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NOM : Prénom : 1 STMG 1 Descriptif des lectures et des activités

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NOM : Prénom : 1 STMG 1

Descriptif des lectures et des activités

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SEQUENCE 1 L'Or (1925) de Blaise Cendrars : un roman d'aventures

Objet d'etude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours (œuvre integrale)

Problematiques : Comment la destinée de Suter rend-elle compte de l'atmosphère d'uneépoque ? En quoi L'Or participe-t-il au renouvellement des formes romanesques du début duXXème siècle ?

Perspective d'etude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

1. L'incipit, de "Ces paisibles campagnards bâlois" jusqu'à “... Tout le monde loua fort la prudence du syndic”(chapitre 1)

2. L'Ouest, de “Un jour, il a une illumination...” jusqu'à “... obliquent brusquement à l'Ouest” (chapitre 7)

3. "L'or m'a ruiné", de “J'etais sur qu'une telle affaire ne pouvait rester secrete” jusqu'à “... la decouverte del'or m'a ruine” ( chapitre 9, partie 31)

4. La mort de Suter, de « Par un chaud apres-midi de juin... » jusqu'à la fn (chapitres 16 et 17, parties 73 et74).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : le héros d'aventures : Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, 1829 ;Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839 ; Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1845 ; Albert Camus,L'Etranger, 1942.

• Groupement de textes : l'histoire de Sutter : Francis Lacassin, preface de L'Or, Gallimard, Folio (1998) ;Le Figaro du 14 octobre 2007, article de François Taillandier : Le Capitaine Sutter : fondateur de la Nouvelle-Hélvétie ;le periple de Suter

• Lecture cursive : L'Etranger (1942) d'Albert Camus

– lectures d'images :

• la ruée vers l'or au cinéma : visionnage et analyse d'extraits de flms : La Ruée vers l'or (1925) de CharlieChaplin, Sutter's gold (1936) de James Cruze et Der Kaiser von Kalifornien (1936) de Luis Trenker

• l'or en peinture : Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514) et Jacques De Gheyn, Vanité (1603).

– autres activités :

• Blaise Cendrars : biographie et bibliographie• Le roman dans son contexte : la Californie, de la domination espagnole à l'entree dans l'Union ; le Gold rush

de 1848 ; comment Cendrars s'empare de l'Histoire• La structure de l'oeuvre• Les personnages dans le roman• Une oeuvre hybride : roman d'aventures, journal intime, lettre, extraits de journal, discours, rapport offciel,

dialogue theâtral_______________________________________________________________________________________

Activités conduites en autonomie par l'élève :

• TICE : la roue de la Fortune : les eleves ont effectue une recherche sur le symbole medieval de la roue de laFortune.

• Sujet de dissertation : Dans Deux défnitions du roman (1866), Emile ZOLA declarait : « le premier homme quipasse est un heros suffsant ». Discutez cette affrmation en prenant appui sur les textes du corpus et sur lesœuvres que vous connaissez.

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SEQUENCE 2 Montserrat (1948) d'Emmanuel Roblès :comment l’opposition avec le monstre permet-elle de construire le héros ?

Objet d'etude : théâtre, texte et représentation (oeuvre integrale)

Problematique : Pourquoi la théâtralité, en ce qu’elle montre la violence, permet de révéler les étapes de construction du héros ? Pourquoi faut-il choisir de rester Homme jusqu’au bout, même s’il s’agit du choix le plus désespéré ?

Perspectives d'etude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

5. L'exposition (I,1)

6. La première confrontation entre Izquierdo et Montserrat, de "Je te plains Montserrat !" à la fn dela scene (I,7).

7. La discussion entre Montserrat et les otages, de "Ecoutez-moi…" jusqu'à "... rester dignes du sacrifcedu Christ !" (II,1)

8. L'exécution du marchand, du debut de la scene jusqu'à "Nous t’ecoutons  !" (III,1)

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill,scenes 3 et 4, 1888 ; Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Acte II, scenes 3 et 4, 1943 ; Albert CAMUS, Caligula,acte II, scene 5, 1944 ; Eugene IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

• La préface de l'auteur• Note d'intention de Jean-Paul Smadja, metteur en scene • Lecture cursive : En attendant Godot (1952) de Samuel Beckett, Roberto Zucco (1988) de Bernard-Marie Koltes

– lectures d'images :

• Mises en scène de Montserrat : en 2003 au Vieux Saint-Etienne à Rennes ; en 2010, à Joue-Les-Tours,par la Compagnie de l’Ours Blanc (Region Pays de Loire) ; en 2013, par la Compagnie Les Incompressibles.

• L'art contre l'exécution : Le Trois mai (1814) de Francisco Goya ; L'Exécution de Maximilien (1867) d'EdouardManet ; Massacre en Corée (1951) de Pablo Picasso et L'Exécution (1995) de Yu Minjun

– autres activités :

• Emmanuel Robles : biographie et bibliographie• Le contexte historique• Les personnages• La construction de la piece• Le decor et les objets dans la piece

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Activité conduite en autonomie par l'élève :

• Ecrit d'invention : Ecrivez la lettre du marchand à Montserrat pour le faire changer d’avis. Il comprendqu’il doit garder son sang-froid et s’exprimer calmement en mettant en avant l’amour qui l’unit à sa femme.Vous devez pe r suader Mont se r ra t , l e toucher au cœur e t f a i re appe l à s e s s en t iment s .Vous utiliserez des passages narratifs ou descriptifs pour emouvoir le personnage.

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SEQUENCE 3Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire :

entre tradition et modernité

Objet d'etude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours

Problematiques : en quoi Apollinaire est-il à la fois l'héritier d’une tradition et l'expérimentateur de nouveautés ?

En quoi la poésie d'Alcools est-elle moderne ?Qu'est-ce qu'un recueil poétique ?

Perspective d'etude : étude de l'intertextualité et de la singularité des textes ; étude de l'histoire littéraire et culturelle

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

9. « Zone» , du debut à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24)

10. « Le Pont Mirabeau»

11. « La Loreley »

12. « Nuit rhenane »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes 1 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda : Arthur Rimbaud, « Le Buffet »,Poésies, 1870 ; Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... » , Romances sans paroles, 1874 ; FrancisPonge, « La Valise », Pièces, 1961 ; Jacques Reda, « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

• ▪ Groupement de textes 2 : deux conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Reponse à un acte d'accusation »

– lectures d'images :

• Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914

– autres activités :

• Guillaume Apollinaire : une fgure de la poesie au XXe siecle• Le contexte historique : le dadaïsme, le futurisme, le cubisme et le surrealisme• Le sens du titre Alcools ; la genese et l’organisation du recueil• Les themes à l'oeuvre dans le recueil : les themes de l’alcool, de l’eau, du feu, de l’automne

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Realiser une anthologie illustree de poemes d'Apollinaire, precedee d’un titre rendant compte de l’harmonie devotre anthologie et d’une preface dans laquelle vous justiferez le theme de votre recueil ainsi que le choix de chaque poeme et de chaque illustration.

• Mise en voix et en musique d'une selection de poemes, appris par les eleves.

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SEQUENCE 4 Candide (1759) de Voltaire,un conte au service des idées

Objet d'etude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours

Problematiques : Comment Voltaire met-il le conte philosophique au service d’un critique de la société de son époque et d’une réfexion philosophique sur la question du Mal, de l’optimisme et de la recherche du bonheur ? Le recours à la fction est-il un moyen effcace pour diffuser ses idées ?

Perspective d'etude : l'argumentation indirecte - les Lumières

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

13. l'incipit, jusqu'à «... il fallait dire que tout est au mieux. » (chapitre 1)

14. la guerre entre les Abares et les Bulgares (chapitre 3)

15. l'autodafé (chapitre 6)

16. le nègre de Surinam (chapitre 19).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua, chapitre57, 1534 ; Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

• Groupement de textes : les combats des Lumières : Cesar Chesneau Dumarsais - Article« philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les lumières ? , 1784.

• Lecture cursive au choix : Lettres persanes (1721) de Montesquieu ou Le Dernier jour d’un condamné (1829) deVictor Hugo

– lectures d'images :

• Deux planches de l'adaptation en bande-dessinee de Delpâture, Dufranne, Radovanovic (2013).• Extrait du flm de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut

– autres activités :

• Voltaire : biographie et bibliographie• Le contexte historique et culturel du conte : la guerre de sept ans, la philosophie des Lumieres• L'espace dans Candide : place et sens du voyage• Les personnages et leurs fonctions• La technique romanesque de Voltaire : l'exemple de mise en abyme de l'histoire de la vieille• Le motif du jardin, l'utopie

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Navigation libre sur le site de la Bibliotheque Nationale de France : - https://candide.bnf.fr/- http://expositions.bnf.fr/lumieres/index.htm?idD=7- http://expositions.bnf.fr/utopie/

• Visionnage d’extraits de flms : trois dystopies : Fahrenheit 451 de François Truffaut, 1966 ; 1984 deMichael Radford, 1984 ; Le Meilleur des mondes de Leslie Libman et Larry Williams, 1998.

Le professeur : Le chef d’établissement :

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Le personnage de roman,

du XVIIe siècle à nos jours

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : L'Or (1925) de Blaise Cendrars

Textes : - texte 9 : L'incipit, de "Ces paisibles campagnards bâlois" jusqu'à “... Tout le monde loua fort la prudence du syndic” (chapitre 1) ; - texte 10 : L'Ouest, de “Un jour, il a une illumination...” jusqu'à “... obliquent brusquement à l'Ouest” (chapitre 7) ;- texte 11 : "L'or m'a ruiné", de “J'e tais su r qu'une telle affaire ne pouvait rester secre te” jusqu'à “... la decouverte de l'or m'a ruine” ( chapitre 9, partie 31) ; - texte 12 : La mort de Suter, de « Par un chaud apres-midi de juin... » jusqu'à la fin (chapitres 16 et 17,parties 73 et 74).

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Lecture analytique n° 1 : l'incipit

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Ces paisibles campagnards bâlois1 furent tout à coup mis en emoi par l'arrivée d'unétranger. Même en plein jour, un étranger est quelque chose de rare dans ce petit village deRünenberg ; mais que dire d'un étranger qui s'amène à une heure indue, le soir, si tard, juste avantle coucher du soleil ? Le chien noir resta la patte en l'air et les vieilles femmes laissèrent choir leurouvrage. L'étranger venait de déboucher par la route de Soleure. Les enfants s'étaient d'abordportés à sa rencontre, puis ils s'étaient arrêtés, indécis. Quant au groupe des buveurs, « AuSauvage », ils avaient cessé de boire et observaient l'étranger par en dessous. Celui-ci s'était arrêtéà la première maison du pays et avait demandé qu'on veuille bien lui indiquer l'habitation dusyndic de la commune. Le vieux Buser, à qui il s'adressait, lui tourna le dos et, tirant son petit- flsHans par I'oreille, lui dit de conduire l'étranger chez le syndic. Puis il se remit à bourrer sa pipe,tout en suivant du coin de l’œil l'étranger qui s'éloignait à longues enjambées derrière l'enfanttrottinant.

On vit l'étranger pénétrer chez le syndic. Les villageois avaient eu le temps de le détailler aupassage. C'était un homme grand, maigre, au visage prematurement fétri. D'étranges cheveuxd'un jaune flasse sortaient de dessous un chapeau à boucle d'argent. Ses souliers étaient cloutés.Il avait une grosse épine à la main.

Et les commentaires d'aller bon train. « Ces étrangers, ils ne saluent personne» disaitBuhri, l'aubergiste, les deux mains croisées sur son énorme bedaine. « Moi, je vous dis qu'il vientde la ville », disait le vieux Siebenhaar qui autrefois avait été soldat en France ; et il se mit à conterune fois de plus les choses curieuses et les gens extravagants qu'il avait vus chez les Welches 2. Lesjeunes flles avaient surtout remarqué la coupe raide de la redingote et le faux col à hautes pointesqui sciait le bas des oreilles ; elles potinaient à voix basse, rougissantes, émues. Les gars, eux,faisaient un groupe menaçant auprès de la fontaine ; ils attendaient les événements, prêts àintervenir .

Bientôt, on vit l'étranger réapparaître sur le seuil. Il semblait très las et avait son chapeau àla main. Il s'épongea le front avec un de ces grands foulards jaunes que l'on tisse en Alsace. Ducoup, le bambin qui l'attendait sur le perron, se leva, raide. L 'étranger lui tapota les joues, puis illui donna un thaler3, foula de ses longues enjambées la place du village, cracha dans la fontaine enpassant. Tout le village le contemplait maintenant. Les buveurs étaient débout. Mais l'étranger neleur jeta même pas un regard, il regrimpa dans la carriole qui l'avait amené et disparut bientôt enprenant la route plantée de sorbiers qui mène au chef-lieu du canton.

