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DIRECTION GENERALE DES POLITIQUES INTERNES
DEPARTEMENT THEMATIQUE C: DROITS DES CITOYENS ET
AFFAIRES CONSTITUTIONNELLES
LIBERTES CIVILES, JUSTICE ET AFFAIRES INTERIEURES
IMPACT DE LA JURISPRUDENCE
DE LA CEJ ET DE LA CEDH
EN MATIERE DâASILE ET DâIMMIGRATION
ETUDE
RĂ©sumĂ© La mesure de lâimpact des jurisprudences de la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme et de la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne permet dâĂ©tablir des constats significatifs. La Cour de Strasbourg devrait continuer Ă occuper une place dĂ©terminante dans le contentieux de lâasile et de lâimmigration. AxĂ©e sur la protection des droits fondamentaux, sa jurisprudence foisonnante a façonnĂ© le droit europĂ©en de lâasile et de lâimmigration. A lâopposĂ©, la jurisprudence de la Cour de Luxembourg contraste par son faible volume, indĂ©pendamment des progrĂšs de la protection juridictionnelle rĂ©alisĂ©s par le TraitĂ© de Lisbonne. La qualitĂ© des quelques dĂ©cisions rendues tĂ©moigne nĂ©anmoins du potentiel remarquable du juge de Luxembourg Ă interprĂ©ter le droit europĂ©en et encadrer lâaction des Etats membres. LâadhĂ©sion programmĂ©e de lâUnion Ă la Convention des droits de lâhomme, aussi satisfaisante quâelle soit pour les juristes Ă©pris dâesprit de systĂšme, ouvre des perspectives. Cet ensemble reste cependant dĂ©connectĂ© des rĂ©alitĂ©s. La faiblesse quantitative du contentieux de lâUnion est difficilement comprĂ©hensible au vu de la rĂ©alitĂ© quotidienne. Certes, lâobservation manque encore du recul nĂ©cessaire pour juger. Cependant, les carences du systĂšme sont perceptibles. Ainsi, il reste difficilement acceptable que la crise du systĂšme de « Dublin » ait dĂ» attendre la fin de lâannĂ©e 2011 pour ĂȘtre traitĂ©e Ă Luxembourg, et ce encore aprĂšs que la Cour europĂ©enne ait dĂ©gagĂ© le terrain. De mĂȘme, le faible nombre des renvois Ă titre prĂ©judiciel surprend, au vu de la complexitĂ© du droit europĂ©en. Tout se passe comme si le juge national nâĂ©prouvait pour ainsi dire pas le besoin de recourir au juge de lâUnion, ignorant lâorigine des normes quâil applique. Enfin, la Commission semble rĂ©duire son rĂŽle de gardienne des traitĂ©s au simple respect des dĂ©lais de transposition indĂ©pendamment de la qualitĂ© des normes nationales et de leur application effective en pratique. Aussi, câest devant la Cour de Strasbourg que la protection des droits de lâhomme paraĂźt aujourdâhui la plus efficace. Ce constat est doublement paradoxal, Ă lâheure oĂč le rĂŽle de cette Cour est remis en question par la crise de la subsidiaritĂ© juridictionnelle et oĂč lâUnion sâengage dans une dĂ©marche affirmĂ©e en matiĂšre de protection des droits fondamentaux. Le contentieux de lâasile et de lâimmigration est rĂ©vĂ©lateur de ces contradictions.
PE 462.438 FR
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Cette note a été demandée par la Commission des libertés civiles, de la justice et des Affaires intérieures du Parlement européen (LIBE).
AUTEURS M. Henri Labayle, Professeur Ă lâuniversitĂ© de Pau et des pays de lâAdour, FacultĂ© de droit de Bayonne, Membre du RĂ©seau acadĂ©mique « Odysseus » dâĂ©tudes juridiques sur lâimmigration et lâasile en Europe pour la France.
M. Philippe De Bruycker, Professeur Ă lâInstitut dâEtudes EuropĂ©ennes et Ă la FacultĂ© de Droit de lâUniversitĂ© Libre de Bruxelles, Coordonnateur du RĂ©seau acadĂ©mique « Odysseus » dâĂ©tudes juridiques sur lâimmigration et lâasile en Europe.
ADMINISTRATEUR RESPONSABLE Jean-Louis Antoine-Grégoire Département thématique : Droits des citoyens et affaires constitutionnelles Parlement européen B-1047 Bruxelles E-mail: [email protected]
VERSION LINGUISTIQUE Originale: FR
A PROPOS DE L'EDITEUR Pour contacter le Département thématique ou souscrire à sa lettre d'information mensuelle voir à l'adresse suivante : [email protected].
Manuscrit achevé en avril 2012. Bruxelles, © Parlement européen, 2012.
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AVERTISSEMENT Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflÚtent pas nécessairement la position officielle du Parlement européen.
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
TABLE DES MATIERES
RESUME 6
CHAPITRE 1 : LE BILAN JURISPRUDENTIEL 14
1. Le bilan de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
lâHomme 14
1.1. Le contentieux de lâasile et de lâimmigration 14
1.2. Les mesures provisoires 17
2. Le bilan de la jurisprudence de la Cour de justice 24
2.1. Les recours en constatation de manquement 24
2.2. Les renvois à titre préjudiciel 25
CHAPITRE 2 : ANALYSE TECHNIQUE 27
1. La dynamique de lâinterprĂ©tation par la CEDH 27
2. La plénitude du contrÎle juridictionnel par la CJUE 29
CHAPITRE 3 : LâAPPORT MATERIEL DE LA JURISPRUDENCE EUROPEENNE
AU DROIT EUROPEEN DE LâASILE ET DE LâIMMIGRATION 31
1. LâaccĂšs au territoire 31
1.1. La protection du droit dâasile 31
1.1.1. La protection du droit dâasile par la CEDH 32
1.1.2. La protection du droit dâasile par la CJUE 37
1.2. Le droit au regroupement familial 40
1.2.1. Le regroupement familial et la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme 40
1.2.2. Le regroupement familial et la Cour de justice 42
2. LâĂ©loignement du territoire 43
2.1. Les garanties de fond 44
2.1.1. Le droit Ă la vie 44
2.1.2. Lâinterdiction de la torture et des traitement inhumains ou dĂ©gradants 45
2.1.3. Le droit Ă lâunitĂ© de la vie familiale 53
2.1.4. Le droit Ă un procĂšs Ă©quitable 58
2.2. Les garanties procédurales 58
2.2.1. Le droit à la liberté 58
2.2.2. Les garanties procĂ©durales en matiĂšre dâĂ©loignement 62
2.2.3. Le droit au recours effectif 63
2.2.4. Lâinterdiction des expulsions collectives 66
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Département thématique C : Droits des Citoyens et Affaires Constitutionnelles
CHAPITRE 4 : LâIMPACT DE LA JURISPRUDENCE SUR LE DROIT EUROPEEN DE LâASILE ET DE LâIMMIGRATION
1. Les enjeux de la jurisprudence pour le systĂšme institutionnel de
lâUnion 68
1.1. Le contrĂŽle du systĂšme lĂ©gislatif de lâUnion 68
1.2. LâamĂ©lioration du contrĂŽle juridictionnel dans le cadre du traitĂ© de
Lisbonne 69
1.2.1. La gĂ©nĂ©ralisation du contrĂŽle juridictionnel dans lâUnion 69
1.2.2. Les nécessités de la protection juridictionnelle des particuliers 71
1.3. Le dialogue des juges et la mise en perspective des jurisprudences des
Cours suprĂȘmes 74
1.3.1. Le dialogue entre le juge national et les juridictions européennes 74
1.3.2. Le dialogue entre les juridictions europĂ©ennes suprĂȘmes 76
2. Les conséquences immédiates de la jurisprudence de la Cour de justice
78
2.1. LâinterprĂ©tation par le juge europĂ©en 79
2.1.1. La neutralisation des dĂ©rogations relatives Ă lâintĂ©gration en matiĂšre de regroupement familial 79
2.1.2. La clarification de la notion de protection subsidiaire 80
2.1.3. Les exigences du recours effectif en matiĂšre dâasile 83
2.1.4. Le renouveau de la Convention de GenĂšve au travers dâune interprĂ©tation europĂ©enne de son texte 83
2.2. Lâencadrement par le juge europĂ©en 87
2.2.1. La mise sous contrĂŽle des conditions en matiĂšre de regroupement familial 87
2.2.2. La limitation relative de la compétence pénale des Etats membres en matiÚre de
séjour irrégulier 90
2.2.3. La restriction des contrĂŽles intĂ©rieurs dans lâespace Schengen 92
2.3. La remise en question par le juge europĂ©en : le refus de lâutilisation
automatique du systĂšme « Dublin » entre Etats membres de lâUnion europĂ©enne 92
3. Les conséquences potentielles de la jurisprudence européenne sur le
droit europĂ©en de lâasile et de lâimmigration 94
3.1. La montée en puissance de la protection des droits fondamentaux 95
3.2. La valeur ajoutĂ©e et lâautonomie de la Charte des droits fondamentaux 96
3.3. Lâarticulation du droit de lâUnion avec les normes internationales 98
3.3.1. La protection juridictionnelle de la Convention de GenĂšve 98
3.3.2. Les perspectives de lâadhĂ©sion Ă la CEDH 99
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
CHAPITRE 5 : EN GUISE DE CONCLUSION 101
LISTE DES PRINCIPAUX ARRĂTS DE LA CEDH 104
LISTE DES PRINCIPAUX ARRĂTS DE LA CJUE 105
REFERENCES 107
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Département thématique C : Droits des Citoyens et Affaires Constitutionnelles
RESUME
LE BILAN JURISPRUDENTIEL
Dâun point de vue quantitatif, le bilan de leur activitĂ© oppose clairement les deux cours. La jurisprudence en matiĂšre dâimmigration et dâasile occupe une place importante dans lâactivitĂ© de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme, en particulier pour ce qui est du contentieux des mesures provisoires qui a vĂ©ritablement explosĂ© depuis 2006. Par contraste, le bilan de la Cour de justice est particuliĂšrement modeste : celle-ci nâa jusquâici rendu quâune vingtaine dâarrĂȘts en constatation de manquement et 15 sur questions prĂ©judicielles depuis la fin des annĂ©es 2000. Si diffĂ©rents Ă©lĂ©ments dâordre institutionnel peuvent expliquer en grande partie ce maigre bilan, on peut cependant sâinterroger tant sur la stratĂ©gie de la Commission en matiĂšre de recours en constatation de manquement que sur lâefficacitĂ© du mĂ©canisme des questions prĂ©judicielles.
ANALYSE TECHNIQUE
La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme a jouĂ© un rĂŽle prĂ©curseur depuis le milieu des annĂ©es 1980 en dĂ©veloppant une jurisprudence prĂ©torienne malgrĂ© le fait que la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme ne comprend que peu de dispositions relatives aux Ă©trangers. Cette jurisprudence sâest construite dâabord sur la technique de la protection de lâĂ©tranger par ricochet (infra) et par la suite au travers du contentieux des mesures provisoires qui a acquis une importance particuliĂšre dans la protection des Ă©trangers contre leur Ă©loignement du territoire. Lâintervention de la Cour de Justice est plus tardive en raison du fait que lâUnion europĂ©enne nâa Ă©tĂ© dotĂ©e de compĂ©tences en matiĂšre dâimmigration et dâasile que dans les annĂ©es 1990. Ayant dâabord Ă©tĂ© amenĂ©e Ă intervenir sur le terrain institutionnel, la Cour de justice a ensuite jouĂ© un rĂŽle de juge des droits fondamentaux.
LâAPPORT JURISPRUDENTIEL AU DROIT EUROPEEN DE LâIMMIGRATION ET DE LâASILE
Lâimpact de la jurisprudence, en particulier de celle de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme, est fondamental sur le contenu du droit europĂ©en de lâimmigration et de lâasile.
