deboutciv n°12 (page 18)

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economie 18 Ce qu’un paysan gagne sous le régime ouattara D ans les zones de production, le cacao se vend à des prix dérisoires, obligeant certains planteurs à la contrebande avec les pays voisins. Sale temps pour le cacao bord champ ivoirien ! Le kilo s’achète entre 200 et 300 Fcfa. Au lieu du prix de 1.100 Fcfa fixé sous le régime du Président Gbagbo et qu’aucune dé- cision officielle n’a annulé. Dans toutes les zones productrices, le constat est amer. «lorsque le Comité de gestion, à l’initiative du Président Laurent Gbagbo, fixait le prix du cacao bord champ à 1.100 Fcfa (contre 950 Fcfa précédemment) pour la campagne 2010-2011, les gens voyaient en cette décision un acte purement politique. Certes, c’est bien la première fois que le prix d’achat bord champ du cacao atteignait un tel niveau. Mais c’était bien par rapport au cours in- ternational qui s’était envolé lui aussi jusqu’à 1700 Fcfa. Et le Président Gbagbo voulait que les paysans profitent de cette situation et améliorent leur revenu. C’est vrai que sur le ter- rain, le cacao se prenait en fonction de la force de négociations des parties en présence. Il y en a qui vendaient leur cacao au- tour de 800 Fcfa le kilo quand d’autres réussis- saient l’exploit d’en tirer plus du prix fixé. Mais au- jourd’hui, c’est la catas- trophe», explique Kouaho.S., responsable de coopérative dans le Sud-Bandama. «Catastrophe !», le mot est lâché ! Car c’est à une véritable catastro- phe pour le revenu du producteur que nous as- sistons. «L’information est juste. Il faut préciser qu’avant la crise élec- torale, le prix bord champ du cacao se né- gociait à 700 Fcfa dans la zone rebelle. En zone gouvernementale, à proximité, c’est-à-dire Daloa, Issia, Duékoué, le kilo de cacao se prenait entre 750 et 800 Fcfa en fonction de la qualité du produit. Le prix officiel n’était pas toujours respecté, mais on s’en sor- tait tout de même. Actuellement, nous vendons notre cacao entre 200 et 300 Fcfa, ici dans la Région des Montagnes. Au départ, les acheteurs nous disaient que c’était à cause de l’embargo de l’Union européenne et qu’on n’avait pas le choix sinon nos stocks allaient rester entre nos mains. Depuis avril dernier, l’embargo est levé, la pratique n’a pas changé. Les acheteurs nous imposent leurs prix. Gare à celui qui va résister, il aura affaire aux Frci qui, en fait, contrôlent la filière ici», témoigne N. M., directeur financier de la Cktm. P.C., responsable de la coopérative Ctcc dans la Moyen-Cavally, renchérit : «On se bat pour qu’on nous achète au moins le cacao à 300 Fcfa le kilo. C’est dire que ce n’est pas facile pour nous. Et on ne comprend pas cet acharne- ment à acheter notre cacao à vil prix. Pour cette campagne, le plus riche a touché 1 million Fcfa net, là où on se faisait la concurrence entre 8 et 15 millions Fcfa selon les saisons. On a l’impres- sion qu’on veut humilier le paysan ivoirien». Dans l’Indénié et le Zanzan, la situation est rel- ativement bien meilleure. Puisque le cacao se prend à 500 Fcfa. «C’est clair que le nouveau régime veut appauvrir davantage les paysans. On nous a imposé l’embargo sur les ports d’Abidjan et de San Pedro pour nous prendre notre cacao à des prix dérisoires. Aujourd’hui que l’embargo est levé, pourquoi ne pas acheter le cacao à un prix rémunérateur ? Les multina- tionales et leurs pendants achètent notre cacao à vil prix pour le revendre aux cours mondiaux. C’est méchant de leur part ! Le cacao est notre seule source de revenu, c’est notre survie qui est en jeu. On passe une année entière dans nos plantations pour récolter des miettes. Person- nellement, je regrette l’ancien régime. C’est pour éviter toutes ces dérives que le régime précédent avait décidé de prendre le contrôle de la commercialisation. Là, on est sûr que le prix indicatif allait être