Cette brusque apparition et ce départ précipité bouleversaient ces paisibles villageois.L'enfant s'était mis à pleurer. La pièce d'argent que l'étranger lui avait donnée circulait de mainen main. Des discussions s'élevaient. L’aubergiste était parmi les plus violents. Il était outré quel'étranger n'ait même point daigné s'arrêter un moment chez lui pour vider un cruchon. Il parlaitde faire sonner le tocsin pour prévenir les villages circonvoisins4 et d'organiser une chasse àl'homme.

Le bruit se répandit bientot que l'étranger se réclamait de la commune, qu'il venaitdemander un certifcat d'origine et un passeport pour entreprendre un long voyage à l'étranger,qu'il n'avait pas pu faire preuve de sa bourgeoisie5 et que le syndic, qui ne le connaissait pas et quine l'avait jamais vu, lui avait refusé et certifcat et passeport.

Tout le monde loua fort la prudence du syndic.

Blaise Cendrars : L'Or (1925), chapitre 1.

1 Bâlois : de la région de Bâle, ville située au nord de la Suisse.2 Welches : terme méprisant appliqué par les Suisses alémaniques aux Romands, c'est-à-dire aux Suisses

qui parlent français (mot allemand).3 Thaler : unité monétaire des pays germaniques à cette époque.4 Circonvoisins : situés tout autour, avoisinants.5 Il n'avait pas pu faire preuve de sa bourgeoisie : il n'avait pas pu prouver qu'il était né dans le bourg.

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Lecture analytique n° 2 : l'Ouest

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Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont déflé chez lui, les menteurs,les bavards, les vantards, les hâbleurs6, et même les plus taciturnes, tous ont employé un motimmense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n'endisent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws7, les trafquants, les colons,les trappeurs, tous, tous, tous parlent de l'Ouest, ne parlent en somme que de l'Ouest.

L'Ouest.

Mot mystérieux.

Voici la notion qu'il en a.

De la vallée du Mississipi jusqu'au-delà des montagnes géantes, bien loin, bien loin, bienavant dans l'ouest, s'étendent des territoires immenses, des terres fertiles à l'infni. La prairie. Lapatrie des innombrables tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont etviennent comme le fux de la mer.

Mais après, mais derrière ?

Il y a des récits d'Indiens qui parlent d'un pays enchanté, de villes d'or, de femmes qui n'ontqu'un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ontentendu parler sous leur haute latitude de ces pays merveilleux de l'Ouest, où, disent-ils, les fruitssont d'or et d'argent.

L'Ouest ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d'hommes qui s'yrendent et qui n'en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux Rouges ; mais celui qui passeoutre ? Il meurt de soif ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? Qu'a-t-il vu ? Pourquoi y a-t-iltant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peine dans lasolitude, obliquent brusquement à l'ouest ?

Blaise Cendrars : L'Or (1925), chapitre 7.

6 Hâbleurs : vantards.7 Outlaws : hors-la-loi (mot anglais).

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Lecture analytique n° 3 : l'or m'a ruiné

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J'étais sur qu'une telle afaire ne pouvait rester secrète. Et ainsi fut-il. Deux semaines s'étaient à peine écoulées, j'envoyai un Blanc à Coloma avec unchargement de vivres et des outils, quelques jeunes garçons indiens l'accompagnaient. MmeWimmer lui raconta toute l'histoire et ses enfants lui donnèrent quelques grains d'or. De retour aufort, cet homme se rendit immédiatement aux magasins qui se trouvaient en dehors de monenceinte. II demanda à Smith une bouteille d'eau-de-vie. II voulut la payer avec ces grains d'orrapportés de Coloma. Smith lui demanda s'il le prenait pour un dingo. Le charretier l'adressa àmoi pour renseignements. Que pouvais-je faire ? Je racontai toute l'histoire à Smith. Son associé,Mr. Brannan, vint aussitôt me trouver et me poser des tas de questions auxquelles je répondis enlui disant la vérité. Il sortit en courant, sans même refermer la porte. Dans la nuit, Smith et luichargèrent toutes leurs marchandises sur des wagons, me volèrent des chevaux et partirent en hâtepour Coloma.

Alors mes ouvriers commencèrent à se sauver.

Je restai bientôt tout seul au fort avec quelques mécaniciens fdèles et 8 invalides.

Mes employés mormons me quittèrent plus difcilement; mais quand la fèvre de l'or les gagna, ilsperdirent eux aussi tout scrupule.

Maintenant c'était sous mes fenêtres un déflé ininterrompu. Tout ce qui pouvait marcher montaitde San Francisco et des autres vilayets8 de la côte. Chacun fermait sa hutte, sa baraque, sa ferme,son établissement et montait au Fort Suter, puis continuait sur Coloma. A Monterey et dans lesautres villes du sud, on crut d'abord à une invention de ma part pour m'attirer de nouveaux colons.Le déflé sur la route s'arrêta durant quelques jours, puis il reprit de plus belle, ces villes aussimarchaient. Elles se vidaient ; mon pauvre domaine était submergé.

Mon malheur commençait.

Mes moulins étaient arrêtés. On me vola jusqu'à la pierre des meules. Mes tanneries 9 étaientdésertes. De grandes quantités de cuir en préparation moisissaient dans les cuves. Les peauxbrutes se décomposaient. Mes Indiens et mes Canaques se sauvèrent avec leurs enfants. Ilsramassaient tous de l'or qu'ils échangeaient contre de l'eau-de-vie. Mes bergers abandonnèrent lestroupeaux, mes planteurs, les plantations, les ouvriers, leur ouvrage. Mes blés pourrissaient surpied ; personne pour faire la cueillette dans mes vergers; dans mes étables, mes plus belles vacheslaitières beuglaient à la mort. Jusqu'à ma fdèle brigade qui s'enfuit. Que pouvais-je faire ? Leshommes vinrent me trouver, ils me supplièrent de partir avec eux, de monter à Coloma, d'allerchercher de l'or. Dieu, que cela m'était pénible ! Je partis avec eux. Je n'avais plus rien d'autre àfaire.

Je chargeai des marchandises et des vivres sur des wagons, et, accompagné d'un commis, d'unecentaine d'Indiens et de 50 Canaques, j'allai établir mon camp de laveur d'or, dans la montagne,sur les rives du torrent qui porte aujourd'hui mon nom.

Au début cela allait très bien. Mais bientôt, des quantités de gens sans aveu 10 s'abattirent sur nous.Ils établirent des distilleries et frent la connaissance de mes hommes. Je levais mon camp etm'établissais toujours plus haut dans la montagne, j'avais beau faire, cette satanée engeance 11 dedistillateurs nous suivait partout et je ne pouvais empêcher mes pauvres Indiens et mes pauvressauvages des Iles de gouter à une volupté nouvelle. Bientôt mes hommes furent incapables de

8 Vilayets : ici, régions, provinces.9 Tanneries : établissements où l'on transforme les peaux d'animaux en cuir.10 Sans aveu : sans foi ni loi, sans scrupules.11 Engeance : ensemble de personnes méprisables.

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fournir le moindre travail, ils buvaient et jouaient leur solde ou l'or ramassé, et étaient les troisquarts du temps ivres morts.

Du sommet de ces montagnes, je voyais tout l'immense pays que j'avais fertilisé livré au pillage etaux incendies. Des coups de feu montaient jusque dans ma solitude et le brouhaha des foules enmarche qui venaient de l'ouest. Au fond de la baie, je voyais s'édifer une ville inconnue quigrandissait à vue d'œil et au large, la mer était pleine de vaisseaux.

Je n'y pus plus tenir.

Je redescendis au fort. Je licenciai tous ceux qui s'étaient sauvés et qui ne voulaient pasm'accompagner. Je résiliai tous les contrats. Je réglai tous les comptes.

J'étais ruiné.

Je nommai un administrateur de mes biens et, sans même jeter un regard sur cette tourbed'écumeurs12 qui étaient maintenant installés chez moi, je partis pour les rives de la rivière Plumevoir si mes raisins étaient murs. Seuls m'accompagnaient les Indiens que j'avais élevés moi-même.

Si j'avais pu suivre mes plans jusqu'au bout, j'aurais été en très peu de temps l'homme le plus richedu monde : la découverte de l'or m'a ruiné.

Blaise CENDRARS, L'or, Folio, chapitre 9, partie 31.

12 Tourbe d'écumeurs : par cette expression péjorative, Suter désigne les pilleurs qui se sont installés sur ses terres.

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Lecture analytique n° 4 : l'explicit

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Par un chaud après-midi de juin, le général est assis sur la dernière marche de l'escaliermonumental qui mène au palais du Congrès. Sa tête est vide comme celle de beaucoup devieillards, c'est un rare moment de bien-être, il ne fait que chaufer sa vieille carcasse au soleil.

- Je suis le général. Oui. Je suis le général, ral.. Tout à coup un môme de sept ans dévale quatre àquatre le grand escalier de marbre, c'est Dick Price, le petit marchand d'allumettes, le préféré dugénéral.

- Général ! général ! crie-t-il à Suter en lui sautant au cou, général ! tu as gagné ! Le Congrès vientde se prononcer ! il te donne 100 millions de dollars !

- C'est bien vrai ? c'est bien vrai ? tu en es sur ? lui demande Suter tenant l'enfant étroitementembrassé.

- Mais oui, général, même que Jim et Bob sont partis, il paraît que c'est déjà dans les journaux. Ilsvont en vendre ! et moi aussi je vais en faire des journaux ce soir, des tas !

Suter ne remarque pas 7 petits voyous qui se tordent comme des gnomes 13 sous le hautportique du Congrès et qui rigolent et font des signes à leur petit copain. Il s'est dressé tout raide,n'a dit qu'un mot : « Merci ! » puis il a battu l'air des bras et est tombé tout d'une pièce14.

Le général Johann August Suter est mort le 17 juin 1880, à 3 heures de l'après-midi. LeCongrès n'avait même pas siégé ce jour-là.

Les gamins se sont sauvés.

L'heure sonne dans l'immense place déserte et comme le soleil tourne, l'ombre gigantesquedu palais du Congrès recouvre bientôt le cadavre du général.

CHAPITRE XVII

74

Johann August Suter est mort à soixante-treize ans. Le Congrès ne s'est jamais prononcé.Ses descendants ne sont jamais intervenus, ont abandonné l'afaire. Sa succession reste ouverte.Aujourd'hui, 1925, et pour quelques années seulement, on peut encore intervenir, agir,revendiquer.

Qui veut de l'or ? qui veut de l'or ?

Paris, 1910-1922.

Paris, 1910-1911.

Paris, 1914.

Paris, 1917.

Le Tremblay-sur-Mauldre15, du 22 novembre 1924 au 31 décembre 1924.

Blaise CENDRARS, L'or, chapitres 16 et 17, parties 73 et 74.

13 Gnomes : petites créatures laides et difformes.14 Tout d'une pièce : d'un seul bloc.15 C'est dans ce petit village des Yvelines, près de Versailles, que Cendrars vécut le plus souvent dans

l'entre-deux-guerres.

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Le personnage de roman,

du XVIIe siècle à nos jours

Documents complémentaires

• Groupement de textes : le héros d'aventures : Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, 1829 ;Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839 ; Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1845 ;Albert Camus, L'Etranger, 1942.

• Groupement de textes : l'histoire de Sutter : Francis Lacassin, preface de L'Or, Gallimard, Folio(1998) ; Le Figaro du 14 octobre 2007, article de François Taillandier : Le Capitaine Sutter : fondateurde la Nouvelle-Hélvétie ; le periple de Suter

• Lecture cursive : L'Etranger (1942) d'Albert Camus

– lectures d'images :

• la ruée vers l'or au cinéma : visionnage et analyse d'extraits de films : La Ruée vers l'or (1925) deCharlie Chaplin, Sutter's gold (1936) de James Cruze et Der Kaiser von Kalifornien (1936) de LuisTrenker

• l'or en peinture : Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514) et Jacques De Gheyn, Vanité(1603).

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Groupement de textes : le héros d'aventures

Texte A : Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, 1829.

[Il s'agit de l'incipit du roman.]

Bicêtre1.

Condamne à mort !

Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensee, toujours seul avec elle, toujours glacede sa presence, toujours courbe sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des annees que des semaines, j'etais unhomme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idee. Monesprit, jeune et riche, etait plein de fantaisies. Il s'amusait à me les derouler les unes apres les autres,sans ordre et sans fn, brodant d'inepuisables arabesques cette rude et mince etoffe de la vie.

C'etaient des jeunes flles, de splendides chapes2 d'evêque, des batailles gagnees, destheâtres pleins de bruit et de lumiere, et puis encore des jeunes flles et de sombres promenades lanuit sous les larges bras des marronniers. C'etait toujours fête dans mon imagination. Je pouvaispenser à ce que je voulais, j'etais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est enprison dans une idee. Une horrible, une sanglante, une implacable idee ! Je n'ai plus qu'une pensee,qu'une conviction, qu'une certitude : condamne à mort !

Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensee infernale, comme un spectre deplomb à mes côtes, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi miserable et mesecouant de ses deux mains de glace quand je veux detourner la tete ou fermer les yeux.

Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme unrefrain horrible à toutes les paroles qu'on m'adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de moncachot ; m'obsede eveille, epie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d'uncouteau.

Je viens de m'eveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : - Ah ! ce n'est qu'unrêve ! - He bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s'entr'ouvrir assez pour voircette fatale pensee ecrite dans l'horrible realite qui m'entoure, sur la dalle mouillee et suante de macellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossiere de la toile de mesvêtements, sur la sombre fgure du soldat de garde dont la giberne3 reluit à travers la grille ducachot, il me semble que dejà une voix a murmure à mon oreille : - Condamne à mort !

1 - Prison de Paris.2 - Longs manteaux.3 - Boîte recouverte de cuir portee à la ceinture et où les soldats mettaient leurs cartouches.

Texte B : Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839

[Fabrice del Dongo est un jeune noble originaire de Parme, engagé dans les troupes de Napoléon 1er. Son tempéramentfougueux l'entraîne dans des aventures amoureuses qui se soldent par un duel au cours duquel il tue son adversaire. IIest emprisonné dans la tour Farnèse et tombe amoureux de Clélia Conti, flle du gouverneur de la prison dans laquelle ilse trouve.]

Ce fut dans l'une de ces chambres construites depuis un an, et chef- d'œuvre du generalFabio Conti, laquelle avait reçu le beau nom d'Obeissance passive, que Fabrice fut introduit. Ilcourut aux fenêtres ; la vue qu'on avait de ces fenêtres grillees1 etait sublime : un seul petit coin de

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l'horizon etait cache, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, quin'avait que deux etages ; le rez-de-chaussee etait occupe par les bureaux de l'etat-major ; et d'abordles yeux de Fabrice furent attires vers une des fenêtres du second etage, où se trouvaient, dans dejolies cages, une grande quantite d'oiseaux de toute sorte. Fabrice s'amusait à les entendre chanter,et à les voir saluer les derniers rayons du crepuscule du soir, tandis que les geôliers2 s'agitaientautour de lui. Cette fenêtre de la voliere n'etait pas à plus de vingt-cinq pieds de l'une des siennes, etse trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu'il plongeait sur les oiseaux.

Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levaitmajestueusement à l'horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trevise. Il n'etait quehuit heures et demie du soir, et à l'autre extremite de l'horizon, au couchant, un brillant crepusculerouge orange dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes quiremontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ; sans songer autrement à son malheur, Fabrice futemu et ravi par ce spectacle sublime. « C'est donc dans ce monde ravissant que vit Clelia Conti !avec son âme pensive et serieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu'un autre ; on est ici comme dansdes montagnes solitaires à cent lieues de Parme. » Ce ne fut qu'apres avoir passe plus de deuxheures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue surle joli palais du gouverneur que Fabrice s'ecria tout à coup : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce làce que j'ai tant redoute ? » Au lieu d'apercevoir à chaque pas des desagrements et des motifsd'aigreur, notre heros se laissait charmer par les douceurs de la prison.

1 - Fenêtres avec une grille.2 - Gardiens de prison.

Texte C : Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1845

[Edmond Dantès est un marin qui a fait fortune au cours de ses différents voyages à l'étranger [sic]. A l'âge de dix-neuf ans et le jour même de ses noces, il est emprisonné sur une fausse accusation portée par ceux qui jalousent safortune et son épouse. Il restera quatorze ans prisonnier au château d'If près de Marseille.]

Malgre ses prieres ferventes, Dantes demeura prisonnier. Alors son esprit devint sombre,un nuage s'epaissit devant ses yeux. Dantes etait un homme simple et sans education ; le passe etaitreste pour lui couvert de ce voile sombre que souleve la science. Il ne pouvait, dans la solitude deson cachot et dans te desert de sa pensee, reconstruire les âges revolus, ranimer les peuples eteints,rebâtir les villes antiques, que l'imagination grandit et poetise, et qui passent devant les yeux,gigantesques et eclairees par le feu du ciel, comme les tableaux babyloniens de Martinn1 ; lui n'avaitque son passe si court, son present si sombre, son avenir si douteux : dix-neuf ans de lumiere àmediter peut-être dans une eternelle nuit ! Aucune distraction ne pouvait donc lui venir en aide :son esprit energique, et qui n'eut pas mieux aime que de prendre son vol a travers les âges, etaitforce de rester prisonnier comme un aigle dans une cage. Il se cramponnait alors à une idee, à cellede son bonheur detruit sans cause apparente et par une fatalite inouïe ; il s'acharnait sur cette idee,la tournant, la retournant sur toutes les faces, et la devorant pour ainsi dire à belles dents, commedans l'enfer de Dante l'impitoyable Ugolin2 devore le crâne de l'archevêque Roger. Dantes n'avaiteu qu'une foi passagere, basee sur la puissance ; il la perdit comme d'autres la perdent apres lesucces. Seulement, il n'avait pas profte.

La rage succeda à l'ascetisme3. Edmond lançait des blasphemes qui faisaient reculerd'horreur le geôlier ; il brisait son corps contre les murs de sa prison ; il s'en prenait avec fureur àtout ce qui l'entourait, et surtout à lui-même, de la moindre contrariete que lui faisait eprouver ungrain de sable, un fetu de paille, un souffe d'air.

1 - Martinn : peintre romantique anglais.2 - Ugolin : heros tragique de la Divine Comédie ecrite par le poete italien Dante. Il est condamne à mourir de faim apres avoir mange ses propres enfants.

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3 - Ici, le personnage se replie sur une seule pensee.

Texte D : Albert Camus, L'Etranger, 1942.

[Meursault, le narrateur, se laisse entraîner dans une histoire de vengeance qui le conduit à tuer un homme. Il estaussitôt mis en prison.]

Quand je suis entre en prison, on m'a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, macravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une fois en cellule,j'ai demande qu'on me les rende. Mais on m'a dit que c'etait defendu. Les premiers jours ont ete tresdurs. C'est peut-être cela qui m'a le plus abattu. Je suçais des morceaux de bois que j'arrachais de faplanche de mon lit. Je promenais toute la journee une nausee perpetuelle. Je ne comprenais paspourquoi on me privait de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j'ai compris que celafaisait partie aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m'etais habitue à ne plus fumer et cettepunition n'en etait plus une pour moi.

A part ces ennuis, je n'etais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois,etait de tuer le temps. J'ai fni par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai appris à mesouvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en imagination, je partais d'un coinpour y revenir en denombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Au debut,c'etait vite fait. Mais chaque fois que je recommençais, c'etait un peu plus long. Car je me souvenaisde chaque meuble, et, pour chacun d'entre eux, de chaque objet qui s'y trouvait et, pour chaqueobjet, de tous les details et pour les details eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bordebreche, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j'essayais de ne pas perdre le fl de moninventaire, de faire une enumeration complete. Si bien qu'au bout de quelques semaines, je pouvaispasser des heures, rien qu'à denombrer ce qui se trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus jerefechissais et plus de choses meconnues et oubliees je sortais de ma memoire. J'ai compris alorsqu'un homme qui n'aurait vecu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Ilaurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'etait un avantage.

I. Vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points) :

1. Comment chaque texte rend-il compte des pensées et des sentiments du prisonnier ? (3points)2. Comparez la façon dont ces quatre personnages vivent leur emprisonnement. (3 points)

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

• CommentaireVous ferez le commentaire littéraire du texte de Camus (texte D) en vous appuyant surle parcours de lecture suivant :

a) Montrez comment le texte suggère la monotonie de la vie du prisonnier.b) Comment le texte fait-il sentir que le prisonnier tente de s'adapter à sa situation ?

• DissertationPréférez-vous les romans dont le héros est un personnage positif ? Vous répondrez àcette question dans un développement composé, en prenant appui sur les textes ducorpus, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

• Invention

A l'âge de dix-neuf ans, et le jour même de ses noces, Edmond Dantès est emprisonné.En vous inscrivant dans la logique d'écriture d'Alexandre Dumas, vous rédigerez lepassage du roman qui raconte l'arrivée en prison, la découverte de la cellule et rapporteles premières pensées du personnage.

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Groupement de textes : l'histoire de Sutter

Texte 1 : Francis Lacassin, préface de L'Or, Gallimard, Folio (1998)Dans cet extrait de la préface qu'il consacre au roman de Cendrars pour l'édition parue dans la collection

"Folio" en 1998, Francis Lacassin, éditeur et essayiste français (1931-2008), souligne la façon dont l'auteur réussità donner vie à la matière historique et biographique dont est fait L'Or. Les nombreux détails que l'écrivain imagineproduisent un "effet de réel"et, grâce à ces précisions, l'écrivain nous fait passer de l'Histoire au roman...

(...) l'abondance de details quotidiens supplee16 à l'imprecision historique. Elle permet detoucher et d'animer un personnage embaume par l'Histoire. Et Cendrars a l'art du detail et de laprofusion.

Quand Suter debarque pour la premiere fois sur la plage qui deviendra San Francisco«les sables ont une couleur grisâtre, sans cesse battus par les vagues, ils sont parfaitement unis, d'uneconsistance tres solide et offrent au voyageur un chemin tres commode auquel n'a jamais contribuele travail de l'homme et qui s'etend perte de vue. Une plante à longues tiges rampantes es tout ce quicroit çà et là17». Suter ne se borne pas à avancer sur le sable quelconque, "il ecrase un grand nombrede mollusques vesiculeux couleur de rose et qui eclatent avec bruit18". De même, lorsque Suterarrive à Panama, «le soleil est comme une pêche fondante19". Écrire que Sutter se repose dans unhamac, c'est donner une information. Preciser "un hamac d'ecorce20" c'est creer une image.

Quand on lui annonce qu'un premier jugement vient de reconnaître ses droits, "Suteretait en train de lire une brochure sur l'elevage des vers à soie. Immediatement il saute sur saredingote qu'il brosse lui même à tour de bras21". D'une simple information, Cendrars tire une scenecriante de vie. Ainsi l'arrivee de la premiere mission americaine par la Sierra Nevada. "Suter s'etaitporte à sa rencontre avec une escorte de 25 hommes splendidement equipes. Les bêtes etaient desetalons. L'uniforme des cavaliers, d'un drap vert sombre releve d'un passepoil jaune. Le chapeauincline sur l'oreille, les gars avaient l'allure martiale Ils etaient tous jeunes, vigoureux, biendisciplines22". La garde pretorienne23 d'un souverain recevant un ambassadeur...

La precision s'etend ici au sexe des chevaux, à la couleur des uni formes, à l'inclinationdu chapeau. L'abondance de details s'accompagne souvent d'une abondance de chiffres. Le premiercontingent de travailleurs importes de Polynesie par Suter est compose de 150 Canaquesaccompagnes de dix-neuf Blancs ; on les logera dans six villages. L'usage des nombres repondparfois à un besoin incantatoire. «10000 emigrants pour la Californie se rassemblerent à New Yorket à Boston. (...) 500 hommes deflerent en 15 jours dans un seul petit hôtel de Broadway et tous serendaient au Far West. Au mois d'octobre, 21 navires avaient dejà quitte le grand port de l'est àdestination de la rive pacifque ! 48 autres se preparaient à appareiller ; le 11 decembre, le centiemesortait de l'Hudson24.»

Cet abus de nombres a, bien sur, intrigue les commentateurs. Dans son excellentcommentaire de L'Or, Claude Leroy s'interroge : "A quoi bon cette profusion de details et surtout dedetails chiffres dont l'importance ne s'impose pas dans l'economie du recit et que le lecteur, dans unrecit pourtant si laconique25, est tente de "sauter" ?" Il repond que ces nombres «contribuent àproduire ce que Barthes26 appelle un "effet de reel".