Dâabord en ce qui concerne lâaccĂšs au territoire
La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă protĂ©ger le droit dâasile qui nâest pas reconnu par la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, de maniĂšre indirecte au dĂ©part de lâarticle 3 prohibant la torture et les traitements inhumains ou dĂ©gradants. Cette jurisprudence qui remonte Ă une vingtaine dâannĂ©es a dĂ©bouchĂ© trĂšs rĂ©cemment sur des arrĂȘts spectaculaires au travers desquels le juge de Strasbourg devient le juge de lâasile en droit de lâUnion europĂ©enne. LâarrĂȘt MSS du 21 janvier 2011 condamne ainsi lâutilisation automatique que les Etats membres entendaient faire du rĂšglement « Dublin » sur la dĂ©termination de lâEtat responsable pour lâexamen dâune demande dâasile, tandis que lâarrĂȘt Hirsi Jamaa du 23 fĂ©vrier 2012 condamne le refoulement en mer en donnant un effet extraterritorial Ă la Convention et sâavĂšre dâune importance cruciale pour les opĂ©rations dâinterception des Etats membres coordonnĂ©es par lâagence Frontex et de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale pour les tentatives dâexternalisation de la politique europĂ©enne dâasile. La Cour de justice a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă relayer dans lâarrĂȘt NS du 21 dĂ©cembre 2011 la jurisprudence de Strasbourg en ce qui concerne le rĂšglement « Dublin » tout en dĂ©livrant un enseignement plus gĂ©nĂ©ral pour la politique europĂ©enne dâasile en affirmant sur la base
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
de lâarticle 18 de la Charte des droits fondamentaux de lâUE et lâarticle 78 TFUE que le systĂšme europĂ©en commun dâasile est fondĂ© sur le respect intĂ©gral et global de la Convention de GenĂšve.
La Cour de Strasbourg sâest Ă©galement penchĂ©e sur la problĂ©matique du droit au regroupement familial Ă partir de lâarticle 8 de la Convention europĂ©enne qui protĂšge le droit Ă la vie familiale. Partant du constat que cette disposition autorise des ingĂ©rences de lâEtat allant jusquâau « bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays », la Cour a dĂ©veloppĂ© une jurisprudence basĂ©e sur la « balance des intĂ©rĂȘts » quâelle tente de concilier, ceux des migrants Ă vivre en famille dâune part et ceux des Etats Ă rĂ©glementer lâaccĂšs des Ă©trangers au territoire dâautre part. ConsidĂ©rant que lâarticle 8 ne peut de maniĂšre gĂ©nĂ©rale fonder un droit au regroupement familial et laisse en la matiĂšre un large pouvoir dâapprĂ©ciation aux Etats, la Cour prend en compte diffĂ©rents Ă©lĂ©ments quâelle soupĂšse (liens de lâĂ©tranger avec lâEtat en cause, obstacle Ă ce que la famille retourne vivre dans le pays dâorigine, considĂ©rations dâordre public et de respect des rĂšgles sur lâimmigration, etc), non sans certaines hĂ©sitations qui peuvent donner lâimpression dâune jurisprudence quelque peu sinueuse. La Cour de justice sâest inscrite dans la droite ligne de cette jurisprudence lorsquâelle a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă se prononcer sur la directive 2003/86 relative au droit au regroupement familial dont la faible portĂ©e harmonisatrice laisse effectivement une large marge de manĆuvre aux Etats membres.
Ensuite en ce qui concerne lâĂ©loignement du territoire
La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme a jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans la protection des droits fondamentaux des Ă©trangers en voie dâĂȘtre Ă©loignĂ©s du territoire en dĂ©veloppant Ă leur profit un certain nombre de garanties sur lesquelles lâUnion europĂ©enne sâest Ă son tour basĂ©e lorsquâelle a commencĂ© Ă dĂ©velopper ses propres normes en matiĂšre dâimmigration et dâasile.
Les premiĂšres garanties relĂšvent du fond et constituent autant dâobstacles Ă lâĂ©loignement de lâĂ©tranger. En vertu de celles-ci, les Etats sont condamnĂ©s non pour une violation directe de la Convention quâils commettraient eux-mĂȘmes, mais indirectement pour le fait dâĂ©loigner un Ă©tranger vers un Etat oĂč les droits de la Convention risquent dâĂȘtre violĂ©s.
Lâinterdiction des traitements inhumains ou dĂ©gradants garantie par lâarticle 3 de la Convention a fourni la jurisprudence la plus dĂ©veloppĂ©e inaugurĂ©e par lâarrĂȘt Soering en 1990. Les Etats doivent Ă ce titre sâabstenir dâĂ©loigner un Ă©tranger lorsque celui-ci court un risque rĂ©el dâĂȘtre soumis Ă de tels traitements dans le pays de destination. La Cour a rappelĂ© avec fermetĂ© Ă plusieurs reprises que cette interdiction est absolue et ne souffre aucune dĂ©rogation, mĂȘme vis-Ă -vis de terroristes. La Cour prend en compte aussi bien les agissements des autoritĂ©s Ă©tatiques comme par exemple les peines de lapidation, que ceux de personnes privĂ©es comme les cartels de la drogue en Colombie, les groupes organisĂ©s menaçant les libertĂ©s individuelles sans que lâEtat puisse y remĂ©dier efficacement et mĂȘmes les familles pour les cas de mutilation gĂ©nitale, les crimes dâhonneur et la violence domestique. MĂȘme des situations objectives comme lâinexistence dans lâEtat de destination dâun systĂšme de santĂ© adĂ©quat dans le cas de lâĂ©loignement dâun malade du sida en phase terminale ont Ă©tĂ© prises en considĂ©ration, quoique la jurisprudence la plus rĂ©cente dont on sait pas encore si elle constitue un revirement ou un cas isolĂ©, tient compte du fait que lâobligation de fournir des soins de santĂ© gratuits et illimitĂ©s Ă tous les Ă©trangers en sĂ©jour illĂ©gal constituerait une charge trop lourde pour les Etats.
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Département thématique C : Droits des Citoyens et Affaires Constitutionnelles
Dans ces situations, la Cour se livre Ă une apprĂ©ciation concrĂšte de chaque cas individuel. Les mauvais traitements doivent atteindre un seul minimal de gravitĂ© et une situation gĂ©nĂ©rale de violence ne suffit pas, les personnes concernĂ©es devant courir elles-mĂȘmes un risque de mauvais traitement. La Cour utilise pour ce faire les informations que les parties lui fournissent ou quâelle se procure dâoffice, y compris les rapports dâorganisations intergouvernementales ou non gouvernementales fiables et objectifs. Son examen tient compte de lâĂ©volution de la situation dans le pays de destination. Les assurances diplomatiques donnĂ©es par lâEtat de destination peuvent ĂȘtre prises en compte Ă certaines conditions (prĂ©cision, qualitĂ© de leurs auteurs) et incluent mĂȘme depuis une dĂ©cision rĂ©cente lâexistence dâun mĂ©canisme de suivi de la situation de la personne Ă©loignĂ©e dans son pays de destination.
Le contrĂŽle de la Cour porte Ă©videmment aussi sur les agissements de lâEtat qui procĂšde Ă lâĂ©loignement de lâĂ©tranger. La question des conditions de dĂ©tention des Ă©trangers est devenue une prĂ©occupation majeure, particuliĂšrement dans le cas des demandeurs dâasile et des mineurs non accompagnĂ©s ou accompagnĂ©s Ă propos desquels la Cour tient compte quâil sâagit de personnes vulnĂ©rables, sans pour autant jusquâaller Ă condamner le principe mĂȘme de la dĂ©tention des mineurs.
Lâarticle 8 de la Convention sur le droit Ă la vie familiale peut aussi constituer un obstacle Ă lâĂ©loignement et permettre aux Ă©trangers de faire valoir un droit au maintien de la cellule familiale dans certains cas. La Cour sâest tout dâabord intĂ©ressĂ©e aux Ă©trangers dits de seconde gĂ©nĂ©ration qui ont souvent plus de liens avec leur pays dâimmigration que leur Etat dâorigine, de sorte quâelle a ainsi Ă©tĂ© amenĂ©e Ă tenir compte non pas seulement de la vie familiale, mais aussi de la vie privĂ©e de ces personnes. AprĂšs avoir donnĂ© lâimpression dâune quasi interdiction de lâĂ©loignement de ces Ă©trangers, la Cour a assouplit sa position en donnant plus de poids aux intĂ©rĂȘts des Etats lorsque des infractions particuliĂšrement graves ont Ă©tĂ© commises, pour finir par dĂ©boucher sur une jurisprudence tentant dâĂ©quilibrer les intĂ©rĂȘts respectifs des Ă©trangers et des Etats. Elle semble Ă©galement ne plus faire de diffĂ©rence de principe avec le cas des Ă©trangers dits de premiĂšre gĂ©nĂ©ration. Elle attache par contre une importance particuliĂšre au cas des mineurs en cas de retour vers leur pays dâorigine en sâappuyant sur « lâintĂ©rĂȘt supĂ©rieur de lâenfant » sur la base de lâarticle 3 de la Convention sur les droits de lâenfant.
On remarquera enfin avec intĂ©rĂȘt que la Cour vient de tenir compte de lâarticle 6 de la Convention relatif au procĂšs Ă©quitable pour refuser lâĂ©loignement dâun Ă©tranger risquant dâĂȘtre condamnĂ© sur base de preuves obtenues sous la torture.
Les secondes garanties sont dâordre procĂ©dural et concernent essentiellement trois dispositions de la convention.
Le droit Ă la libertĂ© amĂšne dâabord la Cour Ă vĂ©rifier la maniĂšre dont les Etats appliquent lâarticle 5, §1er, f) de la Convention permettant la dĂ©tention dâune personne pour lâempĂȘcher de pĂ©nĂ©trer irrĂ©guliĂšrement sur le territoire ou contre laquelle une procĂ©dure dâexpulsion est en cours. Refusant de faire une distinction entre immigrants ordinaires et demandeurs dâasile, la Cour vĂ©rifie avec rigueur si une procĂ©dure dâexpulsion qui justifie la dĂ©tention est bien en cours et menĂ©e avec toute la diligence requise. Elle a ainsi dĂ©veloppĂ© une jurisprudence Ă©numĂ©rant les conditions que toute dĂ©tention doit remplir pour ne pas ĂȘtre qualifiĂ©e « dâarbitraire » (se faire de bonne foi, viser le but qui est lâĂ©loignement, ne pas excĂ©der un dĂ©lai raisonnable et ĂȘtre mise en Ćuvre dans un lieu et selon des conditions de dĂ©tention appropriĂ©e Ă des personnes qui ne font pas lâobjet dâune procĂ©dure pĂ©nale). ParticuliĂšrement attentive au sort des mineurs sur la base de lâintĂ©rĂȘt supĂ©rieur de lâenfant
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
protĂ©gĂ© par la Convention sur les droits de lâenfant, elle a considĂ©rĂ© que lâarticle 5 de la Convention europĂ©enne a Ă©tĂ© violĂ© bien que les enfants accompagnĂ©s de leurs parents aient Ă©tĂ© dĂ©tenus dans une aile spĂ©cifique dâun centre de dĂ©tention dĂ©volue aux familles pour la raison en particulier que les autoritĂ©s nâont pas vĂ©rifiĂ© si la dĂ©tention Ă©tait une mesure de dernier ressort Ă laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer. La Cour de justice a Ă©galement Ă©tĂ© amenĂ©e Ă prendre position sur les dĂ©lais de dĂ©tention dans lâaffaire Kadzoev au regard de diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de procĂ©dure et a rendu une dĂ©cision nuancĂ©e qui emporte lâadhĂ©sion.