respecté à la lettre et le paysan pouvait faire ses prévisions budgétaires. Hélas ! », se désole E. E., gros planteur de la ré- gion. Il indique, en sus, que les acheteurs ne veulent même plus commercer avec les coopératives. Ils vont directement dans les plan- tations et négocient avec les propriétaires di- rectement. Si les multinationales n’ont pas voulu s’expliquer sur le sujet, les petites entre- prises exportatrices ont avancé quelques expli- cations. Parmi celles-ci, on retient le coût du racket. «Il y a trop de taxes informelles que rien ne justifie. On paye de l’argent pour avoir un laissez-passer afin de charger nos camions. A cela s’ajoutent une taxe à chaque corridor et une taxe qui va jusqu’à 500.000 Fcfa pour rallier les ports. lorsqu’ on ajoute les frais d’usinage, de conditionnement, le droit unique de sortie, l’entreposage, l’embarquement et le transit, il va de soi qu’il nous est impossible d’acheter le cacao à un prix qui ne nous arrange pas. C’est la loi du marché. On commerce pour faire des bénéfices. Que le nouveau régime discipline ses hommes armés et nos charges seront réduites. Alors, on pourra négocier avec les producteurs au mieux de nos intérêts respectifs», explique Issiaka Coulibaly, un opérateur économique de la filière. Et d’ajouter avec un brin d’humour : «On dirait que Kalach est mieux que daba». Et un peu plus sérieux : «Le paysan peut s’en sortir si l’Etat réduit la parafiscalité. C’est un vieux débat que tous les régimes précédents n’ont ja- mais pu trancher». Ruée vers les pays limitrophes La conséquence majeure de ces prix d’achat non rémunérateurs, c’est la fuite du cacao ivoirien vers les pays limitrophes. A l’Est, c’est le Ghana qui reçoit massivement le cacao ivoirien. C’est à une véritable hémorragie de fèves ivoiriennes vers le Ghana à laquelle on as- siste du côté de l’Indénié et du Zanzan. C’est que dans ce pays, le Cocobod a fixé le prix d’achat du cacao à l’équivalent de 1.100 FCFA «Je ne peux pas dire exactement la quantité qui est sortie vers le Ghana. Je peux te dire avec certitude que beaucoup de camions Kia se sont dirigés vers le Ghana. Ce n’est pas nouveau. Mais cette fois, ça dé- passe ce qu’on a vu jusque-là en 2004-2005. Ça fonctionne tellement bien surtout que les Frci prennent plaisir au trafic. A partir du moment où chacun en tire profit… », soutient B. K., Pca d’une coopérative. A l’Ouest, ce n’est un secret pour per- sonne que le cacao de cette région n’est jamais descendu sur Abidjan depuis le début de la ré- bellion en septembre 2002. Près de 100.000 tonnes de cacao sortent chaque année à destina- tion du Burkina Faso, avant d’être acheminées sur les ports de Lomé au Togo et de Monrovia au Liberia. On annonce également des trafics vers la Guinée pour le port de Conakry. «Nous sommes préoccupés par l’allure que prend cette fraude. Si on n’y prend garde, la Côte d’Ivoire va perdre sa place de pre- mier pays producteur. C’est une question de sta- tistique. Du point de vue économique, c’est une grande perte pour les caisses de l’Etat en ce moment de vache maigre. Au niveau du Comité de gestion, nous allons faire le point de la situ- ation et rencontrer le ministre. Les informations que nous avons dans la filière sont alarmantes. En plus de la contrebande des fèves, il se pose le problème d’entretien du verger. Durant la crise, les plantations ont été abandonnées. Jusqu’à aujourd’hui, il y a des planteurs qui n’ont pas accès à leurs plantations, d’autres sont en exil. Si les plantations ne sont pas en- tretenues, la production ne sera pas efficiente. Pis, si une maladie attaque un verger dont le propriétaire est absent, ce sera une catastro- phe. Le dossier cacao mérite une attention par- ticulière. C’est la principale recette de l’Etat», indique un membre du Comité de gestion qui a voulu garder l’anonymat (pour des raisons évi- dentes). ▊cotedivoire-lavraie.over-blog.fr