16. Supplee à remplace (ce qui fait defaut).17. Sequence 15, chapitre IV.18. Ibid.19. Sequence 39, chapitre XI. 20. Sequence 13, chapitre IV.21. Sequence 55, chapitre XIV.22 Sequence 23, chapitre VI.23 Garde personnelle pour un commandant en chef dans l'Antiquite romaine. 24 Sequence 33, chapitre X.25 Qui s'exprime en peu de mots.26 Roland Barthes (1915-1980) : critique litteraire et essayiste français.

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Texte 2 : François Taillandier, "Le capitaine Sutter, fondateur de la Nouvelle-Helvetie", Le Figaro (2007)

Janvier 1848. Quelque part dans les etendues verdoyantes de la Californie mexicaine, unnomme James Marshall s'active sur le chantier d'une scierie que l'on vient d'edifer pour exploiter laforêt. Sa tâche du jour consiste à verifer les vannes du bief qui servira à faire tourner les machines.L'eau, en effet, degringole en abondance à travers les collines, fournissant une energie gratuite.Soudain, dans la boue charriee par l'eau tourbillonnante, quelque chose attire son regard : deux outrois cailloux piquetes de scintillements, accrochant le moindre refet de lumiere.Retroussant ses manches, il plonge les bras dans l'eau froide pour s'en emparer et les examiner. Ilreste longtemps perplexe devant sa decouverte. Une idee lui a d'emblee traverse l'esprit, mais ilhesite à y croire. En tout cas, il faudrait verifer...

James Marshall ne sait pas encore qu'il vient de mettre la main, le premier, sur l'or de laCalifornie.

De la Californie ? Oui et non. Pour être rigoureux, on doit dire que cette scene se deroule enNouvelle-Helvetie. Moins d'une dizaine d'annees plus tôt, en effet, un Suisse du nom de JohannSutter, que tout le monde ici appelle le capitaine, a obtenu des autorites de Monterey le droitd'exploiter à son gre une immense etendue de terres, sises entre l'actuelle ville de Sacramento (quin'existe pas encore), et San Francisco, qui s'appelle alors Buena Yerba et n'est qu'un modestehameau etabli par des missionnaires franciscains. En faisant bosser dur des Canaques amenes deHonolulu, ainsi que quelques vagabonds recrutes dans le voisinage, Sutter a cree une colonie idealequ'il a baptisee Nouvelle-Helvetie.

En 1925, dans son roman L'Or, son quasi-compatriote Frederic-Louis Sauser, plus connusous le nom de Blaise Cendrars, racontera avec lyrisme l'epopee de Sutter, ne en 1803, originaire deBâle, et parti chercher l'aventure dans le Nouveau Monde en 1834. Là, Sutter (ou Suter, selonl'orthographe choisie par Cendrars) a connu trente-six metiers et trente-six miseres, s'est lance dansdivers negoces, fnissant par accumuler un petit capital. Il a aussi beaucoup ecoute les dires desvoyageurs - trappeurs, eleveurs de betail, mariniers, explorateurs improvises. Et c'est en veritablepionnier qu'il s'est aventure dans ces territoires alors pratiquement inconnus, qu'on lui a depeintscomme un paradis terrestre.

Sutter est manifestement doue d'une energie et d'une audace hors du commun. C'estl'entrepreneur ne, comme la jeune Amerique les aime. Dix ans plus tard, la Nouvelle-Helvetie, cesont des milliers d'hectares de maïs, de ble, de vigne, de forêt, de pâturages. Elle produit des bovins,des porcs, des chevaux, des fruits, des fromages, des viandes sechees, du saumon, du cuir, et mêmedu talc, contribuant ainsi au developpement de San Francisco. Plusieurs centaines d'hommes etfemmes, Irlandais, Russes, Allemands, Asiatiques, Indiens, Mexicains, Noirs, sont venus se fondre àce creuset. Des foyers se sont constitues, on a cree une ecole. Une petite milice armee protege lacolonie contre les razzias des tribus locales. Un fort de rondins - baptise Fort Sutter, naturellement -a ete edife. Les benefces du travail alimentent un budget collectif, reinvesti au fur et à mesure dansle developpement de la colonie, laquelle s'agrandit au fl du temps par la mise en valeur de nouvellesterres. Le « capitaine », qui veille à maintenir les meilleures relations avec les autorites civiles, aedicte un reglement severe et respecte. C'est bien sur un embryon d'État autonome que s'etend sonautorite de patriarche. `

Un patriarche respecte, voire venere. C'est pourquoi Marshall, un de ses plus fdeleslieutenants, s'empresse de l'informer de sa decouverte. Sutter, par la suite, racontera cet episodedans des lettres qui ont ete conservees. Où d'autres auraient vu une bonne nouvelle, il a aussitôt,dira-t-il, pressenti un peril mortel. Il soupçonne que s'il y a reellement de l'or sur ses terres - cesterres qui ne sont à lui que par la tolerance des autorites mexicaines - c'en sera fni de sacommunaute laborieuse, vertueuse et productiviste.

Juste premonition ! La suite, on la connaît : une production d'or qui va faire de la Californie(dans l'intervalle cedee par le Mexique aux États-Unis) une locomotive de la croissance mondiale. Etsur place, les annees hallucinantes du « rush » avec son cortege de violences, comme en temoignent,

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dans les villes fantômes aujourd'hui soigneusement conservees, les croix de cimetiere où l'on declare« pendu », « abattu », « tue dans une rixe » des aventuriers dont parfois on ne connaît même pas lenom...

Sutter obtient aisement de Marshall qu'il garde le secret. Mais en vain : d'autres ouvriers ontrepere quelque chose. L'un d'eux parle, apres quelques verres, dans un saloon voisin. Les premierscurieux affuent des la semaine suivante. La rumeur grandit. Et un à un, les austeres colons de laNouvelle-Helvetie commencent à se detourner de leur travail pour aller explorer la montagne. Audiable ce vieux pingre de capitaine Sutter ! Pourquoi passer un an à amasser ce que l'on peut gagneren un jour ?

L'agonie de la Nouvelle-Helvetie est pathetique. Sutter se bat pied à pied, s'efforçantnotamment de faire reconnaître ses droits de propriete sur ces terres. Mais le gouvernementmexicain s'etait borne à le laisser s'installer par un accord verbal. Il s'est bien arrange pour fairesigner quelque chose aux Indiens du secteur, mais qui se preoccupe d'un titre de propriete octroyepar les Indiens ?

Des le printemps, la colonie est en loques. Les installations sont desertees, les ateliers netournent plus, les troupeaux errent en meuglant, les vergers croulent sous le poids des fruits quepersonne ne cueille. Le cuir pourrit dans les tanneries, degageant une odeur immonde. Les sages «neo-helvetes » ont contracte la fevre, et sont prêts maintenant à s'entre-tuer comme les autres. Oùs'affairait une pieuse communaute pastorale d'artisans et de cultivateurs, rôde une faune interlopeequipee de pelles, de pioches et le plus souvent de fusils. L'alcool, la prostitution et le jeu surgissentsur leurs traces. Il y a dans cet episode une grandeur biblique. À cela pres que ce n'est pas à l'arbredu bien et du mal que l'on a goute, mais au terrible metal jaune. Les Indiens le leur avaient biendit : ces pierres etincelantes qu'on voit dans les ruisseaux sont la propriete d'un esprit mauvais, il nefaut pas y toucher. C'en est fni de l'Eden. Voici venu le temps de Caïn...

Avec une terrible ironie, le drame de la Nouvelle-Helvetie fait apparaître une verite constante: toute organisation sociale qui pretend rendre l'homme vertueux, bon et altruiste, alors qu'il estfondamentalement egoïste et cupide, ne peut deboucher que sur un echec pitoyable ou sur uneimplacable tyrannie. Faute de pouvoir instaurer la dictature, Sutter allait être balaye.Il convient ici de nuancer le portrait de ce pere fondateur. Johann August Sutter n'est passeulement, loin de là, un doux rêveur ni un prophete illumine. Si l'on en croit Cendrars, il s'estrendu coupable en son jeune temps de pas mal de vols et d'escroqueries. On connaît d'ailleurs assezmal ses jeunes annees. Ce qui est sur est que pour tenter sa chance en Amerique, il a sans scrupuleabandonne au pays une femme et quatre enfants. Le modele utopique, il l'utilise pour conferer unerespectabilite à son entreprise, qui est plutôt en realite une sorte de Republique privee, destinee àfaire de lui l'homme le plus riche du monde. Neanmoins, la Nouvelle-Helvetie se defnit biencomme une micro-societe close, fondee sur la collectivisation de la production et des ressources,ainsi que sur le refus des rapports d'argent. À la fn de chaque semaine, les travailleurs de la coloniereçoivent des jetons qui leur permettent de se procurer les biens necessaires à la vie quotidienne.Quant aux vrais dollars sonnants et trebuchants, c'est la direction, et exclusivement elle, qui lesperçoit et les repartit avec prudence et rigueur. En ce sens, et quelles que soient ses motivations,Sauter est bel et bien un descendant lointain de Rousseau, peut-être même de Jean Calvin. Il y adans la Nouvelle-Helvetie quelque chose qui evoque le phalanstere, le kibboutz et le kolkhoze.Sutter, voyant s'effondrer l'oeuvre de sa vie, allait consacrer une trentaine d'annees à plaider, tentantde faire reconnaître ses droits initiaux. Un juge local lui donna raison, estimant qu'on ne pouvait lespolier ainsi de ce que son travail avait fait fructifer. Cet arrêt ne servit qu'à dechaîner une emeute,au cours de laquelle sa maison fut saccagee. L'or etait à tout le monde ! Et comment arrêter lesnuees de prospecteurs improvises qui se disputaient le moindre ruisseau, faisant dejà affuer leprecieux metal chez tous les banquiers du voisinage ?

Johann Sutter s'obstina. Bon nombre de flous lui proposerent leur aide, histoire de luisoutirer le reliquat de fortune qu'il avait pu soustraire à la debâcle. Il se jugeait victime d'uneeffroyable injustice des hommes et du sort. Il y vit la marque du demon, devint mystique. Il lisait etrelisait l'Apocalypse, croyant y dechiffrer le secret de ses malheurs. Il s'afflia à une secte dont le

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dirigeant, pendant quelque temps du moins, pensa qu'il y aurait peut-être quelque chose à tirer dece bonhomme-là. Il s'etablit à Washington, s'epuisant en vaines demarches. Tous les employes desbureaux connaissaient ce vieux fou, qu'on accueillait avec plus ou moins de patience, selon l'humeurdu jour. La Nouvelle-Helvetie ! Qui diable pouvait se souvenir de ce que c'etait, à supposer qu'onl'eut jamais su ?

On dit qu'un jour de 1880, enfn, un honorable senateur se presenta à son domicile. Uneenquête avait tout de même ete menee, et la Cour suprême, à defaut de lui rendre ses domaines,avait ordonne de lui verser une forte somme, en dedommagement de « services rendus » auxpremiers colons de Californie. Las ! On apprit au providentiel visiteur que Johann August Sutteretait mort le matin même. Cendrars considere cet episode comme legendaire, mais d'autres sourcesle jugent vraisemblable. La puritaine et legaliste Amerique ne pouvait-elle pas admettre, fut-ce avecretard, que tout a un prix - même l'utopie ?

En faisant bosser dur des Canaques amenes de Honolulu, Sutter a cree une colonie ideale oùl'argent etait remplace par des jetons.

La decouverte de mines d'or va mettre fn à la communaute. Les « neo-helvetes » sont alorsprêts à s'entre-tuer comme les autres pour le metal jaune.

Document 3 : le périple de Suter

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L'or en peinture

Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514)

Jacques De Gheyn, Vanité (1603)

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Lectures d'images : la ruée vers l'or au cinéma

La Ruée vers l'or (1925) de Charlie Chaplin Sutter's gold (1936) de James Cruze

Der Kaiser von Kalifornien (1936) de Luis Trenker

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Théâtre, texte et représentation

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : Montserrat (1948) d'Emmanuel Roblès

Textes : - texte 9 : L'exposition (I,1) ; - texte 10 : La première confrontation entre Izquierdo et Montserrat, de "Je te plains Montserrat !" à la fin de la scene (I,7) ;- texte 11 : La discussion entre Montserrat et les otages, de "Ecoutez-moi…" jusqu'à "... rester dignes du sacrifice du Christ !" (II,1) ; - texte 12 : L'exécution du marchand, du debut de la scene jusqu'à "Nous t’ecoutons  !" (III,1).