Ensuite, le droit Ă un recours effectif consacrĂ© par lâarticle 13 de la Convention europĂ©enne occupe une importance toute particuliĂšre dans la jurisprudence de la Cour alors que le protocole n° 7 relatif aux garanties procĂ©durales en cas dâexpulsion dâĂ©trangers ne retient que peu lâattention en raison du fait que son champ dâapplication se limite Ă ceux rĂ©sidant rĂ©guliĂšrement sur le territoire. Si lâarticle 13 nâexige pas que lâaffaire soit traitĂ©e par une vĂ©ritable juridiction, il faut que le recours permette, aussi bien en droit quâen pratique, dâĂ©viter quâun dommage irrĂ©versible soit causĂ© au requĂ©rant, ce qui est le cas lorsquâun risque de traitement inhumain ou dĂ©gradant est invoquĂ© comme consĂ©quence dâune mesure dâĂ©loignement du territoire. Câest sur cette base que la Cour europĂ©enne exige dans une sĂ©rie dâarrĂȘts quâun recours dans le cadre dâune procĂ©dure dâasile spĂ©ciale (il sâagissait dâune procĂ©dure Ă la frontiĂšre) soit de plein droit suspensif, que lâinstance de recours doit procĂ©der Ă un examen rigoureux et que son contrĂŽle doit ĂȘtre Ă©tendu, que les personnes concernĂ©es aient accĂšs Ă lâinformation nĂ©cessaire pour pouvoir introduire un recours et que les dĂ©lais de recours ne soient pas trop brefs pour constituer un obstacle Ă lâexercice du droit en question (ce qui est le cas dâun dĂ©lai e 48 heures).
Restent enfin les expulsions collectives interdites par lâarticle 4 du protocole n°4 Ă la Convention. AprĂšs avoir dĂ©fini lâexpulsion collective comme « toute mesure contraignant des Ă©trangers, en tant que groupe, Ă quitter un pays, sauf dans les cas oĂč une telle mesure est prise Ă lâissue et sur la base dâun examen raisonnable et objectif de la situation particuliĂšre de chacun des Ă©trangers qui forment le groupe », la Cour tient compte dans la cĂ©lĂšbre affaire Conka des circonstances entourant la mise en Ćuvre de lâexpulsion pour arriver Ă la conclusion que tout doute sur le caractĂšre collectif de lâexpulsion nâĂ©tait pas exclu. Par contre, la Cour a considĂ©rĂ© Ă propos des vols groupĂ©s rĂ©gi par une dĂ©cision 2004/573 du Conseil de lâUnion europĂ©enne que « le fait que plusieurs Ă©trangers fassent lâobjet de dĂ©cisions semblables ne permet pas en soi de conclure Ă lâexistence dâune expulsion collective lorsque chaque intĂ©ressĂ© Ă pu individuellement faire valoir devant les autoritĂ©s compĂ©tentes les arguments qui sâopposaient Ă son expulsion ». Dans la fameuse affaire Hirsi Jamaa oĂč elle a conclu Ă lâapplication extraterritoriale du protocole 4, la Cour ajoute des prĂ©cisions importantes du point de vue procĂ©dural, en particulier pour ce qui concerne le droit dâobtenir des informations suffisantes permettant aux personnes concernĂ©es dâavoir un accĂšs effectif aux procĂ©dures de recours.
LâIMPACT DE LA JURISPRUDENCE SUR LE DROIT EUROPEEN DE LâASILE ET DE LâIMMIGRATION
Les enjeux de la jurisprudence pour le systĂšme institutionnel de lâUnion
La rĂ©partition du pouvoir exĂ©cutif au sein de lâUnion pour la mise en Ćuvre de lâespace de libertĂ©, de sĂ©curitĂ© et de justice pose problĂšme depuis sa crĂ©ation. Le Parlement europĂ©en y est particuliĂšrement attentif comme le dĂ©montre les deux recours en annulation quâil a introduits devant la Cour de justice. Le premier dans lequel il a obtenu gain de cause concernait la procĂ©dure dâadoption des listes de pays sĂ»rs dans le cadre de la politique
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dâasile. Partant du constat quâil avait considĂ©rĂ© quâil ne sâagissait pas dâune mesure dâexĂ©cution, la Cour a considĂ©rĂ© que le Conseil ne pouvait introduire dans la directive « procĂ©dures dâasile » une base juridique dĂ©rivĂ©e modifiant la procĂ©dure lĂ©gislative de droit commun applicable en la matiĂšre. Le second Ă propos duquel la dĂ©cision de la Cour est encore attendue, concerne la dĂ©cision du 26 avril 2010 sur les interceptions en mer adoptĂ©e dans le cadre dâune procĂ©dure de comitologie ne pouvant ĂȘtre utilisĂ©e que pour modifier des Ă©lĂ©ments non essentiels du droit dĂ©rivĂ©, le Parlement considĂ©rant que la dĂ©cision en question concerne au contraire un Ă©lĂ©ment essentiel en lâespĂšce du Code frontiĂšres Schengen. Un troisiĂšme front pourrait sâouvrir Ă propos de lâĂ©tablissement des prioritĂ©s annuelles en matiĂšre de rĂ©installation. Alors que la Commission proposait de recourir Ă la comitologie, le Parlement proposait plutĂŽt de recourir Ă une dĂ©lĂ©gation lĂ©gislative. Si une solution transitoire a pu ĂȘtre trouvĂ©e pour lâannĂ©e 2013, le conflit devrait rebondir au cours des nĂ©gociations sur le nouveau Fonds Asile et Migration pour la pĂ©riode 2014-2020 dans le cadre institutionnel renouvelĂ© par le TraitĂ© de Lisbonne. Il porte en rĂ©alitĂ© sur la dĂ©limitation du champ dâapplication respectif des actĂ©s dĂ©lĂ©guĂ©s et des actes dâexĂ©cution que la Cour de justice sera trĂšs vraisemblablement appelĂ©e Ă trancher dans le futurâŠ
IndĂ©pendamment de cette problĂ©matique quâil a ouverte, le traitĂ© de Lisbonne a profondĂ©ment amĂ©liorĂ© la protection juridictionnelle des particuliers dans lâespace de libertĂ©, de sĂ©curitĂ© et de justice. Il a Ă©liminĂ© lâarticle 68 du TraitĂ© dâAmsterdam qui limitait les possibilitĂ©s de saisine de la Cour de justice Ă titre prĂ©judiciel aux juridictions de dernier ressort, ce qui explique en grande partie la maigreur du bilan jurisprudentiel en matiĂšre dâimmigration et dâasile ; Ă©tendu le contrĂŽle juridictionnel aux Ă©ventuelles mesures de rĂ©tablissement des contrĂŽles aux frontiĂšres intĂ©rieures ; jetĂ© les bases du contrĂŽle juridictionnel des activitĂ©s des agences comme Frontex ou le Bureau europĂ©en dâappui en matiĂšre dâasile ; rendu justiciable la Charte des droits fondamentaux en lui confĂ©rant valeur de traitĂ©. On rappellera enfin quâune procĂ©dure prĂ©judicielle dâurgence (PPU) a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e dans le domaine de lâespace de libertĂ©, de sĂ©curitĂ© et de justice pour permettre Ă la Cour de rĂ©pondre au juge national dans des dĂ©lais acceptables au regard de la situation des personnes concernĂ©es qui peuvent ĂȘtre dĂ©tenues. Cette procĂ©dure semble dysfonctionner : outre le fait que la Cour est rarement saisie par les juridictions nationales au titre de lâurgence, la Cour semble avoir une conception exagĂ©rĂ©ment restrictive de celle-ci, quand elle nâadopte pas une attitude contradictoire, refusant le bĂ©nĂ©fice de lâurgence mais acceptant de recourir Ă la procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e sur base de motifs identiques. Une rĂ©forme de ces procĂ©dures pourrait sâavĂ©rer nĂ©cessaire si la Cour nâadoptait pas dans lâavenir une approche plus comprĂ©hensive de lâurgence.
Enfin, le dialogue des juges est essentiel au bon fonctionnement du systĂšme institutionnel de lâUnion europĂ©enne. PremiĂšrement, le dialogue entre le juge national et les juridictions europĂ©ennes. Il est inorganisĂ© dans le cadre des relations avec la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme oĂč il dĂ©pend de la rĂšgle de lâĂ©puisement des voies de recours internes et de la jurisprudence de la Cour basĂ©e sur des principes gĂ©nĂ©raux exprimant un droit commun ou la thĂ©orie de la marge nationale dâapprĂ©ciation. La situation est exactement inverse dans le cadre des relations avec la Cour de Justice de lâUnion europĂ©enne oĂč la relation avec le juge national est institutionnalisĂ©e avec la technique du renvoi prĂ©judiciel. Ce dernier connaĂźt un dysfonctionnement surprenant au regard du nombre extrĂȘmement rĂ©duit de dĂ©cisions rendues par la Cour en matiĂšre dâimmigration et dâasile (supra). Secondement, le dialogue entre les juridictions europĂ©ennes. En lâabsence de canal de communication entre les deux cours, un dialogue spontanĂ© sâest dĂ©veloppĂ©. La Cour de Justice y a Ă©tĂ© conduite pour faire respecter la primautĂ© du droit europĂ©en afin dâĂ©viter que les Etats membres ne soient condamnĂ©s en cas de contrariĂ©tĂ© avec la Convention
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europĂ©enne. La Cour europĂ©enne nâĂ©tant pas soumise aux mĂȘmes contraintes, elle a nĂ©anmoins dĂ©veloppĂ© dans sa cĂ©lĂšbre jurisprudence Bosphorus que la protection des droits fondamentaux est censĂ©e ĂȘtre assurĂ©e dans lâUnion de maniĂšre Ă©quivalente Ă celle de la Convention europĂ©enne, prĂ©somption cependant rĂ©fragable et qui a prĂ©cisĂ©ment Ă©tĂ© renversĂ©e dans lâaffaire MSS Ă propos du rĂšglement Dublin sur la dĂ©termination de lâEtat responsable pour lâexamen dâune demande dâasile. La Charte des droits fondamentaux de lâUnion europĂ©enne a ordonnĂ© ce dialogue autour de deux mĂ©canismes dĂ©terminants pour assurer une cohabitation harmonieuse entre les deux systĂšmes : dâabord « la protection minimale » qui veut que la Charte ne peut porter atteinte au niveau de protection des droits de lâhomme protĂ©gĂ©s par la Convention europĂ©enne ; ensuite, les « droits correspondants » voulant que les droits Ă©noncĂ©s par la Charte correspondant Ă des droits de la Convention ont le mĂȘme sens et la mĂȘme portĂ©e que ces derniers.
Les conséquences immédiates de la jurisprudence de la Cour de justice
La Cour de Luxembourg remplit trois fonctions. La premiĂšre qui est la plus classique correspond au mĂ©canisme du renvoi prĂ©judiciel pour interprĂ©tation. La Cour a ainsi interprĂ©tĂ© les dĂ©rogations au droit au regroupement familial de maniĂšre Ă largement neutraliser ces possibilitĂ©s rĂ©duites au rang de simples Ă©lĂ©ments parmi tous ceux quâil convient de prendre en compte au titre de la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme qui avait elle-mĂȘme Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e Ă la directive relative au droit au regroupement familial. Rappelant la marge dâapprĂ©ciation des Etats membres dans la jurisprudence de Strasbourg, la Cour transforme ce pouvoir en devoir en obligeant les administrations compĂ©tentes des Etats membres Ă individualiser le traitement des demandes de regroupement familial de maniĂšre Ă , par exemple, prendre en compte un Ă©lĂ©ment spĂ©cifique Ă un dossier qui devrait lâamener Ă ne pas appliquer une dĂ©rogation pourtant autorisĂ©e. La Cour a clarifiĂ© la notion de protection subsidiaire marquĂ©e par une contradiction interne au texte de lâarticle 15, c) de la directive de qualification dans un sens relativement extensif qui reste cependant marquĂ© du sceau de la prudence puisque la Cour considĂšre que son interprĂ©tation ne devrait trouver Ă sâappliquer que de maniĂšre exceptionnelle. Cette derniĂšre jurisprudence a permis au lĂ©gislateur europĂ©en de ne pas devoir rouvrir ce difficile dĂ©bat en sâen remettant Ă la solution dĂ©gagĂ©e par la Cour. Elle a encore indiquĂ© que le droit au recours effectif en matiĂšre dâasile ne suppose pas quâil puisse ĂȘtre introduit contre chaque dĂ©cision prĂ©paratoire de la procĂ©dure dâasile au risque dâencore allonger celle-ci de maniĂšre catastrophique pour autant que le recours contre la dĂ©cision finale de rejet puisse Ă©galement porter sur les motifs propres aux dĂ©cisions prĂ©paratoires, tout en prĂ©cisant quâun dĂ©lai de recours de 15 jours est raisonnable et proportionnĂ© par rapport aux exigences du recours effectif. Enfin, elle a confirmĂ© la primautĂ© de la Convention de GenĂšve sur le droit europĂ©en dĂ©rivĂ© en matiĂšre dâasile dont elle se porte garant et sâĂ©rige en interprĂšte direct de cette convention bien que lâUnion nây soit pas partie. Dotant ainsi la Convention de GenĂšve du juge international qui lui manquait, elle pourrait redonner Ă ce texte vieux de 60 ans une seconde jeunesse et contribuer au dĂ©veloppement dâune branche europĂ©enne du droit des rĂ©fugiĂ©s qui pourrait influencer le droit international des rĂ©fugiĂ©s.