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18 un peu plus sérieux : «Le paysan peut s’en sortir si l’Etat réduit la parafiscalité. C’est un vieux débat que tous les régimes précédents n’ont ja- mais pu trancher». ▊cotedivoire-lavraie.over-blog.fr

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Page 1: DEBOUTCIV N°12 (Page 18)

economie 18

Ce qu’un paysan gagne sous lerégime ouattara

Dans les zones de production, lecacao se vend à des prix dérisoires,obligeant certains planteurs à lacontrebande avec les pays voisins.Sale temps pour le cacao bord

champ ivoirien ! Le kilo s’achète entre 200 et300 Fcfa. Au lieu du prix de 1.100 Fcfa fixé sousle régime du Président Gbagbo et qu’aucune dé-cision officielle n’a annulé. Dans toutes leszones productrices, le constat est amer.«lorsque le Comité de gestion, à l’initiative duPrésident Laurent Gbagbo, fixait le prix ducacao bord champ à 1.100 Fcfa (contre 950 Fcfaprécédemment) pour la campagne 2010-2011,les gens voyaient en cette décision un actepurement politique.

Certes, c’est bien la première fois que le prixd’achat bord champ du cacao atteignait un telniveau. Mais c’était bien par rapport au cours in-ternational qui s’était envolé lui aussi jusqu’à1700 Fcfa. Et le Président Gbagbo voulait queles paysans profitent de cette situation etaméliorent leur revenu.C’est vrai que sur le ter-rain, le cacao se prenaiten fonction de la force denégociations des partiesen présence. Il y en a quivendaient leur cacao au-tour de 800 Fcfa le kiloquand d’autres réussis-saient l’exploit d’en tirerplus du prix fixé. Mais au-jourd’hui, c’est la catas-trophe», expliqueKouaho.S., responsablede coopérative dans leSud-Bandama.

«Catastrophe !», le motest lâché ! Car c’est àune véritable catastro-phe pour le revenu duproducteur que nous as-sistons. «L’informationest juste. Il faut préciserqu’avant la crise élec-torale, le prix bordchamp du cacao se né-gociait à 700 Fcfa dans lazone rebelle. En zonegouvernementale, àproximité, c’est-à-direDaloa, Issia, Duékoué, lekilo de cacao se prenaitentre 750 et 800 Fcfa enfonction de la qualité du produit. Le prix officieln’était pas toujours respecté, mais on s’en sor-tait tout de même. Actuellement, nous vendonsnotre cacao entre 200 et 300 Fcfa, ici dans laRégion des Montagnes. Au départ, les acheteursnous disaient que c’était à cause de l’embargode l’Union européenne et qu’on n’avait pas lechoix sinon nos stocks allaient rester entre nosmains. Depuis avril dernier, l’embargo est levé,la pratique n’a pas changé. Les acheteurs nousimposent leurs prix. Gare à celui qui va résister,il aura affaire aux Frci qui, en fait, contrôlent lafilière ici», témoigne N. M., directeur financierde la Cktm. P.C., responsable de la coopérativeCtcc dans la Moyen-Cavally, renchérit : «On sebat pour qu’on nous achète au moins le cacao à300 Fcfa le kilo. C’est dire que ce n’est pas facilepour nous. Et on ne comprend pas cet acharne-ment à acheter notre cacao à vil prix. Pour cettecampagne, le plus riche a touché 1 million Fcfanet, là où on se faisait la concurrence entre 8 et15 millions Fcfa selon les saisons. On a l’impres-sion qu’on veut humilier le paysan ivoirien».Dans l’Indénié et le Zanzan, la situation est rel-

ativement bien meilleure. Puisque le cacao seprend à 500 Fcfa. «C’est clair que le nouveaurégime veut appauvrir davantage les paysans.On nous a imposé l’embargo sur les portsd’Abidjan et de San Pedro pour nous prendrenotre cacao à des prix dérisoires. Aujourd’huique l’embargo est levé, pourquoi ne pas acheterle cacao à un prix rémunérateur ? Les multina-tionales et leurs pendants achètent notre cacaoà vil prix pour le revendre aux cours mondiaux.C’est méchant de leur part ! Le cacao est notreseule source de revenu, c’est notre survie quiest en jeu. On passe une année entière dans nosplantations pour récolter des miettes. Person-nellement, je regrette l’ancien régime. C’estpour éviter toutes ces dérives que le régimeprécédent avait décidé de prendre le contrôlede la commercialisation. Là, on est sûr que leprix indicatif allait être respecté à la lettre et lepaysan pouvait faire ses prévisions budgétaires.Hélas ! », se désole E. E., gros planteur de la ré-gion. Il indique, en sus, que les acheteurs neveulent même plus commercer avec les