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ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE

ZUAZOLA, MORALÈS, ANTONANZAS Les ofciers espagnols discutent avec animation.

Ils sont encore vêtus d'un rude uniforme de campagnebleu noir. Culotte grise, bottes.

ZUAZOLA. — Il s'est encore échappé. MORALÈS. — Il y a de la trahison là-dessous. ZUAZOLA. — Il a été prévenu, c'est clair. Il me semble difcile de croire à une coïncidence aussi miraculeuse.

ANTONANZAS. — Mais certainement. Il ne faut pas penser à une coïncidence. Il a été prévenu ! Izquierdo, en vérité, a été trop confant, hier soir, en exposant ses plans à table, en présence de tous les convives du général. C'était d'une imprudence folle ! ZUAZOLA. — Il est fou de colère, Izquierdo ! MORALÈS. — Enfn, il y a de sa faute ! C'est la seconde fois qu'il croit tenir ce Bolivar, qu'il est près de le capturer et que celui-ci lui glisse entre les doigts ! Izquierdo devrait s'entourer de plus de précautions ! ZUAZOLA, précis. — Un fait reste acquis. Cette nuit même, dans la maison où il s'était réfugié, Bolivar a été prévenu qu'Izquierdo viendrait à l'aube le capturer, et il n'a pu être prévenu que par l'un des convives d'hier soir. Il y a donc un traître dans l'état-major ! MORALÈS. — Je commence à le croire aussi. De toute façon, si Bolivar parvient à passer nos lignes et à rejoindre ses partisans, il les regroupera très vite... ANTONANZAS. — Ah ! ce sera de nouveau la guerre ! Et, par saint Jacques, j'aime mieux faire la guerre que crever d'ennui dans ce pays où l'on ne voit pas une seule jolie flle... MORALÈS. — Tu exagères. Pas une seule jolie flle ? A Siquisèque, quand nous avons pris la ville, mon bataillon n'a laissé vivants que dix-neuf habitants. Dix-neuf femmes ! Des jeunes, bien entendu ! C'était contraire aux ordres du général, qui avait exigé que l'on exterminât jusqu'aux nouveaux-nés. Mais nous avons, pour nous, gardé les belles, et je vous jure qu'il y en avait de divines !

ZUAZOLA. — Oui, bien sur. On peut en trouver... MORALES. — Celle que je m'étais réservée avait seize ans. Adorable. Des seins menus, tièdes comme des colombes. Elle pleurait doucement chaque fois que je... que nous faisions l'amour... ZUAZOLA, riant. — Tais-toi donc ! ANTONANZAS. — L'as-tu gardée ? MORALÈS. — Pas longtemps. Je l'ai donnée à cinq de mes hommes, après la bataille de Barquésimeto,

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pour les récompenser de leur belle conduite. Je n'avais rien de mieux sous la main. ZUAZOLA. — Dommage ! MORALÈS, haussant les épaules. — Oh ! dommage... Une Indienne, hein ?... ANTONANZAS. — Oui. Mais tout cela ne nous apprend rien sur la fuite étonnante de Bolivar ! Et je brule d'envie de savoir comment l'afaire s'est déroulée... ZUAZOLA. — Patience ! Izquierdo nous renseignera. Je l'ai aperçu tout à l'heure. Il va certainement passer par ici pour présenter son rapport à Son Excellence. Il doit être dévoré de rage ! MORALÈS. — Izquierdo a toujours la conviction insolente que les événements vont marcher comme il le désire, que les êtres vont rigoureusement se plier à sa volonté. Et, quand la malice d'une volonté étrangère à la sienne contrecarre ses projets, alors il explose, il tonne, il veut crever le ciel, exterminer des populations entières !... Vous allez le voir, tout à l'heure : un ouragan ! une tornade !...Ils rient bruyamment. ANTONANZAS. — Quand nous étions cadets à l'académie militaire, je me souviens qu'il était tombé amoureux fou d'une petite vicomtesse de dix-sept ans. Mais elle ne l'aimait pas et le lui ft entendre. Cet aveune refroidit pas son ardeur. Au contraire. Il lui jura qu'elle l'aimerait par force ! Qu'il la forcerait bien à l'aimer... (Ils rient.) Elle fnit par épouser un gentilhomme portugais qu'Izquierdo, dans sa démence, provoqua en duel et faillit embrocher. C'est alors que, pour calmer cette passion, les autorités militaires expédièrent notre ami sur ces terres bénies où il a pu, enfn, oublier ses premières amours... MORALÈS. — Oublier, oublier... Je ne sais pas s'il est homme à oublier un échec, même au bout de vingt ans... ANTONANZAS. — D'accord avec toi... MORALÈS. — Et je crois qu'il ne pardonnera jamais à celui qui l'a joué ce matin en prévenant Bolivar.

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte I, scène 1.

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Lecture analytique n° 6

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IZQUIERDO. - Je te plains Montserrat ! Je sais que tu as du courage… Il va t’en falloirbeaucoup !

MONTSERRAT. - Je ne crains rien.

IZQUIERDO. - Qui sait ? Je pourrais te faire torturer à mort, mais tu ne parlerais pas, je teconnais. Et, si tu mourais à la torture, par Dieu, ma chance de capturer Bolivar s’envolerait avecton soufe. Son Excellence m’a laissé libre choix des moyens pour te faire dénoncer le nouveaurefuge de ton ami…

MONTSERRAT. - Puisque vous savez que je ne parlerai pas, qu’attendez-vous pour me fairefusiller ?

IZQUIERDO, doucement. - Tu parleras… (Il marche, tête basse, de long en large, puis s’arrête etregarde fxement Montserrat). Ecoute-moi. Six personnes vont être enfermées ici, dans cette salle,avec toi. Des gens pris au hasard, dans la rue. Des innocents, Montserrat ! des hommes et desfemmes de ce peuple que tu aimes plus que ton drapeau. Dans une heure, si tu n’as pas dénoncél’endroit précis où se cache Bolivar, ils seront fusillés !

MONTSERRAT, atterré. - C’est impossible ! Izquierdo ! C’est inhumain !

IZQUIERDO, méprisant. - Qu’importe, si c’est efcace…

MONTSERRAT. - Je veux demander audience au général.

IZQUIERDO, brutal. - Refusé !… (Silence). Tu auras une heure. Au bout d’une heure, si tut’obstines, ils seront fusillés derrière ce mur. Il faudra choisir entre la mort de Bolivar, rebelle ettraître, et celle de six innocents.

MONTSERRAT, révolté, hurle. - Tu es une bête immonde ! J’aurais du t’écraser la tête le jour deGomara, quand tu as fait enterrer vivants tous les prisonniers.

IZQUIERDO. - Tais-toi ! Aujourd’hui sera plus difcile qu’à Gomara.

MONTSERRAT, hors de lui. - Je te hais ! (Il tente de se jeter sur Izquierdo. On le maîtrise)

IZQUIERDO, ironique. - Et moi, je te plains de toute mon âme, car ton épreuve sera dure, trèsdure.

MONTSERRAT. - Je veux voir le général. Son Excellence me fera fusiller pour avoir trahi, pouravoir préféré la cause des hommes que nous opprimons à la fdélité au Roi. Il me fera fusiller pourtout ce qu’il voudra. Ca m’est égal. Je consens à mourir en traître. Je suis un traître dans ce camp, jel’avoue. Parce que j’ai des sentiments d’homme ! Que je ne suis pas une machine à tuer, unemachine aveugle et cruelle !…

IZQUIERDO. - Assez ! Son Excellence m’a ordonné de te faire avouer la retraite de Bolivar. Parn’importe quel moyen. Je l’ai, ce moyen. (Silence). Les gens qui vont venir ici, je ne veux pas savoirs’ils sont pour ou contre nous. L’essentiel, c’est qu’ils soient innocents. Il y aura peut-être parmi euxde fdèles sujets du Roi. Tant mieux. Il faut qu’ils n’aient rien à se reprocher. Un seul coupable, ici,toi. Coupable d’avoir aidé la fuite d’un chef rebelle. Tu tiens le marché : donnant, donnant ; la viede six innocents contre la vie d’un traître et d’un bandit.

MONTSERRAT. - Je ne peux pas ! Je-ne-peux-pas ! Je ne peux pas !

IZQUIERDO. - Qu’est-ce qui t’en empêche ? L’honneur, peut-être, hein ? On ne livre pas un amiqu’on a soi-même mis en sureté ? C’est cela ?… Réféchis, Montserrat. Six innocents ! Pèse-le bien,

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ton honneur.

MONTSERRAT. - Ah ! ce n’est pas cela ! S’il ne s’agissait que de mon honneur !

IZQUIERDO. - Quoi, alors ?

On entend dehors des exclamations, des bruits de pas, des cris : « Avancez ! » « Mais je n’ai rienfait ! » « Silence ! »

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte I, scène 7.

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Lecture analytique n° 7

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MONTSERRAT. - Ecoutez-moi… Vous vivez tous sous la domination d’hommes féroces et impitoyables ! Etes-vous sans orgueil ? Etes-vous sans dignité ? Ne vous sentez-vous pas soulevés de haine contre les assassins de Campillo, contre les bourreaux de Cumata ? Souvenez-vous ! Mais souvenez-vous ! ACampillo, le général Rosete a fait bruler vifs tous les prisonniers ! A Cumata, Moralès a fait clouer aux portes tous les enfants au berceau ! Et Antonanzas qui collectionne les mains coupées ! Et Izquierdo qui faitrafer les jeunes flles pour les faire violer par ses cavaliers ! Sa police est partout, toute-puissante, implacable,féroce… Et n’est-ce pas lui seul qui a eu cette idée monstrueuse de nous enfermer ici ? qui a inventé ce supplice atroce ?

LE POTIER, frappé par l’évidence. - Il va nous laisser fusiller !

MONTSERRAT. - Les Espagnols ne vous considèrent pas comme des hommes! Mais comme des animaux, des êtres inférieurs qu’on peut, qu’il faut exterminer ! Tant d’horreurs, tant de bestialités ne vous révoltent-elles pas ? Ne peuvent-elles sufre à vous soulever contre ces brutes jusqu’au dernier sacrifce ? La défaite des révolutionnaires à San Mateo, est-ce la fn de tout espoir ? Mais non ! Je vous le dis ! Je vous le crie ! Il faut qu’on regroupe les partisans ! Il faut refaire l’armée de l’indépendance ! Bolivar seul peut accomplir la révolution ! Il faut qu’il soit sauvé ! Il le faut à tout prix !

LE MARCHAND se rue sur lui, fou de colère. - Oui ou non ! vas-tu nous dire où il se cache ? Oui ou non ?Mais parle ! (Il le tient à la gorge et le gife.) Mais parle ! Parle donc, canaille !

MONTSERRAT, qui l’a repoussé sans brutalité. - Grâce à Bolivar, l’heure viendra où ce pays sera délivré !où ce pays, je vous le répète, deviendra une grande nation d’hommes libres ! Grâce à Bolivar !

LE COMEDIEN. - Ecoute donc ! Tu ne peux pas faire cela ! Tu ne peux pas tuer six êtres pour en sauver un seul !

MONTSERRAT. - Comprenez ! Comprenez ! Je sais bien qu’il vous est dur de comprendre… Ce n’est pasla vie de six êtres contre celle d’un seul ! Mais, contre la liberté, la vie de milliers de malheureux !

LE COMEDIEN, qui redoute la réponse. - Alors… tu ne… diras rien !…

MONTSERRAT, il ne répond pas tout de suite. On sent de nouveau qu’il lutte contre lui-même. Enfn il dit avec efort. - Je ne sais ! Je ne sais plus !… Je voudrais pouvoir… Je voudrais comprendre moi-même… savoir si j’ai raison… si je ne me trompe pas !…

LE COMEDIEN, insinuant. - Mais oui ! Réféchis… Tu es intelligent ! Tu vas découvrir toi-même que ton obstination est insensée ! que ce marché lui-même est monstrueux !… Six personnes vivantes ! Cela compte ! Dieu te regarde ! Il va t’aider ! Ecoute donc sa voix ! notre soufrance, notre désespoir ! Tu as tout cela sous les yeux ! Laisse ton cœur s’ouvrir ! Laisse entrer Dieu dans ton âme !

MONTSERRAT. - Mais n’est-ce pas Dieu qui nous envoie cette épreuve ? Et ne devons-nous pas tous ensemble l’accepter, la surmonter ? Ne devons-nous pas mériter le ciel ? Ah ! réféchissez vous-mêmes ! Il s’agit moins, ce soir, de sauver nos corps que de sauver nos âmes ! (avec une exaltation croissante) Il s’agit ce soir de mourir pour sauver des millions d’êtres, pour les sauver du malheur et,par là, de rester dignes du sacrifce du Christ !

