de la mort… donnée

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Éthique et santé (2011) 8, 2—3 ÉDITORIAL De la mort... donnée About death Le sujet du dossier thématique parle de la mort, de la mort en tant que définition légale mais aussi de ce qu’elle peut être dure à vivre par celles et ceux qui restent c’est à dire les parents et amis endeuillés. Nous n’avions pourtant pas prévu l’actualité parlementaire qui parle de mort donnée au Sénat et la révision de la loi bioéthique au parlement. La mort est la fin d’une vie, mais pas la fin de la vie pour ceux qui restent. Qui peut oublier combien ceux qui restent sont en souffrance de ne plus être en lien avec l’être défunt. Le deuil est d’autant plus difficile que la séparation a été difficile et que cette mort est outrancière 1 . La mort est toujours retentissement pour celui qui reste. Les autres textes de la revue le soulignent. L’éthique amène tout soignant à accompagner non seulement celui qui souffre mais aussi ceux qui lui sont affectivement liés. Le soignant ne peut se réduire à ne considérer que la seule personne et son choix au risque de malmener gravement tous ceux qui restent autour. Le soignant ne peut alors donner la mort à l’un sans s’occuper des autres. C’est pourquoi il faut revenir sur la proposition de la commission des affaires sociales du sénat en France demandant à faire passer un projet de loi relative à « l’assistance médicalisée pour mourir 2 » (25.01.11) qui permettait autant le droit de mourir par eutha- nasie qu’avec suicide assisté. Il fut étonnant de voir les réactions très importantes par internet notamment de soignants et aussi de nombreux politiques pour dire que la teneur du texte présenté était non seulement inadaptée à la pratique quotidienne mais aussi et surtout qu’elle laissait présager d’une dérive vers un droit de tuer 3 en amenant le médecin à être considéré comme celui qui accorde la mort à autrui 4 . Après un texte où j’ai rappelé que celui qui donnait la mort à autrui dans le cadre légal était appelé bourreau il y a peu de temps encore 5 , un forum de lecteurs du journal Libération a montré en reprenant ce texte combien la mort donnée ne peut et ne doit pas être banalisée 6 . Il ressort aussi de ces réactions que de nombreux internautes demandent à disposer de leur corps, dernière liberté dont chacun disposerait en définitive. La disponi- bilité du corps humain est une grande question philosophique et juridique. Actuellement, le droit franc ¸ais est catégorique et prône l’indisponibilité du corps humain et la gra- tuité du don. Mais qu’en sera t-il avec les nouvelles demandes de dons d’organes sur donneurs vivants, avec les demandes d’aide d’autrui avec la grossesse pour autrui ? 1 de Broca A. Deuils et endeuillés. Paris: Elsevier-Masson, 4 e ed., 2010. 2 http://www.senat.fr/leg/ppl10-229.pdf. 3 www.senat.fr/amendements/2010-2011/229/Amdt 21.html. 4 http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?langue=fr&idRub=27&idLigne=2097. 5 http://www.lavie.fr/actualite/societe/un-nouveau-metier-bourreau-25-01-2011-13385 7.php. 6 www.liberation.fr/.../160199-euthanasie-faut-il-une-nouvelle-loi. 1765-4629/$ — see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.etiqe.2011.02.001

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thique et santé (2011) 8, 2—3

DITORIAL

e la mort. . . donnée

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Le sujet du dossier thématique parle de la mort, de la mort en tant que définition légalemais aussi de ce qu’elle peut être dure à vivre par celles et ceux qui restent c’est à direles parents et amis endeuillés. Nous n’avions pourtant pas prévu l’actualité parlementaire

qui parle de mort donnée au Sénat et la révision de la loi bioéthique au parlement. La mort est la fin d’une vie, mais pas la fin de la vie pour ceux qui restent. Qui peut oubliercombien ceux qui restent sont en souffrance de ne plus être en lien avec l’être défunt.Le deuil est d’autant plus difficile que la séparation a été difficile et que cette mort estoutrancière1. La mort est toujours retentissement pour celui qui reste. Les autres textes dela revue le soulignent. L’éthique amène tout soignant à accompagner non seulement celuiqui souffre mais aussi ceux qui lui sont affectivement liés. Le soignant ne peut se réduireà ne considérer que la seule personne et son choix au risque de malmener gravement tousceux qui restent autour. Le soignant ne peut alors donner la mort à l’un sans s’occuper desautres.