La deuxiĂšme fonction de la Cour de Justice va plus loin que lâinterprĂ©tation. Elle amĂšne celle-ci Ă encadrer la mise en Ćuvre du droit europĂ©en de lâimmigration et de lâasile par les Etats membres auxquelles elle adresse de vĂ©ritables lignes directrices inspirĂ©es des objectifs du lĂ©gislateur europĂ©en. Elle sâĂ©rige ainsi en juge de la proportionnalitĂ© des conditions que les Etats membres sont autorisĂ©s Ă imposer aux membres de la famille auxquels la directive 2003/86 a reconnu un vĂ©ritable droit subjectif au regroupement familial, ce qui pourrait Ă©ventuellement lâamener Ă contrecarrer la rĂ©alisation par les Etats
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membres des souhaits exprimĂ©s dans le Pacte europĂ©en sur lâimmigration et lâasile adoptĂ© en 2008 par le Conseil europĂ©en. En matiĂšre de lutte contre lâimmigration illĂ©gale, elle limite de maniĂšre relative la compĂ©tence des Etats membres en matiĂšre dâincrimination pĂ©nale du sĂ©jour illĂ©gal en fonction des diverses phases par lesquelles une procĂ©dure de retour forcĂ© passe. Enfin, elle restreint la possibilitĂ© dâeffectuer des contrĂŽles dans les zones frontaliĂšres en exigeant des Etats membres quâils encadrent ceux-ci de maniĂšre Ă ce quâils nâĂ©quivalent pas Ă des contrĂŽles aux frontiĂšres intĂ©rieures interdits par les traitĂ©s.
La troisiĂšme fonction remplie par la Cour, aussi spectaculaire que rare, est de remettre en cause telle interprĂ©tation ou utilisation des normes europĂ©ennes au nom de principes gĂ©nĂ©raux du droit ou des droits de lâhomme. Dans un arrĂȘt N & S faisant suite Ă lâarrĂȘt MSS de la Cour de Strasbourg, la Cour de Luxembourg va Ă son tour condamner non pas le systĂšme « Dublin » de dĂ©termination de lâEtat responsable pour lâexamen dâune demande dâasile en tant que tel, mais bien lâutilisation aveugle qui en est faite par certains Etats membres en faisant valoir que le droit europĂ©en sâoppose Ă lâapplication dâune prĂ©somption irrĂ©fragable selon laquelle lâEtat membre responsable respecte les droits fondamentaux de lâUnion.
Les consĂ©quences potentielles de la jurisprudence de la Cour de justice sur le droit europĂ©en de lâasile et de lâimmigration
AprĂšs un vide en matiĂšre de droits fondamentaux aux dĂ©buts des CommunautĂ©s europĂ©ennes, la situation de lâUnion est exactement inverse.
PremiĂšrement, la montĂ©e en puissance des droits fondamentaux, pour bĂ©nĂ©fique quâelle soit, pose question. Techniquement dâabord, il conviendrait que leurs exigences soient mieux prises en considĂ©ration aussi bien en amont au travers des analyses dâimpact quâau cours des nĂ©gociations lĂ©gislatives, quâen aval au stade de lâapplication des normes europĂ©ennes, voire au travers de la spĂ©cialisation des voies de recours ou des juridictions. Politiquement ensuite, la contestation du systĂšme de contrĂŽle juridictionnel de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme traduit lâinquiĂ©tude des Etats bien quâelle soit minoritaire. Le thĂšme de la subsidiaritĂ© du contrĂŽle effectuĂ© par la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme, particuliĂšrement en matiĂšre dâasile et dâimmigration, est paradoxalement aussi bien utilisĂ© par la Cour pour appeler les Etats Ă faire des efforts dans la protection des droits de lâhomme au niveau national que par les Etats pour contester lâampleur du contrĂŽle effectuĂ© par la Cour et Ă©largir la marge dâapprĂ©ciation des Etats membres. Plus que jamais le contentieux des Ă©trangers par sa masse et sa complexitĂ© devient le laboratoire de la protection des droits de lâhomme en Europe.
DeuxiĂšmement, il existe dĂ©sormais une Charte des droits fondamentaux propre Ă lâUnion europĂ©enne ayant acquis valeur de traitĂ© Ă cotĂ© de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme Ă laquelle tous les Etats de lâUnion sont parties. MĂȘme si la Charte nâa jusquâici pas eu dâimpact fondamental, la dualitĂ© des sources pose la question de la dualitĂ© ou de la complĂ©mentaritĂ© des deux textes dans lâavenir. Si lâhypothĂšse de la complĂ©mentaritĂ© prĂ©vaut aujourdâhui, il nâest pas exclu que la jurisprudence de Luxembourg dĂ©veloppe des standards de protection plus ambitieux que ceux de Strasbourg. Elle dispose en tout cas de certains outils pour ce faire, comme lâarticle 18 de la Charte qui proclame directement le droit dâasile et pose la question des obligations positives qui peuvent en dĂ©couler au-delĂ des obligations nĂ©gatives de la Convention de GenĂšve.
TroisiĂšmement, les perspectives dâadhĂ©sion de lâUnion europĂ©enne Ă la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme se concrĂ©tisent. Cette adhĂ©sion permettra dâassurer la cohĂ©rence de la protection des droits fondamentaux en Europe et une garantie identique
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pour les justiciables vis-Ă -vis des agissements tant des Etats membres que de lâUnion europĂ©enne. La soumission de lâUnion Ă un contrĂŽle juridictionnel externe qui constitue une rĂ©volution repose sur le mĂ©canisme du codĂ©fendeur qui permettra Ă lâUnion de participer avec les Etats membres aux procĂ©dures devant la Cour de Strasbourg et de la saisine prĂ©alable qui permettra Ă la Cour de Luxembourg de se prononcer en premier lieu afin de prĂ©server lâautonomie du droit europĂ©en. Aussi satisfaisant quâil soit pour lâesprit, en particulier celui des juristes spĂ©cialisĂ©s en la matiĂšre, le systĂšme retenu demeure dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© qui est celle dâune crise de la subsidiaritĂ© juridictionnelle.
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CHAPITRE 1 : LE BILAN JURISPRUDENTIEL1
LâĂ©valuation quantitative des jurisprudences de la Cour europĂ©enne et de la Cour de justice ne se pose pas dans les mĂȘmes termes. Dans le cas de la CEDH, ce bilan est particuliĂšrement substantiel, en revanche il est des plus restreints pour ce qui est de la CJUE.
1. LE BILAN DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE LâHOMME
Etablir un bilan chiffrĂ© de la jurisprudence de la Cour europĂ©enne en matiĂšre dâasile et dâimmigration est extrĂȘmement difficile Ă effectuer de maniĂšre fiable. La Cour nâeffectue pas de statistique spĂ©cifique sur le sujet et il nâexiste pas dâoutil pour y pallier. Par ailleurs, les questions relatives aux Ă©trangers couvrant Ă la fois lâĂ©loignement et lâextradition des Ă©trangers, thĂšme hors champ de cette Ă©tude, il est quasiment impossible dâeffectuer une distinction au sein des arrĂȘts en traitant. Enfin, chaque arrĂȘt mettant en cause plusieurs articles de la Convention, le comptage est quasiment impossible.
Les rĂ©sultats suivants sont donc Ă©tablis2 de maniĂšre empirique, Ă des fins seulement informatives et sans prĂ©tendre Ă lâexactitude mathĂ©matique ou statistique, faute dâoutil fiable pour ce faire. Leur intĂ©rĂȘt principal consiste Ă essayer de dĂ©gager les tendances lourdes quant aux Ă©volutions en cours et Ă les mettre en perspective dans le temps en facilitant la comparaison.
1.1. Le contentieux de lâasile et de lâimmigration
Une premiĂšre analyse quantitative conduit Ă situer le volume du contentieux de lâasile et de lâimmigration devant la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme au sein du contentieux gĂ©nĂ©ral. Analyser les chiffres obtenus doit ĂȘtre effectuĂ© en ayant Ă lâesprit les caractĂ©ristiques du contentieux europĂ©en et notamment lâimportance des dĂ©cisions dâirrecevabilitĂ© ou de radiation rendues.
Ainsi, si la Cour a rendu au total 1157 arrĂȘts en 2011, elle a prononcĂ© dans le mĂȘme temps 50.677 dĂ©cisions dâirrecevabilitĂ© ou de radiation. Cette particularitĂ© du contentieux devant la Cour europĂ©enne, une part extrĂȘmement importante dâĂ©chec des requĂȘtes, doit ĂȘtre intĂ©grĂ©e dans toute Ă©valuation de la situation contentieuse de lâasile et de lâimmigration. Cette disproportion donne sa signification au nombre dâarrĂȘts relatifs Ă lâasile et Ă lâimmigration. Ainsi, en 2011, les 78 arrĂȘts rendus en matiĂšre dâasile et dâimmigration ne constituent que la face Ă©mergĂ©e de lâiceberg, en particulier si on les rapproche du nombre de demandes de « mesures provisoires » dĂ©posĂ©es la mĂȘme annĂ©e. Cela indique quâau bas mot, entre 3 Ă 4000 dossiers relatifs au droit des Ă©trangers a fait lâobjet dâun examen Ă Strasbourg.
1 La jurisprudence a Ă©tĂ© prise en compte jusquâau dĂ©but du mois de mars 2012. 2 La mĂ©thodologie employĂ©e consiste, Ă partir de la base de donnĂ©es HUDOC de la Cour europĂ©enne, Ă effectuer
une recherche par mots clĂ©s en anglais et en français sur la pĂ©riode 2008 Ă 2011. Les mots clĂ©s sĂ©lectionnĂ©s ont Ă©tĂ© choisis parmi ceux considĂ©rĂ©s comme Ă©tant les plus reprĂ©sentatifs en la matiĂšre. Il sâagit des mots : « immigration », « asile », « asylum », «dĂ©tention », « expulsion », « regroupement familial », « family reunification ».
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En pourcentages, les affaires relatives Ă lâasile et Ă lâimmigration tiennent en 2011 une place correspondant Ă 6,70 % du contentieux, aboutissement dâune forte augmentation au cours des deux derniĂšres annĂ©es.
Il est Ă©galement possible de se faire une idĂ©e des tendances de lâutilisation des diffĂ©rents articles de la Convention et de ses Protocoles sur la pĂ©riode 2008 Ă 2011 par les requĂ©rants.
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A cet Ă©gard et sans surprise on peut constater que, de loin, la mise en cause des atteintes Ă lâintĂ©gritĂ© physique (article 3 CEDH) et Ă la libertĂ© des Ă©trangers (article 5 CEDH) lâemporte parmi les griefs soulevĂ©s par les requĂ©rants. On notera Ă©galement la progression significative des questions relatives au droit Ă mener une vie familiale normale (article 8 CEDH).