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte II, scène 1.

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ACTE III, SCÈNE  1

Montserrat, Izquierdo, Moralès, le marchand, le père Coronil, la mère, Elena, le comédien, moines, soldats

Au lever du rideau, Montserrat est à droite, appuyé à la table.

Izquierdo est assis sur l’un des tabourets, au milieu de la scène.

Soldats devant la porte.

Izquierdo. – Eh bien  ! Ce pauvre potier  ! Il laisse cinq orphelins  !… Tu ne dis rien  ?…(Derrière le mur, lestambours battent en sourdine, par moments.) Montserrat, tu es toujours convaincu qu’il faut sacrifer cesgens-là pour sauver Bolivar  ? Tu es sur de ne pas te tromper  ? Ce serait monstrueux, n’est-ce pas, si tu tetrompais  ?…(Silence.) Bon  ! Moralès  ! Continuons  !(À Montserrat.) Souviens-toi que je suis aussi entêtéque tu peux l’être  !

Des otages gémissent. Quand Moralès s’avance vers eux, ils reculent et se serrent les uns contre les autres.Moralès semble embarrassé pour choisir. Tous le regardent intensément. Il désigne le marchand.

Moralès. – À toi  !… Allons, avance  !

Le marchand. – Pourquoi à moi  ?

Moralès. – Je te dis d’avancer  !

Un des soldats donne une bourrade au marchand, qui gémit.

Le marchand, atterré. – Non  ! C’est impossible  !… C’est impossible  !

Izquierdo. – Ne dis pas de bêtises  !

Le marchand. – Je vous dis que c’est impossible  ! que je ne peux pas mourir ainsi  !(Il continue à gémir enpétrissant ses mains fébrilement.)

Izquierdo. – Montserrat  ! Ce n’est pas beau un homme qui a peur de mourir  ! Regarde-le donc, cemalheureux  ! Si notre ami le potier n’avait pas été fusillé, cette plainte et ce visage lui auraient inspiré une deses plus belles jarres. Ne crois-tu pas aussi  ?

Le marchand. – J’ai toujours été fdèle au roi. On peut demander à mes voisins. Interrogez-les, vous verrez !Beaucoup de gens me connaissent, dans cette ville  ! Interrogez-les  !

Izquierdo. – Donc, te fusiller est doublement injuste  ? D’abord, tu n’as rien fait… Et, de plus, tu es loyalenvers nous  ! C’est cela  ?

Le marchand, illuminé par un espoir fou. – Oui. C’est cela, monsieur l’ofcier  !

Izquierdo, sarcastique2. – Tu entends, Montserrat  ? Ce cas est intéressant. Tu devrais y réféchir avec plusd’attention que pour les autres  !(Au marchand.) Tu sais bien que ce n’est pas moi qu’il faut convaincre  !Mais lui… Moi, je te comprends, je te comprends parfaitement !(À Montserrat.) Tu ne dis rien  ? La vie d’unbrave commerçant t’importe peu ?(Au marchand.) Tant pis pour toi. Je regrette  ! As-tu quelque chose deplus important à dire avant de mourir  ? Essaie de trouver quelque chose  ! Défends-toi donc  !

Le marchand balbutie. – Monsieur l’ofcier…

Izquierdo. – Parle plus haut  ! Nous t’écoutons  !

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte III, scène 1.

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Théâtre, texte et représentation Documents complémentaires

• Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill,scenes 3 et 4, 1888 ; Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Acte II, scenes 3 et 4, 1943 ; Albert CAMUS,Caligula, acte II, scene 5, 1944 ; Eugene IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

• La préface de l'auteur• Note d'intention de Jean-Paul Smadja, metteur en scene • Lecture cursive : En attendant Godot (1952) de Samuel Beckett, Roberto Zucco (1988) de Bernard-

Marie Koltes

– lectures d'images :

• Mises en scène de Montserrat : en 2003 au Vieux Saint-Etienne à Rennes ; en 2010, à Joue-Les-Tours, par la Compagnie de l’Ours Blanc (Region Pays de Loire) ; en 2013, par la Compagnie LesIncompressibles.

• L'art contre l'exécution : Le Trois mai (1814) de Francisco Goya ; L'Exécution de Maximilien(1867) d'Edouard Manet ; Massacre en Corée (1951) de Pablo Picasso et L'Exécution (1995) de YuMinjun

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Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre

Texte A : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill, scènes 3 et 4, 1888.

[La scène se passe dans une Pologne imaginaire. Poussé par l'ambition de sa femme, le Père Ubu fomente uneconspiration contre le roi Venceslas. Parvenu à ses fns, et une fois couronné, Ubu fait régner la terreur.]

ACTE III, SCÈNE III

Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.

Plusieurs paysans sont assemblés.

UN PAYSAN, entrant : — Apprenez la grande nouvelle. Le roi est mort, les ducs aussi et le jeuneBougrelas s'est sauve avec sa mere dans les montagnes. De plus, le Pere Ubu s'est empare du trône.

UN AUTRE : — J'en sais bien d'autres. Je viens de Cracovie1, où j'ai vu emporter les corps de plusde trois cents nobles et de cinq cents magistrats qu'on a tues, et il parait qu'on va doubler les impôtset que le Pere Ubu viendra les ramasser lui-même.

TOUS : — Grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ? le Pere Ubu est un affreux sagouin et sa familleest, dit-on, abominable.

UN PAYSAN : — Mais, ecoutez : ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte ?

UNE VOIX, au-dehors : — Comegidouille2 ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saintPierre et saint Nicolas ! ouvrez, sabre à fnances, corne fnances, je viens chercher les impôts !La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d'une légion de Grippe-Sous.

SCÈNE IV

PERE UBU : — Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance.) Comment te nommes-tu ?

LE PAYSAN : — Stanislas Leczinski.3

PERE UBU : — Eh bien, comegidouille, ecoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont lesoneilles4. Mais, vas-tu m'ecouter enfn ?

STANISLAS : — Mais Votre Excellence n'a encore rien dit.

PERE UBU : — Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dansle desert ?

STANISLAS : — Loin de moi cette pensee.

PERE UBU : — Je viens donc de te dire, t'ordonner et te signifer que tu aies à produire et exhiberpromptement ta fnance, sinon tu seras massacre. Allons, messeigneurs les salopins de fnance,voiturez ici le voiturin à phynances5. (On apporte le voiturin.)

STANISLAS : — Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deuxrixdales que nous avons dejà payees, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu.

PERE UBU : — C'est fort possible, mais j'ai change le gouvernement et j'ai fait mettre dans lejournal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être designesulterieurement. Avec ce systeme, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai.

PAYSANS : — Monsieur Ubu, de grâce, ayez pitie de nous. Nous sommes de pauvres citoyens.

PERE UBU : — Je m'en fche. Payez.

PAYSANS : — Nous ne pouvons, nous avons paye.

PERE UBU : — Payez ! ou ji6 vous mets dans ma poche avec supplice et decollation du cou et de latête ! Cornegidouille, je suis le roi peut-être !

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TOUS : — Ah, c'est ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de Dieu, roi de Pologne et deLithuanie !

P E R E U B U : — E n a v a n t , m e s s i e u r s d e s F i n a n c e s , f a i t e s v o t r e d e v o i r .(Une lutte s'engage, la maison est détruite et le vieux Stanislas s'enfuit seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser lafnance.)

1. Ancienne capitale de Pologne.2. Un des jurons ubuesques les plus violents. On peut y voir une composante sexuelle (dans le prefxe corne) et une composante digestive (gidouille) qui symbolisent les « appetits inferieurs » du personnage.3. Nom authentique d'un roi de Pologne dont la flle (Marie) epousa Louis XV.4. Deformation d'oreilles. Le mot appartient au vocabulaire ubuesque comme merdre.5. Phynance est une invention orthographique que Jarry justife en rapprochant le mot de physique.6. Ji : je.

Texte B : Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, acte II, scènes 3 et 4, 1943

[L'histoire se passe dans la ville d'Argos. Egisthe, après avoir assassiné Agamemnon, et épousé Clytemnestre safemme, a instauré un régime de terreur. Oreste, fls de la reine, revient quinze ans plus tard, suivi par Jupiter. Electre,sa sœur, traitée en esclave, incite le peuple à la révolte. Egisthe la chasse. Elle se cache avec Oreste dans le palais.]

SCÈNE IIIEGISTHE, CLYTEMNESTRE, ORESTE et ELECTRE (caches)

EGISTHE. [... ] — Je regrette d'avoir du punir Électre.

CLYTEMNESTRE. — Est-ce parce qu'elle est nee de moi ? II vous a plu de le faire, et je trouvebon tout ce que vous faites.

EGISTHE. — Femme, ce n'est pas pour toi que je le regrette.

CLYTEMNESTRE. — Alors pourquoi ? Vous n'aimiez pas Électre.

EGISTHE. — Je suis las. Voici quinze ans que je tiens en l'air, à bout de bras, le remords de toutun peuple. Voici quinze ans que je m'habille comme un epouvantail : tous ces vêtements noirs ontfni par deteindre sur mon âme.

CLYTEMNESTRE. — Mais, Seigneur, moi-même...

EGISTHE. — Je sais, femme, je sais : tu vas me parler de tes remords. Eh bien, je te les envie, ils temeublent la vie. Moi, je n'en n'ai pas, mais personne d'Argos n'est aussi triste que moi.

CLYTEMNESTRE. — Mon cher seigneur...

Elle s'approche de lui.

EGISTHE. — Laisse-moi, catin ! n'as-tu pas honte, sous ses yeux ?

CLYTEMNESTRE. — Sous ses yeux ? Qui donc nous voit ?

EGISTHE. — Eh bien, le roi. On a lâche les morts, ce matin.

CLYTEMNESTRE. — Seigneur, je vous en supplie... Les morts sont sous terre et ne nous gênerontpas de sitôt. Est-ce que vous avez oublie que vous-même inventâtes ces fables pour le peuple ?

EGISTHE. — Tu as raison, femme. Eh bien, tu vois comme je suis las ? Laisse-moi, je veux merecueillir.Clytemnestre sort.

SCÈNE IVEGISTHE, ORESTE et ELECTRE (caches)

EGISTHE. — Est-ce là, Jupiter, le roi dont tu avais besoin pour Argos ? Je vais, je viens, je sais crierd'une voix forte, je promene partout ma grande apparence terrible, et ceux qui m'aperçoivent se

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sentent coupables jusqu'aux moelles. Mais je suis une coque vide : une bête m'a mange le dedanssans que je m'en aperçoive. A present je regarde en moi-même, et je vois que je suis plus mortqu'Agamemnon. Ai-je dit que j'etais triste ? J'ai menti. Il n'est ni triste ni gai, le desert, l'innombrableneant des sables sous le neant lucide du ciel : il est sinistre. Ah ! je donnerais mon royaume pourverser une larme !

Entre Jupiter.

Texte C : Albert CAMUS, Caligula, acte II, scène 5, 1944.

[Depuis la mort de sa sœur Drusilla, Caligula, jeune empereur romain, prend conscience de l'absurdité du monde. IIdécide d'exercer un pouvoir absolu, tyrannique et cruel sur son royaume.]

ACTE II SCÈNE 5

Il mange, les autres aussi. Il devient évident que Caligula se tient mal à table. Rien ne le force à jeter ses noyauxd'olives dans l'assiette de ses voisins immédiats, à cracher ses déchets de viande sur le plat, comme à se curer les dentsavec les ongles et à se gratter la tête frénétiquement. C'est pourtant autant d'exploits que, pendant le repas, il exécuteraavec simplicité. Mais il s'arrête brusquement de manger et fxe avec insistance Lepidus l'un des convives.Brutalement.CALIGULA. — Tu as l'air de mauvaise humeur. Serait-ce parce que j'ai fait mourir ton fls ?

LEPIDUS, la gorge serrée. — Mais non, Caïus, au contraire.

CALIGULA, épanoui. — Au contraire ! Ah ! que j'aime que le visage demente les soucis du cœur.Ton visage est triste. Mais ton cœur ? Au contraire n'est-ce pas, Lepidus ?

LEPIDUS, résolument. Au contraire, Cesar.

CALIGULA, de plus en plus heureux. — Ah ! Lepidus, personne ne m'est plus cher que toi. Rionsensemble, veux-tu ? Et dis-moi quelque bonne histoire.

LEPIDUS, qui a présumé de ses forces. — Caïus !