coopératives. Ils vont directement dans les plan-tations et négocient avec les propriétaires di-rectement. Si les multinationales n’ont pasvoulu s’expliquer sur le sujet, les petites entre-prises exportatrices ont avancé quelques expli-cations. Parmi celles-ci, on retient le coût duracket. «Il y a trop de taxes informelles que rienne justifie. On paye de l’argent pour avoir unlaissez-passer afin de charger nos camions. Acela s’ajoutent une taxe à chaque corridor etune taxe qui va jusqu’à 500.000 Fcfa pour rallierles ports. lorsqu’ on ajoute les frais d’usinage,de conditionnement, le droit unique de sortie,l’entreposage, l’embarquement et le transit, ilva de soi qu’il nous est impossible d’acheter lecacao à un prix qui ne nous arrange pas. C’estla loi du marché. On commerce pour faire desbénéfices. Que le nouveau régime discipline seshommes armés et nos charges seront réduites.Alors, on pourra négocier avec les producteursau mieux de nos intérêts respectifs», expliqueIssiaka Coulibaly, un opérateur économique dela filière. Et d’ajouter avec un brin d’humour :«On dirait que Kalach est mieux que daba». Et

un peu plus sérieux : «Le paysan peut s’en sortirsi l’Etat réduit la parafiscalité. C’est un vieuxdébat que tous les régimes précédents n’ont ja-mais pu trancher».

Ruée vers les payslimitrophes

La conséquence majeure de ces prix d’achatnon rémunérateurs, c’est la fuite du cacaoivoirien vers les pays limitrophes. A l’Est, c’estle Ghana qui reçoit massivement le cacaoivoirien. C’est à une véritable hémorragie defèves ivoiriennes vers le Ghana à laquelle on as-siste du côté de l’Indénié et du Zanzan. C’estque dans ce pays, le Cocobod a fixé le prixd’achat du cacao à l’équivalent de 1.100 FCFA«Je ne peux pas dire exactement la quantité quiest sortie vers le Ghana. Je peux te dire aveccertitude que beaucoup de camions Kia se sontdirigés vers le Ghana. Ce n’est pas nouveau.

Mais cette fois, ça dé-passe ce qu’on a vujusque-là en 2004-2005.Ça fonctionne tellementbien surtout que les Frciprennent plaisir au trafic.A partir du moment oùchacun en tire profit… »,soutient B. K., Pca d’unecoopérative. A l’Ouest, cen’est un secret pour per-sonne que le cacao decette région n’est jamaisdescendu sur Abidjandepuis le début de la ré-bellion en septembre2002. Près de 100.000tonnes de cacao sortentchaque année à destina-tion du Burkina Faso,avant d’être acheminéessur les ports de Lomé auTogo et de Monrovia auLiberia. On annonceégalement des traficsvers la Guinée pour leport de Conakry. «Noussommes préoccupés parl’allure que prend cettefraude. Si on n’y prendgarde, la Côte d’Ivoire vaperdre sa place de pre-mier pays producteur.C’est une question de sta-

tistique. Du point de vue économique, c’est unegrande perte pour les caisses de l’Etat en cemoment de vache maigre. Au niveau du Comitéde gestion, nous allons faire le point de la situ-ation et rencontrer le ministre. Les informationsque nous avons dans la filière sont alarmantes.En plus de la contrebande des fèves, il se posele problème d’entretien du verger. Durant lacrise, les plantations ont été abandonnées.Jusqu’à aujourd’hui, il y a des planteurs quin’ont pas accès à leurs plantations, d’autressont en exil. Si les plantations ne sont pas en-tretenues, la production ne sera pas efficiente.Pis, si une maladie attaque un verger dont lepropriétaire est absent, ce sera une catastro-phe. Le dossier cacao mérite une attention par-ticulière. C’est la principale recette de l’Etat»,indique un membre du Comité de gestion qui avoulu garder l’anonymat (pour des raisons évi-dentes).

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