Enfin, une Ă©tude centrĂ©e sur lâarticle 2011 permet de situer le contentieux relatif Ă lâasile et Ă lâimmigration au sein du contentieux gĂ©nĂ©ral de la Cour. Les jurisprudences relatives aux articles 3, 5 et 8 y tiennent une place non nĂ©gligeable : 12,5% pour les risques liĂ©s Ă lâintĂ©gritĂ© physique, 11% pour les atteintes Ă la libertĂ©, 24,6% pour le droit Ă mener une vie familiale normale.
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1.2. Les mesures provisoires
La question des « mesures provisoires » constitue un indicateur prĂ©cieux et significatif des flux contentieux en matiĂšre dâasile et dâimmigration. Dâabord car elles font lâobjet dâun suivi statistique qui est fourni par la Cour elle-mĂȘme, et donc fiable. Ensuite car elles concernent quasi exclusivement le contentieux des Ă©trangers.
Leur évolution fournit une double information décisive pour apprécier la politique jurisprudentielle de la Cour :
leur nombre a « explosĂ© » brusquement, le PrĂ©sident de la Cour poussant cet Ă©gard un cri dâalarme solennel3 faisant Ă©tat dâune augmentation de « prĂšs de 4000% » depuis 2006 qui a amenĂ© la Cour Ă rĂ©viser son dispositif pour davantage de rigueur
le chiffre de ces demandes a diminué de ce fait de 27% en 2011 par rapport à 2010 (de 3775 à 2773)
le nombre dâacceptation de ces demandes sâest brutalement rĂ©tractĂ© en 2011 de â 76% avec 342 acceptations pour 1807 rejets
CEDH, Déclaration du Président concernant les demandes de mesures provisoires, 11 février 2011.
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La mise en perspective des refus et des acceptations témoigne de cette évolution restrictive qui aboutit néanmoins à un chiffre important de suspension (342 en 2011).
La Cour Ă©tablit par ailleurs des tableaux particuliĂšrement instructifs des Etats en cause, quâils soient de destination ou de retour.
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A eux seuls, trois Etats parties concentrent lâessentiel des demandes sur cette pĂ©riode : la France (1920 demandes avec une part Ă peu prĂšs Ă©gale de refus et dâacceptation : 534/432), le Royaume Uni (4454 demande avec un dĂ©sĂ©quilibre trĂšs net : 2809/911) et la SuĂšde (1587 avec un rapport de 896/691).
RapportĂ© aux chiffres particuliĂšrement bas dâEtats parties pourtant confrontĂ©s Ă de graves problĂšmes en matiĂšre dâasile et dâimmigration comme la GrĂšce (73 demandes) ou Malte (6 demandes), ce chiffre pourrait surprendre a priori. Pourtant, il est comprĂ©hensible et les trois Etats prĂ©citĂ©s ne posent pas de problĂšmes spĂ©cifiques. Outre les qualitĂ©s de leur systĂšme judiciaire et la prĂ©sence dâONG efficaces dans ces Etats, ces proportions rĂ©vĂšlent en fait lâĂ©tat des routes migratoires clandestines. La prĂ©sence de diasporas importantes dans lâEtat de destination finale (comme en SuĂšde), la trĂšs forte attractivitĂ© du Royaume Uni pour des raisons connues, la nĂ©cessitĂ© de traverser auparavant un Etat voisin pour y parvenir (comme la France) sont autant dâexplications de ces chiffres.
Il nâest pas inintĂ©ressant non plus de disposer dâune cartographie des Etats « Ă risques » et dây voir figurer lâItalie et la GrĂšce.
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2. LE BILAN DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE
Son prĂ©toire nâĂ©tant directement accessible aux particuliers que dans des cas exceptionnels, lâactivitĂ© de la Cour dĂ©pend peu de la volontĂ© des migrants, des rĂ©fugiĂ©s et de leurs avocats dây avoir recours. Les affaires en manquement renvoient aux initiatives que la Commission europĂ©enne dĂ©cide dâengager contre les Etats membres. Les affaires en rĂ©ponse Ă des questions posĂ©es Ă titre prĂ©judiciel dĂ©pendent de lâusage que les juges nationaux font de ce mĂ©canisme de collaboration entre juges.
2.1. Les recours en constatation de manquement
Il convient de saluer lâesprit de transparence dont tĂ©moigne lâouverture de pages consacrĂ©es aux procĂ©dures en manquement4 sur le site internet de la DG Affaires intĂ©rieures. Celles-ci permettent de prendre connaissance des procĂ©dures ouvertes et de leur suivi, Ă la fois par Etat membre et par politique. La pĂ©riode couverte va de dĂ©cembre 2004 Ă aujourdâhui, ce qui correspond Ă lâensemble de la politique europĂ©enne dâimmigration et dâasile en raison du fait que les premiĂšres normes adoptĂ©es ont pour lâessentiel dĂ» ĂȘtre appliquĂ©es par les Etats membres au cours de lâannĂ©e 2005, compte tenu notamment du dĂ©lai laissĂ© aux Etats membres pour transposer les directives.
ETATS MEMBRES NOMBRES DE PROCEDURES INTENTEES AUTRICHE 26 BELGIQUE 39 BULGARIE 28 CHYPRE 47
REPUBLIQUE TCHEQUE 17 DANEMARK 4 FINLANDE 26 FRANCE 35
ALLEMAGNE 46 GRECE 49
HONGRIE 18 IRLANDE 10 ITALIE 48
LETTONIE 23 LITUANIE 22
LUXEMBOURG 42 MALTE 43
PAYS-BAS 27 POLOGNE 22 PORTUGAL 34 ROUMANIE 17 SLOVAQUIE 23 SLOVENIE 18 ESPAGNE 39 SUEDE 29
ROYAUME-UNI 8 ESTONIE 20 TOTAL 760
http://ec.europa.eu/home-affairs/news/infringements/infringements_en.htm.
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http://ec.europa.eu/home-affairs/news/infringements/infringements_en.htm
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Le nombre total de 760 procĂ©dures ouvertes paraĂźt impressionnant. On relĂšvera cependant quâelles nâont amenĂ© sur une pĂ©riode de 8 ans une saisine de la Cour que dans une vingtaine dâaffaires, soit moins de 3% des cas. On ne peut pas en conclure sur cette seule base que lâaction de la Commission nâa pas Ă©tĂ© efficace parce quâelle nâa peut ĂȘtre pas dĂ» saisir la Cour pour la raison que les Etats membres se sont rangĂ©s Ă son opinion et ont mis leur droit interne en conformitĂ© avec le droit europĂ©en dans le cadre de la procĂ©dure prĂ©contentieuse. Une analyse des dĂ©cisions rendues par la Cour dâun point de vue qualitatif plutĂŽt que quantitatif peut cependant donner Ă penser que la Commission nâa jusquâici fait quâun usage extrĂȘmement limitĂ© du recours en manquement.
Toutes les affaires dans lesquelles la Cour a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă se prononcer concernent en effet uniquement des cas dâabsence de transposition dans le dĂ©lai requis par les directives concernĂ©es. A notre connaissance pour la pĂ©riode rĂ©cente, seules deux affaires portent sur la substance des politiques dâimmigration. La Commission a ainsi saisi le 25 octobre 2010 la Cour dâun recours contre les Pays-Bas pour le prix disproportionnĂ© que cet Etat membre exige pour la dĂ©livrance des permis de sĂ©jour de rĂ©sident de longue durĂ©e, lâaffaire Ă©tant pendante5. Le 6 dĂ©cembre 2010, elle a agi contre lâAutriche Ă propos des difficultĂ©s des Ă©tudiants ressortissants de pays tiers Ă accĂ©der au marchĂ© du travail en contrariĂ©tĂ© avec lâobjectif de la directive 2004/114 du 13 dĂ©cembre 2004, ce qui a dâailleurs amenĂ© cet Etat membre Ă amender sa lĂ©gislation et la Commission Ă se dĂ©sister de son recours6.
On est ainsi amenĂ© Ă se demander sur la nature de lâintervention de la Commission. Son contrĂŽle sur les Etats membres ne sâest-il pas jusquâici bornĂ© pour lâessentiel Ă vĂ©rifier la seule existence de normes de transposition dans le respect des dĂ©lais7 et non la conformitĂ© de ces normes nationales au droit europĂ©en, ni leur application effective en pratique ? La question ne peut recevoir de rĂ©ponse claire pour la raison que la DG Affaires intĂ©rieures ne renseigne pas sur son site les motifs pour lesquelles elle ouvre une procĂ©dure en manquement au stade de la notification ou de lâavis motivĂ©. Si cette discrĂ©tion se comprend dans le cadre de la procĂ©dure prĂ©contentieuse du recours en manquement, il reste que la stratĂ©gie de la Commission en la matiĂšre mĂ©riterait des Ă©claircissements en raison du fait que celle-ci relĂšve souvent de nombreux manquements dans les rapports quâelle rĂ©dige sur la mise en Ćuvre des directives sans quâon connaisse le suivi qui leur est donnĂ©. DĂ©but 2012, un seul et unique recours en manquement est pendant devant la Cour de justiceâŠAu vu de la gravitĂ© des questions posĂ©es du point de vue des droits fondamentaux, ce constat est troublant.
2.2. Les renvois à titre préjudiciel
La compĂ©tence prĂ©judicielle de la Cour paraissait prometteuse en matiĂšre dâimmigration et dâasile. La piĂštre qualitĂ© des premiĂšres normes europĂ©ennes adoptĂ©es dans un domaine oĂč le nombre de recours occupe de plus en plus souvent la premiĂšre place dans le contentieux national sans compter la complexitĂ© de la matiĂšre, pouvait donner Ă penser que la Cour pouvait subir une avalanche de questions Ă laquelle elle ne pourrait face en rĂ©pondant dans un dĂ©lai raisonnable. Câest dâailleurs pour cette raison que les nĂ©gociateurs du traitĂ© dâAmsterdam avaient interdit aux juges de premiĂšre instance de faire usage du mĂ©canisme prĂ©judiciel8. Ce dernier avait donc Ă©tĂ© rĂ©servĂ© aux juges de dernier ressort jusquâĂ lâentrĂ©e en vigueur du TraitĂ© de Lisbonne (infra).
5 Affaire C-508/10 dans laquelle les conclusions de lâavocat gĂ©nĂ©ral ont Ă©tĂ© rendues le 19 janvier 2012. 6 Ordonnance du PrĂ©sident de la Cour, 22 novembre 2011, C-568/10. 7 Câest aussi ce qui ressort de la lecture des communiquĂ©s de presse que la Commission publie lorsquâelle saisit
la Cour dâun recours en manquement. 8 Le chiffre de 300.000 recours potentiels avait Ă©tĂ© Ă©voquĂ© Ă lâĂ©poque.
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Département thématique C : Droits des Citoyens et Affaires Constitutionnelles
Câest peu dire que ces prĂ©dictions ne se sont pas rĂ©alisĂ©es. Seuls 15 arrĂȘts ont jusquâĂ prĂ©sent Ă©tĂ© rendus au fond sur renvoi prĂ©judiciel du juge national depuis le lancement de la politique europĂ©enne dâimmigration et dâasile en 1999 par le TraitĂ© dâAmsterdam.
ANNEE NOMBRE DâARRETS 2006 1 2009 5 2010 5 2011 4
27 affaires sont actuellement pendantes devant la Cour: 3 datent de 2010, 13 de 2011 et
11 ont été introduites en 2012 pour les seuls trois premiers mois de cette année. Si
lâaugmentation du flux de questions prĂ©judicielles paraĂźt trĂšs sensible (+ 200% par rapport
au stock dâarrĂȘts rendus sur les 6 derniĂšres annĂ©es), celle-ci est essentiellement due au
nombre extrĂȘmement limitĂ© de questions posĂ©es antĂ©rieurement.