CALIGULA. — Bon, bon. Je raconterai, alors. Mais tu riras, n'est-ce pas, Lepidus ? (L'œil mauvais.)Ne serait-ce que pour ton second fls. (De nouveau rieur.) D'ailleurs tu n'es pas de mauvaise humeur.(II boit, puis dictant.) Au..., au... Allons, Lepidus.

LEPIDUS, avec lassitude. — Au contraire, Caïus.

CALIGULA. — A la bonne heure! (Il boit.) Écoute, maintenant. (Rêveur.) Il etait une fois un pauvreempereur que personne n'aimait. Lui, qui aimait Lepidus, ft tuer son plus jeune fls pour s'enlevercet amour du cœur. (Changeant de ton.) Naturellement, ce n'est pas vrai. Drôle, n'est-ce pas ? Tu ne rispas. Personne ne rit ? Ecoutez alors. (Avec une violente colère.) Je veux que tout le monde rie. Toi,Lepidus, et tous les autres. Levez-vous, riez. (Il frappe sur la table.) Je veux, vous entendez, je veuxvous voir rire.

Tout le monde se lève. Pendant toute cette scène, les acteurs, sauf Caligula et Caesonia, pourront jouer comme desmarionnettes.Se renversant sur son lit, épanoui, pris d'un rire irrésistible.

Non, mais regarde-les, Caesonia. Rien ne va plus. Honnêtete, respectabilite, qu'en dira-t-on, sagessedes nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur. La peur, hein, Caesonia, cebeau sentiment, sans alliage, pur et desinteresse, un des rares qui tire sa noblesse du ventre. (Il passela main sur son front et boit. Sur un ton amical.) Parlons d'autre chose, maintenant. Voyons. Cherea, tu esbien silencieux.

CHEREA. — Je suis prêt à parler, Caïus. Des que tu le permettras.

CALIGULA. — Parfait. Alors tais-toi. J'aimerais bien entendre notre ami Mucius.

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MUCIUS, à contrecœur. — A tes ordres, Caïus.

Texte D : Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

[Bérenger 1er ne veut pas comprendre le destin inexorable que son médecin et sa première femme lui ont annoncé : il vamourir. La seconde épouse du Roi, Marie, est présente.]

LE ROI. — Viens vers moi.

MARIE. — Je voudrais bien. Je vais le faire. Je vais le faire. Mes bras retombent.

LE ROI. — Alors, danse. (Marie ne bouge pas.) Danse. Alors, au moins, tourne-toi, va vers la fenêtre,ouvre-la et referme.

MARIE. — Je ne peux pas.

LE ROI. — Tu as sans doute un torticolis, tu as certainement un torticolis. Avance vers moi.

MARIE. — Oui, Sire.

LE ROI. — Avance vers moi en souriant.

MARIE. — Oui, Sire.

LE ROI. — Fais-le donc !

MARIE. — Je ne sais plus comment faire pour marcher. J'ai oublie subitement.

MARGUERITE, à Marie. — Fais quelques pas vers lui.

Marie avance un peu en direction du Roi.

LE ROI. — Vous voyez, elle avance.

MARGUERITE. — C'est moi qu'elle a ecoutee. (A Marie.) Arrête. Arrête-toi.

MARIE. — Pardonne-moi, Majeste, ce n'est pas ma faute.

MARGUERITE, au Roi. — Te faut-il d'autres preuves ?

LE ROI. — J'ordonne que les arbres poussent du plancher. (Pause.) J'ordonne que le toit disparaisse.(Pause.) Quoi ? Rien ? J'ordonne qu'il y ait la pluie. (Pause, toujours rien ne se passe.) J'ordonne qu'il y aitla foudre et que je la tienne dans ma main. (Pause.) J'ordonne que les feuilles repoussent (ll va à lafenêtre.) Quoi ! Rien ! J'ordonne que Juliette entre par la grande porte. (Juliette entre par la petite porte aufond à droite.) Pas par celle-là, par celle-ci. Sors par cette porte. (Il montre la grande porte. Elle sort par lapetite porte, à droite, en face. A Juliette.) J'ordonne que tu restes. (Juliette sort.) J'ordonne qu'on entende lesclairons. J'ordonne que les cloches sonnent. J'ordonne que cent vingt et uns coups de canon sefassent entendre en mon honneur. (Il prête l'oreille.) Rien ! ... Ah si ! J'entends quelque chose.

LE MÉDECIN. — Ce n'est que le bourdonnement de vos oreilles, Majeste.

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La préface de l'auteur

L'auteur aurait pu situer le sujet de cette pièce dans l'Antiquité romaine, l'Espagne dePhilippe II, la France de l'Occupation, etc. Il a d'ailleurs longtemps hésité. Ce qui a décidé sonchoix pour l'époque de l'Indépendance sud-américaine, c'est simplement que certains travaux surl'histoire des jeunes républiques latines, menés parallèlement, le tenaient déjà, comme on dit, dansl'atmosphère.

On ne doit pas, pour autant, considérer tous les faits groupés autour du sujet essentiel comme rigoureusement conformes à la vérité historique. L'auteur s'est moins soucié de respecter cette vérité historique que de rendre perceptible ce que son thème a d'universel.Ce qui demeure cependant authentique, c'est la sauvagerie de la répression espagnole. Mentionnons, par exemple, que le vrai Moralès se plaisait à faire écarteler ses prisonniers ; qu'Antonanzas se réservait le plaisir d'éventrer les femmes enceintes et envoyait à ses amis des caisses remplies de mains coupées ; que le véritable Zuazola jouait à crever les yeux de ses ennemis à coups de lancette et que le moine Eusebio de Coronil préconisait que l'on exterminât tous les Vénézueliens âgés de plus de sept ans.

« Les bourreaux de métier ne sufsaient plus, écrit M. Michel Vaucaire, historien de Bolivar. Il se commettait de telles atrocités que des Espagnols de l'entourage de Monteverde en furent eux-mêmes écœurés. Mais on punissait des rebelles et il fallait dégouter à jamais un peuple de la révolution. »

Comme cette cruauté, ces massacres ne sont pas spécifquement de l'époque bolivarienne, que depuis des siècles et sur toute la surface du monde la même douleur a fait hurler des hommes — sur les croix où agonisaient les derniers compagnons de Spartacus, sur les chevalets des Inquisiteurs du siècle noir ou dans les modernes ofcines à torturer — , on a compris que l'auteur n'a voulu emprunter à l'Histoire qu'un prétexte, un décor, une couleur...

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Note d’intention de Jean-Paul Smadja, metteur en scene

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L'art contre l'exécution

Le Trois mai (1814) de Francisco Goya

L'Exécution de Maximilien (1867) d'Edouard Manet

Massacre en Corée (1951) de Pablo PicassoL'Exécution (1995) de Yu Minjun

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Ecriture poétique et quête du sens,du Moyen Âge à nos jours

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire

Textes : - texte 9 : « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24) ; - texte 10 : « Le Pont Mirabeau» ;- texte 11 : « La Loreley » ; - texte 12 : « Nuit rhénane ».

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Lecture analytique n° 9 : « Zone », vers 1 à 24

Zone

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À la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô ChristianismeL'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD'entrer dans une église et de t'y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policièresPortraits des grands hommes et mille titres divers J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirène y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ'aime la grâce de cette rue industrielleSituée à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes

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Lecture analytique n° 10 : « Le Pont Mirabeau »

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Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienneLa joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passeDes éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lenteEt comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennentSous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

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Lecture analytique n° 11 : « La Loreley » à Jean sève

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À Bacharach il y avait une sorcière blondeQui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreriesJetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus làMon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lancesMenez jusqu'au couvent cette femme en démence

Vat-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblantTu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatreLa Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si hautPour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulésLes chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelleEt mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vientElle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Lecture analytique n° 12 : « Nuit rhénane »

Nuit rhénane

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flammeÉcoutez la chanson lente d'un batelierQui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une rondeQue je n'entende plus le chant du batelierEt mettez près de moi toutes les filles blondesAu regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirentTout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléterLa voix chante toujours à en râle-mourirCes fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

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Documents complémentaires• Groupement de textes 1 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda : Arthur Rimbaud, « Le Buffet »,

Poésies, 1870 ; Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... » , Romances sans paroles,1874 ; Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961 ; Jacques Reda, « La Bicyclette », Retour auCalme, 1989.

• ▪ Groupement de textes 2 : deux conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Reponse à un acte d'accusation »

– lectures d'images :

• Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914

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Groupement de textes 1 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda

Textes : - texte 1 : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870 ;- texte 2 : Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... » , Romances sans paroles, 1874 ;- texte 3 : Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961 ;- texte 4 : Jacques Reda. « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

Texte 1 : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870.

Le Buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;Le buffet est ouvert, et verse dans son ombreComme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,De linges odorants et jaunes, de chiffonsDe femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,De fichus1 de grand-mère où sont peints des griffons ;

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèchesDe cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèchesDont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis2

Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

1. Fichus : foulards2. Bruire : produire un son confus.

Texte 2 : Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... », Romances sans paroles, 1874.

Son joyeux, importun, d'un clavecin sonore. (Pétrus Borel).

Le piano que baise une main frêleLuit dans le soir rose et gris vaguement,Tandis qu'avec un très léger bruit d'aileUn air bien vieux, bien faible et bien charmantRôde discret, épeuré1 quasiment,Par le boudoir2 longtemps parfumé d'Elle.

Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudainQui lentement dorlote mon pauvre être ?Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin3 ?Qu'as-tu voulu, fin refrain incertainQui vas tantôt mourir vers la fenêtreOuverte un peu sur le petit jardin ?

1. Apeuré.2. Petite pièce dans laquelle la maîtresse de maison se retire pour être seule ou s'entretenir avec des intimes.3. Léger, gai.

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Texte 3 : Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961.

La Valise

Ma valise m'accompagne au massif de la Vanoise, et déjà ses nickels1 brillent et son cuirépais embaume. Je l'empaume2, je lui flatte le dos, l'encolure et le plat. Car ce coffre commeun livre plein d'un trésor de plis blancs : ma vêture3 singulière, ma lecture familière et monplus simple attirail, oui, ce coffre comme un livre est aussi comme un cheval, fidèle contremes jambes, que je selle, je harnache, pose sur un petit banc, selle et bride, bride et sangle oudessangle dans la chambre de l'hôtel proverbial.

Oui, au voyageur moderne sa valise en somme reste comme un reste de cheval.

1. Ferrures en métal blanc argenté.2. Prendre dans la paume de la main.3. Habit, vêtement.

Texte 4 : Jacques Réda, « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,On voit un torrent de soleil qui roule entre des branchesEt se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin,Avec des éclats palpitants au milieu du pavageEt des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bêteEn éveil dans sa fixité calme : c’est un oiseau.La rue est vide. Le jardin continue en silenceDe déverser à flots ce feu vert et doré qui dansePieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau.Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs.La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave,On devine qu’avant d’avoir effleuré le guidonÉblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bondÀ travers le vitrage à demi noyé qui chancelle,Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincellesQui font à présent de ses roues deux astres en fusion.

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Groupement de textes 2 : deux conceptions de la poésie

Textes :- texte 1 : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ;- texte 2 : Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Reponse à un acte d'accusation » ;

Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu'en vos ecrits la langue reveree Dans vos plus grands exces vous soit toujours sacree. En vain vous me frappez d'un son melodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoule l'orgueilleux solecisme27. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un mechant ecrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arene Dans un pre plein de feurs lentement se promene, Qu'un torrent deborde qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le metier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semes de temps en temps petillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le debut, la fn repondent au milieu ; Que d'un art delicat les pieces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'ecartant N'aille chercher trop loin quelque mot eclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un severe critique.

Texte B - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

Les mots, bien ou mal nes, vivaient parques en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phedres, les Jocastes, Les Meropes28, ayant le decorum pour loi, Et montant à Versaille29 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires30, Habitant les patois ; quelques-uns aux galeres

27 Barbarisme, solécisme : incorrections.28 Personnages de tragédies.29 L'absence de la lettre "s" est volontaire.30 Inquiétants.

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Dans l'argot ; devoues à tous les genres bas, Dechires en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; crees pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre eparse ; Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas31 leur chef Dans le bagne Lexique avait marques d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familiere, Vils, degrades, fetris, bourgeois, bons pour Moliere. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'ecriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derriere ? Et sur l'Academie, aïeule et douairiere32, Cachant sous ses jupons les tropes19 effares, Et sur les bataillons d'alexandrins carres, Je fs souffer un vent revolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot senateur ! plus de mot roturier ! Je fs une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres debordees, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idees ; Et je dis : Pas de mot où l'idee au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote33, Fremirent ; je montai sur la borne Aristote34, Et declarai les mots egaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces35, N'etaient que des toutous aupres de mes audaces; Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

31 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.32 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.33 Figures de style.34 Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.35 Peuples considérés ici comme barbares.