C’est pourquoi il faut revenir sur la proposition de la commission des affaires socialesdu sénat en France demandant à faire passer un projet de loi relative à « l’assistancemédicalisée pour mourir2 » (25.01.11) qui permettait autant le droit de mourir par eutha-nasie qu’avec suicide assisté. Il fut étonnant de voir les réactions très importantes parinternet notamment de soignants et aussi de nombreux politiques pour dire que la teneurdu texte présenté était non seulement inadaptée à la pratique quotidienne mais aussiet surtout qu’elle laissait présager d’une dérive vers un droit de tuer3 en amenant lemédecin à être considéré comme celui qui accorde la mort à autrui4. Après un texteoù j’ai rappelé que celui qui donnait la mort à autrui dans le cadre légal était appelébourreau il y a peu de temps encore5, un forum de lecteurs du journal Libération amontré en reprenant ce texte combien la mort donnée ne peut et ne doit pas êtrebanalisée6. Il ressort aussi de ces réactions que de nombreux internautes demandent à

disposer de leur corps, dernière liberté dont chacun disposerait en définitive. La disponi-bilité du corps humain est une grande question philosophique et juridique. Actuellement,le droit francais est catégorique et prône l’indisponibilité du corps humain et la gra-tuité du don. Mais qu’en sera t-il avec les nouvelles demandes de dons d’organes surdonneurs vivants, avec les demandes d’aide d’autrui avec la grossesse pour autrui ?

1 de Broca A. Deuils et endeuillés. Paris: Elsevier-Masson, 4e ed., 2010.2 http://www.senat.fr/leg/ppl10-229.pdf.3 www.senat.fr/amendements/2010-2011/229/Amdt 21.html.4 http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?langue=fr&idRub=27&idLigne=2097.5 http://www.lavie.fr/actualite/societe/un-nouveau-metier-bourreau-25-01-2011-13385 7.php.6 www.liberation.fr/.../160199-euthanasie-faut-il-une-nouvelle-loi.

765-4629/$ — see front matter © 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.etiqe.2011.02.001

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régionale de soins palliatifs pédiatriques, CHU

De la mort. . . donnée

La loi bioéthique de 2004 va être révisée les 8—10 février2011 et nous aurons alors quelques réponses aux évolutionsde la société francaise sur ces points là. Mais que dire d’uneouverture du droit à une disponibilité de son corps, au pointde permettre à ce que la personne désire la mort à la viealors que le titre I de la loi du 4 mars 2002 soulignait que« nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait desa naissance ». Comment conjuguer cet article qui rappelleque la vie est un don et que la mort ou une inexistence (vial’I.M.G.) n’est jamais préférable à la vie recue si on prônaitdans un autre texte de loi la mort donnée même pour descirconstances exceptionnelles ? Si on accepte que les termesde la loi du 4/3/02 n’ont pas été rappelés uniquement pourse faire mal ou par masochisme, il est sûr que la demandede mort provoquée par certains malades est souvent le signed’une énorme détresse de celui-celle qui l’a demande. Les

douleurs, la souffrance, l’exclusion, la solitude sont autantde situations que nombre de nos concitoyens vivent et lesamènent à dire qu’ils préfèrent la mort à la vie dans cesconditions. Comment ne pas être sensible à ceux qui ontproposé ce texte quand la demande est si souvent liée à ces

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entiments d’exclusion ou de douleurs ou de détresse moraleue la communauté ne veut plus, ne peut plus et ne saitlus accompagner ? Pourtant, n’est-ce pas à la Justice d’êtrelaborée pour que chaque personne ne puisse ressentir leentiment d’être un rebus ou d’être un étranger sur terreu point qu’il désire en être extirpé ? Comment une sociétéeut-elle construire un vivre ensemble si certaines de sesois permet un droit de tuer pour un droit de mourir parceu’elle ne sait pas ou ne veut pas remédier à ces injustices ?

Les questions restent vives et le resteront. Retroussonsos manches, passons de l’impuissance à la révolte avecamus, pour oser vivre le troisième terme de notre deviseationale, la fraternité.

A. de BrocaNeuropédiatre, responsable de l’équipe ressource

d’Amiens, place Pauchet, 80054 Amiens cedex 01,France

Adresse e-mail : [email protected]