Ce faible nombre peut en partie sâexpliquer par, outre la limitation du mĂ©canisme prĂ©judiciel aux juridictions suprĂȘmes jusquâĂ lâentrĂ©e en vigueur du traitĂ© de Lisbonne le 1er
dĂ©cembre 2009, le fait que les normes adoptĂ©es en matiĂšre dâimmigration et dâasile Ă partir de 2003 par lâUnion europĂ©enne nâont Ă©tĂ© appliquĂ©es que progressivement pour ce qui est des directives. Il faut naturellement un certain temps pour que des dĂ©cisions individuelles prises par les Etats membres sur la base de ces normes europĂ©ennes gĂ©nĂšrent au niveau national un contentieux amenant les juges internes Ă poser des questions prĂ©judicielles. Il reste que le nombre de questions prĂ©judicielles reste au total extrĂȘmement limitĂ©. Ce constat dĂ©cevant amĂšne Ă sâinterroger sur lâefficacitĂ© de ce mĂ©canisme essentiel pour une application uniforme du droit europĂ©en dans les Etats membres9.
On relĂšvera pour ce qui est des matiĂšres concernĂ©es que parmi les arrĂȘts rendus jusquâĂ prĂ©sent, 7 portaient sur lâasile, 4 sur le contrĂŽle des frontiĂšres, 3 sur le retour et 1 sur le regroupement familial. Le fait que lâasile concentre la moitiĂ© des affaires nâĂ©tonnera guĂšre au regard du nombre Ă©levĂ© de demande dâasile gĂ©nĂ©rant un contentieux considĂ©rable et de lâimportance des normes europĂ©ennes adoptĂ©es en la matiĂšre par rapport au domaine de lâimmigration oĂč lâharmonisation est moins avancĂ©e. Seule la directive retour qui retient singuliĂšrement lâattention fait exception en la matiĂšre, les plaideurs ayant manifestement dĂ©couvert que celle-ci peut se rĂ©vĂ©ler beaucoup plus protectrice pour les Ă©trangers en sĂ©jour illĂ©gal que la dĂ©nonciation virulente dont elle a fait lâobjet au moment de son adoption lâa donnĂ© Ă penser.
Le bilan pour ce qui est de la procĂ©dure prĂ©judicielle dâurgence qui a Ă©tĂ© spĂ©cialement crĂ©Ă©e pour lâespace de libertĂ©, de sĂ©curitĂ© et de justice sera traitĂ© dans le cadre de lâĂ©tude des amĂ©liorations du contrĂŽle juridictionnel rĂ©sultant du traitĂ© de Lisbonne nâest guĂšre plus encourageant (infra).
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
CHAPITRE 2 : ANALYSE TECHNIQUE
Le droit europĂ©en de lâasile et de lâimmigration sâest principalement façonnĂ© sous lâinfluence de la jurisprudence, avant que le traitĂ© dâAmsterdam ne permette sa concrĂ©tisation normative avec lâadoption de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration des textes de droit dĂ©rive. La Cour europĂ©enne des droits de lâHomme a Ă©tĂ© le principal artisan de cette construction, dâabord, la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne lâayant partiellement rejoint ensuite.
Cette influence jurisprudentielle a Ă©tĂ© tardive, laissant le terrain principal Ă lâaction des juridictions nationales. Il faudra en effet attendre le milieu des annĂ©es quatre-vingt pour voir le juge europĂ©en intervenir de maniĂšre dĂ©cisive. La Cour europĂ©enne des droits de lâHomme (CEDH) manifestera ainsi son intĂ©rĂȘt Ă partir de 1985, en affirmant sa compĂ©tence pour garantir le droit des Ă©trangers Ă mener une vie familiale normale10. Quasiment Ă la mĂȘme pĂ©riode, Ă lâinstant oĂč certains Etats membres sâengageaient dans la coopĂ©ration intergouvernementale de lâespace Schengen, la Cour de justice des CommunautĂ©s a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă rĂ©pondre Ă onze Etats membres que la politique migratoire nâĂ©tait pas « entiĂšrement Ă©trangĂšre » aux compĂ©tences communautaires11.
Cette rĂ©serve jurisprudentielle europĂ©enne de lâĂ©poque avait une explication : le silence des deux traitĂ©s de rĂ©fĂ©rence concernant la politique migratoire comme la situation individuelle des ressortissants dâEtats tiers. Chacune des deux Cours a du contourner cet obstacle Ă sa maniĂšre, avant de pouvoir dĂ©ployer sa jurisprudence.
Dans un second temps, la jurisprudence de Strasbourg a eu un rĂŽle prĂ©curseur remarquable. Elle a contraint de ce fait les Etats individuellement comme en tant que membres de lâUnion au respect de la CEDH en les obligeant Ă intĂ©grer ce respect dans la construction dâune politique commune dâasile et dâimmigration. Le plus bel exemple de cette influence est symbolisĂ© par la « protection subsidiaire » qui a fini par trouver sa place dans le traitĂ© de Lisbonne. Cette action est dĂ©sormais relayĂ©e par la CJUE, dâune part Ă travers la plĂ©nitude de ses fonctions de juge de lâUnion statuant sur la lĂ©gislation dĂ©rivĂ©e mais aussi parce que la Charte des droits fondamentaux de lâUnion lui offre une base juridique pour ce faire.
1. LA DYNAMIQUE DE LâINTERPRETATION PAR LA CEDH
La Convention europĂ©enne des droits de lâHomme contient peu de dispositions spĂ©cifiques Ă la situation des Ă©trangers, silence Ă peine compensĂ© par les protocoles additionnels. Cette carence rend dâautant plus originale la construction prĂ©torienne dâun droit europĂ©en des Ă©trangers par la Cour europĂ©enne. En sâappuyant sur la gĂ©nĂ©ralitĂ© de lâarticle premier de la Convention qui sâapplique à « toute personne », la Cour europĂ©enne a utilisĂ© les bases textuelles suivantes qui mentionnent les Ă©trangers :
Lâarticle 5, I, f) qui admet « l'arrestation ou de dĂ©tention rĂ©guliĂšre d'une personne pour l'empĂȘcher de pĂ©nĂ©trer irrĂ©guliĂšrement dans le territoire, ou contre laquelle une procĂ©dure d'expulsion ou d'extradition est en cours » ;
Lâarticle 16 intitulĂ© « restrictions Ă l'activitĂ© politique des Ă©trangers » qui affirme que « aucune des dispositions des articles 10, 11 et 14 ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme
10 CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz et a. c/ Royaume-Uni. 11 CJCE, 9 juillet 1987, République fédérale d'Allemagne et autres contre Commission des Communautés
européennes, aff. 281, 283, 284, 285 et 287/85, Rec. 1987 page 3203, point 18.
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interdisant aux Hautes Parties contractantes d'imposer des restrictions à l'activité politique des étrangers ».
A ces dispositions de la Convention sâajoutent les dispositions particuliĂšres du Protocole n° 4 du 16 septembre 1963 et en particulier :
Lâarticle 3 relatif Ă la libertĂ© de circulation et d'Ă©tablissement qui dispose notamment que « quiconque se trouve rĂ©guliĂšrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement » (§1) et que « toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien » (§2).
Lâarticle 4 qui affirme que « les expulsions collectives d'Ă©trangers sont interdites ».
Enfin, la matiĂšre de lâexpulsion des Ă©trangers est spĂ©cifiquement couverte par lâarticle premier du Protocole n° 7 du 22 novembre 1984 qui Ă©numĂšre dans son article premier les garanties procĂ©durales dont bĂ©nĂ©ficient les Ă©trangers :
Il dispose dans son paragraphe premier quâun « Ă©tranger rĂ©sidant rĂ©guliĂšrement sur le territoire d'un Etat ne peut en ĂȘtre expulsĂ© qu'en exĂ©cution d'une dĂ©cision prise conformĂ©ment Ă la loi et doit pouvoir :
a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, b) faire examiner son cas, et c) se faire représenter à ces fins devant l'autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité ».
Son paragraphe second indique quâun « Ă©tranger peut ĂȘtre expulsĂ© avant l'exercice des droits Ă©numĂ©rĂ©s au paragraphe 1 a), b) et c) de cet article lorsque cette expulsion est nĂ©cessaire dans l'intĂ©rĂȘt de l'ordre public ou est basĂ©e sur des motifs de sĂ©curitĂ© ».
La faiblesse de ces bases textuelles rĂ©duisait a priori les potentialitĂ©s de la Convention europĂ©enne pour assurer une protection adĂ©quate des Ă©trangers. Cette impasse a conduit la Cour europĂ©enne Ă une innovation jurisprudentielle particuliĂšrement remarquable, celle de la protection de lâĂ©tranger par « ricochet ». PrĂ©sentĂ©e comme lâune des preuves du dynamisme de la Cour, cette technique jurisprudentielle sâest avĂ©rĂ©e dĂ©terminante pour protĂ©ger les droits fondamentaux des Ă©trangers en matiĂšre dâĂ©loignement forcĂ© et de respect du droit Ă mener une vie familiale normale.
Cette technique de protection repose sur lâaddition de trois constats portĂ©s par la Cour europĂ©enne dans sa jurisprudence12 :
en premier lieu, la Cour rappelle systĂ©matiquement13 que la Convention ne rĂ©git pas la matiĂšre de lâexpulsion, du droit dâasile ou de lâextradition et que « les Ătats contractants ont, en vertu dâun principe de droit international bien Ă©tabli et sans prĂ©judice des engagements dĂ©coulant pour eux de traitĂ©s⊠le droit de contrĂŽler lâentrĂ©e, le sĂ©jour et lâĂ©loignement des non nationaux » ;
« nĂ©anmoins », quand une dĂ©cision dâĂ©loignement « porte atteinte, par ses consĂ©quences, Ă lâexercice dâun droit garanti par la Convention, elle peut, sâil ne sâagit pas de rĂ©percussions trop lointaines, faire jouer les obligations dâun Ătat
12 CEDH, 7 juillet 1989, Soering, A/161. 13 Par exemple pour des arrĂȘts de base : CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz Cabales et Balkandali, A/94, § 68 ;
CEDH, 18 février 1991, A/193 point 43; CEDH, 30 octobre 1991, Vivarajah et autres c. Royaume Uni, A/215 point 102 ; CEDH, 20 mars 1991, Cruz Varas, A/201 §§ 69 et 70.
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
contractant au titre de la disposition correspondante », ce quâelle a appliquĂ© dĂšs 1985 en matiĂšre dâimmigration puis dâextradition ;
aussi, tout Etat partie Ă la Convention doit veiller dans lâexercice de ses pouvoirs de police des Ă©trangers au respect des obligations quâil a contractĂ©es au titre de cellesci.
Cette conclusion, initialement centrĂ©e sur la protection de lâintĂ©gritĂ© physique et de la dignitĂ© des Ă©trangers au titre de lâarticle 3 CEDH en cas dâextradition vers un Etat tiers, a Ă©tĂ© Ă©tendue ensuite Ă lâensemble des procĂ©dĂ©s dâĂ©loignement14. Elle explique le dĂ©veloppement dâune jurisprudence considĂ©rable qui a largement dĂ©passĂ© lâintention premiĂšre des auteurs de la Convention. Ce dynamisme de lâinterprĂ©tation jurisprudentielle de la Cour sâest manifestĂ© de maniĂšre Ă©clatante dans un arrĂȘt de Grande Chambre rĂ©cent, Hirsi Jamaa du 23 fĂ©vrier 2012 oĂč la Cour consacre lâeffet extraterritorial de lâinterdiction des expulsions collectives en rappelant que la « Convention est un instrument vivant qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© Ă la lumiĂšre des conditions actuelles... dâune maniĂšre qui en rende les garanties concrĂštes et effectives et non pas thĂ©oriques et illusoires »15.