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Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de GuillaumeApollinaire, 1914

Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire Giorgio de Chirico, 1914huile sur toile 81,5 x 65 M. N. A. M. , Paris

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La question de l'hommedans les genres de l'argumentation

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : Candide (1759) de Voltaire

Textes : - texte 9 : l'incipit, jusqu'à «... il fallait dire que tout est au mieux. » (chapitre 1) ; - texte 10 : la guerre entre les Abares et les Bulgares (chapitre 3) ;- texte 11 : l'autodafé (chapitre 6) ; - texte 12 : le nègre de Surinam (chapitre 19).

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Lecture analytique n° 13 : l'incipit de Candide

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Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeunegarçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme.Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, pour cette raison qu'on lenommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était fls de la soeurde monsieur le baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle nevoulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le restede son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps.

Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son châteauavait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiensde ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; levicaire du village était son grand aumônier. Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand ilfaisait des contes.

Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait par là une trèsgrande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encoreplus respectable. Sa flle Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse,appétissante. Le fls du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss étaitl'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et deson caractère.

Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablementqu'il n'y a point d'efet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château demonseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnespossibles.

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pourune fn, tout est nécessairement pour la meilleure fn. Remarquez bien que les nez ont été faits pourporter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour êtrechaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour enfaire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la provincedoit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toutel'année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire quetout est au mieux. »

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Lecture analytique n° 14 : la guerre entre les Abares et les Bulgares

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COMMENT CANDIDE SE SAUVA D'ENTRE LES BULGARES, ET CE QU'ILDEVINT

Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Lestrompettes, les ffres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'yen eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaquecôté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui eninfectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison sufsante de la mort de quelques milliersd'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblaitcomme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.

Enfn, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, ilprit le parti d'aller raisonner ailleurs des efets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts etde mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que lesBulgares avaient brulé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaientmourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des flleséventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ;d'autres, à demi brulées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaientrépandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des hérosabares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou àtravers des ruines, arriva enfn hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisionsdans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent quand il futen Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là, et qu'on y étaitchrétien, il ne douta pas qu'on ne le traitât aussi bien qu'il l'avait été dans le château de monsieur lebaron avant qu'il en eut été chassé pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde.

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Lecture analytique n° 15 : l'autodafé

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CHAPITRE SIXIÈME --------------------------------

COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FÉ POUR EMPÊCHER LESTREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT CANDIDE FUT FESSÉ

Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sagesdu pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efcace pour prévenir une ruine totale que de donnerau peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelquespersonnes brulées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terrede trembler.

On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, etdeux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner ledocteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec unair d'approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrêmefraîcheur, dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deuxrevêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito deCandide étaient peints de fammes renversées et de diables qui n'avaient ni queues ni grifes ; maisles diables de Pangloss portaient grifes et queues, et les fammes étaient droites. Ils marchèrent enprocession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait ; le Biscayen et les deux hommesqui n'avaient point voulu manger de lard furent brulés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soitpas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.

Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même: « Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n'étaisque fessé, je l'ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes,faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur deshommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des flles, faut-ilqu'on vous ait fendu le ventre ! »

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Lecture analytique n° 16 : le negre de Surinam

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En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que lamoitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme lajambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, monami, dans l’état horrible où je te vois ? - J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameuxnégociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? - Oui,monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deuxfois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nouscoupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans lesdeux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère mevendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : » Mon cher enfant, bénis nosfétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nosseigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. » Hélas ! je ne sais pas sij’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sontmille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous lesdimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ;mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerezqu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible.

– Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudraqu’à la fn je renonce à ton optimisme. - Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. - Hélas ! ditCa ndide , c ’ es t la rag e de s out eni r qu e t out e s t b ie n qu and on e st mal ».

Et il versait des larmes en regardant son nègre ; et en pleurant, il entra dans Surinam.

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La question de l'hommedans les genres de l'argumentation

Documents complémentaires

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua,chapitre 57, 1534 ; Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

• Groupement de textes : les combats des Lumières : Cesar Chesneau Dumarsais - Article« philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est-ce que leslumières ? , 1784.

• Lecture cursive au choix : Lettres persanes (1721) de Montesquieu ou Le Dernier jour d’uncondamné (1829) de Victor Hugo

– lectures d'images :

• Deux planches de l'adaptation en bande-dessinee de Delpâture, Dufranne, Radovanovic (2013).• Extrait du film de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut

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Groupement de textes : utopies

Thomas More, L’Utopie (Livre II) 1516, extrait, traduction M. Delcourt, éd. Gf Flammarion, 1987 La ville est reliée à la rive opposée par un pont qui n'est pas soutenu par des piliers ou

des pilotis, mais par un ouvrage en pierre d'une fort belle courbe. Il se trouve dans la partie de la villequi est la plus éloignée de la mer, afn de ne pas gêner les vaisseaux qui longent les rives. Une autre rivière, peu importante mais paisible et agréable à voir, a ses sources sur la hauteur même où est située Amaurote, la traverse en épousant la pente et mêle ses eaux, au milieu de la ville, à celles de l'Anydre. Cette source, qui est quelque peu en dehors de la cité, les gens d'Amaurote l'ont entourée de remparts et incorporée à la forteresse, afn qu'en cas d'invasion elle ne puisse être ni coupée ni empoisonnée. De là, des canaux en terre cuite amènent ses eaux dans les diférentes parties de la villebasse. Partout où le terrain les empêche d'arriver, de vastes citernes recueillent l'eau de pluie et rendent le même service.

Un rempart haut et large ferme l'enceinte, coupé de tourelles et de boulevards ; un fossé sec mais profond et large, rendu impraticable par une ceinture de buissons épineux, entoure l'ouvrage de trois côtés ; le feuve occupe le quatrième.

Les rues ont été bien dessinées, à la fois pour servir le trafc et pour faire obstacle aux vents. Les constructions ont bonne apparence. Elles forment deux rangs continus, constitués par lesfaçades qui se font vis-à-vis, bordant une chaussée de vingt pieds de large. Derrière les maisons, sur toute la longueur de la rue, se trouve un vaste jardin, borné de tous côtés par les façades postérieures.

Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur le jardin. Elles s'ouvrent d'une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. Il n'est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en efet changent d'habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des feurs d'un tel éclat, d'une telle beauté que nulle part ailleurs je n'ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zèle est stimulé par le plaisir qu'ils en retirent et aussi par l'émulation, les diférents quartiers luttant à l'envi à qui aura le jardin le mieux soigné. Vraiment, on concevrait difcilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du proft et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n'a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins.

François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534

Comment était réglé le mode de vie des Thélémites

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leurvolonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient,travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boireni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlementse limitait à cette clause :

FAIS CE QUE TU VOUDRAS,

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parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ontnaturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agirvertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont afaiblis et asservis par une vile sujétion ou unecontrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour sedéfaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui estdéfendu et convoitons ce qu'on nous refuse.

Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d'eforts pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à unseul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait : « jouons », tousjouaient ; si on disait : « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour chasser auvol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fer palefroi, portaient chacunesur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon, les hommes portaient les autresoiseaux.

Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ni aucune d'entre eux qui ne sache lire,écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pourcomposer en vers aussi bien qu'en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habilesà pied comme à cheval, aussi vigoureux, aussi vifs et maniant aussi bien toutes les armes, que ceuxqui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames aussi élégantes, aussi mignonnes, moinsdésagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l'aiguille et à s'adonner à toute activité convenant àune femme noble et libre, que celles qui étaient là.

Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l'abbaye d'ensortir, soit à la demande de ses parents, soit pour d'autres motifs, il emmenait avec lui une desdames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s'ils avaient bienvécu à Thélème dans le dévouement et l'amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans lemariage ; leur amour mutuel était aussi fort à la fn de leurs jours qu'aux premiers temps de leursnoces.

Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

Tous les animaux étaient maintenant au rendez-vous - sauf Moïse, un corbeau apprivoisé qui sommeillait sur un perchoir, près de la porte de derrière - et les voyant à l’aise et bien attentifs, Sage l’Ancien se racla la gorge puis commença en ces termes :

« (...)Quelle est donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons les choses en face nous avons une vie de labeur, une vie de misère, une vie trop brève. Une fois au monde, il nous est tout juste donné de quoi survivre, et ceux d’entre nous qui ont la force voulue sont astreints au travail jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme. Et dans l’instant que nous cessons d’être utiles, voici qu’on nous égorge avec une cruauté inqualifable. Passée notre première année sur cette terre, il n’y a pas un seul animal qui entrevoie ce que signifent des mots comme loisir ou bonheur. Et quand le malheur l’accable, ou la servitude, pas un animal qui soit libre. Telle est la simple vérité.

« Et doit-il en être tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est-il donc si pauvre qu’il ne puisse procurer à ceux qui l’habitent une vie digne et décente ? Non, camarades, mille fois non ! Fertile est le sol de l’Angleterre et propice son climat. Il est possible de nourrir dans l’abondance un nombre d’animaux bien plus considérable que ceux qui vivent ici. Cette ferme à elle seule pourra pourvoir aux besoins d’une douzaine de chevaux, d’une vingtaine de vaches, de centainede moutons - tous vivant dans l’aisance une vie honorable. Le hic, c’est que nous avons le plus grand mal à imaginer chose pareille. Mais, puisque telle est la triste réalité, pourquoi en sommes-nous toujours à végéter dans un état pitoyable ? Parce que tout le produit de notre travail, ou presque, est volé par les humains ; Camarades, là se trouve la réponse à nos problèmes. Tout tient en un mot :

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l’Homme Car l’Homme est notre seul véritable ennemi Qu’on le supprime, et voici extirpée la racine du mal. Plus à trimer sans relâche ! Plus de meurt-la-faim !

« L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il ne pond pas d’œufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin. Pourtant le voici le suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches : entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui le surplus. Qui laboure le sol : Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n’ait que sa peau pour tout bien. Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de lait n’avez-vous pas produit l’année dernière ? Et qu’est-il advenu de ce lait qui vous aurait permis d’élever vos petits, de leur donner force et vigueur ? De chaque goutte l’ennemi s’est délecté et rassasié. Et vous les poules, combien d’œufs n’avez-vous pas pondus cette année-ci ? Et combien de ces œufs avez-vous couvés ? Tous les autres ont été vendus au marché, pour enrichir Jones et ses gens ! Et toi, Douce, où sont les quatre poulains que tu as portés, qui auraient été la consolation de tes vieux jours ? Chacun d’eux fut vendu à l’âge d’un an, et plus jamais tu ne les reverras ! En échangede tes quatre maternités et du travail aux champs, que t’a-t-on donné ? De strictes rations de foin plus un box dans l’étable ! »

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Groupement de textes : les combats des Lumières

César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772)

Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les fontmouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'ilest en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance: c'est une horloge qui semonte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer dessentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuventexciter en lui des afections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophece que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir; la raison détermine lephilosophe.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils fontsoient précédées de la réfexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres; au lieu que lephilosophe, dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réfexion; il marche la nuit, mais il estp r é c é d é d ' u n f a m b e a u .

La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, etqu'il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne laconfond point avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pourdouteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus, etc'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il saitdemeurer indéterminé […]

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte toutà ses véritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loinson attention et ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer oudans le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaireet dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent à vivre en société.Ainsi la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualitéssociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en paysennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui ofre; il veut trouver du plaisir avecles autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ouson choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme quiveut plaire et se rendre utile […]

Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint àun esprit de réfexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez un souverain sur unphilosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784.

Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. Laminorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seulqu’est imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais dumanque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelled’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc ladevise des Lumières.

La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes afranchisdepuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie

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durant des mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Ilest si commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituelqui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pasbesoin de faire des eforts moi-même. Je ne suis point obligé de réféchir, si payer suft ; et d’autres sechargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]

Il est donc difcile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cetteminorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellementincapable de se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes etformules, ces instruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage deses dons naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.

Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossémême plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peunombreux ceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minoritétout en ayant cependant une démarche assurée.

Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, siseulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujoursquelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs ofciels du plus grandnombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimationraisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […]

Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inofensive detoutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

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Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée de Delpâture,Dufranne, Radovanovic (2013)

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Photogramme du flm de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut