvait le faire∆ Mais je ne pouvais entrer décemment dans les détails∆ Juste avant de refermer la porte sur elle elle ⁄nit par me dire : - T“en fais pas∆ Mon petit doigt me dit∆ Un joli garçon comme toi on ne le laisse pas tomber si vite, ça n“existe pas∆ Mirette prétendait qu“elle était un peu voyante, et d“après ce que j“avais vécu avec elle, c“était souvent vrai. Puis les jours passèrent, je lâchai en⁄n les Batignolles couleur bleu de rêve et revins dans la stricte réalité. Correction d“épreuves, rencontre avec un nouvel œauteur– dont je devais écrire l“œautobiographie,– homme politique sot, arrogant et sans

consistance, en costard bleu électrique mais je me motivais comme je le pouvais, pensant à mes prochaines vacances à la recherche de champignons et d“inspiration, dans la Sarthe. Bref, je t“oubliais, sottement, en m“abrutissant de travail. Une sortie un soir en compagnie de ma ⁄lle me changea les idées : pas mal d“alcool, pas mal de fumée aussi : on ne décroche bien qu“en compagnie des gens que l“on aime. Ton départ précipité, je le noyais dans la fumée bleue des cigarettes∆ Et j“allais t“oublier pour de bon quand∆∆ Mon téléphone sonna∆ Un numéro que je ne connaissais pas∆ - Allô ?- ∆- Oui∆ Allô∆ ?- C“est moi∆ J“ai chanté du Morena tout à l“heure et j“ai pensé à toi∆ C“est bête∆ - Oui∆ Alors∆- Bon∆ On se jette à l“eau alors ? J“ai les clefs d“une boutique d“un ami, vers la rue Saint Honoré∆ Demain 14 heures∆ D“accord∆ ?Complètement affolé, je notai l“adresse∆ Mais j“oubliai de demander le numéro de téléphone∆ !La nuit, si bleue, si lumineuse, fut dif⁄cile à traverser. J“essayais de lire, je regardais un feuilleton débile, je fumais des Gauloises bleues à la ⁄le∆ Je picolais∆ Du sirop de fraise∆ Je n“avais plus que ça en magasin. Le lendemain, de mon balcon, je regardais le ciel et ses nuages qui moutonnaient gentiment. Toutes les couleurs de bleu s“y mêlaient harmonieusement, la ville semblait accueillante∆ Mon escalier descendu, un bref salut à Mirette et me voilà dans la rue à la recherche d“un ¤euriste. Un bouquet de bleuets ⁄t l“affaire. Un métro, deux métros et me voilà dans les beaux quartiers. La boutique qui m“avait été désignée était jolie, et les vêtements qu“on y vendait étaient très chers. Je reconnus aussitôt la robe bleue, si élégante, qu“avait revêtue mon évadée le jour de notre rencontre. Je poussai la porte vitrée, une jeune femme m“accueillit en souriant :- Alors c“est vous dont on me parle depuis tant de jours ? Sur son invitation, je passai derrière. Un miroir se brisa.Un homme très élégant, en complet veston à la mode m“accueillit avec un grand sourire. Et ce sourire m“était familier∆ - Tu veux bien t“asseoir ? Et là il me raconta ses hésitations après notre rencontre, ses remords de ne m“avoir rien dit. Mais, pour lui comme pour moi ces moments avaient été magiques∆ Lui aussi s“était noyé dans les breuvages, lui aussi pensait tout m“avouer, me revoir∆ Mais il ne pouvait pas∆ - On ne veut jamais briser un rêve, si bleu soit-il∆Ce soir-là je t“ai à nouveau embrassé∆ Le soleil se couchait sur l“horizon, le pont des Arts était noir de monde∆Mais je te quitte, on sonne à la porte∆ L“expéditionnaire peut-être ?

Rodolphe Trouilleux

L E C H A T N O I R

N° ISSN : 2609-4568 - Dépôt légal : décembre 2019 mensuel - Impression : HIRECH Graphic - Tél. : 06 07 03 86 10.

RÊVESBLEUS