Au delĂ de cet apport matĂ©riel, la Cour europĂ©enne a Ă©galement contraint les Etats Ă accepter lâeffectivitĂ© de son contrĂŽle au moyen de « mesures provisoires » que lâEtat partie a lâobligation de respecter. En vertu de lâarticle 39 de son rĂšglement, la Cour peut indiquer des mesures provisoires, dans des circonstances exceptionnelles. Elle y a recours lorsque, aprĂšs avoir examinĂ© toutes les informations pertinentes, elle considĂšre que le requĂ©rant serait exposĂ© Ă un risque rĂ©el de dommages graves et irrĂ©versibles en lâabsence de la mesure en question. Cette mesure provisoire « a pour but de maintenir le statu quo en attendant que la Cour se prononce sur la justification de la mesure »16.
Dans un premier temps, la Cour sâest reposĂ©e sur le bon vouloir des Etats quant Ă lâautoritĂ© attachĂ©e Ă ses prescriptions avant, dans un arrĂȘt de Grande Chambre consacrant un revirement de jurisprudence17, de rendre impĂ©ratif leur respect. TrĂšs gĂ©nĂ©ralement observĂ©es, la circonstance que certains Etats aient, parfois, refusĂ© de les observer18 a Ă©videmment constituĂ© une violation des obligations de lâarticle 34 de la Convention. Preuve a dâailleurs Ă©tĂ© faite rĂ©cemment de leur utilitĂ©. La Cour note ainsi avec satisfaction, dans lâaffaire I.M. c. France que « seule lâapplication de lâarticle 39 de son rĂšglement a pu suspendre lâĂ©loignement du requĂ©rant, pour lequel un laissez-passer avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© Ă©mis par les autoritĂ©s soudanaises... En effet, Ă lâissue des procĂ©dures devant lâOFPRA et le juge administratif, rien nâaurait pu empĂȘcher lâĂ©loignement du requĂ©rant, ni, par consĂ©quent, la dĂ©cision de non-lieu Ă statuer de la CNDA »19, et ce alors quâil justifiait de la protection de la Convention de GenĂšve.
2. LA PLENITUDE DU CONTROLE JURIDICTIONNEL PAR LA CJUE
Lâintervention de la Cour de justice de lâUnion dans le champ des politiques migratoires a Ă©tĂ© beaucoup plus tardive, pour des raisons essentiellement institutionnelles. Lâabsence de compĂ©tence communautaire en la matiĂšre lui interdisait toute action.
14 CEDH, Gr. Ch, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume Uni. 15 CEDH, Gr. Ch., 23 février 2012, Hirsi Jamaa § 175. 16 CEDH, 24 février 2009, Ben Khemais c. Italie §81. 17 CEDH, Gr. ch., 4 février 2005, Mamatkulov et Askarov c. Turquie. 18 CEDH, 24 février 2009, Ben Khemais c. Italie. 19 CEDH, 2 février 2012, I.M. c. France, § 157.
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Cela ne lâa pas empĂȘchĂ©e pour autant dâinvestir la matiĂšre de maniĂšre indirecte. Le jeu de la rĂ©glementation relative Ă la libre circulation des travailleurs lâa ainsi conduite Ă se pencher aussi bien sur le droit Ă mener une vie familiale normale que sur lâencadrement de lâusage des procĂ©dures dâĂ©loignement.
Le premier temps du contentieux communautaire a donc Ă©tĂ© marquĂ© par des considĂ©rations institutionnelles, quâil sâagisse de lâinvocabilitĂ© directe ou non du droit de lâUnion, Ă propos des accords dâassociation passĂ©s avec de futurs Etats membres20 ou non21. Parmi ces dĂ©cisions importantes, se situe incontestablement le dĂ©bat sur la base juridique des visas aĂ©roportuaires22 ou celui ouvert par le Parlement europĂ©en concernant le droit au regroupement familial tel que codifiĂ© par la directive 2003/8623. La rĂ©gulation constitutionnelle incombant Ă la Cour de justice lâa donc conduite Ă sâengager sur le terrain de la protection des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers, la question du regroupement familial ou celle de la dĂ©finition des personnes Ă©ligibles Ă la protection internationale dans lâUnion europĂ©enne constituant des enjeux majeurs de ce point de vue. Dans un deuxiĂšme temps, plus rĂ©cent, la Cour de justice a Ă©tĂ© amenĂ©e plus directement Ă jouer ce rĂŽle de juge des droits fondamentaux Ă la demande des intĂ©ressĂ©s. On se souvient en effet que, sous lâempire du traitĂ© dâAmsterdam, la mĂ©fiance des Etats membres Ă lâencontre du contentieux prĂ©judiciel en matiĂšre migratoire avait conduit Ă rĂ©server aux seules juridictions suprĂȘmes la possibilitĂ© dâinterroger la Cour. Il a donc fallu attendre le milieu des annĂ©es 2000, dĂ©lai de transposition des directives par les Etats membres et de saisine de la Cour obligent, pour que ces juridictions de dernier ressort sâinterrogent sur la portĂ©e et la signification du droit de lâUnion au point dâen saisir la Cour.
20 CJCE, 27 septembre 2001, Barkoci et Malik et autres, C-63/99 et autres 21 CJCE, 14 décembre 2006, Gattoussi, C-97/05 22 CJCE, 12 mai 1998, Commission c. Conseil, C-170/96, Rec. 2763 23 CJCE, 27 juin 2006, Parlement c. Conseil, C-540/03
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
CHAPITRE 3 : LâAPPORT MATERIEL DE LA JURISPRUDENCE EUROPEENNE AU DROIT EUROPEEN DE LâASILE ET DE LâIMMIGRATION
Sans quâil soit besoin dâeffectuer un catalogue exhaustif de la jurisprudence europĂ©enne en la matiĂšre, et notamment celle de la Cour de Strasbourg, lâimpact de celle-ci sur la formation du droit de lâUnion europĂ©enne est fondamental, tant en ce qui concerne le droit de lâasile que le droit de lâimmigration. Elle a en effet largement conditionnĂ© les modalitĂ©s de lâaccĂšs des Ă©trangers au territoire de lâUnion autant quâelle a protĂ©gĂ© les individus contre lâĂ©loignement forcĂ©.
1. LâACCĂS AU TERRITOIRE
LâaccĂšs des Ă©trangers au territoire des Etats membres demeure une prĂ©rogative de souverainetĂ©. Le juge europĂ©en le reconnaĂźt expressĂ©ment. Il reste que, dans certaines hypothĂšses, soit cet accĂšs est de droit, par exemple parce que lâexistence dâun droit fondamental de lâĂ©tranger Ă mener une vie familiale normale oblige Ă la constitution de la cellule familiale sur le territoire de lâEtat dâaccueil, soit cet accĂšs est la consĂ©quence de lâinterdiction de procĂ©der Ă un refoulement, par exemple en vertu du droit dâasile.
1.1. La protection du droit dâasile
La source du droit dâasile est constituĂ©e par la Convention de GenĂšve, au sens celle-ci protĂšge du refoulement. Son article 33 garantit le principe de non refoulement dâun demandeur de protection vers des frontiĂšres oĂč « sa vie ou sa libertĂ© seraient menacĂ©e en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalitĂ©, de son appartenance Ă un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». MĂȘme si le texte de GenĂšve ne contient pas Ă proprement parler un droit individuel Ă se voir accorder lâasile, ce principe de non refoulement est fondamental pour la protection des personnes persĂ©cutĂ©es. Or, il nâexiste pas, sur la base de la convention de GenĂšve, de systĂšme organisĂ© permettant de le garantir de façon juridictionnelle au plan international.
Les juridictions suprĂȘmes europĂ©ennes, seules susceptibles de combler cette carence, ont Ă©tĂ© longtemps confrontĂ©es Ă un obstacle majeur : ni le droit de la Convention ni le droit de lâUnion ne garantissaient le droit dâasile, jusquâĂ lâadoption de la Charte des droits fondamentaux. Une construction progressive a donc vu, dans un premier temps, la CEDH utiliser les articles 2 et 3 de la Convention europĂ©enne en les combinant avec le droit au recours de lâarticle 13 pour parvenir Ă une protection indirecte, avant de se saisir plus directement de la matiĂšre de lâasile. La Cour de justice, limitĂ©e par les dispositions restrictives des traitĂ©s, nâest intervenue que de maniĂšre rĂ©cente sur ce terrain dĂšs lors que le droit dĂ©rivĂ© lui en a fourni lâoccasion.
La Cour europĂ©enne a consacrĂ© une attention toute particuliĂšre au principe de non refoulement dans lâaffaire Hirsi Jamaa sur laquelle on reviendra plus loin, condamnant lâItalie Ă ce sujet pour sa pratique en MĂ©diterranĂ©e et refusant que lâexistence dâaccords entre deux Etats (lâItalie et la Lybie en lâespĂšce) puisse ĂȘtre une cause exonĂ©ratoire de responsabilitĂ©.
Elle souligne que le principe de non refoulement trouve sa source tant dans « les normes en matiÚre de secours aux personnes en mer que celles concernant la lutte contre la traite de personnes qui imposent aux Etats le respect des obligations découlant du droit
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Département thématique C : Droits des Citoyens et Affaires Constitutionnelles
international en matiĂšre de rĂ©fugiĂ©s24. Mieux, elle sâappuie sur lâarticle 19 de la Charte des droits fondamentaux de lâUnion europĂ©enne qui « consacre » le principe. Elle prend soin du reste de noter le « poids particulier du contenu de la lettre Ă©crite le 15 mai 2009 par M. Jacques Barrot, vice-prĂ©sident de la Commission europĂ©enne, dans laquelle celui-ci rĂ©itĂšre lâimportance du respect du principe de non refoulement dans le cadre dâopĂ©rations menĂ©es en haute mer par les Etats membres de lâUnion europĂ©enne »25.
1.1.1. La protection du droit dâasile par la CEDH
Câest par une construction jurisprudentielle remarquable que la jurisprudence europĂ©enne a confortĂ© la situation des demandeurs dâasile Ă lâinstant oĂč ils sollicitent la protection des Etats contractants.
- Une protection nécessairement indirecte
La Cour europĂ©enne des droits de lâHomme lâa affirmĂ© trĂšs tĂŽt : « ni la Convention, ni ses protocoles ne consacrent le droit Ă lâasile politique »26, dâune part. Dâautre part, « en vertu dâun principe de droit international bien Ă©tabli, les Etats ont le droit de contrĂŽler lâentrĂ©e, le sĂ©jour et lâĂ©loignement des non nationaux »27. NĂ©anmoins, lâĂ©loignement dâun demandeur dâasile peut poser problĂšme au regard de lâinterdiction absolue de la torture et des traitements dĂ©gradants posĂ©e par lâarticle 3 CEDH28. La Cour europĂ©enne a donc construit progressivement une jurisprudence spĂ©cifique aux demandeurs dâasile par le biais de lâapplicabilitĂ© de lâarticle 3 CEDH.
A partir de ces rĂšgles gĂ©nĂ©rales, la Cour sâest ensuite intĂ©ressĂ©e Ă la situation des demandeurs de protection au titre de la Convention de GenĂšve. Sa jurisprudence Jabari29, au dĂ©but des annĂ©es 2000, est caractĂ©ristique de la prise en considĂ©ration progressive des besoins spĂ©cifiques des demandeurs dâasile. La Cour europĂ©enne y condamne la Turquie pour son manque de « contrĂŽle attentif » des motifs dâune demande dâasile reconnue par le HCR et qui mettait en avant des menaces de lapidation en cas de retour vers lâIran. Le juge de Strasbourg substitue donc « sa propre apprĂ©ciation du risque » couru par lâintĂ©ressĂ©e, en donnant un poids particulier Ă lâopinion du HCR, au vu de lâabsence « dâĂ©valuation sĂ©rieuse » de lâEtat mis en cause.
La Cour va expliciter sa grille de lecture par la suite30 : pour Ă©valuer les risques, elle attend de lâEtat partie Ă la CEDH quâil prenne en compte lâexistence dâune situation gĂ©nĂ©rale de violence ou de conflit, lâappartenance du requĂ©rant Ă un groupe ou minoritĂ© exposĂ©e, sa situation personnelle Ă la lumiĂšre de donnĂ©es prĂ©sentes, y compris sa qualitĂ© Ă©ventuelle de demandeur d'asile dĂ©boutĂ©31.
La lĂ©gislation de lâUnion et en particulier lâapplication du rĂšglement « Dublin » ont donnĂ© Ă la Cour lâoccasion dâaller au delĂ . Saisie de la question du transfert des demandeurs dâasile au sein de lâUnion europĂ©enne, elle pose aujourdâhui les conditions de la conformitĂ© de ce transfert Ă la Convention europĂ©enne.
24 CEDH, Gr. Ch., 23 fĂ©vrier 2012, Hirsi Jamaa c. Italie, § 134. 25 § 135. 26 CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. RU. 27 CEDH, 15 novembre 1996, Chahal c. RU, § 73. 28 CEDH, 20 mars 1991, Cruz Varas, A/201 §§ 69 et 70. 29 CEDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, §§ 40 et 41. 30 CEDH, 17 juillet 2008, Na c. RU, §§ 110 et ss. 31 En lâespĂšce de lâarrĂȘt Na, celle dâun demandeur tamoul, la Cour prĂȘte une attention particuliĂšre au fait que les
autoritĂ©s sri-lankaises disposaient des moyens technologiques leur permettant dâidentifier Ă lâaĂ©roport les demandeurs dâasile dĂ©boutĂ©s et les personnes recherchĂ©es par elles.
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
Elle avait dĂ©jĂ indiquĂ© dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, dans une dĂ©cision de recevabilitĂ© T.I c. Royaume Uni32, quâaucun Etat ne peut « sâappuyer dâoffice sur le systĂšme Ă©tabli par la Convention de Dublin pour attribuer, au sein des pays europĂ©ens, la responsabilitĂ© de statuer sur les demandes dâasile » car « lorsque des Etats Ă©tablissent des organisations internationales ou, mutatis mutandis, des accords internationaux pour coopĂ©rer dans certains domaines dâactivitĂ©, la protection des droits fondamentaux peut sâen trouver affectĂ©e ». Concluant Ă lâirrecevabilitĂ© de la requĂȘte en raison des garanties offertes par le droit allemand qui rendaient le risque improbable, la Cour soulignait cependant que les Etats parties au systĂšme Dublin ne peuvent pas sâexonĂ©rer de leur responsabilitĂ© individuelle. Ils ne peuvent prĂ©tendre « sâappuyer dâoffice sur le systĂšme Ă©tabli par la Convention de Dublin pour attribuer, au sein des pays europĂ©ens, la responsabilitĂ© de statuer sur les demandes dâasile ».
Dans une seconde affaire, KRS c. Royaume Uni concernant Ă©galement le mĂ©canisme de Dublin, la Cour avait confirmĂ© sa vigilance, quitte Ă conclure Ă lâabsence de risque dâun refoulement en chaĂźne en sâappuyant sur les garanties de la nouvelle lĂ©gislation europĂ©enne.
Il Ă©tait inĂ©vitable, comme on le verra plus loin, quâelle aille plus loin dans un arrĂȘt de principe, lâarrĂȘt M.S.S c. Belgique et GrĂšce.
- Une protection effective : lâarrĂȘt MSS c. Belgique
La Cour europĂ©enne franchit directement le pas de la protection effective du droit dâasile dans lâUnion europĂ©enne avec lâarrĂȘt de Grande Chambre rendu dans lâaffaire MSS c. Belgique33. Etait en cause le transfert de demandeurs dâasile par la Belgique vers la GrĂšce dans le cadre du rĂšglement Dublin. La Cour sanctionne Ă cette occasion la prĂ©tention des Etats membres de lâUnion Ă automatiser leurs transferts internes des demandeurs dâasile via le systĂšme de traitement Dublin. Les dĂ©faillances grecques dans sa gestion de la politique europĂ©enne dâasile conduisent de la sorte le juge de Strasbourg Ă se faire le juge des conditions dans lesquelles le droit dâasile sâexerce dans lâUnion et, en dĂ©finitive, Ă sâintĂ©resser Ă la conformitĂ© de cet Ă©lĂ©ment central de la politique dâasile de lâUnion aux exigences de la CEDH.
Les principes gĂ©nĂ©raux mis ici en avant par la Cour europĂ©enne vont au delĂ de sa seule prĂ©occupation de garantir le respect de lâarticle 3 CEDH. Pour nâen rester quâau seul terrain du droit dâasile34, le juge europĂ©en dĂ©livre des enseignements dĂ©terminants pour le droit de lâUnion et des Etats membres.
En premier lieu, la Cour indique que le souci lĂ©gitime des Etats de rĂ©guler les flux migratoires et de dĂ©jouer les tentatives de dĂ©tournement du droit dâasile ne doit en aucun cas « priver les demandeurs dâasile de la protection » qui leur est due35. Ceci vaut quâil sâagisse de lâatteinte Ă©ventuelle Ă la libertĂ© des demandeurs ou de lâinterdiction absolue de refoulement. Mettant Ă profit lâexistence de rĂšgles contraignantes de droit de lâUnion relatives Ă lâasile, elle Ă©value le respect par les Etats membres de la garantie effective du droit dâasile, tout en se gardant « dâexaminer elle-mĂȘme les demandes d'asile ou de
32 CEDH, décision du 7 mars 2000, TI c. RU, req. 43844/98.
33 CEDH, Gr. Ch., 21 janvier 2011, MSS c. Belgique. 34 Voir infra le jugement porté sur le systÚme de Dublin par la Cour.
35 § 216.
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Département thématique C : Droits des Citoyens et Affaires Constitutionnelles
contrÎler la maniÚre dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de GenÚve »36.
La protection du droit dâasile par le droit de lâUnion ouvrait cependant une question de principe. Le gouvernement des Pays Bas affirmait que la Cour europĂ©enne ne pouvait en connaĂźtre, excĂ©dant son office en remettant en cause les mĂ©canismes de contrĂŽle du droit de lâUnion : « il appartient Ă la Commission et Ă la GrĂšce avec le concours logistique des autres Etats membres et non Ă la Cour d'organiser l'harmonisation du systĂšme grec avec les normes communautaires »37. Sans aller jusque lĂ , le Royaume Uni mettait la Cour en garde contre le risque de « ralentir Ă grande Ă©chelle tout le processus » de transfert, concĂ©dant que les Etats membres nâĂ©taient pas dispensĂ©s entiĂšrement de leurs obligations, susceptibles de jouer « dans des circonstances tout Ă fait exceptionnelles ».
La Cour écarte ces objections. Elle affirme dans un considérant de principe que « lorsqu'ils appliquent le rÚglement « Dublin », il appartient aux Etats de s'assurer que la procédure d'asile du pays intermédiaire offre des garanties suffisantes permettant d'éviter qu'un demandeur d'asile ne soit expulsé, directement ou indirectement, dans son pays d'origine sans une évaluation, sous l'angle de l'article 3 de la Convention, des risques qu'il encourt»38.
Le second Ă©lĂ©ment dĂ©terminant de la jurisprudence MSS de la Cour europĂ©enne tient ensuite dans lâindividualisation de la situation des demandeurs dâasile quâelle opĂšre. Elle souligne quâelle « accorde un poids important au statut du requĂ©rant qui est demandeur d'asile et appartient de ce fait Ă un groupe de la population particuliĂšrement dĂ©favorisĂ© et vulnĂ©rable qui a besoin d'une protection spĂ©ciale⊠». « Elle note que ce besoin d'une protection spĂ©ciale fait l'objet d'un large consensus Ă l'Ă©chelle internationale et europĂ©enne comme cela ressort de la Convention de GenĂšve, du mandat et des activitĂ©s du HCR ainsi que des normes figurant dans la directive Accueil de l'Union europĂ©enne »39.
- Une protection extensive : lâarrĂȘt Hirsi Jamaa c. Italie
La question difficile de « lâinterception » de migrants en haute mer a Ă©tĂ© tranchĂ©e par la Cour le 23 fĂ©vrier 2012, Ă la fois en ce qui concerne lâĂ©tendue de la protection de la Convention et en ce qui concerne sa nature. AprĂšs une premiĂšre impasse jurisprudentielle40, la Cour a dissipĂ© tous les doutes en affirmant lâeffet extraterritorial de la Convention et de son Protocole n°4, câest-Ă -dire du droit dâasile comme de lâinterdiction des expulsions collectives.
LâĂ©tendue de la garantie par la Convention europĂ©enne dĂ©pend de lâinterprĂ©tation donnĂ©e Ă la « juridiction » mentionnĂ©e par son article 1. Ce dernier contraint les Etats parties Ă reconnaĂźtre ces droits au profit des personnes placĂ©es sous leur « juridiction ». Lâexercice de sa « juridiction » est donc une condition nĂ©cessaire pour quâun Etat contractant puisse ĂȘtre tenu pour responsable des actes ou omissions qui lui sont imputables et qui sont Ă lâorigine dâune allĂ©gation de violation des droits et libertĂ©s Ă©noncĂ©s dans la Convention. La « juridiction » dâun Etat partie est dâordre territorial et elle est prĂ©sumĂ©e sâexercer normalement sur lâensemble de son territoire. Il est donc exceptionnel que les actes des
36 § 286. 37 § 330. 38 § 342. 39 § 251. 40 CEDH, 19 janvier 2010, Hussun c. Italie.
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Impact de la jurisprudence de la CEJ et de la CEDH en matiĂšre d'asile et d'immigration
Etats contractants accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire puissent sâanalyser en lâexercice par eux de leur juridiction au sens de lâarticle 1 de la Convention41. LâarrĂȘt rendu en Grande Chambre le 23 fĂ©vrier 2012 dans lâaffaire Hirsi Jamaa c. Italie Ă©tait donc particuliĂšrement attendu dans la mesure oĂč il concernait lâinterception en haute mer de 25 migrants somaliens et libyens par des navires militaires italiens et renvoyĂ©s sommairement vers la Libye en vertu dâun accord bilatĂ©ral entre les deux Etats. Etait en cause la nature du lien de lâItalie avec les requĂ©rants puisque les faits invoquĂ©s sâĂ©taient dĂ©roulĂ©s en haute mer42.
La Cour rappelle quâen vertu du droit de la mer, un navire navigant en haute mer est soumis Ă la juridiction exclusive de lâEtat dont il bat pavillon, ce qui constitue un cas dâapplication extraterritoriale de la juridiction de lâEtat partie concernĂ©. Elle note quâà « partir du moment oĂč ils sont montĂ©s Ă bord des navires des forces armĂ©es italiennes et jusquâĂ leur remise aux autoritĂ©s libyennes, les requĂ©rants se sont trouvĂ©s sous le contrĂŽle continu et exclusif, tant de jure que de facto, des autoritĂ©s italiennes. Aucune spĂ©culation concernant la nature et le but de lâintervention des navires italiens en haute mer ne saurait conduire la Cour Ă une autre conclusion »43.
Cet Ă©claircissement jurisprudentiel est de la plus haute importance au vu des tĂąches confiĂ©es aux frontiĂšres extĂ©rieures de lâUnion Ă des agences de lâUnion telles que Frontex, agence qui sâappuie sur la collaboration des Etats membres. La responsabilitĂ© directe des Etats parties ne saurait ĂȘtre minimisĂ©e. De mĂȘme, lâargument spĂ©cieux de lâEtat dĂ©fendeur selon lequel il accomplissait lĂ des obligations humanitaires relevant dâun « sauvetage en haute mer » ne saurait servir de prĂ©texte pour rĂ©cuser la responsabilitĂ© de lâEtat mis en cause.
Pour la premiĂšre fois, lâapplication extraterritoriale de la Convention bĂ©nĂ©ficie aussi au Protocole 4 additionnel Ă la Convention qui prohibe dans son article 4 les expulsions collectives. Pour la Cour « le libellĂ© de lâarticle 4 du Protocole n° 4 ne fait pas, en soi, obstacle Ă son application extraterritoriale »